« Un homme n'est pas pauvre parce qu'il n'a
rien, mais parce qu'il ne travaille pas. Celui qui n'a aucun bien et qui
travaille est aussi à son aise que celui qui a cent écus de
revenu sans travailler »
Montesquieu, L'esprit des lois, Livre XXIII, Chap.
XXIX.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
GÉNÉRALE.....................................................3
CHAPITRE I : INSTABILITÉ
CONTRACTUELLE, PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI : PLAIDOYER POUR LA
CONSTRUCTION D'UN INDICE DE SÉCURITÉ
ÉCONOMIQUE..............................................................................10
CHAPITRE II : MARCHÉ DE TRAVAIL EN
TUNISIE : INFORMEL, DUALISME : DESTRUCTION DU SALARIAT ET
ÉMERGENCE DES GROUPES A
INSÉRER...................................................................35
CHAPITRE III : CALCUL DU TAUX DE
SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE EN TUNISIE ET ESSAI
D'INTERPRÉTATION...................................................58
CONCLUSION
GÉNÉRALE........................................................75
RÉFÉERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES......................................79
TABLE DES
MATIÈRES.............................................................82
INTRODUCTION GÉNÉRALE
La sécurité est, aujourd'hui, ce à quoi
aspirent le plus souvent les personnes. Dans un monde perpétuellement
changeant, l'insécurité gagne du terrain. En effet,
l'exacerbation de la concurrence internationale entraîne, dans beaucoup
de pays, des pertes d'emploi ; elle conduit aussi à
privilégier la flexibilité, d'où des emplois qui, souvent,
offrent moins de sécurité et s'accompagnent de moins de
prestations sociales que les emplois classiques. Tous ces facteurs contribuent
à l'accroissement du sentiment d'insécurité des
travailleurs.
La sécurité présente de multiples
facettes : sécurité et protection de la santé au
travail, stabilité de l'emploi, aptitudes et qualifications pouvant
être exploités de façon productive, garanties concernant le
revenu et l'accès aux services publics, revenus suffisants pour les
personnes âgées et pour les malades, protection contre toute sorte
d'aléas. Elle suppose aussi le droit de s'organiser pour défendre
ses intérêts, le droit d'être à l'abri de la violence
et de l'oppression. La sécurité est en effet le socle même
d'une société décente et aussi la base d'une
économie dynamique car elle est une source fondamentale de
légitimité sociale.
Or, dans le monde, la majorité des gens ne jouissent
pas d'une sécurité suffisante. Les systèmes de protection
sociale du type de ceux qui ont vu le jour dans les pays industrialisés
au cours des cent dernières années ne profitent qu'à une
partie de la population, excluant généralement les pauvres et les
travailleurs informels.
Notre objectif consiste à souligner l'importance de la
sécurité économique dans la vie des individus et des
groupes sociaux et plus particulièrement les formes de protection
sociale propres à la garantir. On essayera donc d'accorder beaucoup
d'attention aux notions d'emploi, de contrat de travail mais aussi aux
institutions politiques du marché du travail qui peuvent favoriser, ou
au contraire contrarier, l'accès à des activités
rémunératrices. Assurer un travail décent à tous,
hommes et femmes, reste la clef d'une sécurité économique
si, par travail décent on entend un travail qui, non seulement garantit
un revenu décent aujourd'hui mais s'assortit d'une
sécurité de revenu à long terme.
L'édification d'un monde dans lequel tous les
travailleurs bénéficient d'un minimum de sécurité,
d'une société décente, exige la conjugaison des forces des
institutions représentatives des travailleurs, des employeurs, de l'Etat
et de la société civile.
Cet objectif, de grande ampleur, devrait permettre d'examiner
les orientations à donner aux politiques économiques afin de
promouvoir la sécurité économique de tous. Ainsi, un
nouveau regard devrait être jeté sur les différentes
dimensions de la sécurité économique directement
liées au marché de travail - sécurité de l'emploi,
sécurité du travail - et leurs interactions avec d'autres formes
de protection sociale et de sécurité du revenu.
Certaines catégories sociales se trouvent plus
exposées que d'autres à l'insécurité
économique. Un enfant, une femme, une personne âgée risque
davantage d'être exposé à la pauvreté qu'un homme
adulte en âge de travailler. De même, les travailleurs du secteur
informel y sont plus exposés que les salariés du secteur formel.
Ainsi, le problème concerne non seulement les pauvres ou ceux qui se
trouvent à la limite de la pauvreté, mais s'étend à
tous ceux qui tirent leur revenu de leur travail qu'ils soient salariés
ou travailleurs indépendant ou qu'ils aient un statut mal défini,
comme c'est souvent le cas dans le secteur rural ou informel.
La sécurité économique peut être
assurée de bien de façons. Dans les pays
développés, les transferts en faveur de ceux qui ont besoin d'une
aide leur ont permis d'éviter de sombrer dans la misère. Mais
malgré ses excellents résultats, ce modèle ne saurait
s'appliquer aux pays en voie de développement. Dans ces derniers, une
grande partie de la main d'oeuvre travaille dans le secteur informel, et
beaucoup de travailleurs sont "sous employé" plutôt qu'au
chômage. En plus, les mécanismes nécessaires à une
bonne gouvernance restent fragiles et les lois concernant l'impôt et la
sécurité sociale ne sont guère respectées, ce qui
réduit les recettes fiscales et cotisations sociales.
La sécurité économique se base, pour
l'essentiel, sur la sécurité du revenu. Cette dernière se
trouve menacée par la montée d'un mouvement général
de précarisation de l'emploi, d'extension du travail temporaire et des
activités informelles. En effet, le chômage de longue durée
et la précarisation croissante de la relation de travail ont
laissé apparaître des formes atypiques d'emploi (travail
à durée déterminée, à temps partiel,
intermittent, temporaire, etc.). Parmi leurs formes d'emploi juridiquement
reconnues en France, on trouve le Contrat à Durée
Déterminée (CDD), le travail intérimaire, le travail
à temps partiel, les stages de formation et les contrats
aidés.
Comment peut-on expliquer une telle tendance du marché
de travail et quelles sont ses conséquences en matière
de sécurité/insécurité économique des
groupes sociaux ?
L'analyse d'une relation de travail (ou d'absence de travail
ou de relation aléatoire au travail) représente un facteur
déterminant pour replacer cette nouvelle tendance du marché de
travail dans la dynamique sociale qui la constitue. En effet, la montée
de l'incertitude de l'emploi a conduit à une redéfinition des
conditions dans lesquelles la stabilité de la relation d'emploi pouvait
être assurée. Ainsi, le salarié serait de plus en plus
amené à partager l'incertitude de l'emploi pour assurer la
pérennité de son emploi ou, du moins, sa sauvegarde. De plus,
l'instabilité de la relation d'emploi a amené certain à
exercer plus qu'une activité. On se trouve de plus en plus dans un
contexte de diversité et de chevauchement des formes de travail et
d'activité. D'où, des savoirs et compétences plus ou moins
visibles qui surgissent : des savoirs, de l'expérience liés
à la gestion de situations d'urgence où il faut inventer des
solutions rapides pour vivre ; des compétences à
recréer du lien social ; des compétences liées
à la lutte contre les inégalités et la pauvreté.
La vie sociale est ainsi, du moins tendanciellement,
assimilable à un certain nombre de risques (sociaux) et c'est autour du
statut du salariat que tourne l'essentiel de la problématique de la
protection sociale. La consolidation du statut du salariat permet
l'épanouissement des protections, tandis que sa précarisation
mène à l'insécurité sociale. Le problème de
la continuité de la protection sociale, et, de façon plus
générale, de la sécurité économique des
personnes renvoie plutôt à la question des modalités
d'accès des différents citoyens aux ressources. Trois
modalités de répartition peuvent être distinguées.
Qualifiée d'économique, la première modalité
renvoie aux revenus que les individus tirent de leur participation à
l'activité productive. La répartition sociale, de son
côté, renvoie aux transferts, dont vont bénéficier
les individus, en provenance d'institutions qui prélèvent et
redistribuent des revenus. La répartition domestique, enfin, regroupe
tous les transferts fondés sur un lien personnel entre l'émetteur
et le receveur, et renvoie donc principalement à la solidarité
familiale. Loin de s'exclure, les trois sphères de la répartition
se superposent en partie pour de nombreux individus.
Ainsi, la prise en compte de la sécurité
matérielle des citoyens, ou encore leur insécurité, nous
permet de déceler les nouvelles missions de l'État social qui ont
accompagné l'avènement du salariat. À l'instar de Castel,
l'État social prend acte des effets pervers des régulations
purement économiques et de l'insuffisance des régulations
morales. De son côté, et en s'inspirant de l'idée que la
citoyenneté sociale constitue le coeur et la pierre angulaire de
l'idée de l'État providence, Gøsta Esping-Andersen a
cherché à mettre en avant la notion de "démarchandisation"
(decommodification) qui renvoie à l'idée d'un
détachement progressif du sort des individus vis à-vis de la
logique du marché.
Donc, à côté des revenus issus des
activités rémunérées, ces deux auteurs ont
souligné l'importance des ressources issues des régimes
collectifs de protection sociale ainsi que ceux en provenance des liens de
proximité entre autres la famille qui permettent une certaine
dépendance des individus à l'égard du marché,
d'où la possibilité de construire ce que Castel appelle des
"zones de cohésion sociale". Pour cet auteur, l'association
travail stable - insertion relationnelle solide caractérise une
"zone d'intégration". A l'inverse, l'absence de participation
à toute activité productive et l'isolement relationnel conjuguent
leurs effets négatifs pour produire la "désaffiliation".
Enfin, la vulnérabilité sociale reste une zone
intermédiaire, instable conjuguant précarité du travail et
fragilité des supports de proximité. La composition des
équilibres entre ces zones peut ainsi servir d'indicateur
privilégié pour évaluer la cohésion d'un ensemble
social à moment donné.
Pour comprendre les liens entre ces mouvements de la
société, leurs impacts sur les populations et les réformes
qui visent à les maîtriser, il est alors utile de disposer de
concepts et d'outils statistiques permettant de distinguer les systèmes
sociaux selon leurs conséquences en matière de
sécurité des populations contre le risque d'insuffisance des
revenus. L'instabilité et le caractère variable des revenus issus
de la répartition économique aboutissent fréquemment
à une mise en cause des capacités des populations de disposer
régulièrement des moyens pour se nourrir, se loger, se
vêtir et subvenir à leurs besoins fondamentaux. Comment
évaluer alors les résultats des politiques des Etats sociaux en
ce qui concerne la protection qu'ils assurent à leurs ressortissants
contre les problèmes découlant des divers aléas de
l'existence ? Car les outils synthétiques que fournissent les
comptes nationaux s'avèrent insuffisants pour évaluer aussi bien
les insécurités économiques que les
sécurités, divers indicateurs statistiques alternatifs ont
été proposés depuis les années quatre-vingt pour
suppléer aux insuffisances du PNB par habitant.
Essayant d'apporter des remèdes à ces
insuffisances, Menahem et Cherilova (2005) ont opté pour la construction
d'un ratio, appelé Taux de Sécurité Economique (TSE), qui
permet d'apporter une appréciation du degré de
sécurité économique des populations dans un territoire
donné. Son principe consiste à rapporter, dans un même
indicateur, l'ensemble des revenus que les individus touchent tout au long de
leur vie adulte dans le pays considéré à un
dénominateur commun représentant le niveau de vie moyen des
actifs ayant un emploi.
Prenant en compte à la fois des revenus directs du
travail et des ressources indirectes issues des transferts sociaux, le TSE
permet de comparer les contributions de chaque type de répartition
à la sécurité économique des personnes dans le pays
en question. Il agrège les revenus de l'activité professionnelle
nets des impôts sur le revenu ; les revenus de remplacement du
travail associés aux risques vieillesse et chômage nets de
prélèvements fiscaux ; les remboursements et les aides en
nature associés aux frais de maladie et d'invalidité ; les
aides à la famille et aux démunis correspondant aux mesures de
lutte contre l'exclusion.
La mise en oeuvre d'instruments d'évaluation d'une des
missions de l'État social, a permis le développement de
tentatives de calcul de la sécurité démarchandisée
dont disposent les populations qui reflète un détachement, du
moins en partie, le sort des citoyens de la logique du marché
Un premier essai résulte des travaux
réalisés par un sociologue suédois, Gøsta
Esping-Andersen. Centrant son analyse autour du concept de
« démarchandisation », cet auteur a crée un
« indicateur de démarchandisation » qui devrait
permettre de quantifier jusqu'à quel point un Etat permet à ses
ressortissants de ne pas dépendre des valorisations du marché.
Son principe consiste à calculer la moyenne pondérée par
les pourcentages des populations concernées couvertes entre trois scores
relatifs à trois domaines différents : ceux relatifs aux
pensions de retraite, aux prestations d'assurances maladie et à
l'assurance chômage.
Une deuxième tentative découle des travaux de
deux chercheurs canadiens, Osberg et Sharpe, qui ont élaboré
à la fin des années 1990 un « indicateur de bien
être économique » dont un des objectifs est de mettre en
cause la domination du PNB par habitant en tant que principal indicateur du
bien être économique des populations. Le principe de cet
indicateur consiste à faire la moyenne de quatre indicateurs
synthétiques portant respectivement sur les flux de consommation, les
stocks de richesse (économique, humaine et environnementale), les
inégalités et la pauvreté économiques, et
l'insécurité économique (risques économiques
liés au chômage, à la maladie, à la vieillesse, et
à ceux des familles monoparentales).
Résultant des travaux de Menahem, la troisième
approche consiste à mettre évaluer les performances relatives
des différents États sociaux en matière de lutte contre
l'insécurité économique des populations à travers
la mise en place d'un Taux de Sécurité
Démarchandisée (TSD). Ayant pour principe l'estimation des
volumes globaux des revenus disponibles dont disposent les populations, la
démarche de Menahem permettra d'en apprécier la part ne disposant
pas de revenus suffisants pour assurer de nombreuses sécurités
primordiales telles que la capacité à disposer des moyens de se
nourrir, se loger, ou se vêtir.
Certes l'Etat social joue un rôle primordial dans la
mise en oeuvre de filets de sécurité économique pour ceux
qui se trouvent dans le besoin. Néanmoins, la montée en puissance
des formes atypiques d'emploi (CDD, stages, intérim) afin de
répondre à une demande accrue de flexibilité de la part
des entreprises et parfois aussi des travailleurs a mis à mal des
régimes de protection sociale fondés sur l'emploi stable. Par
exemple les rubriques « assurance chômage » et
« retraite », conçues selon un modèle de
plein emploi stable, répondent mal à un régime de
flexibilité, de mobilité et des changements de statut tout au
long de la vie active.
L'instabilité des personnes face à l'emploi a
accentué, surtout dans les pays sous développés,
l'informalisation du travail, la pluriactivité et la mobilité
vers l'emploi à son propre compte, en particulier dans les zones
urbaines.
Parmi les questions autour desquelles s'articule le
débat sur le secteur informel, on peut évoquer celles relatives
à la définition du secteur, à la délimitation de
son contour, aux tentatives de quantification de certains de ses aspects,
à la possibilité de l'intégrer dans la comptabilité
nationale. Se posent également des interrogations ayant trait au
rôle que peut jouer ce secteur dans un schéma de
développement et de croissance économique dans les pays en voie
de développement, rôle que les organisations internationales comme
le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale semblent
considérer comme déterminant. En plus, le secteur informel peut
se trouve en position duale par rapport au secteur formel. Une extension de
cette conception dualiste peut aller jusqu'à l'opposition
privé/public tout en passant par l'opposition traditionnelle
rural/urbain.
Dans le cadre d'un marché de travail de plus en plus
segmenté et précarisé, la mise en place de régimes
de sécurité sociale est certes un élément essentiel
de l'extension de la protection sociale, mais cette dernière demeurera
inopérante si les personnes visées n'adhèrent pas à
ses régimes (ou n'y cotisent pas) d'où l'importance
d'évaluer la couverture réelle des catégories de la
population concernées par les régimes de sécurité
sociale.
Le contour général de cet édifice
intellectuel qui vient d'être dessiné aboutit aux trois
séries de questionnements suivants : la première porte sur
la sécurité (ou insécurité) économique comme
concept central du débat, la seconde sur la relation entre
stabilité de la relation contractuelle et sécurité
économique et la troisième portera sur le rôle de l'Etat
social dans l'atténuation de cette insécurité.
Pour mener à bien l'objectif d'un examen du concept
« sécurité économique » et d'une
réflexion sur l'interprétation de ses principaux enjeux (i.e. son
lien avec la précarisation de la relation de travail), un premier
chapitre formera un support conceptuel dans le souci d'essayer de
définir la stabilité contractuelle sur le marché de
travail, notion à distinguer d'une notion voisine, stabilité de
l'emploi, et à confronter à d'autres notions comme la
flexibilité ou la précarité de l'emploi. Un second
chapitre mettra l'accent sur la définition de nouveaux contours de
l'activité productive (en intégrant le secteur informel) et
montre à quel point l'approfondissement des approches de l'emploi
contribue à une redéfinition des relations entre revenu de
travail et sécurité économique. Le troisième
chapitre aura pour but la concrétisation des enseignements tirés
de l'évaluation du taux de sécurité économique
associés à l'Etat social Tunisien.
CHAPITRE I:
INSTABILITÉ CONTRACTUELLE,
PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI : PLAIDOYER POUR LA CONSTRUCTION D'UN
INDICE DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE
Est-on sécurisé si
on est sans travail ou si l'emploi que l'on occupe est mal
rémunéré, à temps partiel ou temporaire ? Ne
risque-t-on pas de créer des poches de pauvreté en rendant la
relation de travail de plus en plus instable ? Ne vaudrait-il pas mieux
intervenir en amont et éviter la croissance des situations de
précarité en réformant le fonctionnement du marché
de travail afin de permettre un meilleur accès à l'emploi et une
continuité de la protection sociale ? Comment les systèmes
de protection sociale devraient-ils s'adapter pour éviter les ruptures
générées par la précarisation de la relation de
travail ?
Telles sont les questions à propos desquelles ce
premier chapitre voudrait, sinon apporter toutes les réponses, du moins
contribuer à une clarification du débat.
Notre but est de relier la question de la lutte contre la
précarité et l'exclusion à celle, plus
générale, des transformations de la relation de travail. C'est
pourquoi la notion de stabilité a été placée au
coeur de la réflexion dans ce premier chapitre. C'est
l'instabilité ou la précarité de l'activité, et
celle du revenu qui entraîne la possibilité de recours à
des activités informelles ou à la propagation de la culture
de l'aléatoire (Roulleau-Berger, 1999).
Les situations d'insécurité trouvent
généralement leur origine dans la précarité face
à l'emploi, à la famille, au logement. Ce premier chapitre veut
articuler ce qui relève de l'économique (les marchés) et
ce que l'on réserve traditionnellement au social (la redistribution). En
effet, si le marché ne créait ni instabilité, ni recours
à l'informel, ni des tensions dualistes sur le marché de travail,
ni insécurité économique, il serait inutile de mettre en
place des filets de sécurité.
SECTION 1 : STABILITÉ CONTRACTUELLE ET
EMPLOI : LES ENJEUX
La stabilité exprime la solidité d'un lien,
indifférent à la survenance d'évènements qui
menacent son existence : elle est davantage synonyme de durée, de
permanence, de pérennité (Martinon, 2005).
Précisément, la stabilité du contrat de
travail traduit la relation de pérennité de la relation de
travail, en dépit des mutations économiques, des comportements,
des évènements personnels ou des phénomènes
naturels compromettant son exécution.
La stabilité du contrat de travail doit être
distinguée d'une notion voisine, la stabilité de l'emploi; elle
doit être aussi confrontée à des notions contraires, du
moins a priori, telles la flexibilité ou la précarité de
l'emploi.
1.1- Stabilité contractuelle et
emploi
a.
Stabilité contractuelle et flexibilité de
l'emploi
La stabilité est
traditionnellement opposée à la flexibilité ou à la
précarité; la confrontation de ces notions éclaire le
champ de notre étude. Juridiquement parlant, la flexibilité de
l'emploi peut être définie comme "le caractère non
contraignant des règles juridiques" (Martinon, 2005); la
stabilité est synonyme de rigidité, freinant le
développement économique et empêchant de fait la
création d'emplois, car selon le main stream la survie de
l'emploi passe par un marché du travail plus flexible.
Sans entrer dans un débat qui relève
plutôt de l'analyse juridique, on peut nuancer l'opposition en relevant
qu'elle cache, en réalité, une ambiguïté. Car la
flexibilité présente plusieurs formes. En effet, Brunhes (1989)
propose une distinction entre flexibilité quantitative ou externe dont
l'objet est de faire «fluctuer les effectifs de l'entreprise en fonction
des besoins », et flexibilité interne ou fonctionnelle, qui
consiste à faire varier la durée de travail ou les fonctions du
salarié. Cette approche, exprimée en termes de gestion, est le
reflet d'une distinction juridique entre la flexibilité du lien
contractuel et celle des obligations contractuelles. De cette précision,
il ressort que l'on ne peut radicalement opposer stabilité et
flexibilité. Au contraire, la loi et la jurisprudence offrent des
exemples de complémentarité : témoignent de ce
phénomène la variabilité négociée des
obligations contractuelles, le régime de la modification du contrat de
travail et l'élaboration jurisprudentielle et législative d'une
obligation de reclassement, ou l'utilisation de la flexibilité du temps
de travail comme instrument de sauvegarde du lien contractuel. Plus qu'une mise
au point, le rapprochement éclaire l'objet de notre étude :
la stabilité du contrat de travail, telle que nous l'analyserons, se
limite au maintien du lien contractuel et exclue la stabilité des
obligations contractuelles.
b. Stabilité contractuelle et
précarité
De la même manière,
soutenir que la stabilité s'oppose à la précarité
révèle d'une analyse approximative de la relation de travail. La
confusion naît d'abord d'une définition fluctuante de la
précarité de l'emploi. A maxima, elle est synonyme de
pauvreté et trouve son critère essentiel dans le revenu :
subit la précarité celui qui, travaillant ou non - le
chômeur ou le bénéficiaire de minima sociaux a un statut
précaire (Belorgey, 2000) - ne peut prétendre à un revenu
décent : le travail à temps partiel, le salaire minimum ou
les contrats à durée limitée sont des signes de
précarité. A minima, l'expression ne porte que sur la
situation contractuelle ; la précarité concerne alors les
contrats à durée déterminée et les contrats de
travail temporaire.
Le régime de ce type de contrats entretient ensuite la
confusion : au contrat de travail à durée
indéterminée, emblème de la stabilité de la
relation de travail, s'oppose le contrat à durée
déterminée, emblème de la précarité. Les
mécanismes contractuels font apparaître une réalité
plus complexe. Certes on peut soutenir que l'arrivée du terme marquant,
conformément à la volonté des parties, la cessation du
contrat à durée déterminée et libère les
parties du lien contractuel, sans procédure et sans motif ; le
contrat sans limitation de durée, qui oblige l'employeur à
motiver la rupture sous peine de sanctions civiles, présente davantage
le caractère de stabilité. Mais les rôles sont
inversés lors de l'exécution du contrat : alors que le
Contrat à Durée Indéterminée (CDI) est constamment
menacé par le droit de résiliation unilatérale, le terme
garantit la durée du contrat ; de sorte que le contrat à
durée déterminée peut se prévaloir d'une forme de
stabilité contractuelle (Poulain, 1994). L'opposition entre la
précarité et la stabilité est incorrecte. Née de la
volonté des parties, la stabilité apparaît bien comme la
contrepartie de la précarité subie lors de la cessation du
contrat conclu.
c. Stabilité contractuelle et stabilité
de l'emploi
La littérature
économico-juridique autorise un rapprochement entre les notions de
stabilité du contrat de travail et de
stabilité de l'emploi. Ce rapprochement est facilité par
une acception plutôt souple de la notion d'emploi,
appréhendée tantôt dans sa dimension collective,
tantôt dans sa dimension individuelle.
Les intérêts individuels - se prémunir
contre la perte d'un emploi - et collectifs - défendre l'emploi - se
rejoignent. Le rapprochement des notions est parfois source de
difficultés : l'accord collectif du maintien de l'emploi
signifie-t-il une limitation au droit de résiliation unilatérale
du contrat de travail ou peut-il être réduit à la
volonté de maintenir l'effectif ?
Fortement marquée par une dimension collective et
économique, la stabilité de l'emploi ne renvoie pas toujours
à la pérennité du lien contractuel. Les notions ne sont
pas strictement identiques : la stabilité contractuelle est un
démembrement de la notion plus générale de
stabilité de l'emploi.
Le champ de notre étude étant
délimité, « débarrassé » des
notions voisines - stabilité du contrat de travail ou stabilité
des obligations contractuelles -, il convient maintenant de présenter
les enjeux de la stabilité du contrat de travail. Cette constatation
impose de relever, au préalable, l'environnement politique,
économique et social dans lequel s'intègre l'impératif de
stabilité.
1.2- Les enjeux de la stabilité
La stabilité revêt
alors une importance majeure dans l'analyse de la sécurité
économique. En entretenant une relation particulière avec les
réalités qu'elle permet d'étudier, elle soulève, en
contrepartie, des enjeux qu'il convient de décortiquer. En quoi consiste
le rapprochement de la stabilité contractuelle de la
sécurité de l'emploi ? Quel rôle revient à la
stabilité comme facteur d'épanouissement de la personne en
assurant certaines de ses libertés fondamentales ainsi que dans le
processus de son intégration dans la société ?
Comment se manifeste la politisation de la relation de travail ?
Autant de questions qui seront discutées en
détail dans ce qui suit où on se propose d'en apporter des
réponses.
a. la stabilité, un enjeu politique
Quelle que soit la tendance
politique, le « plein emploi » reste un idéal.
Revendication ancienne, il est aussi une préoccupation aux
échelles nationale et internationale. La multiplication des lois en
faveur de l'emploi témoigne des efforts accomplis pour atteindre cet
idéal. Toute politique intéressant l'emploi ne renvoie pas
nécessairement à la stabilité du lien contractuel.
Plusieurs méthodes sont employées pour réduire le
chômage. Des politiques incitatives concentrent l'effort sur l'embauche,
comme en témoignent le développement des actions de formation, de
réduction des charges sociales ou d'incitation à la reprise
d'activité. La stabilité contractuelle rejoint davantage les
politiques coercitives dont l'objet reste de réduire le chômage
résultant de la perte d'emploi. Méprisant la loi du
marché, la naissance et l'épanouissement de la stabilité
du contrat de travail se caractérisent par une mise à
l'écart de l'autonomie de la volonté et un développement
de l'interventionnisme étatique. Des mesures contraignantes, telles que
l'encadrement du contrat précaire et la taxation du licenciement, sont
utilisées comme instruments de régulation de l'emploi.
A l'instar de Martinon (2005), un tel usage de la
stabilité contractuelle illustre néanmoins une tendance plus
générale à la politisation de la relation de
travail. De ce fait, les mesures qui cherchent à assurer la protection
du lien contractuel fluctuent au gré des alternances politiques,
oscillant entre renforcement et libéralisation de la stabilité,
entre protection et flexibilité. Le débat entre protectionnisme
et libéralisme est loin d'être achevé. Au demeurant, le
droit de licenciement pour motif économique reste la caricature d'une
opposition plus générale entre la stabilité contractuelle
et les exigences économiques.
b. La stabilité, un enjeu
économique
Spontanément, on aurait
tendance à penser que la stabilité du contrat de travail
entretient avec le libéralisme économique des rapports tendus.
Toute restriction au droit de rompre le contrat n'est-elle pas un frein
à la libre concurrence ? La recherche à améliorer la
productivité par le développement des nouvelles technologies,
n'est-elle pas un facteur de destruction de l'emploi ? Nombre de
règles nourrissent ce rapport de confrontation : la sauvegarde de
la compétitivité de l'entreprise est un motif de rupture du lien
contractuel ; la limitation des causes de licenciement pour motif
économique est une atteinte disproportionnée à la
liberté d'entreprendre du chef d'entreprise.
Pour autant, les tensions existantes entre la stabilité
du lien contractuel et les finalités économiques ne doivent pas
être exagérées. En effet, le contrat de travail se nourrit
de l'activité économique car sans activité
économique et sans les besoins de main d'oeuvre qu'elle fait
naître, il n'y a pas de travail salarié. Ainsi, la
stabilité du contrat de travail doit être rapprochée de la
sécurité de l'emploi alors que l'instabilité contractuelle
résultant d'un licenciement ou de la menace d'un licenciement est le
signe d'une insécurité (Esping-Andersen, 1999). Ensuite parce que
sur le plan macroéconomique la stabilité juridique est synonyme
de sécurité économique et donc d'encouragement de la
consommation des ménages. Enfin, car on doit observer que la
stabilité que représente le contrat à durée
indéterminée, plus qu'un encouragement, est une condition
d'existence d'autres contrats de nature économique : la signature
d'un bail d'habitation, d'un crédit à la consommation ou
immobilier, n'est-elle pas subordonnée, notamment, à la
conclusion d'un contrat de travail à durée
indéterminée ? D'où il ressort que la
stabilité est le point de départ nécessaire d'une
chaîne de contrats. De ce qui précède, on conclu que la
stabilité contractuelle réduit les risques de
précarité1(*) ; elle est un maillon de l'intégration
professionnelle et de la vie sociale. De la sorte, la réforme de la
figure contractuelle - CDD, travail intérimaire, mission temporaire, ...
- exige une transformation des comportements de certains agents
économiques - propriétaires, établissements bancaires et
financiers ... - ce qui dépasse le seul cadre des relations de
travail.
c. La stabilité, un enjeu social
Ce que l'on constate pour
l'acquisition se vérifie également pour les contrats
extra-patrimoniaux. Pour preuve, on relève que la stabilité du
contrat de travail est un élément permettant au juge de
déterminer en cas de divorce, au nom de l'intérêt de
l'enfant, son lieu de résidence. Cet exemple montre que la
stabilité assure un rôle essentiel dans la société.
Cette situation résulte de la représentation que notre
société se fait du travail.
En plus, le travail, et le revenu que l'individu en retire,
sont des facteurs d'épanouissement de la personne, d'assurer sa
liberté ainsi que son intégration dans la
société.
Nécessaire à la défense des droits
fondamentaux individuels, la stabilité contractuelle accompagne
également le déploiement des droits sociaux collectifs. Droit
syndical, exercice du droit de grève ... sont des exemples de droits qui
trouvent dans la stabilité un moyen de s'accomplir. S'inscrivant dans la
logique du droit au travail, la stabilité contractuelle revêt
aujourd'hui le caractère d'un mythe qui vise un point central de
l'intégration sociale des sociétés modernes. Chaque
individu devrait pouvoir partir du principe qu'il existe, dans la
société dans laquelle il vit, qu'il occupe une place, une
fonction (activité, emploi, revenu) où il peut trouver à
s'employer utilement, tant pour lui-même, afin de subvenir à ses
propres besoins, que pour la société dans laquelle il vit.
L'individu participe ainsi à son propre entretien comme à la
cohésion sociale.
La montée de la vague de travail précaire au
cours des dernières années nous mène à s'interroger
à sa portée et les diverses situations d'insécurité
économique auxquelles elle peut donner lieu. En effet, les mutations
nouvelles de la relation de travail nous fournissent de nombreuses
illustrations de cette configuration d'intérêt. Ainsi,
l'épreuve de la précarité reste l'illustration la plus
importante de la crise du salariat.
SECTION 2 : L'ÉPREUVE DE
PRECARITÉ : VECTEUR DE CRISE DU SALARIAT
L'activité, l'emploi et le
revenu font partie de l'économie et du marché, mais ils ne
revêtent pas cette seule signification économique par rapport
à l'activité de l'être humain, à son appartenance.
La crise de travail, comme transformation de l'activité professionnelle,
n'est pas une grandeur économique unique et isolée, mais elle est
fondamentalement rattachée à l'intégration et à la
désintégration de l'être humain.
En effet, les différentes situations par rapport
à l'emploi sont aujourd'hui hiérarchisées non seulement en
fonction des niveaux des responsabilités et de pouvoir sur le lieu de
travail, mais aussi, de plus en plus, en fonction du degré de
stabilité de l'emploi et de l'ampleur des avantages économiques
et sociaux que procure l'activité professionnelle.
2.1-Crise de la relation de travail
Au fil de la mondialisation, les
mécanismes de fonctionnement de l'économie, avec leur propre
logique, se soustraient de plus en plus à la régulation
contextuelle décentralisée des Etats, et déterminent ainsi
la quantité de travail dont ils ont besoin pour s'auto-conserver. Cette
quantité est en décroissance, bien que les marchandises et les
biens se multiplient constamment. La quantité de travail
économiquement demandée décroît par ailleurs
même pendant les phases d'essor économique. C'est ainsi que le
marché de travail est non seulement déconnecté des
marchés des biens, mais également détaché des
variations cycliques de la conjoncture économique.
Ce constat, ses raisons et ses effets essentiels font
généralement l'objet d'un consensus. Les conditions du
marché mondial et celles de la concurrence accroissent la
nécessité d'une innovation de la production toujours plus rapide,
d'une réduction des coûts et d'une augmentation de
l'efficacité ce qui génère un ébranlement de la
sécurité des relations de travail.
a. Transformation des relations contractuelle et
partage des risques
La mutation des relations
contractuelles qui permet d'utiliser la force de travail sous des formes
diversifiées modifie la portée du partage des risques qui est au
coeur du contrat d'emploi dans ses différentes dimensions.
· Incertitude de l'emploi et flexibilité
du contrat de travail
Face aux aléas des
marchés, à la transformation rapide des emplois et des modes
d'organisation productive, le contrat de travail a été
réduit à des tâches précises et non durables
accentuant sa dimension marchande. Ce processus permet un transfert du risque
de l'emploi sur d'autres entreprises voire sur le travailleur
lui-même.
L'incertitude de l'emploi a conduit à une
redéfinition des conditions dans lesquelles la stabilité de la
relation d'emploi pouvait être assurée. D'une part, l'employeur a
la possibilité d'adapter le salarié à l'évolution
de son emploi, ce qui ouvre la voie au licenciement qui reste un recours
ultime. Le salarié est ainsi amené à partager
l'incertitude de l'emploi pour assurer la pérennité de son emploi
ou, du moins, sa sauvegarde.
Cet élargissement de la relation d'emploi
représente un facteur essentiel dans la redéfinition de la
stabilité de la relation d'emploi, qui prend en compte les
nécessités d'évolution et de mobilité des personnes
ce qui peut répondre à l'intérêt commun des deux
parties.
Il y a eu apparition de nouvelles formes d'emploi (travail
à durée déterminée, à temps partiel,
intermittent, temporaire, etc....). Parmi les formes d'emploi juridiquement
reconnues, on trouve le Contrat à Durée Déterminée
(CDD), l'intérim, les contractuels auxiliaires et vacataires du secteur
public, le travail à temps partiel, le travail intermittent,
l'apprentissage, les stages de formation et les contrats aidés.
Comment peut-on expliquer une telle tendance du marché
de l'emploi ?
Ces contrats, à l'origine, ne peuvent porter sur un
emploi lié à l'activité normale et permanente de
l'entreprise. Il ne s'agit donc pas de contrat d'emploi intégrant
l'incertitude sur la pérennité du contrat, mais de contrat
portant sur un travail limité. Il y a évidemment là un
facteur majeur de crise de la société salariale. L'usage de ces
contrats atypiques (par rapport au contrat typique à
durée indéterminée) a bien dépassé ces
frontières, où ils ont acquis une incontestable polyvalence et
c'est ce qui justifie l'hypothèse de la multiplication de ces normes
d'emploi.
Le CDD est devenu une norme d'embauche, mais aussi un outil
majeur d'insertion professionnelle et de réinsertion des chômeurs.
Mais quelles que soient les utilisations faites du CDD et de l'Intérim,
ils limitent la prise en charge du risque de l'emploi. Pour le reste, ce risque
est à la charge des systèmes de solidarité, mais surtout
du salarié.
Cette déstabilisation de la relation d'emploi pose donc
à nouveau la question de savoir comment assurer la
sécurité des relations d'emploi et la continuité des
droits liés à l'emploi, c'est-à-dire comment organiser la
prise en charge du risque de l'emploi, là où la limitation du
contrat à des tâches déterminées ou à une
durée limitée introduit une discontinuité.
· Incertitude de l'emploi et développement
du travail indépendant
Le renouveau du travail
indépendant apparaît comme la forme extrême des
évolutions du marché de travail, en considérant finalement
le travailleur indépendant comme « entrepreneur de
soi », comme chef d'entreprise individuelle qui assume le risque de
son emploi, en même temps que le risque du travail et le risque
économique de son entreprise.
Dans le contrat de travail salarié,
différentes clauses peuvent faire supporter au salarié une part
des aléas du marché. Les clauses sur la flexibilité du
temps de travail, les clauses sur la rémunération au
résultat, les clauses de productivité ou sur les clauses
objectifs qui sont autant de techniques da faire supporter au salarié
une part du risque économique.
Par contre, lorsque la réalisation du travail est
assurée par un travailleur indépendant, le transfert du risque
économique sera plus important. Le travailleur indépendant qui
travaille librement à son propre compte auprès d'une
clientèle propre, qui a une autonomie d'organisation et qui est
rémunéré en fonction de la valeur de son travail, est
considéré comme un entrepreneur. Il supporte le risque lié
à la marche de son entreprise, le risque sur le résultat du
travail et le risque de son emploi.
Pour comprendre l'impact des changements d'une crise du
travail liée à la mutation de l'emploi, on ne peut rester
focalisé sur la notion de Contrat de travail à Durée
Indéterminée (CDI), il est nécessaire de l'articuler
à d'autres formes de travail non légitimées en tant que
telles, sinon tout ce qui se passe dans la précarité et le
chômage demeure invisible; et, surtout, on ne peut appréhender que
les aspects économiques du salariat. Si une diversité de
carrières se développe dans le travail salarié, une
diversité d'itinéraires s'organise donc autour de l'emploi
précaire et du chômage. On voit là tout ce qui peut mettre
en avant l'idée de crise du travail salarié.
2.2- De la multiplication des contrats de travail à
l'enchevêtrement des formes de travail
Les catégorisations et les
hiérarchisations sociales contenus dans les politiques publiques
empêchent de voir que l'activité jointe à ces contrats de
travail précaire est liée à d'autres activités. Les
politiques publiques de "réparation" sont toujours pensées dans
le cadre d'un système d'emploi révolu, et n'ont pas les moyens de
voir ce que la diversité des contrats de travail peut produire.
En effet, d'une part, les trajectoires des individus en
situation précaire ou au chômage apparaissent constituées
d'une succession de situations de travail et d'activités : contrats
de travail précaire, travail au noir, bénévolat.... Et
d'autre part, les itinéraires individuels contiennent des "empilements"
et des superpositions de ces formes de travail et d'activités.
Ainsi, le travail salarié, le travail
intérimaire, les emplois aidés, le travail au noir,
l'économie informelle apparaissent imbriqués les uns avec les
autres. Cet enchevêtrement ne peut pas être vu dans un cadre
d'analyse où le travail salarié y est pensé comme
dominant.
a. Épreuve de la précarité et
cultures de l'aléatoire
"La précarité
est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle
de l'emploi, permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs
obligations professionnelles, familiales ou sociales, et de jouir de leurs
droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut
être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus
ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande
pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle
devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses
responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même
dans un avenir prévisible" 2(*)
Dans un contexte de diversité et de chevauchement des
formes de travail et d'activité, des savoirs et des compétences
plus ou moins visibles surgissent : des savoirs de l'expérience
liés à la gestion des situations d'urgence où il faut
inventer des solutions rapides pour vivre ; des compétences
à recréer du lien social ; des compétences
liées à la lutte contre les insécurités et la
pauvreté.
En même temps que l'épreuve de
précarité devient de plus en plus dramatique, les
différents savoir-faire individuels peuvent être activés
autour de projets collectifs dans lesquels les individus apparaissent fortement
engagés et mobilisés. On voit alors des groupements se former,
s'organiser, définir des rôles et des statuts dans des espaces qui
naissent entre les marchés de travail, au centre et à la
périphérie des villes. L'apparition des cultures de
l'aléatoire qui découlent de la diversité des
expériences et des compétences individuelles et collectives
acquises dans des situations de précarité, de la gestion de
situations d'urgence et d'incertitude, en sera la manifestation
(Roulleau-Berger, 1999).
Les cultures de l'aléatoire ne doivent en aucun cas
être perçues comme des cultures marginales, mais comme des
cultures porteuses de changement social, voire d'innovations. Elles ne peuvent
être pensées comme des cultures de transition dans l'attente d'un
retour à une croissance forte, elles doivent être
considérées pour elles-mêmes (Caillé, Laville,
1996). Mais, à l'instar de Roulleau-Berger (1999), on ne sait jamais
à quel moment et comment elles peuvent évoluer vers des cultures
de la pauvreté ou permettre des formes d'intégration
professionnelle.
En revanche, quand des formes de travail et d'activité
s'ordonnent et se hiérarchisent, les cultures de l'aléatoire
rendent visibles des compétences qui peuvent être ensuite
mobilisées dans un processus d'intégration professionnelle.
La question de légitimation de cette diversité
de compétences construites dans l'épreuve de la
précarité reste donc bien la question centrale, l'enjeu politique
fort du moment.
b. Crise du travail salarié : quelle
mission pour l'État social ?
"L'État social prend
acte des effets pervers des régulations purement économiques et
de l'insuffisance des régulations morales". (Castel, 1995)
S'inspirant de l'idée selon laquelle la citoyenneté sociale
constitue le coeur de l'idée de l'État providence, Gøsta
Esping-Andersen, de son côté, met en avant le concept de
"démarchandisation" (decommodification). Ce dernier renvoi
à l'idée d'un détachement progressif du statut des
individus vis à-vis de la logique du marché. L'introduction des
droits sociaux modernes dans les sociétés capitalistes a
contribué à donner à chaque personne des moyens de vivre
indépendamment du marché, ce qui a permis de faire de chaque
citoyen autre chose qu'une simple marchandise échangeable. Cela dit,
chaque société a appliqué cette logique de
démarchandisation de façon spécifique et il est possible
de distinguer aujourd'hui plusieurs modèles.
La classification des régimes élaborée
par Gøsta Esping-Andersen permet d'en distinguer trois : le
modèle libéral, le modèle corporatiste ou
continental et le modèle social-démocrate ou
nordique.
Le premier se caractérise à la fois par des
allocations d'assistance sans condition des ressources, des transferts sociaux
à caractère universel modestes et un système d'assurances
sociales limité. L'État encourage le marché et se limite
à une intervention minimale pour assurer la protection sociale la plus
élémentaire et parfois même cherche à favoriser
l'essor des assurances privées. Il s'agit dans ce cadre d'un processus
de démarchandisation très faible.
Le modèle corporatiste est fondé, au contraire,
sur une faible participation des assurances privées. Les
indemnités sont presque entièrement dépendantes des
contributions issues du travail, donc la démarchandisation substantielle
n'est pas assurée de façon automatique. Ce sont les
indemnités qui déterminent le champ d'action des programmes
sociaux et par conséquent les limites du détachement
vis-à-vis du marché.
Enfin, basé sur le principe d'universalité des
droits sociaux, le modèle social-démocrate se situe au niveau de
démarchandisation le plus élevé. Ce système
favorise l'émancipation des individus par rapport aux lois du
marché, mais aussi par rapport au rôle de la famille.
Ainsi, l'Etat social intervient pour atténuer les
effets sociaux de la crise économique en fonction de sa mission
protectrice, mais les catégories sociales susceptibles de
bénéficier des transferts sociaux compensatoires sont
définis selon l'écart qui les sépare d'une norme qui reste
celle de l'emploi stable.
Pour ceux qui ne peuvent pas travailler, que ce soit pour des
raisons d'incapacité personnelle, ou faute d'emploi sur le marché
du travail, jusqu'où doit aller la garantie de revenu ? A-t-on
droit de vivre sans travailler ? Jusqu'où va l'échange de
droits et de devoirs (droit au revenu, devoir de travailler) ?
Le problème de la continuité de la protection
sociale, et, de façon plus générale, de la
sécurité économique des personnes renvoie
à la question des modalités d'accès aux ressources des
différents citoyens. Trois modalités de répartition
peuvent être distinguées. La première, de nature
économique, renvoie aux revenus que les individus tirent de leur
participation à l'activité productive. De nature
sociale, la deuxième modalité de répartition
renvoie aux transferts dont vont bénéficier les individus en
provenance d'institutions qui prélèvent et redistribuent des
revenus. La répartition domestique, enfin, regroupe tous les
transferts fondés sur un lien personnel entre l'émetteur et le
receveur, et renvoie donc principalement à la solidarité
familiale. Mais loin de s'exclure, les trois sphères de la
répartition se superposent en partie pour de nombreux individus.
Ainsi, la sécurité des revenus constitue, en
effet, l'aspect essentiel de la sécurité économique et
sociale des individus. Il faut alors mettre l'accent sur l'importance des
ressources issues des régimes collectifs de protection sociale et
chercher à apprécier l'indépendance de la
sécurité économique à l'égard du
marché de travail : c'est la démarchandisation au sens de
Gøsta Esping-Andersen (1990).
Comment évaluer alors les résultats des
politiques des Etats sociaux en ce qui concerne la protection qu'ils assurent
à leurs ressortissants contre les problèmes découlant des
divers aléas de l'existence ?
SECTION 3. À LA RECHERCHE D'UNE
ÉVALUATION DE LA SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE DES
CITOYENS : INDICATEURS DE LA SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE
La sécurité des
personnes (vivant dans un cadre territorial bien déterminé) peut
être appréhendée sur plusieurs plans. A l'instar de Castel
(2003), on peut distinguer les protections "civiles" qui garantissent les
libertés fondamentales et assurent la sécurité des biens
et des personnes dans le cadre d'un Etat de droit et les protections "sociales"
qui assurent la couverture contre les principaux risques susceptibles
d'entraîner une dégradation de la situation des individus - la
maladie, l'accident, la vieillesse - sans ressources.
Les mutations à l'oeuvre, subies par le marché
de travail, remettent en cause, aussi bien la norme d'emploi (à temps
plein, à durée indéterminée, de la grande
entreprise) que les systèmes de protection sociale.
Pour comprendre les liens entre les mouvements de la
société, leurs impacts sur les populations et les réformes
qui visent à les maîtriser, il est alors utile de disposer de
concepts et d'outils statistiques permettant d'évaluer le degré
de dépendance du sort des individus de la logique du marché.
Car les outils synthétiques que fournissent les comptes
nationaux s'avèrent insuffisants pour évaluer aussi bien les
sécurités que les insécurités économiques,
divers indicateurs synthétiques alternatifs ont vu le jour depuis les
années 1980 pour suppléer aux insuffisances du PNB par habitant.
Un premier essai résulte des travaux réalisés par
Gøsta Esping-Andersen (1990), pour justifier la validité de sa
typologie des systèmes de protection sociale. Une deuxième
tentative découle des travaux de Osberg et Sharpe (2002) qui ont
élaboré un "indicateur de bien-être économique"
dont un des objectifs essentiels est de montrer en quoi le PNB par habitant
procure une mesure du bien être économique largement soumise
à questions. Ayant pour objectif la comparaison des performances
relatives des différents Etats sociaux en matière de lutte contre
l'insécurité économique, Menaham3(*), a élaboré,
à son tour, un "Taux de Sécurité
Démarchandisée". Il s'agit d'un indicateur global qui permet
d'apprécier la part de la population ne disposant pas de revenus
suffisants pour assurer de nombreuses sécurités primordiales
telles que la capacité de disposer de moyens de se nourrir, se loger, ou
se vêtir.
En tenant compte à la fois des revenus issus de la
répartition économique (ressources issues des activités du
travail) et de ceux issus de la répartition sociale (revenus de
remplacement, remboursement, aides), Menahem et Cherilova (2005) ont mis au
point un ratio qui permet de cerner le degré de sécurité
économique, de personnes ou de groupes sociaux, appartenant à un
espace géographique donné sur une période bien
déterminée: il s'agit du Taux de Sécurité
Economique.
Après avoir énuméré certains
indicateurs on essayera dans ce qui suit de dégager certaines de leurs
caractéristiques ainsi que les principes qui sous tendent leurs
constructions.
3.1- L'indicateur de démarchandisation de
Gøsta Esping-Andersen
Les analyse de Esping-Andersen
sont fondées sur de multiples travaux historiques, sociologiques,
juridiques, économiques et, également, sur des études
statistiques. Afin d'évaluer le degré de démarchandisation
assuré par les différents systèmes de droits sociaux, il a
ainsi créé un « indicateur de
démarchandisation » qui lui permet de quantifier
jusqu'à quel point un Etat permet aux individus de ne pas
dépendre des valorisations du marché. Esping-Andersen
précise ainsi que, pour chaque prestation, un score de
démarchandisation est constitué par la prise en compte de
diverses variables : les une juridiques (règles
d'éligibilité à la capacité à avoir droit
à des ressources) ; les autres institutionnelles (les conditions de
durée de cotisation, la durée des droits garantis et la
période d'attente nécessaire pour obtenir un tel revenu) ;
et les dernières économiques (le niveau des revenus de
remplacement et la part individuelle du financement des prestations).
L'indicateur de démarchandisation résulte finalement de la
moyenne entre trois scores relatifs à trois domaines
différents : ceux relatifs aux pensions de retraite, aux prestation
d'assurance maladie et à l'assurance chômage, quand ils sont
pondérés par les pourcentages des populations concernées
couvertes.
3.2- L'indicateur de sécurité de l'indice de
bien-être économique de Osberg et Sharpe
Leur projet a le mérite
d'articuler des éléments de la comptabilité nationale avec
d'autres données provenant de certaines statistiques sociales. Son
principe consiste à faire la moyenne de quatre indicateurs
synthétiques, portant respectivement sur les flux de consommation au
sens large, les stocks de richesses (économique, humaine et
environnementale), les inégalités et la pauvreté
économique, et l'insécurité économique (risques
économiques liés au chômage, à la maladie, à
la vieillesse, et à ceux des familles monoparentales).
Pour évaluer l'insécurité, ces auteurs
ont fait le choix d'évaluer le risque subjectif d'anxiété
des individus à partir de quatre situations dont ils pouvaient
évaluer schématiquement le coût moyen, ce qui les obligeait
à faire quelques approximations et une hypothèse
économique qu'ils ont formulée ainsi : "le changement de
risque subjectif est supposé être proportionnel aux variation de
risque objectif". Le coût de la maladie a ainsi été
estimé par les seules dépenses médicales non
remboursées (ce qui laisse de côté le manque à
gagner consécutif aux arrêts de travail); celui des pertes
d'emploi a été obtenu à partir du taux de remplacement des
indemnités de chômage; celui du divorce et de la vieillesse
à partir des taux de pauvreté moyen des mères seules et
des personnes âgées.
A l'instar Menahem (2006), quelle que soit l'importance des
approximations réalisées, ces calculs ont l'avantage de procurer
des estimations réalistes de l'importance des insécurités
associées à quatre types de risque économique. D'où
la possibilité de modéliser, moyennant des approximations
supplémentaires, les variations de sécurité
économique des individus, opération qui n'était pas
permise par l'indice de démarchandisation de Esping-Andersen.
3.3- Le Taux de Sécurité
Démarchandisée (TSD)
Partant d'une approche directement économique
et globale, le projet de Menahem consiste en une comparaison des performances
relatives aux différents Etats sociaux en matière de lutte contre
l'insécurité économique des populations. Pour
l'évaluer, il procède par une estimation des volumes globaux des
revenus disponibles dont disposent les populations. Une telle donnée
permet en effet d'apprécier quelle est la part ne disposant pas de
revenus suffisants pour assurer de nombreuses sécurités
primordiales telles que la capacité à disposer des moyens de se
nourrir, se loger ou se vêtir.
Reprenant le concept de démarchandisation de
Esping-andersen afin d'évaluer la sécurité des
populations, Menahem part du point de vue des individus eux-mêmes en ce
qui concerne l'appréciation du niveau de leurs ressources et, en
particulier, pour prendre en compte le niveau où commence leur
insécurité économique.
a. Les principes de construction du Taux de
Sécurité Démarchandisée
Selon Menahem, le Taux de
Sécurité Démarchandisée (TSD) se fonde sur les six
principes suivants :
1. Considérer comme ressources de la
sécurité économique, indépendante des liens avec
les employeurs, les revenus démarchandisés provenant des
systèmes de protection sociale que les individus perçoivent tout
au long de leur vie adulte.
2. Prendre en compte les revenus de remplacement du travail
associés aux risques vieillesse, chômage, maladie,
invalidité ainsi que les pensions de réversion (veuvage).
3. Considérer les remboursements et aides en
nature : frais de maladie, charges familiales, aides au logement.
4. Prendre en charge les indemnités et aides en nature
mobilisées dans la lutte contre l'exclusion sociale (RMI, etc.).
5. Evaluer la sécurité relativement au niveau
moyen du revenu disponible des actifs ayant un emploi dans le pays, soit
précisément le revenu net d'impôts et de cotisations, et
comprenant les prestations famille, logement, maladie
6. Afin de prendre en compte l'insécurité
économique des personnes aux faibles revenus, Menahem considère
que les ménages dont les ressources par tête ne dépassent
pas le seuil de pauvreté dans le territoire considéré ont
un niveau de sécurité économique égal à
zéro.
Prenant en compte seulement les ressources indirectes issues
de droits sociaux, le taux de sécurité
démarchandisée permet de comparer les parts des
différentes sources de la sécurité économique.
D'une part, la sécurité démarchandisée issue de ses
trois sources principales qui sont les revenus de remplacement de travail
associés aux risques de vieillesse et de chômage nets de
prélèvements fiscaux, les remboursements et les aides en nature
associés aux frais de maladie et d'invalidité et les aides
à la famille et aux démunis correspondant aux mesures de lutte
contre l'exclusion; d'autre part, la sécurité marchandisée
provenant des revenus de l'activité professionnelle nets des
impôts sur le revenu.
La première des insécurités
économiques correspond à la pauvreté. Car en dessous d'un
minimum de ressources par tête, il n'y a pas de sécurité.
Pour prendre en compte cette insécurité, l'indicateur
pondère négativement la population en dessous du seuil de
pauvreté en lui affectant un revenu négatif dont le montant est
égal à ce seuil, soit 60 pour cent du revenu médian par
unité de consommation après prestations dans la définition
de l'Eurostat. Du point de vue des populations, cette insécurité
économique limite la capacité de bien-être et de survie.
Elle est le signe d'une mise en cause des capacités des institutions
ayant pour mission d'assurer aux individus une sécurité
indépendante des aléas du marché. Au niveau global, elle
doit donc être déduite de la sécurité
démarchandisée procurée par les diverses institutions
composant l'Etat social.
L'ensemble de ces considérations de méthode se
traduit dans des formules comptables permettant de calculer et comparer les
niveaux de sécurité économique des diverses populations.
Nous pouvons les présenter sous des formes plus ou moins
agrégées. D'abord, à un niveau très
macroéconomique, si nous appelons TSD le Taux de Sécurité
Démarchandisée et TIE le Taux d'Insécurité
Economique associée aux personnes vivant dans des ménages en
dessous du seuil de pauvreté, nous avons
TSD = S revenus de remplacement + S remboursements + S
aides - TIE
Pop adulte x Revenu dispo. Moy. des actifs ayant un emploi
|
Avec TIE = Population pauvre x 60% x
Revenu médian
Population adulte Rev. disp. moy. actifs employés
Une deuxième formule résultant d'une approche
partiellement désagrégée peut également être
présentée. En effet il est possible de décomposer la
population adulte en deux catégories selon le type de revenus
démarchandisés perçues : les individus qui touchent des
revenus de remplacement (indemnités de chômage,
d'invalidité, retraites et, par extension, pensions de
réversion); ceux qui touchent les aides et indemnités de lutte
contre l'exclusion. Sachant que chaque population doit être
pondérée par son importance statistique et qu'il faut ajouter
à ces revenus démarchandisés directs d'autres revenus
indirects correspondant aux remboursements de frais de maladie ou autres, nous
aurons la formule suivante:
TSD = % Retraités, chômeurs, invalides x Rev.
moy. de remplacement + Remboursements
Revenu dispo. moy. actifs employés
+ % Pauvres & Exclus x Aides & indemnités
contre exclusion + S remboursements
Revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi
- % Pop. pauvre x 60% x
Revenu médian
Revenu disp. moy. actifs employés
|
b. Construction du Taux de Sécurité
Economique
· Principes
fondateurs
Se basant sur une conception
relativement particulière de la sécurité
économique, par rapport à d'autres approches, Menahem et
Cherilova (2005) retiennent, en plus des principes qui fondent la construction
du taux de sécurité démarchandisée
développée plus haut, les ressources issues de l'activité
professionnelle.
· Etapes de calcul du Taux de
Sécurité Economique (TSE)
Dans une première
étape, on présentera le mode de calcul de Taux de
Sécurité Economique Brut (TSE B) ne prenant pas en compte les
problèmes de ressources insuffisantes, afin d'en déduire par la
suite le TSE net qui tient compte de la répartition de revenus et des
problèmes de pauvreté qui en découlent.
i/ Le calcul du TSE brut agrégeant des
ressources de diverses origines
Des formules pratiquement équivalentes rendent
compte de l'agrégation des diverses ressources qui concourent à
la formation de la sécurité économique.
La première est très macroéconomique et
considère le TSE Brut comme le rapport entre le revenu disponible moyen
de l'ensemble de la population adulte et une référence
représentant le niveau de vie "normal" dans le pays
considéré, le revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi:
TSE B = [Revenus d'activité +?revenus de remplacement
+?remboursements +?aides] /
[Population adulte x Revenu disponible moyen des actifs ayant
un emploi]
|
Pour mettre en exergue la relation entre la
sécurité économique marchandisée et celle
démarchandisée, le TSE brut peut être
décomposé de la façon suivante4(*) :
TSE B = Revenus d'activité +
(?revenus de remplacement +?remboursements +?aides)
Pop adulte x RDMAAE5(*) Pop adulte x RDMAAE
|
Ce qui donne :
TSE B = Taux de Sécurité Marchandisée
Brut + Taux de Sécurité Démarchandisée Brut
|
La deuxième formule prend en compte un premier niveau
de décomposition. Le TSE comme la somme des parts des différentes
catégories de revenus de la population adulte divisée par le
revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi. Ce procédé de
calcul revient à décomposer le revenu en différents
éléments et à définir des Taux de
Sécurité Economique pour chacun d'entre eux, toujours par rapport
au même dénominateur :
TSE B = TSE revenus de l'activité +? TSE remplacement
(chômage, retraite, invalidité) + ? TSE remboursement (maladie,
famille, logement) +? TSE aides contre l'exclusion
|
Une troisième formule considère le TSE brut
comme la somme des TSE partiels de différentes catégories de
populations, toujours relativement au revenu disponible moyen des actifs ayant
un emploi. Ce procédé revient à calculer, pour chaque type
de revenu, chacun des TSE bruts partiels et à les pondérer avec
les parts des populations concernées vis-à-vis de la population
adulte :
TSE B = ?Part popu concernée par un type de revenu x
Revenu moyen de la population
Population adulte totale x Revenu moyen des actifs
occupés
|
Ce mode de calcul nous donne la formule suivante si on
considère la population adulte comme la somme de diverses
sous-populations spécifiques touchant chacune divers revenus moyens,
d'activité, de remplacement, de redistribution ou d'aide, lesquels sont
toujours évalués relativement au « revenu disponible
moyen des actifs occupés ».
TSE B = Part pop active occupée + ?Part des inactifs
. Revenu de remplacement +
Revenu moyen d'un actif occupé
+ ?Part Pop aidée . revenu redistribué ou
aide
Revenu moyen d'un actif occupé
|
ii/ Pour en finir avec le calcul du TSE
Au total, le TSE peut être considéré comme
la somme des quatre types d'éléments suivants :
ü Le rapport entre la part de la population active ayant
un emploi et la population adulte.
ü La somme des parts de la population au chômage,
en retraite ou en invalidité multiplié par le taux de
remplacement rapportée au revenu disponible moyen des actifs.
ü La somme des parts de la population remboursée
en matière de santé, de famille, de logement, multiplié
par le taux de remboursements concernés, sur le revenu disponible moyen
des actifs.
ü La somme des parts de la population aidée (RMI,
allocation aux adultes handicapés ...) multipliée par le taux des
aides concernées sur le revenu disponible moyen des actifs.
Ainsi, le TSE nous permet d'apprécier l'influence sur
la sécurité du taux d'actifs ayant un emploi et du niveau de vie
relatif des inactifs par rapport aux actifs en le pondérant par la part
des inactifs dans la population adulte. Il fournit ainsi une mesure de la
sécurité économique des individus dans une perspective de
cycle de vie. Un taux de 100% correspondra à un pays où le revenu
disponible par tête des inactifs serait égal à celui des
actifs ayant un emploi. En outre, sa décomposition met en lumière
les différentes origines de la sécurité économique
des individus, permettant ainsi des comparaisons entre pays ou régions
et au cours du temps.
· Prise en compte de l'insécurité
des populations à faibles ressources
Le TSE brut ainsi calculé
ne tient pas compte des effets de répartition. Il pourrait très
bien se trouver proche de 100% malgré la présence de fortes
inégalités et donc d'importantes poches de misère, chez
les inactifs comme chez les actifs. Il faut donc amender le TSE brut par un
correctif. Un moyen simple de prendre en compte l'absence de
sécurité des personnes vivant en dessous d'un certain minimum se
ressources est d'évaluer forfaitairement leur insécurité
et d'en soustraire le montant du numérateur du TSE brut. Ainsi, plus la
population dont les ressources sont insuffisantes est importante, plus le TSE
d'ensemble de la population est pénalisé.
i/ Le TSE : de la prise en compte de
l'insécurité économique à la prise en compte de la
cohésion sociale
Dans leur construction du TSE, Menahem et Cherilova (2005) se
sont basés sur cinq principes normatifs de prise en compte de
l'insécurité. Ceci permettra une double prise en compte : d'une
part, la sécurité des populations dont les ressources sont
inférieures au seuil de pauvreté ne peut pas être
comptée positivement, d'autre part, cette sécurité doit
être comptée de manière d'autant plus négative que
les ressources des populations concernées sont plus inférieures
au seuil de pauvreté.
Le TSE d'ensemble doit viser davantage l'évaluation de
la cohésion sociale sur un territoire donné que celle de la
couverture des besoins de base. À cette fin, il se fonde sur la
situation relative des ressources par rapport au niveau de vie des concitoyens,
laquelle prend mieux en compte le souci du regard des autres que le niveau des
besoins de base. Ce principe entraîne le choix non d'un seuil absolu mais
d'une certaine proportion du revenu disponible médian sur le territoire
considéré;
Si on choisi de considérer que toute la population
disposant de ressources inférieures au seuil de pauvreté est
également pénalisée d'un même montant de 0.6
RDAAE6(*), on aboutit
à une approximation linéaire de l'accroissement du déficit
de sécurité : celui-ci est proportionnel à
l'importance du montant de revenu manquant pour atteindre le seuil de
pauvreté.
Ces cinq principes se traduisent dans la formule suivante du
TSE :
TSE = TSE B - 0.6 x Part de la population en-dessous du seuil de
pauvreté
|
3.4- Au-delà de l'insécurité
économique : de la précarité à l'exclusion
D'après ce qui
précède, la référence omniprésente au
marché de travail renvoie à l'analyse de l'exclusion et à
celle de la précarité. L'exclusion se caractérise par une
double appartenance : être pauvre et sans activité
économique et/ou sociale. Et malgré son caractère
évolutif, elle se construit sur une base stable, la mise à
l'écart de tout mode de production et de consommation, qui traduit en
termes économiques la rupture du lien social avec le reste de la
collectivité. A l'exclusion vient s'ajouter la notion de
précarité qui renvoie à la situation par rapport au
marché de travail.
a. Catégories des situations vis-à-vis
de l'emploi et du revenu
Emploi stable et revenu satisfaisant
Double précarité
Emploi stable et revenu précaire
Emploi précaire et revenu satisfaisant
Chômeur et revenu satisfaisant
Chômeur et revenu précaire
Exclus
Emploi précaire et pauvre
Emploi stable et pauvre
Ligne de chômage
Ligne de pauvreté
Emploi
Revenu
Lignes de précarité
![]()
Fig. 1 : Catégories des situations
vis-à-vis de l'emploi et du revenu7(*)
b. Commentaires
La
sécurité économique, telle qu'elle a été
définie, permet de mettre en exergue deux phénomènes.
D'abord la distinction de la précarité de la pauvreté.
Ensuite, le cumul de diverses précarités conduit à la
grande pauvreté. Cependant, cette acception est problématique. Le
rapprochement entre les notions de précarité et pauvreté
montre que cette dernière reste une situation constatée, tandis
que la première est un état accentué du risque de
pauvreté (Ballet, 2001).
Ballet (2001) retient uniquement l'instabilité des
ressources et de la situation professionnelle comme indicateurs de la
précarité ; pour la pauvreté, il retient une mesure
qui correspond à un seuil et pour le chômage (ou
l'inactivité) un seuil d'heures travaillées. Ainsi il est
possible de faire un découpage de la population qui fait
apparaître les différences entre les situations de
pauvreté, de précarité et d'exclusion.
La figure ci-dessus contient quatre lignes permettent le
découpage de la population. Deux lignes de précarité
associées au revenu et à l'emploi, une ligne de pauvreté
et une ligne de chômage. Par exemple, au dessus de la ligne de
précarité de l'emploi, les populations disposent d'un emploi
stable, mais leur revenu est variable. A gauche de la ligne de pauvreté,
on trouve les individus disposant d'une stabilité de l'emploi mais dont
le revenu est inférieur au seuil de pauvreté. On peut alors
observer quatre ensembles de précarités distincts. Les exclus
sont eux caractérisés par un ensemble se situant à la fois
sous la ligne de pauvreté et sous la ligne de chômage.
Les sous-ensembles de populations définis de la sorte
sont évidemment fortement dépendants du choix des lignes,
c'est-à-dire des critères et du niveau retenu pour chacun d'eux.
Par exemple, ici une ligne de chômage est retenue. On suppose
implicitement que le chômage constitue un indicateur de rupture du lien
social. Ceci signifie qu'il n'y a pas une assimilation entre exclusion et
chômage de longue durée. Certaines personnes dont le séjour
au chômage est inférieur à 12 mois peuvent être
considérées comme exclus. Cette situation peut correspondre au
cas de certains jeunes n'ayant jamais travaillé, et de ce fait n'ayant
aucun droit à des prestations de remplacement de l'emploi. L'association
traditionnelle entre exclusion et chômage de longue durée
supposera alors vérifiées deux relations. D'abord quand le
chômage se prolonge la pauvreté s'accroît. Ensuite, la
prolongation de la durée de séjour au chômage contribue
à la détérioration du lien social entre l'individu et la
collectivité.
Deux grands axes révélés par ce qui
précède retiennent notre attention; correspondant chacun à
une dimension particulière de la relation entre l'exclusion et
l'insécurité économique. Il s'agit du chômage de
longue durée et du capital social entendu comme l'ensemble des relations
sociales d'un individu. Chacun d'entre eux renvoie à sa manière
à un débat sur la politique économique et sociale.
Le premier axe souligne que l'exclusion correspond à
une forme d'enclavement. La prolongation de la période de chômage
rend de plus en plus improbable le retour à l'emploi. Autrement dit, on
observe une certaine inertie du chômage de longue durée. Cette
inertie est d'autant plus forte que les personnes sont au chômage depuis
longtemps.
Le second axe porte sur les relations sociales des personnes
exclues. Dans cette optique, la politique sociale est un complément
nécessaire de la politique économique. Ainsi et à l'instar
de Ballet (2001), une politique sociale centrée sur la construction de
relations entre les individus appartenant d'un même groupe social,
autrement dit d'un "capital social", semble assez pertinente.
Plusieurs conséquences directes peuvent être
avancées à partir de ce constat. Il paraît d'autant plus
important pour les exclus dont le capital humain est faible, et qui donc ne
peuvent compter sur cet actif pour sortir de leur situation, de rétablir
un niveau de capital social suffisant au déclenchement du
mécanisme inverse d'insertion. Ainsi Ballet constate que la persistance
d'un taux de chômage à un niveau élevé et
l'hystérésis du taux de chômage naturel sont
liées à la faiblesse du capital social. Donc, de manière
désormais claire, la politique de l'emploi, à elle seule, ne peut
suffire à régler le problème et par suite, l'extension de
la protection sociale constitue un facteur déterminant du progrès
social car elle permet de satisfaire, dans la dignité, les besoins
essentiels des citoyens. Cependant, cette extension ne doit pas se limiter
à la mise en place de législations, certes nécessaire,
mais doit mettre en oeuvre les conditions propices pour que son application
soit effective et chercher à faciliter l'adaptation des systèmes
de protection sociale à des situations particulières tels que les
travailleurs du secteur informel et constituer ainsi des filets de
sécurité nécessaires au cas où la
sécurité sociale serait inopérante. Ceci sera
concrétisé enfin dans l'exposé des enseignements à
tirer de l'étude de certaines caractéristiques du marché
de travail en Tunisie (informel, dualisme) ainsi que de l'évaluation du
taux de sécurité économique associé à l'Etat
social en Tunisie.
CHAPITRE II :
MARCHÉ DE TRAVAIL EN TUNISIE : INFORMEL,
DUALISME : DESTRUCTION DU SALARIAT ET ÉMERGENCE DES GROUPES
À INSÉRER
L'analyse des transformations des
structures de production et des systèmes de relations
socioprofessionnelles est, depuis quelques années, une
préoccupation centrale pour les chercheurs. Le présent chapitre a
pour objectif l'étude de la façon dont le secteur informel, en
Tunisie, est pris en compte dans les relations professionnelles, en insistant
sur la nécessité de prêter une attention plus grande au
processus du développement du travail informel dans ce pays, pour mieux
l'intégrer dans les régimes de protection sociale.
On essayera alors de souligner le rôle essentiel
joué par les restructurations du secteur informel qui s'inscrivent dans
la politique générale de promotion de l'emploi en Tunisie.
On verra, par ailleurs, qu'il existe une certaine relation
entre la précarisation de l'emploi, le développement du travail
informel et l'émergence d'une dimension duale au sein du marché
de travail en tunisie.
En effet, le marché de travail est
généralement scindé en deux secteurs complètement
opposés en matière de protections institutionnelles
associées aux emplois. Le premier secteur, qualifié de
« protégé», est réputé par ses
salaires relativement élevés, un emploi stable ainsi que des
perspectives importantes de carrière. Le second, qualifié de
« non protégé », est relativement
caractérisé par des salaires faibles, une forte rotation de la
main d'oeuvre ainsi que l'absence de perspective de carrière au sein de
l'entreprise8(*) .
Les mutations à l'oeuvre, subies par le marché
de travail, remettent en cause la norme d'emploi (à temps plein,
à durée indéterminée, de la grande entreprise). Par
là, la montée du chômage et d'autres formes d'emploi (temps
partiel, contrats à durée déterminée) fragilisent
l'Etat social. En effet, la mise en place de régimes de
sécurité sociale est certes un élément essentiel de
l'extension de la protection sociale, mais elle demeure inopérante si
les personnes visées n'adhèrent pas à ces régimes
(où n'y cotisent pas) d'où l'importance d'évaluer la
couverture réelle des catégories de la population
concernée par les régimes de sécurité sociale.
Sur ce plan, les résultats enregistrés par la
Tunisie restent relativement mitigés. Si des performances ont
été réalisées au niveau du secteur
protégé, les résultats restent en deçà de ce
qui est attendu dans d'autres secteurs.
SECTION 1 : LE SECTEUR INFORMEL, QUELLE
ÉTENDUE EN TUNISIE ?
Il y a des domaines que la théorie économique
est incapable d'appréhender sans investigations empiriques. A ce titre,
le secteur informel constitue un champ d'intérêt pour les
recherches empiriques qui essayent de déterminer les comportements et la
rationalité des agents opérant dans ce secteur. Ainsi la
théorie dualiste opposant secteur moderne et secteur traditionnel
s'avère caduque et insuffisante pour analyser le secteur informel.
Parmi les questions autour desquelles s'articule le
débat sur le secteur informel, on peut évoquer celles relatives
à la définition du secteur, à la délimitation de
son contour, aux tentatives de quantification de certains de ses aspects,
à la possibilité de l'intégrer dans la comptabilité
nationale. Se posent également des interrogations ayant trait au
rôle que peut jouer ce secteur dans un schéma de
développement et de croissance économique dans les pays dits
"sous développés", rôle que les organisations
internationales comme le FMI ou la Banque mondiale semblent considérer
comme déterminant.
Afin de contribuer à une meilleure connaissance du
secteur informel en Tunisie on commence par essayer de le définir ainsi
qu'aux principaux facteurs qui ont contribué à son
développement, éléments indispensables pour pouvoir
comprendre les origines historiques et les fondements
politico-économiques de certaines pratiques et de certains aspects
réglementaires.
1.1- Secteur informel : définition et motifs de
développement
a.
Définition
Les pays ont des
définitions différentes du secteur informel, c'est pourquoi il
s'avère difficile d'évaluer son ampleur. « Il est
constitué par un ensemble de petites activités légales ou
illégales tolérées visant deux niveaux d'objectifs : il
s'agit, d'un côté, de permettre le développement de
l'auto-emploi et celui d'entreprises susceptibles d'assurer un revenu minimum
aux actifs qu'elles emploient, et ce malgré l'hostilité de
l'environnement économique et financier. D'un autre côté,
il vise la recherche d'un maximum de profit même si l'on ignore les
règles classiques et élémentaires du calcul
économique. Ces règles seront apprises, progressivement, par
tâtonnement et par la pratique, mais il s'agit d'un apprentissage partiel
et rudimentaire » (Ben Zakour et Kria, 1992).
b. Motifs du développement du secteur
informel
· Cas général des pays sous
développés
Il y a lieu d'évoquer les
raisons qui sont susceptibles de contribuer au développement du secteur
informel dans le monde de façon générale. Parmi ces
raisons, on peut trouver que l'économie informelle croît là
où le développement économique se fait attendre.
Cependant, le BIT a estimé que la part de l'emploi non agricole
détenue par l'emploi informel vers la fin des années
quatre-vingt-dix était de 48 pour cent en Afrique du nord, de 72 pour
cent en Afrique subsaharienne, de 51 pour cent en Amérique latine et de
65 pour cent en Asie. De récentes études du BIT font
apparaître certains éléments prouvant que l'économie
informelle diminue progressivement dans les économies d'Asie de l'Est et
du Sud-Est à croissance rapide, où l'expansion du secteur
manufacturier est le moteur du développement. Dans les pays à
croissance plus lente, surtout en Afrique et en Amérique latine, les
principales augmentations de l'emploi sont dans les services, en particulier
dans le petit commerce informel9(*).
De même, les crises financières et leurs
systèmes de propagation ont des conséquences néfastes pour
les travailleurs et les entreprises, en particulier dans les pays en voie de
développement. La dégradation des changes conjuguée
à une hausse du coût des emprunts en devises
étrangères, à l'affaiblissement de la demande
intérieure, à une moindre utilisation des capacités
productives et à une hausse des taux d'intérêt,
pénalise lourdement les entreprises et peut dévier certains pays
en développement de leurs trajectoires de croissance. Une telle
situation induit à son tour une baisse des salaires réels, une
montée du chômage déclaré et un recul de l'emploi
formel au profit de l'emploi informel.
En plus, pour les pays où la couverture sociale est
absente ou très peu développée, l'économie
informelle fournit un moyen de subsistance aux hommes et femmes qui ont peu
d'autres options pour survivre.
· Cas particulier de la Tunisie
- l'échec du collectivisme
comme choix de régime économique et la libéralisation de
l'économie tunisienne à partir de 1970 ;
- l'impossibilité pour le secteur moderne d'offrir des
emplois à un nombre relativement important de jeunes et notamment aux
non-qualifiés ;
- l'aggravation de la situation par l'exode rural qui
déverse dans les grandes villes une population à la fois
nombreuse et sans qualification professionnelle ;
- l'éducation et l'émancipation de la femme ont,
de leur coté, accru la pression sur le marché de l'emploi. On
peut alors se demander quant à leur effet sur l'emploi dans le secteur
informel ;
- l'emploi dans le secteur informel n'exige ni de lourds
investissements financiers ou matériels ni une grande formation
professionnelle ;
- le développement du secteur touristique et de
l'artisanat a engendré beaucoup d'activités facilement
accessibles pour la micro-entreprise.
Au-delà des facteurs « objectifs »
précédents, des facteurs en rapport avec le comportement des
entrepreneurs eux-mêmes et avec le dynamisme du secteur informel, comme
sa grande et rapide capacité d'adaptation, ont également leur
importance dans le développement du secteur. En effet, la volonté
de créer soi-même son emploi quelles que soient les contraintes
d'ordre juridique, institutionnel ou économique, constitue
l'élément moteur de l'action de l'entrepreneur.
En vue de clarifier l'ensemble des éléments
présentés ci-dessus, de les confirmer ou de les infirmer on
commence par présenter le cadre institutionnel dans lequel
s'insère l'entreprise du secteur informel en Tunisie pour évaluer
ensuite l'ampleur de la distorsion entre le cadre légal existant et les
comportements réels en appréciant le degré de respect de
cette législation afin de démontrer en définitive l'impact
du cadre institutionnel tunisien sur le fonctionnement des entreprises du
secteur informel.
1.2- Cadrage institutionnel du secteur informel en
Tunisie
a. La législation
du travail
Dans le cadre de la promotion de
la politique d'emploi et d'encouragement de la petite entreprise et des petits
projets d'investissement (auto-emploi), l'Etat tunisien a mis en place un
dispositif qui peut être subdivisé globalement en trois
composantes :
· L'extension du régime de sécurité
sociale aux travailleurs indépendants exerçant leur
activité dans le secteur non agricole. Cette extension concerne entre
autres tous les petits entrepreneurs, tous les travailleurs
indépendants, les artisans et même les vendeurs ambulants.
· La promotion des activités d'apprentissage est
organisée dans tous les secteurs de l'économie, industrie,
commerce, artisanat et agriculture et il s'adresse aux jeunes âgés
entre 14 et 18 ans qui ont quitté le système scolaire et
possèdent au minimum le niveau de la 5e année de l'enseignement
primaire. Des avantages sont accordés aux entreprises qui recrutent des
apprentis allant des exonérations fiscales aux subventions tout en
passant par une prise en charge de l'assurance contre les accidents.
· La mise en place du Fonds National de l'Artisanat et
des Petits Métiers (FONAPRAM) qui a pour mission la promotion les
projets d'investissement dans le secteur productif de la petite entreprise.
Sont éligibles, à l'aide du FONAPRAM, les projets nouveaux qui
s'inscrivent dans la politique générale de promotion de
l'emploi.
Au terme de cet examen global du cadre institutionnel nous
pouvons affirmer, que toutes les conditions réglementaires
étaient prévues pour :
- garantir une qualification minimale pour l'exercice d'une
activité informelle et pour fixer les conditions d'exercice de
l'activité ;
- assurer une protection sociale des travailleurs par une
législation du travail qui fixe le SMIG, les conditions d'affiliation
à la sécurité sociale et les conditions d'âge ;
- garantir à l'État les recettes fiscales tout
en appliquant des taux avantageux au secteur informel ;
- fixer les conditions de financement et de crédit d'un
secteur que l'État vise à promouvoir puisqu'il est
créateur d'emplois.
Ainsi, il existe en Tunisie un cadre réglementaire qui
vise l'assurance d'une bonne organisation et d'un bon encadrement du secteur
informel. Mais dans la réalité, ces textes de lois sont-ils
appliqués ?
En réalité, on observe un certain laxisme
délibéré de la part des autorités quant à la
non-application de certaines dispositions réglementaires. Ce laxisme est
justifié par des considérations économiques et sociales
telles que le souci de préserver des emplois, d'assurer la survie de
certains petits métiers ou de dynamiser certaines régions
défavorisées.
b. Tendances du travail informel en
Tunisie
L'emploi informel est
principalement occupé, d'une part, dans les branches d'activité
employant une main d'oeuvre salariée nombreuse et peu
protégée (bâtiment, textile-confection-cuir, transport)
dont l'activité peut être de caractère saisonnier ou
régulier, d'autre part, dans les branches d'activité employant
une main d'oeuvre non salariée (services, dont réparation, et
commerce de détail). L'observation des statistiques des tendances
récentes (les deux dernières décennies) du secteur
informel en Tunisie (Tableaux 1, 2 et 3) fait ressortir l'ampleur de l'emploi
informel qui est relativement élevée et en augmentation entre les
années 1980 et 1990. En effet, le taux d'emploi informel en Tunisie
(actifs occupés non agricoles) avait passé de 36% au cours des
années 1980 à 39% au cours des années 1990. Sa
contribution au PIB national s'avère non négligeable du fait
qu'elle s'élève à près du quart du PIB non agricole
en 1997. En plus, ce secteur en Tunisie se caractérise par une forte
productivité apparente10(*) dans le secteur des services (80% en 1997) par
rapport au secteur secondaire (20% en 1997), pourcentage qui dépasse de
loin la moyenne de la productivité apparente de l'informel en Tunisie
(54% en 1997).
L'amplitude du secteur informel dépend, entre autres,
des tendances socio-démographiques, de la qualité du capital
humain et de l'accumulation du capital physique, de la structure sectorielle
(importance du secteur privé « labour intensive »,
degré de sous-traitance), des réglementations
préexistantes et en cours (encouragement et promotion de
l'activité productive) et des politiques élaborées
(répartition des revenus, fiscalité, protection sociale).
Vue d'ensemble de certaines caractéristiques du
secteur informel en Tunisie
Tableau 1 : Tendances de la
population active, chômage et de l'emploi informel en Tunisie
Tx de croissance annuel
|
Tx de chômage national
|
Tx d'emploi informel (actifs occupés
non agricoles)
|
PNB/tête
1980 - 1993
|
Pop. active 1980 - 1995
|
Années 1990
|
Années 1980
|
Années 1990
|
1.2%
|
2.8%
|
16.8%
|
36.0%
|
39.3%
|
Tableau 2 : Part du secteur
informel dans le PIB (total et non agricole) en Tunisie (1997)
Emploi non agricole
|
PIB non agricole
|
Emploi total
|
PIB total
|
48.7%
|
22.9%
|
37.8%
|
20.3%
|
Tableau 3 :
Productivité apparente du secteur informel : PIB non agricole
informel / emploi informel en Tunisie (1997)
Secondaire (%dans l'informel)
|
Tertiaire (% dans l'informel)
|
Secteur informel (% du PIB non agricole)
|
Taux d'emploi informel
|
Productivité apparente de l'informel
|
20%
|
80%
|
22.9%
|
48.7%
|
54.4%
|
Source pour Tableaux 1, 2 et 3 : Charmes (2002)
c. Quelle est la relation
entre les secteurs d'activité formels et informels ?
À l'instar de Adair et
Hamed la théorie dualiste, inspirée du modèle de Lewis
(1954), postule l'existence d'une séparation entre le secteur informel
et le secteur formel qui se traduit par le maintient des disparités
endogènes - de statut, de revenu et de financement - sur les trois
marchés (du travail, des biens et du crédit).
Sur le marché de travail (champ de notre étude),
la segmentation varie selon le statut des actifs
considérés : salariés ou non salariés,
employeurs ou indépendants à compte propre. Le salaire
réel n'est pas nécessairement une variable discriminante :
si les revenus des salariés du secteur informel urbain sont globalement
plus faibles que ceux du secteur formel, cela concerne surtout les
salariés non permanents. Si les externalités positives en termes
de capital humain du secteur formel bénéficient encore peu au
secteur informel, le niveau d'éducation des microentrepreneurs demeurant
faible, la mobilité professionnelle se manifeste tant du formel vers
l'informel que dans le sens inverse ; la mobilité est toutefois
plus marquée pour les salariés qui passent du secteur formel vers
le secteur informel et deviennent indépendant ou ceux qui sont
pluriactifs.
L'extension de la conception dualiste du marché du
travail a donné naissance à plusieurs formes dichotomiques allant
de l'opposition traditionnelle rural/urbain à une opposition plus
institutionnalisée privé / public en passant par la forme la plus
«féconde» entre formel/informel qui se développe
surtout dans le milieu urbain.
SECTION 2 : MARCHÉ DE TRAVAIL EN TUNISIE,
QUELLE AMPLEUR DU DUALISME ?
2.1- Présentation du
phénomène : Enseignements de la théorie
La théorie dualiste du
chômage a essayé d'apporter des éléments de
réponse sous-jacents à la mobilité de la main d'oeuvre en
termes de différentiel salarial et de probabilité de trouver un
emploi en milieu urbain (par rapport au milieu rural). Cette théorie
rejoint enfin celle du "job search" dans une situation d'information
imparfaite (Stark, 1997). En effet, la recherche est d'autant plus fructueuse
que le temps qui lui est consacré est grand : un chômeur est
alors censé avoir une plus grande probabilité d'être
embauché par une firme proposant un "bon emploi" qu'un actif
occupé dans un "emploi secondaire" (travail à domicile, travail
ambulant ...). Ainsi, le chômage s'il existe serait le produit de la
recherche d'emploi dans les segments privilégiés du marché
de travail : il est donc quasi-volontaire.
Dans sa forme dualiste, le marché du travail n'a rien
de walrasien. Les écarts salariaux observés ne sont pas
nécessairement expliqués par des différentiels de
productivité. Il est généralement admis, à cet
égard, que le marché du travail est scindé en deux
secteurs complètement opposés en matière de protections
institutionnelles associées aux emplois. Le premier est
généralement réputé par ses salaires
élevés, la forte stabilité de l'emploi et des perspectives
importantes de carrière. Le second, naturellement secondaire, est
caractérisé par des salaires relativement faibles, une forte
rotation de sa main-d'oeuvre et l'absence de perspectives de carrière au
sein de l'entreprise.
Ceci étant une vision théorique du
phénomène de dualisme. Un examen plus détaillé
(approche par stratification) de l'économie tunisienne nous permet de
déceler le caractère dual de l'économie tunisienne. En
effet, la subdivision des postes occupés en fonction de leur
appartenance à des secteurs protégés (sous tutelle de
l'Etat) ou à des secteurs non protégés (appartenant, de
façon générale, au secteur privé) nous permet
mettre en exergue le caractère dual de l'économie tunisienne en
la stratifiant selon des critères bien déterminés tel que
le milieu d'exercice de l'activité productive, le sexe du travailleur,
son niveau d'instruction etc.
2.2- Marché du travail en Tunisie : de la
segmentation à la stratification
a. Mode opératoire
de l'étude
Le mode opératoire
poursuivi dans l'étude qui suit consiste en une stratification
du marché de travail tunisien selon des caractéristiques des
emplois occupés. Une telle démarche pourrait mieux rendre compte
des réalités du fonctionnement du marché de travail en
Tunisie et permettre l'analyse de la vulnérabilité
associée à l'occupation d'un poste de travail. Ainsi nous serons
en mesure de dresser un panorama relatif à la sécurité
de revenu du travail salarié en Tunisie, composante primordiale de
la matrice de la sécurité économique des personnes.
La mise en évidence de la structure segmentée du
marché du travail repose sur une démarche à deux niveaux.
Elle couple, à la fois, entre une définition des variables, de
leurs caractéristiques ainsi que d'une sorte de stratification d'un
échantillon représentatif de la population effectivement
employée en Tunisie. Les données à la base de cette
étude proviennent de l'enquête population-emploi
réalisée par l'Institut National de la Statistique (INS) en 1999.
Il s'agit d'un échantillon de 5979 salariés tiré d'une
base nationale couvrant des individus des deux sexes, âgés de 15
ans ou plus, de 125 000 ménages. Tout le territoire tunisien est
représenté par ses deux milieux urbain et rural. Les informations
disponibles renseignent sur les caractéristiques des individus (sexe,
âge, milieu, niveau d'instruction, état matrimonial) et sur
l'emploi occupé (secteur d'activité, rythme de travail, mode de
paiement et salaire).
L'étude montre que 72% des postes de travail
occupés sont accaparées par le milieu urbain alors que le monde
rural n'en recèle que 28%. De plus, l'économie tunisienne est, en
moyenne, caractérisée par une hégémonie d'un rythme
de travail permanent qui représente 88% alors que les activités
conjoncturelles et saisonnière n'en représentent que
respectivement 11% et 1%.
Pour montrer le caractère précaire de la
relation de travail, nous procèderons dans un premier temps par des
représentations graphiques de certaines variables tels que le rythme de
travail ainsi que le mode de paiement en se basant sur les données
numériques du tableau d'ensemble qui suit.
Descriptif du marché de travail
tunisien
|
Stratification des écarts salariaux entre
emplois protégés et emplois non protégés
|
Variable
|
Moyenne
|
Secteur protégé
|
Secteur non protégé
|
Total
|
|
Salaire mensuel moyen (en TND)
|
Ecart salarial moyen (en %)
|
Milieu
Urbain
Rural
|
72%
28%
|
80.4%
19.6%
|
36.2%
63.8%
|
72.3%
27.7%
|
Variables
|
Empois protégés
|
Emplois non protégés
|
|
Genre
Homme
Femme
|
-
-
|
71.8%
28.2%
|
94.0%
6.0%
|
75.9%
24.1%
|
Ensemble des salariés
Urbain
Rural
Homme
Femme
Niveau d'instruction
- Primaire
Urbain
Rural
Homme
Femme
- Secondaire
Urbain
Rural
Homme
Femme
- Supérieur
Urbain
Rural
Homme
Femme
Rythme de travail
- Permanent
Urbain
Rural
Homme
Femme
|
275.874
287.053
229.884
290.016
239.822
198.157
202.410
182.948
212.407
162.264
287.642
290.978
267.958
304.167
245.333
500.454
512.332
421.133
529.170
440.188
276.620
288.048
229.789
290.938
240.270
|
161.754
165.871
159.422
164.652
116.575
163.522
170.366
159.088
164.794
132.041
171.700
183.774
159.275
174.029
92.500
236.666
-
-
-
-
180.532
181.629
180.057
182.672
139.761
|
70.55%
73.05%
44.19%
76.13%
105.72%
21.18%
18.80%
14.99%
28.89%
22.88%
67.52%
58.33%
68.23%
74.77%
165.22%
111.46%
-
-
-
-
53.22%
58.59%
27.62%
59.26
71.91%
|
Niveau d'instruction
Néant
Primaire
Secondaire
Supérieur
|
-
-
-
-
|
10.6%
34.2%
41.1%
14.1%
|
30.5%
56.4%
12.8%
0.3%
|
14.1%
38.4%
35.9%
11.6%
|
CSP
Cadre supérieur
Prof intellectuelle
Prof intermédiaire
Employé administratif
Service domestique
Agric & Pêcheur
Artisan
Agent d'exécution
Ouvrier non qualifié
|
3%
6%
12%
9%
11%
3%
12%
15%
29%
|
3.5%
7.4%
14.7%
11.0%
13.3%
2.4%
11.5%
18.1%
18.1%
|
0.0%
0.1%
0.2%
0.0%
0.9%
5.3%
15.7%
1.9%
75.9%
|
2.9%
6.1%
12.0%
9.0%
11.0%
2.9%
12.3%
15.1%
28.7%
|
Secteur d'activité
Agriculture & pêche
Industries extractives
Industries manufac.
Electricité, eau & gaz
Commerce
Transport & télécom
Activités finacières
Adminis. publique
Service collectif
|
21%
7%
3%
16%
13%
6%
15%
15%
4%
|
22.3%
7.3%
3.6%
4.7%
14.6%
6.7%
18.1%
18.4%
4.3%
|
22.5%
3.9%
0.5%
65.3%
3.2%
1.6%
1.0%
0.4%
1.9%
|
22.3%
7.1%
2.6%
15.8%
12.5%
5.8%
15.0%
15.1%
3.8%
|
Rythme de travail
Permanent
Conjoncturel
Saisonnier
|
88%
11%
1%
|
99.3%
0.5%
0.2%
|
38.4%
57.6%
4%
|
88.1%
11.0%
1.9%
|
Mode de paiement
Mensuel
Hebdomadaire
Journalier
Forfaitaire
|
81%
4%
13%
2%
|
96.4%
1.8%
0.9%
0.9%
|
18.6%
11.5%
65.2%
4.7%
|
82.2%
3.6%
12.6%
1.6%
|
CSP
- Artisan
- Ouvrier non qualifié
|
222.303
163.106
|
221.825
146.620
|
20%
11.24%
|
Total
|
100%
|
81.7%11(*)
|
18.3%12(*)
|
100%
|
Tableau 4 : Marché de
travail en Tunisie : Description et stratification des écarts
salariaux. Source : d'après Sboui.
F12(*).
b. Résultats et commentaires
L'examen des données du
tableau 1 nous permet d'identifier les secteurs d'emploi qui dualisent le
marché du travail en Tunisie.
Le secteur protégé occupe, d'après
l'échantillon étudié, près de 82% du total de
l'emploi en Tunisie. Il est composé par des occupations majoritairement
localisées dans le milieu urbain (80%). Le sexe féminin y est
relativement fortement représenté dans la mesure où les
femmes occupent 28% des postes dans ce secteur, ce qui est supérieur
à leur taux de présence dans l'échantillon des
salariés dans son ensemble (24%). Une part relativement importante de
salariés, soit 14%, a atteint le niveau supérieur. En revanche,
le niveau d'instruction dominant est celui du secondaire (41%). La
totalité des cadres supérieurs, qui constitue une part de 3% des
emplois de l'échantillon, est occupée par le secteur
protégé. Le secteur agriculture et pêche se trouve à
son tour à la tête des employeurs dans ce premier segment de
travail (22% des emplois), suivi par l'administration publique et les
établissements financiers qui détiennent chacun 18% des emplois.
Les salariés de ce groupe bénéficient d'une
stabilité de l'emploi dans la mesure où près de 99%
exercent des activités permanentes et 96% touchent des salaires en
mensualité.
Les caractéristiques de ces emplois, notamment la
stabilité, légitiment leur qualificatif de
protégés.
En contrepartie, le secteur non protégé occupe
18,3% des emplois de l'échantillon étudié. Il concerne
surtout les hommes (94%) dans le milieu rural (64%), avec un niveau
d'instruction, souvent, inférieur ou égal à un niveau
primaire (87%). Les ouvriers non qualifiés et les artisans occupent
ensemble la majorité écrasante des emplois dans ce secteur, soit
(92%). Les emplois de ce secteur sont relativement moins stables. En effet, 61%
d'entre eux s'exercent à titre conjoncturel ou saisonnier et 70% des
paies de ce secteur s'effectuent à la journée ou
forfaitairement.
Ce secteur d'emploi, vraisemblablement plus
vulnérablement exposé aux forces de la concurrence, mérite
le qualificatif de non protégé.
2.3- Panorama des écarts salariaux
inter-sectoriels
Afin de mieux approcher la
dimension dualiste, au sein du marché de travail tunisien,
évoquée plus haut, il s'avère crucial de mettre l'accent
sur la question de la différence de rémunération entre les
catégories socio-professionnelles. Le tableau ci-dessus présente
les résultats d'une comparaison des salaires moyens pour certains
critères tel que le d'instruction, le rythme de travail et le statut
professionnel pour des groupes d'emploi ayant les mêmes
caractéristiques. La distinction urbain/rural et homme/femme a
été établie pour les critères niveau d'instruction
et rythme de travail.
Premièrement, l'écart salarial moyen entre les
emplois protégés et ceux non protégés
s'accroît avec le niveau d'instruction. Il est respectivement, en
moyenne, de 111%, 67% et 21% pour, respectivement les salariés à
niveau d'enseignement supérieur, secondaire et primaire. Cette
observation reste vraie pour les milieux rural et urbain ainsi que pour les
deux sexes. Par ailleurs, l'avantage relatif des salariés du secteur
protégé par rapport à ceux du secteur non
protégé s'avère plus important dans le milieu urbain que
le rural pour le niveau d'instruction primaire alors qu'il est plus important
dans le milieu rural pour le niveau secondaire. Cette inversion de tendance
reste valable dans la distinction Homme-femme. Ainsi, l'avantage salarial des
femmes appartenant au secteur d'activité protégé
entretient une corrélation positive avec le niveau d'instruction par
rapport à leurs homologues affiliés au secteur non
protégé.
Deuxièmement, les salariés permanents du secteur
protégé jouissent d'un avantage salarial moyen de 53% par rapport
à leurs homologues non protégés. Cette information est
d'un grand apport dans le sens où elle conforte l'existence
d'écarts salariaux intersectoriels.
2.4- L'emploi en Tunisie : croissance ou vertus
polémiques d'un constat statistique
En dépit des limites générées par
la nature des données à la base de cette étude,
l'investigation empirique tentée a, dans certaines mesures, permis
d'établir un certain diagnostic du marché du travail en Tunisie.
En effet, plusieurs éléments retenus dans l'analyse convergent
pour confirmer son caractère segmenté et dual. Mis à part
la technique ayant permis de regrouper les salariés selon les
caractéristiques des emplois occupés, le choix occupationnel qui
s'est révélé l'oeuvre des employeurs, ainsi que les
écarts de salaire qui s'expliquent largement par une discrimination
sectorielle augmentent manifestement la vulnérabilité de certains
salariés sur le marché du travail.
Dans un contexte plus récent, caractérisé
par un choix résolu d'insertion accentuée de la Tunisie dans
l'économie internationale, les aspects de vulnérabilité
que génère le processus d'ouverture sont de nature à
renforcer les barrières à l'accès aux emplois
protégés et à réduire le poids du secteur de cette
catégorie d'emplois. Cette présomption est d'autant plus
inquiétante lorsqu'elle s'associe à une période où
l'output du système éducatif est en forte croissance.
Ainsi, les micro-entreprises, qui fonctionnent plus ou moins
dans le cadre légal, jouent, dans le pays, un rôle de plus en plus
important, étant donné la croissance très rapide de la
population active dans les villes et les capacités d'embauche
limitées des moyennes ou grandes entreprises. Alors qu'on avait
longtemps négligé le développement de ces
micro-entreprises, on s'en soucie de plus en plus parce qu'elles
représentent désormais le principal moyen d'alléger le
problème de chômage. Evidemment l'Etat, par les
réglementations et la fiscalité, peut freiner ou favoriser
l'activité de ces entreprises.
Parmi les politiques actives de l'Etat, on peut trouver
celles relatives aux systèmes de protection sociale qui peuvent avoir
une incidence directe sur le marché de l'emploi. C'est ce qui fera
l'objet de notre section suivante.
SECTION 3 : LE SYSTÈME TUNISIEN DE
PROTECTION SOCIALE
3.1- Système de protection sociale en
Tunisie : les rouages
Ce système s'articule
autour de deux grands volets : le premier concerne les régimes
légaux de la sécurité sociale qui prend de plus en plus
d'importance et qui couvre actuellement 83% de la population occupée et
plus des deux tiers de la population active (Chaabane, 2003). Le second volet
concerne les programmes de promotion sociale qui s`adressent à ceux qui
ne bénéficient pas de la sécurité sociale.
a. Régimes légaux de
sécurité sociale
Les régimes légaux
de sécurité sociale couvrent actuellement la majeure partie de la
population active occupée. Ils s'appliquent aux catégories
socioprofessionnelles suivantes :
ü Les agents du secteur public qu'ils soient
employés par l'Etat, les collectivités locales ou les
établissements publics.
ü Les salariés du secteur privé non
agricole régis par le code de travail : il s'agit des
salariés de l'industrie, du commerce, des services, des professions
libérales et des associations ainsi que les catégories
assimilées aux salariés tels que les coopérateurs ou les
représentants du commerce.
ü Les salariés du secteur agricole exception faite
de ceux employés moins de 45 jours par trimestre chez le même
employeur.
ü Les travailleurs non salariés du secteur
agricole et non agricole : la notion est très large et couvre toute
personne qui travaille pour son propre compte. Elle va du chef d'entreprise au
petit vendeur, du médecin libéral à l'artisan.
ü Les étudiants : auxquels s'applique un
régime particulier leur permettant, en contrepartie d'une cotisation
symbolique, de bénéficier des prestations de soin de santé
et des prestations de santé et des prestations familiales pour ceux
d'entre eux qui ont des enfants.
ü Les travailleurs tunisiens à l'étranger
exerçant une activité à l'étranger et qui ne sont
pas couverts en matière de sécurité sociale, ni dans le
cadre d'une convention de sécurité sociale ni d'un régime
particulier. l'adhésion à ce régime, contrairement aux
autres régimes précités reste facultative et couvre les
soins de santé reçus en Tunisie ainsi que la branche assurance
invalidité, vieillesse et décès.
Il faut signaler, par ailleurs, que le bénéfice
des droits au titre de ces régimes est ouvert, outre à
l'assuré lui-même, au conjoint et aux enfants à charge
(pour ce qui est des pensions de survie, des indemnités en cas de
décès et des soins de santé) ainsi qu'aux ascendants
à condition qu'ils ne soient pas couverts par un autre régime de
sécurité sociale et qu'ils soient à la charge effective du
salarié.
La notion d'enfant à charge couvre les enfants mineurs
(jusqu'à l'âge de 20 ans), les enfants qui poursuivent des
études supérieures (jusqu'à 25 ans) ainsi que les enfants
handicapés et les filles pour autant qu'elles n'aient pas de revenus
propres ou qu'elles ne soient pas mariés indépendamment de leur
âge.
· Cadre administratif
L'administration du système
tunisien de sécurité sociale est essentiellement publique. Deux
caisses placées sous tutelle de l'Etat assurent la gestion des
régimes légaux de sécurité sociale : la Caisse
Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) pour le secteur
public et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) pour le
secteur privé.
L'intervention du secteur privé (assurances et
mutuelles) demeure, en dépit des encouragements fiscaux, très
limitée et se traduit par une gestion, à titre
complémentaire et facultatif, d'une couverture en matière de
soins de santé.
· Champ matériel
d'application
Il y a lieu de distinguer entre
deux catégories de branches : premièrement, les branches
qu'on retrouve dans tous les régimes, à savoir : la branche
assurance maladie, maternité qui comporte des prestations en
espèces (indemnités de maladie et de maternité) et des
prestations en nature (octroi des soins de santé). Deuxièmement,
la branche assurance à partie limitée, qui recouvre des
prestations familiales de divers types, des prestations supplémentaires
et l'allocation décès.
Il est important de noter que les prestations offertes par ces
différents régimes obéissent en règle
générale au principe de correspondance entre le niveau et la
durée de cotisations versées et le niveau des prestations.
Toutefois, ce principe connaît des exceptions liées à la
volonté de préserver une solidarité entre les
assurés.
b. Les programmes de promotion et d'assistance
sociale
Ce sont des programmes
essentiellement administrés par l'Etat ainsi que par le cadre
associatif. Ils se traduisent, dans le cadre de l'action de l'Etat, notamment
par :
Un programme d'aide aux familles nécessiteuses :
qui vise les familles vivant au dessous du seuil de pauvreté.
Un programme analogue vise les personnes âgées
et les handicapés dans le besoin.
Assistance médicale gratuite s'adressant aux groupes
défavorisés de la population non couverte par un régime de
sécurité sociale (personnes âgées sans soutien,
chômeurs, travailleurs agricoles saisonniers ...).
Le secteur associatif, de son côté, prend de plus
en plus d'importance dans la promotion et la gestion des programmes
d'assistance sociale. Il intervient dans des domaines aussi divers que la
distribution d'aide aux nécessiteux, la protection des personnes
âgées, la prise en charge de malades à revenus modestes
obligés de se déplacer pour recevoir des soins
spécialisés, la formation et la rééducation des
handicapés.
Plus généralement, la mise en place de
régimes de sécurité sociale est certes un
élément essentiel de l'extension de la protection sociale, mais
peut demeurer inopérante si les personnes visées
n'adhèrent pas à ces régimes (ou n'y cotisent pas)
d'où l'importance d'évaluer la couverture réelle des
catégories de la population concernée par les régimes de
sécurité sociale.
3.2- Le degré d'affiliation aux régimes
de protection sociale
Sur ce plan, les résultats
enregistrés par la Tunisie restent mitigés. Si des performances
ont été réalisées au niveau du secteur
protégé, les résultats, dans d'autres secteurs, sont
restés en deçà de ce qui est attendu.
a. Couverture sociale dans le secteur
organisé
Les deux régimes de
sécurité sociale régissant le secteur organisé
à savoir ceux du secteur public et du secteur privé non agricole,
ont enregistré les meilleurs résultats en matière de
couverture sociale. En effet, la quasi-totalité des agents du secteur
public, y compris les contractuels, les occasionnels et les
détachés, sont réellement inscrits dans le régime
qui leur est applicable. De même, d'après la CNSS, le taux de
couverture dans le régime des salariés du secteur privé
non agricole a atteint 97% en 1999 alors qu'il n'était que de 73% en
1989.
De telles performances sont dues à une série de
facteurs, notamment l'évolution des mentalités des citoyens quant
aux risques des maladies ainsi q'aux campagnes de sensibilisation dans les
médias et sur le milieu de travail.
Ceci étant pour les mesures incitatives, la coercition
consiste à la mise en place au sein de la Caisse Nationale de la
Sécurité Sociale (CNSS) de deux systèmes de
contrôle : les contrôles sur place (sur le lieu de travail) et
les contrôles comptables (pour les grandes entreprises) afin de
déceler les sous déclarations ainsi que les fraudes. Il est
d'autant plus opérant que la législation en vigueur
prévoit de lourdes sanctions financières contre les employeurs en
infraction.
b. La couverture dans les autres secteurs
En dépit des progrès
réalisés ces dernières années, les résultats
enregistrées au niveau des secteurs autres que le secteur
organisé restent mitigées. En effet, seulement 51% des
travailleurs indépendants dans le secteur non agricole concernés
par la législation de sécurité sociale, sont
réellement affiliés en 1999 après avoir été
15% en 1989. Pour les travailleurs indépendants dans le secteur
agricole, le taux de couverture a passé de 14% en 1989 à 56% en
1999.
Pour les salariés agricoles, ce taux a passé de
21% en 1989 à 47% en 1999 mais avec un taux très bas pour les
salariés chez les petits agriculteurs (21%) et les pêcheurs
employés sur des petits bateaux (31%).
Pour améliorer le taux de couverture, des mesures ont
été prises tout au long de ces dernières années
avec plus ou moins de succès. Ces mesures ont permis l'octroi de
pensions de retraite aux personnes dépassant un certain âge (50 ou
55 ans) au bout d'un nombre réduit d'années de cotisation
(à partir de deux ans pour les plus âgés) ; ceci a
généré une affiliation massive des personnes proches de
l'âge de retraite sans pour autant de suivie de ce mouvement de la part
des plus jeunes.
Il est important de noter que le recours aux procédures
de contrôle et d'affiliation forcée trouve ses limites dans la
dispersion géographique des populations concernées par les
régions rendant toute opération de contrôle
systématique coûteuse et aux résultats incertains. Par
ailleurs, une opération de contrôle systématique peut avoir
un impact négatif et renforcer, chez les intéressés, le
sentiment que l'affiliation à la sécurité sociale
s'apparente beaucoup plus à une collecte forcée d'impôt
qu'à un mécanisme de sécurité sociale.
L'extension de la protection sociale, notamment dans le cadre
de la sécurité sociale, constitue une composante
déterminante de la sécurité économique des
personnes car elle permet de satisfaire, dans la dignité, leurs besoins
essentiels et d'éviter leur retour à la pauvreté. Certes
nécessaire, la mise en place d'un cadre législatif doit
être complétée par des conditions pour que la protection
soit effective. Ceci exige un effort d'adaptation aux réalités de
la société qui permet une avancée de la protection
sociale.
Un autre aspect mérité aussi d'être
mentionné, c'est celui de la viabilité financière des
régimes de sécurité sociale, actuels ou à
instituer. Les ressources nécessaires au financement de ces
régimes, à moyen et long terme doivent être
identifiées dès le début, sinon on risquerait d'avoir, au
bout de quelques années, des régimes qu'il est difficile de
soutenir.
Très alarmante comme réalité, surtout
avec les tendances de l'évolution de la population tunisienne. En effet,
la projection de la population de la Tunisie à l'horizon 2030 montre que
la tranche d'âge, 60 ans et plus, va doubler entre l'an 2000 et l'an 2030
en passant de 8% à 16% de la population totale (tableau annexe 1). Ceci
est dû, entre autres, à l'amélioration des conditions de
vie en Tunisie qui expliquent l'augmentation de l'espérance de vie, mais
aussi à la politique de limitation des naissances. En effet, la tranche
d'âge [0 - 4 ans] va nettement diminuer entre 2000 et 2030 selon les
projection de l'Institut National de la Statistique (INS) en passant de
près de 10% à 6%.
Dans un contexte de vieillissement de la population
tunisienne, comment se pose la question de soutenabilité
financière du système légal de pensions basé sur le
principe de répartition ?
3.3- Quel avenir du système de
sécurité sociale tunisien
L'augmentation du taux de
dépendance des personnes âgées, en Tunisie, dans les
quelques décennies à venir pourra sérieusement mettre en
péril un système de retraite fonctionnant par répartition
pure. En effet, dans un tel système, la population active
affiliée du moment finance, par les cotisations prélevées
(et/ou par l'impôt), les prestations versées à la
population pensionnée du même moment. Les
générations à venir devraient à leur tour, toutes
choses égales par ailleurs, financer les pensions de la population
active d'aujourd'hui.
En plus de l'influence des facteurs démographiques sur
système de protection social tunisien, ce dernier peut aussi être
affecté par d'autres éléments tel que l'intégration
de la femme au marché de travail (Houssi, 2005). Du point de vue du
régime de retraite, le nombre accru de femmes mariées ayant un
emploi améliore à court terme le budget du système. En
effet, les femmes cotisent sur leurs revenus au lieu d'être seulement
assurées par le biais de leurs maries affiliés. Ces
dernières vont par conséquent bénéficier d'une
pension au lieu de dépendre de celle de leurs maris en devenant veuves
et en recevant uniquement une pension de survivant à laquelle elles
n'ont pas contribué. Ainsi, l'emploi de plus en plus élevé
des femmes observé sera certainement bénéfique
actuellement pour le régime de retraite de la Tunisie. Néanmoins,
il ne faut pas négliger le fait qu'à long terme, cela se traduira
par une hausse de la proportion des personnes pensionnées.
Donc concernant les dépenses de pensions en
corrélation positive avec le vieillissement de la population, si le
nombre de pensionnés augmente plus que proportionnellement à
celui des personnes actives, il va y avoir automatiquement des
difficultés de financement des régimes de retraite.
L'étude faite par (Houssi, 2005), en termes de rapport
démographique13(*)
se veut pertinente. Car, en raison du vieillissement de la population, ce
rapport diminuera inévitablement, ce qui, toutes choses égales
par ailleurs, entraînera soit une hausse dans les taux de cotisation pour
équilibrer le système financier de pensions, soit une baisse dans
les taux de remplacement, se traduisant par des systèmes moins
généreux.
Mais il ne faut pas oublier que les facteurs
démographiques ne sont pas les seules variables qui affectent
l'équilibre des régimes de retraite. D'autres facteurs jouent
également un rôle important, par exemple l'élargissement du
champ de couverture du système en question (comme c'est le cas pour
certaines catégories du secteur informel), l'amélioration des
prestations, la formule d'indexation des pensions, etc.
Se basant sur une projection jusqu'à l'horizon 2050 de
la population totale de la Tunisie afin de simuler les populations active
occupée et pensionnée, l'étude de Houssi (2005) montre que
les régimes de pension en Tunisie subiront une très forte hausse
dans la population des personnes nécessitant le versement de pensions et
plus précisément les personnes retraitées.
Le passage d'une vision absolue (chaque cohorte14(*) à part) à une vision
plus relativiste (simulation du rapport démographique) éclairera
beaucoup plus les choses. Ainsi, cette dernière montre qu'à la
fin de la période de la projection et pour le cas de la CNRPS, il y aura
moins d'une personne et demie pour financer les prestations d'une personne
pensionnée. A la CNSS, la situation est à peine meilleure avec un
rapport démographique de 1,66. Ce qui va se répercuter
négativement sur l'équilibre financier des deux caisses.
Ce résultat confirme le risque sérieux et
imminent de déséquilibre financier des régimes de retraite
tunisiens qui est susceptible de menacer la viabilité même des
systèmes actuels. Certaines réformes envisageables sont
très largement critiquées. En effet, la proposition d'une hausse
dans les taux de cotisation ou celle d'un allongement de l'âge de
départ à la retraite, sont difficiles à mettre en oeuvre
pour résoudre le problème du déséquilibre
financier. D'une part, un accroissement des taux de cotisation pouvant
équilibrer les recettes et les dépenses des caisses donnera lieu
à un taux très élevé atteignant un niveau
inconcevable et impossible à imposer (Houssi, 2003). D'autre part,
l'allongement de l'âge de départ à la retraite
entraînera la fixation d'un âge très élevé
difficile à instaurer et impliquant des distorsions au niveau du
marché de travail.
De plus et selon une étude faite par Vittas (1993) sur
le régime des pensions dans le secteur privé et plus
spécialement celui des salariés non agricoles montre que ce
régime souffre d'un manque à gagner au niveau des recettes. Ceci
est essentiellement dû aux trois problèmes suivants : la sous
déclaration des salariés, la sous affiliation des travailleurs au
régime et le sous recouvrement (problème des trois
« sous »)15(*)
qui forment des sources de manque à gagner au niveaux des recettes de
cotisation.
Quant à la sous déclaration des salariés,
elle consiste en une optimisation, de la part des salariés, du montant
des prestations à percevoir avec celui des cotisation versées, ce
qui amène les personnes ayant des salaires relativement
élevés à ne pas les déclarer en totalité.
La sous-affiliation est induite par une adhésion
insuffisante des travailleurs opérant surtout dans les secteurs
informels de l'économie.
Le troisième facteur est lié au sous
recouvrement au sein même du régime de sécurité
sociale, dû à l'affiliation de certains assurés sociaux
sans que le régime ne perçoive des cotisations de leur part ce
qui se traduit par une augmentation des dépenses de la caisse sans qu'il
y ait de compensation au niveau des recettes. Cette logique traduit la
volonté des autorités tunisiennes d'étendre la couverture
sociale à toutes les catégories de la population active de
manière à les protéger contre les risques inhérents
à la nature humaine susceptibles d'affecter les conditions
matérielles et morales de leur existence, d'où le qualificatif
des caisses tunisiennes de protection sociale de
« généreuses ».
CHAPITRE III
CALCUL DU TAUX DE SÉCURITÉ
ÉCONOMIQUE EN TUNISIE ET ESSAI D'INTERPRÉTATION
L'évaluation de la
sécurité économique des citoyens en Tunisie nous permet de
déceler d'importantes conséquences en matière de garantie
de revenus pour les ressortissants de ce pays. On sera ainsi en mesure d'isoler
la sécurité démarchandisée (associée
à des droits indépendants du marché de travail), qui se
répercute sur les résultats parallèles en matière
de pauvreté, de la sécurité marchandisée
(découlant des revenus associés à la participation
à l'activité professionnelle).
En effet, dans un pays donné, plus les revenus sont
indépendants du marché (parce que les politiques sociales y
visent davantage à l'intégration des personnes du fait des droits
issus de leur citoyenneté, surtout les populations dont les revenus sont
inférieurs au seuil de pauvreté), plus les personnes se sentent
économiquement sécurisées. En revanche, là
où la sécurité dépend plus du marché du
travail et où les prestations sociales se limitent plus à un
filet de sécurité, les pénalisations correspondant
à l'insécurité économique seront plus
importantes.
Concrètement, afin de procéder à une
évaluation de la sécurité globale que la Tunisie procure
à ses ressortissants, on se base sur la notion du Taux de
Sécurité Economique (TSE), développée par Menahem
et Cherilova (2005) et qui agglomère la sécurité
démarchandisée et celle marchandisée.
Le TSE fait la somme des revenus que les individus touchent
tout au long de leur cycle de vie et les divise par un dénominateur
représentant le niveau de vie moyen des actifs ayant un emploi en
Tunisie (leur revenu disponible net d'impôts et de cotisations
après transferts sociaux, comprenant donc les prestations famille,
logement, maladie).
Ainsi, le TSE permet en prendre en compte à la fois
l'influence des revenus de remplacement sur la sécurité des
personnes sans emploi et l'impact des divers revenus socialisés sur le
revenu de pauvreté.
Ayant pour objectif le calcul du Taux de
Sécurité Economique (TSE) pour le cas tunisien, instrument
d'évaluation d'une des missions importantes de l'Etat social, le
maintient et le développement de la sécurité
économique des citoyens, ce troisième chapitre s'articule comme
suit :
Une première section intitulée
« Environnement Socioéconomique en Tunisie : état
des lieux » se propose d'exposer l'évolution historique de
certains indicateurs économiques et sociaux au cours des
dernières décennies et de conclure quant aux résultats
enregistrés en Tunisie en termes de performance économique mais
aussi en termes d'amélioration de la qualité de vie des
ressortissants tunisiens.
Une deuxième section procédera en un calcul du
Taux de Sécurité Economique (TSE) comme outil
méthodologique permettant d'avancer vers une compréhension plus
raisonnée des liens entre sécurité économique et
développement des missions de l'État social,
concrétisée, enfin, dans l'exposé des enseignements
à tirer d'une première évaluation du taux de
sécurité économique des travailleurs du secteur
privé en Tunisie.
Vu les évolutions des indicateurs
socio-économiques de la population tunisienne, nous avons jugé
utile et adéquat d'exposer, au préalable, un éventail des
évolutions de certains indicateurs économiques et sociaux de base
afin d'essayer de déceler, d'une part, l'évolution de la
sécurité/insécurité économique des personnes
et des groupes sociaux en Tunisie au cours des dernières années
ainsi que, d'autres part, les instruments et les politiques
socioéconomiques mise en oeuvre pour combattre l'extrême
pauvreté et l'exclusion en Tunisie.
SECTION 1 : ENVIRONNEMENT SOCIOÉCONOMIQUE
EN TUNISIE : ÉTAT DES LIEUX
La situation économique et
sociale de la population tunisienne s'est nettement améliorée au
cours de ces dernières années. En effet, l'observation de
l'évolution historique de certains indicateurs économiques et
sociaux, nous permet de conclure que la Tunisie n'a cessé d'enregistrer
de bons résultats en termes de performance économique mais aussi
en termes d'amélioration de la qualité de la vie des citoyens.
La Tunisie a enregistré, dans l'espace des quarante
dernières années, une croissance annuelle moyenne du PIB de 5%
entre 1961 et 2001. En plus, le revenu par unité de capital a fait plus
que tripler dans un espace de quinze ans en passant de 953 Dinars en 1986
à près de 3000 Dinars en 200116(*).
Le défi qui reste à relever par
l'économie tunisienne est le taux de chômage relativement
élevé. En effet, il a culminé aux alentours des 15% au
cours des vingt dernières années. Ceci étant, le rythme de
création d'emplois s'est accéléré en passant d'une
moyenne annuelle de 48000 nouveaux emplois crées sur la période
1966-1984 à 53000 durant la période 1984-1994, pour atteindre
61000 nouveaux emplois sur la période 1994-1997 et enfin culminer aux
alentours de 66000 au cours de la période 1997-1999. En même
temps, il y a eu une amélioration dans la qualité des emplois
offerts. Ainsi, entre 1975 et 1984 seulement 8% des nouveaux emplois offerts
ont été adressés à des personnes de niveau
d'instruction supérieur. Durant la période 1984-1994, ce taux
avait atteint 17% pour continuer son augmentation et aller rejoindre les 18%
durant la période 1994-1997.
Concernant les performances sociales, il y a eu une
substantielle amélioration dans les domaines d'enseignement, de
santé, et des programmes sociaux de lutte contre la pauvreté et
l'exclusion sociale.
Le domaine éducatif représente l'un des plus
importants exploits de l'Etat tunisien depuis l'indépendance, domaine
qui a, non seulement conforté les efforts de réduction de la
pauvreté, mais aussi permis une amélioration de la qualité
de la main d'oeuvre. En effet, l'enseignement primaire couvre maintenant la
quasi-totalité des enfants en âge de scolarisation, en plus il ne
reste qu'une différence infinitésimale entre les taux de
scolarisation des filles et des garçons. Cependant, des
disparités entre les taux de scolarisation persistent entre les milieux
rural et urbain malgré la chute importante de ce différentiel
entre 1975 et 1994 où il a passé de 35,7% à 14,3%.
En effet, le pourcentage des personnes qui ont eu un niveau
d'enseignement primaire a passé de 14% en 1960 à 42% en 1997.
Celui des personnes qui ont eu un niveau secondaire d'enseignement, a
été multiplié par 5 sur la même période en
passant de 6% à 31%. Une hausse concomitante du taux de personnes ayant
atteint un niveau d'étude supérieur a été
constatée qui avait quadruplé dans un espace de moins de deux
décennies en passant de 6% en 1984 à 12% en 1994 pour atteindre
24% en 2001 (Tableau 5).
L'état de santé de la population tunisienne
continue son amélioration avec le développement des services de
santé préventive et curative ainsi que la décroissance du
taux de natalité. Les indicateurs d'espérance de vie à la
naissance, de mortalité infantile, et la malnutrition ont aussi
continué leurs améliorations. En effet, tout au long des trois
dernières décennies, la Tunisie a développé un
système de services de soin qui couvre la quasi-totalité de la
population et qui reste relativement avancé par rapport à
plusieurs pays au même stade de développement. Le secteur public
reste le premier fournisseur de services sanitaires, offrant près de 90%
du nombre de lits hospitaliers et plus que 55% du personnel médical. En
1998, le secteur sanitaire public a représenté 35% du total des
dépenses de santé, les fonds d'assurance de santé
obligatoires 17%, et le financement direct des ménages a
représenté de son côté 47%.
L'amélioration du niveau d'encadrement sanitaire a
permis de réduire le taux de mortalité infantile qui a nettement
baissé en passant de 138%o en 1966 à 51%o en 1984 pour atteindre
les 26%o en 2000. Le taux de croissance démographique, de son
côté, a considérablement baissé entre 1966 et 2000
en passant de 3% en 1966 à 1,09% en 2000 résultant de la
politique active de planification familiale.
Ces résultats enregistrés sont largement
imputables aux énormes dépenses publiques dans les programmes
sociaux dans les domaines d'éducation, de santé, les transferts
directs ainsi que les opérations de subvention des denrées
alimentaires de base aux ménages à bas revenu, formant ainsi une
sorte de filet de sécurité au profit des classes sociales
défavorisées.
1.1- Evolution de la pauvreté en
Tunisie
L'observation de
l'évolution de la pauvreté en Tunisie au cours des trois
dernières décennies montre que les politiques économiques
et sociales menées depuis l'indépendance (1956) ont
été très déterminantes dans la réduction de
la pauvreté. En effet, le taux de personnes pauvres est passé de
22% en 1975 à 4% en 2000, en d'autres termes, de près de 1,2
millions de personnes pauvres à 0,4 millions sur cette période
(Tableau 6). Pourtant, les statistiques montrent qu'entre 1990 et 1995 le
nombre de pauvres avait augmenté de 15000 à cause de la
période prolongée de sécheresse entre 1993 et 1995 qui a
négativement porté atteinte au secteur agricole. Ainsi,
l'observation de l'évolution du coefficient de Gini entre 1990 et 1995
confirme cette explication (il est passé de 0,401 en 1990 à 0,417
en 1995) (Tableau 8). Ghali et Mohnen (2004) ont montré dans leur
analyse du profil type d'un pauvre en 2000 que :
· Il est au chômage ou issu d'une famille dont le
chef est sans travail ou un travailleur non qualifié.
· Il est issu d'un ménage de plus de huit
personnes.
· L'âge moyen du chef de famille est de plus de 49
ans.
Comment les institutions publiques peuvent-elles agir afin de
combattre la pauvreté?
1.2- L'action de l'Etat: privilégier
l'autonomie individuelle ou renforcer les attentes envers l'Etat?
Afin de combattre les deux maux,
pauvreté et chômage, les autorités publiques ont
adopté trois types d'instruments. Le premier est lié à la
promotion du travail indépendant et des micro-entreprises, le
second type d'instruments est lié à la mise en place de
programmes de lutte contre la pauvreté et le troisième est
lié à l'utilisation des instruments de politique publique
comme la promotion de l'emploi dans le secteur public, les subventions des
produits de consommation de première nécessité, et les
efforts d'éducation et de santé.
Premier instrument: une politique
active de l'emploi: aide au développement du
travail indépendant
Pour l'essentiel, l'action des autorités publiques
s'effectue via la constitution de fonds dont on peut citer:
- Le « Fonds National de Promotion de l'Artisanat et
des petits métiers » (FONAPRAM) : Crée en 1981, ce
fonds s'adresse en premier lieu aux artisans. Il a permis, jusqu'à l'an
2000, de financer, selon des statistiques gouvernementales, près de
22000 projets permettant ainsi la création de 89000 emplois.
- La « Banque Tunisienne de
Solidarité » (BTS) : créée en 1997, cette
banque a pour mission la finance de petits projets pour des particuliers ne
disposant pas de garantie. Jusqu'à la fin de 2001, 49000 prêts ont
été contractés permettant la création de 69000
emplois.
- Le « Fonds National de l'Emploi » (FNE
21-21) : crée en 2000, ce fonds a pour mission le
développement des qualifications des chercheurs d'emploi.
- Le micro-crédit institué en 1999.
Deuxième instrument:
l'organisation de la coopération des organismes et des programmes
étatiques en vue d'un soutien des classes
défavorisées
- Le «Fonds de Solidarité Nationale 26-26»
(FSN): destiné au début de sa création au
développement des infrastructures dans les régions
défavorisées en leur fournissant les équipements publics
de base : habitats décents, des dispensaires de santé de
base, des routes, des ponts, de l'électricité, et de l'eau
potable. A ces programmes sont consacrées près de 90% des
ressources du fonds. Le reste a été consacré à
l'aide des personnes nécessiteuses dans l'installation de projets leur
permettant de générer des ressources financières, qui ont
permis la création, entre 1994 et 2000, près de 58837 projets,
distribués sur les foyers de pauvreté à travers les
régions. Il finance de petits projets d'industrie artisanale et
agricole. Entre 1997 et 2001, ce fonds en a financé 3473 projets pour un
montant total d'investissement de près de cinq millions de dinars.
- Le « Programme National d'Aide aux Familles
Nécessiteuses » (PNAFN). Ce programme a pour mission l'octroi
d'aide en espèce tout les trois mois (122 dinars) aux individus sans
soutien et/ou à revenu insuffisant. Une telle aide est accordée
à près de 114000 d'entre eux.
- Le « Programme Régional de
Développement » (PRD) : il est en action depuis 1989 dans
les régions et il a pour cible les personnes pauvres dans les milieux
ruraux et urbains.
- Le « Programme de Développement Rural
Intégré » (PDRI) : entre 1988 et 2000 ce programme
avait financé 1642 projets des petits métiers d'artisanat,
permettant ainsi la création de 3850 emplois permanents.
- Le « Programme de Développement Urbain
Intégré » (PDUI).
Troisième instrument: lutte
contre la pauvreté et l'exclusion par les actions gouvernementales dans
les domaines sanitaires, d'enseignement, et d'emploi des populations
pauvres
Dans ce cadre, l'Etat permet aux groupes sociaux à bas
revenus d'accéder gratuitement aux services de soin via deux canaux. Le
premier est celui de l'« Assistance Médicale Gratuite type
I » (AMG I) qui couvre près de 117000 familles
répertoriées selon leurs besoins ; le second s'attache
à l'«Assistance Médicale Gratuite type II » (AMG
II) qui permet à ses affiliés d'accéder aux services de
santé sur la base d'un « carnet de soin » leur
permettant de payer les services médicaux à tarif réduit
(ticket modérateur) qui est d'une moyenne de 20% du tarif médical
normal. A présent, approximativement près de 700000
ménages bénéficient de services de soin
subventionnés gratuits ou payants.
Dans le domaine d'enseignement, bien que l'Etat tunisien reste
le majeur fournisseur, quasi gratuitement, du service d'enseignement à
tous ses niveaux, l'enquête INS sur la population pour l'an 2000 montre
que les ménages supportent des coûts non négligeables
(livres, cahiers, manger à l'école, cours privés ...).
L'enquête indique aussi que le coût financier des fournitures
scolaires est négativement corrélé aux revenus des
familles. Ainsi, ces coûts représentent 4,1% du total des
dépenses de consommation pour les niveaux bas de la
société et près de 2,6% les niveaux du haut de la
fourchette.
Dans le domaine de lutte contre la pauvreté et
l'exclusion, l'emploi dans des chantiers de travaux publics (des chantiers de
nettoyage de la voie publique, maintenance et installation des canalisation de
distribution des eaux dans les milieux urbains, tandis que dans le milieu
rural, les "chantiers" consistent surtout en des travaux de protection des sols
et des surfaces forestières) reste une importante source d'emploi pour
les pauvres en Tunisie. Cherchant à réduire les
phénomènes de sous-emploi et de chômage, ces programmes
donnent lieu, généralement, à des emplois temporaires et
saisonniers et forment ainsi des voies de transfert de ressources en faveur des
pauvres.
Les programmes de travaux publics représentent une
importante source d'emplois saisonniers, et ceci surtout pendant les mauvaises
saisons agricoles qui affectent négativement les revenus agricoles.
Dans le cadre de la subvention de certaines denrées
alimentaires de base, la Tunisie a introduit en 1970 la "Caisse
Générale de Compensation" (CGC) où certains produits
alimentaires de base (céréales, huile à manger, lait, et
sucre) sont disponibles dans des quantités illimitées, à
des prix inférieurs à ceux du marché, pour toute personne
qui veut les acquérir. Cette façon de procéder s'est
avérée coûteuse et malgré son ciblage des
populations pauvres, elle leur profite peu.
En effet, le programme de subvention de la consommation est
basé sur le principe de redistribution au profit des pauvres pour motif
de préserver leur pouvoir d'achat ainsi que leur état
nutritionnel. Dans certaines mesures, ce programme avait relativement
réussi dans l'accomplissement de sa mission. Il a permis, en termes
relatifs, l'amélioration du pouvoir d'achat surtout des pauvres par
rapport à celui des riches. Mais en termes absolus, le programme a
beaucoup plus profité aux riches par rapport aux pauvres (plus deux fois
en 1985 et 1,2 fois en 1990). En 1990, les subventions ont contribué de
presque 9% au total des dépenses du plus bas quintile des
ménages. Les subventions ont aussi substantiellement contribué
à l'amélioration de la ration calorique parmi les gens à
bas revenus car, en moyenne, les aliments subventionnés fournissent plus
de 70% du total de la ration calorique et renferment près de 80% du
total de la consommation de protéines des pauvres en 1990.
Mais les coûts élevés et en hausse du
programme, se sont combinés avec sa relative inefficience suite à
sa substantielle fuite vers les non pauvres, faisant de la révision du
système universel une urgente priorité. En effet, en 1990-1991,
le gouvernement avait lancé un programme de moyen terme (soutenu par la
Banque Mondiale et le prêt d'ajustement structurel de 1988) pour
augmenter le prix en détail, réduire les coûts de
production des marchandises subventionnées et introduire un
mécanisme de self-targeting17(*) (Ghali et Mohnen, 2004) pour le consommateur des
produits subventionnés afin de minimiser la privation des pauvres suite
à la hausse des prix. La particularité innovante du nouveau
système réside dans sa confiance au mécanisme de
self-targeting le rôle du perfectionnement du ciblage des
subventions en utilisant la différenciation des produits en termes de
qualité comme moyen de ciblage des populations concernées. Ainsi,
les biens « inférieurs » qui auront plus tendance
à être achetés par des consommateurs à bas revenu
seront subventionnés, mais ceux de « qualité
supérieure », qui auront plus tendance à être
demandés par des non pauvres, ne seront pas subventionnés et
leurs prix sont plutôt régis par la loi du marché. Ainsi,
l'introduction du mécanisme du self-targeting a permis de
réduire les dépenses du programme de subvention de près de
3% du PIB et de plus que 7% des dépenses gouvernementales en 1990
à, respectivement, près de 2% et 6% en 1993.
Dans le domaine de logement, et selon l'enquête faite
par l'Institut National de la Statistique (INS) pour l'an 2000 sur la
consommation des ménages, plus de 87% de la population tunisienne
possède sa propre habitation. En effet, afin de faciliter l'accès
des citoyens à un habitat décent, l'Etat a mis en oeuvre, depuis
l'indépendance, beaucoup de programmes publics. Ces derniers comprennent
ceux relatifs à réhabilitation de l'habitat (Fonds National
d'Amélioration de l'Habitat, FNAH; et le Fonds National de
Résorption des Logements Rudimentaires, FNRLR), le Fonds pour la
Promotion des Logements Sociaux pour les fonctionnaires à Bas Salaire,
FOPROLOS). Ces programmes de réhabilitation ont absorbé
près de 25% des dépenses budgétaires allouées
à l'habitat tout en ayant pour cible les populations pauvres rurales
(FNRLR) et urbaines (FNAH).
Le reste des fonds fût alloué aux projets
d'habitat sous forme de prêts subventionnés de la FOPROLOS, au
profit des familles des salariés à revenus modestes (deux fois
plus bas que le salaire minimum industriel - SMIG) leur facilitant
l'accès à leurs maisons propres surtout dans les milieux urbains.
Le programme est réalisé par des promoteurs immobiliers tunisiens
(Société Nationale Immobilière de Tunisie - SNIT, et la
Société de Promotion des Logements Sociaux - SPROLS), les
lotisseurs du secteur privé, et la Banque de l'Habitat (BH).
1.3- Facteurs clef de la réussite
Ces performances sont
attribuables, d'un côté, à la priorité
accordée par la Tunisie aux politiques sociales : grands efforts
dans les domaines d'éducation et de protection sociale des populations
et, d'un autre côté, à un facteur démographique qui
consiste surtout en un taux d'accroissement de la population en baisse depuis
les années 1970. En effet, le contrôle de l'accroissement de la
population a permis à la Tunisie d'entrer dans une sorte de "cercle
vertueux" où la réglementation des natalités a
contribué à l'amélioration du niveau de vie moyen des
populations (Tableau 7), et ce dernier, à son tour, a permis plus de
contrôle de l'accroissement démographique de la population (Bechri
et Naccache, 2003). En effet, en baissant sa croissance démographique
à 1,2%, la Tunisie a gagné deux points de pourcentage en termes
de croissance annuelle du revenu par unité de capital durant la
récente période. De plus, l'abondance d'une main d'oeuvre
éduquée, dans laquelle la femme est de plus en plus
omniprésente, permet d'augmenter la distribution du revenu ce qui
constitue un facteur de stabilité politique et sociale.
L'observation de l'évolution de l'activité
formelle, en Tunisie, au cours des deux dernières décennies
confirme l'hypothèse d'une amélioration des performances
économiques et sociales de la Tunisie, particulièrement depuis la
mise en oeuvre des programmes de stabilisation et d'ajustement structurel vers
la moitié des années 1980. En effet, la pauvreté a
significativement décliné (4,2% de la population qui vit en
deçà du seuil de pauvreté). Ceci a été le
fruit de trois types de politiques anti-pauvreté : le premier type
est lié à la promotion de l'emploi indépendant et des
micro-entreprises, le second fait référence à la promotion
de projets générateurs de revenus dans le cadre des programmes de
lutte contre la pauvreté, et enfin le troisième type est
lié aux instruments indirects de transferts de revenus comme l'emploi
dans des chantiers de travaux publics, les subventions des produits
alimentaires de base ainsi que celles accordées aux agriculteurs, et la
quasi gratuité de certains services tels que l'éducation et la
santé.
Le relatif succès du modèle de
développement Tunisien est, en grande partie, imputable aux efforts
catalyseurs du secteur éducatif, à l'amélioration de la
protection sociale surtout des populations pauvres, au développement de
l'aide à la fraction la plus pauvre de la société,
à l'élargissement de la place de la femme dans la scène
économique, et à l'investissement dans l'amélioration des
infrastructures de base. Un tel effort des autorités tunisiennes sera
évalué par le biais d'un essai de calcul du Taux de
Sécurité Economique (TSE) au cours des deux dernières
décennies et c'est ce qui fera l'objet de la deuxième section.
Tableau 5: Stratification de la population
active, en Tunisie, par niveau d'instruction
|
Aucun
|
Primaire
|
Secondaire
|
Supérieur
|
1966
1975
1984
1994
1997
|
73,9%
53,7%
42,0%
24,2%
19,0%
|
17,8%
32,0%
34,8%
41,7%
44,2%
|
7,1%
12,8%
19,9%
28,1%
29,7%
|
1,2%
1,5%
3,3%
6,0%
7,1%
|
Source: I.N.S: Recensement
général de la population et de l'habitat (1966, 1975),
Enquêtes sur l'emploi (1980, 1989, 1997)
Tableau 6: Évolution du seuil et du
taux de pauvreté en Tunisie
Niveau
|
Années
|
Part de la population (%)
|
Seuil de pauvreté
(TND/personne/année)
|
Taux de pauvreté (%)
|
Nombre de pauvres
|
National
|
1975
1980
1985
1990
1995
2000
|
100
100
100
100
100
100
|
64
102
161
225
298
302
|
21.9
12.9
7.7
6.7
4.2
4.2
|
1.223
0.823
0.554
0.554
0.559
0.399
|
Urbain
|
1975
1980
1985
1990
1995
2000
|
47.5
50.4
54.1
59.6
61.4
62.2
|
87
120
190
278
362
428
|
26.4
11.8
8.4
7.3
7.1
4.9
|
0.700
0.393
0.325
0.354
0.389
0.296
|
Rural
|
1975
1980
1985
1990
1995
2000
|
52.5
49.6
45.9
40.4
38.6
37.4
|
43
60
95
139
181
221
|
17.8
14.1
7.0
5.7
4.9
2.9
|
0.523
0.430
0.229
0.190
0.170
0.103
|
Source : I.N.S, Enquêtes
nationales sur les ménages : 1975, 1980, 1985, 1990, 1995 et
2000.
Tableau 7: Population pauvre et taux de
pauvreté par taille de ménage (an 2000)
Taille du ménage
|
Population pauvre (en milliers)
|
Taux de pauvreté (en%)
|
1 à 2 personnes
3 à 4 personnes
5 à 7 personnes
8 personnes et plus
TOTAL
|
4
29
178
188
399
|
0,8
1,4
3,6
9,5
4,2
|
Source: INS, Enquête nationale sur la
population, 2000
Tableau 8: Évolution du coefficient
de Gini entre 1975 et 2000
Milieu
|
1975
|
1980
|
1985
|
1990
|
1995
|
2000
|
Urbain
Rural
TOTAL
|
-
-
0,440
|
0,396
0,375
0,430
|
0,411
0,364
0,434
|
0,374
0,354
0,401
|
0,389
0,353
0,417
|
0,391
0,358
0,409
|
Source: INS, Enquêtes nationales sur la
population: 1975, 1980, 1985, 1990, 1995 et 2000
SECTION 2 : ESSAI DE CALCUL DU TAUX DE
SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE (TSE) EN TUNISIE
Cette section introduit le "Taux
de Sécurité Economique" (TSE) comme instrument
d'évaluation d'une des missions importantes de l'Etat social qui est le
maintien et le développement de la sécurité
économique des ressortissants d'un pays donné. Elle en illustre
la portée à travers l'évaluation du TSE des ressortissants
de la Tunisie. Pour ce faire, on s'est appuyé sur une série
d'hypothèses nous permettant d'approcher notre étude du cas
tunisien du fait des données statistiques insuffisantes sur ce pays. La
présente étude avance un outil méthodologique permettant
une compréhension plus raisonnée des liens entre
sécurité économique et développement des missions
de l'Etat "social" en Tunisie.
2.1- Etude du cas tunisien
a.
Corpus d'hypothèses
Concrètement, afin
d'étudier la sécurité économique que procure la
Tunisie à ses ressortissants, nous nous sommes basés dans nos
calculs du Taux de Sécurité Economique Brut,
précédemment défini, sur des données statistiques
qui proviennent de l'enquête population-emploi réalisée par
l'Institut National de la Statistique (INS) en 1999 et reportée plus
haut lors de notre étude de la dimension duale de l'économie
tunisienne. Il s'agit d'un échantillon de 5979 salariés
tiré d'une base nationale couvrant des individus des deux sexes,
âgés de 15 ans et plus, de 125 000 ménages. Tout le
territoire tunisien est représenté par ses deux milieux urbain et
rural. Cette étude montre que le secteur privé accapare 18,3% du
total des salariés de l'échantillon représentatif parmi
lesquels 38,4% travaillent de façon permanente, 57,6% de façon
conjoncturelle et seulement 4% sont occupés de façon
saisonnière. Ceci nous servira de base pour étudier la
corrélation: stabilité/précarité de l'emploi et
sécurité/insécurité économique. Il est aussi
important de noter que ces pourcentages vont nous servir à
l'élaboration des données statistiques manquantes pour
étudier l'évolution du Taux de Sécurité Economique
relatif à l'Etat "social" tunisien durant la période 1999 - 2004.
Ainsi, on a tenté d'élaborer les statistiques
qui retracent l'évolution de l'ensemble des composantes du TSE
associées aux revenus de l'activité professionnelle, les
prestations sociales, les aides, les remboursements, et le nombre d'actifs
occupés) tout en les adaptant au cas tunisien selon la
disponibilité de données statistiques.
En effet, notre étude se concentre, pour le cas
tunisien, sur l'étude de l'évolution du taux de
sécurité économique des travailleurs du secteur
privé et plus particulièrement ceux affiliés à la
Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS) sous le
Régime des Salariés Non Agricoles (RSNA) qui représentent
près de 75% des affiliés. En plus, on a conservé les
proportions relatives aux parts des travailleurs permanents, conjoncturels et
saisonniers dans le total du secteur privé qu'on suppose constants tout
au long de la période de l'étude, soit 1999 - 2004.
Concernant l'évolution des revenus salariaux sur la
période concernée, on suppose que leur poids total (12% du PIB en
2004)18(*) reste constant
pour la période de notre étude, soit 1999 - 2004. De plus, on
suppose que la part de chaque secteur d'activité reste
pondérée par son poids dans l'emploi du secteur
d'activité. Ainsi, la masse salariale touchée par les
travailleurs du secteur privé sera de l'ordre de 18,3% de la masse
salariale totale en Tunisie dont 75% qui sera allouée aux
affiliés à la CNSS sous le RSNA.
En ce qui concerne le montant des transferts et subventions et
faute de données sur leur volume qui profite aux travailleurs du secteur
privé, on prend l'hypothèse d'homogénéité de
leur répartition sur toute la population tunisienne. Les parts de chacun
des secteurs d'activité (privé et public) seront donc
pondérées par leurs poids respectifs en termes de population
active occupée. Selon les estimations annuelles faites par le FMI sur la
période allant de 2001 à 2005 et les projections
effectuées à l'horizon 200819(*), on remarque que le ratio (Transferts &
Subventions /PIB) décroît à un rythme annuel de l'ordre de
0,1%. Une telle tendance sera prise en compte pour évaluer les calculs
de ce ratio jusqu'à 1999.
En se basant sur le rapport du budget de l'Etat
tunisien pour l'année 200520(*), qui donne le montant annuel global des prestations
accordées par les organismes de protection sociales tunisiens pour les
années 2002, 2003 et 2004 ainsi que celles par individu assuré
qui sont respectivement de 722 Dinars, 758 Dinars et 799 Dinars. On a
essayé ensuite d'approcher le nombre de personnes assurées pour
les années en question. Ceci nous donne un taux de croissance
annuel moyen du montant global du montant des prestations de l'ordre de 11%,
taux qu'on suppose constant, toutes choses égales par ailleurs (point de
vue législatif, démographique ...), tout au long de la
période de notre d'étude, soit (1999 - 2004). En plus,
l'observation du montant global des prestations offertes ainsi que celles par
individu nous permet d'en déduire un taux moyen de croissance annuelle
de la population couverte qui est de l'ordre de 5,2%, taux qui évoluera
de la façon même que le montant global des prestations durant la
période considérée.
Le montant global des prestations sociales est supposé
aussi équitablement réparti entre les pensionnés deux
caisses publiques de protection sociale (CNSS et CNRPS). En plus, selon Chtioui
(2005), le nombre de pensionnés de la CNSS représente, pour
l'année 2004, près des deux tiers du total des pensionnés
des deux caisses. Un tel rapport sera appliqué sur la période
1999 - 2004 et ce pour le montant total des prestations offertes par les
caisses publiques de protection sociale en Tunisie. Il est important de noter
que ces prestations ne tiennent compte que des rubriques maladie,
invalidité, vieillesse, famille ainsi que celles des retraites.
Ce corpus d'hypothèses nous permet de dresser un
schéma de l'évolution des différentes composantes qui
interviennent dans le calcul du Taux de Sécurité Economique (TSE)
en Tunisie.
b. Interprétation des
résultats
En commençant par les
revenus salariaux bruts des affiliés au RSNA, on remarque qu'ils se sont
accrus entre 1999 et 2004 en passant de 406 Millions de Dinars à
près de 578 Millions.
Concernant le taux des cotisations sociales salariales, pour
le Régime des Salariés Non Agricoles (RSNA), 7,75%, il est
supposé constant au cours de la période de notre étude.
Ceci donne un montant global de cotisations (salariales et patronales) qui a
augmenté entre 1999 et 2004 en passant de près de 31 Millions de
dinars à 44 millions de dinars.
Les transferts et les subventions, qui comprennent soit des
apports en numéraire et en nature en faveur des plus démunis,
soit des subventions de produits de première nécessité,
ont connu une baisse annuelle constante de 0,1%, en termes de pourcentage du
PIB, au cours de la période 1999 - 2004, période où la
part des travailleurs affiliés au RSNA a augmenté de près
de 6 millions de dinars entre 1999 et 2004 en passant de 24 Millions dinars
à près de 30 MD21(*).
Ce qui précède nous permet de dresser un
panorama de l'évolution du Taux de Sécurité Economique
Brut (TSE B) pour l'Etat "social" tunisien ainsi que la décomposition du
TSE B global en des TSE B partiels relatifs aux revenus d'activité,
transferts et subventions, et aux prestations de la CNSS. De plus on a
essayé de voir la participation de chacun de ces TSE B "partiels" en
termes de pourcentage du TSE B global.
2.2- La sécurité économique des
ressortissants de la Tunisie: quelle portée du
message ?
a. Résultats des
estimations
L'estimation
réalisée, relative au TSE B pour la Tunisie, nous permet de
dresser un schéma quant à son évolution sur la
période 1999 - 2004. Cet indicateur a passé de près de 49%
en 1999 à près de 62% en 2004. L'examen de la
décomposition du TSE Brut en 1999 montre que la participation des
revenus issus de l'activité productive sont de l'ordre de 44%, celle
issue des transferts et des subventions représente, à son tour,
près de 2,5% du TSE brut global alors que la sécurité
issue des prestations offertes par la CNSS aux affiliés du RSNA
s'élève à près de 53% du TSE brut global. En 2004,
la hausse du TSE Brut global par rapport à son niveau de 1999 a
été soutenue par l'augmentation de la participation des
prestations offertes par la CNSS qui, avec son augmentation, a fait plus que
compenser la baisse de la participation des revenus issus de l'activité
productive et celle des transferts et subventions. En effet, le TSE issu des
prestations offertes par la CNSS représente en 2004 près de 57%
du TSE global, celui des revenus issus de l'activité productive
près de 41% alors que la participation des transferts et subventions
n'est que de l'ordre de 2% du TSE Brut global.
b. Interprétation des
résultats
L'observation de
l'évolution du TSE brut de la Tunisie ainsi que celle de l'ensemble de
ses composantes nous permet de dresser un panorama de l'évolution de la
mission de l'Etat "social" tunisien au fil de la période sur laquelle
porte notre étude. En effet, l'examen de l'évolution de la
participation des revenus de l'activité productive au Taux de
Sécurité Economique (TSE) montre qu'elle est en
décroissance continue avec son passage de 44% en 1999 à 40% en
2004. Cette baisse peut être imputable, en partie, à un taux de
chômage relativement élevé, de l'ordre de 15% de la
population active au cours des deux dernières décennies. La
conjugaison d'un taux de chômage constant durant la période en
question à une augmentation de la population active fait en sorte que
les chômeurs sont en nombre croissant. Sachant qu'on a pris une masse
salariale constante en termes de pourcentage du PIB, le TSE relatif au revenu
de travail se trouve détérioré au cours de la
période en question. Donc, l'effet de l'augmentation de la population
active occupée a fait plus que compenser celle du PIB.
En plus, le TSE relatif aux prestations accordées par
la CNSS à ses affiliées du RSNA a passé de près de
53% en 1999 à 57% en 2004. Cette augmentation est, en partie, imputable
à l'augmentation du nombre de retraités suite au "vieillissement"
de la population tunisienne ce qui exige plus de concours de la part de la CNSS
à cette catégorie sociale.
Ceci étant pour l'estimation du TSE relatif à
l'Etat "social" tunisien, quelles sont alors les limites d'une telle
approches ?
SECTION 3: LIMITES DE L'APPROCHE DU TAUX DE
SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE
Certaines incertitudes des
tableaux correspondent aux inadéquations des données qu'on a
essayé d'élaborer sur la base d'un ensemble d'hypothèses
afin de surmonter le manque de données statistiques sur la Tunisie. De
plus, Alors que celui qu'on a essayé de calculer, dans le cas de la
Tunisie, se réfère uniquement aux travailleurs du secteur
privé et en particulier ceux affiliés au Régime des
Salariés Non Agricoles sous l'égide de la CNSS, ce qui donne une
vision relativement restrictive quant à la sécurité
économique de l'ensemble des ressortissants de la Tunisie.
Au-delà de ces problèmes aux conséquences
directes sur la signification du TSE, objet de notre étude, d'autres
limites correspondent à la répartition structurelle de
l'emploi qui est associée aux choix du pays: entre
générations (activité plus ou moins tardive des jeunes,
inactivité plus ou moins précoce des personnes
âgées), entre femmes et hommes et entre temps partiel et temps
plein. Ces trois critères, largement interdépendants,
pèsent de manière considérable sur le niveau de revenu
moyen dans un pays en raison des différences de
rémunérations entre femmes et hommes, jeunes et personnes
âgées, temps plein ou partiel. Par exemple, des proportions plus
importantes de femmes actives et d'actifs âgés dans un pays
donné se traduisent par deux facteurs contribuant à un niveau de
sécurité économique plus élevé: un plus
important taux global d'activité et une rémunération
moyenne plus faibles des actifs, d'où un dénominateur plus faible
du TSE brut.
Par ailleurs, un phénomène de forte ampleur
correspond à la part du « travail
souterrain » non déclaré dans un pays comme la
Tunisie. Ce phénomène, non négligeable, se traduit par une
incertitude importante en ce qui concerne le taux de la population active
occupée ainsi que les revenus qu'ils perçoivent. Même si ce
flou implique une sous-estimation variable du TSE qu'il n'est pas possible
d'évaluer, on peut supposer qu'elle tend davantage à sous-estimer
la sécurité économique en Tunisie.
Enfin, un taux élevé de
propriété du logement principal, important en Tunisie,
concerne davantage les personnes âgées que les jeunes
ménages. Ce taux entraîne donc une sous-estimation plus importante
des revenus des inactifs en Tunisie, ce qui contribue à une minoration
plus importante du TSE.
La non-prise en compte de ces revenus issus de la
propriété correspond à des choix méthodologiques de
départ privilégiant les ressources issues du travail et des
prestations sociales. Choisir d'adopter une approche intégrant un
éventail plus large de revenus permettrait certes de prendre en compte
les différences considérables entre actifs et inactifs, du point
de vue de leurs rétributions tirées de leurs ressources
patrimoniales. Rien n'interdit, bien sûr, d'entreprendre
ultérieurement des évaluations, comparaisons et
interprétations de la diversité des sécurités
économiques des ménages liées par possession d'actifs
mobiliers et immobiliers.
CONCLUSION GÉNÉRALE
L'insécurité,
derrière la multitude de domaines auxquels le terme s'associe ou
s'applique, peut être interprétée comme le fait de ne pas
accéder à un ensemble de droits définis à un moment
donné, dans une société donnée, garantissant
à une personne de mener à bien sa vie dans cette
société.
Dans une société où le travail reste une
valeur centrale, mais où chômage et précarité
gagnent du terrain, le sentiment d'insécurité est
évidemment compréhensible. Dans cette optique, la politique
sociale est un complément nécessaire de la politique
économique.
Comment combattre l'insécurité économique
?
La mise en mobilité généralisée
des situations de travail et des trajectoires professionnelles place
l'incertitude au coeur de l'avenir dans le monde du travail. Dans cette
optique, il faut réinterroger aujourd'hui le statut de l'emploi. Dans la
société salariale, c'est aux caractéristiques et à
la permanence de l'emploi qu'ont été attachées les
garanties dont bénéficie le travailleur. Ce dernier occupe un
emploi et il en tire à la fois des obligations et des protections. Cette
situation correspondait à la permanence des conditions de travail dans
la durée (hégémonie des Contrats à Durée
Indéterminée) et dans la définition des tâches
qu'elle impliquait (grilles de qualifications strictement définies,
homogénéité des catégories professionnelles et des
salaires, stabilité des postes de travail...). Aujourd'hui, on assiste
de plus en plus à une fragmentation des emplois, non seulement au niveau
des contrats de travail proprement dits (multiplication des formes dites
« atypiques » d'emploi par rapport au CDI), mais à
travers la flexibilisation des tâches de travail. Il en résulte
une multiplication de situations de hors droit ou de situations faiblement
couvertes par le droit, ce qu'appelle Supiot (1999) « les zones
grises de l'emploi ». En même temps, le chômage s'est
creusé et les alternances de périodes d'activité et
d'inactivité se sont multipliées. Il semble donc que la structure
de l'emploi, dans un nombre croissant de cas, ne soit plus un support
suffisamment stable pour accrocher des droits et des protections qui soient,
eux, permanents.
L'insécurité du travail est sans doute devenue
la grande pourvoyeuse d'incertitude pour la majorité des membres de la
société. Il reste à savoir si elle doit être
acceptée comme un destin inéluctablement enclenché par
l'hégémonie du capitalisme de marché.
Les voies d'une nouvelle
régulation: Reconfiguration des relations de travail et de
répartition des risques
Une révision de la construction juridique de la
relation employé/employeur paraît primordiale pour comprendre
comment sont répartis aujourd'hui les différents risques
économiques et sociaux, c'est à dire les différents
aléas, l'incertitude, dont le contrat de travail et le statut qui lui
est lié assurent la prise en charge.
Quels sont précisément ces risques ou
aléa ?
A qui sont-ils imputables, c'est-à-dire qui peut en
répondre ?
Dans la mesure où ces risques se réalisent, qui
en supporte le coût, ou plutôt, comment sont-ils
répartis?
La notion de "risque" renoue avec la naissance du droit de
travail qui a cherché à assurer la sécurité des
personnes et la sécurité de l'emploi face aux risques sociaux et
aux aléas de la relation d'emploi.
Dans cette problématique, l'acquisition des droits qui
forment le statut du travailleur et autorisent telle ou telle trajectoire,
n'est pas seulement liée à l'existence du contrat de travail,
elle résultent également de la façon dont le contrat de
travail place le salarié dans un réseau de relations
individuelles, collectives et sociales, qui permet de définir les
responsabilités et de répartir les risques ou aléa. Dans
la relation d'emploi, l'aléa peut avoir deux origines :
économique (risque entrepreneurial et d'emploi); personnelle (perte des
capacités de travail de la personne liée au travail - risque de
sécurité - soit au hors travail - retraite, santé).
Mais ce sont, en particulier, les institutions et les
mécanismes intervenant dans les relations industrielles nationales qui
subissent une sérieuse contrainte de transformation. La crise de la
société de travail a, par ailleurs, des effets
considérables sur la stabilité des institutions de l'assurance
sociale. Ses piliers les plus importants (assurance chômage, assurance
maladie, accident et retraite) sont liés aux caractéristiques de
l'activité professionnelle. La stabilité de ces systèmes
ne posait pas de problème aussi longtemps que le nombre des actifs, en
chiffre absolu ou en pourcentage, augmentait dans la population.
Notre étude, qui a essayé d'appliquer l'approche
du Taux de Sécurité Economique (TSE) au cas tunisien, en
dépit des limites générées par la nature des
données à la base de cette étude, l'investigation
empirique tentée a, dans certaines mesures, permis d'établir un
certain diagnostic du marché du travail en Tunisie. En effet, plusieurs
éléments retenus dans l'analyse convergent pour confirmer son
caractère segmenté et dual. Mis à part la technique ayant
permis de regrouper les salariés selon les caractéristiques des
emplois occupés, le choix occupationnel qui s'est
révélé l'oeuvre des employeurs, ainsi que les
écarts de salaire qui s'expliquent largement par une discrimination
sectorielle augmentent manifestement la vulnérabilité de certains
salariés sur le marché du travail.
Dans un contexte plus récent, caractérisé
par un choix résolu d'insertion accentuée de la Tunisie dans
l'économie internationale, les aspects de vulnérabilité
que génère le processus d'ouverture sont de nature à
renforcer les barrières à l'accès aux emplois
protégés et à réduire le poids du secteur de cette
catégorie d'emplois. Cette présomption est d'autant plus
inquiétante lorsqu'elle s'associe à une période où
l'output du système éducatif est en forte croissance.
Cette tendance s'est inversée : un nombre toujours
plus réduit d'actifs doit financer un nombre toujours croissant de
chômeurs. Outre l'augmentation du chômage, les causes de cette
situation résident dans l'évolution démographique, avec
l'inversion tendancielle de la pyramide des âges (recul des naissances,
espérance de vie à la naissance accrue), dans
l'intégration des femmes à la vie professionnelle (demande
croissante d'emplois).
En dépit de l'extension continue de la couverture
assurantielle de la sécurité sociale, une partie non
négligeable de la population demeure hors de sa protection.
Formellement, le système de sécurité sociale se heurte au
problème de l'intégration des catégories non couvertes
légalement, notamment les non actifs; et des ménages dont la
capacité contributive est insuffisante pour s'acquitter de leurs
cotisations, a fortiori lorsqu'il s'agit de travailleurs indépendants ou
très irréguliers. L'assistance est conçue essentiellement
comme un levier devant conduire à l'intégration progressive de
l'ensemble de la population dans l'emploi protégé. Elle affiche
comme finalité principale le développement économique et
social des personnes et des régions. L'assistance couvre des domaines
variés : l'éducation, la santé, le chômage, le
logement et plus généralement la pauvreté et l'exclusion
(Destremau, 2006).
Les dynamiques démographiques et d'urbanisation ont
fait peser une forte pression sur le marché de travail tunisien, qui se
caractérise par un taux de chômage et un poids des
activités informelles relativement élevés. Si jusqu'aux
années 1990, les travailleurs non qualifiés étaient
largement absorbés par le secteur industriel et les petites
activités artisanales et marchandes urbaines, depuis une quinzaine
d'années, le profil des qualifications requises se modifie et le
chômage croît. Bien que plusieurs travaux aient porté sur le
secteur informel tunisien, il est difficile de chiffrer l'interconnexion, ou de
pénétration, du chômage et de l'informel : entre les
chômeurs vivant d'expédient, et les travailleurs informels se
déclarant comme chômeurs, les mobilités entre emploi
formel, chômage et petits boulots, un grand nombre de variantes dessinent
les figures du travail irrégulier, précaire, d'insertion...
Même si l'horizon d'universalisation n'est pas
totalement atteint, le succès de l'extension de la protection sociale en
Tunisie est peu contestable, si l'on compare à d'autres pays de la
région MENA. Le système se porte bien et a toutes les apparences
d'un cercle vertueux : forte croissance économique couplée
avec un processus de développement social : amélioration du
bien-être et de la sécurité économique des
travailleurs, performances satisfaisantes du système de santé et
décrue marquée du taux de pauvreté, même en plein
ajustement structurel.
Certes, un certain nombre de difficultés sont
prévisibles. L'évolution démographique va mettre à
mal l'équilibre financier des caisses : vieillissement de la
population et réduction de la part des actifs. En outre, l'augmentation
du nombre des chômeurs, les freins à la salarisation et les
tendances à la précarisation de l'emploi qui alimentent
l'informel peuvent constituer une frontière à l'extension de la
couverture sociale, pérennisant la dualité du statut des
travailleurs.
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TABLE DES MATIÈRES
SOMMAIRE............
.........................................................................2
INTRODUCTION
GÉNÉRALE
3
CHAPITRE I: INSTABILITE CONTRACTUELLE,
PRECARITE DE L'EMPLOI: PLAIDOYER POUR LA CONSTRUCTION D'UN INDICE DE SECURITE
ECONOMIQUE
10
SECTION 1 : STABILITÉ CONTRACTUELLE
ET EMPLOI : LES ENJEUX
11
1.1-
Stabilité contractuelle et
emploi
11
a. Stabilité contractuelle
et flexibilité de l'emploi
11
b. Stabilité contractuelle et
précarité
12
c. Stabilité contractuelle et
stabilité de l'emploi
12
1.2-
Les enjeux de la
stabilité
13
a. la stabilité, un enjeu
politique
13
b. La stabilité, un enjeu
économique
14
c. La stabilité, un enjeu
social
15
SECTION 2 : L'ÉPREUVE DE
PRÉCARITÉ : VECTEUR DE CRISE DU SALARIAT
16
2.1- Crise de la relation de
travail
16
a. Transformation des relations
contractuelle et partage des risques
17
· Incertitude de l'emploi et
flexibilité du contrat de travail
17
· Incertitude de l'emploi et
développement du travail indépendant
18
2.2-De la multiplication des contrats de
travail à l'enchevêtrement des formes de travail
19
a. Epreuve de la précarité et
cultures de l'aléatoire
19
b. Crise du travail salarié :
quelle mission pour l'État social ?
21
SECTION 3. À LA RECHERCHE D'UNE
ÉVALUATION DE LA SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE DES
CITOYENS : INDICATEURS DE LA SÉCURITÉ
ÉCONOMIQUE
22
3.1- L'indicateur de
démarchandisation de Gøsta Esping-Andersen
24
3.2- L'indicateur de sécurité
de l'indice de bien-être économique de Osberg et
Sharpe
24
3.3-
Le Taux de Sécurité
Démarchandisée (TSD)
25
a. Les principes de construction du Taux de
Sécurité Démarchandisée
25
b. Construction du Taux de
Sécurité Economique
27
· Principes fondateurs
27
· Etapes de calcul du Taux de
Sécurité Economique (TSE)
28
· Prise en compte de
l'insécurité des populations à faibles ressources
30
3.4- Au-delà de
l'insécurité économique : de la
précarité à l'exclusion
31
a. Catégories des situations
vis-à-vis de l'emploi et du revenu
31
b.
Commentaires
32
CHAPITRE II : MARCHÉ DE TRAVAIL
EN TUNSIE : INFORMEL, DUALISME : DESTRUCTION DU SALARIAT ET
ÉMERGENCE DES GROUPES À INSÉRER
35
SECTION 1 : LE SECTEUR INFORMEL,
QUELLE ÉTENDUE EN TUNISIE ?
36
1.1- Secteur informel :
définition et motifs de développement
36
a. Définition
36
b. Motifs du développement du
secteur informel
37
· Cas général des pays sous
développés
37
· Cas particulier de la Tunisie
38
1.2- Cadrage institutionnel du secteur
informel en Tunisie
39
a. La législation du
travail
39
b. Tendances du travail informel en
Tunisie
40
c. Quelle est la relation entre
les secteurs d'activité formels et informels ?
43
SECTION 2 : MARCHE DE TRAVAIL EN
TUNISIE, QUELLE AMPLEUR DU DUALISME ?
43
2.1-
Présentation du
phénomène : Enseignements de la théorie
43
2.2-
Marché du travail en Tunisie :
de la segmentation à la stratification
44
a. Mode opératoire de
l'étude
44
b. Commentaires et
résultats
48
2.3-
Panorama des écarts salariaux
inter-sectoriels
48
2.4-
L'emploi en Tunisie : croissance ou
vertus polémiques d'un constat statistique
49
SECTION 3 : LE SYSTÈME TUNISIEN
DE PROTECTION SOCIALE
50
3.1-
Système de protection sociale en
Tunisie : les rouages
50
a. Régimes légaux de
sécurité sociale
50
· Cadre administratif
51
· Champ matériel d'application
52
b. Les programmes de promotion et
d'assistance sociale
52
3.2-
Le degré d'affiliation aux
régimes de protection sociale
53
a. Couverture sociale dans le secteur
organisé
53
b. La couverture dans les autres
secteurs
53
3.3-
Quel avenir du système de
sécurité sociale
55
CHAPITRE III : CALCUL DU TAUX DE
SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE EN TUNISIE ET ESSAI
D'INTERPRÉTATION
58
SECTION 1 : ENVIRONNEMENT
SOCIOÉCONOMIQUE EN TUNISIE : ÉTAT DES LIEUX
59
1.1-
Evolution de la pauvreté en
Tunisie
61
1.2-
L'action de l'Etat: privilégier
l'autonomie individuelle ou renforcer les attentes envers l'Etat?
62
1.3-
Facteurs clef de la
réussite
66
SECTION 2 : ESSAI DE CALCUL DU TAUX DE
SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE (TSE) EN TUNISIE
69
2.1-
Etude du cas tunisien
69
a. Corpus
d'hypothèses
69
b. Interprétation des
résultats
71
2.2-
La sécurité économique
des ressortissants de la Tunisie: quelle portée du
message ?
72
a. Résultats des
estimations
72
b. Interprétation des
résultats
73
SECTION 3: LIMITES DE L'APPROCHE DU TAUX DE
SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE
73
CONCLUSION GÉNÉRALE
75
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
79
TABLEAUX ANNEXES
Tableau 1 : Projection de la population tunisienne
par tranche d'âge (en milliers)
![](dualite-marche-travail-etat-social-securite-economique-tunisie2.png)
Source : Institue National de la
statistique : projection de la population tunisienne 2000 - 2030 (Niveau
national)
Tableau 2 : Comparaison des régimes de
sécurité sociale
![](dualite-marche-travail-etat-social-securite-economique-tunisie3.png) ![](dualite-marche-travail-etat-social-securite-economique-tunisie4.png)
![](dualite-marche-travail-etat-social-securite-economique-tunisie5.png)
* 1 La stabilité
réduit les risques... elle ne les neutralise pas : la
stabilité dans l'emploi est une condition nécessaire mais pas
suffisante de l'intégration sociale. En ce sens : S. Paugam, le
salarié de la précarité. Les nouvelles formes de
l'intégration professionnelle : PUF 2000, p. 26, selon
lequel « on associe presque toujours, au moins
implicitement, l'emploi à statut précaire à
l'impossibilité d'épanouissement dans le travail tant on a
intériorisé la norme de l'emploi stable comme condition du statut
social. Peut-on affirmer pourtant que toutes les personnes ayant un statut
précaire sot insatisfaites dans leur travail ? De même on
laisse souvent entendre que ceux qui ont un emploi stable sont des
privilégiés sans prendre la précaution d'ajouter que la
stabilité de l'emploi n'assure pas en elle-même
l'intégration professionnelle. N'existe-t-il pas de cas de personnes en
emploi stable qui donnent leur démission tout simplement parce qu'elles
se sentent méprisées dans l'entreprise et qu'elles ne supportent
pas leur travail ».
* 2 Avis du conseil
économique et social français du 11 février 1987,
rapport "Grande pauvreté et précarité
économique et sociale"
* 3 Menahem, G., (2006),
« Un outil d'analyse du rôle de l'Etat social en matière
de sécurité économique », Colloque
International : Etat et régulation sociale, comment penser la
cohérence de l'intervention publique ?
* 4 La même logique peut
être étendue à l'ensemble des décompositions des
taux de sécurité économique brut et net.
* 5 RDMAAE : abréviation
du Revenu Disponible Moyen des Actifs Ayant un Emploi.
* 6 On prend ici le
même seuil de pauvreté que celui pris dans le cas du TSD, soit 60%
du revenu médian par unité de consommation après
prestations dans la définition de Eurostat.
* 7 Ballet J. (2001),
L'exclusion : Définitions et mécanismes, Collection
Logiques Sociales, Paris, L'Harmattan, p. 38.
* 8 Sboui, F., « Le
dualisme du marché de travail en Tunisie : choix occupationnel et
écart salarial », Unité de Recherche en Economie
appliquée (UREA), FSEG de Sfax - Tunisie.
* 9 BIT, (2006), «
Changements dans le monde de travail », Conférence
Internationale Du Travail, Genève, BIT.
* 10 D'après Adair et
Hamed, la productivité apparente du secteur informel est
approximée par le ratio : part du secteur informel dans le PIB non
agricole / taux d'emploi informel dans l'emploi non agricole.
* 11 et 28 sont
respectivement les parts des secteurs protégés et non
protégés dans le total des emplois de l'échantillon.
* 12 Sboui. F, « Le
dualisme du marché de travail en Tunisie : choix occupationnel et
écart salarial », Unité de Recherche en Economie
Appliquée (UREA), FSEG de Sfax - Tunisie
* 13 C'est-à-dire le
nombre de pensionnés en pourcentage de l'effectif des personnes actives
affiliées au régime.
* 14 Chaque
génération découpée par âge et par sexe est
appelée « cohorte ».
* 15 Houssi, C., Proposition
d'une réforme de pension pour la Tunisie : Le cas de la RSNA
* 16 1 Dinars Tunisien (TND) =
0,7580 USD = 0,5896 Euros (au 04/09/2006)
* 17 Il s'agit d'un
mécanisme de subvention des denrées alimentaires de base ciblant
les populations nécessiteuses par voie de différenciation
qualitative des produits.
* 18 Fonds Monétaire
International : Tunisie - conclusions préliminaires de la mission
de consultation au titre de l'article IV pour l'année 2004.
* 19 Selon cette source, ce
ratio évolue comme suit :
Année
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
Ratio :
Transfe&Sub/PIB
|
2,6
|
2,7
|
2,5
|
2,5
|
2,3
|
2,2
|
2,1
|
2
|
* 20 Budget économique
2005, Ministère du Développement et de la Coopération
Internationale, Novembre 2004.
* 21 La baisse, en termes de
pourcentage du PIB courant, des transferts et subventions peut être
attribuée, entre autres, à la réforme du
self-targeting introduite en 1990 - 1991 concernant le système
de subvention des denrées alimentaires de base.
|