Dualité du marché du travail, état social et sécurité économique en Tunisiepar Mokhtar ABIDI Université Paris 13 - Master 2 Economie et Finance Internationales 2006 |
3.2- L'indicateur de sécurité de l'indice de bien-être économique de Osberg et SharpeLeur projet a le mérite d'articuler des éléments de la comptabilité nationale avec d'autres données provenant de certaines statistiques sociales. Son principe consiste à faire la moyenne de quatre indicateurs synthétiques, portant respectivement sur les flux de consommation au sens large, les stocks de richesses (économique, humaine et environnementale), les inégalités et la pauvreté économique, et l'insécurité économique (risques économiques liés au chômage, à la maladie, à la vieillesse, et à ceux des familles monoparentales). Pour évaluer l'insécurité, ces auteurs ont fait le choix d'évaluer le risque subjectif d'anxiété des individus à partir de quatre situations dont ils pouvaient évaluer schématiquement le coût moyen, ce qui les obligeait à faire quelques approximations et une hypothèse économique qu'ils ont formulée ainsi : "le changement de risque subjectif est supposé être proportionnel aux variation de risque objectif". Le coût de la maladie a ainsi été estimé par les seules dépenses médicales non remboursées (ce qui laisse de côté le manque à gagner consécutif aux arrêts de travail); celui des pertes d'emploi a été obtenu à partir du taux de remplacement des indemnités de chômage; celui du divorce et de la vieillesse à partir des taux de pauvreté moyen des mères seules et des personnes âgées. A l'instar Menahem (2006), quelle que soit l'importance des approximations réalisées, ces calculs ont l'avantage de procurer des estimations réalistes de l'importance des insécurités associées à quatre types de risque économique. D'où la possibilité de modéliser, moyennant des approximations supplémentaires, les variations de sécurité économique des individus, opération qui n'était pas permise par l'indice de démarchandisation de Esping-Andersen. 3.3- Le Taux de Sécurité Démarchandisée (TSD)Partant d'une approche directement économique et globale, le projet de Menahem consiste en une comparaison des performances relatives aux différents Etats sociaux en matière de lutte contre l'insécurité économique des populations. Pour l'évaluer, il procède par une estimation des volumes globaux des revenus disponibles dont disposent les populations. Une telle donnée permet en effet d'apprécier quelle est la part ne disposant pas de revenus suffisants pour assurer de nombreuses sécurités primordiales telles que la capacité à disposer des moyens de se nourrir, se loger ou se vêtir. Reprenant le concept de démarchandisation de Esping-andersen afin d'évaluer la sécurité des populations, Menahem part du point de vue des individus eux-mêmes en ce qui concerne l'appréciation du niveau de leurs ressources et, en particulier, pour prendre en compte le niveau où commence leur insécurité économique. a. Les principes de construction du Taux de Sécurité Démarchandisée Selon Menahem, le Taux de Sécurité Démarchandisée (TSD) se fonde sur les six principes suivants :
Prenant en compte seulement les ressources indirectes issues de droits sociaux, le taux de sécurité démarchandisée permet de comparer les parts des différentes sources de la sécurité économique. D'une part, la sécurité démarchandisée issue de ses trois sources principales qui sont les revenus de remplacement de travail associés aux risques de vieillesse et de chômage nets de prélèvements fiscaux, les remboursements et les aides en nature associés aux frais de maladie et d'invalidité et les aides à la famille et aux démunis correspondant aux mesures de lutte contre l'exclusion; d'autre part, la sécurité marchandisée provenant des revenus de l'activité professionnelle nets des impôts sur le revenu. La première des insécurités économiques correspond à la pauvreté. Car en dessous d'un minimum de ressources par tête, il n'y a pas de sécurité. Pour prendre en compte cette insécurité, l'indicateur pondère négativement la population en dessous du seuil de pauvreté en lui affectant un revenu négatif dont le montant est égal à ce seuil, soit 60 pour cent du revenu médian par unité de consommation après prestations dans la définition de l'Eurostat. Du point de vue des populations, cette insécurité économique limite la capacité de bien-être et de survie. Elle est le signe d'une mise en cause des capacités des institutions ayant pour mission d'assurer aux individus une sécurité indépendante des aléas du marché. Au niveau global, elle doit donc être déduite de la sécurité démarchandisée procurée par les diverses institutions composant l'Etat social. L'ensemble de ces considérations de méthode se traduit dans des formules comptables permettant de calculer et comparer les niveaux de sécurité économique des diverses populations. Nous pouvons les présenter sous des formes plus ou moins agrégées. D'abord, à un niveau très macroéconomique, si nous appelons TSD le Taux de Sécurité Démarchandisée et TIE le Taux d'Insécurité Economique associée aux personnes vivant dans des ménages en dessous du seuil de pauvreté, nous avons
Avec TIE = Population pauvre x 60% x Revenu médian Population adulte Rev. disp. moy. actifs employés Une deuxième formule résultant d'une approche partiellement désagrégée peut également être présentée. En effet il est possible de décomposer la population adulte en deux catégories selon le type de revenus démarchandisés perçues : les individus qui touchent des revenus de remplacement (indemnités de chômage, d'invalidité, retraites et, par extension, pensions de réversion); ceux qui touchent les aides et indemnités de lutte contre l'exclusion. Sachant que chaque population doit être pondérée par son importance statistique et qu'il faut ajouter à ces revenus démarchandisés directs d'autres revenus indirects correspondant aux remboursements de frais de maladie ou autres, nous aurons la formule suivante:
b. Construction du Taux de Sécurité Economique Se basant sur une conception relativement particulière de la sécurité économique, par rapport à d'autres approches, Menahem et Cherilova (2005) retiennent, en plus des principes qui fondent la construction du taux de sécurité démarchandisée développée plus haut, les ressources issues de l'activité professionnelle. · Etapes de calcul du Taux de Sécurité Economique (TSE) Dans une première étape, on présentera le mode de calcul de Taux de Sécurité Economique Brut (TSE B) ne prenant pas en compte les problèmes de ressources insuffisantes, afin d'en déduire par la suite le TSE net qui tient compte de la répartition de revenus et des problèmes de pauvreté qui en découlent. i/ Le calcul du TSE brut agrégeant des ressources de diverses origines Des formules pratiquement équivalentes rendent compte de l'agrégation des diverses ressources qui concourent à la formation de la sécurité économique. La première est très macroéconomique et considère le TSE Brut comme le rapport entre le revenu disponible moyen de l'ensemble de la population adulte et une référence représentant le niveau de vie "normal" dans le pays considéré, le revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi:
Pour mettre en exergue la relation entre la sécurité économique marchandisée et celle démarchandisée, le TSE brut peut être décomposé de la façon suivante4(*) :
Ce qui donne :
La deuxième formule prend en compte un premier niveau de décomposition. Le TSE comme la somme des parts des différentes catégories de revenus de la population adulte divisée par le revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi. Ce procédé de calcul revient à décomposer le revenu en différents éléments et à définir des Taux de Sécurité Economique pour chacun d'entre eux, toujours par rapport au même dénominateur :
Une troisième formule considère le TSE brut comme la somme des TSE partiels de différentes catégories de populations, toujours relativement au revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi. Ce procédé revient à calculer, pour chaque type de revenu, chacun des TSE bruts partiels et à les pondérer avec les parts des populations concernées vis-à-vis de la population adulte :
Ce mode de calcul nous donne la formule suivante si on considère la population adulte comme la somme de diverses sous-populations spécifiques touchant chacune divers revenus moyens, d'activité, de remplacement, de redistribution ou d'aide, lesquels sont toujours évalués relativement au « revenu disponible moyen des actifs occupés ».
ii/ Pour en finir avec le calcul du TSE Au total, le TSE peut être considéré comme la somme des quatre types d'éléments suivants :
Ainsi, le TSE nous permet d'apprécier l'influence sur la sécurité du taux d'actifs ayant un emploi et du niveau de vie relatif des inactifs par rapport aux actifs en le pondérant par la part des inactifs dans la population adulte. Il fournit ainsi une mesure de la sécurité économique des individus dans une perspective de cycle de vie. Un taux de 100% correspondra à un pays où le revenu disponible par tête des inactifs serait égal à celui des actifs ayant un emploi. En outre, sa décomposition met en lumière les différentes origines de la sécurité économique des individus, permettant ainsi des comparaisons entre pays ou régions et au cours du temps. · Prise en compte de l'insécurité des populations à faibles ressources Le TSE brut ainsi calculé ne tient pas compte des effets de répartition. Il pourrait très bien se trouver proche de 100% malgré la présence de fortes inégalités et donc d'importantes poches de misère, chez les inactifs comme chez les actifs. Il faut donc amender le TSE brut par un correctif. Un moyen simple de prendre en compte l'absence de sécurité des personnes vivant en dessous d'un certain minimum se ressources est d'évaluer forfaitairement leur insécurité et d'en soustraire le montant du numérateur du TSE brut. Ainsi, plus la population dont les ressources sont insuffisantes est importante, plus le TSE d'ensemble de la population est pénalisé. i/ Le TSE : de la prise en compte de l'insécurité économique à la prise en compte de la cohésion sociale Dans leur construction du TSE, Menahem et Cherilova (2005) se sont basés sur cinq principes normatifs de prise en compte de l'insécurité. Ceci permettra une double prise en compte : d'une part, la sécurité des populations dont les ressources sont inférieures au seuil de pauvreté ne peut pas être comptée positivement, d'autre part, cette sécurité doit être comptée de manière d'autant plus négative que les ressources des populations concernées sont plus inférieures au seuil de pauvreté. Le TSE d'ensemble doit viser davantage l'évaluation de la cohésion sociale sur un territoire donné que celle de la couverture des besoins de base. À cette fin, il se fonde sur la situation relative des ressources par rapport au niveau de vie des concitoyens, laquelle prend mieux en compte le souci du regard des autres que le niveau des besoins de base. Ce principe entraîne le choix non d'un seuil absolu mais d'une certaine proportion du revenu disponible médian sur le territoire considéré; Si on choisi de considérer que toute la population disposant de ressources inférieures au seuil de pauvreté est également pénalisée d'un même montant de 0.6 RDAAE6(*), on aboutit à une approximation linéaire de l'accroissement du déficit de sécurité : celui-ci est proportionnel à l'importance du montant de revenu manquant pour atteindre le seuil de pauvreté. Ces cinq principes se traduisent dans la formule suivante du TSE :
* 4 La même logique peut être étendue à l'ensemble des décompositions des taux de sécurité économique brut et net. * 5 RDMAAE : abréviation du Revenu Disponible Moyen des Actifs Ayant un Emploi. * 6 On prend ici le même seuil de pauvreté que celui pris dans le cas du TSD, soit 60% du revenu médian par unité de consommation après prestations dans la définition de Eurostat. |
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