1 Industrialisation : naissance et développement
de
l' « Automobile Toyota »
1937 - 1955 : Implantation et développement de
l'Automobile Toyota
Démarrage de l'Automobile Toyota et changement territorial
avant 1945
La construction de la première usine de la
Société Anonyme de l'Industrie Automobile de Toyota (Toyota
Jidôsha Kôgyô Kabushiki Gaisha)43 en 1935 au Bourg
de Koromo fut l'occasion pour celui-ci de faire son premier pas vers sa grande
transformation en une « ville industrielle moderne »44.
L'origine de cette société remonte à
l'établissement de l'Industrie Textile Toyota (Toyota Bôseki) en
1922 (Taishô 11) à Kariya45 par Sakichi TOYODA
(1867-1930), inventeur de nombreux métiers à tisser automatiques
et père fondateur de la société46. Dès
qu'il a monté par la suite la Société de Métiers
à tisser automatiques Toyota (Toyota Jidôshokki) en 1926
(Taishô 15), il avait déjà l'intention de développer
ultérieurement une industrie automobile. Ensuite, c'est Kiichiro TOYODA,
son fils aîné, qui a repris la volonté de son père
après le décès de celui-ci en 1930, en déposant en
1933 une demande de rachat d'un terrain de près de 200ha situé au
Bourg de Koromo, auprès de la mairie de celui-ci, pour y construire sa
première usine automobile47.
Ce terrain était une vaste colline non cultivée,
mais bien située du point de vue des moyens de transport ferroviaire et
de l'alimentation en électricité48.
Le maire du Bourg de Koromo (Juichi Nakamura) a trouvé
que cette proposition était une très bonne opportunité de
sortir de la crise, amorcée depuis 1930, les industries et commerces
locaux amorcée depuis 1930 : cocons de vers à soie et produits
textiles49. Malgré des difficultés pour convaincre les
180 propriétaires
43 Nous l'appelons Automobile Toyota. Dans le langage courant de
la région de la Ville de Toyota, on l'appelle également de
manière plus courte soit « Industrie-auto Toyota
(Toyota jikô) », soit « Industrie - auto(jikô) ».
44 Takahashi, 1978 : 753.
45 Un bourg situé au sud-ouest de Koromo.
46 Sakichi TOYODA est né fils d'un pauvre
paysan-charpentier dans le département de Shizuoka situé au
sud-est d'Aichi. Il
inventa un célèbre métier à tisser
automatique en bois « Toyota-shiki Mokusei Jinriki Shokki (Machine
à tisser manuelle du style Toyota) » en 1897, pour lequel il a
utilisé le plus possible de bois qui étaient moins coûteux
que les métaux. L'efficacité, le bon rapport qualité-prix
et la qualité du tissu étaient les grands atouts de cette
invention.
47 Ibid. : 753.
48 Ibid. : 754.
49 Ibid. : 755. Le Bourg de Koromo constituait un centre
régional de distribution de soies brutes et de produits textiles
cotonniers ainsi qu'en soie.
terriens concernés par ce rachat, le maire y parvint.
L'usine fut construite en 1935 en plein champs à Koromo, et l'Automobile
Toyota fut ainsi établie en 193750.
Puis, l'Automobile Toyota s'est développée en
produisant essentiellement des camions pour l'armée japonaise dans le
régime de guerre, renforcé à partir de 1937, avec le
début de la Guerre sino-japonaise.
Métamorphose des industries locales
L'implantation de la première usine et du siège
de l'Automobile Toyota à Koromo a apporté quelques changements
brutaux à sa structure démographique et industrielle. Au niveau
démographique, l'effet de l'implantation était déjà
net : si, de 1920 à 1935, l'augmentation du nombre d'habitants restait
douce (de 11924 à 14256, soit 19.5%), celle de 1935 à 1940
était de 44.7% (de 14256 à 20629)51.
Puis, alors qu'entre 1933 et 1938, le poids du nombre des
foyers agricoles sur le nombre total des foyers dans le Bourg a diminué
de 52.1% à 42.5%, à l'année suivante, il diminua
rapidement jusqu'à 33.7%52. Tandis que le poids des foyers
dont des membres sont employés dans l'industrie est passé de 3.6%
à 20.5% de 1933 à 193953. Par ailleurs, l'implantation
de l'Automobile Toyota a stimulé le secteur commercial du Bourg : le
poids des foyers dont des membres travaillent dans ce secteur, a
augmenté entre 1937 et 1939 de 68.8% (de 916 à 1
546)54.
Au niveau du chiffre d'affaires de tous les secteurs,
l'évolution était encore plus nette autour de 1938 : de 1933
à 1937, l'augmentation totale chaque année était
inférieure à 11%, mais en 1938, l'augmentation fut quarante fois
supérieure à celle de l'année précédente (on
passa alors de moins de 400 000 yens à 15 400 000 yens)55. Il
en résulta que le poids du secteur industriel dans le chiffre d'affaires
de tous les secteurs est atteint plus de 80% en 1938, puis 94% en 1939, alors
qu'il était de 10.7% en 193756.
Par contre, à partir de 1936, le déclin du
secteur des vers à soie fut amorcé : diminution du chiffre
d'affaires de 50% entre1936 et 1939, alors que son poids sur le chiffre
d'affaires total de tous les secteurs dans le Bourg de Koromo passa de 53.3%
à 1.8% entre 1936 et 193957! Cette chute du secteur des vers
à soie est non seulement liée à la crise permanente depuis
1929, mais également au régime national de guerre qui
contrôlait l'économie en restreignant les « industries
pacifiques (heiwa sangyô) », à savoir celles non
militaires58.
Reconstruction de l'Automobile Toyota dans la décennie de
1945 à 1955
De 1937 à 1945, l'Automobile Toyota s'est d'abord
développée en tant qu'une industrie militaire dans le
régime national de guerre dans lequel la production des voitures non
militaires était contrôlée par l'Etat
impérial59. Ceci malgré le fait que l'Automobile
Toyota avait toujours l'intention de se spécialiser dans la production
de voitures normales depuis le début de ses activités de
recherche vers 193360. Puis, après la défaite du Japon
de la guerre, elle dut se reconvertir en une « industrie pacifique ».
A cet effet, elle s'est d'abord spécialisée dans le domaine de
l'automobile en se séparant notamment du secteur de la construction
aéronautique auquel elle participait également pendant la
guerre61. Mais, dans la bonne conjoncture économique
japonaise grâce à la Guerre de Corée (1950-1953), elle
continua à produire des camions pour les troupes des Nations Unies
essentiellement composées de l'armée
américaine62. En fait, après la fin de la guerre en
1945,
50 Ibid. : 756.
51 Ibid. : 757.
52 Ibid. : 758.
53 Ibid.
54 Ibid.
55 Ibid. Ceci a encore augmenté à 53 000 000 yens
l'année suivante.
56 Ibid. On ne compte pas le prix de production du secteur des
vers à soie dans le secteur industriel.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 Miyakawa, 1977 : 109.
60 Ibid. : 109.
61 Ibid. : 108.
62 Ibid. Appelé « Chôsen tokuju (Demande
spéciale de la Guerre de Corée) », c'était cette
bonne conjoncture qui, du moins au
l'Automobile Toyota a toujours continué à produire
des camions pour la reconstruction du pays, grâce à l'autorisation
donnée par l'armée américaine
d'occupation63.
De 1945 à 1950, le déploiement de l'industrie
automobile était encore limité au territoire du Bourg de Koromo
qui était entouré de collectivités rurales avec lesquelles
il fusionna lors des décennies suivantes64. Dans des
collectivités rurales de moyenne montagne autour de Koromo, quelques
industries artisanales telles que la poterie, le tissage au moulin à eau
réalisèrent leur relèvement65.
Une des caractéristiques de l'Automobile Toyota est la
concentration industrielle régionale de ses unités de production
qui ont d'abord été centrées sur le Bourg de Koromo, et
ensuite étendues aux collectivités rurales environnantes. Ce
choix ne relève pas seulement de la stratégie de cette
entreprise, mais plutôt de la situation politico-économique au
niveau macro dans le contexte de la guerre et de l'impérialisme
japonais.
En effet, dès 1922, l'Industrie textile Toyota
s'était déjà implantée à Shanghai, en Chine.
Puis, des usines automobiles de Toyota s'implantèrent à Shanghai
et à Tianjin en 1938. Ceci à peu près dans la même
période que la construction de la première usine à Koromo
en 1937. Elle avait ainsi établi ses capitaux étrangers et son
système de production international en Asie de l'Est, dans les zones de
la « Sphère de co-prospérité de la grande Asie
orientale (Daitôa Kyôei-ken) » construite par le Japon
impérial pendant la guerre66. Mais elle perdit tous ses
capitaux étrangers suite à la défaite du Japon, et dut
accueillir la population rapatriée de l'étranger67.
Après la guerre, la politique économique de
rigueur édictée par l'occupation américaine68
imposa aux entreprises japonaises une rationalisation rigoureuse de leur
gestion. Une rationnalisation a ainsi été réalisée
dans l'Automobile Toyota suite à deux mois de conflits sociaux
brûlants en 1949, ce qui conduit au licenciement de 2146
employés69. Puis, le « GHQ70 » a abolit
le contrôle de la production automobile, l'année du
déclenchement de la Guerre de Corée71. Le Japon a
joué le rôle d'une base stratégique et militaire pour les
forces des Nations-Unies, et a créé entre-temps ses propres
troupes qui deviendront plus tard les « Forces d'auto-défense
(Jieitai) »72. Le soutien des forces des Nations-Unies ainsi
que des troupes japonaises ainsi réorganisées pendant la Guerre
de Corée ouvrirent de grands débouchés aux camions de
l'Automobile Toyota.
1955 - 1965 (et après) : Développement de
l'Automobile Toyota
De 1955 à 1965, la zone industrielle de la Ville de
Toyota s'est développée à l'initiative de l'Automobile
Toyota qui établit son système de production de masse de voitures
normales. La Ville de Toyota s'est ainsi constituée en une « ville
de l'entreprise unique (tanitsu kigyô toshi) » avec l'effondrement
d'industries artisanales locales.
Quelques chiffres nous permettent de constater un
développement brutal et considérable de la production automobile
de l'industrie automobile dans le territoire de la Ville de Toyota : de 1955
à 1964, le nombre d'entreprises a augmenté de 634 à 875
dans l'ensemble du territoire de la Ville de Toyota73 ; le nombre
des usines a augmenté de 208 à 313 dans le Bourg de Koromo ainsi
que deux villages voisins (Takahashi et Kamigô)74 ; le nombre
des employés dans l'ensemble du territoire de la Ville de Toyota : passa
de 9901 en 1956
départ, permit au Japon de réaliser sa Haute
croissance lors de la vingtaine d'années qui ont suivies.
63 Ibid. : 110 La production totale japonaise autorisée
était de 1500 camions par mois.
64 Ibid. : 116.
65 Ibid. : 117.
66 Ibid. : 120.
67 Ibid.
68 Ceci avec les fameurses mesures de « Dodge line »
appliquées en 1949.
69 Ibid. : 124. Le « Syndicat ouvrier de l'Automobile Toyota
de Koromo » était organisé dès 1946.
70 GHQ : General Headquarters/ Supreme Commander for the
Allied Powers. L'appellation du centre de décision de l'occupation
américaine au Japon.
71 Ibid. : 126.
72 Ibid.
73 Ce territoire compte également les collextivités
environnantes qui ont fusionnés avec la Ville de Toyota jusqu'en
1970.
74 Ibid. : 214.
à 38817 en 196475. Rien que dans le Bourg de
Koromo et le Village de Kamigô, le nombre d'employés passa de 7784
à 3203376 ; le chiffre d'affaires de la production
industrielle dans le Bourg de Koromo et le Village de Kamigô a
augmenté de près de 21 fois (11 600 000 000 yens à 249 400
000 000 yens) de 1956 à 196477.
Concentration industrielle autour du Bourg de Koromo
A partir de 1958, la concentration considérable
d'entreprises filiales et sous-traitantes de l'Automobile Toyota
commença. Les collectivités rurales voisines du Bourg de Koromo
établirent chacune leurs lois municipales pour l'installation
d'entreprises sur leur territoire78. Jusqu'en 1970, trois
collectivités (Takahashi, Kamigô, Takaoka) ont ainsi
fusionné avec la Ville de Toyota79.
L'essor de l'Automobile Toyota lors de cette période
est d'abord le fruit de la construction de sa deuxième usine en 1959
à Motomachi dans le Bourg de Koromo, et de la concentration
d'entreprises filiales et sous-traitantes dans la région environnante du
Bourg de Koromo80. Pendant cette décennie, la population du
territoire de la Ville de Toyota a triplé (de 33418 à
107037)81. Et ainsi le Bourg de Koromo se transforma d'un «
bourg rural (nôson-toshi) » en une « ville de l'entreprise
(kigyô-toshi) ».
|