Master 1 Science Politique de l'Europe Nantes Université -
2022
L'introduction du modèle coopératif sur
un marché concurrentiel: l'exemple de Railcoop sur le marché
ferroviaire
Boris Chiron
Mémoire préparé sous la Direction de
Monsieur Aurélien Evrard, professeur de Sciences politiques à
Nantes Université
Master 1 - Science Politique de l'Europe Nantes Université
- 2022
L'introduction du modèle coopératif
sur
un marché concurrentiel: l'exemple de
Railcoop sur le marché ferroviaire
Boris Chiron
Mémoire préparé sous la direction de
Monsieur Aurélien Evrard, professeur de Sciences politiques à
Nantes Université
Image de couverture: État du réseau ferroviaire
en France métropolitaine il y a 100 ans, en 1922. Pour
connaître son évolution animée, de sa création en
1827 jusqu'à nos jours, scannez ce QR Code ou cliquez sur ce
lien
Crédit : Évolution du réseau ferroviaire
d'intérêt général en France métropolitaine.
Auteur: Benjamin Smith, 30 janvier 2021. Géoconfluences Lyon
2
Tables des sigles et abréviations
ART Autorité de Régulation des Transports
AURA Auvergne-Rhône-Alpes
EDF Electricité de France
EPSF Etablissement Public de Sécurité
Ferroviaire
SCIC Société Coopérative
d'Intérêt Collectif
SCOP Société Coopérative et
Participative
SNCF Société Nationale des Chemins de fer
Français
TER Train Express Régional
TGV Train à Grande Vitesse
UE Union Européenne
3
Remerciements
En premier lieu je tenais à remercier l'ensemble des
élus qui ont accepté de se prêter au jeu de l'entretien
pour ce mémoire. Merci à Karima Delli, député Verte
au Parlement Européen, Présidente de la Commission du Tourisme et
des Transports au sein de celui-ci, par ailleurs Conseillère
Régionale des Hauts-de-France. Je pense aussi à
Frédéric Laporte, Maire Les Républicains de
Montluçon, ainsi qu'à François Carême, Adjoint
Europe Ecologie Les Verts en charge de la mobilité à la Mairie de
Périgueux.
La réalisation de ce travail n'aurait pas
été si aisée sans l'ouverture et l'intérêt
qu'ont montré les membres de Railcoop pour cet exercice. Je remercie en
ce sens Dominique Guerrée, Président de Railcoop, et Marius
Chevallier, sociétaire impliqué dans les cercles de
sociétaires de Limoges, de la Recherche et de la Gouvernance.
Il a été très utile de recevoir les
quelques conseils et accompagnements de Pierre Wokuri, chercheur post-doctorant
au Centre d'études européennes de SciencePo Paris, qui a su me
guider par sa collaboration
Sans oublier Aurélien Evrard, mon directeur de
mémoire, pour son accompagnement tout au long de cet exercice.
A toutes celles et ceux, qui, de près ou de loin, ont
contribué à la réalisation de ce
premier mémoire, Merci.
4
Introduction
«Votre attention s'il vous plaît, le train Railcoop
numéro deux-mille, cinq-cent, cinq, en provenance de, Bordeaux
Saint-Jean, et à destination de, Lyon Part-Dieu, va entrer en gare, voie
E». Voilà ce que rêvent d'entendre un jour sur un quai de
gare de l'Allier ou de la Creuse les dirigeants de Railcoop, la première
coopérative ferroviaire française créée le 30
novembre 2019 par Dominique Guerrée, Simon Brunet et Nicolas Debaisieux.
Dans le contexte de l'ouverture du marché ferroviaire à la
concurrence, cette SCIC (Société coopérative
d'intérêt collectif) basée à Cambes, dans le Lot, se
donne pour objectif, comme on le voit sur son site internet1, de
«redonner du sens à la mobilité ferroviaire en impliquant
citoyens, cheminots, entreprises et collectivités» afin de
développer «une offre de transport ferroviaire innovante et
adaptée aux besoins de tous les territoires», tout en participant
à la transition écologique. Railcoop souligne bien qu'aujourd'hui
90% des français se trouvent à moins de 10 kilomètres
d'une gare, mais que 30% de ces gares ne sont pas desservies, ils veulent donc
pallier ce manque. Le 4 avril 2020, la société lotoise lance une
campagne publique pour l'achat de titres financiers, appel couronné de
succès notamment suite à la pandémie de Covid-19, en
témoignent les nombreux reportages dans les médias depuis le
second semestre de 2020. Après avoir reçu sa licence d'entreprise
ferroviaire récemment, en septembre 2021, et atteint le capital social
minimum d'1,5 millions d'euros en mars de la même année, Railcoop
compte commencer à faire rouler des trains à partir de cette
année 2022, dans le domaine du fret comme du transport de voyageurs.
C'est dans ce contexte que la première ligne de transport de fret a
été ouverte le 15 novembre dernier, entre Figeac et le hub
logistique de Saint-Jory, près de Toulouse. Par la suite, Railcoop a
pour objectif d'entamer le transport de voyageurs, son véritable
défi, et de créer une ligne Lyon-Bordeaux prévue pour
décembre 2022, mais aussi Rennes-Toulouse ou encore Nantes-Lille, cela
toujours dans l'idée de rouvrir nombre de petites lignes afin d'offrir
une alternative au passage obligé par Paris. La carte
ci-dessous2 a été publiée en février
dernier avec de nouveaux projets annoncés par Railcoop début
janvier 2022, qui verraient le jour à partir de 2024.
1 https://www.railcoop.fr/
2 Source: Railcoop
5
Railcoop intrigue, interpelle, et profite de la forte
progression dans l'opinion des enjeux de développement durable, alliant
les dimensions collective, citoyenne, environnementale, et locale, de plus en
plus recherchées aujourd'hui. Chacun peut devenir sociétaire de
cette coopérative, avec une part minimale de 100 euros. De 32
sociétaires en novembre 2019, Railcoop est passée à 12 500
sociétaires au moment où est écrit ce mémoire, en
mai 2022, atteignant un capital de plus de 4,5 millions d'euros. On y retrouve
des collectivités territoriales, des entreprises, des
sociétés privées, mais également des particuliers,
des personnes voulant simplement soutenir cette initiative. Ce qui fait donc la
particularité de Railcoop dans le monde ferroviaire français,
c'est qu'elle est une coopérative, et plus particulièrement une
SCIC. De plus, dans un contexte d'ouverture récente à la
concurrence du transport de voyageurs (décembre 2020, ceci étant
le cas dans le fret depuis
6
déjà plus de 15 ans), celle-ci doit
s'insérer sur un nouveau marché, où d'autres acteurs plus
ou moins importants et historiquement implantés (de la SNCF à
Transdev en passant par Trenitalia) sont présents, et c'est là
tout l'enjeu de ce sujet.
Le modèle coopératif dont il est question dans
ces recherches est la SCIC, qui d'après la loi 2001-624 du 17 juillet
2001, est composée d'acteurs multiples et repose sur le
multisociétariat, en créant des biens et services qui ont pour
but de répondre aux besoins collectifs d'un territoire. La SCIC repose
sur la base de vote «une personne = une voix», ce qui donne une
implication de tous les associés. Elle conserve cependant un statut de
société commerciale, tout en s'inscrivant dans une logique de
développement local et durable, favorisant l'action dans un bassin de
vie déterminé. La SCIC doit enfin produire un
intérêt collectif, ce qui est garanti par sa vocation d'organisme
à gestion désintéressée. En 2019, selon la CGScop,
celles-ci étaient au nombre de 974, employant 8 900 personnes pour un
total de 65 000 sociétaires. Railcoop évolue sur un marché
concurrentiel, ou libéralisé, ici le marché ferroviaire,
un espace où se confrontent une offre et une demande et où sont
présents différents acteurs économiques qui sont mis en
concurrence les uns avec les autres. Sur un marché concurrentiel, le
prix est supposé s'ajuster pour égaliser l'offre et la demande.
Le prix n'est donc pas fixé par les agents, mais par le marché.
Il s'impose aux agents et guide leurs décisions3. Il s'oppose
au marché monopolistique où un seul acteur détermine le
prix et les conditions du marché puisqu'il représente la seule
offre face à l'ensemble de la demande. La SCIC est donc ici notre acteur
principal, le marché étant la scène sur laquelle elle
joue, occupée par plusieurs seconds rôles tels que les autres
opérateurs ferroviaires (SNCF, Trenitalia, Renfe, Le Train...), les
autorités organisatrices des transports (Ministère des
Transports, Autorité de Régulation des Transports, Union
Européenne...), les collectivités territoriales (Régions,
villes, départements...), et bien sûr les consommateurs.
En termes de limites, ce mémoire se borne
géographiquement au territoire français, économiquement
à l'étude du marché ferroviaire français,
théoriquement et académiquement à un travail
d'économie politique. Il sera succinctement question de l'Union
Européenne ou du marché de l'énergie mais cela simplement
pour comprendre l'influence qu'ils ont pu avoir sur la question. Tout d'abord
pour des questions d'ordre logistique, puisqu'explorer ces
3 Encyclopedia Universalis, Microéconomie,
Théorie de l'équilibre général,
https://www.universalis.fr/encyclopedie/microeconomie-theorie-de-l-equilibre-general/
7
dimensions reviendrait à réaliser un travail
beaucoup plus long, il a donc fallu choisir un angle particulier pour ce
mémoire. C'est aussi parce que Railcoop n'a pour l'instant que des
objectifs nationaux, dont beaucoup ne sont encore qu'au stade de simple projet,
et qu'il apparaît que cette initiative n'est que très peu connue
hors de France, d'autant plus qu'il n'en existe aucune autre similaire sur le
continent.
Cette recherche par une approche d'économie politique
amène à étudier les propos de chercheurs aussi bien dans
le domaine du transport ferroviaire que sur le fonctionnement et les
particularités du modèle coopératif. Tout cela en essayant
de lier les deux par les rares articles qui évoquent Railcoop ou
d'autres coopératives qui ont suivi ce même processus telles
qu'Enercoop. Des travaux sur l'évolution du rôle de l'Etat et les
politiques néo-libérales (Ansaloni et Smith4,
Zalio5, Brouté et Finez6 ), aux écrits sur
les mutations du secteur ferroviaire (Salini7, Perennes8,
Les mutations de l'activité ferroviaire: débats et
colloques9), en passant par les débats sur le rôle
de l'Union Européenne dans le processus coopératif (Bocquillon et
Evrard10, Wokuri11), les dimensions explorées ont
été multiples. Il a fallu également se pencher sur les
articles et ouvrages portant sur le mouvement coopératif et
4 ANSALONI, M. & SMITH, A. (2017). Des
marchés au service de l'État?. Gouvernement et action
publique, vol. 6(4), pp.9-28
5 ANSALONI, M., TROMPETTE, P. & ZALIO, P. (2017).
Le marché comme forme de régulation politique. Revue
française de sociologie, vol. 58(3), pp.359-374
6 BROUTE R. & FINEZ J. (2019). 13. La concurrence
au service du capital: stratégies de l'État actionnaire et
politiques de compétitivité à la SNCF. Regards
croisés sur l'économie, n°25, pp.163-173.
7 SALINI P. (2017). Histoire de la politique des
transports terrestres de marchandises en France depuis le milieu du XIXe
siècle. Paris : L'Harmattan, 446 p.
8 PERENNES P. (2014). Les économistes et le
secteur ferroviaire: deux siècles d'influence réciproque.
L'Économie politique, n°62, pp.101-112.
9 VIDELIN J. C. (2013). Les mutations de
l'activité ferroviaire. Paris : LexisNexis, 255 p.
10 BOCQUILLON, P. et EVRARD, A. (2016). Rattraper ou
devancer l'Europe : Politiques françaises des énergies
renouvelables et dynamiques d'européanisation. Politique
européenne, 52, pp.32-56
11 WOKURI, P. (2021). Comment les nouveaux entrants
dans un marché font usage de l'Union européenne ? Le cas des
projets coopératifs d'énergie renouvelable. Dans: Politique
européenne, prépublication, Paris: L'Harmattan, pp.1-30
8
l'Économie Sociale et Solidaire (Darbus12),
son échelle territoriale (Draperi et Margado13), la mise en
valeur de ses particularités (Michel, Zeitoun et Haddad14),
et l'étude plus particulière d'Enercoop comme source
d'inspiration (Liénard15). Enfin, ce mémoire s'appuie
grandement sur la thèse de Pierre Wokuri, docteur en science politique
et professeur à SciencePo Paris, qui a réalisé sa
thèse sur les projets coopératifs d'énergie renouvelable
à l'épreuve du marché16. Celui-ci est
à la fois spécialiste des nouveaux entrants sur un marché,
mais aussi du modèle coopératif en lui-même. Sa
thèse aborde de nombreux points utiles pour ce mémoire et
introduit certains concepts qui peuvent être appliqués à
l'ensemble des modèles coopératifs, dont Railcoop. C'est de ces
recherches, et de cette manière d'aborder une question liant
coopératif et marché, que ce mémoire se rapproche
finalement le plus.
Toute cette lecture théorique a été
liée à un travail empirique de réalisation d'entretiens
ainsi qu'à une lecture assidue de la presse sur le sujet tout au long de
l'année universitaire. Finalement, cinq entretiens d'une heure en
moyenne (voir annexes) ont été menés. Trois d'entre eux
ont été réalisés par téléphone, et
deux en visio-conférence, les personnes interviewées étant
réparties sur tout le territoire français, mais aucune dans le
Nord-Ouest. En effet, se sont prêtés à l'exercice Karima
Delli (Présidente de la Commission des Transports et du Tourisme au
Parlement Européen), Frédéric Laporte (Maire de
Montluçon, ville de départ et de passage de la ligne
Lyon-Bordeaux), François Carême (Adjoint aux mobilités de
la commune de Périgueux, ville de passage de Railcoop et proche
géographiquement du siège social de Railcoop), ainsi que
Dominique Guerrée (Président de la coopérative Railcoop)
et Marius Chevallier (Sociétaire de Railcoop en charge du cercle de
12 DARBUS, F. (2014). Le pouvoir subversif de
l'économie sociale et solidaire. Quelle consistance ? Lien social et
Politiques, (72), pp.169-188.
13 DRAPERI J.-F. et MARGADO A. (2016). Les Scic,
des entreprises au service des hommes et des territoires. RECMA,
n°340, pp. 23-35
14 MICHEL G., ZEITOUN V. & HADDAD S. (2020).
Chapitre 7. La marque coopérative : comment concilier engagement social
et réalité du marché. Dans : Aude Deville éd.,
Valeurs coopératives et nouvelles pratiques de gestion (pp.
135-154). Caen, France: EMS Editions, 260 p.
15 LIENARD Y.-A. (2016). Du service public au service
citoyen: la Scic, un statut adapté à cette ambition.
RECMA, n°340, pp.65-76.
16 WOKURI, P. (2020). Orienter et activer: les
projets coopératifs d'énergie renouvelable à
l'épreuve du marché. Une comparaison multi-niveaux Danemark,
France, Royaume-Uni. Thèse de Doctorat de l'Université de
Rennes 1. 643 p.
9
sociétaires «Recherche»). Ces choix n'ont pas
été faits au hasard, l'objectif étant d'avoir des
témoignages à plusieurs échelons qui permettent d'avoir
plusieurs points de vue (européen avec Madame Delli, local avec
Messieurs Laporte et Carême, et à l'échelle de la
coopérative avec Messieurs Guerrée et Chevallier), mais aussi de
plusieurs courants idéologiques (Frédéric Laporte, maire
Les Républicains, François Carême élu Europe
Ecologie les Verts faisant partie de la majorité Parti Socialiste) afin
de voir si cela avait de l'influence sur la perception de Railcoop.
L'idéal aurait été d'avoir l'échelon national
couplé à tout cela mais la SNCF, le Ministère des
Transports, ainsi que l'Autorité de Régulation des Transports,
ont tous refusé les demandes d'entretiens. Plus
généralement, l'étude de cette expérience
inédite n'a été pas sans difficultés puisque la
société Railcoop n'a encore jamais fait l'objet de recherche
universitaire. Ainsi, il a fallu construire un propos à partir de
recherches périphériques, s'en rapprochant au maximum. Cependant,
ces obstacles restent minimes par rapport au bon accueil qui a
été fait de ce travail tout au long des recherches.
Si Railcoop peut faire l'objet d'un mémoire en tant
qu'exemple étudié, c'est parce que l'entrée de cette
société sur le marché ferroviaire est inédite.
D'abord sur un plan juridique, puisqu'elle représente la première
société coopérative, qui plus est une SCIC, qui veut
participer à un marché national du ferroviaire, en France, mais
aussi en Europe. Ensuite pour des raisons contextuelles strictement
franco-françaises, parce que la France est un des pays les plus
développés du monde en termes de transport ferroviaire, notamment
avec le succès du TGV, mais aussi particulièrement marqué
par le monopole historique de la SNCF. La libéralisation du
marché est donc quelque chose d'encore plus nouveau en France
qu'ailleurs, comme cela l'avait été dans le secteur de
l'énergie. Ce sujet introduit également un paradoxe, qui revient
fréquemment lorsque l'on évoque la construction de modèles
coopératifs, puisque Railcoop, comme d'autres SCIC auparavant, a pu
s'introduire sur ce marché grâce à la libéralisation
d'un marché qui a brisé le monopole de la SNCF,
procédé propre à l'idéologie
néo-libérale que ce type de sociétés combattent
elles-mêmes. Tout l'enjeu est donc de comprendre ce qui peut permettre
qu'une coopérative fasse avancer ses idées tout en
avançant dans un milieu qu'elle désapprouve mais qu'elle tente
par là de transformer. Comment ce petit acteur peut-il faire face aux
grands opérateurs ferroviaires ? Est-ce vraiment plus périlleux
de s'introduire sur ce marché avec un statut inédit ? La
libéralisation du marché est-elle l'allié de Railcoop ?
10
Finalement, à travers l'exemple de Railcoop, comment le
modèle coopératif et citoyen de la SCIC peut-il s'introduire sur
un marché concurrentiel à une échelle nationale, au point
d'en devenir un acteur crédible et légitime?
Cette recherche a donné lieu à plusieurs
hypothèses:
- Un tel phénomène ne peut se faire que sur des
espaces du marché délaissés par les autres concurrents,
où, comme on peut le voir dans l'article d'Yves-Alain Liénard ou
celui de Brouté et Finez qui insistent sur le rôle
d'intérêt général de la SCIC, le modèle
coopératif remplit le rôle de service public
d'intérêt général que l'Etat ne peut remplir
- Les particularités d'une coopérative, et de la
SCIC en particulier, lui permettent d'avoir d'autres atouts afin de
séduire les consommateurs et les investisseurs (ici les
sociétaires), comme le montrent Michel, Zeitoun et Haddad sur la
construction de l'image de marque. Draperi et Margado montrent aussi la
territorialité de ce modèle, une particularité qui la
distingue des autres opérateurs, plus globaux et nationaux
- Si le modèle libéral et capitaliste n'existe
pas, la SCIC, par définition collective et citoyenne, visant
l'intérêt collectif, et par essence anti-libérale, ne peut
pas exister, ce qui est un paradoxe fort. Ce n'est ici qu'une déduction
suite à l'ensemble des lectures.
- Railcoop a réussi à se monter et à
s'introduire sur le marché parce qu'elle est apparue dans un contexte
favorable, à un moment carrefour, phénomène
étudié par Pierre Wokuri dans le secteur
énergétique avec Enercoop
- L'Europe joue un rôle de pression déterminant
pour mettre fin aux monopoles, ici de la SNCF, ouvrant ainsi des brèches
dans lesquelles des initiatives moins classiques comme celle de Railcoop
peuvent s'engouffrer, et c'est tout l'enjeu du processus
d'européanisation étudié par Finez, Wokuri, Evrard ou
Bocquillon.
L'exploitation de ce sujet s'effectuera en cinq parties,
abordant chacune une nouvelle dimension de la question. Dans un premier temps,
il est nécessaire de réaliser un travail pédagogique
d'information et de présentation de la situation actuelle du
marché ferroviaire français, l'occasion de remonter le temps afin
de mieux comprendre les fondements de la structuration du rail français
et les cadres du marché actuel, ce afin de mieux saisir les enjeux qui
s'appliqueront à l'ensemble des autres points. La seconde partie se
concentrera sur les atouts de Railcoop en tant SCIC afin d'exploiter une
fenêtre d'opportunité qui leur a permis de s'introduire sur le
marché. La société a ensuite profité de certaines
failles et mutations des cadres institutionnels traditionnels français
et européens afin de prendre une place sur
11
l'échiquier ferroviaire national. Tout l'enjeu pour
s'affirmer sur ce marché une fois inséré est la
légitimation et la crédibilisation de ce mouvement, à la
fois par la rigueur et par la reconnaissance par les autres acteurs. Enfin, il
sera bon de voir ce qui, à l'avenir, pourrait porter préjudice
à Railcoop, les obstacles, endogènes comme exogènes, qui
peuvent se présenter et mettre à mal la pérennisation de
cette initiative. La structuration de ce plan est chronologique, avec les
différentes étapes de l'entrée sur le marché puis
la vision vers l'avenir, mais aussi hiérarchique avec un regard par
strates se superposant les unes aux autres, renforçant un peu plus
à chaque fois la solidité et la crédibilité du
projet Railcoop, tout en démontrant que cela reste fragile. En effet, il
apparaît que, pour réaliser tout cela, il a d'abord fallu se
concentrer sur ce que la coopérative en elle-même pouvait
apporter, puis regarder ce que l'environnement institutionnel permettait, pour
ensuite s'insérer et gagner en assurance une fois sur le marché.
Mais certaines étapes restent à franchir puisque Railcoop est
encore jeune et il convient de garder un oeil sur les différents freins
à l'avancée du projet.
12
Chapitre I - L'état du marché
Cette partie a pour vocation d'effectuer un rappel des cadres
dans lesquels évolue Railcoop, à travers une description de
l'histoire de la politique du rail en France, des compagnies privées
à la libéralisation en passant par l'hégémonisme de
la SNCF (1). Il s'agira ensuite de décrire les cadres du marché
concurrentiel et ses conditions d'entrée pour enfin réaliser une
cartographie du marché ferroviaire français (2).
1- Historique de la politique du rail en
France
C'est en 1833 que naît la première ligne
ferroviaire en France, synonyme du lancement d'une très longue
période de développement du chemin de fer français et
d'affirmation d'une volonté de conquête de l'espace national qui
va connaître une forte croissance sous Napoléon III. A partir des
années 1870 et les débuts de la IIIe République,
l'intervention publique se fait de plus en plus grande, avec un objectif de
réseau comparable à celui des routes nationales de
l'époque, c'est-à-dire 38 000 kilomètres de
lignes17. C'est au cours de la Première
Guerre Mondiale que l'effort fut le plus grand, le ministère de la
guerre se retrouvant ainsi à la tête de 36 500 wagons de transport
de marchandises, 31 000 voitures de voyageurs, pour 14 150 locomotives, ce qui
fut considéré comme l'apogée du chemin de fer en France. A
l'époque, le transport ferroviaire était assuré par un
système de compagnies privées, ayant chacune le monopole d'une
partie du réseau. Après de nombreux débats sur le chemin
à prendre (privatisation, nationalisation, exploitation par l'Etat),
c'est par le décret-loi du 31 août 1937 que les compagnies sont
nationalisées et que la Société Nationale des Chemins de
Fer voit le jour, possédée à hauteur de 51% par l'Etat.
Patrice Salini souligne bien que c'est sous Vichy que le chemin de fer sera le
plus exploité, mais après la guerre la longueur de ligne en
kilomètres a drastiquement chuté, au point que le rail perdit sa
position dominante dans les années 1960 au profit de la route puis des
airs. En parallèle de ce déclin, l'Etat investit dans le
«tout TGV» structuré en réseau concentré vers
Paris, délaissant ainsi pour des questions budgétaires les lignes
moins rapides et moins rentables qui maillent le
17 SALINI P., op.cit.
13
territoire, au point d'en rendre beaucoup inutilisables. Un
constat réalisé par de nombreux acteurs dont les
collectivités territoriales qui ont vu le déclin de la SNCF, en
témoigne Frédéric Laporte, maire de Montluçon, dans
l'Allier, selon lequel il y a eu «un changement de mentalité
profond depuis la fin des années 1980 et le train est passé bien
en-deçà de la voiture, il n'y a que dans les grandes
agglomérations que le train a réussi à subsister comme
à Paris ou Lyon»18. Un point de vue partagé par
Karima Delli, Présidente de la Commission du Transport et du Tourisme au
Parlement Européen: «La France était la terre du
ferroviaire, ce n'était pas il y a 1000 ans, c'était dans les
années 1980 le premier pays qui desservait 550 gares de train de
nuit.»19. Une évolution qui se constate bien dans
l'évolution du nombre de kilomètres de lignes supprimés
chaque année (voir graphique ci-dessous)20
Ainsi, à la fin du XXe siècle, une solution
s'impose pour les cadres de l'Union Européenne: la
libéralisation, suscitant de nombreux débats. Le processus de
plus de vingt ans mène à l'ouverture à la concurrence dans
le domaine du fret ferroviaire en France dans un premier temps (2006) par le
«Troisième paquet ferroviaire» porté par le
Parlement
18 Entretien avec F.Laporte
19 Entretien avec K.Delli
20 BEYER A. (2021). Grandeur, décadence et
possible renouveau du réseau ferroviaire secondaire français.
Dossier: Mobilité flux et transports Géoconfluence
Lyon.
14
Européen21, puis sur le transport
international de voyageurs par la loi relative à l'organisation et
à la régulation des transports ferroviaires de 2009, et enfin sur
le réseau national en décembre 2020 suite au
«Quatrième paquet». La responsabilité de ce
déclin est souvent attribuée à un modèle
monopolistique qui n'a pas poussé la SNCF à se renouveler et
à travailler un modèle plus en phase avec son temps, plus
rentable pour les uns, plus adapté aux usagers pour d'autres, et qui ne
semble pas s'améliorer malgré la libéralisation. Ces
mutations commerciales, qui ont fait passer l'Etat d'une logique de service
public à une logique marchande22, et le voyageur d'usager
à client23, n'ont pas réussi à la France,
puisque, selon Patrice Salini24 «nos
partenaires parviennent à obtenir des résultats beaucoup plus
positifs». Selon Karima Delli, tout cela est une question d'investissement
et de considération de la place du train en France, «Le
problème que nous avons sur le train en France c'est qu'on a tout pour
réussir. On a l'agence européenne du train à Valenciennes,
des entreprises, des innovateurs, un personnel qualifié qu'il faut vite
renouveler, une capacité industrielle pour du matériel roulant.
Mais on ne le met pas en priorité et on n'investit pas. Regardez ce qui
s'est passé avec le Covid, c'était quand même dingue, le
premier plan de relance était tourné vers l'automobile et
l'aéronautique, et ensuite le train est venu pleurer pour avoir de
l'argent mais c'est la cinquième roue du
carrosse»25. La France a donc connu trois
régimes en 200 ans: l'exploitation du réseau par des compagnies
privées, la nationalisation de cette exploitation sous la forme de la
SNCF entre 1937 et les années 2000, et depuis peu la
libéralisation du transport de marchandises et de voyageurs, cadre sans
lequel Railcoop n'aurait pas pu s'insérer sur un marché qui
était auparavant monopolistique.
2- Les cadres du marché concurrentiel et ses
conditions d'entrée
Le marché ferroviaire est donc aujourd'hui
libéralisé et ouvert à la concurrence, chose qui, selon
Martine Lombard26, était «généralement
considérée dans notre pays non pas tant comme désirable
que comme inéluctable». Les arguments apportés pour
justifier ce
21 LOMBARD M., L'ouverture à la concurrence de
l'activité ferroviaire: rhétorique et pratique, in (sous la dir.)
VIDELIN J. C., op. cit.
22 BROUTE R. & FINEZ J., op.cit.
23 PAULIAT H., De l'usager au client de la SNCF, in
(sous la dir.) VIDELIN J. C., op. cit.
24 SALINI P., op. cit.
25 Entretien avec K.Delli
26 LOMBARD M., op. cit.
15
changement de fonctionnement ont été la
transition écologique, la croyance dans le fait que la concurrence
favorise l'innovation, la qualité des services, et la baisse des prix,
tout cela dans un esprit de plus grande compétitivité qui
s'explique par le passage de l'État du statut de tuteur au statut
d'actionnaire27. C'est bien l'exploitation du réseau qui est
ouverte à la concurrence, et non pas la propriété et
l'entretien de celui-ci, qui est encore nationalisée et dont SNCF
réseau est en charge. La SNCF est aujourd'hui divisée en trois
branches, entre SNCF Réseau (anciennement Réseau Ferré de
France), SNCF Voyageurs, qui est soumise à la concurrence, et SNCF Gares
et Connexions qui s'occupe des infrastructures immobilières. Tout cela
est encadré nationalement par l'Etat, via l'Autorité de
Régulation des Transports (ancienne Autorité de Régulation
des Activités Ferroviaires), sous l'égide du Ministère de
la Transition écologique, chargé des Transports. Un
opérateur ferroviaire, pour pouvoir être validé, doit
remplir les conditions suivantes: obtenir la licence de transporteur qui
coûte 1,5 millions d'euros et obtenir le certificat de
sécurité ferroviaire délivré par l'Etablissement
Public de Sécurité Ferroviaire (EPSF)28. Suite
à l'ouverture à la concurrence, de nombreux opérateurs se
sont manifestés et on peut déjà voir sur les rails des
wagons de Renfe (Espagne), Trenitalia (Italie), la Deutsche Bahn (Allemagne),
mais aussi d'autres transporteurs français (Transdev, Le Train,
Railcoop), pour un total de 22 opérateurs validé par l'EPSF
à ce jour29. Tous ne sont pas de la même taille, avec
les mêmes objectifs, les mêmes sillons (nom donné à
une portion de ligne ferroviaire), les mêmes zones géographiques,
les mêmes ambitions, mais ils ont tous pu entrer sur le marché
suite à la libéralisation. Mais certains comme Jean
Finez30, ou même les sociétaires de Railcoop, portent
aussi l'attention sur le fait que la concurrence n'est pas qu'entre les
opérateurs ferroviaires. Mais il apparaît qu'avec l'ouverture
à la concurrence, deux marchés existent dans le
marché31. Tout d'abord celui des services librement
organisés, pour les trajets sur les lignes rentables, mais aussi, en
parallèle, celui des zones dites «non rentables», où le
service public est nécessaire et où c'est à la
Région de lancer un appel d'offre pour choisir le
27 BROUTE R. & FINEZ J., op.cit.
28 RAPP L., Métonymie ferroviaire: du rail au
sillon, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op. cit.
29 EPSF,
file:///home/chronos/u-61fd9c3332e9ad11b849268ff76fd1c403e2e9a9/MyFiles/Downloads/2022
-03-18_Liste_EF.pdf
30 FINEZ, J. (2014). La construction des prix
à la SNCF, une socio-histoire de la tarification: De la
péréquation au yield management (1938-2012). Revue
française de sociologie, n°55, pp.5-39.
31 JUVEN, P. & LEMOINE, B. (2017). Le
marché sur de bons rails. Découpages comptables et chantage
à la dette à la SNCF. Revue Française de
Socio-Économie, n°19, pp.9-17.
16
meilleur. Railcoop se positionne sur un intermédiaire
entre ces deux marchés, puisque la société veut
(re)créer de nouvelles lignes mais qui ne seront pas forcément au
maximum de la rentabilité. La concurrence se fait aussi avec les autres
moyens de transports privilégiés que sont la voiture et l'avion,
et c'est pour cela que, dans un souci de rentabilité et de transition
écologique, la concurrence a été mise en place en pensant
que cela permettrait de rendre le train plus attractif pour les consommateurs.
Railcoop veut par exemple faire voyager 700 000 personnes par an entre Bordeaux
et Lyon (voir par ailleurs) dont 85% prennent la voiture actuellement sur ce
même trajet. Railcoop évolue donc sur un marché
concurrentiel mais encadré et régulé par des instances
étatiques, et où la SNCF reste tout de même très
présente notamment par la gestion des autres aspects que la prestation
de service. Les concurrents sont de plus en plus nombreux à commencer
l'exploitation de certaines lignes et chacun essaye de se positionner sur la
portion du marché la plus adaptée à ses capacités
et à ses objectifs.
17
Chapitre II - L'exploitation d'une fenêtre
d'opportunité profitable au modèle de SCIC
Pour faire son entrée en scène et pouvoir
évoluer dans les cadres du marché qui ont été
décrits précédemment, Railcoop a dû se frayer un
chemin. Cela a été facilité par l'exploitation d'une
fenêtre d'opportunité qui, au sens de Kingdon qui a
développé ce concept en 1984, est un ensemble rare de
circonstances et un bref moment dans lequel un résultat autrement
impossible est potentiellement réalisable32, ou plus
simplement une chance éphémère de réaliser
l'impossible. Il apparaît que cet ensemble rare de circonstances est
apparu dernièrement, favorisant l'apparition de cette SCIC sur le
marché ferroviaire. Cela d'abord par le contexte, marqué par un
moment carrefour provoquant un engouement médiatique (1), mais aussi par
des particularités de la SCIC aujourd'hui valorisées qui leur
permettent de tirer un avantage comparatif (2).
1- L'influence d'un contexte de montée des
questions de développement durable et local
Il apparaît dans un premier temps que Railcoop est
véritablement entrée en scène à un moment où
beaucoup de facteurs favorables à son développement se sont
présentés, à ce qu'on appelle un moment carrefour au
critical junture (A). Cela a entraîné un certain engouement
médiatique qui a permis une exposition importante de Railcoop, ce qui a
suscité un nombre d'adhésions à la société
assez important, renforçant ainsi sa solidité et sa
légitimité aux yeux de l'opinion (B).
A. Le moment carrefour
Il apparaît d'abord que Railcoop est apparue à un
moment carrefour (ou critical junture), qui, selon Acemoglu et
Robinson, est «un événement majeur ou une confluence de
32 KINGDON J.W. (1984), Agendas, Alternatives and
Public Policies. Boston: Little, Brown, 240 p.
18
facteurs perturbant l'équilibre économique ou
politique existant dans la société»33. Railcoop
apparaît comme étant là à la croisée des
chemins, comme Enercoop l'avait été, ou, pour reprendre l'exemple
amené par Pierre Wokuri dans sa thèse, les coopératives
danoises d'énergie renouvelable au moment où le choc
pétrolier avait été combiné à la
poussée du parti vert danois. Ici, on constate des conditions
idéales réunies pour Railcoop, qui font dire à Dominique
Guerrée, Président de Railcoop, qu' »on est dans le
moment». Les conditions structurelles d'abord, internes au secteur
ferroviaire, avec l'entrée en vigueur de l'ouverture à la
concurrence en décembre 2020. Des conditions idéologiques
également, avec une montée en puissance des questions
environnementales au sein de l'opinion publique, le train apparaissant comme le
moyen de transport le moins polluant, avec «un impact 15 fois
inférieur à celui d'un avion» comme le rappelle Karima
Delli34, à l'heure où les transports
représentent 31% des émissions de CO2. Pour couronner le tout, le
Covid 19, bel exemple de choc exogène, est venu rebattre les cartes et
renforcer la dynamique en faveur d'une économie plus durable et locale,
portée par des initiatives citoyennes, trois choses prônées
par Railcoop depuis sa création, qui, selon une interview donnée
par Dominique Guerrée à Alternatives Economiques, veut
«permettre à des citoyens d'agir concrètement en faveur de
la transition écologique [...] et pour permettre le
désenclavement de certains territoires». Lors de l'entretien,
Dominique Guerrée ne s'en cache pas : «Oui, les planètes se
sont alignées, on ne pensait pas aux effets du covid en créant
Railcoop en novembre 2019, alors que ça commençait tout juste en
Chine. Il y a eu de la prise de conscience de crise humanitaire, de
pandémie, de risque écologique, et que le chemin de fer dans ce
sens là était vertueux et qu'il fallait le remettre à la
page [...] avec cette logique là on va pouvoir capter un peu plus de
monde qu'en 2019.»35. Railcoop s'est
également positionné sur le fret, secteur ô combien
stratégique quand la France est un des mauvais élèves dans
ce domaine au moment où la Commission européenne incite les Etats
membres à le développer pour rééquilibrer la
balance qui, en 2008, était de 10% des marchandises transportées
par le train contre 80% par la route36. Railcoop se trouvait donc
là à un tournant stratégique, et il est assez difficile de
savoir si cela eût été possible sans cette combinaison de
facteurs structurels et conjoncturels aussi favorables à une telle
initiative.
33 WOKURI, P. (2020)., op. cit.
34 Entretien avec K.Delli
35 Entretien avec D.Guerrée
36 AUBRAIN-DEMEY G. et ROMI R, Activités
ferroviaires et protection de l'environnement, in (sous la dir.) VIDELIN J. C.,
op. cit.
19
B. Bénéficier d'un engouement
médiatique
L'arrivée de Railcoop dans un contexte favorable,
à un moment carrefour, lui a permis de bénéficier d'un
engouement médiatique, suite à la réussite de ce projet
alternatif qui intriguait, interpellait, car inédit, créé
ex-nihilo. Après avoir étudié la presse sur le sujet tout
au long du travail sur le mémoire, il apparaît que Railcoop a
été l'objet de trois moments forts médiatiquement:
début 2021, après l'ouverture du marché à la
concurrence de décembre 2020, à la mi-novembre 2021,
coïncidant ainsi avec le lancement de la première ligne de fret
ferroviaire entre Figeac et Saint-Jory le 15 novembre dernier, ainsi que
début janvier 2022 dans la continuité de l'annonce des lignes
prévues pour 2024. Selon Marius Chevallier, sociétaire de
Railcoop, cela est aussi dû au fait que le train a une belle image,
«on entend souvent que les gens voudraient prendre le train et que l'Etat
ne met pas assez, ferme des lignes, ce qui est vécu comme quelque chose
d'assez scandaleux dans les médias. J'ai l'impression que ça
donne une porte assez facile à ouvrir pour être bien reçu
dans les médias, paraître sympathique.»37.
Dominique Guerrée était le premier surpris de cet élan
autour de Railcoop : «C'était un peu inattendu, cela nous a bien
servi. On a pas les moyens que d'autres entreprises peuvent avoir sur ce
domaine [la communication]». La plus forte augmentation de
sociétaires a été constatée après un
reportage d'une trentaine de minutes d'une des émissions phare de la
chaîne de télévision France 2, Envoyé
Spécial, le 14 janvier 2021. L'effet des médias se constate
également par les recherches sur Railcoop dans le moteur de recherche
Google. Comme le montre le graphique ci-dessous 38, le record de
recherche a été réalisé entre le 10 et le 16
janvier 2021, ce qui correspond au reportage d'Envoyé
Spécial. On constate également un regain
d'intérêt à la mi-novembre ainsi que début janvier
2022 suite à l'annonce des futurs projets de ligne (cf. carte en
introduction). Pour rappel, Railcoop n'a encore aucune ligne de transport de
voyageurs ouverte, ces recherches ne sont donc pas à caractère
commercial mais bien informatif.
37 Entretien avec M.Chevallier
38
https://trends.google.com/trends/explore?date=2019-12-01%202022-05-03&geo=FR&q=railcoop
20
Lecture: pour indice base 100 entre le 10 et le 16 janvier
2021, l'intérêt pour la recherche «Railcoop» est
égal à 34 entre le 14 et 20 novembre 2021.
Lecture: Le nombre de sociétaires était
égal à 5161 au 1er janvier 2021, il se porte à 12194 un
peu avant le 1er avril 2022
21
Lecture: Entre le 3 février 2021 et le 9 mars 2021,
environ 1500 nouveaux sociétaires sont entrés dans le capital de
Railcoop
On constate ci-dessus l'effet que peut avoir
l'évolution de l'intérêt médiatique pour Railcoop,
avec l'évolution du nombre de sociétaire et le nombre de nouveaux
sociétaires (à la date de chaque conseil d'administration de
Railcoop) entre le 1er janvier 2021 et le 15 avril 202239, qui sont
calqués sur l'évolution du nombre de recherches
«Railcoop», et donc aux «pics médiatiques».
L'exposition médiatique joue donc un grand rôle dans la
réussite ou non d'une telle initiative et dans l'engouement que celle-ci
peut susciter. D'autant plus dans le cas d'une SCIC, qui doit conquérir
et convaincre sa première ressource humaine et financière que
sont les sociétaires, particuliers comme entreprises privées ou
collectivités territoriales. Cet engouement est également
dû aux particularités de la SCIC que Railcoop a su valoriser.
2- Les particularités valorisées de
la SCIC permettent de tirer un avantage comparatif
Au-delà d'un alignement des planètes, c'est
aussi des particularités propres au modèle de SCIC, de plus en
plus valorisées aujourd'hui, et qui peuvent présenter des
avantages sur
39 Graphiques réalisés à partir
de données fournies par Railcoop (voir graphiques originaux en
annexe)
22
certains points, que les créateurs de Railcoop ont su
exploiter afin d'en tirer un avantage comparatif, dans le sens où cette
SCIC s'est spécialisée dans un domaine et une façon de
faire pour laquelle sa productivité est maximale afin d'accroître
sa richesse. Railcoop s'est ainsi appuyée sur ses sociétaires qui
sont grandement invités à participer et à enrichir le
projet (A), mais aussi sur ces particularités valorisées dans la
société pour mettre en place des vraies opérations
marketing en créant une image de marque (B). Enfin, elle a pu compter
sur le réseau coopératif des Licoornes, source d'inspiration sur
de nombreux points (C).
A. Les sociétaires, une ressource gratuite et
plurielle
Comme rappelé en introduction, le nombre de
sociétaires de la coopérative Railcoop est passé de 32 en
novembre 2019 à près de 12 500 aujourd'hui. Tous ces
sociétaires, du simple particulier à la région Grand-Est,
des entreprises privées aux financeurs millionnaires, sont autant de
ressources individuelles ou collectives, financières mais aussi
créatives, qui peuvent être mobilisées afin d'optimiser la
production et l'offre que veut proposer Railcoop, et c'est là que le
principe coopératif d'une personne = une voix prend tout son sens,
même si, comme le rappelle Marius Chevallier, «Souvent, dans les
médias on entend «une personne = une voix»40 et
quand on met le nez dans l'entreprise on voit que ce n'est pas le cas»,
puisque tous les adhérents ne s'impliquent pas tous avec la même
intensité. Mais ceux-ci peuvent tous contribuer à
l'activité de la coopérative d'une manière ou d'une autre,
ce qui permet d'adopter une approche de co-création avec tous ses
membres, vecteur de légitimité41. Railcoop a ainsi
créé plusieurs cercles de sociétaires42, par
territoires (cercle local de Bordeaux, cercle local de Lyon...etc), mais aussi
par thématiques (cercle gouvernance, cercle fret, cercle la vie en
train...etc), dans lesquels les possesseurs de parts de la
société sont invités à réfléchir aux
meilleures solutions à choisir et à élaborer, sur des
périodes de 6 mois à un an, en totale autonomie et sans
directives des salariés ou de la Direction. Par exemple, le cercle
«Développement Réseau» a passé au peigne fin
plusieurs lignes grâce aux activités professionnelles et aux
connaissances de ses membres afin de soumettre une liste de portion à
occuper au Conseil d'Administration. Ainsi, selon Nicolas Debaisieux, le
Directeur Général, les sociétaires sont autant
d'observateurs des lignes répartis partout en France, ce qui permet
40 Entretien avec M.Chevallier
41 MICHEL G., ZEITOUN V. & HADDAD S., op.
cit
42 Railcoop (2021, 23 mars). Les cercles de
sociétaires.
railcoop.fr
23
de mieux s'adapter. Tout ce travail est en plus
bénévole, une prospective et un audit gratuit pour l'entreprise
quand les autres acteurs privés peuvent y consacrer des sommes
très importantes. Marius Chevallier, lui-même membre du cercle
«Animation du Sociétariat» reconnaît que Railcoop
«n'aurait pas une telle force de frappe pour étudier toutes ces
lignes sans les cercles bénévoles». Une manière de
procéder qui est déjà une habitude chez l'homologue et
grande soeur du secteur de l'énergie, Enercoop, où les individus,
militants, jouent un grand rôle dans l'identification de
l'opportunité d'affaires, dans son évaluation, ainsi que dans son
exploitation43. Les sociétaires sont ainsi
contributeurs (financier et intellectuel), militants, mais aussi futurs
bénéficiaires des services proposés, et parfois
salariés, ce qui ne fait qu'accroître l'implication dans
l'entreprise et les rendements de chacune des personnes impliquées,
d'autant plus quand ce travail est bénévole.
B. La création d'une image de marque basée
sur un modèle local par essence
Afin de séduire l'opinion mais aussi rassembler le
maximum de sociétaires, Railcoop a su créer une image de marque
en mettant en valeurs les caractéristiques valorisées de la SCIC
présentées auparavant tout en utilisant des
procédés comparables au marketing d'une entreprise lambda. Pour
Catherine Bodet et Thomas Lamarche44, le principal canal de
différenciation est la futurité, l'innovation. Ainsi,
l'intérêt collectif, l'engagement vers le développement
durable, sont de véritables composantes décisives du produit.
Cette sous-partie, et ce qui va être développé ci-dessous,
repose sur les travaux de Géraldine Michel, Valérie Zeitoun et
Samuel Haddad sur la marque coopérative45. Ils rappellent
qu'une des tensions auxquelles une coopérative doit faire face est de
prôner la dimension sociale tout en étant lucide sur la
réalité du marché, respecter l'idéologie et
l'engagement dans un marché compétitif. Il faut ainsi
créer une marque associée à de la différenciation
par l'apport de sens, créer «un capital marque» qui permet de
fidéliser les consommateurs et donc de mieux résister à la
concurrence. Il se trouve que les coopératives «incarnent
intrinsèquement des valeurs perçues comme positives» (82%
des Français y adhèrent, et 91% ont une bonne
43 BECUWE A., CHEBBI H. & PASQUET P. (2020). La
gouvernance coopérative, condition du référentiel durable
d'une organisation ?. La Revue des Sciences de Gestion, n°306,
pp.11-18
44 BODET C. & LAMARCHE T. (2020). Des
coopératives de travail du XIXe siècle aux CAE et aux Scic : les
coopératives comme espace méso critique. RECMA,
n°358, pp.72-86.
45 MICHEL G., ZEITOUN V. & HADDAD S., op.
cit
24
image des entreprises coopératives, selon un sondage
IFOP d'avril 2016). La «bonne» image que peut renvoyer une
coopérative se base sur la confiance (crédibilité,
bienveillance perçue), l'identification (univers symbolique unique,
sens, support d'identification sociale), et l'attachement (relation affective,
proximité, valeurs communes). En plus de la bonne image, la
coopérative se doit de donner du sens aux collaborateurs afin qu'ils
donnent le meilleur d'eux-mêmes, cela par la signification
(co-responsable, valeurs humaines et solidaires des coopératives), la
vision (le partage des valeurs donne un sens donc un engagement plus fort des
employés), et l'émotion (attachement, identification,
fierté à l'extérieur). Une coopérative peut aussi
s'appuyer sur son histoire singulière pour se démarquer, et
mettre en place «un récit qui fait l'équilibre entre
être et faire» comme le fait très bien Railcoop, que cela
soit sur son site internet46 ou dans les reportages qui lui sont
consacrés comme Envoyé Spécial (voir par
ailleurs). Pour les auteurs, les atouts du modèle coopératif sur
un marché concurrentiel sont qu'il sait véhiculer des valeurs
portées par leurs membres, qui peuvent les transmettre en interne comme
en externe, «une synergie se produit lorsque l'organisation, ici une
coopérative, développe simultanément des valeurs
éthiques et un sens pragmatique des réalités du
marché». Railcoop, par la création, la diffusion, la
promotion de la marque, notamment en l'associant à plusieurs valeurs et
visions, et en se différenciant des autres acteurs du marché,
mais aussi des autres coopératives (en étant la première
sur le secteur ferroviaire), réussit à s'insérer sur le
marché par le biais du marketing, tout en bénéficiant des
atouts engendrés par l'image qu'ont les Français de ce
modèle. L'entreprise met en avant la «promesse de
différence»47 de son projet au regard des projets plus
«conventionnels».
C. Les Licoornes: un appui et une source d'inspiration
permettant d'apprendre des erreurs des autres
Après les sociétaires, après l'opinion
des consommateurs à l'égard de leur initiative, les
créateurs de Railcoop peuvent s'appuyer sur leurs homologues: Les
Licoornes. Les Licoornes «Coopératives pour la
transition»48 (en référence aux Licornes,
start-ups du numériques qui visent une croissance rapide de leur chiffre
d'affaire) sont un groupe de 9
46 https://www.railcoop.fr/
47 LE VELY R. (2017). Sociologie des
systèmes alimentaires alternatifs. Une promesse de
différence,Montreuil: Presse des Mines, 202 p.
48 https://www.licoornes.coop/
SCIC françaises (Enercoop, Telecoop, Mobicoop, Commown,
Coop Circuits, La Nef, Citiz, Labelemmaüs, et Railcoop). La plupart sont
nées bien avant Railcoop et permettent de s'inspirer de leur
modèle afin soit de faire mieux en ne reproduisant pas certaines
erreurs, soit de s'en inspirer. Cela passe par des sociétariats
croisés (Enercoop possède une partie de Railcoop et inversement),
des ateliers collectifs, des contributions mutuelles (Enercoop fournit
l'électricité à Railcoop qui utilise aussi les services de
Telecoop par exemple). La plus grande source d'inspiration, pour Railcoop comme
pour les autres, reste principalement Enercoop, qui a connu à peu
près la même situation que Railcoop dans le domaine
énergétique en s'insérant sur le marché lors de
l'ouverture de celui-ci à la concurrence pour proposer la vente et
l'achat d'énergie produite à partir de sources d'énergies
renouvelables49. Selon Yves-Alain Liénard, Président
d'Enercoop Languedoc-Roussillon, la réussite est due à la
diversité d'acteurs que sont les producteurs, salariés,
consommateurs, et personnes morales, chose que l'on peut retrouver chez
Railcoop. Pour Dominique Guerrée, «notre mentor, c'est Enercoop, 40
000 sociétaires, avec leur entrée sur un marché de masse
où la distribution s'est libérée, très similaire
avec nous.». Marius Chevallier souligne enfin que cela ne s'arrête
pas aux Licoornes, mais que c'est «aussi par le mouvement Scop et SCIC,
notamment la CGScop (Confédération Générale des
Scop et SCIC)», dont Dominique Guerrée est issu. Ces entreprises se
retrouvent dans leur «contestation par projet» selon
Jérôme Blanc50 et les Licoornes font partie des
solidarités nouvelles sur lesquelles les SCIC se basent.
25
49 LIENARD Y.-A, op. cit.
50 BODET C. & LAMARCHE T., op. cit.
26
Chapitre III - Profiter des failles et mutations des
cadres institutionnels
Forte de ses capacités et des ses
particularités, valorisées ou non, la SCIC Railcoop a
également profité de certaines failles présentes au sein
du marché ferroviaire suite à la mutation de nombreux cadres
institutionnels, à commencer par la libéralisation de celui-ci,
modifiant ainsi le fonctionnement de nombreux acteurs. Ainsi, comme ce qu'a pu
développer Pierre Wokuri au sujet d'Enercoop51, Railcoop a
effectué une diversification en se connectant avec des partenaires hors
de son secteur, une externalisation en utilisant les décisions de
l'Union Européenne pour faire son jeu (1), ainsi qu'une bifurcation en
coopérant fortement avec les pouvoirs locaux en manque de service public
(2).
1- Le rôle de
l'européanisation
Le modèle coopératif, surtout à une
échelle nationale, a souvent joué des mutations au niveau
européen pour atteindre ses objectifs et pouvoir s'insérer sur
certains marchés à sa modeste échelle, utilisant ainsi les
opportunités amenées par l'européanisation. Selon Palier
et Surel, l'européanisation correspond à «l'ensemble des
processus d'ajustement institutionnels, stratégiques et normatifs
induits par la construction
européenne»52. Le marché
ferroviaire a été contraint d'effectuer certains ajustements qui
ont bouleversé les cadres du marché (B) suite à la
libéralisation encouragée par l'Union Européenne (A).
A. La libéralisation du marché venue de
l'Union Européenne
La libéralisation du marché ferroviaire des
transports de voyageurs intervenue en France en 2021 est le résultat de
25 années de «temps de négociation très dur et
très long»
51 WOKURI, P. (2020)., op. cit.
52 WOKURI, P. (2021). Comment les nouveaux entrants
dans un marché font usage de l'Union européenne ? Le cas des
projets coopératifs d'énergie renouvelable. Dans: Politique
européenne, prépublication, Paris: L'Harmattan, pp.1-30
27
selon Karima Delli53et donc de
libéralisation préconisée pour la première fois
à Bruxelles dans la directive 91/440 du livre blanc sur le ferroviaire
de 199654, en vertu de l'article 3 du Traité
Communauté Économique Européenne selon lequel l'UE doit
adopter une politique de transport commune55. Comme l'explique
Karima Delli, la Commission des Transports et du Tourisme a un rôle de
"colégislateur" avec le Parlement, établissant des lois qui
s'appliquent aux Etats membres, comme le quatrième paquet ferroviaire de
2013, ensemble de textes relatifs à l'ouverture à la concurrence
entrés en vigueur en 2016. Cela avait déjà
été effectué quelques années auparavant sur le
domaine des télécoms par exemple, ou encore des fournisseurs
d'énergie, comme le montrent Bocquillon et Evrard sur le cas d'Enercoop
pour qui l'européanisation a été à la fois
horizontale et verticale, l'UE faisant pression pour une libéralisation
des marchés (ce qui a permis à Enercoop de s'y insérer en
brisant le monopole d'Electricité de France), tout en soutenant des
initiatives allant vers le développement durable56. Cette
européanisation n'a pas eu les mêmes effets partout, le
Royaume-Uni ayant opté pour une privatisation complète, pendant
que la France a maintenu le plus longtemps possible le monopole de la SNCF, et
que l'Allemagne a suivi une voie médiane entre monopole public sur
l'infrastructure et libre accès au marché pour les
opérateurs, un peu comme ce qui est entrain de se mettre en place en
France57. Pour Karima Delli, «certains s'y précipitent,
d'autres prennent leur temps pour créer un véritable service
public du train», l'UE fixe les cadres, les pays l'appliquent à
leur manière. Ainsi Railcoop a attendu que l'Etat décide
d'appliquer les directives européennes pour pouvoir s'insérer
dans un marché français qui découvrait tout juste
l'ouverture à la concurrence, ce qui a eu des conséquences qui
ont pu leur être favorables. La SNCF, marquée par ses
années de monopole au cours desquelles la concurrence n'était que
quelque chose d'étranger, a été obligée de revoir
ses plans pour répondre à des exigences de rentabilité
d'autant plus contraintes par la dette de l'entreprise qui n'a pas
été un si important souci les années
précédentes. L'entreprise phare a donc choisi de
désaffecter de plus en plus de lignes, de territoires, et de citoyens en
demande, ce qui a
53 Entretien avec K.Delli
54 PERENNES P. (2014). Les économistes et le
secteur ferroviaire : deux siècles d'influence réciproque.
L'Économie politique, n°62, pp.101-112.
55 CALME S. (2008). L'évolution du droit
des transports ferroviaires en Europe. Aix-Marseille : Presses
universitaires d'Aix-Marseille, 315 p.
56 BOCQUILLON, P. & EVRARD, A., op.
cit.
57 MARTIN S., L'ouverture à la concurrence de
l'activité ferroviaire: l'exemple allemand, in (sous la dir.) VIDELIN J.
C., op. cit.
28
laissé le champ libre à d'autres types
d'initiatives comme Railcoop qui ont décidé de reprendre ce qui
avait été abandonné.
B. Le bouleversement des cadres du
marché
Par la libéralisation du marché, l'Union
Européenne a donc bouleversé de nombreux cadres établis
depuis de nombreuses années, et en France en premier lieu. La SNCF, qui
était le premier acteur européen du rail, a vu son monopole en
tant qu'opérateur remis en cause, pendant que la gestion des
infrastructures reste toujours sous la direction de SNCF Réseau et SNCF
Gares et Connexions, gérées par l'Etat. Encore une fois, c'est
ici le résultat d'une injonction européenne exigeant
l'indépendance du gestionnaire de réseau vis-à-vis de la
compagnie ferroviaire historique58, afin d'empêcher la SNCF de
définir elle-même les règles du jeu concurrentiel. Dans un
tel marché, les préférences des acteurs dominants sont
très importantes et peuvent changer en étant influencées
par les dynamiques de l'Union Européenne, mais le choix principal
revient à l'Etat membre puisque les politiques européennes sont
le fruit de compromis et donnent des équilibres fragiles, des
injonctions contradictoires, qui font que l'européanisation correspond
à ce que les acteurs en font59. Tout
dépend donc de ce que l'Etat, la SNCF, ainsi que Railcoop font de tout
cela. Aurélien Evrard et Pierre Bocquillon distinguent ainsi trois
usages possibles de l'européanisation. Tout d'abord l'usage
stratégique qui consiste à mobiliser les ressources
légales, institutionnelles ou matérielles offertes par
l'intégration européenne, comme ce qu'a fait Railcoop en
utilisant l'ouverture à la concurrence. Ensuite un usage de
légitimation, qui peut utiliser des arguments et discours produits
à l'échelle européenne pour justifier des choix (besoin de
plusieurs acteurs pour répondre à toutes les demandes, notamment
celle de développement durable par exemple). Enfin un usage cognitif qui
permet d'interpréter des problèmes ou des solutions par le biais
de cadres intellectuels et de concepts définis ou promus à
l'échelle européenne, en se basant sur les exigences de
compétitivité, de baisse des prix, ou de rentabilité par
exemple dans le cas du marché ferroviaire. Les choix de l'UE peuvent
ainsi être utilisés par Railcoop pour développer une
stratégie, être légitimés, ainsi que de trouver
parfois des explications. Les cadres du marché ferroviaire ont
également été modifiés suite à la crise du
Covid-19 qui
58 JUVEN, P. & LEMOINE, B. , op. cit.
59 BOCQUILLON, P. & EVRARD, A., op.
cit.
29
a entraîné de nombreux plans de relance, et une
incitation de l'UE, à commencer par la Présidente de la
Commission des Transports et du Tourisme, à concentrer les plans de
relances sur des secteurs plus «verts» dont le ferroviaire fait
partie, Karima Delli saluant le fait que «l'Italie a mis 60% de son plan
de relance dans le train, et l'Autriche est devenue leader du matériel
roulant sans avoir de constructeur». Railcoop peut donc profiter de ces
mutations pour s'insérer sur le marché ferroviaire et exploiter
au maximum les possibilités induites par ces changements.
2- Se substituer à un service public
absent
Conséquence de la libéralisation, la SNCF n'est
plus une entreprise publique et, poussée par des exigences de
rentabilité et de compétitivité, a fait le choix de se
retirer de nombreuses lignes peu ou pas rentables, laissant ainsi des
territoires entiers sans service ferroviaire occupés par des
collectivités prêtent à mettre en place une
régulation préférentielle pour revoir le train passer (A),
une aubaine pour Railcoop qui voyait là des interstices du marché
à combler (B).
A. S'appuyer sur des collectivités en demande de
service, prêtes à établir une régulation
préférentielle
Pour répondre à une demande, il faut des
demandeurs, et dans le cas de Railcoop, la demande vient des consommateurs
principalement, mais en second lieu viennent les collectivités
territoriales, démunies, qui veulent trouver un moyen de répondre
à ces mêmes citoyens-consommateurs. Ces collectivités
territoriales qui se sentent abandonnées, suite à la fermeture
progressive de nombreuses lignes ces dernières années, trouvent
en Railcoop une «bouée pour respirer» après avoir
été «la tête sous l'eau» selon les dires de
Frédéric Laporte60, maire de Montluçon. Un
déclin qui se traduit en chiffre puisque, selon l'Autorité de
Régulation des Transports (ART), le nombre de gares desservies par un
service voyageurs à baissé de 19% entre 2011 et 2019, ce qui
porte le total de gares fermées à 544, tandis que 1050
kilomètres de «petites lignes» ont été
abandonnées entre 2015 et 2019, soit une diminution de 9% du
réseau. Les conséquences sont diverses pour les unes et les
autres :
60 Entretien avec F.Laporte
30
Montluçon met des heures à rejoindre Lyon ou
Bordeaux, «l'Allier est vraiment en plein milieu du désert, au
propre comme au figuré» selon Frédéric Laporte,
Périgueux est totalement déconnecté de Paris ce qui limite
son développement souligne François Carême61,
les vols intérieurs sont encouragés, la diagonale du vide se voit
renforcée. Cela entraîne enfin une certaine défiance
vis-à-vis de la SNCF, en témoigne l'entame de l'entretien avec
Frédéric Laporte qui, avant même la première
question, disait «Je ne vais engueuler personne à part la SNCF, et
ça fait longtemps que je les engueule». Face à cela,
beaucoup de collectivités ont décidé d'encourager
l'initiative Railcoop en mettant en place de la régulation
préférentielle notamment, pas forcément parce que cela
rejoint des valeurs qu'ils prônent mais parce qu'elles en avaient besoin,
un simple mécanisme de marché. La régulation
préférentielle consiste à protéger cette
coopérative des concurrents en mettant en oeuvre des instruments
particuliers, en leur fournissant des ressources où leur procurant des
avantages spécifiques62,
procédé qui se rapproche de la discrimination
positive. Cela se traduit notamment dans la structure du
capital de Railcoop, les collectivités pèsent 733 100 euros
(14,88 %) sur les 4 925 500 euros de capital que possède la
société, représentant ainsi le deuxième groupe de
sociétaires après les personnes physiques (73,37 %) en termes de
poids dans le capital au 15 avril 202263. Ce sont ensuite des
avantages et ressources matérielles, avec une région
Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) qui, comme nous signale Dominique
Guerrée, Président de la SCIC, a décidé de
«faire un prix sur les wagons» et de vendre huit anciens TER
d'occasion ou encore la région Nouvelle-Aquitaine qui retire ses TER sur
les sillons de Railcoop. Pierre Wokuri illustre cela par la métaphore de
la piste cyclable, qui symbolise ces instruments réduisant les handicaps
des projets coopératifs qui ne peuvent rouler sur l'autoroute comme les
autres concurrents64. Les choses se débloquent aussi entre
les collectivités elles-mêmes, et notamment entre les
Régions, autorités organisatrices sur service public de transport
ferroviaire régional, pour permettre la mise en place de trains
interrégionaux. Par exemple, les régions Nouvelle-Aquitaine et
AURA collaborent après avoir passé des années à ne
pas s'entendre pour des questions de couleur politique (Alain Rousset du Parti
Socialiste face à Laurent Wauquiez des Républicains), et cela
grâce à Railcoop qui représente une table autour de
laquelle ceux-ci peuvent se retrouver. Un climat général
résumé par Karima Delli, elle-même conseillère
régionale des Hauts de France: « En France il y a un bon accueil
de
61 Entretien avec F.Carême
62 WOKURI, P. (2020)., op.
cit.
63 Voir graphique «Capital libéré
au 15/04/2022 en euros» en annexe. Source: Railcoop
64 WOKURI, P. (2021), op.
cit.
31
Railcoop parce que c'est vu comme la coopérative qui va
relier des territoires qui ne sont pas reliés, c'est ça la
nouveauté. Je comprends qu'elle puisse souhaiter profiter de cette
ouverture à la concurrence du marché ferroviaire pour redessiner
une carte des transports qui n'existe pas »65. Tout cela est
encore une fois permis aussi par le fait que Railcoop ne soit pas une simple
coopérative mais particulièrement une SCIC, qui, comme il est
écrit dans la loi de 2001 qui crée ce statut «se distingue
d'une coopérative classique en ce que son but n'est pas seulement la
satisfaction de ses propres adhérents ou associés, mais celle
d'un plus large public dont elle vise à satisfaire les
besoins»66. Une SCIC vise l'intérêt collectif,
remplissant ainsi l'ancien rôle de l'Etat sur ces territoires et
suscitant ainsi la bonne volonté des collectivités à
favoriser cette société, c'est une aide mutuelle.
B. L'insertion sur des interstices du marché,
espaces délaissés par les autres acteurs et par
l'Etat
Railcoop se rapproche de collectivités
délaissées par les autres acteurs du marché tout en
portant ses objectifs sur des espaces délaissés par ces
mêmes acteurs et les services publics, ayant ainsi un champ libre
où la concurrence n'est pas féroce voire inexistante, parfois
considéré comme un marché secondaire ou comme un espace
où l'on devient complémentaire plutôt que concurrent. Ces
espaces sur lesquels ce nouveau modèle peut se développer sont
qualifiés d'interstices du marché par Pierre Wokuri, qui avait
travaillé sur Enercoop et son développement sur la partie
énergies renouvelables du marché de l'électricité,
sur les failles du marché67. D'après
lui, sans ces interstices, le coopératif ne peut pas exister sur ce type
de marché libéral concurrentiel. Dans le cas de Railcoop, ce sont
les 20 000 kilomètres de rails qui ne sont plus desservis,
abandonnés par la SNCF, ce sont les 40% des liaisons intercités
qui ont été abandonnées par la SNCF, c'est le
développement du fret ferroviaire qui stagne en-dessous de la barre des
10% des marchandises transportées pendant que la moyenne
européenne est à plus de 18%, et ce pour plus de
rentabilité, pour moins d'Etat providence et plus de
compétitivité, participant à une centralisation dans ce
domaine. Railcoop a donc décidé de faire reprendre vie à
ces espaces du marché délaissés par le monde
65 Entretien avec K.Delli
66 DRAPERI J.-F. et MARGADO A. , op. cit.
67 WOKURI, P. (2020)., op. cit.
32
du ferroviaire, mais ses dirigeants et sociétaires
insistent bien sur le fait que cela s'effectue dans un objectif de
complémentarité et non de concurrence de la SNCF. Dans une
interview en janvier 2021, Alexandra Debaisieux, co-directrice, expliquait bien
que le service de Railcoop venait «en complémentarité du
service public, on ne veut pas prendre des parts de marché aux acteurs
existants»68. Une cible partagée par son frère,
Nicolas Debaisieux, directeur de Railcoop: «Nous n'allons pas nous
positionner sur des délégations de service public. L'idée
n'est pas de concurrencer la SNCF, mais bien d'ouvrir les lignes
abandonnées»69, et par Marius Chevallier,
sociétaire : «on va juste là où personne ne se
met»70 . Dominique Guerrée faisait d'ailleurs
état de la situation dans laquelle se trouvent les secteurs où
Railcoop compte réaliser ses projets, où plusieurs citoyens,
collectivités, entreprises, voient leur arrivée d'un très
bon oeil pour le développement local: «Cela fait 40 ans que les
collectivités écrivent au Ministère des Transports,
à l'Etat...etc parce que le train ne dessert pas telle gare et qu'on
enlève de plus en plus de services. C'est lettre morte, il ne se passe
rien. Là il se passe quelque chose de concret, où les citoyens se
sont retroussés les manches»71 . Cet apport de service,
la SCIC du Lot compte également le réaliser dans le secteur du
fret, domaine très peu exploité en France comme le déplore
Karima Delli : «Déjà en 2007 au Grenelle de l'environnement
où j'étais on disait que d'ici 2020 il fallait atteindre minimum
14% de fret, en 2022 nous sommes à 9%, et ce n'est même pas la
moyenne européenne qui est de 18%. A chaque fois on se dit «c'est
quand même dingue, on a tout pour réussir, pourquoi ça ne
marche pas ?». Parce que les politiques publiques considèrent que
ce n'est pas une priorité»72. Un constat partagé
à Périgueux par François Carême pour qui «la
SNCF est complètement déficiente en matière de fret. Parce
que là aussi on ponce la SNCF pour faire du fret mais elle ne le fait
pas. Dans le fret on a toujours été mauvais»73.
C'est dans cette optique que la première ligne lancée par
Railcoop est une ligne de fret qui réalise le trajet entre Figeac et la
zone industrielle de Saint-Jory près de Toulouse depuis le 15 novembre
dernier. En (re)proposant ces nouveaux services, ce projet peut aussi amener
l'ensemble du secteur à repenser la manière de faire et à
modifier certains cadres du marché au point de les rendre
peut-être un jour des espaces concurrentiels importants. Selon
68 Radio Présence. Emission Sujet du
Jour du 20 janvier 2021.
69 PUIG A. (2020). Ils veulent gagner la bataille du
rail !. DARD/DARD, n°4, pp.140-147.
70 Entretien avec M.Chevallier
71 Entretien avec D.Guerrée
72 Entretien avec K.Delli
73 Entretien avec F.Carême
33
Yves-Alain Liénard, Président d'Enercoop
Languedoc-Roussillon, «La SCIC ne remplacera pas le service public dans
toutes ses variétés, mais elle peut permettre une
évolution de celui-ci par une réappropriation par chacun des
enjeux, de la réflexion, de l'adaptation au
territoire»74.
Etude de cas: la ligne Bordeaux-Lyon
Afin de mieux comprendre plus concrètement les moyens
qu'utilise Railcoop afin de s'insérer sur le marché ferroviaire,
le choix a été fait de prendre pour exemple la ligne
Bordeaux-Lyon, première ligne de transport de voyageurs en projet de
Railcoop, autour de laquelle le projet de la société en
elle-même s'est véritablement monté. En 2004, le train
Bordeaux-Lyon qui passait par Périgueux a été
supprimé, et depuis 2014, il est impossible de rejoindre les
préfectures de Gironde et du Rhône par voie ferrée,
laissant de nombreux territoires tels que l'Allier, la Creuse, ou encore la
Haute-Vienne, totalement démunis après 143 ans d'existence de
cette ligne structurante pour cette partie du pays. Au train se sont
substitués l'avion (ligne d'avion la plus fréquentée de
France) ou encore la voiture, mais il est désormais impossible de
rejoindre les deux villes en train sans passer par Paris. Par exemple, pour
aller de Limoges à Bordeaux un changement est obligatoire à
Périgueux, et pour aller de Limoges à Lyon, deux changements sont
nécessaires puis il faut prendre un bus, de quoi en dissuader plus d'un.
François Carême a constaté les dégâts de la
suppression du Bordeaux-Lyon, «ça a été une vraie
catastrophe quand il a été supprimé. Pas tant pour les
gens de Périgueux mais pour avoir de la transversalité en
France»75. Frédéric Laporte, maire de
Montluçon se souvient: «J'ai été étudiant
comme vous, j'ai redoublé mon bac à Guéret c'était
la ligne Bordeaux Lyon, j'ai fait une prépa à Limoges
c'était la ligne Bordeaux Lyon, j'ai aussi été
étudiant à Clermont et je prenais la ligne Bordeaux Lyon,
après j'ai été 3 ans à Lyon c'était la ligne
Bordeaux Lyon. C'était une ligne extrêmement structurante pour
l'ensemble des territoires du centre. Cela change tout. Très clairement,
cela a une attractivité. Économique un peu, parce que c'est plus
facile. Ensuite, cela a surtout une importance pour développer nos
formations, les étudiants sont plutôt friands du train, le temps
est moins
74 LIENARD Y.-A, op. cit.
75 Entretien avec F.Carême
34
important pour eux, et au niveau de la formation sur
Montluçon on va de la maternelle aux ingénieurs et
doctorants»76. Les éléments étaient donc
réunis: collectivités prêtes à donner de l'aide pour
retrouver cette ligne, des interstices délaissés sur lesquels
s'insérer, un ressenti au quotidien de l'abandon par les habitants, un
projet emblématique permettant de renforcer l'image de marque mais aussi
la légitimation en se donnant une envergure nationale. Le projet a alors
tout de suite plu, les collectivités et les citoyens, cibles de
Railcoop, étaient atteints, et cela s'est traduit par une augmentation
des adhésions sur les territoires où la ligne devrait passer
à l'avenir (principalement en Gironde et dans le Rhône, voir
cartes ci-dessous77) ainsi que par la présence de nombreuses
collectivités (voir liste en annexe) «qui ont tout de suite compris
l'intérêt qu'il pouvait y avoir à un train dans ces
territoires» selon Dominique Guerrée. Railcoop annonce
déjà un trajet en 6h47 avec un billet entre 30 et 40 euros, un
peu sur le modèle des intercités de la SNCF.
Tracé de la ligne Bordeaux-Lyon imaginé par
Railcoop, reprenant grandement le tracé utilisé jusqu'en 2014
L'ouverture de cette ligne n'est cependant pas gagnée
d'avance et, alors qu'elle devait ouvrir en janvier 2022, le lancement a connu
deux reports, d'abord en juin 2022 puis finalement en décembre 2022 pour
des raisons techniques. En effet, c'est pour Railcoop le projet
emblématique, et la SNCF ne leur facilite pas la tâche comme il
sera constaté plus tard dans ce mémoire. La première
proposition n'avait pas fonctionné car, en octobre 2021, seules 55% des
lignes avaient été pourvues par SNCF Réseau, 34% de
manière non conforme aux attentes de Railcoop, et 11% sans
réponse. La SNCF leur proposait de leur laisser à
76 Entretien avec F.Laporte
77 Source: Railcoop
disposition des lignes qui s'arrêtaient à
Libourne pour Bordeaux et à Roanne pour Lyon, avec des bus en
complément, ce qui n'était pas du goût des
sociétaires. Il n'apparaît donc pas que la SNCF ait vu Railcoop
comme un outil complémentaire. Cette ligne est véritablement vue
comme un baptême par les dirigeants de Railcoop, un test qui, s'il
réussit, ouvrira la voie à l'ensemble des autres projets
prévus pour 202478.
35
78 voir carte en Introduction
36
Chapitre IV - Un travail de légitimation
Après avoir usé des particularités du
modèle de SCIC et identifié une cible atteinte que sont les
espaces délaissés du marché, il s'agit de se rendre
crédible aux yeux de tous, devenir un acteur reconnu par les autres.
Cela passe par un travail important de légitimation qui amène
à finalement utiliser des procédés similaires aux autres
acteurs basés sur un modèle plus commercial (1), puis à
obtenir le maximum de soutien au sein du secteur ferroviaire (2).
1- Travailler la crédibilité par le
pouvoir d'orientation en usant de procédés similaires aux acteurs
privés
Travailler la crédibilité passe par
différents critères à remplir qui sont indispensables pour
entrer et être reconnu sur le marché, reconnu comme un acteur
ferroviaire tout aussi légitime que les autres. Cela passe d'abord par
une certaine rigueur technique et financière pour remplir les conditions
d'entrée (A), mais aussi par l'imagination d'une stratégie
économique solide, une sorte de business plan, procédé
finalement assez similaire à ceux utilisés par les autres acteurs
plus classiques du marché (B).
A. La rigueur pour obtenir les différents avals des
autorités compétentes
En premier lieu, pour pouvoir être
considérée comme une entreprise tout aussi légitime que
les autres à exploiter le réseau ferroviaire, Railcoop a dû
remplir nombre de critères techniques, financiers, sécuritaires,
et montrer patte blanche face à d'éventuelles destructions de
service public, afin d'être validée par les autorités du
secteur. Financièrement, il était tout d'abord obligatoire de
posséder un capital d'1,5 millions d'euros avec, à
côté, un groupement d'assurance couvrant les risques à
hauteur de 45 millions d'euros, ce pour demander puis obtenir la licence
d'opérateur ferroviaire79, chose faite en septembre 2021. En
effet, par un arrêté du 14 septembre 2021, l'Autorité de
Régulation des Transports a déclaré «Il est
délivré à la société Railcoop une licence
d'entreprise ferroviaire valable pour effectuer
79 Autorité de Régulation des
Transports, Décisions n°2021-063 du 2 décembre 2021
37
du transport de marchandises et de traction seule».
Restait maintenant à obtenir ce droit pour le transport de voyageurs, et
ce ne fut pas aussi aisé, des enjeux de sécurité plus
élevés rentrant en compte, devenant ainsi une cause du report du
lancement de la ligne Bordeaux-Lyon. Jérémy Aubry, directeur de
la sécurité de Railcoop, explique bien qu'il y a
«l'évolution sur l'activité voyageurs que l'on souhaite
à nouveau obtenir au niveau de l'EPSF (Etablissement Public de
Sécurité Ferroviaire) courant 2022. Il faudra déposer un
nouveau dossier pour cette activité et on n'a vraiment pas le droit
à l'erreur». L'ART a déjà donné son feu vert
pour l'exploitation de Bordeaux-Lyon et d'une dizaine de lignes dans les
prochaines années, mais pour chacune d'entre elles, Railcoop devra faire
un nouveau dossier. La tâche est d'autant plus compliquée que la
coopérative du Lot est un nouvel acteur, avec un nouveau modèle,
intriguant, ce qui pousse l'ART ou l'EPSF à être encore plus
rigoureux qu'avec des acteurs historiques plus importants tels que la SNCF ou
Renfe. Malgré que l'ART ait conclu à l'équilibre
économique des projets de Railcoop, elle reste très attentive
à d'autres critères. Dominique Guerrée a bien
constaté que «L'ART nous a très bien accueillis, mais c'est
surtout administratif, ils sont très regardant. C'est pareil pour
l'EPSF, l'Etablissement Public de la Sécurité Ferroviaire, pour
avoir le certificat de sécurité, ils ne nous l'ont pas
donné d'entrée de jeu comme à d'autres sur le territoire
français entier, ils nous le donnent petit bout par petit bout. Ils sont
très prudents face à nous, plus que face à
d'autres.»80. Mais pour le moment, Railcoop passe toutes les
étapes petit à petit sans réelles embûches, en
maintenant une grande rigueur dans l'ensemble du processus, en témoigne
l'absence d'incidents et de retards depuis le lancement de la ligne de fret
entre Figeac et Saint-Jory. Pour Dominique Guerrée, Railcoop,
grâce à cette ligne «devient de plus en plus crédible,
c'est rassurant pour tout le monde et notamment l'EPSF». Ainsi, ce n'est
pas seulement l'entreprise en elle-même qui est
crédibilisée et légitimée, mais c'est aussi le
modèle de la SCIC et son fonctionnement. La suite est un cercle
vertueux, la crédibilité permettant d'obtenir toujours plus de
soutiens, financiers notamment, ce qui rend l'acteur encore plus solide et lui
permet d'établir de plus en plus de projets, qui touchent une part
croissante de la population, et ainsi de suite....
B. L'établissement d'un business plan solide
grâce à des acteurs spécialisés
80 Entretien avec D.Guerrée
38
Afin de gagner en crédibilité, une entreprise
classique doit gagner en solidité, économique et structurelle.
Ainsi, coopérative ou non, un exploitant du secteur ferroviaire reste
une entreprise privée qui doit établir des objectifs et la
façon de les atteindre. Dominique Guerrée, le Président de
Railcoop, n'hésite d'ailleurs pas à qualifier le
procédé de «business plan», terme plus classiquement
utilisé dans le vocabulaire néo-libéral que le
modèle coopératif combat justement. Mais pour être
légitimé par les autres acteurs il faut parfois passer par des
procédés similaires à ceux que ceux-ci utilisent. Certains
chercheurs affirment d'ailleurs que le sociétariat peut aussi amener
à fonctionner de manière classique capitaliste car on est
obligé de s'intéresser aux sociétaires qui sont comme des
actionnaires81. Les créateurs de Railcoop ont donc
pensé le modèle en amont afin de bien cerner les cibles à
atteindre, la demande (transport de produits de façon flexible,
éthique, écologique), les risques possibles et les vecteurs de
facilitation, notamment sur le plan économique, tout en reconnaissant
leur spécificité et les risques que cela leur fait prendre.
Pierre Wokuri appelle cela le travail d'instrumentation qui consiste à
faire accepter la spécificité de l'initiative, puis les
faiblesses et désavantages qu'elle peut entraîner, et enfin la
demande d'instrument d'aménagement82. Mais
Railcoop compte bien être considéré comme les autres et ne
pas forcément user de pitié. Ainsi une association de
préfiguration a été créée avant que Railcoop
ne soit lancée afin de «voir si le projet était viable,
possible, quels étaient les risques et quelle était la marche
à monter pour aller à ce stade»83 explique
Dominique Guerrée. Les associés ont réalisé des
études comparatives, des budgets prévisionnels en prenant en
compte l'ensemble des paramètres en ne se cantonnant pas au secteur
ferroviaire. «On s'est basé sur ce qui existait en vols
intérieurs, les grandes transversales qui ne passaient pas par Paris,
les bus Macron, le covoiturage. C'est là-dessus que l'on veut capter du
flux. Est alors apparue l'évidence de la ligne Bordeaux-Lyon,
grâce à une petite étude de marché.». Ensuite,
aucun investissement n'est laissé de côté, afin de limiter
au maximum les risques financiers, notamment en achetant des wagons d'occasions
dans les pays de l'Est (République Tchèque, Slovaquie), Railcoop
ayant un budget de 5 millions d'euros pour dix rames pendant qu'une rame neuve
compte 13 millions d'euros en France. La société lotoise s'appuie
également sur des infrastructures déjà existantes, ce qui
limite l'investissement. Tout cela a été pensé avec la
constitution d'équipes qualifiées et diversifiées, avec de
nombreux collaborateurs et sociétaires qualifiés dans plusieurs
domaines. Axel Puig, dans un article de la revue
81 BECUWE A., CHEBBI H. & PASQUET P., op.
cit.
82 WOKURI, P. (2021)., op. cit.
83 Entretien avec D.Guerrée
39
DARD/DARD84 écrivait d'ailleurs que
l'on trouve à Railcoop «des gens très compétents, des
acteurs du monde du rail, de l'économie sociale et solidaire, de
l'aménagement du territoire et de la transition écologique».
Le Directeur Général, Nicolas Debaisieux, était haut
fonctionnaire au Ministère de la Transition Écologique et
à l'Union Européenne. La Co-Directrice, Alexandra Debaisieux, a
fait Science Po avant de se lancer dans le Conseil en financement
européen. Dominique Guerrée, Président, était
gérant d'une coopérative en Auvergne, et administrateur de
l'Union Régionale des SCOP Auvergne depuis les années 2000. Le
directeur de la sécurité, «une pointure» selon
Dominique Guerrée, Jérémy Aubry, à quant à
lui travaillé à la SNCF auparavant, et de plus en plus d'anciens
de la SNCF viennent rejoindre les rangs de Railcoop. Tout cela crée une
équipe diversifiée et qui peut s'enrichir mutuellement de leurs
différentes expériences, sans être forcément
spécialistes du ferroviaire, ce qui peut créer un avantage
comparatif par rapport aux autres. Malgré tout, ce principe du business
model appliqué à une coopérative ne plaît pas
à tout le monde. A Périgueux, François Carême
affirme que «Certains disent que Railcoop fait un premier jet sur des
lignes aujourd'hui non-couvertes par la SNCF mais du coup c'est pour
créer un business model qui voudra se mettre en concurrence
derrière.»85.
2- Se faire reconnaître par les autres
acteurs pour parfois bénéficier de protection
Après avoir été reconnu par les
autorités, il s'agit aussi de passer pour un opérateur
ferroviaire classique aux yeux des autres, sans pour autant paraître une
menace au risque de se voir jeter des bâtons dans les roues (A). Tout
cela est facilité par le fait que Railcoop, par son particularisme
coopératif, convainc plus facilement les élus de tout bord, ce
qui constitue un soutien de poids, aussi bien au niveau local que national ou
européen (B).
A. Obtenir la reconnaissance par les acteurs du
marché en se montrant bienveillant, pour arriver à la table des
négociations
Un des enjeux pour Railcoop afin de réaliser ce travail
de légitimation est d'être reconnu par les autres acteurs du
marché comme un véritable opérateur ferroviaire, pas
84 PUIG A., op. cit.
85 Entretien avec F.Carême
40
seulement un acteur associatif. Des points de réussite
importants apparaissent comme la participation de certains autres
opérateurs ferroviaires au lancement de Railcoop par l'achat de parts,
ou encore l'adhésion du syndicat Sud Rail au projet avec la
volonté d'échanger avec Railcoop. Par ailleurs, en ce sens, la
communication de la SCIC est très lisse et docile envers la SNCF, acteur
majeur du secteur ferroviaire, et insiste beaucoup sur la coopération,
la complémentarité, et non la concurrence. Il sera vu plus tard
que cela n'est pas forcément réciproque. Dominique Guerrée
ne ménage pas les éloges, qualifiant la SNCF de «très
belle entreprise, très bien organisée, avec de très belles
choses» et notamment SNCF Réseau avec qui «ça se passe
bien»86. Michael Laplantine, Directeur adjoint de Railcoop
à la sécurité ferroviaire dit bien «je
défendrai toujours un peu la SNCF»87. Nicolas
Debaisieux, insiste bien: «On est pas concurrent de la SNCF, on profite de
l'ouverture du marché pour concurrencer la route»88.
Idée partagée par Dominique Guerrée: «On est tous
convaincus du service public chez Railcoop [...] Nos plus grands concurrents
sont la route et l'avion». Par le travail politique d'instrumentation
évoqué par Pierre Wokuri (voir par-ailleurs), Railcoop cherche
à se faire reconnaître et à ce que les autres
opérateurs ferroviaires la perçoivent comme un acteur
différent par sa particularité coopérative, ce afin
d'être plus facilement accepté. Une stratégie qui semble
porter progressivement ses fruits puisque les représentants de la
société se font progressivement une place de plus en plus grande
à la table des négociations, et ce suite à tout le travail
réalisé en amont. «On apprend à faire sa place et
maintenant que l'entreprise existes toujours, qu'on en parle, on commence
à être écoutés, mais il faut quand même jouer
des coudes, c'est de la négociation, ce sont des affaires, ce n'est pas
tout rose», affirme Dominique Guerrée. La chargée de
communication de la coopérative, Olivia Wolanin, souligne que les
négociations avec SNCF Réseau «se sont
considérablement améliorées et vont dans le bon
sens», selon elle grâce au fait que Railcoop est "officiellement une
entreprise ferroviaire avec une licence et un certificat de
sécurité». Cependant, Railcoop n'a pas toujours son mot
à dire. Avec les acteurs plus importants, quand deux trains passent
à la même heure, c'est Railcoop qui doit décaler son
horaire et non un TER par exemple. Karima Delli tend également à
ménager tout cela et rappelle bien que si le modèle marche, c'est
bien parce que «Railcoop ne va jamais se substituer sur les lignes
86 Entretien avec D.Guerrée
87 CHEVIRON, N. (2021, 19 novembre). Railcoop : la
relève citoyenne de la SNCF est sur les rails. Mediapart.
88 GRELIER, A. (2021, 3 mai). Railcoop : la
coopérative qui veut faire revenir le train dans les campagnes.
Radio France.
41
rentables, ce n'est pas du tout le même
marché»89. Tout l'enjeu est donc de paraître le
moins menaçant possible, afin d'obtenir quelques concessions et pouvoir
mener à bien le projet.
B. Des soutiens politiques importants et
nombreux
Enfin, un atout majeur de la nouvelle coopérative
ferroviaire est le fort soutien à l'initiative dont témoignent de
nombreux élus à travers l'ensemble du territoire. Maintenant que
Railcoop veut ouvrir des lignes dans toute la France, de nombreux territoires
entrent en compte, avec, la plupart du temps, un accueil très positif,
quelle que soit la couleur politique. Si cet engouement existe, c'est aussi et
surtout par le modèle coopératif. Celui-ci apparaît ici
comme un atout majeur alors qu'il est parfois une difficulté face aux
autres opérateurs dans le cadre plus commercial. La légitimation
passe par le fait de démontrer la dimension alternative du projet
coopératif pour fédérer un maximum d'acteurs divers autour
de celle-ci, et en premier lieux les élus, ce qui permet ensuite
d'être soutenu et de bénéficier de protection90
comme vu précédemment avec la régulation
préférentielle. La particularité de la SCIC, qui veut
servir à la fois l'intérêt collectif de ses propres membres
mais aussi du territoire, est ici un hameçon très efficace face
aux élus. Le soutien est d'abord financier, avec par exemple une ville
de Montluçon qui a contribué à hauteur de 30 000 euros au
projet, ou la communauté de commune du Grand Périgueux à
hauteur de 15 000 euros, le plus gros sociétaire étant la
région Grand-Est. La participation est ensuite plus morale, avec un
soutien affiché par de nombreux élus, et ce quelle que soit la
couleur politique. La première à avoir soutenu le projet est
Véronique Pouzadoux (Les Républicains), maire de Gannat dans
l'Allier, qui fait aujourd'hui partie du Conseil d'Administration de la
société. François Carême (Europe Ecologie Les
Verts), adjoint aux mobilités de la commune de Périgueux:
«au Conseil communautaire il y a de tout, gauche et droite, et tout le
monde avait voté la subvention»91. Constat
également réalisé à Montluçon par
Frédéric Laporte (Les Républicains, qui avait
appelé tous les sociétaires à écrire au Ministre
des Transports) où «ça a été voté
à l'unanimité dans [le] Conseil Communautaire de 64
élus»92. Par ailleurs, les
représentants de la coopérative ont été
reçus par l'ensemble des députés de la ligne
89 Entretien avec K.Delli
90 WOKURI, P. (2020)., op. cit.
91 Entretien avec F.Carême
92 Entretien avec F.Laporte
Bordeaux-Lyon à l'Assemblée Nationale, mais
aussi plusieurs fois avec le Ministre des Transports Jean-Baptiste Jebbari (La
République En Marche). Le soutien est aussi présent au niveau de
l'Union Européenne avec Karima Delli qui raconte et se rappelle de sa
première rencontre avec Railcoop: «Railcoop, à ses
prémices, on s'est vus. On a pris le temps de se connaître, et je
leur ai dit "bougez vous, bougez vous parce que votre modèle qui
rassemble aujourd'hui des citoyens, des entreprises, des collectivités,
montre que la coopération, les systèmes coopératifs, sont
un levier d'action pour demain»93. Tout cela a des
conséquences très vertueuses pour l'entreprise afin d'être
de plus en plus influente, reconnue dans les milieux de décision, comme
l'explique Dominique Guerrée «Concrètement, cela nous donne
plein de contacts, de relations, de lobby, de la discussion qui peut aider sur
des règles, des choses à faire». Par sa particularité
basée sur l'intérêt collectif et l'identification d'une
cible pertinente, Railcoop a su trouver en ces élus un soutien important
pour jouer à l'ensemble des échelles de décision.
42
93 Entretien avec K.Delli
43
Chapitre V - Les freins liés au fonctionnement et
à la taille du modèle coopératif
Dernière étape avant de tirer le premier bilan
de ces recherches. Après avoir vu comment le modèle
coopératif pouvait s'insérer sur un marché concurrentiel
par la fenêtre d'opportunité, l'exploitation des failles du
marché et des cadres institutionnels, et par un travail de
légitimation, il s'agit de voir ce qui pourrait faire que ce
modèle n'arrive pas à rester sur cet espace à l'avenir.
Quels sont les risques et les défis qui se présentent à
Railcoop ? Le fonctionnement de la SCIC a ses inconvénients (1), mais
c'est aussi la petite taille de l'entreprise qui peut la rendre
vulnérable face à d'autres mastodontes et en premier lieu la SNCF
(2).
1- Le fonctionnement de la SCIC a ses
inconvénients
Le premier facteur qui pourrait poser problème au
développement de Railcoop est peut-être finalement Railcoop en
elle-même. En effet, par son modèle de SCIC qui se veut
participatif, ne recherchant pas nécessairement la rentabilité,
la société peut entraîner certains vecteurs de
ralentissement. D'abord par le système de décision collective,
qui ralentit quelque peu l'action par moment (A), ainsi que les coûts
supplémentaires que cela engendre pour entrer sur le marché
lorsqu'on est une SCIC et que les rentrées d'argent, les flux de
revenus, ne sont pas encore assurés (B).
A. Une action plus lente
Tout d'abord, par son essence même, la SCIC peut avoir
des désavantages. En effet, la prise de décision collective, avec
le principe «d'une personne = une voix» ralentit forcément le
processus de décision par rapport à une entreprise plus classique
où les actionnaires décident des orientations à prendre.
Le multisociétariat est à la fois une force, comme il a
été vu auparavant, mais peut aussi s'avérer par moment
être une faiblesse. Il faut concilier différentes
catégories d'associés (collectivités, personnes physiques,
personnes morales, entreprises, salariés...etc), avec des rapports au
projet, des attentes, des objectifs et des façon de voir les choses
très différents en fonction des sociétaires. Pour
Jean-François Draperi et Alix Margado, l'animation d'une SCIC est, plus
souvent qu'on ne le dit, une question
44
d'éducation populaire plutôt que de management
d'entreprise94. Marius Chevallier résume la situation :
«prendre une décision à deux ou trois dans un cabinet
ça va assez vite, mais quand il faut prendre le temps de s'informer, de
collecter des informations et de consulter des dizaines et centaines de
personnes, c'est beaucoup plus long»95. Mais cela renforce la
solidité des décisions selon Dominique Guerrée qui ajoute
que «Les salariés vont aller dans un sens, les collectivités
dans un autre, le collège des citoyens dans un autre, puis on
réfléchit et on cherche une solution de compromis, par
conséquent solide et qualifiée.» 96. Il faut
aussi faire face aux critiques qui peuvent être faites quand, pour
être plus efficace, l'entreprise participe un peu plus aux
systèmes du marché. La culture de la SCIC est structurée
par le compromis constant, entre motivations idéologiques et contraintes
économiques, mettant ainsi en tension innovation et imitation, critique
et participation au marché97. C'est notamment une question
centrale dans le cas des salariés. Pour limiter les coûts, peu de
salariés sont embauchés, mais ceux-ci sont très
enthousiastes au départ, car sont à la fois salariés et
militants (ce que l'on retrouve souvent dans ces modèles), au point de
parfois s'épuiser, ce qui fait perdre en efficacité à la
société à court terme. Le collectif donne donc plus de
poids à chaque décision, mais, comme dans toute organisation
collective, la décision est donc plus longue à prendre pour
permettre la culture du compromis, ce qui peut faire prendre une longueur de
retard sur certains concurrents. La question est de savoir quelle est la
meilleure solution à long terme entre des décisions prises
lentement mais collectivement et des décisions prises rapidement par un
petit groupe ou une personne.
B. La question budgétaire, assurer les
coûts plus lourds de participation au marché dans l'attente de la
garantie d'un flux de revenu
L'un des piliers du fonctionnement d'une société
est ensuite sa solidité et stabilité économique et
financière, et cela est plus ou moins facile pour le modèle
coopératif qui, encore une fois, a dans ce domaine ses forces et ses
faiblesses. Les défis sont multiples pour Railcoop qui doit, avec un
capital limité, trouver l'équilibre économique en
relançant des lignes qui avaient été abandonnées
parce qu'elles n'étaient justement pas rentables. La tâche
94 DRAPERI J.-F. et MARGADO A., op. cit.
95 Entretien avec M.Chevallier
96 Entretien avec D.Guerrée
97 WOKURI, P. (2020)., op. cit.
45
n'est pas des plus faciles lorsqu'il faut s'insérer sur
un marché où d'autres opérateurs sont déjà
présents, tels la SNCF, la Deutsche Bahn, ou Trenitalia, qui, comme le
souligne le Président de Railcoop, «sont déjà
costauds dans leur pays», «ont des ressources et compétences
fortes, sont historiques, ont les reins solides». Par
ailleurs, comme le démontre Pierre Wokuri dans sa thèse sur les
projets coopératifs dans le domaine des énergies
renouvelables98, les coûts de participation au marché
pour une coopérative peuvent être plus lourds que pour les autres.
Il veut évoquer par là les coûts liés aux formes de
participation (les actions de 100 euros maximum par exemple), les coûts
liés aux ressources matérielles et économiques
nécessaires pour participer et exercer un pouvoir de contrôle,
ceux liés à la forme de l'organisation du processus de
participation (action plus lente comme évoqué ci-dessus), enfin
les coûts pour franchir les différentes étapes
(autorités très pointilleuses pour passer les tests techniques
par exemple). Tout cela laisse certains, comme François Carême,
assez sceptiques : «c'est quand même simplement de mettre quelques
trains sur une ligne. A mon avis, ils vont avoir du mal à boucler leur
business model»99. D'autres, comme Frédéric
Laporte, attendent de voir : «Il va déjà falloir commencer
par le [le Bordeaux-Lyon] faire rouler et trouver un bon
équilibre»100. D'un autre
côté, le fonctionnement de la coopérative, peut
s'avérer être un atout, notamment pour l'indépendance de la
société, puisque l'affectation d'une très grande partie du
résultat aux réserves indéfiniment impartageables et
inaliénables consolide l'autonomie financière et
l'indépendance de Railcoop, et l'interdiction d'intégrer ces
réserves dans le capital social préserve la SCIC de la pression
des spéculateurs101. Pour le moment, comme l'indique
Dominique Guerrée, l'entreprise est déficitaire, car «comme
toutes les start-up, il n'y a pas de recettes, il n'y a que des
dépenses. C'est pour ça qu'il faut avoir un capital fort aussi,
et les bénéfices viendront compenser ce déficit». Le
défi des prochaines années sera donc de ne pas creuser
indéfiniment ce déficit et de commencer réellement les
activités afin de revenir à l'équilibre, d'autant plus que
le nombre de collectivités et de sociétaires n'est pas infini.
Tout repose donc sur la réussite ou non du lancement de la ligne
Bordeaux-Lyon. Un objectif qui n'est pas forcément facilité par
la structure d'une SCIC qui engendre des coûts plus importants, notamment
par plusieurs de ses modes de fonctionnement. Mais il est à rappeler que
l'objectif principal d'une telle
98 Ibid.
99 Entretien avec F.Carême
100 Entretien avec F.Laporte
101 DRAPERI J.-F. et MARGADO A., op. cit.
46
société, qui, par essence, vise
l'intérêt général, n'est pas nécessairement
une forte rentabilité, d'autant que les sociétaires ne sont pas
comparables à des actionnaires et ne vont pas pousser pour avoir de plus
en plus de réussite et de dividendes. Mais, par sa jeunesse, et, comme
il va être vu prochainement, par sa taille, la solidité et la
pérennité financière sont plus difficiles à
atteindre pour Railcoop que pour les autres.
2- Une société encore vulnérable
par sa taille et par la structure du marché
Autre obstacle à passer, même lorsqu'on est une
SCIC et que l'on est protégé par un certain nombre d'acteurs
publics et privés du secteur : la subsistance de l'influence du
géant qui monopolisait l'exploitation du réseau qu'est la SNCF.
Celle-ci peut en effet s'avérer être un veto-player à tout
moment et par plusieurs moyens (A), et reste très présente et
influente dans l'opinion, les pouvoirs publics, certaines collectivités
locales, suscitant parfois des méfiances vis-à-vis de Railcoop
(B).
A. Les veto-players
Dans un marché où existait un monopole fort,
celui-ci ne disparaît pas du jour au lendemain, et l'acteur qui
possédait ce monopole peut alors devenir un veto-player par sa
puissance. Les veto-players, terme développé par George
Tsebelis102, sont des acteurs dont l'accord est essentiel pour
réaliser un changement, un projet, des acteurs sans lesquels
l'avancée n'est pas possible, avec lesquels il faut s'accommoder et
être en bon terme103. C'est toujours une des menaces
importantes pour les modèles coopératifs, naissant, comme cela a
pu être constaté sur le marché de l'énergie lors de
son ouverture à la concurrence avec plusieurs mécanismes typiques
des veto-players mis en place par Electricité de France vis-à-vis
d'Enercoop. Comme dans l'énergie, le secteur ferroviaire reste un
secteur assez fermé, peu concurrentiel, avec une hégémonie
de la SNCF, ce qui peut parfois être défavorable à
Railcoop. Le Goliath SNCF est parfois réticent à l'apparition du
David Railcoop, pas tant pour le fait que la coopérative va lui prendre
certains voyageurs, mais pour
102 TSEBELIS G. (1995). Decision Making in Political Systems:
Veto Players in Presidentialism,
Parliamentarism, Multicameralism and Multipartyism. British
Journal ofPolitical Science, Vol. 25 (3), pp. 289-325
103 WOKURI, P. (2020)., op. cit.
47
l'image que cela pourrait potentiellement renvoyer, exposant
indirectement les faiblesses et les lacunes du géant du rail, notamment
en montrant qu'il est faisable de faire passer un train là où la
SNCF ne le faisait plus passer. Ainsi, Railcoop a par exemple besoin d'accords
de la part de SNCF Réseau pour ouvrir certaines portions de lignes, de
SNCF Gares de Connexions pour avoir une place dans les gares, de SNCF Voyageurs
pour acheter des wagons, qui appartiennent financièrement aux
Régions, mais matériellement à SNCF Voyageurs. Comme vu
auparavant, si le Bordeaux-Lyon a été retardé deux fois,
c'est parce que SNCF Réseau n'avait accordé que 50% des sillons
demandés par Railcoop. Par ailleurs, SNCF Voyageurs a laissé
duré l'achat des rames, en mettant quatre mois à octroyer les
wagons à Railcoop parce que celles-ci possédaient un
système de signalisation qui était leur propriété
intellectuelle. Malgré la bienveillance affichée continuellement
par Railcoop, Dominique Guerrée explique que « Les autres ne sont
pas indifférents, il y a toujours une contre-attaque, même si
Monsieur Farandou, le PDG du groupe SNCF, dit qu'il nous aime bien mais qu'on
n'y connaît rien en ferroviaire, comme si on était des doux
rêveurs. On l'a rencontré, il y a quand même une
légère condescendance. Mais les freins ne viennent pas
forcément de la direction mais parfois de directions régionales,
qui par exemple ne veulent pas nous vendre de matériel par peur de se
tirer une balle dans le pied. «. Une attitude de la SNCF qui ne laisse pas
indifférent d'autres élus qui ont moins besoin de bien s'entendre
avec le géant du chemin de fer. Ainsi Frédéric Laporte,
maire de Montluçon, pour qui «la SNCF est en permanence un
frein», ne les ménage pas : «Pour vous donner un exemple, le
Lyon-Bordeaux s'arrête à Libourne. Vous voyez, c'est
intéressant, ils ne respectent en rien la réglementation
européenne qui les enjoint d'ouvrir à la concurrence sur des
lignes normales, avec une exploitation totale.», ajoutant qu'il «n'y
a qu'à voir l'affichage qu'ils vont concéder à Railcoop
dans la gare SNCF. Vous comprendrez tout de suite qu'ils ne cherchent pas
spécialement à leur faire de la publicité.
Évidemment qu'ils [Railcoop] ne peuvent pas avoir le même discours
que moi, ils sont en relation permanente avec eux, ils sont suspendus à
leur bon désir»104. La SNCF représente donc
parfois un point de blocage malgré l'air assez peu menaçant de la
SCIC du Lot. Mais ce frein semble amené à grandir au fil des
années et du développement de Railcoop, du moins si celle-ci
arrive tout de même à continuer à progresser malgré
les défis, financiers, décisionnels, concurrentiels, qui se
présentent à elle.
104 Entretien avec F.Laporte
48
B. L'influence du modèle monopolistique de la SNCF,
nationalement et localement
La SNCF n'est pas seulement un veto-player mais s'avère
également être le marqueur d'un modèle monopolistique
encore très présent et qui influence le secteur à de
nombreux échelons, localement, nationalement, au niveau des syndicats,
des consommateurs, de certaines collectivités, de l'Etat. On n'efface
pas plus de quatre-vingt ans de monopole en moins de deux ans, et les autres
opérateurs du réseau ferroviaire, dont Railcoop fait partie,
doivent évoluer dans un environnement qui ne leur est pas toujours des
plus favorables. Les politiques européennes ont permis d'altérer
quelque peu le statu quo national, sans le renverser pour autant105,
parce que celui-ci garde tout de même une influence historique.
François Carême a bien constaté que l'on «pensait que
la mise en concurrence allait mettre la pression sur les anciens monopoles mais
ce n'est pas du tout comme ça que cela s'est
passé»106 . Pour Frédéric
Laporte, «Il n'y a pas que le monopole d'exploitation mais aussi le
monopole politique, et celui-ci est lourd de conséquences [...] Le
monopole politique a évolué et les équilibres politiques
aussi mais pour autant il y a des bastions qui restent». Le domaine des
transports en général est en effet un domaine
particulièrement marqué par une certaine idée de l'action
publique, très colbertiste et jacobiniste, ce qui peut expliquer que
l'État, ancien actionnaire majoritaire de la SNCF, occupe encore
aujourd'hui une place très importante dans la définition de la
politique de construction et d'exploitation des réseaux
ferrés107. Railcoop est donc parfois vue d'un mauvais oeil
par certaines personnes et instances attachées à la SNCF. Marius
Chevallier, sociétaire, l'a bien constaté: « il y a eu pas
mal de méfiance, notamment de la part d'anciens de la SNCF qui doutaient
de notre crédibilité et de nos compétences, qui nous
prenaient pour des «rigolos». Sur les réseaux sociaux il y a
une équipe de modérateurs très impliqués car il
peut y avoir beaucoup d'attaques parfois [...] on sait que le projet ne
plaît pas à tout le monde»108.
Localement, la SNCF peut aussi avoir une influence forte, comme
à Périgueux, ville qui accueille des ateliers de la SNCF,
où la maire, Parti Socialiste, a refusé d'accorder la
participation de la ville à Railcoop, alors qu'elle y était
favorable à la l'origine, et que la Communauté Commune du Grand
Périgueux avait voté une participation de 15 000 euros.
L'argument affiché est le refus d'entrer dans un schéma de
subvention à des concurrents de la SNCF. Cela se constate aussi dans
certains courants
105 JUVEN, P. & LEMOINE, B., op. cit.
106 Entretien avec F.Carême
107 CAFARELLI F., Les collectivités territoriales et
l'activité ferroviaire, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op.
cit.
108 Entretien avec M.Chevallier
49
politiques où l'influence de la SNCF est encore
très forte. Le Parti Communiste, très marqué par la CGT
Cheminots, est ainsi le seul mouvement politique à s'opposer clairement
à la réalisation des projets de la SCIC. Ils sont par exemple les
seuls à avoir voté contre la subvention à Railcoop
à Montluçon, mais aussi à Périgueux. En effet, les
syndicats de cheminots sont les plus réticents à cette
initiative, eux qui sont déjà très marqués par les
conséquences de l'ouverture à la concurrence sur le fret (perte
de 45% de part de marché pour la SNCF depuis 2006). Les réactions
nombreuses témoignent de cette frustration de voir l'argent public des
collectivités aider Railcoop et non la SNCF. Pour Jérôme
Jean, de la CGT cheminot Périgueux, «C'est une fumisterie et un
moyen de détourner l'attention des réels enjeux. Si on
arrêtait de supprimer des emplois chez les cheminots, si l'Etat jouait
son rôle d'aménagement du territoire, il n'y aurait pas besoin de
Railcoop»109. Gilles Tillet, secrétaire de la CGT
cheminot à Capdenac affirme que «C'est un projet privé, qui
sert les intérêts de quelques-uns avec l'argent public, puisque
les collectivités territoriales sont
sociétaires»110. Sentiment confirmé par cet
extrait d'un communiqué de la CGT cheminots «Railcoop participe
à l'atomisation du système, à la remise en cause de
l'égalité de traitement des territoires et à l'abandon pur
et simple du service public ferroviaire [...] Le développement du
ferroviaire ne pourra se faire que par la SNCF»111. Le
déclin de la SNCF, certes limité mais existant, est assez mal
vécu par une partie de la population et les nouveaux opérateurs
plus vertueux, conséquences de la libéralisation, sont alors
montrés du doigt. Cette influence encore très présente
peut donc, on le voit, être parfois un frein au développement de
Railcoop, une initiative qui intrigue par son modèle coopératif
mais aussi par la réussite de ce modèle qui se veut national. La
SCIC doit alors convaincre ses détracteurs qu'elle n'est pas une cause
des problèmes (dette, besoin de rentabilité, obligation de fermer
des lignes) rencontrés par la SNCF mais bien une conséquence.
109 France 3 Nouvelle-Aquitaine (2021, 18 mars). Railcoop et la
relance de la ligne Bordeaux-Lyon
110 CASTRO M. (2021, 17 novembre). Railcoop fait rouler son
premier train. Ouest France
111 La Dépêche du Midi (2022, 5 janvier). La CGT
cheminots contre la relance du fret par Railcoop.
ladepeche.fr.
50
Conclusion
Attention, l'arrivée en gare est imminente. Railcoop
semble lancée sur de bons rails, devenant un exemple d'entreprise
coopérative à avoir réussi à s'insérer sur
un marché concurrentiel, et se projette déjà vers un
horizon fait de progression, d'expansion, à un niveau national. Mais
pour en arriver là, ses créateurs du Lot et l'ensemble
hétérogène des sociétaires qui les ont rejoints au
cours du voyage ont dû passer plusieurs étapes, jouant des atouts
que le modèle de la Société Coopérative
d'Intérêt Collectif apporte, dans le but de contourner les
faiblesses que cela peut engendrer. Un processus que l'on peut
généraliser puisqu'on le retrouve chez d'autres
coopératives, Enercoop en premier lieu, mais aussi les autres
composantes du réseau des Licoornes sur lequel Railcoop a pu
s'appuyer.
Dans un contexte historique fortement marqué par le
modèle monopolistique apparu dans les années 1930 et
structuré autour de la SNCF, la coopérative de Cambes a dû
se frayer un chemin dans les remous que la libéralisation du
marché et de l'arrivée de multiples concurrents au cours des
dernières années. En deux ans, Railcoop a su profiter des
mutations des cadres institutionnels engendrés par
l'européanisation (libéralisation du marché ferroviaire)
et les changements de stratégies de la SNCF (désertification
ferroviaire), tout en développant un modèle devenu de plus en
plus légitime et crédible en étant rigoureux techniquement
et financièrement, tout en bénéficiant des encouragements
de nombreux acteurs politiques et économiques du marché. Mais il
ne faut pas négliger la partie que Railcoop ne maîtrisait pas: le
contexte très favorable à l'émergence de ce type
d'initiatives. En effet, même si on peut leur reconnaître la
réussite de l'exploitation de la fenêtre d'opportunité qui
s'est présentée à eux, les créateurs de la SCIC ont
bénéficié d'un moment carrefour fait de crise Covid et de
poussée des questions écologiques au sein de l'opinion,
favorisant ainsi les initiatives citoyennes, locales, basées sur le
développement durable, ce qui a provoqué un engouement
médiatique qui leur fut très favorable.
La réussite d'un tel mode de fonctionnement face
à des entreprises beaucoup plus classiques tient donc à un jeu de
jongles constant entre innovation et imitation, entre critique du marché
et participation à celui-ci. Tout cela n'est permis que par une
implantation dans des espaces peu convoités, une faible incertitude des
coûts avec des dépenses plus faibles que les concurrents, et un
flux de revenu garanti et suffisant par l'afflux continu de
sociétaires.
51
Pour reprendre les mots de Pierre Wokuri, les projets
coopératifs agissent en subversif (tend à renverser l'ordre
établi) mais également en symbiotes (vit en symbiose avec des
acteurs différents).
Mais des nuages se présentent aussi à l'horizon
à l'heure où la première ligne en projet, Bordeaux-Lyon, a
déjà connu deux retards de lancement de six mois et attend
toujours le premier coup de sifflet du chef de gare. L'action de Railcoop peut
en effet être freinée par le fait qu'elle est une SCIC, avec un
collectif qui engendre une prise de décision beaucoup plus longue, et un
flux de revenus qui n'est toujours pas garanti tant que les premières
lignes ne sont pas lancées. Par ailleurs, la SNCF, qui ne voit pas
toujours cette idée d'un très bon oeil, est encore très
présente dans l'ensemble des rouages du secteur ferroviaire et Railcoop
reste assez vulnérable face à cela malgré l'engouement
citoyen qu'elle peut susciter. Mais sans la SNCF et ses choix de
délaisser certaines lignes, Railcoop pourrait-elle exister?
Pour la suite, Frédéric Laporte affirme que tous
les éléments sont réunis en résumant la situation :
«Je suis très confiant pour la suite. [...] Si il y a autant de
monde autour de la table, c'est bien parce que c'est concret. On a affaire
à des gens sérieux, spécialistes du transport,
intelligents, déterminés, mobilisateurs, qui ont su
fédérer, desfois même des intérêts divergents.
Le seul qui résiste c'est la SNCF.». L'optimisme est
également de mise chez les dirigeants de Railcoop qui voient ce
Bordeaux-Lyon comme un vecteur de réussite, Dominique Guerrée
confiant qu'il voit cela «d'un très bon oeil. Il faut vraiment
qu'on réussisse la performance du Lyon-Bordeaux, si ça
démarre bien, c'est tout gagné pour le reste. Mais je ne vois pas
pourquoi ça ne fonctionnerait pas». Reste donc maintenant à
savoir comment Railcoop peut subsister et continuer de progresser sans devenir
pour autant une entreprise basée sur la recherche de la plus grande
rentabilité et la compétitivité, comment le modèle
coopératif peut-il devenir un acteur fixe d'un marché
concurrentiel après s'y être inséré, pour ne jamais
connaître de terminus.
52
Annexes
Annexe 1: Graphiques originaux représentants
l'évolution du nombre de sociétaires de Railcoop sur les
années 2021 et 2022 (Source: Railcoop)
53
Annexe 2: Répartition du capital de Railcoop
libéré au 15 avril 2022 en euros (Source:
Railcoop)
54
Sources et Bibliographie
Ouvrages et articles
ANSALONI, M. & SMITH, A. (2017). Des marchés au
service de l'État?. Gouvernement et action publique, vol. 6(4),
9-28.
ANSALONI, M., TROMPETTE, P. & ZALIO, P. (2017). Le
marché comme forme de régulation politique. Revue
française de sociologie, vol. 58(3), 359-374
BECUWE A., CHEBBI H. & PASQUET P. (2020). La gouvernance
coopérative, condition du référentiel durable d'une
organisation ?. La Revue des Sciences de Gestion, n°306,
pp.11-18
BEYER A. (2021). Grandeur, décadence et possible
renouveau du réseau ferroviaire secondaire français. Dossier:
Mobilité flux et transports Géoconfluence Lyon.
BOCQUILLON, P. & EVRARD, A. (2016). Rattraper ou devancer
l'Europe : Politiques françaises des énergies renouvelables et
dynamiques d'européanisation. Politique européenne,
n°52, pp.32-56.
BODET C. & LAMARCHE T. (2020). Des coopératives de
travail du XIXe siècle aux CAE et aux Scic : les coopératives
comme espace méso critique. RECMA, n°358, pp.72-86.
BOYER, R. (2013). 2. Marché, État et
capitalismes. Dans : Philippe Steiner éd., Traité de
sociologie économique (pp. 51-86). Paris cedex 14, France: Presses
Universitaires de France.
BROUTE R. & FINEZ J. (2019). 13. La concurrence au service
du capital: stratégies de l'État actionnaire et politiques de
compétitivité à la SNCF. Regards croisés sur
l'économie, n°25, pp.163-173.
55
CALME S. (2008). L'évolution du droit des
transports ferroviaires en Europe. Aix-Marseille : Presses universitaires
d'Aix-Marseille, 315 p.
CHAMPIN H., FINEZ J., & LARGIER A. (2021). La SNCF
à l'épreuve du XXIe siècle: Regards croisés sur le
rail français (Dynamiques socio-économiques). Paris, France
: Editions du Croquant. 300 p.
DARBUS, F. (2014). Le pouvoir subversif de l'économie
sociale et solidaire. Quelle consistance ? Lien social et Politiques,
(72), 169-188.
DRAPERI J.-F. et MARGADO A. (2016). Les Scic, des entreprises
au service des hommes et des territoires. RECMA, n°340, pp.
23-35
FERRATON C. (2007). Associations et coopératives:
Une autre histoire économique. Toulouse : Érès, 250
p.
FINEZ, J. (2014). La construction des prix à la
SNCF, une socio-histoire de la tarification: De la
péréquation au yield management (1938-2012). Revue
française de sociologie, n°55, pp.5-39.
FRANCOIS, P. (2018). Marché. Dans : Colin Hay
éd., Dictionnaire d'économie politique: Capitalisme,
institutions, pouvoir (pp. 283-288). Paris: Presses de Sciences Po
HOLCMAN R. (2015). Économie sociale et
solidaire. Paris : Dunod, 318 p.
JABKO, N. (2009). L'Europe par le marché: Histoire
d'une stratégie improbable. Paris: Presses de Sciences Po, 292p.
JUVEN, P. & LEMOINE, B. (2017). Le marché sur de
bons rails. Découpages comptables et chantage à la dette à
la SNCF. Revue Française de Socio-Économie, n°19,
pp.9-17.
KINGDON J.W. (1984), Agendas, Alternatives and Public
Policies. Boston: Little, Brown, 240 p.
LE VELY R. (2017). Sociologie des systèmes
alimentaires alternatifs. Une promesse de différence, Montreui:
Presse des Mines, 202 p.
LIENARD Y.-A. (2016). Du service public au service citoyen: la
Scic, un statut adapté à cette ambition. RECMA,
n°340, pp.65-76.
MOUZON C. (2019). Le développement rural passe par
l'ESS. Alternatives Économiques, n°395, IV-V
MICHEL G., ZEITOUN V. & HADDAD S. (2020). Chapitre 7. La
marque coopérative: comment concilier engagement social et
réalité du marché. Dans : Aude Deville éd.,
Valeurs coopératives et nouvelles pratiques de gestion (pp.
135-154). Caen, France: EMS Editions, 260 p.
PERENNES P. (2014). Les économistes et le secteur
ferroviaire : deux siècles d'influence réciproque.
L'Économie politique, n°62, pp.101-112.
PUIG A. (2020). Ils veulent gagner la bataille du rail !.
DARD/DARD, n°4, pp.140-147.
REVERDY, T. (2014). La construction politique du prix de
l'énergie: Sociologie d'une réforme libérale. Paris:
Presses de Sciences Po.
SALINI P. (2017). Histoire de la politique des transports
terrestres de marchandises en France depuis le milieu du XIXe
siècle. Paris : L'Harmattan, 446 p.
TELFIZIAN L. & TOUCAS-TRUYEN P. (2021). En bref.
RECMA, n°360, pp.14-23
TSEBELIS G. (1995). Decision Making in Political Systems: Veto
Players in Presidentialism, Parliamentarism, Multicameralism and Multipartyism.
British Journal of Political Science, Vol. 25 (3), pp. 289-325
56
VIDELIN J. C. (2013). Les mutations de l'activité
ferroviaire. Paris : LexisNexis, 255 p.
57
WOKURI, P. (2021). Comment les nouveaux entrants dans un
marché font usage de l'Union européenne ? Le cas des projets
coopératifs d'énergie renouvelable. Dans: Politique
européenne, prépublication, Paris: L'Harmattan, pp.1-30
WOKURI, P. (2020). Orienter et activer: les projets
coopératifs d'énergie renouvelable à l'épreuve du
marché. Une comparaison multi-niveaux Danemark, France,
Royaume-Uni. Thèse de Doctorat de l'Université de Rennes 1.
643 p.
Articles de presse
BERTHELOT, T. (2022, 3 janvier). Essonne. Railcoop va lancer une
nouvelle ligne de train entre Massy et
Brest. actu.fr.
Consulté le 5 février 2022, à l'adresse
https://actu.fr/ile-de-france/massy_91377/essonne-une-future-ligne-de-train-entre-massy-et-b
rest_47638997.html
CASTRO, M. (2021, 15 novembre). Fret. La coopérative
ferroviaire Railcoop a fait rouler un premier train de marchandises ce lundi.
Ouest France. Consulté le 17 novembre 2021 à
l'adresse
https://www.ouest-france.fr/economie/transports/train/fret-la-cooperative-ferroviaire-railcoop
-a-fait-rouler-un-premier-train-de-marchandises-ce-lundi-f54e2924-4626-11ec-9739-9885b0d
67a6a
CHEVIRON, N. (2021, 19 novembre). Railcoop : la relève
citoyenne de la SNCF est sur les
rails. Mediapart. Consulté le 3 février
2022, à l'adresse
https://www.mediapart.fr/journal/economie/171121/railcoop-la-releve-citoyenne-de-la-sncf-e
st-sur-les-rails?utm_source=&utm_medium=email&utm_campaign=relance_article_offert&u
tm_content=&utm_term=&xtor=EPR-1013-%5B%5D&M_BT=3326212407123
CHICHEPORTICHE, O. (2022, 3 janvier). Railcoop obtient
l'autorisation d'exploiter six lignes ferroviaires. BFM BUSINESS.
Consulté le 2 février 2022, à l'adresse
https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/transports/railcoop-obtient-l-autorisation-d-exp
loiter-six-lignes-ferroviaires AV-202201030124.html
58
COGNASSE, O. (2021, 28 décembre). Comment Railcoop
prépare la renaissance du
Bordeaux-Lyon.
usinenouvelle.com. Consulté le 2 février 2022,
à l'adresse
https://www.usinenouvelle.com/article/comment-railcoop-prepare-la-renaissance-du-bordeau
x-lyon.N1170217
DELEPAUL, M. (2021, 17 décembre). Railcoop : « les
feux sont au vert » pour l'ouverture de la ligne Bordeaux-Lyon qui passe
par Guéret. France Bleu. Consulté le 3 février
2022, à l'adresse
https://www.francebleu.fr/infos/transports/railcoop-les-feux-sont-au-vert-pour-l-ouverture-de-la-ligne-bordeaux-lyon-qui-passe-par-gueret-1639749838
DORIVAL, C. (2021, 10 novembre). Faire revivre des lignes de
train abandonnées. Alternatives Economiques. Consulté le
3 décembre 2021, à l'adresse
https://www.alternatives-economiques.fr/faire-revivre-lignes-de-train-abandonnees/00100905
DUBOIS C. (2022, 4 janvier). Voici les nouvelles lignes de trains
prévues par la société Railcoop dans l'Ouest. Ouest
France. Consulté le 4 février 2022 à l'adresse
https://www.ouest-france.fr/economie/transports/transports-ces-nouvelles-lignes-de-train-pre
vues-par-railcoop-dans-l-ouest-27c04db4-6c9d-11ec-9358-fadecc207d8a
FRANCE 3 OCCITANIE. (2021, 18 avril). La coopérative
ferroviaire du Lot Railcoop sur les rails pour la réouverture de la
ligne Bordeaux-Lyon. France 3 Occitanie. Consulté le 5 novembre
2021, à l'adresse
https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/lot/cahors/la-cooperative-ferroviaire-du-lot-ra
ilcoop-sur-les-rails-pour-la-reouverture-de-la-ligne-bordeaux-lyon-2051230.html
FRANCE 3 OCCITANIE. (2021, 14 novembre). La première ligne
de fret de la coopérative lotoise Railcoop démarre lundi 15
novembre. France 3 Occitanie. Consulté le 15 décembre
2021, à l'adresse
https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/la-premiere-ligne-de-fret-de-la-cooperative-l
otoise-railcoop-demarre-lundi-15-novembre-2331499.html
59
FRANCE 3 OCCITANIE. (2021, 22 novembre). En Occitanie
l'arrivée des trains Railcoop fait des émules, les cheminots
voient rouge. France 3 Occitanie. Consulté le 15
décembre 2021, à l'adresse
https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/en-occitanie-l-arrivee
-des-trains-railcoop-fait-des-emules-les-cheminots-voient-rouge-2345692.html
GRELIER, A. (2021, 3 mai). Railcoop : la coopérative
qui veut faire revenir le train dans les campagnes. Radio France.
Consulté le 25 décembre 2021, à l'adresse
https://www.radiofrance.fr/franceculture/railcoop-la-cooperative-qui-veut-faire-revenir-le-trai
n-dans-les-campagnes-6588046
LA DEPECHE DU MIDI, (2022, 5 janvier). La CGT cheminots contre
la relance du fret par
Railcoop.
ladepeche.fr. Consulté le 15 janvier 2022, à
l'adresse
https://www.ladepeche.fr/2022/01/05/la-cgt-cheminots-contre-la-relance-du-fret-par-railcoop-10027620.php
Documents officiels
Autorité de Régulation des Transports,
Décisions n°2021-063 du 2 décembre 2021,
autorite-transports.fr
Autorité de Régulation des Transports,
Décisions n°2021-064 du 2 décembre 2021,
autorite-transports.fr
EPSF (2021, 18 mars), Liste des entreprises ferroviaires
détentrices d'un certificat de sécurité en cours de
validité sur tout ou partie du réseau du système
ferroviaire français,
securite-ferroviaire.fr
Railcoop (2021, 23 mars), Les cercles de sociétaires,
www.railcoop.fr
Sitographie
Encyclopedia Universalis, https://www.universalis.fr/
Les Licoornes, https://www.licoornes.coop/
60
Railcoop, https://www.railcoop.fr/
Autres supports
Documentaire télévisé Envoyé
Spécial (2021, 14 janvier). «Railcoop, le train de leurs
rêves». Par Elise Lucet. France 2. Consulté le 13
décembre 2021 à l'adresse
https://www.youtube.com/watch?v=hZ10JQWha1k&t=14s&ab_channel=AssociationQUER
CYRAIL
Emission de radio Sujet du jour (2021, 17 janvier),
«Railcoop», Radio Présence, Consulté le 2
décembre 2021 à l'adresse
https://www.radiopresence.com/emissions/culture/actualites/sujet-du-jour/article/railcoop
Emission de radio L'esprit d'initiative (2021, 29 janvier).
«Le projet Railcoop». Par Philippe Bertrand. France Inter.
Consulté le 15 décembre 2021 à l'adresse
https://www.franceinter.fr/emissions/l-esprit-d-initiative/l-esprit-d-initiative-29-janvier-2021
Entretien avec M. Chevallier réalisé le 2
février 2022 Entretien avec D. Guerrée réalisé le
11 février 2022 Entretien avec F. Laporte réalisé le 15
février 2022 Entretien avec F. Carême réalisé le 10
mars 2022 Entretien avec K. Delli réalisé le 11 mars 2022
Reportage France 3 Nouvelle-Aquitaine (2021, 18 mars). Railcoop
et la relance de la ligne Bordeaux-Lyon, France 3
Nouvelle-Aquitaine
https://www.youtube.com/watch?v=5jluMvbTu4g&ab_channel=France3Nouvelle-Aquitaine
61
Table des matières
Tables des sigles et abréviations 2
Remerciements 3
Introduction 4
Chapitre I - L'état du marché
12
1-Historique de la politique du rail en France 12
2- Les cadres du marché concurrentiel et ses
conditions d'entrée 14
Chapitre II - L'exploitation d'une fenêtre
d'opportunité profitable au modèle de SCIC
17
1-L'influence d'un contexte de montée des questions de
développement durable et local 17
A. Le moment carrefour 17
B. Bénéficier d'un engouement médiatique
19 2- Les particularités valorisées de la SCIC permettent
de tirer un avantage comparatif 21
A. Les sociétaires, une ressource gratuite et
plurielle 22
B. La création d'une image de marque basée sur
un modèle local par essence 23
C. Les Licoornes: un appui et une source d'inspiration
permettant d'apprendre des
erreurs des autres 24
Chapitre III - Profiter des failles et mutations des
cadres institutionnels 26
1- Le rôle de l'européanisation 26
A. La libéralisation du marché venue de l'Union
Européenne 26
B. Le bouleversement des cadres du marché 28
2- Se substituer à un service public absent 29
A. S'appuyer sur des collectivités en demande de service,
prêtes à établir une
régulation préférentielle 29
B. L'insertion sur des interstices du marché, espaces
délaissés par les autres acteurs et
par l'Etat 31
Etude de cas: la ligne Bordeaux-Lyon 33
Chapitre IV - Un travail de légitimation
36
1- Travailler la crédibilité par le pouvoir
d'orientation en usant de procédés similaires
aux acteurs privés 36
A. La rigueur pour obtenir les différents avals des
autorités compétentes 36
B. L'établissement d'un business plan solide grâce
à des acteurs spécialisés 37
2- Se faire reconnaître par les autres acteurs pour
parfois bénéficier de protection 39
A. Obtenir la reconnaissance par les acteurs du marché en
se montrant bienveillant,
pour arriver à la table des négociations 39
B. Des soutiens politiques importants et nombreux 41
Chapitre V - Les freins liés au fonctionnement et
à la taille du modèle coopératif 43
1- Le fonctionnement de la SCIC a ses inconvénients
43
A. Une action plus lente 43
62
B. La question budgétaire, assurer les coûts
plus lourds de participation au marché
dans l'attente de la garantie d'un flux de revenu 44
2- Une société encore vulnérable par sa
taille et par la structure du marché 46
A. Les veto-players 46
B. L'influence du modèle monopolistique de la SNCF,
nationalement et localement 48
Conclusion 50
Annexes 52
Annexe 1. Graphiques originaux représentants
l'évolution du nombre de sociétaires de
Railcoop sur les années 2021 et 2022 (Source.
Railcoop) 52
Annexe 2. Répartition du capital de Railcoop
libéré au 15 avril 2022 en euros (Source.
Railcoop) 53
Sources et Bibliographie 54
Table des matières 61
|
|