Préoccupations globales sur l'agriculture
Concernant l'auto-suffisance alimentaire, quoique personnelle,
Monsieur Y « a une forte prise en conscience » de ce
problème. Il s'agit de la forte dépendance alimentaire du
Japon587, qu'il la considère en rapport avec la
thématique du Projet Nô-Life : la prévention des friches
agricoles. Puis, il a évoqué la conjoncture internationale
actuelle où la grande croissance économique de nouveaux pays
émergents désignés sous l'acronyme « BRICs »
(Brésil, Russie, Inde, Chine) risque de rendre de plus en plus difficile
la condition du Japon pour assurer (importer) son alimentation. Monsieur Y
ajoute « déjà en réalité, la Chine a
commencé à manger le thon. Notre alimentation sera de plus en
plus menacée »588.
Puis, Monsieur Y établit le lien entre sa
préoccupation à propos de l'auto-suffisance alimentaire et du
manque de la main-d'oeuvre agricole au Japon, c'est-à-dire du manque de
« porteurs » de l'agriculture qui est également une des
thématiques du Projet Nô-Life. Cependant, Monsieur Y
considère ce problème de manière plus globale que dans le
cadre limité du Projet Nô-Life. Ceci notamment en suggérant
la nécessité d'introduire de la main-d'oeuvre
étrangère non seulement dans le secteur industriel mais
également dans le secteur agricole au Japon. En fait, il avait
suggéré ce point lors de la deuxième réunion
officielle du Comité pour l'élaboration du Deuxième Plan
fondamental de l'agriculture de Toyota qui eut lieu en novembre 2006. Ainsi,
sur ce point, il explique comme ci-dessous :
« (...) On est dans une situation où il est
difficile de compter sur les jeunes comme porteurs. Ce que j'avais un peu dit
lors de la dernière réunion, c'est qu'il faudrait que plus
d'immigrants étrangers installent pour nous aider. C'est d'ailleurs, ce
qui se passe déjà dans le secteur industriel. Dans la
région de Toyota, à peu près 5% des employés sont
déjà des étrangers, je crois. (...) Pour l'agriculture ou
la forêt, les jeunes ne se forment plus comme agriculteur, et on n'habite
plus dans la zone de moyenne montagne. Pour soutenir l'agriculture et la
forêt, la politique nationale doit réagir également, mais
l'essentiel, c'est de s'assurer d'abord, de quelque part, de la main-d'oeuvre.
(...) »
Et Monsieur Y en attribue la cause au fait que les jeunes ne
reprennent plus les activités agricoles, au fait que le
développement industriel est bien supérieur à celui de
l'agriculture dans la région de Toyota, comme une condition «
indéniable ».
Quel rapport établit-il entre ces préoccupations
globales et le Projet Nô-Life ? Pour lui, ce rapport est plutôt
problématique que positif, car les thématiques de
l'auto-suffisance et de la formation de porteurs de l'agriculture et celle
d'Ikigai sont presque incompatibles : « Les retraités
salariés ne pourront continuer à mener leur activité
agricole qu'au maximum dix ans. Après tout, il est impossible de les
considérer comme porteurs, à mon avis »
Cependant, les mesures pour l'infrastructure d'Ikigai sont
considérées comme nécessaire par le CLFS, mais elles ne
peuvent correspondre ni aux mesures pour les porteurs, et ni à celles
pour l'auto-suffisance alimentaire.
Puis, en rapport avec la thématique de la Politique de
la Municipalité de Toyota : « ville où vivent ensemble la
ville et les campagnes rurales et montagnardes », ainsi que la grande
thématique du Projet Nô-Life : Conservation des terrains
agricoles, Monsieur Y porte un regard plus global. En terme de
multifonctionalité -
587 Le taux d'autosuffisance alimentaire au Japon est
actuellement 40% en terme des calories, 70% en terme de chiffre d'affaires.
(Nôrinsuisan-shô, 2005).
588 Dans les médias également, ces dernières
années, on parle beaucoup de ce sujet au Japon. D'ailleurs, un bon
nombre de stagiaires du Projet Nô-Life ont également
évoqué ce problème en parlant du futur risque de la «
crise alimenaire au Japon »...
quoique implicitement -, il pense non seulement à la
conservation des terrains agricoles, mais également à celle des
forêts de montagne. Et il considère que c'est un «
très grand problème ». Mais il ajoute
également qu' « il faudrait le traiter avec une politique de
portée nationale ».
Préoccupations locales
Comme nous l'avons expliqué plus haut, la
thématique d'Ikigai (« élargir la variété
d'activités d'Ikigai pour les retraités salariés
») pour les retraités constitue actuellement une des
thématiques les plus importantes pour le CLFS dans le cadre de ses
activités pour renforcer le rapport entre ses adhérents et leur
localité. Et le CLFS diversifie les domaines de ses activités au
niveau local, au delà de ses activités traditionnelles comme la
revendication de l'augmentation des salaires, mais en s'impliquant, à
diverses occasions, dans la politique publique locale tels que
l'aménagement de la ville, la santé des personnes
âgées, la politique agricole de la Municipalité etc.
Et cette forme d'implication locale du CLFS ne peut pas
être considérée sans tenir compte de son propre
intérêt global en tant qu'un organisme appartenant à la
plus grande fédération syndicale au Japon : Rengô.
Notamment, la diminution radicale du nombre d'adhérents du Rengô
au cours de cette dernière décennie, reflète une
série de mutations du monde salarial contemporain (vieillissement,
tertialisation, précarisation, diversification de mode de vie etc.), ce
qui constitue un facteur déterminant du changement de comportement des
organisations syndicales au Japon. Aujourd'hui, comme le disait Monsieur Y plus
haut, le mouvement du CLFS ne consiste plus seulement à «
hisser les drapeaux rouges » pour revendiquer l'augmentation des
salaires, mais également à s'impliquer dans les divers domaines
de la vie de la population locale dont pour une grande partie sont des
adhérents. Et ceci en renforçant notamment le rapport avec la
politique municipale. C'est de cette manière-là qu'aujourd'hui,
le CLFS essaie de valoriser son existence dans la société.
Pour la thématique d'Ikigai des personnes
âgées, comme nous l'avons expliqué plus haut, le CLFS avait
déjà pris l'initiative de créer la Maison des fleurs en
1997. Et d'après Monsieur Y, la coopération entre le CLFS et la
Municipalité en matière du vieillissement, peut remonter encore
plus avant, si on parle d'une série d'actions menées par le CLFS
en collaboration avec la Municipalité telles que la quête (bokin),
la visite de maisons de retraite etc.
Cependant, l'idée de lier la thématique d'Ikigai
ou de la santé des personnes âgées à l'agriculture
ou à la ruralité, reste encore une nouveauté pour le CLFS.
En effet, la relation concrète entre le CLFS et un agent public du
secteur agricole de la Ville de Toyota, existe à peine depuis 2003
où il a collaboré avec le BPA de la Municipalité de
Toyota, pour effectuer l' « Enquête sur la conscience sur
l'agriculture de Toyota ». La motivation du CLFS pour son implication dans
les domaines agricole et rural semble rester encore partielle et
limitée. Malgré les attentes potentielles exprimées par la
couche salariale de la Ville de Toyota au travers de l'enquête de 2003,
l'intérêt réel de la part des salariés
vis-à-vis de l'agriculture et de la ruralité ainsi que du Projet
Nô-Life, n'est pas si enthousiaste parmi la majorité de cette
population. Ainsi, la motivation de type Ikigai pour les activités
agricoles ne peut pas correspondre facilement à l'objectif du Projet
Nô-Life tel qu'il est conçu par le BPA et la CAT à savoir :
la conservation des terrains agricoles et la formation de porteurs de
l'agriculture, via les activités agricoles de type Ikigai par les
retraités salariés.
Intérêt du côté des travailleurs :
jardinage, loisir, auto-consommation. Ecart avec l'objectif du Projet
Nô-Life
Il avait été constaté dans le
résultat de l'enquête de 2003, que 62.7% des enquêtés
ont exprimé une envie de mener des activités agricoles d'une
manière quelconque, et que 3 5.5% veuleut faire « un jardin potager
pour le loisir », 24.5% « pour l'auto-consommation » et 2.7%
« pour vendre des produits et en tirer un revenu ». Comme on le voit
dans ce résultat, si un bon nombre de salariés étaient
intéréssés par l'activité du jardinage à
titre de loisir ou d'auto-consommation, il y avait encore très peu de
gens qui imaginaient vendre leurs propres produits agricoles.
Nous pouvons rappeler ici un trait spécifique de la
population de Toyota : elle est constituée pour une grande partie, par
les « émigrants ruraux » venant d'autres régions
rurales pour travailler à Toyota dans le secteur automobile au cours des
années 65-75. D'un côté, ces émigrants gardent
souvent un certain attachement à la vie rurale qu'ils ont connu dans
leur enfance, et de l'autre ils ont peu de rapports sociaux dans leur
localité de la Ville de Toyota589.
En fait, Monsieur Y est lui-même ce type
d'émigrant rural : né dans une ferme d'une autre région,
il s'est installé à Toyota pour travailler dans l'usine
automobile Toyota, en raison de l'absence de travail dans son pays. Et il loue
actuellement une parcelle et cultive son jardin avec son épouse dans la
Ville de Toyota. Il affirme également qu'il connaît beaucoup de
gens autour de lui qui louent une parcelle et jardinent, et qu'ils ont une
haute motivation pour leur auto-consommation alimentaire. Pourtant, il affirme
également que lui-même « n'est pas si passionné
par la ruralité (nô) » et que sa motivation est dans le
prolongement du loisir. Ce qui ne le conduit pas à avoir une prise de
conscience concernant la conservation des terrains agricoles de la Ville.
Il trouve également « non réaliste
» l'objectif prôné par le Projet Nô-Life de gagner un
million de yens de revenu agricole. « Il faut, dit Monsieur
Y, le considérer séparémment. Ce qu'il faut faire pour
la conservation des terrains agricoles et la promotion d'Ikigai. »
Puis, il trouve qu'il est difficile pour les personnes âgées de
s'investir autant dans les activités agricoles : « En
investissant dix millions de yens et achetant des machines, combien
d'années faut-il pour que tout cela paie ? Il n'est même pas
sûr que cela paie en dix ans. »
Rapport avec la ruralité
Le CFLS a également une approche réaliste et
modeste vis-à-vis du principe de la politique municipale de Toyota :
« ville où vivent ensemble la ville et les campagnes rurales et
montagnardes ». En fait, Le CFLS mène des activités de
promotion vis-à-vis de ses adhérents pour leur participation
à des évènements d'animation rurale telle que la
randonnée dans une région montagnarde. Mais la participation des
adhérents n'est pas encore massive. D'après Monsieur Y, «
il n'y a pas de potion magique » pour promouvoir l'échange
entre la ville et la campagne. Mais il faut le faire « pas à
pas »...
Attentes vis-à-vis du Projet Nô-Life
Monsieur Y est pour l'idée d'élargir les zones
d'activités du Centre Nô-Life590 afin de faciliter la
participation de la population au Projet Nô-Life. Et pour Monsieur Y, le
Projet Nô-Life n'est pas encore suffisamment connu par la population.
Puis, lors de la réunion du Comité pour
l'élaboration du Deuxième Plan de l'agriculture de Toyota, il
avait proposé à la Municipalité de s'intéresser non
seulement aux retraités salariés mais également à
la jeunesse, notamment aux jeunes qui sont dans une situation précaire,
catégorisés aujourd'hui soit comme « NIET » soit comme
« Freeter »591. Par cette proposition, Monsieur Y pense
à la possibilité d' « éveiller ces jeunes
à la ruralité (nô) » avec le Projet
Nô-Life, quoique cela soit difficile à réaliser,
ajoute-t-il...
Limite de l'implication locale de la part du Syndicat
vis-à-vis des grands problèmes agricole et ruraux : pas au
delà de la promotion d'Ikigai
Tout en accordant de l'importance à la promotion des
activités d'Ikigai, et en affirmant l'initiative du syndicat ouvrier
dans ce domaine, Monsieur Y relève la limite des approches de type local
pour pouvoir faire
589 Monsieur K, président du Centre Nô-Life, et
Madame S de la Section de la Création d'Ikigai ont évoqué
cette caractéristique de la population de Toyota.
590 Comme cet élargissement a été
effectué en 2006 avec deux établissements supplémentaires
dont l'un dans une zone de moyenne montagne et l'autre dans une zone agricole
de plaine.
591 `NIET' est une catégorie anglaise signifiant
`Not in Education, Employment or Training' pour désigner une
couche de population qui n'est ni dans le travail ni dans l'éducation.
Elle est largement employée auj oud'hui au Japon tant par les
médias que par la politique.
face aux crises agricole et rurale via notamment la
conservation des forêts de montagne et des terrains agricoles. Car
celles-ci nécessitent une approche portant plus sur le long terme que la
promotion d'Ikigai pour les personnes âgées. Elles impliquent
également une problèmatique plus complexe entre les domaines
public et privé compte tenu que les propriétaires des
forêts de montagne et des terrains agricoles sont, pour la plupart, des
individus592. Ce qui exige, d'après lui, une approche plus
globale de la politique publique, à savoir la politique nationale.
Mode d'actions
Comme nous l'avons constaté plus haut dans la
caractéristique des missions du CLFS, ainsi que celle de ses
représentations, les deux niveaux d'approche coexistent dans son mode
d'actions : global et local. Son approche du niveau global est directement
liée à la politique nationale via les activités
électorales et l'élaboration de ses programmes politiques etc.
Au niveau local, même si le CLFS veut renforcer son
rapport avec la population locale, son approche n'a pas encore
réellement d'ancrage local sur les petites localités. Ceci
à la différence de la Municipalité de Toyota qui a des
centres locaux dans chaque quartier, car ce dernier, ayant été
une commune indépendante avant sa fusion avec la Ville de Toyota,
reutilisa son ancienne mairie après la fusion593. Et
également il se différencie, au niveau de son mode
d'organisation, de la coopérative agricole dont les organisations sont
historiquement ancrées dans les petites unités locales qui
peuvent aller jusqu'au niveau des petits hameaux ruraux dits « buraku
». De ce fait, l'approche de type local du CLFS est limitée
à la coopération qu'il mène de manière formelle et
institutionnelle notamment avec la Municipalité.
Rapport avec la politique de la Municipalité de
Toyota
Son implication dans le domaine de la politique agricole de la
Municipalité de Toyota n'a marqué qu'au début de sa
coopération avec cellc-ci. Et sa participation du CLFS dans
l'élaboration du Deuxième Plan de l'agriculture de Toyota, reste
encore individuelle594. De ce fait, il n'y a pas encore de
discussion dans l'ensemble du CLFS sur la thématique de la politique
agricole.
Approche événementielle
Par rapport à la relation avec la ruralité,
l'approche du CLFS reste après tout évènementielle dans le
cadre de l'aménagement du territoire de la Ville de Toyota (comme la
journée de la randonnée). Si Monsieur Y met l'accent sur
l'importance de mener ce type d'actions « pas-à-pas » pour
intéresser réellement les adhérents à la
ruralité, le CLFS n'a pas d'autres types d'approches à mener de
manière plus permanente et basée sur les localités.
Tendance de l'action politique vers l'Etat plutôt que
vers la municipalité : peu de possibilité de bricolage et
d'interaction
Le CLFS a toujours tendance à recourrir à
s'adresser au niveau national plutôt qu'au niveau local, pour les grandes
thématiques comme la crise agricole. Monsieur Y affirme ainsi la
difficulté de s'impliquer de manière plus approfondie dans le
Projet Nô-Life, « car il faut faire face à des
thématiques plus grandes que la
592 Monsieur Y participe également à un projet
municipal de Toyota pour la conservation des forêts de montagne.
593 Chaque centre dont le nom est "community center", dispose
non seulement un ensemble de fonctions administratives, mais également
des locaux pour les activités culturelles. Une grande partie des
activités dans le domaine de l'éducation permanente se passe dans
ces centres locaux de la Municipalité.
594 Elle dépend de la volonté de la personne qui en
est responsable. C'était ainsi le tour de Monsieur Y en
été 2006.
promotion d'Ikigai ». Du coup, on peut remarquer
que le CLFS a peu de possibilité de s'impliquer de manière
à interagir avec les autres agents ou à mener des actions
flexibles en « bricolant » des idées globales et locales...
Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life
Vu toutes les tendances du mode d'actions du CLFS, son
implication dans le Projet Nô-Life reste distanciée. Si Monsieur Y
affirme son « soutien » au Projet, cela reste uniquement dans le sens
de la promotion d'Ikigai, mais ceci sans essayer d'aller plus loin...
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