La, migration andine
Rapport à la terre et conquête de la ville
Entre Kuancavelltn et la
eicachera.
De la sierra à Lima
Gilda Nicolau Patrick Deshayes
« L'objet d étude que l'on choisi est un aveu
biographique. » Bonis (Sn lnik
En janvier 2000, je partais au Pérou, rejoindre
l'association Gabriela Mistral, à Lima. Participant à l'un de
leurs projets avec les enfants et les jeunes, je me rendais quotidiennement
dans un quartier de San Juan de Lurigancho, district de la Lima
périurbaine, dans le "cône"1 Est. Je réalisais
très vite que la population était majoritairement d'origine
andine, sans pour autant savoir exactement d'où venaient les uns et les
autres. J'étais indignée également de la réaction
de certains liméniens lorsqu'ils s'étonnaient avec dédain
de me voir aller là-bas. J'ai d'abord été
interpellée par cette dynamique de "débrouille" que les migrants
ont développé, une sorte d' « endodéveloppement
». Inventifs dans un milieu hostile grâce à des
réseaux de liens importants, ils semblaient conquérir la ville et
construire de nouveaux univers de vie. Les femmes semblaient
particulièrement actives par le biais de cantine populaire --par
exemple, et de petites organisations ; leur lutte quotidienne était
saisissante.
Dans les collines auparavant désertes, toute une vie se
déployait ; de nouvelles demeures apparaissaient. On entendait souvent
parler d'invasions ; j'ai moi-même assisté à l'implantation
d'un groupe de maisons, au petit matin sur une dune de Lima ; c'est ainsi que
naissait un nouveau quartier !
De profondes amitiés se sont forgées au fil des
différents séjours que j'y ai effectués. C'est ainsi que
j'ai décidé de retourner dans ce pays, de nouveau pour quelques
mois. Je souhaitais, tout en retrouvant le plaisir d'y séjourner et d'y
mener diverses expériences, approfondir ce thème qui me tenait
à coeur, rencontrer des personnes susceptibles d'apporter des
éléments de réponse à mes questions et surtout
découvrir l'inattendu...
Quelle migration ?
Ce mouvement migratoire s'est produit pour différentes
raisons. D'importants changements socio-économiques et
démographiques ont conditionné et intensifié ce
phénomène. Il a été exacerbé par des crises
importantes telles les grandes sécheresses et les séismes mais
aussi et surtout le terrorisme, obligeant les paysans à chercher
d'autres terres.
Peut-on parler de la migration de la même façon
lorsqu'il a fallu choisir entre fuir ou mourir, ou lorsque l'on part pour
trouver du travail ou encore étudier à la ville ? On ne peut
comparer les migrants en quête d'« une amélioration »
avec les déplacés du terrorisme, venus malgré eux. Les
désirs d'adaptation ne sont pas les mêmes, ni les
possibilités.
J'ai rencontré beaucoup de réfugiés sur
le terrain de mes investigations (à la Vizcachera et dans la Sierra) et
je les évoquerai.
Néanmoins, je me suis intéressée quand
cela était possible, aux derniers arrivés, aux derniers migrants
qui continuent à venir dans cette Lima « explosante »,
où seuls les flancs des collines les plus hostiles offrent un espace
d'habitat. Aujourd'hui, ces gens continuent à. quitter leur village, ces
paysans « abandonnent » leurs terres pour un univers plus prometteur
(ils l'espèrent et pensent pouvoir "avancer" plus rapidement et
exhaustivement à la ville).
Quels sont leurs lieux de vie qui les poussent à
chercher ailleurs une certaine forme de progrès ou un « meilleur
» qui s'impose et qu'ils s'approprient. Est-ce le mode de vie andin
"mobile"
1 Lima est divisée en trois «
cônes » : "cono forte", "cono este", "cono sur" (l'ouest
étant l'apanage du Pacifique...) qui sont la périphérie de
l'ancienne Lima et se sont constitués au gré des migrations,
intensifiées depuis les années 40.
(on parle de « mobilité »), qui a toujours
mené ses habitants vers une quête de « terres meilleures
» face aux obstacles ?
« Costa, Sierra y Selva »
Pour les péruviens, les trois espaces
géographiques du pays : Costa, Sierra et Selva, semblent
représenter non seulement trois espaces, mais aussi trois univers, et
presque trois "cultures", qui sont pourtant en interrelation. La côte
(désertique), les Andes, l'Amazonie. Ils semblent attacher beaucoup
d'importance à cette division tant pour vanter la diversité du
pays que pour se différencier les uns des autres.
Je n'ai pas choisi d'appréhender la migration d'une
communauté en particulier, mais celles qui s'entrecroisent et
s'enchevêtrent dans un même quartier de Lima et à travers
une région. J'ai donc centré mes recherches sur les migrations
depuis la Sierra vers Lima, et du département de Huancavelica.
Il faut se perdre dans les différents "cônes",
districts et recoins de Lima pour réaliser toute l'ampleur du
phénomène mais aussi observer quelques endroits de
l'intérieur. J'ai choisi le quartier de la Vizcacbera
pour centrer cette étude sur l'aspect communautaire et
territorial. C'est un lieu à la fois atypique et caractéristique,
qui s'est peuplé progressivement autour de l'élevage porcin,
à ses débuts, et il s'étend de jours en jours.
Huancavelica est « un des
départements les plus pauvres du Pérou ».
Caractéristique de la vie paysanne (la majeure partie de la population
vie en milieu rural), de la vie minière et des changements (migratoire
et impact sur l'espace) qu'elle entraîne, c'est en outre une
région éloignée des routes touristiques. Le terrorisme y a
été très intense par sa présence et sa violence,
marquant profondément la population, ses victimes et ses
déplacés.
Un regard dans la Sierra permet de réaliser la
dissémination des familles et les réseaux qui y existent, et se
refont à la ville. Territoire agropastoral, son mode vie y est
communautaire et souvent paysan, il influence l'adaptation sur la côte.
C'est aussi une réalité du pays, aujourd'hui oubliée par
une partie de la population, mais qui transforme le monde urbain et entretient,
par ses « diasporas », un rapport important avec la ville.
Un abîme paraît se creuser entre la Côte et la
Sierra mais à Lima, ces mondes se rencontrent.
Problématique
Si je n'ai pas choisi de m'intéresser aux hautes
sphères de migration, je n'ai pas non plus opté pour suivre
l'orientation d'un certain nombre d'études qui montrent le lien
permanent entre la Sierra et ses émigrés de Lima, ou la
reproduction des "traditions" à Lima. Ou bien, celles qui
démontrent le potentiel "capitaliste" des émigrés andins,
tels des petits entrepreneurs... J'ai plutôt rencontré des gens
qui me paraissaient s'être "coupés" de leur lieu d'origine,
confrontés à un quotidien difficile. La lutte pour la
propriété ou la défense commune du territoire s'est
révélée importante pour la conquête de la ville. Le
rapport au sol est donc l'élément central sur lequel mes
"ethnographies" ont été orientées.
J'ai accordé une place particulière aux
histoires de vie, qui oscillent entre mémoire et soucis du quotidien.
Elles permettent de s'interroger sur l'identité qui se reconstruit en
ville et les nouvelles appartenances qui se dessinent.
Chez tous les migrants, on constate cette quête pour la
propriété, qu'est-ce donc qui anime ce combat ? Celui-ci semble
également s'inscrire dans la lutte d'un groupe, d'une communauté
sur un territoire.
J'ai donc essayé de traiter la question de la migration
dans toute sa complexité entre départ et retour, mémoire
et la quête qu'elle suscite. Le phénomène de la migration
ne commence pas dans un lieu de départ pour se terminer dans un lieu
d'arrivée... Elle concerne toute la famille, son passé, son
présent, ses projections futures, et ses espaces de mobilité.
Je m'intéresse aux histoires de vie et du
quotidien d'un quartier de la périphérie de Lima,
j'essaie de comprendre comment il s'est
peuplé et comment s'y constituent les rapports
et l'appartenance.
Un voyage dans les Andes permettra de mieux comprendre la
réalité et les raisons de ceux qui partent. La terre y joue un
rôle prépondérant.
Quels sont les liens entre le rapport à la terre,
l'attachement qu'elle suscite et la lutte des migrants à Lima pour la
propriété ? Quel est son sens symbolique, social et juridique ?
Quel est l'impact de l'émigration dans son évolution
?
Méthodes et écritures...
Mon "terrain" --comme il est communément appelé
en ethnologie, ne se limite pas en un lieu ; il est à l'image de la
migration, en de multiples lieux. Ce "terrain", je le côtoyais au
quotidien; en étant à Lima --puisque la ville a été
constituée par ces migrations, ce qui permettait de sortir de la seule
posture d'ethnologue, jusqu'à l'en oublier. Je rendais
régulièrement visite aux gens rencontrés à la
Vizcachera. Je retrouvais Leoncio, dans le quartier de Zapallal dont il est
dirigeant. Nous allions à la rencontre des habitants de tous les
quartiers qui le composent.
reprit presque à son compte mes questions et
interrogations ! 11 s'enquérait auprès des gens
de leurs origines et de leur valorisation ainsi que des problèmes qui
lui tenaient à coeur, liés au statut d'occupation des sols et
à la lutte des habitants. C'est ainsi (et en allant à travers la
ville) que j'ai pu connaître les autres formations de
quartiers à Lima, peut-être différentes de
la Vizcachera. Dans la Sierra, des rencontres et
évènements (festifs et associatifs) m'ont amenée dans
divers villages du département de Huancavelica. Des gens me proposaient
de me faire connaître leur terre, de rencontrer tel groupe ; une amie de
participer à son projet d'alimentation, des entrevues avec des
autorités (qui pouvaient se conclure autour d'un déjeuner), des
travailleurs sociaux, et surtout des habitants, des amis d'amis, etc. Cela a
abouti dans quelques cas à des entretiens trop formels, mais fort
heureusement par des naissances de liens, des échanges, des
témoignages de vie, et des fêtes aussi ! L'ethnologie
réside dans la rencontre et le rapport établi, celle d'un moment
impromptu, celle de rendez-vous répétés, selon les
désirs de chacun, de dire et de faire... Ce que l'on voit, n'est-ce pas
aussi ce que l'on choisit de regarder et ce que l'on aura bien voulu nous
montrer ?
Sans pourtant enregistrer aucun "entretien", j'ai choisi de
laisser une place importante aux discours des gens, à leurs mots,
à leur voix. Je les ai retranscrits sous la forme de citations et de
récits de vie. D'une part, il me semble que l'on prend trop souvent la
parole à leur place (à travers les écrits) au risque
d'interpréter trop hâtivement et de ne plus savoir "qui dit quoi"
(entre les protagonistes, les visions exogènes, les auteurs et
moi-même...). D'autre part, afin
de traduire fidèlement le « discours
authentique qui mobilise toutes les ressources d'une culture et d'une langue
originale pour exprimer et expliquer des expériences qu'une autre langue
ignore [..12 » --notons que la pratique du quechua aurait
été bien plus adaptée avec les populations andines ; les
termes employés, de par leur récurrences ou leurs connotations,
ont toute une résonance impossible à exprimer. Je
voulais surtout rester fidèle à leurs propos, leurs voix, leurs
témoignages, sans les trahir, tout en laissant transparaître ma
propre sensibilité.
Reste à trier dans le "fatras des faits", entre
vécu et « imaginaire », entre vie personnelle et
"recherches"... L'écriture n'en est pas aisée,
il faut faire des choix et accepter ses postulats.
Mais surtout à qui s'adresser. Qui sera le lecteur de ce
récit ? Les protagonistes ? Des "spécialistes" en ethnologie ?
Des proches ? Des inconnus ?... Je me suis souvent remise en question avant
d'écrire, ou après avoir porté une forme de
"jugement". Les intéressés seraient- ils vraiment d'accord ? Qui
partage cette vision ? Raconter cela comme une histoire ? Mener une
"démonstration" ?... Il m'a fallu accepter le fait que le travail
réalisé (en tant qu'écriture uniquement) devait s'inclure
tout d'abord dans le contexte qui m'était fixé tout en
conservant mes intentions de réciprocité avec les
habitants, sur d'autres plans.
Et puis, subsiste toujours le risque de la solitude
de l'écriture. On peut très vite s'emporter,
interpréter, en oubliant que la réalité telle que
les gens la vivent et l'appréhendent, est autre. J'ai
tenté de rester mesurée. Si l'ethnologie est une
rencontre, l'écriture quand à elle, mériterait
d'être partagée, interactive. J'ai cependant pu échanger au
sujet de mon terrain avec d'autres personnes, ce qui me semble
fondamental, mais insuffisant.
Posture et réciprocité
Les jugements de valeurs demeurent incontournables :
admiration devant la lutte des habitants et leur imagination provoquée
par l'émigration ; et consternation devant la domination d'une
société discriminante et l'apparente indifférence devant
la réalité des Andes. En deçà, interviennent les
meurtrissures du passé, engendrées par la terreur du Sentier
Lumineux3, sans parler des campagnes de stérilisation
forcée'.
Les ethnologues ne sont pas tous d'accord sur le fait de
prendre parti ou pas. Au nom de quelle superbe devrait-on être
l'observateur insensible de situations parfois si consternantes ? La rencontre,
à la base de cette discipline, n'incite-t-elle pas à vous
détacher de toute objectivité ?
Il est néanmoins difficile de traiter
certains thèmes qui engagent l'observateur et lui seul, à
considérer le bien fondé de son discours, la
véracité des ses écrits et surtout la
légitimité de ses réflexions. Il convient de ne pas juger
hâtivement à partir d'un regard trop fugace, et de se
détacher de tout ethnocentrisme. Je me suis d'ailleurs souvent
remise en question devant des
2 Sayad, Abdelmalek. La double absence.
3 20 années de violence, depuis 1980
où commença la violence armée, dans la Sierra. Un pays en
conflit où les Forces années et la police s'affrontèrent
aux subversifs... Le Sentier lumineux, mouvement d'inspiration maoïste,
voulait imposer un nouvel ordre politique, social et économique.
C'était le principal groupe subversif, mais d'autres mouvements
s'ajoutèrent et leurs actes, comme ceux commis par les Forces
Armées, relèvent d'une indescriptible ignominie.
4 Durant le gouvernement de Fujimori, des campagnes
de stérilisation forcée, menées dans des
conditions déplorables, ont été conduites dans des
communautés de la Sierra et de la Selva, ainsi que dans quelques
quartiers pauvres de Lima. De l'ethnocide en passant par le
génocide...
hypothèses que je formulais, de peur de ne pas respecter
les points de vue des uns et des autres.
D'autre part, lorsqu'il se crée un rapport relativement
profond avec les gens, comment ne pas prendre parti dans leur combat ? En
outre, la discrimination dont ils sont parfois victimes amène se
positionner de leur côté. Il est naturel de se préoccuper
de leur combat et d'échanger sur des plans plus personnels.
En rencontrant les déplacés du terrorisme, j'ai
été saisie par leur cause et surtout consternée par leur
isolement. Ils m'ont quelque peu prise à témoin, espérant
être compris et orientés. Je me suis donc informée des
éventuelles aides à leur disposition et de leurs droits. On se
trouve bien souvent seul et incapable devant de telles situations.
Si la rencontre est le lieu de l'ethnologie,
l'hospitalité est sa condition sine qua non.
Les gens se montrent généralement (mais pas
toujours, à raison) disponibles ; à la fin de la première
rencontre, il s'inquiétait : «j'espère que j'ai pu vous
apporter quelque chose ». Par la suite, cette disposition pouvait se
traduire par des rencontres plus personnelles, m'invitant à revenir chez
eux.
L'accueil passe toujours par un digne «
excuse-nous de la pauvreté ou du peu que je puisse t'oeir
», sans manquer de proposer une boisson ou de manger quelque chose
même si ce n'était pas l'heure. Alors que certaines paraissent
toujours indisponibles, la plupart m'invitaient volontiers à leur rendre
visite.
C'est finalement la rencontre que l'on cherche au-delà
des critères objectifs. Une rencontre, souvent fortuite, mais aussi
provoquée par ces réseaux de liens auxquels on accède
très vite et que l'on utilise. Ce que l'on comprend et
interprète, résulte du fruit de cette rencontre, de cet instant
d'échange, de l'hospitalité de l'autre, de sa propre
volonté et de la disponibilité de l'un et de l'autre.
***
Historique de la migration à Lima
Les villes d'Amérique latine, de part leur formation et
leur évolution, diffèrent grandement du modèle urbain
européen auquel nous sommes habitués. D'ailleurs au sein
même de l'Amérique latine on distingue deux grandes familles de
villes : celles issues de la colonisation hispanique, el les villes
brésiliennes, issues de la colonisation lusophone, qui ont eu une
formation sensiblement différente.
Lima est l'une des villes emblématiques de la
colonisation Espagnole, avec son centre ville classé par l'UNESCO depuis
1991. La description de son histoire urbaine va nous permettre de mieux nous
plonger dans cet ancien idéal d'urbanisme pétri des idées
de la renaissance, qui est aujourd'hui devenu un monstre urbain de 7 millions
d'habitants, saturé de bidonvilles...
Au début, il n'y avait rien, du moins rien de
signifiant pour les conquistadors espagnols, puisque l'on sait maintenant que
la zone regroupait un ensemble de villages cultivant les terres fertiles des
environs du rio Rimac, le fleuve qui coule actuellement au centre de Lima. La
population s'élevait alors à 50 000 habitants, la plupart
décimés lors de la construction de la ville. On avait en premier
lieu pensé situer la capitale Péruvienne dans les Andes, à
Jauja, près d'une immense mine d'argent, mais les zones montagneuses
étaient encore contrôlées par la résistance Inca, et
il fallait de toute façon une ville au bord du Pacifique pour charger
les galions de sa majesté Charles Quint, roi d'Espagne... Alors il
fallut se décider à installer la capitale au coeur de
l'inhospitalier désert côtier Péruvien, qui court de
l'équateur jusqu'au nord du Chili, et l'oasis du rio Rimac s'est
imposée.
les règles précises de
La « Ciudad de los Reyes » (ville des rois) naquit
donc le 18 janvier 1535, fondée par Francisco Pizarro,
légèrement avant la publication des « ordonnances royales
» de Philippe II (successeur de Charles Quint), qui dictaient formation
d'une ville dans le nouveau monde.
Le plan de base, très imprégné du
rationalisme propre à la renaissance européenne, prévoyait
une ville sans fortifications, pour lui permettre de s'étendre suivant
son module de « manzanas » (sortes d'îlots,
carrés, et de 100m de coté).
La ville d'alors est la plus importante du continent sud
américain, capitale de tout le vice royaume, couvrant l'ensemble de
l'Amérique du sud à l'exception du Brésil. En 1551 elle se
dota de la première université du nouveau monde, San Marcos, et
atteint son apogée économique et culturelle au
XVIIème siècle. C'est à cette époque que
se construisirent de nombreux palais aux balcons somptuaires, presque tous
détruits par le tremblement de terre de 1746.
En 1919 Lima est une ville de 173 007 habitants et qui entre
dans l'économie de marché avec l'émergence d'une classe
moyenne, qui se développe suivant deux axes principaux: l'un en
direction de Miraflores, à travers l'avenue Arequipa pour les classes
moyennes élevées et les classes aisées, l'autre plus
dirigé vers le Callao pour les classes moyennes et ouvrières,
à travers l'avenue Brasil.
Mais déjà dans les années 1930 la ville
doit faire face à des soulèvements populaires ouvriers, qui
réclament des logements, et le gouvernement va mener une politique de
construction de quartiers ouvriers, pour calmer la situation. Malgré
cette volonté de « limiter les dégâts », le
gouvernement va payer le prix d'une réforme agraire bâclée,
qui engendre des famines chez les indiens des Andes : chaque jour les
immigrants sont plus nombreux, et le gouvernement ne peut pas suivre la cadence
: les « cerros » (colline) de Laeticia, San Cosme et El pino, presque
dans le centre de Lima, commencent à se couvrir d' « indios
», en attente de logement...
En 1946 se met en place le « plan de développement
métropolitain » sur le modèle du « zoning »
américain, mais celui-ci est dépassé par la croissance des
quartiers irréguliers : devant l'afflux toujours croissant de paysans
venant des Andes, les « zones d'attente » où l'on
avait fini par tolérer leur présence deviennent
définitives. Ainsi la ville traditionnelle se développe vers le
sud du Rimac, pour rejoindre peu à peu le Callao et Miraflores, tandis
que la rive nord devient très populaire et s'y développent de
plus en plus de « barriadas » ("bidonvilles").
Dans les années 70 et 80 le phénomène
empire, car en plus de la pauvreté extrême des Andes, le «
sentier lumineux », groupe révolutionnaire terroriste, massacre et
terrorise les campagnes andines, provoquant un exode d'autant plus fort. Les
nouveaux quartiers se développent par énormes poches, au sud,
à l'est et au nord de la ville, pendant que les maisons du centre ville,
de plus en plus dégradées, se
transforment en taudis. Pour l'état il n'est plus
question d'essayer de reloger ces migrants, mais plutôt seulement de les
empêcher d'envahir les terrains qui ont une forte valeur foncière.
Ainsi les "bidonvilles" se retrouvent relégués en de lointaines
périphéries, loin de l'oasis qu'était Lima, en plein
désert. C'est aussi l'époque des immenses opérations
d'auto construction, tel Villa el Salvador au sud.
t.
En 1993 Lima couvrait une superficie de ,741
2812km2, et aujourd'hui la ville compte près
de 8 000 000 d'habitants, avec un toujours très fort taux de
croissance, bien que moins important. Il
. 1
n'est plus dû seulement à l'exode rural, mais
tout simplement aux 2èm" et même 3"
générations des premiers arrivants devenus citadins, toujours
confrontés à la même crise du logement. La situation
actuelle dépeint les cinquante ans d'« invasion ». La ville,
assez peu dense dans ses périphéries, occupe un espace
très important, et le centre ville de Lima se trouve maintenant à
50 Kms des derniers quartiers. Ceux-ci connaissent toujours de terribles
problèmes d'adduction d'eau, d'évacuation des eaux usées,
de circulation, et l'invasion actuelle des dunes les plus
éloignées promet des nouvelles problématiques.
Aujourd'hui, les migrations continuent
à Lima, mais il semble se développer une nouvelle dynamique de
déplacement vers la Selva, où les petites villes s'accroissent
notablement.
Les migrations vers l'étranger, qui se sont d'abord
dirigées vers les Etats-Unis commencent à s'intensifier vers
l'Europe. Quitter le pays à la rechercher de « meilleures
possibilités » continue d'être le rêve de beaucoup,
surtout les jeunes...
1ERE PARTIE
LA V Z('ACHERA. --I NTRoleecrioN
DE CAMPOY A « LA VIZCACHERA » 1
L'ARRIVER A LA VIZCACHERA 3
LES HABITATIONS. CONSTRUCTION. IMPORTANCE DE L'EMPLACEMENT. 6
SPECIFICITE DU QUARTIER 7
TERRES RURBAINES ? 8
L'ORGANISATION POLITIQUE 9
COMMUNAUTE CAMPESINA VERSUS COMMUNAUTE URBAINE ? 9
HISTOIRES DE LA VIZCACHERA 9
LA VIE A LA VTA,'AC'ElEIL, UN CAS PARTICULIER i. MORS
» LIMA ?,.... ,,,,, ,... ......... ,. ... .. ..
UNE VIE ENDOGENE? RAPPORT AVEC L' EXTERIEUR. VIE INTERNE 11
De l'élevage au recyclage... de la chancheria au hueco
11
De la lessive au comedor... De l'intendance familiale
à la gestion communautaire 13
Et la chancheria 2 17
De l'élevage 17
ORGANISATION DE LA COMMUNAUTE 18
Origine et fonctionnement de la communauté 18
Les noeuds juridiques au sein de la communauté
19
LA REPARTITION / LA RECOMMANDATION / LA PARTICIPATION
COMMUNAUTAIRE 20
LES RESEAUX 22
HISTOIRE DU PEUPLEMENT DE LA VIZCACIIERA........
..................................... ..,...,.. ...... 24
D'UNE COMMUNAUTE D'ELEVEURS DE COCHONS A UNE « INVASION
» REGULEE ET CONTROLEE PAR LA
COMMUNAUTE... 24
La fondation et ses fondateurs, des éleveurs
24
Phase Huancayo dans les années 90 (Vicso, Orcotuna
--Akko) 26
« El ano pasado se Ileno » - L'explosion de ces
dernières années. Les nouveaux arrivés 28
DE LA FORMATION D'UN QUARTIER A L'EXPLOSION LES CHANGEMENTS
D'AUJOURD'HUI POUR DEMAIN. LES MOUVEMENTS : NOUVELLES ARRIVEES ET RELOGEMENT
29
LES NIEMOIRE DE LA VIZCACIIERAIlli R ECU D'ARRITvrEE AUX
SOUVENIRS EPISODIQUESP
LES SOUVENIRS DE LA VIZCACHERA 32
Souvenirs d'antan... ou les temps mythiques 32
L 'âge d'or de la Vizcachera 32
SOUVENIRS DE L'ARRIVER A LA. VIZCACHERA 34
L'historique subjectif selon le moment de l'arrivée de
chacun 34
POURQUOI LA VIZCACHERA 7 37
Buscaba un lote, un terreno (Je cherchais un lot, un terrain)
38
Parcours liméniens 38
Pourquoi la Vizcachera ? 42
Que viennent-ils chercher à travers la casa propia?
43
HISTOIRES DE VIE I
I/ LES LIEUX DE LA MEMOIRE 46
ENTRE PRATIQUES, DISCOURS ET REPRESENTATIONS ... QUELS ESPACES
POUR LA MEMOIRE ? 46
TEMOIGNAGES... 48
Chez Cirila et Marcelino... des « antiguos » ou des
andahuaylinos. 49
Genobeba... seule dans la montée 54
Milagro et la maison disparue ! 63
Meche loin (et liberée 1?) de la chacra 66
II/ Du SOUVENIR A LA MEMOIRE 70
« L 'épreuve de la mémoire ou la
mémoire éprouvée » 70
De l'idéalisation au négativisme, entre
discours et discrimination 71
1111 « VAMOS AMI TIERRA » 74
Du discours idéal à la coupure : le non retour
74
Discours et représentation. Transfert de valeurs ?
78
Quelle rupture ? 83
Quelle transmission ? La mémoire par les enfants ou la
transmission de la mémoire 84
DE: É,' I I ISTOIRE 1H VIE A LA VIE la SES IIISIO
I RES
A/ LA COMMUNAUTE : IDENTITE ET APPARTENANCES
88
1/ DE L'ADAPTATION EN VILLE : IDENTITE ET APPARTENANCE. 88
Les rapports sociaux dans la ville 88
Des étapes d'intégration'? 89
La communauté vers le K nous » 89
Le quartier au pueblo, la communauté dans la ville
90
Vivre en communauté 90
2/ TERRITOIRE ET APPARTENANCES... LES RAPPORTS ENTRE LES
HABITANTS 93
Le nouveau tissu social de la communauté 93
Les enfants de migrés (parfois de fondateurs) et
"liméniens" 95
Les anciens/les nouveaux : fondateurs versus
intégrés 9 97
3/ LA COMMUNAUTE ET LES RAPPORTS SOCIAUX, VERS LES CONFLITS
98
Union/désunion 99
Participation / démission 99
L'association contre la communauté 100
B/ LES TENSIONS, OU L'EXEMPLE DE LA FETE DE LA CROIX OU
PROCESSION DANS LA CHANCHERIA 102
LE RAPPORT A LA TERRE COMME VECTEUR DES APPARTENANCES ET
REGULATEUR DES RELATIONS SOCIALES 108
Comment se positionne-t-on 7 108
Des positionnements au jugement : la lutte 111
Du conflit aux expectatives 111
CI LES CONFLITS OU LE LIEN A LA TERRE. HISTOIRES DE
POSSESSION 113
RAPPORT A LA TERRE ET DEFENSE CONTRE L'INVASION 113
LES RAPPORTS AU SOL : BASE DES RAPPORTS SOCIAUX ? 114
AUTONOMIE ET COFIESION DE LA COMMUNAUTE 114
LE SENS SYMBOLIQUE DE LA TERRE : PROPRIETE ET COMMUNAUTE 115
EVOLUTION ET AVENIR DE LA COMMUNAUTE 116
La Vizcachera --introduction
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J'étais allée plusieurs fois à Campoy
--quartier qui se trouve aux confins du district de San Juan de Lurigancho,
(district le plus peuplé de la ville, principalement issu des migrations
à Lima avec près d'un million d'habitants) dans le Cône
Este. Derechef je m'y rendais parce qu'en février,
c'était l'époque des carnavals et beaucoup de provinces
péruviennes réorganisent cortamontes ou
jalapatos3, à la mode de leur communauté,
dans Lima. En l'occurrence c'était la fête d'une communauté
d'origine andine, de la province de Churcampa dont je revenais !
Campoy fait en quelque sorte figure de «
siège » de nombreuses associations de « provincianos
»4, un certain nombre de districts ou de provinces du
Pérou y ont acheté un « local », à. toit
ouvert... probablement en raison du coût moins onéreux des
terrains quand le quartier était encore peu habité... (Il
y avait encore des champs jusque dans les années 85 grâce
à une bonne irrigation). A ce niveau de Campoy, je pensais être au
bout. Là où, enfin, on peut voir que la ville s'arrête,
pour laisser place au relief...Au loin, on ne voyait plus que des collines
arides. Nues. L'habitat semblait s'arrêter en haut de cette grande avenue
sans asphalte, pollué par le constant défilé de bus qui
l'empruntaient, arrivant à leur terminal, en haut de la rue. Aurait-on
imaginé que d'autres lieux de vie existaient encore
là-derrière ?
Plus tard, en m'informant sur les différents quartiers
de Campoy, j'apprenais l'existence de l'un d'eux, avec des maisons assez
récentes, qui vivait en partie du recyclage des déchets. On me
donna alors le contact d'une soeur (Francesca), habillée en civile, qui
y vivait.
A priori, c'était ce que je pensais chercher : des gens
venant surtout de la partie centrale du Pérou (sur laquelle je tentais
de me spécialiser !?) en l'occurrence des gens arrivés depuis
peu, et notamment primo-arrivants (qui ne soient pas des enfants
d'immigrés), même si le quartier ne venait pas de «
naître », et avait déjà plus de 25 ans. Francesca
travaillait au comedor popular5 et m'emmena voir les femmes
qu'elle connaissait par le biais de ce lieu de partage entre femmes, et ainsi
de suite.
Extrait d'une nouvelle de Jaune Bailv. auteur péruvien.
Lima est un terrible et épouvantable mélange,
Avant. les blancs étaient à Lima et les indiens
dans la Sierra »J
2 Lima est divisée en 3 cônes, pour
ses parties périphériques (le cône nord, le cône est
et le cône sud) ce sont les immigrés qui sont venus peu à
peu s'installer aux alentours de la ville, en bordant ses collines, puis en
s'éloignant de plus en plus, formant ces « cônes » entre
les trop hautes collines
Cortainonte et lalapato sont deux sortes de rituels
ludiques, toujours accompagnés de boissons alcoolisées
(chicha-boisson fermentée à base de maïs, cadi'', et
bière pour les plus aisés...) La finalité étant de
désigner, par le jeu, les prochains organisateurs de la fête, les
« mmywdomos »
4 On enregistre des centaines d'associations de
provinciaux. Elles regroupent des émigrés d'une province ou d'un
district du Pérou (les associations régionales --soit
départementales, étant plus aisée et ayant leur
siège dans les quartiers centraux...) et organisent surtout les
fêtes du lieu (carnavals, fêtes patronales, fêtes
coutumières, rencontres sportives (foot), etc.)
5 Cantine populaire. organisation de base,
féminine et communautaire. présente dans de nombreux quartiers.
C'est à partir d'elle que naît une certaine cohésion et
organisation, et elle permet
« Buenos dias hermanita6 »
C'est ainsi que quelques-unes m'appelèrent «
hermanita7 », par analogie avec la soeur, puisque, de
surcroît, nous étions du même pays. Cette connotation
quelque peu affective, permettait de pas entrer dans des relations trop
instrumentalisées (j'ai vite renoncé à expliquer que je
n'étais pas soeur, là n'était finalement pas la
raison de cette appellation...), les autres s'en tinrent à «
setiorita », et pour les plus vaillantes, à prononcer mon
prénom ! Cette drôle d'appellation8, malgré une
présentation en tant qu' « étudiante en anthropologie,
française, faisant une investigation sur les migrations et les origines
des gens venus à Lima », me permettait peut-être de gagner
plus vite la confiance des gens, parce qu'il y avait un certain rapprochement
avec quelqu'un de connu et apprécié faisant union avec les
femmes, une sorte de recommandation, comme elle fonctionne si bien au
Pérou.
Peut-être mes rencontres, dans un premier temps,
dépendraient de cette approche et, on pouvait le croire, se feraient
avec (et de manière exclusive) la communauté chrétienne
(communauté parmi d'autres --évangélique, paysanne,
association d'acheteurs...certaines pouvant s'enchevêtrer, s'allier ;
d'autres, en plein affront... !) Ce ne ffit pas le cas et peu à peu, on
me commentait des problèmes latents qui semblaient être le centre
de leur préoccupation ; j'entrais alors dans un jeu de conflits et
d'alliances qui paraissait presque sournois, aux débuts, mais me
révéla le lien fondamental qui influençait les rapports
sociaux...
C'est à travers de ce que j'ai pu voir, mais surtout
échanger, et donc à partir des propos des gens, que je
comprendrais les rouages qui font et défont la Vizcachera. Discours qui
sont autant de manières de dépeindre leur
réalité et celle des autres, et de livrer un
regard rétrospectif sur leur vie, de commenter le quotidien empli
d'espoirs et de questions prospectives sur la communauté. Il n'est
pourtant pas aisé de prendre en compte ces dires, en cela qu'ils
paraissent parfois se contredire (regards qui évoluent au fil des
entretiens ?) Adaptation de l'image que l'on veut montrer. Des rencontres,
parfois, trop succinctes... Mais c'est dans ces discours, aux
apparences paradoxales, que
demeuraient peut-être les
représentations et manières de se dire, selon
l'intérêt de la situation et l'interlocuteur qui se trouve en
face, discours à l'aune de la confiance qui peut naître et, a
fortiori, du temps qui passe...
« Petite soeur ». littéralement
s J'étais, selon le cas, lors de mes rencontres
au Pérou. serwrita, « gringuita « vecina »
(voisine). et, heureusement « amiga » (amie)
L'arrivée à la Vizcachera
C'est donc après bien des détours (finalement
pas si inopportuns) que je suis arrivée à la Vizcachera. J'ai
été séduite par cet endroit presque invisible,
flanqué derrière les collines qui entourent Campoy Chemin
faisant, je suis aussitôt saisie : le « cobrador9
» de la « combi »1° de l'une des
seules lignes qui vont au-delà du terminal des bus (au fin fond de
Campoy) pour monter s'aventurer à la Vizcachera, m'exonère des 50
centimes (de Sol- la monnaie) qui lui sont dus ! Quel accueil : ne pas faire
payer à une « gringall »!! (Peu de gens y
montent --ils, à mon instar ? Ce monde serait-il régi par
d'autres codes ?!...) Ce sera d'ailleurs la seule fois que cela arrivera... un
signe de bienvenue ?
En bas : le quartier de Campoy et sa longue avenue qui
mène à l'entrée de la Vizcachera. Sur la droite, se
déploie à travers les collines la porcherie, qui a fait
naître le quartier
En allant vers la gauche, on en sort pour aller vers les
habitations qui vinrent jouxter la porcherie
La route qui s'introduit dans les collines terreuses de la
porcherie croise celle qui mène à la partie habitée,
fondée après. Nous sommes à l'Est de Lima, dans la
formation des Andes. C'est pour cela qu'il ne s'agit pas, comme dans les
quartiers longeant le littoral, de dunes de sable.
9 « Cobrador » je n'ai pas vraiment de
traduction. C'est « celui qui fait payer ». Mais c'est surtout un
sacré roersonnage dans la folie des transports
au Pérou I
Dans la hiérarchie des «bus c'est le plus petit (et
inconfortable I) et souvent le plus informel.
A la base, les « gringos » sont les
nord-américains... mais l'amalgame du fait de la couleur de peau (et
sûrement du côté « occidental » et nanti) inclut
désormais tous les «blancs », européens comme
nord-américain. On peut d'ailleurs appeler quelqu'un de la sorte (au
même titre que « ehino » (chinois), « gordo » (gros),
etc.) sans que ce soit (trop !) insultant, en y ajoutant le diminutif --ito :
gringuito/a....
A1-4 11;:o1:1,Li 1"(In
(1)r1 po.r4:1-1,-...1-3)4 11%
I,ors de la montée, on s'arrêtera en chemin afin
d'emprunter la « bretelle » conduisant dans la soue si l'on veut s'y
rendre. A la fin de l'ascension, on arrive sur un grand plateau... des
habitations sont dispatchées sur différents flancs, et sur la
pampa qui s'étend jusqu'à donner, à l'autre bout, sur une
autre vallée que l'on entraperçoit... Qui aurait
soupçonné l'existence d'habitants derrière les
collines...
Où sommes nous ? La frontière de « Lima
Metropolitana » est franchie, il s'agit déjà de la province
de Huarochiri qui se trouve à la sortie, fond de toile verdoyant
grâce à ses cours d'eau qui alimentent la vallée encore un
peu agricole et, notamment, « Campo Fé », un des
cimetières les plus grands et luxueux (les plus grands espaces verts de
Lima seraient-ils ces cimetières ?!) : c'est un peu le poumon de ce
quartier ce quartier des plus arides, sans eau.
1 L
ri
n
n
Un mur sépare la Vizcachera de cette vallée ; la
séparation physique et sociale entre les riches et les pauvres ? Mais
avant ce mur se trouve le « hueco 12 » qui
reçoit les déchets (de construction - précisions-le) de
toute la ville. La population se réjouit de recevoir l'air pur venu de
ces aires verdoyantes (en sautant le hueco, probablement
contaminé ...
On peut y voir des gens affairés au tri...
1.
- a .."-lea . ' .l. - ·
"...:-
. :,.... . · . "....y.
ri,i; 7-7, . . e). . ..
11; · le .11ker, eV
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|
Les arbres ne font pas partie du quartier...
. ·::t.71.. ·
De l'autre côté du trou....on peut
·
. . · · ! ' ·! . · ·
voir le remplissage qui s'y opère... On fond, le long,
entre cerro et hueco, quelques habitations...Certains
viennent d'en bas, dans le trou, mais le
· ,.. · ·% · .. ·
%-",. · · · · ·'
. · .
remplissage faisant, ils ont du
remonter la pente...
J
12 « El hueco » : le trou, ancienne mine de sable. Au
fond du quartier, bordé par des habitations, qui recule peu à peu
car on l'utilise comme réceptacle lucratif des déchets
de construction....
Les habitations. Construction. Importance de
l'emplacement.
Loin s'en faut, la Vizcachera n'est plus une porcherie.
Quoique. Son développement est assez sui generis, puisqu'il s'est
déroulé par phases et n'a pas commencé de la même
façon que dans d'autres quartiers. Pour les étrangers, mais
surtout pour les voisins d'en bas, de Campoy, elle était et reste encore
une porcherie, parfois vilipendée par les autres... Il semble planer
entre ces deux quartiers de vieilles réprimandes, jamais vraiment
oubliées... d'où les quelques railleries qui pourraient
s'ouïr...
Ceux d'en haut (« de los cerros », « los
de arriba »)13 sont toujours les plus maudits...Même
à l'intérieur de la Vizcachera, je suis sûre que l'on note
cette différence entre los de arriba (flanqués sur les
cerros) et los de abajo, sur la pampa...(rien qu'en raison de
l'emplacement des anciens --«en bas», sur la pampa, par rapport aux
nouveaux --«en haut», dans les cerros...1 ça doit aussi avoir
une connotation sociale...).Ces différenciations existent dans la
sierra, entre les gens de la Puna14, et ceux de la
vallée...Se retrouvent-t-elles d'une forme ou d'une autre dans les
rapports entre les gens dans le quartier ? Ou seulement dans la configuration
physique des quartiers (ceux des cerros...) ? Venir à Lima
n'est il pas un moyen d'en effacer certaines pour en reconstituer d'autres,
selon les rapports dans la ville ?
Mais là n'est pas encore la question. Ce qui nous
intéresse présentement, ce sont les habitations. Des terres,
vierges... Des hommes y ont amené les cochons. La soue a appelé
les hommes à vivre et à poser leur maison. La communauté
ainsi fondée, a ramené encore des hommes. Et leurs amis et leurs
familles... et d'autres bétails... Beaucoup sont venu bâtir. Puis
d'autres ont suivis, se passant le mot, à la famille surtout, mais aussi
aux amis, aux proches...
Généralement, la première installation
sur un terrain se fait avec le matériau de base (les esteras),
très peu onéreux, pour pouvoir loger sur les lieux
dès qu'on en dispose. Puis les économies viendront, on renforcera
les murs de la masure avec des plastiques, des cartons ; on trouvera des
morceaux de bois pour consolider tel endroit, ou prolonger la pièce...
On mettra un toit de tôle... Puis viendront les sous sous...Et nous
passerons les galons... un mur en bois, d'autres parois... Il s'agit presque
pour tous d'une autoconstruction, aidée de quelque amis
ou parents... On voit souvent dans la cour des gens, ou devant chez eux, dans
la rue, un tas de brique, que l'on entasse peu à peu jusqu'à
obtenir la quantité nécessaire... Un jour viendra le temps de
« /evantar » (lever)... Celui de la faire monter, depuis la
terre, cette demeure ! Avec du noble matériel (« material noble
» Sic.), la brique. Le dur. Le fixe... Quand celui de la techada
viendra, ô nous festoierons...Le fait de poser le toit est
l'étape ultime dans la structure d'une maison. Elle est aussi la plus
symboliquement importante. Le toit qui protège. Ce toit qui est
nôtre. L'accomplissement, après des années de sacrifices
pour réunir tant d'argent... La techa casai.' dans
la Sierra est un moment primordial, accompagné de longues
festivités, bien arrosées.... A Lima, l'importance de cette
étape dans la maison mais aussi dans la vie est saillante Il s'agit
sûrement d'un accomplissement, encore plus grand lorsqu'il va de pair
avec la conquête de terres étrangères et l'acquisition d'un
lieu dans un territoire nouveau devenu commun.
Aussi à la Vizcachera : on voit toute sorte de maison.
Elle ne ressemble pas à une invasion où tout a
été envahi en même temps, et habité d'esteras un
certains temps. Elle ne ressemble pas
13 Jose Luis Arguedas. El zorro de arriba y el zorro de
abajo.
14 La puna est la partie andine qu se trouve
au-delà des 4000m d'altitude et dédie à
l'élevage principalement...
15 Techa-casa ou "Sala casa" ou "wasi
qatay", en quechua de wasi : maison, qatay couvrir
à l'évolution d'autre district car elle s'est
peuplée par phase. Bien qu'ancien, le quartier est loin d'être
consolidé. Bien que récemment peuplé, il n'a rien d'un
quartier fraîchement sorti de terre... De l' esteras à la brique
enduite et peinte. Du « une pièce » à la grande maison
mastoc. Ces dernières sont cependant éparses... mais elles
existent ci et là... Ailleurs ce sont des « cabanes » avec
leurs latrines un peu plus hautes perchées...
Bien que l'évolution des uns et des autres soient
différentes, on peut noter l'ancienneté de certaines demeures ou
du non avancement d'autres, qui sont toujours faites de matériaux
premiers...Une grande disparité, donc, entre des maisons
voisines...Disparité dans les moments d'arrivée mais aussi
socio-économiques...
Etapes de l'évolution d'une maison.
Esteras, bois, matériel noble...
L'eau. Les bidons. Les seaux... (Maison en bois ou
contre plaqué -- comme 2)
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Spécificité du quartier
Mais ce n'est pas en cela que ce quartier est si atypique et
à la fois si caractéristique du phénomène
d'installation de migrants.
En le comparant à d'autres quartiers de Lima, on peut
bien sûr faire beaucoup de recoupements qui sont autant de
phénomènes intéressants de la migration et de
l'installation en ville. Mais des divergences sont prégnantes du fait de
son caractère « hors les murs » c'est- à-dire «
campesino » et non pas citadin, a priori.
Il s'agit donc d'une migration en milieu urbain qui s'est
inspirée du système -aujourd'hui bancal dans le dit contexte--
de la communauté paysanne, avec ses schémas
d'organisation, d'occupation et de répartition des sols. Elle
concerne, pour la majorité, des gens venus des
Andes (donc provenant de diverses communautés,
paysannes en général) mais dont l'installation --provisoire au
départ-- directement au coeur de la ville a pu durer quelques
années. En effet, le premier endroit où l'on s'établit est
souvent fonction de celui de « réseau » qui a permis
l'arrivée : proches, familles, connaissances...et cetera.
Comment la rencontre de tous ces profils peut former une
sorte de tout, une appartenance propre, en même temps en même temps
qu'il forme un maillage de conflits et d'intérêts divergents, vers
une évolution de plus en plus urbaine du quartier...
Terres rurbaines ?
"Aqui es coma en la Sierra" - Ici
c'est comme dans la Sierra...
DLA VCACHERAG DISTer0
SAN deIZm) PE (M'UA !OOMO
LIMA
1111,`,.
CiferS
DE J1CAMARCA
âNEXr COMIMAL 3.02
171E4P0 E! 4 te JUIN
1982-REGISTRA00 EL lellFRUCTO EN EL ·ASIENTO-13-
FAMS-531-
TOM011"1-0EL neleSTRO DE PROPIelit 6.0E. JUNIO DE
I986
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_ .zra`?,
Tout a commencé avec la chancheria ou le
développement de l'élevage porcin
La Vizcachera a déjà plus de 25 ans
d'existence. C'est une sorte de composition
au gré des arrivées. Tout a commencé par une porcherie, on
le sait. C'est ainsi qu'aurait été fondée la
communauté par « los fundadores » (les fondateurs).
Et, peu à peu, les lieux se sont peuplés.
Certains sont là depuis les débuts de la porcherie
(los antiguos), et se sont organisés pour que la
«chancheria» devienne un lieu de vie, avec les services
nécessaires à la vie d'un lieu devenu quartier, et non plus un
endroit lié à la seule activité d'élevage. Puis le
nombre de pobladores16 a augmenté dans les
années 90, notamment lorsque le président [de la
communauté] d'alors a fait venir ses paisanos (compatriote de
la région) de
16 Pobladores, ce sont ceux qui peuplent. Les
«peupleurs »...En d'autres termes les habitants !
Huancayo...Enfin, il semblerait que le nombre de pobladores
en quête de terrain ait été en augmentation ces 2
dernières années.
L'organisation politique
Elle appartient, par sa seule paroisse, au quartier qui lui
fait frontière et par où il faut passer pour s'y rendre
(Cainpoy), et parait intégrer le district de San Juan de Lurigancho.
Mais elle appartient administrativement à la « Comunidad campesina
de Jicamarca », dont elle est l'annexe 217, et dont «
la » se situe, paradoxalement, loin de la ville, dans les
hauteurs du département de Lima, "en la Pitual9 ".
Elle est le centre des décisions malgré la distance et
surtout le fait qu'il n'y résident de manière
permanente2°, pas plus de 2 familles (sur 32 maisons 11). Cette
incongruité a bien l'air d'être un poids pour la « Junta
Directiva » (assemblée directive) de la Vizcachera... «
Como falta agua, van a Lima » (comme ils [leur] manquent l'eau,
ils vont [migrent] à Lima), explique Feliciano, le président de
la Junta Directiva...
Communauté campesina versus communauté
urbaine ?
A priori, la Vizcachera n'est pas une communauté
urbaine, bien qu'elle soit peuplée de migrants venus s'installer
à la capitale. Elle n'appartient plus à la capitale, bien qu'elle
semble aspirer au même genre de développement et
d'intégration (quoique.) que ses autres quartiers, et qu'elle lui soit
reliée pour tout (échanges, transports, travail, marchés,
etc....).
C'est une communauté paysanne, avec son système
d'organisation de comunidad campesina (communauté paysanne) et
d'usufruit de la terre lui appartenant. Mais c'est un système en conflit
interne avec un désir de propriété chez
certains. C'est une communauté paysanne bien que l'on n'y cultive rien,
et que l'élevage de porc ne soit pas le lot de tous mais de quelques
anciens membres de la communauté --« los antiguos »,
quelques récents habitants et quelques liméniens (qui ne s'y
rendent que pour entretenir leurs cochons.
Histoires de la Vizcachera
C'est à travers les récits des uns et des autres
que je tenterai de tracer l'histoire de ce quartier, faite de tant d'
« histoires », dans lesquelles j'ai été plongée,
presque immiscée...
I Plusieurs annexes se situent également
(d'après la représentation que j'aiTive à en avoir) aux
confins du district liménien de San Juan de Lurigancho, dans les
collines qui le bordent, et sont bien plus liés avec le district voisin
qu'avec cette matrice !...
te La matrice, soit la «
communauté-mère », celle qui en est le « chef lieu
»...
1') Elle se situe clans le début
des _Andes. mais cette formation andine montent très vite jusqu'à
plus de 5000m avant de redescendre autour de 3300m d'altitude dans le
département de Huancayo... Aussi. la matrice se trouverai non loin de
là. vers cette Puna. terme qui revêt une certaine connotation.
2° C'est le schéma inverse de ce qui se
passe dans les Andes. on les annexes, éloignés de la «
matrice » se dépeuplent pour venir habiter au Centro PohJcido
ou capitale de district... Dans le cas de Jicamarca. c'est une
conummatité dont les annexes les plus éloignées et basses
se trouvent aux abords de la ville {Lima} et qui donc se développent au
détriment du village matrice
Ils viennent d'Apurimac, de Cusco ou de Huancayo. Petits, ils
ont quitté Andahuaylas, La Oroya, ou Churcampa parce que la vie ne leur
promettait rien... Ils sont venus en masse de Akko parce que l'un d'eux leur a
ouvert la voie. Ils ont été chassés d'Ayacucho ou de
Huancavelica, le terrorisme a disséminé les leurs et a
usurpé tous leurs biens. Ils ont parcouru des terres ou ont
traversé la Selva. Un jour, ô quel jour, ils sont arrivés
à Lima. Certains sont nés d'émigrés dans un
quartier de la ville et ont préféré recommencer ailleurs.
Et c'est à la. Vizcachera qu'ils ont trouvé refuge; des terres,
des possibilités et une communauté ....
Ils ne vont plus aux champs, mais élèvent des
cochons, ou des poules et des canards, et des cuves (cochon d'inde des
Andes). Ils n'ont plus de vaches ou de moutons qu'ils doivent emmener
pâturer. Ils ont juste à trouver quelques aliments pour les leurs
et parfois pour les porcs, car de cette terre rien ne sort.
Ils ont laissé la polleran , et
parfois gardé la rnarua22 . Ils ont laissé
une maison, et aujourd'hui n'en sont qu'aux fondations. Ils n'ont plus
l'aliment, ici tout est argent. Ils ont quitté leurs terres, ou les ont
perdues ; aujourd'hui ils en conquièrent de nouvelles. Ils n'attendent
plus la pluie qui vient en sa saison, simplement l'eau qui ne coule pas. Ils ne
sont plus dans leur communauté d'interconnaissance, avec ses
ancêtres, ses lieux, ses rites, mais créent de nouvelles
appartenances qu'ils imbriquent dans les réseaux d'hier et de
demain...Ils ne sont pas à Lima, juste à quelques pas... Ce sont
ces quelques pas qui permettent de créer un "nous" dans un territoire
fait leur (ou en voie de le devenir!) sans se faire dévorer par la chaos
de la foule urbaine. Un "nous" qui se décompose, se déchire et
s'unit au gré des aspirations... Une terre à laquelle on
s'attache... ?
Où est la Sierra? Dans leurs rêves,
leurs souvenirs, leurs pratiques quotidiennes, leurs inventions de vivre, leur
imaginaire... Mais ne l'ont-ils pas quitté cette Sierra de leurs
ancêtres en laquelle ils ont perdu la foi, pour aller chercher ailleurs
ce qui là-bas ne fonctionnait plus ? N'ont-ils pas choisi de l'oublier
en un nouveau vivre ici, pour construire et s'y faire valoir. N'en ont-ils pas
gardé ce qui leur rend service, ce qui les fait rêver, ce qui les
garde liés...Mais qui sont-ils, des migrants parmi tant d'autres dans la
capitale?
Tous n'ont pas choisi. Certains ont été
"envoyés" petits. Certains n'ont pas pu revenir. Certains ont tout
perdu. Mais certains ont ici réussi... Est-ce une sorte de modèle
qui donne cette foi en une vie meilleure ? Est-ce une nouvelle vogue qui
circule et s'exacerbe dans les Andes depuis déjà. un certain
temps, qui montre un ailleurs possible et préférable, dont on
fait sien le désir ? Un bien être dans un ailleurs.
2! Poilera : jupe que porte les femmes dans
la Sierra. Très ample, arrivant en genoux. Lorsqu'il fait froid, elle
mette en dessous un caleçon long en laine...
22 Alanta : tissu que l'on met sur le dos
pour transporter l'enfant, des affaires, ou les deux. On peut aussi
l'étaler sur le sol pour poser son étal, sur le marché,
par exemple...
La vie à la Vizcachera, un cas particulier
« hors » Lima ?
Une vie endogène? Rapport avec l'extérieur. Vie
interne De l'élevage au recyclage...de la chancheria au
hueco...
Après le passage aux abords de la chancheria,
rien de plus surprenant en arrivant à la Vizcachera que ce «
hueco », ce trou au fond du quartier, prépondérant,
au milieu, entre deux cerros habités... fi s'agit d'une
ancienne « mine », d'où l'on venait s'approvisionner en
matériau pour la construction. Ce trou démarrait dans la partie
donnant sur le mur qui sépare la Vizcachera de la plaine verdoyante et
arrivait jusqu'à la partie « pampa » où ont
été construits collège, dispensaire et église...
Aujourd'hui, il est devenu en partie « relleno »,
c'est-à-dire « rempli » dans la partie qui a servi de
réceptacle aux déchets dits de construction. C'est un bon
gagne-pain pour la communauté qui fait payer un droit de
dépôt en son trou. Mais c'est aussi une mine d'or à
l'assaut des habitants. Répartis dans la pente, hommes, femmes et
enfants (et chiens) semblent être à raft t des déchets
qu'ils trient et peuvent revendre ou recycler. Des personnes sont
également engagées pour contrôler l'entrée des
camions qui s'y déversent. Rien ne se perd : tout se recycle ! Il n'est
pas rare de voir des plastiques, tels du linge fraîchement lavé,
suspendus ci et là, dans la rue ou dans les cours intérieures, ou
encore des bouteilles de plastique stockées en arrière cour...
Milagro, lorsqu'elle a fait de sa maison un tas de pierre et
de restes, en vue de la re-construire ou simplement de la construire, a
amoncelé tous les morceaux de bois au devant : en vente La chasse aux
déchets recyclables mise en scène dans toute la ville (chez soi,
à Gamarra23, ou dans les poubelles des quartiers plus
nantis...) semble exacerbée à la Vizcachera par le biais de ce
trou.
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Le relleno se substitue peu à peu au
hueco dans l'espace et le verbe. Il est un nouvel espace de vie et de
projections pour un futur à bâtir. On s'imagine déjà
un parc (l'eau ne saurait
attendre !), d'autres prétendent que l'association
compte construire dessus --ce qui n'est topologiquement pas possible Un
néophyte qui y passerait ne saurait pas qu'il se trouve sur le
relleno. Tout un langage I
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ents-qui ellen:hem (k(lletS
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23 Gamarra est la grande fabrique de vêtement
de Lima. Faute d'être une usine, il s'agit d'un quartier,
entièrement spécialisé dans la confection, avec des
ateliers pour chaque étapes de fabrication. Activité
intense...
Autre détail saillant : les incontournables combis !
Naguère, les bus ne montaient pas à la
Vizcachera : il fallait y monter à pied. Depuis lors,
deux lignes se sont prolongées pour en
faire leur terminal (ce qui est, soit dit en passant, l'objet
de désaccord quant à la tarification ou 9 autre
entre Lima et Huarochiri, me semble- t-il) et leur garage... Certains habitants
en sont les propriétaires. Aussi les métiers de chauffeur et de
cobrador 'Fane sont assez courants,
r,,,. · notamment chez les
jeunes (certains y vont de manière rotative).
De la lessive au comedor...De l'intendance familiale
à la gestion communautaire
Les femmes, quant à elles, sont nombreuses à
être affairées à la lessive à tout moment de la
journée, devant chez elles: la lutte contre le polvo (la
poussière du sol, si sec) s'y déploie ! Un quelconque tour de la
Vizcachera permettra d'aller à la rencontre des femmes qui lavent le
linge, encore que c'est souvent un moment de grande occupation, voir
d'indisponibilité pour certaines...
Autant de bassines pour autant d'utilisation et stockage de
Peau. La lessive est abondante dans ces procédés...
Le laver du linge est une activité socialement
marquée dans la Sierra.
14
Souvent, ces sont souvent les personnes les plus
démunies qui lavent le linge des autres. Laver son linge semble
être un avilissement : mieux vaut le faire laver. Avoir cette
activité comme gagne pain n'a rien de valorisant, au contraire, c'est
signe que l'on est au plus bas de l'échelle sociale24. A la
Vizcachera, pratiquement toutes les femmes lavent elles-mêmes leur linge.
Et si souvent ! Il n'y a une dame que je trouvais toujours devant chez elle en
train d'assister méticuleusement sa voisine d'en face qui accomplissait
cette tâche pour elle. Celle-ci semblait avoir un certain niveau
socio-économique, conservé depuis la Sierra, et l'on voyait bien
que la dame qu'elle engageait n'était pas du même rang. Il
ne m'est pas agréable de parler en ces termes, mais les
rapports sociaux sont prégnants et la classe sociale au Pérou est
très ancrée, à travers les rapports de domination et les
activités... La fille de Cirila, qui peine à nourrir ses enfants,
s'en va toute la journée laver du linge chez les gens, loin de
là...Rosa semble être la plus connue pour sa difficile situation
de jeune maman seule avec trois très jeunes enfants, sans ressources. Un
des labeurs qu'elle réalise occasionnellement est aussi le lavage de
vêtements, entre l'abattage de porcs et la préparation du
maïs en mote25 pour accompagner les
chicharron
Sans aucun doute, le comedor est le lieu des
femmes par excellence : nombreuses sont celles qui « en sortent » le
repas familial quotidiennement ou très régulièrement. Le
fonctionnement, de manière tournante, en fait travailler un certain
nombre d'entre elles... C'est tôt le matin que commence
l'épluchage des patates de chaque jour ! Cela peut se prolonger aussi
l'après- midi : j'ai déjà eu le loisir d'accompagner
à l'épluchage de seau entier de fèves chez une dame avec
sa belle soeur venue en renfort I D'autres doivent gérer l'intendance,
les courses, la direction... Restent les membres sans participation
particulière si ce n'est d'y acheter la nourriture cuisinée et de
participer aux décisions, lors du vote pour la présidence par
exemple...Bien au-delà, le comedor est un lieu de cohésion allant
vers d'autres prérogatives : à travers un réseau de femmes
qui s'organisent, s'esquisse une interconnaissance intégrante et une
relative solidarité, ainsi que la mise en place d'autres
événements au sein de la communauté...
Un marché a vu le jour lors de mes
pérégrinations à la Vizcachera. Des stands s'installent
chaque matin le long d'un mur donnant sur le collège. On y vend des
fruits et légumes, de l'épicerie, des plats cuisinés,
parfois du poisson, etc. Ce n'est pas le premier qui s'y établit et son
fonctionnement semble toujours menacé par des habitudes et rapports
particuliers entre les gens. En effet, beaucoup ont l'habitude d'acheter dans
telle épicerie, selon la localisation de leur habitat, et en cela
qu'elles sont plus « garnies », diraient certains. En outre, comment
choisir à qui l'on va acheter, que dira la voisine qui vendait la
même chose ?!
Activité interne, elle dépend du fournisseur
qui n'est autre que La Parada26 où il faut
se rendre tous les jours, aux aurores.. Mais certaines femmes vont y faire
leurs courses hebdomadaires (ce qui ne va pas dans le sens d'un essor du
marché...). Nombre d'hommes ont un travail à la Parada. On dit
même qu'un bus part tous les matins, à 4 heures, de
là-haut, faisant le ramassage de tous les travailleurs (une dame qui
habite en bas de sa route l'entend chaque jour).
24 Elles deviennent souvent les «
borrachitas », petites alcooliques, parce que les mains dans
l'eau glaciale tout le temps nécessite un petit réchauffant...
25 Graine de maïs qui accompagne de nombreux
plats dans la Sierra...
26 La parada, le Rungis de Lima. Y arrivent quotidiennement tous
les fruits et légumes du pays, c'est le
terminal pesquero, bref, un grossiste en tout. Les prix y sont
très très bas. Une activité quotidienne démente s'y
déploie ; et une odeur sympathique, de ses déchets... C'est
d'ailleurs le lieu du désordre absolu tel que le classifie les
liméniens.
|
Fraîchement arrivés du terminal pesquero
(la parada, aussi)...
C'est l'un des kiosques du marché, les autres
s'étendent sur sa droite...
Nous sommes sur la partie pampa de la Vizcachera.
Derrière, un mur de brique encercle le bleu
collège....
|
|
Moins visibles, les ateliers de menuiserie en casa
--chez soi, fonctionnent ci et là, certains peinant à
obtenir un marché.... ou autres artisans : bois (pour construction de
maison), peinture sur verre, etc....
Gamarra, concentration d'ateliers de vêtements et vente
en gros est aussi un lieu de travail pour quelques couturiers de la Vizcachera.
Il existe aussi quelques ateliers plus ou moins familiaux, dans Campoy par
exemple, c'est le cas d'un cordonnier qui fabrique des chaussures pour un
parent. . mais le salaire reste très bas...
Enfin, combien ne diront pas qu'ils sont albaiiil
(maçon) ou qu'ils travaillent dans la construction... ils attendent
alors qu'une connaissance leur passe le mot pour un chantier quelque part, un
toit à faire... Dans tous ces lieux, beaucoup de cachuelos
(petits boulots) finalement...qui n'ira pas un jour de temps en temps
travailler à la Parada, ou venir en renfort quelques temps à un
ami... etc. Comme nous le savons, le marché du travail est relativement
fictif, il est à la mesure de leurs relations et
inventivité....
Et la chancheria ?
Fi
i
Les chanchos rythment la journée de certains
habitants. Aller chercher leurs aliments, et -w= surtout les leur porter,
parfois même
hmb
leur cuisiner quelque chose...
Augusta en possède trois, mais l'enclos
?
r
se trouve tout au fond de la porcherie, il lui faut 45 minutes
de marche pour s'y rendre...elle doit caler ce labeur 1' après- midi,
une fois le marché clôturé, et la famille nourrie...Elle
les vend au fur et à mesure et en tue parfois pour faire une
ehicharronada (activité où l'on vend de le porc
cuisiné). En revenant, elle aura peut-être encore « un peu
» de lessive à faire, ou devra aller gérer l'intendance du
comedor (faute de préparer des aliments, elle s'occupe de
préparer les menus, etc...) ou se rendra à une réunion
à l'association du collège... Et, 41 r avant l'aube,
elle s'en ira faire ses ·
emplettes à la Parada pour garnir son
,
petit stand de fruits et légumes. En dépit de
toutes ses activités, et du travail de son mari comme aide cordonnier
dans un atelier à Campoy (si toutefois la demande exige travail :
parfois, il n'y a rien I) de dire, en montrant sa maison, qu'elle ne voudrait
pas vivre dans ça mais, pour « levantar » son logis
avec du matériel noble, ce n'est pas suffisant. Ils ont dû faire
un sacrifice pour obtenir le terrain, quoiqu'ils soient en dette envers la
communauté : ils n'ont pas encore pu payer la totalité des «
frais » dus pour en avoir l'usufruit : « C'est juste pour pouvoir
manger... ».
C'est aussi un va-et-vient de gens venant de l'extérieur,
qui s'arrêtent à l'entrée de la chancheria avec de grands
seaux...
LI
u
|
De l'élevage...
|
A la Vizcachera, comme dans la majeure partie des nouveaux
quartiers de Lima, l'élevage est partout de rigueur...
Derrière les maisons, sur les flancs de collines, des petits enclos
abritent des canards, des lapins, ou dans la cour de la maison courent.
poules
|
|
|
et poulets...Parfois même, dans les demeures, de petits
élevages de cochons d'Inde, animal très prisé dans les
Andes. On peut parfois voir d'autres bêtes se promener... Comme ici, ce
mouton devant une maison...
Même à la ville, il est bon de pouvoir
élever ses petits animaux...
Une vie endogène semble se développer à
la Vizcachera, notamment par l'organisation des femmes, par le comedor et par
les activités qui se développent en interne. Certains sortent
manifestement très peu du quartier.
Néanmoins, beaucoup de choses ne sont pas encore
prêtes à y fonctionner ; diverses expériences ont
été tentées mais ont échoué...Une femme me
commentait tous les non avancements de la Vizcachera....
« Ici, le commerce est 171011... regarde, il y a eu une
polleria [restaurant où l'on mange chi poule] et elle a *fermer...
Rosa
Le quartier, le pueblo --à vrai dire comment
devrions-nous le qualifier ? Les jeunes qui traînent toujours à un
coin de rue l'appellent barriada, terme assez réducteur... En fait que
dire d'autre que la Vizcachera... ?! La Vizcachera est très liée
avec Campoy, son voisin, et Zarate, la zone urbanisée, avec ses
commerces, son marché. Certains vont y chercher les restes de restaurant
ou de marché pour nourrir les chanchos. Enfin, la parada semble
être le point le plus éloigné où les gens se rendent
très régulièrement.
Organisation de la communauté
D'après le président actuel de la
comunidad campesina, Feliciano, d'Ayacucho...
Nous nous retrouvons au local communal, dont il a
oublié les clés. Nous allons donc en face, dans une quelconque
guinguette où l'on nous laisse nous installer
volontiers sur de grandes tables de cantine, avec quelques mouches pour
compagnie. Alors que je m'apprête à partir, il m'invite à y
boire l'incontournable Inca Kola27, pour discuter un moment
de plus. Mon intérêt pour son quartier l'a peut être
interpellé... D'ailleurs, mes questions quant à
l'organisation, au fonctionnement du quartier et aux lois qui s'y rapportent
lui font penser que je suis étudiante en droit... Ce sont pourtant des
éléments dont on entend beaucoup parler par les gens, sans jamais
précisément comprendre.
Origine et fonctionnement de la communauté
La communauté a été créée
en 82, ou 83, bien qu'il y eut une présence due aux porcs depuis 75. Les
premiers habitants (fundadore.$) avait prévu
d'utiliser cet espace pour leurs enfants et petits-enfants. Or, des gens sont
venus de l'extérieur, comme lui même, C'est pour cela que l'on
parle de comuneros integrados ("nosotros! "),
à la différence des comuneros
natos28 (comuneros de plein droit) et de
leurs enfants (132 comuneros seulement). Sur les
terres de la Vizcachera, les gens en ont l'usufruit --possession des terres
attribuées par la communauté, pour un temps indéfini
(c'est pour cette raison qu'il y a une forme d'héritage, par la
transmission des terres de génération en
génération).
La boisson nationale! Gazeuse, .jaune
flua. au gofit chimique... mais on finit
par l'apprécier...
Ils possèdent des terrains plus grands (400m2). et
d'autres. de 200m2 destinés aux enfants. Tandis que les habitants,
aujourd'hui ne jouissent que de II0m2
"Nous, nous sommes l'annexe de la province". Or la
loi qui incombe à ces annexes leur reconnaît l'autonomie mais ne
leur permet pas de s'inscrire dans les registres publiques (je ne comprends pas
très bien, mais il me semble que c'est pour faire reconnaître la
propriété et en user pour se défendre). En effet, le
problème, c'est qu'ils n'ont pas, et ne peuvent avoir, de "personne
juridique", la matrice en ayant l'exclusivité...Cela pose
problème pour les titres de propriété (Ils semblent donc
vouloir la propriété en se rendant plus autonome et maître
de celle-ci). "Nous voulons une loi pour que les annexes aient leur
registre". Et de voir ça
ry directement avec les congressistes.
Les noeuds juridiques au sein de la communauté
Il me parle naturellement des
problèmes inhérents à la communauté, dus au
"litige" qui y a eu lieu. C'est là se trouve le terrain
des revendications. Les dirigeants (d'ici ou de la matrice? Ou d'un compromis
des deux...) ont vendu toutes les terres de la communauté, pour une
somme dérisoire29, à l'époque où une
nouvelle loi, concernant les terres communales de la Costa30,
a été adoptée (en 97, semble-t-il...). Celle-ci
autorisait à vendre les terres agricoles et d'élevage à
condition qu'elle garde cette même finalité. Or, les terres de la
Vizcachera ne sont aucunement cultivées (ni cultivables!) et seulement
une partie est destinée à l'élevage. C'est pour cette
raison qu'il y a litige: ils n'étaient pas en leur droit et ont
abusé de cette loi : "cela ne convient pas ! ". Et d'ajouter
que la proximité à Lima fait entrer dans les problèmes de
trafics de terres, si précieuses...Il y a eu 84 achats-ventes
et "pas le moindre sous pour la communauté!"
L'entreprise qui a acheté les terres, ne
représenterait que 5 personnes. Mais, alléchées par les
promesses émancipatoires, certaines personnes "se sont
identifiées31" (une trentaine), cette aubaine promettant le
titre de propriété à des gens qui n'en ont que la
possession.
A cela s'ajoute le problème, primordial, de
l'eau. Ils sont en "pelea" (combat/ dispute) avec la
firme distributrice, Cedapal, "pour un problème de juridiction".
Et les problèmes de l'eau: "a cuantas cosas nos exponen"
(à combien de problèmes ils nous exposent...). Selon lui,
les problèmes avec l'entreprise acheteuse sont surpassés pour ce
qui est de l'installation de l'eau32. Les habitants, quant à
eux, insistent encore sur la responsabilité de "l'association" -- nom du
collectif qui a opté pour la propriété, aux cotés
de l'entreprise-- qui empêche le développement du quartier.
Il en sait long sur les procédés juridiques et
les façons d'administrer. Heureusement! Serions- nous tenté de
dire, à en voir toutes les démarches qu'il doit mener pour
régulariser la situation, l'actualiser, la faire avancer et
régler les problèmes judiciaires auxquels il doit faire face pour
le procès qui oppose la communauté et
l'association...
En tant que dirigeant, il se sent politiquement
très impliqué et espère pouvoir avancer dans ce monde dans
lequel on ne peut rien faire si l'on arrive pas à un niveau
donné.
29 10 000 soles, ce qui équivaut à
moins de 20 000 francs.
30 Il faut savoir que les lois relatives à la
propriété et aux droits sur la terre sont différentes sur
la Costa et dans la Sierra.
31 Ce qui veut dire qu'elles se sont
appropriées l'idée et en ont fait une cohésion, en se
ralliant au groupe.
32 Le tank a été monté par
les habitants (lors de faenas, ou travaux communaux). Reste l'accord de
Cedapal pour distribuer l'eau et le financement, mais celui-ci aurait
déjà été déposé par la princesse de
Suède. Comme dirait le dirigeant, pour se justifier : "l'aide social est
plus facile de l'extérieur quand on est une communauté
paysanne"
"La loi ne s'applique pas !"
« On dirait qu'elle est faite pour la corruption et
que tout le capital part dans les formalités et la bureaucratie. Ici, la
loi ne correspond pas aux faits ; en Suède au moins, ils partent des
faits pour élaborer une loi. Le président du pays n'a pas
réussi ce qu'il a promis, même s'il est cholo comme moi!"
La répartition / la recommandation / la
participation communautaire « Compre un terreno » ('l'ai
acheté un terrain)
Pour être accepté en tant que comuneros
dans la communauté, il faut présenter une requête pour
prétendre obtenir l'usufruit d'un terrain, moyennant un « achat
» de la parcelle, même s'il ne s'agit pas d'un achat à
proprement parler... Plutôt qu'un achat, il s'agit d'un montant à
verser à la communauté pour les frais administratifs....Alors
qu'il était assez insignifiant dans les premiers temps,
il augmente notablement depuis quelques années.
C'est d'ailleurs souvent, aux dires des habitants, une des
raisons de leur venue ici le fait qu'il y avait des terrains disponibles
certes, mais surtout accessibles, en terme de coût I! (Même si
certains sont encore en dette vis-à-vis de la
communauté...) Cette somme semble « modique » au
regard du prix en vigueur des terrains à Lima. Même si,
très souvent, les terrains de Lima sont l'objet d'un « trafic de
terrain » en raison de leur acquisition informelle (invasion, par exemple)
faite à dessein, suivie d'une revente (bien qu'il n'y ait jamais
eu d'achat !), alors qu'il n'y a ni titres ni même
propriété... Même en ces cas, le coût peut être
relativement important, sans aucune sécurité une fois la
passation., .
Tandis qu'à la Vizcachera, les terres font
l'objet d'une certaine protection : la communauté campesina est le seul
« propriétaire » (ou plutôt sa matrice !!) ; ses terres
sont, de droit, inaliénables...Cela protège outre mesure
l'usufruit qu'en ont les habitants, bien que la première
expectative ne semble pas être la lutte pour la reconnaissance de la
propriété, et l'acquisition de titres qui l'accompagne, comme on
peut le voir partout !
De même, il ne devrait pas y avoir, à
l'instar de nombre de quartiers de Lima, de discorde quant à la
propriété ou de propriétaires multiples qui
réclament leur bien, preuve d'achat- vente des plus informelles
à l'appui33...
--> Mais c'est là que nous touchons
à tout le dilemme du quartier... Cette même quête de terrain
que l'on retrouve chez les migrants, mais ici, une propriété
communautaire accessible et, a priori, sure...Cet acharnement pour la
défendre, mais en ce cas contre les acheteurs sournois et les
envahisseurs à l'affût, par le biais de cette appartenance
commune...Mais, à moyen terme, ne cachent-ils pas les mêmes
aspirations vers la propriété privée, allant
de soi dans la réussite à la ville, permettant
un essor économique plus fondé...Et d'entrer dans les
jeux de revente et de possessions multiples ? Les désirs semblent
variés et tacites entre des discours sur le communautaire et des
aspirations personnelles...
33 Très souvent, sur un même territoire,
de multiples « propriétaires » potentiel se disputent la
véracité de celle
possession par des preuves d'achat en général
assez informelle...
« Hernos luchado para esta tierra » (nous
avons lutté pour cette terre)
Force est de constater que la Vizcachera n'a pas
été protégée des trafics de terres en vigueur ci et
là... et que la conquête du terrain, comme ailleurs, est
l'objectif numéro un ; de la même manière que le
défendre personnellement et communautairement va de soi. Au-delà,
le rapport à la terre semble être le vecteur des appartenances et
des rapports sociaux. Cela n'est pas exclusif à la Vizcachera, mais se
manifeste dans d'autres quartiers de Lima, en fonction du mode d'acquisition du
sol d'un groupe et du statut dont il jouit par rapport à celui-ci...Je
développerai cela par la suite, un chapitre mérite d'y être
consacré...
Pour en revenir à nos cochons, toute personne
désirant résider à la Vizcachera est tenue de se
présenter au dirigeant (après l'avoir longuement
cherché...diraient certains!), une enquête sera faite pour
s'assurer de la bonne foi de la personne: elle ne doit pas posséder de
terrain ailleurs. On n'octroie pas un terrain à quelqu'un qui n'en a pas
« besoin » dans le sens d'y vivre vraiment, avec sa famille --et pas
d'en faire un négoce, ou une résidence secondaire, a priori... (
il y a quand même des habitations dont le "propriétaire" est peu
présent... Des cas un peu farfelu, comme le montre cette maison
nommée "el rancho" par son possesseur, habitants Campoy : "il vient
le week-end" !)
L'investigation concerne aussi ses antécédents
pénaux, à savoir s'il s'agit d'une personne « de mal
vivir » (de mauvaise vie), parce qu'il faut que se soit «
gente sana » (des gens sains). C'est d'ailleurs de cela que se
vanteront certains habitants à propos de la population de leur quartier
: « au moins ce sont des gens sains » à la
différence de tant d'autres quartiers malfamés, alors... (on
parle souvent de la délinquance à Lima...) Si tout est OK, et que
la personne accepte ses devoirs au sein de la communauté, elle sera donc
reconnue comme membre et recevra sa petite parcelle, ses 90 ou 100
m2, et libre à elle de construire sa maison comme elle
l'entend, et comme elle le peut, sur les versants...
« C'était les parents... et les gens
recommandés »
Autant dire que la recommandation joue un
rôle charnière pour l'intégration de nouveaux comuneros
dans la communauté. Chez les gens des Andes, la recommandation et
le système en réseau montre l'importance de la parole et de la
confiance qu'on lui attribue. L'un des codes culturels les plus facilement
repérables est celui qui concerne l'organisation et la structure
familiales. Recommander fonctionne à double sens... on peut recommander
quelqu'un ou lui «passer Pie)» (pasar la voz)...
Dans une société où les codes sont
informels, les règles adaptables, et où la
précarité règne, ce sont les réseaux qui
fonctionnent, les rapports, les relations...C'est la parole
qui compte, la recommandation de quelqu'un à
quelqu'un
Les réseaux
Différents réseaux s'enchevêtrent pour
jouer ces rôles de « passage d'info » et de
recommandation...D'abord le familial proche, puis éloigné,
ensuite le réseau «origine culturelle», parfois professionnel,
puis de voisinage. Mais celui de la famille semble être le plus
important. De nouveaux peuvent se former peu à peu. C'est souvent, pour
ne pas dire toujours, de cette manière que la Vizcachera s'est
peuplée...
«Un schéma34 explicatif: un migrant
s'installe à Lima, prépare l'arrivée d'un ou deux
frères, puis d'une cousine, puis d'un voisin, puis d'un compadre
quelconque venu étudier.»
Ces réseaux semblent montrer combien la
solidarité est de rigueur entre les gens, dans des
espaces d'appartenances (réseaux) et de vie commune. Elle est une
condition indispensable de l'existence des habitants dans un nouvel
environnement. Et elle fonctionne, même s'il existent des tensions, ces
dernières renforcent la solidarité entre le gens du même
«camp».
Comment savoir s'il s'agit de gens «sains» s'ils ne
sont pas recommandés par d'autres? D'ailleurs, cela commence par la
manière dont on est informé des possibilités en un lieu:
c'est toujours par quelqu'un de connu qui a «passé la vo>...
Autant de réseaux qui fonctionnent et se donnent à voir, a
posteriori, à travers les liens entre les habitants. A commencer
par le lien familial: d'aucun dira qu'il a un frère, un
cousin.. ou quelqu'un de sa famille qui habite aussi là! Si ce n'est pas
la sienne, alors c'est celle du conjoint...
Des liens familiaux...Une famille tout entière
vient de la Choya (ville minière du département de Huancayo), les
grands parents, quelques uns de leurs enfants (3/4) et la fille de l'une d'elle
avec son mari et ses enfants. Chacun ayant bien sûr sa propre maison,
même si elles ont toutes attenantes!
Maisons d' n'il', famine aargie de la
ratoya.'
_free
01.1 !a maison
, éfl +,:.0111inisikm, on. UTiiivera
nra,.-...;,..11 de mariée à un
frère de I.,enaïda. etc.
34 Christophe MARTIN. Ibid.
·
Le père de Zenaïda (veuf) venu de
la Sierra après ses enfants, devant chez lui, non loin de
là. (on peut noter que sa maison est encore faite
d'esteras")
Consuelo est la dernière de sa famille à
être arrivée à la Vizcachera, il y a environ 8 ans... Sept
de ses frères et soeurs vivent ici, ainsi que sa maman. Ils viennent de
El Agustino et se sont tous transférés par ici («il y avait
beaucoup de pandilleros35, des gens de mauvais vie »).
Et même: sa mère avait une casa propia al Agustino mais
l'a vendue pour aller dans un endroit plus tranquille...Elle vient de la
Sierra, de Huancavelica* --alors que Consuelo, sa fille (ainsi que tous ses
enfants) est née à Lima; elle a donc vécu dans
des endroits différents, mais comme pour beaucoup de migration assez
ancienne, elle a eu sa casa à El Agustino.
(*Consuelo dira d'abord Huancayo... sans trop oser parler
du réel département de sa maman... sentiment de
honte par le simple fait de prononcer le mot de la région la plus
connotée péjorativement ?)
Des liens géographiques, ou plutôt la
cohésion d'un même lieu d'origine, sont patents. Certes, nombreux
sont ceux qui viennent de la zone centrale/ centre-sud du Pérou, mais
toute une "horde" venant du même district du département de
Huancayo, c'est éloquent! En effet, il existe tout un groupe, venu au
fur et à mesure mais à peu près au même moment, de
gens venant d'un même district de la Sierra... (voir plus loin)
Il s'agit maintenant de retracer le peuplement de la Vizcachera
et comment il s'est fait.
35 Les pandillas sont des bandes de jeunes
et les pandilleros, ses membres, délinquants, qui
défendent également leur territoire à l'intérieur
d'un quartier. Cela peut entraîner de véritable
affrontement entre pane/lila ...
Histoire du peuplement de la Vizeachera
D'une communauté d'éleveurs de cochons
à une « invasion » régulée et
contrôlée Dar la communauté...
"Vizcacha": du quechua wiskacha,
rongeurs des punas...
ou lièvre des pampas...
Comment comprendre l'histoire de la Vizcachera si ce n'est
par les discours des uns et des autres... Comment comprendre les accrochages
entre les groupes si ce n'est en écoutant les changements qui ont
marqué la vie à la Vizcachera... Comment remonter le
passé, si ce n'est en évoquant les souvenirs contés par
leurs protagonistes.
Je ne dispose pas de données formelles ni d'archives
sur le quartier. Ce que je peux relater, provient de ce que les gens m'ont
conté. A travers leurs récits, on peut détacher quelques
phases ou étapes de l'évolution du quartier, depuis le
moment, presque sublimé, de la fondation.
La fondation et ses fondateurs, des
éleveurs...
Le territoire de la Vizeachera, comme l'a
décrit le dirigeant actuel, ou d'anciens habitants, a
commencé à être habité depuis les années 80,
voir fin 70, par le biais de la présence porcine. Les cochons sont
arrivés là parce que les gens de Campoy se sont mis à
faire de l'élevage de cochons; un espace tout proche leur a
été donné pour pouvoir les garder (et ne pas les
élever chez eux). La fondation de la communauté campesina
remonte à l'année 82 ou 83. Je ne saurais dire
pourquoi une communauté en est née, si ce n'est en raison de la
présence des éleveurs qui, bon gré mal gré, durent
s'installer auprès des animaux... ? En outre, des gens vinrent y habiter
en tant que « gardien » des cochons36.
C'est le cas de Marcelino, venu s'installer ici en 83, parce
qu'il avait obtenu ce travail "dans les chanchos", tandis que sa femme
Cirila restait dans leur casa du cerro "El Pino"
--district de La Victoria. Elle le visitait régulièrement
jusqu'à ce qu'elle revende sa maison37 et vienne le
rejoindre, en 90. Leur parcelle se trouve donc au milieu du quartier, non loin
de l'entrée de la chancheria (celle qui donne sur les
habitations --
l' autre entrée se trouvant sur le chemin menant au
quartier), sur la partie relativement pampa. Leurs enfants ont grandi
auprès de leurs parents et aucun d'eux n'est parti
36 A Lima le métier de gardien est très
répandu. Faut-il toujours mettre quelqu'un pour protéger un lieu.
un territoire. des biens ? On en trouve pour les maisons. pour les stades, pour
les terrains, pour des magasins --dans ces cas. ils disposent d'une petite
pièce dans laquelle ils vont vivre...
37 On utilise le terme "maison.' pour
traduire le terme -casa-, qui dénote plutôt
un "chez soi". un lieu ou l'on habite que ce soit une maison. un appartement,
ou une cabane. etc.
s'installer en dehors du quartier, mais, ayant pu
récupérer un terrain attribué subséquemment par les
parents, ils s'y sont établis avec leur conjoint(e) (peut-être
aussi de la Vizcachera)
Dominga : «Je suis arrivée il y a 18 ans
(17ans ! corrigera sa fille de 11 ans...!) On vivait à 7 [foyer], au
début... ». Elle a habité trois endroits
différents de la Vizcachera, après un séjour de quelques
années dans sa famille, dans le quartier de Caja de Agua. «
J'ai eu un premier terrain : mais il était en bas, et la
communauté m'a délogée...puis un autre mais c'était
"muy cerro" (très pentu), alors ça n'allait pas pour construire
....j'ai donc acheté un autre terrain sur la pampa, plus grand ».
Mais elle a dû le payer plus cher, avec ses quelques
économies, fruit de son travail...
La vie a donc commencé avec les chanchos.
Tous ceux qui en élevaient ont bénéficié de
terrains, comme nous l'avons déjà dit, répartis entre eux,
pour eux-mêmes, et pour le futur, pour leurs enfants et petits enfants
(et des proches parents)... Il me semble même que certains fondateurs ont
reçu des lots mais n'y résidaient pas. Ou bien, ils sont partis
s'installer ailleurs au bout d'un certain temps, et parfois, leurs enfants sont
revenus pour profiter des parcelles parentales38. On dit que
beaucoup de fundadores sont désormais partis, qu'ils ont
quitté les lieux, aujourd'hui. (C'est ce qui se redira lors de la
fête de la Croix dans la chancheria : ceux qui viennent n'habitent plus
ici... I)
Rien ne devait donc perturber l'ordre préétabli
par les fondateurs ? Avaient-ils présagé la venue d'une telle
« foule » au fil des années ?
Pourquoi avoir choisi ces terres arides et
éloignées pour y mettre les cochons ? Simplement parce qu'elles
étaient proches des habitants de Campoy, et pour ne pas faire
l'élevage dans leurs habitations. A l'époque Campoy comptait
encore des champs, grâce à une bonne irrigation et quelques
petites usines s'y étaient installées... La Vizcachera
était proche du quartier, mais bien éloignée du reste.
Peut-être la juridiction des terres hors de la ville, en tant que terres
paysannes, facilitait l'installation ?
Qui sont les premiers à être venus s'y installer
? Des gens vivant aux alentours ? Des migrés ? Les exemples dont je
dispose, proviennent d'une part de personnes assez vieilles, y habitant depuis
longtemps et d'autre part de quelques familles venues des Andes, et dont
l'histoire m'a été contée par les enfants aujourd'hui
revenus vivre dans les terres acquises par leurs parents- fondateurs. Un couple
dont les parents sont originaires du département de Huancavelica
(Churcampa pour les uns, Ancash (dans le nord) et Tayacaja pour les
autres...) m'a expliqué son parcours et celui de ses parents, fondateurs
de la communauté. Une autre jeune dame, Carine est dans le même
cas. Ses parents viennent du département de Huanuco et ne vivaient
guère plus à la Vizcachera, parce qu'ils étaient partis
s'installer (plus dignement ?) dans la zone de Zarate avec toute la famille
--hormis la soeur aînée qui est restée. Ils maintenaient un
« contact » avec les lieux par les porcs en venant les nourrir
quotidiennement. Carine, cherchant à s'installer avec sa famille hors du
toit parental et pour éviter la location, est revenue, malgré
elle, s'installer dans un de leurs lots, et y construire sa demeure... Ces
personnes livraient une partie de l'histoire de leurs parents ; la
mémoire à travers les enfants
38 Une pratique courante consiste à
récupérer les terrains inoccupés... Or. les terres des
fondateurs semblent inspirer le respect de tous. Personne ne les a reconquises.
Encore que...1 Certains sont ventis dernièrement poser des murs
d'enceinte alun de protéger leur lot d'éventuels gourmands.
Est-ce une autoprotection par crainte de l'autre ou est-ce justifié par
une réelle usurpation des terres inoccupées ?
Des émigrés de la Sierra à Lima
redeviennent éleveurs
S'il s'agit bien en grande partie de migrants de la
Sierra à Lima qui sont venus fonder la chancheria, on
peut penser qu'il s'agit de paysans andins ayant cherché à
retrouver une certaine forme d'élevage. Peut-être aussi parce
qu'ils habitaient une zone encore assez "rurale" (Campoy). Faute d'être
reproduite, cette pratique a dû être adaptée à un
nouveau type de bétail (les porcs ne sont pas les animaux
élevé en priorité...), mais surtout une nouvelle forme !
Il ne s'agit plus d'emmener pâturer les animaux, il faut leur apporter
à manger...Cette nourriture ne vient plus de la production familiale et
des terres, il faut se la procurer, l'acheter...En outre, cet élevage
s'est développé à travers une organisation nouvelle, tout
en l'insérant dans des cadres paysans...
|
|
Le peuplement de la Vizcachera a dû se faire
progressivement, par la suite, avec quelques phases que l'on peut relever. Les
années 90 semblent avoir attiré plus de monde...Nombreuses sont
les personnes que j'ai rencontrées qui sont là depuis une
huitaine d'années, ce qui correspondrait aux années 97/98... Mais
souvent, la durée depuis laquelle ils sont là et l'année
d'arrivée ne se corrèlent pas exactement...
Phase Huancayo dans les années 90 (Vieso,
Orcotuna --Akko)
"Dans la manzana39, ce sont surtout des
Huancaynose ...ils se connaissent tous... ils sont arrivés il
y a ... 7 ans". En 98 seulement?! --Vilma, qui habitent dans leur
coin...
"Le dirigeant était de Huancayo...c'est pour
ça qu'il y a beaucoup de monde de là- bas! "-Lila, de
Huancayo!
"Trajd a su gente" : il a ramené les gens de
chez lui, ses connaissances, ses proches...
On parle en effet beaucoup des gens qui viennent d'un
même district du département de Huancayo, en raison de leur
proéminence à côté des autres habitants. C'est un
peu comme si le dirigeant de l'époque (dans les années 90) avait
fait venir sa horde à la Vizeachera...même si, ethnologiquement
parlant, le terme est évidemment inexact. U correspond pourtant bien
à ce que tout le monde dit de ce groupe de
paisanos41 venant tous de Akko. Ils semblent être
plus nombreux dans une zone du quartier...une rue qui monte (et ne cesse de se
prolonger) à travers les cerros (une « manzana
»). On dit qu'ils se connaissent tous ; ils semblent former un groupe
très lié...
Comment ce peuplement de toute une communauté
--celle des gens de cette province s'est-il effectué ? Les gens
sont-ils venus directement de leur province, ou étaient-ils à
Lima ? Peut- être les deux ; d'abord ceux qui étaient
déjà à Lima et peu à peu, les migrants potentiels
dans la Sierra, à qui l'on a "passé l'info" ? Parfois, on a
l'impression que quelques personnes de la communauté migrent et ainsi
tâtent le terrain, et le préparent, pour que les suivants qui
Mauzana, c'est un secteur dans tm quartier, un îlot.
4e) Habitants de la région de Huancayo.
Sierra. Centrai
41 Le terme « paisanos » correspond aux
rapport entre des gens venant d'un même endroit. 11 peut s'agir de
compatriote lorsque Fou parle d'une origine nationale commune. En l'occurrence,
il s'agit de personnes venant de la même région ou sous
région...
hésitaient à partir, puissent les suivre...
Parfois, ils suivent le chemin de leurs compatriotes, se rendant compte des
possibilités à travers ces derniers.
Il serait intéressant de voir qui part... Sont-ce des
familles entières, ou quelques uns des enfants de la famille ; les
célibataires, ou les couples... ? En ce cas, ils ramènent parfois
leurs vieux parents à la ville... pour ne pas les laisser seuls,
même si ces derniers n'ont pas réellement "choisi" cette
migration.
Faute de les avoir vraiment rencontré, j'ai plutôt
entendu parler d'eux, par leur voisin de la montée... ( qui habitent
l'îlot), ou par d'autre Huancainos de la Vizcachera.
Cette petite vieille, de Huancayo nous dit- elle, habite tout
en haut de la montée. Elle s'adresse à nous par quelques petites
tirades en quechua... Elle vit fort probablement chez ses enfants...
Peut-être de passage, en visite à.
ses enfants... mais
sûrement résidente
maintenant...
En effet, il arrive souvent que les parents, un peu
âgés, viennent habiter avec leurs enfants, tout en
retournant régulièrement là-bas, dans
leur village d'origine. Ainsi, les enfants peuvent s'en
occuper. Parfois aussi, ils viennent pour se faire soigner à Lima. Mais
très souvent, ils n'aiment guère être à Lima.
Certains racontent que leurs parents sont tombés malades parce qu'ils ne
s'habituaient pas à Lima. Le lien entre la maladie et
la non adaptation est assez fort chez les plus
anciens... Signe d'un mal être... Ce sont eux aussi, qui le plus souvent
expriment leur désir à être enterrés dans
leurs terres... C'est ce qu'a fait la famille de Zenaida :
réaliser la volonté de sa maman défunte, venue les
rejoindre à Lima depuis quelques temps, en l'enterrant dans sa
terre...
« El ano pasado se lleno » - L'explosion de
ces dernières années. Les nouveaux arrivés...
« C'est l'année dernière que ça
s'est rempli ...en 2004-2003. Avant, on était peu nombreux, phis ou
moins 1000, maintenant on est à 2000. Ils [la communauté] ont
vendus beaucoup [de terres]. Tous les cerros grandissent, tous cherchent
[à avoir! leurs terrains_ »
« Le nouveau président a vendu pas mal de lots.
Aux nouveaux. Comme ça c'est eux qui participent... »
Ils ne sont pas les seuls à constater cette «
invasion » (on expliquera par la suite comment se
manifeste ce moyen informel d'occuper la terre), bien que ce n'en soit pas une
au sens qu'a cette pratique courante à Lima. L'invasion est informelle,
c'est une occupation de fait sur un terrain, par un groupe. C'est souvent comme
cela que naissent des quartiers. Ici, il ne s'agit point de cela, d'autant plus
que la Vizcachera se protège de ce genre d'incursion.
Il s'agit plutôt du grand nombre de gens qui viennent
peser dans le quartier, parce que nombreux. Simplement, la communauté se
sent sûrement moins unie, moins reliée : elle n'est plus ce
qu'elle était...
Durant la relativement courte durée pendant laquelle je
m'y suis rendue, j'ai pu voir de nouvelles maisons apparaître...Et des
gens, hommes, femmes et enfants en train de rompre les cerros, de plus
en plus pentus, de plus en plus haut, afin d'incruster une maison dans les
collines abruptes... Peut être qu'il s'agit des enfants qui sortent de
chez leur parents, non loin de là., et qui s'y installent ? Pas
sûr, étant donné le nombre de "nouveaux" dont on entend
parler.
On les voit nombreux pour la construction --ou plutôt
l'aplanissement préalable--, aidés par des proches qui sont aussi
à Lima (photo ci-dessous)
« Les nouveaux, dans les latéraux...
»
Ils semblent même y avoir une
représentation spatiale des habitants. En effet, tout comme les
Huancaïnos sont dans la montée (la rue montante qui s'enfile dans
les cerros), les nouveaux, sont « éparpillés » dans les
parties latérales (flancs des cerros, ou à l'intérieur de
ceux-ci). La partie centrale est historiquement habitée par les plus
anciens. Ces espaces sont aussi des espaces d'appartenances
intermédiaires...
Pourquoi tant d'arrivées ces dernières
années? Serait-ce parce que Lima arrive à saturation? Les
migrants en quête d'installation seraient-ils toujours plus nombreux? La
Vizcachera ne serait-elle plus un endroit "mal vu"...ou serait-elle en train
d'acquérir une certaine réputation, offrant un accès
facile pour acquérir des terrains ?...C'est peut-être aussi la
Julie Directiva actuelle qui cherche à "vendre" plus
de lots, et renforcer son nombre de comuneros, pour
avoir plus de poids?
De la formation d'un quartier à l'explosion :
les changements d'aujourd'hui pour demain. Les mouvements : nouvelles
arrivées et relogement
Voir des collines en cours d'aplanissement ou des
maisons en cours de fabrication ne veut pas seulement dire que de nouveaux
habitants s'installent... Un déplacement à l'intérieur de
la communauté est généré par des comuneros, en
raison de changement à venir des espaces... Ce sont de
nouveaux emplacements octroyés aux habitants en vue de les
reloger.
La route du futur
Sur une partie de la pampa et d'un coté des cerros, on
parle d'un projet dont il est question depuis des années. Il semblerait
que la construction de la route qui doit contourner la grande Lima
d'aujourd'hui verra sa réalisation une fois menés à terme
les travaux de la terrible et chaotique avenida Grau, dans le centre
de la ville. On en parle depuis des années et aujourd'hui cela semble
imminent. COFOPRI42 serait même venu dans les demeures en
cause pour y faire un état de lieux...Avec pour consigne: plus de
travaux, ils ne seront plus pris en compte dans le dédommagement...
Cette route traverserait TOUT le quartier, depuis la chancheria
jusqu'au hueco, empruntant de manière transversale, le
long des cerros, toute une étendue d'habitations...
Cette route est un poids pour tout ceux qui ont construit, au
prix de longs sacrifices, les parois, parfois le toit, d'une maison qui se
dessine au gré des années. Elle est un bulldozer sur ces
années d'installation à la Vizcachera, qui anéantit
l'âme de ces lieux, tout comme l'importance du toit établi, avec
ses voisins, dans la réalisation personnelle, etc. mais...
r
fl
Cette route est aussi le terrain de projection quant à
l'avenir de ce quartier, même si l'on se vante de sa tranquillité,
loin du bruit et de la délinquance urbaine, toutes ces calamités
urbaines que tous semblent soulagés d'avoir quittées...Il s'agit
des fruits que portera cette route qui va changer tout le cours de la vie
à la Vizcachera... Autant d'espoirs et de possibilités d'essor
d'un quartier qui ne se suffit peut être pas à lui même .Et
d'imaginer quel négoce (negocio) on pourra y faire quand le
commerce battra son plein, grâce au brassage des gens de passage,
à la circulation... Une dame parle de ses terrains à la
porcherie, en se disant qu'ils acquerront de la valeur, puisqu'à terme,
la chancheria disparaîtra au regard du développement
futur et les terres seront le lieu de spéculations, étant
donné la rareté...
Certains, comme la famille de Lila, viennent de construire la
toiture (on ne manquera pas de redire l'importance de cet acte) et voit
déjà leur maison tomber en ruines...D'autres avaient
déjà arrêté la construction en cours devant cet
anéantissement à venir...
riLa communauté campesina a prévu un
espace pour reloger tous les habitants avertis. Un tirage au sort a
été réalisé pour leur attribuer des lots.
Tardivement, j'ai découvert que la situation était
vraisemblablement gérée, les gens montraient leur
inquiétude, sans pourtant être si alarmés,
étrangement. Comme il ne semble pas y avoir de terrains pour tous, seuls
ceux qui se sont manifestés dès à présent seront
"sauvés", dans un premier temps.... Lila m'avait emmenée visiter
son "autre terrain" qui était en cours d'aplanissement et sur lequel
elle prévoyait un bel avenir pour ses enfants43. Mais elle ne
m'avait pas encore informée de l'existence de ces lots nouvellement
attribués et de la construction en cours, alors que nous discutions
souvent du moment où ils devraient partir et ce qu'ils deviendraient...
Néanmoins, elle me parlait d'un arbre qu'elle faisait pousser « en
face ». Je pensais qu'il s'agissait de l'"autre" terrain (celui où
elle m'avait toujours emmenée). Peut-être était-ce l'arbre,
le symbole de cette future maison. Lorsque finalement Lila m'y emmena, par
hasard, je vis les constructions en cours des uns et des autres. Son
frère, qui aujourd'hui habite presque en face de chez elle serait
désormais son voisin. Sa voisine allait être Rosa qui vivait de
l'autre coté, en bordure du Hueco, au milieu de sa « horde
» de La Oroya...
42 COFOPRI, commission de formalisation de la
propriété informelle.
43 « On fait un étage pour les enfants, puis
c'est eux qui construiront les autres pour leur, famille »... Une autre
fois, elle me dira : « on pense faire au l" [RIX7 une salle de billard
fils ont effectivement des billards dans la cour J, et eux s'installeront au
second La maison pourra faire 4 étages... »). Que de
projections
Cette partie ne dispose pas encore
d'électricité.. Mais, les futurs "habitants" de cet îlot
préparent déjà les "activités"44 qui
permettront de réunir les fonds pour l'installation de la
lumière... C'est toujours ensemble, entre voisins, entre comuneros,
que l'on organise les choses et qu'on se soutient. C'est aussi, parfois,
ce qui établit des sous appartenances...
Ensevelis dans le hueco...Quand le relleno
avance...
Le Hueco, cette ancienne carrière de sable,
ici appelée "mine", a été peuplé sur ses pourtours,
toujours sur les versants de collines... Certains ont même eu l'audace de
l'installer dedans : à l'intérieur du trou ! Sur le
côté certes, mais dans la partie susceptible d'être
prochainement ensevelie par les décombres de bâtiments. C'est pour
cette raison qu'on les voit « remonter la pente »,
c'est-à-dire transposer leur habitat dans les hauteurs du trou... Toute
une ligne transversale rend compte, par ses constructions en cours, de ce
repositionnement des gens vivant dans le hueco. Les concernés
semblent ne pas encore vouloir y emménager, mais s'y
préparent...
En voyant l'endroit où ils vont se déplacer, on
peut se demander si la route ne va pas passer par là, où se
redessinent des maisons ? Peut être ne fera-t-elle que longer les
habitations...
Le paysage de la Vizcachera change très vite. Le
relleno avance, les habitations se déplacent. De nouvelles se
forment. Sans cesse. Le trou un jour ne sera plus, une route passera. Je serais
sûrement très surprise par l'évolution du quartier lorsque
j'y retournerai... !!
Le fait de se réapproprier un passé commun, de
lui donner du sens, permet sûrement de souder l'appartenance commune, si
nécessaire dans cette conquête du nouveau ; et de créer, ce
qui est si nécessaire à la vie, une cohésion entre les
membres, une réalité avec laquelle on interagit, dans laquelle on
est co-acteur. Une sécurité sur laquelle s'asseoir, loin d'un
passé aux semblants de reniement.
|
Préparation de chicharron : le porc frit dans sa
propre
graisse...
|
|
44 On appelle activité cc qu'on organise
pour réunir des fonds pour une cause commune, on l'on va inviter
les gens, et quelque par les "obliger" à participer (ça
peut être une chicharronada, poilacia . comme nous
l'avons
déjà expliqué..)
1 1
1
Les mémoire de la Vizcachera du récit
d'arrivée aux souvenirs épisodiques
Les souvenirs de la Vizcachera
Souvenirs d'antan... ou les temps mythiques
Converser avec certains des premiers temps de la Vizcachera,
des temps anciens, laisse imaginer une époque presque mythique,
qui ne semble pas appartenir à leur vécu. (ni crédible
étant donnée la sécheresse du lieu...
mais qui sait ce que les profondes mémoires
ont pu transmettre ?!)
Les temps premiers...
« Avant, tout était vert. Il y avait des
moutons, des animaux... et des pâtures pour qu'ils mangent... etc. Puis,
tout est devenu sec, de la roche partout... et ce _frirent ces animaux : les
viscaches45 ...puis ils créèrent la porcherie entre
comuneros...»
Teresa, une vieille dame là depuis les débuts
de la communauté, s'est aussi égarée dans ces
récits d'animaux, de verdure et de
pacage.....lorsque je l'ai interrogée sur ses débuts dans ce
lieu.
Cette idée de verte prairie en des temps lointains...
ce mythe d'un passé verdoyant... d'où viennent-ils ? Est-elle
transmise dans une mémoire commune sur la Vizcachera ? Telle une
félicité que l'on espérerait recouvrer ? Un
passé idéal à retrouver ? Est-ce cet espoir de revoir
le quartier comme un lieu verdoyant, où coule l'eau et
où les hommes à leur tour pourront s'abreuver ? Ou bien n'est-ce
qu'une réalité, certes disparue, embellissant ces terres ingrates
? Ou une façon de les valoriser... ?
L'âge d'or de la Vizcachera
Il plane sur la Vizcachera un souvenir
d'union. _ Parfois, il voyage dans le présent, comme si cette vertu
était toujours de rigueur, dans les bons discours sur la
communauté...Mais souvent, on en reparle avec nostalgie, en souvenir
d'un époque fertile mais révolue...Une époque
mise à mal par ces venues intempestives, mise en péril par ces
conflits entre statuts et appartenances dans les histoires de terre de la
Vizcachera.
Et toujours cette impression qu'avant c'était mieux.
Qu'il y a eu un moment (malaisément repérable dans le temps)
pendant lequel une belle communauté vivait des jours
heureux... Autrement dit, une époque où, étant moins
nombreux, ils purent et durent s'unir pour doter
le quartier du minimum dont il avait besoin....collège,
route, accès pour l'eau, etc...
u
En cela, bien sûr, la fierté d'avoir construit
soi-même ce qui fait que l'on peut vivre bien aujourd'hui, et qui fait
cohésion entre les comuneros... Avant on construisait ensemble
: « c'est nous les antiguos, qui avons fait ci et ça et
ça... »
« Tout le travail a été fait par la
communauté (avec aides étrangères), rien par
l'état... »
45 Traduction de vizcacha, en espat.,mol, qui traduit
lui-même le quechua wiskacha...(cf.début chapitre) d'où le
nom de la communauté : « la Vizcachera », lieu où il y
a des viscaches...
Selon Christophe Martin, la grande part de l'époque de
fondation dans le souvenir collectif, est due aux efforts consentis pour la
conquête et la construction d'un espace de vie. On doit nuancer ce propos
en se rappelant que la conquête de la Vizcachera n'est pas une
conquête au sens propre.... Le terme « conquête » peut
être synonyme d' « invasion », forme collective et relativement
synchronique d'occuper des lieux vierges, en vue d'en faire son lieu de
vie...La Vizcachera a été peu à peu conquise, ou
simplement peuplée périodes après périodes, mais
elle n'a pas été envahie à proprement parler...C'est
d'ailleurs cc qui donne une certaine fierté au lieu : ici, pas
d'invasion, on lutte contre celle-ci! On assiste cependant à une force
de cohésion dans cet effort pour la construction d'un espace de vie et
à sa défense collective.
« On a fait le collège, les routes, avant, il n'y
avait rien....
Cela montre le poids dans la mémoire de l'inscription
physique et sociale d'un groupe d'homme qui communautairement, a
effectué un travail reposant sur l'unique enjeu de leur
présence en ces lieux se construire un endroit pour vivre. Les autres,
les nouveaux, eux, sont arrivés dans un quartier déjà
« construit », même si son développement est loin
d'être achevé...Mais les tensions qui animent aujourd'hui les
discours des gens obligent à accepter ces versions de souvenirs
reconstruits autour d'un passé idyllique et prospère.
Dia de la Madre n'est rien d'autre que la fête des
mères, à laquelle on donne beaucoup d'importance (comme toutes
les fêtes!)...
«Et non, ce n'est plus ce que c'était...Avcmt
tout la communauté se réunissait, il y avait à manger pour
tout le monde...mais maintenant avec ce problème [de terres, de
conflits, de divisions] ...Et puis, on est plus nombreux, avant on était
peu...!
Souvenirs de l'arrivée à la
Vizcachera...
L. aménauemem du territoire est
d'abord un amen4ement humain. h n:. ban- donc
'lamais de rien. il n'y a pas de table rase humaine prealable. on ne
déménage pas un territoire, on l';.tménage, que les hommes
y arrivent ou y soient deià R.Jauhn
L'historique subjectif, selon le moment de
l'arrivée de chacun...
En écoutant leurs récits d'arrivée
à la Vizcachera, les gens nous livrent une vision de ce qu'était
le quartier quand eux-mêmes y ont posé le pied. L'évocation
de leurs souvenirs peut être une façon de reconstituer
certaines étapes...
On ne construit pas nécessairement le même
passé commun selon le moment où l'on est venu...C'est
peut-être ce qui fait ces divergences entre les habitants et leurs
identifications... Même si l'on voit une certaine réappropriation
de ce passé, qui fonde cette appartenance commune, on note aussi une
différenciation qui fonde parfois les groupes... La proximité
spatiale peut intervenir dans la constitution d'une interconnaissance plus
rapprochée, toute comme le contenu d'un passé commun peut
rapprocher les uns et séparer les autres. Néanmoins, il existe
d'autres lieux de connaissance et de communion, et les habitants ont toujours
eu l'habitude d'intégrer les nouveaux venus pour ne faire qu'une
communauté, soudée, telle qu'il la voudrait...
« Era un empan, un arena4 lien° de piedra
» --Lila
« C'était un immense plateau, un lieu
sableux, rempli de pierres »
Toute installation commence par la lutte contre
l'environnement, hostile. "Hay que romper cerro47". II
s'agit d'aménager ex-nihilo un endroit pour le rendre habitable. Mais il
est vrai que les serranos sont habitués à transfigurer
un environnement difficile pour le rendre humainement viable48. Un
regard étranger... ou tout simplement citadin ne verrait aucunement la
possibilité de s'installer dans un environnement si peu humain, et s'en
irait aussi vite qu'il est arrivé...ici, que des pierres et de la terre
à perte de vue : pas d'eau, pas d'air, pas de lumière
(électrique), et encore moins des égouts ou des routes... Il faut
être vaillant mais surtout confiant en ce que l'on sera collectivement
capable de transformer, et surtout, être patient... C'est cette foi en un
lendemain meilleur qui doit rendre supportable la difficulté et
l'incertitude du quotidien.
"Quand on est arrivé, il n'y avait ni route ni
lumière. On n'avait pas d'argent, qu'importe! On y est allé
avec nos esterase *. Mais au début, je retournais chez ma
mère, à Campoy (d'où
46 Robert TAULLN. Exercices d'ethnologie. «
L'invention culturelle »
r Si l'on traduit par "casser la colline", c'est dur
de se l'imaginer....les cerros sont durs, pierreux et nécessairement
pentus. aussi faut-il creuser dedans pour établir une petite partie
plate. en cassant la pierre... c'est pour cela que l'on parle de "romper
cerro-
49 Esteras: nattes de paille, de forme
carrée, qui au nombre de 4 ou 5 (pour le toit) sont les murs du premier
stade d'habitat dans l'installation à Lima..
nous venions) tous les jours. La nuit, il n'y avait
aucune lumière... et on entendait tout à travers les esteras...on
avait l'impression d'être à l'air libre... On avait l'impression
qu'elles allaient tomber... Dehors ce n'était que des pierres. Mais ils
obligeaient à être là, sinon, ils nous retiraient les
esteras, et reprenaient le terrain50 ...On est passé de
logement construit à des esteras. On était la dernière
maison de la rue, maintenant, on est à la moitié de la rue,
ça faisait peur d'être tout au bout...C'était obscur...Et
quand la batterie était morte, la télé se terminait.. Mais
au bout de 8 mois, je suis vraiment venue m'installer, il le fallait."
Vilma, qui est née à La Victoria, Lima. Ses
parents viennent de Cerro de Pasco. Après La Victoria, ils sont venus
s'installer à Campoy_ Elle est arrivée avec son mari et sa fille
il y a 10 ans.
*Typique de l'installation, les 4 ou 5 esteras pour
occuper un lieu par cette habitation indigente mais habitable, et dès
lors habitée...
Ils sont arrivés, aux abords de la chancheria
dans un désert, sans eau, sans installation. Juste quelques maisons
ci et là, des premiers habitants, liés à l'élevage
porcin.
« No habia nada, ni colegio (de estera), solamente
la posta » --dame rencontrée dans une épicerie (celle
que tiennent trois soeurs venant d'une province de Huancayo,
l'aînée étant arrivée la première et Yulinda,
la dernière).
Pas d'installations, pas d'électricité, pas de
route...pas de combis au début...!
La lumière, ils ne l'ont que depuis dix ans... Or
beaucoup sont venus de zone de Lima qui en était nantie, où ils
ont parfois vécu pendant des années ! Il est vrai que l'on
pourrait se dire qu'ils ont déjà vécu ça, quand ils
vivaient dans la Sierra (même si un bon nombre de villages sont
maintenant équipés). Mais ne sont-ils pas venus chercher ces
services qui leur manquaient tant ? Leur quête va bien au-delà.
Cela nous montre ce qu'ils sont prêts à
50 Si on n'occupe pas son terrain, on court le risque (où
que ce soit) de se le faire usurper. Cela peut supposer
qu'on dispose d'un autre habitat, ce qui ne légitime pas
le droit sur la parcelle octroyé par la communauté. Un
terrain doit être occupé à bon escient par
des gens qui en ont besoin
affronter, à recommencer pour reconstruire, pour
bâtir leur monde, en espérant qu'on les entendra.
Les gens arrivé il y a 7/8 ans...
« Devant chez moi [Elle habite au pied d'un cerro,
dans la partie centrale], c'était une pampa... mais que des pierres...
il n'y avait pas la route... » Agusta. Et pourtant, c'était en
98...il n'y a pas si longtemps, dans la partie centrale...
« On était la dernière maison, tout au
bout... et là, devant la maison, c'était le vide, c'était
le trou, il n'était pas encore relleno. Ça faisait peur... !
» Rosa
« Quand on est arrivé, on nous a donné
ce lot... tout en haut de la rue f qui n'en était pas une I], il n'y
avait aucune maison... On était les seuls, et il faisait noir...
Ça faisait peur ! » Genobeba
« Il n'y avait pas de combis qui montaient à la
Vizcachera... On devait monter à pieds depuis le bas des collines
jusqu'ici ! »
« Il n'y avait pas de route qui venait devant les
maisons, ici dans la montée... on devait descendre avec nos bassines
pour aller chercher l'eau jusqu'où « aguatero » pouvait
aller.. »
« Avant, il fallait aller chercher l'eau en bas
à Carnpoy, à Zarate, elle ne venait pas jusqu'ici ... »
Isabel
Pourquoi la Vizcachera ?
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CLii,\"ij
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Saim-Eupaz
En discutant avec les gens, j'essayais de remonter quelque
part dans leur passé ; un lieu, un moment, une étape, ou peut
être des personnes, des liens permettraient-ils de comprendre leur
trajectoire migratoire, s'il en est une. M'amènerait-elle à
comprendre ce qu'il s'était passé depuis leurs origines, presque
mystérieuses, jusqu'à leur arrivée à Lima, et enfin
à la Vizcachera?
Lors de nos premiers échanges, les questions
inhérentes à leurs histoires de vie et de famille, si
récurrentes et presque systématiques, finissaient par me lasser.
Leur discours redondants rendait souvent leur monde inaccessible, tel un filtre
sur le passé. Mais peu à peu, la relation s'installait et
quelques moments forts ressurgissaient. Ces fragments d'histoires, ô
combien précieux et décousus, permettaient, au mépris de
maintes contradictions, de remonter dans leurs mémoires. Sortaient-elles
d'un vieux grimoire qui n'aurait pas été ouvert depuis le
départ de cette maison qui en était le gardien...?
Proie aux idéalisations dans les premières
évocations, la mémoire du lointain se dessinait
épisodiquement pour revenir à un présent plus clair et
concret, lié aux combats d'hier et d'aujourd'hui, depuis
l'arrivée dans les dédales de Lima. Pour évoquer leur
installation à la Vizcachera et répondre aux attentes de
l'interlocuteur, ils n'hésitaient pas à enjoliver leurs discours
Cela semblait plus aisé de conter les étapes du parcours dans la
ville qui amenaient aux souvenirs de l'installation à la Vizcachera.
Aussi, la mise en scène de la mémoire se déployait dans
des discours qui tentaient de dépeindre la réalité comme
bon leur semblait, à l'aune des attentes de l'interlocuteur, telles
qu'ils les pressentaient... Discours qui étaient autant de
représentations d'une image que l'on donne de soi selon la personne avec
qui on est en rapport, expressifs d'une identité à plusieurs
visages...
Ces porteurs de mémoires qu'étaient les "migrants"
--c'est ainsi que je les nommais... se reconnaissaient-ils dans cette
catégorie? Ils partageaient un lieu de vie, mais un passé
distinct, inscrit dans des zones géographiques diverses. Peut-être
se retrouvaient-ils malgré la diversité de leurs origines
multiples dans cette même quête, et dans la construction d'un
vécu commun, qui peu à peu fondait une histoire commune...
Néanmoins, la constitution du quartier de la
Vizcachera ne s'était pas faite, à l'instar d'autres
"communautés" urbaines (appelées Pueblo Joven, Asentamiento
Humano51 par une invasion de tout un groupe à un moment
donné, mais s'était réalisée au fil des
arrivées dans la "communauté campesina" à travers
différentes étapes significatives. Les anciens auraient
organisé l'arrivée des suivants jusqu'à ce que le nombre
d'arrivants" augmente et soit régulé autrement (par la Junta
Directiva52).
1
voir annexe
52 assemblée directive
C'est peut être pour cela qu'il existe des groupes qui
s'opposent et s'affrontent de façon virulente. Les intérêts
des "fondateurs", dotés de plus grands territoires, ne sont
pas, vraisemblablement, ceux des derniers arrivés,
protégés par un système communautaire.
Commençons par ce qui semble le plus clair dans l'esprit
(ou le discours?) des gens, ces anecdotes et récits qui rappellent leurs
"débuts" à la Vizcachera et qui les y a fait
arriver.
Ces débuts-là, c'est l'installation dans le
point d'arrivée. Il y a donc plusieurs débuts et plusieurs points
d'arrivées dans le phénomène de migration. Le début
de la migration n'est pas que le départ. Ni l'arrivée un point
final...
Buscaba un lote, un terreno (Je cherchais un
lot, un terrain)
"Une voisine m'a dit: "il y a des terrains". Pourquoi
vous n'allez pas voir? Elle était au courant parce qu'elle avait des
amis qui avait des cochons. Elle Mis l'a tant redit que la troisième
fois, on s'est décidé à aller voir" Vilma
« Pourquoi être venu ici, sans eau, sans
électricité ...c'est le besoin !! ("la necesidad"), on en peut
pas rester dans un lieu en location, le travail n'est pas sûr ...Et,
c'est plus sain ici ! » Feliciano
« On HOUS a dit qu'il y avait des terrains. Ça
se sait toujours quand il y a des terrains ! » Lila
« por los chanchos » « es mas tranquilo
»
Ils viennent de la Sierra, certes. Mais rares sont ceux qui
n'ont pas suivi diverses pérégrinations à travers la ville
avant d'entendre parler de venir s'installer "définitivement" à
la Vizcachera. La plupart sont arrivés d'une autre partie de Lima.
Le peuplement ne se fait pas par hasard, on n'arrive pas
entièrement néophyte en "terres inconnues"... D'ailleurs, on
parle souvent de ceux qui "se font avoir" et exploiter, tels des innocents
à leur arrivée. Ce sont les moins informés, les moins
liés à Lima... C'est pour ça, entre autre, que les gens
vont là où il y a « gente conocida53 ».
Si l'arrivée ne conclut pas l'installation et entraîne un
retour en leurs terres, c'est aussi dû au manque de réseau
d'entraide à Lima.
Parcours liméniens
En général, comme si il y avait des axes
géographiques de déplacement des gens et de diffusion de
l'information, ils sont nombreux à venir d'autres districts: La
Victoria et El Agustino. Le premier, ancien, a été reconquis
par de nombreux migrants (parce que délaissés par ses habitants
du fait de son insalubrité), et surtout envahi sur ses cerros
inoccupés (cf. Cerro El Pino); le second est un des
premiers districts nés de la migration. Aussi beaucoup sont venus
s'installer dans un premier temps "d'attente", chez des membres de leur famille
déjà là, puis en location, non loin... Mais ils sont
surtout nombreux à venir du district de San Juan de Lurigancho qui
s'ouvre de l'autre coté des eaux du Rimac54, après le
Puente Nuevo
53 « Des gens connus », soit, des
connaissances, des proches
54 Le fleuve qui traverse Lima en son centre...
(El Agustino), et précisément dans la petite
partie Est qui est séparée du reste du district par des collines.
Les quartiers qui composent ces axes sont, du plus éloigné au
dernier, mitoyens: Caja de Agita (entre la partie Est et l'autre
grande partie), Zàrate (quartier le plus urbanisé, qui a
même une réputation de pituco55!), Campoy...!
Certains racontent que lorsqu'ils sont arrivés aux débuts de
Zàrate ou plus tard à Campoy, "era chacra",
c'était des terres agricoles... Aujourd'hui, Urate est une des
zones les plus urbanisées du district, avec un commerce très
actif. Campoy l'est en grande partie, mais reste plus «
résidentielle » et a conservé un certain nombres de ses
fabriques .
Aussi, beaucoup de gens de la Vizcachera viennent de ces
quartiers, tous sur un même axe, de plus en plus au fond, jusqu'à
s'arrêter à la Vizcachera, celui qui propose encore des
terrains...
Serait-ce parce que les gens "au courant" des terrains
disponibles de la Vizcachera sont ceux qui, reliés à
l'élevage des porcs, résident non loin, donc dans ces quartiers
tout proches ?
C'est peut-être aussi que les réseaux sont de
proximité...Les habitants de la Vizcachera ont pour beaucoup,
habité dans ces quartiers avant, donc de fil en aiguille, la voisine
sait que le voisin a trouvé terres à bâtir et donc "passe
l'info"... Enfin, la voisine a bon dos... Elle est de "ce quelqu'un qui m'a dit
que"...
Les réseaux fonctionnent bien. Ils sont d'autant plus
prégnants que le nombre de rapport de parenté ou d'origines
communes parmi les habitants, est important...
Pituco. Selon Arguedas : « bourgeois, dans le
langage oral de le côte. Ça se réfère plus à
un style de vie qu'à une position sociale précise... » (in
Arguedas, José_ el zorro de arriba y el zorro de abajo)
Peut-être plutôt dans un comportement d'ostentation
et d'un relative opulence, dans des pratiques de la ville (fréquenter
tel endroit...)
Chaque district a presque ses npitucos"? Dans le
cône nord : les pitucos de « los Olivos » ; à
San Juan de L., c'est Zarate, etc. ; pour Lima moderne/centrale, c'est
Miraflorés, Surco... A l'Ultérieur d'une entité (groupe d
lonune/territoire), il y a des référence et façon de
dénommer, désigner péjorativement. 11 est évident
que pour quelqu'un de Lima Moderne
-centre. il n'y pas de pinicas
dans les cônes, puisque cela correspond à une classe plus
« snob » dans son propre contexte...
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Les espaces qui apparaissent inoccupés sont les
plus hauts cerros, pas encore habités... (Le plan n'indique pas tous les
cerros, moins haut, qui sont habités...) qui sont de véritables
frontières entre les quartiers
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J 40
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Des parcours hasardeux... ?
Agusta vient de Pacaritambo (prov. Paruro, département
Cusco). Sa famille était pauvre, ils étaient 9 enfants, il
fallait travailler. Dès 8 ans, son sort n'en fût pas autrement :
dans la ville de Cusco, elle se rendit pour y accomplir les tâches
d'empleada56. Elle est arrivée jeune, pour
travailler. En d'autres termes, elle a été "envoyée" pour
être empleada, à Pueblo Libre (à l'époque
c'était des haciendas (avec leurs terres alentours), maintenant c'est un
quartier relativement central --c'est là où j'habitais D.
Après avoir cheminé de Zarate à Campoy (en location), elle
s'est rendue à Santa Rosas 1, un quartier fermé
(physiquement par des barrière et entrée contrôlée
!!!), en quête d'un terrain enfin à elle. Comme il n'y a avait pas
d'électricité, ça lui a déplu, elle est donc
allée dans le quartier voisin...En plus, c'était un endroit
fermé, coincé entre les collines alors que la Vizcachera, tout
est ouvert. C'est à ce moment ( !) qu'une amie qui vivait à la
Vizcachera, par hasard l'a informée. C'est ainsi qu'elle est
allée voir le dirigeant, et ainsi de suite...ce ffit en 1997.
Relativement nouvelle habitante, mais pas nouvellement immigrée.
Lila, qui a aussi une longue histoire de
pérégrinations liméniennes, semble s'être
retrouvée ici alors qu'elle en avait décidé autrement. De
Vicso- Orcutuna (prov. Conception, dep. Huancayo), Lila et sa famille sont
venus en 83. Mais c'est seulement dans les années 90 (pas réussi
à retrouver la date !) qu'ils sont venus à La Vizcachera...
Arrivée à Salamanca (dans le district de Ate, cône Est
aussi) avec son mari ainsi que son frère et son épouse,
probablement chez des membres de leur famille, ils sont ensuite partis vivre
à Zarate, pour être plus près de son travail. A chaque
fois, ils louaient, et pensaient: « nous ne pourrons pas nous
développer (améliorer) en étant toujours dans cette
situation ». Ils décidèrent d'acheter un lot dans le nord
(le cono aorte), et procédèrent dans le cadre d'une
association de vivienda58, donc à l'intérieur
d'un groupe qui achète un ensemble de parcelles et le divise entre
eux... mais que se passa-t-il ? Une invasion sur leurs terres... ! Ils ne
purent rien faire : ce fut une occupation ! Depuis lors, le procès
traînant est en cours entre eux, les banques et les envahisseurs !...
C'est là qu'intervient le vecino (voisin), (qui tombe toujours
à pic !), qui avait des chanchos là-bas et les y a emmenés
(son frère, toujours dans la trajectoire, s'est installé en face
de chez elle...), et tant pis, il n'y a pas d'eau ni
d'électricité, mais on va essayer!
Les parents d'Isabel, qui font parti des anciens membres de la
communauté, se sont eux aussi déplacés entre San Miguel
(hacienda dans laquelle ils travaillaient), le cerro el Pino, San Luis,
où ils construisirent leur maison... Après la perte d'un de ses
enfants, la mère s'en fut vivre à Campoy, qui a l'époque,
était chacra (peut-être que dans la campagne, elle allait
se remettre mieux de cette tragédie)... elle y acheta donc un terrain de
2000m2... Aussi une partie de la famille vivait chez le père,
l'autre, chez la mère... puis, ils rejoignirent la mère... et
établirent la première boutique de Campoy...Un frère
jusqu'à ce jour est resté dans la
5£' La figure de empleada est
très caractéristique. La plupart du temps« ce sont des
filles venant de la Sierra ou Selva qui sont empleadas à Lima,
ou de petits villages pour les villes de provinces. Souvent, la futur
enzpleada quitte sa famille et vient vivre sous le toit de son
"patron". elle travaillera un nombre asservissant d'heures... Si elle tombe
bien, elle ira peut être à l'école en même temps. Ou
elle aura un salaire correct mais peu élevé, et pourra peu
économiser pour un ,jour prendre le large et trouver son terrain, par
exemple... C'est souvent l'ambition des empleadas adultes : avoir leur
« casita » (leur petite maison).
5- Santa Rosa. qui ne se trouve plus à Lima,
est un quartier à double statut ou plutôt
bipartite. il y a une
communauté (campesina ?) et une « asocacion de vivienda »,
soit un groupe de gens qui a acheté un ensemble de terres.
58 "Association de logement". C'est l'achat en
association d'un terrain que l'on divise à l'intérieur du poupe
d'acquéreur. On en reparlera davantage dans la partie sur les
conflits.
Y.
j-] n
première maison pour y vivre...C'est là
qu'intervient l' "ami", qui avait des chanchos à la Vizcachera et, de
fil en aiguille, ils finissent achetèrent eux aussi un terrain pour y
mettre leurs chanchos... C'est ainsi qu'ils connurent la communauté et
demandèrent un permis sur les terres...Ils ouvrirent la première
boutique de La Vizcachera... ! C'est donc un des frères qui est
resté dans la maison de Campoy. Le reste de la famille, est venu
s'installer dans le quartier des cochons... ! A cette époque, ils
bénéficièrent de grandes parcelles et d'autres pour les
enfants.. Une longue trajectoire... !
Ces gens sont arrivés presque par hasard. Mais jamais
tout à fait par hasard. Des rencontres, des liens, les y ont
amenés. Un besoin, un toit. Mais pourquoi choisir de s'installer
à la Vizcachera ne cesserait-t-on de se demander ?
Pourquoi la Vizcachera ?
Il cherchait un lot, et c'est là qu'ils l'ont
trouvé !
Ils n'avaient pas les moyens, et on leur demandait peu.
Ils n'avaient pas le coeur à l'invasion et ils n'avaient
pas besoin d'envahir !
Quel recul en arrière, serait-on tenté de
penser, pour des gens qui ont vécu dans des zones plus urbanisées
de Lima et pour certains, avaient déjà acquis, dans leurs
anciennes demeures, l'électricité (pas tous, certes) et autres
services. Ils sont soi-disant venus (en partie) pour trouver plus de
possibilités, infrastructures incluses et doivent revenir à la
base, à l'avant base, par laquelle ils n'étaient peut-être
jamais passés ; bref; à un degré très bas
d'installation humaine (du moins pour les premiers arrivés). Et l'eau ne
coule toujours pas à la Vizcachera...
Le choix de tout quitter, pour venir s'installer en ville,
c'est déjà beaucoup. Mais celui de renoncer à tout «
confort » est difficilement compréhensible, d'autant plus pour ceux
qui viennent de Lima... Quoique ! Si tout ce que représente « lo
suyo » en vaut la peine.
Là, réside la raison de l'installation en ces
confins ingrats... D'aucun dira que c'est pour avoir son terrain à soi,
sa propre maison. Parce qu'avoir une maison en location, ou plutôt une
chambre, c'est onéreux, et ce n'est pas gratifiant... Au moins, avec la
casa propia, on n'a plus à se préoccuper du loyer, ce
qu'il manque c'est « juste pour manger »... Economique, certes. Mais
l'acquisition d'un "chez soi" va bien au delà du simple critère
pécuniaire.
Désir d'avoir son terrain, à soi. Volonté
d'y faire sa maison, soi-même. Mais cette quête de quelque chose
à soi, ici, à la Vizcachera...? Au regard des conditions de
possessions, c'est étrange. Les terres sur lesquelles la
communauté donne un permis individuel "s'achètent" mais ne
s'acquièrent pas (cf coût pour les droits). L'usufruit est obtenu,
mais la propriété reste communale... Or, si tant est que les
pobladores recherchent quelque chose « à eux », dans
un mode d'acquisition et une organisation communale, ils souhaitent aussi une
reconnaissance à titre individuel (qui va souvent avec l'obtention
collective de titres de propriété...), pourquoi aller chercher
à la Vizcachera Io suyo qui n'est pas de rigueur 7
Peut-être reconnaissent-ils là un statut tel
qu'ils l'avaient (pour certains) dans les Andes : un techo propio'',
dans un usufruit communal (bien que les gens ont aussi leur(s) propres
terres dont ils sont fiers)
59 Un toit à SOL "Techo propio" est
aussi le nom d'un organisme qui aide les gens à l'obtenir.
Force est de constater que, dans la capitale, tous (les
immigrants, de toutes générations...) visent cet apanage: la
propriété! C'est un droit et une fin en vertu desquels les
peuples luttent ! Certes, elle permet un développement plus rapide du
quartier. Rappelons que la propriété est la condition sine qua
non pour obtenir toute aide pour les droits élémentaires
(électricité, eau...) Elle est aussi le garant d'une situation
d'hypothèque, etc. bref !...
Propriété rimerait avec
prospérité... Elle semble être une valeur désirable,
un statut sûr, une position sociale, une étape du parcours. Ou
encore, un réel attachement au sol, quelque chose de paysan tout en
étant adapté à la modernité, qui se manifeste ou se
transpose par cette quête de terrain et cette lutte pour l'obtenir, le
cas échéant, sa défense...
A la Vizcachera, on peut croire qu'on est
propriétaire. Parce qu'on ne paie pas de loyer, parce qu'on
jouit d'une certaine possession', parce qu'on se permet presque de
spéculer... Mais dans les faits, tout appartient à. la
communauté. Encore que! Tout est plutôt à la matrice...
Quoique ! La matrice --maudite matrice enrôlée dans la corruption,
a tout vendu à l'entreprise --écrasante entreprise, qui
prétend être propriétaire de toutes les terres ! Et
aujourd'hui, un jugement de la firme trafiquante avec la communauté
campesina qui n'en finit pas...Un litige où les intérêts
des uns et des autres sont mis en évidence... Sous-jacent, l'appui de
l'association qui prône la privatisation des terres par le rachat
à titre individuel ! A la fin, peut-être, la même chose, la
propriété.... Mais à quel prix ? La communauté
cherchera à obtenir ses titres. Mais elle veut rester, de droit,
mère de ses terres, et garder la cohésion communale... Ne pas
subir cette usurpation... Entre temps, les problèmes, les tensions, (les
traîtres !) les dissidences, la stagnation
Bref, quel regard non averti y comprendra quelque chose ?
Au bout d'un moment, partir à la Vizcachera à la
rencontre des gens, revenait à aller m'enquérir des
dernières infos pour saisir ce qu'il s'y passe, les conflits entre les
gens, et d'en mesurer l'importance ! O combien ce conflit m'apparut fondamental
dans la quête des habitants et dans ce qui fonde leur rapport ! Un lien,
la terre.
Que viennent-ils chercher à travers la casa
propia?
"Tener algo propio, algo suyo"
"Tener casa propia no es coma estar en casa ajena" "es feo
estar en casa ajena"
« Être dans une maison à soi, ce n'est
pas comme être dans la maison d'autrui, comme dans une maison
étrangère... » « C'est nase d'être dans une
maison étrangère... »
Est-ce une fin en soi dans ce parcours de migrant, en vertu
de laquelle on cesserait de l'être?, Un statut? Un accomplissement?
Un futur prometteur qui émane d'un désir commun et qu'il va
falloir construire de ses mains? Peut-être tout cela et bien d'autres
choses...
60 Au sens péruvien du terme, qui
n'équivaut pas à propriété, mais au statut de
possession sans être propriétaire... possession de fait,
informelle, ou usufruit...
Que viennent-ils chercher à la Vizcachera? Un
îlot de tranquillité loin du brouhaha urbain et pourtant si
près de Lima? Un système communautaire qui protège la
terre...? Ou la même évolution qu'ailleurs, à Lima...Un
statut progressif vers la propriété, des terres où se
rendre "indépendants", ou plutôt acteurs, car il n'est pas
aisé de parler d'indépendance, en tant que «pueblo" ,
représentatif de ce "nous" qu'on construit ensemble... Et
réclamer son lot de droits... Sont-ce les mêmes quartiers
périphériques qui se développent dans tous les
prolongements possibles de Lima?
Que viennent-ils chercher à Lima, si c'est pour
aller se refondre dans un système communautaire et se confiner dans un
"entre-soi" ? Ou ne serait-ce pas justement le moyen ? Cet ailleurs qu'est Lima
n'est-il pas celui où l'on décide d'être maître de
son destin, de s'affirmer, de moduler sa personnalité en fonction de ce
que l'on veut montrer, mettre en évidence ou cacher ? Autrement dit,
laisser la place à l'affirmation d'un soi avec de nouveaux visages, ou
plutôt, une pluralité d'identités, que l'on peut faire
valoir, ou dévaloir ? Et danser dans une autre ronde, celle d'un
"nous" qui valorise une identité? Loin de moi l'idée
d'effacement, ou de perte de l'identité "d'avant", dans le contexte
culturel dans lequel on vivait. Il semblerait simplement que les gens en joue
pour s'adapter, pour inventer...
Mais peut-être ne viennent-ils pas chercher quelque
chose de précis ; à travers ces processus, ils cherchent à
être, simplement. Et à ne pas être ce rejeton du monde
criollo61, ou de vivre aux dépens des autres...
I:e symbolique de casa propia (Lo suyo I La
ajeno)
L'acquisition d'un lot, c'est-à-dire d'un terrain
à soi, semblerait mettre un terme à l'errance du migrant, et
symboliquement à ce statut (de migrant). Mais où commence-t-il et
où s' achèvent- il ? On cesse d'être étranger... On
cherche à exister par son « indépendance », à
être par "bo suyo", montrant une expression de soi,
matériellement et symboliquement.
Lorsque l'on vit dans "bo ajeno", ce qui est le cas
dans la migration, on ne peut se réaliser pleinement. La casa propia
joue peut être ce rôle d'accomplissement personnel
tout comme elle permet la construction collective d'une
identité, recréée mais entremêlée...Un
nous qui se dessine à travers l'affirmation de la
suyo (qui va de pair avec la propriété). Avec ses
transpositions : lo suyo n'est pas forcément fait de ce qui
donnait sens à la vie d'avant. Cet avant du grand départ... Un
nous que l'on construit ensemble, parce qu'on y participe... ?
"Lo suyo", c'est tout ce qui fait l'affirmation du
soi, l'identité, après avoir été brimée dans
1' urbe°2 , d'où l'importance du chez soi qui
reste à établir quand on n'est pas d'ici. On n'est pas sur ses
terres, sur son territoire, on doit le conquérir.
Conquête d'une place à la ville, d'un chez soi, de sa
propre terre...
Et surtout, un statut, un certain prestige
qui permettent la reconnaissance sociale. Voilà déjà un
premier signe de réussite... Franchir un pas dans cette fameuse
réussite, dans le possible aussi, pour assouvir cette
soif d'ascension économique et sociale, qui se découvre à
travers les dynamiques pour s'en sortir, mais va bien au-delà
("superarse" : se surpasser). Et à travers cela, un
autre regard sur eux-mêmes. « J'ai ma maison à
moi »
61 Les criollos sont les descendants
d'espagnols, nés à Lima. Par extension, ce sont les gens de la
côte.
62
ilrbe la ville
Il semble que l'installation (avec des velléités
de pérennité) soit une véritable quête dans le
parcours du migrant, une étape clé, peut-être un passage...
Certes, elle permet d'améliorer une situation économique souvent
précaire, en réduisant les dépenses
ménagères... mais elle va bien au-delà. Acquérir un
« techo propio », « algo suyo
» revêt un caractère fondamental chez les
migrants. Mais qui sont ces migrants ? Que signifie cette vaste
catégorie ?!
Tous sont venus à la recherche d'un terrain, en vue d'y
construire leur propre maison, semble-t-il, parce que la Vizcachera
était un des rares endroits où il y en avait --et à ce
prix ! Et, surtout, parce qu'ils connaissaient quelqu'un qui leur facilita
l'accès, parce qu'il y habitait, de près ou de loin... Ils sont
aussi venus construire du "commun", donner un sens à leur vie dans un
ensemble, en s'inscrivant dans un nous. Ils sont venus habiter une
communauté, un pueblo, au lieu de se perdre dans la jungle
urbaine, sans liens de proximité...
La Vizcachera reste néanmoins un metting
pot, fait de populations d'origines différentes, mais
où chacun n'en est pas moins conscient de son visage...Malgré
tout, ils créent une histoire comme, au gré des étapes de
peuplement par différentes générations d'émigration
(lère, 2ème génération
--enfants de migrés, bien que la majorité ait été
"primo-arrivant").
Cette situation diffère de celles des autres quartiers
périurbains qui se constituent au rythme de l'immigration63,
en un mouvement!
De la même manière qu'ils mythifiaient et
idéalisaient leur passé dans leur premier discours, ils
dépeignaient très souvent leur quartier de façon
très idyllique (cf l'âge d'or..) et le présent avec son lot
de problèmes et le reniement d'avant semble contredire leurs
déclarations.
63 En effet, l'établissement en un lieu, devenu
quartier. se fait
généralement par un premier groupe de base, par des gens en
attente de conquérir des terres pour s'y établir...Peu
après s'ajouteront des familiers, et des connaissances de connaissances
...De là ils évolueront à peu près au même
rythme...Généralement_ ce n'est que sur les flans des collines
qui bordent la zone (où les collines les phis hostiles) que viendront se
joindre_ fait accompli. d'autres groupes. aux abords. Mais une installation
aussi étalée clans le temps : ça n'est si courant
L'importante taille de la Vizcachera en est sûrement une explication,
elle peut croître encore et encore, il semble toujours y avoir des lots,
des parcelles disponibles. bien qu'ils soient de moins en moins confortables...
Les quartiers. que je viens d-évoquer, sont de plus en plus
entourés (de nouvelles habitations). mais ce sont d'autres «
pueblas.» qui s'établissent autour... Les « puehlos
» ainsi constitués (par invasions, achats..) gardent une
-taille quelque peu communautaire...
Histoires de vie ?
-le /ne 1/(J/ft' .
1'.%/ Ëiitel(//le ,i)(tn
(1(.)111 cr,r cf v`A.ii Li les
1.,1
e'.;1
vivre Fc"I(MI"
Ces recueils sont des bribes d'histoires. Mais les discussions
qui interrogeaient sur le passé revenaient toujours sur le
présent, et sans cesse, dans la comparaison. Les récits devraient
être enrichis d'histoires de famille. On remarquera très vite que
la famille exprime mieux la vie des uns et des autres, depuis bien avant la
migration et bien après. Bien sûr, cela n'était pas
possible...ou j'aurais dû avoir pour objectif, voire pour sujet,
l'histoire de famille! Cependant, j'ai rencontré des personnes, surtout
des femmes, qui m'ont peu à peu emmenée dans des moments du
passé, en livrant leur analyse de la réalité...
Les lieux de la mémoire
Entre pratiques, discours et
représentations...quels espaces pour la mémoire ?
Où a-t-on le droit de parler du passé, où
partage-t-on ce que l'on a en commun, qui n'appartient pas au lieu de vie...
?!
Les écrits
La littérature semble n'aborder que trop peu le
thème de la mémoire... Oh, des histoires de vie, on en trouvera
quelques unes, plutôt vues comme « portrait de nouveaux
liméniens64 », dans un ouvrage où l'on cherche
à trouver les caractéristiques des nouveaux habitants de Lima,
ces cholos qui ont transformé le tissu social de la ville en scrutant
leurs formes d'adaptation et leurs nouveaux codes de conduite, bref toute la
nouvelle culture qui en découle et les changements qu'elle
implique dans toute la ville. Gôlte65, quant à lui,
tracera des parcours, douze études de cas, de communautés
entières venant de différentes régions du Pérou,
pour comprendre quelles sont les conditions préalables (« le
passé rural ») qui orienteront le processus d'insertion dans la
société urbaine. Son travail est surtout intéressant parce
qu'enfin c'est l'histoire des réussites et du concert des pobladores qui
construisent leur habitations et leur vie... Ce qui surgit de la
diversité d'origines des communautés : c'est « cette
capacité d'imprimer en une migration individuelle une cohérence
de groupe ». Cette migration est-elle vraiment individuelle ?
D'après mes observations elle s'inscrit davantage dans une logique
familiale et communautaire, préalable, même si le migrant quitte
les siens et s'ensuit parfois une certaine coupure... ll existe des
écrits sur l'identité, sur les liens avec le lieu d'origine, et
d'une certaine mythification de ceux-ci. On recherchera les valeurs andines,
64 Cuidad de los Reyes, de los Chaves, de los Quispe,
Rolando ARELLANO C., David BURGOS A. 2004
65 Jurgen GOLTE. Norma ADAMS. Los caballlos de Troya
de los invasores. Estrategias campesinas en la conquista de la Gran Lima.
qui, rationalisées pour la vie urbaine, permettent tel
ou tel essor, cet esprit capitaliste des gens de la Sierra qui en fait de
véritables entrepreneurs... Ces caractéristiques andines qui se
déploient à la ville (la solidarité --réalisation
des obligations sociales, l'éthique de travail, la cohésion
familiale, et l'esprit d'économie, etc.66) et qui ont changé le
Pérou d'aujourd'hui, internalisant l'informalité, le pragmatisme,
le travail, le propre effort...67 On parlera des conditions préalables
à la migration qui vont avoir telles ou telles conséquences sur
l'adaptation en ville... Du folklore, de la Sierra à Lima, les
anthropologues en disent long des associations de provinciaux68, aux
fêtes et événements familiaux célébrés
ci et là, ainsi que les rapports avec la Sierra... Mais peu diront qu'il
s'agit, au-delà de cette impression de reproduction, de la
création de quelque chose de nouveau, nouveaux rites, nouvelles
coutumes, avec une racine andine, évidemment !...69. Pour Altamirano, si
l'espace géographique se divise en deux chez les migrants, là
où ils sont maintenant et là d'où ils viennent, la
mémoire, elle, se décline en trois univers, à savoir :
l'une plus lointaine, celle des ancêtres et des croyances qui leur sont
liées (telle colline sacrée...) ; l'autre, la moyenne : le pueblo
d'origine ; et enfin, la plus proche : celle de maintenant et d'hier... Il
souligne l'importance des trois dans la façon de s'identifier. Il me
semble que les deux dernières sont celles qui ont encore toute leur
place... Au lieu de dire qu'ils vivent dans deux lieux géographiques, je
préciserai qu'il existe un ici et un là-bas, avec lesquels la
mémoire s'accorde.
Les discours
A Lima, beaucoup diront qu'ils renient leurs origines (honte),
qu'ils se laissent « contaminer » par la ville, comme si ils
étaient trop influençables, faibles ou trop soumis.... Ou au
contraire, qu'ils ne se regroupent que pour reproduire « leurs fêtes
»... Cela ne traduit pas exactement leurs sentiments. Cependant, on
perçoit bien la représentation qu'ont les liméniens des
autres (les citadins) ou de leurs congénères, ces migrants dont
ils descendent parfois ou qu'ils ont été.
Les études sociologiques ou autres font rarement
mention de la mémoire. Que dit-on de la place de la mémoire et de
ce qu'elle représente dans la vie et l'imaginaire des migrants ? Le
passé --surtout lié au vécu- ne se reflète-t-il pas
dans les pratiques des migrants en dehors des fêtes liées au
village ? La. question est complexe mais mérite d'être
étayée.
Une délicate et profonde étude de la
reconstruction de la mémoire a été
réalisée ces dernières années par la
Comision de la verdad y de la reconciliacion, afin de témoigner
des maux et meurtrissure de vingt ans de terrorisme et de guerre. Ce travail de
mémoire est allé rechercher très loin. Des
témoignages abondants, (tant de gens avaient à témoigner
des horreurs vécues) ont été recueillis pour exorciser les
blessures et rendre hommage à tant de victimes... Force est de constater
combien le poids du passé est toujours présent. La mémoire
en est elle-même un témoignage.
Valorise-t-on ou non l'origine, la culture de « l'avant
» (y a-t-il vraiment un « avant » et un « après
» la migration ?)_afin d'en tirer meilleur profit ? C'est un jeu qui
mérite d'en sonder les règles... La rencontre culturelle qui a eu
lieu à. Lima, a joué un rôle essentiel pour définir
les choix à faire par les migrants : le dire, le faire ou le montrer.
Aussi est-il intéressant de
66 Maria MENDEZ GASTELUMENDI. Migracioa, ideritidad y
desarrollo. Hacia ana vision die pais. 19997 Ibid.
Teofdio ALTAMIRA_NO RUA
69 Jurgen GOLTE. Cultura.. racionalidad inig.,racion
andina. LEP. 2001.
repérer les discours traduisant une même
façon de se raconter, d'agrémenter certains faits, et de les
dénigrer, autant de raisons pour les choix et le changement. Que cachent
ces non-dits et ces manières ostentatoires ? La difficulté de
vivre, de s'adapter ? Une façon d'échapper aux jugements
méprisants des autres ?
Dans leurs récits, chacun se raconte à sa
manière, en ne livrant qu'une fraction de l'histoire et l'associant
à sa vie d'aujourd'hui. Leurs vécus ne sont d'aucune façon
des schémas de trajectoire migratoire. En conséquence, leurs
discours apparaîtront, au premier abord, assez
stéréotypés (réciprocités du dialogue,
intentions : ce qu'ils savent des "interviewers", anthropologues et autres et
de leurs attentes, selon l'image qu'ils veulent laisser d'eux)
Il m'a semblé légitime d'accorder une place
importante aux récits dits de vie, de laisser part au témoignage,
à l'expression de la mémoire, à la façon de se
dire... Il faudra déceler sous les mots ce qui s'y cachent
réellement...
Il manque une infinité de renseignements, sur leurs
familles, sur eux-mêmes. Il faudrait pouvoir passer des heures e des
heures sur une période assez longue, pour non seulement
créer une plus grande confiance, mais aussi déverrouiller
certaines portes de la mémoire... Tautologique, peut-être. La
rencontre est toujours celle d'un instant partagé, qui construit une
relation lorsque les occasions se multiplient... Elle est une confiance qui
s'acquiert sur la durée. Mais les gens des Andes sont
particulièrement doués pour s'exprimer de façon
imagée, ou en périphrase... Sans jamais nous contredire,
les gens s'expriment parfois par des acquiescements intempestifs -- ou
incohérents (pour nous, extérieurs, exaspérés par
l'éternel paradoxe des choses 1) Ils semblent garder en eux
tout un univers, livrant à l'étranger ce qui pourrait le
satisfaire, ou lui faire plaisir. Naturellement, les gens choisissent de
montrer le visage qu'ils veulent se donner ! Tant de dimensions que les
mots seuls ne permettent pas de comprendre, tant de gestes qui paraissent
insignifiants, et pourtant. Comprendre à travers les non-dits,
les expressions imagées, les allégories et les gestes excessifs
le message qu'ils veulent nous transmettre est un challenge. Mais aussi
le contraire, décrypter dans la banalité.
Après plusieurs conversations, le vernis posé
sur le lieu d'origine commence à se s'estomper et révèle
d'autres difficultés. Ils se livrent plus sincèrement en montrant
les difficultés de « là- bas » et leur mieux-être
d'aujourd'hui. Le présent ne doit-il pas triompher ?
Témoignages...
« Chaque maison, c'est tout une histoire... »
Isabel
Trois générations, ou quatre. Quatre femmes.
Quatre moments d'arrivée bien distincts...Cirila, la plus
âgée, arrivée aux débuts de la
communauté campesina, Genobeba dans
les années 90, Milagro en 97 et Meche, toute jeunette, à peine
arrivée, et directement installée à la Vizcachera... !
".; +1,1"; \:1Yen.r-i''.'`'
fCli!'
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cxup,n
Chez Cirila et Marcelino--des « antiguos »
ou des andahuaylinos...
Depuis 90 et 83...à la Vizcachera
Chaque fois je m'y rendais, je cherchais des yeux du haut de
la cour de la présence de Cirila. Sinon, les chiens -le leur ou les
pensionnaires diurnes de leurs enfants, se jetaient sur cette
étrangère qui mettait le pied dans le territoire à
garder...
La cour était souvent encombrée d'une ou deux
"combis", lorsqu'elles étaient revenues de leur folle
épopée à travers la ville, ou qu'elles étaient en
panne... Etre propriétaire d'une cote/ n'est pas très
lucratif ; ce sont de vétustes camionnettes à réparer
constamment. Et surtout parce que les gains se répartissent à.
l'informel entre le chofer et le cobrador...Et, de
cette course effrénée, aux passagers que reste-t-il ? Avec cette
conduite qui a consommé son trop plein d'essence et a usé le
moteur jusqu'à ce que panne s'en suive...
Les premières fois, il y avait des lapins, des cochons
d'inde, des poulets...déjà dévorés ? Vendus ? Le
deuxième cas est le plus courant. C'est un peu comme dans la Sierra ou
le bétail représente un certain capital, et n'est mangé
qu'en de rares occasions...
Quand elle me voyait arriver, elle installait presque
mécaniquement une chaise sur le devant de la maison et nous nous
asseyions côte à côte scrutant évasivement la cour et
le cerro d'en face... Refaisant la vie et ses histoires. Et Cirila de
continuer ses activités : tricoter, ou bercer le bébé dans
la manta7°...
Marcelino travaillait dans la construction, il sait à peu
près tout faire. Mais sa santé ne lui permet plus de travailler
autant.
« J'ai appris moi-même la construction. Avant
je travaillais à la chacra, mais c 'était trop mal payé,
ça servait tout juste à manger. Alors je me suis mis à
aller ci et là pour faire autre chose ...et peu à peu, j'ai su
tout faire, les gars me gardaient avec eux
(.)
Parfois, il se joignait à nous, parfois il continuait
ses activités... Inopinément, il s'embarquait dans des
récits liés à la Sierra...I1 parlait avec un accent
très "serrano" et en quechua avec sa femme.
"Pendant la semaine sainte dans la Sierra [on est peu de
temps avant la semaine sainte], il y a cette danse où on fouette la
jambe, et ils le font vraiment ! Une fois, deux
7° Tissu, en général très
coloré dans lequel les femmes dans les Andes mettent des affaires ou
portent leur bébé ou les deux sur le dos. Les hommes aussi l'y
utilisent pour porter des affaires... A la Vizeachera, nombreuses sont celles
qui l'utilisent encore pour porter leur enfant.
H
fois et plus fort la troisième fois...C'est la
tradition qu'on avait...maintenant, ça a changé [ici ou
là-bas ?]...
j "Une fois quand je suis allée, les gens se
demandaient ce que je faisais là... alors ils
interrogent : "tu es le fils de qui ?" et tu lui dit "tal
fulano" (un tel...) et c'est bon tu es reconnu, on sait qui tu es..."
"Quand on y retourne pour un negocio, les gens invitent
à manger chez eux. Si tu
aimes c'est bien et sinon, on dit : "alti nomàs" et
ils ne te resservent pas. Si ce n'est 1111 pas bon, tu demandes à
mettre ce qui reste dans un sachet pour manger plus tard et tu
le donnes au chien..." Et de continuer sur les plats de
là-bas : la menestra, etc.etc.
Parfois Moises, leur fils, passait par là et profitait
de la présence d'une étrangère ("spécialiste en
migration") pour parler de ses rêves d'émigration dans le Vieux
Monde : "et de là-bas, je
r.1 vous enverrai [de l'argent] ", en s'adressant
à ses parents...Il a appris à tout faire (tout ce qui tourne
autour de la construction) c'est son "art" dira-t-il. Chez lui, il a
installé son atelier.
Cirila était de celles (nombreuses, semble-t-il) qui ne
sortent jamais du quartier, ou presque... A partir de 15h, Cirila était
"en los chanchos" "dans les cochons" ( . Les nourrir chaque jour
n'était pas mince labeur. Il fallait déjà que Marceline
ait réussi à, récupérer (moyennant un Sol)
des restes sur le marché (feuilles de maïs...) ou dans un
restaurant. Et elle s'en allait dans la porcherie, enfant sur le dos, poussant
le chariot de nourriture. Quand l'argent venait à manquer, elle tuait
quelques cochons...
Parfois en passant le soir, ils m'invitaient à partager
un caldo de galline ou un café ; "c'est la pauvreté",
s'excusant toujours du peu qu'ils ont à offrir. Un jour, arrivant
pendant le déjeuner, j'ai été invitée à
goûter le plat tel qu'elle le préparait, bien que j'avais
déjà le ventre plein : c'était du poulet au
cacahuètes (adaptation du même plat préparé avec du
cochon d'inde dans la Sierra). "Juste pour goûter la sauce !"
Mais comment ne pas le servir avec ses pommes de terres et sa
plâtrée de riz ?! En acceptant, je l'honorais certainement, et je
mangeais fort probablement sa part de viande...
L Mis à part le petit dernier de ses six enfants, les
autres avaient quitté le foyer parental. Installés dans la
"maisonnette" de la cour (qui était la leur avant qu'ils ne construisent
de l'autre côté de la petite cour), partis dans l'autre partie du
terrain72, ou encore de l'autre côté
L de la rue sur la pente et sur le cerro opposé,
à au moins trois minutes à pied ! Aucun n'a quitté la
Vizcachera.
Et elle me parlait des aléas du quotidien, comme la
rareté et le manque d'argent pour nourrir tout le monde chaque jour
--son dernier enfant, le premier fils de sa fille (du même âge) qui
vit avec elle car elle l'a toujours élevé, sa nièce que
son frère qui vit dans la Selva lui a envoyé (elle m'a
beaucoup parlé de lui et de sa difficile situation là-bas), le
petit dernier de sa fille, dont elle avait la garde toute la journée
alors que sa fille s'en allait laver du linge à l'autre bout de la ville
pour pouvoir acheter le lait quotidien... Ou quand vint cette rude
période
LIqu'est la reprise du collège et l'achat du
matériel scolaire... Ou des chanchos qu'il va falloir
nourrir... Et des uns et des autres...Et du padre (qui les faisait
souvent travailler), et de la hernzanita...
71 Bouillon de poule (avec des morceaux de poules, des
pâtes, pommes de terre) dans laquelle on ajoute oignons, piments et oeuf
dur.
72 En tant qu'anciens habitants, ils jouissent de plus
grands terrains, et de plusieurs lots, pour leurs enfants
Mais toujours et encore, de ce problème de terres,
redondant et intriqué mais captivant, en ce qu'il liait des gens et les
obligeait à prendre parti. De cet achat incongru des terres de
la Vizcachera, à propos duquel je n'ai rien saisi la
première fois qu'elle l'a évoqué, dès le premier
jour...C'était quelque chose qui était venu briser une
unité, une cohésion qui aurait existé, dans un avant,
avant cet événement... De ces gens qui leur font pression, de
cette lutte de la communauté. De ces nous et ces autres, ceux qui sont
"contre nous", les traîtres...
--> Cirila n'a jamais cessé de me parler de ses
préoccupations et de m'en tenir avisée. Il m'était
pourtant difficile de comprendre ses soucis, lorsqu'au début elle me
parlait de "ceux qui ont acheté", "eux", "l'association", "nous",
etc.
"Avant c'était mieux"
« Quand je travaillais à la
parada73 , avec les pommes de terre, je laissais les enfants seuls
ici, avec k repas prêt... Ils payaient pas cher, mais je repartais avec
un sac entier de fèves pour quelques soles ...J'avais une amie qui
vendait là-bas...Maintenant, il n'y pas d'argent »...
Et du là-bas... quelques
évocations parfois vernies ; et par bribes, des passages,
décousus, puis relus et revus... Tout un parcours qui oscille dans les
moments du passé, sans ligne chronologique et ce, jusqu'à
réveiller l'enfance...
J'en ferai une chronologie, mais telle qu'elle se donne
à voir, de haut en bas, d'avant en arrière... Ah ! Occidentaux
qui voulons un parcours, un fil, qui cherchons toujours ce qui a
précédé et ce qui suit ! Tellement d'étapes,
d'espaces transitoires, de moments à cheval dans leurs vies que rien ne
se peut redire comme un temps linéaire avec son début, puis les
causes qui font passer d'une étape à l'autre.
Ils viennent de Andahuaylas, dans le
département d'Apurimac, de deux villages que l'on gagne par des routes
différentes. Certainement deux provinces voisines. Cirila évoque
avec effroi les routes dangereuses qu'il faut emprunter... "Es leeeejos"
(c'est loin !). Sa maman est toujours là-bas : "elle y a ses
terres". Mais ils n'y vont pas, parce qu'elle a peur. S'ils y sont
allés récemment, en janvier, c'est parce que son frère
lui avait laissé croire que sa maman était
malade -"et elle allait bien !" dit-elle avec ressentiment... Cela
faisait 35 ans qu'ils n'y étaient pas retournés.
Ce qu'elle en conte, ce sont les difficultés : la dépense (dont
ils subissent encore les conséquences -ils ont dû faire un
emprunt), la peur, les maux, de cette pluie qu'ils ont dû affronter
pour arriver au village, à pied...Puis il y a eu les
"terrucos"74, alors ils ont cherché le premier bus
pour retourner vers Andahuaylas et fuir ! Malades et encore plus
terrorisés, ils sont vite revenus de ce lointain périple.
Début janvier 2005, une abominable tuerie a eu lieu près
d'Andahuaylas, perpétrée par les
ethnocacéristes75. Comment revivre un tel drame (qui n'a
d'aucune manière été perpétré par le
même mouvement qu'autrefois), alors même que le souvenir est empli
de ces années de terreur qu'avait semé le Sentier Lumineux
73 La parada est le marché des marchés,
nous l'avons déjà explicité
74 Nom donné aux terroristes à
l'époque du sentier Lumineux
75 Mouvement des ethnocacéristes dirigé
par le commandant Humala... En janvier ils ont pris d'assaut un commissariat
à Andahuaylas. C'est un mouvement armé qui veut la
démission du président, que le quechua devienne la langue
officielle, ultranationaliste... (Ethnocacéristes : de Avelino Caceres,
il a été un héros de la guerre du Pacifique contre le
Chili, dans les Andes centrales, il parlait quechua mais sa famille
était des descendants d'Espagnols...)
Arrivant à la Vizcachera en 1983,
c'était le désert, plein de cactus, il n'y avait
personne ou presque...Quelques-uns qui vivaient non loin des chanchos
desquels ils s'occupaient. C'est pour cette raison que Marceline est venu.
"Et on a organisé les gens qui ont continué à arriver
Bien que s:v rendant tous les jours, Cirila est restée vivre dans
leur maison de la Victoria. Ce qu'elle évoque de ce lieu, c'est le
souvenir de la délinquance (c'est un des quartiers les plus mal
réputés, à raison...). Elle ne laissait pas les enfants
sortir dans la rue ; se souvenant d'une parente : "elle traîne dans
la rue, tourne mal et il lui sort un gros ventre ..." Oui, la Vizcachera,
"es mas tranquilo" . En 1990, ils ont vendu leur maison del Pino
(le cerro de la Victoria). "Au début, c'était une
"chosa" (cabane), et peu à peu, on l'a
améliorée". C'est à cette époque qu'elle a appris
à vendre des patates, en travaillant à La Parada. Puis
elle vendait des chicharrones : "tout le monde me connaissait...et
venait...puis j'ai arrêté car ça m 'écoeurait ...j
'étais enceinte ..." En comparant Lima et la Selva (où, s'il
n'y a pas de café, il n'y a rien !) elle constate qu'ici, on peut
toujours trouver quelque chose à faire, quelque chose à vendre :
"vendre des Salchipapas" . Avant, quand son mari n'avait pas de
travail, elle envoyait ses enfants. Quand ils étaient petits, elle
partait très tôt et allait se proposer à La Parada.
Et de laisser ses petits, à côté d'elle dans la
planta. C'est qu'à Lima, "s'il n'y a pas d'argent : il n'y a
rien f "
La famille... Cirila a deux frères
dans la Selva et un à Trujillo (au nord de Lima). Elle parle beaucoup de
la situation de son frère dont elle accueille la fille : "parfois,
il n'a rien à manger, parce qu'il ne cultive que le café et les
années où ça ne donne pas, il n'y a rien d'autre (pas
d'autres alternatives)"
Marceline a beaucoup de famille ici aussi, mais dans des
quartiers éloignés, avec qui il ne semble plus tellement
entretenir de rapport. Il m'explique un jour qu'il n'aime pas boire... et eux,
c'est ce qu'ils font !
Cirila est arrivée à Lima de la Selva.
Elle était partie y travailler avec son frère. C'est
là-bas qu'elle a rencontré Marceline (qui, soit dit en passant,
est de "son coin". C'est que beaucoup de gens de là-bas devaient s'y
rendre en se "passant l'info"). Elle explique qu'ils sont venus
à la recherche de meilleurs services de santé, étant sur
le point d'accoucher. Ils sont ensuite repartis deux ans dans la Selva et, de
nouveau, Lima.
"Tous les deux on travaillait à la récolte.
Le travail était dur ...J'ai ensuite fait la cuisine pour les
travailleurs. A 4h du matin, il fallait préparait leur petit
déjeuner, puis le déjeuner ...En plus, on mange autrement. Il
fallait faire du manioc, des bananes plantains ...etc. "
"Chez nous, il y avait le danger des terroristes, ils
tuaient...C'était plus sûr de partir. On disait qu'il y avait du
travail dans la Selva. Et maintenant qu'on est retourné là-bas
[dans la Sierra], on est vite reparti ...on est tous revenus malades, on
n'avait pas assez de vêtements. Le chemin, c'est une quebrada (pas loin
du précipice...). C'est pour ça que je ne retournais pas,
ça me faisait peur ..."
Et derechef, elle raconte l'épisode douloureux de leur
seul retour...
"Je n'ai pas été beaucoup à
l'école : juste un an... Parce que mon père est mort quand
j'avais 8 ans. J'ai dû partir travailler à Huancayo. Je
travaillais dur. Elle [la maîtresse de la maison dans laquelle elle
travaillait] me faisait tout faire, laver, cuisiner, sans cesse ... Puis, je
suis allée chez une autre...je devais garder les enfants.. finalement
elle me faisait tout faire ...Alors je suis repartie au pueblo, mais je ne me
suis plus habituée ...et la pluie ...Et je suis repartie [ _]"
C'est seulement après bien des rencontres
qu'elle se mit à remonter dans l'enfance, ses départs pour
travailler, la fuite du terrorisme... Je lui ai posé une question
peut-être sur son parcours vers la Selva (dont on avait
déjà parlé) et c'est là qu'elle s'est
embarquée dans des récits lointains et ininterrompus,
enchaînant les moments de cette époque de sa vie...Une vie dure,
à travailler comme une forcenée et exploitée dès le
plus jeune âge, et des années de vie dans la peur et la terreur de
la présence de Sentier Lumineux et des atrocités commises sous
leurs yeux...
Et toujours, les projets. Autant de
projections qui paraissent saugrenues et qui pourtant parfois voient le
jour...Ils veulent finir la construction de la maison. Et prolonger devant, sur
la rue, pour "poney un negocio" (ouvrir un commerce). "Puisque
nous avons un camion, on pourrait rapporter des légumes et les vendre 1"
Qui sait quels projets font partie de leur esprit de projection et
lesquels seront menés demain ! Et elle conclut : "mais on n'a pas
d'argent pour construire .. "
La réelle raison de leur venue à Lima demeure non
exprimée. Le travail, diraient-ils. Leurs liens quelque peu rompus,
cachés derrière un passé accidenté et des
vécus faisant leur route. La nouvelle génération n'est pas
sortie de la communauté (tous leurs enfants se sont
installés à la Vizcachera)... mais déjà plane une
envie d'aller chercher ailleurs ce qui ici ne se trouve pas. Ce en quoi ici on
ne croit plus... Le partir... I' ailleurs qui se fait européen...
Lors de notre première rencontre, ils ont beaucoup
parlé de la communauté, un peu comme des «
vétérans » avec leur ton de fierté, de ce qu'ils ont
ici construits, de la défense qu'ils ont toujours menée contre
les envahisseurs... Elle semble déconcertée devant les conflits
qui existent ici, et dont déjà ils me font part, malgré
l'allusion à une unité, une solidarité. Double discours ?
Et, encore, cette comparaison entre "ici" et "là-bas", entre maintenant
et avant...La nourriture et son abondance dans la Sierra sont des thèmes
récurrents chez tous, qui s'expriment en de longues tirades
alimentaires... Et de parler de ces traditions, ces fêtes, ces coutumes,
même si « ça a changé, ça n'est plus comme
avant ». Idéalisation ? Du reste, Cirila laisse plus ou moins
transparaître qu'ils ont l'habitude d'y retourner. La réelle
coupure ne se dévoile pas encore... Et pourtant, on comprend finalement
que, bien qu'ils y soient allés dernièrement, cela faisait plus
de trente ans qu'ils ne s'y étaient pas rendu...Trente
années...
La pauvreté...et le constant manque
d'argent aussi...Mais cette certitude qu'à Lima, on peut toujours
trouver quelque chose, qu'il y a du travail...et cet engrenage
: « s'il n'y a pas d'argent, il n'y a rien...
»
Que faisaient-il là-bas ? Apparemment sa mère
avait des terres... et son mari ? Est-ce que toute la famille serait partie de
près ou de loin en raison du terrorisme, ou parce que la situation
générale de la famille était critique (père
décédé, peu de terres...) ou est-ce le hasard qui les a
amené jusqu'à Lima ? Je ne pense pas, même si elle
prétend être venue pour la maternité. Mais pourquoi ce
choix de venir accoucher à Lima ? Peut-être le fait d'être
venue une fois...
Li
Genobeba...seule dans la montée...
La Vizcachera en 1993
Zigzag. Le fil de son histoire changera au fil des rencontres,
peut-être justement parce qu'elle ne laisse pas transparaître de
fil... Au lieu de retracer l'histoire dans un ordre plausible, j'exposerai ses
propres récits au fil de ce qu'elle m'a peu à peu
révélé, pour mieux voir l'évolution de ses
propos.
1/
Elle est plus timide que les autres, devance moins le
dialogue, paraît plus distante et discrète...plus pudique
peut-être. La première fois que je la rencontre, chez elle, son
mari est présent, et sa vision permet de réaliser le rôle
de la situation familiale (sur le phénomène de migration). Bien
sûr le ton du discours en est conditionné par cette conversation
à plusieurs... Si le mari est présent, c'est qu'il n'a pas de
travail, ou que comme beaucoup, il n'a que des «
cachuelos76 », c'est-à-dire du travail occasionnel,
mal payé. Ils habitent dans « la montée » de la
Vizcachera, longue rue qui démarre de la pampa et s'enfonce
entre les cerros... Sa maison est encore faite d'
esteras77 , matériau de la première étape
de construction d'une maison. Quelques cartons et plastiques viennent
consolider les parois ci et là. Néanmoins, la taille, en
plusieurs pièces, montre déjà un certain avancement de
leur maison et l'aplanissement du terrain, un fastidieux et rude travail. Dans
la cour, où nous nous asseyons (j'ai le droit à une manta
pour couvrir le banc...et m'asseoir !) : un tas de briques, que les gens,
lorsqu'ils arrivent à juntar plata (réunir de l'argent)
commencent à stocker, peu à peu, en vue d'obtenir la
quantité pour levantar ("lever") au moins quelques murs, en
« matériel noble ». C'est ce qui montre une certaine
pérennisation de l'habitat... Pourtant, ils expriment, lors de la
première discussion, leur désir d'éventuel retour, presque
convaincant...
Genobeba travaille à la cuisine du
Wawawasi78 tous les matins. Lui est maçon quand il y
a du travail, et qu'on lui « passe l'info », mais c'est
difficile parce que : «parfois il n'y a rien ». Ils ont
arrêté les études au cours du primaire. Tous les deux
âgés de quarante ans, ils ont trois enfants ; l'aîné
s'est installé en face avec sa conjointe (il a
arrêté le secondaire en « primario »
parce qu'il ne voulait plus étudier) et les deux filles sont encore
« en son pouvoir », elles n'ont que treize et quatre ans.
Ils viennent du département d'Apurimac,
province d'Andahuaylas ; Genobeba du district de San Jerônimo,
son mari de Talavera.
« Je suis venue à Lima parce que ma
mère venait, je ne pouvais pas me séparer d'elle. Je suis venue
avec mon frère. Tous mes frères et soeurs sont ici. Je suis
d'abord allée chez ma soeur à «El Agustino » fun des
premiers districts formés par les invasions, maintenant
consolidé], mais on avait juste une petite chambre pour nous
quatre. »
« On vient d'une autre province, ça nous manque,
c'était mieux là-bas... on pense y retourner (elle parle
même de la possibilité d'y ouvrir un magasin...1 [le mari
insiste.. j. Ici,
Argot péruvien pour le travail occasionnel.
précaire. De là. le verbe cachuelear » : vaquer de
travail en
travail (souvent dans la construction), lorsque l'on entend
parler de quelque chose...
7s Natte tressée en paille. chaque plaque
permettant l'élaboration d'une paroi.
Terme venant du quechua wawa enfant, WaSi : maison.
Organisation gouvernementale présente dans tous les quartiers pour
assurer une garde (et l'éducation) d'enfants chez des mères
cuidacloras. la nourriture
est préparé dans un comedor spécial et distribuée
dans les maisons.
maintenant, c'est définitif oui...Mais on voudrait
retourner dans la Sierra. Oui, on voyage là- bas, on est allé
avec les enfants en février... ».
Le mari : « Toute ma famille est encore
là-bas, mes frères, mes oncles, mes parents.. »
A notre première rencontre, ils laissent
transparaître un semblant d'idéalisation de leur terre
d'origine... A la rencontre suivante, Genobeba oscille entre deux discours,
celui où elle déclare s'être « acostumbrado »
("habituée", ce qui exprime une certaine distance par rapport au
lieu d'origine, et une accoutumance dans l'être ici), et l'autre, du
vivre dans la nostalgie et le désir de retour. Elle semble contente de
me voir revenir. Nous commençons par parler du présent et
remontons au fur et à mesure dans le passé, proche, puis, plus
lointain, celui des origines, souvent un peu flou...
IIl
Nous nous connaissons tous ici à la Vizcachera.
« Parce que nous faisons des réunions avec la
communauté. Et aussi grâce au comedor j'allais y chercher la
nourriture et peu à peu on se connaît. Et aussi au Faso de
Leche7 9. Et puis, nous travaillons ensemble quand il y a des
faenas80 (travail collectip de la communauté. Par exemple,
quand on a fait le nettoyage du quartier des rues, ou les travaux pour le tank
d'eau...
« Ça ne fait que dix ans qu'on a la
lumière. Avant non, on s'éclairait avec des bougies pour tout. Il
n'y avait personne dans la rue le soir, parce que tout était
obscur...
« On a acheté à la Vizcachera,
ça fait douze ans, depuis 1993. On est venu s'installer
quand on était marié. Quand j'étais encore
célibataire, je venais tout le temps ici, en visite, environ une fois
par mois.
C'est mon frère qui m'a dit de venir pour
travailler. « Alors on est venu, et on s'est mis à laver et peler
de l'ail. D'ailleurs on a continué ici aussi. On habitait à El
Agnelli° pendant un an et demi chez mon frère.
C'est un vecino81 qui nous a
ramené ici à la Vizcachera, en nous disant
qu'il vendait des terrains. Parce que « no es como casa propice
» (ce n'est pas comme d'avoir une maison à soi -qu'on ne
loue ou « squatte » pas). A l'époque, le terrain coûtait
dix sacs de ciments. On a dû tout aplatir, c'était du cerro, il y
avait des cactus...Il n'y avait pas de chemin pour que l'aguatero82
puisse passer : on devait aller en bas chercher de l'eau. Mais comme il y a eu
de plus en plus de monde ils ouvrir un passage ("abrir camino"). Il n)' avait
pas de lumière (elle en avait dans son village des Andes!). Alors on a
dû collecter pour avoir leur propre lumière ("la luz propice) avec
un conteur, par une convention de trois ans. Ça a vraiment changé
[l'environnement, la vie]. Je ne connaissais personne, je
restais seule. Je ne sortais pas de chez moi. Mais peu à peu par
exemple, un véhicule apportait du lait, et' quand il en
7q
« Verre de lait ». Autre organisation de base,
financée par l'Etat où les femmes travaillent par roulement, et
bénéficient en échange de lait pour leurs enfants,
qu'elles viennent chercher en fin d'après-midi.
8() La faena : travail conununautaire que l'on fait
pour quelque chose qui profitera à la collectivité, on n'est pas
rayé pour le faire.
`1 Trecino (voisin) fait partie des
personnes "types qui "donne l'indic."(pasa la vol). entre una amigua. un
fi7milrar, .. etc.
S'_ est la personne qui, avec son camion, vient distribuer l'eau
de maison en maison, dans les
nombreux quartiers où elle est inexistante. Cette eau
est plus contaminée et revient près de 10 fois plus chère
que l'eau courante des quartiers qui en sont pourvus. De surcroît. ses
venues sont irrégulières, il peut passer plusieurs fois dans une
même journée connue omettre de passer. Les gens doivent donc avoir
une gestion méticuleuse de leur eau. D'autant plus que c'est un
réel coût et que le
linge. si souvent lavé fait vite
baisser les barils
restait, il l'offrait. Et puis, on m'a invitée
à manger un menu à 1.50 S/ au comedor. Peu à peu, j'ai
connu les gens...
« Au comedor, c'est moins cher. Mais à la
maison, c'est à ton goût, mais on dépense plus...
Aujourd'hui, j'ai fait de la cuisine de la
Sierra. «Je ne sais pas comment ça s'appelle,
mais on y met ci... et ça... et c'est de couleur rouge, parfois jaune.
Sinon, je fais des lentilles, ou de la "patita con marri" (patte --d'animal,
avec des cacahuètes)... »
Le thème de la nourriture, de la cuisine
est toujours un grand sujet de conversation...
Je lui demande à nouveau d'où vient chacun d'eux.
Elle me reconstitue leur arrivée, dont la version diffère quelque
peu de la première et sera affinée à nouveau à la
rencontre suivante...
« J'étais chez mon frère, et mon
mari travaillait avec/chez lui : c'est là-bas qu'on s'est
rencontré... »
Je comprends donc qu'elle n'est pas arrivée ici avec
son époux, mais qu'elle l'a rencontrée parce qu'il travaillait
chez son frère, et elle aussi. Celui-ci vient de la même
région qu'eux, ce n'est pas le plus grand des hasards qui a dû le
faire arriver en ces lieux de paisanos83
Là-bas...
Nous abordons ainsi le thème de la Sierra. Ils
(avec ses deux derniers enfants, mais pas son fils : « Il n'aime pas la
boue " ») y sont retournés cette année, en février,
après sept ans...
Ça a beaucoup changé. «
Tout est modifié. Avant on allait à pied Maintenant,
il y a de grands véhicules pour aller au pueblo qui est loin. Avant,
c'était des camionnettes, maintenant, on peut aller en taxi, en combi,
avant il n'y en avait pas... Et il y a des parce ...pour le commerce, c'est
mieux, maintenant, il y a beaucoup de gens. »
« De mi, tengo una sobrina. De mi esposo, son
bastantes? » « Ils vivent là-bas.
Ils cultivent du maïs, papa, habas, frigo, cebada87 ... Et ils
ont des animaux : obejas, vacas, caballo, conejo, patos bastantes88
....et ils élèvent des chcmchos... On a vendu les chacras
(champs).
On les appelle par
téléphone...
«Mon époux dit que ça lui manque, qu'il
va y aller ...mais en fait, il n'y va pas. »
« Là-bas, au moins, l'air est pur, ici on est
toujours malade ... mais le problème là-bas, c'est que s'il y a
du travail, ils payent vraiment pas cher... "Là-bas c'est mieux". Dans
les cultures et les récoltes, il y a de tout. Il faut juste travailler
pour [acheter] le lait89, le sucre, le riz90
,
les vêtements...
" Se dit de quelqu'un qui vient de la même région
que soi. Que ce soit un village, un département ou un pays... Sil la
saison des
pluies. la terre devient boue et cause
certains inconvénients (routes peu/pas praticables_ marche plus
difficile...). A Lima. on Weil voit guère...
85 Se réfère-t-elle aux "places
d'armes- aussi appelées parque? On peut effectivement voir
une mode d'urbanisation et de "bétonisatioir des places de village,
marque d'un certain développement de la part des alcaldes
(maires) ?
· « De moi [de mon côté], j'ai [il y
al une nièce...De mon époux [du côté de mon
époux], ils sont nombreux... » s' Maïs, pomme de
terre, fèves, blé, orge...
gs Des moutons, des vaches, des chevaux, du lapin,
des canards beaucoup...
89 Le lait est bien plus souvent en boite,
concentré, que fraîchement sorti du pis de la vache I
»' Le sucre et le riz sont les deux produits fortement
consonunés qui ne proviennent pas de l'autoproduction. Lorsqu'ils
viennent à manquer, c'est signe d'une certaine carence...
Si j'y retourne (-ais) ?
« Je vais à Andalmaylas91 , la
ville. là-bas mon époux trouve du travail rapidement. Moi je
pourrais vendre à manger... des anticucho, des salchipapa92
... Je pourrais faire du négoce (commerce). »
« Il a pas mal de terrains, on pourrait les vendre pour
acheter un lot à la ville. »
« Avec l'héritage aussi ...Mes parents, leurs
terres, ils les ont répartis à leurs enfants : il vont semer
jusqu'au jour où ils mourront... la culture, c'est pour manger ! Moi,
chez moi, j'ai juste un petit potager..., je n'ai jamais semé, je ne
sais pas. »
Avant...
« J'avais un commerce de fromage et d'oeue . Et
à la lagune, j'achetais du perrejey (poisson) et je le revendais.
J'aimais bien. Puis, ma mère et mon frère ont vendu la maison
(lui, il était aide en construction, c'était dur de trouver du
travail...) et comme j'étais séparée de ma mère, je
suis venue moi aussi. »
Nous sommes dix frères et soeurs...
De ses dix frères, trois sont morts, un vit à Ica
et les autres sont tous à Lima (l'un est à Canto Grande,
trois autres sont à El Agustino).
Non, je ne vais pas les voir ...la dernière fois
que j'y suis allée, il a fallu attendre que tout le monde arrive pour
servir... (pour Noël...). » Eux se
réunissent pour leurs anniversaires...Celui qui habite ici (qui
est parti en bas parce qu'il n'aimait pas être sur le cerro, a
déjà une maison construite dont il loue des chambres...) n'y va
pas non plus.
Mon mari a quelques oncles vers La Molina-94.
Mais lui n'y va pas, parce qu'ils s'y croient, ils le traitent avec
dédain... »
A propos des coutumes...« Les
paisanos95 ...ils ne fêtent plus... Et ici à la
Vizcachera non plus ...Si, ça nous manque ...aux fêtes
organisées, on ne va plus parce que ça coûte, ça
fait dépenser. Et il y a pas mal de gens, c'est difficile avec les
enfants. Mais on a été avec une de nos petites filles... Ceux de
Andahuaylas se réunissent comme ça »
« On ne peut compter que sur soi-même .1 Il y a
ma voisine, qui est de Lima, de Campoy, sa maman est de Cerro de Pasco, et une
autre, de Cusco, elles me donnent des conseils...»
Dans le quartier ?
« Certains s'y croient, parce qu'ils ont plus d'argent.
Plus ceux du nord ....ils sont entre « nortenos » (gens du
nord)
Et toi, tu es du centre, du sud ? « Ç'a je ne
sais pas... »
Je ne parle pas quechua avec mes enfants.
« Ils nous demandent ce qu'on dit parce qu'ils ne comprennent
pas ».
Entre eux, ça arrive qu'ils parlent quechua, mais peu
apparemment...
Genobeba affirme qu'elle ne pense pas retourner dans
la Sierra mais exprime ce qu'elle y ferait si elle y retournait...D'ailleurs,
si je la réinterroge à ce sujet, c'est en raison de cette
ambivalence du désir de retour. Elle répond cette fois-ci par le
dénie en disant :
Andahuaylas est le nom d'une province du département
d'Apurimac. et aussi de la ville principale.
92 Coeurs en brochette et pointues frites...
93 Ce qui peut tout à fait vouloir dire
qu'elle les vendait à un coin de nie dans un petit panier... '' Un des
districts de Lima les plus résidentiels et exclusifs...
95.gens de son « pays »
r « Je ne crois pas que mes enfants s'y habitueraient
; le climat, les rayons... etc. Mcifille me dit
que c'est joli, l'eau, les arbres, les champs, qu'elle aime
les animaux, les chevaux, les vaches ; que la viande est meilleure... Mais ce
ne serait plus pour y vivre... »
Comme beaucoup, Genobeba a suivi les autres membres
de sa famille à Lima et c'est par eux qu'elle y a été
intégrée, même si les liens aujourd'hui paraissent assez
rompus parce qu'elle n'a pas grandi avec eux, étant donné qu'ils
avaient déjà migré à Lima. Comme elle n'a plus
personne là-bas, elle a beaucoup moins de raisons de vouloir y retourner
que son mari qui y a laissé tous ses proches. Pourtant, même s'il
exprime un manque, il semble avoir pris une distance qui
déjà, marque la séparation et la faible
probabilité du retour.
111/
La troisième fois, Genobeba m'accueille encore chez
elle, dans sa petite cour, sur le banc le long du mur, couvert d'une manta
à cet endroit où elle m'invite à m'asseoir. Ce n'est
pas du linge mais des plastiques qui sont pendus au fil. Qui ne participe pas
du recyclage... La petite dernière est toujours là, à se
rouler partout et touche à tout ce qu'elle peut... ! La dernière
fois que je suis venue, c'est avec sa fille Leila, que j'ai discuté;
comme elle m'a raconté tout ses activités avec l'église
"chrétienne" [évangélique] et que j'ai même pu aller
l'y voir répéter le spectacle de danse pour la
fête des mères, j'en profite pour le lui commenter...C'est ainsi
que s'ouvre le thème religieux....
- Avant j'étais bien catholique.
«Mon fils a été baptisé là-bas.
Ici j'allais à la capilla quand elle était en esteras, que
c'était une grande pampa. Quand il y avait des faenas aussi j'allais.
Mais si, encore maintenant je collabore quand il y a une
anticuchada96. Ils nous regardent de travers, parce que
nous n'adorons pas les images97. Quand on fait une
fête, ils viennent tous. On donne à manger à tout
le monde de n'importe quelle religion. Mais au contraire les
évangéliques ne vont pas aux catholiques. Parce qu'ils disent
qu'ils viennent juste pour manger. »
Les différences... « On
n'adore pas les images, ni Santa Rosa98. Pendant la semaine sainte,
on ne fait que le vendredi saint. On fête Noël et le Nouvel An mais
pas avec le Nii1o99. On n'utilise pas la croix comme arme pour
Jésus. »
« On boit de la gaseosa, et même de la chicha
de jorraice il Mais ils [en parlant de (y nous
» les évangéliques] ne veulent pas boire (d'alcool). Pas du
tout d'alcool. Nous, avant, on buvait beaucoup. Surtout dans la construction :
mon mari, quand il allait techarle , il revenait ivre Il
dépensait tout l'argent...Maintenant il ne boit plus. Ils l'appellent
« hermano ». H y a des
96 On y vend des anticuchos (coeurs en
brochette grillés). dans le cadre d'une « activité ».
On fait une activité lorsque l'on organise une vente de nourriture
cuisinée agrémentée d'une ambiance festive voire
dansante.,. Ce peut être aussi une pollada : vente de poulet. ou
une chicharrouada : vente de chicharrones, morceaux de porcs
frits dans leur propre graisse. Cette dernière est souvent
organisée à la Vizcachera compte tenu du nombre de porcs qui y
sont élevés.... ou encore picaronada (picaro)? : beignet
sucré) etc....
L'adoration des images est une pratique très importante
chez les catholiques, d'autant plus chez les gens de la Sierra pour
qui l'image de leur pueblo a même un certain pouvoir
98 Sainte patronne de Lima
99 Le enfant Jésus, est une figure
adorée par les chrétiens.
100 La chicha de jarra est une boisson
andine préparée à base de maïs fermenté.
lu' Techar : faire le toit. est un moment
fondamental (symboliquement aussi) dans la construction d'une maison, La
rechcula peut se faire quand une somme d'argent suffisante --pour
acheter le matériel et surtout la boisson pour la fête, est
réunie. Elle nécessite beaucoup de main d'oeuvre, aussi nombre de
connaissances sont appelées à y participer et y festoyer...
évangéliques qui ne peuvent pas dominer leur
corps. Quand il y a des faenas ou des repas, etc., ils se cachent pour boire
mais reviennent bourrés...
« Mon fils, il a peur d'y
aller (il a plus de péchés (1) ...Sa femme est de Ilueinuco. Il
est d'abord parti dans une chambre, en location, ici. Puis chez sa
belle-mère puis sa belle- soeur... » (il habite maintenant en
face...)
- De Lima à la Vizcachera
« Moi j'ai été six ans à El
Agustino, d'abord chez mon frère, mais on ne s'entendait plus, alors on
a loué une chambre. Quand j'étais célibataire, je venais
deux ou trois mois chez mes soeurs. L'aîné a ramené mon
frère puis il est resté chez sa belle-mère. Il est revenu
deux ans après. Moi j'étais déjà mariée,
avec deux enfants. J'ai donc loué une chambre chez la belle- mère
de mon frère. »
« Le fils de la voisine a un terrain à la
Vizcachera, c'est lui qui nous a dit...Mon mari et mon frère sont
allés voir le "dirigeant" [de la Vizcachera]. Il y avait du terrain ici
et aussi plus bas. Il leur a dit de revenir le lendemain parce qu'il y a
beaucoup de gens qui cherchent. Alors je suis revenue avec toutes mes affaires
et quatre esteras sur le terrain qu'il nous laissait pour 1500 S/... Le
dirigeant vivait à Caja de Agua [à l'entrée du district de
San Juan de Luriganchoj. »
« Es fea vivir en casa aiena »
« C'est dur de vivre dans une maison qui
n'est pas la sienne. Je ne pouvais pas faire marcher le bébé, je
ne pouvais pas étendre mon linge, je ne pouvais pas.... Ça y est,
j'en avais marre de vivre comme ça. J'ai dit : ou que ce soit
je vais m'habituer. Quand je suis arrivée ici, je me suis sentie
heureuse. J'ai respiré... »
Au début, « ma petite pleurait
parce que c'était obscure...La nuit, on ne pouvait pas marcher
...
« Mon frère, trois ans après, est venu
s'installer vraiment, il a vendu le terrain du haut et a acheté en bas
et construit. II fait du negocio, il loue quatre chambres (2000 S/..il y a
beaucoup de gens qui demandent), il élève des cochons (loue le
terrain). Il a des connaissances à El Agustino qui lui mettent de
côté des restes de nourriture... Lui est catholique...
»
Ici, on est indépendant. «
C'est plus tranquille ....Oui, je me vois bien vivre ici... Mes
soeurs vivent toutes en maison construite (en dur) _elles me disent : 'pourquoi
nt vis comme une traînée ? Misérablement ? " Elles ne
viennent pas ici. Et moi non phis je n'y vais pas... »
- Des voyages de retour aux souvenirs
lointains
Quand on retourne au pueblo, « on
va chez ma belle-mère ou belle-soeur. Nos villages sont voisins comme
ici Campoy et la Vizcachera... C'est ici qu'on s'est connu avec mon mari, parce
qu'il travaillait avec mon .frère... A onze ans, j'ai
travaillé chez un professeur de son village... Son mari avait connu son
frère là-bas et il voulait connaître Lima. »
« Nous on s'est marié à
l'église catholique. Après un an à Andahuaylas, on est
venu ici. Il ne m'a pas dit qu'il était
évangélique. Moi je n'y allais pas...puis j'ai été
attirée ...Avec Vilma [sa voisine, collègue de travail et amie],
j'allais à la chapelle ici. Maintenant, elle me critique ...
»
De mon village, la majorité s'en vont travailler
à la Selva, pour la récolte du café
(ville de La Merced).
Elle était avec sa mère. « Uji an
après, elle a vendu sa maison [là-bas!. Mes fières
retournent et louent des chambres quand ils y vont. Mon deuxième
frère a dit allait y acheter un terrain pour y vivre, parce que
là-bas c'est plus tranquille, il en a marre d'être ici. Il
est quand même retourné un an, en louant et il vendait des
légumes au marché. »
« Quand j'avais huit ans,
je suis partie pour travailler chez des gens (employée
de maison, en général...). Ma mère ne nous a jamais
éduqués. Elle n'a même pas franchi le seuil d'un
collège. Il y avait des gens qui eux éduquaient leurs enfants.
Nous, on nous a plutôt envoyé travailler chez des gens. Ma soeur,
elle, vendait des marcianos (bâtons glacés aux fruits, faits
maison). A huit ans elle est venue à Lima travailler avec une
dame1°2 de La Victoria, c'est un quartier de voleurs...
Ça a été un enfer, elle voulait partir. Elle était
venue en avion. »
Mon père est mort quand j'avais un an. «
On avait un champ, petit. Il vendait sur le marché. Quand
il venait à Lima, il n'aimait pas, il voulait revenir... »
u
« Par contre mon mari a ses
parents là-bas... ses frères se demandent comment on vit, parce
qu'ils savent que « allà, todo es plata » (là-bas
--Lima tout vaut du fric)... ils ont pas mal de champs...de ça ils
mangent __parfois ils travaillentue. Il a des cousins qui sont dans
la Selva. »
« Lui a plus envie d'y retourner que moi. Il y a des
meilleurs collèges qu'icile Il y a phis de disciplines. Mais
les enfants sont mal élevés : ils disent des gros mots, ils
viennent « todo locas » (leur cheveux tout fous)
« Mon neveu, quand il vient, raconte l'anniversaire
du collège là-bas, ils se déguisent tous,
de tous les endroits : Puna, Juliaca, Cusco... Ici, maintenant
c'est le perreo1°5 , « 11/lesa que mas aplauda (un des
tubes du moment) et toutes ces choses là... »
« Mon fils est retourné voir son père
deux jours il y a deux ans... il a dit que c'était moche, plein de boue
...I1 est revenu avec de la yuca, papa, pa1ta, limôn, guinda,
nispero...todo del pueblol »
- Retour à la Vizcachera...
Les Rondas vecinales...pour se protéger
?...
L
«... de Coincol°7 on dit. Aqjourd'hui
il y a un affrontement avec Coinco, ils se prennent des lotes vides
(désoccupés). Une nuit ils sont venus envahir avec leur esteras,
avec des bâtons...La sonnerie a sonné, tous ont été,
ils ont brûlé...C'était vers le collège...les petits
pleuraient ...Ils ont appris Coïnco ...Une autre fois, ça a
été avec des bombes... »
102 Serait-elle venue directement sur place chercher
une petite « serrana» pour travailler chez elle à
Lima '? C'est une pratique....
lin Rapport à la notion de travail : bien
que le travail apicole soit qualifié de très difficile et
fatiguant, il est souvent mis hors de la catégorie "travail"... On dit
souvent aussi que dans la Sierra, il n'y a pas de travail, qu'on ne travaille
pas...
104 En général les collèges sont
réputés pour être meilleurs à Lima que dans la
Sierra, c'est d'ailleurs une des raisons véhiculées de la
migration... Alors .?!
105 Style musical en plein boom au Pérou (sur
la Côte), venant de Porto Rico
106 Manioc, pomme de terre, avocat, citron, des
petites baies telles des cerises, et nispero (« nispero du Japon» :
petit, orange, assez acide, avec des petits pépins gélatineux
à l'intérieur), tout du village.
107 Entreprise qui a acheté l'ensemble des
terres de La Vizcachera pour la modique somme de 10 000 soles...
«Il veut nous faire payer en
dollars1°8 ...S 'ils ne paient pas, ils « délogent
»... C'est ce qu'il se passe à Campoy, en el Chivo (un des cerros
du quartier, le plus « réputé »), ils font du
délogernent... ils se battent pendant deux, trois jours. Ça
appartient à Huarochiri (la province), mais les gens de Campoy se
l'approprient. Les trafiquants de terrains font envahir et la police vient
aussi...
**
Je comprend finalement qu'elle doit avoir eu un autre mari,
c'est pour cette raison qu'elle dit qu'elle l'a rencontré ici chez son
frère et qu'elle est venue avec lui de là-bas... ! Et si son fils
va voir son père là-bas, alors que l'époux de Genobeba est
ici...c'est que c'est un autre ! Mais ça elle ne l'explicitera pas I Et
parle toujours d'un « espaso »... lequel ?! Elle dit
ça comme si c'était très cohérent...
Toute sa famille semble s'être rendue à Lima et
c'est elle qui a permis l'arrivée des uns et des autres...
Néanmoins, les signes de réussite semblent être
distincts... Genobeba serait dénigrée par ses soeurs en raisons
de son humble situation (ou a-t-elle honte ?). Mais elle sait quand même
pas mal de choses sur les uns et les autres, alors, elle doit probablement
être encore liée à eux... De la même manière,
son mari n'est plus en lien avec ses frères de La Molina, parce
qu'il se sent sûrement dédaigné, précisons que la
Molina est un des grands quartiers résidentiels de la ville... Il semble
même plus proche de sa famille qui est toujours dans la Sierra. Ils sont
nombreux et c'est en cela que le manque peut être plus fort : la
séparation d'avec les membres de sa famille ; il exprimera davantage ce
lien profond. L'endroit où se trouvent les gens proches de la famille
est très important pour tout un chacun. Ses liens à Lima ne
semblent pas très bons, ou pas de « son niveau »... Si la
famille semble primordiale dans la possibilité de venir, la position
occupée dans la société semble jouer un rôle dans
les rapports entre les membres de la famille... Famille et position
sociale sont les éléments clés dans un "confort"
migratoire...
Le fait d' « habiter sur le cerro » est souvent
perçu comme quelque chose de peu flatteur
Comme beaucoup, elle raconte son arrivée à La
Vizcachera, et exprime l'importance pour elle d'avoir une casa propia
et son besoin d'indépendance au regard des autres, et de sa
famille. A son tour, elle peut se réaliser.
Mais ce qui est pertinent dans mes rencontres avec Genobeba,
c'est surtout l'évolution du discours. On a
commencé avec cette incontournable idéalisation du lieu
d'origine, en montrant le manque qu'ils pouvaient éprouver... Certes, le
mari insistait plus..., il semblait plus lié, on sentait la
présence de sa famille "là-bas" (ils ont d'ailleurs plus de
terres...). Puis, nous nous sommes amusées (puisque cela s'est
révélé être des projections de choses que l'on
rêve sans vraiment désirer)...à évoquer ce que
serait le retour. Genobeba racontait ce qui serait possible, avec ce qu'elle
aimerait bien faire (vendre des terres, aller et acheter à ville, vendre
à manger...). Mais elle terminera par souligner le non-retour : de toute
façon, les enfants ne s'habitueraient pas... Elle parle de la
possibilité du retour, et même de son désir d'y retourner,
la première fois, puis vient à dire le contraire... Paradoxal ?
Peut-être pas. Peut- être qu'il est des lieux de la mémoire
où l'on s'autorise ce genre de rêveries...peut-être
a-t-
1°8 Dès que l'on parle de dollars,
ça veut dire que c'est une grande somme, dont on ne dispose
pas.
Li
elle été influencée au début par cc
drôle d'interlocuteur qu'elle avait en face d'elle, qui l'interrogeait
sur ses origines...
Entre temps, elle est venue glisser que « ça y
est », elle « s'était habitué »...
Ces mots riment souvent avec adaptation, ou bien avec
résignation...
Au bout d'un moment on arrive à remonter dans les
souvenirs plus lointains, ceux de l'enfance, et des conditions de vie
difficiles : un passé douloureux.
A propos du « là-bas »...
Certains diraient : « en mi tierra ». D'autre
: « alla » là-bas... Des « chez moi », pour
parler du lieu d'origine, on n'en entend guère...
Toujours cette vision, des gens de « là-bas
», tout comme celle de ces « venants de là-bas », de
cette Lima où « todo es plata » ... serait-ce parce
que dans la Sierra, l'argent n'intervient que peu dans le quotidien (juste pour
acheter quelques produits (non produits !) comme le sucre)? Ou parce que la
réussite en ville ne peut pas passer par autre chose ?!
Les fêtes elle dit que ce sont des choses qui ne se
fêtent plus... qu'elle n'y va pas, ça cofite...Y a-t-il vraiment
cette rupture d'avec cette partie de « idiosyncrasie » de la
communauté d'origine (c'est ainsi qu'ils le disent, pour se
référer aux codes de conduites et tempéraments culturels
de leur lieu d'origine... H), en raison d'une position
économique s'agit-il d'une (auto?) marginalisation
d'eux même, ou d'un réel coût (n'oublions pas la
réciprocité : il faut collaborer !).
En plus de leurs raisons plus ou moins clairement
énoncées, on pourrait penser qu'il s'agit d'une volonté de
coupure avec ses origines...Ou plutôt que la conversion
au pentecôtisme influence le détachement aux fêtes, qui sont
intrinsèquement liées aux plaisirs de l'alcool L'interdiction de
consommer ce type de breuvage est l'un des préceptes les plus stricts
des règles de conduite chez les protestants...
Dans le même ordre d'idée, on peut noter que les
gens qui se convertissent au protestantisme sont des "gente humildes"
ou "de pocos recursos" (gens humbles, gens avec peu de
ressources). Ainsi, ils deviennent "hermanos" (frère) et c'est
peut-être pour cela qu'ils cherchent aussi d'autres gens qui les
méprisent moins et cherchent davantage à les aider
Etrange, mais le terrain qui lui a été
donné se situait dans renfoncement des collines, loin des
premières maisons qui commencèrent à s'y
installer...aussi, ils étaient seuls, tout au fond !? Stratégie
de la Directiva de l'époque ? Aujourd'hui la partie vide qui la
reliait aux premières habitations est complètement habitée
et même les flancs qui la bordent. C'est la partie « latérale
», ou la « montée ». Un des espaces
désignés de la Vizcachera.
m a semble important de laisser ces commentaires sur le
quartier, sur le présent et le passe Cu confrontant les problèmes
d'intjourd'bui a cet du passé.. toujours enfle Viei" et
là-bas"
Milagro et la maison disparue !
Ayacucho, Hunacayo, Huancavelica, Lima, Huanuco...
Puis, la Vizcachera...1997
Les apparitions de nouvelles maisons à la Vizcachera sont
fulgurantes, on voit des trous dans la roche, et un jour, une maison
éclot... Mais, on assiste aussi à des disparitions...
Milagro habitait dans sa petite masure. Lorsqu'elle m'a
accueillie chez elle, nous sommes allées dans sa petite cour, à
gauche de la pièce d'habitation... «Et maintenant, où on
va converser ? », dit-elle en regardant le désordre de la
courette... Des morceaux un peu partout : du bois, des plastiques, des
ustensiles... Ici, c'est parfait.
Lorsque j'y retournai, à la recherche de sa cousine
Rosa, qui filait toujours et visitait souvent sa cousine, si je trouvais la
porte sans cadenas (pas de serrure, juste un cadenas pour l'accrocher à
la paroi), tin de ses deux fils m'ouvrait la porte. Ils faisaient là
leurs devoirs, trouvant un espace entre le lit superposé familial, et
toutes les affaires entassées dans cette petite demeure, qui ne laisse
pas entrer la lumière du jour... Peu d'espaces pour une famille ! La
cuisine ne se fait pas dans la maison, mais dans la cour, sur un petit feu de
bois... Cette manière de cuisiner, andine, est très habituelle
tant à la Vizcachera que dans les quartiers récents de Lima, peu
urbanisés. C'est d'ailleurs très pratique compte tenu de la
taille de leurs demeures et de leur organisation... Au comedor de la
Vizcachera : il en est ainsi ; des feux sont allumés tous les jours dans
la grande cour pour faire chauffer les grandes marmites...
Mais un jour, le séisme. La maison de Milagro
n'était plus qu'un tas de bois et de débris...et un gros rocher
qui pointait le nez, il devait être caché par la façade et
entrer complètement dans la maison...Milagro vivait presque à
même le rocher, laissant très peu d'espace pour l'habitat. Non,
elle n'était pas repartiel", ou simplement partie. Elle
était toujours là, mais demeurait chez sa voisine, qui
déjà avait construit une grande maison avec un deuxième
étagera. Milagro allait construire, elle aussi, sa maison...
Mais quand ? D'abord il fallait revendre le bois. Ensuite il faudrait trouver
le matériel... Etait-ce pour qu'enfin son « mari », gardien
dans un autre quartier, vienne s'installer avec elle ?...
Milagro ne travaille pas. Enfin si, elle va, quand vient son
tour, "travailler" au comedor, Sinon, elle s'occupe de ses enfants.
Mon parcours ? Une longue histoire.
Son époux n'est jamais là. Il est vigile d'un
stade de football. Il vit dans le kiosque, sur un matelas qu'il doit
retirer lorsque les gens du club sont là. C'est donc elle qui va lui
rendre visite. Et parfois, travailler, quand il faut vendre quelques produits
lors des matchs.
De mi tierra ?
Jurcamarca- Ayacucho «Je suis
partie de chez moi quand j'avais quatorze ans. Je n'ai pas terminé
d'étudier parce que j'avais peur du terrorisme. Ils avaient
emmené ma soeur [ils l'enlevèrent]. Je suis partie seule...
»
109 Cela arrive parfois : une masurette est
abandonnée... les gens sont repartis d'où ils venaient...
110 Le premier étage étant le
RDC
r-
« D'abord à Jaufal I ,
j'ai travaillé avec une prof qui était la femme
de mon oncle, pendant trois ans. Mais je suis revenue car je n'aimais
plus.._Mais il y avait toujours les terroristes. Alors je suis venue ici,
à Lima, pour travailler dans une maison [comme "empleadag pendant une
demi année. Puis je suis retournée pour visiter ma famille...
Dans la région de Huancavelica (voisine), j'avais des oncles, à
Lircai112 (ils travaillent dans la mine). C'est
là- bas que j'ai connu son père, de Jarbis [le papa de Jarbis,
son fils] Je ne suis pas restée là- bas parce que c'était
la chacra, je ne me suis pas habituée (« no me acostumbre »).
Mes parents aussi avaient de l'argent. Pour en avoir, ils en avaient des terres
! « Tiene terreno como canchal 13 ». Alors, on est parti
à Huancayo, chez un de mes frères, pendant trois-quatre ans.
Là-bas, tu es obligé de te dédier à la chacra, il
n'y a rien à faire. Alors on vendait sur le marché des
chupetesi14. Puis j'ai eu des problèmes avec son papa... je
suis restée toute seule. »
« Lima, j'y étais
la première fois à dix-huit ans, à Chosica [alentours de
Lima], chez des ondes. Puis le papa est venu. On est allée au Rimac
[quartier dont une partie est ancienne -- coloniale, et l'autre, des
premières invasions, sur le cerro], où on est resté sept
ans; dans une chambre, louée. Mais quand mon fils avait sept ans, j'ai
eu des problèmes avec le père, alors je me suis retirée,
je suis repartie à Huancayo, seule, pendant huit mois, chez l'un de mes
frères. »
Petit intermède dans le parcours, nous parlons des
souvenirs de « là-bas », parce qu'elle me dit qu'elle est
retournée l'année dernière, en
août, avec ses enfants, après treize ans.
« C'était pour voir mes frères.
Ça a bien changé. Il y a maintenant des véhicules qui
passent tous les jours. Avant : on allait à pied, comme ici ! Et le
bétail a été amélioré. Les vaches sont
meilleures, ils en font du fromage, des yaourts, qu'ils vendent à
Lima... »
«Mes frères ne veulent pas venir ici, ils
sont habitués à la chacra racostumbrados a la chacra'). Et c'est
sûr, ici, "todo es plata" (tout est argent), là-bas, tu as ta
nourriture. La seule chose : c'est les vêtements. Et l'huile, le sucre et
le riz... il manque ça aussi... »
Le retour. Parfois; l'idée me vient d'aller
là-bas...mais je pense à mes fils..., ils ne s 'habitueront pas
... »
La nourriture. «
Là-bas, on fait beaucoup la soupe de "nzoron", tous les jours, il
n'y a pas beaucoup de plat de résistance ... Cancha, mote ... tu dois
manger... (maïs) ! Ici, tu as des plats variés...Mon fils;
là-bas, il s'est pris d'affection pour les vaches...II voulait ramener
des chevaux, des canards... »
fis
u
Il ne va pas là-bas ? « Je vais l'envoyez
désormais; en vacances, à Ayacucho ... »
«Mes frères sont tous revenus là-bas,
ils étaient partis à Huancayo, mais maintenant sont revenus...
Ils me disent : "regresate aca I" (Rentre toi ici !! Reviens
I) ...Mais parfois, ce n'est pas bota d'être dans la famille ...ils te
retirent des terrains... »
« Ici, du travail, pour en avoir, il y en a...mais avec
les enfants, je ne peux pas... Préparer à manger, faire les
devoirs... »
111 Pour info : Jauja a été la
première capitale du Pérou. Elle se trouve dans le
département de Junin /Huancayo, à 6h de Lima.
112 Capitale d'une des provinces, qui a subi une croissance
remarquable, en raison notamment des déplacés du terrorisme
113 Expression Liménienne : « avoir quelque
chose comme du maïs éclaté »...pour montrer
l'abondance... en même temps, la cancha c'est bien serrano, du
mot quechua "kancha", c'est l'aliment principal des voyageurs
andins..
114
tétines
De Lima à la Vizcachera...
Son époux actuel est de Huancavelica. « Lui, il
est tranquille ici. Sa soeur aussi est là. C'est lui (qui a
travaillé dans la mine où travaillait l'époux de sa soeur)
qui l'a ramenée... »
« C'est au Rime que j'ai connu le père de
José Luis [son deuxième fils]. Puis, on est allé à
Huanuco pour chercher du travail. A Ticlacayan, on est
descendu...là-bas, on a rencontré un petit vieux qui avait un
terrain ici. Il nous a dit : « vamos a mi fiera »,
on y a été trois-quatre jours, puis on est reparti
à Lima. Le vieux avait une maison à Zarate. Il avait aussi un
terrain à la Vizcachera. On l'aidait à peler les poulets. Il
vendait de la viande. Puis, de là, je me suis acheté le terrain
Mais je n'ai pas tout payé, et ils ne me font même pas payer ce
qu'il manque »
« Parfois quand je vais là-bas (à
Huancayo), je n'ai plus envie de revenir par ici "todo
es plata" ... »
Comparaisons...
« Je me suis attachée à mes voisines,
aux gens ici... Ça fait huit ans que je suis ici, à la
Vizcachera... C'est mieux que Lima. C'est plus tranquille. Il n'y a pas
beaucoup de voitures. C'est comme d'être dans la Sierra... mais il manque
des arbres ! »
« Avant, je portais des jupes avec des
pantalonslls ...plus maintenant ! Je devais pacager ...et
j'étudiais aussi (école), le week-end »
Elle commence à me montrer toutes ses "marques" sur le
corps ; autant de cicatrices, autant de souvenirs de l'enfance... amusants.
Mais, l'une, est une marque de quand elle est tombée...en
s'échappant de la main des terroristes...
C'est là que nous réintroduisons le thème,
douloureux, mais dont elle arrive à parler. Souvenirs douloureux...
« Mes parents sont morts en 1990 et1991. Ils ont
été tués. »
«Ma soeur est /a « disparue », [elle a
été enlevée] en même temps que le président
du pueblo, qui lui est revenu après neuf mois... »
«A cause des chevaux, mon cousin avait parié, ils
ont dit qu'il n'avait pas payé ...alors ils l'ont emmené ...
»
«Ma maman était partie à Huancayo.
Mais, "elle ne s'est pas habituée", elle avait de la peine pour le
bétail, pour le maison, les chiens, alors elle est tombée malade
...puis elle est repartie ...Puis elle est morte ...Ma mère nous disait
"il ne faut pas perdre le bétail, les vaches, il ne faut pas qu'elles
meurent ...qu'est-ce que vont dire les gens...Il faut que vous ayez toujours...
!" c'est pour ça que mon frère est retourné ...Maintenant,
la situation s'est un peu améliorée. Mon frère a
acheté une voiture, mais il faut avoir du capital, juste la chacra et la
production, c'est peu...Ils cultivent de tout.... »
« J'ai aussi des cousins partis aux Etats-Unis.
»
« Rosa, ma cousine est arrivée par moi. Elle est
de Lircai. Elle s'est échappée car elle était enceinte...
»
Milagro raconte son parcours de manière chronologique
! Elle se souvient bien de toutes les étapes qui l'on amenée d'un
endroit à l'autre. Le terrorisme a été le
déclencheur, mais les choix des lieux où elle s'est rendue ont
toujours été en fonction de là où il y
avait sa famille. Des oncles, un peu partout. Grande famille ?
Peut-être ! Mais c'est aussi qu'au Pérou, les
115 La tenue « traditionnelle » des
femmes andines est une jupe très ample appelée
poilera, et en dessous, un pantalon --caleçon
long... Bon moyen contre le froid...
rapports de parenté sont élargis : les cousins
de ses parents sont aussi des oncles et ainsi de suite... Elle dit
elle-même que son histoire est compliquée, mais elle sait en
rendre compte... Toujours ce ballottement, entre un bien être ici, et un
désir (réel ?) de retour là-bas. Disons qu'elle y pense.
Sa famille la lie...mais elle est plutôt en train de trouver une nouvelle
cohésion ici, de former un nouveau point d'attache. Et de
pérenniser son habitat. Mais tout cela ne veut rien dire. On ne sait
jamais où s'arrêtent les routes de la migration.
Meche loin (et liberée 1.?) de la chacra
Depuis moins de deux ans à la Vizcachera
Je ne trouve pas Meche là où elle me dit
qu'elle passe sa journée parce qu'elle n'a rien à faire : assise
sur une bassine devant chez elle. Je la rejoins donc derrière le
comedor, elle y prépare dans une profonde marmite le Vaso de Leche :
« il faut mélanger sinon elles vont dire que ça va pas...
». Et de continuer à ouvrir des boites de lait qu'elle
agrège: il est rare de boire du lait frais au Pérou...
Meche est arrivée il y a peu à la Vizcachera.
Elle vit en location, en « attente » d'un terrain à
« acheter », quand les économies le
permettront. Mais Meche, puisqu'elle est locataire, n'est pas
"comunera", c'est-à-dire membre de la communauté. Elle
n'y appartient guère, c'est peut-être pour cela qu'elle semble
distante lorsqu'il s'agit des conflits internes. Distante parce
qu'extérieure ?
Rares sont les locataires à la Vizcachera, mais le
frère de Genobeba a trouvé le filon : il a construit sur la pampa
(comment a-t-il fait pour avoir un terrain sur la pampa alors qu'on lui en
avait octroyé un dans la montée non loin de chez sa soeur ? et
pour pouvoir construire assez vite et de taille ?) et il loue des chambres dans
sa maison. Les loyers y sont très, très attractifs...C'est en
cela que Meche explique sa résidence à la Vizcachera. C'est sans
doute aussi stratégique. Son « époux » connaissait le
quartier car il travaillait dans les batteries et devait en livrer par ici aux
temps où la lumière n'était pas électrique. Il a
aussi des tantes ici...
Elle vient de Cusco (oui cette cité qui en fait
rêver plus d'un, et en fait fuir aussi... !), mais de la province de
Anta, district de Huarocondo.... Elle
précise son nom de famille : Cuci Supa, et de sa mère,
Supa Reyes : ils sont très nombreux là-bas (les «
Supa Reyes »). Elle est la deuxième de six enfants, son
frère aîné (vint-six ans) habite déjà Lima.
Elle n'a que vingt ans. Et un petit garçon.
Cela fait trois ans qu'elle connaît son époux et
un an qu'ils cohabitent, depuis l'enfant, en d'autres termes. Avant elle venait
en vacances ici : son frère l'emmenait. Il lui envoyait le billet.
« C'est comme ça que j'ai connu mon époux ».
Il est de la même province mais d'un autre district
(Huayacocha). « C'est comme d'ici à Campoy
».
« C'est une tante qui habitait ici (à Canto
Grande) qui a emmené mon frère pour travailler à Lima,
dans la couture ; pour qu'on lui enseigne à travailler puisqu'il n'y
a pas de travail en province ». Il est venu à dix ans (ou
elle ?) et elle venait aussi aider sa tante qui lui apprenait : « j'ai
appris des choses ».
Lima comme lieu où l'on apprend. «
Ya me acostumbre acà » .
« Quand on est à Lima, on a envie de
connaître pas mal de lieux et d'apprendre des choses. En
arrivant à Lima, je ne savais pas préparer le petit
déjeuner. Parce que là-bas, je ne le faisais pas, on cuisine peu
...Plein de choses je ne savais pas en fait... Ici tu dois apprendre,
on te conseille, ma tante m'enseignait...Au début je
n'arrivais pas car j'étais plus nerveuse : je venais d'arriver...
»
«En venant, je pensais que ça allait être
facile en fait non !... Je pensais que c 'était facile comme
là-bas, il y avait tout pour manger, pour se vêtir...
»
« On ne trouve pas de travail ici parce qu'il demande
des papiers. Des références. Et on n'en a pas beaucoup....
»
Elle ne sort pas beaucoup de la Vizcachera. «A peine
tout près » dit-elle. Depuis un mois, la dernière fois
que je l'ai vue, elle travaille au Wawawasi pour garder les enfants
toute la journée.
«Mais ici, il y a beaucoup de poussière, c 'est
pesant. »
Son homme a une soeur qui vit ici, et des tantes
éloignées. « C'est la parenté, ça n'est
plus la famille... »
« Oui, je dirais à mes frères et
soeurs de venir. C'est mieux. Pour leur enseigner... là-bas, il n'y a
personne pour ça. Comme mon frère, il travaille, il gagne de
l'argent. La chacra, c'est juste bon pour se salir. Ici il est [tranquillement]
assis à sa machine. Mon époux n'aime pas le travail de
là-bas, c'est très fastidieux. Là-bas ça ne donne
pas beaucoup, il n'y a pas beaucoup de champs. Et même, avec la papa
(pomme de terre), on y perd116. Ici, on s'habitue à
l'argent »
Le là-bas... «Ici, c'est
différent Parce que là-bas, c'est la chacra, le
pacage'17... »
« C'est différent »
une fois, deux fois, trois fois... maintes fois le
dira-t-elle...
« Avant, j'étais
toujours débraillée. J'allais avec le troupeau.
Maintenant ce sont mes soeurs qui sont plus jeunes. Avant tour à tour,
on allait le faire brouter ou à l'école (elle a été
jusqu'en quinto du Secondaire). Mes parents se consacraient à la chacra.
Ma mère était à la maison et aux champs, mais ce n'est pas
comme ici où travaillent et l'homme et la femme. Là- bas c'est
surtout l'homme. Ils cultivaient du maïs, des feves, du blé ...
mais il y avait peu de champs, alors ils répartissaient
un peu de tout dans chacun. »
Maintenant que son père est mort, sa mère ne peut
plus tout assumer : ils ont donc donné quelques terres à leurs
oncles. Ils font moitié/moitié (pour la récolte ?).
« Là-bas, c'est les "chismoserias"I18
--commérages, sur ce qu'on a fait... On te critique...Ici on appelle les
familles avec leurs noms et prénoms » (et donc là-bas
?)
« Maintenant, ça a changé
un peu, il y a davantage de routes, de marchés, de
collèges (depuis la maternelle maintenant). Le pueblo: il est petit.
C'est maintenant qu'il commence à grandir. C'est maintenant que les
familles s'agrandissent. »
« Il y a des familles qui rentrent... d'ici
à là-bas pour construire leur maison, ils sont alors la
moitié du temps ici, et l'autre là-bas, ou bien ils
viennent juste pour récolter. »
116 Le cours de la papa --pomme de terre, est
si bas que l'investissement pour la cultiver est tout juste
compensé..D'ailleurs il est en chute depuis un certain temps, ce qui a
entraîné de nombreuses émeutes dans la Sierra, dans la
région d'Apurimac, notanunent.
117 Relatifs aux deux activités principales des
paysans andins la chacra : le champ, et pastear : pâturer,
l'élevage. « Là-bas, tout tourne autour des champs et des
animaux »... ou « il n'y a rien que ça »...
118 Commérages.
«Il n'y a pas de travail
». Et s'il y en a à la ville (de Cusco), c'est de toute
façon mal payé. La province est toujours vue comme un lieu
sans travail, mis à part les champs et les
k animaux... Si toutefois l'activité paysanne est
considérée comme un « travail », parce que, bien que
décrite comme très pénible, elle ne semble pas entrer dans
leur catégorie de travail.
A quelle altitude? Elle ne sait pas, mais "c'est pareil, d y
a des cerros comme ici" WH
En arrivant à Lima...
« Certains changent. Ils sont plus basanés et
ils deviennent plus blancs...ou le contraire. Ce serait le climat qui est plus
contaminant ? Moi, avant, j'étais maigre et maintenant 11 Là-bas
tout est naturel, il n'y a pas de graisse... »
La honte. Parfois. Quand on est vu
différemment. Ils disent : « Elle se croit
liménienne. Elle va et elle vient : d'où elle sort l'argent ?
»
La nourriture. Son mari lui demande de faire
de la nourriture de là-bas. De la quinua, de la soupe de
blé...mais peu de choses d'ici, peu de riz par exemple...Mais du
comedor saco », elle prend à manger. C'est de la cuisine
de la Sierra aussi. Mais, « ici, on mange de la viande : pas
là-bas parce qu'on ne veut pas "dépense "r les animaux
».
Retour. Elle n'y va pas, mais pense retourner
cette année avec son conjoint. Quant à lui, il n'y est pas
allé depuis huit ans qu'il est là mais s'y est rendu l'an dernier
pour l'anniversaire de sa mère.
Elle dit qu'elle prend des nouvelles, mais il n'y a pas de
téléphone là-bas, ou plutôt que c'est dur de
converser parce qu'il y a la queue --ce qui signifie que le village dispose
d'un seul téléphone, public. Il n'y a pas non plus de
lumière.
Liens avec les autres -fêtes
«Mon époux est en rapport avec tout le monde,
lui, il va toujours au football. Ici en bas, à Campoy se trouve
le local [du club de son district]. J'y vais mais je ne me mêle pas, je
suis timide. Parfois, on va à Canto Grande [où se trouve le club
de son district, et où vit sa tante]. C'est là qu'on s'est
rencontré, à une fete où m'a ramené ma tante.
»
« Avec le temps, les choses s'améliorent
! »
Elle veut acheter un terrain à la Vizcachera, en
économisant peu à peu. Rien d'autre pour le moment...
Meche est de celle qui était « envoyée
» à Lima en vacances... Elle allait avec sa tante, ou chez son
frère... Elle participait à ses fêtes provinciales avec sa
tante et c'est là qu'elle y a rencontré le père de son
fils... Elle a pu très vite se faire une image de Lima et se
détacher de la Sierra...pour se dire que là-bas, tout est
lié à la chacra et aux animaux...et que ce n'est plus de
ça dont elle a envie... ses « valeurs » ont été
quelque peu urbanisées (être mieux arrangée, faire des
activités moins « terreuses »). Elle emploie souvent le terme
"apprendre", comme si à Lima elle devait tout apprendre, d'un monde
nouveau et si différent... (meilleur ?). Elle compare beaucoup la Sierra
à Lima... et les changements qui se font... A peine arrivée, ses
premières aspirations sont dirigées vers la "casa
propia", le moment où enfin, ils pourront s'acheter un
terrain, à eux... Et toujours, sous-jacent, cet espoir
inéluctable, cette foi en le
lendemain, des choses qui s'améliorent avec le temps...On
démarre de peu, mais on avancera
On peut très bien s'imaginer que ses petits frères
et soeurs prendront le même chemin... A moins que... ! Il y en aura
toujours quelques uns pour rester près de la chacra à
aider ?
Sa vision du travail est très caractéristique :
là-bas : il n'y a pas de travail, et s'il y en a, ce n'est pas du
travail comme ici, etc.
A chaque histoire son témoignage. Des parcours si
différents. Des thèmes si communs....
Il n'est pas aisé de comprendre ce qui semble banal et
quotidien ; ou pis, à travers les ressentis, qui sont souvent
expliqués très indirectement, avec toujours une façon
imagée de parler.
III Du souvenir à la mémoire
« L'épreuve de la mémoire ou la
mémoire éprouvée »
Douleurs. Peur. Rancoeur--
Souvent les femmes acceptent de me rencontrer, mais peu
convaincues, il est arrivé que quelques unes fassent en sorte par la
suite d'éviter la discussion alors que d'autres m'invitaient à
revenir le plus possible... On se croisait, on se saluait, mais ça
n'était jamais le moment de se rencontrer vraiment. Elles avaient
très certainement peur ou ne le souhaitaient pas véritablement.
Peur de ressasser la douleur, peur de devoir dire des choses peut-être
tues depuis toujours (cf. terrorisme) ? Ou des conflits... Elles ne disaient
jamais qu'elles ne voulaient pas parler, ne disant jamais non. Alors, elles
s'échappaient...
Parler de soi, de son passé, c'est aussi revenir sur un
choix (ou non choix parfois), sur le pourquoi. Celui du départ, celui
d'un passé qui n'est plus, que sais-je... ! C'est devoir l'accepter. Ce
n'est pas le moment qui importe mais le fait de devoir reformuler ce qui a
provoqué un tel détachement, un si grand éloignement...
C'est parler de ruptures, de manques et de souffrances. Mais c'est aussi faire
resurgir le passé, peut-être encore très présent.
C'est aussi redonner une place à ceux qui sont restés.
Une autre m'a questionnée sur ce que j'allais lui
demander...elle était très méfiante et s'interrogeait sur
mes attentes. (D'ailleurs, on se retrouve soi-même toujours
confronté à ce genre de remise en question...mais c'est pour
quoi, au juste, que je fais cela...?). Son parcours était en effet
lourd, du poids de l'abandon, de l'errance, et de la souffrance. Son air
était dur, le timbre de sa voix marqué. Elle a pourtant
accepté de parler, peut-être plus pour se confier, et me livrant
ce qui la tourmentai personnellement aujourd'hui.
Des bribes. Des discours identitaires ?
Pourquoi ces bribes d'histoires ? Pourquoi ce parcours
raconté en filigrane ? Pourquoi des discours qui se ressemblent tous
?
Un détournement ? A travers ces discours (comme
à travers une certaine conduite : ce que l'on « fait voir »,
ou comment on manifeste sciemment ou pas...) il s'agit de faire valoir ou
dévaloir son identité, son origine, comme on le fait d'ailleurs
dans la vie de tous les jours avec les uns ou les autres selon pour qui et pour
quoi. Il s'agit de mettre en avant ce que l'on veut montrer, et aussi de
répondre aux attentes de l'autre... (Moi !) On mesure ce que l'on dit,
me semble-t-il, c'est sûrement en cela que les dires se ressemblent
parfois...
Que cachent ces stéréotypes, ou ces redondances
dans les discours sur les récits de vie ? Des difficultés qui
existent toujours ?une difficile adaptation ? S'agit-il de voiler une certaine
face de la réalité, tout en exposant certains aléas ?
S'intégrer dans la ville, faire sienne la
réalité, recréer des liens est encore une épreuve
aujourd'hui ?
On assiste à une idéalisation de l'origine, au
début. Est-ce parce que c'est ce que cherche l'ethnologue, et qu'on lui
livre d'abord ce qu'il est sensé vouloir entendre ? Ils pensent peut-
être que c'est ce que je vais valoriser en eux, en tant que destinataire
du récit, lors de la première rencontre. Peut-être aussi
ont-ils une image lumineuse de leur lieu d'origine, qui peut leur procurer une
certaine fierté... Mais en racontant leur vie, leur parcours...le
discours change. C'est la phase de "négativisme". Reparler de ses
origines est une occasion pour comparer, entre "ici" et "là-bas".
Montrer que « c'est mieux ici » en dévalorisant le
là-bas, justifie les raisons du départ et du non-retour, et les
confirme peut-être eux-mêmes dans le bien-fondé de leur
choix... Aisance pour raconter leur parcours dans Lima, mais
discontinuité dans le discours sur ce qui s'est passé avant
l'arrivée à Lima. Là, on perçoit la coupure et on
perd le fil de l'histoire. Deux vies bien distinctes existent, qui
s'enchevêtrent. A travers ces procédés, différents
visages se définissent selon l'interlocuteur et ce qui est le plus
opportun dans une situation donnée Enfin, une stratégie, ou un
détour, pour ne pas vivre dans la nostalgie du passé, ne pas en
souffrir...
De l'idéalisation au négativisme, entre
discours et discrimination
Quand on parle des origines...
Le rapport aux origines semble avoir plusieurs facettes,
telles des identités que l'on cherche à orienter... Parler de ses
origines est souvent difficile, mais différentes pratiques assez
ostentatoires les révèlent bien mieux : les fêtes par
exemple où chacun est fier de se montrer, mais aussi le fait d' «
avoir réussi » les incite à. ne plus renier leur
ascendance.
Dans l'entre-soi, entre gens venant du même endroit,
l'origine peut se manifester. A la Vizcachera, le cas des
huancarnos119 est plus parlant : tous les gens
extérieurs à ce groupe se rendent compte de leur
cohésion... D'autres, ne semblent pas forcément chercher à
se "rallier" avec leur paisanos, mais savent toujours qui vient de
où. De là, quels rapports en découlent ? Je n'en sais que
trop peu... Sûrement des rapprochements. Mais a contrario aussi,
comme le soulignait Genobeba, des relations distantes, ou des
rivalités (comme envers les gens du nord, les norte» os :
qui "s'y croient" entre eux, parce qu'ils auraient plus
d'argent...)...Lila montre, à sa manière, qu'elle n'est pas
tellement liée aux gens de Huancayo, alors qu'elle vient aussi de
là-bas. Elle prétend ne pas participer aux fêtes de sa
terre... On aurait presque l'impression qu'elle n'est pas tout à fait du
même monde qu'eux...une distinction sociale ? (Eux sont
profesionales120, le mari est comptable, c qui est rare
à la Vizcachera). Un jour, alors que nous allions allumer la
lumière de son "autre" terrain (son rituel de tous les soirs), nous
avons croisé un "paisano" qui s'est enquis de sa participation
à la fête de leur province, ce week-end. Alors ?
Le sens. Pourquoi idéaliser les origines ? Pourquoi les
dissimuler, pourquoi en avoir honte ? On constate l'idéalisation de la
Vizcachera dans les discours initiaux (le fait d'être uni, d'être
entre gens sains etc..) ; cela passe par une mythification du lieu d'origine,
puis par une phase de dévalorisation afin de mieux justifier sa
présence ici et se convaincre qu'ici c'est mieux. On dissimule certaines
choses qui nous défavorisent (mais ne fera-t-on pas ?). Un jeu
d'identités se déploie où l'autre dans sa
différence, rappelle que même si l'on n'est pas issu du même
endroit, les aspirations, le souci de construire sont identiques.
L'appartenance à une communauté est primordiale pour ces gens qui
s'organisent collectivement et solidairement.
119 Gens du département de Huancayo
120 On développera plus loin tout ce qu'on
entend par le fait d'être «profesional », et non pas
un eampesino ou quelqu'un sans éducation...
L
Cette nouvelle identité leur permet de s'affirmer en
ville. Idéaliser ses origines permet peut- être de montrer son
meilleur profil à l'interlocuteur intéressé.
Le sentiment de honte est aussi courant et ils adoptent alors
une attitude de repli. On le comprend facilement quand on sait la
discrimination dont sont victimes les « migrants » Habitués
depuis la colonisation du Pérou à être
dénigrés, dominés ou sous le joug, ne pratiquent-ils pas
eux-mêmes l'auto-ségrégation ?
Les liméniens, ou autres migrants de la ville (qui
constituent la majorité hétéroclite de la population)
diraient qu'ils renient leur culture... S'agit-il vraiment de cela ? Ou ne
serait-ce pas plutôt une stratégie d'adaptation, qui certes, ne
passe pas directement par une pleine acceptation de soi, de son
identité, mais par la recherche d'autres visages plus acceptés et
surtout, de moyens qui permettront à la ville un meilleur essor. Ils en
soutirent ce qui leur est nécessaire mais ils savent aussi lui tourner
le dos... Faire valoir en soi et dans ses origines et ses
particularités, ce qui mérite de l'être selon la
situation.
La discrimination est un honteux spectacle que l'on peut voir
à toutes les échelles... Venir de la Sierra, peu glorieux...
Habiter à la Vizcachera, un peu arriéré !...même
pour les proches habitants du quartier (des quartiers voisins) qui viennent eux
aussi d'un "là-bas"... Certains ne pensent-ils pas, en leur for
intérieur : mais qui sont ces campesinos qui vivent à
côté de la chancheria ?! Les habitants de la Vizcachera disent
ressentir ce dédain. En outre, certains en pâtissent, même
de la part de membres de leur famille qui à ce jour, ont mieux
"réussi" et en profitent pour asseoir une certaine
supériorité... (Bien que les liens, à travers la ville,
entre les gens d'une même famille soient très forts et constituent
un réel soutien manifesté dès l'arrivée d'un membre
et perpétué par une solidarité très vivace...).
C'est le cas de Genobeba vis-à-vis de ses soeurs, et d'autres qui
prétendent ne plus beaucoup voir leur fratrie « ils ne viennent
pas ici », ou « eux se réunissent et font leurs
fêtes »... Bref, des liens se dénouent, peut-être
momentanément pour en construire de nouveaux ? Mais ces petites
concurrences entre les membres d'une famille ne sont rien et n'empêchent
pas cette vigoureuse solidarité de se manifester lorsque le besoin s'en
fait ressentir. Cette discrimination se fait surtout du dehors, de la part des
« autres », ceux qui ne sont pas "nous", pas comme nous.
B
E
r
L
Entre honte et reniement, on hésiterait. Et au
deçà, vient l'idéalisation ?! Certes, ils sont victimes de
cette discrimination qui leur inflige ce sentiment de honte et ce comportement
de dissimulation...Mais cette attitude serait-elle tactique ? Peut-être
pour ne pas subir cette "contamination", mais être acteur de sa vie, pour
ne pas être « avalé » par la nouvelle
société. La honte serait-elle due aux rapports sociaux qui
régissent la capitale, ces facettes de reniement, plutôt à
un choix d'adaptation pour mieux étayer les raisons de ce départ.
Idéaliser, cela permet de rêver et de choisir comment donne rune
place aux origines ?
Conquérir la ville, c'est s'investir soi-même et
acquérir ce que l'on est venu chercher
Mais c'est aussi adopter ce qui permet de s'adapter. S'adapter
ne signifiant pas s'oublier, mais peut-être savoir osciller entre le soi
et l'autre... On ne peut vivre quelque part sans s'adapter, d'une façon
ou d'une autre. Ou sinon, ce doit être la détresse, ou le repli
sur soi...
Peut-être que les déplacés du
terrorisme n'ont pas eu les clés pour s'adapter, car il n'y a
pas eu de désir et une mémoire trop marquée, le temps fait
néanmoins son oeuvre, quoique. Il y a l'habitude, le changement, la
force des choses, et peut-être même, une rupture nécessaire
(inconsciente ou pas) avec le passé ?
Les questions de mémoire et d'identité
amènent nécessairement à celles de la transmission. Qu'ont
transmis et que transmettront ces migrés à leurs enfants ? Selon
les générations, la transmission se jonc différemment.
Ceux qui ont migré il y a longtemps, semblent avoir transmis davantage
de leur culture à leurs enfants. Les plus récentes migrations ont
là-bas été touchées par la "criollizacionn
(terme repris des liméniens). La télévision et le
passage des tous ces migrants dans leurs terres ont déjà fait
changer les habitudes.
L'identité, c'est celle du lieu d'origine, mais c'est
aussi celle qui fait ce que l'on est, à quoi, à qui l'on se
réfère et inversement
j
« Vamos a mi tierra121 »
Du discours idéal à la coupure : le non
retour
Les propos agrémentés sont récurrents
dans les premiers échanges. Mais en approfondissant, très vite
j'ai pu y percevoir une certaine rupture avec leur lieu d'origine, et une
absence de retour régulier.
Est-ce dû à un si profond changement ? Une
impossibilité (économique notamment)? Un désir de rupture
pour aller de l'avant ?
De la question du retour
Beaucoup d'auteurs décrivent les voyages de retour des
migrants comme un phénomène inexorable et lourd de
conséquences. Des liens étroits se nouent entre les
communautés andines et leur "diaspora" liménienne ou
internationale, et les retours des migrés leur apportent de nouvelles
perspectives, de nouvelles images ou même de nouvelles valeurs ... Et ce,
même si certains reviennent parfois « en visiteurs » chez eux,
de manière plus détachée (en tant que membre à part
entière de la communauté ou en tant qu'émigré,
Sayad122 soulève la question pour le cas algérien, sur
la façon ostentatoire dont les émigrés participent aux
fêtes religieuses et travaux de la communauté) Mais surtout,
ceux-ci influent sur le départ de nouveaux émigrés...
Généralement, la migration n'interrompt pas les liens familiaux
ni même communautaires parfois...
Les compagnies de bus abondent, et des véhicules
circulent tous les jours, rarement vides... Pour se rendre dans la partie
centrale des Andes, si l'on ne voyage pas avec une compagnie spécifique
qui démarre du centre ville, il suffit de se rendre au terminal de l'est
de Lima, le terminal Wanka, à El Agustino, déjà
sur la carreterra centra1123, et, de monter dans un bus,
jusqu'à ce qu'il se remplisse... et ce, à toute heure de la
journée... ! Tant de gens transitent entre Lima et la Sierra / Selva (il
en est de même pour le Nord, le Sud, qui ont leurs terminaux
respectifs... et même chaque sous région...C'est d'ailleurs
souvent sur la route que l'on arrête un bus en pleine lancée...
!).
Le retour en tant que visite
Il est vrai que beaucoup retournent
régulièrement dans leurs terres d'origine, une ou plusieurs fois
dans l'année, pour les fêtes patronales, ou autres
festivités locales. Certains participent même à
l'organisation de celles-ci, en s'engageant à être mayordomo,
lorsque leurs économies le permettent... (Ils dépenseront,
mais gagneront en prestige !) D'autres vont régulièrement visiter
leurs proches, "là-bas". Souvent, le retour est lié à des
évènements : le décès ou la maladie d'un proche,
l'anniversaire d'un parent, etc. Parfois, à l'âge de la retraite,
certains retournent vivre là-bas, après tant d'années
d'absence... Ils possèdent toujours des terres, des "chacras",
et reviennent juste pour « sembrar y cosechar » (semer
et cultiver). Ceux sont souvent les plus âgés !
121" Allons dans ma terre".ou "Allons chez moi !" et
implicitement : "On y va 7!"
122 Sayad Abdelmalek, La double absence. De l'illusion de
l'immigré aux souffrances de l'émigré. Seuil.
123Pour sortir de Lima, trois axes. La
panamericana norte, la panarnericana sur, et la
carreterra central... déterminent les cônes de Lima car les
émigrés sont venus s'installer le long de ces routes. Ce
sont donc des
d
routes-repères pour les quartiers (« j'habite au
Km "tant" de la panaméricaine... »), et aussi pour la sortie vers
la province... La carreterra centra/ est celle qui sort de Lima et
s'en va vers l'est de Lima, soit vers le centre du Pérou.
Un enfant de la Vizcachera me contait ses voyages à
Huancayo : « j'y vais pour accompagner ma grand-mère, quand
elle va semer ». Une jeune femme racontait que sa maman allait tous
les ans, pour la fête de « Tous les Saints » (la Toussaint 0,
sur la tombe de sa mère. Il y a aussi tous ceux qui viennent
étudier à Lima et repartent pour les vacances... Ou, inversement,
d'autres sont "envoyés" pour les vacances chez des parents, à
Lima... Parfois, ce sont les vieux parents qui vont à Lima rendre visite
à leurs enfants, bien qu'ils ne restent que peu de temps car «
no les gusta Lima » ("ils n'aiment pas Lima")... Retour de tout
style, beaucoup de transit.
Cependant certains n'y retournent guère et la
dernière fois remonte à très longtemps ; ils en
rêvent, l'imaginent (un voyage dans la mémoire ?) ; seul un
évènement exceptionnel le déclenche (par exemple le
mauvais état de santé de la mère de Cirila).
Et puis certains qui jamais n'y sont retournés...
faut re',.er absolument. De importe quoi.
F.Yautre chose et d'autre part
Re\.er à nimporte quel priN
Rè-,'er, cest \ dejà
C'est pfri-tir un peu
Patrick Dederckl:''
La réalité du retour et des liens --A la
Vizcachera
Lorsque je commence à introduire le thème
(étant considérée comme un ethnologue assoiffé de
culture ou un étranger curieux de connaître la richesse du pays!?)
: « D'où venez-vous ? », leur regard s'illumine... «
Varnos?! » (« On y va ? »). Comme si ce lieu d'origine
était très proche, que l'envie d'y aller était vive et
immédiate...Ou, comme s'il fallait un projet, une invitation, pour enfin
y retourner...
Plusieurs fois, Dominga lançait un "vamos !?",
à la fin de nos conversations, et nous évoquions la
possibilité d'aller dans le département de Cusco, pour les
fêtes du mois d'août... Mais entre temps, elle avouait,
après avoir parlé de son lieu d'origine : « je n'y vais
plus ». La dernière fois qu'elle y est allée remonte
à 7 ans, lorsque son frère avait eu un accident, elle lui avait
rendu visite à Cusco, mais n'était même pas allée
jusqu'au village. La dernière visite dans son village remonte elle,
à 13 ans, en raison du décès de sa mère... Je lui
demande si elle irait ailleurs ou pourrait retourner vivre "là-bas".
«Ailleurs ? ...si c 'était possible ! » mais
là- bas : « Les enfants ne peuvent pas s'adapter...
»
D'autres, bien sûr, n'ont pas coupé les ponts :
« J'y vais quand l'envie me prend !!», dit cette dame de la
Oroya125. Elle a des animaux chez elle qu'un parent lui a offert la
dernière fois qu'elle y est allée...
Des gens n'y étant pas retournés depuis
longtemps, il y en a, ô combien... ! Pourtant, ils ne montrent pas la
rupture d'emblée, laissant souvent imaginer que c'est "tout près"
d'eux (affectivement) et dans le temps. Cette attitude correspond finalement
à ces premiers discours,
124 Patrick Declerck, Les
naufragés. Plon, terres humaines.
125 La Oroya (département de Junin)
est un important pôle minier, raffinerie
des autres mines alentours. Elle se trouve à seulement 5
heures de Lima, à plus de 4000m d'altitude...
idéalisants. Comme quelque chose qui vit toujours, quelque
part. Une rupture, que l'on occulte...
L'attache tend à s'estomper lorsque les liens ne sont
plus. Lorsqu'ils ne s'entretiennent plus. Ou lorsqu'ils n'existent plus, car la
majorité est partie « Pourquoi j'irais ? Il n'y a plus personne
là-bas, je n'ai personne à aller voir...
»
De multiples obstacles spatiaux, économiques et
temporels ...
« Ça me manque parfois... parfois l'endroit,
parfois la nourriture... Je n y suis pas encore retournée »
Rosa est à Lima depuis 8 ans après un petit
périple dans la Sierra, après qu'elle et son époux aient
quitté la zone minière, pour fermeture (toute sa famille semblait
avoir un travail en relation avec la mine). Elle est très vite
arrivée à la Vizcachera par l'intermédiaire de sa cousine
Milagro... «Maintenant ça n'est ni mieux, ni pire !
»
La distance...
Il faut néanmoins tenter de reconstruire les conditions du
retour.
Pour les gens qui venaient de loin, cela signifiait
entreprendre un très grand voyage : peu de routes, des conditions
climatiques rudes, des villages sans accès routier (il est important de
rappeler que beaucoup de villages ne sont toujours pas accessibles par les
routes...c'est à la force de ses jambes que l'on s'y rend I). De plus,
aller dans une province assez retirée pouvait prendre bien plus de 2
jours... (Même encore maintenant).
C'est ce que Cirila évoque lors de son
pénible retour au village, où elle ne s'était pas rendue
depuis 30 ans, trente années ! La marche, la pluie, la
difficulté, la maladie, ainsi que la peur s'y ajoutant... Un coût
important. Aujourd'hui cela peut sembler plus facile, mais le temps est
passé, le retour s'est éloigné... Augusta évoque
cette difficulté qui renforce la distance... Douze ans qu'elle n'y
était pas allée ! «Le billet de voyage était trop
cher, il n'y avait pas de téléphone ni
d'électricité [...] et l'argent qu'on a, c'est tout juste pour
les déplacements et pour manger .1 » Quelle émotion en
y allant, avec sa fille, dernièrement !
C'est un peu comme s'il s'agissait d'aller dans un autre pays
; ou comme pour nous, à une certaine époque où
l'accès était plus difficile... L'éloignement est presque
à l'aune de celui qui séparerait deux continents. Encore que :
ceux-ci ont parfois plus de possibilité de communiquer s'ils
possèdent les moyens multimédias d'aujourd'hui ! La distance
géographique, le manque de routes et de moyens de communication peuvent
s'avérer être un fossé trop profond... Et pourtant : oui,
des gens retournent chez eux, malgré les pluies et glissements de
terrains.
La pauvreté
Le manque d'argent est une raison souvent
mentionnée...Les gens ne pensent pas au retour, il y a d'autres
préoccupations ! Pour certains, c'est la pauvreté, le combat
quotidien pour pouvoir manger. Peu à peu, une masure s'est construite,
c'est d'abord ce qui importe. Le retour n'est pas envisageable...
Retour dans la mémoire. Peur et douleur.
Les souvenirs... Le terrorisme... La peur. Peur de retrouver des
lieux que l'on a du fuir. Peur de se remémorer l'horreur et la
souffrance.
La crainte du retour. Tout simplement liée à un
là-bas, lointain. Un univers que l'on ne connaît plus. Des routes
vertigineuses, dangereuses. Est-ce vraiment ce danger-là ? Où
sont-ce leurs mots (excuses) pour dissimuler les raisons profondes de cette
peur... ?
Le passé, les proches, qui ne le sont plus. Un choix de
rupture pour ne pas revivre le passé ? Pour surmonter les maux
peut-être ne faut-il pas regarder en arrière, et ne plus retourner
dans le lieu de ce passé...
Anecdotique ? Le lien aux animaux...
Des enfants de migrés parlent de leurs parents qui y
retournent. Pour revoir la communauté. Pour aller voir leurs terres,
leurs animaux, dont d'autres s'occupent maintenant. «Mais ils
reviennent très vite, pour leurs animaux d'ici ». Inversement
! Ce lien aux animaux, si fort dans la Sierra126 où il faut
toujours être là pour s'en occuper et les nourrir, se transpose
à Lima, par les chanchos. Une autre disait : «Mon père
aime plus ses animaux que nous ! Il passe plus de temps avec eux Quand il part
là-bas, il revient très vite, car ses animaux lui manquent.
»
Retourner vivre là-bas ?
Quant au retour définitif, en vue de
s'y installer de nouveau, il ne semble ni envisagé ni envisageable pour
un grand nombre...Il en est tout de même qui diront, « parfois
ça me manque... parfois, je pense à retourner là-bas,
mais... ». Toujours ce "mais", qui anticipe et empêche
ce retour... Si toutefois on évoque de beaux projets liés
à un retour éventuel, ils n'en restent pas moins utopiques.
Evoquer fait voyager... Et parfois des projets, concrets.
Mais enfin, pourquoi penser à revenir alors que
l'on a décidé de partir, alors que l'on a emprunté une
autre voie ?... Certains sont venus volontairement, d'autres accidentellement
(en visite à un proche, puis restés...), certains n'ont
pas eu le choix. Même pour eux, le retour n'est pas évident. Des
programmes de "repeuplement" ont été mis en place. Outre les
difficultés sur place ("là-bas"), il en est pour qui y retourner
est une trop lourde épreuve, le passé reste trop marqué
par les souffrances et les peurs, les pertes trop importantes et la
construction du quotidien déjà bien établie à Lima
même avec des conditions très difficiles (dues au manque d'aides
allouées à ce jour.)
Les enfants, un leitmotiv ?
«Je reste pour mes enfants, ici. Pour qu'ils soient
éduqués, yu 'ils puissent avoir leurs chances. Parce que
là-bas, eux, ne s'habitueraient pas... »
Dans un quartier de Lima, un autre homme, d'âge moyen,
venant de Canin --dans une province du département de Lima (dans la
partie Sierra), expliquait comment ses parents avaient voulu que leurs enfants
partent, pour qu'ils ne vivent pas les mêmes difficultés qu'eux
dans le village... De la chacra, on ne pouvait plus rien espérer
La migration est, le plus souvent, un départ
irréversible. Partir, c'est quitter, même si des
liens demeurent ici et là-bas. La migration n'a pas de lieu
précis et délimité. En effet, elle ne
126 Les gens mettent le bétail aux
premières places de leurs préoccupations. On entend souvent dire
que c'est tout leur capital. L'activité d'élever en tant que tel,
n'est pas si anodine non phis. Elle semble créer un rapport assez fort
avec les animaux, une place importante dans le rapport au inonde et aux
choses.
s'arrête pas dans le lieu d'arrivée, tout comme la
mémoire ne s'est pas éteinte dans le lieu de départ. Elle
n'est pas un clivage avec un avant et un après, les liens restent
permanents, c'est la famille entière dans toute son histoire et ses
territoires qui permet souvent ces ubiquités. D'ailleurs, il n'y
a pas une arrivée, mais de multiples arrivées en divers lieux,
des lieux de l'appartenance, des lieux de l'entre-deux, parfois du non sens.
Des lieux de l'oubli, des lieux de la mémoire.... De multiples
débuts, alors, s'amorcent. Et toujours, une quête, un but commun :
s'installer, trouver un terrain. Construire son lieu de vie. Réussir...
Trouvent-ils un terme à leur long périple par l'acquisition d'un
chez soi ? Certaines étapes semblent générer des
sentiments de satiété. Mais cela n'est-il qu'un étape ?
Comment se construit l'identité et le sens au-delà ? Quels
changements dans la vie, véhiculés par le discours ?
Discours et représentation. Transfert de valeurs ?
Du changement.
« Là-bas, il faut marcher. Il faut se lever
très tôt pour emmener les animaux. Le travail est dur. Il n'y a
pas de transport... » Des conditions qui ont changé et une
réalité avec laquelle on a coupé, que l'on n'est plus
prêt à affronter... Mors, qu'y ont-ils gagné, quelles
améliorations recherchées ? Mais surtout, qu'en disent-ils ?
La dichotomie "ici"-"là-bas" ou l'alternance des
discours
Dominga «Je ne me réhabituerai pas, je crois
...Dans l'environnement d'ici, on ne sou e pas. Là-bas, de 4h du matin
à 7 h du soir, on travaille ! Très vite, les affaires s'usent. A
la campagne, nous semons, nous pacageons (faisons paître) ...Nous allons
au collège tous les jours et nous nous occupons des animaux...Les
conditions sont meilleures ici Mon fils m'a dit lorsqu'il en est revenu :
« là-bas, oit souffre beaucoup... »
Son frère est encore là-bas et c'est lui qui
s'occupe des terres. Là-bas, il n y a pas de téléphone.
C'est seulement maintenant qu'ils vont mettre la lumière ».
Néanmoins, Dominga ici aussi se lève très
tôt...à la même heure, pratiquement ! Elle doit se rendre
à la Parada pour acheter les ingrédients qu'elle cuisinera le
matin pour les vendre ensuite sur le marché : des plats cuisinés,
chauds... L'après-midi, elle recommencera son rituel : laver, couper les
herbes, éplucher les légumes, pré cuire... Et pour
finalement déplorer : « on vend peu »...
Si l'on parle de la souffrance du passé, celle du
présent est encore là, plus équivoque.
Les avatars de la situation, qui ne répondent toujours pas
à l'eldorado espéré... : « Lima todo es plata
»... « Là-bas, ils ont leurs produits... »
«A Lima, il y a beaucoup de pollution, ainsi que de
poussière, de délinquance... Là- bas, l'air est pur, tout
est vert ».
Pourtant, on se réfère toujours à ce qu'il y
a de mieux, de plus attractif, de possible à Lima: « A Lima, au
moins il y a chi travail... »
« On peut toujours faire quelque chose » « Il
y a de tout f »
En effet, ils trouvent à Lima une diversité
alimentaire qu'ils ne connaissaient pas, tout en regrettant l'abondance des
produits des terres de la Sierra... Toujours cette même
contradiction. Toujours, l'ambivalence. Dichotomie "ici",
"là-bas", mais ambiguïté... Jeu de discours, probablement.
Tout n'est pas noir ou blanc, l'une et l'autre se confondent, se rejettent, se
méprisent et se désirent. On oscille entre les deux, se complait
dans un certain « entre-deux »... Confusion ou stratégie.
Celle qui peut arranger selon la situation. Mais aussi, peut-être,
"l'univers de l'entre-deux", entre départ et retour, comme ouverture
culturelle, mais aussi un sorte de déchirure, d'expulsion identitaire,
témoignage d'un non lieu, d'un être en
contradiction127.
A la Vizcachera, trouve-t-on une sorte de compromis
entre la Sierra (certaine tranquillité, sorte d'entre-soi) et la ville
(la ville est là : à deux pas, avec tout ce que l'on est venu y
chercher !) ? Mais peuvent-ils accéder à ce qu'ils en attendaient
? Cela ne repose-t-il pas plutôt sur une foi en ce que demain sera
meilleur, dans l'incertain du quotidien ? C'est probablement ce qui anime leur
résistance et qui fait qu'ils parviennent à avancer, pas à
pas...
"Là-bas, il n'y a pas de travail".
Du rapport au travail
On considère qu'il n'y a pas de travail dans
les Andes ; qu'être paysan, ce n'est pas "travailler", bien que
le travail de la terre soit le plus "trabajoso",
le plus pénible et fatiguant.
Bourdieu128, évoque le changement du rapport au travail dans
"le déracinement", celui des paysans (algériens) à leur
terre... N'est-on pas face à un phénomène comparable ?
En effet, les discours sur la Sierra rappellent toujours que
là-bas, les conditions sont difficiles, que l'on n'a plus rien, la terre
ne donne plus rien. Pas de travail, alors c'est à Lima qu'on vient en
chercher. Le travail de la chacra n'est plus. Il n'apporte que
les produits nécessaires à la "survie". Pas de
réelle rémunération. Pas de reconnaissance : paysans sous
payés, exploités (pour ceux qui n'ont pas de terre)? Et puis, des
attraits, des modèles qui changent. Un jour on se dit
qu'on ne veut plus de cette "pauvreté" là, celle du champ et des
rudes conditions de travail, et pour ceux pour qui ce n'est pas
l'activité, celle de petits boulots tellement mal payés. Cette
pauvreté, cette engrenage duquel il faut sortir : "salir adelante",
"sobresalir" : s'en sortir, aller de l'avant... Pauvreté et
idée de progrès. Avancer. Aller vers du mieux, du meilleur. Un
lendemain prometteur ?
Notons qu'il n'y a pas réellement du marché du
travail à Lima. C'est encore une fois le réseau qui fonctionne :
les possibilités dépendent souvent des liens (parrainage,
famille, voisins, etc.) qui permettent de « passer l'info » et de
favoriser une connaissance.
127 Jaillit], Robert. Exercice d'ethnologie.
128 Bourdieu, Pierre. Le déracinement La mise de
l'agriculture traditionnelle en Algérie. Editions de
minuit. 2002
Des représentations ...
« Ils fies migrants] arrivent dans
un style de vie violent, désordonné. Dans leur lieu d'origine,
tout était très tranquille, très ordonné... Ici les
gens sont "acriollisados129 ", les gens sont "vivos" »
n
Lima
|
Sierra
|
Monde criollo
|
Monde serrano
|
Possibilités (travail,
éducation...)
|
Pas de possibilité /
pauvreté
|
Education
|
Pas d'éducation
|
Travail
|
Pas de travail
|
|
-travail plus fastidieux
|
Supériorité --mieux
|
Honte / Fierté
|
"Todo es plata"
|
On a ce qu'on produit
|
Monnaie
|
Bétail -terres (abondance mais
carence)
|
Désordre
|
Tranquillité
|
Pollution
|
Pureté
|
Délinquance
|
|
Présence de l'Etat
|
Absence de l'Etat ("I'Etat n'arrive pas
ici")
|
Beauté
|
Triste
|
Anonymat
|
Chismes (commérage)
|
Dépensier
|
Ethique capitaliste 15°
(investissement)
|
Viveza (attitude de profit) "être
vivo"
|
Harmonie --
|
|
Famille
|
Pourquoi systématiser dans un tableau ? Pour illustrer
cette dichotomie que les gens semblent inculquer, pour donner un sens au
départ. La première partie représente plutôt les
visions endogènes, qui sont souvent confirmées dans les
représentations générales. Celles du dessous, les
commentaires des autres liméniens. Mais c'est aussi la vision de ceux
qui de loin posent leur regard : tantôt idéal, tantôt
obscur... C'est aussi toute l'ambivalence ressentie. La fierté de ses
origines, mais aussi la honte, selon les situations. On entend aussi beaucoup
de jugement de valeur des uns et des autres sur leurs semblables. Selon le
point de vue, on entendra dire que les paysans de la Sierra sont
"fainéants" (par les gens des bourgades andines) ou très
travailleurs (les gens extérieur au monde de la Sierra). Etc.
Il est évident que selon les protagonistes, et donc les
rapports entretenus, la vision change.
129 Être «criollisé » :
Assimiler cette façon d'être en ville._ Ces criollos,
habitants de la côte et aussi façon d'être
sur la côte... et dans certaines conduites (d'arrogance, racisme, de
diversion et dépenses...) déteignent sur
la forme d'être en ville ? On a souvent ce sentiment que
les gens voient les gens de la Sierra comme des gens "purs" mais qui se
pervertissent en ville (ou qui en souffrent). Soit parce qu'ils deviennent
aussi "vivos"(profiteur), soit parce qu'ils vivent dans un monde de vivos,
où l'on profite des autres sans pitié...
13° On dit souvent que le bétail
représente le capital des gens de la Sierra, c'est la seule chose qui
ait de la valeur. Ce serait pour cette raison qu'ils en mangent peu...
On dépeint souvent, dans la littérature
socio-anthropologique, les qualités d'entrepreneurs des migrants
d'origine andine, par l'émergence de capacités capitalistes
andines (éthique de travail, capitalisation...), mais qui repose sur la
richesse des liens sociaux.
Aussi leurs propres mécanismes culturels sont le point
de départ de leur organisation. Cela correspond un peu à ce que
développe S. Latouche"' au sujet de l'Afrique et de «
liceconornie vernaculaire », forme d'économie qui a
été "réenchâssée" dans le social ; s'il y
crise du système, elle repose sur celui du lien social.
C'est à partir de cela qu'ils constituent de
véritable réseaux entre ville et campagne : la Sierra se rend
présente à Lima et ce mouvement a des conséquence sur les
villages.
Le bien-être ou l'idée de «
l'ailleurs »
Les modèles et la migration. Le rôle des
retours.
Conquête de la ville. Quête de l'ailleurs,
celui où demeure le bien-être ? Des changements de
valeurs ont eu lieu, sans aucun doute en oeuvre "là-bas". Des influences
optimisées par la télévision, les retours et visites de
ces "conquérants" (les gens de la Sierra sont aussi déjà
venus à Lima, de là, rejet ou illusion), et d'autres, pessimistes
: la précarité dans la Sierra, la pauvreté, le manque,
l'abandon... De plus, un monde qui change, évolue
perpétuellement, et qui semblerait se paupériser. Mais aussi une
population qui a toujours été habituée à aller
chercher ailleurs ce qu'elle n'avait plus chez elle...
Déjà à l'époque des Incas, on peut
lire qu'il existait une forme de migration forcée, sorte de palliation
aux déséquilibres (alimentaires et hydriques), sorte de transfert
de population d'une vallée à l'autre132 appelée
"mitiniaq133" (en quechua) ou "minime" (terme
hispanisant). On lit aussi que cette migration forcée était un
déplacement organisé des populations pour coloniser des
régions faiblement peuplées ou dévastées par la
guerre ou une épidémie, ou pour assurer la défense dans
des régions peu sûres et aux frontières de
l'empire134.
Aujourd'hui, n'est-ce pas "la modernité", tout
simplement, qui propose autre chose, parfois considérée comme
meilleure, ce monde moderne qui attire ? Cependant, les choses ont
nécessairement évolué, le temps passe vite, d'autres
informations arrivent, des pratiques changent, des interactions
s'actualisent...
En deçà de cette "adaptation" des
représentations dans un discours montrant souvent que l'ici est
meilleur, peut-être s'opère-t-il aussi un changement
d'aspirations, par de nouveaux modèles, d'autres possibilités,
devenues désirables. Ces références sont, sans aucun
doute, véhiculées par la télévision, mais aussi par
les "néo-liméniens135 qui ont réussi". Des gens
comme soi, qui n'avaient rien, ou qui ne voyaient pas de meilleure issue, et
sont finalement partis conquérir la ville. Une illusion,
accompagnée d'une nouvelle perspective qui se fait évidente :
c'est là-bas qu'il faut aller ; pour le moins il faut tenter
131 Serge Latouche. L'autre Afrique, emre don et
marché. Khartala.
132 Oswald de Riveur. Le mythe du développement. Enjeux
planète. 2003, p. 220
133 En quechua, mitimaq signifie aussi « migrant
»
134 Carmen Salazar-Soler, Anthropologie des mineurs des Andes,
L'H.armanan, 2002, p. 358
135 Rolando Arellano C., David Burgos A. Cuidad de los Reyes, de
los Chaves, de los Quispe... EPENSA. 2004
L'argent, modèle ?
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Des visions qui s'opposent...
« Lima, todo es plata * » (A Lima, tout est
fric!)
Et son corollaire : à Lima, rien sans argent. Serait-ce
la dictature de l'argent en milieu urbain ? Répéter ces quelques
mots devenus adage*, c'est réitérer ce que les habitants n'ont de
cesse de rappeler. Ici. Et, là-bas136...
Cette idée est très répandue dans la
Sierra. C'est pour cette raison que beaucoup rechignent à rejoindre
leurs pairs à Lima... Ils rejettent cette vie matérialiste et
pénible : ce monde n'est pas désirable
A Lima, tous s'expriment également en ces termes, bien
qu'ils en aient, a priori, accepté le jeu. Sont-ils lassés de ce
monde régi à outrance (relativement, si on le compare au
Pérou non littoral/ urbain, mais d'aucune façon, avec nos
sociétés du tout monétaire), par l'argent, ou
dépassé par la quête qu'elle génère ?
Peut-être cela exprime-t-il la difficulté quotidienne pour
l'obtenir, pour s'émanciper en ville, la mesure de leur survie. Et de
leur vie.
Sentiment de pauvreté ? Au regard de
ce qui serait accessible, possible... Serait-ce un manque, dû à
une certaine abondance que l'on a connu ? On entendra toujours : «
l'argent qu'on a, c'est juste pour manger ». Alors qu'avant,
manger était à la portée de tous, c'était la terre
qui donnait, sa propre terre, ou sinon, la famille (« il y a tout de
la chacra »). Alors on peut se sentir limité. Parce que
l'argent, qu'on arrive péniblement à avoir, ne sert qu'à
s'alimenter, et ce n'est pas ce que l'on est venu chercher ici...
De fait, thésauriser quelques pécules pour
pouvoir obtenir un terrain, construire sa maison, devient plus
compliqué. Mais cela se réalise ! Malgré les
difficultés du quotidien tant déplorées, certains arrivent
à "mettre de côté". Probablement un changement dans la
façon d'obtenir ce qui est nécessaire à la vie, tant
matériellement que moralement.
Lima vs. Sierra
Ne nous engluons pas dans les visions romantiques des indiens
qui feraient mieux de rester sur leurs terres "sacrées" plutôt que
de venir surpeupler la ville : la situation dans les Andes est critique, nul ne
semble prendre en compte la population qui peuple la majeure partie du pays.
Lima, le dos toujours tourné à sa Sierra, semble rester indolente
aux besoins de celle-ci. Une situation andine qui semblerait s'aggraver.
Pourtant, le gouvernement semble s'en soucier peu... Des "mesures" ont
été prises, telle que la décentralisation (encore
faudrait-il savoir l'appliquer et lui permettre de s'accomplir
concrètement) ou le revenu contre l'extrême pauvreté,
encore de l'assistance... Remplir les bouches pour faire taire ? Le monde
urbain semble plus s'intéresser à la Sierra avantageuse pour les
escapades touristiques et ainsi vanter les merveilles du pays. Et pourtant,
tous savent déplorer la terrible situation des gens dans la Sierra. On
peut constater une certaine indifférence des habitants de la capitale.
Et parfois, un certain racisme...
136 Cette dichotomie "ici"/ "là-bas" a
peut-être été intensifiée par mes questions...Entre
ce qu'il racontait du présent et mes interrogations sur le lieu
d'où ils venaient. Ce sont bien deux espaces distincts et
séparés, mais plutôt dans la manière de dire. ils
s'entremêlent néanmoins dans la mémoire et dans les
faits...
Malgré ces jeux de discours et de
représentation, on peut penser qu'ils portent leur "culture " ("leurs
racines") en eux, la Sierra est présente en eux et se manifeste dans les
rapports sociaux et certaines pratiques, dans les "traditions", même
indirectement et involontairement « Alors... je suis toujours
ce que je suis. Et puis ici, c'est la communauté campesina [c'est
à dire, ce n'est pas comme si j'étais dans Lima]. »
Loin du bruit, de la confusion, de l'anonymat... dans
l'entre-soi
Mais jusqu'à quand la Vizcachera gardera ce
caractère retiré? A quoi aspirent-ils ?? Devenir un vrai quartier
urbanisé ? Rester un havre de tranquillité, avec la
proximité des possibilités et les "avantages" de
Lima ?
Quelle rupture ?
« Ya me acostumbre »
« Ça y est, je me suis
habitué ».
Ces quelques mots, si redondants semblent lourds de
signification...
Implicitement « J'ai eu du mal. Mais je m'y suis fait. Et
maintenant, j'ai décidé de continuer comme ça. Je
suis adapté ici. Je n'ai plus besoin de retourner là-bas.
C'est trop tard maintenant... ».
Cela veut dire l'adaptation, ou la résignation.
Cela veut dire la rupture, ou la coupure... Le pas est fait. Pas de retour en
arrière ? Ce n'est pas pour autant que la migration s'arrête en un
lieu. Elle est en de multiples endroits, rien ne peut laisser prévoir
d'autres pérégrinations, d'autres projets, rien ne coupe
complètement avec le passé. Toujours une
oscillation...
Incapacité de revenir en arrière, et
même si les conditions de vie à Lima sont aussi dures ; subsiste
l'espoir de réussir et d'accéder à toutes les
possibilités. Cette foi en demain permet d'accepter les
incertitudes d'aujourd'hui et à supporter le poids du quotidien.
Mais s'ils disent s'être habitués,
"enfin", ou "déjà", n'est-ce pas aussi pour avoir
goûté à un certain confort : gain matériel (argent),
transport, variété de la nourriture, etc. ? Autant de choses dont
on peut devenir quelque part "dépendant" ? La question se pose,
même s'ils lamentent sur le fait qu'ici tout soit contaminé, et
là-bas tout soit à portée de main (aliments...), et que
leur lot est la pauvreté : on a "juste de quoi manger"
De la coupure. Désirée ou subie
?
DESIR de couper avec le passé, en
renouvelant les appartenances ; d'intégrer le changement parce que c'est
un choix. Désir d'être dans un ici et maintenant, désir
pour demain. Désir de construire, de créer. Désir
de ne plus revenir en arrière mais de "se réaliser" jusqu'au
bout, d'assumer ses choix ? Hier appartient au passé, ils doivent y
renoncer.
Pour aller de l'avant, ne faut-il pas mettre un pied dans
l'inconnu?
SUBIR la rupture, la coupure parce que c'est trop loin,
dans le temps, dans l'espace, dans les liens, dans les sentiments... Parce
qu'on n'a plus les moyens (matériel --pas de
téléphone etc., ou humain) de garder le contact, ni
d'argent pour y retourner ou pour envoyer quelque
chose137. Parce que là-bas, on n'a plus de
considération ou de raison d'être, donc d'y
r retourner... Parce que l'on a dû tout changer pour
survivre ici, alors plus de retour en arrière. De la souffrance, on en
parle aussi. D'être loin, d'être parti.... Parce que l'on a
renoncé, bon gré, mal gré.
Parfois, les gens disent qu'ils n'ont plus de lien avec
"là-bas", mais lorsque arrive un proche à Lima « mon
dernier frère vient d'arriver de là-bas », ils sont au
courant. L'information passe toujours ; les liens et les réseaux,
peut-être moins ostensibles, sont toujours là.
Du reste, dans l'"entre-soi" de la communauté, chacun
sait d'où vient l'autre, même si cela ne s'énonce pas
directement (jusqu'à le dissimuler), les gens semblent le dire à
propos... Des moments de valorisation, ou son revers, selon qui, selon quoi.
Tout semble fonction de l'interaction 1 Ardu, pour l'oeil non averti, de
l'appréhender. Des identités versatiles ? La constitution d'une
nouvelle appartenance implique nécessairement d'autres rapports entre
les habitants, en vertu d'autres critères ?
Quel réel lien existe-t-il avec la terre des origines ?
Comment le maintenir ou le recréer sur ce nouveau territoire de vie ?
*
Discours sur pauvreté
ici h' vile de pitifurcié e.
Élitit''rcift l'éle-% d'are.% :lit
jijdn,*;.,1« lunes
lerres), niat.s 'E'illicÉ11101i. {,:(1 dierChc!Tli
» uta, de C'otopri
"Ici, il y a beaucoup de pauvreté, d'enfants
dénutris. On devrait faire un cornedor pour les petits enfants"
Lila
Ces propos sur la pauvreté dépendent de la
représentation que l'on s'en fait : on est pauvre, mais on peut sortir
de sa condition, et il y a toujours plus pauvre que soi....On parle toujours de
ces personnes, seules, avec des enfants et qui sont démunies de tout.
Mais restent la solidarité, les liens et la communauté.
u
H
|
Au Pérou on est pauvre, mais on l'est surtout à
l'aune de la pauvreté du lien social, du réseau. La
solidarité sert à pallier la pauvreté. C'est quand on est
seul que la pauvreté devient souffrance et vous isole, le vide. Le lien
est leur réelle richesse, absent de notre monde occidental. Ce ne sont
pas les différentes aides de nos pays industrialisés qui
couvriront les carences de l'isolement ; qui rétablira ce lien ?
Quelle transmission ? La mémoire par les enfants
ou la transmission de la mémoire
« Comme qui dirait je connais mes origines 1 »
Carine.
Comme enfants d'immigrés, et donc déjà
liméniens, on peut se demander quel rapport ils entretiennent avec leurs
origines et la culture qui lui est propre.
Leur famille ont évidement véhiculé des
pratiques, bien que parfois refoulées par l'arrivée en ville,
ainsi qu'un regard sur le lieu d'origine.
Pour certains, c'est un peu le lieu des vacances, où
l'on vient profiter des beautés du lieu. Certains n'y vont que pour
les fêtes, de temps en temps ou régulièrement : ce sont
elles qui
|
137 Les encomiendas :
beaucoup envoient des colis à leur famille restée
là-bas, ou, inversement, la communauté envoie à ses
migrés les produits locaux... moyen d'entretenir ce que l'on aime
là-bas, moyen de faire découvrir Lima... (on en reparlera plus
loin)
maintiennent le lieu d'avec l'origine des parents, par des
retours, ou tout simplement dans les lieux de retrouvailles des migrants du
lieu d'origine.
C'est en me racontant le parcours et la vie de leurs parents que
j'ai pu réaliser une certaine "transmission de la mémoire".
Cette transmission n'est parfois pas évidente ; la
langue est en générale mise de côté, par exemple, le
lieu d'origine reste "lointain" et le rapport avec les autres habitants "primo-
arrivants" (ou "lère génération") marque cette
différence.
« Le quechua...parfois, on dirait que c'est une honte
»
Le cas du quechua est éloquent. Langue
maternelle, elle est souvent parlée en parallèle avec l'espagnol.
Rares sont ceux qui ne connaissent pas l'idiome d'origine latine. Il arrive de
croiser quelques vieilles personnes, à Lima (dans a Sierra, il en est
encore beaucoup), qui sont venues très tardivement, ramenées par
leurs enfants. Souvent, elles ne parlent que très peu l'espagnol. Parmi
les autres générations, les deux langues étaient souvent
pratiquées dans le lieu d'origine. A Lima, les gens ne parlent quechua
qu'avec leurs vieux parents, ou avec leur famille ou quelques paisanos.
Il est très rare de les voir parler à leurs enfants dans ce
langage vernaculaire, et on voit vite les quelques tentatives d'enseignement
abandonnées.
Certains diront que le quechua leur donne un sentiment de
honte, les stigmatise. On peut se dire qu'il cherche à ne pas rester
"trop serranos" dans leur existence citadine... ! Il est vrai que ce
n'est plus la langue du lieu de vie... Ne leur sert-elle plus à rien ?!
Ne sont-ils pas fiers de cette langue qui est la leur, qui est si riche, comme
ils aiment à le dire ? A contrario, on peut s'aventurer avec les gens
avec quelques termes en quechua, ils en sont toujours ravis (bien qu'ils
prétendent avoir un peu "oublié" !)
Pourtant --et bien qu'ils aient une vision parfois
négative des autres "moins avancés"-- ils partagent avec les
autres (migrants) bon nombre de pratiques. Celles de la cuisine sont les plus
patentes. Le comedor semble jouer un rôle important dans cette
rencontre culturelle qu'est la préparation de plats (pour certaines, qui
ne viennent pas de la Sierra : c'est une façon de partager avec cette
culture), ceci dit, les pratiques culinaires s'adaptent également
à la ville et aux produits accessibles. D'autres pratiques, de type
communautaire et une certaine forme d'organisation sont aussi partagées.
Cela est peut-être dû à l'environnement dans lequel les
familles ayant migrées ont vécu : des quartiers constitués
en intégralité par les protagonistes !? Il en est sûrement
bien d'autres et il serait intéressant d'approfondir la question.
La façon d'imposer son habitat m'a
particulièrement attirée l'attention chez ces
"2ème génération", dans le contexte
liménien. Si l'on constate que les "invasions" (voir détail dans
le chapitre qui lui est consacré) sont toujours d'actualité,
beaucoup sont organisées et par les descendants d'immigrés qui
récupèrent cette pratique, cherchant à
s'émanciper du foyer familiali38 et à recréer
leur propre lieu de vie (en général ce sont de grandes fratries :
tous ne peuvent pas rester). Ils semblent donc adopter ce mode d'occupation de
l'espace, de construction du lieu de vie en repartant depuis les bases et de
conquête de la propriété. Paradigme à
élucider....
138 ll faut quand même noter que les enfants
restent longtemps dans le domicile familial et construisent souvent leur foyer
en rajoutant un étage à la maison des parents. En effet,
les maisons (en dur) ont toujours un aspect inachevé : elles sont
toujours en attente du prochain étage... I.
rj
r
Dans le chapitre qui suit, concernant les rapports sociaux au
sein de la communauté, j'aborderai les différences qui se
ressentent à travers leur discours sur les autres. (Accent,
éducation...)
Le melting pot d'origine, d'identité et de statuts
sociaux...
Des disparités d'origine géographique, sociale
ainsi que des parcours uniques viennent composer le peuple de la Vizcachera et
façonner la vie du quartier. Par delà, une histoire commune en
train de se créer, celle qui assoit l'appartenance dans le groupe.
Néanmoins, selon des moments d'arrivée
distincts, différents noyaux tendent à se créer,
s'agrégeant dans ce « nous » en construction... Des
générations différentes s'y entrecroisent : des
immigrés de longue date, des provinciaux récemment
arrivés, des enfants de migrés, et même quelque «
liméniens » (mais qu'est-ce qu'un liménien aujourd'hui ?).
Et toujours, de nouveaux venus.
La Vizcachera est (presque) un quartier de Lima. Mais à
la Vizcachera, on construit à côté. On s'intègre
à la ville, tout en s'éloignant, on prend ses distances pour
créer du soi, à l'intérieur d'un « nous ».
La Vizcachera est un prodigieux mélange, presque
harmonieux...
Et pourtant, la Vizcachera est mise en porte-à-faux par
de nombreuses réprimandes et querelles... On entend parler de
traîtres, d'une association contre la communauté, de conflits
à propos de terres. Comme spécifié
précédemment, l'attachement à la terre et à la
propriété (communale et/ou privée) est tangible, voir,
indubitable...
*
Les espaces de la mémoire sont difficiles à sonder,
ils se manifestent par des discours parfois flous (pour l'interlocuteur ?).
Au-delà des quelques difficultés
mentionnées réside une réelle volonté
d'identité. Mais qu'en est-il de l'esprit "campesino" ? Probablement se
manifeste-t-il dans d'autres manières de faire... On n'est pas de Lima,
mais on n'est plus de "là-bas". Au delà d'une assimilation ou
acculturation dans la ville, ou au contraire d'une pâle reproduction de
l'identité andine (catégorie qui n'a pas forcément
beaucoup de sens non plus...), ne s'agirait-il pas plutôt d'une culture
spécifique du migrant139, qui se développe et
s'invente entre ces pôles. Celle-ci s'inscrit peut-être dans
l'appartenance à la communauté, sous un autre visage, parce
qu'elle conquiert un nouveau lieu... La conquête d'un espace
matériel et social nouveau est le point de départ d'une nouvelle
identité, que l'on va valoriser, malgré les vicissitudes de la
vie à la Vizcachera. Serait-ce en un lieu de l'"entre-deux", où
oscillent des aspirations multiples... ?
Arriver à la Vizcachera, signifie une autre
arrivée, et aussi un nouveau départ. Qu'apporte la
communauté à la constitution d'une nouvelle identité ? Une
appartenance sans doute moins floue que dans l'immersion en ville, et qui
permet la constitution de nouveaux rapports, malgré la
versatilité des discours et des alliances ...
139Il est important de noter que ceux que j'appelle
les "migrants" ne se disent pas eux même "migrants" ou "immigrés",
d'ailleurs peu. de gens les appellent ainsi. Mais il est difficile de trouver
un terme qui convienne, et par ce terme, je prends en compte tout le mouvement.
Les gens de la ville utilisent des termes plutôt péjoratifs ou des
périphrases (voir analyse de vocabulaire dans la partie suivante)
Ainsi, si la communauté est constituée d'une
pluralité d'identités (réunies dans celle d'être
migrant, ou en quête de lieu ?), il semble se créer une
identité plus spécifique à la Vizcachera, Et ce,
même si (et d'autant plus !?) elle est altérée par les
conflits sous jacents... En effet, si le peuple de la Vizcachera vante son
unité, les uns et les autres expriment les différends qui hantent
leur quotidien, en raison de problèmes de terrain. Mais ces
dissensions sont peut-être le lieu d'exaltation du "nous" et des
enjeux propres à la terre et à la
propriété.
Les rapports au territoire et à la
propriété sont autant de manières d'appréhender
l'adaptation en ville et les rapports qu'ils suscitent entre les gens,
ainsi que les conflits d'appartenances qu'ils génèrent.
De l'histoire de vie à la vie et ses
histoires
AI La communauté : identité et
appartenances
1/ De l'adaptation en ville : identité et
appartenance.
L'arrivée à Lima, bien que facilitée par
des réseaux fiables n'est évidemment pas si facile... Face aux
préjugés défavorables des autres couches sociales
(vis-à-vis de la façon d'être et de vivre des paysans et du
monde andin), les migrants semblent développer des stratégies de
comportement. Montrer ou dissimuler leur permet une meilleure
intégration. Ils apparaissent alors sous différents visages selon
l'interlocuteur et le contexte, et autant d'identités apparaissent dans
leurs discours.
Les rapports sociaux dans la ville
On peut remarquer --je le ressens ainsi - qu'il existe des
formes de ségrégation assez fortes vis à
vis des "migrants", appelés péjorativement "cholos" ou
"indios" (entre autre) par les classes supérieures. Entre eux,
les gens utilisent souvent cette expression "el cholo cholea al
otro140, (cholo n'est plus péjoratif s'il est dit dans
l'"entre-soi" et même, beaucoup disent « nous les
péruviens, on est tous des cholos ») qui veut finalement dire
que les anciens migrés se sont appropriés un identité
urbaine et "discriminent" le nouveau venu, celui qu'il a été
à ses débuts. En réponse à cela, ils adoptent
différents discours sur leurs origines, ceux-ci semblent passer par
plusieurs phases.
Ternies pour qualifier et catégoriser les gens,
avec toute la connotation affective ou dépréciative
qu'ils peuvent revêtir.
Façons de dénomer
- serran, cholo, Jucha, indigenas, chuto / pituco, criollo,
costereo...
- gente humilde, gente de pocos recursos, en la necesidad,
gente de mal vivir... / gente de tener, gente decente....
"El Peur de iodas las sangres"- selon les "couleurs"
Achinado : aux traits asiatiques ou indigènes
Blanquinoso : péruvien (costeno-gens de la
cote) qui parait européen.
Zambo descendant d'un noir avec une indienne ou
inversement, ou personne avec des traits négroïde.
('huncho ternie dépréciatif qui s'utilise
dans l'aire andine pour dénommer les Natifs d'Amazonie. (Dans les rites
andins, c'est la personne ridicule qui représente l'indien
d'Amazonie).
Etc....
|
140Chohl désigne l'individu
d'origine indigène qui, par sa migration à la ville,
pour son éducation ou son comportement social, cesse d'être
considéré comme un « indio (indien) ».
Cependant, pour les costetIos des couches supérieures,
cholo devient dans son langage, synonyme de d' incita ».
Par contre dans les secteurs populaires, cholo --et encore plus
« cholito», le diminutif, devient un terme affectif.
(d'après Arguedas)
C'est la rencontre d'une identité provinciale fortement
ruralisée avec une culture urbaine moderne qui serait la configuration
la plus caractéristique d'une « choledad »,
qui a changé la configuration de la ville du l'ail de
cette migration devenue massive (la « cholification » de
Lima). In Guillermo NUGENT, El laberinto de la choledad.
Des étapes d'"intégration"?
« Ils te marginalisent, ils te
discriminent... On te dit "chola", "serran"... »
Être étranger. On peut se sentir
méprisé, discriminé, exclu : ils n'ont pourtant suivi que
l'exemple de ceux qui les ont précédés ! Ce sentiment de
honte, de déconsidération ou d'exclusion, peut être
compensé par les réseaux d'appartenances et de liens qui
préexistent, et qui se construisent (et déconstruisent ?) au fur
et à mesure. Dans un premier temps, ils sont donc dépendants de
leurs « compatriotes » mais surtout des membres de leur famille, sur
qui seuls, ils peuvent compter.... Ils échappent à cet isolement
social et culturel en appartenant à un groupe, un territoire.
Conquérir, construire de nouveaux liens, les difficultés sont
toujours présentes, mais ils s'entraident et s'unissent Ils sont
nouveaux mais nouveaux dans le quartier, dans la communauté
d'appartenance et non plus dans la ville, impersonnelle.
Comment reprend-on à son compte les façons de
faire, habitus, habitudes et codes qui y circulent... Comment les fait-on siens
? Se les approprier (tout en les adaptant..) paraît plus aisé pour
une meilleure cohésion et la construction d'un sens commun
On entendra beaucoup dire à Lima qu'ils "se laissent
contaminer" par la ville, par les autres, en dissimulant leurs
origines et adoptant des comportements de pervertis --on parlera de «
viveza141 »- de la ville (vision de l'"humble" paysan
?).
Mais comment rester soi tout en s'intégrant ? Faut-il
adopter des stratégies pour conquérir une nouvelle place, en
délaissant une partie de soi ? Il est nécessaire
de donner un sens à l'univers qui nous entoure, mais surtout trouver son
propre sens clans ce nouveau contexte.
Jusqu'à ce qu'un jour, on commence à
"réussir", à avoir un chez soi. C'est peut-être aussi
devenir quelqu'un, c'est aussi appartenir à un territoire, à un
groupe ? Peut-être à cet instant disparaît la vergogne "des
débuts", celle des migrants, grâce à la nouvelle
cohésion. Après des moments d'errance, se cristallisent des
appétences : acquisition d'un terrain pour la construction d'un habitat
commun et le développement d'un espace de vie commun.
Ce qui semble être une sorte de recherche
d'identité à travers la migration, ne se consolide-t- elle pas
dans une volonté d'appartenance ? Celle-ci s'inscrit-elle dans le
quartier, sorte de communauté dans la ville, et, en l'occurrence,
communauté en tant que telle dans le cas de la Vizcachera ?
La communauté vers le « nous
»
«Je suis d'ici, de tel quartier ».
Les origines ne sont pas prépondérantes. Dans le
discours, on appartient à son quartier avant tout. On voit là une
réelle volonté d'identification dans l'ici et maintenant, et
d'affirmation dans l'appartenance à la communauté, le « nous
» ; « nous, les comuneros » (membres de la
communauté).
A la Vizcachera, les liens familiaux consolident les
réseaux de circulation d'informations et d'entraide. S'ils semblent
être à la base de l'adaptation, la communauté joue un
rôle important pour souder les rapports entre les habitants et la
construction du quotidien et peu à peu, du vécu commun. Faute
d'exprimer ses origines par la parole, on le manifeste plus volontiers par ses
manières de faire, notamment par l'organisation communautaire. Ce sont
les anciennes
141 Comportement de profit de l'autre, de mesquinerie,
caractéristique des gens de la côte. ("La viveza
criolla")
pratiques qui implicitement se « reproduisent » tout
en les adaptant au nouveau contexte spatial et social. Ne systématisons
rien : il s'agit malgré tout de réinventer une organisation
propre et de construire de nouveaux rapports.
Le quartier au pueblo, la communauté dans la
ville
Les migrants (mais aussi les gens --enfants d'immigrés
pour la plupart-, en quête de "casa propia" pour s'installer)
semblent prêts à tout pour conquérir leur nouvel espace de
vie, matérialisé par l'acquisition d'un terrain « à
soi » et de leur propre chez eux, dans le but de « levcmtar
» (dresser), plus tard une maison en matériau "noble".
Pourtant, les terrains appartiennent réellement à la
communauté (ils n'en sont que les usufruitiers), encore que, la
communauté n'a qu'un certaine autonomie dessus : c'est la matrice qui en
est "maître".
Aussi, ils semblent reprendre à leur compte
l'identité d'un lieu -même lorsqu'ils ne l'ont pas "fondée"
ou construit à la base, et l'appartenance communautaire, cohésion
bien plus andine qu'urbaine.
Mais cette façon d'exister, dans un tel melting pot
générationnel et régional, en un lieu de vie commun,
n'est-elle pas devenue finalement, proprement liménienne ?
(L'identité liménienne n'est pas tout à fait
l'identité urbaine). S'interroger sur le sens de la communauté
peut aussi nous éclairer sur le combat mené par les habitants
pour défendre le territoire commun, et en deçà, son propre
espace. La communauté est aussi un échafaudage de liens
tiraillés par les personnalités...
Appartenir à la Vizcachera, c'est aussi asseoir son
identité en un lieu, c'est passer de "pas grand-chose" à
quelqu'un d'impliqué dans la grande ville142.
Vivre en communauté
II n'est pas vain de le répéter, la Vizcachera
n'est plus la ville car des limites administratives l'ont jusqu'à
présent déterminée ainsi (mais jusqu'à quand ?
n'est-elle pas vouée à s'inscrire dans la ville, comme son voisin
avec qui elle est étroitement liée --quartier de Campoy). Mais
elle n'en est pas moins un quartier de la périphérie de Lima,
réceptacle des migrants (en majorité) "du coin" en quête de
lieu pour enfin s'établir. Avec cette différence : elle est
régie par un système communal à proprement parler, tandis
que les autres quartiers nouvellement constitués de Lima voient leurs
terres gérées par le système urbain de la
Côte143. Ils n'en fonctionnent pas moins comme des
communautés, qui se fondent ensemble, travaillent pour un bien commun,
luttent ensemble pour défendre leur territoire et
conquérir leurs droits...
Les pratiques et l'organisation communautaires
C'est par la "possession" (droit d'usage) d'un terrain que l'on
devient comunero (membre de la communauté). Celle-ci engage
l'usufruitier à. participer à la vie de la
collectivité.
142 Christophe Martin. Ibid.
143 Deux systèmes fonciers sur la Côte :
celui des terres urbaines et celui des terres rurales
(diffet eut de celui des
terres de la Sierra)
Il peut s'agir du travail communal : la faena, des
tours de garde nocturnes : rondos vecinales (rondes vicinales), ou
encore de la participation et du vote à l'assemblée directive
(Junta directiva). Ces pratiques, d'origine communautaire et andine,
se développent dans beaucoup de quartiers de Lima.
Elles permettent à la communauté de se souder et de
construire ensemble un espace de vie qui, par leur seul travail au
début, disposera du minimum d'installations. S'il faut se construire une
maison soi-même, il faut aussi rendre habitable le quartier (autrement
dit, les collines de terres et de pierres...). Néanmoins,
l'électricité ne s'acquiert pas du jour au lendemain : la
Vizcachera ne dispose de lumière électrique que depuis une
dizaine d'années, et l'obtention de l'eau144 est encore un
combat d'aujourd'hui. « Ça fait déjà dix ans que
nous sommes sans eau », déplorait une dame (comme tant
d'autres !) qui est là depuis autant d'années. Certains
racontaient même qu'aux débuts, il fallait descendre à
l'entrée pour aller chercher de l'eau.
·
Lafaencii45
C'est le travail réalisé collectivement, par
les habitants de la communauté pour une oeuvre qui profitera à
l'ensemble de la communauté, ou du village, dans l'intérêt
de tous et qui bien sûr, n'est pas rémunéré... C'est
une pratique de la Sierra, peut-être un héritage des Incas, ou
d'encore avant... On n'est pas obligé dans l'absolu d'y
participer, mais si l'on est directement concerné, cela va de soi. Par
exemple, si l'on habite dans la rue où les travaux vont être
réalisés ; ou si l'on se sert de l'eau du canal qui va être
nettoyé... En bref, dès que l'on se sent
bénéficiaire (direct ou pas), on sent l'obligation sociale d'y
participer.
A la Vizcachera (comme ailleurs), des faenas sont
organisées pour réaliser les gros travaux du quartier. C'est
ainsi que les gens ont rendu viable l'environnement : en dégageant les
pierres et aplanissant le terrain pour faire une route, en frayant des
accès pour que le marchand d'eau puisse passer dans le lotissement avec
son camion... etc. Ce qui semble avoir été fait
dernièrement, et dont les gens parlent, désespérés.
Ils ont apporté un tank d'eau sur le sommet de la colline, en vue
d'obtenir l'eau courante. Des canaux de distribution (et de tout à
l'égout ?) ont été creusés (des tranchées
longent toutes les rues !...) depuis déjà deux ans, et
jusqu'à maintenant, pas une goutte d'eau, au plus grand
découragement de tous, d'où la dérision de ceux qui ne
participent pas aux travaux communautaires...
· L"activité"
Si un projet est onéreux, alors "une
activité146" sera réalisée pour réunir
des fonds... Les uns et les autres se trouvent l'obligation sociale et la
volonté de "collaborer", ou pas. Cela dépend
144 La ville aide parfois les quartiers à obtenir ces
infrastructures, mais seulement au bout d'un certain nombre d'années,
une fois la possession formalisée... En outre, la Vizcachera ne peut pas
obtenir d'aide de Lima... c'est pour cela qu'elle a dû (pu ?) faire appel
à l'aide extérieur : allemand et suédois semblent avoir
collaboré pour le collège et le tank d'eau) -- N.B Ceci dit,
l'allemand a la réputation d'être un sacré corrompu qui
profite de ces actions pour « s'en mettre plein les poches »... )
145 En quechua de la zone centrale. "beim" se dit "vupanaco"
du verbe « _vupanaku » qui veut dire «
ayudarse uno al otro », c'est à dire, s'aider les uns les
autres
146 Faire une activité »
déjà explicité dans une autre partie : il s'agit de
réaliser une fête oit Fon vendra un plat cuisiné (poulet,
chicharron...)_ en y invitant tous ses réseaux et voisins. afin
de réunir de l'argent pour une cause. Dans la Sierra, il s'agit souvent
de "cuyadas". c'est-à-dire de préparation de cuv (cochon
d'inde), animal de la sierra par excellence...Mais à Lima. bien que de
nombreux habitants en élèvent dans leur maison et cour (oui,
à la ville 1), leur nombre est trop limité...pour que cela
devient aussi courant. (Le cuv est très connoté
"serrano"...)
également du degré d'intérêt que
l'on a, et aussi des relations entretenues avec les organisateurs et
bénéficiaires... Cela peut-être pour un proche malade, une
famille en deuil, mais aussi à dessein commun : des chicharronadas
ont été réalisées dernièrement pour
financer l'installation électrique d'une nouvelle partie du quartier (la
partie où les gens vont être relogés le long du hueco). Ils
préparent ensemble l'installation de la zone.
· Rondes vicinales / "lynchages"
« Les rondes vicinales, c'est à cause
de ce problème d'invasion. Il y a eu celle-là et
celle-là etc. Une fois, il avait des bombes, on respirait comme
ça [elle me mime l'asphyxie], j'ai failli mourir !
C'était il y a 6 mois... Il faut être là, pour nous
défendre... Qu'ils n'entrent plus !
La communauté se construit, mais elle se
protège elle réalise des tours de garde, rondes de nuits, afin de
se protéger contre les éventuels prédateurs et usurpateurs
de terres, et aussi contre les délinquants... (Ces deux raisons
expliquent la remise en route des rondes vicinales toutes les nuits)... C'est
ainsi que la communauté se défend des éventuels
"envahisseurs" (ceux qui viennent effectivement envahir leurs terres) et des
drogués qui traîneraient là, la nuit. Tour à tour, 3
personnes d'un îlot vont faire des rondes pour surveiller le territoire.
Cette pratique vient également de l'organisation communautaire usuelle
dans la Sierra.
Le plus extrême, c'est la façon dont un
délinquant est lynché ou renvoyé de la communauté,
lorsqu'il est surpris à voler, ou à commettre un autre
délit... Il semble que la Vizcachera traite également ces
problèmes en s'en protégeant : « Et quand c'est le
sifflet, tous nous allons attraper le voleur. Ils font ça aussi dans
des lieux comme ça, des communautés... à Canto Grande,
Puente Piedra ... [Quartiers de la périphérie de Lima]
» (Vilma).
· Le comedor popular 147
La cantine populaire semble être le lieu d'organisation
de la "communauté de femmes" par excellence. Non seulement, on y
prépare les aliments communs, mais c'est aussi le moyen d'organiser des
activités annexes. C'est aussi un lieu de grande
sociabilité.
En revanche, cette pratique n'est pas si courante dans les
Andes, elle existe certesiu, mais n'est pas le lot commun. La
cuisine y est plutôt familiale. A Lima, les comedores populares
pullulent dans tous ces quartiers. C'est qu'il a fallu communautariser la
préparation de la nourriture pour pouvoir s'en sortir (manger est plus
difficile à Lima que dans la Sierra où l'on a les produits de la
chacra). Paradoxalement, on y cuisine des plats de la Sierra
(adaptés aux aliments d'ici)! Les femmes mettent en oeuvre leurs savoirs
culinaires du lieu d'origine. Cela semble faire cohésion dans tout le
groupe, même pour les enfants d'immigrés qui connaissent cette
alimentation, transmis par leurs parents.
Mais les pratiques communautaires ne s'arrêtent pas
là, elles donnent sens au groupe sous différentes formes. Aux
débuts de la communauté, une fête a été
créée (j'imagine) : celle de la croix, à travers la
chancheria. Les fîtes religieuses sont
importantes dans les communautés (et parfois dans les quartiers) partout
au Pérou. Elles sont toujours propres à un lieu.
La techa casa, safa casa149, ou
techada, c'est à dire la "pose" du toit est un moment
très important dans la sierra, accompagnée de festivités.
Il marque une étape importante, le
147 Cantine populaire
148 Elle est appuyée financièrement par
un le PRONAA, organisme de l'État.
149
safa casa, terme espagnol, "safar" c'est. comme
"le terminé", soit terminer les finissions du
toits. En quechua on dit "wasi qispi'
symbole du toit. Pour l'occasion, des proches viennent aider
à la construction et participer aux festivités.
Même si je vais peut-être un peu loin dans mes
interprétations, je voudrais soulever la question de savoir si l'on peut
retrouver dans le vivre en communauté du cadre urbain, perturbé
par la migration, certaines formes de services, de travail, en dehors de la
faena, qui se réalisent entre deux ou trois personnes, comme l'ayni
ou la minka. L'ayniI5°
est un service rendu à une personne, qui en attend la
réciprocité... Cela se passe généralement entre des
personnes d'un même niveau social. Par exemple, quand quelqu'un apporte
du sucre ou des fleurs pour une fête : c'est ayni ; le
bénéficiaire devra faire la même offrande quand à
son tour, il fera une activité. On peut penser que cela se fait lors des
activités organisées par des gens de la communauté, car
ils se sentent, ou pas l'obligation sociale (selon le lien) d'y aller, et de
fait de « collaborer »... en ce sens !
Le minka est un service rémunéré
; on est employé pour un travail précis, et l'on perçoit
un salaire. C'est plus généralement entre des gens de niveaux
différents. Ce pourrait être le service que rend cette vieille
voisine en lavant le linge et en recevant en échange quelques
pécules. Ces pratiques peuvent se retrouver également lors des
"techadas"...Mais à vrai dire : je n'en sais rien.
J'émets l'hypothèse, puisque ce sont des rapports de
réciprocités importants dans les communautés...
Ce serait des questions intéressantes à
étudier afin de comprendre comment fonctionne le rapport entre les gens
au-delà de la migration.
C'est donc dans l'espace communautaire que les migrants, d'une
manière générale, semblent retrouver des pratiques bien
connues de leur culture. La communauté d'origine n'a plus grand-chose
à voir dans ce nouveau noyau en tant que culture locale, mais
plutôt dans ses manières de s'organiser. C'est aussi ce nouveau
rapport communautaire qui donne sens au nouvel univers commun et construit les
relations entre les habitants.
La migration semble être un véritable
enchevêtrement de la culture d'origine avec le nouveau cadre de vie, sous
toutes ses manifestations, plus tacites, qu'ostentatoires... La volonté
commune de reconstruire et de consolider de nouveaux liens y est fondamentale.
Mais qu'en est-il des rapports ?
2/ Territoire et appartenances... les rapports entre
les habitants
Le nouveau tissu social de la
communauté
A l'intérieur de la Vizcachera (comme ailleurs !),
diverses "sous appartenances" et différenciations sociales se laissent
deviner. Entre "anciens" et "nouveaux", entre
communauté et association (on le verra dans la partie suivante), ainsi
que, selon les origines sociales des gens. Mais dans quelle mesure
?
150
Par exemple, deux personnes en aident une Sème - et
ensuite. la Sème personne devra
à son tour aider les 2 autres pour quelque chose de la même
nature. Ou bien. les cadeaux de mariage ou les bandes et orchestres
engagés. ils sont souvent fait sous la forme de awzi. ce qui
fait que quand ceux qui ont donné la bande seront à leur tout
"nuryordomos". ceux qui l'avait reçu devront la donner à
leur tour.
JE
t.
n
il
Li
L
Il est perceptible que dans la Sierra, les rapports sociaux
sont très hiérarchisés, même à
l'intérieur d'une communauté. On dirait que les
gens attestent de leur statut par ces rapports. Peut-être ne le
conçoivent-ils pas ainsi, mais d'un regard extérieur, les
positions sont bien marquées.
Par exemple dans la Sierra, les gens s'autodésignent
comme « la gente decente » (les gens
décents) par opposition aux autres, qualifiés comme la
"gente humilde" --(les gens humbles),
également par les gens de Lima (pour évoquer le côté
"pauvre" économiquement et socialement --culturellement ?), qui diront
aussi "les gens qui ont peu de ressources" (« gente de pocos
recursos »), ou "dans la
nécessité.", etc. Reste les
"gens de mauvaise vie", qui sont les
délinquants, mais selon les plus hautes sphères, il
représente à peu près tout ce peuple des
nouveaux districts (exagération ?). Aussi, les gens "décents"
(désignation endogène) semblent respectés en tant que tel
--c'est peut-être dans cette mesure que l'on petit parler de
"hiérarchie' (cf tableau ci-dessus)
En dépit de cela, ils s'unissent dans la même lutte,
parce qu'ils sont partie intégrante de la communauté.
Reste ceux qui n'ont rien, rien sur quoi s'appuyer pour se
faire valoir, pour exister. Peut être à la ville peuvent-ils
conquérir aussi un peu de statut. Peut-être que
malgré un racisme assez consternant et la ségrégation
inhérente --qui n'est pas, certes, exprimée en ces termes,
mais se ressent dans la population citadine-, ils ont une chance Soit ils se
perdent dans l'anonymat, soit ils y gagnent leur place... Alors ils peuvent
tenter d'être, à l'image de leur aspiration. L'ascension sociale
en ville est également un modèle de réussite.
L'exemple des églises
évangéliques est intéressant : elles pullulent
dans la ville, et d'autant plus dans ces quartiers
(dans la Sierra également). Elles semblent être un nouveau "lieu"
d'appartenance, un réseau de liens et donc de solidarité
fortifiée Certains auteurs y voit une sorte de
substitution à la "morale andine", comme un mode de vie andin
idéal... Certes, c'est une communauté qui fonctionne, et
qui se substitue à une appartenance de caractère communautaire
(celle du village par exemple) mais je n'irais pas si loin dans le sens de leur
interprétation... Simplement, comme un réseau et une appartenance
forte, et une façon d'être considéré. A
entendre Genobeba expliquant que les gens de réglise" appelait
son mari "hermano" (frère), on peut se demander si ce
n'est pas une façon d'égaliser les rapports, de se
mettre tous au même niveau, on est tous "frères" et solidaires...
contrecarrant les rapports de domination.
Mais, ne nous méprenons point : les apparences
rappellent les positions : la couleur de peau, le style (tenue plus
"relâchée"), l'accent (certains gardent un accent très
andin), ou encore la façon de vivre...
E
Des rapports...
A la Vizcachera, comme ailleurs, la communauté ne
dissout pas les rapports de domination qui peuvent exister, ou se constituer_
Mes propos vont peut-être un peu loin, mais si l'exceptionnelle
solidarité entre les habitants et l'insatiable lutte qui l'accompagne
surprennent agréablement, les différenciations sociales et la
discrimination peuvent parfois être consternants.
On pourrait aller jusqu'à se demander si certaines
distinctions se font, de manière plus implicite. Dans
la sierra, on peut constater des différenciations
importantes entre des gens qui habitent des zones (ou
"étages") distinctes : particulièrement entre les gens venant des
hauteurs (la "puna" --dans les 4000m d'altitude) et ceux de la
vallée (étage "quechua"). Pour
illustrer, il m'a été conté que dans le
village de Churcampa, un quartier s'est créé de toutes
pièces pendant la période de terrorisme. Les gens des punas sont
descendus se réfugier à Churcampa (parce qu'il y avait une base
militaire). Ce quartier s'appelle normalement « Are° pampa»
("arc", et "surface plane") mais il est plus connu sous le nom de «
chuto pata » (chuta Indio "indien"-- un nom
connoté négativement qui est utilisé par
les gens de l'étage quechua pour parler des gens de la puna, pata :
petite altitude)
Celles-ci peuvent-elles encore se ressentir dans les rapports
entre les gens de la nouvelle communauté ? Ont-ils des moyens de se
distinguer en vertu de ces (anciens) rapports ? Ou cette distinction
disparaît-elle avec les nouveaux noyaux d'appartenance qui valorisent
chacun dans ce nouvel univers ?
On peut constater qu'a Lima, on parle des gens « du
eerro » et « de l'invasion » (ils ont envahi le terrain
sur lequel ils habitent) avec parfois un certain dédain. Ils sont
presque des boucs émissaires, et reçoivent divers blâmes :
d'envahisseurs et autres receveurs des maux dont on les accuse...
A la Vizcachera, on entend parler des gens des
latéraux, ceux de la pampa et ceux des cerros. Sont-ce de simples
localisations, comme des sous-divisions du quartier ? Ou y a-t-il là une
reconnaissance de ceux qui, étant sur la pampa, sont
là depuis le début, par opposition à ceux qui sont venus
après et les ont quelque part « envahis » (sans que ce
soit dans le cadre de ce mode d'accès au sol qu'est
l'"invasion") ? « Los de arTiba y los de abajo... » (Ceux
d'en haut et ceux d'en bas)...
Au-delà de l'appartenance à une province ou
à un district d'origine commun, il existe des origines sociales qui
influent probablement sur les rapports et activités. Néanmoins,
les « professionnels » (gens qui ont fait des
études et la profession qui leur correspond) semblent être assez
rares à la Vizcachera.
C'est significatif dans le « laver du linge
», faire laver le linge par quelqu'un d'autre par exemple. Une
dame, d'une classe plus "professionnelle" (mais qui ne dénigre pas les
autres dans ses discours et s'inclut dans une certaine pauvreté,
même si elle la différencie- à raison, de
celle, extrême, d'autres...) faisait laver son linge par sa voisine d'en
face, « parce qu'elle avait mal au dos ».Elle l'assistait du
début à la fin de la besogne... Sa voisine, évidemment
n'était pas de la même classe (elle lui donnait des ordres --avec
sympathie et respect) mais elles avaient l'air d'entretenir de bons rapports.
Laver le linge des autres signifie dans les Andes, être au bas de
l'échelle sociale. D'autres jeunes femmes s'en vont laver du linge dans
divers quartiers de Lima, pour couvrir leurs besoins (la fille d'une dame le
faisait pour « pouvoir acheter le lait pour son bébé
»). Force est de constater qu'à la Vizcachera, peu nombreuses sont
celles qui ne lavent pas leur linge elle même ! (voir chapitre «
activités »)
Les enfants de migrés (parfois de fondateurs) et
"liméniens"
Tous ne viennent pas directement de la sierra. D'une part,
nombreux sont ceux qui ont vécu un certains temps à Lima avant de
venir s'installer ici, et d'autre part certains sont des "deuxième
génération" : autrement dit, des enfants d'immigrés --de
parents de la Vizcachera pour certains_ Enfin, quelques personnes sont de Lima.
Quoique, pas exactement, je n'en ai rencontré qu'une dans ce cas dont la
famille vient de Chincha, sur la côte, au sud de Lima.
Ils semblent se distinguer des autres (qui viennent de la
sierra), peut-être parce qu'ils ont un certain niveau
d'"éducation" (scolaire) alors que la majorité sont allés
très peu à l'école. Ce
n'est pas en ces termes qu'ils l'expriment, mais plutôt
dans la façon de remarquer les
ri "manques" et disparités.
Néanmoins, même s'ils se différencient
(notamment sur l'éducation, le rapport au travail...), ils partagent
avec les autres une certaine façon de vivre, transmise par leurs
parents, et semblent pouvoir faire cohésion dans la
communauté. Ils ne se séparent pas nécessairement
i. des autres, de la même manière qu'ils ne se
groupent pas "entre eux", ils ne forment d'ailleurs pas une catégorie,
c'est juste leur vision qui est particulière. Du reste,
les uns et les autres ne se rangent pas forcément dans le
même "camp", c'est donc davantage leurs expectatives --avec ou
contre la communauté, qui les mettent en rapport avec les
autres.
Parmi eux, certains sont des enfants d'antiguos ;
ils ont vécu ici un certain temps, puis ils sont partis avec
leurs parents habiter un autre quartier (Zarate ou Campoy). Ils y allaient
toujours pour les cochons. Mais certains sont revenus, leurs parents jouissant
d'un plus grand nombre de parcelles (en raison de leur statut de
fondateurs), ils avaient donc la possibilité de s'y installer.
D'autres enfants d'antiguos ont toujours vécu à
la Vizeachera et jusqu'à présent, ne la quittent pas,
s'étant installés en ménage.
D'autres enfants d'immigrés, sont venus s'installer,
simplement parce qu'ils recherchaient eux aussi un terrain. Ils sont peu
nombreux.
Aussi, ceux qui viennent de « Lima » parlent souvent
avec compassion mais distance de la pauvreté des autres... Mais cette
différenciation reste infime dans la cadre plus global de la
communauté : ils s'incluent tous dans une certaine catégorie de
« pauvreté » et les liens communautaires sont prégnants
--pour ceux qui ne s'opposent pas à la communauté...
On parle facilement de ceux d'en dessous (les plaignant, mas pas
de ceux qui discriminent ou dominent...)
« Ils ont des coutumes différentes. Leur
éducation est différente, plus faible. Par exemple, "untelle",
elle est différente... Il faut leur enseigner ...par exemple, ils ne
peuvent pas aider [en parlant de sa belle famille] les enfants pour leurs
devoirs. Il faudrait les aider eux : ils sont pires ! Par exemple mon mari, il
ne peut pas enseigner... tu crois que ça pourrait être une maladie
?! Les gens d'ici ne peuvent pas aider leurs enfants... Rosa, une dame
mariée à quelqu'un de la sierra, qui est ici
avec toute sa famille. Elle a habité Lima et la côte
sud...
« Ici, il y en a qui frappent leurs enfants. Parce
qu'ils ont des manières de faire très différentes. Nos
enfants sont très différents._ Vilma, fille
d'immigré
« Les gens ont beaucoup d'enfants. Ils ne devraient
pas...les études, c'est cher, ils ne vont pas pouvoir permettre à
leurs enfants d'étudier...
L
H
j
« 1,es enfants des autres : ils sont sales... ils jouent
toujours dans la rue. Ils disent des grossièretés... c'est pour
ça que je ne veux pas que mes enfants sortent...
«Les gens de la Vizcachera... (avec
un air désolé.._) il y a de tout. Certains n'aiment pas
travailler. Ils ne veulent pas progresser. Ils sont habitués à ce
qu'on leur donne. On ne peut rien faire avec ces gens-là... On lutte
seul...
Elles [les femmes du comedor ?] sont soumises, elles ne te
parlent pas... Juste pour parler mal. Alors qu'elles ne font rien ! Elles
racontent par exemple : "j'ai entendu dire que mais au lieu de critiquer, il
faut voir !! Parce qu'il y a beaucoup d'ignorance. Elles ne
savent même pas écrire ...Il y a eu des ateliers : elles ny vont
pas... Les mères n'aident pas...On a
96
fait une pachamanca151, elles mangent et elles
s'en vont...elles n'aident pas...juste par intérêt... elles ne
veulent pas s'intégrer au travail ...Par exemple au comedor, il faut
toujours tourner152... il y en a qui viennent juste
récupérer à manger I C'est de la paresse ... les gens ne
veulent pas progresser, ni apprendre, sinon, vivre dans la même
pauvreté. Moi je voulais faire quelque chose pour couper les
cheveux. Il n'y en a pas ici [de salon de coiffure]. Mais elles ne
veulent pas faire ces choses là parce qu'ils faut investir beaucoup ...
! Une dame, fille d'immigrés. Elle ajoutera plus tard qu'elle
aussi, est paresseuse... ! Ne nous alarmons pas : s'ils avouent ces
défauts, c'est parce que ils souhaitent poursuivre et intensifier cette
lutte qui fait partie intégrante de leur vie.
« Le système communal, c'est moche...
Là-bas, c'est plus avancé, en progrès. Ici, ça
manque. Ici c'est derent, la majorité, ils sont de la Sierra ».
Vilma. Ses parents viennent du département de Cerro de Pasco et
habitent Campoy
Ceux qui ne viennent pas de la Sierra, mais y ont leurs
origines, ont une vision plutôt "négative" des autres, surtout en
ce qui concerne leur niveau d'éducation (scolaire) et envers leurs
enfants (comportement, mais aussi rigueur du suivi). D'ailleurs, les
mères mettent souvent leurs enfants dans d'autres collèges, en
dehors de la Vizcachera, parce que le niveau serait très
mauvais153. C'est un sujet de conversation qui revient souvent.
Reste la vision du progrès et du développement
humain154, ainsi que le rapport au travail qui semble divergent :
discours ou réalité ?!
On parle souvent de désunion, du manque de
participation. Peut-être cela correspond-t-il plus au discours d'un
vision idéale qu'à une réalité des faits. Par
exemple, certaines se plaignent que seulement la moitié des femmes
participent au comedor. Pourtant, ces unités, malgré quelques
zizanies, semblent faire cohésion, à l'instar de la
communauté... Le seul conflit qui m'a paru prépondérant et
exacerbé n'est autre que celui lié aux terres... En effet, les
petites discordes s'effaceraient presque devant la nécessité de
s'unir dans une même quête et une même appartenance.
Les anciens/les nouveaux : fondateurs versus
intégrés ?
« Il y a peu d'antiguos... Ils ne se mettent pas dans
les affaires de la Directivasont à part... ce sont eux qui ont
acheté dans les parties latérales, les nouveaux... Isabel
« Il y a plus de gens nouveaux, oui...avec le nouveau
président... » Consuelo
« Nous les anciens, on a toujours travaillé.
C'est nous qui avons .fait le plus de travail... Carine
« Entre antiguos, les enfants, on se connaît, on
sait qui est qui...qui est... »
« Les gens arrivés récemment, ils
ignorent...Ils [la communauté] abusent d'eux, en les menaçant
de les jeter s'ils ne les soutiennent pas. Isabel A l'intérieur de
la communauté, des oppositions existent, véhémentes.
Par exemple, celles vis-à-vis des nouveaux, qui ne cessent
151 Plat traditionnel de la Sierra, à base de
patates. maïs, fèves, et différentes viandes...cuit sur des
pierres chauffées et enseveli dans la terre, puis recouvert.
15: "Tourner" c'est-à-dire travailler de
manière tour à tour. en tant que membre. et en parallèle
aller y chercher sa nourriture.
153 Tout comme dans la Sierra, les gens disent que le
niveau dans les villages est mauvais, ils vont donc vers les villes (cf.
chapitre suivant sur la Sierra)
1'4 Une daine me disait : rt et un jour je me suis
dit qu'il fallait que je trouve 2m terrain, sinon jamais je ne pourrais me
développe »r,
d'arriver. C'est un peu comme si les autres --ceux qui ne sont
pas "les nouveaux"- avaient tout construit dans la communauté pour la
rendre meilleure et qu'il était facile pour les autres d'arriver
maintenant...Alors qu'ils fassent à leur tour quelque chose ! C'est peut
être aussi pour échapper aux tâches qui incombent aux
comuneros, et ainsi impliquer (et se décharger !) les derniers
arrivés... En outre, c'est probablement parce que la communauté
s'élargit beaucoup, selon les désirs du président (qui
ferait rentrer beaucoup de monde en vendant beaucoup de terrains.. 1), et que
la cohésion entre tous est désormais plus difficile. Il est plus
naturel de s'asseoir sur un fions commun lorsque l'on a un vécu
commun...
D'autre part, les "anciens" revendiquent la
légitimité de leur présence attestée depuis les
débuts... En effet, parmi ceux qui désapprouvent d'une
manière ou d'une autre ces "nouveaux", tous ne sont pas des "anciens"
dans le sens de tous premiers habitants. Ceux-là revendiquent leur
présence depuis un certain temps, et tout ce qu'ils ont construit
ensemble, mais pas de la même façon que les fondateurs de la
communauté.
Leur statut de pionniers semble leur
conférer un certain rôle d'autorité et
de prestige. Ce sont les fondateurs, les "natos
criadores", c'est à dire les "éleveurs de plein droit" ou
plutôt, "les gens qui sont d'ici de plein droit, comme éleveurs".
Ils sont aussi les antiguos (anciens), les "vrais" ! De cette
catégorie naît celle des "hijos comuneros", soit les
enfants des anciens communautaires, possesseurs légitimes...
Les autres antiguos semblent être ceux qui sont
là depuis très longtemps, mais pas lors de la fondation. Enfin,
restent ceux qui sont là depuis un temps plus court, mais ne sont pas
"nouveaux". Tous sont des "intégrés"... !
Autrement dit, il y aurait les fondateurs (natos
criadores), et leurs enfants (hijos comuneros), les anciens
(là depuis les débuts, mais pas le début), les nouveaux et
ceux qui se situent entre les deux... Mais ces rapports ne sont pas exclusifs
comme ceux qui opposent la communauté et 1' "association".
« Ça fait 9 ans que je suis ici, et c'est
toujours pareil...Et il y a plus de monde : c'est pire... Quand il y a une
réunion, les gens disent, "qu'ils y aillent, les nouveaux" ...On ne s'en
mêle plus... on ne participe plus... » Rosa
Beaucoup prôneront que ce sont davantage les nouveaux
qui participent. Les uns diront que c'est parce qu' « on leur met la
pression » en tant que nouveaux, en les menaçant de
reprendre leurs terres, par exemple. D'autres accuseront le manque
d'union qui fait que les comuneros agissent à leur
guise ...Bref, à la louange d'une communauté plus unie, se
substituera une communauté en discorde Une multiplicité de nous
» s'inclut et s'exclut....
3/ La communauté et les rapports
sociauxt vers les conflits ....
Etre comunero donne accès à un ensemble
de droits, mais contraint à un certain nombre de devoirs, qui n'en
restent pas moins souples... Si la communauté sait adapter ses exigences
(certaines personnes n'ont payé que la moitié des droits sur leur
terrain, sans que leur dû leur soit réclamé, depuis de
nombreuses années), les comuneros offrent leur participation selon leur
situation, selon ce qu'ils jugent nécessaire : soit au regard des
devoirs envers les uns et
les autres, soit selon leur prise de position dans les conflits
de la communauté, ou encore à partir de leur jugement
personnel.
Union/désunion
"Ici, c'est bien, es gente sana. Il y a beaucoup d'union
entre voisins. C'est nous, le pueblo qui avons tout fait ensemble"-Lila
« Ici, c'est loin, mais c'est plus tranquille. On est
tous unis...Mais là où j'étais, à El augustine, il
y avait l'eau, l'électricité ...plus de choses ...plus
d'aides...
"On est unis, solidaires, c'est ce qui est bien ici"...
Puis l'on parle des tensions latentes où les groupes se
déchirent...Est-ce pour donner d'abord une bonne image? Ou plutôt
en souvenir du temps où la communauté faisait cohésion
avant que le nombre ne s'accroisse et surtout, que des groupes entrent en
conflits...?
"Il manque de l'union entre les comuneros" --Agusta.
C'était au début, je ne savais pas encore qu'elle se
référait aux conflits sous-jacents, elle ne les évoquait
pas encore. Pas d'union, sans expliquer ces importants conflits, réels
responsables de ce constat peu réjouissant. Une fois que je serais au
courant de l'histoire, ce sera notre principal sujet...
« //y a beaucoup de désunion et de conflits._
» Participation / démission
«Ici, à la communauté, on
participe ...aux "rondes vicinales", aux assemblées... Consuelo
« Il n'y agas d'appui de la population. Ils critiquent,
ceux qui ne participent pas !! » Le président' .
« Sur 10 personnes, disons que 4 participent à
la communauté, et six, non... Mais nous, nous collaborons... Par
exemple, quand il y a des chicharronadas ». Isabel et son mari, tous
deux enfants d'antiguos. Ils ne participent pas à la vie de la
communauté, ou plutôt ils ne "l'appuient" pas (ne la soutiennent
pas), montrant que nombreux sont ceux qui s'en sont écartés. Ils
savent quand même être solidaires, en apportant leur soutien aux
gens lorsqu'ils font des activités...
« Comme on ne participe pas à la
communauté et qu'on est brouillé avec la Directiva, on a un
compte à part pour la lumière. Eux [les gens de la
communauté], ont eu une convention de 13 ans, payée. C'est pour
ça que lorsqu'ils ont installé la lumière, elle est
passée juste devant nous, et ils ne nous l'ont pas installée !!
» Isabel - fille d'antiguos, dont les parents ont un rôle
clé à l'intérieur de l'association.
Mors, une communauté pas si unie et harmonieuse... Mais
quoi de plus naturel dans la vie commune ? Dans les Andes deux principes
importent particulièrement --nous l'avons vu en partie avec les rapports
communautaires (faenas, ayni .) et la défense de celle-ci
(rondes, lynchages...)- ce sont ceux de réciprocité
et justice (qui ne veut pas nécessairement
dire harmonie ou équilibre....)
155 J'emploie tantôt "président"
tantôt "dirigeant", il s'agit de la même personne_ celle qui est
à la tête de l' "assemblée directive" de la
communauté paysanne. Les gens emploient généralement les
deux termes. peut-être davantage celui de président (plus propre
à la commtmauté). Les autres quartiers de Lima ont eux aussi leur
"dirigeant" (plus que président)
L'association contre la communauté
Ces quelques discordes n'empêchent pas de cohabiter
à la Vizcachera, elles font partie des rapports de la vie. Ce qui est
primordial, c'est ce terrible conflit entre la communauté campesina et
"l'association". Il oppose la communauté dans sa globalité avec
les autres, "ceux qui sont contre nous". Il y a
"nous", les habitants de la Vizcachera, de la communauté et
"eux", les perfides, les fourbes, les imposteurs, les
traîtres... Certains les méprisent parce qu'ils trahissent la
communauté, et donc, chacun des membres...
On entend toujours parler de "eux", parfois sous le terme
"l'association156". Il s'agirait du groupe qui
soutient l'entreprise ayant racheté les terres de la Vizcachera, en
contrant le fonctionnement et les droits sur la terre de la
communauté.
Rappelons que lorsque la loi de 1995
permettant aux terres agricoles et d'élevage (sur la
côte157) d'être vendues158 -à
condition qu'elles conservent cette même finalité -, a
été votée, le dirigeant de l'époque a vendu
l'ensemble des terres à une firme immobilière bien connue. Non
seulement pour une somme dérisoire, mais de surcroît, il n'en
avait pas le droit --en principe, les terres appartiennent à la matrice
et ne peuvent être destinées à l'agriculture
(d'après le dirigeant actuel).Les acquéreurs n'avaient pas un tel
dessein (cela serait utopique !) et depuis la communauté est en
procès avec l'entreprise, cette dernière étant
vraisemblablement appuyée par l'association.
Ce conflit entame-t-il les efforts remarquables d'union pour
une construction commune ? Après les éloges de l'union, on met
l'accent sur son antonyme. Contradictions ? Cette ambivalence montre
peut-être qu'à l'intérieur de la communauté, c'est
à dire tout ceux qui sont en sa faveur --la majorité-, les
habitants s'unissent pour lutter contre tous les problèmes qui forment
les dissidences et les désaccords à la Vizcachera... Les autres
rapports et sous appartenances semblent ne plus avoir d'importance devant la
gravité de ce conflit, terreau d'une nouvelle lutte commune... Il s'agit
de défendre ses terres face à l'usurpation et à. la
privatisation indue.
La désunion : ce sont ces tensions, permanentes,
ces jeux d'appartenances (dans ces conflits !)
L'union, c'est la construction commune, et c'est
aujourd'hui la lutte commune.
Si certains ne participent plus guère à la vie
de la communauté, c'est parce qu'il y a quelques petites tensions, des
mécontentements... Mais c'est aussi qu'ils ne "s'identifient" (terme
qu'ils emploient) plus avec la communauté, et ont reporté leurs
attentes vers l'association.
Ou bien, ils se positionnent entre les deux, sans vraiment
savoir sur quel pied danser, parfois sans l'affirmer clairement, les
traîtres sont très mal vus... Se mettre en marge des
activités de la communauté n'est pas la même chose que de
s'y opposer.
Aussi la plus virulente confrontation semble opposer la
communauté et l'association, sur le statut d'occupation des sols
convoités. En d'autres termes, les rapports sociaux deviennent
tributaires de la terre et des désirs de propriété
(communale, privée...) Nombre de conversations tournent autour de ces
problèmes : avancement du procès propre à ce litige,
156 Diminutif « association de viviencia
(logement) »
157 La législation quant aux terres de la
côte diffère de celle de la sierra.
158 Les terres appartenant aux communautés,
donc de propriété communale, étant inaliénables, ne
pouvaient être vendues jusqu'au décret de cette loi.
délits commis ou même attitude des uns et les
autres. La participation des habitants aux activités de la
communauté en pâtit. Tout semble devenir fonction de "qui est avec
qui"... C'est ce que l'on peut constater à travers l'exemple de la
fête de la Vizcachera.
Pachamanca plat traditionnel de la Sierra
B/ Les tensions, ou l'exemple de la fête de la
croix ou procession dans la chancheria
Au Pérou, le mois de mai est celui de la croix. On peut
assister dans tout Lima et dans toutes les provinces à des processions
de la croix, de leur croix. Oh, pas n'importe quelle croix ! Elle symbolise
pour le lieu auquel elle appartient ce que sont les images aux yeux des
habitants. Aussi, chaque communauté possède une croix
encastrée quelque part, qui sera déplacée lors des
processions.
A titre d'exemple, Isabel, dont la maman vient de Pampas (prov.
Tayacaja, dep.
-, Huancavelica) explique que si elle n'a pas besoin de
retourner là-bas (elle ne va pas aux fêtes, sa mère s'y
rend juste une fois par an pour « Todos los santos », le ler
novembre), c'est parce qu'elle a ici, la croix de sa communauté. Cette
croix semble vénérée, elle serait ancienne et originelle.
Le 29 mai, chaque année, ils la sortent et organisent une fête
pour perpétuer cette tradition de là-bas...
Chaque ler mai, depuis les débuts de la
communauté (de la Vizcachera), une procession dans la
chancheria est organisée par un membre de la communauté,
appelé en cette occasion «mayordomo159 ».
La croix se trouve d'ailleurs plantée dans un rocher, au fin fond
de la porcherie : c'est de là que démarre la procession. Cette
fête aurait été instaurée dès le début
de la communauté par les éleveurs de cochons. C'est pour cette
raison qu'elle se déroule sur leur lieu de vie/travail! La
communauté a, dès lors, mise en place sa propre fête
religieuse...
Il y toujours l'avant et l'après fête... C'est en
fonction de cela que je présenterai les commentaires de quelques uns.
« On n' y va plus parce que ce n'est plus comme
avant... »
[ Me dit Cirila. Avant que cette fête n'ait lieu, on en
parlait déjà... : « On y va pas, parce que
c'est les "mayordomos" qui la font... ». Que
veut-elle dire ? Son époux la reprend : « il faut bien lui
expliquer ! »...C'est en fait parce que c'est telle personne, le
mayordomo, celui qui
1 I organise....et qu'il est un membre plus qu'actif de
l'association... On ne va pas l'appuyer !! Parce que l'on ne souhaite pas
s'impliquer (dans le sens de partager une même fête) ou parce que
la participation suppose une certaine réciprocité entre les
membres (on collabore et en retour la personne fera de même),
réciprocité qui n'a pas lieu d'être dans des rapports aussi
antinomiques
Avant, ils y allaient toujours. La plupart d'entre eux ne
semblent plus y participer, mais ils racontent avec fierté la fois
où ils l'ont organisée personnellement.
« Il faut que ce soit bien ! Le groupe de musique, la
nourriture, le "trago" (la boisson alcoolisée).. jusqu'à
aujourd'hui, tous se souviennent de ce qu'on avait organisé !
Ça commence la nuit, la veille16°, on danse,
on boit...et ça continue le lendemain avec la
159 Ce terme est largement diffusé dans la
Sierra pour désigner la personne qui a en charge de préparer et
d'organiser la fête de sa communauté. Il est désigné
lors de la fête pour l'année suivante... Cest une tâche
onéreuse et de grand prestige...
160 Toutes les fêtes patronales_ religieuses,
commencent par une veillée festive... Il existe une trilogie festive :
la veille, le jour central et la clôture...
procession... Et ça coûte cher d'organiser !
Maintenant, on ne peut plus. Ilfallait tuer 2 cochons ...Et il faut participer
aussi ("collaborer") ... »
«Maintenant, il y a beaucoup de désunion. Avec
les derniers arrivés ...et ils invitent seulement ceux qu'ils veulent !
Avant, c'était tout le monde I ».
Et de parler en quechua avec son mari...et des disputes dans la
communauté...
Carine (fille de fondateur) chez qui j'allais souvent, reprend
ces impressions :
« Avant c'était différent la
fête de la Sanctissime croix. Maintenant, l'organisation
est faite par un mayordomo. Les gens y vont pour manger. Les gens ne donnent
plus, les gens n'aident plus. Avant, si... »
Quelque chose de plus communautaire ? Avec des services rendus
les uns aux autres ? Une sorte d'ayni ?... C'est aussi la nostalgie
des temps premiers qui apparaît. Celui où la communauté
vivait en petit nombre... On regrette toujours la tradition d' "avant"
Et puis surtout, la réappropriation par le groupe
antagoniste, cette année, de la fête
**
Le l' mai, jour de la procession
Elle ira d'étapes en étapes, là où
quelqu'un a été désigné pour
collaborer161, en offrant breuvages (boissons gazeuses,
bières et chicha) et collations... Chaque étape
étant l'occasion de danser aux rythmes de la banda, groupe de cuivre
Elle se poursuit ensuite dans les parties habitées,
allant des maisons (idem : maisons de ceux qui collaborent) où une image
est présentée, aux lieux publics comme le collège et la
paroisse...La procession se disperse au fur et à mesure de la promenade,
mais d'autres participants la rejoignent
161 il y a toujours des gens qui "collaborent" avec le
mayordomo...
t I
t
i.
L
L
Vers les habitations...
A travers la chancheria.
ll
104
Arrêts... Une petite chela162, on se
laisse prendre par une petite danse... ah ! La fameuse participation
observante! !
Des images sont exposées à l'entrée d'une
maison. C'est le moment de s'arrêter pour la vénérer, et de
s'abreuver pour la énième fois.... E puis, quelques amuses
gueules
de plus, pourquoi pas !
62 Chela : bière en argot
péruvien...
|
Chicharronada : Préparation de chicharron
dans une des rares habitations de la chancheria...
|
Ce jour là...
...Je ne pense pas rencontrer Cirila qui n'admet pas l'incursion
de certains dans le groupe de la procession de cette année,
"pro-association" (c'est mon terme).
Et pourtant, je l'y trouve, son petits fils sur le dos, et sa
fille à ses côtés...
Elle y est allée juste « pour voir », parce que
sa fille le lui a demandé.
Chismes163...d'après
fêtes !
Commentaires de Cirila:
« Avant, c'était différent. Là, il
n'y avait presque personne y en a qui sont venus de leur
pueblo [cf. les dames habillées «
façon Sierra » -chemisier, chapeau et polleras16].en
fait, beaucoup sont venus du dehors... ils ne sont pas d'ici... »
Cirila me commente les différents endroits où ils se sont
arrêtés.
163 Chisme : ragots, commérages,
bavardages malveillants...
164 Poileras : jupe bouffante portée par les
femmes andines
Et cet homme ? Cirila a demandé à Billie
(photographe) de le prendre en photo au moment où il me parlait...
pourquoi ?! « au cas où... » :
« Lui, il est contre nous... ils l'envoient de
l'association... il vient, il s'immisce. Il est leur `sécurité',
leur garde civil à eux...
« Oui, il y a beaucoup d'embrouilles. Avant, non,
quand on était moins--mais depuis les histoires avec
l'association et tout...si... »
« Il y a des trafics de
terrains à Lima. C'est les gens qui ont acheté ici...
(L'entreprise). Ils ont pu le faire, parce que les propriétaires sont la
matrice [pas nous], qu'ils se sont aussi entremis dans tout
çà...Et ces trafiquants, ils sont avec l'avocat de
Montesinol 6 5, tu te rends compte ...I1 Pourquoi tous ces
problèmes de jugement avec des gens corrompus ! »
Pour continuer dans les commérages, nous voici avec
Lila en train de « chismosear166 », quelques
jours plus tard, sur le même thème... Elle n'y est pas
allée, et me dit qu'il n'y a dû y avoir que « 3 chats »
(« pas un chat », dirions-nous !)...
« C'est le président de l'association qui
était k Mayordomo. La plupart des gens n'étaient pas d'ici, mais
de l'extérieur... L'année prochaine, ça sera Untel... qui
à habite là... [en me montrant] Bon, il n'est 'pas tant" de
l'association... même si... »
Tiens donc, comment sait-elle que ce n'était pas des gens
d'ici si elle n'y était pas...!
Cette fête serait donc LA fête du pueblo.
Mais plus maintenant. Il y a beaucoup de disputes, de conflits...
(C'était la première à me parler de cette union dans le
quartier !).
« Les gens qui se mettent dans l'association sont des
traîtres ! On leur promet des choses, alors ils y croient et s'y
joignent... »
Isabel me dira que ses parents m'ont vue à la
procession (ils le lui ont rapporté parce qu'il pensait
reconnaître la gringa de la vidéo faite lors de la
fête de Churcampa ("capitale" de la province éponyme,
département de Huancavelica) ; et maintenant, ils la voient
traîner dans le quartier et se mêler aux festivités !?
!)...Et elle m'affirme que si, ce sont des gens d'ici...
Que voulait dire Cirila par le fait que ce ne sont pas des
gens de la Vizcachera ? Qu'ils sont des traîtres ? Qu'ils font partie de
l'autre groupe ?...qu'ils ont certes des chanchos mais ne vivent pas ici ?!!!
Ou bien les mayordomos ont effectivement fait venir des proches de
l'extérieur ? Mais ces derniers sont d'ici et ceux qui "collaborent"
aussi.
Cette fête semble en dire beaucoup sur
les conflits de la Vizcachera, sur les groupes qui se divisent, sur les
positions que l'on prend en commun, les gens que l'on appuie ou discrimine...
Aussi, ce qui semble être le « fondement » de la
communauté...tend à disparaître avec les enjeux
d'aujourd'hui... Les terres de la Vizcachera semblent être le terrain de
profonds désaccords. Les attentes semblent diverger, même si,
au-delà des discours antagonistes, on s'oriente vers une
reconnaissance de la propriété, les manières d'y
accéder étant différentes. La communauté se
défend, et bien qu'elle aspire à une formalisation de la
propriété (individuelle ?), elle ne se laisse pas attaquer ni
démantelerde l'extérieur.
1 Montesino est l'ancien chef du SIN, Service
d'Intelligence Nationale (qui a changé de nom et a été
restructuré depuis) il était le bras droit de
Fnjimori. et dernier président
avant Toledo. l'actuel. qui a été déchu de ses fonctions
et « interdit de séjour », et Montesino, accusé pour
détournement de tant d'argent !
166 Chismosear : cancaner. conunérer. Je laisse e
ternie
Le flou des allusions de mes interlocuteurs ne permettait pas une
explication cohérente et chacun y apportait son propre point de vue, le
plus souvent obscur et controversé I
***
Le rapport à la terre comme vecteur des
appartenances et régulateur des relations sociales
La confusion « On ne sait pas quelle est
la vérité... Qui peut --on croire ?... Avec l'association, on ne
sait plus qui dit la vérité... »
Situation « on ne sait plus qui croire !
» C'est un peu ce que chacun exprime ; ils virevoltent d'un groupe
à l'autre selon les intérêts mis en avant. Des
invectives plus ou moins soutenues sont proférées contre les
différents protagonistes : les anciens, les nouveaux, les
comuneros... Les plus prononcées s'adressant bien sûr
à ce maudit acheteur des terres de la Vizcachera...On s'identifie
à ceux-ci, à ceux-là, selon la place que l'on occupe, en
fonction de son arrivée en les lieux, des rapports établis et des
intérêts personnels...
Pour tout le monde c'est la confusion. Pour les habitants,
pour moi, et pour le lecteur ... Comment rendre compréhensible cette
situation ?! S'il est intéressant de le faire, c'est
parce qu'elle nous éclaire sur les rapports entre les habitants,
l'importance de la terre, et le sens de la communauté.
« Le problème, c'est qu'il y a deux
"Directives167 ". Qui peut --on croire ?
Deux "directions" ...quelles sont-elles ?...La communauté
et l'association ? La communauté et la matrice ?
Comment se positionne-t-on ?
La Vizcachera est en grande partie peuplée de gens
venant de la Sierra. Et, les enfants de ces premiers habitants sont revenus ou
continuent d'y habiter (21idè génération). En
outre, quelques personnes de Lima sont venues s'y installer (pour la plupart
enfants d'immigrés également). Pour eux, les conditions de la
Vizcachera sont un peu "arriérées". Ils ont quand même
choisi de venir s'y établir.
Ti y a cette distinction anciens!
nouveaux dont on a parlé...
Et, constituée de quelques habitants,
l'association. Elle semble composée d'anciens qui,
peut- être, revendiquent leurs terres pour l'accès rapide à
la propriété (face à tant de nouveaux habitants depuis ces
années 0 et d'autres, plus ou moins nouveaux... Aux yeux des membres et
défenseurs de la communauté : tous, des traîtres. Pourtant
membres de la communauté, ils soutiennent ceux qui s'y opposent,
c'est-à-dire ceux qui ont formé l'association. D'après les
habitants, certains s'y sont ralliés, attirés par les promesses
alléchantes de l'entreprise (relayées par l'association) obtenir
des titres de propriété tant convoités à Lima.
Promesses de propriété, d'émancipation... Serait-ce cela ?
"Enquêteur" ou lecteur, on s'y perd
167 la "directive" c'est la « junta directiva
» c'est-à-dire les « élus » qui dirigent le
quartier, la communauté.
Les habitants, eux, ne semblent pas se perdre (heureusement 1)
; ils sont plutôt perplexes, ils ne savent plus qui croire et en qui
avoir confiance : qui détient la vérité des faits ? Mais
ils savent pertinemment quelles sont les alliances et la séparation n'en
est que plus évidente... On ne joue pas les hypocrites. On se
sépare et s'oppose... Sauf pour les quelques fourbes, qui n'avouent pas
leur perfidie... Y a --t-il des attitudes de méfiance ?
Voyons comment se manifeste ce jeu de rapport et les prises de
positions.
Certains enfants d'antiguos semblent
n'avoir jamais quitté la Vizcachera. Mais d'autres sont revenus
après un séjour dans une zone proche, plus urbanisée. Ils
ont donc un autre regard... Ils témoignent de leur situation : ils
jouissent des terrains prévus par leurs parents à la base pour
leur famille uniquement. Chaque comunero disposait d'une grande
parcelle -400m2, ainsi que divers terrains de bonne surface
--environ 200m2 pour leurs enfants et petits enfants, alors que
désormais les terrains octroyés ont une surface autour de
100m2.
Certains ne se reconnaissent guère dans les initiatives
de la communauté, faite de nouvelles personnes et de nouveaux
présidents défendant des intérêts toujours nouveaux
et qui leur sont propres. Ils semblent se situer plutôt comme
héritiers légitimes (du moins plus légitimes !) de ces
terres... Ils ont foi en ce que leurs parents --les antiguos- ont fait
(ce n'est pas pour autant qu'ils appuient tous le même groupe...).
« Les terrains appartiennent à la
communauté... Elle est autonome et
elle a l'usufruit, mais elle n'est pas
propriétaire...c'est Jicamarca, Matacuna qui l'est ... Les
problèmes sont légaux, déjà... Les Watos criadores"
(Premiers commet-os éleveurs, de plein droit), ont donné à
l'époque les terres aux 60 autres...
« L'entreprise dit qu'elle a acheté les terres
à la matrice... Ça, c'est une autre histoire...
« Ça va s'agrandir...II ne va plus y
avoir les cochons...Et donc les terrains sur lesquels ils sont
regroupés, vont acquérir de la valeur ...et pourraient être
vendus....... «Ah ! si c'était privatisé »
L'"histoire" de l'achat des terres, ne s'imbrique-t-elle pas
dans les problèmes inhérents à la communauté ?
Plusieurs dissensions se confondent... Isabel et son mari, tous deux enfants
d'antiguos, aspirent à la propriété, de toute
façon. Il sont un peu hésitants, car ils n'appuient pas
complètement l'association (le père y est membre fervent 1), du
moins c'est ce que laisse paraître leur discours. Néanmoins, ils
se sont détachés de la communauté et à terme,
espère la propriété... (au plus vite même !)
« Le problème avec les terrains ? ...
Tout est en jugement... f On ne sait pas quelle est la vérité.
Moi je sais que ces terres sont celles de mes parents, comme
premiers comuneros, comme premiers fondateurs...
Çà fait trois, quatre ans que nous sommes en jugement. Si on nous
dit que l'on n'est plus comuneros [que la communauté disparaît],
moi je sais que ces terres sont celles de mes parents. Et puis
peut-être que personne des deux gagnera...parce qu'il y aura la route
[elle est aussi sur le tracé de la route ...j. Malgré tout, je
construis... »
Carine semble se considérer comme
bénéficiaire légitime de ces terres : elles lui viennent
de ses parents, plus que de la communauté ou de l'acheteur...C'est la
seule certitude sur laquelle elle s'appuie... Quelle preuve en
a-t-elle ? Des titres ? Il me semble que même le "certificat
de possession" (en tant qu'usufruitier d'un terrain de la
communauté) n'est même pas validé, puisqu'une dame disait
que c'était le minimum qu'ils espéraient de "cette
histoire"...
Les organes principaux
La matrice : C'est elle qui est propriétaire de
l'ensemble... c'est donc elle qui est en procès avec l'entreprise ?
(où la communauté s'oppose également à sa matrice
à cause ce litige ?)
L'entreprise se consacre à l'achat et à
la vente de terrains. C'est elle qui a acheté les terres de la
communauté campesina de la Vizcachera. A terme, au travers du trafic de
terrains, l'entreprise immobilière veut vendre, et revendre les terres
de la Vizcachera, les ayant achetés à un prix insignifiant.
Construire et vendre (on entend parler de projets de construction sur le
relleno, la partie consolidée du trou). Elles sont pourtant
censées être vendues pour l'agriculture et l'élevage
(conformément à la loi), si au moins elles en avaient les
conditions...
L' association
En général, une association « de
vivienda » (logement) est l'union juridique de différentes
personnes autour du logement. En d'autres termes, il s'agit du groupe
d'acheteurs d'un terrain qui s'associent, le collectif étant
lui-même propriétaire des terres168. Les membres se
répartissent ensuite les parcelles entre eux...
« L'association, on ne sait pas bien qui ils
sont. Ils sont contre nous. Ils veulent nous déloger... »
Dominga
Il est difficile de savoir qui en fait partie ; on dit souvent
qu'ils sont peu nombreux... Mais, d'après les discordes
manifestées lors de la fête de la croix --par leur boycott!-
à laquelle auraient davantage participé des anciens de la
porcherie et sympathisants de l'association, ils s'y trouve des
antiguos, qui possèdent davantage de terres :
ils ont donc plus de raison de vouloir les "privatiser", plus conscients des
avantages de la propriété...
Ensuite, se joint tout un chacun, séduit par les
attraits de la sécurité des titres de propriétés
promis... Des gens empressés de voir leur lopin se titulariser, et qui
sait, peut-être lassés par le système de la
communauté ?...
«La propriété privée, au moins,
ça donne un soutien à la maison [hypothèque], pour des
prêts... » Isabel
On pourrait avoir la certitude d'obtenir la
propriété, donc des garanties... et pour certains commencer
à spéculer. Mais alors, pourquoi tant de gens doutent de cette
promesse de propriété? La communauté étant
attaquée, elle se défend. Pourquoi croirait-on des gens qui sont
venus usurper nos terres ?
168
Selon COFOPRI (Commission de Formalisation
--légalisation de la Propriété Informelle), une
association de vivienda (A.V) étant une
personne juridique, personne ne peut rien y posséder d'individuel, tout
appartient à cette "personne". Mais avec des procédés
juridiques, s'ils arrivent à 100 personnes, donc 100 lots, ils pourront
faire ce qu'ils voudront d'individuel. Si ce procédé ne se fait
pas, alors l'association reste personne juridique et ils font payer les gens,
au nom de cette entité. Bref, on entend dire qu'"ils en profitent" C'est
le mode de statut au sol, formel, par opposition à l'A.H
(Asentamiento humano), possession de fait.
"Asentamiento" : assise, colonie, implantation, installation.
.."Asentarse" : s'établir, se fixer... Entre autres appellations,
selon les époques. Par exemple, le 11..1
(Pueblo Joven) , "jeune village", ou "peuple jeune"... Voir
annexe.
On parle même des problèmes avec Campoy, le
quartier voisin
« Ici, pas d'invasion ! Mais il y a des
problèmes avec l'association d'acheteurs de terrains de Campoy. Ils
disent avoir tout acheté [toute la zone, Vizcachera incluse] alors que c
'était des chacras, ce n'était pas encore construit en bas
[à Campoy] »
Le quartier prétendrait donc être aussi possesseur
des terres de la Vizcachera ?
Des positionnements au jugement : la lutte !
Depuis plusieurs années déjà, le jugement
est en cours. Alors on avance, progressivement, de date en date. Avant que je
ne parte, la date butoir était fin mai. On attend. On espère. Et
la proposition a la suivante :
Les habitants rachèteront les terres de la Vizcachera,
à raison de 2000 soles par lopin, pour obtenir le titre de
propriété. « Ce ne sont que des promesses et des
mensonges ! ». Quelle aberration pour les comuneros. Tout d'abord,
les gens n'ont pas les moyens. Ensuite, ils ne vont pas repayer quelque chose
qui leur appartient fondamentalement. Enfin, qui leur certifie que c'est la fin
de leurs problèmes ? Alors la communauté s'est rassemblée,
et n'a pas accepté cette proposition : « Nous lutterons
jusqu'aux ultimes conséquences ! »
Le jugement continue (il y a des quartiers de Lima qui sont en
jugement depuis plus de 10 ans : un propriétaire --ou plusieurs sur un
même terrain, ne veut pas céder le titre de
propriété aux gens qui l'occupent depuis des années...) Le
lendemain se déroula la réunion de l'entreprise en
présence de la communauté, du juge et aussi de l'assemblée
directive de la matrice. « Eux sont un peu comme nos pères
», me disait un jeune, en parlant de la matrice. Elle est
propriétaire de différentes annexes des zones limitrophes de Lima
(dans les collines qui s'y avancent jusqu'aux dernières invasions) et
elle a déjà vendu plusieurs annexes...
La lutte continue... Personne n'est prêt à
céder.
La communauté semble renforcer son union dans un «
nous » consolidé face à ce conflit. C'est autour de
la terre qu'éclatent ou se reproduisent les conflits entre
communauté et propriétaires individuels. Mais c'est aussi autour
d'elle que s'expriment les rapports de solidarité interne à. la
communauté169.
Du conflit aux expectatives :
«Nos venderan, nos botaran ? » I «Ils
nous vendront? Ils nous jetteront ? »
« On n'est pas fixe... tout est instable pour le moment
...Nous les comuneros, on attend un résultat. Je ne suis pas seule, tous
! Le président, on ne tient plus compte de lui... » Rosa
« Ce qu'on veut, c 'est vivre tranquillement. Avec le
système communal. Bon, s 'ils veulent nous donner le titre de
propriété, tant mieux, sinon, on aura juste les certificats de
possession. » Consuelo
169 Jacques MALENGREAU, structures identitaires et
pratiques solidaires au Pérou. Gens du sang, gens de la terre et gens de
bien.
« De toute façon, il va falloir (r)acheter les
terrains ... et tout va aller en "titulacion de propriedad" ... (titularisation
de propriété) Lila
« On espère une stabilisation... »
Isabel
Les gens vivent dans l'espoir de voir une fin positive à
ces conflits. Bien qu'ils soient prêts à lutter, ils sont
"abattus" par ces histoires qui n'en finissent pas.
Outre les rapports antagonistes, les gens attendent-ils tous la
même chose quant à la solution apportée vis-à-vis de
la propriété ?
Les différentes générations aspirent-elles
à la même chose ?
« La vie est dure, il faut lutter »,
cela est récurrent dans les Andes. La vie des gens
serait-elle une lutte perpétuelle ?
Pourquoi tant de doutes ? S'il y a
un jugement, c'est parce que chacun reste sur ses positions et en apporte les
justifications. La communauté rappelle que ses terres lui sont propres,
inaliénables, et qu'il y a eu litige : à réparer.
L'association appuie l'entreprise qui prétend avoir acheté les
terres et qu'elle distribuera par la suite des titres de
propriété en revendant l'ensemble à la communauté,
ou plutôt, à chaque habitant... Ainsi, l'entreprise pourra tirer
profit de bénéfices certains et d'un nouveau commerce. Mais les
habitants ne sont pas prêts à céder r
Je crois bien que c'est cela, mais peu importe, ce qui est
significatif, c'est cette lutte de la communauté pour défendre
ses terres et ne pas se les faire usurper par des trafiquants de terrain,
même si au final, il en résultera peut-être la même
chose...
Les ramions au sol : base des rapports sociaux ?
LI terre est k' support et le heu 1 auuabsation des r:ipporis
soctau
On sent même que les gens sont fiers de dire : ici, pas
d'invasion ! ». Leur territoire est précieux, ils savent le
protéger et le garantir !
« C'est nous la communauté qui avons tout
fait. Pas d'aide de l'extérieur, rien de lEtat -- mais des aides
étrangères ». On ne peut rompre cette construction commune
sur ces terres qu'on veut leur retirer, pour, de surcroît l'assimiler
à un simple objet marchand... Il semble que ces terres soient d'autant
plus "les leurs", "à eux", qu'ils les ont habitées de toute leur
force, en y construisant tout eux-mêmes. A eux, parce qu'elles sont de la
communauté et qu'ils sont la communauté. Tout un travail et une
âme qui ne se laissera pas anéantir.
« L'eau, c 'est à cause de l'association
» : s'ils ne peuvent pas se développer, c'est à cause
de ces conflits qui les "bloquent". Tant que l'on n'a pas défini
clairement les propriétaires des terres, il n'est pas légal de
leur installer l'eau. Pour cette dame, "l'association" ets le bouc
émissaire
Cette lutte traduit peut-être le sens profond de
communauté, sur des terres communes, l'appartenance s'inscrivant dans un
territoire.
Jacques Malengreau écrit", (à propos des
communautés paysannes) que c'est dans la défense
écologique, juridique et physique de son territoire que la
communauté manifeste son existence, le plus spectaculairement mais aussi
le plus durablement. Elle entretient un rapport exclusif avec son
territoire.
Cette constatation andine semble tout à fait
correspondre à l'attitude des migrants devenus habitants de la
Vizcachera. En effet, le territoire de la communauté semble constituer
à la fois un objet économique commun, un ciment social entre ses
membres et surtout un symbole essentiel de son existence et de son
identité.
Cette exclusivité du sol se retrouve dans divers
quartiers de Lima, en dépit des invasions qui vont dans le sens inverse
et de l'informalité d'une grande partie des occupations du sol, parfois
tiraillées par des « co-propriétés », plusieurs
"propriétaires" se réclamant le droit sur la terre.
Autonomie et cohésion de la communauté
Aussi, il semble important pour la communauté de garder
sa propre gestion des terres et des « habitations » (du fait
d'habiter), afin de contrôler et réguler les entrées, selon
les besoins, et les choix qu'elle fait. Beaucoup d'arrivées fonctionnent
par réseau ; autrement dit, certains ont judicieusement "passé
l'info" : la recommandation est un judicieux passe-droit... Cela lui permet une
meilleure cohésion, loin des spéculateurs.
D'autre part, les habitants doivent manifester qu'ils ont
réellement besoin du terrain en l'occupant, sinon, la communauté
pourrait les leur reprendre.
172 Norbert Rouland. Aux confins du droit.
173 Ibid.
CI Les conflits ou le lien à la terre. Histoires
de possession
Rapport à la terre et défense contre
l'invasion
d.
rappOri tbncier CSI un rappoTT social deternime par
l'appropriation de l'espace
Tout lopin de terre semble sujet à des invasions
--occupations informelles et illégales des sols,
impliquant une forme de possession "de fait"(illégale)
(voir détail de la 3ème partie -
Depuis le début, on me racontait les invasions qui
avaient eu lieu à la Vizcachera et la résistance inflexible des
habitants. Je pensais que simplement, ils s'opposaient à ce que des
individus prennent possession d'une partie de leurs terres, sans que leur
installation passe par une décision de la communauté! Mais ces
invasions étaient bien plus pernicieuses I
« La ronde nocturne, c'est pour
protéger la zone. Ils veulent nous virer nous, ils veulent nous retirer
ces terres...11 y a un type qui a acheté ici : il veut
nous les enlever... Non il n 'habite pas ici. Il y a un jugement, et lui est
avec le président de l 'association.
« Ori les empêche de s'installer. Quand ils
arrivent et veulent envahir : on Tes vire, jusqu'à leur lancer des
pierres. On fait la guerre ... Asqu 'à maintenant, aucun n'a
réussi à envahir
Il y a un jugement, mais les terres communales,
ils ne peuvent pas nous les enlever !... [Elle parle aussi des
invasions à El ('hivo, un cerro de
Campoy, qui a fait parler de lui : beaucoup de violence... presque une petite
guérilla]
L]
|
« Tout le pueblo, nous avons lutté
pour défendre nos terres. On les a jeté avec leurs esteras17
1, quand ils envahissent. Il y a 2 ans, ils sont venus envahir, ils sont
arrivés tard, vers 20h... Il (le trafiquant) avait engagé des
gens de mauvaise vie ("gente de mal vivir') pour nous virer... Dans ces cas,
ils viennent en masse ! Un mois de repos, et de nouveau ils
venaient ! Mais c'était dans un autre »
« .lis utilisent des innocents, en leur donnant 20 ou
30 Soles. On les arnaque. On leur dit qu'ils vont avoir leur terrain. C'est les
gens de Mosquero (le trafiquant) qui lima ça, pour nous retirer le
terrain. Mais on les a virés 111 y a eu des morts (un petit vieux).
»
|
Nombreux sont ceux qui commentent la violence de ces
affronts...Il. existe un certaine violence dans le rapport à l'espace,
au sol et à la terre. Un rapport très exclusif (Voir
paragraphe sur les "murailles" de Lima)
170
Etietme LE ROY : 1991 (cf txt analyse anthropo
-juridique novatrice)
In « Avec leurs esteras » : figure
typique de l'envahisseur qui vient à pied, traînant ses 5 nattes
de paille qui permettent l'édification d'une cabane, 16'
installation et occupation des lieux.
« On est venu parce qu'il fallait occuper le
terrain de mon beau-père i« antiguo » qui
est parti habiter ailleurs]. La communauté disait qu'ils allaient nous
enlever le terrain. Il n'y avait pas de mur autour, rien. C'est pour ça
qu'on est venu mettre un mur d'enceinte, puis y habiter. D'ailleurs, on me
demande toujours de laisser l'autre moitié du terrain, qui sert de
garage [son époux est chauffeur et y gare son conrbi ...mais il reste
beaucoup de place bien sûr, on refuse... »
Une vieille dame m'interrogeait : « mais pourquoi tu
ne t'achètes pas un terrain ici ? Quand tu ne seras pas là, je le
surveillerai... ». Pourquoi pas ! Il me reste à construire la
maison de mes mains... Comme quoi, il faut être sur place, ou faire
garder ses terres
Le sens symbolique de la terre :
Propriété et communauté
\Lur, --`
Ce conflit laisse entendre que les terres communales sont
précieuses, vu cette défense acharnée. On s'en rend
également compte par les prises de position qui provoquent des scissions
entre les groupes --qui ont des effets conséquents sur la vie commune,
n'oublions pas que la solidarité et la réciprocité
comptent beaucoup dans les activités en tout genre --, c'est dire
combien le statut d'occupation du sol et le rapport du « nous »
à la terre sont importants.
Mais les terrains ne représentent-ils pas aussi, en
raison de rusufruit" (rachat", dans les dires) d'un "lot", ce terrain propre,
cette maison à soi, que chacun est venu chercher ? N'y a-t- il pas
là une contradiction, entre un désir de "chez soi", qui passe par
la propriété et ces terres dont ils jouissent mais qui
appartiennent à la communauté ? Cela n'a-t-il que peu
d'importance tant que les habitants ont "leur terrain", ou est-ce une
première étape, en vue de pouvoir eux aussi "formaliser" leur
statut foncier et obtenir les titres de propriété ? Le dirigeant
a laissé entendre qu'évidemment, ils procéderaient
à cette régularisation, une fois qu'ils auraient réussi
à donner un terme à ce conflit.
Il peut sembler étrange de voir un tel attachement au
sol commun... J'ai remarqué antérieurement que l'acquisition d'un
« lot », d'une parcelle, d'un terrain était mis en avant par
les habitants pour justifier leur venue et que cela semble être une
réelle quête dans le parcours de migrant vers l'acquisition d'un
"chez soi" et la construction d'une vie commune. Pourquoi les gens s'attachent
autant à ces terres, à posséder "la leur", s'ils n'en sont
pas réellement propriétaires ? Cela peut, peut-être, nous
expliquer pourquoi certains rejoignent le groupe dissident.
En effet la propriété représente l'avenir
de la communauté, puisqu'elle s"aligne"avec la tendance actuelle et peut
prétendre elle aussi à ses avantages. On réalise aussi
l'impact du système achat/vente, alors que tout est régi par des
systèmes communaux, de possession (et ailleurs des possessions
informelles).
Plus symboliquement, c'est peut-être un signe de
réussite, d'ascension sociale, de stabilité dans l'incertitude
de la migration et une certaine « indépendance » vis à
vis de la grande ville et des rapports de domination qui peuvent devenir
aliénants (se libérer de la "domination"
d'un autre - patron d'entreprise ou d'atelier, cousin, oncle ou
compadre, maîtresse de maison pour les empleadas174,
etc.), une sensation de liberté ?
Evolution et avenir de la
communauté
Peut-on encore parler de communauté ? Certes, il s'agit
encore d'une communauté campesina, mais la dimension qu'elle a prise ces
dernières années ne lui réserve-t-elle pas une existence
incertaine pour ces prochaines années... ? Elle n'est plus cette
communauté de l'"entre-soi" peut-être prévue par les
fondateurs, s'agrandissant tous les jours. Aujourd'hui elle est divisée
par des intérêts divergents qui lui vouent peut-être un
autre futur._ La lutte des comuneros saura nous le dire.
En outre, ne peut-on pas présager qu'elle appartiendra
peut-être à Lima... Les habitants évoquent parfois cette
possibilité...
Cela nous pose la question de l'avenir des terres communales,
dans un tel contexte. Sont-elles vouées à être
urbanisées ? Privatisées ?
***
Une identité entre campesino ou serrano,
migrant, citadin ? La première semble désuète, ou
latente, la seconde théorique (puisqu'ils ne se définissent pas
eux-mêmes comme migrant en tant que tel --c'était une façon
pour moi de désigner une situation vécue). Enfin celle de
liménien semble primer sur celle de "citadin" mais c'est surtout celle
de la communauté ou du quartier d'installation qui semble donner tout
son sens. Ne peut-on pas penser qu'il s'agit plutôt d'un mélange
du passé et du présent, et des aspirations propres avec les
conditions qu'implique la migration ?
Nous allons voir comment cela peut s'appréhender dans les
Andes.
En outre, ne peut-on pas se demander, au-delà des
perceptions considérant qu'il s'agit d'une reproduction ou au contraire
d'un effacement, si ce n'est pas plutôt une culture nouvelle qui se
développe, une "culture de migrant" qui peu à peu s'assoit sur
ses propres valeurs ?
174 Christophe MARTIN. Ibid.
I
i
I
I
I
I
I
I
2ème partie
VU DE LA SIERRA -- EXEMPLE DU DEPARTEMENT
DE HUANCAVELICA 5
CARACTERISTIQUES DE LA ZONE 7
Activités 7
Géographie 7
Structure agraire 7
Histoire 7
Démographie migration 8
TAYACAJA : REGARDS SUR. LES MIGRATIONS ET LES FAMILLES. 10
A Pampas et Akrakia 10
Pampas, ou le club de madresdu quartier de Chalampapa
10
Aller à Lima ? Une dame du district de Akrakia
(village à côté de Pampas)
13
La question du départ 14
Salcabamba -- district de la province de Tayacaja
16
Avec Samuel, el tio de Lourdes 16
Avec le maire de Salcabamba 17
Efrain, de retour auprès de sa mère
après un long périple... 17
Le chauffeur de "taxi" de Salcabamba 19
Des raisons de la migration aux modèles de l'ailleurs
20
Conquête d'un ailleurs : quête d'un futur ?
21
CHURCAMPA ET LA FETE. LIENS AVEC LIMA 23
La fête patronale - exemple des carnavals de Churcampa,
dans la province
et à lima 23
De la tradition et du folklore dans la migration 26
Sapan waranwaychallay
sa pachallaykis
waqakullanki
chamana taya waqtakunapi
amaya
arna. chaynaqa waqakusunchu
wakcha lliki Ilikanchikta
imanchapa mayu jinam
wegenchik timpuy
timpukunqa!
iqaparikuspa!
iqayarikuspa!
ripukullasunfia
pasakullasunfia
iiiu llaqui
wakchakunata
a ysa rikuykuspa
chipay
chipaymi
ripukullasun
pasakullasun
kay maniapacha allpachallanchik
flogallanchikwan
·.K4.48,..&Da.tt.ttatiLea
îpasasunfia ripukusuntia
kuchpallafia ankallatia
timpukullaspal.
Lida Aguirrel, Arcilla,
1989
Née en 1953 à Pampas. Monolingue dans les
premières années de sa vie (quechua). A 6 ans, elle part pour
Salipo (selva de Junin) avec sa famille où elle reste 4 ans. Puis retour
à Pampas et départ à Lima. Son père lui interdit de
parler quechua, mais son grand père lui raconte des histoires et des
blagues dans cette langue. A Lima,
Sonia estas liorando hierbita
r-
En la quebrada entre chaman y taya Ya no 'tores [no
hay que llorar asi] Pobres...
Nuestra tela aralia
Como rio muy candeloso
Yanto hierbe (hervira]
Gritando gritando vamonos nos vamos
Jalando a todas nuestras penas
Nosotros bien envueltos latabiadosi nos iremos (bien
ilenos / un montoni
Vantas y pasamos
Ay nuestra Madre tierra inuestar tierrita / pueblito]
Con nosotros para que resucite
Nos vamos
Ya nos hemos ido / pasamos
Coma la galga rodando (volteandonos]
Como gavilan hirviendo Ibrotandof
Que (re)viva siempre con nosotros
Traduction orale et spontanée, par Maura (du quechua au
castellano)
J'en ai reçu une traduction en français, et puis
j'ai montrée la version quechua à une dame venant de la province
de Churcampa qui habite à Lima (Sa mère l'a amenée
à 13 ans pour travailler comme empleada, puis est repartie.
Elle se rend là-bas, en général, lors de la fête des
morts, pour sa mère défunte. Elle a 3 enfants, dont 2 aux Etats
Unis). C'est avec émotion qu'elle me l'a traduit, en exprimant tout ce
que pouvait exprimer et faire ressentir tel ou tel mot,
Le poème reprend le modèle du
Huayno2 : on s'adresse à un
végétal.
elle commence à écrire en espagnol, mais elle
déchire tout. Elle entre à l'université San Marcos pour
être assistante sociale puis se met à écrire en
espagnol et en quechua. Elle enseigne actuellement à
l'université de Cerro de Pasco.
2 Huayno : "C'est la "musique
métisse" qui a accédé, au 20&'''
siècle, à la diffusion massive à travers les fêtes
populaires, les concerts dans les théâtres, les concours
folkloriques et, depuis une cinquantaine d'années, les disques et les
cassettes. Elle est très appréciée par les paysans des
communautés indigènes et les maires de district s'efforcent
généralement de faire venir un de ces groupes musicaux pour
animer la fête patronale de la capitale du district, où affluent
les membres de toutes les communautés environnantes. Le huayno
[...] est le genre musical métis par excellence. Son origine est
coloniale et on le danse en couple, sur le modèle des danses espagnoles,
tandis que les danses d'origine précolombienne comme la qhashwa
sont exécutées collectivement, avec des chorégraphies
moins libres que celles du huayno. [...] Le huaylash est un genre
de musique métisse spécifique à la sierra
centrale du Pérou, en particulier à la vallée du Mantaro,
mais dont la popularité s'étend à l'ensemble du pays.
[...] Dans les concerts de huayno et de huaylash, les
musiciens et les chanteurs arborent généralement le costume
métis de leur région d'origine : jupe bouffante (poilera),
chapeau et escarpins pour les femmes, bottes et ponchos pour les hommes.
(D'après César Itier, Parlons quechua, L'Harmattan, 1997,
p.145)
"Huayno : of ail the musical forms of the
Andes, the huayno is the most common and widespread of ail. There are many
local styles and instrumentations. It is danced by bath mestizos in the city
and campesinos in rural areas. It is a dance for couples and is one of the few
to have survived foret preColumbian times." (glossaire de "A survey of
music in Peru", de Peter Cloudsley, British Museum, Department of
ethnography, 1993, p 43)
Il n'est pas aisé de traduire ce poème. Le quechua
est fait de métaphore qui n'ont pas un rapport figuré
évident pour nous.
Argile (Thématique tellurique)
Petit Waranway3 solitaire
Solito nomas
Tu pleures
Sur les flancs couverts de chamana et
de taypa4
Ne faisons pas ça
r
L
n
n
fl
r
Ne pleurons pas comme ça
[Sur] notre misères
Comme un épouvantable fleuve Nos larmes vont
bouillir bouillir
En criant, en appelant
Allons nous-en maintenant Partons maintenant
En emmenant tout ces tristes
pauvres6
Bien « empaquetés' » (serrés les
uns contre les autres)
Allons nous-en
Partons
Pour que notre petite mère terre reprenne vie avec
nous seulement.
Partons maintenant
Allons nous-en maintenant
Comme des galgal et comme des aigles en
bouillant
Traduction de César Itier
(Professeur de quechua à l'INALCO), du quechua au
français
Un peu contradictoire, sûrement parce qu'aujourd'hui, le
Huayno a la connotation de ce qui est typiquement serrano,
tout en se diffusant largement à la ville. Quand à l'origine
?...
3 Arbre épineux à fleurs jaunes.
(Très nombreux à Pampas -- province de Tayacaja,
département de Huancavelica)
4 chamana et taypa : des arbustes
qui poussent à l'étage (écologique) de Pampas.
5 Lit : « Sur nos pauvres haillons
déchirés »
6 « En prenant bien par le bras »
' Chipay chipaymi : c'est l'idée de quelque chose
qui est très serré, où il y en a beaucoup. Par exemple,
c'est la façon d'envelopper un paquet, quelque chose, avec des feuilles,
des branches pour que ça ne s'écrase pas...
g C'est une grosse pierre qui peut tomber sur nous
et nous écraser. C'est aussi ce que nous disait une vieille dame de
Churcampa, comme menace, pour ne pas que l'on se rende dans un heu qu'elle
considérait comme dangereux, ou indésirable.
Cheminement du poème :
De l'injustice à la colère, le
départ s'annonce et au même moment se déclenche, et
engendrant la solidarité.
En d'autres termes, on a trois phases dans ce poème qui
représentent tout le mouvement. Tout d'abord, l'abandon dans lequel
sont les paysans qui incite l'individu à la conquête
des villes, puis, le refus de la passivité observée au
départ du poème (quand ils pleuraient et se lamentaient...), qui
exhorte les gens à agir tout de suite, sans hésiter
("vamonosya" ! Présence du présent (dans le fia = ya
= déjà, tout de suite) et du futur dans le
terme quechua : "npuicullasunfia"). Et, enfin le fait d'être
solidaires entre pauvres.
Le départ a pour but la résurrection de la
communauté
Structure du poème en un seul mouvement la force
Ce poème et son écrivain
représentent au mieux le ressenti de la migration. Lida Aguirre
a une vie ordinaire (c'est le chemin de beaucoup
de gens de sa ville) : très jeune, avec sa famille,
elle part dans la toute proche Selva, puis ils partent à Lima.
Son père lui interdit de parler le quechua, c'est très
mal vu dans la capitale : il faut mettre de son côté toutes les
chances d'être "accepté" dans la cité. (Le quechua
est la marque de l'infériorité, de la discrimination, de
Pindianité". Honte ! Et pourtant, il peut tant exprimer !)
Regard sur la sierra et la migration
La structure de ce poème est aussi le
cheminement de la réflexion que l'on peut mener. Se rendre compte des
conditions dans la sierra, qui poussent les gens à partir, autrement
dit, la « dépaysannisation » et l'attrait pour d'autres
choses. C'est une culture vivante on ne se laisse pas
dépérir et on va chercher ailleurs ce qu'il n'y
a pas, pas de résignation devant la pauvreté et donc la
décision du départ, avec un caractère conquérant
!
On entre ensuite dans la dynamique de la conquête de
l'ailleurs, de la ville. Elle a pour conséquence positive la
résurrection de la communauté, on refait vivre la terre
mère, celle d'origine (envoi à ceux qui restent, retour
pour les fêtes...) et la nouvelle que l'on fait renaître sur une
autre terre, c'est l'appartenance, le lien. C'est grâce
à la solidarité et à la constitution en
communauté que l'on va s'en sortir, en étant tous ensemble
(« bien empaquetés, serrés les uns contre les
autres »).
Vu de la sierra -- Exemple du département de
Huancavelica
Il ne s'agit pas de comparer la façon de vivre de
"là-bas" et d"ici" (Sierra/Lima ou LimalSierra, selon le point de vue),
mais de transmettre le regard des habitants eux-mêmes, à travers
leurs témoignages et leur vision et ce, par le biais de mes rencontres
et de mes choix, inéluctablement. Cela est évidemment trop
succinct et demanderait à être approfondi.
Par la suite, je propose d'articuler les deux facettes de la
migration à travers l'attachement à la terre, dans deux mondes
qui s'enchevêtrent, s'opposent et s'attirent. Enfin, je m'interroge,
à travers ce processus migratoire, sur la notion de
propriété, son sens et son évolution.
N.B : Je ferai, dans cette partie, quelques liens entre la
Sierra et l'adaptation des migrants. Cependant, je laisse au lecteur la
liberté de s'interroger et de faire des liens, de peur de
systématiser ou d'interpréter trop hâtivement.
HUANCAYO
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Nous voici donc dans la Sierra centrale, dans le
département de Huancavelica, sur la partie proche de la ville de
Huancayo (département voisin de Junin), grand carrefour au milieu de la
Sierra, dont l'activité est incessante entre Lima et la proche Selva (de
Junin).
Si l'on voulait s'intéresser à d'autres genres
de migrations (pas si différentes, simplement qu'elles demeurent plus en
lien direct avec la province dont les gens proviennent), la ville de Huancayo
aurait été intéressante. En outre, nombre de personnes du
nord du département de Huancavelica y ont choisi résidence. Bien
que très dynamique sur le plan des échanges économiques,
la ville n'en perd pas moins son caractère andin, en zone urbaine.
Les gens des provinces du Sud du département migrent
plutôt vers les vallées et la côte de Ica. Et ceux de l'est,
vers le département et la ville d'Ayacucho.
Parmi les gens que j'ai rencontrés dans les provinces dans
lesquelles je me suis rendue, nombreux sont ceux qui ont séjourné
à Huancayo et qui y ont des membres de leur famille.
Différentes coïncidences m'ont amenée dans
ces provinces, des gens que je connaissais, qui y vivaient, qui s'y rendaient,
qui connaissaient un tel, qui connaissaient un autre... et des choix pour
lesquels j'ai opté.
Les carnavals...
Après un séjour lors des carnavals de Churcampa,
j'ai rencontré Téotilio9, le spécialiste en la
matière des migrations au Pérou, qui m'a proposé de le
rejoindre dans de la vallée du Mantarow, pour les
fêtes de carnaval, afin d'y "recueillir" des données (!!) et de
connaître ces coutumes (et de danser prestigieusement à son bras
--sauf que je n'étais pas une vraie anthropologue parce que je n'ai pas
voulu me déguiser, mais ça va je me suis rattrapée parce
que j'ai dansé, c'était pour l'anecdote !) Je suis donc
allée dans la petite ville de Jaujail ainsi que dans d'autres
villages alentour. La fête était partout présente, un
quartier organisait son carnaval en même temps qu'un autre. On aurait
presque dit que chacun devait se montrer le meilleur, une sorte de concours
tacite... Certains dansaient élégamment autour de la place
pendant que d'autres défilaient dans les rues et jetaient du talc ou de
la farine sur les passants pourtant avertis... ! Quel
mayordomon offrirait la plus belle fête... A la fin
du défilé, c'était le grand moment du
Cortamontel3 , et il fallait danser autour de l'arbre,
malgré la pluie. Pas de déguisement : interdiction de participer
Cette fête-là paraissait jouir de tous les prestiges, et la
moitié des participants semblait venue de l'extérieur...
Dans les villages alentours, les festivités allaient
bon train, selon les jours...Dans le petit village de Paca une dame me disait
que cette année, il n'y avait pas beaucoup de monde. Beaucoup de gens
étaient partis... Le mayordomo, lui aussi venait de Lima. Et
tout autour de la placette, l'on s'abritait devant les maisons pour
échapper à la canicule et "descendre" les caisses de
bières...
Ce n'est donc pas dans la vallée du Mantaro
que j'ai choisi de revenir, mais dans la province de Tayacaja, voisine de
Churcampa... Je n'ai pas opté pour "faire l'étude" d'une
communauté ou d'un village, puisque la migration ne se réduit pas
à celle d'un point A à un point B. Aussi, après avoir
présenté la région, je donnerai un aperçu des
migrations depuis la province de Tayacaja et un district de celle-ci. C'est
à travers les fêtes de Churcampa que l'on
9 Teoflio Altamirano Rua
10 C'est la vallée qui s'étend aux
alentours de Huancayo, où passe le fleuve Mantaro
Première capitale du Pérou, créée par
les colons, avant de se transférer dans l'oasis de la côte,
Lima_
12 Le mayordomo est la personne élue
pour organiser la fête.
13 Cortamonte : une tradition de carnaval,
qui consiste à danser en couple autour d'un arbre et à lui donner
un coup de hache quand vient son tour. C'est à ce moment là que
l'on est invité à boire quelques breuvages... Celui qui fait
tomber l'arbre sera le mayordomo pour l'année suivante.
n
L
s'intéressera aux liens entre la ville et ses
migrés et le rôle du folklore. Ensuite, je soulèverai la
question de la terre et du monde paysan, centrale dans la migration.
Caractéristiques de la zone
Activités
Bien que son activité économique principale soit
agricole et pastorale, Huancavelica est considérée comme un
département minier. L'activité minière utilise peu de main
d'oeuvre de la zone et son impact négatif sur l'environnement est
considérable : sur la transformation du
sol, la qualité de l'eau et de l'air. Néanmoins,
d'importantes mines sont encore présentes.
Agriculture. Principalement cultivées, l'orge
(cebada?), l'avoine, Volluco (tubercule andin), la pomme de
terre 1 'oca et la mashua. (Prix de la pomme de terre
: « 0.10 S/'4. /kg a.0.70 S/. /kg. en blanca y en la
amarina de 0.40 S/. /kg a 1.00 SI. /kg ». Effectivement. le cours de la
patate est très bas, ce que déplorent les paysans ces
temps-ci).
Elevage. Etant donné ses hauteurs. la
région a développé un important élevage, avec de
manière décroissant, l'élevage ovin, bovin, l'alpe&
les vigognes, les lamas et les guanacos (les 4 derniers étant des
camélidés, 30%)
Géographie : La région
présente 5 des huit sous régions naturelles du Pérou
- Zone Yunga : de 500 a 1500 mètre d'altitude
(cultures de café, de canne à sucre, de fruits,
cucurbitacées...)
- Zone quechua, de 1500 et 2500m (culture de maïs,
légumineuses, cucurbitacées, fruits... et c'est une zone de
pâtures naturelles)
- Zone Suni, de 2500 et 3500 m (maïs, pomme de
terre, kiwicha, quinua, oca olluco, mashua (ces 5
dernières sont des cultures andines) fève, petits pois, haricots,
et des fruits à noyau ; et des pâtures naturelles.
- Zone Puna, de 3500 à 4500, ce sont les
pâtures naturelles qui prédominent. On cultive la pomme de terre
native, oca, olluco, cebada, avena, mata. C'est
dans cette région que résident les
camélidés sud américains... C'est aussi l'habitat de faune
sylvestre (comme les vizcacha... ).
- Zone cordillère, à partir de 4000m
(jusqu'à 5200 !). Il n'y a que des pâturages naturels et des
déserts sur les glaciers... On y trouve surtout les vigognes, les lamas,
les loups andins, le condor...
|
Structure agraire
79% du territoire de la possession de la terre correspond
à la propriété communale. Le reste
appartient à de petits propriétaires individuels sans
titres de propriété. La taille des parcelles dans la
possession communale est de 0.25 ha par famille, consacrée à la
production agricole. Elle est plus importante dans la possession individuelle,
mais seulement 1.5% ont des parcelles de plus de 50 ha alors que 80% ont des
parcelles entre 0.5 et 4.9 ha.
J
LI
On distingue les producteurs "d'autosubsistance" --je cite -
(toute la production agricole est destinée à la consommation,
mais 90% du bétail pour le marché) de ceux qui produisent pour le
marché. Ces derniers habitent plus aux abords des villes et
possèdent plus de terre... (5 à 50 ha par famille 0. Leurs
aspirations économiques sont lucratives et leur organisation exclut les
principes de fraternité, de solidarité et de coopération
(je cite).
Histoire
Huancavelica entre dans l'histoire par la porte coloniale quand
le conquistador espagnol découvre le mercure. A cette époque
la ville a, comme Mexico, plus d'importance que
14 Ce qui ne fait même pas 0.03 cts
d'euros.
Londres ou Paris...Marginalisé pendant 150 ans, par
oubli de la république aristocratique, le département continue
à donner des bénéfices à Lima avec les produits
agricoles de ses haciendas.
A l'époque coloniale, la région de Huancavelica
a été grandement exploitée pour ses mines. L'exploitation
minière colonial requerrait une abondante main d'oeuvre, puisée
dans une zone géographique assez ample. L'administration vice
royale15 garantissait la disponibilité de travailleur par le
système de la "mite". La production de mercure et d'argent
généra la plus grande richesse de la couronne espagnole,
notamment la fameuse mine de Santa Barbara. Quand la période de grande
productivité cessa, la mine comme la ville de
Huancavelica commença à chuter... Elle fut totalement
oubliée.
De l'indépendance du Pérou à nos
jours... Huancavelica était devenue la « ville fantôme
»... Elle ne disposait pas d'autre recours pour couvrir le vide
laissé par la chute de la mine de mercure. Son activité agricole
et d'élevage était dans les mains d'une caste
"féodalisant", propriétaire d'haciendas traditionnelles et
improductives. L'apport des communautés paysannes était
insuffisant, limité à l'autosubsistance...qui n'échappait
pas à la suprématie de l'hacienda. C'est au 20 siècle que
l'activité minière commença à resurgir, mais pas au
niveau d'antan.
La réforme agraire, promulguée par le
général Velasco au début des années 70 n'a pas
donné les résultats escomptés : principalement, en raison
du manque d'accès aux crédits et â. l'assistance pour les
petits producteurs... Trente ans ont passé depuis la réforme
agraire et peu de terres ont été redistribuées aux
communautés paysannes.
Pendant les années 80, l'action de la violence
politique du Sentier Lumineux accentua le retard du département, en
agissant contre les commerces et installations minières et en obligeant
les carnpesinos17 à s'enrôler avec eux...
Ces dernières années, les terres qui avaient
été abandonnées, sont en train d'être
récupérées, par le retour des
comuneros18déplacés par la violence.
De nombreuses mines ont été fermées...
[C'est le cas d'une dame de la Vizcachera qui est partie
parce que son mari travaillait à la mine]
D'autres ressources ne sont pas exploitées et ont
été abandonnées, comme l'élevage des
camélidés. Huancavelica avait été le premier
producteur de fibre de laine...
Démographie/ migration
Huancavelica se dispute avec Apurimac la faible augmentation
de sa population (de seulement 1.67% en 60 ans, contre 3.81% au niveau
national. Ce n'est pas seulement le haut taux de mortalité, mais aussi
« la constante sangria de l'émigration19 ». C'est
le département, qui proportionnellement expulse le plus d'habitants (le
ne le savais pas, et ce n'est pas pour
15 Du « Vice royaume », régime
colonial
16 "Mita : travail forcé imposé aux
Indiens qui devaient travailler par roulement (pour des périodes d'un an
tous les sept ans), dans les mines ou dans les ateliers à
l'époque coloniale. La mita, instituée en 1572 par le vice-roi
Francisco de Toledo, ne fut abolie qu'en 1812".Mitayo : Indien tributaire
âgé de 18 à 50 ans, qui allait travailler dans les mines
sous le système de la mita.
In : Carmen Salazar-Soler, Anthropologie des mineurs des Andes,
L'Harmattan, 2002, p. 358
17 Paysans
18 Membres de la communauté
19 Main -- Huancavelica. Atlas departemental del Peru.
N° 10. 2003. ed. PEISA. La republica
cela que je l'ai choisi) ; la majorité est partie vers
la capitale, mais un bon nombre aussi vers les départements proches :
Tunin (Huancayo), Ica et un peu Ayacucho. Huancavelica est une région
située entre ces 4 départements et selon la zone
géographique on s'oriente vers la plus proche... Certains mois, des
gens s'en vont dans les villes les plus densément peuplées
pour offrir leur main d'oeuvre dans la construction et le commerce ambulant et
pouvoir compléter leur "panier" familial de base (revenus).
Un cas intéressant à étudier eut
été, par exemple, celui des émigrés de la zone Sud
de Huancavelica - les districts de la province de Castrovirreyna dispose
désormais d'une route qui dessert la côte (dans le
département de Ica). N'oublions pas que nous sommes dans une
région de hautes montagnes et profondes vallées. Deux villages
peuvent parfois paraître proches sur la carte mais ne sont pas
reliés par une route, et sont séparés par de grands
abîmes. C'est donc dans la ville de Chincha, célèbre pour
sa population d'origine africaine, qu'ils ont élu domicile.
L'émigration de ce département s'est
accentuée pendant la violence politique, mais est due à de
nombreuses causes économiques20...
C'est dans le nord du département que se situe la majeure
partie de la population (Tayacaja, Acobamba, Churcampa)
ü 7 · -- 21
47o de sa population vit en milieu
rural (le plus haut pourcentage du Pérou)
(Churcampa n'a que 14.8% d'habitants dans les ensembles
urbains) c'ets pour cette raison que ceux qui migrent s'en vont vers d'autres
département (et peu à vers les villes de celui-ci...)
ü 27.5% de sa population est analphabète
(34% selon INEI, surtout des femmes et une population adulte). Mais
aujourd'hui, la majorité dispose de services sociaux (centre de
santé et poste de santé) 10` 79% n'a pas dépassé le
niveau d'éducation primaire
ü C'est aussi le département avec le plus
grand pourcentage de personnes parlant le quechua
comme langue maternelle (67%)
ü En comparaison avec Lima, les gens de Huancavelica ont
une espérance de vie de 20 ans de moins I
ü La mortalité infantile est très
élevée, et la dénutrition chronique importante.
ü L'accès aux services est très restreint :
seulement 64.9% de la population dispose d'eau potable (en 2000) (au lieu de
72% au niveau national...). 92.1% ne possède pas le tout à
l'égout.
ü Très paradoxal, seul 32.4% de la population
dispose de l'éclairage public (69.3% au niveau national), alors qu'il
s'agit du département qui génère la plus grande
quantité d'énergie électrique, avec sa centrale
hydroélectrique sur le Rio22 Mantaro : elle ne jouit ni de
l'énergie produite, ni des bénéfices de celles-ci
(centralisation... f), et pis r Le coût de l'électricité
pour Ies habitants est plus élevé qu'ailleurs...
ü L'indice de développement humain des nations unies
situe Huancavelica à l'avant dernière place. Encore faut-il
savoir quelles en sont les références...
Le message délivré par ces statistiques
démographiques : éloquent : « des chiffres terribles qui
dessinent une situation de retard centenaire et qui sont également un
urgent appel à l'action qui doit mobiliser tout le monde : l'Etat, les
entreprises privées, les ONG, et bien sûr, les habitants de
Huancavelica 23».
Huancavelica est classée comme région
d'extrême pauvreté, puisque les nécessités basiques
ne sont pas satisfaites. D'après L'INEI, plus de 90% des foyers ont des
carences de logement, de santé et d'alimentation.
2° Ibid.
21 Sources INEI (Institut National de statistiques et
informatique)
22 Fleuve
23 Ibid.
TAYACAJA
Regards sur les migrations et les familles.
A Pampas et Akrakia
Pampas est la "capitale" de la province de Tayacaja ; actif
centre d'échange commercial entre les villages de la vallée et
des hautes zones, elle se consacre à l'élevage et à la
culture de céréales et de pomme de terre. Beaucoup de ses
districts produisent de la pâte de sucre et de l'eau de vie de canne
à sucre ("Cana").
Elle se trouve sur la route entre Huancayo et Ayacucho (via
Churcampa). Cette province est découpée en plusieurs districts,
certains sont déjà en zone selva et d'autres sont très
difficilement accessibles. Si toutes les routes du département sont en
terre, certains districts n'ont pas de route d'accès.
Les personnes que j'y ai rencontrées --des femmes, en
l'occurrence, viennent souvent d'autres petits districts et sont venues
s'installer à Pampas.
Dans le petit district de Salcabamba, j'ai fait la
connaissance d'hommes qui sont revenus y vivre après des années
d'absence. Ils content leurs parcours, en montrant leur vision de la migration.
Ils nous livrent aussi leur propre vision de la migration.
Pampas, ou le club de madres24du quartier de
Cbalampapa...
C'est chez Irma que les dames préparent les repas du
comedor popular25 dont elles font partie. Les femmes,
membres du comedor, se sont réunies sous la forme d'un club de
mères pour pouvoir appartenir au comedor ; elles viennent
régulièrement pour se rencontrer, en dehors des jours où
elles viennent, tour à tour, par petits groupes, préparer la
cuisine.
Irma les a convoquées, un jour... Je ne m'y attendais
guère Elles sont toutes là, assises sur l'herbe, devant chez
elle, affairées au tricot, en train de deviser, et de m'attendre
Comme je lui avais parlé de mon sujet d'étude, elle
m'avait répondu que les mamans du groupe "viennent toutes de
partout"...
Et par petits groupes, nous commençons à
échanger....Chacune raconte un peu son parcours, les autres participent,
ou prêtent une oreille attentive... Elles semblent se reconnaître
dans les dires des autres... La situation est assez étrange... la
rencontre assez systématisée...mais pourquoi pas En fait, on sent
que ces femmes sont toujours là, au cas où elles pourraient
profiter de quelques opportunités... Elles semblent curieuses, aussi.
Cette situation m'a d'abord paru peut-être
surréaliste. Puis elle m'a semblé intéressante :
pourquoi ne s'exprimeraient-elles pas directement sur le sujet, de
manière « communautaire », comme elles ont l'habitude de
fonctionner, notamment par le biais de leur groupe de mamans.
24 Mères de famille
25 La cantine populaire est aidée par une
institution de l'Etat : le PRONAA, qui leur donne des aliments qu'elles vont
préparer (leur donne ?)
« Todas somos vecinas » (nous sommes toutes
voisines)
A travers leurs petites histoires (parce qu'elles n'en
racontent qu'un petit morceau 1), on se rend compte que souvent, elles sont les
seules de leur famille à. être restées ici. Leur situation,
assez difficile, exprime un quotidien incertain et une distance d'avec la
chacra. Ont-elles choisie de "s'émanciper" (entendons par là,
obtenir ce qu'elles n'ont pas ou peu chez elles comme l'école, les
services) ou des conditions trop rudes, sans issue, les ont-elles
obligées à partir, à conquérir
ailleurs?...Maintenant, ce ne sont que de petits boulots incertains qui font le
quotidien, du travail « quand il y en a », « ce
qu'il y a »... Les gens qui « galèrent » le plus
semblent bien être ceux qui n'ont pas de terres, ou trop peu...Elles
permettent seulement -et à peine, l'autosubsistance (« juste pour
manger ! »). Alors de la famille, ne reste qu'un enfant ou deux pour aider
les parents... Et toujours, mise en avant, comme essentielle:
l'éducation des enfants. Les enfants. Est-ce une raison qui en dissimule
une autre ? « Salir adelante ». Aller de l'avant. Ne pas
s'engluer là où l'on est, sans possibilités, sans
perspectives...Sens ?
Ni a ria est la seule de ses frer(:.'s et surs a être
testée ici. Les autres sont a Arequipa, Lima.. Huancayo, ou dan:-., la
Selva...elle ne sait pas hien. Son mari a occasionnellement du travail. iii
travail occasionnel
Jeralda vient de la province de Chut-campa. A 17 ans, elle
partait étudier à Huancayo, puis travailler à Izcuchaca
("exploitée par des suisses !"), puis elle est venue habiter
avec son mari à Pampas. Ses frères et soeurs sont dans la Selva
ou à Huancayo. Deux sont restés au pueblo. Elle veut
envoyer son fils à. Lima, parce qu'ici : il n'y a pas de
travail. Et la paye est très basse... Mais le problème,
c'est qu' "il n'a pas où arriver, on n' pas de famille
là-bas..." Comme beaucoup d'autres, elle vient d'un autre district
et s'est rapprochée de la capitale de province. Beaucoup ont leurs
frères et soeurs dispersés entre Huancayo, Lima, la Selva et
parfois certains sont restés au pueblo.
Et toujours le même leitmotiv, significative : «
ici, il n'y a pas de travail ».
Rodolfa Nient clé Salcaliainha Elle me niconte des
histoires sur ses fre.res, ses nièces.. ce qui leur est arrivé,
on ils vont_. ils sont à Lima. à Huancayo, les tins voulant aller
.t.}1.1 sont les autres
tlit 'est thf/h de. te- /Me
i.mye.«js-scinc,111,
il 11.%,Jble df.11,1 ChilLIVS soin
?pistes . 1! 1/.t, a pas de
quoi in, finnii.' (te ferre. ça ·apih-)rte .
ir Oit part tous. ll n'y a pas de futur
Constantina - Femme
"déplacée26" d'Ayacucho
« On est pauvre, on n'a qu'un petit terrain,
là-bas... »
Ils sont venus ici parce que son mari, de Huanta
(près de Churcampa) avait de la famille ici, qui est maintenant
repartie au pueblo. Avant, ils s'étaient même rendu dans
la Selva de Pucalpa (ce qui n'est vraiment pas tout près) pour
travailler (yuca, platano.,.). Son mari travaille dans la chacra
mais celle des autres, comme "peon"27 . Il n'y
a pas toujours du travail... « On travaille pour que les
enfants puissent étudier (école).
26 On dit « déplacé »
("desplazados") des gens qui ont dû partir ailleurs à cause du
terrorisme, qui n'ont pas choisi,
27 Ouvrier agricole. Celui qui travaille la terre
d'autrui.
Nilda. ieune remine est partie de son district de l'hic».
à Linta comme c'inpl,:udÉi- quand
a\ an ies terroristes. à [instar de cinq de ses
frères et soeurs Puis. die est revcrine ici. a Pampas. Certains sont
repartis au plle'Ne..1 Son epoux, quelle a
rencontré dans son vil;aLfe natal le ii.1111- des
élections. vit du travail occasionnel.. que ce son dans la diacra.
ou comme riii ·rier · .ce "ilt ·
Je Ji,' fillIS. 1111 11'nlei ici, 4:'11 .
)111 élit' M'Ils 11(111111/Ce cgrec
ele's
U111 VIle'r debni, le:luisais toit er,.
'e phi'," 11(111114, haiffle. tache.'.
c'OdleJliS Ve.'lith,' .41/1 _le lit' .StIrCil.s' 3 mais
ou
f iinrin01S1, dit rettfmcer on tivraii.
Q?) CCIllSiTifirc.' !WC 11.iii1V011. Mire L' gnami fi/Wh!, Hn
n'a pus Lei/
/,/ partir ). pour "'sdir inicionie"
r(infin.
.%'untilforci.), i=on!' cil,:" étudie dans
un meilleur collège.
Lima c'est bien quand nt sah travailler. sinon, tu
meurs (le faim Ndda
Flavia (du nord)
« Non je ne vais plus là-bas, ma maman est
morte
« Ici, on n'a pas de "casa propia"
C'est souvent ce qu'il se passe, quand les parents sont
décédés, on ne trouve plus de raisons de retourner dans le
lieu d'origine...
Enfin, Alejandra
Elle me demande comment on va pouvoir converser. puisque je ne
parle pas quechua, el qu'elle ne parlé pas espagnol_ Nous avons mis un
certain temps à nous mettre d'accord sur la possibilité de notre
dialouue. C'était un jeu assez tin de sa part. elle voulait si:renient
me montrer que je n'étais pas apte a parler avec elle, pas
disposée a entrer en relation avec elle. si je rie parlais pas sa
langue. Elle nia naturellement parlé d'un bon espagnol, mais est restee
distante. Je ne doute pas que si avais parlé le quechua. la conversation
se serait den.-}tilee autrement Espiègle [lie m'interroge sur
ce que je fais. . Le pourquoi.
Elle vient du district de Colcabamba. et habite ici depuis 3 ans.
"pour les enfants'. Poui qu s étudient.
Ici. Il fait plus froid Ils s ont acheté un lot Niais ils
ostt encore leurs terres là-bas et rendent pour semer.
tan/h:Hum on qm., Je ra:r\ ·
aller el I (l'hW(' ),),e,K, fti Nell'u, J'eh;
/os. 1)1011 e'r011.5"' lie' tUni 1111
pus si C.' i',!1 , lai pelf.%.* r`: s'ils
r11
A Pampas, beaucoup de familles viennent des autres districts de
la province, plus ruraux, D'autres sont arrivés de Churcampa, notamment
de Cobriza, où se trouve la mine-9.
Comme disait une dame qui a toujours vécu à
Pampas : « son de acientro» (ils viennent de
l'intérieur des terres. Ils ne sont pas d'ici même... Non loin de
là, à Daniel Hernandez, beaucoup de gens, des
déplacés du terrorisme. Ils se sont groupés en 3
associations, selon leur provenance. Un groupe vient du district de Tintay,
dans la province, et les deux autres semblent provenir de districts du
département d'Ayacucho.
28 Employée de maison
29 J'ai d'ailleurs rencontré une famille qui
s'était installée en bordure de Lima (Carapongo)
depuis quelques années. Le mari allait travailler quelques semaines
à la mine. Et il revenait là une semaine. Elle l'accompagnait
souvent aussi là-bas, à San Pedro... Elle expliquait que
beaucoup, là-bas, avaient opté pour vivre ainsi...
Dans les petites villes, on juge très durement les gens de
« adentro », ceux qui vivent dans les milieux ruraux, les paysans.
Selon l'origine de ces paysans, les jugements divergent.
« Ils sont paresseux, oisifs...11 manque de
développement humain, d'éducation. Ils sont pauvres... Ils ne
travaillent pas, ils dorment ! »
Aller à Lima ? Une dame du district de Alirakia
(village à côté de Pampas)
Ses enfants ne parlent pas quechua : "ils
ne peuvent pas !" . Ils comprennent mais ne parlent pas. A l'école,
ils ne parlent qu'espagnol. Ce sont des professeurs qui viennent de la ville,
souvent... Mais, « dans les hauteurs, si, ils parlent quechua!
»
Comme beaucoup, elle a deux frères à Lima, un
à Huancayo, qui sont partis après le collège pour
travailler. Elle ne sait pas trop ce qu'ils font maintenant (pas de nouvelles
?).
« Ils reviennent 2/3 jours toutes les x
années, en visite, seulement. Oui, ils ont changé, leur
caractère est différent. Ils me disent pour aller à Lima,
mais non... Eux se sont habitués là- bas
déjà...
Ils ont tous des droits sur les terres [ici]. Ils laissent la
moitié, ou ils louent. Parfois, ils viennent semer.»
Je lui demande si elle penserait aussi partir. Elle me
rétorque : « non, nous ici on est habitué avec les
animaux, les vaches... » Entre temps, elle rappelle une vache qui
s'en va, car nous sommes au milieu de la pâture ! «Marta !
». A Lima, « todo es comprarm ». [Cela
rappelle le « todo es platasi » tant entendu
à Lima 1] Ici, on a les aliments, les animaux, tout ! Nous sommes sur la
pampa32, et de là elle me montre, au fond, dans les hauteurs,
son village natal...Ils sont venus ici parce que son mari travaille dans une
hacienda d'animaux .
En conversant avec d'autres femmes, je leur demandais si elles
avaient des terres. Elles répondent affirmativement,
puis ajoutent qu'elles les louent, à ceux qui sont
partis à Lima et ont beaucoup de terres !
En général, quand on rencontre quelqu'un dans
les Andes, les 3/4 de sa famille au minimum, sont
partis. Comme ils sont de nombreux frères et soeurs, il en reste souvent
un ou deux, ici (dans la capitale du coin) ou là-bas, au village...
A regarder le phénomène depuis Lima, on se rend
compte qu'il reste toujours un frère ou une soeur restés
"là-bas", et souvent, les parents, s'ils ne sont pas morts, ou s'ils ne
les ont pas fait venir chez eux, à Lima... Ils restent les seuls
représentants de la famille sur la Sierra, et de ceux qui sont
partis?
En discutant avec les gens dans les Andes, on ne peut imaginer
qu'ils pourraient partir demain à. Lima, par exemple. Ils en paraissent
tellement éloignés. Et souvent, bien qu'ils se déplacent
pour aller vers de plus gros centres, pour l'école, ils ont une mauvaise
image de Lima! En revanche, nombreux sont ceux qui ont passé une
étape, celle de partir de leur village natal. Pour aller à
côté, mais déjà en ville... (Quoique, Pampas n'est
pas une ville... Et ils y ont leurs champs et leurs animaux !)
30 Tout est « acheter »...en d'autre ternie
tout coûte et on n'a pas ses produits, et il faut toujours acheter pour
pouvoir vivre, il faut de l'argent, donc travailler beaucoup...
il. Tout est fric !
32 Le plateau
On pourrait penser que les familles sont là-bas
divisées, qu'elles ont perdu leur cohésion et leur fondement
(base des rapports, de l'organisation...etc.) Peut-être. L'organisation
doit s'en trouver changée ainsi que le fonctionnement des rapports
sociaux. Rappelons que les familles sont très nombreuses du dedans, et
très élargie ! Mais ils connaissent ça depuis
déjà longtemps... !? Et les gens ont l'habitude d'aller vers
d'autres flancs pour trouver une meilleure activité (beaucoup partent
vers la Selva33 pour les cultures...)
En outre, ces départs sont aussi un élargissement
du réseau, une relation à distance mais qui fonctionne et propose
de nouveaux éléments, de nouveaux échanges.
Les migrants, de retour (passager) chez eux, apportent certes de
nouveaux éléments, sur l'ailleurs, mais aussi une croyance en la
possibilité de réussir, là-bas.
On peut quand même se demander si cela n'est pas parfois
juste lié à la fête, par le retour des « anciens
» du village, qui sont partis, mais sont encore « les gens d'ici
» et reviennent pour participer ; ou organiser, forme de prestige avant
tout ? Sont-ils seulement soucieux de la communauté elle-même ?
Mais est-ce que la fête est quelque chose de «
limitée » puisqu'elle rythme la vie de la communauté
d'une année à l'autre avec ses préparations, ses
échanges et ses services rendus ?
La question du départ
Mais comment le départ est-il provoqué ?
S'agit-il de quelque chose de réfléchi ou de spontané
?
Cerner la préparation et surtout le
déclenchement du départ, la décision de quitter sa terre
natale, n'est pas aisé. Etait-ce un désir depuis longtemps ? Y a
t-il eu une impulsion provoquée par quelqu'un déjà
là-bas, de Lima...dans la Sierra ? (C'est en général parce
que l'on a quelqu'un qui nous incite à venir ou nous permet
l'arrivée là-bas). J'ai rencontré des gens pour qui Lima
était un autre monde, un monde matérialiste. Ils y avaient de la
famille, bien éloignée maintenant. Pour eux, la vie était
ici, où tout est à portée de main.
Lima représente parfois un monde peu attrayant :
«Le désordre, le danger, trop
d'informalité, de délinquance... », entendra-t-on dire.
« Une fois j'ai été à Lima...on m'a
trimbalée par ci par là, mais je n'aime pas, il n'y a pas de
tranquillité. Il ne leur reste pas de temps, parce qu'ils travaillent
beaucoup. » (Marna Salo)
Mais ces gens-là semblent un jour se décider
à partir, et conquérir ce nouveau monde ? Quand ce modèle
plus occidental, dirions-nous, s'impose à l'esprit comme
finalité... selon des critères plus économiques, ou
d'ascension sociale ?
Eux aussi s'approprient-ils de nouveaux modèles ; ou
sont-ce des conditions de plus en plus rudes, auxquelles il faut
remédier?! Sont-ce certains --les pionniers, qui sont d'abord
allés "tâter le terrain" et reviennent avec la gloire de la
conquête : la réussite "là-bas" ?
Ces gens qui reviennent ont véhiculé une
image, mais peut-être ce processus
s'effectue-t-il aussi à distance ? En envoyant des lettres, en
téléphonant (si le village dispose au moins
d'un téléphone), de l'argent (le fait d'envoyer de l'argent,
symboliquement, doit représenter
33 Sur Je piedmont, souvent
beaucoup I), des encomiendas34 (qui
maintiennent le lien et véhiculent des objets, des produits de la ville
mais par lesquelles aussi les émigrés en reçoivent de leur
terre d'origine ! Le rôle des médias, de la
télévision est évident, comme véhicule d'une autre
idée du bien être, économique, mais surtout du bien
être ailleurs. Pas ici.
Le départ peut aussi être le début d'une
véritable coupure. D'aucun ne dira qu'il ne sait pas
grand chose d'un frère à Lima, qu'il ne revient pas beaucoup ; et
vice-versa, beaucoup à Lima diront qu'ils n'ont pas été
depuis longtemps au village, qu'ils n'ont que très peu de
nouvelles...
Quelqu'un là-bas me donnait sa version de la migration
(A. Ascurra, de la municipalité de D. Hernandez (prés de Pampas).
« Le cas le plus courant, ils ont une maison "là-haut" et leurs
enfants à Pampas. Ils vont, ils viennent (les parents). Les enfants
reviennent pour les vacances. Puis un autre frire vient et un autre et
ça y est les parents restent avec eux. Puis ils partent étudier
à Huancayo. Et parfois, les parents finissent par suivre. C'est tout un
processus, pas juste une migration. »
34
Colis. Hist Institution coloniale espagnole. Octroi
par la Couromie d'Espagne à un conquistador ou à un
émigré espagnol d'un certain nombre d'Indiens qui devront
travailler dans ses propriétés. En échange,
l'encomendero s'engage à oeuvrer pour
l'évangélisation de ce "troupeau humain" (In Carmen
Salazar-Soler. Ibid. p. 356). "Puis, en second lieu, on appela encomienda
l'envoi recommandé d'un paquet par l'intermédiaire d `un voyageur
particulier ou d'un fonctionnaire de postes [...]". La dernière
édition consigne, en plus de l'acceptation historique américaine
encomienda: "paquet postal" en téférence au
Pérou et à d'autres pays d'Amérique du méridionale
et centrale. (In dicctionnaire de peruanismes, Markka Hildebrandt 1994,
Biblioteca Nacional del Peru, p. 186-188)
Salcabamba -- district de la province de Tavacaja Qu'y
pense-t-on de la migration?
Avec Samuel, el tio de Lourdes ...
J'ai rencontré Don Samuel à Pampas. Il y vient
régulièrement, puisque Pampas est la "capitale" de la province de
Tayacaja et qu'il habite dans le petit village de Salcabamba -- capitale du
district éponyme.
Nous dînions, avec Lourdes, sa nièce, dans la
polleria35 de Pampas. Son oncle m'invita à venir
connaître son village, sa terre... Lourdes est originaire du coin, mais
elle a toujours vécu à Lima. Ayant été
nommée responsable de la zone des Wawawasi35 , elle
est retournée y vivre : « je viens d'ici, mais je ne
connais personne ici ! »
Un homme de la municipalité disait :
« Quand je prend le bus, je regarde combien de personnes
je connais : je n'en connais plus que 5/61 La population a changé
»
« De ma famille, tous sont parfis. Je suis le seul
à être revenu (pour le travail) Parce que les gens partent et de
nouveaux arrivent des petits districts alentours... »
Depuis sa retraite, il est retourné vivre dans son
village natal de Salcabamba. A huit ans déjà, il partait
étudier à Huancayo. C'est la grande ville la plus proche qui
attire beaucoup de gens des alentours. Il me raconte son enfance, difficile.
Souffrances. Sans père, lui et ses 7 frères ont dû s'en
sortir seuls pour étudier, par eux-mêmes, dit-il. Il a
habité à la Victoria (« mais à Lima, il y a
beaucoup de délinquance »), puis dans un quartier plus en
retrait, plus rural, Chaclacayo... Avant d'aller travailler à Lima
(instituteur), il a travaillé dans les provinces par ici. Ses autres
frères et soeurs sont encore à Lima aujourd'hui, sauf un dont il
m'a montré, chemin faisant, son village, au loin....Du versant de
montagne que nous dévalions avec sa voiture, on pouvait voir la partie
"selva" (prémices de la Selva, végétations, climat plus
chaud, moins d'altitude), là. où il habitait et fabriquait de la
« cafta », alcool de canne à sucre que j'ai eu loisir
de goûter chez Don Samuel, dans sa petite épicerie. Avoir ce petit
lieu de vente, chez lui, est une diversion, dira-t-il... (« Je n'ai
pas de responsabilité, pas d'enfants à charge ...je n'ai pas
besoin de faire du commerce en fait... »).
« En revenant ici, ma maison était
abandonnée. Et je vis ici maintenant, avec ma chacra, mes animaux...et
c'est comme ça que je suis heureux I Je vais souvent dans mon champ...
M'en occuper m'est agréable ... Si je ne sors pas, c'est dur, je
m'ennuie ....alors qu'aux champs, non !
« A Lima, il y a un stade de Salcabamba, c'est le
seul de tous les districts qui en a ! Et là, on fait les fêtes...
Et ils boivent et dansent et chantent et mangent ne travaillent pas pendant ce
temps.
« Ici, avant c'était mieux socialement et
culturellement. Mais la plupart sont partis [la plupart des gens d'un certain
niveau ?I, à cause du terrorisme. Il ne reste que les petits
vieux...
Sa nièce ajouta : «Mes grands parents
se préoccupèrent du fait que les enfants aient une profession,
c'est pour cela qu'ils ont migré à la ville. Ils vécurent
à la ville, mais les parents
35 On y mange du poulet â la braise, avec des
frites et de la salade. Les pollerias sont plutôt des restos de
la côte...
36
Wawawasi : maison (wasa) de l'enfant (wawa).
Programme de garderie chez des femmes, "aide maternelle" en quelque
sorte...
avaient toujours "la chacra" parce que
leurs revenus pour maintenir la famille, provenaient de la production des
semences et de l'élevage de bétail. De là-bas.
(la chacra), ils leur envoyèrent la pension pour qu'ils puissent
étudier, ils allaient par saison vivre un peu à la
ville...
Ceux de ma famille qui vivent à Lima et même
à l'étranger37 vont toujours en visite sur la terre de
mes grands parents. Pendant les fêtes, beaucoup de familles qui
résident à la ville, se rerencontrent là-bas.
»
Il m'a emmené en disant à sa nièce que ce
n'était pas pour que je fasse mon "enquête" sur la migration, mais
pour connaître son village (pour le plaisir ?!), pour se promener...
Je ne l'ai pas questionné à dessein sur son
histoire de vie. Il racontait et racontait. Assis dans son épicerie. Un
peu plus de "Caria" ? Tant de choses. Enfouies quelque part dans ma
mémoire... Au village tout le monde le connaissait et le respectait, Don
Samuel... Notoriété de sa famille ? Ou parce qu'il venait de la
ville, qu'il était professionnel ?
« Don » Samuel
Ce dont je me souviens est que ses parents étaient
d'assez grands propriétaires terriens. Avec la réforme
agraire, Don Samuel me dira que ses parents ont tout perdu ou du moins
une grande partie... Lui et ses frères étaient déjà
des "professionnels"... la chacra ne leur était vraiment pas
destinée...
Avec le maire de Salcabamba....
« Ceux sont surtout les jeunes qui partent pour
étudier ou travailler (mais surtout travailler, c'est dur de pouvoir
faire les deux.) Ils ne reviennent pas : ils sont à la ville ...
Pour les fêtes d'octobre, beaucoup reviennent,
d'Italie, des Etats-Unis...Alors il y a des "gringos", parce que certains se
sont mariés là-bas ...et ont des enfants "gringos"...
« Ici, il n'y a pas de travail... (Qui dira le
contraire ?)
Une dame dans le local où se trouve le seul
téléphone du village : « comment tu trouves Salcabamba,
c'est triste non ? »
Efrain, de retour auprès de sa mère
après un long périple...
« Ici, la seule chose qui manque c'est
l'éducation. A part ça, on a tout à
portée de main »
a re.,k`eic., J.101e3. (:,01flinUï.;.aUté
&dus ries iiauieur.
n'ee, quà.1e...ure, à pied e"ç'a
dépend pour ..,). trianer une .cuàe,
Daru la fta-eie de femme, a snnt 1)..Fïrs
"chez des ns".
De là 'à aep_z-k, 0;2 eu envie des
étud.es....noewrne&, puiis
rie fait (-;:.-èmt ce ;:a (e..t
Iemps Feçio'nel e rameryer Les
choss.,-F,;s.)
37 Beaucoup de familles ont quelques membres
à l'étranger
Comme ils sont revenus, ou plutôt comme ils
..,àne du heu (même après 15 ans d'absence I)
mais ont habité à rextérieur, ils sont assez
"respectés" et l arrive que les gens viennent leur renipi Ull
peq)ier, baller des pogsibi-,iités... Ff..érk;i,':
tjeuen,r
veulent partir, e,ual;? ),301'etii`S' ne In pas,
paf-cé., ge; 'ils (Net hesoL. cur
p'.6*-;" S 'oechiper du bétail, de la
chcera
est relicnu er,:e auprès de sa ciamerl,
S, ans, 5près prescpe 20 am. d'abri.--,:nce.
C'es:: en a-.:1,3.nt étudier Hu
K,i.C.:Ay0 te '+.u. un 1,1.'-zve..fi le* fàis.a.tit
Ç a ' changé ?f, Non i;eas jusie qut-
tesei,ris ont », i.l senab:le aimer sa
Ç,'otemunaieê et V07123oir le 1-."eixe
voit c..,,ns! >",ileir aiijleurz".
En effet, selon lui les gens partent pour "salir
cidelante" (aller de l'avant, s'améliorer), pour
sobresalir (se surpasser), travailler, étudier
: « Ici, la seule chose qui manque c'est
l'éducation. A part ça, on a tout à portée
de main »
On voyait les gens qui revenaient de Lima ou
d'autres coins et avaient réussi. 1h nous montraient les
possibilités. Mes parents ne voulaient pas que l'on vive la même
situation qu'eux, qui se limitait à la chacra38 et à
l'élevage Ils donnaient une autre vision des choses,
de ce qu'on n'avait pas... »
« On voudrait améliorer pour qu'au moins
les enfants puissent avoir un uniforme bien,
etc...Mais d'autres ne cherchent pas à sortir de cette
situation.
« Ici on a besoin d'aide ...mais pas le
poisson sans apprendre à pêcher. D 'autres
programmes sont venus comme ça, donner des choses et à la fin :
il n'y a rien ! Il faudrait plus de cuves, plus de bétail etc...
Nous aider à nous développer... »
Beaucoup d'habitants de Salcabamba à
l'étranger. C'est étrange parce que on se demande
comment d'un tout petit village, ils peuvent partir presque directement
à l'étranger, alors même que la distance culturelle est
encore plus grande ! Et pourtant !! Il paraît
qu'aux Etats- Unis, il y a la colonie de Salcabamba, dans une
même ville ils y fêtent le Santiago39, etc. D'ailleurs,
on parle de ces gringos qui reviennent pour les
fêtes ici, accompagnants des anciens habitants de Salcabamba. Mais ces
absents semblent appartenir à la communauté : ce sont les
habitants de Salcabamba qui habitent ailleurs... Le lieu porte une
mémoire qui est inscrite dans les générations qui
s'expatrient et qui restent ?
Il est aussi important de noter qu'au Pérou les envois
d'argent depuis l'étranger sont très importants (comme dans tous
les pays du monde d'ailleurs'"), ils sont même le moteur
économique le plus fort... On dit souvent que beaucoup sont
là-bas juste pour avoir de l'argent. Travailler, gagner de l'argent,
envoyer. "Mais leur pays reste le Pérou". Travailler, amasser et
retourner. Rentrent-ils ? À l'occasion des fêtes, certes oui...
(Il arrive même souvent qu'ils l'organisent !). Mais reviennent-ils vivre
au Pérou ?!
38 La chacra, c'est-à-dire l'agriculture... la
vie dans les champs, le travail des champs, mais aussi les insignifiants gains
de la chacra...
9
Santiago - dans la région centrale du Pérou c'est
la péri(xle qui correspond au marquage du bétail (le
changement des boucles d'oreille de laine) que l'on appelle
"sellai" ou "herranza". On chante alors et on danse des
"Sanfiaguilos", qui parlent des choses de la nature (plantes,
animaux...) et bien sûr d'amour Les gens se promènent la nuit de
maison en maison en chantant et en jouant de la "tinya" (un petit tambour).
Santiago c'est vraiment la grosse fête à Huancayo et aux
alentours...
40 Il est assez interpellant de noter que l'argent
qu'envoient les émigrés à leur famille "au pays"
représente beaucoup plus que l'aide au développement dans le
monde,
Les témoignages de ces deux hommes, de niveaux
assez différents, montrent un exemple de parcours de gens qui ont
vécu ailleurs, à la ville, en étant devenu
"professionnels". Ils semblent assez "respectés" dans la
communauté. Est-ce parce qu'ils reviennent de la ville ? Parce qu'ils
sont des "professionnels" ? Peut-être d'une certaine façon, ils
sont perçus ainsi. Mais peut-être aussi une distance. Du
reste, pour beaucoup. l'ailleurs n'est ni envisagé, ni
désirable...d'où la question du départ, et de ce qui le
provoque, de ce qui le permet...
Le chauffeur de "taxi" de
Salcabamba...
...fait tous les jours des allers-retours entre Pampas et
Salcabamba. Quel sport ! Il habite entre les deux, à
Ayabamba. Mais il dort dans sa voiture, lors du dernier trajet qui le fait
rester à Salcabamba, pour repartir avant le lever du jour avec les
premiers voyageurs.
Cela ne fait pas si longtemps qu'il y a une route ;
avant, il fallait y aller en cheval, ou à pied, cela limitait
les départs, mais la construction de la route les a fait
s'intensifier.
Comment a-t-il acheté cette voiture ? Un prêt ?
"Point du tout, "nous avons des chacras dans la selva
.1", ceux sont ses frères qui sont
là-bas et cultivent le café. « Les fruits ça ne
rapporte pas. La coca, c'est plus bas (en altitude)
« Ils sont depuis janvier à la récolte, et vont
bientôt revenir se reposer et puis repartir ».
Il a un frère qui est à
Lima, mais lui « il est à part », il
ne revient que tous les 2/3 ans. Un exemple d'économie familiale : les
départs stratégiques et les interactions des uns et des autres
permettent à ce système de fonctionner. On ne peut pas avoir de
prêt, d'ailleurs le système n'existe pas en tant que tel ! Alors
on s'organise en famille. L'activité des uns aide celle des
autres, l'investissement des uns, l'obtention d'un emploi pour
l'autre, et faire le bon choix : le café est une bonne
opportunité (hormis celle du coca)
On comprendrait presque comment les gens, grâce
à leur réseau familial entre autres, arrivent à se
débrouiller dans le néant urbain... C'est aussi multiplier de
façon stratégique les activités et saisir les
opportunités qui se présentent (départ à Lima,
départ à la selva...). Si chacun fonctionnait seul, il n'aurait
pas pu acheter de terres dans la selva et donc pas de voiture pour celui qui
est resté au village. Ils restent encore liés à leur
village et à la famille, et reviennent saisonnièrement (beaucoup
de gens entrent dans les processus de migrations temporaires, ou
saisonnières, souvent dans les cultures). (Hormis l'activité
rotative des mines).
« N'ont-ils pas été, peu ou
prou influencés, mod4fiés,
déménagées en leur for intérieur... ?
» R. Jaulin
Des raisons de la migration aux modèles de
l'ailleurs...
Il manque de perspectives pour le futur. Alors on envoie les
enfants étudier pour qu'ils aient des possibilités. Ici : il n'y
en a pas. Ici : pas de travail, pas de possibilités, rien. Juste la
chacra, le ganado41 , lorsque l'on en a... et
encore.
Ces expressions --que l'on entend tant à Lima que dans
la Sierra, comme "salir adelante", "sobresalir", "superarse" .
dénotent toutes l'idée d'amélioration et de «
sortie » ; aller de l'avant, c'est partir, pour s'améliorer, avoir
des objectifs plus ambitieux.
Le maître mot, l'éducation,
devient le modèle qui participe de ce mouvement, pour tous. Si
des familles ont pu, il y a un certain temps (cf. Efrain, Don Samuel) permettre
à leurs enfants de partir pour devenir "professionnels", il semblerait
qu'aujourd'hui, ce soit au moins une aspiration partagée par beaucoup,
en essayant de mettre ses enfants dans une "meilleure" école.
Que ce soit ici ou à Lima, cette raison est essentielle
dans les discours des gens. On est venu chercher un travail, mais on doit
rester pour l'éducation des enfants. Il est préférable de
partir, parce que les enfants doivent s'ouvrir sur le monde en étudiant.
Besoin inculqué, désir d'éduquer : il faut que les enfants
aient de meilleurs possibilités qu'eux n'ont eu, il faut qu'ils
étudient à tout prix, peut-être vont-ils devenir «
profesionales42 »... Les jeunes
semblent en effet être les plus absents. Pourquoi rester s'il
n'y a plus rien à espérer ? Bien souvent, on n'a pas les moyens
de leur payer des études supérieures, mais l'idée
était là. Egalement, lorsqu'ils partent, les jeunes combinent
études et boulot, jusqu'à ce que le boulot ne permette plus
l' étude...
« Le bonheur ce n'est pas l'argent, c'est la
tranquillité --disait une vieille dame dans un village. Il s'en
vont travailler et vont laisser leurs enfants. C'est mal, leurs enfants vont
rester seuls, orphelins... »
Si les adultes sont venus pour trouver du travail (dans la
petite ville, dans la capitale), ils y restent pour les enfants. La vision
n'est pas la même pour tous et évolue avec les
générations. Beaucoup racontent que leurs parents sont venus
à Lima et ne se sont pas habitués... "Ils sont tombés
malades, parce qu'ils n'ont pas supporté" .. . Beaucoup ne peuvent
pas partir loin de ce qui les lie avec leurs terres, leurs animaux. Pour rien
au monde ils ne choisiraient le chaos de la ville et la dictature de l'argent
contre leur vie tranquille riche de sens, et d'appartenances..
Un modèle qui semblerait s'imposer, mais pas
directement, on n'oblige pas à éduquer, de l'extérieur (au
contraire) : comme une idée qui se "contagionne", qui fait
désirer autre chose, qui fait prendre conscience de sa
réalité et de ce que peut être l'ailleurs, une idée
qu'on s'approprie, un jour. Et l'on se décide.
Cela se fait d'une certaine manière, comme nous l'avons
dit, pas le biais de ceux qui sont partis, et reviennent. Mais aussi par
d'autres voies (encomiendas, échanges, communication,
41 Les champs, et le bétail
42 Devenir professionnel, en tant que statut social
meilleur, et situation économique.
etc.) C'est dans cette mesure que l'on peut s'interroger, de
la même manière que l'a fait Jaulin43 en Afrique, en
parlant de "l'homme du lieu". Puisque l'identité de ceux qui sont partis
prend nécessairement d'autres visages, qu'en est-il de ceux qui sont
restés ?
Pour ceux qui sont partis, "ceux qui sont restés"
appartiennent au monde d'avant inscrit dans la durée à un
horizon qui précéda leur départ, inscrit dans un temps
long. Mais on ne peut enfermer dans cet horizon ceux qui ne sont pas partis
; et d'ailleurs peut-on dire qu'ils ne sont partis en aucune façon?
« N'ont-ils pas été, peu ou prou influencés,
modifiés, déménagés en leur for
intérieur » par les répercutions du monde global et surtout
par les horizons "découverts" et véhiculés par ceux qui
sont partis ?
« Les gens qui ne sont pas physiquement partis, ont
cependant également été emmenés ; ils l'ont
été en demeurant en retrait, mais ils l'ont été!
Aussi les départs ne doivent être qu'en dernier ressort
référés à l'identité ».
On peut suivre la démarche de Robert Jaulin et se poser la
question de cette "part du non lieu".
Conquête d'un ailleurs : quête d'un futur ?
Ces modèles de l'autre, de l'ailleurs, du possible
semblent en grande partie véhiculés par "les gens du retour", qui
reviennent plus nantis, voir « émancipés », qui
montrent --et parfois de manière ostentatoire, l'image de la
réussite ? Preuve que c'est possible ? Désir que l'on transmet ?
Etudier, c'est s'ouvrir des voies, celles du futur ? C'est
pouvoir percer à la ville... ? Pour cela, il faut la
conquérir...
Jaulin parle de l'identité culturelle dont les hommes
sont porteurs (dont nous sommes tous porteurs 0, et éventuellement d'une
identité "totalitaire" de laquelle sont porteurs les hommes, en cela
qu'elle s'est imposée à eux. Les hommes du retour n'en
seraient-ils pas d'éventuels porteurs de cet univers qui se situe entre
départ et retour?
Le départ peut être lié à
l'ouverture culturelle, là où la présence au monde est la
plus forte, mais aussi être fonction de la déchirure d'une
expulsion identitaire, présence d'un non lieu, d'un univers de
l'entre-deux. Cette constatation, ou plutôt cette interrogation, nous
pourrions plutôt la transposer pour les émigrés à
Lima.
Néanmoins, on peut considérer qu'en
deçà de cet entre-deux culturel et identitaire qui entraîne
déchirure (« de l'expulsion identitaire »), coupure et
désintégration de la personnalité, se met en oeuvre une
volonté de vivre activement : aller de l'avant, déceler les
opportunités, ne pas être redevables, et faire fi de
l'indifférence d'un pays ingrat. En d'autres termes, une culture qui ne
se sclérose pas. Peut-être, comme le laissait transparaître
le poème de Lida Aguirre, la communauté choisit
stratégiquement le départ pour se redonner vie. Et ce, en sachant
que des membres resteront sur leurs terres. Faut-il que certains partent pour
que les autres continuent ? N'est-il pas moins douloureux de partir lorsque
l'on y laisse quelque chose de soi. Les liens symbolisent peut-être
l'existence de ces absents.
Pour considérer la rupture que peut engendrer ces
départs, la vision idéale n'est pas suffisante. Il serait
erroné de penser que le lien avec la communauté d'origine est
indestructible, quand pour certains, il s'agit d'une véritable rupture,
parfois choisie pour mieux supporter l'éloignement, ou parfois subie
malgré soi.
43 Robert JAULIN, Exercices d'ethnologie.
Ces quelques témoignages nous donnent peut être
des idées de la vision de certaines personnes sur la migration, sur les
migrants et laissent transparaître les aspirations des villageois
aujourd'hui. Pour beaucoup, certes, mais pour tous ? Je ne crois pas. Pour qui
? Là est la question, je n'ai pas de réponses. Si tant est
qu'à une époque les métisses des villes et les
propriétaires terriens ont décidé d'aller chercher une
meilleure vie à la ville (Lima D, en gardant leurs lopins et
bénéficiant de gains, ou bien en permettant à. leurs
enfants d'être professionnels, les choses semblent avoir changé
aujourd'hui. Les gens de petits villages descendent vers la vallée puis
se dirigent vers la ville. Les gens des hauteurs viennent-ils plus bas ?
Rappelons que le terrorisme a fait bougé beaucoup de population contre
son gré
Voici maintenant l'exemple des fêtes, patronales ou de
carnaval. Comme on en fait dans toutes les provinces, tous les districts,
à chacun sa tradition. Elle est souvent le moment de retour des
émigrés. On verra peut-être à partir de cet exemple
comment sont considérés ceux qui sont partis. Sont-ils des «
lâches » ou au contraire, font-ils encore partie intégrante
de la communauté ? Sont ils des exemples ?... sont-ils encore «
présents » malgré leur absence... ? Qu'expriment ces retours
: un réel attachement aux terres ? Qui revient ?
Churcampa et la fête. Liens avec Lima
La fête patronale - exemple des carnavals de
Churcampa, dans la province et à lima
L
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Le 15 août à Churcampa c'est la
fête de la Sainte Patronne : la Virgen Asunta44
(aussi appelée "mamacha45 Asunta"). Quand on est
élu mayordomo de la Virgen Asunta en août 2004,
on s'engage pour deux fêtes : comadres (la fête de toutes
les Saintes du village), qui a lieu en février 2005, pendant carnaval,
toujours un jeudi, et le 15 août 2005.
Il y a aussi des mayordomos de San
Juan et de San Pedro à Churcampa : ils s'engagent de la même
manière vers le 18-19 août et sont chargés
de
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la fête de compadres (la fête de tous les
Saints du village), qui a lieu en février, une semaine
avant comadres, toujours un jeudi, et puis le 16 (San
Pedro) et 17 août (San Juan).
En fait, s'engager avec un Saint, c'est s'engager pour les deux
fêtes : comadres ou compadres ainsi que le mois de la
fête du Saint (fête patronale).
Dans d'autres villages on honore aussi comadres et
compadres mais ensuite, la fête la plus importante n'a pas
forcément lieu en août, elle dépend du saint patron (par
exemple : la Virgen del Carmen est en juillet).
L
Avant chaque fête : on fait "llantakuy" : les gens
qui veulent aider, vont couper du bois (llanta en quechua = bois sec)
- on le stocke pour cuisiner le jour de la fête, environ 3/4 mois avant.
Puis, une semaine auparavant : on prépare la chicha46 ,
le trago47 ... et quelques jours avant : les petits
"bizcochuellos" , "bobs" et autres "sara roscas48"
que l'on distribuera aux gens pour les "comprometer49"
dans la fête, c'est-à-dire les engager à participer,
les inciter à collaborer (avec quelque chose)...
44 La vierge de l'assomption
45 « petite mère »
46 A base de maïs fermenté
47 Souvent à base de Cana, alcool de canne
à sucre, ou une imitation, appelé « quemadito
».
48 NOMS des petits pains et douceurs
préparées en l'occasion.
49 Compromettre. Engager
Février est l'époque des carnavals. Oui, comme
chez nous ! On ne se demandera pas pourquoi... Aussi de nombreuses "traditions"
lui sont liées. Chacune des "activités" engage des gens pour
l'année suivante, qui devront la réorganiser et d'autres,
collaborer. Epreuve de grand prestige, le mayordomn devra
fournir l'essentiel (nourriture et boissons et banda5°
etc...) pour que la fête soit réussie. Tout dépend de
lui et des gens qui collaborent.
A côté de cela, plus liées au "carnaval" en
tant que tel, se déroulent les festivités comme le
churanacuy, cortamonte51, etc.
Aussi, lors des fêtes, on voit revenir de nombreux
émigrés. Nombreux, n'exagérons pas. Il en revient un
certain nombre, souvent parti depuis déjà très longtemps,
certains tous les ans, d'autres occasionnellement selon leurs
possibilités (coût trop élevé) et les liens qu'ils
ont gardés ou pas.. La mayordoma que j'ai vue cette
année, habite à Lima. Elle est de ces « gens d'ici qui
vivent à Lima ». De la même manière, on entendra
dire « Lui est churcampino52 mais il vient de Lima ».
La mayordoma organise toute la fête, et surtout celle, plus
importante, du 15 août, pour laquelle plus d'émigrés (de
l'étranger, de Lima, de Huancayo...) reviennent. Il s'agit d'une
dépense très importante.
Il y a une différence fondamentale entre les "gens
du lieu" et les gens de l'extérieur, qui sont venus s'installer. Les
migrés, même partis depuis longtemps, sont bien plus du lieu que
les gens venus s'établir depuis un certain temps : ce sont toujours des
étrangers...
« Churanacuy »
5° La bande est le groupe musical fait de
cuivres. Parfois, c'est quelqu'un d'autre qui se charge de payer la bande,
c'est sa façon de collaborer, mais aussi de se lier dans un rapport de
réciprocité avec autrui : en effet celui qui reçoit la
bande devra en retour collaborer quand son tout viendra...
51 On danse par couple autour d'un arbre. Celui qui
coupe l'arbre sera le mayordomo de cette activité de
l'année à venir, il devra donc l'organiser et la financer.
52 Habitant de Churcampa
Pendant ce temps (ou presque !), à. Lima, dans le local
de l'association des gens de Churcampa, la même fête est
organisée. La même fête, aux saveurs liméniennes. La
fête comme là-bas, faite par les émigrés,
c'est-à-dire la fête des émigrés finalement,
autrement dit, une autre fête, réinventée par les migrants,
d'inspiration de "là-bas". Si l'on refait le caria monte, le
churanacuy, le plat typique, etc., le tout est groupé en une
journée ou deux. L'organisation n'est pas la même, les enjeux de
participation qui lient les gens non plus, les rapports entre la
communauté et la fête encore moins... Bref, c'est une autre
fête, celle des migrants, où l'on se souvient, de la coutume,
où l'on se lie entre personnes du même endroit, ou l'on se
rencontre. On peut y inviter des émigrés que l'on connaît
d'autres provinces aussi. Si des émigrés de la communauté
à Lima se rendent aux fêtes de "là-bas", les gens de
"là-bas" ne viennent pas aux fêtes d'ici. Les migrants
créent donc leur propre fête, ce n'est plus tant la culture du
lieu comme une simple copie, mais on peut parler d'un culture de migrants.
Qui n'y retrouvai-je pas ? La mayordoma,
liménienne, de la "vrai" fête de Churcampa. C'est bien
sûr une autre mayordoma pour la fête de Lima !
Alors on participe aux deux, ou alors on ne participe plus
qu'à celle des migrants... le lieu des origines se transpose...
On entend beaucoup dire que les migrants « reproduisent
leurs coutumes » ; certes, mais ils les "réadaptent" et y
intègrent quelque chose de nouveau. Associées à d'autres
fêtes53, elles jouent un tout autre rôle pour la
communauté.
Il est surprenant --quoique, de voir des gens arrivés
il y a longtemps à Lima, très jeunes, s'impliquer dans
les "traditions" liées à leurs origines. A travers ce lien, on
décèle une transmission assez forte à travers ces
générations (aujourd'hui, cette transmission semble moins forte).
Il y a même des gens (pas tout jeunes) nés à Lima, de
parents provinciaux, qui y participent toujours : « nos coutumes sont
belles, elles sont importantes. Mes terres me viennent de ma mère, de
ses grands parents et de ses ancêtres ! ». On voit aussi les
derniers arrivés à la capitale... Viennent-ils retrouver une
certaine cohésion, un réseau fiable ? Faut-il de nouveau
s'intégrer dans le groupe de gens très anciens de Churcampa, qui
n'ont plus grand-chose à voir avec là-bas ? Un réseau
à reconstruire... Mais peut-être l'un des plus sûrs,
après la famille.
« Ily a beaucoup de gens d'avant qui ne viennent
plus, parce que ça a changé de local, ils se sont
divisés... Avant c'était mieux, c'était un petit groupe
d'une migration plus ancienne, tout le monde se connaissait. Et c'est vrai que
maintenant, il y a beaucoup de churcampinos à Lima 1 »
Peut-être qu'à travers ces fêtes
liméniennes d'origine provinciale, les rapports se nouent d'une autre
façon.
Aussi, les migrants qui se rendent "là-bas"
appartiennent encore au réseau de là-bas, ou celui des
"retournants", en même temps qu'ils appartiennent à celui des gens
de là-bas à Lima. Ce ne sont pas les mêmes. On peut aussi
appartenir aux réseaux du lieu de provenance de différentes
villes... Une dame de Churcampa a ses filles à Lima et à
Huancayo. Elle
53 D'autres fêtes d'autres provinces, mais
aussi, les fêtes que l'on crée pour le nouveau quartier
fondé. C'est le cas avec la fête de la croix dans la porcherie de
la Vizcachera, ou sur un des cerros de Carnpoy où la croix
était également en fête au mois de mai,
agrémenté d'un mélange de traditions d'ici et de
là... Lors de cette fête, un homme me disait : « cela
fait 15 ans que les gens habitent ici, ils sont vraiment liméniens
maintenant, enfin... leurs enfants surtout. »
appartient donc à Churcampa, son village, au réseau
des churcampinos de Huancayo et des churcampinos de Lima !
Certains retournent sur leurs terres juste pour les
fêtes, certains y vont très régulièrement pour semer
(ce sont souvent les plus anciens, pour qui le lien à la terre semble
plus fort, ou sont-ce d'abord ceux qui disposaient de plus de terres qui ont
migré ?), d'autres, par exemple, parce que le corps de la mère y
repose. Le cas échéant, ils ne reviennent que très
rarement.
Une dame lors d'un carnaval de Jauja :
Venue avec sa fille, une dame au style très citadin,
disait : « quand j'étais plus jeune et que j 'habitais ici, je
n'allais pas au carnaval. C 'est seulement depuis que je suis à Lima que
j'y participe. Mes parents ne voulaient pas : ils disaient que j'allais
M'enrhumer » La fille semble venir pour la
première fois.
Un jeune étudiant de Huancayo proposait son
interprétation, ou sa vision des gens qui migrent :
« Quand enfin, ils gagnent bien, qu'ils ont une bonne
situation, ils envoient là-bas, des cadeaux, des aides...
« S'ils n'ont pas une bonne situation, ces sont leurs
familiers de là-bas qui les aident...
« Quand ça y est, ils sont bien, depuis un
moment, ils reviennent pour les carnavals comme des visiteurs, ils sont bien
considérés.
Sayad parle de la façon dont les émigrés
(« en vacances ») participent aux actes de ferveurs religieuses ou de
sociabilité traditionnels par pure ostentation avec une sorte d"hyper
correction". Le cas est différent, mais c'est peut-être un peu ce
qu'il se passe, parfois, à travers le retour de certains
émigrés pour les fêtes...
De la tradition et du folklore dans la migration
La fête et le folklore semblent parfois être
l'expression la plus ostentatoire de la région dont on est originaire.
Lorsque l'on est parti, on voit d'un côté le fait de ne pas
annoncer ni signifier ses origines : on est maintenant d'"ici", pas de
"là-bas"... On dissimule certaines pratiques. Mais quand il s'agit
d'évènements et de pratiques collectives «
costumbrista54 », il semble que l'on ne soit plus la
risée des "criollos" et autres "cholos", ils
redeviennent fiers, à la fois, pour eux-mêmes, et pour ces
"autres" qui valorisent la diversité, la culture, la tradition de leur
pays. Les "provincictnos" semblent pouvoir enfin « se
lâcher » dans ces traditions réinterprétées,
justement. Ils parlent beaucoup de leur folklore et ont l'impression que c'est
ce qui fondamentalement intéresse l'anthropologue. Mais ce folklore a un
second rôle, social, qui l'éloigne de la connotation qu'il a pour
nous... Il n'est pas « que folklore » étant donné
l'attachement qu'il suscite. Je l'ai ressenti, et en tant qu'ethnologue, il
pensait que j'accordais un intérêt spécial au «
folklore » à la « tradition »
On peut aussi se demander si certains programmes de
télévision (comme « costumbres55
») n'ont pas contribué à ce que les gens se rendent
compte que les coutumes étaient importantes
54 « Coutumières » : fiesta costumbrista :
fêtes « de coutumes », traditionnelles.
55 Ce programme est dédié à la
démonstration de tout le folklore péruvien, fêtes, chants,
habits, danses... La danse "folklorique" est d'ailleurs largement
pratiquée, et l'on envient à danser des styles d'autres
régions, par ce "melting-pot".
et que l'on pouvait en être fier ? Malgré une
certaine discrimination, les gens semblent avoir toujours conservé cette
fierté à l'égard de cette partie de leur culture.
Peut-être ont-elles peut- être joué ce rôle au niveau
du public national, en général...
A travers la fête, c'est aussi une certaine forme de
prestige qui est mise en scène. Mais ce dernier --ou
une certaine recherche de considération, se manifeste également
à travers diverses aspirations. L'ascension sociale, les langues
pratiquées (être bilingue quechua et espagnol), avoir sa maison
à soi, être propriétaire --ou la fierté de
posséder une petite terre! Et puis ensuite, aller à Lima ? On dit
beaucoup que les gens viennent, au-delà des raisons de labeur et
d'étude, rechercher un statut. Lorsque l'on a des enfants qui sont
devenus "professionnels", on est très fier et
n'hésite pas à s'en vanter...
r
n
Les mayordomos, à Churcampa. Derrière, suit la
banda...
3EME PARTIE DU RAPPORT A LA TERRE 1
LE MANQUE, LA TERRE DEVENUE PAUVRE ? MAL ETRE DE LA PAYSANNERIE ?
3
LA RELATION A LA TERRE. Du SYMBOLIQUE AU SOCIAL. 4
Des termes au sens de la terre 4
La communauté et son territoire 6
Attachement à la terre. La chacra ?
Propriété ? 8
Évolution 8
LE DROIT A LA TERRE... 9
Propriété privée vs.
Propriété communale 9
La communauté et les terres. 9
L 'évolution 12
Communauté campesina et terres 12
Des liens. Lima /Sierra 13
RETOUR SUR LA MIGRATION A LIMA 14
Que font-ils de leurs terres quand ils s'en vont
2-2 14
Ou sont-ils enterrés 2 15
LES MIGRANTS ET LA TERRE : DE L'INVASION A LA "FORMALISATION"
16
L 'invasion 16
La formalisation à Lima, par l'institution COFOPRI
17
TERRITOIRES ET PROPRIETE 19
De l'importance du territoire commun 19
Le sens de la lutte vers la propriété
20
Du rapport à la terre
« Immigration et émigration sont les deux
faces indissociables d'une même réalité, elles ne peuvent
s'expliquer l'une sans l'autre". »
Faut-il penser l'origine avant de penser l'arrivée ?
Penser l'arrivée puis remonter aux origines ? Cela n'a que peu de sens.
C'est un réel va et vient. Il n'est pas un seul lieu de départ
qui amène à un point d'arrivée. Le processus est plus
complexe. La coupure existe parfois, tacite ou nette. Mais le lien
peut rester très fort. La migration est une
possibilité, la migration est un fait, elle traverse le temps, et
transgresse les espaces. Aussi faut-il la penser en de multiples
dimensions...
La question de la terre est centrale dans la migration dans la
question migratoire. La terre comme territoire d'appartenance, la terre comme
lieu de l'activité paysanne, la terre comme lieu du souvenir, la terre
comme propriété, la terre conquise pour l'installation, la lutte
pour la propriété... On y établit une forme
d'organisation, elle devient le lieu du soi que l'on défend...
Le rapport à la terre évolue. C'est par la
migration que la quête pour la propriété semble s'
exacerber.
Il est important de comprendre quel lien lie les hommes
à la terre, dans un rapport symbolique, social et enfin juridique (tous
étant d'ailleurs liés). Aussi, on peut s'interroger sur le sens
et le rapport à la terre pour les habitants des Andes, et sous quelles
formes il s'exprime à Lima, notamment dans la lutte pour la
propriété, et la défense du territoire. Non pas pour
peindre une vision romantique des paysans (d'ailleurs tous les migrants ne sont
pas des paysans !) qui migrent. Simplement, la conquête et la lutte pour
le territoire à Lima sont avérées. Aussi le lien au sol
des communautés urbaines est très fort (Cf. la Vizcachera et
autres).
On pourra aussi se rendre compte qu'il y a toujours une lutte
sous-jacente, lutte pour la reconnaissance de ses terres, lutte parce qu'il
faut toujours lutter, rien n'est acquis.
On pourrait aussi tenter d'appréhender
l'évolution du rapport à la terre au fil du temps dans les Andes,
dans les processus de formalisation et de propriété (dans les
Andes), et aussi à travers la migration (rapport avec les terre de
"là-bas", rapport à la propriété "ici").
Ce qui semble d'ailleurs éminent dans la migration
c'est le rapport à la terre, en tant que lieu des origines, le rapport
au nouvel espace conquis, les aspirations à la propriété ;
tout cet ensemble qui questionne sur le sens de l'appartenance à travers
une terre, un espace, des lieux.
C'est aussi comprendre les rouages qui rendent difficile la
condition paysanne (problème d'accès à la terre...)
C'est enfin, trouver un sens à la conquête et
redonner vie à une communauté, recréer une
identité.
On pourra aussi remarquer, sans systématiser ou "plaquer"
des similitudes, le rapport entre des pratiques dans les Andes et leurs
nouvelles formes dans la ville.
1Sayad. Ibid.
Ce qui à travers tout cela semble prégnant,
c'est la communauté. Le sens de la communauté et les rapports qui
la construisent. C'est aussi ce croisement entre diverses communautés
d'appartenances, phénomène accru par la migration.
I/
Un regard sur l'accès aux terres et la
condition paysanne peut être intéressant pour appréhender
la réalité de la communauté et de ses membres ; et pour
comprendre le rapport à la propriété qui se joue ici, et
là-bas (à Lima), à travers la conquête d'un nouvel
espace. La propriété est source de conflits et de
changements dans l'ensemble de la vie paysanne et se joue dans la migration.
Soulever la question de la paysannerie permet aussi
d'interroger les moteurs de la migration. En effet qu'en est-il de la condition
paysanne pour que tant de gens la délaisse ? D'autre part, quels
problèmes liés à la terre, à la
propriété sont source de mal-être de la condition paysanne
? (Peu de terres ?)
Le rapport à la terre peut aider
à réfléchir sur l'attachement qu'elle suscite et la
difficulté vécue par ceux qui en ont peu. Le problème de
la terre semble avoir traversé les siècles, depuis la
colonisation. Contrairement à d'autre pays latino-américains, le
Pérou n'est plus un pays de grands latifundia2. La
réforme agraire3 a voulu redonner la terre à celui qui
la travaille... Mais celle-ci semble avoir été un échec de
part et d'autre: les grands propriétaires naturellement se plaignent
d'avoir perdu beaucoup de terres ; et pour les autres, elle a été
mal redistribuée, de manière peu organisée...
(régime collectiviste de la propriété agraire, puis
libéralisation dans les années 90...) On peut se demander si une
meilleure redistribution et organisation de la terre n'aiderait pas les gens
à sortir de l'abîme dans lequel ils se sentent
précipités.
2 Les immenses propriétés
foncières représentaient jusqu'à 80% des terres
labourables. Aussi, la multitude d'exploitation familiale minuscule
était menacée en permanence par l'expangion latifundiste,
émiettée par le jeu des partages de succession, privées
[...] obligeant la majorité de la population agricole à tenter la
survie dans les conditions misérables du minifundiura.1.1
« pour résister à la concurrence du secteur
capitaliste moderne, le latifundium traditionnel péruvien réagit,
entre le MX' et le )O( siècle, en aggravant l'exploitation et
l'em)oliation des communautés indiennes, il ne fait que traduire
à sa façon les lois du développement inégal. Le
vrai responsable de l'expansion latifundiste précapitaliste qui se
produit au début du _XX' siècle dans les Andes
péruviennes, c'est la pression exercée sur le secteur
latifundiste traditionnel par le capitalisme agraire lui-même ».
(Jean Piel, Le latifundium traditionnel au Pérou jusqu'en 1914.
Marginalisation et résistance, Etudes rurales)
3 1969, sous Velasco. Voir annexe
Le manque, la terre devenue pauvre ? Mal être de
la paysannerie ?
«La faim, ce n'est pas seulement ce qu'il faut te
mettre dans le ventre, c'est aussi la faim du dos [qu'il faut habiller], des
pieds [qu'il faut chausser], du mal de ventre [qu'il faut soigner], du toit, de
la tête [éducation des enfant]. 11 ne faut pas que tu aies besoin
de quelque chose mais surtout que tu aies besoin d'argent. Or c'est d'argent
que tout le monde a besoin, même au village, tout s'achète comme
en ville. » Un paysan d'Algérie4.
Un modèle qui s'impose ? Manque ressenti. Pour
certains, une évidence : il n'y a plus rien à espérer de
la chacra, autrement dit, de la vie paysanne. On vit tout juste dans
l'autosubsistance, et on cherche autre chose. On est pauvre, de plus en plus
pauvre. L'Etat ne nous aide pas. On ne doit pas rester dans cette situation,
mais aller au-delà. Plutôt que de rester dans l'abandon et
l'enfermement, ils vont chercher ailleurs... Ils laissent leurs terres car
elles n'apportent pas d'espoir de mieux. Pis, on possède de moins en
moins ; le prix de la pomme de terre baisse (à 0.03 € le kilo pour
les plus bas !), et les années où il y a des sécheresses,
qu'a-t-on en substitution ? Rien, ou pas grand-chose. Vicissitudes du monde
paysan. C'est à la ville, que se trouvent les opportunités ;
d'autres ont réussi. C'est un peu la démarche qui semble
sous-jacente à ces départs, la paysannerie étant devenue
trop limitée... ?
Comme le souligne Sayad, « croire encore, ne serait-ce
qu'un temps, à la condition paysanne, adhérer à la terre,
avec toute la vigueur du néophyte, ne peut être qu'une attitude de
défi ». En sont-ils arrivés au Pérou à un tel
engourdissement de l'esprit paysan ? Je me pose la question, pour ne pas tomber
dans le fatalisme, et ne pas me résigner comme beaucoup le font :
pourquoi resteraient-ils dans la Sierra Ils ne peuvent plus rien ! C'est ce que
l'on entend dire de la part de tous, les paysans arrivés à Lima
ou partis comme les autres. Pourquoi ne pas aussi chercher avec eux les
solutions à l'accomplissement de leurs aspirations, dans le cadre de
leur vie quotidienne, sans pour autant rejeter le choix de la migration qui est
aussi un choix de vie, une stratégie pour réinventer ce qui ne
fonctionne plus.
Ils savent bien que c'est à la ville qu'ils trouveront
des opportunités : il faut un travail, un travail
rémunéré parce qu'il procure de l'argent devenu
indispensable aujourd'hui. Et pourtant, combien ne diront pas que la
difficulté de la ville, de Lima, c'est que "tout est argent"... Ici,
non...
« Tu travailles tous les jours sans compter, tous les
jours que Dieu a fait, tu rapportes ce qu'il te faut pour vivre et ne vis que
de ce que tu rapportes. » paysan d'Algérie...
Je reprends ces paroles d'une culture qui,
penserait-on, n'a rien à voir avec les campesinos
péruviens... Et pourtant, c'est dans le même ordre
d'idée ! Cela se rapporte à cette phrase si souvent
répétée... Ça donne juste de quoi manger
»
Aussi, la conception du travail semble avoir
changé aujourd'hui (mais qu'était-elle avant ?) : le travail des
terres n'est pas un travail, aussi pénible soit-il... Trop ingrat ?
D'où cette recherche de « travail », parce que c'est ça
qui procure de l'argent, et non pas le travail de forcené dans les
champs, qui ne mènerait qu'à l'autosubsistance, aujourd'hui (en
tout cas condition qui est rejetée désormais). C'est peut
être pour cela qu'on considère toujours qu'il n'y a pas de
"travail" dans la Sierra (d'ici ou de là-bas). Travail renvoie
maintenant au salaire... Alors ils s'en vont pour recueillir ce
salaire.
Et pourtant la terre de la sierra, c'est aussi
l'abondance. Combien ne se sont pas étendus dans de
longues énumérations pour évoquer les produits d'ici, la
sierra, ou de "là-bas", pour ceux
4 A. SAYAD. La double absence. Des illusions de
l'émigré aux souffrances de l'immigré Seuil. 1999.
qui sont à Lima. Même s'ils donnent une vision
négative de la vie agricole et paysanne, les produits qu'offre la terre
sont toujours une grande fierté ! C'est toujours ce qu'il y a de si
positif quand on parle de "sa terre". (Cf. les histoires de vie, ou les
commentaires des autorités, ou des gens en général...)
450 KM
-e>
mouvements migratoires
forêt
piedmont en cours de défrichement culture de la coca
le littoral
dé5ert
cultures irriguées: légumes, coton
les Andes
- montagnes «hauts platem
agticulture vivrière, élevage extensif
l'Amazonie
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Océan
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Lima 1.9'
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La relation à la terre. Du symbolique au
social.
« Cette relation est présente où que ce soit,
mais cette présence peut-être donnée en creux ou en
interrogation, laissant le soin des pleins à l'univers culturel et ses
racines. »
En Afrique : « où que ce soit, l'homme, lors
même qu'il est nomade, y est la terre. Cette terre est pour toute
globalité culturelle, une mère partagée,
et ce partage enveloppe des échanges, il se
développe en faisant de la terre une terre partagée.
» Jaulin
La terre s'offre comme épouse, elle enfante
(d'où la "terre mère"), afin qu'un univers humain soit
enfanté. Vision symbolique, reposant sur des conceptions dites
traditionnelles, elle peut néanmoins être interrogée.
L'espace est toujours un espace partagé et conquérir un nouvel
oblige à réinventer, recréer. Il s'agit de partager le
inonde avec des gens qui nous sont liés ou pas.
Des termes au sens de la terre
I.« De la terre à « mi tierra
»
Il existe un grand nombre d'acceptation différente pour le
concept de terre, cette polysémie nous révélant les
différents sens qu'elle peut avoir, en tant qu'élément.
ri
1 . 4 . r-
1/ Elément solide qui supporte les êtres vivants et
leurs ouvrages, et où poussent les végétaux ; 1/ Surface
sur laquelle l'homme, les animaux se tiennent et marchent Le
sol.
2/ Matière qui forme la couche superficielle de la
croûte terrestre. C'est là que l'on enterre. 3/
Elément où poussent les végétaux,
étendue de ces éléments.
4/ Etendue limitée, bornée, de surfaces
cultivables, considérées comme objet de possession (bien,
domaine, héritage, propriété).
5/ vaste étendue de la surface solide du globe
(territoire, zone)
II/ le milieu où vit l'humanité ;
notre monde.
1/ Ensemble des lieux où l'homme peut aller,
considérés à l'échelle humaine. 2/ Le milieu
où vit l'humanité 3/ notre monde considéré comme un
astre.[...]
Au Pérou, on peut ajouter les sens d'appartenance "en
mi tierra" que l'on ne rencontre pas ici... Là-bas « en mi tierra
», disent les émigrés. Je vais rendre visite à "mi
tierra". Ma terre, ma région, ma communauté, mes origines.
Mais bien d'autres, il est d'autres mots en quechua pour
signifier certains concepts de terre. Mais il est des mots en quechua qui ont
une signification bien plus large et complexe que la simple terre.
-1-- La pachamama
Au Pérou (mais aussi dans toute la partie andine du
continent), on entend parler de la pachamama ou mamapacha
(Cf. poème Lida Aguirre), ce qui peut vouloir dire la « terre
mère ». Ce concept se rapporte notamment à la
fertilité de la terre. Aussi, on lui fait des offrandes, par exemple, on
lui donne beaucoup de chicha, de cocci pour qu'elle soit contente,
elle peut se mettre en colère ! De la même manière, il faut
des offrandes aux Apus (les montagnes ou les divinités, les seigneurs
qui vivent dans les montagnes). Il faut être bienveillant avec eux parce
que sinon, ils se vengent : ils volent du bétail, font des
huaycos6...
n n
E]
L
L
L
1
Mais le terme quechua "pacha" est à la fois
un espace et un temps... "kay pacha" c'est "ce monde"
- d'ici (par différence avec le paradis et l'enfer --vision transmise
par les missionnaires !) et de maintenant (par différence avec d'autres
périodes... comme celle des Gentils' (quand le soleil n'était pas
encore là) puis la période des Incas, puis la période des
espagnols...
D'autres mots s'utilisent. La terre des champs c'est "allpa"
(comme la revue "allpanchis" : notre terre), c'est dans le sens de "la
matière". Mais le champ c'est la chacra, c'est l'endroit,
l'espace. ?
De la cosmogonie andine...
Nous voici au coeur de l'ethnologie, telle qu'on la vue chez
les grands classiques ! On peut lire un ensemble de représentations
cosmogoniques qui semblent être plutôt une vision idéale du
monde andin qu'une réalité...
Pacha et le temps...
Ainsi que Grillo le suggère: "Dans les Andes, il
n'existe pas de distinction catégorielle ou antinomique
entre le "passé" et le "futur" parce que le "présent" les
contient tous deux. existe, par
5 La feuille de coca
6 Les haycos sont les glissements de terrains
sur la chaussée pendant la période des pluies.
Les Gentils : il y encore leurs os dans des grottes et
ça peut donner des maladies, ils vivaient avant que le soleil
n'apparaissent, ils se mariaient entre frères et soeurs, ils vivaient
dans "le péché" ; et ensuite, le soleil est arrivé alors :
ils ont été brûlés mais pas tous car certains se
sont réfugiés dans des grottes et ils continuent à
provoquer des maladies aujourd'hui avec leurs os, c'est pour cela
que les gens ont peur de toucher les os des grottes...
contre, la notion de séquence, la notion d'avant et
d'après, mais ceux-ci ne s'opposent pas l'un à l'autre comme le
font le passé et le futur dans le paradigme Occidental. Ils se
retrouvent ensemble dans le présent, dans le "toujours", toujours
re-créé, toujours régénéré".
La cosmogonie Andine est également intimement liée
à la nature de l'environnement de l'agriculture, la nature du terrain,
des plantes cultivées, des animaux et ainsi de suite.
Il semblerait que le temps soit considéré comme
cyclique plutôt que linéaire.
Le temps est intimement relié au flux de la vie: les
rythmes et les cycles de la lune_ du soleil. du
climat. et les cycles de l'agriculture.
Les activités agricoles. tels que les différents "crianzas"
(dons, soins à la vie), les rituels et les festivités ne sont pas
déterminées par un calendrier mais suivent le rythme des cycles
saisonniers. »
Mais parfois les interprétations, transpositions et
applications de concepts vont plus loin.... On personnifie la chacra, le champ.
On en fait un monde harmonieux, interpénétré...
Et la chacra...
« Chaque chacra, tout comme chaque semence, est unique,
avec son propre mode d'être et sa propre personnalité. Cela
requiert une grande sensibilité de la part des membres de rayllte afin
d'entrer en résonance avec ses besoins. »
« Les concepts de Pacha qui forment le tout vivant
s'interpénètrent sur le site de la chacra. Mais la chacra est
aussi tout site où la communauté humaine, la communauté
naturelle et la communauté surnaturelle conversent et entretiennent des
rapports de réciprocités pour régénérer la
vie 9 »_
La conclusion du PRATECI° : « partout
dans les Andes et à Lima, les germes de la non sujétion ont
poussé et ont donné leurs fleurs en
régénérant tranquillement un monde ancien mais
toujours nouveau ».
Cela montre un peu dans quelle perspective se trouvent ces
mouvements. Réinventer une tradition perdue ? Lutter contre
l'occidentalisation ou l'univers totalitaire (Cf. Jaulin) qui
« envahi » le monde andin
Visions idéales, romantiques, passéistes se
mélangent. C'est aussi toute une littérature indigéniste
qui mythifie un peu la culture andine. En outre, les élites --ou
intellectuels des villes- qui s'y intéressent semblent avoir cette
tendance à réinventer la tradition, redonner une identité
andine parfois passéiste, parfois tout droit sortie de l'invention des
anthropologues ou autre... Ou des associations de soutien aux
communautés andines et à l'agriculture, qui cherchent à
"revalorise?' le monde andin...
La communauté et son
territoire
Il est important d'évoquer la façon dont on peut
« plaquer" » des réalités sur des questions de
« Société et identité » et
surtout de « Communautés et ethnicité
»12.
s Relation de parenté entre les membres de la
communauté
La régénération de la culture andine. La
cosmovision traditionnelle du paysan andin tel qu'il se
régénère à l'heure actuelle. PRATEC. Interculture.
n°126
PRATEC (Proyecto Andino de Tecnologias Campinas). Objectif :
donner de la vigueur d la culture et l'agriculture andines. Groupe d'auteurs
autochtones des Andes péruviennes (ONG fondée en 1987). Ils
cherchent à contrer l'influence du système éducatif
officiel qui dévalorise la façon de faire et de vivre du paysan.
en récupérant des pratiques et connaissances que les jeunes
générations ont abandonnées, [Reirivention de la tradition
? Réaction contre "l'univers totalitaire"qui s'est imposé ? (Cf.
Jaulin)
Il Ce terme n'est pas très
élégant. mais il correspond bien à cette attitude
ellmocentriste de nos jugements et interprétations...
On a tendance aujourd'hui à identifier les gens qui
parlent quechua comme des « quechuas ». Il s'agit plutôt d'une
confusion entre identité linguistique et identité
ethnique13. A l'époque coloniale, le terme « quechua
» n'était employé que dans un sens linguistique et ce n'est
qu'au début du 19ème siècle qu'il
apparaît pour la première fois, sous la plume d'intellectuels
créoles (criollos), pour désigner une catégorie ethnique.
Rien n'est pourtant plus étranger à l'histoire et à. la
réalité sociale andines qu'une telle assimilation.
On est de telle communauté ou de telle
région. Le parler quechua du Cuzco distingue dans son
vocabulaire deux catégories ethniques : les runa ou
« Indiens » et les misti ou « non Indiens ». A la
première catégorie appartiennent les personnes qui sont membres
d'une communauté ; à la seconde toutes celles qui ne le sont pas,
depuis les petits agriculteurs ou petits commerçants d'un bourg de
province jusqu'aux touristes étrangers, en passant par les membres de la
communauté qui ont émigré et rompu leurs liens avec
celle-ci.
Seule l'appartenance à une communauté
définit le statut d' « indigène » aux yeux de
la société. L'appartenance communautaire est quant à elle
fondée sur un sentiment de parenté entre ses membres, comme
l'indique le terme qui la désigne en quechua, ayllu,
qui désigne un ensemble d'éléments appartenant
à une même espèce, ayant une même origine.
Elle possède un territoire
réputé avoir été constitué dans les
temps très anciens par des êtres mythiques : les Gentils. Les
membres actuels de la communauté se considèrent comme leurs
héritiers, sinon comme leurs descendants et ne peuvent en principe
vendre hors de la communauté aucune parcelle de ce territoire
ancestral.
Après la disparition des Gentils, la communauté a
été refondée par un Saint ou une Vierge, qui constitue
dans le présent une espèce de divinité tutélaire
des membres de l'ayllu.
La communauté possède également des
terres communes, essentiellement des pâturages, et tous
ses membres y ont accès à la mesure de leurs besoins. Enfin, les
membres d'une communauté sont liés par des obligations de
travail en commun (nettoyage des canaux, construction d'une route ou
d'une école) et de réciprocité : on ne
peut refuser son aide à un voisin qui vous sollicite pour un travail
agricole ou pour construire sa maison. On recevra en échange une
prestation de travail équivalente (ayni) ou une
compensation en nature (mink' a). »
Notons aussi que les dits indiens des Andes sont
désormais appelés "campesinos", c'est-à-dire paysan. Cela
renvoie plus à la notion de communauté paysanne que
d'ethnicité... Il est vrai que le terme « indio » était
connoté négativement...
La communauté semble être le lieu même de
l'appartenance et de l'identification. Elle est située en un territoire,
la terre des ancêtres. Cette forme d'existence semble se retrouver
à travers la migration, mais sur une autre terre, dans un nouveau
territoire que l'on construit et défend ensemble. Il serait
intéressant de voir quelles relations, en dehors du rapport au sol
peuvent encore exister. N'oublions pas que les rapports de
réciprocités et de solidarités sont encore très
forts...
L'héritage semble être une dimension importante, et
souvent les terres restent à l'intérieur de la
communauté... mais la tendance à la propriété
privée ne va-t-elle pas changé ce principe 'h
12 D'après César Itier, Parlons
quechua, L'Harmattan, 199'7p. 26
13 Qui correspond davantage à
l'histoire de l'Europe contemporaine qu'au contexte
andin
Attachement à la terre. La chacra ?
Propriété ?
Je ne sais pas dans quelle mesure ces représentations
demeurent (ou meurent) aujourd'hui et comment elles ont évolué
(ou réellement existé). Des changements de modèle, pas
seulement "cosmogoniques" (peut-être même pas du tout) poussent
à la migration (mais peut-être tout simplement la pauvreté,
ou la non possession de terres obligent à aller ailleurs...). C'est une
dynamique de vie qui permet à la communauté de ne pas
dépérir en allant chercher ailleurs, mais ce sont aussi d'autres
aspirations qui ne font plus croire en la condition paysanne.
Cependant, on constate un certain attachement, de
manière générale, à la terre, sous ses
différents vecteurs... Les gens donnent un nom à leur chacra (par
exemple "wayra para" "cdturitas del viento" "petite hauteur du
vent"... Les gens qui en ont peu (les gens « hurnildes »
-humbles, comme ils les dénomment) l'appelle de manière
affective : « mi chacrita » (mon petit champ) Tout le monde
sait à qui appartiennent les champs dans la province. Même les
enfants ! Ils savent aussi de qui ils ont hérité telle ou telle
terre, ou si c'est une expropriation ou combien elle a été
vendue. Cela montre que la terre doit être importante pour eux. Dans
quelle mesure ? Le rapport avec elle et donc avec les autres ? La possession
?...
Les gens gardent précieusement des titres de
propriété vraiment anciens (sans valeur officielle, mais qui
servent quand même de preuve pour ce processus de formalisation !), mais
c'est aussi parce qu'aujourd'hui la lutte pour la terre est
tenace et que de nombreuses mutations (vers la propriété, ou
problème de délimitation des parcelles ou invasions, etc...)
Il est important d'avoir des terres à soi (pour s'en
sortir, mais aussi par rapport à l'attachement que l'on a au sol, aux
choses à soi...), de ne pas louer (les terres d'autrui, sa maison). Ceux
sont les plus pauvres qui sont dans ce cas là.
Les migrants laissent d'ailleurs parfois leurs terres en
location.
Évolution
Est-ce que l'évolution du rapport à la terre
fait tendre vers la propriété ? Attachement... car c'est
aujourd'hui la seule garantie ? Le seul moyen de la faire vivre encore ?! Les
réformes sont-elles celles qui décident ces changements
juridiques en dehors des volontés communautaires, influant sur les
aspirations des gens ?
Il est vrai que dans la migration, la propriété
peut être un avantage pour la revente lorsque l'on part, et ensuite
à travers la recherche d'une casa propia et du terrain à
soi.
["1
n
Le droit à la terre...
« Les conflits de terres constituent une
réalité qui affecte beaucoup de communautés paysannes. Le
manque de formalisation de la propriété communale limite la
capacité des communautés d'exercer leurs droits pleinement et la
possibilité d'accéder à des crédits agraires ; ils
génèrent des conflits à l'intérieur de la
communauté, entre communautés et avec des entreprises ou des
particuliers. Cette situation de conflit a été aggravée
à partir de l'entrée en vigueur de la « ley de tierras
» (loi des terres), en 95, parce qu'elle octroie les cadres
nécessaires pour la libéralisation du marché des terres en
faveur des institutions privées'4 »
Propriété privée vs.
Propriété communale La communauté et les
terres.
Le(s) système(s) est (sont) assez compliqué(s).
Je ne pense pas en avoir saisi tous les rouages. C'est en en discutant avec des
gens plus "spécialistes" que j'ai pu comprendre quelques
éléments. Et surtout leur importance...
.1- CEPES est une ONG péruvienne qui travaille avec les
communautés paysannes. Son action a été importante pour
résoudre les problèmes de droit à la terre et soutenir les
conflits liés aux terres communales, à Huancavelica (province).
Souvent il ne s'agit pas de propriété privée, mais de
passation par héritage ou de ventes avec des papiers sans aucune valeur
officielle.
Il explique les dilemmes des formes d'accès à la
terre... (Je reprends ses propos)
En fonction des patrons culturels, de la taille des
predios (peu de rentabilité des terres communales) et comme il
n'y a pas plus d'un hectare par comunero, il y a davantage de limites
à créer la propriété privée. La dispersion
entraîne plus de conflits. En effet, lorsque l'on divise, les terres sont
plus dispersées et souffrent d'une moins bonne
organisation : il vaut mieux les partager.
· Pour les terres individuelles, on
pratique la monoculture, ce qui est plus facile. Alors que pour les
collectives, il faut décider ensemble de ce que l'on va
cultiver, et il faut se mettre d'accord, ce qui n'est pas toujours
évident...
· En dépit de la réforme agraire, il y a
eu un manque de redistribution des terres. Cela a mal
été fait : les gens n'ont pas été
"capacités" (formés) pour entreprendre la gestion et
l'organisation de cultures
Ils ont travaillé avec des problèmes de
conflits de propriétés
"intercomuneros" (entre membres de différentes communautés),
en raison des limites peu nettes entre les terres communales. Parfois, cela
vient de l'époque coloniale et n'a pas été redéfini
après. Parfois même, des conflits "intracomuneros" (entre
membre d'une communauté), lorsqu'il y a des invasions de parcelles ou
des comuneros qui reviennent, et leurs terres sont travaillées par
d'autres...
14 W. Abusabal. Conflicto por tierras ne las
comunidades del departamento de Huancavelica. CEPES.
Cela peut être, par exemple, à cause d'un tiers.
Prenons le cas d'une mine : elle prend possession d'un ensemble de terres pour
les exploiter, alors qu'elles appartiennent à d'autres. Parfois, ce sont
des entreprises... Ou bien une terre est en jachère et certains en
profitent... Il fallait donc essayer de régler le conflit entre les
différents protagonistes...
Souvent, les conflits sont latents depuis longtemps, et ne
permettent pas d'occuper au mieux les terres. Ils vont même parfois
jusqu'à lancer des pierres et autres choses pour se
défendre C'est beaucoup plus compliqué ici dans la Sierra que sur
la Costa (ce sont d'autres règlements.
L'invasion de parcelle est une pratique
constante entre les comuneros. La pression sur le territoire, produit de
l'augmentation de la population et du minifundium (comme conséquence de
la répartition des terres entre héritiers elles se divisent !),
augmente la rareté des terrains cultivables et de pâtures et
amène les paysans à envahir des parcelles voisines
C'est aussi une question de distribution des terres,
déterminées par le président de la communauté, en
fonction de la quantité de bétail que possède chaque
famille. Ce sont donc les moins pourvus qui sont les plus affectés par
les droits de possession entre famille et communauté15.
Ce n'est que dans les provinces de Churcampa et Acostamba
qu'il y a vraiment la propriété privée. Il
y a encore la propriété communale, mais elle est en
subdivision : on octroie la possession temporelle, elle devient
"tenencia" (détention) par habitude,
par coutume ; ils se la transmettent et ça devient
comme quelque chose de permanent.
En effet, dans le cas de la province de Churcampa : ils se
sont répartis les terres qui étaient d'anciennes haciendas.
(Elles n'ont pas été communales dans le passé), c'est
pour cela que l'on ne trouve plus de propriétés
"privées".
Mais on constate toujours une nostalgie ("ahoranza")
des formes anciennes, collectives... On voyait la
rentabilité de ce qui se fait en association ; ils rationalisaient et
cultivaient de manière rotative.
Depuis les années 50, on constaterait un manque
de rentabilité de la terre. En outre, le coût de la
production augmente et l'accès au marché est difficile. Aussi,
comme la majorité des paysans ont de toutes petites
propriétés, ils ne peuvent pas s'en sortir. Seuls les moyens et
grands propriétaires ont un appui « technologique » et un
accès au marché.
« C 'est aussi pour cette raison que les paysans
n'espèrent plus rien de la 'te/tuera" » Abandon de la
condition paysanne, devenue trop limitée dans l'esprit
des gens ?
D'importants changements peuvent être engendrés
par la fermeture d'une mine, la zone n'est plus agricole, les gens vont donc
à la ville. La construction d'une route, par son ouverture
matérielle sur le monde, entraîne un bouleversement culturel.
Travail actuel du CEPES. Ce sont les leaders des
communautés qu'ils cherchent à fortifier. Les maires ont
montré leur intérêt pour s'associer.
Mais les gens ne s'approprient pas ce nouveau système
décentralisé, la corruption du système ayant toujours nui
à la démocratie et à la participation politique.
15 Ibid.
1- Explications de « Jala Uma », l'avocat de
Churcampa
Je ne connais que son surnom, qui lui a été
donné en raison de son crâne un peu chauve...
Il tente d'expliquer les problèmes liés à
la propriété aujourd'hui, qu'il doit régulièrement
tenter de régler... Comme précédemment, ce sont ses propos
que je reprends, avec quelques commentaires en allant...
« C'est comme le droit romain, [c'est copié
du droit romain], les règles et les normes changent, mais les
institutions sont semblables. Seulement pour le communal, les
héritages de la famille restent, l'appartenance communale intervient
auparavant.
Sur les terres privées, certains peuvent demander
prescription pour être propriétaire d'une terre, parce qu'ils
l'occupent :
Soit depuis 5 ans, s'il est de bonne foi (a déjà
payé un pourcentage de terrain, pas le
reste, mais s'est installé)
-
r
Soit depuis 10 ans, s'il est de mauvaise foi (il s'est
installé alors qu'il n'a rien payé,
mais ses dix années d'occupation sans réclamation
du possesseur d'avant lui donnent droit à cette prescription !)
Dans ces cas là, l'autre (le proprio d'avant) ne peut rien
dire et perd ses droits sur la terre. Cela donne lieu à certains
conflits...
Assez subjectif comme critère ! La bonne foi, la mauvaise
foi... Confiance ?
Sur les terres communales, la distribution se fait de
manière égale. Souvent on y appartient parce que cela se fait
déjà depuis plusieurs générations, de
manière familiale ; ou lorsque l'on a peu de ressources : la
communauté octroie une parcelle. Mais si l'on manque à ses
obligations, on est « jeté » et on redistribue la terre
« C'est le système qui vient des Incas
»
« Le droit andin, il n'y en a presque plus :
ils peuvent acheter des terres privées ! Mais celui
qui dirige (les terres communales), ne peut pas vendre quelques parcelles :
elles sont inaliénables ! »
Pendant le terrorisme, certains ont vendu leurs terres
pour pouvoir s'en aller, et cela a changé beaucoup les choses, parce que
de ce fait, elles n'étaient plus transmises. « Hacian remotes
para que se vendan pe I ». (« Ils les bradaient pour qu'elles se
vendent quoi ! »)
Quand les gens meurent, les terres sont transmises aux
enfants, mais, quand il n'y a pas de bénéficiaire, pas
d'héritier, c'est la beneficiancia : elles appartiennent
à l'institut de l'Etat. Celui-ci va soit l'exploiter, soit la redonner
à des gens qui en ont besoin.
Notons qu'il parle du cas de Churcampa, qui est un peu
différent dans le reste du département, chaque province ayant une
histoire particulière pour ses terres. Elles ont fait leur propre choix
en fonction...
« Quand il y a deux "papiers" pour une
possession, c'est le plus ancien qui vaut bien sûr !
»
« A Churcampa, le problème, c'est que, en 1926,
des terres privées ont été mises sous terres communales ;
elles ont continué à l'être dans la pratique, mais pas sur
le papier.
Ça, ils ont dû le résoudre pour
COFOPRI
« Ils viennent pour la titularisation de la terre...
Pour que les gens puissent demander des crédits ...Ils demandent des
papiers, des documents pour faire les registres. Et quand il n'y en a pas : ce
sont les témoignages des voisins, de la inunicipalite qui peuvent dire
qui la délient; où qui est en train de ».
COFOPRI"', dont nous avons déjà parlé, est
venu dans quelques villes de provinces pour régulariser, et, en
parallèle avec le programme PETTI7, plus propre aux terres
rurales.]
« Et à Lima, c'est très
différent : ce ,furent des invasions depuis longtemps sur terres de
l'état ou celles des cultivateurs alentours. Ils ont dû
créer des lois pour faire jurisprudence (« formaliser »),
parce que c 'était une situation qui n'existait pas. C'est
différent, parce que c'est une situation violente, de violence
».
Voilà la vision de ce qui se fait à Lima, par un
avocat des Andes
L'évolution
--> Un processus d'accès à la
propriété privée et de formalisation de la
possession est en place... Il faut enregistrer (« registrar
») les terres communales et privées. Des tensions existent
entre les avantages qu'apporte la propriété privée, et la
protection (et l'organisation) que permet la propriété
communale... Dans ce cas, les terres sont transmises et si une famille a
beaucoup d'enfants, la communauté peut leur en concéder
davantage, en fonction... C'est aussi un programme de la banque mondiale pour
que les terres puissent être "marchandables", être sur la
Marché... C'est d'ailleurs celle-ci qui a financé COFOPRI dans
ses premières années. Est-ce une véritable
résolution au problème de la terre au Pérou 'il
Pour les émigrés, la
propriété privée peut être d'une certaine
façon bénéfique, puisqu'ils peuvent désormais
"vendre" à proprement parler leurs terres qu'ils ne désirent plus
cultiver... Beaucoup affirment avoir déjà vendu leurs parcelles,
mais dans quel mesure, puisque celle-ci n'avaient pas été
formalisée ? Quelle régularisation ? Souvent, des certificats de
vente, plutôt officieux. Souvent, c'est ainsi que les actes
fonctionnaient, la valeur de l'écrit (la fonnalitél8
n'avaient que peu d'importance, puisque tel n'était pas le
fonctionnement). Néanmoins, les gens peuvent ressortir de vieux actes de
leurs greniers...
Communauté campesina et terres
D'après le groupe allpa'9, la
communauté, en ayant une reconnaissance juridique, assure la
défense de son territoire ainsi que toute son organisation interne,
l'accès aux ressources naturelles et son propre
développement en investissant pour l'accès aux services
(ces fameux services que les gens semblent chercher en allant
ailleurs)
Pendant longtemps, la fausse image d'une communauté
comme un organisme collectiviste a été diffusée, alors
que la dynamique culturelle avantage l'individuel et le collectif. Et c'est
de
16 Commission de formalisation de la
propriété informelle voir COFOPRI LIMA
17 Proyecto Especial Titulacién de Tierras y
Catastro Rural (PETT), du ministère de l'agriculture. "
18 Je parle de "formalité" par opposition
à "informalité". C'est le terme employé en espagnol
19
Le groupe allpa aide les communauté à
lutter pour la reconnaissance de leurs terres, à Hnancavelica et
ailleurs, et pour former les dirigeants communaux et les membres en terme de
législation sur les terres et les communautés,. Elle est aussi un
centre de réflexion avec la population sur la propriété et
l'autonomie des communautés paysannes, si importantes au
Pérou.
cette interrelation que surgit une structure qui vise à
renforcer la capacité productive de chaque famille, en recueillant
l'apport de chacune, tout en respectant les décisions de chaque
unité productive. C'est en rompant cet équilibre que
l'organisation communale deviendrait invivable... Aussi elle défend la
communauté qui est une nécessité pour la population
paysanne, qui individuellement aurait des difficultés pour affronter les
limitations du monde andin et la marginalisation de la société
globale. Il faut qu'elle avance et se projette dans l'espace local, tout en
consolidant les compromis et responsabilités avec les institutions
autres.
Aussi, l'accès individuel à la terre s'imbrique
dans le collectif
C'est un appui qui semble contrecarrer les limites de la
condition paysanne d'aujourd'hui, conditions que les habitants
délaissent de plus en plus !
Des liens. Lima / Sierra
Les conflits dans et entre les
communautés sont aussi très importants, ainsi qu'avec d'autres
organisations (entreprise minière par exemple)...
On constate également que les invasions
sont des pratiques qui existent dans la Sierra et que les
comuneros s'en défendent amplement, ce qui naturellement
crée davantage de conflits. L'invasion provient aussi d'un
problème de délimitation des frontières.
Peut-on mettre en parallèles ce phénomène
d'invasion de parcelles avec l'invasion de terrain à Lima par les
migrants en vue d'y habiter, réponse à la pénurie
d'habitations dans la ville (ou à l'inhibition de la ville devant tous
ces migrants)? Il me semble qu'on peut également lier cela à un
désir de fondation.
Force est de constater que des changements importants sont en
cours, vers la "formalisation" et la "privatisation". Néanmoins, les
terres communales semblent chercher à s'équilibrer dans ce
mouvement, tout en restant ce qu'elles sont. Une loi peut être lourde de
conséquences, c'est le cas de celle de 95 dont on a vu les
conséquences dans la Sierra comme à Lima (-dans les terres
rurales de Lima), à travers le litige de la Vizcachera.
Peut-on faire un parallèle avec les conflits
inhérents à la Vizcachera ? Ou avec le rapport à la terre
des habitants ?
III
Retour sur la migration à Lima
Ces conflits liés à la propriété
communale (dans les Andes) se retrouvent aussi dans quelques situations de
discordes liées aux terres de Lima.
A la Vizcachera, le système des terres communales dit
« inaliénables » (rurales mais côtières, ce qui
est différent) a engendré un conflit aux mesures
disproportionnées. Les autres quartiers qui rencontrent cette même
rivalité sur le statut d'occupation des sols, sont confrontés
à une situation analogue
Il serait également intéressant de mettre
en lien le rapport à la terre des paysans avec cette conquête de
la propriété que l'on constate dans la migration.
Les migrants attachent donc une réelle importance au
statut d'occupation du sol, en d'autres termes à la
propriété. Cela se joue à un double niveau.
Individuel, avoir son terrain et sa maison à soi
revêt un caractère fondamental chez eux. Communal :
lutter ensemble pour la reconnaissance de la propriété
privée, et appartenir à un territoire donné dont les
règles et les rapports semblent d'ordre communautaire.
A Lima, conquérir la propriété, c'est
obtenir un statut, une reconnaissance sociale dans les dissensions urbaines et
une assise dans une situation économique difficile. Lutter sur un
territoire commun, c'est aussi consolider sa nouvelle identité et son
appartenance à un groupe.
Il n'est pas vain de se demander si l'accès
à la terre dans la Sierra influe sur leurs conditions et donc
sur la migration. En effet, les conditions de vie sont plus
difficiles pour quelqu'un qui ne jouit pas de terres et elles
amènent plus volontiers à rechercher d'autres
possibilités, par la migration. Mais cela n'est peut-être ni le
seul ni le premier facteur de migration, et l'on a vu et voit encore
des paysans laisser leurs terres aux bons soins des autres, ou les revendre.
Que font-ils de leurs terres quand ils s'en vont ?
?
« Ils vendent oui, mais plus couramment ils les
gardent. Le problème, c'est toujours que si quelqu'un vient sur la terre
d'un autre et que ce dernier est absent il peut la lui usurper !!
» D'après Jala Uma (voir § « le droit
à la terre »)
« Mon père a gardé ses terres, mais il
ne va plus les cultiver, connue avant. Mais il l'a 1011.1011r
là-bas. Il les CI laissées entre les mains de ses frères
là-bas... le problème là-bas, c'est que quand tu n'es pas
là, ils prennent ton terrain... Et ici, il est avec les
chanchos...làbas aussi, il a du bétail, mais
différent...ce sont des vaches, des moutons... » Une jeune
femme de la Vizcachera.
En revanche, certaines terres semblent jouir d'un certain
respect des gens me disaient que les terres de telles personnes, on les
respectait. On sait très bien que ce lopin de terre appartient à
"Untel", et on n'y touche pas
Nombreux sont ceux qui les louent à des gens qui
n'en ont pas ou peu.
Soit, d'autres les exploitent et ils partagent les
récoltes ; c'est néanmoins souvent à un neveu, un oncle,
un parent qu'ils confient les terres... Certains reviennent
régulièrement pour semer et récolter, mais cela est plus
rare.
Soit, ils les vendent, mais c'est un peu plus compliqué
dans la mesure où une partie des terres est communale et une autre
individuelle ; souvent elles ne sont ni formalisées ni
registrées. Certaines régions, où elles ont
été individualisées, favorisent peut-être ce
choix.
Ou sont-ils enterrés ?
Les personnes plus âgées, dont le lien à
la communauté et son territoire est plus fort, émettent le
souhait d'être enterrées dans « leurs terres ». Ainsi,
implicitement, elles retransmettent leur lien à la terre d'origine
à leurs enfants. Désireux de visiter leurs proches, nombreux sont
ceux qui « fréquentent » les cimetières à Lima,
et, s'ils le peuvent, occasionnellement dans la Sierra.
Le nombre de cimetières, des plus informels
(flanqués dans les collines auprès des maisons) aux plus
luxuriants, est à l'image des "invasions" et arrivées fulgurantes
des Andins à Lima. Visitées régulièrement, beaucoup
de tombes d'immigrés donnent une image des pratiques liées
à la mort par les objets significatifs qui y sont
déposés.
de tombes... qu'un mur sépare
A la Vizcachera, le cimetière se trouve à plus
de 30 minutes de marche dans les collines environnantes. On le nomme : «
le cimetière des pauvres », probablement parce qu'il se trouve
à la limite de cet opulent parc parsemé pour rappeler que ce sont
deux mondes qui s'excluent... ?
AiFY C'est vers la gauche qu'il faut
se diriger pour accéder au cimetière, entre les
collines, sur un site archéologique funeste. Ces arbres séparent
les collines arides de la vallée fertile, avec le cimetière
luxuriant de
1 Campo Fé. (Cf. introduction
Vizcachera)
·rib:Pg. à ·
.7_
-; I"
4 1-ty:
Certaines croix comme ci-dessus, portent des symboles andins,
comme le soleil et la lune (et 1 ' échelle)
te
Les migrants et la terre de l'invasion à la
"formalisation"
L'invasion
Il est question d'invasion dans la partie sur la Vizcachera.
C'est ce mode presque usuel et banal d'occupation d'un terrain par un groupe de
personnes, de familles plus précisément qui décident d'en
prendre possession afin d'y élire domicile.
Généralement, c'est au cours de la nuit que les
protagonistes viennent avec leurs esteras pour y construire leur
maison, qui verra jour dès le lendemain, telle une "cabane"... Ce sont
souvent les migrants (ou des enfants de migrants) "en attente de terrain" qui
viennent envahir, et donc s'approprier le lieu. Ils conquièrent des
lieux "vierges", sur les collines vertigineuses de Lima, encore
inoccupées, de plus en plus ingrates (étant donné la
rareté croissante des terrains).
Si ce n'est pas la façon dont a été
occupée la Vizcachera, c'est ainsi que se sont constitués de
nombreux quartiers de Lima. La Vizcachera est d'ailleurs sujette à ce
mode d'invasion contre laquelle elle lutte.
Dans le journal, on peut régulièrement lire
qu'il y a eu une nouvelle invasion à tel endroit. Parfois, c'est en
couverture, parce qu'il y a eu des conflits, des « guerres » entre
« irwasores2° » ou avec les voisins ou
encore les éventuels propriétaires... Il y a peu, on a pu
assister à une invasion organisée par les autorités : il
fallait reloger toute une population qui
20 ,'Envahisseurs"
Ii
[
L
H
faisait exploser le district de Villa el Salvador, et quelques
familles d'autres quartiers... Cette invasion a eu lieu sur les dunes de
Ventanilla (district de Lima): c'est la naissance de Pachacutec... Parfois,
ceux sont les municipalités qui les déclenchent pour augmenter
leur électorat...
Historique de l'invasion dans la migration Ce
phénomène a commencé dans les années 40, où
l'on voit apparaître un système d'urbanisation informel
basé sur l'appropriation illégale des terrains de l'Etat,
municipalités ou privés, ou aux abords de terres
agricoles21, par des pobladores en carence de logement,
alors convertis en « invasores ». Il s'est intensifié
avec l'augmentation incontrôlée d'immigrants venant de province,
en quête de meilleures conditions de vie à la ville. José
Matos Mar22 fut un des premiers à en parler et à
souligner qu'il se présente de manière spontanée et
organisée dans la périphérie urbaine. Selon Christophe
Martin23' c'est "un terrain à faire". « L'invasion est
comme une victoire sur la vie et la nature qui en est la clé. Pour que
cela devienne un « chez soi ». Mais, ils vivent toujours dans le
danger du « desalojamiento » (délogement). La
fondation est un moment sublimé ».
L'invasion a pris d'autres dimensions aujourd'hui. Elle n'est
plus seulement le moyen sine qua non pour obtenir une terre à habiter,
puisqu'elle est devenue l'apanage des "trafiquants"de terrains,
spéculations aidant... On dit souvent que des familles viennent envahir
pour laisser les terres à d'autres membres de leur famille, ou qu'ils
envahissent ci et là, dans un but lucratif et recommencent ailleurs (une
invasion).
Un vocabulaire presque "guerrier" se retrouve dans cette
migration : "conquête", "lutte", "invasion", "défense". Cela nous
montre peut-être la représentation que se font les gens de la
migration. Migrants ou citadins, tous parleront d'invasion, des combats qui lui
sont liés. La lutte est une dimension que les migrants semblent
s'approprier. La conquête, c'est ce que l'on peut constater dans cette
façon de venir "habiter" la ville.
L'invasion peut nous paraître insolite et inconcevable
en tant que mode d'accès à la terre. C'est pourtant si banal
à Lima ! Si cette pratique existe dans les terres andines, c'est
plutôt en tant que "débordement" sur d'autres parcelles, lorsqu'on
les considère trop exiguës ou mal délimitées, ce qui
est foncièrement différent. Mais ceux sont quand même les
immigrés à Lima qui ont développé cette
possibilité d'accès au sol, lorsque la ville n'était pas
prête à leur octroyer un logement (aujourd'hui encore)
La formalisation à Lima, par l'institution
COFOPRI
Si la formalisation de la propriété est en cours
dans les Andes, elle l'est aussi depuis quelques années à Lima
pour régulariser toutes ces terres...
Voilà ce que commente un juriste, Marta, qui travaille
dans le programme COFOPRI, à Lima.
« Dans le Sierra, souvent, il s'agit d'une
propriété de fait. S'ils ont des titres, c'est de leurs
ancêtres. Ils ne sont pas "registrés".
Les migrants s'approprient, ils prennent le pouvoir, ils
prennent possession d'un terrain. De fait, ils vendaient sans documents, par
possession, parce qu'ils occupaient. .11y a pourtant des
21 Lima était une petite ville, et autour, les
terres cultivées de l'oasis de Lima, qui ont peu a peu été
envahies.
22 José Matos Mar. Desborde popular y
crisis del estado. El nuevo rostro del Peru en la decada de 1980
23 Christophe MARTIN. Ethnologie d'un bidonville de
Lima, le petit peuple de Tupac Amaru.
façons de régulariser ! (Celles de
l'état, par adjudication ; les privées, par prescription
acquisitive)
Les invasions :
« Les gens sont habitués, quand ils voient des
terrains libres, à les occuper et parfois comme ça ils en ont
plusieurs et ils le donnent à. leurs enfants, par exemple... Ils
abusaient et ils vendaient C'est parce que les gens sont habitués
"à ce qu'on leur donne"! Cela peut arriver que des voisins jettent
quelqu'un pour pouvoir avoir accès à ses droits.
Notre but : empêcher les invasions !
« Parfois il faut reloger les gens,
parce qu'il y a des cas où l'on ne peut pas formaliser la
propriété, mais souvent, les gens ne veulent pas. (Diagnostic de
zone minière, archéologique ou d'irrigation)
« L'Etat avait donné des terres aux gens pour
quelque chose de bien spécifique, bien déterminé : semer
ou avoir du bétail. En fait, ils ne le firent pas mais à la
place, vendirent ces terres ! Maintenant, l'état doit
récupérer ses terrains !
« Pour les propriétés de l'Etat (PE) : il faut
formaliser la propriété collective, Mais on ne
peut pas formaliser les maisons individuelles.
« Voilà : notre action c'est de
formaliser en masse, par groupes humains et puis par personnes
individuelles ».
« L'idée, c'est de formaliser un lot, et c'est
fait, mais les maisons aussi en registres publics pour qu'ils puissent
hypothéquer, subdiviser, etc. Pour se faire, il faut réussir
l'inscription aux registres publics. Les municipalités donnaient des
titres sans le faire : à quoi bon ? Sans ces registres, ils vendaient
à 3 ou 4 personnes et au final, il y avait plusieurs
propriétaires ! »
Pendant ce temps, les gens luttent de leur côté
pour pouvoir obtenir les titres de propriété essentiels à
la pérennisation de leur logement. En outre, beaucoup d'institutions (de
l'état) ne peuvent pas intervenir dans l'installation d'infrastructure
(installation de l'eau, de l'électricité), tant que
l'occupation des sols n'est pas "formalisée". On voit des
quartiers se développer beaucoup plus vite que d'autres. Une des
principales raisons réside dans la résolution des conflits et des
jugements. Bien souvent les gens se sont installés sur des terres
à leurs yeux "inoccupées", donc n'étant la possession de
personne, qui sont ensuite revendiquées par un ou plusieurs
propriétaires (l'un se présentant pour réclamer ses droits
puis subséquemment un autre, revendiquant une propriété
plus ancienne donc plus certaines... )!
Dans un district de Lima, par exemple, les dirigeants de tous
les petits quartiers ont fondé une association pour aider les quartiers
et les habitants dans la lutte pour la propriété. C'est le
"Fridepz" : front indépendant de lutte pour la propriété
de Zapallal, que j'ai connu par Leoncio.
n
Li
LI
Territoires et propriété
hi
rcatitépiii,..J{:,rc., b),..uicinent
rciiir d .421h'.,
pelisc'v
De l'importance du territoire commun
L'exemple de la Vizcachera illustre très bien le sens
du territoire d'un groupe, appelé communauté (dans le cas de la
Vizcachera) ou pueblo25 (pour les quartiers de Lima), qui
par la participation de tous, a permis de construire un lieu de vie sur un
espace inhabité (qu'on pourrait juger inhabitable). Dès lors, la
cohésion du groupe semble revêtir une importance fondamentale.
Défendre son territoire --dans la Sierra comme à Lima, est une
dimension importante, et la lutte est évidente. L'espace commun semble
enraciner l'appartenance, constructrice de l'identité.
Au-delà, il semble indispensable d'"habiter" --au sens
strict de terme- le terrain que l'on a obtenu. Non seulement on est prêt
à le défendre coûte que coûte contre la menace des
"envahisseurs", mais aussi, il faut mériter son terrain, il faut le
nécessiter. Dans certains quartiers, il est arrivé que des
maisons soient "virées", ou des terrains récupérés
parce que le pueblo (du quartier) estime que la personne n'est pas
présente (ou autres raisons). Le concerné, en revenant, ne
trouvera plus sa demeure... Le terrain sera alors redistribué à
quelqu'un d'autre par l'assemblée directive du lieu. On assiste alors
à des situations assez violentes dans le rapport à l'espace, mais
cela a probablement son sens dans la manière de le concevoir. Le terrain
ne doit pas être un lieu de spéculation et la présence sur
celui-ci, et donc au sein du groupe, est primordiale. Attachement à la
terre ?
Protection du soi, mais aussi repli sur soi...
Des "murailles" protègent beaucoup de quartiers. Les
maisons "en dur" sont à Lima entièrement barricadées par
des barreaux, et les rues commencent à être « fermées
» : des grilles dans le pâté de maison filtrent les
entrées indues. Cela reste à peu près "normal", et la
tendance s'élargit aux quartiers récemment urbanisés
(comme Zarate par exemple) dans les
nouveaux districts. Mais l'"enfermement"
Mil. ne I peut aller très loin, et
c'est cela qui selon
moi, devient dangereux. Le cas le plus
le scandaleux (en première page du journal à
plusieurs reprises) ffit celle d'une maille
. OBmétallique au dessus d'une grille de 200 rn
de long qui sépare La Molina (district très
· -.,, 1 niri 1
' ·:,Iiiii.,.' résidentiel, si ce n'est "le plus"
résidentiel)
..... . '
i
Mil 1. · '
Il ly lie de Ate (district appartenant à.
cette
séparation en "cône" de la périphérie
de
. ' , 1 Lima), district populaire. Ces barrières
spatiales ne sont souvent que trop sociales. ..
|
MAU... · .tA Uttc.
|
- - - - - - - -
.sta
.1441t-As;.:44,5 .
|
Titre photo : maille de la discorde. Source :El comercio, 11
mai 2005
|
24
Étude anthropo-juridique. Ibid.
25 Le pueblo est à la fois le lieu
(village, quartier...) et le groupe (le "peuple")
Cela rappelle le mur qui sépare la Vizcachera de la
vallée fertile de Huarochiri... (Cf photo dans l'introduction à
la Vizcachera)
Ces thèmes (violence de l'espace --retrait du terrain
ou barrières) serait intéressant à approfondir, mais
malheureusement, je ne dispose que de quelques anecdotes et témoignages,
qui ne permettent pas d'appréhender réellement le sens d'un tel
phénomène.
Le sens de la lutte vers la
propriété
Comme on a pu le voir à la Vizcachera, les terres
n'échappent pas aux appétences spéculatives...
On entend aussi beaucoup parler de trafics de terrains, et les
habitants mêmes (outre les entreprises) entrent dans le jeu. Participer
(ou organiser) à. une invasion, c'est aussi prendre possession du lieu,
l'aménager26 (avec les autres familles) pour pouvoir le
"revendre" Il y a toujours beaucoup de gens "en attente" (donc en
location) de terrain, espérant un jour pouvoir "acheter" leur
terrain et construire leur "chez eux". Comme partout, la valeur peut vite
augmenter...
La propriété peut donc être aussi
considérée comme un moyen sûr qui garantit
la possession, toujours sujette à des invasions, des
expulsions, des relogements, des limites au développement, etc....
L'obtention du "titre" semble être la victoire...
Est-ce aussi le moyen pour le migrant ?
Cela a-t-il un lien avec l'importance dans la Sierra
d'avoir sa propre terre, pour les paysans et habitants de la Sierra ?
Finie la culture --agricole (encore que, beaucoup prennent soin à faire
pousser des plantes devant chez eux, malgré la carence en eau...un peu
de verdure, au milieu du désert !), mais les animaux se promènent
un peu partout autour des maisons! L'élevage reste une
activité largement pratiquée, mais adaptée...une
façon, plus citadine... ?!
Peut-on penser qu'il s'agit aussi d'une victoire (on parle de
lutte, non ?) sur le sol, pour ceux qui n'avaient jamais eu ("là-bas")
de terres, et qui vivaient difficilement en louant celle des autres... ou tout
simplement une victoire sur la ville ?
Du point de vue des habitants, le poids du collectif
protège par la propriété communale, mais le statut
individuel ouvre sur de nouvelles possibilités, celle du monde
d'aujourd'hui (garantie, hypothèque, revente...).
C'est aussi peut-être aussi un nouveau modèle
--encore une fois! -- qui s'instaure et devient nécessaire, parce que le
inonde extérieur (dans le sens « extérieur au groupe »)
suit cette direction. Mais quelles conséquences cela aura-t-il ?
26 L'aménager revient souvent à aplanir
k lot (souvent en pente) afin de le rendre constructible
SAYAD, à travers l'exemple algérien,
remarque que la migration était "devenue une entreprise
individuelle dépouillée de son objectif initialement collectif'.
On pourrait également s'interroger sur la double dimension, collective
et individuelle, de la migration à Lima, et quelles en sont ses
tendances actuelles. Si la migration permettait, comme le souligne Lida
Aguirre, à la communauté de retrouver vie, qu'en est-il
aujourd'hui ?
Les liens de la migration d'une partie de la communauté
changent-ils de caractère ? Le parcours individuel à travers la
"casa propia" (et la propriété) et la réussite
sociale s'inscrivent dans la lutte au sein du quartier, de la
communauté.
L'accès à la propriété --comme
symbole d'un « chez soi », d'une réussite sociale semble
donner un sens à l'existence dans le nouveau contexte, tout en
s'intégrant dans une dynamique communautaire.
En quittant la leur, ils ont besoin de reconquérir une
terre pour démarrer une nouvelle existence.
L
La propriété est aussi la condition pour avancer
et espérer obtenir plus d'aide pour se développer. Ces formes
d'occupations de l'espace et du sol semblent s'inspirer du rapport à la
terre important dans les Andes et des préoccupations d'aujourd'hui.
C'est le problème rencontré par les
déplacés du terrorisme qui ont perdu leurs terres et trop
souvent, n'en ont pas retrouvées d'autres (cas du district près
de Pampas, Tayacaja)
Conclusions
L'émigration, pour ne pas être une pure «
absence », appelle une manière d'« ubiquité »
impossible [...] continuer à « être présent en
dépit de l'absence ». Corrélativement, à ne pas
être totalement présent là où l'on est.
Ce dilemme incite-t-il la présence « physique
» en un lieu à. devenir aussi « morale » et l'absence
physique à devenir « morale », c'est-à-dire une absence
consommée, une rupture accomplie avec la communauté'.
Ce schéma est-il celui que les migrations au
Pérou aujourd'hui représentent ? Les exemples
précités nous ont permis de constater qu'il faut parfois rompre
tout lien pour pouvoir vivre ici, dans le présent. Mais aussi le
maintenir de façon constante par les réseaux familiaux, parfois
entretenue par des retours fréquents ou occasionnels, des envois...
Qu'ils gardent ou non des liens forts ou distants, ostensibles
ou tacites, les émigrés ou immigrés ne sont pas de fades
reproductions de ce qu'ils étaient. Ils développent de
véritables stratégies d'adaptation, reprenant à leur
compte certaines des valeurs de la cité. S'organisant dans un nouveau
groupe, elles s'imbriquent avec leurs propres manières de faire au sein
des nouveaux codes et règles qu'ils ont, depuis quelques
générations, développés à la ville.
Les transferts de droits émanant du
contact de plusieurs cultures revêtent les caractères de
l'acculturation juridique, en exigeant la transformation, sinon l'abandon des
valeurs sur lesquelles reposent leurs systèmes juridiques2-
On peut ici constater une véritable dynamique au sein de cette
migration, loin des contextes d'acculturation forcée de la colonisation.
Quant au droit foncier, il semble allier les systèmes traditionnels et
les enjeux de la modernité vers un même dessein : la
propriété et sa formalisation. Ces changements semblent
être désirés, s'insérant dans le sens nouveau que
lui donne la migration, mais aussi dans les possibilités d'aujourd'hui.
Avoir des « titres » de propriété permet aussi
d'accéder aux prérogatives du monde d'aujourd'hui. Le
système des relations familiales reste le moins atteint par ces
mouvances : la place des réseaux et de la parole reste première
dans les codes de la ville.
La question de l'ethnocide mérite
d'être soulevée dans ce processus migratoire. S'agit-il d'un
modèle qui est venu s'imposer comme meilleur, appelant les
communautés vers « l'ailleurs », un monde moderne offrant
d'autres attraits et dévalorisant le monde dans lequel on vit ?
La "modernité" était un attrait exogène
à imiter ? Est-ce une simple ouverture aux choses venues d'ailleurs, en
les absorbant et les traduisant en ses propres termes ; ou ces influences se
sont-elles imposées, à en devenir irréversibles ? C'est en
combinant le collectif et l'individuel, ainsi que le "traditionnel" et le
"moderne" qu'ils ont réussi à se développer... Cette
articulation est très créative, par la
réinterprétation et la réutilisation des liens, dans
l'invention d'un nouvel univers de vie.
En outre, cette migration a peut-être aidé à
raccourcir les distances (géographiques comme sociales .) et à
reconsidérer les préjugés de la
société...
N'est-ce pas aussi une culture de la vie, qui refuse cet abandon
et qui tend à s'ouvrir à un monde qui ne s'ouvre pas à
elle ? Une façon de ne pas subir mais réagir.
I D'après Sayad, la double absence.
2 Norbert Rouland. « L'acculturation juridique
». Anthropologie juridique. PUF
L'abandon du quechua que j'ai évoqué, est-il un
réel choix, une évolution dans cette rencontre culturelle
où il faut s'adapter pour ne pas être marginalisé ?
Difficile d'en juger, la perte d'une langue nous paraît toujours
déplorable, à bon escient, me semble-t-il. Néanmoins, si
les migrants ont dû dissimuler et abandonner certaines habitudes qui ne
les favorisaient pas, le folklore (les fêtes, les
évènements chroniques, la danse, la nourriture...) leur permet de
maintenir et revaloriser la « tradition3 ». La langue ne
suivrait-elle pas aussi ce mouvement, parler quechua serait-il aujourd'hui
« un plus » ? Mais pour qui : les intellectuels ou les migrants `h
J'ai choisi de mettre la question de la terre
au creuset de la migration et des enjeux
d'aujourd'hui. Non pas par élan d'exotisme, mais l'importance du rapport
au sol s'est révélée prégnante à Lima : les
combats des gens et les problématiques d'aujourd'hui dans le monde rural
comme urbain en sont significatifs. Le rapport à la terre est aussi
fondamental dans la question migratoire, en tant que lien,
conquête... Il serait pertinent d'approfondir la réflexion. La
question agraire est la clé de voûte des problèmes paysans
; et est au coeur l'histoire du Pérou, de ses terres et des
législations. 11 faudrait analyser de plus près l'impact de la
réforme agraire (qui redistribua la terre à ceux qui la cultivent
et l'élimina du marché, promouvant des entreprises associatives
avec propriété collective plutôt que des entreprises
lucratives), mais aussi la situation avant celle-ci et depuis.
Vers quel accès à la terre ?
En 1990, des dispositifs légaux commencèrent
à libéraliser la terre, pour générer un
marché et attirer l'investissement et culminer les
procédés d'adjudication et de titularisation. Le PETT s'est
créé dans le cadre de la réforme institutionnelle du
secteur public agraire pour effectuer ce registre et garantir la
propriété sur la terre de manière communale ou
privée. Jusqu'à 93 puis 95 où la "loi des terres" qui
encouragea davantage l'investissement privé, etc.
On a donc considéré qu'un des facteurs les plus
importants pour le développement de la vie et de l'économie
paysanne, est la titularisation de la terre agricole, pour arriver aujourd'hui
à une structure qui tend vers la propriété privée,
avec grande participation du minifimdium.
Les terres deviennent "marchandables" avec les avantages et
inconvénients que nous avons déjà évoqués et
qu'il faudrait "creuser". Ces tendances sont appuyées --peut-être
même lancées, par la Banque mondiale, désireuse de voir les
terres de toute part sur le Marché.
Cela a un impact fondamental sur la migration tant dans le lieu
d'origine que dans le nouveau territoire et questionne sur cet engouement vers
la propriété, à cheval sur deux systèmes.
On pourrait s'interroger d'une manière plus globale sur
l'évolution de la paysannerie qui ne peut que difficilement survivre
aujourd'hui dans le contexte de la grande agriculture, là-bas comme chez
nous...
Les questions d'ethnodéveloppement sont
incontournables dans le cadre d'une démarche d'approche ethnologique.
Dans le cadre des transformations liées au mouvement migratoire, on
peut réaliser l'impact d'une certaine idée de "progrès",
de modernité. Anecdotique, les
3 Il faut utiliser avec circonspection les termes comme
tradition, coutume et autres, car ils revêtent un caractère
parfois artificiel, les dissociant de ce qui leur donne sens, et sont
connotés de passéisme et de nostalgie. J'ai évoqué
le thème du folklore et des coutumes dans le mémoire, qui ont une
place particulière au Pérou.
places d'armes de nombres de village ont été
entièrement "bétonnisée" et les petites mairies ont
été faites palaces... Dans quel but ?
La problématique est très large, il faudrait
également poursuivre la recherche pour comprendre avec la population les
manières de pallier aux manques dus à ces mouvements et à
la difficile situation des campagnes.
Parmi tant de groupes et de gens rencontrés, il en est
un qui m'a particulièrement attiré l'attention : celui des
déplacés du terrorisme, dont les terres ont été
totalement spoliées et qui n'en ont souvent guère
retrouvées. Leoncio, à Lima, m'a "branchée" sur un projet
d'élevage d'alpacas dans la région de Huancavelica dont il est
originaire. « Nous avons beaucoup de terres là-bas » dit-il.
Il veut donc trouver un financement pour acheter les camélidés,
puis faire travailler la laine dans son quartier de Lima (ou/ et
"là-bas"), par une association de mères de famille seules. Et,
à bon escient, profiter du marché européen... J'ai
reçu en moins de 24 heures 4 réponses d'associations en France
intéressées pour appuyer et même se réapproprier le
projet, aussi vague soit mon annonce... J'ai été plus
qu'étonnée de voir une telle "demande" de la part de nos
associations françaises. Seraient-elles de réelles "demandeuses"
d'initiatives locales ? Et, beaucoup de gens, là-bas, qui ne demandent
qu'à être soutenus... Alors, que se passe-t-il ? Que cache ce
semblant d'équilibre non consommé ?!
**
La mémoire est essentielle dans les questions
identitaires et migratoires. Les histoires de vie, les liens mais aussi les
pratiques d'aujourd'hui en sont le reflet. Tout lieu est porteur de
mémoire, pour et par ses habitants. Son corollaire est peut-être
la transmission, question qui pourrait être approfondie davantage. La
culture développée par les enfants d'immigrés, entre rejet
et réappropriation, est une création permanente. Ils n'ont pas
migré mais portent en eux la migration de leurs parents. Je me suis, aux
débuts, interrogée sur les migrations que l'on pouvait voir
à travers la ville : les deuxième et troisième
générations de migrants étaient elles aussi en quête
de terrain : elles fondent également des quartiers de toutes
pièces, organisent des invasions, s'associent dans l'achat d'un terrain,
etc.
La violence politique
La mémoire collective est au Pérou empreinte
d'un récent passé d'une violence sans nom. Le terrorisme et ce
qu'il a entraîné est toujours un fardeau et les
déplacés semblent ne pas avoir eu de recours. Une mémoire
blessée et un peuple oublié ?
Ils ont dû fuir, parce qu'on a brûlé leur
maison, spolié leurs terres et leurs bétails, en dehors des
enlèvements et meurtres de leurs proches.
Ils ont cherché refuge à la ville et à
Lima. Ou dans des zones plus "tranquilles" des provinces. Quinze ans ou presque
qu'ils sont là, sans terre, sans famille (juste quelques membres), sans
rien. Autant d'années où l'on a rien fait pour eux.
J'ai rencontré un groupe à Lima, qui vivait dans
des conditions plus lamentables que leurs voisins migrants, qui eux avaient
obtenu des aides, quel paradoxe...
Près de Pampas, je suis arrivée dans une partie
d'un village où 3 associations de déplacés demeuraient.
Ils viennent d'autres districts du département et d'Ayacucho. Ce n'est
que très récemment qu'ils ont pris conscience qu'ils pouvaient
s'associer pour réclamer leurs droits (combien de lois, de politiques
d'aide sont sorties et n'ont pas vu leurs applications l) « Nous
étions ignorants ». Une population qui se dévalorise,
parce que personne n'a jamais cherché à les "revaloriser",
à les considérer au-delà de quelques assistances
ponctuelles. Une population qui a souffert et qui reste
marginalisée...
Pour accéder à leurs droits on leur demande des
registres, qu'il faut payer très chers...
« Nous n'avons rien. « Nous sommes tristes,
très mal. « Certains meurent en pourrissant dans leurs maisons.
« Nous n'avons aucun type de travail. Aucunes terres... « On ne peut
pas retourner là-bas, on n'a plus rien. Maintenant, les terrains sont de
la communauté. « Ils profitent du fait que nous ne connaissons pas
la loi... Ce sont des promesses, c'est tout !
*
La mine.
L'exemple de Cobriza, dans la province de Churcampa
--département de Huancavelica- que j'ai évoqué, est bien
d'actualité. Un village "minier" a été crée de
toute pièce sur le versant voisin de celui qui est exploité par
la mine. La situation des miniers est relativement précaire car à
court terme la mine va fermer. Elle n'est plus rentable, tout a
été extrait. A cela s'ajoutent les problèmes de
sécurité. Ils ne rebouchent pas les anciennes galeries : les
miniers seront tentés de retourner extraire des bricoles. Les conditions
agricoles sont très difficiles. Les travailleurs risquent de se diriger
vers les vallées alentours plus clémentes.
J'ai rencontré des familles qui venaient de
là-bas, installées près de Lima : le chef de famille s'en
allait travailler temporairement. Sa femme l'accompagnait de temps en temps. La
vie des miniers était bien différente de celle des habitants du
village originel (San Pedro), sur l'autre versant. La vie de ses habitants est
régie par la mine. Les relations avec les habitants de San Pedro en
étaient affectées, me soulignait une dame. Leurs enfants
n'avaient pas accès au même collège et possibilité.
La question minière est beaucoup plus ample, elle est source de
migration permanente et de reconversion, mais de plus en plus les miniers
s'installent ailleurs avec leur famille, comme à Lima. Un regard sur son
évolution serait à approfondir.
Les migrations vers la Selva semblent aujourd'hui les plus
importantes : quels changements dans cette partie du pays pour demain ? Est-ce
un mouvement provisoire lié aux activités agricoles qui
fonctionnent, ou cela amènera-t-il à des changements
considérables et un essor de ces petites villes... ?
L'émigration vers l'étranger a lieu depuis le
début de « l'exode rural ». Cela est assez surprenant de
s'imaginer ce que représentait un départ d'un petit village des
Andes, sans routes, vers les Etat Unis, par exemple ! Celles-ci continuent vers
l'Europe aujourd'hui...
**
Questions épistémologiques.
Enfin, il s'agit de porter un regard rétrospectif sur
son propre travail. Sur son écriture. Sur son ethnologie. Que
cautionne-t-on ? Que condamne-t-on ? Cette ethnologie a-t-elle un rôle et
quel est-il ?
L'écriture a sa propre créativité et sa
capacité transformatrice. Retranscrire dans son propre langage,
personnel et culturel les mots de l'ailleurs ; formaliser dans des mots des
choses qui ne sont pas dites, qui ne sont pas manifestes... Quelle
réalité et véracité entre ce que l'on observe et
interprète.
C'est aussi une expérience passionnante. Un questionnement
que la seule réflexion ne permettrait pas.
ri
111
ANNEXE
Diagnéstico de la titulacién agraria en
el Perti / PETT-- D'après le "portai agrario" du
ministère de l'agriculture
No se puede hacer una evaluacién del estado de
la titulacién agraria en et Peri', sin hacer un alto para
revisar lo que ha venido sucediendo en este campo durante las aimas
décadas. El régimen de la propiedad rural es un tema que ha
merecido la atenciôn del Estado Peruano de manera permanente. En efecto,
la titulaciôn agraria y las distintas regulaciones que ha tenido la
tenencia de la tierra en nuestro pais, han significado parte importante de la
politica social y econémica de los gobiemos.
Hasta la décala del sesenta la distribucién de las
àreas agricolas en el Perû tenta como caracteristica fundamental
la concentracién de la tierra en muy pocos propietarios (se calcula que
e190% de las tierras de uso agricola eran de propiedad de apenas el 5% de los
propietarios). Por otro lado, la situacién social en el campo venia
siendo cuestionada desde distintos fientes, dada las terribles condiciones de
vida a las que se encontraban expuestos los campesinos.
En este contexto, el 24 de junio de 1969, el gobiemo presidido
por el General Juan Velasco Alvarado promulgé el Decreto Ley N°
17716, Ley de Reforma Agraria. Las caracteristicas principales de la Reforma
Agraria fieron las siguientes:
a. Fue de caràcter masiva, afectando no sôlo a los
grandes latifimdios, sino también a la mediana e incluso pequefia
propiedad.
b. Eliminé el mercado de tierras agricolas; se
estableciô que la propiedad de la tierra no era transferible.
c. Se eliminé la inversién de empresas con fines
de lucro en el agro, promoviéndose la creaciem de empresas asociativas,
bajo un régimen de propiedad colectiva.
d. Se instauré un régimen colectivista en la
propiedad agraria, a partir de la creacién de las SAIS y CUAS.
Con el fin del gobierno militar y la se promulgacién de la
Constitucién de 1979 se initié un proceso que ha determinado un
evidente cambio de modelo que continua hasta nuestros dias. El gobierno de
Fernando Belaunde Terry promulgô la llamada Ley de Desarrollo Agrario
(Decreto Legislativo N° 002), que entre sus normas mas saltantes permitia
la parcelacién de las unidades agricolas en favor de campesinos
individuales, parcelandose con ello gran cantidad de las tierras que habian
sido adjudicadas a las empresas asociativas durante la Reforma Agraria. Como
consecuencia de este proceso, la composiciôn de la propiedad agraria
cambio dramaticamente, prevaleciendo la pequefia propiedad o minifundio.
A partir del aisio 1990 empezé a liberalizarse la
propiedad de la tierra mediante dispositivos legales orientados a generar un
mercado de tierra, atraer inversiôn, permitir la libre transferencia de
propiedades y culminar los procedimientos de adjudicaciôn y
titulaciôn.
acciones de catastro y titulaciôn para la inscripciôn
de los predios nisticos de todo el territorio nacional que fueron adjudicados
en la reforma agraria.
Asimismo, con fecha 13 de setiembre de 1991, se promulgô el
Decreto Legislativo N° 667, Ley del Registro de Predios Rurales, que
regulô el procedimiento aplicable para la formalizaciôn de los
predios de propiedad del Estado -âreas reformadas- y los de propiedad de
particulares -areas no reformadas-,.
Mediante la Octava Disposiciôn Complementaria del Decreto
Ley N° 25902, Ley Orgânica del Ministerio de Agricultura, del 27 de
noviembre de 1992, se creô El Proyecto Especial Titulaciôn de
Tien-as y Catastro Rural - PETT. El PETT es una instituciôn
especializada del Ministerio de Agricultura, que asumiô dentro de sus
responsabilidades las funciones de la ex Direcciôn de Tenencia de
Tien-as y Estructura, el Programa Nacional de Catastro (PROCNAC) e
integrô el Proyecto Especial de Desarrollo Cooperativo y Comunal
(PRODACC).
El PETT se creô como un proyecto dentro del marco de la
reforma institucional del Sector Pùblico Agrario, bsicamente con el
objeto de realizar las acciones necesarias para impulsar y perfeccionar la
titulaciôn y el registro de los predios rurales expropiados y adjudicados
durante la vigencia de las normas contenidas en Texto Unico Concordado del
Decreto Ley N° 17716, complementarias y conexas; culminando los
procedimientos de adjudicaciôn y titulaciôn que habian quedado
inconclusos. Ademàs de realizar la titulaciôn de los predios de
propiedad del Estado y lo que adjudique o transfiera con posterioridad a la
vigencia del Decreto Legislativo N° 653.
Con la promulgaciôn de la Constitucién Politica del
Perû de 1993, se marcô la orientaciôn hacia el mercado y la
promociôn de la inversiôn privada en el sector agrario; asi se
estableciô que el Estado apoya preferentemente el desarrollo agrario y,
garantiza el derecho de propiedad sobre la tierra, en forma privada o comunal o
en cualesquiera otra forma asociativa.
La Constituciôn Politica de 1993, sirviô de contexto
a la daciôn de la Ley N° 26505, Ley de inversiôn Privada en el
desarrollo de las actividades econômicas en las tierras dei territorio
nacional y de las Comunidades Campesinas y Nativas promulgada con fecha 17 de
julio de 1995, conocida mayoritariamente como "Ley de Tierras". Esta ley
marcô un giro radical en la normatividad que rigiô la vida del agro
nacional desde los alios de la reforma agraria, fundamentalmente por la
eliminaciôn de las restricciones que lo limitaban. Su objetivo flic
alentar la inversiôn privada en el sector agrario, eliminando la
restricciones que impedian a los inversionistas orientarse a la agricultura.
Fue modificada por las Leyes N° 26570, 26597, 26681.
Posteriormente, con fecha 15 de agosto de 1996, se expidiô
el Decreto Legislativo N° 838, mediante el tuai se facultô al
Ministerio de Agricultura para que adjudique en forma gratuita los predios
rûsticos de libre disponibilidad del Estado, en zonas de economia
deprimida, a partir de los 2000 metros sobre el nivel del mar; su reglamento
fue aprobado por Decreto Supremo N° 018-98-AG. Esta norma estuvo vigente
hasta el 31 de diciembre de 2000, actualmente se viene trabajando un proyecto
de norma que regule el tratamiento legal de los predios disticos en general.
Peruano suscribiô el Contrato de Préstamo N°
906/OC-PERU con el Banco Interarnericano de Desarrollo - BID, para la
ejecuciôn del Proyecto Titulaciôn y Registro de Tierras - PTRT a
cargo del Ministerio de Agricultura a través de la Unidad de
Ejecuciôn del Proyecto, con la participaciôn del PETT, la SUNARP y
el INRENA en calidad de organismos subejecutores. El PETT tenia a su cargo los
componentes de Regularizacién Predial y Catastro; la SUNARP, el registro
de los predios rurales y el Instituto Nacional de Recursos Naturales - INRENA,
la administraciôn y monitoreo de los recursos naturales.
Mas adelante, a inicios de su etapa de implementaciôn, el
PTRT amplié sus objetivos hacia la generacién de las condiciones
para el desarrollo de un merca.do de tierras rural, aga y transparente,
mediante el saneamiento fisico-legal de la propiedad de todos los predios
rurales, la rnodernizaciôn del catastro rural y el sistema unico y
automatizado de registro de la propiedad rural.
En los ifitimos alios el mayor problema de la propiedad agraria
ha sido la falta de titulaciôn. En efecto, a partir de la década
del 80 se ha venido produciendo un fuerte proceso de parcelaci6n de la tierra
agricola, el mismo que no ha venido acompaliado de la respectiva
formalizaciôn legal de la tenencia de la tierra. De acuerdo a III Censo
Nacional Agrario del atio 1994, la situaciôn de las tierras agricolas,
respecto a si se cuenta o no con un titulo de propiedad es la siguiente:
Ver ti ex>
LI
Desde distintas perspectivas ideolôgicas y
econômicas, se ha considerado que uno de los factores mas importantes
para el desarrollo de la vida y de la economia campesina es la titulaciôn
de la tierra agricola. Asi, en los ûltimos ailos el Perû ha
devenido de un régimen de gran propiedad privada (Pre reforma), a un
régimen colectivista (reforma), para Ilegar al dia de hoy a una
estructura de propiedad agraria que tiende a la propiedad privada, pero con una
gran participacién del minifundio.
ANNEXE : Les « bidonvilles » de Lima : la
richesse sémantique de ces quartiers
On dénombre à Lima 5
appellations différentes pour ce phénomène occidentalement
défini par le terme de « bidonville », qui d'ailleurs ne
renvoie pas à une réalité propre_ Celles-ci sont
liées à l'histoire, au statut du sol, et au type d'organisation
de la population.
Les barriadas
Début de l'explosion démographique, les
autorités ont dû tolérer cet état de fait (elles ne
savaient pas où les reloger). En outre, les terrains en pente n'avait
aucune valeur foncière. Cela paraissait être une bonne « zone
d'attente ». Dans les années 50 explosent les
premiers affrontements. Puis les collines proche de la
périphérie sont envahies ainsi que les terrains
agricoles plats (étant la propriété de grosses familles
oligarchiques de Lima). Ainsi, en 1960, les migrants réclament leurs
terres, une véritable force populaire se met en place . Face à
cela, la loi 13517 de 1961 reconnaît le processus
d'invasion et la nécessité de trouver des terrains pour les
nouveaux arrivants. Cette loi permettrait d'attribuer des titres de
propriété. En conséquence, s'il y a un litige sur le
terrain, I ' Etat s'engage à trouver une nouvelle zone
d'installation. Cette loi constitue donc un tournant décisif quant
à la pérennisation des « barriadas » et quant à
la conception qu'en avait l'Etat.
Les Pueblos Jovenes
Suite à un coup d'état, Velasco
se retrouve au pouvoir et proclame la fin des barriadas insalubres, les
substituant aux « pueblos jovenes ». Cela s'accompagne de la
création d'un organe dépendant de l'Etat pour imposer un cadre
législatif rigide qui sera appliqué automatiquement à
chaque fois qu'un terrain faisant consensus sera trouvé. Ces PJ sont
donc régis par une série de règles précises (plan
de lotisation, zonification précise, place centrale obligatoire..). Ils
se situent dans une ceinture de 15/20 km autour du centre ville et ont une
trentaine d'années. Les maisons sont maintenant en brique, issues de
l'autoconstruction (souvent avec eau et électricité mais rarement
le tout à l'égout).
Les asentamientos humanos
A partir de 1980, avec l'avènement de Belaunde au
pouvoir, la même démarche est de rigueur : il rebaptise alors ces
nouveaux quartiers d'asentamientos humanos (les PJ représentaient
déjà 40% de la population de Lima). Seul le nom changera cette
fois, on garde la même gestion : un organe étatique qui
répartit les terrains et régularise les titres de possessions.
Jusqu'en 1996, barriadas, pueblos jovenes et
asentamientos humanos ne sont pas gérés par les mêmes
règles. Ainsi, Fujimori, une fois au pouvoir, crée un organe
étatique pour en uniformiser la gestion : le COFOPRI. Tous
sont désormais des asentamientos humanos. Les A.H. se trouvent
donc dans une ceinture de plus de 25 km sur des terrains désertiques,
pourvus des mêmes caractéristiques urbaines que les
précédents mais présentent une typologie d'habitat
différente (ils sont rarement équipés en eau).
Les asociaciones de vivienda
Ce sont de plus petites unités à
l'intérieur des PJ ou AH, et ne sont pas nées, quant à
elles, d'invasions. Les habitants ont souvent une origine
géographique commune. Ils se développent moins vite en raison de
leur dépendance aux services. Ils ne jouissent pas de la
gestion du COFOPRI mais dépendent des règlements urbains de la
ville.
Les tugurios
Ce ne sont pas des « bidonvilles » mais les
conditions de vie y sont pires ! et c'est en général le lieu
d'arrivée des migrants à Lima, quant ils n'ont de pas de
famille sur place. C'est là aussi que se déroulent les
réunions pour les projets d'invasion. Les habitants
préfèrent être propriétaire de 100m2 dans
le désert plutôt que de payer un loyer pour un logement
insalubre. Les représentations jouent un rôle très
important dans leur rapport à la terre.
Toutes ces appellations ne sont pas dénuées
d'importance et correspondent à des époques précises ainsi
qu'au statut d'occupation du sol. Ils entrent pleinement
en compte dans la détermination des habitants et leurs
revendications territoriales, organisationnelles, etc..... En outre, le statut
de la zone influe surtout sur la rapidité d'autoconstruction, en
fonction des possibilités qui leur sont octroyées (c'est ce qui
freine le développement des AV qui ne bénéficient
pas de programmes spéciaux et qui portant dénotent une importante
dynamique organisationnelle). Une fois assurée la
propriété du terrain, on va pouvoir pérenniser le
logement.
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