L'encadrement juridique des risques biotechnologiques( Télécharger le fichier original )par Faiza Tellissi Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de tunis - Mastère en Droit 2002 |
§ 2 : La dualité des mécanismes de règlement des différendsLa multiplication d'espaces normatifs de référence, où les différends peuvent être réglés sans coordination avec ce qui se passe ailleurs, suscite depuis quelques années, des interrogations sur les apports mais aussi les risques pour le droit international138(*) L'hypothèse de réflexion étant celle d'un Protocole en vigueur, il semble possible d'identifier les effets potentiels d'un conflit. Malgré les différences entre les mécanismes de règlements des différends, un éventuel différent peut s'avérer juridiquement inextricable. A La configuration des mécanismes en présence. Nous allons comparer le profil des mécanismes de règlements des différends applicables, d'une part au protocole, et d'autres parts dans le cadre de l'OMC. Dans les deux cas, le règlement de différends est inscrit dans un processus qui fait se succéder plusieurs options, avec le recours possible à différents modes de règlements. Néanmoins, la configuration des systèmes est un peu différente. Si nous prenons le cas du Protocole, celui-ci ne contient pas par lui-même des dispositions relatives aux règlements des différends le concernant. Il prévoit bien dans son article 34 l'établissement de mécanisme de suivi mais renvoi pour le règlement des différends proprement dit à l'article 27 de la CDB. Ce renvoi est le reflet du § 5 de cet article 27 qui prévoit son applicabilité «aux différends touchants un protocole, sauf si celui-ci en dispose autrement». Les questions pouvant être soumises à règlement peuvent être variées, les différends envisagés concernent tant l'interprétation que l'application de la convention et du protocole. De plus, le système envisagé présente le même profil que ceux que l'on retrouve dans d'autres conventions environnementales. Le mécanisme du protocole prévoit classiquement plusieurs étapes. L'article 27 de la Convention fait se succéder une phase faiblement contraignante, consistant en une obligation de négociation assortie en cas d'échec de la possibilité d'utiliser les bons offices ou la médiation d'une tierce partie, et une phase plus contraignante, renvoyant à un mode obligatoire de règlement du litige. Ce système offre ainsi une alternative entre un règlement juridictionnel et un règlement par voie de conciliation. Le choix d'un règlement juridictionnel consistant soit à la mise en place d'une procédure d'arbitrage décrite à l'annexe II, soit à la saisine de la compétence de la CIJ, suppose une acceptation préalable des Etats concernés sous la forme d'une déclaration facultative, déposée lors de la ratification ou à tout moment ultérieur par l'Etat concerné. Cette déclaration peut ne viser qu'une des deux voies juridictionnelles139(*). Si les parties au différend n'ont pas pris un tel engagement ou un engagement de même portée, et si elles ne s'accordent pas sur une procédure, le différend sera alors soumis à la procédure de conciliation, décrite elle aussi à l'annexe II de la Convention Rio140(*). Tel que conçu, ce mécanisme assure qu'une procédure de règlement pourra bien avoir lieu. A cette fin, les risques de blocage ont été éliminés. Ainsi les parties ont la possibilité de s'entendre sur une procédure, mais il existe, à titre subsidiaire, la possibilité d'activer unilatéralement une procédure, soit juridictionnelle, si les deux parties l'ont accepté préalablement, soit de conciliation, les parties l'ayant accepté en adhérant à la Convention141(*). De plus la défaillance d'une des parties de participer à la procédure, n'empêche pas celle-ci d'aller à son terme. Le tribunal peut rendre une décision malgré le défaut d'une partie si l'autre le demande. Quant à la CIJ, le défaut d'une des parties ne l'empêche pas de se prononcer si elle s'estime valablement saisie et compétente .De plus, le système a été conçu de manière à ce que le processus de règlement soit le plus rapide possible. Même si la négociation n'est pas enfermée dans des délais, les modes obligatoires le sont, à l'exception du recours à la Cour Internationale de Justice. Ceci garantie une solution ou une proposition de solution, à une échéance raisonnable. Concernant la CIJ, l'absence de précision de délai est logique puisque c'est au juge de fixer le «planning» d'une instance. Toutefois, à l'issue de la procédure, aucune garantie d'une décision obligatoire, et donc d'un règlement effectif, n'existe. Ce peut être le cas si les parties ont accepté l'arbitrage ou la juridiction de la cour. En revanche dans le système subsidiaire de conciliation, on aboutit à l'issue classique d'une «proposition de résolution du différend que les parties examinent de bonne foi»142(*). Si nous examinons le système de l'OMC, celui-ci lie aujourd'hui 146 Etats puisque le Mémorandum d'accord sur les règles et procédures relatives au règlement des différends fait partie de l'ensemble normatif auquel sont nécessairement partie tous les Etats membres de l'OMC143(*), et offre toute une panoplie de modes de règlement des différends. En effet, nous pouvons tout d'abord penser à la procédure faisant intervenir un Groupe Spécial, voire de l'Organe d'Appel, puis de l'Organe de Règlement des Différends pour entériner, pouvant être activée unilatéralement par tout Etat membre de l'Organisation144(*). Pourtant, il ne s'agit pas de la seule voie. L'article 25 du Mémorandum permet en effet, en cas d'accord entre les parties de recourir à la procédure d'arbitrage pour «certains différends concernant des questions clairement définies» par elles. De plus, l'article 5 du Mémorandum permet aux parties qui en conviendraient d'utiliser «les bons offices, la conciliation et la médiation». Cependant dans ce dernier cas, le recours à l'un de ces modes n'exclut pas nécessairement l'établissement et le fonctionnement d'un Groupe Spécial. En réalité tout dépend de l'ordre dans lequel les différentes procédures sont activées. En effet, les parties ont la possibilité d'utiliser l'article 5 alors même qu'un Groupe Spécial est déjà établi. Ce dernier poursuivra ses travaux, sauf si la partie plaignante (qui en a seule le pouvoir) ne lui demande expressément de suspendre ses travaux. Inversement, une partie ne peut être empêchée de demander l'établissement d'un groupe spécial lorsqu'il a été mis fin à une des procédures de l'article 5. Au terme de l'article 5(3), il semble même que l'utilisation de l'une des procédures dispense formellement la phase consultative précédent obligatoirement toute demande d'établissement d'un groupe spécial. Ceci reviendrait à considérer que cette proposition tient lieu de négociation infructueuse. Comme dans le Protocole, mais de façon encore plus systématique, ce système garanti qu'une procédure de règlement des différends, pourra avoir lieu et fait en sorte d'éliminer les possibilités de blocage. En effet, il existe une possibilité d'activation unilatérale de la procédure du Groupe Spécial en cas d'échec des négociations. L'absence d'accord des parties, pour la composition du Groupe Spécial, ne constitue pas un empêchement pour la mise en place de ce dernier. La procédure une fois activée est donc irrésistible pour le défendeur145(*). En outre, le mécanisme de règlement des différends de l'OMC est renforcé par la fixation de délai pour chaque phase de la procédure. Cette précision systématique de délai, y compris pour la phase de négociation146(*), aboutit sur la certitude d'une décision à une échéance prévisible, ce qui rend le système efficace. De plus la décision dont il s'agit est obligatoire pour les parties. L'étude des différents systèmes en présence fait apparaître des mécanismes également complexes mais inégalement achevés. Cependant, nous pouvons nous demander, si cette concurrence ne pourrait aboutir à des conflits juridiquement inextricables. B Des conflits de juridiction qui semblent inextricables Deux hypothèses de conflits peuvent être distinguées: tout d'abord, l'hypothèse d'un conflit direct lorsque deux mécanismes de règlement sont activés à l'occasion du même différend, ensuite l'hypothèse d'un conflit indirect, lorsque deux mécanismes sont activés à propos de litiges différents mais connexes car se rapportant à la même affaire ou posant un problème identique. Aucune des règles de priorité qui permettrait de résoudre un conflit direct ne semblent en mesure d'être appliquée; ces règles sont encore plus privées d'efficacité lorsque le conflit est indirect147(*). La question de conflit de juridiction semble au coeur de la question de la concurrence entre les mécanismes de règlement des différends. Dans ce cas, nous pouvons constater l'absence d'obstacles à l'activation parallèles ou successive de deux mécanismes de règlement des différends en présence. Ainsi, il n'existe pas d'exception de recours parallèle reprenant la règle non bis in idem, c'est-à-dire qu'on ne peut faire juger deux fois la même cause, et qui ferait obstacle à l'utilisation de l'un des mécanismes sous prétexte que l'autre est ou a été activé. Une telle disposition n'existe dans aucun des mécanismes concernés148(*). Au contraire, nous pouvons mentionner l'article 11(3) de l'Accord SPS qui dispose qu'aucune de ses dispositions «ne portera atteinte aux droits que les Membres tiennent d'autres accords internationaux, y compris le droit de recourir aux bons office ou aux mécanismes de règlement d'autres organisations internationales ou établis dans le cadre de tout autre accord internationale». Dans cette hypothèse, seul l'Accord SPS est concerné et toutes les hypothèses de conflits relatifs aux OGM ne sont pas couvertes. Ceci ne fait en aucun cas obstacle à l'utilisation du mécanisme de l'OMC. Or, il parait inconcevable que l'Organe de Règlement des Différends de l'OMC suspend une procédure en prenant prétexte de l'existence d'une procédure au titre du Protocole. D'ailleurs, ceci porterait atteinte au droit qu'a une Partie en vertu du Mémorandum d'obtenir une procédure de règlement des différends conformément à ses dispositions. A plusieurs reprises l'Organe d'Appel a rappelé le caractère fondamental du droit au règlement des différends dans le cadre du Mémorandum149(*). Le raisonnement s'appui sur le fait que les Etats se sont engagés à régler leur différends commerciaux conformément aux règles du Mémorandum et ont de ce fait, renoncé à l'unilatéralisme (Article 23 du Mémorandum).En contre partie, ils ont le droit à ce que tous les différends commerciaux soient effectivement réglés dans ce cadre. Une suspension de la procédure, ne peut dés lors intervenir qu'a la demande du plaignant. D'ailleurs, on peut envisager qu'une telle suspension soit demandée pour mener la procédure prévue par le Protocole. Ceci n'exclut pas qu'il puisse y avoir, par la suite, réactivation de la procédure OMC. En revanche, les choses sont moins claires dans le cadre du Protocole. Mais il n'y a aucune raison pour que ce soit différent. Néanmoins c'est surtout dans le premier sens que la question est susceptible de se poser150(*). Pas plus qu'il n'existe d'interdiction d'utiliser un des mécanismes quand l'autre est ou a été utilisé avec succès, il n'existe d'obligation d'épuiser un mécanisme avant de recourir à l'autre. En réalité, il existe un droit des Membres de l'OMC de déclencher une procédure OMC, qui ne peut être remis en cause, ni changé en y ajoutant une obligation de recourir préalablement au mécanisme de l'article 27 de la CDB. Dans ce cas, le refus d'un Etat de recourir au mécanisme du Protocole avant d'utiliser celui de l'OMC peut il produire des effets?151(*) Même si l'article 27 de la Convention de Rio imposait à ses Etats Parties l'usage préalable de son mécanisme de règlement des différends, cette obligation ne saurait être, ni opposée, ni invoquée dans le système de l'OMC, faute d'y avoir été incorporée. Enfin, il n'existe pas de res judicata152(*). Le fait d'avoir utilisé un mécanisme, qu'il soit allé à son terme et ait débouché sur une décision éventuellement obligatoire, n'empêche pas d'utiliser l'autre mécanisme. L'argument de la chose jugée peut difficilement être avancé et deviendrait plus délicat à manier si une procédure de l'article 27(3) était utilisée. Dés lors, l'argument selon lequel il ne s'agit pas de faire juger deux fois la même cause pourrait sans doute être utilisé, puisqu'on n'a pas affaire au même différend. On peut néanmoins se demander quelle serait la position d'un Tribunal Arbitral ou de la CIJ, dans l'hypothèse ou la mesure dont il ou elle serait saisi, aurait été déclarée incompatible avec le droit de l'OMC et devrait de ce fait, être retirée ou modifiée. Ne seraient ils pas obligés de considérer que le différend dont ils sont saisis a perdu son objet?153(*) Si nous supposons que le conflit de juridiction a été évité, sans que cela empêche deux procédures d'avoir lieu concernant la même affaire, on ne peut éliminer la possibilité d'un conflit de solution ou d'un conflit d'interprétation. D'ailleurs, c'est à ce stade que la pression se concentre. Certes si l'on considère que les deux mécanismes ne règlent pas le même différend ou le même aspect du différend, l'hypothèse d'un conflit de solution peut être contesté. Mais il est évident que cela n'exclut pas la possibilité d'une divergence de solution et surtout qu'une mesure jugée valide dans un cas soit jugée non conforme dans l'autre. Cette divergence se transforme alors en conflit si la mesure en question est imposée par le premier système et pas seulement possible sur son fondement, tandis que le second exige son retrait ou sa modification dans un sens non conforme aux exigences du premier. Un conflit d'interprétation est alors susceptible de survenir. Les mêmes règles peuvent faire l'objet d'interprétations différentes dans le cadre de chaque mécanisme. Le Protocole est susceptible d'être pris en considération dans une procédure de l'OMC. Plusieurs types de litiges peuvent exister, mais il est évident qu'il s'agit de justifier par le Protocole, une mesure dont la compatibilité avec le droit de l'OMC pourrait être remise en cause. Cependant, un accord externe au droit de l'OMC peut être interprété dans la mesure où il constitue une question intéressant le droit de l'OMC. C'est ce qui s'est produit depuis l'affaire des bananes ou l'Organe d'Appel avait interprété la Convention de Lomé parce que c'était nécessaire pour déterminer la portée de la dérogation dont cette convention bénéficiait au titre du droit de l'OMC154(*). Les Groupes Spéciaux, et l'Organe d'Appel pourraient donc développer leur propre conception du Protocole. A l'inverse, dans le cadre du mécanisme de l'article 27 de la Convention de Rio, et conformément au préambule du Protocole, pour l'interprétation de ce dernier, il peut être nécessaire d'analyser le droit de l'OMC en tant qu'autre accord visé par le préambule pour déterminer ce qu'il impose, afin de ne pas l'altérer. Toutefois, même si une divergence d'interprétation ne se produit pas concernant la même affaire, elle peut créer une pression et le sentiment d'un désajustement des espaces normatifs ou selon S. Maljean Dubois, d'une désarticulation du droit international155(*). De cette concurrence, pourrait résulter des «conflits inextricables». La nécessité de prévenir de tels conflits pousse à explorer les éléments favorisant au contraire une articulation entre les deux systèmes juridiques. * 138Guillaume (G), «Quelques propositions concrètes à l'occasion du cinquantenaire de la CIJ», RGDIP, 1996, p323 * 139 La condition d'une déclaration écrite d'acceptation préalable n'a été effectuée que par quatre Etats. Trois d'entre eux ont accepté les deux modes de règlement (l'Autriche, la Georgie et la Lettonie); Cuba n'a accepté que l'Arbitrage. * 140 L'article 27 de la Convention de Rio est complété par 2 annexes, dont l'une précise le déroulement de la procédure d'arbitrage, tandis que l'autre précise la procédure de conciliation, tout en laissant aux Parties la possibilité de convenir d'autres règles. * 141Ruiz Fabri (H), «Concurrence ou complémentarité des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l'OMC», op. cit. p153. * 142 Cf. article 5, annexe II, 2 ème partie * 143 En vertu du Principe de l'Accord unique, il faut, pour être Membre de l'OMC, être Partie à la charte de l'OMC y compris ses trois premières annexes (la première contient l'ensemble des accords commerciaux multilatéraux, la deuxième contient le Mémorandum sur le règlement des différends et la troisième, le mécanisme d'examen des politiques commerciales). * 144 Il lui suffit de déposer une «plainte» à partir de laquelle s'ouvre un délai dans lequel les parties sont censées tenter de négocier pour régler leur différend à l'amiable et à l'issue duquel le plaignant peut demander l'établissement d'un groupe Spécial, organe ad hoc. Le rapport rendu par le groupe Spécial peut faire l'objet d'un appel de la part de l'une des Parties. L'Organe d'Appel, organe permanent alors saisi, rend lui-même un rapport. Les deux rapports sont ensuite transmis pour adoption à l'Organisme de Règlement des Différends, organe plénier de l'OMC. Apres l'adoption, les conclusions sont obligatoires pour les Parties et leur exécution fait l'objet d'une surveillance multilatérale. * 145Ruiz Fabri (H), «Concurrence ou complémentarité des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l'OMC», op. cit. p154. * 146 Pour cette phase, seuls sont fixés des délais minimums. Rien n'empêche les Parties de prolonger autant qu'elles le souhaitent la phase de consultation. En revanche, elles ne peuvent ramener la durée en deçà d'une certaine durée (article 4 Mémorandum). * 147Ruiz Fabri (H), «Concurrence ou complémentarité des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l'OMC», op. cit. p159. * 148 Nous pouvons couramment retrouver des dispositions de ce genre par exemple dans des systèmes de protection des droits de l'Homme. Voir l'article 35§2b de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. * 149 Voir notamment Canada - mesures affectant l'exportation d'aéronefs civils (WT/DS 70/ABR). Rapport du 2 Août 1999, § 187 et s. * 150Ruiz Fabri (H), «Concurrence ou complémentarité des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l'OMC», op. cit. p159. * 151Ibid, p160. * 152Ruiz Fabri (H), «Concurrence ou complémentarité des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l'OMC», op. cit.p164 * 153Ibid. p165 * 154 Communauté européenne - Régime applicable à l'importation, à la vente et à la distribution de bananes (WT/DS 27/AB/R). Rapport d'appel du 9 septembre 1997, adopté le 25 septembre 1997, §162. * 155Maljean Dubois (S), «Biodiversité, biotechnologies, biosécurité: le droit international désarticulé», JDI 2000/4, pp948-996 |
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