Education et Mondialisation : les conséquences de la libéralisation de l'éducation prônée par l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) ; illustration sur la base de la position canadienne et belge( Télécharger le fichier original )par Ahmed Seghaier Univeristé de Genève - diplôme d'études approfondies en études du développement 2004 |
3.2 Les menaces de la mondialisation: une vision du Sud sur la mondialisationIl convient tout d'abord de dire que la mondialisation est un phénomène moins fortement vécu au sud qu'au nord. En réalité la mondialisation reste essentiellement un produit occidental exporté, diffusé et imposé aux pays du sud par différents moyens. Aussi, c'est grâce aux moyens de communication et aux médias que la mondialisation s'implante et s'impose avec ses différents aspects sur les réalités et les structures économiques, politiques, sociales et culturelles dans les pays de sud où les institutions traditionnelles reculent et cèdent leur place aux nouvelles institutions apportées par le nouveau système mondial. Par ailleurs, ce qui aggrave encore la situation, c'est que les élites qui gouvernent dans les pays du sud tiennent, dans leur majorité, un discours mondialiste libéral qui soutient la même idéologie et le même discours des institutions internationales notamment celui de la Banque Mondiale et du FMI. L'élite gouvernante dans les pays du sud ignore à cet égard et marginalise les réalités et les spécificités géographiques, historiques, sociales et culturelles dans son propre pays.
Néanmoins, la mondialisation reste très contestée dans son ordre théorique et pratique dans certains milieux des pays du sud. D'après certains penseurs, la mondialisation soulève plusieurs questions d'ordre conceptuel et pratique. Elle est toujours un concept très ambigu porteur d'idéologie et de croyance. D'après M. Bonaventure Mve Ondo, Directeur de l'Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), la mondialisation est un « concept flou, ambigu », c'est un concept qui n'a « aucune consistance et il est peu scientifique »39(*). En s'interrogeant sur la scientificité du concept de mondialisation, employé à tout et dans chaque type de discours, le directeur de l'AUF ajoute « Nous sommes devant un concept qui a des contours multiples et qui décrit des réalités différentes selon les acteurs »40(*). Selon M. Mvé Ondo la mondialisation qui apparaît comme une série de visions globales qui représentent la fin de l'histoire et l'occidentalisation du monde ne peut pas être reprise sans interrogation dans l'élaboration des politiques de développement dans les pays du sud. Le rôle de l'intellectuel africain c'est de questionner la mondialisation et de l'interpréter pour la faire adapter aux circonstances et aux réalités locales.
Plusieurs études et statistiques41(*) en la matière démontrent que la mondialisation a profité jusqu'à présent essentiellement aux économies avancées. C'est une mondialisation qui sème l'exclusion à la fois à travers les pays et en leur sein. Selon cette thèse, la société se divise en deux camps: ceux qui profitent des avantages de la mondialisation et qui sont par conséquent au coeur de la société et ceux qui ont de la peine à vivre au jour le jour et qui essaient de s'accrocher à la périphérie sociale. La question d'inégalité et de redistribution de richesse reste au coeur du problème même dans les pays à économies riches. C'est aussi une vraie menace pour la cohésion sociale. D'après Michel Chossudovsky42(*), depuis le début des années 1980, les structures de l'économie mondiale ont changé en profondeur. Les institutions financières internationales, et en particulier le Fonds monétaire international et la Banque Mondiale, ont forcé l'application de ces changements d'abord dans le tiers-monde, puis plus récemment dans les pays de l'Est de l'Europe. Les conséquences du nouvel ordre financier qui se nourrit de la pauvreté et de la destruction de l'environnement sont incontestablement illimitées. Ce système engendre, d'après Chossudovsky, un véritable apartheid social. C'est un système qui encourage le racisme et les conflits ethniques et s'attaque aux droits des femmes et aux couches sociales vulnérables dans les pays d'Afrique, en Asie, en Amérique latine, en ex-Union soviétique et en ex-Yougoslavie. Quant à Noam Chomsky43(*), ce sont les politiques de "réformes" économiques imposés par les institutions internationales qui font obstacle à toute planification nationale et à toute véritable politique de développement. Les structures qui sont mises en place par le système mondial mènent à un monde d'inégalité croissante. Un monde qui sert les intérêts d'une minorité privilégiée et puissante au détriment d'une vaste majorité pauvre. Ce qu'on peut constater dans le paysage d'aujourd'hui, c'est que la mondialisation vise la création d'une société unifiée dans un processus complexe et inachevé qui déploie tous les moyens et les efforts pour assimiler l'autre, ignorer son identité et le recycler pour qu'il soit économiquement utile. L'actuelle mondialisation ne favorise pas un développement économique véritable à l'échelle mondiale. Au contraire, elle ne conduit qu'au « développement étroitement localisé des centres d'affaires où sont installés les grandes firmes, les banques, les assurances, les services marketing et de commercialisation, les marchés financiers, [...]» 44(*). Quant à l'éducation, La politique des institutions internationales en matière d'éducation est en réalité inséparable de leur conception générale. Les bailleurs de fonds tiennent simultanément deux discours contradictoires. D'une part, elles parlent de la nécessité de la scolarisation et de la généralisation de l'éducation de base dans les pays du sud pour réduire la pauvreté. Et d'autre part, elles imposent aux pays de réduire les dépenses publiques par tous les moyens. La réduction des dépenses publiques est présentée comme une condition indispensable pour la croissance économique. L'intégration de tous les pays au marché mondial implique pour l'éducation, l'ouverture de cette dernière pour la concurrence et le commerce international. Cette politique provoque la réduction des dépenses éducatives consacrées par l'Etat à ce secteur. Dans les pays du sud, la question du contrôle des établissements scolaires, de financement, de l'accès démocratique et équitable à l'éducation, de la multiplication des acteurs et des logiques éducatives et la segmentation de la sphère éducative posent des grands problèmes. À cet égard, l'analyse des nouvelles politiques éducatives montre que la décentralisation et la privatisation qui sont appliquées dans certains pays comme l'Afrique du sud, le Vietnam et le mali45(*), dans le cadre de la reforme des années 90, ont un grand impact sur le système éducatif des pays concernés. Les différents chiffres avancés insistent sur l'augmentation des taux de scolarisation dans ces pays durant les dernières années mais ils nous parlent très rarement de la « disparité de l'offre éducative »46(*) et ses conséquences sur l'accroissement des inégalités entre les différentes régions et les différentes composantes de la société. La qualité de l'éducation offerte par les différents établissements, semble aussi négligée par les statistiques. Aussi, le manque des politiques éducatives participatives dans les pays du Sud semble-t-elle une grande lacune dans les reformes de systèmes éducatifs dans les pays du sud. Dans le cadre de ces politiques, la participation des populations se limite souvent à la contribution au financement et à l'entretien des écoles. Leur participation dans l'élaboration des politiques éducatives et dans la prise de décision est, dans la plupart des cas, complètement ignorée. Finalement, ce qui est important à retenir c'est que dans les pays du sud, notamment en Afrique, l'éducation doit avoir comme mission principale la promotion de l'identité culturelle et « la formation d'un potentiel endogène suffisamment large »47(*) pour réaliser le développement durable. Les pays du sud sont à cet égard rigoureusement appelés à construire et à développer leurs propres modèles d'éducation en fonction de leurs propres histoires, cultures et besoins. Dans les pays sous-développés, l'action éducative doit avoir comme objectifs essentiels l'épanouissement de la personne humaine dans toutes les dimensions de la vie et la contribution à la promotion d'une nouvelle mondialisation plus démocratique et socialement plus équitable. Une mondialisation capable de recevoir, sans exclusion, l'apport de toutes les nations et les régions du monde.
* 39 B.Mve Ondo : Intervention faite à l'occasion de colloque international de philosophie organisé par les Doctorants de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), sous le thème de La mondialisation : la quête du sens, Sud Quotidien 24 juin 2003 et www.aps.sn, Dakar, 23 juin 2003 * 40 B.Mve Ondo : op.cit * 41 Voir par exemple Attac Genève, L'organisation mondiale du commerce (OMC) une organisation internationale au service des multinationales, www.local.attac.org/geneve, Bernard Cassen OMC, attentat contre la démocratie, Le Monde diplomatique du 8 octobre 1999 .Christian Comeliau, les défis de la mondialisation, Perspectives, Revues trimestrielle d'éducation comparée No1, mars 1997. Dossier Mondialisation économique et politique de l'éducation, p.p. 28-32. Les résolutions de l'International Education par exemple Eduquer dans une économie mondialisée apparu le 11.08.2004, www.ei-ie.org . Noel F. Mc Ginn, la mondialisation et ses effets sur les systèmes d'enseignement nationaux Perspectives, revues trimestrielle d'éducation comparée No1, mars 1997. Dossier Mondialisation économique et politique de l'éducation. pp, 41-50 * 42 Professeur en économie politique à l'université d'Ottawa et collaborateur régulier du Monde diplomatique, auteur de la mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial, Ottawa 1998, www.ecosociete.org * 43Noam Chomsky, linguiste et militant politique originaire des États-Unis.Voir ses travaux sur http://www.chomsky.info et sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Noam_Chomsky * 44 Jean, Ziegler, op.cit, p. 37. * 45 Voir Michel carton, Fabienne Lagier, Frédérique Weyer, op.cit, pp 27-35 * 46 Ibid., p.24. * 47 Mamadou Ndoye, op.cit, p.90. |
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