Stratégies électorales et démocratie locale - L'ambition politique au service du citoyen : le cas des Ateliers de l'Avenir à Aix-en-Provence( Télécharger le fichier original )par Guillaume SELLI Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Master II Ingénierie Politique 2007 |
UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES
STRATEGIES ELECTORALES ET DEMOCRATIE LOCALE L'ambition politique au service du citoyen : le cas des Ateliers de l'Avenir à Aix-en-Provence MEMOIRE pour l'obtention du Diplôme de Master II Ingénierie Politique M. Guillaume SELLI Sous la direction de M. Philippe VOYENNE Année universitaire 2006-2007 SOMMAIREIntroduction p.5 Les politiques entre altruisme et opportunisme p.5 La démocratie participative à l'étranger p.9 La participation en France p.17 Le cas d'école d'Aix-en-Provence p.26 I Aix-en-Provence, entre jeux de scène locaux et dynamisme participatif p.29 1) Le contexte politique aixois p.31 a) Un peu d'histoire p.32 b) La situation politique aujourd'hui p.35 c) Un électorat difficile à cerner p.37 2) Le cas concret des Ateliers de l'Avenir, entre concertation et communication p.40 a) Une «Grande Consultation de tous les Aixois» p.40 b) Une stratégie de communication efficace p.44 3) Répercussions de la consultation p.50 a) Des répercussions politiques houleuses p.50 b) La réception par la population p.53 II Richesses et ambiguïtés d'une telle initiative p.57 1) Des contributions citoyennes inégalement exploitables p.58
2) Le suivi de la consultation p.65
3) A la recherche de l'intérêt général p.71
Conclusion p.76 Annexes p.79 Loïc Blondiaux, L'idée de démocratie participative : enjeux, impensés et questions récurrentes p.79 Les Ateliers de l'Avenir : brochure de consultation de tous les Aixois p.92 Brochure-Bilan de la consultation p.112 Liste des Grands Témoins de la consultation p.118 Article de La Provence du 17/09/2006 sur le lancement des Ateliers de l'Avenir p.120 Article de La Provence du 04/12/2006 sur le démarrage de la consultation p.121 Interview de Bruno Genzana dans La Provence du 16/04/2007 sur ses rapports avec Maryse Joissains p.122 Tract de soutien à Nicolas Sarkozy, diffusé par Bruno Genzana dans l'entre deux tours de la présidentielle p.123 Bibliographie p.124 Remerciements p.125 INTRODUCTIONLes politiques entre altruisme et opportunisme Si le XXe siècle marqua pour la France l'achèvement de son processus démocratique avec l'obtention du droit de vote pour les femmes ainsi que la stabilisation des pouvoirs publics sous la Ve République, l'avènement récent du XXIe pourrait lui incarner pour notre pays l'émergence de la démocratie dite participative, dans laquelle les citoyens ne se contentent plus d'élire leurs gouvernants, mais de participer activement aux processus de prise de décision... Cela relève du constat global que les électeurs se montrent de plus en plus exigeants envers les politiques, avec lesquels un fossé s'est indubitablement creusé en France depuis les années 80, fossé dont le 21 avril 2002 fut le point d'orgue... La politique est donc à réinventer en France : le citoyen n'est plus docile, désormais il s'abstient, décide ou change son vote au dernier moment, affiche ouvertement ses affinités avec des tendances politiques extrêmes, renverse souvent la majorité lors d'une nouvelle élection ; mais encore plus que ça, il manifeste, demande des comptes, s'implique dans la vie associative, le tout étant largement relayé par les médias, ces derniers eux-mêmes étant nettement plus indépendants du pouvoir que lors des débuts de la Ve République... C'était du moins la tendance observée dans notre pays jusqu'à ce que la dernière élection présidentielle ne permette l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération de politiques, ce qui a commencé quelque peu à changer la donne... La confiance à rétablir La réponse apportée par les politiques pour remonter dans l'estime des citoyens ne s'est pas faite attendre : les mots clés de cette réponse sont concertation, gouvernance1(*), proximité, dialogue... Dans une société désormais de plein pied dans l'ère de la communication à outrance, chacun s'est mis à soigner son image d'«homme de terrain», à l'écoute des «vrais gens», ces énarques pour un grand nombre d'entre eux ayant beau jeu de dénoncer une certaine centralisation excessive, ils privilégient le bon sens et le pragmatisme, valeurs qui seraient l'apanage d'une certaine «France d'en bas»... C'est alors tout naturellement que les idées de démocratie participative et d'ancrage local ont émergé, ce qui a profondément bouleversé les processus décisionnaires dans le monde politique : le gouvernement cède du terrain au profit de la gouvernance, la prise de décision par les autorités publiques n'est plus seulement le lancement d'un processus mais en est déjà l'aboutissement d'un autre, d'une concertation avec tout un panel d'acteurs publics et privés, concernés d'une façon ou d'une autre par le champ d'application de cette décision... La démocratie participative est une notion élastique, qui peut recouvrir de larges possibilités : institutionnalisée avec la possibilité du référendum d'initiative populaire, formalisée avec les multiples consultations organisées par les élus locaux, mais aussi informelle avec les rencontres et interactions quotidiennes qui ont lieu entre les politiques et leurs administrés, tournées de quartiers, rencontres associatives, marchés ou même rencontres à l'improviste... La démocratie participative ne doit pas se limiter au référendum car elle relève avant tout d'un état d'esprit : inclure des personnes issues de la société civile dans une liste de candidature, lancer des structures de campagne en dehors des partis politiques, c'est permettre au citoyen non politicien de profession de s'engager politiquement, c'est donc aussi une forme de démocratie participative... La France est un cas singulier dans la mesure où la démocratie participative est ancrée dans les esprits mais pas encore dans les textes, ni tellement dans les faits, à l'inverse de certains pays étrangers qui ont une longue pratique en la matière. Les dirigeants français tiennent encore trop à conserver l'intégralité de leurs prérogatives et rechignent à autoriser explicitement certaines mesure phares comme pourrait l'être le référendum d'initiative populaire, invoquant leur légitimité d'élus, faisant d'eux les seuls aptes à décider pour les autres. C'est donc bien plus au cas par cas, commune par commune, département par département, selon le bon vouloir des exécutifs locaux, que des formules de participation citoyenne sont mises en oeuvre... Cependant cette émergence est encore timide en France, pays dont la tradition d'un pouvoir fort et centralisé a la vie dure, quand bien même a-t-on voulu récemment préciser à l'article premier de notre Constitution que son «organisation est décentralisée2(*)». Cette décentralisation constitue indéniablement un corollaire quasi-indispensable à la mise en oeuvre de la démocratie participative, qui trouve l'essentiel de son application au niveau local : en effet la concertation, la proximité directe avec le citoyen sont plus aisées à réaliser à petite échelle, pour des enjeux touchant à la vie quotidienne... C'est ce que les citoyens ont su eux-mêmes parfaitement comprendre, notamment en s'organisant en instances représentatives ou censées l'être, comme les Comités d'Intérêt de Quartier (CIQ), désormais interlocuteurs privilégiés et incontournables de toutes les communes qui en comptent sur leur territoire...
Des motivations politiques ambiguës Quelles que soient les réticences et les débats qu'a suscités et que suscite encore aujourd'hui la démocratie participative3(*), le thème est dorénavant incontournable et tend à gagner encore de plus en plus de terrain à l'avenir, à la fois parce qu'il représente une réelle opportunité d'expression pour les citoyens, et parce que les politiques commencent à entrevoir les avantages multiples que peut offrir un tel mode de gouvernance. Il est d'ailleurs difficile de déterminer si le concept de démocratie participative a fini par s'imposer en France parce que répondant à un besoin réel des citoyens, ou si ce ne sont pas les politiques eux-mêmes qui ont trouvé en lui une tentative de réponse à la crise de confiance entre eux et les électeurs... En effet la démocratie participative n'aurait jamais pu émerger sans avoir été mise en oeuvre par les dirigeants politiques eux-mêmes, que ce soit par la loi ou des initiatives personnelles au niveau local, englobant tout moyen de se confronter directement à l'opinion des gens, que ce soit sur des considérations générales ou sur une question particulière... La proximité est aujourd'hui une valeur essentielle sur laquelle nos hommes politiques sont jugés : favoriser la démocratie participative et plus généralement apparaître comme un interlocuteur directement à la portée du citoyen lambda permet à l'homme politique d'être en phase avec son temps, de créer ou de renforcer son capital nom4(*) et son capital réputation. En cela les slogans des deux principaux candidats à la dernière élection présidentielle sont assez révélateurs : que ce soit avec Ensemble tout devient possible de Nicolas Sarkozy, ou La France présidente de Ségolène Royal, qui se veut ainsi l'incarnation de tous les Français, l'accent est mis sur le fait que le président élu gouvernera avec tous ses concitoyens... On peut alors légitimement se demander si cette nécessité de proximité et d'ancrage local n'a pas finalement été instrumentalisée par le politique aux fins de se faire élire ou réélire, sans que les citoyens n'en retirent beaucoup de profits. Consultés, ils le sont largement désormais. Mais leurs avis sont-il pour autant suivis, ou sont-ils seulement les maillons d'une ambition, d'une stratégie électorale ? Il est intéressant de noter qu'à ce jour il n'existe pas de réelle possibilité de référendum d'initiative populaire en France, et que donc les dirigeants politiques bénéficient encore d'une relative marge de sécurité : la participation oui, mais lorsqu'ils la décident... Il est ainsi difficile de ne pas relever les ambivalences de cette volonté de proximité, et la plupart des citoyens ne sont pas dupes. Il est cependant frappant de constater que non seulement ils en jouent le jeu, mais sachant bien qu'entre la proximité et le clientélisme il n'y a qu'un pas, nombreux sont ceux qui le franchissent en exprimant des demandes on ne peut plus personnelles, moyennant ainsi leur vote. C'est cet aspect qui pose un doute sur l'objectivité des résultats des démarches entreprises par les politiques, et qui fait dire également que vox populi n'est pas systématiquement vox dei... La démocratie participative à l'étranger Si le champ lexical de la démocratie participative n'est apparu que récemment en France, il est assurément employé depuis bien plus longtemps dans de nombreux autres pays. Le fait que dans ces pays la démocratie participative soit institutionnalisée n'ôte pas pour autant totalement l'ambiguïté que nous avons pu relever pour la France, à savoir le fait que les hommes ou les partis politiques puissent instrumentaliser ces pratiques.
Le pays champion de la démocratie participative est d'abord la Suisse, où le référendum sous toutes ses formes est une pratique extrêmement courante et banalisée, tant au niveau fédéral qu'au niveau cantonal, ce qui n'est pas non plus sans susciter quelques interrogations... Les Etats-Unis sont bien évidemment aussi un cas d'étude intéressant, notamment dans la mesure où la démocratie participative ne s'y effectue que dans le cadre des états. L'originalité de certaines procédures comme le recall ainsi que le pouvoir des divers lobbies et mouvements de pression peut poser quelques réserves sur l'importation éventuelle de ces méthodes en France... Enfin l'Italie est également très portée en la matière, notamment par la pratique du référendum d'initiative populaire abrogatif, dont l'application n'a pas manqué d'être largement récupérée par la classe politique. Ces trois pays ont un modèle bien loin du modèle unitaire français centralisé, chaque état américain ou canton suisse ayant leurs propres constitutions. Ces trois pays ont aussi réalise leur unité ou obtenu leur indépendance tardivement, ce qui explique naturellement un maintien fort de traditions locales et le fait que la démocratie participative au niveau local n'y soit pas un vain mot... Cependant les mêmes questions que celles que nous avons posées pour la France entourent ces pratiques : les classes politiques ou les organismes de lobbying de ces pays ont très bien su tirer profit de ces règlementations, sans oublier que de sérieuses réserves peuvent être émises sur certaines situations lorsque le peuple s'exprime directement... La Suisse, championne du monde des référendums La Confédération helvétique a organisé plus de référendums que tous les autres pays réunis. On dit souvent «c'est le référendum qui a créé la Suisse, et non l'inverse». Le premier référendum a même eu lieu en 1294, dans le canton de Schwyz. Le référendum d'initiative populaire est prévu dans la Constitution fédérale depuis 1891... Dans la Constitution fédérale, le référendum se présente sous deux catégories, le référendum obligatoire et le référendum facultatif et suspensif. Le référendum obligatoire est prévu pour toute révision de la Constitution, ainsi que pour la ratification de certains traités internationaux, notamment ceux qui entraînent l'adhésion à une organisation internationale5(*). Jusqu'en 2003, les référendums obligatoires les plus nombreux portaient sur des questions constitutionnelles, puisque c'était parfois un moyen de corriger des détails de la Constitution. A noter que ce type de référendum nécessite une double majorité : celle des citoyens et celle des cantons. Le référendum facultatif et suspensif a pour objet de demander la suspension d'une loi ordinaire, de certains arrêtés fédéraux et traités internationaux, le temps que le référendum soit organisé et la question définitivement tranchée. Ce type de référendum peut être demandé soit par 50 000 citoyens, soit par 8 cantons. Il constitue indéniablement un moyen de contrôle non négligeable des politiques par les citoyens. Depuis 2003, il en existe deux autres variétés de référendum d'initiative populaire, qui peut être en matière constitutionnelle, ou concerner un domaine plus général. Le peuple peut ainsi demander une révision totale ou partielle de la Constitution, qui sera adoptée par référendum. Mais le problème est qu'il n'y a pas de définition matérielle de la Constitution en Suisse et on a pu y intégrer des mesures qui n'avaient rien de constitutionnel. Certaines fois, les initiatives sont assez folkloriques, par exemple en 1996, sur l'utilisation des pigeons voyageurs dans l'armée Suisse. Cent mille signatures doivent être recueillies dans un délai de 2 mois. Cette initiative se fait sous forme de voeu. C'est ensuite à l'Assemblée Fédérale de mettre au point le projet définitif, qui est soumis à un référendum adopté à la double majorité. Cependant la réforme peut aussi être entièrement rédigée par les citoyens auteurs de l'initiative. Dans ce cas, s'offrent deux possibilités : soit le projet est soumis tel quel au référendum, soit l'Assemblée propose un contre-projet, et dans ce cas les électeurs doivent répondre à trois questions : - Etes-vous favorables à l'initiative populaire ? - Le contre-projet est-il meilleur que la législation actuelle ? - Si le « oui » l'emporte aux 2 premières questions, quel projet voulez-vous voir adopté ? L'article 130a de la Constitution, introduit par la réforme de 2003, prévoit également que cent mille citoyens peuvent demander l'adoption ou la modification d'une loi fédérale. C'est ensuite à l'Assemblée Fédérale de mettre au point le projet définitif, avant que celui-ci soit soumis à un référendum adopté à la double majorité des votants et des cantons. La Suisse possède donc un éventail de possibilités très larges en matière de référendum, conforme à ses traditions : une double majorité est souvent requise, des citoyens et des cantons, ainsi qu'une précision minutieuse dans les procédures, notamment dans les cas où un référendum d'initiative populaire comporte plusieurs questions. L'efficacité globale de ces pratiques est cependant quelque peu limitée. Sur un plan statistique, il y a une inflation des référendums depuis 1970 (cinq par an environ). Les initiatives populaires sont les plus nombreuses et les plus diversifiées : immigration, fiscalité, rapports Eglise/Etat... Depuis les années 70, l'environnement est un sujet très présent (trafic routier, protection de la nature, nucléaire...). Mais ces initiatives aboutissent rarement : près de neuf référendums sur dix ne sont pas adoptées par le peuple qui ainsi contredit lui-même le «peuple» de ceux qui étaient à l'origine de l'initiative. Cependant, des réformes importantes ont été adoptées : la réforme du Code Pénal dans les années 30, la construction de centrales nucléaires en 1990, la nouvelle réforme du code pénal en 2004... On constate, sur le long terme, un déclin de la participation moyenne : environ 60% avant la Seconde Guerre Mondiale, 55% dans les années 60' et 40% aujourd'hui. Mais même si les initiatives n'aboutissent pas, elles ont souvent le mérite de bousculer l'agenda politique, de soulever certaines questions, et il n'est pas rare que des initiatives rejetées soient reprises quelques années plus tard par les parlementaires. ... La démocratie participative a influencé aussi bien le jeu politique suisse que les règles électorales. Le référendum entretient en Suisse une démocratie de concordance, qui absorbe les conflits entre partis politiques, qui organise le compromis, le consensus. Lorsqu'une minorité demande une réforme, le Gouvernement (où tous les partis sont représentés en permanence) et le Parlement recherchent le consensus le plus large possible, afin d'éviter que leur action ne soit entravée par les initiatives populaires. L'usage intensif du référendum incite les partis politiques suisses à s'entendre, à passer des compromis (démocratie de concordance, par opposition à la démocratie d'alternance à la française). La démocratie participative à l'américaine, entre contrôle des citoyens et pouvoir des lobbies Les pères fondateurs des Etats-Unis n'avaient aucun goût pour la démocratie directe, car ils redoutaient la tyrannie de la majorité. La Constitution fédérale a donc institué au début un système purement représentatif. Les formes de démocratie participatives sont ainsi apparues à la fin du XIXème siècle, hors du cadre fédéral. Certains états ont utilisé le référendum pour adopter leur propre Constitution. Après la Guerre de Sécession, et plus généralement à la fin du XIXème siècle, les mouvements populistes5(*) ont commencé à proposer des réformes sociales importantes, et ont voulu introduire le référendum, le recall6(*) et l'initiative populaire. Aujourd'hui, la quasi-totalité des états disposent de procédures de référendum, 22 états admettent l'initiative populaire, 15 admettent le recall. La pratique de la démocratie participative s'est largement accentuée aux Etats-Unis depuis les années 80. Outre les traditionnels référendums constitutionnels et législatifs, certains états américains proposent aussi la possibilité du «référendum de veto» : les électeurs peuvent s'opposer à une loi votée, avant même son entrée en vigueur. Selon les états, les référendums sont soumis à une initiative directe, lorsqu'un projet a recueilli un nombre de signatures minimum (ex : 10 000 dans le Dakota du Nord). Dans d'autres états, on pratique l'initiative indirecte : la pétition est adressée au Parlement de l'Etat, qui doit adopter une loi. S'il ne l'adopte pas, le référendum est alors organisé. Une pratique originale aux Etats-Unis est celle du recall, qui peut aboutir à l'interruption d'un mandat en cours. Etabli en 1911 en Californie, treize états l'appliquent, dont certains même pour les juges. En octobre 2003, le gouverneur démocrate de Californie Gray Davis a ainsi été révoqué, remplacé par le républicain Arnold Schwarzenegger. Il fallait que 12% des votants lors du dernier scrutin signent une pétition pour que soit engagé un référendum sur la révocation ou le maintien du gouverneur, sachant que les électeurs se rendent aux urne le même jour à la fois pour décider du sort du gouverneur en place et pour élire son éventuel successeur... Au départ, cette procédure était prévue pour révoquer les élus corrompus. Mais il peut désormais s'agir de manoeuvres plus politiciennes avec de gros enjeux financiers à la clé : c'est un parlementaire républicain, Darrel Issa, qui était à l'origine de cette procédure en 2003, ayant dépensé 3 millions de dollars pour récolter 1,7 million de signatures. Des ennuis avec la justice l'ont cependant amené par la suite à renoncer à présenter sa candidature...7(*) La pratique de la démocratie participative aux Etats-Unis est en pleine effervescence depuis trente ans : dans l'ensemble des Etats fédérés, il y a environ 70 consultations les années impaires, et plus de 300 les années paires, couplées aux élections générales. Cependant nous sommes assez loin des objectifs préconisés à la fin du XIXème siècle, quand on avançait que la démocratie participative était un contrôle populaire des élus : il y a un désintérêt notable des électeurs pour les initiatives (40% maximum de participation). La démocratie participative a de plus largement été détournée au profit des groupes d'intérêt, au point que désormais des sociétés se sont spécialisées dans la collecte de signatures, dans l'organisation de campagnes électorales : les initiatives ne reflètent souvent que le point de vue d'un seul groupe de pression, ce qui a conduit à l'utilisation de l'expression «référendum d'initiative minoritaire.» L'Italie et son référendum d'initiative populaire abrogatif Comme la Suisse et les Etats-Unis, l'Italie est un Etat relativement récent, indépendant et unifié depuis le milieu du XIXe siècle, et par la même à forte vocation décentralisée, cinq régions italiennes bénéficiant même d'un statut d'autonomie spéciale... En Europe, l'Italie est un cas particulier dans le domaine de la démocratie participative. La Constitution italienne prévoit diverses possibilités de démocratie participative au sein desquelles le référendum tient une place importante, même si la classe politique a souvent tenté de neutraliser son utilisation. Le Parlement italien a mis 23 ans pour voter la loi nécessaire à la mise en oeuvre du référendum d'initiative populaire abrogatif, alors que celui-ci était prévu dans la Constitution dès 1948. C'est en 1970 que la Démocratie Chrétienne au pouvoir doit se résigner à accepter l'autorisation du divorce mais mets parallèlement en place le référendum abrogatif en espérant revenir sur l'autorisation du divorce, ce qu'un majorité de votants au référendum refusa de faire. Prévue par l'article 75 de la Constitution, cette procédure permet donc à 500 000 électeurs ou cinq Conseils Régionaux de demander l'abrogation d'une loi ou d'une partie d'une loi. L'article 75 stipule cependant que le référendum abrogatif n'est valable que s'il y a une majorité des électeurs inscrits qui a participé au vote (il faut donc qu'il y ait plus de 50% de participation). L'abrogation de certaines lois est exclue : lois d'amnistie, lois de ratification des traités internationaux et lois fiscales et budgétaires. Cette procédure, après des débuts difficiles, s'est révélée d'une grande efficacité entre 1987 et 1993, où dix-sept référendums abrogatifs ont ainsi été organisés, et une grande majorité ayant abouti. L'impact était d'autant plus fort que le Gouvernement et le Parlement interprétaient les résultats politiquement. Notamment en 1987, lorsque trois référendums ont été organisés contre les projets nucléaires, cela a abouti à l'arrêt complet du programme électronucléaire italien. En 1993, les Italiens ayant abrogé une loi concernant le mode d'élection des sénateurs (abrogation du système proportionnel), le gouvernement et le Parlement ont préféré changer toutes les lois électorales... L'opération Mani Pulite8(*) a révélé les dysfonctionnements du système politique, et les référendums ont été utilisés pour mettre fin à la corruption de ce système. Le financement public des partis politiques a été supprimé, le système politique complètement changé à partir de l'imposition du scrutin majoritaire en 1993. La vie politique italienne s'est restructurée autour de deux pôles : un pôle de gauche (l'Ulivo, regroupant socialistes et communistes) et un pôle de droite autour de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi. Une véritable alternance politique est devenue possible, après une longue domination de la Démocratie Chrétienne, complètement morcelée en petits partis après un tel séisme. Si le référendum abrogatif a permis cette restructuration, il apparaît aujourd'hui à bout de souffle. Les référendums de mai 2000 pour un changement de mode de scrutin, qui ont été combattus par la droite, ont échoué à cause d'une trop faible participation. En effet les tenants du maintien de la loi ayant plus intérêt à s'abstenir qu'à voter non, cette pratique peine à mobiliser la majorité des Italiens, hormis lors de circonstances politiques très particulières. Il existe également en Italie une possibilité d'initiative populaire des lois, prévue par l'article 71. Il s'agit de permettre au peuple de présenter une pétition sous forme de projet de loi, devant être déposé et soumis au vote du Parlement par au moins 50 000 citoyens. Cependant le Parlement n'étant jamais obligé de discuter le projet, cette pratique n'a pas connu de réelle efficacité. La Suisse, les Etats-Unis et l'Italie proposent donc des méthodes originales de démocratie participative. Cependant aucun de ses modèles n'échappe à la critique et la même question de l'instrumentalisation par les politiques peut se poser pour les trois pays... La participation en France En France la fonction politique revêt un certain caractère «sacré», bien plus que dans les pays scandinaves notamment où les politiques sont perçus comme des citoyens comme les autres. Plusieurs facteurs peuvent jouer dans cette tradition française : le fait que la France a été une monarchie pendant des siècles, et que même l'instauration d'un régime républicain a perpétué cette sacralisation du pouvoir. Les dirigeants ont ainsi une très haute conception de leur rôle et n'entendent pas que l'on vienne dire que le moindre tout-venant serait autant qualifié qu'un élu pour prendre une décision touchant au bien commun. Pourtant en 1793, la Constitution de l'An I prévoyait que les citoyens devaient se réunir en Assemblées Primaires, qui devaient donner leur accord sur les lois votées par le Parlement, ce qui constituait une forte forme de démocratie directe. Mais cette Constitution, qui prévoyait en outre le suffrage universel, ne fut jamais appliquée, et la pratique du plébiscite au sein des régimes bonapartistes a achevé les hommes d'Etat républicains de se méfier des consultations populaire... La France peut alors apparaître comme largement en retard par rapport à nombre d'autres démocraties occidentales, dont la tradition de démocratie participative est nettement plus ancrée. La démocratie représentative a souvent servi dans notre pays à légitimer voire camoufler pendant la seconde moitié du XIXe siècle et la première du XXe le pouvoir des députés. Aussi, dès 1920, un constitutionnaliste classique, Raymond Carré de Malberg, dénonçait-il la souveraineté parlementaire et préconisait de l'équilibrer par le recours au référendum9(*)... Mais en France l'idée de l'appel au peuple a longtemps évoqué la pratique plébiscitaire des régimes impériaux : il a fallu attendre 1958 pour que le recours au référendum soit normalisé. Cela dit la grand-messe du référendum constitutionnel, telle qu'elle était pratiquée au temps du Général de Gaulle, s'avère bien moins audacieuse que les multiples pratiques de démocratie participative existant dans les pays que nous avons visités. La participation directe des citoyens en France, sur le plan institutionnel, se limite alors bien souvent au sacro saint référendum, si emblématique de notre Ve République et pourtant si redouté de nos politiques. La dernière campagne présidentielle a cependant fait de la démocratie participative un sujet important de débat, notamment du fait de la mise en place par les deux principaux candidats de structures de soutien en dehors des partis traditionnels, afin de s'appuyer sur la société civile. Tout cela relève donc avant tout d'une pratique orchestrée par les politiques, qui cherchent auprès des citoyens un appui qu'ils obtiennent en les faisant participer... Certaines évolutions au cours des dernières années ont déjà eu lieu sur le plan juridique, et nul doute que celles-ci se poursuivront à l'avenir...
L'état actuel du droit en France L'instrument phare de la démocratie participative, le référendum, tient au sein du système institutionnel français une place particulière et est considéré comme un instrument essentiel de l'exercice de la souveraineté du peuple français10(*). Longtemps marqué par l'usage qu'en faisait le Général de Gaulle, le référendum ne manque pas en France de susciter des très larges débats lorsqu'il en est organisé un, et bien souvent les Français se refusent à répondre strictement à la question qui leur est posée... La Constitution française prévoit deux possibilités de référendum, le référendum législatif (art. 1111(*)) et le référendum constitutionnel (art. 8912(*)). Outre la différence de nature des textes soumis à ces référendums, il existe une différence de taille entre les deux procédures en cas d'initiative présidentielle : le Président n'a pas besoin d'un vote des deux assemblées pour lancer un référendum grâce à l'art. 11, tandis que l'utilisation du référendum par l'art. 89 requiert un vote favorable des deux assemblées au préalable. Théoriquement, le recours au peuple n'est donc pas direct en cas de modification de la constitution. Il n'est même pas obligatoire dans la mesure où le Président peut également passer par le Congrès pour faire approuver toute réforme constitutionnelle13(*). Cependant le Général de Gaulle s'est servi à deux reprises de l'article 11 pour convoquer un référendum aux fins de modifier la constitution (ce qui n'a pas manqué de susciter de nombreuses controverses sur la légalité d'une telle procédure), sans avoir à passer par le Parlement au préalable : en 1962 pour l'élection du Président au suffrage universel direct et en 1969 pour la régionalisation et la réforme du Sénat, ce dernier ayant échoué et abouti au départ du Général de Gaulle. Cependant la conception gaullienne du référendum, qui passait plus pour une question de confiance et d'adhésion personnelle du peuple envers son président, que pour une simple question sur un point précis, faisait du référendum une arme à double tranchant et un exercice risqué duquel la plupart des successeurs du Général ont préféré se passer... Ainsi le seul cas d'utilisation de la procédure de référendum constitutionnel par l'art. 89 date de 2000 avec l'instauration du quinquennat : en dehors de cela ainsi que du référendum de 1962, toutes les modifications de la Constitution française ont été adoptées par le Congrès. Le référendum a aussi présenté de sérieux risques pour la ratification de traités : le traité de Maastricht n'a été approuvé par référendum en 1992 que par 51% des Français, quant au traité constitutionnel européen, une majorité de 54,7 % l'a rejeté en 2005, ce qui a jeté un large discrédit sur la classe politique française, majoritairement partisane du « oui ». Au final les référendums en France sont plutôt rares, les politiques préférant généralement la voie moins semée d'embûches du Congrès. Le fait est de plus que bien souvent les Français par leur vote ne répondent pas tellement à la question posée mais veulent avant tout profiter de l'occasion de la tenue du référendum pour exprimer un message à l'attention de la classe politique. Ainsi le « non » qui a triomphé en 1969 était bien plus un non à de Gaulle qui avait annoncé qu'il démissionnerait aussitôt en cas d'échec, ce qu'il a fait. Quant aux motifs du rejet du Traité européen, là encore ce sont en grande partie de vieilles rancoeurs générales envers l'Europe qui se sont exprimées, ainsi qu'une méfiance totale envers les institutions et la politique communautaires actuelles, plutôt qu'un rejet du traité stricto sensu. Si le référendum a donc longtemps été l'instrument de démocratie participative privilégié en France, pour ne pas dire le seul, la loi a cependant connu un certain nombre d'évolutions significatives pour ne pas penser que le mouvement vers une diversification des méthodes de démocratie participative est en marche. La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a prévu un certain nombre de mesures favorisant la participation directe des citoyens à la vie publique. Cette loi a ainsi permis la création de conseils de quartiers dans les communes de 20 000 habitants et plus, ces conseils de quartier étant obligatoires pour les villes au-delà de 80 000 habitants14(*). Institués par le conseil municipal, ils comprennent des élus municipaux, représentés à la proportionnelle, ainsi que des personnalités représentatives et des associations d'habitants. Ils doivent jouer un rôle consultatif auprès du maire, principalement dans le domaine de la politique de la ville. La formule retenue confère aux conseils un rôle de proposition et les associe aux décisions dans un esprit de concertation. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République est également porteuse de plusieurs innovations. Un référendum local décisionnel (nouvel article 72-1 de la Constitution15(*)), est désormais possible alors que jusqu'à présent, seul un référendum consultatif, au niveau communal, était autorisé. Cependant, seuls les élus, et non les citoyens, peuvent être à l'initiative du nouveau référendum décisionnel. La loi organique du 1er août 2003 relative au référendum local précise les modalités de sa mise en oeuvre. Les citoyens bénéficient tout de même d'un droit de pétition et peuvent désormais demander (mais non obtenir avec certitude) l'inscription à l'ordre du jour d'une assemblée locale d'une question relevant de sa compétence, comme le stipule l'art. 72-1 de notre Constitution. Ce n'est donc pas un référendum d'initiative populaire dans la mesure où la pétition ne permet pas d'obtenir systématiquement un référendum mais que celui-ci est décidé par le conseil municipal. Cette réforme constitutionnelle a également créé la possibilité d'organiser, lorsque la loi l'y autorise, des consultations locales : en cas de modification de l'organisation d'une collectivité territoriale à statut particulier, en cas de modification des limites des collectivités territoriales. Le 6 juillet 2003, 51% des électeurs corses se sont ainsi prononcés contre le nouveau statut qui leur était proposé pour leur île. Ces référendums ont toutefois valeur de simples avis16(*). En revanche si de telles question concernent un collectivité d'outre mer, la consultation est dans ce cas obligatoire et le résultat du référendum lie le législateur17(*). L'état du droit actuel en France ne permet donc pas in fine de procédures particulièrement poussées en matière de démocratie participative, ni originales. Cependant le mouvement de ces dernières années est net : la participation directe des citoyens tend à être encouragée au niveau local, que ce soit par les conseils de quartier ou le droit de pétition. Ce mouvement est voué à se poursuivre au vu des débats politiques qui tournent actuellement autour de cette question. Débats et perspectives C'est notamment la dernière campagne présidentielle qui a été le théâtre de proposition innovatrices en terme de démocratie participative. La proposition la plus retentissante et qui n'a pas manqué de susciter de grandes polémiques est sans nul doute celle de Ségolène Royal concernant les «jurys citoyens.» Ces derniers, tirés au sort, devaient être chargés d'évaluer les politiques publiques des élus, et permettre ainsi de faire «émerger une sorte de richesse humaine spontanée18(*)». La forme exacte de ces jurys citoyens est restée plus ou moins vague : «On retrouve un mélange de catégories sociales. On peut avoir un Rmiste, un ingénieur, des gens qui ne se connaissent pas et que l'on fait travailler en étant accompagnés par des élus et des experts sur un même sujet.» La question de la pertinence et de la qualification de citoyens tirés au sort à donner leur avis sur la vie publique se pose tout de même avec une certaine acuité. L'idée est en fait déjà expérimentée à l'étranger. Sur le modèle des assises, un jury tiré au sort se réunit pour débattre pendant plusieurs jours sur des dossiers précis. Dans la plupart des cas, leur rôle reste consultatif, et ils interviennent en amont des décisions. Mais certains ont des prérogatives décisionnelles en matière budgétaire, à Berlin, ou Porto Alegre. En France, plusieurs expériences similaires ont déjà été menées : Ségolène Royal elle-même a expérimenté dans sa région le «budget participatif», chaque année, les lycées doivent décider de l'usage de 10 % du budget qui leur est affecté. Les politologues ont généralement posé deux conditions préalables à la pertinence et l'efficacité d'une telle mesure : pour Bastien François, professeur de sciences politiques à l'université Paris-I, «C'est une tendance forte en Europe, une réponse possible à la crise de la représentation politique. Cela peut faire émerger des idées nouvelles car les citoyens sont plus diplômés qu'avant. Cela dit, pour que ce soit plus efficace qu'un sondage, il faut que ces jurys produisent un avis éclairé, qu'ils soient formés». Loïc Blondiaux19(*), chercheur à l'IEP de Lille, précise lui que «l'expérience prouve qu'il faut aussi que ces jurys soient transparents et indépendants de leur commanditaire politique. Les rôles doivent être bien délimités pour que les élus n'aient pas l'impression de se voir confisquer le pouvoir au profit des citoyens20(*).» Des citoyens compétents et indépendants, autant dire que l'on réclame d'eux les mêmes qualités que nos dirigeants, ce qui présente le risque d'une confusion entre la légitimité de l'élu et celle du simple citoyen. A ce sujet Ségolène Royal a précisé qu'il ne s'agissait pas de «sanctionner» les élus, et que ceux-ci garderaient toujours le dernier mot. A ce stade il ne serait pas inutile de relever ce propos du constitutionaliste Didier Maus : «Les élus sont légitimes pour juger de l'intérêt général, ils sont élus sur les programmes généraux et n'ont pas à être jugés sur des actions catégorielles. Par ailleurs, on ne peut pas remplacer la sanction d'une élection régulière par un happening permanent.» Finalement c'est Loïc Blondiaux qui résume assez bien toute la fragilité d'une telle mesure : «Le pari sera donc de savoir si, en l'absence de sanction, ces jury peuvent avoir un poids symbolique suffisamment fort pour s'imposer.» Au vu de l'accueil que les maires ont fait de cette proposition, on peut estimer que ce poids symbolique, en pratique, les jurys ne l'auraient pas eu... La campagne de Ségolène Royal a d'ailleurs véritablement été menée en insistant sur la démocratie participative : Désirs d'Avenirs a constitué une plate-forme de propositions par tous les citoyens, indépendante du PS. Il est d'ailleurs significatif que le Président de la république actuel, naguère sceptique devant une telle façon de mener campagne, a laissé Jacques Attali créer une trentaine de blogs pour alimenter des propositions pour la commission qu'il préside sur les conditions de la libération de la croissance française. Il ne faut pas oublier non plus que lors de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, une structure de soutien indépendante de l'UMP, l'Association Nationale des Amis de Nicolas Sarkozy (ANANS), avait été mise en place : son but était de promouvoir le projet présidentiel de Nicolas Sarkozy tout en allant à la rencontre d'hommes de terrain, avec la volonté de privilégier l'homme et les idées au détriment de l'étiquette politique. Très dynamiques sur le net, les blogs des sections jeunes régionales de l'ANANS ont ainsi fourmillé de témoignages singuliers, de propositions et débats en tout genre, sans oublier l'organisation de rencontres assez informelles, plus décontractées que si elles avaient eu lieu dans le cadre de l'UMP... Il est cependant impossible de nier la part de démagogie contenue dans ces propositions ou dans le lancement de ces structures. La phrase de Ségolène Royal «mes idées seront les vôtres» pose la question du rôle du décideur : doit-il se contenter d'écouter ou doit-il également jouer un rôle majeur d'impulsion, comme l'a tout de même répété Nicolas Sarkozy à plusieurs reprises ? Une critique récurrente faite envers Ségolène Royal a souvent été que sa volonté d'instaurer une démocratie participative au sein même de ses structures de campagne masquait le fait qu'elle-même n'avait que peu d'idées à proposer aux Français... Nicolas Sarkozy promettait lui «d'associer» les citoyens au choix des réformes et de rendre compte «régulièrement» devant eux de son action. Ainsi il a été évoqué que 10 % du corps électoral puisse demander au Parlement de se prononcer sur un texte de loi, Ségolène Royal ayant également formulé une proposition similaire. Quant au référendum d'initiative populaire, pourtant promis par Jacques Chirac lors de la campagne de 2002, seule l'UDF et François Bayrou ont proposé en 2007 son adoption, ainsi que l'extension du champ référendaire de l'article 11, dans leur projet pour une VIe République, qui proposait également la possibilité de saisine du Conseil Constitutionnel par les citoyens. Cependant le référendum d'initiative populaire ainsi que la saisine du Conseil Constitutionnel constituent bien évidemment des thèmes sur lesquels la Commission pour la réforme des institutions présidée par Edouard Balladur ne va pas tarder à rendre ses décisions... Après avoir tenu le haut du pavé pendant la dernière campagne présidentielle, l'idée de démocratie participative est désormais quelque peu en veilleuse, mais ne manquera pas de ressurgir lors de la publication des travaux de la Commission Balladur. Les Français ne se privent cependant pas de participer, notamment au niveau local et d'une manière non institutionnelle : l'exemple de la consultation de Bruno Genzana à Aix-en-Provence en est représentatif... Le cas d'école d'Aix-en-Provence Un exemple significatif d'une volonté de consultation de la population locale en toute proximité d'une part, mais sans être totalement dénué de toute stratégie électorale d'autre part, se trouve du côté d'Aix-en-Provence, ville ni trop petite ni trop grande avec ses 150 000 habitants, et dont la vie politique est fortement agitée... En effet, droite et gauche y sont divisées, sans oublier le centre, dont le leader local François-Xavier de Peretti suit pleinement depuis 2002 François Bayrou dans sa stratégie d'autonomie vis-à-vis de la droite, comme l'en témoigne sa posture « ni dans la majorité, ni dans l'opposition », ainsi que le lancement de sa structure l'Union pour Aix. En ce qui concerne l'UMP, le maire sortant Maryse Joissains s'est vu contesté par ses 2e et 5e adjoints, Stéphane Salord et Bruno Genzana, lequel a lancé en septembre 2006 Les Ateliers de l'Avenir - Aix 2008, vaste plateforme de projets comprenant notamment une «Grande Consultation de tous les Aixois», ce qui n'a pas tellement plu à Mme le Maire : le climat s'annonce pour le moins tendu pour les prochaines élections municipales... Une opération stratégique Cette initiative ne manqua pas de susciter de vives polémiques, que ce soit avec l'opposition ou même au sein de la majorité municipale. Les Ateliers de l'Avenir ont en fait constitué une excellente occasion pour Bruno Genzana de se démarquer de l'équipe sortante et d'affirmer son autonomie, face aux critiques non négligeables pesant sur Mme le Maire et son entourage, presque depuis le début de son élection à la tête de la ville en 2001. Bruno Genzana et son bouillonnant compère Stéphane Salord seraient ainsi tout à fait en mesure de se poser en hommes de «rupture», sans pour autant renier leur appartenance à la majorité municipale, s'inspirant ainsi du numéro d'équilibriste qu'a su parfaitement exécuter Nicolas Sarkozy lors de la dernière campagne présidentielle, lors de laquelle il a pu se démarquer substantiellement du gouvernement sortant et de l'ère Chirac, tout en étant soutenu par ce même gouvernement dont il était même le numéro 2, avec le titre de Ministre d'Etat... Le moins que l'on puisse dire, c'est que les habitants aixois seront extrêmement attentifs au déroulement de la prochaine campagne municipale. Quant à ceux s'étant impliqués sans arrière-pensées dans Les Ateliers de l'Avenir, ils devraient sans aucun doute surveiller de près M. Genzana afin de voir quels enseignements celui-ci aura tiré de cette vaste consultation... L'ambition pour le bien des gouvernants et des gouvernés Le cas concret de l'initiative de Bruno Genzana à Aix-en-Provence est révélateur de l'ambiguïté d'une telle démarche : d'un côté l'exécutif local, souvent accusé de gouverner en vase clos, créé un mécontentement de certaines franges de la population. De l'autre, un adjoint au maire réputé pour son sérieux et son écoute offre enfin l'occasion à de nombreux habitants de s'exprimer, et d'élaborer tous ensemble une véritable vision d'avenir pour Aix... Sauf que par la même occasion cet adjoint devient de fait un acteur incontournable du paysage politique aixois, et peut légitimement se poser en candidat à la mairie lors des prochaines élections. Difficile pour le citoyen aixois lambda de ne pas voir a priori d'arrières pensées personnelles dans cette démarche, pourtant guidée par les meilleurs sentiments du monde, d'autant plus si le dit citoyen est connaisseur des moeurs politiques aixoises, plutôt singulières... La question essentielle reste finalement de déterminer quel bénéfice la population concernée va tirer de cette démarche de consultation, à la fois sincère et stratégique : il a été en effet très difficile de synthétiser en projet les milliers de retour qu'ont eu une telle initiative, d'autant plus que la qualité des contributions effectuées y a été bien évidemment on ne peut plus variable. Un autre problème est aussi que le citoyen ne pourra véritablement s'assurer d'avoir été bien entendu que lorsque l'initiateur de la démarche de consultation aura les moyens de concrétiser en acte les projets établis : or pour cela il faudrait que M. Genzana soit élu Maire d'Aix-en-Provence. Au final une démarche de proximité telle que Les Ateliers de l'Avenir reste avant tout une question de confiance : l'ambition personnelle est présentée comme mise au service d'une ambition collective, l'opportunisme dont a fait preuve M. Genzana devient alors une opportunité pour les citoyens aixois... * 1 La façon de communiquer qu'avait Jean-Pierre Raffarin, en apparaissant comme un homme de terroir sympathique, charismatique du fait de son absence de charisme, défenseur de la «France d'en bas» et adepte d'une « nouvelle gouvernance », même si cela ne l'a pas empêché de sombrer dans les sondages lorsque des réformes difficiles ont dû être menées par son gouvernement, a tout de même fait école dans la classe politique... * 2 Depuis la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003, art. 1er. * 3 La proposition très controversée de Ségolène Royal des «Jurys citoyens» a encore récemment provoqué bien des remous... * 4 Le capital nom est constitué des éléments qui font la notoriété d'un homme politique, mais encore faut-il que celle-ci soit bonne : c'est là que le capital réputation entre en jeu... * 1 Ex : en Mars 2002 sur l'adhésion à l'ONU qui a obtenu 55% de « oui » * 5 Le terme populiste signifiait plutôt «progressiste» avec un forte connotation sociale. Il n'avait pas du tout la connotation négative d'aujourd'hui... * 6 Littéralement le « rappel » : un référendum d'initiative populaire est organisé pour décider de la destitution d'un gouverneur par exemple... * 7 Source Canal Ipsos, http://www.ipsos.fr/canalipsos/articles/1190.asp * 8 Litt. « opération mains propres », très vaste opération judiciaire en Italie lancée en 1992 contre la corruption du monde politique italien ayant entraîné une recomposition totale du paysage politique transalpin. * 9 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l'Etat, rééd. CNRS, 1962. * 10 Art. 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » * 11 « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. * 12 « L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier Ministre et aux membres du Parlement. Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. » (alinéas 1 et 2) * 13 Art. 89 alinéa 3 : « Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée Nationale. » * 14 « Dans les communes de 80 000 habitants et plus, le conseil municipal fixe le périmètre de chacun des quartiers constituant la commune. Chacun d'eux est doté d'un conseil de quartier dont le conseil municipal fixe la dénomination, la composition et les modalités de fonctionnement. Les conseils de quartier peuvent être consultés par le maire et peuvent lui faire des propositions sur toute question concernant le quartier ou la ville. Le maire peut les associer à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des actions intéressant le quartier, en particulier celles menées au titre de la politique de la ville. Le conseil municipal peut affecter aux conseils de quartier un local et leur allouer chaque année des crédits pour leur fonctionnement. Les communes dont la population est comprise entre 20 000 et 79 999 habitants peuvent appliquer les présentes dispositions.» Art. 1 * 15 « La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence. Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité. » (alinéas 1 et 2) * 16 Art. 72-1 alinéa 3 de la Constitution : « Lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées. La modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi.» * 17 Art. 72-4 alinéa 1 : « Aucun changement, pour tout ou partie des collectivités mentionnées à l'art. 72-3 ne peut intervenir sans que le consentement des électeurs de la collectivité ait été préalablement recueilli... » * 18 Cette citation ainsi que les suivantes sont extraites des propos de Ségolène Royal tenus au cours d'une interview pour 20 minutes, le 26 octobre 2006. * 19 Cf. son article sur la démocratie participative en annexe * 20 Propos des deux politologues ainsi que ceux de Didier Maus rapportés par Les Echos, dans l'article « Ségolène Royal : les jurys citoyens », en date du 13 avril 2007. |
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