SOMMAIRE
INTRODUCTION
GÉNÉRALE.....................................................3
CHAPITRE I : INSTABILITÉ
CONTRACTUELLE, PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI : PLAIDOYER POUR LA
CONSTRUCTION D'UN INDICE DE SÉCURITÉ
ÉCONOMIQUE..............................................................................10
CHAPITRE II : MARCHÉ DE TRAVAIL EN
TUNISIE : INFORMEL, DUALISME : DESTRUCTION DU SALARIAT ET
ÉMERGENCE DES GROUPES A
INSÉRER...................................................................35
CHAPITRE III : CALCUL DU TAUX DE
SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE EN TUNISIE ET ESSAI
D'INTERPRÉTATION...................................................58
CONCLUSION
GÉNÉRALE........................................................75
RÉFÉERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES......................................79
TABLE DES
MATIÈRES.............................................................82
INTRODUCTION GÉNÉRALE
La sécurité est, aujourd'hui, ce à quoi
aspirent le plus souvent les personnes. Dans un monde perpétuellement
changeant, l'insécurité gagne du terrain. En effet,
l'exacerbation de la concurrence internationale entraîne, dans beaucoup
de pays, des pertes d'emploi ; elle conduit aussi à
privilégier la flexibilité, d'où des emplois qui, souvent,
offrent moins de sécurité et s'accompagnent de moins de
prestations sociales que les emplois classiques. Tous ces facteurs contribuent
à l'accroissement du sentiment d'insécurité des
travailleurs.
La sécurité présente de multiples
facettes : sécurité et protection de la santé au
travail, stabilité de l'emploi, aptitudes et qualifications pouvant
être exploités de façon productive, garanties concernant le
revenu et l'accès aux services publics, revenus suffisants pour les
personnes âgées et pour les malades, protection contre toute sorte
d'aléas. Elle suppose aussi le droit de s'organiser pour défendre
ses intérêts, le droit d'être à l'abri de la violence
et de l'oppression. La sécurité est en effet le socle même
d'une société décente et aussi la base d'une
économie dynamique car elle est une source fondamentale de
légitimité sociale.
Or, dans le monde, la majorité des gens ne jouissent
pas d'une sécurité suffisante. Les systèmes de protection
sociale du type de ceux qui ont vu le jour dans les pays industrialisés
au cours des cent dernières années ne profitent qu'à une
partie de la population, excluant généralement les pauvres et les
travailleurs informels.
Notre objectif consiste à souligner l'importance de la
sécurité économique dans la vie des individus et des
groupes sociaux et plus particulièrement les formes de protection
sociale propres à la garantir. On essayera donc d'accorder beaucoup
d'attention aux notions d'emploi, de contrat de travail mais aussi aux
institutions politiques du marché du travail qui peuvent favoriser, ou
au contraire contrarier, l'accès à des activités
rémunératrices. Assurer un travail décent à tous,
hommes et femmes, reste la clef d'une sécurité économique
si, par travail décent on entend un travail qui, non seulement garantit
un revenu décent aujourd'hui mais s'assortit d'une
sécurité de revenu à long terme.
L'édification d'un monde dans lequel tous les
travailleurs bénéficient d'un minimum de sécurité,
d'une société décente, exige la conjugaison des forces des
institutions représentatives des travailleurs, des employeurs, de l'Etat
et de la société civile.
Cet objectif, de grande ampleur, devrait permettre d'examiner
les orientations à donner aux politiques économiques afin de
promouvoir la sécurité économique de tous. Ainsi, un
nouveau regard devrait être jeté sur les différentes
dimensions de la sécurité économique directement
liées au marché de travail - sécurité de l'emploi,
sécurité du travail - et leurs interactions avec d'autres formes
de protection sociale et de sécurité du revenu.
Certaines catégories sociales se trouvent plus
exposées que d'autres à l'insécurité
économique. Un enfant, une femme, une personne âgée risque
davantage d'être exposé à la pauvreté qu'un homme
adulte en âge de travailler. De même, les travailleurs du secteur
informel y sont plus exposés que les salariés du secteur formel.
Ainsi, le problème concerne non seulement les pauvres ou ceux qui se
trouvent à la limite de la pauvreté, mais s'étend à
tous ceux qui tirent leur revenu de leur travail qu'ils soient salariés
ou travailleurs indépendant ou qu'ils aient un statut mal défini,
comme c'est souvent le cas dans le secteur rural ou informel.
La sécurité économique peut être
assurée de bien de façons. Dans les pays
développés, les transferts en faveur de ceux qui ont besoin d'une
aide leur ont permis d'éviter de sombrer dans la misère. Mais
malgré ses excellents résultats, ce modèle ne saurait
s'appliquer aux pays en voie de développement. Dans ces derniers, une
grande partie de la main d'oeuvre travaille dans le secteur informel, et
beaucoup de travailleurs sont "sous employé" plutôt qu'au
chômage. En plus, les mécanismes nécessaires à une
bonne gouvernance restent fragiles et les lois concernant l'impôt et la
sécurité sociale ne sont guère respectées, ce qui
réduit les recettes fiscales et cotisations sociales.
La sécurité économique se base, pour
l'essentiel, sur la sécurité du revenu. Cette dernière se
trouve menacée par la montée d'un mouvement général
de précarisation de l'emploi, d'extension du travail temporaire et des
activités informelles. En effet, le chômage de longue durée
et la précarisation croissante de la relation de travail ont
laissé apparaître des formes atypiques d'emploi (travail
à durée déterminée, à temps partiel,
intermittent, temporaire, etc.). Parmi leurs formes d'emploi juridiquement
reconnues en France, on trouve le Contrat à Durée
Déterminée (CDD), le travail intérimaire, le travail
à temps partiel, les stages de formation et les contrats
aidés.
Comment peut-on expliquer une telle tendance du marché
de travail et quelles sont ses conséquences en matière
de sécurité/insécurité économique des
groupes sociaux ?
L'analyse d'une relation de travail (ou d'absence de travail
ou de relation aléatoire au travail) représente un facteur
déterminant pour replacer cette nouvelle tendance du marché de
travail dans la dynamique sociale qui la constitue. En effet, la montée
de l'incertitude de l'emploi a conduit à une redéfinition des
conditions dans lesquelles la stabilité de la relation d'emploi pouvait
être assurée. Ainsi, le salarié serait de plus en plus
amené à partager l'incertitude de l'emploi pour assurer la
pérennité de son emploi ou, du moins, sa sauvegarde. De plus,
l'instabilité de la relation d'emploi a amené certain à
exercer plus qu'une activité. On se trouve de plus en plus dans un
contexte de diversité et de chevauchement des formes de travail et
d'activité. D'où, des savoirs et compétences plus ou moins
visibles qui surgissent : des savoirs, de l'expérience liés
à la gestion de situations d'urgence où il faut inventer des
solutions rapides pour vivre ; des compétences à
recréer du lien social ; des compétences liées
à la lutte contre les inégalités et la pauvreté.
La vie sociale est ainsi, du moins tendanciellement,
assimilable à un certain nombre de risques (sociaux) et c'est autour du
statut du salariat que tourne l'essentiel de la problématique de la
protection sociale. La consolidation du statut du salariat permet
l'épanouissement des protections, tandis que sa précarisation
mène à l'insécurité sociale. Le problème de
la continuité de la protection sociale, et, de façon plus
générale, de la sécurité économique des
personnes renvoie plutôt à la question des modalités
d'accès des différents citoyens aux ressources. Trois
modalités de répartition peuvent être distinguées.
Qualifiée d'économique, la première modalité
renvoie aux revenus que les individus tirent de leur participation à
l'activité productive. La répartition sociale, de son
côté, renvoie aux transferts, dont vont bénéficier
les individus, en provenance d'institutions qui prélèvent et
redistribuent des revenus. La répartition domestique, enfin, regroupe
tous les transferts fondés sur un lien personnel entre l'émetteur
et le receveur, et renvoie donc principalement à la solidarité
familiale. Loin de s'exclure, les trois sphères de la répartition
se superposent en partie pour de nombreux individus.
Ainsi, la prise en compte de la sécurité
matérielle des citoyens, ou encore leur insécurité, nous
permet de déceler les nouvelles missions de l'État social qui ont
accompagné l'avènement du salariat. À l'instar de Castel,
l'État social prend acte des effets pervers des régulations
purement économiques et de l'insuffisance des régulations
morales. De son côté, et en s'inspirant de l'idée que la
citoyenneté sociale constitue le coeur et la pierre angulaire de
l'idée de l'État providence, Gøsta Esping-Andersen a
cherché à mettre en avant la notion de "démarchandisation"
(decommodification) qui renvoie à l'idée d'un
détachement progressif du sort des individus vis à-vis de la
logique du marché.
Donc, à côté des revenus issus des
activités rémunérées, ces deux auteurs ont
souligné l'importance des ressources issues des régimes
collectifs de protection sociale ainsi que ceux en provenance des liens de
proximité entre autres la famille qui permettent une certaine
dépendance des individus à l'égard du marché,
d'où la possibilité de construire ce que Castel appelle des
"zones de cohésion sociale". Pour cet auteur, l'association
travail stable - insertion relationnelle solide caractérise une
"zone d'intégration". A l'inverse, l'absence de participation
à toute activité productive et l'isolement relationnel conjuguent
leurs effets négatifs pour produire la "désaffiliation".
Enfin, la vulnérabilité sociale reste une zone
intermédiaire, instable conjuguant précarité du travail et
fragilité des supports de proximité. La composition des
équilibres entre ces zones peut ainsi servir d'indicateur
privilégié pour évaluer la cohésion d'un ensemble
social à moment donné.
Pour comprendre les liens entre ces mouvements de la
société, leurs impacts sur les populations et les réformes
qui visent à les maîtriser, il est alors utile de disposer de
concepts et d'outils statistiques permettant de distinguer les systèmes
sociaux selon leurs conséquences en matière de
sécurité des populations contre le risque d'insuffisance des
revenus. L'instabilité et le caractère variable des revenus issus
de la répartition économique aboutissent fréquemment
à une mise en cause des capacités des populations de disposer
régulièrement des moyens pour se nourrir, se loger, se
vêtir et subvenir à leurs besoins fondamentaux. Comment
évaluer alors les résultats des politiques des Etats sociaux en
ce qui concerne la protection qu'ils assurent à leurs ressortissants
contre les problèmes découlant des divers aléas de
l'existence ? Car les outils synthétiques que fournissent les
comptes nationaux s'avèrent insuffisants pour évaluer aussi bien
les insécurités économiques que les
sécurités, divers indicateurs statistiques alternatifs ont
été proposés depuis les années quatre-vingt pour
suppléer aux insuffisances du PNB par habitant.
Essayant d'apporter des remèdes à ces
insuffisances, Menahem et Cherilova (2005) ont opté pour la construction
d'un ratio, appelé Taux de Sécurité Economique (TSE), qui
permet d'apporter une appréciation du degré de
sécurité économique des populations dans un territoire
donné. Son principe consiste à rapporter, dans un même
indicateur, l'ensemble des revenus que les individus touchent tout au long de
leur vie adulte dans le pays considéré à un
dénominateur commun représentant le niveau de vie moyen des
actifs ayant un emploi.
Prenant en compte à la fois des revenus directs du
travail et des ressources indirectes issues des transferts sociaux, le TSE
permet de comparer les contributions de chaque type de répartition
à la sécurité économique des personnes dans le pays
en question. Il agrège les revenus de l'activité professionnelle
nets des impôts sur le revenu ; les revenus de remplacement du
travail associés aux risques vieillesse et chômage nets de
prélèvements fiscaux ; les remboursements et les aides en
nature associés aux frais de maladie et d'invalidité ; les
aides à la famille et aux démunis correspondant aux mesures de
lutte contre l'exclusion.
La mise en oeuvre d'instruments d'évaluation d'une des
missions de l'État social, a permis le développement de
tentatives de calcul de la sécurité démarchandisée
dont disposent les populations qui reflète un détachement, du
moins en partie, le sort des citoyens de la logique du marché
Un premier essai résulte des travaux
réalisés par un sociologue suédois, Gøsta
Esping-Andersen. Centrant son analyse autour du concept de
« démarchandisation », cet auteur a crée un
« indicateur de démarchandisation » qui devrait
permettre de quantifier jusqu'à quel point un Etat permet à ses
ressortissants de ne pas dépendre des valorisations du marché.
Son principe consiste à calculer la moyenne pondérée par
les pourcentages des populations concernées couvertes entre trois scores
relatifs à trois domaines différents : ceux relatifs aux
pensions de retraite, aux prestations d'assurances maladie et à
l'assurance chômage.
Une deuxième tentative découle des travaux de
deux chercheurs canadiens, Osberg et Sharpe, qui ont élaboré
à la fin des années 1990 un « indicateur de bien
être économique » dont un des objectifs est de mettre en
cause la domination du PNB par habitant en tant que principal indicateur du
bien être économique des populations. Le principe de cet
indicateur consiste à faire la moyenne de quatre indicateurs
synthétiques portant respectivement sur les flux de consommation, les
stocks de richesse (économique, humaine et environnementale), les
inégalités et la pauvreté économiques, et
l'insécurité économique (risques économiques
liés au chômage, à la maladie, à la vieillesse, et
à ceux des familles monoparentales).
Résultant des travaux de Menahem, la troisième
approche consiste à mettre évaluer les performances relatives
des différents États sociaux en matière de lutte contre
l'insécurité économique des populations à travers
la mise en place d'un Taux de Sécurité
Démarchandisée (TSD). Ayant pour principe l'estimation des
volumes globaux des revenus disponibles dont disposent les populations, la
démarche de Menahem permettra d'en apprécier la part ne disposant
pas de revenus suffisants pour assurer de nombreuses sécurités
primordiales telles que la capacité à disposer des moyens de se
nourrir, se loger, ou se vêtir.
Certes l'Etat social joue un rôle primordial dans la
mise en oeuvre de filets de sécurité économique pour ceux
qui se trouvent dans le besoin. Néanmoins, la montée en puissance
des formes atypiques d'emploi (CDD, stages, intérim) afin de
répondre à une demande accrue de flexibilité de la part
des entreprises et parfois aussi des travailleurs a mis à mal des
régimes de protection sociale fondés sur l'emploi stable. Par
exemple les rubriques « assurance chômage » et
« retraite », conçues selon un modèle de
plein emploi stable, répondent mal à un régime de
flexibilité, de mobilité et des changements de statut tout au
long de la vie active.
L'instabilité des personnes face à l'emploi a
accentué, surtout dans les pays sous développés,
l'informalisation du travail, la pluriactivité et la mobilité
vers l'emploi à son propre compte, en particulier dans les zones
urbaines.
Parmi les questions autour desquelles s'articule le
débat sur le secteur informel, on peut évoquer celles relatives
à la définition du secteur, à la délimitation de
son contour, aux tentatives de quantification de certains de ses aspects,
à la possibilité de l'intégrer dans la comptabilité
nationale. Se posent également des interrogations ayant trait au
rôle que peut jouer ce secteur dans un schéma de
développement et de croissance économique dans les pays en voie
de développement, rôle que les organisations internationales comme
le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale semblent
considérer comme déterminant. En plus, le secteur informel peut
se trouve en position duale par rapport au secteur formel. Une extension de
cette conception dualiste peut aller jusqu'à l'opposition
privé/public tout en passant par l'opposition traditionnelle
rural/urbain.
Dans le cadre d'un marché de travail de plus en plus
segmenté et précarisé, la mise en place de régimes
de sécurité sociale est certes un élément essentiel
de l'extension de la protection sociale, mais cette dernière demeurera
inopérante si les personnes visées n'adhèrent pas à
ses régimes (ou n'y cotisent pas) d'où l'importance
d'évaluer la couverture réelle des catégories de la
population concernées par les régimes de sécurité
sociale.
Le contour général de cet édifice
intellectuel qui vient d'être dessiné aboutit aux trois
séries de questionnements suivants : la première porte sur
la sécurité (ou insécurité) économique comme
concept central du débat, la seconde sur la relation entre
stabilité de la relation contractuelle et sécurité
économique et la troisième portera sur le rôle de l'Etat
social dans l'atténuation de cette insécurité.
Pour mener à bien l'objectif d'un examen du concept
« sécurité économique » et d'une
réflexion sur l'interprétation de ses principaux enjeux (i.e. son
lien avec la précarisation de la relation de travail), un premier
chapitre formera un support conceptuel dans le souci d'essayer de
définir la stabilité contractuelle sur le marché de
travail, notion à distinguer d'une notion voisine, stabilité de
l'emploi, et à confronter à d'autres notions comme la
flexibilité ou la précarité de l'emploi. Un second
chapitre mettra l'accent sur la définition de nouveaux contours de
l'activité productive (en intégrant le secteur informel) et
montre à quel point l'approfondissement des approches de l'emploi
contribue à une redéfinition des relations entre revenu de
travail et sécurité économique. Le troisième
chapitre aura pour but la concrétisation des enseignements tirés
de l'évaluation du taux de sécurité économique
associés à l'Etat social Tunisien.
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