UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE
SECTION SOCIOLOGIE
MEMOIRE DE MAITRISE
SUJET :
LE PASSAGE DE L'ECONOMIE AGRICOLE A L'ECONOMIE DE
PECHE : LES CHANGEMENTS SOCIAUX A NDAYANE
PRESENTE PAR MAMADOU NDOYE
Sous la direction de M. BOUBAKAR LY Professeur de
Sociologie
Année académique 1997 - 1998
SOMMAIRE
INTRODUCTION
- Méthodologie
- Situation géographique
1ere PARTIE: APERÇU HISTORIQUE: PREDOMINANCE DU
MODE DE PRODUCTION TRADITIONNEL
CHAPITRE I Histoire du peuplement.
a/ Peuplement Mandingue
b/ Peuplement actuel
c/ Une vie religieuse mouvementée
CHAPITRE II Organisation Sociale et
Culturelle
A/ Organisation sociale
a/ Le borom Kër comme levier de l'organisation sociale
b/ L'importance de la ligne utérine dans fonctionnement
de la famille
B/ La culture
CHAPITRE III LES ACTIVITES SOCIO-ECONOMIQUES
TRADITIONNELLES
A/ La pêche
B/ L'agriculture
a/ La tenure foncière.
b/ Le système d'exploitation moderne avec
mécanisation2ème PARTIE: LE DEVELOPPEMENT DE LA
PËCHE
ACTUELLEMENT A NDAYANE.
CHAPITRE IV Situation générale de la
pêche au Sénégal
a/ La motorisation des pirogues
b/ Développement de la consommation locale avec un
marché
intérieur qui prend de l'ampleur
c/ Les unités de traitement du poisson
CHAPITRE V LES LEBU DE NDAYANE ET LA PECHE
PIROGUIERE: LES CARACTERISTIQUE NOUVELLES DE
LA PECHE PIROGUIERE
A/ La pêche piroguière : caractéristiques
principales
a/ Le pêcheur de Ndayane: un itinérant
b/ Le centre de pêche de Joal.
c/ Le centre de pêche de Djifère
d/ les présentations sociales ou dons
B/ Le mareyeur.
C/ Le rôle économique des femmes avec la
transformation des produits de la mer.
CHAPITRE VI : LA PECHE INDUSTRIELLE ET LES
PECHEURS
DE NDAYANE
a/ Caractéristiques générales de la
pêche industrielle.
b/ Les matelots de Ndayane.
c/ situation actuelle de la pêche industrielle: Les
difficultés
3ème Partie: LES CONSEQUENCES DE LA PECHE
A
NDAYANE.
CHAPITRE VII les conséquences
morphologiques, économiques et
démographiques.
A/ Transformation du cadre physique
B/ Accélération de l'accumulation
monétaire
C/ Accentuation des migrations vers le sud de la Petite
Côte
CHAPITRE VIII : MODIFICATIONS DE
L'ORGANISATION
SOCIOECONOMIQUE ET SOCIALE
A/ Modifications de l'organisation socio-économique
traditionnelle
a/ Les relations mareyeurs / Usines de traitement
b/ Les relations pêcheurs / Mareyeurs.
B/ Les transformations sociales
C/Une vie associative grippée
CONCLUSION
INTRODUCTION
Les Lebu sont traditionnellement appelés des
paysans-pêcheurs. Ils se retrouvent dans la presqu'île du Cap-vert
et le long de la façade maritime méridionale jusqu'à Mbour
c'est-à-dire dans la petite côte. Ainsi de Dakar jusqu'à
Mbour , le littoral est bordé par les villages Lébu Traditionnels
tels que Yène, Ndayane, Guéreo, Somone, Ngaparu etc. Tous ces
villages partagent en commun l'organisation socio-économique mixte. La
production des biens nécessaires à la reproduction de vie
était la préoccupation immédiate des populations
riveraines du Littoral, sous ce rapport, l'agriculture avait une place centrale
en tant qu'activité alimentaire.
A Ndayane comme partout ailleurs dans le littoral,
l'agriculture avait une double orientation. La première était
d'essence vivrière. C'était la culture du mil et du sorgho qui
occupaient la quasi totalité des terres.
La seconde orientation concernait l'arachide comme culture
commerciale. Du fait de sa spécificité, l'arachide était
mise en dehors du système de production collective traditionnelle. Elle
était une culture privée donc mise en valeur dans des champs
individuels .
Ainsi, contrairement à l'intérieur du pays
notamment dans le bassin arachidier où la graine occupait une bonne
partie des terres cultivables, à Ndayane le système d'assolement
biennal donnait à l'arachide une place secondaire.
Le champ d'arachide était appelé
«Konon». L'arrivée de l'hivernage consacrait la
primauté absolue de l'agriculture sur toute autre activité
notamment la pêche. Pendant la saison des pluies, toutes les
activités extra agricoles étaient mises entre parenthèse.
Ainsi, durant les trois mois de la saison des pluies toutes les énergies
vives du village rythmaient à travers le bruit des
«hilaires.»
La fin de l'hivernage marquait le début de la saison de
«Lo'oly» caractérisée par une reprise de la pêche
après l'interruption due par l'hivernage. C'est donc une période
de pêche dans les centres de Joal, Mbour ou dans les eaux locales. Les
migrations vers ces dits centres étaient motivées par le souci
d'accéder aux marchés du poisson plus dynamiques
c'est-à-dire aux revenus plus abondants. Avec ces deux saisons
apparaît clairement le caractère dual de l'organisation
socio-économique à Ndayane. L'agriculture et la pêche qui
sont les deux principales activités fonctionnent chacune de
manière saisonnière. En effet, si l'agriculture occupe les
populations pendant trois mois, la pêche prend le reste de l'année
avec une intensité variable selon les saisons (No'or, Coron, Lo'oly). La
pirogue à voile était le principal support de la pêche et
la ligne de fond (xiir) comme engin de pêche.
La pêche fonctionnait selon la même logique et les
mêmes structures que l'agriculture. En effet c'est sous la
bannière des «borom kër» que les premières
pirogues ont vu le jour.
«La société est histoire».1(*) Ainsi, les
sociétés humaines sont engagées dans un processus de
transformation sociale d'elles mêmes de leurs membres et de leurs
milieux. Ce fonctionnement nécessaire atteste l'évolution
socio-économique en cours à Ndayane. En effet, le fonctionnement
dual de l'organisation socio-économique a été remis en
cause. La sécheresse qui sévit dans le Sahel semble contribuer
à la pérennisation de cette situation.
La complémentarité entre l'agriculture et la
pêche est rompue, les greniers se vident, la rente arachidière
baisse, à l'intérieur du pays c'est l'exode vers Dakar la grande
métropole.
Comme par combinaison de circonstance, la pêche
rudimentaire jusqu'ici se modernise. Un mouvement général de
motorisation est enclenché. Les paysans pêcheurs traditionnels
trouvent solutions à leur problèmes. La pêche redistribue
les rôles. Il se produit ainsi à Ndayane comme un peu partout dans
le littoral un processus de migration professionnelle2(*).
Cette migration caractérise le transfert de la main
d'oeuvre agricole traditionnelle vers la pêche. La pêche comme
nouveau mode de production s'est positionnée comme activité
alternative après l'échec de l'agriculture. C'est donc une
situation nouvelle qui prend racine dont Abdoulaye SENE rend compte dans ces
lignes « la pêche maritime traditionnelle
sénégalaise est une pêche piroguière qui est le fait
de population riveraines en voie de dépaysannisation ».
3(*)
De même poursuit-il contrairement au passé
où la pêche se faisait sous forme d'activité de soudure,
dans son nouveau contexte, elle devient un moyen de transformations sociales
où la production s'est insérée pleinement dans
l'économie de marché.
Le problème qui se pose à nous ici est de savoir
quels sont les fondements d'une telle mutation ? également quels sont
ces conséquences sur une économie d'autosubsistance ? Enfin quels
perspectives offre t - elle aux populations de Ndayane ?
L'intérêt de cette étude est
d'éclairer de pareilles interrogations mais nous dégageons les
hypothèses suivantes pour guider la recherche.
1. La péjoration climatique qui a secoué le
Sénégal dans son ensemble a eu pour effet d'entamer de
manière profonde la sécurité alimentaire octroyée
par l'agriculture et partant à éloigner les agriculteurs
pêcheurs de Ndayane de la terre.
2. La modernisation de la pêche advenue dans ce
contexte a précipité le délaissement de l'agriculture en
rendant les pêcheurs plus professionnels.
3. La pêche devenue un mode de production fortement
mobilisateurs de revenus a produit un effet d'attrait considérable sur
les jeunes qui du coup ont préféré l'économie
maritime à l'agriculture.
4. Par les revenus qu'elle procure, elle a
libéré les énergies et fait des anciens paysans
pêcheurs de véritables « chasseurs de
revenus » à travers tout le littoral. Sous ce rapport la
pêche a joué un grand rôle dans la transformation des
mentalités.
5. Avec des possibilités financières jusque
là inconnues, la pêche (piroguier, chalutier) a contribué
à désintégrer les carrés traditionnels car
étant un puissant facteur du changement de mode d'habitation.
Ainsi, l'intérêt de la pêche est lié
à ce qu'elle constitue un mode de production plus moderne où le
marché au sens économique du terme devient le baromètre de
la production.
Essayer de cerner le tassement des activités agricoles
faiblement rémunératrices, c'est éclairer en même
temps la part des déterminations psychologiques dans la transformation
des mentalités des paysans pêcheurs de Ndayane.
Notre étude veut surtout mettre au coeur des
problèmes de développement la dimension microsociologique qui
s'avère heuristique pour cerner la complexité de certains
problèmes .
METHODOLOGIE
Les études qui ont été consacrées
au groupe Lebu ont été effectué la plupart du temps dans
une perspective historique. Ainsi, du fait qu'ils sont
considérées comme des Lebu entièrement à part car
teintés de Sereer les Lebu de la petite côte sont assez mal
connus. C'est donc une nécessité pour la sociologie
d'éclairer la question à ce niveau. Pour ce faire , nous partons
d'un trait particulier de la culture Lebu à savoir l'économie
mixte. En effet, il s'agit de voir l'évolution nécessaire du
paysans pêcheur traditionnel d'une double activité vers une
professionnalisation en pêcheur uniquement.
La question a été abordée
différemment par deux géographes mais selon chacun sa
démarche propres en rapport avec les exigences de leur discipline.
Le premier Mohamed El Fadel DIA 4(*) a eu à monter le caractère mixte de
l'organisation économique des Lebu de Yène. Son objectif dans
cette étude visait à montrer le caractère authentique de
la culture des Lebu qui se trouvent en dehors de la grande Métropole
Dakar. Ainsi, pensent-ils que l'urbanisation a contribué à
altérer d'une certaine manière la culture Lebu originelle.
L'hypothèse posée par DIA n'a pas eu le développement
souhaité par un sociologue. L'auteur a surtout montré les
changements morphologiques c'est à dire les transformations du mode
d'habitat.
La seconde étude est celle de Régine
BONNARDEL5(*). Elle part
d'un constat à savoir l'importance de plus en plus affirmée de la
pêche sur l'agriculture. Cette situation découle selon elle de
conditions d'exploitation plus favorables de la première sur la seconde.
Pour BONNARDEL, ceci est caractéristique de la rupture
d'équilibre agriculture/pêche dans tout le littoral.
L'étude a pesé de fort belle manière la nouvelle donne
dans le littoral cependant, elle demeure très générale.
Elle n'a pas ciblé un groupe particulier ou une zone particulière
pour essayer de saisir les significations profondes du phénomène
Nous nous donnerons pour objectif de pousser la
réflexion sous un autre angle en y intégrant cette fois-ci la
dimension culturelle. Plus que le développement technique noté
par BONNARDEL dans la pêche, nous allons mettre l'accent sur les
modifications comportementales face à la rationalité de
l'économie maritime moderne. Ainsi, l'étude va permettre de
montrer le rôle majeur joué par la pêche dans le processus
de transformation socio-économique à Ndayane depuis une vingtaine
d'années.
Pour saisir l'essence de cette mutation, nous avons
jugé primordial d'utiliser la technique des entretiens semi-directifs
mais aussi des histoires de vie. En procédant ainsi, nous voulons dans
une perspective phénoménologique, saisir de l'intérieur
les raisons qui ont motivé les paysans pêcheurs Lebu de Ndayane
à se spécialiser.
LES ENTRETIENS
Nos entretiens ont concernés quatre (4)
catégories de personnes. Nous avons interrogé d'abord des vielles
personnes, ensuite les pêcheurs, les mareyeurs et les transformatrices.
J Les vieilles personnes :comme vecteurs de la
tradition, le témoignage des anciens nous a permis d'avoir une
idée du profil du village. Ainsi, nous avons eu une dizaine d'entretiens
concernant l'histoire de Ndayane
J Les pêcheurs : dont les activités
traditionnelles sont l'agriculture et la pêche nous ont permis
grâce à leur points de vue de saisir la notion de mutation
professionnelle. Ainsi nous avons jugé intéressant de discuter
avec une dizaine de pêcheurs artisanaux et cinq (5) matelots
c'est-à-dire des adeptes de la pêche industrielle .
J Les mareyeurs : qui occupent une place importante dans
le dispositif de la pêche piroguière ont répondu à
nos questions. Nous avons interrogé trois mareyeurs de la
première génération, ensuite les entretiens se sont
élargis à trois mareyeurs de la toute nouvelle
génération. Ainsi, nous avons pris en charge les relations entre
mareyeurs et usines de traitement de même que celles entre mareyeurs et
pêcheurs.
Dans le souci de rendre plus pertinente la recherche, nous
avons interrogé les mareyeurs informels appelés
«laaga-laagal », et provenant principalement de l'ex bassin
arachidier .
J Les transformatrices jouent un rôle important dans le
dispositif de la pêche piroguière. C'est pourquoi nous avons
mené des entretiens avec ces femmes qui nous ont permis de voir la
situation du secteur du point de vue de son organisation et de son
fonctionnement.
LA PARTICIPATION OBSERVANTE
Notre appartenance à la communauté Lebu de
Ndayane nous a facilité le travail. C'est dans un bon esprit de
compréhension et de sympathie que le travail a été
effectué. Le milieu qui nous a domestiqué depuis notre tendre
enfance a suscité l'intérêt accordé à ce
sujet. Grâce à la participation observante nous avons cerné
la problématique des rapports cohérents tissés entre la
terre, la mer et les Lebu de Ndayane. Cette technique de recherche nous a
permis de constater et d'expliquer l'évolution socio-économique
et partant les mutations qui se sont produits à Ndayane depuis
près de trois décennies. En effet, la participation observante a
permis de caractériser la logique de transformation induite de ce
fonctionnement.
LES HISTOIRES DE VIE
Par souci d'être moins approximatif, les histoires de
vie ont été utilisées. Nous avons recueillis ainsi un
certain nombres d'histoire de vie relatant les transformations sociales
constatées à Ndayane avec comme substrat les expériences
personnelles. Autrement dit, il s'agit de voir comment les trajectoires des
individus épousent les changements en cours.
Les histoires de vie complètent sous ce rapport notre
étude de manière dynamique.
Au plan de la démarche nous avons montrer d'abord
l'évolution historique de Ndayane en insistant sur le mode de production
agricole traditionnel ensuite voir un second moment l'émergence de la
pêche comme mode de production moderne et accompagné d'une
diffusion monétaire sans précédent. Il faut cependant
préciser que ce développement de l'économie maritime
concerne aussi bien la pêche industrielle. Après cela nous
envisageons le processus de transformations socio-économiques qui
constituera la dernière étape de la recherche.
SITUATION GEOGRAPHIQUE
Ndayane est un village Lebu de la Petite côte
c'est-à-dire dans la Zone qui s'étend de Rufisque à la
pointe de Sangomar. La côte y est basse et sableuse avec par endroit un
relief accidenté notamment de Yène à Popenguine avec le
Cap Denaz.
Le long du littoral, Ndayane est le premier village
après Toubab Dialao en allant vers Mbour. Ainsi la région de
Thiès débute sur la façade maritime par Ndayane. Il est le
seul village Lebu de la communauté rurale de Ndiass à dominante
«saafeen». Cependant il faut noter qu'une bonne partie de la
population de Ndayane à des origines «Sereer». De sa position
géographique découle un brassage avec les populations
environnantes. Ainsi on note un nombre croissant de mariages entre les Lebu et
les Sereer.
Pour les Sereer «saafeen» les Lebu sont comme eux
des Sereer dont la seule différence réside dans la pratique de la
pêche. Ils nomment les Lebu «gamool».
Ndayane compte aujourd'hui près de cinq
mille (5 000) habitants. Il est avec Ndiass chef lieu de la communauté
rurale les deux premiers villages en ce qui concerne l'importance
démographique.
L'importance de la pêche et les revenus qu'elle procure
fait de ce village le plus important de la communauté rurale.
Malgré la proximité de Popenguine distant que
d'un seul kilomètre, à Ndayane la population est essentiellement
musulmane et la Tijaanya et la Xadrya sont les deux principales
confréries.
L'absence de desserte par le littoral fait de Ndayane un
village enclavé car étant en marge de la route nationale.
Cette situation rend difficile le transport des poissons.
C'est un véritable calvaire pour les femmes en saison sèche
d'acheminer le poisson.
La plupart du temps ce sont ces femmes qui le transportent sur
leur tête jusqu'à Toubab Dialao pour enfin prendre la route.
A côté de l'enclavement, il y a la quasi -
absence d'infrastructure. L'école primaire de six classes construite par
la population elle même en 1980 est la principale infrastructure
publique. Ainsi malgré la croissance démographique très
forte ayant pour support une nuptialité précoce, le village est
dépourvu de dispensaire.
L'électrification apparue dans les années 90,
articulée à l'installation d'infrastructures
hôtelières, augurent probablement des changements à venir.
1e Partie : APERCU HISTORIQUE :
PREDOMINANCE DU MODE DE PRODUCTION TRADITIONNEL
Comme le précise la maxime, les hommes sont le produit
de leur
histoire et en ce sens celle-ci pèse toujours de
façon décisive dans leur vie quotidienne. L'on ne saurait saisir
l'originalité et la spécificité d'une
société humaine sans prendre en compte son processus historique.
Ce déterminisme historique est sans contexte une constante pour
établir le profil des Lebu de Ndayane qui ne font pas exception à
la règle. Ainsi nous avons jugé intéressant d'analyser le
processus de peuplement de cette société et partant
l'originalité de sa culture qui englobe la question souvent
controversée de la notion d'ethnie.
CHAPITRE I : HISTOIRE DU PEUPLEMENT
a) Peuplement Mandingue (Socé)
La première vague d'occupation du littoral est
l'oeuvre de populations d'origine Mandingue plus communément
appelées «Socé». Ndayane comme l'a montré Paul
PELISSIER 1(*) n'est pas une
exception. En effet, des vestiges du passé comme la mosquée en
pierres construite en bordure de mer et appelée «jaak tonor»
sont des révélateurs de cette histoire. Cette mosquée est
considérée par les populations comme une énigme parce que
l'histoire de ces Socé est méconnue même par les vieilles
personnes. C'est une connaissance vague que les Lebu de Ndayane ont de
« Tonor », ceci peut être interprété
par le caractère lointain de cette histoire qui remonterait à des
siècles avant l'installation de la population actuelle.
Pour PELISSIER, le peuplement du littoral s'est fait entre le
13e et le 14e siècle.
b) Peuplement actuel
Dans le processus de peuplement actuel il y a deux mouvements
migratoires qui se sont succédés.
Le premier mouvement est parti de l'Est notamment du pays
« Saafi ». Ces populations sont les premiers occupants de
l'histoire actuelle de Ndayane. Il y a eu donc une migration des Sereer saafeen
de l'intérieur vers la côte. Les familles FAY, C'oom, Seen, Jo'om
se sont installées en premier lieu.
D'après M.P du quartier de Tileen, le carré des
«Puuy» a été fondé par Gaane NDUR originaire du
village de Tchicky (un village Sereer) et c'est après qu'il a
amené certains de ses neveux.
L'histoire de ces Lebu aux origines Sereer se manifeste par
les relations qui existent avec leur communauté d'origine. Avec le
système de parenté en vigueur, système dominé par
la ligue de filiation utérine, la plupart des familles Lebu disposent de
champs à cultiver à Raafo Tchiky, Mbayaar, Popenguine Sereer bref
en pays Saafi. Ces rapports forgés par la géographie font de ces
Sereer des Lebu et la pêche principale trait de distinction entre les
deux ethnies. La notion d'ethnie pose dans ce contexte problème au vu
des pratiques sociales et culturelles. L'histoire de ce premier mouvement
migratoire est celle d'une population d'origine Saafi pratiquant l'agriculture
et l'élevage et ayant adopté grâce à la
géographie une longue tradition de pêche.
Une telle histoire est significative car elle pose le
problème de l'ethnie qui est du point de vue de l'anthropologie le
produit des circonstances et non d'une relation biologique.
Le second mouvement quant à lui vient de l'Ouest
notamment de la région du Cap - Vert. Ces populations sont les
dernières venues à Ndayane ; Cependant elles ont la culture Lebu
en bandoulière. La famille Ndoy s'est installée dans le quartier
de Tileen dans les années 1930.
Ces deux mouvements migratoires constituent l'essentiel de la
population Lebu de Ndayane. Il y a une minorité de pël que
l'élevage avait conduit à Ndayane.
c) Une vie religieuse mouvementée.
Les deux confréries qui occupent le champ de la vie
religieuse sont en même temps source de conflits et de troubles. En effet
depuis le décès de l'Imam Ratib MB. D le consensus est rompu en
ce qui concerne celui qui doit présider aux destinées de la
mosquée.
L'imam qui lui a succédé est
considéré par la branche Tijaan comme un ignorant.
Ces derniers veulent donner comme preuve sa défection
lors de l'inauguration de la grande Mosquée par El Hadji Abdoul Aziz SY
, khalife général des Tijaan. Ce jour - là, c'est M. B
actuel imam et Tijaan de surcroît qui avait dirigé la
prière et il a reçu après la bénédiction du
Khalife. La jeunesse de cet Imam articulé aux multiples conciliabules
ont imposé l'imam Xadr après l'inauguration comme Imam principal.
De cette situation découle une inimitié et des critiques contre
le vieux A. G. Imam Xadr de la mosquée.
Cette instabilité continue jusqu'au décès
de A. G. Ainsi M. D. qui avait dirigé la prière inaugurale et
considéré comme un érudit émérite prend la
relève. A leur tour, les Xadr font la fronde et pensent que plusieurs
Imams doivent être nommés en même temps. La situation a
atteint son paroxysme lorsque les Xadr ont sommé au neveu de l'imam
défunt Tijaan de surcroît de faire le forcing en s'imposant comme
son héritier. Ce dernier s'exécute lors d'une prière de
Vendredi où l'on a assisté à l'apparition de deux Imams
sur l'estrade.
C'est le sous-préfet de Nguekhokh qui a
réglé le problème : c'était en 1996 .
Depuis lors certains barons de la Xadrya se sont considérés comme
vaincus et ont renoncé à la prière du Vendredi.
La situation anomique de la vie religieuse se manifeste
ouvertement dans la vie sociale entière. Ainsi la grande mobilisation
qui avait permis de construire la mosquée, l'école primaire s'est
maintenant étouffée du fait des dissensions internes.
Cette situation ne fait que s'exacerber avec les luttes
politiques découlant des tendances du parti socialistes.
Cette évolution caractéristique au niveau des
comportements permet d'aborder dans le second chapitre l'organisation sociale
et la culture authentique des Lebu de Ndayane.
CHAPITRE II : ORGANISATION SOCIALE ET
CULTURELLE
«L'étude du mode de résidence permet de
voir les caractères essentiels de la vie sociale dans ses formes
traditionnelles comme dans les changements l'affectant en zone
rurale». 1
Ce constat de Abdoulaye Bara DIOP à propos de la
société Wolof se vérifie aussi chez les Lebu de Ndayane.
Dans la pure tradition de cette société le carré
constituait l'organe administratif. Il symbolisait l'identité même
du foyer social aussi bien de par sa situation que par les liens qui se
tissaient à l'intérieur.
Son principal administrateur fut le Borom Kër inspirateur
de son organisation investi par une tradition très forte.
A/ ORGANISATION SOCIALE
a) Le borom Kër comme levier de l'organisation
sociale
Le chef de carré (borom Kër) tirait sa
légitimité du droit de primogéniture qui stipulait que le
plus âgée dirige au nom de toute la lignée. Il pouvait
être soit le plus âgé d'abord ou ensuite le neveu du borom
Kër défunt. C'est souvent un cas fréquent à Ndayane
du fait du système de filiation utérine. Il symbolisait ainsi la
vitalité du système lignages en consolidant grâce à
son pouvoir la continuité des rapports matrimoniaux à base
utérine.
1 DIOP (A. B.), La Famille Wolof : tradition et
changement, Paris Karthala, 1981, p.144
Le pouvoir du borom Kër concernait tous les domaines de
la vie du lignage. L'influence qu'il exerçait sur les membres de son
carré était manifeste surtout pendant l'hivernage. Le
carré était l'unité de production et de consommation
c'est-à-dire que tous les membres partageaient en commun le toolu
kër gi.
Chaque ménage avait son propre champ appelé
«Konong» c'est-à-dire un champ privé qui servait la
plupart du temps à la culture de l'arachide pour satisfaire les besoins
individuels.
Etant le personnage principal c'est sous la bannière
du borom Kër que les champs étaient cultivés. Aucun champ
n'était cultivé avant le sien. Son rôle se justifiait
surtout par le fait que la famille rurale n'est pas seulement un
cadre de vie mais aussi et surtout constituent une cellule de production et de
consommation. Ce rôle à la fois sociale et
économique de la famille faisait du borom kër un maillon important
devant faire épanouir son lignage. En effet le prestige de chaque
famille devait découler de la capacité de son chef à
mobiliser ses protégés pour assurer la production
nécessaire à l'autosuffisance du carré. Il était
ainsi dépositaire d'un pouvoir central.
Ces valeurs étaient le legs de la tradition. Le to'ol
bu mag symbolisait dans ce sens l'unité du lignage.
C'est pourquoi on peut dire que c'est le principe
communautaire qui était le substrat de la vie des Lebu de Ndayane. Au
centre de ce «communautarisme» on trouvait son corollaire
c'est-à-dire une morale sociale supérieure ou pour parler comme
Durkheim une conscience collective. 1(*) Le respect des anciens plus qu'un leitmotiv
constituait un principe directeur que tout jeune homme se devait de respecter.
L'adage célèbre du Lebu l'a dit : «rak to'op mak, doom
to'op baay» `les petits frères suivent leurs grands frères
(aînés) ; et les fils eux leurs pères).
Pendant l'hivernage le borom kër était le premier
à se réveiller. Il faisait même une ronde à la plage
pour surveiller d'éventuelles pirogues en partance pour la mer. Les
contrevenants à la tradition se verraient frapper à coup de
bâton et même prenaient la fuite au vu de ce représentant de
l'ordre.
La sanction la plus lourde c'est que les récidivistes
se voient refuser la possibilité de prendre femme car
considérés comme des «hors la loi».
L'on ne saurait comprendre l'organisation sociale
traditionnelle des Lebu de Ndayane sans prendre en compte ce personnage en
rapport avec le lien social de la vie communautaire. Il est donc
intéressant de saisir les fondements de son pouvoir à travers la
structure familiale terreau fécond des rapports domestiques.
b) L'importance de la ligne utérine dans le
fonctionnement de la famille.
Comme dans toutes les sociétés de
pêcheurs, le groupe Lebu a la particularité d'être
marqué dans le fonctionnement de la famille par la ligne maternelle.
La matri linéarité originelle est encore vivace
même si dans sa logique de fonctionnement traditionnelle elle s'est
altérée quelque peu.
Ces rapports domestiques ont été tissés
autour de la voie utérine d'où le rôle important du neveu
et même de l'oncle. Durant une époque encore lointaine
c'est-à-dire où l'Islam n'était qu'embryonnaire c'est le
neveu qui héritait à la place des fils de l'oncle. Cette
prédominance de la ligue utérine depuis que l'islamisation s'est
accélérée n'est plus que symbolique même si
aujourd'hui le neegu ndey s'affirme comme le dépositaire du pouvoir
familial des Lebu de Ndayane. En cela il possède la primauté des
décisions en matière d'alliance.
Ce symbolisme du système matrilinéaire prend
racine dans la forme de socialisation en cours chez la nouvelle
génération.
En effet, dès son âge, le jeune garçon est
mis en contact direct avec son oncle soit par des visites constantes chez lui,
soit en étant près de lui durant un moment (dès
l'âge de six ans).
L'oncle au même titre que ses fils est obligé
d'assimiler son neveu à ses propres fils. Dans un contexte pareil, il
n'est pas rare de voir certaines soeurs déléguer
l'éducation et la formation dans le cadre de la pêche de leurs
enfants à leurs frères. La pirogue du nijaay est souvent la base
de la formation du jeune pêcheur.
Aujourd'hui c'est la soeur du frère qui prend en charge
l'habit du circoncis.
Le corollaire du système matrilinéaire ici est
le mariage par cousin croisé même si aujourd'hui, il a perdu son
lustre d'antan.
L'organisation familiale ainsi bâtie va être le
socle de la culture de cette population.
B/ LA CULTURE
La double activité de paysans -pêcheurs montre le
sens donné au travail chez cette population. Le travail est ici un
sacerdoce sans quoi la vie n'a pas de sens. Ce goût achevé du
travail constitue un élément important de leur culture. En effet
dans le langage populaire le mot «ki fañak là»
(fainéant) revient souvent. Dans la pure tradition agricole toute
personne bien portante n'osait se monter dans les rues du village pendant que
les autres étaient aux champs.
Dans la logique du système social mis en oeuvre le vrai
Lebu est celui qui a un champ à cultiver pendant l'hivernage et
après s'embarque dans une pirogue pour s'adonner à la
pêche. La famille élargie (kër) est un élément
important de l'organisation sociale Lebu. Dans cette famille le rôle
important de la femme témoigne du « particularisme
Lebu ».
Dans le cadre du mode de production traditionnel à
économie d'autosubsistance c'est la femme du Borm kër qui prenait
en charge la gestion du grenier communautaire. Cette dernière demeure
dans ce contexte «l'égale d'un homme» en ce sens qu'elle
réunissait sous sa direction toutes les femmes des ménages
composant le carré pour leur donner le ravitaillement. Cette
répartition des tâches entre les hommes et les femmes
reflète le sens de la solidarité qui est un caractère
majeur du Lebu de Ndayane. La notion de solidarité en tant que valeur
réunissait les individus d'une même communauté
apparaît à travers la place booy-bi, lieu symbolique où
tout le village se réunissait en cas d'urgence.
Ce lieu qui constituait le terrain de la conscience collective
est maintenant un souvenir, un vestige du passé pour les personnes
âgées et une réalité mythique chez la nouvelle
génération. Les palabres qu'on y tenait constituaitent une
véritable exaltation collective de la mentalité religieuse
traditionnelle fortement imprégnée des nations de
«tuur» et de «rab». Pour Ousmane SYLLA l'on se saurait
expliquer la culture Lebu sans mettre l'accent sur la prédominance de la
mentalité religieuse. Pour lui »il résulte
(mentalité Lebu) de la croyance en un nombre considérable de
«tuur» et de «rab» commandant aux phénomènes
naturels et aux activités humaines ». 1(*)
La cosmogonie constitue ici un élément de
référence pour saisir l'essence d'une telle culture. Ainsi dans
la pratique mystique elle joue les premiers rôles. C'est un univers qui
est encore présent dans le psychisme collectif c'est-à-dire que
la pratique du Ndoëp hier plus qu'aujourd'hui affecte encore les
consciences.
Il n'est pas rare d'entendre dire «Ki sanpal na ñu
ko» c'est-à-dire qu'on lui a installé ses «Xamb».
Toute syncope est interprétée en terme de
«rab» et toute persistance heurte cette conscience religieuse forte.
C'est pourquoi malgré l'islam, le Ndoëp est encore
pratiqué et que des maladies sont toujours considérées
comme dérivant d'une famille ayant un «rab».
Cet esprit magico-mystique traverse encore toute la conscience
collective et joue un grand rôle dans la pêche piroguière
modernisée.
La mer est considérée comme dangereuse donc pour
l'affronter il faut se préparer mystiquement d'où les gris-gris
pendant dans les pirogues.
Du point de vue des pratiques culturelles sociales, les Lebu
épousent le patrimoine de leur ethnie et ceci malgré l'islam et
la modernisation qui ont désintégré les structures
sociales traditionnelles.
CHAPITRE III LES ACTIVITES SOCIOECONOMIQUES
TRADITIONNELLES
La double activité de paysans - pêcheurs est
à la base de la subdivision de l'année en quatre périodes
égales. Cet organigramme s'établit comme suit :
Périodes
|
Naweet
|
Lo'oly
|
No'or
|
Coron
|
Mois
|
Juillet
Août
Septembre
|
Octobre
Novembre
Décembre
|
Janvier
Février
Mars
|
Avril
Mai
Juin
|
Activités
|
Agriculture
|
Petite pêche saisonnière à Joal ou Mbour
|
Grande pêche saisonnière à Joal
|
Pêche avec Senne de plage au village
|
Le sens donné au travail précédemment
trouve ici sa mise en relief. Le jeune homme en âge de travailler a
toujours la possibilité de passer d'une activité à une
autre. La période de naweet (hivernage) et de No'or sont les deux plus
importantes saisons de travail. C'est pendant ces saisons que les
activités agricoles et de pêche sont vécues
intensément les saisons de Lo'oly et de Coron sont
récréatives car étant des intermèdes avant le
début de ces pleines saisons que sont les deux précitées.
Même si l'agriculture considérée par les
paysans (comme la base de la structure économique, il n'en demeure pas
moins que la pêche est prise en compte selon les mêmes
modalités. En effet pour le paysan il n'y a rien de mieux que
l'agriculture : «lu dul mbey mbey mo la gën». Cependant la
pêche est considérée comme faisant partie intégrante
de la culture des Lebu sous ce rapport elle a une considération de
premier plan seulement, comme pratique culturelle pouvant satisfaire des
besoins alimentaires. Elle n'a pas dans la psychologie des paysans
pêcheurs la même valeur symbolique que l'agriculture. Cet avantage
de l'agriculture doit être certainement le résultat des vestiges
de leur origine Sereer avec une organisation sociale basée sur la terre.
Calendrier des activités socio-économiques dans
le cadre de l'organisation socio-économique traditionnelle à
Ndayane.
CALENDRIER DES ACTIVITÉS
SOCIO-ÉCONOMIQUES DANS LE MODE DE PRODUCTION TRADITIONNEL
Naweet
Lo'oly pêche
No'or
Coron
Pêche
A
S
O
N
D
J
F
M
A
M
F
J
J
F
M
A
M
F
J
D
N
O
S
A
LA PÊCHE EST PRATIQUÉE TOUTE
L'ANNÉE MAINTENANT.
A) LA PECHE
La fin de l'hivernage sonnait le début de la saison de
lo'oly. Elle se caractérisait principalement par une petite pêche
saisonnière à Joal, Mbour, Kayar ou au village. La pêche au
niveau des eaux locales était plus difficile car pour écouler la
production, les pêcheurs étaient obligés de prendre la
pirogue à voile jusqu'à Rufisque. Ceci montre la situation
très précaire de cette pêche où seule
l'énergie éolienne permettrait à la pirogue de se
déplacer.
Pendant la saison de Lo'oly comme pendant la grande saison de
pêche (No'or) c'est la ligne de fond qui était utilisée
comme principal engin de pêche. Contrairement aux engins actuels avec la
motorisation, la pêche à la ligne est jugée par les vieux
pêcheurs en retraite comme étant plus technique
c'est-à-dire reflétant beaucoup plus l'identité du
«mool» classique. En effet, c'est une époque qui avait
donné au mot «mool» un contenu social attesté par le
mode de vie du pêcheur et par le savoir traditionnel. Le sacré
était au début et à la fin de la pratique du
métier. Dans cette logique une liste de jours interdits de pêche
nous a été donné. Il s'agit de : 3e jour,
6e, 13, 16e, 21e, 24e,
26e du mois communément appelé weerwolof (croissant
lunaire).
Ainsi lorsqu'il s'agissait de la pêche aux filets le
7e jour du mois était prohibé de même que la
nuit du 16e au 17e.
Le caractère technique de cette économie
maritime traditionnelle où le fond culturel Lebu est prégnant se
matérialise davantage par la notion de «waame». Il s'agissait
ici d'une période qui allait des six derniers jours de chaque mois au
trois premiers jours du mois suivant, cette période étant
considérée comme celle de rareté du poisson.
Ces cycles reposaient sur une connaissance que tout
pêcheur devait savoir et transmettre aux jeunes.
Dans la mentalité du pêcheur de Ndayane, les
jours prohibés étaient à respecter parce que les poissons
sont des êtres vivants et partant tout homme qui voulait pêcher se
devait de penser aux esprits occultes qui peuplent la mer.
La pêche à la ligne était surtout une
pêche nocturne. Le pêcheur avait acquis dans ce sens une solide
connaissance en matière de repérage des astres (Etoile polaire,
Croix du Sud) et de circulations des différents vents maritimes.
Est vent appelé mboya. Il est sec et provient
du continent
Nord Vent appelé Faraxam. Il est sec.
Intérieur de la mer vent biriss (chargé
d'humidité)
Sud Corof Vent humide.
La pêche était donc dominée aussi par une
maîtrise technique individuelle et des connaissances mystiques. Les
déplacements saisonniers à Joal, Kayar ou Mbour étaient
motivés par le souci d'avoir de bons prix dans ces dits centres
où la distribution du poisson était plus dense. L'enclavement de
Ndayane et la poursuite des bancs de poissons en descente vers le sud de la
petite Côte demeuraient les principales causes des déplacements
saisonniers.
Les recettes de cette pêche n'étaient pas
abondantes car les campagnes dépassaient rarement quinze mille (15 000)
francs CFA de gains. On comprend ainsi pourquoi l'agriculture n'était
pas reléguée en second plan durant cette période.
B) L'AGRICULTURE
La saison des pluies était attendue avec impatience.
C'était toujours un moment d'intenses activités agricoles durant
les trois mois qu'elle durait. Avant d'étudier le mode de production
agricole, nous nous intéressons d'abord au mode de concession
traditionnel des terres en vigueur à Ndayane . Autrement dit, il s'agit
ici de saisir le droit coutumier du foncier dans une société
lignagère. -
a)La tenure foncière
La terre n'appartient à personne mais à celui
qui la met en valeur1(*). Ce
principe de la loi sur le domaine national était méconnu des Lebu
de Ndayane. En effet c'est un droit coutumier spécifique qui
régissait la terre avant l'application de ce décret
Le borom daay était le lamane à qui tout paysan
devait verser un jëk c'est à dire un impôt de nature(argent,
vache, chèvre, mil)pour cultiver la terre
Ce mode de concession des terres très
caractéristique des sociétés segmentaires Wolof et Sereer
fait des lamanes de véritables seigneurs de la terre car étant
des interlocuteurs incontournables des paysans sans terre
A Ndayane comme dans toutes les sociétés
lignagères l'amour de la terre caractérisait le paysan c'est en
quelque sorte sa psychologie de classe
Ce système symbolisait dans son principe même
l'inégale accès des paysans à la terre et était
ainsi source de conflits entre individus d'un même lignage ou de lignages
différents. Il se caractérisait principalement par un quiproquo
car la terre que louait le borom daay était celle des ancêtres
fondateurs que le borom ker se devait de gérer pour le prestige de la
famille c'est à dire du lignage, ce faisant le paysan sans terre
obligé de payer un jëk pour cultiver se considère comme
prolétarisé, de la naît un sentiment de mépris vis
à vis du borom daay car selon le vieux D N la mort du borom daay
réjouissait les paysans sans terre.
A coté de ce système ,il existait celui du
taylé qui consistait à payer une redevance à un
cultivateur pour mettre en valeur son champ Selon P M le paiement pouvait
être compris entre 1000 et 2000 F IL a eu à payer plus tard une
somme de 7.000 F pour cultiver pendant deux ans un champ d'arachide.
Le système du métayage quant à lui
était méconnu des Lebu de Ndayane
b)Le système d'exploitation agricole sans
mécanisation
Le système d'exploitation agricole fonctionnait sous le
modèle d'économie d'autosubsistance Les outils de
production(hilaires, bras) étaient très rudimentaires car
reposaient principalement sur l'énergie humaine Le nombre de bras
disponible déterminait le volume de la production. Autrement dit plus il
y a d'homme dans un carré plus la production est abondante et vice versa
La production était composée des deux
principales variétés : le (suna, saño) et l'arachide.
C'était donc un assolement biennal avec rotation des cultures sur les
principaux champs cultivés d'une année à l'autre La
culture du mil était la plus répandue et servait d'aliment de
base avec notamment le couscous et le laax (sanglél)
Dès le mois de mai, les champs étaient
défrichés et les semis effectués au mois de Juin
Pendant tout le temps que devait durer la saison des pluies,
les jeunes principales forces vitales du village, se levaient tôt le
matin pour aller aux champs et n'en revenaient que vers 19h du soir
Cette période a laissée l'image de la
«poule» dans leur esprit. En effet pour les témoins de cette
époque aucun paysan ne voyait une poule pendant les trois (3) mois de la
saison des pluies exceptés
Peu être les jours «féries»comme le
jeudi et le lundi pour le mil (jeudi) et pour l'arachide (lundi)
Ce symbole qu'est la poule montre dans ce contexte le
caractère matinal du paysan de Ndayane
Une telle prégnance du travail agricole sur les
consciences peut être comprise doublement
Premièrement toute société a besoin de
produire pour subsister. Il s'agit ici comme l'a constaté Claude
MEILLASSOUX1(*) pour une
société de ne pas éluder son devoir de créer des
richesses nécessaires à sa propre perpétuation car elle
peut se passer de ses danses et fêtes sans que son existence soit
engagée Ce qu'elle ne peut faire avec l'agriculture base de son
organisation.
Deuxièmement le travail des champs revêt un
intérêt capital par la famille car c'est l'occasion pour ses
membres de confirmer davantage les liens de sang qui les unit mieux c'est un
facteur de cohésion sociale et de réaffirmation de
l'identité de ses membres Les liens communautaires se trouvent
consolidés avec la dimension éthique qui est donnée au
travail
Le travail était ici une valeur morale
supérieure. Aucun jeune ne se permettait de «contrer» les
décisions du borom kër en ce qui concerne surtout les travaux
champêtres. La soumission à ses prérogatives était
le maître mot. Lorsqu'il était satisfait du travail accompli dans
les champs, il demandait discrètement à un jeune homme d'aller
à la maison immoler une chèvre pour le repas de midi. En effet
dans chaque carré il y existait un troupeau de vaches, de chèvres
et de moutons Comme en pays Sereer cet élevage ne servait souvent que
pendant les funérailles d'un membre du lignage
Cette forme d'organisations de la production agricole va subir
profondément des modifications en rapport avec l'introduction de la
mécanisation grâce aux structures d'encadrement7(*) du monde rural ayant pour
mission «sacrée» l'augmentation de la production
arachidière
C/ Le système d'exploitation avec
mécanisation
La mécanisation dans le cadre de l'économie
agricole de Ndayane va être un élément important de la
destruction de l'unité de production qu'est la famille élargie ou
carré. Sous ce rapport l'obtention par les différents
ménages qui la composent de charrue et de semoir favorise
l'industrialisation du travail de la terre. C'est pourquoi le to'ol bu mag va
perdre sa fonction principale et ne demeurer ainsi que symbolique.
L'unité de production est devenue dans ce nouveau
contexte la famille biologique. Le to'ol bu mag garde toujours son statut mais
est victime de la situation nouvelle. Ce faisant il est toujours cultivé
après les travaux des champs individuels. Ce renouveau dans
l'organisation socio-économique va aboutir donc au partage du to'ol bu
mag entre les différents ménages du carré. Pour ce qui
concerne le carré des «Puy» ce carré a deux principaux
champs qui appartiennent à tout le lignage. Voici le
procédé : cette année c'est «kër ndut»
qui est le to'ol bu mag, l'année suivante c'est «kasa paani».
Ainsi le carré perd sa fonction de cellule de production
économique du lignage au profit de la famille biologique.
On peut dire donc dans ce cas que sous la pression de
l'économie de traite arachidière le to'ol bu mag est en train de
disparaître. Les prémisses d'une disparition du carré sont
ainsi posées. Avec cette nouvelle donne, l'assolement reste biennal
(arachide - mil) avec cependant une occupation des terres plus grande par la
graine. C'est une révolution car le mil avec ses deux
variétés (suna, saño) a toujours occupé l'essentiel
des terres.
La proximité du centre de traite de Popenguine va
donner un coup de fouet à la production arachidière et selon P.
M. les meilleurs récoltes ne dépassent pas rarement 75 000 F CFA
de recettes.
Comparé au bassin arachidier, la production au niveau
de Ndayane est dérisoire. Ceci se justifie par le fait que de rares
paysans utilisent le cheval pour tirer la charrue.
L'âne était beaucoup plus utilisé comme
moyen de production d'où la faiblesse des surfaces mises en valeur.
Cette forme d'exploitation favorisait surtout les adultes
c'est-à-dire les mariés. Les célibataires donnaient
surtout leur force de travail mais n'avaient pas accès aux ressources,
monétaires découlant de l'économie de traite. Dans la
logique de fonctionnement la traite arachidière était la
propriété exclusive des adultes (chef de carré, chef de
ménage).
C'est donc les structures traditionnelles qui lui servaient de
support dans une société où les rapports
hiérarchiques père/fils, aîné/ cadet étaient
très importants.
Sous ce rapport même mécanisée,
l'agriculture est demeurée archaïque parce qu'elle
privilégie la primauté des anciens sur les jeunes en ce qui
concerne l'accès aux ressources monétaires.
Cependant malgré l'introduction de cette culture de
rente, l'économie de Ndayane est restée foncièrement
autarcique ne permettant pas une distribution équitable des revenus
agricoles d'où l'intérêt porté par les jeunes
générations à la pêche considérée
comme un mode de production plus avancé et plus moderne.
Néanmoins, il faut signaler que l'arachide a
influencé fortement l'organisation socio-économique des Lebu de
Ndayane. Cette influence sera plus nette avec l'apparition des deux facteurs
perturbateurs de l'économie de traite :
1) La péjoration climatique
2) La baisse du prix de l'arachide
A partir de 1966, le Sénégal est atteint par un
terrible déficit pluviométrique qui va persister jusqu'en 1973.
Cette situation aura pour conséquence la baisse vertigineuse de la
production agricole.
Auparavant en 1966, la France ancien pays colonisateur
principal vulgarisateur de l'arachide va baisser les prix
préférentiels octroyés à la graine
sénégalaise. Elle a décidé d'aligner le prix de
l'arachide sur les cours mondiaux. Cette double crise va avoir pour effet
d'annoncer ce qui sera appelé plus tard «le Malaise paysan».
Une telle situation sera fatale pour l'ensemble du monde paysans car l'arachide
est tellement ancrée dans la mémoire de ces derniers qu'elle a
pris figure traditionnelle.
Ce tableau donne à titre indicatif la baisse du prix de
l'arachide en rapport avec le prix du riz principalement denrée
alimentaire des sénégalais.
Tableau 11(*)
Années
|
Arachide
|
Riz
|
1950
|
100 Kg
|
68 Kg
|
1967
|
100 Kg
|
44 Kg
|
1968
|
100 Kg
|
27 Kg
|
Cette baisse de la valeur monétaire de l'arachide que
le tableau nous présente signifie qu'avec 100 Kg d'arachide en 1950 on
pouvait acheter 68 Kg de riz ainsi de suite. De ce fait au fil des
années c'est une baisse vertigineuse du prix de l'arachide qui est ainsi
observée.
Cette situation va aboutir au recul de l'agriculture comme
principale activité productrice de revenus au Sénégal
notamment dans le monde rural. Etant paysans - pêcheurs, les Lebu de
Ndayane vont faire de la pêche une alternative face à la crise du
secteur agricole.
Régine BONNARDEL fait ce constat en ces termes
concernant l'ensemble du littoral sénégalais :
«depuis le milieu des années cinquante plus
encore depuis les années soixante sur l'ensemble du littoral, la
pêche a de en plus tendance à l'emporter sur l'agriculture et les
paysans -pêcheurs sont devenus tous à quelques exceptions
près des pêcheurs -paysans »2(*).
2e Partie : LE DEVELOPPEMENT DE LA
PECHE ACTUELLEMENT A NDAYANE.
CHAPITRE IV SITUATION GENERALE DE LA PECHE AU
SENEGAL
Le dynamisme de la pêche dans le littoral
Sénégal reste très incompréhensible si l'on ne
tient dont pas compte des conditions qui ont rendu nécessaire cet essor.
Ce décollage de la pêche sur le littoral est très
caractéristique de l'évolution socio-économique
constatée chez les peuples riverains de la côte.
a) La motorisation des pirogues.
La motorisation du gaal locco traditionnel
commencée dans les années (50) cinquante marque le début
du développement de l'économie maritime jusque-là
très rudimentaire du point de vue de ses moyens. La mécanisation
qui prend le relais de la force éolienne avec la pirogue à voile
traduit la première mutation de la pêche piroguière. Ainsi
elle permet à la pêche de faire un grand bon en avant.
Sous ce rapport, l'arachide qui donnait 10% des recettes
budgétaires perd de sa vitesse avec la réorientation des
énergies partout sur le littoral vers la mer.
Commencée à Saint Louis la motorisation1(*) va se répandre petit
à petit dans l'ensemble du territoire national. Ceci grâce
à une politique entreprise sous la houlette de l'Etat et qui vise
à motoriser tout le parc piroguier en un temps record. Dans ce sens,
l'Etat Sénégalais va mettre sur pied le CAMP avec l'appui du
Canada par l'intermédiaire de son agence de coopération ACDI.
Ainsi à la fin des années soixante dix près de 80% du parc
piroguier est motorisé.
L'accroissements de la production est une conséquence
immédiate de cette nouvelle situation marquée par l'essor de la
pêche. Pour parachever cette modernisation de la pirogue traditionnelle,
de nouveaux engins de pêche sont mis en oeuvre notamment les filets
dormants et les sennes tournantes coulissantes. Le tout va contribuer à
donner une nouvelle impulsion à la production. L'évolution
technique permet aussi de poursuivre dans les eaux profondes les bancs de
poissons pour faire face à l'éloignement progressif des zones de
pêche. Le temps de travail est beaucoup plus maîtrisé car
avec le propulseur les pêcheurs jouissent d'une rapidité qui se
reflète dans les moments de repos plus longs.
Aujourd'hui malgré le développement de la
pêche industrielle la pêche artisanale fournit près de 75%
des recettes de l'économie maritime au Sénégal. Une telle
performance serait impossible si la pêche était demeurée
à l'état rudimentaire.
b) Développement de la consommation avec un
marché intérieur qui prend de l'ampleur.
L'accroissement de la production de la pêche
piroguière grâce à la motorisation des embarcations a
coïncidé avec l'accroissement des besoins alimentaires nationaux.
Ceci est rendue possible par une démographie galopante mais aussi par un
certain essor urbain. Il y a une demande importante que la pêche doit
satisfaire. Le désenclavement des régions littorales avec la
construction de bretelles routières qui vont servir de desserte aux
principaux centres côtiers va donner un sens réel à la
construction de ce marché intérieur. Les centres
côtières du littoral tels que Joal, Kayar, Mbour, Fass Boye seront
ainsi insérés pleinement dans l'économie nationale.
Les routes construites vont permettre le transport de la
marée fraîche des régions côtières vers
l'intérieur du Sénégal. Le mareyage va devenir sous cet
aspect une activité importante dans le circuit de la distribution du
poisson. Les mareyeurs deviennent les véritables intermédiaires
entre les pêcheurs, les consommateurs et les usines de poissons.
Le développement des infrastructures routières a
permis au secteur de la transformation fortement dominé par les femmes
de trouver des débouchés. La route a permis à la
transformation de connaître un nouvel essor notamment avec la venue de
commerçants des centres urbains. Ces derniers vont permettre
l'approvisionnement des villes en gëjj, keecax, etc.
Les infrastructures routières sont donc un maillon
indispensable dans le développement de la pêche en
général et piroguière en particulier. Elles ont
contribué au rayonnement économique de la pêche. Cependant
cette dimension laisse en arrière -plan la dimension sociale et
sociologique que les routes construites intègrent dans le rapprochement
entre communautés de pêcheurs et populations de l'intérieur
qui sont les principaux consommateurs. C'est pourquoi à
côté de la modernisation technique (la motorisation), le
développement des infrastructures routières a constitué un
facteur important dans l'évolution de la pêche piroguière.
La concentration des individus provenant de l'intérieur
du pays sur le littoral à Mbour, Joal, Djifère traduit cette
évolution contemporaine de la pêche. Le contrôle du poisson
échappe de plus en plus dans ces dits centres aux populations de culture
maritime. Du mareyage à la transformation la distribution du poisson
n'est plus l'apanage des sociétés traditionnelles de
pêcheurs. Le désenclavement des centres côtiers est donc au
coeur de la modernisation de la pêche au Sénégal .
c) Les unités de traitement du poisson.
La pêche a pris un essor considérable grâce
à son insertion dans l'économie de marché. Cette insertion
marque l'évolution la plus caractéristique de l'économie
maritime dans tout le littoral Sénégal peuplé par des
populations (Lebu, Guet Ndariens, Ñominka) à la culture
halieutique confirmée par un savoir-faire multiséculaire.
L'avènement des unités de traitement du poisson
ne peut que donner un coup de fouet à la pratique de la pêche. Les
entreprises de poissons établies dans la capitale Dakar et qui ont un
marché extérieur à la demande constante vont constituer
à cet effet à faire de la pêche en général et
piroguière en particulier un mode de production moderne.
Ainsi en privilégiant les espèces dites nobles
(soles, capitaines, mérous, ombrine), les crustacés (langoustes),
les unités de traitement du poisson ont permis
l'accélération du processus d'accumulation monétaire dans
la pêche piroguière. Sous l'impulsion de ces entreprises la
pêche devient plus productive et plus professionnelle. Considérant
que la pêche industrielle à la flotte très peu
développée n'est pas en mesure de satisfaire leur demande, les
entreprises vont trouver dans la pêche piroguière un moyen de
faire tourner leurs unités.
Sous ce rapport par l'intermédiaire des mareyeurs,
elles vont faciliter aux pêcheurs l'exploitation optimale des ressources
halieutiques. Par les subventions qu'elles octroient aux mareyeurs, ces
derniers vont financer des pirogues en leur dotant de filets bref de
matériel de pêche.
Ce faisant la production de ces pirogues sera sous leur
contrôle. C'est ainsi que l'usine parvient à financer souvent
trois (3) ou quatre (4) mareyeurs qui grâce aux voitures de l'entreprise
parviennent à fournir en période normale dix à quinze
tonnes de soles chaque semaine. Ces unités de traitement
véritables bailleurs de fonds ont permis ou facilité l'essor de
la pêche piroguière qui fournit plus de 70% de la production
nationale de poissons.
La pêche à Ndayane s'est développé
sous la couverture de ce modèle usine /mareyeurs. En effet c'est ce qui
a permis aux pêcheurs de Ndayane de privilégier les filets
dormants par rapport à la ligne de fond engin de pêche
traditionnel.
Ces filets véritables vulgarisateurs des espèces
nobles citées plus haut constituent chez les pêcheurs Lebu de
Ndayane l'avancée la plus significative de la pêche
traditionnelle. Le poisson sole va devenir sous l'impulsion du marché la
cause des déplacements continus des pêcheurs de Ndayane à
travers le littoral Sud dans les centres de pêche de Joal et de Djiffer,
Missira ou Kafountine.
Le développement de la pêche au
Sénégal s'est fait à travers :
1) La motorisation de la pêche piroguière
traditionnelle
2) Le développement des régions littorales avec
la construction des routes reliant les côtes avec l'intérieur du
pays.
Ce faisant un véritable marché intérieur
de consommation du poisson
s'est mis en place.
3) l'installation des entreprises de poissons a
contribué par les subventions offertes à cette pêche a
favorisé son essor
4) Ce dernier facteur déterminant est la pêche
industrielle qui a pris son essor dans les années soixante. De nature
différente par son organisation et son fonctionnement, elle a permis
à de nombreux pêcheurs de Ndayane de goûter au salaire. Son
développement a donné un coup de fouet à l'économie
maritime grâce à la conservation du poisson dans les chambres
froides. Le point culminant de son développement est atteint avec les
accords de pêche1(*) qui lie le gouvernement du Sénégal
à l'Union Européenne. C'est l'ouverture de la mer
sénégalaise qui s'est faite dans le cadre d'une compensation
financière permettant aux bateaux européens d'avoir accès
aux ressources halieutiques disponibles.
La pêche devient ainsi la première source de
devise pour l'économie sénégalaise. Elle exerce de plus
en plus un attrait sur l'ensemble des populations de tradition maritime
notamment dans la petite côte ou le premier métier chez les Lebu
est celui de pêcheur. C'est dire donc que c'est le rayonnement de la
pêche au niveau national qui a influencé la pêche chez les
Lebu de Ndayane.
La pêche dans ce village reste à la remorque de
l'économie maritime nationale qui a pris le dessus sur toutes les autres
secteurs économiques en particulier l'agriculture d'inspiration
coloniale avec l'économie de traite.
CHAPITRE V LES LEBU DE NDAYANE ET LA
PEHE PIROGUIERE
LES CARACTERISTIQUES NOUVELLES DE
LA PECHE PIROGUIRE
«L'équilibre ancien pêche/agriculture est
aujourd'hui en plusieurs secteurs du littoral pratiquement
détruit »1(*)
Ce constat général de Régine Van Chi
BONNARDEL concernant les populations riveraines des côtes
sénégalaises inclut spécialement les Lebu de Ndayane. La
pêche pirogière modernisée grâce à la
motorisation apparaît ici comme une révolution. On peut même
dire que la motorisation est à la pêche ce que la boussole est
à la navigation.
Articulée à la dynamique générale
qui affecte la pêche, la motorisation va coïncider avec
l'émergence d'un nouveau mode d'exploitation des ressources halieutiques
radicalement opposé au secteur agricole. Ce dernier a été
et reste sous contrôle étatique en ce qui concerne les structures
de commercialisation. Il y avait dans la traite arachidière une sorte de
configuration de la vente. En fixant les prix aux producteurs, l'Etat ne
faisait que soumettre les paysans à son diktat commercial.
La pêche apparaît par son mode de fonctionnement
comme plus avancée que l'agriculture. En effet le poisson n'est pas
comme l'arachide sous tutelle directe de l'Etat qui en définit le
rapport commercial pêcheur / mareyeur. Une telle situation étant
absente, les pêcheurs de surcroît des paysans potentiels ne peuvent
que se soumettre à la nouvelle donne.
L'insertion pleine de la pêche dans l'économie
mondiale avec un marché extérieur en progrès constant
articulé à une demande intérieure consistante
écarte tout monopole sur la production.
Même si les mareyeurs ont en un moment donné
été les principaux bénéficiaires de la valeur
ajoutée du poisson, l'évolution récente de la pêche
piroguière a montré la capacité des pêcheurs
à refuser toute forme d'exploitation. C'est dire donc que la pêche
a évolué vers des rapports économiques véritables
avec la monnaie comme intermédiaires entre les acteurs.
Le développement de cette économie maritime est
à la base dans tout le littoral des mutations socio-économiques
en cours.
La pêche va donc être un facteur de rupture d'avec
l'ancienne organisation agriculture / pêche à Ndayane et dans
beaucoup de lieux de la petite côte.
A/ LA PECHE PIROGUIERE : CARACTERISTIQUES PRINCIPALES
A a/ Le pêcheur de Ndayane un itinérant.
La pêche piroguière des Lebu de Ndayane s'est
toujours caractérisée par des migrations successives vers le Sud
de la petite côte. Ces déplacements continus sont forgés
par la tradition ; En effet selon
GRUVEL(A)1(*), les Lebu ont une tradition de migration très
ancienne. Des premières pirogues à voile jusqu'aux pirogues
motorisées, les pêcheurs de Ndayane ont toujours fait des
pérégrinations dans les centres de pêche de Joal et de
Mbour d'où le caractère itinérant du pêcheur de
Ndayane qui a une culture maritime forgée par les migrations.
La motivation première était la poursuite de
bancs de poissons pendant la saison sèche (No'or) vers Joal ou Mbour. Ce
phénomène aux causes biologiques a épousé dans son
évolution des contours psychologiques, sociologiques, économiques
et même culturels. Pour le pêcheur de Ndayane, l'avenir de son
métier est lié à ces déplacements.
C'est pourquoi on a assisté ces dix derniers
années à un afflux massif de la quasi totalité de la
population de ce village à Djifère. Du fait des avantages
tirés de la transformation du poisson c'est toute une colonie de femmes
qui font en même temps que les pêcheurs les déplacements.
Le tableau précédent permet de voir pour ces
quinze dernières années comment se présente ces migrations
le long du littoral de la Petite Côte.
Cette enquête effectuée par le CRODT donne ici un
aperçu général sur les déplacements des
pêcheurs. L'enquête commence dans les années quatre vingt
(80) pour aboutir dans les années quatre vingt dix(90). Il faut
cependant noter que le tableau s'arrête sur l'année 1996 alors que
l'afflux des pirogues de Ndayane s'est intensifié ces deux
dernières années (1997-1998).
Même si le recensement a montré la
présence des pirogues à Ndayane surtout pendant l'hivernage, il
demeure néanmoins que cette présence était due d'abord au
début des années quatre vingt (80) à une prise en compte
des activités agricoles et dans les années quatre vingt dix (90)
à la pêche aux poulpes dans les eaux locales. En effet, mis
à part les cinq dernières années, durant lesquelles le
poisson poulpe est pêché à Ndayane la présence
massive des pêcheurs au niveau du village se justifie par des moments de
repos donc par une trêve qui prépare les grands
déplacements.
La longueur des campagnes de pêche a tué le
caractère saisonnier de la pêche. Beaucoup de pêcheurs ont
acheté des maisons à Joal ou Djifère et se sont
sédentarisés. Le retour à Ndayane n'est prévu que
pendant la fête de la Tabaski ou les fêtes confrériques
(Gamou Tivaouane ou Ndiassane) ;
La poulpe apparue à la fin des années quatre
vingt (80) y est pour quelque chose. En effet c'est une nouvelle donne qu'elle
a introduite dans la pêche piroguière.
Elle a complètement bouleversé les cycles de
production et prolongeant la campagne de pêche et en faisant retourner
les pêcheurs de Ndayane à la technique traditionnelle de la ligne.
Cette nouveauté dans la pêche avait contribué par moments
à nourrir l'espoir d'un éventuel retour des pêcheurs dans
leur village notamment en 1991, année pendant laquelle la production de
poulpe a connu un record jamais égalé dans les eaux locales.
Ces espoirs seront déçus car c'est l'effet
contraire qui s'est produit car après cette parenthèse on a
assisté à une intensification des migrations et au recul de la
production locale de poisson.
Exemple : de la production des principales
espèces commercialisées de Juillet à Août
(1997).
Espèces/
Mois
|
Seiche
|
Poulpe
|
Soles longues
|
Soles tigres
|
Juillet
|
960 Kg
|
2 809 Kg
|
52
|
28 Kg
|
Août
|
1 825 Kg
|
8 888 Kg
|
151 Kg
|
89 Kg
|
Total
|
2785 Kg
|
11 697 Kg
|
203 Kg
|
117 Kg
|
Source : Bon délivrée par l'usine à
Mbaye POUYE, mareyeur à Ndayane.
B/ CENTRE DE PECHE DE JOAL
C'est le lieu le plus dynamique de la pêche
piroguière sur toute la petite côte. Les Lebu, aux Ñominka
et Guet Ndariens, le port de pêche de Joal ne laisse aucun pêcheur
indifférent. Les fortes activités humaines qui le
caractérisent sont une conséquence de cette réputation de
bourbier du poisson. Joal et un centre de pêche que l'on peut qualifier
de mythique pour les Lebu de Ndayane car ce port de pêche reste
lié à toute l'histoire maritime de cette population.
De la pirogue à voile à la pirogue
motorisée, Joal a toujours servi de lieu privilégié pour
l'exercice du métier de pêcheur à ces derniers. La
pêche piroguière modernisée s'est faite à Joal avec
toute la réussite qu'elle a engendrée.
Cette expérience reste encore très vivace dans
la conscience des pêcheurs qui grâce aux gains substantiels
tirés des campagnes sont toujours attachés à ce centre de
pêche.
La réputation de Joal s'est construite autour de la
pointe de Sangomar jugée très poissonneuse mais par une mer calme
aux côtes très basses, et sablonneuses donc propices à la
capture des soles principal espèce recherchée. Cette abondance
des ressources halieutiques a permis aux pêcheurs d'accumuler de l'argent
et partant de s'autonomiser en ayant leur propre embarcation. Pour ce faire,
les pêcheurs ont accepté un certain nombre de sacrifices.
Les conditions de vie à Joal se sont toujours
signalées par leur précarité. Les pêcheurs
considéraient les moments de campagne comme des moments d'exception de
la vie bref comme une parenthèse. Ainsi c'est pour eux une
période de privation et de sacrifice qui prendra fin avec
l'achèvement de la campagne.
C'est donc les maisons habitées depuis les
années soixante (60) que les pêcheurs continuent de
fréquenter. Ces maisons en pente de paille ou en tiges de mil au
début sans revêtement de ciment abritent entre six et huit
pêcheurs qui dorment à même le sol avec des nattes de plus
souvent ou des matelas en paille actuellement.
L'heure de départ pour la mer est fixée à
cinq heures du matin(5H). Avec l'éloignement des zones de pêche,
la durée du trajet peut varier entre (2) deux heures et (3) trois heures
de temps. Arrivés sur les lieux, le travail pour faire remonter des
filets commencent. Une pirogue contient en moyenne cent cinquante à deux
cent filets séparés en unités appelées par des
pêcheurs «filas». Quand la mer est agitée, le travail
est harassant et peut parfois même déboucher sur des accidents. Il
peut arriver que les filets contiennent en dehors du poisson beaucoup de
saletés comme les algues. Ce qui nécessite un travail
supplémentaire.
Dans pareil cas, l'heure du retour est compromise et les
pêcheurs prolongent la durée du temps de travail. C'est toujours
à la fin du travail que le repas est pris. La nourriture qui n'est rien
d'autre que du pain dilué dans l'eau avec du sucre et du lait.
C'est le fameux « ponce » cher au Lebu et
dont l'anecdote est racontée à propos des Lebu de Bargny. En
partant à la mer entre cinq heures et six heures, le retour se fait en
temps normal vers 14 heures et 15 heures. Une fois arrivés, les poissons
(soles) sont mis dans une caisse et amenés sur le pont bascule. La
relation pêcheur / mareyeur commence avec l'arrivée de la
production. Pour le reste des prises c'est la femme du capitaine de la pirogue
qui les prend en charge pour la transformation.
Après l'opération de vente de la production
c'est la remonte de la pirogue qui suit. C'est une opération importante
dans la pêche piroguière si l'on considère que les dits
centres de pêche ne sont pas équipés pour éviter le
halage des pirogues. La plupart du temps se sont les pêcheurs
retraités qui s'en chargent moyennant le «mbolé» ou le
«teeral». Avec ces prestations sociales les plages de Joal,
Djifère et Mbour connaissent des affluences records. Le
phénomène tend à se professionnaliser et à
s'organiser autour des origines locales.
C/ LE CENTRE DE PECHE DE DJIFERE
Djifère est un véritable presqu'île
entourée sur les trois côtés par la fleuve Saloum à
l'Est et par la mer à l'Ouest. Il est devenu un nouveau lieu de
ralliement des pêcheurs de Ndayane depuis bientôt dix ans. Ceci
malgré l'hostilité du milieu physique car selon les recherches
géologiques, cette zone pourrait connaître d'un moment à
l'autre un raz de marée qui l'engloutirait sous les eaux.
Une telle hypothèse n'a jamais entamé la
détermination des pêcheurs à fréquenter le site.
Ainsi on peut considérer Djifère comme une sorte de Ndayane bis.
Les conditions de vie y sont très précaires. Elles sont plus
difficiles qu'à Joal. En effet Djifère est un véritable
site de campagne où les maisons sont en paille. On note l'absence d'eau
potable. L'exiguïté du site est aussi un problème qui rend
fréquents les incendies. La forte concentration humaine à
Djifère cause des problèmes sanitaires qui laissent
indifférents les populations.
Autrement dits malgré l'hostilité du site,
Djifère continue d'attirer à merveille la population originaire
de Ndayane. Il existe une liaison journalière effectuée par une
voiture entre Ndayane et Djifère, ceci pour corroborer cette attraction
qu'il exerce sur la population de Ndayane. Cette massification des pirogues
originaires de Ndayane à Djifère est intervenue dans un contexte
nouveau marqué par l'abondance pendant l'hivernage de la poulpe.
La pêche perd ainsi son caractère saisonnier et
les pêcheurs se sédentarisent. La poulpe étant
pêchée pendant l'hivernage. De ce fait c'est donc elle qui prend
le relais de la pêche aux filets pendant l'hivernage.
L'hivernage est à Djifère un moment de
concentration humaine car la poulpe1(*) a la vertu d'être très facile à
pêcher et en même temps de permettre grâce à son prix
des gains énormes. Le village de Ndayane se vide pendant cette
période. En effet en dehors des pêcheurs, les vieilles personnes
qui doivent cultiver les champs se déplacent aussi sur Djifère
pour accéder à l'argent de la poulpe. L'agriculture perd donc de
plus en plus du terrain avec la fréquentation continue des centres de
pêche de Joal et maintenant de Djifère.
L'intérêt économique suscité par la
pêche constitue un facteur de tassement des activités agricoles.
Par les ressources monétaires qu'elle mobilise la pêche est
considérée comme étant en phase avec l'évolution
sociale marquée par une monétarisation des relations sociales. Le
dynamisme de ces centres de pêche traduit cette nouvelle situation,
situation plus objective de fait que dans tous les villages côtiers de la
petite Côte, la pêche est la principale source de revenu.
D/ LES PRESTATIONS SOCIALES OU DONS
C'est une donnée constante qu'a pris figure
traditionnelle dans la pêche piroguière d'honorer par des dons
tous les anciens pêcheurs qui ont pris leur retraite. Ceci a donné
naissance aux notion de « terral » et de
«mbolé» très prisé dans les
sociétés de pêche notamment chez les Guet Ndariens, les
Ñominka et les Lebu.
Le teeral est donc une reconnaissance, un symbole pour tous
ceux qui sous le poids de l'âge ne peuvent plus utiliser leur force pour
faire la pêche. A Ndayane il existe une grande colonie de vieux
pêcheurs qui prennent la direction des centres de pêche de Joal et
de Djifère afin de bénéficier des revenus de la
pêche. Certains prennent le soin d'accompagner soit leur propre pirogue
ou sont sous le «tutorat» d'une pirogue d'un neveu. Il y a d'autres
qui partent individuellement.
Les prestations sociales phénomène classique de
la pêche piroguière se sont institutionnalisées avec le
développement de la pêche. Il apparaît de plus en plus
autonome en prenant l'allure d'un métier comme celui de pêcheur.
Ainsi le pêcheur considère les teeru kat comme des vendeurs de
service car ils lui ont permis de faire remonter la pirogue. Les revenus
journaliers peuvent varier entre 1000 F à 2000 F et même plus en
période de pêche aux poulpes.
Ceci est la première cause de l'attirance que ces
prestations sociales exercent sur les populations d'où son
élargissement aux populations étrangères à la
pêche. L'augmentation continue des individus demandant le teeral
aboutit à la mise sur pied de nouvelles stratégies par les
pêcheurs.
Il s'agit dans ce cas de figure d'envoyer les membres de
l'équipage le moins connu afin que celui-ci soit moins sollicité
que les autres. Il faut préciser que pour le poisson, les pêcheurs
sont très sollicités. Aussi face à la rareté du
poisson le teeral (don individuel) est en train de perdre sa fonction de
reconnaissance et d'amour réciproque pour laisser la place au
Mbolé (don collectif) devenu même une nécessité
après la remontée de la pirogue.
Le teeru a joué un rôle important car il a permis
d'abaisser l'âge de la retraite des pêcheurs. Beaucoup de
pêcheurs du fait qu'ils ont un fils capable d'être le capitaine
d'une pirogue ont préféré jouir de ces prestations. La
diversification de l'activité se fait en même temps que son
élargissement à des pêcheurs encore valides.
Le processus de rajeunissement des individus
bénéficiant des services prestataires est ainsi enclenché.
Les teeru kat sont originaires de lieux divers sur l'ensemble
des villages du littoral et même de l'intérieur du pays.
B/ LE MAREYAGE
Le mareyage occupe une place centrale dans le circuit de
distribution de la pêche piroguière. Le mareyeur est
l'intermédiaire principal entre les pêcheurs, les centres urbains
de consommation et les usines de traitement du poisson. Il a contribué
selon Régine BONNARDEL 1(*) en moins de six ans à faire de telles sorte
que :
«la pêche piroguière s'est
insérée dans une active économie commerciale».
Les premiers mareyeurs à Ndayane sont apparus au
début des années soixante dix (70) avec le développement
de la pêche aux filets dormants. Le mareyeur a d'abord été
un commerçant ayant pour préoccupation les mises à terre
d'une pirogue, il va s'affirmer comme un véritable entrepreneur avec le
développement de la pêche. Son rôle d'opérateur dans
le marché du poisson sera accélérée avec
l'émergence des usines de traitement qui font du mareyeur leur
intermédiaire entre les plages et leur direction. Grâce aux
subventions accordées, les mareyeurs ont investi la pêche
piroguière afin de d'approvisionner les usines en poisson. Les
subventions sont soit de l'argent donné au mareyeur soit des filets
accompagnés d'une somme considérable. Ceci pour garantir aux
pirogues le maximum de chances d'avoir une pêche fructueuse.
Ces subventions que les mareyeurs appellent financement ont
pour but de renouveler à la veille de la campagne de No'or le
matériel de pêche pour que l'équipement puisse
répondre aux exigences de la pêche moderne.
Ainsi selon les besoins de l'usine qui parraine le mareyeur,
il parvient à financer le nombre de pirogues souhaité. De ce fait
les grands mareyeurs ayant de l'argent disponible parviennent à avoir
entre dix et vingt pirogues. Les plus modestes sont entre deux et cinq. La
multiplicité des usines installe une concurrence entre celles-ci. Cette
concurrence va se cristalliser au niveau des plages avec leurs mareyeurs
respectifs.
Ce qui va aboutir dans le cadre de la pêche aux filets
du Lebu de Ndayane au partage entre des mareyeurs d'une même pirogue. Il
s'agit dans ce cas de l'établissement d'un calendrier qui affecte
à chaque mareyeur un jour d'achat dans le semaine des mises à
terre de la pirogue. Pour reprendre la terminologie des pêcheurs, la
pirogue est divisée en «Ceer».
Ainsi chaque jour correspond au tour d'un mareyeur Il peut
arriver qu'un mareyeur ait deux ou trois «ceer» (part) ce qui veut
dire qu'il a trois jours de suite à acheter pendant la semaine ;
La pirogue est devenue dans ce contexte source de conflits
avec la présence d'intérêts multiples qui se font une
concurrence sans merci. Après avoir été une
véritable aubaine au début des années soixante dix (70),
le mareyage a du mal à résister à la logique
monétaire qui caractérise l'évolution de la pêche
piroguière.
Le mareyage est source de conflit mais aussi il souffre d'un
développement hypothétique du fait de la non organisation. En
effet la quasi totalité des personnes provenant des régions de
l'intérieur (souvent appelé ajoor) investissent le secteur du
mareyage. Le foisonnement des acteurs se réclamant mareyeurs ne fait
qu'exacerber les conflits pour le contrôle et pour l'accès
à la production piroguière.
Ces populations de l'intérieur provenant principalement
de l'ex bassin arachidier sont parvenues à se hisser en
commerçant potentiels et à modifier fondamentalement dans le
même sens les rapports classiques mareyeurs / pêcheurs.
Les ajoor ont d'abord commencé par le petit commerce
avec notamment l'achat des poissons après la pesée des soles.
C'est après qu'ils ont déployé les moyens
nécessaires pour s'octroyer des pirogues à l'image des mareyeurs
Lebu. C'est avec cette intrusion que la libéralisation du mareyage a
pris effet.
Traditionnellement c'est sous le modèle du voisinage et
de la parenté que les mareyeurs de Ndayane avaient acquis le monopole de
l'achat de la production. Ainsi avec trois balles de filets, ils
contrôlaient l'ensemble de la production d'une pirogue pendant toute une
campagne de pêche qui dure environ six mois.
La fin de ce monopole est accompagné d'une
réelle prise de conscience chez les pêcheurs de la valeur
économique du poisson. Cette prise de conscience étiquette les
mareyeurs comme des exploiteurs potentiels qui se sont toujours enrichis sur le
dos des pêcheurs. Les pêcheurs avec l'intérêt
suscité par le poisson vont réorganiser les liens traditionnels
qui les mettaient aux prises avec les mareyeurs.
C'est pourquoi toute subvention par exemple en filets est
calculée en espèce. Dans ce cas si le mareyeur a donné
trois filets, le pêcheur mentionne la valeur monétaire
c'est-à-dire le coût de ces filets. De ce fait chaque kilogramme
de poisson vendu est enregistré et si au bout d'une certaine
période le mareyeur entre dans ses fonds, le contrat devient caduc et il
faut le renégocier ou c'est la rupture.
Le nouveau contrat exige une nouvelle subvention ou c'est la
vente libre comme communément appelée chez les pêcheurs.
Cette forme de relation montre l'évolution des rapports
de production dans la pêche piroguière sous les contraintes de
l'économie monétaire. Cette évolution desrapports de
production au sein de la pêche ôte à celle-ci son
fonctionnement traditionnel sous l'empreinte des relations domestiques.
L'apparition de l'argent est considéré par Karl
Marx1(*) comme le signe
évident de l'apparition du capitalisme. Ce constat est rendu
évident par la capitalisation monétaire qui est l'objectif
poursuivit par tous les pêcheurs de Ndayane. Il existe chez les
pêcheurs un engouement et un intérêt démesuré
autour de la maximisation de la des revenus du poisson.
Les formes marchandes de la production apparaissent à
travers les différents acteurs du circuit commercial que sont les
pêcheurs, les mareyeurs et les transformatrices. Nous allons nous
intéresser à cette troisième catégorie d'acteurs
dans la partie qui suit.
C/ LE ROLE ECONOMIQUE DES FEMMES AVEC LA TRANSFORMATION
DES PRODUITS DE LA MER.
La transformation des produits de la mer est un monopole des
femmes sur l'ensemble du littoral sénégalais. Les femmes de
Ndayane à l'image des Guet Ndariennes font en même temps que les
hommes, les migrations saisonnières pour s'occuper de la transformation.
Joal et Djifère semblent devenir des milieux naturels pour elles.
A Ndayane traditionnellement, la transformation est du ressort
des femmes accompagnatrices des pirogue. Ces dernières avaient pour
rôle principal la préparation des repas et aussi à faire le
linge des membres de la pirogue. La femme du capitaine était
naturellement celle qui s'occupait de ce travail.
Comme la pêche est très bien cotée sur le
marché, les poissons de moindre qualité étaient
léguées à vil prix ce qui constituait une sorte de
récompense pour les services rendus aux membres de la pirogue. Les
différentes formes de transformation sont le Yett, le Gëjj et le
Tambamjang. Le keccax est surtout fait avec la pêche locale à
Ndayane. La sardine qui permet sa préparation est pêchée
avec des filets maillants de surface utilisés uniquement dans les eaux
locales, tandis que pendant le No'or, à Joal ou Djifère ce sont
les filets dormants qui sont utilisés.
Avec le développement des circuit de distribution et de
commercialisation articulé à un demande intérieure ou
extérieur, le secteur de la transformation a subi des mutations
occasionnées par l'essor de l'économie maritime.
La soumission de la pêche piroguière aux
exigences de l'économie monétaire s'est traduite dans tous les
secteurs dérivés. La transformation suit cette nouvelle logique
qui consiste à mettre entre parenthèse la parenté dans le
cadre de la commercialisation.
Ainsi même si les femmes accompagnatrices sont
prioritaires pour l'achat de la production de leur pirogue, elles restent
cependant soumises aux contraintes de la concurrence. Il s'agit dans cette
nouvelle logique d'être «compétitives» ou de laisser la
production à une autre. A l'image du mareyeur dans le secteur de la
marée fraîche, les transformatrices sont obligées de
s'adapter à l'évolution dans leur secteur d'activité,
évolution dépendant de manière générale de
la pêche. Sous ce rapport, la transformation est devenue plus
professionnelle et partant moins artisanale.
Etre accompagnatrice d'une pirogue ne suffit plus pour exercer
le métier, il faut aussi déployer les moyens économiques
nécessaires pour avoir du poisson, bref il faut disposer d'un capital
afin d'accéder à la ressource. La transformation dans son
fonctionnement prend l'allure du mode de production commerciale qui se
développe dans l'économie de la pêche piroguière.
Ainsi pour F. P. transformation :
«il est vain pour une femme d'aller à
Djifère si l'on n'a pas de ressources financières».
Pour exister en tant qu'actrice, la femme transformatrice est
obligée de se donner des moyens financiers susceptibles de faciliter
l'accès à la production.
Le nombre croissant de personnes qui s'adonnent à cette
activité montre la vitalité de ce secteur et
l'intérêt qu'il suscite.
La modification des rapports sociaux traditionnels est
accompagnée de transformations structurelles. Sur tout le littoral comme
l'a souligné Abdoulaye SENE,1(*) les produits de la mer étaient
transformés par de vieilles personnes. Avec le développement et
l'intensification du réseau commercial, la présence des jeunes
femmes est plus remarquée.
La monnaie y est pour beaucoup car le Keecax se faisait
traditionnellement pour servir de troc entre Lebu de la côte et Sereer
Saafeen de l'intérieur.
Les premiers donnaient leur poisson, les second leur mil. Ceci
pendant l'hivernage, période où le poisson était rare et
les greniers entamés. Les vieilles femmes jouaient un grand rôle
dans cet échange.
Le renouvellement des transformatrices avec le rajeunissement
de la profession est accompagnée d'une division du travail sanctionnant
ainsi l'évolution socio-économique du secteur. La transformation
s'est déchargée des tâches de couper le poisson,
l'éplucher et le laver. Ce travail est effectué par des
manoeuvres «ajoor» ou Socé. Après l'achat du poisson
à la plage, la transformatrice ne s'occupe que du séchage une
fois le poisson déposé sur les claies.
La transformatrice s'est érigée en
commerçante à la recherche de débouchés pour son
produit plus tôt qu'une femme pétrie de la culture Lebu et ayant
le savoir faire concernant le poisson. Cette dernière fonction se perd
de plus en plus chez les transformatrices de Ndayane habituées à
la nouvelle situation sur les plages de Joal et de Djifère.
En effet les commerçants sont toujours sur les plages
pour s'approvisionner en yeet, gejj ou tambajang destinés aux zones
urbaines principalement.
Le marché de la transformation est ouvert à tout
commerçant solvable c'est-à-dire susceptible de payer le produit
à bon prix.
Cependant il existe des commerçants grossistes qui font
crédit à certaines transformatrices afin que celles-ci leur
réservent un stock de poisson. Ces grossistes ont joué un grand
rôle dans la mobilisation de capitaux. En effet, les crédits leur
garantissent un stock de poissons transformé sont fait dans le but
d'approvisionner les pays de la sous - région comme le Mali et le
Burkina Faso.
C'est une forme de commercialisation qui ouvre la
transformation sur l'extérieur. Sous ce rapport, elle est un
prolongement du petit commerce classique en cours et mettant aux prises
transformatrices et commerçants destinés aux centres urbains.
Les transformatrices de Ndayane écoulent leur stock par
l'intermédiaire de ce petit commerce. Ces commerçants ou
commerçantes le plus souvent parviennent grâce aux relations
nouées à inspirer la confiance des transformatrices ce qui leur
permet d'avoir le produit à crédit.
Ainsi elle peut prendre le stock pour une durée de
quinze jours et ensuite revenir pour payer son du.
Ce type de rapport commercial rend fragile le secteur de la
transformation car étant la base de l'endettement chez certaines femmes.
Toutefois c'est par souci de ne pas garder longtemps les
stocks de peur qu'ils pourrissent qu'elles soient obligées de les
céder à crédit. Les difficultés de la conservation
sont donc à la base de ces types de relations commerciales nocives aux
progrès de ce secteur. Malgré cette situation assez
particulière, les transformatrices parviennent la plupart du temps
à s'en sortir avec des gains assez importants pendant la campagne.
Les gains obtenus servent à cultiver la
solidarité familiale. En effet à la fin de la campagne, les
femmes achètent des habits pour les enfants, pour les gendres
restés au village et pour elles-mêmes. La fin de la campagne est
un moment d'exhiber le produit du travail c'est-à-dire ses
résultats fortement marqué par l'influence de l'économie
maritime moderne très monétarisée, il n'en demeure pas
moins que le fruit de la commercialisation répond à des objectifs
sociologiques.
C'est la solidarité traditionnelle qui est
redynamisée par les revenus. Aussi le compte d'épargne est encore
un mystère pour les transformatrices. Cependant des changements sont en
cours avec la naissance des G.I.E intervenant dans le secteur. Ces groupements
encore en gestation, donc c'est une expérience précoce que seule
son évolution future pourra éclairer.
CHAPITRE III : LA PECHE INDUSTRIELLE ET LES PECHEURS
DE NDAYANE.
La pêche industrielle est très
particulière par son organisation et son fonctionnement. Elle marque
aussi l'évolution technique qui caractérise la pêche en
général depuis les années cinquante (50).
L'ouverture des eaux sénégalaise aux bateaux
européens (français, espagnols, russe, grecs) et asiatiques
marque de ce point de vue une nouvelle étape de l'évolution de la
pêche. L'arrivée massive de ces compagnies de pêche ouvre la
voie de la pêche industrielle aux populations de tradition maritime
ancienne à savoir les Lebu, les Guet Ndariens et les Ñominla.
C'est la naissance d'un pêcheur nouveau appelé «matelot»
qui est ainsi consacrée avec des conditions nouvelles de travail en
rupture avec les méthodes du gaal locco.
Le paysans - pêcheur de Ndayane va donc au début
des années soixante dix (70) faire son entrée au port autonome de
Dakar valorisant de ce fait son savoir -faire traditionnel dans des conditions
socio-économiques d'une autre nature.
A/ CARACTERISTIQUES GENERALES DE LA PECHE INDUSTRIELLE.
La pêche industrielle demeure aujourd'hui un secteur
principalement actif à cause de la présence des navires
étrangers. Contrairement à la pêche piroguière qui
emploie près de deux cent mille (200.000) personnes, elle ne concerne
que vingt mille (20 000) personnes.
La production est destinée essentiellement à la
transformation et par conséquent vouée particulièrement au
marché extérieur.
La flotte est surtout constituée de chalutiers,
sardiniers et thoniers. Plus qu'un complément de la pêche
artisanale, la pêche industrielle est devenue une concurrente qui
grâce aux accords de pêche conclus exploite par
l'intermédiaire de ses techniques de capture ultramoderne les eaux
sénégalaise. La faiblesse des moyens de surveillance dont dispose
le P. S. P. S. aboutit à une exploitation intensive des fonds de
pêche ce qui a pour effet de prolonger davantage les zones de
pêche. De plus en plus les pêcheurs de Ndayane se plaignent des
dégâts causés par les bateaux sur les filets de pêche
déposés dans un endroit qu'ils partagent avec ces bateaux. Etant
essentiellement sous contrôle étranger, la pêche
industrielle reste assez marginale dans le cadre de la pêche en
général au Sénégal.
B/ LES MATELOTS DE NDAYANE
Comme souligné plus haut c'est depuis un peu plus d'une
vingtaine d'années que les premiers matelots originaires de Ndayane sont
apparus. Le caractère particulier de cette pêche a fait que les
recrutements n'ont pas été massifs. Ce sont donc des
individualités qui ont débuté dans cette activité
qu'on peut considérer comme importante dans la voie de la
professionnalisation amorcée à la suite de la sécheresse.
Les premiers matelots de Ndayane ont navigué dans des
compagnies françaises. Certains ont même voyagé au Gabon
pour exercer pleinement leur nouveau métier. La première
génération s'est bien adaptée aux exigences de la
pêche industrielle d'où l'engouement suscité et le grand
rush vers le port de Dakar de la plupart des pêcheurs artisanaux.
Avec le préjugé favorable, il y a aussi les
retombées économiques acquises en raison du modèle
économique (salariat) jusque là inconnu d'une population
essentiellement agricole. Dans une économie de subsistance, les
matelots ont été les premiers initiateurs du salairiat.
Cette influence fut d'autant plus grande que les bateaux
faisaient des campagnes assez longues dépassant le mois
c'est-à-dire trente jours. De ce fait le salaire cumulé
représente une manne financière qui exerçe un attrait
réel sur les pêcheurs des gaal locco.
Cette forme de pêche a permis à beaucoup de
matelots originaires de Ndayane de fréquenter des villes
européennes comme Las Palmas ou Tenerife de même que
l'Amérique avec l'Uruguay, l'Argentine, le Brésil ou même
les USA. C'est une pêche aux revenus très importants mais ne
concerne qu'une infime minorité comparée à la pêche
piroguière.
Pour la population, les matelots sont l'élite du
village car constituent de véritables fonctionnaires aux revenus
constants. Ils sont à l'abri des fluctuations et des incertitudes de la
pêche piroguière. Une telle situation s'explique par les
possibilités offertes par les revenus provenant de la pêche
industrielle .
Avoir une maison personnelle est le souhait de chaque
pêcheur. Les revenus des matelots servant la plupart du temps à la
construction de villas notamment les « terrasses» qui ont
commencé à naître.
Le désir de s'autonomiser très
caractéristique de l'évolution de la pêche à Ndayane
est plus net chez les matelots tant les possibilités sont certaines.
C'est pourquoi beaucoup sont parvenus à avoir des gaal locco
données aux jeunes frères afin qu'ils cessent d'être
tëban. Ils participent dans cette logique à faire de la famille
biologique des unités autonomes de production. Sous ce rapport ces
matelots ont joué un rôle important dans l'évolution
socio-économique de Ndayane car leur action s'est inscrite dans le cadre
d'un mode de production moderne et qui concerne l'ensemble de la pêche
sous toutes ses formes.
C/ SITUATION ACTUELLE DE LA PECHE INDUSTRIELLE :
DIFFICULTES.
Même si elle continue d'accorder des avantages aux
matelots, la pêche industrielle en ce qui concerne le recrutement est
dans l'impasse.
Elle semble évoluer depuis quelques années dans
un cul de sac. L'envahissement du secteur par d'autres ethnies notamment les
Sereer. Ceci articulé à une crise de l'emploi au
Sénégal fait que devenir membre d'une compagnie de navigation est
chose difficile.
L'attrait de ce secteur sur les pêcheurs artisanaux est
toujours présent mais les attentes pour un hypothétique
départ en mer se font de plus en plus nombreuses. Le port n'est plus ce
qu'il était d'après les témoignages. De même pour
certains si l'on ne dispose pas de réseaux clientèles, retourner
dans la pêche artisanale demeure alors la solution. Au cours de ces
dernières années la pêche industrielle du point de vue de
ses recrutements s'est grippée car la maîtrise technique du
métier n'est plus nécessaire pour décrocher une
embarcation.
La corruption et le népotisme ont gangrené le
milieu. C'est pourquoi beaucoup de pêcheurs ayant acquis les dispositions
administratives d'un matelot ont préféré acheter une
pirogue et retourner dans la pêche artisanale. Pour S. N. D
«il est plus intéressant de travailler pour
soi même car la mer offre des possibilités économiques
énormes. Il s'agit pour nous de se donner les moyens pour e n profiter .
Je préfère la pêche artisanale au métier de matelot
qui use notre force de travail pendant de longs mois ».
Ce retour vers la pêche piroguière est
intéressante pour certains et devait être plus
bénéfique si le secteur avait évolué de
manière profonde. Pour le pêcheur A. D.
«Cette évolution devait traduire par le
remplacement des pirogues actuelles par des embarcations plus grandes et de
fabrication industrielle».
L'espoir suscité par la pêche industrielle a
été déçu pour certains car celle-ci comme cru au
début n'a pas la capacité d'absorber toute la main d'oeuvre
disponible. Il s'y ajoute que certains matelots sont plus cotés que
d'autres notamment ceux qui naviguent dans les pavillons espagnols aux salaires
intéressants.
Compte tenu de la situation de précarité de
l'emploi, avoir une pirogue est une solution viable à court terme pour
palier à cette situation surtout que l'attente au port de Dakar peut
durer jusqu'à cinq années avant l'obtention d'un embarquement.
Certes les revenus de la pêche ont permis la multiplicité des
pirogues mais le souci de contourner la léthargie de la pêche
industrielle y est pour beaucoup.
Ce qu'il faut noter c'est que la situation ne fait que
commencer il faut donc suivre son évolution dans le temps pour pouvoir
juger de son impact réel.
Les matelots bien que minoritaires constituent
néanmoins du point de vue financier la catégorie la plus
importante de la population active de Ndayane. Ils constituent la frange la
plus importante des fortunes individuelles.
Les possibilités que la pêche leur a offertes ont
surtout contribué en faveur de la dépaysannisation amorcée
avec l'essor de la pêche. Ce sont les matelots qui le plus souvent
amènent leurs parents à la Mecque. Aussi les plus
âgés prennent souvent une seconde ou troisième
épouse.
Plus qu'un phénomène périphérique,
la pêche industrielle au même titre que celle artisanale a
joué un rôle important dans l'évolution
socio-économique des paysans -pêcheurs de Ndayane. Elle est au
début et à la fin du processus de changement social. Elle
participe aussi des mutations profondes qui traduisent la
spécificité du mode de production commerciale en cours dans la
pêche sénégalaise contemporaine. Sous ce rapport comme la
pêche artisanale, celle industrielle a capté toutes les
énergies vives de Ndayane dans son rayonnement originel. Il est
très regrettable pour les pêcheurs que les structures classiques
de fonctionnement de la pêche n'ont pas emprunté les mêmes
logiques au port de Dakar dans un contexte où la rareté de
l'emploi est devenue plus manifeste.
3e Partie : LES CONSEQUENCES DE LA
PECHE A NDAYANE
La question qu'on se pose au niveau de cette troisième
partie est la
suivante : les Lebu de Ndayane après avoir toujours
vécu comme paysans- pêcheurs, quels sont les changements qui se
sont produits après l'effacement progressif de l'une des
activités à savoir l'agriculture ?
Autrement dit qu'elle influence la pêche exerce t - elle
sur Ndayane une fois qu'elle est devenue dominante ?
Mieux encore l'adoption de la pêche comme nouveau mode
de production n'est elle pas le point de départ de profondes mutations?
CHAPITRE VIII LES CONSEQUENCES
MORPHOLOGIQUES, ECONOMIQUES ET
DEMOGRAPHIQUES.
Occupés historiquement par des populations ayant une
tradition agricole confirmée (Guet -Ndariens exceptés), le
littoral est devenu depuis la fin des années cinquante (50) un lieu de
rencontre cosmopolite. Cette situation fait suite à l'essor de
l'économie maritime mais aussi à la déstructuration de
l'économie de traite arachidière.
Sur toute la côte, les populations notamment les paysans
- pêcheurs ont laissé la première activité au profit
de la seconde. Cette nouvelle donne dépasse dans ce nouveau contexte la
pêche comme fait culturel spécifique à des ethnies mais
devient un facteur de développement socio-économique dans une
période de crise économique.
C'est pourquoi son développement apparu dans un
contexte de crise agricole a bouleversé l'ordre jusque là
établi par une économie d'autosubsistance.
A Ndayane comme dans la plupart du pays Lebu, la pêche
est devenue le moteur de l'organisation socio-économique. Sous ce
rapport, l'économie maritime a joué et continue de jouer un
rôle important dans le processus de changement dans l'ensemble du
littoral.
Au moment où les jeunesses rurales paysannes de
l'intérieur du Sénégal ont pris le chemin de l'exode vers
Dakar, la grande métropole, à Ndayane et partout ailleurs dans le
littoral, c'est la pêche qui a canalisé les énergies pour
en faire la main d'oeuvre c'est-à-dire la véritables force de
l'économie maritime.
Il y a donc dans ce cas un redéploiement des anciens
paysans vers le secteur de la mer. Le développement économique de
Ndayane est passé par cette nouvelle étape introduite par
l'économie maritime modernisée. Ainsi on peut dire comme
Durkheim1(*) que le
développement de l'agriculture et de la pêche varient en sens
inverse l'une de l'autre. D'où l'effacement progressif du mode de
production agricole traditionnelle avec l'essor de la pêche.
Les trois facteurs qui suivent et leur imbrication peuvent
être considérés comme des indicateurs de l'importance de la
pêche et ses conséquences sur l'organisation économique.
A /TRANSFORMATION DU CADRE PHYSIQUE
La transformation du milieu de vie est la conséquence
la plus visible de l'importance de la pêche à Ndayane. Comme nous
l'avons signalé dans la première partie, c'est la carré
qui était puisqu'ici la demeure principale des individus appartenant a
la même lignée. Les constructions en dur qui ont remplacé
les cases en paille et en banco se faisaient toujours à
l'intérieur du carré.
Le développement de la pêche dans les
années soixante dix (70) inaugure et consacre un nouveau mode
d'habitation. Les nouvelles parcelles grâce au cadastre vont être
lotissées. Les premières parcelles s'étendent sur 25
mètres de longueur et sur 20 mètres de largeur. Le droit de
bornage était de 1000 F mais Aujourd'hui il est de 12000F.
Le village avec ce nouveau mode d'occupation de l'espace va
prendre un peut de recul et quitter la façade maritime.
Les nouvelles maisons construites ne seront plus en tuile ou
en tôles Zinc mais en tôles ardoise. Aujourd'hui les terrasses ont
fait leur apparition. Le nouveau quartier qui consacre
l'éclatement des quartiers traditionnels est
appelé HLM.2(*)
l'homogénéité des formes de construction montre que les
revenus ont d'une certaine manière touchés toute la population
active.
L'éclatement de l'unité de production
traditionnelle qui était latente est devenu une réalité.
En effet les ménages s'étaient autonomisés depuis
longtemps mais continuaient cependant d'exister dans le carré simplement
comme forme de résidence. L'évolution de la pêche va
consacrer l'étape de la recomposition.
Cette recomposition s'appuie sur la famille biologique comme
unité sociale dans le cadre de l'occupation de l'espace. La famille
élargie (carré) se meurt car cette nouvelle situation a produit
un effet d'entraînement sur tous les autres ménages qui n'ont pour
souci que de sortir du carré en ayant leur propre maison.
L'accélération de ce processus est liée à la
santé de la pêche qui permet l'accumulation monétaire
nécessaire à la construction d'une maison. Si la pêche va
tout va à Ndayane.
Ainsi en moins de vingt ans, le village de Ndayane s'est
radicalement transformé et le quartier dit HLM consacre ce renouveau.
C'est pourquoi certains quartiers traditionnels sont devenus des vestiges du
passé avec le déménagement des occupants dans les HLM.
La subdivision traditionnelle du village en deux blocs
distincts à cédé la place à l'extension en longueur
des habitations et à l'éparpillement des anciens occupants du
carré dans le nouveau mode d'occupation de l'espace villageois.
Cependant il faut noter que les premières parcelles
étaient attribuées selon la logique du carré. En effet
tous les habitants provenant du même carré se voyaient octroyer
des parcelles très proches. Le préjugé identitaire
existait car certains se refusaient d'habiter par exemple dans le quartiers de
Tileen, quartier dont la situation était favorable à l'accueil
des nouveaux occupants.
Cette attachement à l'identité s'est
dilué sous la pression démographique. De ce fait il y a comme
nous l'avons signalé précédemment une recomposition
sociale qui fait fi de ces considérations et qui créent de
nouveaux modèles. L'occupation suit une autre logique qui dépasse
les identités traditionnelles.
Dans le quartier des HLM, la construction d'une mosquée
par les habitants n'étant pas originaire d'un même carré
atteste de l'évolution des rapports sociaux que l'espace à
forgé.
B/ L'ACCELERATION DE L'ACCUMULATION MONETAIRE
Si la pêche s'est avérée important du
point de vue de la culture chez les Lebu, elle l'est encore plus par la
capitalisation monétaire qu'elle a permise durant ces dernières
années dans tout le littoral sénégalais.
Jusqu'avant son essor récent c'est la traite
arachidière qui était la source la plus importante des revenus
des paysans pêcheurs de Ndayane. La pêche n'offrait que des revenus
modestes et complémentaires.
Les revenus agricoles étaient contrôlés
par des personnes adultes notamment les chefs de carré et les chefs de
ménage d'où la faible circulation de l'argent. A
côté des ces rapports hiérarchiques , il y avait une sorte
de confiscation de la production par l'Etat qui grâce à
ses organismes de commercialisation (ONCAD)contrôlait le circuit du
commerce.
L'existence de ces deux données gênait une
capitalisation monétaire susceptible de créer un
développement socio-économique intégrante toute les
composantes de la population.
La décollage de la pêche remet en cause ce
système et permet à la nouvelle génération
d'accéder au numéraire. La pêche constitue ainsi une
avancée qui stimule toute la jeunesse. Sous toutes ses formes
(industrielle et piroguière), elle consacre la naissance d'un nouveau
mode de production.
La pêche en donnant des gains individuels marque la
différence d'avec l'agriculture. Le pêcheur en tant qu'acteur
individuel est né. Ceci constitue un progrès dans le cadre d'un
système social où seul le groupe était reconnu. L'esprit
communautaire est certes présent mais son influence est
tempéré par l'émergence d'un nouvel esprit qui à
terme va l'affaiblir. Avec la pêche même si le procès de
production est collectif, les parts attribuées sont individuelles.
C'est pourquoi les pêcheurs en unissant leurs efforts
pendant six mois vont se retrouver avec des revenus substantiels. Pour une
bonne campagne de pêche, les revenus peuvent varier entre 250 à
300.000 F par pêcheur. Quand celle-ci est moyenne les revenus sont entre
100. et 150.000 F . En de ça de 100.000F la campagne est jugée
mauvaise.
Le système de la part institué peut être
compris comme le point de départ de l'individualisation des efforts dans
une société très fortement influencée par
l'instinct communautaire. La partie la plus importante de la capitalisation
individuelle proviennent des revenus de No'or.
Cependant il faut noter que les gains individuels sont plus
importants dans la pêche industrielle car le matelot qui est dans une
compagnie espagnole et après avoir effectué une campagne de six
à sept mois peut se trouver avec près de trois à quatre
millions de francs. Ce sont donc les revenus de la pêche en
général qui ont permis une accumulation monétaire sans
précédent. Cette situation est explicative de l'attrait que la
pêche exerce sur toute la population notamment les élèves
qui abandonnent la plupart du temps dans le secondaire les études pour
devenir pêcheur. Les élèves devant les parts importantes de
pêche que brandissent leurs camarades n'ont pu résister à
l'envie de les suivre. La conséquence c'est qu'a Ndayane, il y a un
délaissement de l'école (Coranique et laïque) au profit de
la mer.
Cette attirance vers la pêche est
accélérée par l'augmentation continue du nombre de
pirogues qui est multiplié par cinq durant ces dix dernières
années. Des pirogues familiales on est passé maintenant aux
pirogues individuelles.
C'est dire que la pêche à permis l'apparition de
fortunes individuelles qui à l'image des pêcheurs Guet- Ndariens
se propulsent comme de véritables entrepreneurs.
C/ACCENTUATION DES MIGRATIONS VERS LE SUD DE LA PETITE
COTE
«Obtenir de l'argent» est le maître mot chez
les pêcheurs de Ndayane. Durant la période de la pirogue à
voile, La pêche migratoire se faisait en suivant la décente des
bancs de poisson vers le sud de la petite côte. En saison sèche,
on notait une intensification des migrations vers Joal ou Mbour. La Pêche
pendant cette période était liée au calendrier agricole
d'où le caractère saisonnier des déplacements (cf
calendrier agricole dans la première partie)
La modification de ce rapport bouleverse le caractère
jusque là saisonnier des migrations. L'effacement de l'agriculture a
pour conséquence immédiate la prolongation des compagnes de
pêche. Le bouleversement des cycles de production avec l'avènement
de la poulpe très abondante pendant l'hivernage y est pour beaucoup.
Ainsi la pêche piroguière qui de façon classique est
saisonnière va d'ores et déjà se sédentariser dans
les principaux lieux de pêche de Djifère et de Joal.
Les compagnes qui finissaient au plus tard au mois de juin ne
sont plus d'actualité. Le retour des pêcheurs au village n'est
envisagé que durant la Tabaski ou les fêtes
confrériques.
Il faut cependant signaler que leur séjour dans ce cas
de figure ne dépassent pas quinze jours. Les déplacements ne
concernent pas seulement les pêcheurs mais aussi une bonne partie des
villageois notamment les personnes âgées (pêcheurs
retraités et les femmes principales transformatrices). Aujourd'hui
Ndayane se vide presque durant toute l'année de ses habitants. Toute la
population en âge de travailler accompagne le processus de migration.
La pêche locale est devenue dérisoire car seule
une dizaine de pirogues la pratiquent de façon très ordinaire .
!l'amateurisme de cette pêche réside dans le fait qu'elle emploie
des moyens assez faibles comparée à la pêche migratoire
d'où le caractère non significatif de ses prises. Le poisson se
fait souvent rare à Ndayane d'ou les difficultés pour les
ménagères d'avoir de quoi mettre dans le «Ceebu
Jën». C'est pourquoi le commerce du poisson en provenance de Mbour se
porte bien. La sardinelle «Yaaboy» qualifiée d'appât par
le mo'ol est de plus en plus consommée en raison de la rareté du
poisson.
Pour conclure sur tout ce qui précède on peut
dire que parler de l'influence de l'économie maritime sur la vie sociale
du Lebu de Ndayane revient à questionner les progrès de la
pêche au Sénégal, progrès qui ont été
les principaux motifs du changement social chez les populations de tradition
maritime confirmée comme les Lebu et les Guet - Ndariens.
CHAP IX MODIFICATION DE L'ORGANISATION SOCIO ECONOMIQUE
ET SOCIALE
Montrer les mutations occasionnées par le
développement de l'économie maritime fortement
monétarisée sous tend en filigrane une réflexion sur les
conséquences quant au devenir de cette société. Il revient
à se demander quels rapport la pêche en tant que facteur de
capitalisation monétaire va t - elle entretenir avec le système
social de nature communautaire.
A/ MODIFICATIONS DE L'ORGANISATION SOCIO-ECONOMIQUE
TRADITIONNELLE
L'effacement de l'agriculture au profit de la pêche est
l'élément déterminant des changements intervenus au plan
socio-économique à Ndayane. L'économie mixte qui
caractérisait traditionnellement les Lebu va subir des modifications
profondes devant l'évolution des activités halieutiques.
La mutation professionnelle s'est faite en faveur de
l'activité la plus rémunératrice1(*). La subdivision traditionnelle
de l'année en quatre saisons a laissé la place à une seule
activité.
La dépaysannisation consacre sous ce rapport le passage
d'une double activité vers une professionnalisation en pêcheur De
ce fait l'agriculture même si elle est pratiquée ne concerne
qu'une minorité notamment les vieilles personnes. A Ndayane, l'âme
paysanne y est morte victime de l'évolution de la pêche. Toute
l'ancienne population agricole s'est déplacée massivement vers la
pêche. L'amour de la terre qui caractérisait le paysan s'est
déplacé vers la pêche qui occupe maintenant toutes les
énergies vives de ce village.
De ces changements au niveau socio-économique on peut
noter la diversité des occupations autour de quatre niveaux:
1. La pêche comme secteur principal et moteur des
activités socio-économiques.
2. La transformation entièrement structurée
autour des femmes.
3. Les prestations sociales (Teeru Waan): occupées de
façon traditionnelle par les pêcheurs retraités, elles
connaissent avec le dynamisme de la pêche une évolution qui les
institutionnalisent.
4. Le mareyage qui est au centre de la pêche
piroguière avec notamment le circuit de distribution du poisson.
Ces quatre composantes de l'économie maritime
d'essence piroguière exerce de manière assez profonde un attrait
certain sur toutes les populations environnantes du village de Ndayane. C'est
pourquoi la pêche à Ndayane s'ouvre de plus en plus aux Sereer qui
sont de véritables agriculteurs. Mis à part le secteur de la
transformation entièrement sous la direction de la population locale,
les deux autres activités sont envahies par ces paysans à la
recherche de ressources supplémentaires pour pallier les
difficultés nées des conditions économiques
précaires.
Au delà donc des mutations de la localité de
Ndayane c'est toute une zone géographique et socioculturelle qui subit
l'influence de la pêche.
Etant mobilisatrice de capitaux, la pêche
piroguière a contribué à l'introduction de nouveau
rapports socio-économiques et de transformation de la logique des
acteurs. En effet l'évolution de la pêche piroguière a
abouti à des conflits mettant aux prises mareyeurs et usines de
traitement et mareyeurs/pêcheurs dans le secteur de la
commercialisation.
Le mareyeur qui traditionnellement contrôlait toute la
production des pirogues vit aujourd'hui sous la pression créée
par les impératifs croissants de l'économie maritime La demande
croissante en produits halieutiques a complètement bouleversé les
canaux traditionnels du dispositif commercial.
C'est pourquoi le secteur du mareyage connaît une sorte
de dysfonctionnement dû en réalité à l'envahissement
excessif des centres de pêche par les populations rurales de
l'intérieur du pays.
La dégradation du circuit commercial est surtout
manifeste à deux niveaux : d'abord entre mareyeurs et usines et entre
pêcheurs et mareyeurs.
a/ Les relations mareyeurs / usines de
traitement
Le mareyeur de Ndayane est né avec le
développement de la pêche piroguière. Il s'est surtout
illustré grâce aux relations nouées avec les usines de
poisson. Il est parvenu dans ce cas à se faire subventionner en filets
et en argent pour livrer du poisson à ces unités de
traitement.
Ces dernières ne conditionnaient leur aide qu'à
une livraison continue en produits de pêche. Le mareyeur qui vivait avec
les pêcheurs dans le même village parvenait grâce aux
rapports de voisinage à décrocher une dizaine de pirogues. Le
Mareyeur se voyait fixer par l'usine une ristourne sur le kilogramme de poisson
vendu. Ceci se faisait sans lien direct avec les bénéfices que
celui-ci pourrait avoir sur le poisson à la plage.
Les conditions de vente du poisson étaient bon
marché car c'est dans un contexte où le pêcheur ne
demandait qu'un bon équipement (filets, machines). Le regard sur le
nombre de Kilogrammes vendus et les conditions de la pesée du poisson ne
le préoccupait pas. La discussion et l'accord conclus entre le
propriétaire de la pirogue et le mareyeur étaient toujours
confidentiels. Cet accord se faisait sous le modèle de la parole
donnée. Le mareyeur dans cette période était un
véritable intermédiaire entre l'usine et les pêcheurs/ Le
système garantissait ses intérêts selon son mode de
fonctionnement.
Les premiers mareyeurs de Ndayane vont constituer les
premières fortunes individuelles après avoir
bénéficiés des largesses du dispositif commercial.
Cependant, cette puissance du mareyeur va être
fragilisée plus tard par le changement d'attitude de son «bailleur
de fonds». En effet des changements vont intervenir au niveau de ces
rapports. Les usines ont jugé trop importante la part de la rente
retirée par les mareyeurs du commerce du poisson. Dans ce sens les
usines de traitement vont se faire représenter par un convoyeur de fonds
qui les représente à la plage.
Celui-ci accompagne la voiture qui amène chaque jour
la livraison de glace. Il est chargé de régler les bon de pesage
et d'apporter l'argent que l'usine doit payer aux mareyeurs après chaque
chargement. Son arrivée sur la plage est motivé par le souci de
s'enquérir de la situation des prix à la plage.
Conséquence immédiate une diminution des marges
bénéficiaires et donc un affaiblissement des mareyeurs. Cette
situation sera fatale pour les mareyeurs de Ndayane qui sont des pêcheurs
reconvertis au commerce du poisson à la suite de l'essor de la
pêche. Leurs affaiblissement va permettre la naissance des mareyeurs
«ajoor» anciens manoeuvres saisonniers. Cette nouvelle forme de
relation entre usines et mareyeurs a produit la fin des monopoles dans le
mareyage jusque là détenus par les mareyeurs locaux .
Les pêcheurs sont dans cette situation les principaux
bénéficiaires de la libéralisation du mareyage qui a
permis un élargissement de la demande et partant une augmentation des
prix.
Cette augmentation des prix va continuer avec la
dévaluation du franc CAF.
Cette pression exercée par les entreprises qui
exploitent les ressources halieutiques s'est révélée
néfaste sur les mareyeurs parce que ces derniers n'ont pas mis sur pied
un mouvement coopératif capable de défendre leurs
intérêts dans la profession. Le secteur du mareyage a souffert de
l'orgueil de ses membres repliés chacun sur sa fortune personnelle.
C'est parce qu'elle a permis la naissance des fortunes
individuelles que des mécanismes de nature corporatiste n'ont pu influer
sur son fonctionnement . C'est parce que cette faiblesse structurelle existe
qu'une pareille situation a été exploitée par les
unité de traitement du poisson.
Sur les principaux centres de pêche de la petite
côte, les mareyeurs de Ndayane qui ont encadré la profession ont
perdu quasiment tout contrôle sur la production des pirogues de leur
localité.
Cette évolution du dispositif commercial par le haut
va influencer les relations mareyeur/pêcheur qui sont sous l'empreinte de
l'attitude des entreprises de poisson.
b/ Les relations pêcheurs/Mareyeurs
Les relations des pêcheurs et des mareyeurs à
Ndayane avaient fonctionné sous le modèle de la parenté.
La mobilisation de capitaux que la pêche a permise a fini par ôter
tout caractère sentimentale et affectif à ces relations. Les
revenus que la pêche procure sont maintenant au coeur des relations entre
ces deux agents du marché du poisson.
Le mareyeur est obligé de s'adapter à ce nouveau
mode de production où selon les pêcheur
« la parenté est mise entre
parenthèse lorsque nous sommes en campagne de
pêche ».
Cette restructuration des ces relations a été
accélérée par une demande continue qui a pour effet de
libéraliser le circuit commercial. L'arrivé en masse sur les
plages des «ajoor» a participé à une
redéfinissions des liens traditionnels pêcheurs / mareyeurs.
La multiplication des individus exerçant le
métier de mareyeur a pour effet d'accélérer la concurrence
pour le contrôle de la production.
Il va s'installer non seulement une densification du circuit
commercial mais celui-ci va même connaître une modification. En
effet avec l'arrivée des ajoor le système du
Laaga-laagal va être mis sur pied. Il consiste à acheter
les petites espèces laissées sur la pirogue après la
pesée des espèces nobles comme la sole pêchée
principalement par les Lebu de Ndayane.
Ainsi il existe d'abord le mareyeur traditionnel qui a son
pont -bascule et qui dispose de pirogues subventionnées. A
côté il y a les laaga-laagal petits commerçants
informels sans carte de mareyeur.
L'évolution la plus spectaculaire du dispositif
commercial va bouleverser ce schéma en propulsant ces
laaga-laagal comme mareyeurs à part entière. Il s'agit
d'un bouleversement de la logique commerciale classique. Le formalisme
initialement mis sur pied entre mareyeurs et pêcheurs est laissé
de coté.
Ces commerçant nouveaux qui envahissent le
marché vont mettre sur pied le système traditionnel du
laaga-laagal qui consiste à marchander directement avec les
pêcheurs. Dans cette situation ces marchants ajoor vont se mettre dans
les conditions d'un pêcheur en mettant des tenus qui vont servir à
plonger en mer pour accueillir la pirogue avant même qu'elle n'accoste
sur le rivage.
Le système du marchandage dit Këdd va
aussi prospérer grâce à la détermination de ces
nouveaux mareyeurs.
Avec le Këdd, on assiste à une mise
à mort du mareyage classique qui consistait à subventionner une
pirogue. Le marché est devenu libre avec cette nouvelle donne où
seule la mobilisation substantielle de capitaux est déterminante.
La démarche pour disposer de la production de poisson
est ainsi bouleversée et l'influence de ce nouveau
phénomène traduit plus que jamais la persistance du mode de
production commerciale qui est essentiellement dominée par la
rationalité économique.
Ainsi de plus en plus certains propriétaires de
pirogues préfèrent ce système qu'ils appellent «la
vente libre» . Les subventions traditionnellement attribuées aux
pêcheurs souffrent de ce système qui en quelque sorte
émancipe les pêcheurs de la tutelle des mareyeurs, tutelle qu'ils
considèrent comme contraignante.
Le Këdd d'abord conçu comme un
phénomène périphérique qui consistait à
acheter les miettes des mises à terre (langoustes en petite
quantité, yeet etc.), il s'est maintenant imposé comme la seule
forme de commercialisation du poisson dans la pêche piroguière
à Djifère comme à Joal.
Essentiellement occupé par les ajoor, la
commercialisation du poisson échappe de plus en plus aux mareyeurs Lebu
qui ont pourtant la tradition de la profession.
La puissance psychologique et la détermination de
cette population rurale de l'intérieur ont fini de les hisser comme les
premiers mareyeurs de la petite Côte.
Cette intrusion des ajoor dans le milieu de la pêche
est très caractéristique de l'évolution du secteur surtout
du point de vue de ses structures commerciales. Ceci traduit la vitalité
de la pêche qui s'est ouverte à des populations de culture
maritime inexistante.
L'éviction des mareyeurs Ndayanois montre dans ce
contexte une évolution des structures mentales dans ce milieu où
le pêcheur était toujours pris en otage par la volonté
affichée du mareyeur de faire des bénéfices. La
déstructuration du système commercial traditionnel a donc un
effet de libération des pêcheurs. Elle traduit aussi les mutations
progressives qui se déroulent à l'intérieur de la
pêche pirogière.
Cependant cette libération du pêcheur de la
tutelle des mareyeurs traditionnels sous tend en même temps un
dysfonctionnement profond qui affecte le circuit commercial. En effet de la
clarification des individus étant des mareyeurs véritables,
dépend l'avenir du mareyage.
B/ TRANSFORMATIONS SOCIALES
Au coeur du système social traditionnel des Lebu de
Ndayane, il y avait la notion de solidarité. Plus qu'une valeur, elle
était le fondement de l'existence de groupe lignager. Ainsi la
solidarité traversait de long en large la structure villageoise dans son
ensemble.
Les travaux champêtres servaient de baromètre
pour mesurer son impact réel sur la marche des choses. La saison des
pluies était toujours un moment de mobilisation de toutes les forces
dans un élan de solidarité et de communion collective avec comme
objectif final la prospérité de tous. Comme support de cette
solidarité il y avait la famille avec son corollaire le parenté.
Comme dans l'agriculture c'est la famille domestique qui a accompagné
l'essor de la pêche piroguière.
Les premières pirogues étaient d'abord la
propriété des chefs de carré.
Le développement de l'économie monétaire
a remis en cause le fonctionnement domestique de la pêche. Grâce
aux revenus qu'elle procure, le désir de s'émanciper de la
tutelle familiale s'est fait vite sentir comme une nécessité.
Il y a comme une sorte de déterminisme
économique qui s'exerce sur les mentalités. Karl MARX1(*) l'explique ainsi
« les rapports sociaux sont intimement
liés aux forces productrices. En acquérant de nouvelles forces
productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le
mode de production ,la manière de gagner leur vie, ils changent tous
leurs rapports sociaux »
L'individu en tant qu'acteur autonome a émergé
du système de l'économie maritime en sapant les fondements de
l'économie traditionnelle d'essence communautaire.
Le carré comme unité de production et de
consommation avait commencé à être dissout par la traite
arachidière. Ces changements structurels amorcés vont
s'approfondir avec l'économie maritime nouvelle. En effet la famille
biologique qui s'était d'abord érigée en unité de
production va davantage se fragmenter avec l'émergence des
individualités en son sein. Ces dernières grâce à
leurs efforts personnels sont parvenus à acheter une pirogue et à
construire leur propre maison hors du carré. Ainsi ces individus ont
remis en cause le principe hiérarchique de l'adage (père / fils
aîné / cadet) très caractéristique de la culture
Lebu.
De plus en plus, les pêcheurs ont pris conscience de
l'indépendance économique. Ce désir psychologique se
retrouve dans toute la population active (pêcheurs) et se traduit par
une augmentation progressive des pirogues individuelles.
Ces modifications de la structure sociale intervenues dans un
contexte où l'argent a pris une part importante dans le lien social sont
manifestes à l'intérieur de l'équipage des pirogues. En
effet plus que la parenté, l'argent est au coeur du système de
production.
Il faut même dire que l'intérêt guide les
pêcheurs vers la mer. C'est pourquoi tout capitaine de pirogue qui
s'avère un escroc ou un mauvais gestionnaire perd son équipage.
Avec la multiplication des pirogues, seuls les propriétaires
réputés intègres et travailleurs parviennent à
garder les membres de sa pirogue pendant une longue durée.
Les dissensions à l'intérieur des pirogues
mettent de plus en plus aux prises les membres d'une même famille (entre
frères) qui s'étaient mis d'accord au début pour partager
la même embarcation. C'est le cas de D.D pêcheur qui avait
mobilisé 350.000F ajouté à la part de son grand
frère pour avoir leur pirogue personnelle. Une fois la pirogue acquise,
après deux ans de No'or le grand frère se considère selon
lui comme le propriétaire véritable de la pirogue. Il a fait une
plainte déposée à la gendarmerie mais il leur est
demandé de se réconcilier entre parents. Jusqu'à
présent le problème est en suspend. Ce Cas est assez courant
maintenant à Ndayane.
Ainsi avec la pêche piroguière modernisée
aussi bien les facteurs structurels (organisation du travail, technique etc.)
que culturels qui étaient le fondement de l'organisation sociale ont
subi des mutations qui ont influencé profondément les rapports
sociaux.
A l'image des greniers qui étaient le long de la
côte et qui ont disparu, la structure sociale archaïque s'efface de
plus en plus A Ndayane, contrairement à la Grande côte où
la culture maraîchère est très présente, la
pêche reste et demeure le puissant facteur de transformation sociale.
C'est elle qui a fait bouger les choses.
C/ UNE VIE ASSOCIATIVE GRIPPEE.
Le village de Ndayane a toujours vécu dans une ambiance
de fête surtout après chaque saison de pluie. La fin de
l'hivernage était toujours accompagnée par des activités
récréatives notamment les séances de lutte mais aussi des
matches de football dans le cadre des «Nawetaan». Ces
activités essentiellement récréatives jouaient sur le plan
social un rôle important car permettaient une recréation de
l'esprit communautaire après les durs travaux champêtres.
Aujourd'hui à Ndayane du fait des migrations des
pêcheurs il y a un tassement de ces activités, mieux même,
elles sont mises en veilleuse.
Les méfaits de cette situation sont plus effectifs pour
la nouvelle génération qui n'a pas la chance de partager des
équipes de football en commun.
En effet les réflexes d'identité chez les
jeunes sont manifestes lorsqu'il y a des séances de lutte
organisées par un quartier quelconque. C'est souvent des moments de
confrontation et de confusion. L'esprit communautaire que la vie associative
traditionnelle avait forgé à laissé un vide qui est la
conséquence immédiate des pérégrinations continues
des pêcheurs.
On peut dire sous ce rapport que les déplacements des
pêcheurs ont joué un rôle important dans le processus de
déstructuration des relations sociales jadis bâties sur une forte
conscience communautaire.
L'animation culturelle1(*) est une diminution importante dans toute
société qui veut reproduire son identité . Les migrations
ont empêché à la population de vivre sous l'influence de
l'esprit communautaire traditionnel.
Le peu de temps passé au village et mis à
contribution pour organiser des combats de lutte entre les différents
quartiers
CONCLUSION
Le constat fait à propos des Lebu et
généralement des populations
riveraines du Littoral sénégalais est que
celle-ci ont investi le secteur de la pêche au détriment de celui
agricole. Une telle situation a un caractère à la fois
particulier et historique. En effet ce groupe s'est toujours distingué
par sa double activité de paysans-pêcheurs. Une telle histoire
économique et sociale n'est pas spécifique à Ndayane
où l'organisation socio-économique est de nature mixte. Les
pratiques sociales se sont singularisées par une organisation du mode de
vie sous le modèle du paysan - marin. La subdivision effectuée
par les Lebu de Ndayane en quatre périodes (citées dans la
première partie) répond à un souci de clarification de
leur système bâti autour d'une logique communautaire.
L'agriculture étant la principale activité
pourvoyeuse de revenus avec la traite arachidière joue donc ici un
rôle important car permet l'accès aux biens de consommation comme
le riz et l'huile. Son importance à Ndayane était liée
à ce qu'elle permettait aux paysans d'être exemptés de
l'achat de la principale production vivrière qu'est le mil. Les champs
sont dans ce contexte presque sacralisés car ils étaient la
source même de la vie communautaire en permettant à la
société de se perpétrer car sans production il n'y a pas
de vie sociale.
C'est pourquoi pendant les trois mois de saison des pluies, le
village rythmaient par l'intermédiaire du bruit de l'hilarité et
de la houe.
Par enchaînement de circonstances, la sécheresse
s'est installée annihilant tout espoir chez les paysans de Ndayane. La
pêche grâce à son évolution technique et
socio-économique va servir de contrepoids face au désastre
né de l'agriculture. La pêche plus qu'une caractéristique
socioculturelle du groupe Lebu va s'affirmer en tant qu'activité
socio-économique nouvelle grâce à sa nouvelle orientation
(motorisation, matelots). En moins de dix ans, la pêche va
éclipser l'agriculture à Ndayane. Il y a une
dépaysannisation qui s'est installée avec le développement
de l'économie maritime. Un ajustement en faveur de l'activité la
plus rémunératrice a été effectué. Cette
mutation socio-économique va être le point de départ d'une
capitalisation monétaire sans précédant.
De profonds changements vont découler de cette
situation. Les gains que la pêche procurent vont être les signes de
l'avènement d'un nouveau mode de production où la monnaie va
être au coeur des rapports sociaux.
Cette transformation de la pêche traditionnelle à
voile en une pêche moderne (motorisation) va modifier dans le temps tout
le dispositif de la pêche piroguière notamment en ce qui concerne
le circuit commercial (relations pêcheurs/ mareyeurs).
Presqu'entièrement contrôlée par les mareyeurs à son
origine, l'affirmation de plus en plus nette du pêcheur en tant que
gestionnaire produit un tassement du mareyage classique avec l'affirmation des
ajoor promus véritables marchands de poissons. Ceci a stimulé la
conscience des pêcheurs qui s'érigent en tant que vendeurs habiles
à la recherche d'intérêts économiques.
L'intense accumulation monétaire dans la pêche
piroguière a secoué les mentalités de ces anciens
paysans-pêcheurs qui ont pris conscience de l'évolution de la
situation socio-économique, évolution déroulant
principalement de la pêche comme activité à forte
productivité commerciale.
Les premières fortunes individuelles de Ndayane sont
nées de ce nouveau système de production qui les a
propulsé au devant d'une société où la tradition
communautaire est encore vivace. Comme la pêche piroguière sinon
plus la pêche industrielle a joué un grand rôle dans ce
processus de transformation sociale. Les revenus importants des matelots ont
été mis à contribution pour construire des maisons qui ont
déstructuré les carrés traditionnels et partant des
anciens quartiers. Aussi les matelots ont participé à
l'élargissement du parc piroguier villageois en finançant la
construction de certaines embarcations.
L'aisance dont ils font montre a orienté beaucoup de
pêcheurs vers le port de Dakar à la recherche d'un emploi. C'est
dire donc que c'est la pêche prise en tant qu'activité à
forte productivité qui a permis aux Lebu de Ndayane de combler le vide
de l'agriculture. Aujourd'hui la vie sociale est liée à la
vitalité de la pêche c'est-à-dire de sa santé.
L'écologie villageoise qui s'est beaucoup
transformée durant ces dernières années souffrirait
beaucoup d'un ralentissement des activités halieutiques car sa marche y
est étroitement liée. Les migrations successives sur le littoral
constituent un véritable problème pour l'émergence de
Ndayane comme centre de distribution du poisson, c'est-à-dire un
pôle économique à l'image de Joal.
Le développement et l'avenir de la Petite Côte
dépend de la déconcentration des centres de pêche
traditionnels et donc de l'ouverture de nouveaux lieux de pêche.
Pour ce faire il faut que le pêcheur de Ndayane soit
conscient du rôle important qu'il doit jouer en se fixant sur son terroir
pour en prendre le développement socio-économique.
Probablement des hôtels qui sont en train de s'installer
vont accélérer le processus de changement en cous.
ANNEXES
HISTOIRE DE LA VIE N°1
D.P mareyeur est né il y a une cinquantaine
d'années. Aujourd'hui il vit a Joal. Il nous fait part de sa trajectoire
personnelle.
Comme beaucoup d'enfants de ma génération, j'ai
fréquenté l'école coranique à Ngaparou. J'ai
passé une bonne partie de ma jeunesse dans le daara. A la fin de mes
études coraniques, je suis retourné à Ndayane où je
m'adonnais aux activités traditionnelles de l'agriculture et de la
pêche. Parmi ces deux activités celle qui préoccupait le
plus les vieux était l'agriculture. l'Hivernage avait la primauté
sur toute autre activité. Les travaux champêtres
nécessitaient beaucoup d'énergies car il n'y avait pas de
machines agricoles.
Cependant il faut dire que notre carré disposait de
nombreux champs ce qui nous permettait d'avoir une nourriture abondante pendant
toute l'année. Une fois l'objectif de remplir les greniers atteint
chacun était libre de passer le No'or là où il le
souhaite. Mais la pêche était l'activité la plus
sollicitée par les populations de Ndayane. La période de No'or
était comme celle de Naweet un moment de dures labeurs. C'était
une période où l'on ne disposait pas de propulseur dans les
pirogues.
La pirogue à voile était d'actualité. Les
campagnes saisonnières se faisaient à Joal ou à Mbour.
Les travaux étaient très harassants pour les
jeunes car les anciens pêcheurs qui nous encadraient étaient
très exigeants. Tous les travaux de préparation de la pirogue
incombaient au benjamin de l'équipage. Il fallait se lever très
tôt amener tout le matériel à la plage avant le
départ de la pirogue en mer. La pêche à cette époque
nécessitait une maîtrise technique significative car l'engin de
pêche était la ligne de fond et non le filet qui ne fait pas appel
à l'habileté mais plutôt à la force physique. Nous
pêchions dans des profondeur de 70 à 100 brasses, chose impensable
pour les pêcheurs actuels. Nous ne comptions que sur notre connaissance
de la mer mais nous ne disposions pas d'embarcation adaptée aux
intempéries comme la marée haute. Il faut dire qu'a
côté de la maîtrise technique, les connaissances mystiques
étaient aussi mobilisées. Avec le recul, je me rends compte que
les pêcheurs d'aujourd'hui sont vraiment à l'aise dans leurs
embarcations très adoptées à la mer et à ses
aléas.
Cependant les revenus de campagne même s'ils sont
insuffisants comparés à aujourd'hui il n'en demeure pas moins
qu'ils avaient une grande valeur et permettaient de vivre pleinement la saison
des pluies sans se soucier de la mer Ceci est tellement vrai que la
première fois que notre pirogue avait une part de campagne de 52 000F en
1970 par membre d'équipage, ça avait crée un tollé
au village. Notre pirogue avait dépassé largement la moyenne des
revenus qui tournait autour de 20.000F.
Après cette campagne fructueuse, j'ai pris la
décision de faire autre chose que la pêche. Je me suis entretenu
avec mon père qui m'a donné la permission d'apprendre le
métier de chauffeur. C'est dans ce cadre que je me suis rendu à
Pékiné chez mon oncle qui était mareyeur au port de Dakar.
Celui-ci décida de m'initier au métier de mareyeur en même
temps que celui de chauffeur. En procédant ainsi je voulais
dépasser le cadre autarcique villageois où l'on ne faisait que la
même chose chaque fois. A part l'agriculture et la pêche aucune
perspective ne s'offrait aux jeunes . J'ai passé ainsi près d'une
dizaine d'années à Dakar .
C'est en 1978 que j'ai quitté Dakar pour Joal où
je me suis installé depuis lors.
HISTOIRE DE LA VIE N°2
M.S matelot au Port de Dakar âge de 52 ans nous
fait part de sa vie de pêcheur artisan et de matelot à travers
leurs différents contours.
J'ai eu d'abord à fréquenter l'école
coranique une bonne partie de ma jeunesse. Le retour au village nous à
plongé dans le climat habituel de la pêche.. Je peux dire que
notre génération est beaucoup plus tournée vers la
pêche que vers les travaux champêtres. En effet c'est au moment
où l'importance économique de la pêche s'affichait que nous
avons débuté les campagnes à Joal et à Point
Sarëne
Je n'ai pas connu à proprement parler les filets
dormants durant nos campagnes. C'était la pêche à la ligne
qui était à la mode. La pirogue à voile était le
principal support de cette forme de pêche. C'est une pêche
très complexe où il faut connaître les différentes
formes de vent mais aussi les étoiles pour guider la pirogue en
période nocturne.
Nous faisions des déplacements successifs sur la
côte à la recherche des bancs de poissons.
Personnellement, j'ai fréquenté les centres de
pêche de Rufisque, Joal, Kayar et St Louis.
Nous considérions ces centres de pêche comme plus
dynamiques où les prix du poisson étaient plus
intéressants. En effet le poisson était abondant à Ndayane
mais les prix n'étaient pas élevés. On vendait la bassine
de poissons à 1000F l'unité. C'est pourquoi les parts de
pêche tournaient autour de 15 000 à 20 000F par personne.
J'ai vécu cette situation jusqu'en 1973 date de mon
premier embarquement au port de Dakar comme matelot. Avec les bateaux c'est une
autre dimension qui s'offre à nous dans la pêche. Grâce
à cette forme de pêche totalement nouvelle, je suis parvenu
à avoir des revenus substantiels qui m'ont permis de construire deux
maisons au village et je projette d'en faire une autre à Joal.
C'est la pêche industrielle qui m'a permis d'avoir
accès au salaire mais aussi à mes enfants de toucher des
allocations familiales. Cependant toutes les compagnies de navigation ne sont
pas comme la mienne qui a mis sur pied une organisation du travail permettant
l'épanouissement de ses employés.
Aujourd'hui être matelot est de plus en plus difficile
car les embarquements se font rares. En effet le port n'est plus l'apanage des
sociétés traditionnelles de pêcheurs tels que les Lebu, les
Guet Ndariens et les Ñoninka.
Notre génération, une des premières
à fréquenter les bateaux a bénéficié
à l'époque de la clémence du secteur.
Les réseaux de relations et la corruption jouent un
grand rôle dans le recrutement des matelots maintenant.
C'est ainsi que s'est passé mon itinéraire de
pêcheur et de matelot.
HISTOIRE DE LA VIE N°3
M.MP âge de 76 ans trace dans cet entretien son
itinéraire dans la société Lebu de Ndayane.
C'est depuis notre enfance que tous les jeunes de mon
âge ont été initiés aux travaux champêtres.
Les travaux des champs ont fait germé en nous l'idée de classe
d'âge «Maas».
Notre carré disposait de plusieurs champs . Il y avait
Kër Ndut, Kasa pani, Sam Keec etc. Le Borom
Kër avait direction des travaux champêtres. C'est avec un
dévouement significatif que nous travaillions dans les champs. Ainsi on
se levait tôt le matin le plus souvent avant la prière de fajar (
matin) pour prendre la direction des champs .
Le travail était harassant parce que tout se faisait
à la main. C'est pourquoi pendant les semis aucune personne
n'était laissée à la maison.
Ainsi pendant trois jours ou faisait les semis en ce qui
concerne les différents champs du carré. Des semis à la
récolte, nous passions tout l'hivernage presque dans les champs.
Nos principaux aliments étaient le laax et le
couscous.
Le couscous au lait était très fréquent
surtout en saison des pluies.
L'agriculture était tellement importante que les
vielles femmes disposaient de champs d'arachide.
La soudure était longue et seul le Borom Kër
détenait un peu d'argent. Ainsi nous allons à Dakar après
la saison des pluies pour travailler comme serveur dans les restaurants ou
faire du jardinage ou du maraîchage.
Ce poisson était abondant pendant le No'or mais il
n'avait pas une certaine valeur commerciale.
J'ai vécu dans ce système marqué par une
près dominance de l'agriculture jusqu'en 1941 date de mon recrutement
dans l'armée française pendant la deuxième guerre
mondiale.
De 1941 à 1946 je suis resté entre le Maroc et
l'Algérie du fait de la guerre. C'est à mon retour en 1946
dû surtout par le fait que mon père était seul à
travailler dans les champs. Ma conscience ne me permettait plus de continuer
dans l'armée et de laisser seul au village mon père et sa
famille. En effet, ce sont les familles les plus étendues qui
disposaient de plus de nourriture en l'occurrence le mil et l'arachide.
L'agriculture était le poumon de l'organisation
socio-économique.
Mais dans les années cinquante nous avons
débuté des campagnes. à Joal avec la pêche à
la ligne. C'était une pêche de soudure dans le but
d'améliorer la situation familiale car la plupart du temps les revenus
amenés ont servi à construire des maisons en dur à
l'intérieur du carré.
Les conditions de travail étaient très
difficiles. En fait c'est la pirogue à voile qu'on utilisait.
Comparés à aujourd'hui, les pêcheurs de notre
génération disposaient de plus d'atouts sur le plan technique.
méthodologique et mystique pour affronter la mer. Seulement les jeunes
d'aujourd'hui ont plus de chance car la pêche est très
intéressante sur le plan financier actuellement.
La pirogue que j'ai eue dans les années soixante avait
bénéficié de la motorisation mais c'est avec elle que j'ai
laissé le métier de pêcheur pour celui de mareyeur . Durant
une vingtaine d'années j'ai exercé comme mareyeur à Joal
et à Missira. C'est en 1984 que j'ai pris ma retraite après avoir
construit la maison où j'habite actuellement
ABREVIATIONS
HLM: Les HLM à Ndayane ne signifie
pas Habitats à
Loyers
Modérés mais
plutôt le nouveau quartier construit un peu
plus haut de la façade maritime.
Ce nouveau quartier avec des habitations en dur rompt avec la
logique du carré traditionnel. les maison sont lotissées avec une
surface de 25 mètres carré par habitation.
CAMP: Centre
Assistance pour la
Motorisation des
Pirogues
ACDI: Agence
Canadienne pour le
Développement
International
CRODT: Centre de
Recherche
Océanographique de
Dakar - Thiaroye
PSPS: Projet de
Surveillance de la
Pêche au
Sénégal
LEXIQUE
Konon : Champs individuels par opposition
au champs collectifs du
carré.
Naweet: L'hivernage
No'or: La saison sèche par
opposition à la saison des pluies. C'est une
saison qui symbolise chez les Lebu de Ndayane le départ
des
pirogues du mois de janvier au mois de mars à Joal.
Coron: Saison intermédiaire qui
marque la fin de la saison sèche et
prépare celle des pluies
Lo'oly: Saison qui suit celle des pluies.
Elle prépare la grande saison de
No'or avec la pêche. Elle marque le début des
activités
halieutiques
Borom Kër: Le chef du
carré
Sereer Safeen: ethnie de la Petite
Côte notamment dans les villages de
Ndiass, Popenguine, Chiky etc. elle était
très apparentée
aux Lebu de Ndayane
Ndoëp: Cérémonie
très significative de la culture Lebu.
Elle vise a réconcilier le malade atteint par les
esprits avec
l'univers par l'intermédiaire du Ndëp Kat qui
procède par
incantation et par des sacrifices d'animaux. La
cérémonie à
lieu en plein air dans un élan d'exaltation
collective.
weer: le croissant lunaire.
Waame: période marquée par
une augmentation du niveau de la mer
entre le 13e et le 16e jour du
croissant lunaire.
Faraxan: Vent provenant de l'Ouest de la
mer.
Mboya: Vent provenant de l'Est de la
mer.
Corof: Vent provenant du Sud de la
mer.
Borom Daay: seigneur de la terre à
qui les paysan sans terre versaient
un impôt pour cultiver sur la terre de ses
ancêtres.
Laax: repas autrefois très
prisé chez les Lebu de Ndayane notamment
pendant l'hivernage. Il est appelé sanglé par les
français.
Kasa pani / Kër Ndut: noms
célèbres de deux champs du carré des
«puy»
Gaal Locco: pirogue traditionnelle.
Ceebu Jën riz au poisson
Gamo'ol: nom donné par les Sereer
Saafen aux Lebu et qui signifie
pêcheur.
Mo'ol: pêcheur.
Jëk: impôt payé au
Borom daay par les paysans sans terre
Ceer: part (par exemple la part d'un
pêcheur)
Teeral: l'argent ou le poisson
donné par le pêcheur à une personne après
son retour de la mer
Mbolé: l'argent ou le poisson
donné par le pêcheur au collectif des teeru
Kat.
Teeru Kat: Personne venant à la
plage pour aider les pêcheurs à faire
remonter la pirogue avec l'espoir de recevoir une somme
en contrepartie
Nijaay: oncle
Néegu ndey: lignée maternelle
Rab: esprit maléfique qui peuple
l'univers mental du Lebu.
Tayle: moyen par lequel un paysan cultive
la terre d'autrui avec la
garantie d'une certaine somme d'argent.
Xamb: autel abritant le matériel
mystique pour exorciser les mauvais
esprits (Rab). Les Xamb abritent les tuur mais ils n'ont pas
la même signification
Tuur: visent à guérir un
individu grâce au bain dans l'eau tirée des
Xamb.
Tëban c'est le pêcheur qui ne
dispose que de sa force de travail. Il n'a
pas de pirogue.
Filaas: C'est le nombre de filets
attachés par unité. Une pirogue
dispose souvent d'une dizaine de filaas avec 40 filets
chacun.
GUIDE D'ENTRETIEN POUR VIEILLES PERSONNES
I Identification.
II Histoire du village
Période de sa fondation
Les fondateurs
Leur histoire.
IIIOrganisation sociale, politique
et économique contemporaine.
Comment aviez-vous organisez le village?
Comment les décisions étaient-elles prises?
Les types d'activités économiques
La place de l'argent dans la société
IV La culture:
Les périodes de loisir
La pratique du Ndoëp
La référence au sacré.
V Changement social
Les changements intervenus ces dernières
années.
La désaffection de la terre par les jeunes
L'attrait et l'essor de la pêche.
Comment percevez vous l'avenir du village ?
GUIDE D'ENTRETIEN POUR MATELOTS
I Identification
II Les raisons du choix de la
profession
Pourquoi préférez vous les bateaux à la
pirogue traditionnelle?
Les avantages tirés de la pêche industrielle.
III Organisation du travail
Quelles différences établissez-vous entre les deux
formes de pêche ?
La durée du temps de travail.
IV Les difficultés du secteur de la pêche
industrielle
Le recrutement
La longueur des campagnes.
V La gestion des revenus
Comment se fait la gestion des retombées?
Priorités dans vos investissements
GUIDE D'ENTRETIEN POUR PECHEURS
I IDENTIFICATION.
II LES RAISONS DU CHOIX DE LA
PROFESSION.
Amour
manque d'autres issues
Pour son caractère porteur
Pour d'autre raisons.
III RELATIONS AGRICULTURE / PECHE
Pour quoi les champs ne vous attirent plus?
Quelle différence faites vous entre les deux secteurs?
Que représente la pêche pour vous?
Avez-vous une pirogue?
Pourquoi préférez vous aller à Joal ou
Djifère plutôt que de pêcher au village?
IV RELATIONS AVEC LES MAREYEURS
Quel est l'Etat de vos relations avec les mareyeurs ?
Pourquoi préférez vous maintenant le
« Këdd?
V L'ARGENT DE LA PECHE
La gestion de l'argent de la campagne et sa
répartition.
Les parts de vos membres d'équipage
Priorités dans vos investissements.
GUIDE D'ENTRETIEN POUR MAREYEURS
I Identification
II les raisons du Choix De la
Profession
Amour
Pour son caractère porteur
Pour d'autres raisons.
III Les relations Mareyeur / Usine de
poisson.
Etat des relations
Les subventions sont-elles toujours octroyées ?
Les modalités de la coopération.
IV Les relations mareyeurs / Pêcheurs
Le financement des pirogues.
Le Këdd Comme alternative au financement
traditionnel.
Situation actuelle sur les plages de Joal et de
Djifère
GUIDE D'ENTRETIEN POUR TANSFORMATRICES
I Identification
II les raisons du Choix De la
Profession
Amour
Pour son caractère porteur
Pour d'autres raisons.
III Les relations avec les
pêcheurs
L'acquisition du poisson
L'endettement.
V La vie du secteur
le capital pour financer la transformation.
Les bénéfices tirés
Les projets à réaliser
Les investissements à la fin de la campagne
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familiale et mentalité religieuse des Lebu du Sénégal
in notes Africaines N° 119 , juillet 1968, p 80
* 1 La loi 6 au46 du 17 Juin
1964 nationalise les terres qui deviennent une propriété de
l'état
* 1 MEILLASSOUX(CL)
Anthropologie des Gouro de Côte d'ivoire, Paris,Mouton,1954 p.
188
* 7 L'ONCAD a été
l'organisme principal en ce qui concerne la traite arachidière
Jusqu'à dissolution survenue le 23.AOUT 1980.
* 1 BONNARDEL®, Vie de
relation au Sénégal, Dakar, Thèse, IFAN,
Mémoires de l'IFAN N° 90, 1978, P.65
* 2 BONNARDEL®, L'essor
e l'économie de pêche artisanale et ses conséquences sur le
littoral sénégalais. Op. cit, p.255
* 1 1er moteur hors
bord a été expérimenté à Saint Louis en
1953.
* 1 La pêche a
donné en 1996 160 Milliards de recettes d'exportation et contribue ainsi
pour 11% au PIB du secteur primaire et 2,3% du PIB total.
* 1 BONNARDEL®, L'essor
de l'économie maritime et ses conséquences sur le littoral
sénégalais, op. cit, p. 225.
* 1 GRUVEL(A), Les
pêcheurs des côtes du Sénégal et des rivières
du Sud, Paris, Challamel, 1908, p. 120.
* 1 Le prix de la poulpe est
passé de 223 F en 1993 à 800 F en 1994 et 1 800 F en 1996
(Source : base de données « Prix » Du CRODT.
* 1 BONNARDEL ®,
Vitalité de la petite côte tropical du pêcheur de Saint
Louis Sénégal, op. cit, p. 46.
* 1 MARX (K), Le Capital,
Livre I, Paris, Flammarin, p.142.
* 1 SENE (A), Ibidem,
p.221
* 1 DURKHEIM(E), De la
division du travail social, Paris, PUF, 1991, p. 209
* 2 La disparition des
quartiers traditionnels qui étaient en bordure de la mer n'est qu'une
affaire d'années. Et probablement c'est dans un avenir proche.
* 1 Bonnardel(R),
L'économie de pêche artisanale au Sénégal,
op. cit, p 283
* 1 MARX (K) (Misère
de la philosophie, 1847) Cité par Rocher (G) In Changement
social, Paris Edition HMH Ltée, 1968 p.58
* 1 Depuis la
fréquentation des lieux de pêche de Palmarin et de Djifère
les jeunes pêcheurs ont adopté les séances de lutte
fréquentes notamment à Palmarin. Le peu de temps passé au
village est mis à contribution pour l'organisation des combats de lutte.