L'encadrement juridique des risques biotechnologiques( Télécharger le fichier original )par Faiza Tellissi Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de tunis - Mastère en Droit 2002 |
Section 2 : Les instruments mis en place au plan national : l'exemple tunisien.Depuis un certain temps, la Tunisie a intégré, les biotechnologies nouvelles et a pris conscience de leur intérêt pour son développement. Toutefois, malgré les avantages qu'elles représentent, il faut toujours garder à l'esprit leurs potentiels ou réels dangers. En effet, consciente de l'impact des biotechnologies sur la diversité biologique et l'économie du pays, la Tunisie envisage de se doter de moyen nécessaires lui permettant de mieux appréhender leurs diverses applications. Un de ces moyens consiste à élaborer un cadre juridique spécifique à ces biotechnologies et ce dans un but précis: encadrer objectivement leurs utilisations et leurs importations afin d'en tirer le meilleur parti, tout en limitant les dangers potentiels. L'examen des grandes lignes du cadre juridique tunisien en cour d'achèvement74(*), semble nous indiquer une tentative de conciliation, à travers le paramètre des OGM, entre les impératifs de développement et la protection de l'environnement. En outre, à travers l'étude de ce cadre juridique, nous pouvons mettre en évidence une volonté de renforcer les capacités, dans le but de sensibiliser et former le public aux nouvelles technologies. §1 : Un cadre juridique national en cours d'achèvementQuelle est l'utilité tel d'un cadre juridique? Cette question semble importante, dans la mesure ou, lorsqu'une activité ou secteur nouveau apparaît, un cadre juridique est toujours nécessaire, surtout si cette activité ou secteur est générateur de risques, comme c'est le cas des biotechnologies. Dans cette hypothèse, le droit constitue un important filet de sécurité réglementant cette activité. Cependant, il ne faut pas que le droit se transforme en moyen de limitation de ces nouvelles techniques: réglementer ne doit pas nécessairement entraver le développement et bloquer les recherches dans ce domaine. Comment, la Tunisie envisage t elle, à travers le paramètre des OGM, la relation entre ses impératifs de développement économique et la protection de son environnement?75(*) Nous sommes en présence de deux logiques contradictoires, à priori inconciliables. Cependant, un examen approfondi du futur cadre juridique, nous montre qu'une tentative de conciliation de ces deux paramètres, serait possible. A : Un cadre juridique de protection respectant le principe de précaution Le concept de précaution est né de la remise en question des certitudes scientifiques face à la crise environnementale. Afin d'éviter que l'absence d'action n'entraîne un dommage grave ou irréversible pour l'environnement et la santé humaine, le législateur tunisien a choisi de ne pas attendre pour réglementer le secteur des biotechnologies. Différends indices permettent d'affirmer que le cadre juridique tunisien a fait le choix d'une protection de l'environnement s'inscrivant dans le respect du principe de précaution. Tout d'abord, le recours à la procédure de l'autorisation préalable constitue une première preuve du respect de ce principe. Cette autorisation est obligatoire avant toute activité projetée et nous pouvons la qualifier de technique de police administrative préventive, empêchant à priori, l'utilisation d'une technique ou l'entrée d'un produit sur le territoire national76(*). Que ce soit pour l'utilisation confinée, la mise sur le marché ou encore la dissémination volontaire des OGM, ces autorisations sont limitées dans le temps. Le législateur a fait en sorte que les autorisations évoluent en fonction des connaissances scientifiques, ce qui traduit bien la volonté de prendre en compte la précaution De ce fait, une autorisation ponctuelle est adaptée puisque une fois l'innocuité démontrée l'interdiction de l'activité en question n'a plus lieu d'être. La référence à l'évaluation des risques dans le cadre juridique tunisien constitue un autre indice de respect du principe de précaution. Les autorités vont se baser sur les connaissances scientifiques du moment et vont tenter d'envisager les effets prévisibles de l'activité projetée sur l'environnement et la santé humaine. Les différentes utilisations ainsi que la mise sur le marché des OGM seront ainsi soumises à autorisation après évaluation des risques effectuée par un laboratoire agréé par la Commission Nationale sur la Biosécurité (CNB). En outre, le cadre juridique tunisien prévoit que toute importation ou transit d'OGM sur le territoire tunisien ne peut avoir lieu que s'ils n'ont auparavant obtenus, sur le territoire de sa Partie d'origine, une autorisation selon les règles et procédures en vigueur dans son propre pays et au moins équivalentes à celles prévues par la future loi n°1, et en conformité avec le droit international en vigueur77(*). Cette référence au droit international, ainsi qu'à la procédure APCC démontre une fois de plus la volonté de respecter le principe de précaution, grand principe de droit international et surtout l'obligation de respecter les accords internationaux qu'il a ratifié. Parmi ces accords internationaux, figure entre autres, le Protocole de Carthagène reconnaissant le principe de précaution et instituant la procédure APCC78(*). L'encadrement préventif prévu par les différends textes juridiques tunisiens est certes nécessaire pour estimer que les risques présentés par les OGM sont maîtrisés. Cependant, cet encadrement semble à priori insuffisant à lui seul s'il n'est pas accompagné d'un contrôle. Dans le cadre de la future législation tunisienne, le contrôle est exercé par la CNB placée auprès du Ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire (MEAT)79(*). Il s'agit avant tout d'un contrôle par l'information puisque la CNB demande des compléments d'informations lui paraissant nécessaire. Elle peut aussi exiger des modifications dans les installations d'OGM envisagées. Autre contrôle par l'information, celui effectué à travers le dossier technique que tout demandeur d'autorisation d'OGM est tenu de soumettre au Ministère de l'Agriculture de l'Environnement et des Ressources Hydrauliques (MAERH). Un autre aspect de contrôle par l'information mérite d'être soulignée: la future législation prévoit que le demandeur d'autorisation soumette au MAERH, en plus du dossier technique, un dossier publique. Dans cette hypothèse, il s'agit d'un contrôle effectué par le public qui recevra donc à travers ce dossier, toutes les informations relatives aux OGM utilisés.80(*) Enfin, le contrôle sur les OGM peut s'exercer au moyen de la sanction. Certes, pour les activités dangereuses et plus particulièrement dans le domaine des biotechnologies, la sanction est inadaptée dans la mesure ou elle intervient après que le dommage se soit produit. Mais dans ce genre d'activité, la préoccupation majeure consiste à vouloir protéger l'environnement et la santé humaine et surtout prévoir des instruments préventifs avant la survenance du dommage. Il est important de rappeler que la sanction peut aussi avoir un effet dissuasif puisque la seule connaissance de son existence servira à dissuader certains comportements et de ce fait, jouer un rôle préventif. Diverses infractions sont prévues et sanctionnées par la future législation. Nous avons tout d'abord des sanctions pénales qui se caractérisent par des peines d'emprisonnement ainsi que des amendes relativement élevées. Des peines complémentaires peuvent également être prononcée par le juge. Il s'agit de l'interdiction de l'utilisation pour l'utilisation confinée d'OGM qui sera maintenue tant qu'aucune modification n'est apportée à l'activité. Pour la dissémination volontaire d'OGM et leur mise sur le marché, les peines complémentaires consistent, soit à suspendre l'autorisation lorsque les prescriptions imposées n'ont pas été respectées, soit à suspendre la dissémination ou encore à saisir et consigner les produits mis sur le marché lorsque l'autorisation requise n'a pas été demandée. En plus de ces sanctions pénales, des sanctions administratives sont prévues. Ainsi, pour la dissémination volontaire d'OGM, l'autorité administrative compétente met en demeure le titulaire de l'autorisation, n'ayant pas respecté les prescriptions, de satisfaire à ces prescriptions dans un délai qui sera fixé ultérieurement par la CNB. A l'expiration de ce délai, si le titulaire de l'autorisation n'a pas encore exécuté les prescriptions, celui-ci sera puni d'emprisonnement et/ ou devra payer une amende. B : Un cadre juridique prenant en compte les impératifs de développement économique Les pays en développement demeurent inquiets face aux biotechnologies. En fait les intérêts suscités par les OGM sont perçus différemment par les pays développés, exportateurs de produits génétiquement modifiés, et les pays en développement. Les premiers sont dans une position de supériorité du fait de leur situation sur le marché international. Ces derniers recherchent des terres, des matières premières végétales ainsi que des lieux d'expérimentations pour développer la recherche dans le domaine des biotechnologies. De plus, ces pays ont une agriculture productiviste ou on a utilisé de plus en plus d'engrais, de désherbants et de pesticides. Cette logique productiviste a été également une des causes de la pollution de l'environnement. C'est dans ce contexte que les OGM, sont arrivés à partir des années 80 pour protéger l'environnement, tout en améliorant la productivité. Cependant pour les pays en développement, qui ont des besoins en investissements étrangers et des problèmes de sécurité alimentaire, les biotechnologies représentent un facteur de développement non négligeable. Mais ces derniers craignent que leurs besoins réels ne soient pas pris en considération. En effet, une grande partie des expérimentations en OGM porte sur des cultures résistantes aux herbicides, et l'industrie est beaucoup plus intéressée par les cultures à hauts rendements destinés à l'exportation. Or les pays en développement recherchent plutôt un développement des cultures résistantes à la sécheresse ou encore des cultures vivrières pouvant avoir une réelle incidence sur leur production alimentaire. En outre, dans ces pays, l'implantation des OGM n'est pas forcément adaptée à leur agriculture qui est restée dans la majorité des cas une agriculture traditionnelle et de subsistance. La dépendance alimentaire de ces pays s'est aggravée du fait de la logique de la spécialisation dans laquelle les pays développés les ont entraînés: café, thé, ou cacao sont privilégiés car prisés par le consommateur des pays riches. L'implantation des OGM risque de concurrencer voire se substituer à ces produits de base exportés par ces pays. La Tunisie, en tant que pays du sud, se trouve confrontée à cette situation ambiguë par rapport aux OGM. Ce pays a fait le choix depuis une quinzaine d'années de démanteler ses barrières douanières et tarifaires et de libérer ses échanges commerciaux dans le but de devenir un pôle d'attraction des investissements étrangers. La Tunisie a aussi fait le choix d'une politique protectrice de l'environnement en créant diverses institutions oeuvrant pour la protection de l'environnement et en signant la plupart des conventions internationales environnementales. La Tunisie connaît les OGM et d'un point de vue agricole, recherches et investissements, elle ne peut s'en passer même si paradoxalement une méfiance persiste à leur égard. Ce pays ne dispose pas encore d'une législation spéciale relative aux mouvements transfrontières d'OGM. Les contrôles exercés actuellement sont définis par une législation générale répondant à des exigences de préservation de la santé des consommateurs et de protection de l'environnement81(*). Toutefois la législation tunisienne sur la biosécurité est préparée, et prévoit des mécanismes spécifiques de contrôle et d'évaluation des risques des produits génétiquement modifiés. La Tunisie tente en fait, de se situer dans une «perspective futuriste» par rapport au secteurs des biotechnologies, en dépassant ses craintes, certes légitimes, et en essayant de voir ce qu'ils pourraient lui apporter comme avantages, notamment économiques82(*). Cependant la nécessité de mettre en place des dispositifs réglementaires pour encadrer le développement de biotechnologies ne doit pas constituer un obstacle à l'innovation et à la recherche. L'analyse des différends textes juridiques indique clairement une volonté d'ouverture économique, en essayant, de manière implicite, de pendre en compte les impératifs de développement. Cette volonté d'ouverture apparaît non seulement à travers l'adaptation des interdictions que le cadre juridique impose, mais aussi à travers la rationalisation des procédures qu'il met en place83(*). L'affirmation d'une adaptation des interdictions résulte du fait que celles-ci sont posées dans les textes de manière ponctuelle. Aucune interdiction n'est générale et absolue et reflète la volonté de ne pas gêner l'activité dans le domaine biotechnologique. La pondération des interdictions peut aussi être expliquée d'un point de vue technique, puisque les textes classent les OGM en 3 groupes distincts en fonction des risques que ces derniers présentent pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique et la santé. Les contrôles exercés augmentent en fonction de leur pathogénicité. Nous sommes donc en présence d'un contrôle au cas par cas prenant en considération les caractéristiques intrinsèques de chaque OGM. En outre, la composition de la CNB fait apparaître la volonté de prendre en considération les impératifs de développement. Celle-ci est composée à la fois de représentants de l'administration centrale ainsi que de personnes spécialisés dans le domaine des biotechnologies. De plus, y siège des représentants d'associations de défense des consommateurs et de protection de l'environnement. Le choix de cette composition n'est pas sans incidence sur les avis rendus. La diversité des milieux professionnels au sein de la CNB donnera aux avis une objectivité nécessaire au secteur des biotechnologies ou il existe encore des divergences significatives d'opinion. En plus de la pondération des interdictions, nous remarquons également une rationalisation des différentes procédures. Ce concept de rationalisation va aussi dans le sens de l'encouragement du secteur des biotechnologies. Les procédures mises en place par le cadre juridique sont rationalisées dans la mesure ou aucune d'entre elles ne semble empêcher de manière arbitraire l'utilisation et l'importation des OGM. Si nous analysons la procédure d'autorisation, selon le type de demande déposée, les délais de réponse de la CNB sont assez brefs. Celle-ci dispose, pour donner son avis, d'un délai allant de 45 à 90 jours. Une volonté de ne pas entraver l'activité de l'importateur et de l'utilisateur est évidente. Cette forme d'encouragement du secteur des biotechnologies se retrouve aussi dans la procédure d'homologation prévue par les textes. Les produits importés une première fois et demeurés inchangés bénéficient de l'homologation accordée par le MEAT sur avis favorable de la CNB. Ainsi, cette procédure facilite les importations ultérieures et l'importateur sera de ce fait débarrassé des différentes obligations qui lui incombent en temps normal. * 74Le cadre juridique est composé de 2 lois, posant les principes de bases, 3 décrets précisant les modalités d'application, ainsi que de 3 arrêtés fixant diverses prescriptions techniques. * 75Aouij Mrad (A).; «Les OGM entre impératifs de développement et protection de l'environnement»; in Le droit international face aux nouvelles technologies; Edition Pedone 2002, p93. * 76Aouij Mrad (A); «Le cadre juridique tunisien relatif à la biosécurité»; Communication faite au séminaire MEAT USDA le 23 et 24 janvier 2002 sur le thème des OGM * 77 Le projet de loi n°1 est relatif à l'utilisation confinée, la dissémination volontaire et à la mise sur le marché d'organismes génétiquement modifiés. * 78 La Tunisie a ratifié la Convention sur la Diversité Biologique en mai 1993 et le Protocole de Carthagène sur la prévention des Risques Biotechnologiques en juin 2002. * 79Actuellement il s'agit du Ministère de l'Agriculture de l'Environnement et des Ressources Hydrauliques (MAERH). * 80 Ce dossier public n'est pas exigé pour la demande d'autorisation pour les importations. * 81Bourghida (A); «Impact des biotechnologies sur les échanges commerciaux»; Communication faite au séminaire du MEAT et USDA les 23 et 24 janvier 2002 sur le thème des OGM. * 82Aouij Mrad (A); «Les OGM entre impératifs de développement et protection de l'environnement»; op.cit, p93. * 83Aouij Mrad (A); «Le cadre juridique tunisien relatif à la biosécurité»; Communication faite au séminaire MEAT USDA les 23 et 24 janvier 2002 sur le thème des OGM |
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