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La pin-up et ses filles: histoire d'un archétype érotique

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par Camille Favre
Université Toulouse Le Mirail - Master 2 Histoire des civilisations modernes et contemporaines 2007
  

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1.3 Le porte-jarretelles, au plus haut des bas.

Mais les bas fonctionnent aussi avec le porte-jarretelles ou jarretière dans une sorte de dispositif érotique optimal. La jarretière peut marquer la frontière entre le sensuel et le sexuel, lisière de la pudeur, elle pose un obstacle excitant puisque aisé à franchir mais aussi constitue une dernière et symbolique étape (Ill. 31). Rabelais signale la passion grivoise des Dames de Thélème qui les pousse à assortir leurs jarretières à leurs bracelets37(*).

L'ordre très noble de la Jarretière (The Most Noble of the Garter) est le plus important ordre anglais de la chevalerie38(*). Sa fondation remonte en 1348, par le roi Edouard III. Selon la légende, la comtesse de Salisbury, maîtresse de roi, laisse tomber sa jarretière lors d'un bal de la cour. Le roi la ramasse vivement et la rend à la comtesse. Devant les plaisanteries des courtisans, il s'écrit : « Honni soit qui mal y pense». Il promet alors à cette favorite de faire de ce ruban bleu un insigne si prestigieux que les courtisans les plus fiers s'estimeront trop heureux de le porter. La phrase « Honni soit qui mal y pense» devient ensuite la devise de l'ordre.

L'artiste Peter Driben a une prédilection pour les jarretières au détriment des porte-jarretelles. Ses pin-up ont très souvent une jarretière ornée d'un petit coeur rouge.

L'autre accessoire de lingerie, le porte-jarretelles est inventé en 1878 par Féreol Dedieu pour remplacer la jarretière. Son succès est peut-être du à un certain esthétisme, comme le souligne Marlène Dietrich : « le porte-jarretelles permettait au moins d'avoir une ligne nette des cuisses à l'entrejambe quand on bougeait au lieu de cette horrible ligne transversale à mi-cuisse39(*) ». Il deviendra vite le symbole des dessous et des accessoires érotiques par excellence, dans de nombreux tableaux mais aussi au cinéma. Les scènes érotiques aux femmes tout en bas et en porte-jarretelles se multiplient : dans l'Ange bleu (1930) de Joseph van Sternberg (1894-1969), dans Cabaret (1972) de Bob Fosse (1925-1987), dans Mariage de Maria Braum (1979) de Fassdinder (1945-1982). Dans la littérature aussi, la jarretière ou les porte-jarretelles sont synonymes de séduction : « cette femme feignant de se dérober dans l'ombre pour attacher sa jarretelle et qui, dans sa pose immuable, est la seule statue que je sache à avoir des yeux : ceux même de la provocation40(*) ». Même constat dans les écrits de Henry de Montherland : « j'aime voir, en rose, sur leurs jambes nues, la marque laissée par leurs jarretières41(*) ».

En 1974, un article du numéro 4 de Cosmopolitan suggère de pendre dans sa salle de bain, pour impressionner et émoustiller l'amant de passage, « une culotte, un soutien-gorge pigeonnant et surtout un porte-jarretelles, à acheter de préférence noir avec des incrustations de dentelles chair ou même rouge, avec plein de volants et de rubans, que vous porterez sûrement jamais mais que vous étendrez bien en évidence sur un cintre de velours rose ou violet une bonne fois pour toute [...] afin que monsieur puisse l'admirer en pensant à toutes sortes de choses pendant que vous naviguerez à l'aise dans vos dessous tout confort42(*) ».

Les changements de mode font qu'aujourd'hui, les bas et le porte-jarretelles sont moins utilisés par les femmes. Mais lorsqu'ils se portent, c'est avec la conscience de ce qu'ils symbolisent, la femme érotique et séductrice, comme le souligne Jacques Laurent : « Avant la femme portait innocemment et naturellement un porte-jarretelles, aujourd'hui elle est consciente que cette attitude délibérée a une signification pour elle et pour l'autre43(*) ». Le porte-jarretelles est alors le lien privilégié entre celle qui s'en pare et celui qui y a accès. Il devient alors un signe dans le langage codé de la séduction et de l'érotisme.

Ce dispositif érotique optimal (talon, bas, jarretière) trouve son apogée avec le tableau de Félicien Rops (1833-1898), Pornockrates44(*). Dans ce tableau, comme dans d'autres, Rops pousse à son extrême l'utilisation de parures diverses mais chargées de nombreuses connotations érotiques (bas, escarpins, jarretières, gants noirs ou rubans noués autour de la poitrine, de cou) pour mettre l'accent sur les parties du corps féminins érotiques ou sexuelles. Les seins, les jambes sont « offerts » à notre oeil, de suite attiré sur ces parties grâce aux accessoires, aux agréments (Rops a une prédilection dans ses oeuvres pour les rubans noués). Comme le souligne Néret : « Rops a niché les sept péchés capitaux dans un pli d'étoffe, et non pas animé, mais animalisé la robe, ce qui est mieux ou pire comme on voudra. Peintre de la perversité, il va de soi qu'il excelle dans le déshabillé. Ses retroussis de manches, ses noeuds de cou sont une invention merveilleusement significative. Il est l'inventeur en art de ces longs gants et ces grands bas noirs, qui sans rien perdre du modelé donnent un accent extraordinaire et pervers45(*) ». Rops, utilise bel et bien l'accessoire érotique comme quelque chose d'annexe, de complémentaire, de subsidiaire, comme une extension de ce qui est présent, de ce qui est directement accessible. Le coté provocant des tableaux de Rops ne provient pas de la présence de corps nus mais du fait que les parties du corps les plus sexuelles sont marquées d'un signe. Car la nudité n'a rien de provocant à moins qu'elle ne soit partielle, c'est-à-dire qu'un fétiche justement cache une partie de cette nudité. Le fétiche sur le corps donne à ce corps une dimension « exhibitionniste », dans un processus de passage du signe au signifiant.

* 37 NERET Gilles, 1000 dessous Histoire de la lingerie, Paris, Taschen, 2003, p.7.

* 38 Les premiers membres sont Edouard III lui-même, le prince de Galles (Edouard, le prince Noir), ainsi que vingt-quatre compagnons. Ces « chevaliers fondateurs », dont certains n'ont pas plus de vingt ans, sont des hommes d'armes, entraînés aux batailles et aux tournois. L'admission au sein de cet ordre donne à ses membres le droit au titre de « Sir ». Les bannières et les armoiries des compagnons chevaliers sont suspendus dans la chapelle de l'ordre : la chapelle St. George à Windsor. Chaque stalle est munie d'une plaque montrant le nom et les armes de l'occupant. Les bannières et armoiries restent en permanence au dessus de la stalle du chevalier, et ne sont retirées qu'à sa mort. St. George, patron des croisés, connu pour son combat face au dragon, est aussi le patron de l'ordre. Durant le Moyen Age, des femmes sont associées à l'ordre, et, sans être membres à part entière, assistent aux différentes réunions et fêtes. Mais, après la mort en 1509 de la mère de Henry VII (Lady Margaret Beaufort), l'ordre devient exclusivement masculin, à l'exception de la reine Alexandra une « Lady » de l'ordre. A partir de ce moment, d'autres femmes sont admises dans l'ordre, et, en 1987, la reine Elisabeth décide que leur éligibilité soit la même que celles des hommes. L'ordre a pour grand maître le roi ou la reine, et comprend, en outre trois chevaliers royaux (le prince de Galles, le duc d'Edimbourg, le duc de Kent), trois dames, vingt-quatre chevaliers anciennement choisis dans la plus haute noblesse, sept « extra knights » (dont les rois de Belgique, de Suède, d'Espagne et le grand duc de Luxembourg). Il est parfois conféré à des personnalités étrangères. Pendant la majeure partie de son histoire, l'Ordre de la Jarretière est exclusivement réservé aux personnes de l'aristocratie, mais aujourd'hui, en cas de places disponibles, les membres recrutés peuvent être d'origines diverses.

* 39 DIVA Maria, Marlène Dietrich par sa fille, vol.1, Paris, J'ai lu, pp.266-267.

* 40 BRETON André, Nadja, Paris, Gallimard, 1998 (1ière édition 1928), p.177.

* 41 DE MONTHERLAND Henry, La petite Infante de Castille, Paris, Gallimard, 1954 (1ière 1929), p.602.

* 42 CHENOUNE Farid, Les dessous de la féminité, un siècle de lingerie, Paris, Ed. Assouline, 1998, p.116.

* 43 NERET Gilles, «op. cit.», p.18.

* 44 ROPS Félicien, Pornockratès, 1878, aquarelle, pastel et gouache, 75 x 48 cm, Namur, Musée Félicien Rops.

* 45 NERET Gilles, L'érotisme en peinture, Paris, Nathan, 1990, p.104.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo