Education et Mondialisation : les conséquences de la libéralisation de l'éducation prônée par l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) ; illustration sur la base de la position canadienne et belge( Télécharger le fichier original )par Ahmed Seghaier Univeristé de Genève - diplôme d'études approfondies en études du développement 2004 |
Introduction généraleL'analyse structurelle de l'économie mondiale nous montre une forte intégration bien plus importante des économies aujourd'hui plus que par le passé. Cette intégration collective des économies nationales dans un système économique mondial unique ne se traduit pas seulement par la mobilité des moyens de production dans toutes les directions ou dans tout le monde, mais elle se traduit aussi par la nécessité d'une forte harmonisation des règles et des normes, notamment les règles juridiques. D'où la perte de la pertinence des lois locales et des compromis sociaux sur une base strictement nationale. C'est une véritable rupture avec le passé.
En sortant de la deuxième guerre mondiale, les Alliés cherchaient à intégrer un nouveau système économique et monétaire mondial plus fiable. Dans ce but, 44 pays tenaient conférence le 1er juillet 1944 à Bretton woods. Leur objectif était la stabilisation financière et monétaire dans un monde qui était déstabilisé pendant les années de la guerre. Trois organisations ont vu le jour: l'OIC (Organisation Internationale du Commerce), le FMI (Fonds Monétaire International) qui a pour rôle l'assurance d'une certaine stabilité monétaire et la Banque Mondiale, chargée de la reconstruction et du développement essentiellement en Europe à l'époque. Face aux divergences des pays concernés. L'OIC n'a pas pu conserver son existence. Cependant, il y avait toujours des négociations entre les différents Etats à propos des sujets commerciaux et les questions des tarifs douaniers. Ce qui a abouti un peu plus tard à la création du GATT1(*) en 1947 qui est entré en vigueur en janvier 1948. Malgré son caractère provisoire le GATT est resté le seul instrument multilatéral régissant le commerce international jusqu'à la fin de l'année 1994, date de la création de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Marrakech où étaient aussi nés différents accords qui portent sur le commerce international parmi lesquels l'AGCS (l'Accord Général sur le Commerce des Services). Aussi, l'apparition de marchés communs en Europe, en Asie et dans les Amériques, provoquait-elle une croissance spectaculaire du commerce. Des accords commerciaux régionaux ont aussi vu le jour. Dès 1989 et la fin de la guerre froide, on assistait à une nouvelle impulsion du libre-échange et de la théorie économique néo-classique. Et c'est dans ce cadre historique que L'AGCS est apparu en avril 1994 dans le cadre des négociations commerciales d'Uruguay, alors que l'OMC a commencé à fonctionner en janvier 1995. L'AGCS qui fait partie des accords de l'OMC, est le premier accord multilatéral portant sur l'ensemble du commerce des services. Il vise principalement à libéraliser le commerce à l'échelle internationale comme faisait le GATT pour le commerce des marchandises. L'AGCS est aussi en réalité un instrument juridique adopté lors du Cycle de l'Uruguay pour le commerce des services y compris les services vitaux comme l'éducation et la santé. Il représente le premier ensemble de règles approuvées dans le cadre d'un accord multilatéral, juridiquement applicable au commerce des services au niveau international. À cet égard et selon l'OMC, tout ce qui n'est pas « bien » est « service». La liste va s'élargir pour comprendre tous les domaines où l'OMC veut voir s'exercer librement la concurrence entre acteurs nationaux et étrangers, dans tous les pays signataires des accords concernés. Les engagements qui découlent des accords de l'OMC, couvrent toutes les activités humaines. Citons à titre d'exemple l'éducation, la santé, la sécurité sociale, l'eau et d'autres services publics vitaux. Aussi, contrairement à ce que disent certains, les services publics sont-ils aussi concernés. Les seuls à échapper à l'AGCS sont en effet «les services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental»2(*) mais à condition qu'ils ne soient fournis «ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services»3(*) Bref, à l'exception de l'armée d'après certains interpréteurs et juristes4(*). La politique de l'OMC est à priori d'appliquer une logique de libéralisation et de mettre en concurrence tout secteur où existe une activité marchande. Il s'agit d'une libéralisation qui est toujours associée à la dérégulation et la privatisation de différents secteurs de services dans les pays membres. Les stratégies qui sont mises en oeuvre par les multinationales, à travers les Etats, qui sont derrière les politiques de l'OMC, visent essentiellement à augmenter leurs bénéfices, ce qui nuit visiblement aux Etats nations qui sont obligés d'utiliser une quantité considérable des dépenses publiques pour dédommager les effets de la libéralisation. Ces fonds qui doivent être en principe investis dans le domaine des services publics comme l'éducation, la santé et plus généralement le social. À cet égard, il est important de s'interroger à propos de l'impact de cette politique sur les secteurs vitaux qui assurent des droits humains fondamentaux. Est- ce que les services publics sont réellement exclus du champ d'application des accords commerciaux, notamment l'AGCS ? (Ce qui va permettre de préserver les droits humains assurés par ces services). Ou bien, au contraire, se trouvent-ils menacés et marginalisés par les politiques économiques libéralisatrices dans les pays en développement et les pays industrialisés en même temps ? En réalité les attributions des institutions étatiques ne resteront jamais comme avant, elles vont subir beaucoup de changements et transformations décisives sur le plan économique, social et politique. Ce qu'on va essayer de découvrir, entre autre, tout au long de ce travail, ce sont les nouvelles difficultés et les défis imposés par le phénomène de la mondialisation sur l'Etat Nation. Puis, est-ce que les pouvoirs publics dans les Etats nations arrivent toujours à surmonter ces difficultés pour assumer leurs rôles traditionnels ? D'après certains auteurs, certains Etats ne seront plus « en mesure de remplir leur devoir d'intégration »5(*) économique, politique, sociale et culturelle d'un grand nombre de leurs propres citoyens. Par ailleurs, ce qui est important à souligner, c'est que le processus de libéralisation des services prôné par l'Accord Général sur le Commerce des Services, doit être compris dans un contexte général de mondialisation. Une mondialisation qui est à l'origine économique et financière qui préconise l'insertion de toutes les économies nationales en une seule économie mondiale6(*). Aujourd'hui on assiste à un phénomène de système économique unique géré par des règles juridiques et les règles du commerce. Dans le cadre de notre analyse du système mondial, nous allons essayer de montrer à quelle dimension de la vie humaine la priorité est accordée ? Le politique, le social et le culturel gardent-ils toujours leur place dans les sociétés modernes, ou bien au contraire, sont-ils en régression continue devant la puissante progression de l'économique ? En réalité, la mondialisation peut être constatée comme une étape avancée du développement du commerce mondial sous l'effet de l'expansion des transports, des moyens de communication et de diversification des biens et services due à une croissante évolution technique et industrielle. L'extension des niveaux de vie a beaucoup favorisé la demande. Le développement des médias, des moyens de la communication et l'accroissement de la circulation des personnes, des biens et des services a provoqué un grand nombre de consommateurs pour les produits venant de l'extérieur. Progressivement, le commerce international a évolué dans une tendance de spécialisation géographique qui a développé les flux financiers et les échanges commerciaux entre pays. C'est ainsi que le secteur du commerce international qui se développe le plus est constitué par les filiales de chacun des groupements des entreprises à implantation mondiale. Chacune est spécialisée dans des activités données en fonction notamment du principe de l' avantage compétitif local. Dans ce contexte, l'OMC est aujourd'hui l'organisation internationale la plus puissante du monde. En effet, elle concentre le pouvoir d'approuver les règles, de les appliquer et de sanctionner les pays qui ne les respectent pas. De plus, elle est la seule institution internationale qui dispose du pouvoir d'imposer le respect de ses propres règles à tous ses membres. Il faut noter aussi que ces règles dépassent très largement les questions strictement commerciales. Les domaines politiques, sociaux et culturels sont aussi touchés par les règles du commerce qui priment sur toutes les autres règles. En effet, c'est dans ce cadre de mondialisation ou de « globalization » que s'inscrivent les accords commerciaux de l'OMC. Le phénomène de la mondialisation se caractérise par l'interdépendance entre les économies nationales qui sont de plus en plus intégrées dans une économie mondiale marquée par une « formidable accélération »7(*)des échanges internationaux. Le processus de la «mondialisation» évoque l'intégration croissante des économies nationales du monde entier, à travers l'intensification d'échanges et de flux financiers et par le moyen de progrès technique et le développement massif des transports, de l'informatique et des télécommunications, qui permettent d'effectuer beaucoup plus facilement et plus rapidement les opérations financières et commerciales à l'échelle internationale. Ces évolutions technologiques révolutionnaires, notamment l'Internet, « n'ont pas seulement bouleversé les formes de travail et de communication, mais elles ont aussi beaucoup touché les anciens équilibres économiques, sociaux, politiques et culturels. C'est ainsi qu'on est arrivé à parler de village global »8(*). De nos jours, le défi majeur qu'impose la mondialisation, c'est la libéralisation de certains services qui étaient, jusqu'à maintenant, publics et assurés par l'Etat au bénéfice de la population. La garantie de ces services publics par l'Etat est toujours conçue comme une base théorique et pratique de la légitimité de l'Etat nation, elle est aussi considérée comme un principe fondamental de la démocratie, de modernité et des droits de l'homme. Dans ce cadre, il est légitime de se poser les questions suivantes : à quel point peut-on considérer l'ouverture des secteurs des services à la concurrence commerciale mondiale comme une menace réelle pour l'égalité et la démocratie ? Quelles sont les conséquences de l'application des règles du commerce international de l'OMC, notamment les dispositions de l'AGCS, sur les services publics ? A quel point peut-on croire que le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, des normes sociales, des droits de l'enfant, des accords et des conventions sur l'environnement se trouvent menacés par le droit commercial ? L'AGCS stipule que « le processus de libéralisation progressive sera poursuivi à chacune de ces séries de négociations » (art 19). Cela conduit plusieurs analystes et auteurs à confirmer que l'AGCS n'offre aucune garantie qu'on ne touchera jamais à des secteurs où l'égalité des droits ne peut en aucune façon être remise en question. À cet égard, nous nous demanderons si malgré son caractère non-marchand, l'éducation, en tant que bien public, se trouve rigoureusement menacée par l'AGCS ? D'après certains milieux politiques et académiques, on assiste désormais, à une vraie rupture avec la notion même de l'éducation comme un droit assuré par l'État pour tout le monde. Ce qui constitue aussi une grave déviation du principe de démocratie et d'égalité entre tous les citoyens, puisque dans cette logique marchande qui se base sur la rentabilité, les besoins ne sont satisfaits que lorsque les acquéreurs des services sont solvables. À cet égard les besoins doivent être suffisants pour couvrir les dépenses créées en cas d'une offre. Le prix de l'activité offerte doit être nécessairement supérieur au coût de sa production. Cela implique tout simplement que, pour l'avenir, l'éducation sera pour ceux qui peuvent la payer. D'après la FIDH9(*), la privatisation de biens communs est une politique porteuse de graves dangers, car une entreprise privée, déterminée par un intérêt particulier qui vise un but lucratif, ne peut prendre en compte l'intérêt général tel qu'il doit être envisagé par ces services. Les droits fondamentaux se trouvent aussi menacés par la politique de la libéralisation des services. Cependant, d'après ceux qui plaident en faveur de la mondialisation et de la politique du libre-échange, les services seront toujours plus rentables, efficaces et beaucoup plus satisfaisants, si ils sont accordés aux entreprises privées. Dans la première partie de ce travail consacrée à l'analyse de la mondialisation et ses impacts sur l'éducation, on va essayer de présenter d'une manière générale, les arguments des deux parties.
Malgré cette forte tendance de libéralisation et de marchandisation des services éducatifs, certains pays manifestent leur opposition à cette vision et ils refusent catégoriquement d'appliquer les règles du commerce sur l'éducation. Ces pays partagent une vision qui consiste essentiellement à valoriser l'éducation comme un droit qui doit être garanti et protégé par l'Etat conformément aux règles du droit national et celles des conventions internationales notamment le Pacte international relatif aux droits Economiques, Sociaux et Culturels de 1966. Le Canada et la Belgique sont à cet égard parmi les pays qui possèdent une vision et une position très claire. En effet, malgré l'adhésion des deux pays à l'OMC et la signature de différents Accords de l'OMC y compris l'AGCS, ils refusent d'une manière très ferme et déterminée de soumettre l'éducation aux règles du commerce. Dans la troisième partie de ce travail, nous tenterons de présenter la position du Canada et de la Belgique en ce qui concerne la libéralisation de l'éducation. Est ce que les Etats canadien et belge sont prêts à renoncer à leur rôle en matière d'éducation ? Quelle est la conception canadienne et belge de l'éducation ? Quelle est la position de la société civile canadienne et belge et comment réagissent-elles face aux éventuelles menaces provoquées par la libéralisation des services éducatifs. Nous tenterons également de savoir si le Canada et la Belgique préservent toujours la position selon laquelle l'éducation fait partie de la compétence de l'Etat. Et par conséquent, c'est au gouvernement d'assurer la jouissance de ce droit pour tous les citoyens sans aucune discrimination et loin des considérations lucratives. Successivement, ce qu'on va faire dans le présent travail, c'est essayer dans une première partie de définir le cadre général, théorique et pratique, dans lequel est né et se développe la libéralisation des services publics notamment l'éducation ; on va retracer à cet égard le cadre historique général ainsi que les conditions économiques et politiques globales dans lesquelles la mondialisation a émergé comme un système de pensée et une nouvelle vision politique et économique du monde. Quant à la deuxième partie, elle sera consacrée à l'analyse générale structurelle et fonctionnelle, de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) ainsi qu'aux conséquences de cet Accord sur l'éducation, à la fois comme un droit humain fondamental, un service public et un « bien public mondial » qui doit disposer d'un statut très particulier à l'échelle locale et mondiale. Finalement, dans la troisième partie de ce travail, on va étudier la position du Canada et de la Belgique relative à la libéralisation de l'éducation. En même temps on va montrer le rôle que jouent les sociétés civiles canadienne et belge pour protéger les services éducatifs et promouvoir le droit à l'éducation pour tous les citoyens. * 1(GATT) The General Agreement on Tariffs and Trade, dans la traduction française de ce signe anglophone : Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce. * 2 D'après le paragraphe b, 3ème alinéa, article premier, partie 1 du texte juridique de l'AGCS. * 3 D'après le paragraphe c, 3ème alinéa, article premier, partie 1 du texte juridique de l'AGCS. * 4 Lire par exemple l'opinion juridique qui a été commandée par la British Colombia Teachers Federation, le syndicat canadien de la fonction publique, l'association canadienne de professeures et professeurs d'université et la fédération canadienne des étudiantes et étudiants, www.caut.ca. Voir aussi, Raoul Marc Jennar, l'impact des accords de l'OMC sur les secteurs de la culture, de l'éducation, de la santé, de l'environnement, des normes sociales et sur la démocratie en général. Déclaration à l'occasion de la rencontre internationale des organisations professionnelles de la culture qui a eu lieu à Paris entre le 2 et le 4 février 2003, www.grainvert.com * 5 Christophe WULF, Dictionnaire critique de la mondialisation, WTO Library, p. 136. * 6 Christian Comeliau, « les défis de la mondialisation », mondialisation économique et politique de l'éducation, Perspective, revue trimestrielle d'éducation, No 101 mars 1997, p. 27. * 7 Ibid * 8 www.wikipedia.org/wiki, /mondialisation, février 2005, p. 1. * 9 FIDH ; fédération internationale de droits de l'homme. En octobre 1999, la FIDH a publié un premier rapport sur l'OMC intitulé L'OMC et les droits de l'Homme : une équation à résoudre, ce rapport était présenté à la troisième conférence ministérielle de l'OMC à Seattle, www.fidh.org |
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