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Lieux de mémoires et citoyen.ne.s numérique : un dialogue impossible ?


par Paul GOURMAUD
L'École de design Nantes Atlantique - Master 2 Digital Design 2024
  

Disponible en mode multipage

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    Lieux de mémoires et citoyen.ne.s numérique, un dialogue impossible ?

    PAUL GOURMAUD

    -

    Promotion 2023-2024

    Master 2 Digital Design
    en double diplôme avec l'ENSAM

    3

    ABSTRACT

    This dissertation is a grouping of my research carried out during the first phase of my end-of-study project about places of memory and how they participate in shaping collective memory. Regarding the multiplication of contemporary conflicts and their media coverage, from the war in Ukraine to the war between Israel and Hamas, memories are accumulating, and it is legitimate to ask how we will remember those events and their victims in the next future ?

    Looking at the way we remember the past today, from the First World War to the Algerian War commemorations, this can give us few ways to predict how we will pratice remembrance in the future. Thereby, our contemporary places of remembrance: monuments, museums, battlefields are at the centre of the commemoration process. Among this list, I choose to focus on monuments, places that can be summed up as a few metal plaques hidden in an alley or large concrete esplanades in memory of thousands of soldiers. They only live when they are looked at, surveyed or touched, which is also why I have chosen to question the relationship between those places and the contemporary citizens

    4

    PRÉAMBULE

    Début d'année 2023, j'ai un peu de temps devant moi et je me dis que ce sera l'occasion de chercher de l'inspiration pour mon projet de fin d'étude. Je ne sais pas pourquoi, à ce moment, me vient en tête ce chapitre de cours d'histoire sur le « devoir de mémoire », il y avait quelque chose que je trouvais assez mystérieux et profond dans cette notion, mais je n'arrivai pas vraiment à mettre le doigt dessus. Vendéen de naissance, je me rappelle qu'un mémorial sur les guerres de Vendée se situe à quelques kilomètres de chez moi. Étant plus petit, j'avais déjà pu le visiter avec mes parents, probablement un peu trop petit, car je n'en n'avais gardé aucun souvenir. Je décide donc de m'y rendre, peut-être que des souvenirs me reviendront.

    Une fois sur place, je me rends compte que le site est séparé en deux parties : l'Historial, permettant d'arpenter l'histoire de la Vendée, de la préhistoire au Moyen Âge à nos jours. Et de l'autre côté, le mémorial, un gros bloc de béton posé au-dessus de la rivière de la Boulogne et faisant partie d'un parcours de marche un peu plus grand. Je décide donc de commencer par l'Historial et de visiter le mémorial juste après, le meilleur pour la fin. L'Historial étant grand et dense en informations, même un après-

    5

    midi entier ne suffira pas pour lire tous les détails. Je me dirige donc enfin vers la partie qui m'intéresse le plus : le mémorial.

    Je me retrouve alors debout devant deux grandes portes, le grand bâtiment aux inspirations brutalistes semble fermé. Je décide quand même de tenter ma chance en tirant un peu sur l'une d'elles. La porte grince et s'ouvre lentement, me laissant assez de place pour entrer à l'intérieur. Malgré la beauté sobre du lieu, une voix provenant d'un haut-parleur me rappelle que je suis sur les terres d'une tragédie : 564 villageois des Lucs-sur-Boulogne et des communes alentours seront massacrés par les troupes républicaines les 28 février et 1er mars 1794. Bon, le ton est donné, mais je reste cependant figé dans un étrange mélange de tristesse et de contemplation, une sensation particulière qui deviendra le point de départ de mon projet sur les lieux de mémoires.

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    SOMMAIRE

    2.1 - Big Data et maîtrise de l'archivage 27

    2.2 - Mémoire numérique et rôle du citoyen 34

    INTRODUCTION 8

    I - LES COMPOSANTES DE LA MÉMOIRE 10

    1 - Les enjeux de la mémoire 12

    1.1 - Mémoire & Histoire 13

    1.2 - Que sont les lieux de mémoires ? 17

    2 - Les lieux de mémoires 2.0 26

    RÉFÉRENCES 121

    7

    II - LES MUTATIONS DE LA MÉMOIRE 46

    3 - Les lieux de mémoires : rien ne se perd tout se transforme 48

    3.1 - Les témoins dans l'histoire 49

    3.2 - les fondations du monument aux morts 54

    3.3 - Le monument aux morts contemporains 58

    4 - Une réappropriation compliquée 68

    4.1 - Les politiques mémorielles et leurs limites 69

    4.2 - Le cas complexe de la Guerre d'Algérie 72

    5 - Nouveau secteur, le tourisme de mémoire 76

    5.1 - Le tourisme de mémoire pré & post covid 77

    5.2 - De l'expérience transmise à l'expérience vécue 81

    III - PENSER LA MÉMOIRE AUTREMENT 94

    6 - Réveiller le monument 96

    6.1 - Le monument, une relation tactile 97

    6.2 - Rendre le monument vivant 100

    7 - Le point de vue du designer 106

    7.1 - Le designer, un acteur social 107

    7.2 - Le designer, un acteur sensible 109

    SYNTHESE 118

    1 Murphy, M [@MariaRMGBNews]. (2023, 15 avril). Today I had one of the most harrowing experiences of my life [Tweet]. X. https://urlz.fr/pD12

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    INTRODUCTION

    « Aujourd'hui, j'ai vécu une des expériences les plus difficiles de ma vie. En revanche, il ne semble pas que tout le monde l'ait trouvée aussi poignante. » (traduit de l'anglais)1. Ce tweet posté le 15 avril 2023 par la journaliste britannique Maria Murphy est également accompagné d'une photo sur laquelle une touriste prend la pose en étant assise sur les rails menant au camp d'Auschwitz en Pologne. Ces nouveaux comportements sur les lieux de mémoires ne sont pas anodins, ils sont le signe d'une mutation de la manière de commémorer. Il ne s'agit pourtant pas que de changements à échelles individuelles. Les institutions liées à la mémoire, que ce soit les musées, les ministères, font de plus en plus appel au numérique afin de continuer à intéresser un public qui souhaite découvrir le passé autrement. Et ce en gardant des limites morales identifiables, en tout cas pour la plupart, un point sur lequel nous reviendrons par la suite. Il n'est donc désormais pas anodin de découvrir la mémoire d'un lieu à l'aide de son téléphone ou avec un casque de réalité virtuelle. Pourtant, un grand nombre de lieux de mémoire plus discrets s'invisibilisent progressivement en se confondant dans le paysage urbain. Cette statue commémorant les morts Lavallois de la guerre franco-prussienne de 1870-

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    71 est posée entre le parking d'un Intermarché et un carrefour passant. Ou encore cette plaque, en souvenir des civils nantais morts pendant les bombardements de 1943, entourée de boutiques et d'une borne de vélos en libre service. Et pourtant, il s'agit bien pour la plupart de monuments érigés par et pour les citoyens. Partant de ce constat, quelles relations peuvent exister entre les lieux de mémoire et le citoyen à l'ère de la transition numérique ?

    Dans un premier temps, il s'agira donc d'expliquer comment fonctionne la mémoire au sens historique du terme, et pourquoi elle est nécessaire à l'échelle individuelle comme à l'échelle collective. L'enjeu sera également de faire le lien avec le citoyen d'aujourd'hui et son rôle dans la préservation de cette mémoire, notamment sur le plan numérique, en questionnant les limites de cet outil. Par la suite, nous verrons que les besoins et les moyens de commémorer se transforment, ce qui ne favorise pas la reconnaissance de ces lieux particuliers que sont les monuments aux morts, pourtant symbole fort de la transmission de la mémoire. Nous questionnerons dans le même temps les politiques mémorielles menées depuis la fin du XXe siècle en France et comment elles peuvent entraver une réappropriation citoyenne des lieux de mémoire. Enfin, nous tenterons de voir comment des approches d'artistes et de designers centrées sur le sensible et le social peuvent apporter un regard nouveau sur la mémoire et la citoyenneté.

    10

    LES COMPOSANTES DE LA MÉMOIRE

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    « Nous portons toujours avec nous et en nous une quantité de personnes qui ne se confondent pas. » (Halbwachs. M, 1950)

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    Les enjeux de la mémoire

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    1.1 Mémoire & Histoire

    « L'histoire et la mémoire ont en commun une actualisation du passé, mais l'histoire cherche à comprendre le passé pour en libérer le présent, alors que la mémoire entretient le poids du passé sur le présent. » 2 (Tudesq. A, 2007) Ainsi, même si chacune souhaite éclairer le passé, elles n'ont pas les mêmes approches. L'Histoire cherche à avoir une vision globale et tend vers une quête de vérité, même si en réalité cette discipline reste humaine et donc sélective dans son éclairage du passé. Le travail des historiens est donc en partie guidé par la mémoire, qui entretient un rapport affectif avec le passé et sélectionne sciemment des événements qu'elle juge importants au regard de ses propres valeurs morales. Et par mémoire, je parle ici de mémoire collective, une notion sur laquelle nous reviendrons plus tard, mais que l'on peut assimiler à une famille, une association, un État... Le lien entre ces deux notions s'est cependant renforcé et conscientisé à partir de la fin du XXe siècle.

    2 Tudesq, A. (2007). Histoire et mémoire : une relation ambiguë et contradictoire Dans Presses universitaires de Bordeaux eBooks (p. 97-106). consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https :// doi.org/10.4000/books. pub.26371

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    On pourrait situer l'émergence de cette « révolution mémorielle » 3 (Noël P. M., 2011) à partir des années 70, marquées notamment par les procès d'Adolf Eichmann (1961) et un peu plus tard celui de Klaus Barbie (1987), tous deux responsables de la mort de milliers de juifs sous l'Allemagne nazie. Ces deux procès seront filmés, mais celui de Klaus Barbie, plus récent, s'étant déroulé à Lyon en France, semble davantage documenté. En effet, on retrouve facilement des vidéos retraçant le déroulement du procès ainsi que sa médiatisation. Ainsi, à l'extérieur du tribunal, il est difficile de ne pas ressentir d'empathie pour les victimes qui témoignent devant les micros. Une transition est alors en train de s'opérer : la mémoire des années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale célèbre les valeurs de la résistance, sacrifice, courage, abnégation. Mais à la suite des procès évoqués plus haut, la mémoire du résistant laisse progressivement sa place à la mémoire de la victime juive. Les modalités de discours mutent également dans ce sens avec un « plus jamais ça » qui se transforme en « devoir de mémoire ». Cette volonté se traduit par la transmission d'une mémoire douloureuse par les victimes. À l'école, aux commémorations, dans les musées, les témoignages veulent assurer une passation de connaissances entre générations : il ne faut pas oublier. Cette

    3 Noël, P. (2011, 15 avril). Entre histoire de la mémoire et mémoire de l'histoire : esquisse de la réponse épistémo-logique des historiens au défi mémoriel en France. Conserveries Mémorielles. Consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https://journals.openedition.org/cm/820

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    rhétorique est aussi reprise et accentuée par les institutions, quitte parfois à faire peser le poids d'une mémoire non vécue sur les épaules d'une génération qui devrait ainsi assumer le rôle de nouvelle victime. Comme en février 2008, où le président Nicolas Sarkozy demandait à ce que chaque enfant de CM2 se voit attribuer la mémoire d'un enfant français victime de la Shoah. Une décision spontanée, qui fut vivement critiquée par la suite. Ces multiples insistances n'auraient donc pas favorisé la transmission de valeurs fortes contre l'antisémitisme, mais au contraire plutôt amorcé une repentance contreproductive. « Peut-être trop de mémoire a-t-il provoqué sélection et oubli chez les récepteurs, au lieu de les prémunir contre l'antisémitisme » 4 (Benbassa. E, 2005). Ainsi, en septembre 2022, une étude de l'IFOP réalisée pour l'Union des étudiants juifs de France démontre qu'environ 33 % des jeunes Français âgés de 15 à 24 ans estiment que la commémoration de la Shoah empêche l'expression de la mémoire d'autres drames de l'histoire. 5

    D'autre part, nous pouvons aussi questionner la place de l'historien dans ce nouveau paysage mémoriel. Ce

    4 Benbassa, E. (2004). Regain antisémite : faillite du devoir de mémoire ? MéDium, 2(1), 3-15. consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https://doi. org/10.3917/mediu.002.0003

    5 Dabi, F., & Legrand, F. (2022), Le regard des jeunes sur la Shoah : connaissance, représentations et transmission, IFOP, consulté le 14 novembre 2023, https :// urlz.fr/os1t

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    dernier, en établissant les faits du passé et en tentant de leur donner du sens, nous permet aussi de nous construire au présent et de mieux appréhender l'avenir. Pourtant, comme nous l'avons vu précédemment, le concept de « devoir de mémoire » s'est développé et s'est substitué à l'histoire pour penser l'avenir. Désormais, il s'agit moins d'apprendre une suite d'événements diversifiés et structurants pour comprendre le présent. Mais il s'agit plus de se souvenir d'événements marquants émotionnellement en espérant ne pas reproduire les mêmes erreurs dans le futur. Alors pourquoi encore pratiquer l'Histoire aujourd'hui ? Face à cette question identitaire, certains historiens ont préféré adopter une approche épistémologique sur leur discipline, en questionnant notamment l'histoire de la mémoire :

    « L'objectivation de la mémoire permet, par ailleurs, à l'historien d'affirmer sa fonction sociale, mise en cause par le défi mémoriel. » 6 (Noël . P.M, 2011)

    Ainsi, l'intérêt est de diversifier les pistes de recherche afin d'offrir de nouvelles perspectives à la compréhension du passé et de sortir du cône de vision imposé par « le devoir de mémoire ». On pourrait citer par exemple les recherches menées par la sociologue polonaise Barbara Engelking sur les récits de rêves durant la période de l'Holocauste

    6 Noël, P. (2011, 15 avril). Entre histoire de la mémoire et mémoire de l'histoire : esquisse de la réponse épistémo-logique des historiens au défi mémoriel en France. Conserveries Mémorielles. Consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https://journals.openedition.org/cm/820

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    7 (Engelking. B, 2018), permettant une approche sensible qui vient compléter d'autres sources plus « froides ». Ou encore la pratique de « l'ego-histoire » théorisée en 1987 par l'historien français Pierre Nora dans la publication de son ouvrage Essais d'ego-histoire, que l'on pourrait résumer à une collection d'autobiographies d'historiens. Cependant, il s'agit plus finement d'un exercice délimité par un cadre formelle empêchant l'expression du « je » en faveur du récit d'un travail d'historien mis en parallèle d'un contexte historique plus global. Parmi l'ensemble de ces nouvelles pratiques, les travaux de Pierre Nora sur les « lieux de mémoires » constitueront une avancée majeure, et c'est ce que nous nous attacherons à mieux définir dans ce qui suit.

    1.2 Que sont les lieux de mémoires ?

    Pour commencer, cette notion de « Lieux de mémoires » fait écho à des « Lieux » matériels ou immatériels, comme le définit Pierre Nora dans le premier tome de son travail sur les Lieux de mémoires : « Ces lieux, il fallait les entendre à tous les sens du mot, du plus matériel et concret, comme les monuments au morts et les Archives nationales, au plus abstrait et intellectuellement

    7 Engelking, B. (2018). Des rêves comme source pour l'histoire de l'Holocauste ? Vingtième siècle. Revue d'histoire, 139, 94-109, consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https://doi.org/10.3917/ving.139.0094

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    construit, comme la notion de lignage, de génération, ou même de région et d'homme mémoire » 8 (Nora. P, 1984). Ces derniers évoluent en même temps que la mémoire collective et sont tributaire de l'intérêt ou du désintérêt des citoyens qui trouveront plus de sens dans un monument plutôt qu'un autre. Les raisons peuvent être multiples : une mémoire trop lointaine, la forme du lieu qui n'est plus assez évocatrice etc. Si l'on reste sur l'exemple des monuments publics (monuments aux morts, statues, stèles), la simple performance artistique ou technique dans l'élaboration du monument n'est pas suffisante afin de marquer les esprits et transmettre la mémoire. Il faut aussi que ceux-ci possèdent une forte dimension symbolique afin qu'ils trouvent du sens aux yeux des citoyens. Au mieux il vivra donc au présent ; au rythme des cérémonies, des discours, des discussions, lui permettant ainsi de devenir un lieu d'échange entre le passé et le présent.

    Ainsi lors des commémorations du 11 novembre 2023 à Nantes, c'est le Monument aux morts de la guerre de 1914-1918, près du Quai Ceineray qui est choisit. Malgré le nom qui lui est attribué, ce n'est pas simplement un hommage aux morts de la première guerre mondiale, car deux plaques supplémentaires sont posés devant la façade. L'une à la mémoire des morts nantais pendant la

    8 Nora, P. (1984). Les Lieux de mémoire T. 1 : La République (Vol. 1). Gallimard.

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    seconde guerre mondiale et l'autre pour ceux tombés au cours des opérations en Afrique française du Nord (AFN) entre 1952 et 1962, notamment durant la guerre d'Algérie. Ce monument possède ainsi une valeur symbolique forte en rassemblant plusieurs mémoires importantes à un seul endroit. D'autant plus que sur ce dernier sont gravés les noms des nantais morts pendant la première guerre mondiale, renforçant encore davantage le lien émotionnel avec le lieu. Par opposition, de l'autre côté de l'esplanade se trouve le monument aux morts de la guerre de 1870, en mémoire des ligériens tombés pendant la guerre franco-allemande de 1870. Nous parlons ici d'événements lointains, qui se retrouve aux côtés de mémoires plus récentes déjà installées dans notre mémoire collective contemporaine. Sur la forme, c'est un piédestal composé de plusieurs statues, au sommet celle d'un homme terrassant un aigle, et sur les côtés, 4 statues d'hommes représentant chacune une catégorie de soldats. Ici, la grande différence avec le monument du Quai Ceineray, est que celui-ci n'appose aucun noms, il commémore des valeurs mais pas des Hommes. Les différences se trouvent aussi sur le plan symbolique ; d'un côté ce monument exprimant une volonté de revanche patriotique, avec la figure de l'aigle dominé. Et de l'autre, le monument du Quai Ceineray, où la nation se met en retrait au profit des soldats qui ce sont sacrifiés pour elle.

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    1.3 Mémoire collective et rôle du citoyen

    Nous évoquions donc précédemment que les lieux de mémoire sont représentatifs de l'état de la mémoire collective à un moment donné, mais qu'est-ce que la mémoire collective ? Et quelles sont ces relations avec les mémoires individuelles ? Il est tout d'abord important de comprendre que la construction de la mémoire collective est un processus en mouvement constant. Il nous est impossible de tout retenir, impossible d'accumuler l'ensemble des mémoires individuelles afin de persister dans le temps. « Ne sont retenus que les événements perçus comme structurants dans la construction de notre identité collective. » 9 (Denis Peschanski cité par L. Cailloce). Une sorte de filtrage s'opère donc pour ne garder que les mémoires qui ont du sens et qui permettent à un groupe d'avancer. Au fil du temps, il y a donc également des mémoires qui s'ajoutent et d'autres qui sont oubliées, certaines étant encore trop vives dans les esprits pour être digérées. Elles sont alors invoquées plus tard dans la mémoire collective.

    Reprenons l'exemple de l'évolution rapide de la mémoire après la Seconde Guerre mondiale : dans les années 40, c'est la figure du résistant qui s'impose : elle

    9 Cailloce, L. (2014, 18 septembre). Comment se construit la mémoire collective CNRS Le journal, consulté le 18 novembre 2023, à l'adresse https:// lejournal.cnrs.fr/articles/comment-se-construit-la-memoire-collective

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    permet l'identification à un héros avec les valeurs qui en découlent comme le sens du sacrifice, le courage... Cela permet de sortir de la guerre avec une figure réconfortante, en se disant que l'on n'a finalement pas tout perdu. Mais cette figure héroïque cédera progressivement sa place à celle de la victime juive, la figure du « juste » à partir des années 70. Cependant, déjà quelques années après la fin de la guerre, des initiatives apparaissent afin de dénoncer les événements de la Shoah. Citons par exemple le film Nuit et brouillard réalisé par Alain Resnais en 1956, dont les images sont restées imprimées dans ma tête depuis mon premier visionnage en classe d'histoire au collège. À sa sortie, le film sera malgré tout censuré à multiples reprises ; en effet, il est encore trop tôt pour parler explicitement de la Shoah, notamment car les pays impliqués comme la France ou l'Allemagne n'assument pas encore ouvertement leurs responsabilités. C'est ainsi à partir du procès d'Adolf Eichmann en 1961 que les choses se débloquent, la condamnation de la Shoah devient officielle et il est désormais possible d'en parler sans détour. Suivront donc plusieurs nouveaux films, dont la série télévisée Holocauste de Marvin Chomsky en 1978 et plus tard Shoah de Claude Lanzmann en 1985. C'est quand finalement la mémoire intègre la sphère politique que les enjeux prennent une autre tournure. En 1995, Jacques Chirac prononce ainsi son discours pour le 53e anniversaire de la rafle du Vel d'hiv, dans lequel il reconnaît la responsabilité de la France dans la déportation. Ainsi, aucune mémoire ne s'intègre dans nos

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    esprits en une fois, comme le démontre la construction de celle de la Shoah. Le temps est l'élément principal, d'autant plus lorsqu'on parle d'événements traumatiques. Par la suite, si la mémoire fait sens pour assez de personnes, les initiatives proposées pour en parler s'enchaînent et ancrent un souvenir plus ou moins durable de cette mémoire dans notre mémoire collective.

    Quant à la mémoire d'aujourd'hui, même si elle garde bien sûr les traces de ce passé, elle a dû faire de la place pour de nouveaux événements : les attentats du 11 septembre 2001, ceux du 15 novembre 2015, ou encore, dans un tout autre registre, la pandémie de la COVID-19. On notera d'ailleurs le parallèle effectué par le président Emmanuel Macron dans son élocution du 16 mars 2020 annonçant le premier confinement : « Nous sommes en guerre, toute l'action du gouvernement et du parlement doit être tournée désormais vers le combat contre l'épidémie. » 10. En utilisant une rhétorique implicitement liée à notre mémoire de la guerre, il ravive des valeurs ciblées de notre mémoire collective afin de justifier des actions prises au présent. C'est également l'une des raisons qui explique la mouvance de la mémoire collective, elle est enrichie d'événements nouveaux, mais également exploitée comme

    10 Le Monde. (2023, 16 mars). « Nous sommes en guerre » : le discours de Macron face au coronavirus (extraits) [Vidéo] YouTube, consulté le 18 novembre 2023, à l'adresse https://www.youtube.com/watch ?v=N5lcM0qA1XY

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    un outil aux services d'intentions politiques comme vue précédemment. Mais elle est aussi considérée comme un repère social, servant en partie à la construction identitaire des individus.

    Comme le démontre le sociologue français Maurice Halbwachs, théoricien du concept de mémoire collective : « Mais nos souvenirs demeurent collectifs, et ils nous sont rappelés par les autres. Alors même qu'il s'agit d'événements auxquels nous seuls avons été mêlés et d'objets que nous seuls avons vus. C'est qu'en réalité nous ne sommes jamais seuls. Il n'est pas nécessaire que d'autres hommes soient là, qui se distinguent matériellement de nous : car nous portons toujours avec nous et en nous une quantité de personnes qui ne se confondent pas. » 11 (Halbwachs. M, 1950). Cependant, ce sont bien deux entités qui s'influencent mutuellement. La mémoire collective est bien nourrie par les mémoires individuelles, qui se nourrissent en retour de la mémoire collective. Étant donné l'influence de l'une sur l'autre, on peut aussi se demander quel rôle, quelles responsabilités tient le citoyen dans l'élaboration de la mémoire collective ? Nous avons vu précédemment qu'il y a besoin de temps et d'une succession d'actions significatives pour qu'un événement

    11 Halbwachs, M. (1950). La mémoire collective (2e éd.) [Édition numérique]. Paris : Les Presses universitaires de France, consulté le 18 novembre 2023, à l'adresse https // shorturl.at/gGVW6

    12 Prost, A., & Nora, P. (1984). Les monuments aux morts. Dans Les Lieux de mémoires, La République, La Nation (Vol. 1). Gallimard.

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    puisse l'intégrer. Ces actions peuvent être immatériels, comme avec un discours, ou bien plus concrètes dans le cas de la construction de monuments aux morts par exemple. Partant de cet exemple, l'historien français Antoine Prost a pu en déterminer plusieurs catégories, dont l'une qu'il qualifie de « monuments civiques », les définissant comme « dépouillé, il n'arbore pas d'allégorie, si ce n'est la croix de guerre [...] ne préjuge pas des opinions des citoyens : chacun se soumet au devoir civique et reste libre de donner cours à sa tristesse ou à son orgueil patriotique. » 12 (Nora & Prost, 1984). Il s'agirait ainsi de monuments permettant une plus grande liberté de commémorer, qui ne contraignent pas le citoyen dans la manière dont il veut se souvenir. Ce sont aussi potentiellement des monuments qui peuvent mieux durer dans le temps en s'offrant à quiconque voudra l'approcher, traversant les générations et les époques pour transmettre des valeurs avec un message apaisé. Même si nous pouvons reconnaître qu'après le traumatisme de la Première Guerre mondiale, il fut difficile de retenir ses émotions et d'exprimer un message qui puisse devenir plus « universel ».

    À Nantes, certains monuments contiennent des caractéristiques décrites par cette catégorie. Prenons l'exemple de l'un d'eux situé sur l'île, caché dans une

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    ruelle. C'est une stèle arborant les inscriptions suivantes : « La mutualité de la Loire-inférieure à ses enfants morts pour la France », une formule propre au monument civique qui reste malgré tout assez courante. Se différenciant ainsi des monuments dits « patriotiques » avec des formules du type : « Morts pour la Patrie », « Gloire aux enfants de... », « Gloire à nos héros »... Même si l'on pourrait nuancer en relevant que le monument pris en exemple n'est pas totalement dépouillé, il contient en plus du message gravé une sculpture en bas-relief d'une femme tenant un faisceau de licteurs : « Les faisceaux sont constitués par l'assemblage de branches longues et fines liées autour d'une hache par des lanières. » Dans la Rome antique, ces faisceaux étaient portés par des licteurs, officiers au service des magistrats et dont ils exécutaient les sentences. » 13 Cet objet est souvent utilisé pour représenter la République française, ainsi que les valeurs de paix et de justice.

    Et donc, qu'en est-il aujourd'hui de nos lieux de mémoire contemporains ? Quelle matière créons-nous pour les générations suivantes ? À quoi ressemblent les outils de mémoire du citoyen 2.0 ?

    13 Le faisceau de licteur. (2022, 15 décembre). Élysée. Consulté le 6 février 2024, à l'adresse https :// www.elysee.fr/la-presidence/le-faisceau-de-licteur

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    Les lieux de mémoires 2.0

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    2.1 - Big Data et maîtrise de l'archivage

    Chaque minute en 2022 : 500 heures de vidéos étaient mises en ligne sur YouTube, plus de 100 000 heures ont été passées en meeting sur Zoom, près de 6 millions de recherches ont été faites sur Google d'après le 10e rapport annuel « Data never sleeps » de l'entreprise DOMO 14 . Cette quantité démesurée d'informations représente ce que nous appelons aujourd'hui le « big data » ou en bon français « mégadonnées ». En 2014, la Commission générale de terminologie et de néologie, en plus de proposer cette traduction, nous donne également cette définition : « Données structurées ou non dont le très grand volume requiert des outils d'analyse adaptés. » 15 . Cela implique donc que l'on parle certes d'une grande quantité d'informations, mais également de la manière dont elles sont traitées et si des conclusions peuvent en être tirées.

    Ceux qui s'intéressent au sujet s'attachent aussi à le définir en 5 points, ou plutôt en 5 V : volume, vitesse, variété, valeur et vérité. Permettant ainsi de comprendre les enjeux contemporains qui se posent à propos de la

    14 Data Never Sleeps 10.0. (2022). DOMO. Consulté le 6 février 2024, à l'adresse https :// www.domo.com/data-never-sleeps

    15 Commission générale de terminologie et de néologie Vocabulaire de l'informatique, mégadonnées (2014, août 22). Journal officiel de la République française, 89. Consulté le 10 février 2023, à l'adresse https://urlz.fr/pEXs

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    gestion de ces données. Pour commencer, le volume est ce qui a été évoqué plus haut, c'est la quantité entropique d'informations auxquelles nous faisons face aujourd'hui. Et l'on parle bien ici de données produites en continue et non en séquences que l'on pourrait déterminer et contrôler. « De surcroît, une très vaste majorité - peut-être de 95 à 98 % - des données issues d'Internet sont « bruyantes », c'est-à-dire non structurées et dynamiques plutôt que statiques et convenablement rangées. » 16 (Babinet. G, 2015) À cela s'ajoute donc la vitesse de création de ces données. Dans une logique de production continue, il nous est impossible de traiter l'ensemble des données en temps réel. De fait, il y a donc le risque qu'elles deviennent obsolètes de plus en plus rapidement, à cause de l'évolution technique des outils utilisés pour les décrypter. Et même s'il est théoriquement possible de le faire, il y a aussi le risque qu'elles basculent dans l'oubli, car elles n'ont pas été référencées. C'est pourquoi il devient nécessaire aujourd'hui d'utiliser ce qu'on appelle les métadonnées (traduit de l'anglais). « Les métadonnées peuvent être des informations sur un objet ou une ressource qui décrivent des caractéristiques telles que le contenu, la qualité, le format, l'emplacement et les informations de contact. Il peut décrire des éléments physiques ainsi que des éléments numériques (documents, fichiers audiovisuels, images, ensembles de données) et

    16 Babinet, G. (2015). Big Data, penser l'homme et le monde autrement [Pombo.free]. Le Passeur éditeur. http :// pombo.free.fr/babinet2015.pdf

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    peut prendre des formes allant du texte libre (tel que des fichiers « Lisez-moi ») au contenu standardisé, structuré et lisible par une machine » 17. Ce travail de référencement est déjà assez fastidieux, mais est complexifié par la variété des supports que nous produisons. En effet, les données purement numériques comme le SMS ou la recherche sur un navigateur sont enrichies par la numérisation croissante de documents réels. Si l'on prend l'exemple du fond d'archives de la ville de Nantes consultable en ligne, dans la catégorie « archives numérisées », on remarque déjà plusieurs typologies de documents que l'on pourrait regrouper d'après leurs formes : Les photographies, les illustrations ainsi que les documents écrits. Ainsi, chaque catégorie requiert des métadonnées appropriées. Par exemple, pour les illustrations, la base de donnée possède un groupe d'archives nommé « carte et plans », dans lequel on retrouve des métadonnées qui leur sont propres, comme par exemple le critère de la technique utilisée (impression, aquarelle...). Mais dans l'ensemble, seuls quelques critères diffèrent d'une archive à une autre, principalement pour des questions de formes. Pour le reste, le minimum reste d'intégrer l'auteur et le contexte de création, qui sont d'ailleurs parfois directement intégrés dans le document. Cependant, il est toujours préférable d'être rigoureux

    17 ARDC. (2022, 13 mai). Metadata. ARDC (Australian Research Data Commons). Consulté le 7 février 2024, à l'adresse https://ardc.edu.au/resource/ metadata/

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    dans la rédaction des métadonnées, car si le document est amené à disparaître ou à être illisible, dans ce cas-là, il ne restera plus rien de sa mémoire : « Les objets de la culture numérique contiennent potentiellement tout ce qu'il faut pour que la question de leur oubli (voulu ou redouté) soit intégrée dès le départ à leur mise en oeuvre, faisant de la thématique de l'oubli un élément central de la production » 18 (Cotte. D, 2020) Il reste ainsi deux dimensions que nous n'avons pas encore abordées : la valeur et la vérité, apparues plus récemment dans la définition du concept de Big Data. Elles sont liées et tentent de répondre à la même question : pourquoi s'intéresser à cette donnée plutôt qu'une autre ? C'est une question à laquelle une réponse économique est souvent apportée en estimant l'intérêt que peut apporter la connaissance de ces facteurs pour une entreprise. Dans ce cas, si des réseaux de données sont correctement analysés, cela peut permettre de prédire des tendances et d'agir en conséquence. Si nous revenons sur le principe de la préservation d'archives, ces facteurs sont tout aussi importants et se vérifient en fonction de la qualité d'écriture des métadonnées.

    Nous avons donc une responsabilité sur la pérennité de nos objets numériques, et cela perdure bien au-delà de

    18 Cotte, D. (2017). La culture numérique entre l'appréhension de l'oubli et la fabrication de la mémoire - K@iros. Kairos, 2(2). Consulté le 19 novembre 2023, à l'adresse, https://revues-msh.uca.fr/kairos/index.php?id=213

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    l'étape de leur création. Cependant, cela ne veut pas dire que nous devons tout mémoriser, comme nous l'avons vu précédemment en parlant de la construction de la mémoire collective. L'oubli est tout aussi important que la mémoire. Ainsi, malgré le phénomène démesuré du big data, il est possible pour chacun de faire valoir son droit à l'oubli comme le stipule l'article 17 du RGPD (Règlement général sur la protection des données) : « La personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement l'effacement, dans les meilleurs délais, des données à caractère personnel la concernant » 19. La question de la persistance des données d'une personne après sa mort fait aussi partie des choses prises en compte par certains acteurs du numérique. Facebook propose par exemple de transformer le compte d'une personne décédée en compte commémoratif, à la condition que la personne décédée ait désigné un « contact légataire » au préalable. Cette personne est ensuite la seule responsable du compte et peut choisir de le garder ou de le supprimer. Nous voyons avec cet exemple que nous devenons de plus en plus responsables de la gestion de nos données en ligne, car même après notre mort, il n'est pas dit que nos avatars virtuels disparaîtront avec nous automatiquement. Cette rigueur, nous devons aussi l'adopter dans le cas où nous souhaitons archiver des

    19 CNIL. (2016, 23 mai). CHAPITRE III - Droits de la personne concernée. Consulté le 7 février 2024, à l'adresse https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees/chapitre3#Article17

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    données et être sûr qu'elles puissent être retrouvées dans leur intégrité même quand nous ne serons plus là.

    Pour cela, il existe plusieurs méthodes afin d'assurer la pérennité des données que l'on souhaite transmettre. Professeur en Sciences de l'information et de la communication, Dominique COTTE propose 3 caractéristiques à prendre en compte dans la constitution d'une mémoire numérique : la répétabilité, la granularité et la traçabilité 20 (Cotte. D, 2020). La répétabilité consiste à s'assurer qu'une donnée archivée sera toujours lisible, « répétable » dans 10 ans. De ce fait, dès le stade de création, il faut penser au format dans lequel l'archive sera lue afin d'anticiper les problèmes que pourra poser sa lecture dans un futur plus ou moins proche. Par exemple, le site Internet Archives met à disposition un outil de recherche appelé « Wayback Machine » 21 permettant de consulter un réseau d'archives constitué de plus de 800 milliards de pages web. Cet outil permet ainsi de remonter l'histoire d'une page Web et de voir à quoi elle ressemblait, du moins jusqu'en 2001, l'archivage ayant réellement débuté à partir de cette année. Dans le cas où une archive serait malgré tout

    20 Cotte, D. (2017). La culture numérique entre l'appréhension de l'oubli et la fabrication de la mémoire - K@iros. Kairos, 2(2). Consulté le 19 novembre 2023, à l'adresse, https://revues-msh.uca.fr/kairos/index.php?id=213

    21 Internet Archives. (2001). Wayback Machine. Consulté le 8 février 2024, à l'adresse https://archive.org/

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    illisible, il est possible de la fragmenter afin de pouvoir la recomposer ensuite, ce qu'on appelle aussi la granularité de l'information. Dans le cas d'un album de musique par exemple, même si l'un des morceaux est corrompu, il reste malgré tout la possibilité que les autres fragments soient intacts. Également, grâce aux développements de logiciels supportés par l'intelligence artificielle, on pourrait facilement imaginer un outil permettant de reconstituer des archives manquantes en se basant sur des fragments appartenant au même contexte. C'est déjà ce que proposent les mécanismes d'autocomplétion, certains proposant justement de l'autocomplétion musicale 22. Cependant, comme nous l'avons vu précédemment, afin de comprendre et de faire comprendre une archive, il est nécessaire d'assurer que les métadonnées à son égard soient bien renseignées, autrement dit qu'elle soit traçable. D'autant plus que la création de ces données se fait sur la base d'un recyclage constant, à la manière du téléphone arabe, il peut devenir difficile de retracer l'information depuis sa source originale. Si l'on reste sur l'analogie musicale, la technique du sampling ou d'échantillonnage consiste par exemple à récupérer une source sonore et à l'intégrer dans une nouvelle composition. Dépendamment de la manière dont l'échantillon est intégré, cela peut même lui donner davantage de visibilité. À titre d'exemple,

    22 Freedman, D. (2017). TapCompose. TapCompose. Consulté le 8 février 2024, à l'adresse https://www.tapcompose.com/

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    plusieurs artistes appartenant au mouvement de la « french touch » ont fondé leur succès sur cette méthode, dont les Daft Punk, Justice, Cassius, etc.

    L'expansion actuelle de ces technologies numériques démontre ainsi que nous devons rester vigilants et rigoureux dans notre manière de construire nos archives contemporaines. Un travail de tri aux échelles individuelles et collectives est nécessaire afin de transmettre des archives intègres et intelligibles pour les générations futures.

    2.2 - Mémoire numérique et rôle du citoyen

    Dès 1642, lorsque Blaise PASCAL développe la Pascaline, la première machine à calculer de l'histoire, il imaginait déjà les limites de son invention quant à son utilisation par l'Homme : « La machine d'arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux. Mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonté comme les animaux. » 23. Pascal souligne ici que les machines ne possèdent pas de volonté propre, contrairement aux animaux. Les animaux sont capables de prendre des décisions, d'agir de manière autonome et de répondre à leur environnement en fonction

    23 Clermont-Ferrand, G. (s. d.). Pensées de Blaise Pascal. Consulté le 19 novembre 2023, à l'adresse http://www.penseesdepascal.fr/XXVI/XXVI6-moderne.php

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    de leurs besoins et de leurs instincts. Ils ont une forme de conscience et de volonté qui leur permet de s'adapter à différentes situations de manière flexible, ce que les machines ne peuvent pas faire. Cela démontre que nous ne pouvons pas déléguer la responsabilité de la transmission de la mémoire à une machine, car ce processus nous oblige à sélectionner des mémoires qui ont du sens pour des êtres sensibles comme nous, et dépendent donc de conditions morales que seul nous sommes capables de définir. Nous pouvons bien sûr transmettre un héritage physique, comme des vyniles, des magazines, des dessins...

    Mais force est de constater que le numérique est aujourd'hui un outil indispensable à maîtriser pour quiconque souhaite transmettre un héritage, comme nous l'avons vu précédemment. L'archivage des données est en fait un des nombreux enjeux auquel doit faire face le « citoyen numérique » aujourd'hui, en plus de la protection de ses données en ligne notamment. Plusieurs organismes (la CNIL, le CSA, le Défenseur des droits et l'Hadopi) ont ainsi créés le « kit pédagogique du citoyen numérique » 24, à destination de formateurs et de parents qui souhaitent éduquer les plus jeunes sur les enjeux du numérique. Le kit rassemble ainsi divers ressources autour des thématiques

    24 Arcom. (s. d.). Kit pédagogique du citoyen numérique : retrouvez toutes les ressources. Arcom le Régulateur de la Communication et Numérique. Consulté le 8 février 2024, à l'adresse https://shorturl.at/sCHM9

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    suivantes : les droits sur internet, la protection de la vie privée en ligne, le respect de la création ainsi que l'utilisation raisonné et citoyenne des écrans. Il y a ainsi une volonté de questionner le rôle du numérique et voir comment son utilisation pourrait faciliter les initiatives citoyennes, surtout lorsqu'on remarque un taux d'abstention plus élevés chez les plus jeunes. En effet, en 2022 l'INSEE relève une abstention systématique aux élections présidentielles et législatives plus élevés chez les moins de 40 ans. Avec un taux de 25 % chez les 25-29 ans contre 13 % pour les 4044 ans. Ont notent malgré tout un manque d'intérêt global pour ces élections avec seulement 1/3 des électeurs qui ont votés à la fois aux présidentielles et aux législatives 25.

    Alors, est-ce que les outils numériques pourrait constituer une alternative satisfaisante ? En l'occurrence, les réseau sociaux sont déjà largement utilisés afin d'organiser des mouvements de contestations : « l'engagement sur les réseaux sociaux même quand il est peu coûteux peut constituer le premier geste qui va faire entrer dans un parcours d'engagement. » 26 (Aschieri & Popelin, 2017).

    25 Insee, & Bloch, K. (2022, 17 novembre). Élections présidentielle et législatives de 2022 : seul un tiers des électeurs a voté à tous les tours[Base de données]. INSEE. Consulté le 11 février 2024, à l'adresse https://www.insee.fr/ fr/statistiques/6658145

    26 Aschieri, G., & Popelin, A. (2017). Réseaux sociaux numériques : comment renforcer l'engagement citoyen ? Journeaux Officiels. Consulté le 9 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pEHW

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    A titre d'exemple, le mouvement des Gilets jaunes avait réellement commencer sur le réseaux sociaux avant de prendre de l'ampleur via les manifestations dans les rues.

    En revanche, malgré les multiples opportunités offertes pas ces outils, certaines limites se posent quant à l'exploitation de nos données personnelles en ligne. Pour ce faire nous devons nous intéresser au modèle économique imposé par les entreprises majeures du numériques, résumé par l'acronyme GAFAM (Google (Alphabet), Amazon, Facebook (Meta), Apple, Microsoft). En effet, pour proposer leurs services, ces entreprises font l'acquisition des données fournit par un utilisateur donné, et en échange elles lui proposent des recommandions personnalisés. Les risques qui se posent en premier lieu sont à propos de la protection de la vie privée. Il suffit de regarder les outils utilisés par ces entreprises pour comprendre que l'exploitation de nos données est au centre de leur système économique. Parmi eux ont retrouvent les algorithmes de pertinence, il permettent de déterminer les résultats les plus pertinents d'après une requête formulé par l'utilisateur. Au début, ces algorithmes proposaient des résultats similaires pour une même requête, signifiant que des utilisateurs différents pouvaient obtenir les mêmes résultats. Mais à partir de 2007, ils se sont perfectionnés et propose désormais des résultats en fonction des intérêts propres de chaque utilisateur. A partir de là, une « boucle de recommandations » s'enclenche, car chaque

    27 Constant, P. (2018). Modèles économiques des GAFAM et vie privée. Dans Santé, numérique et droit-s (p. 307-318). https://doi.org/10.4000/books.putc.4463

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    page visitée permettra de fournir des critères de sélection supplémentaires pour la prochaine requête. Avec l'arrivée des assistants personnels tel que Google assistant ce processus est encore davantage facilité. « L'aide fournie par l'assistant se paie alors par l'abdication subreptice de tout contrôle sur les données personnelles » 27 (Constant. P, 2018). En d'autres termes, pour bénéficier de leurs fonctionnalités, il faut renoncer à une partie de sa vie privée sans forcément en être pleinement conscient. Ici, le pouvoir ne revient donc pas à celui qui créer la donnée mais à celui qui sait comment l'organiser et la rediriger.

    Ce système de profilage, en offrant des recommandations adaptés au profil des individus, comporte le risque de fragmenterlamémoire collective.Au lieu de créer un espace partagé et transparent où chacun peut s'exprimer librement, il créé plutôt des bulles filtrantes, où chaque individu est enfermé dans ses propres intérêts. En somme, plutôt que de favoriser l'expression et la diversité, l'essor du web pourrait au contraire accentuer les divisions et les incompréhensions :« les nouveaux médias sociaux tendent à accroître la fragmentation de société déjà fragmentées

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    et donc à faire disparaître l'espace public » 28 (Ganascia. J, 2023). Et ce système est un frein à la construction de la mémoire collective, car suivant la définition reprise de Maurice Halbwachs précédemment, « Mais nos souvenirs demeurent collectifs [...] nous portons toujours avec nous et en nous une quantité de personnes qui ne se confondent pas » 29 (Halbwachs. M, 1950). Cela démontre que nous ne pouvons pas espérer construire une mémoire collective solide en évoluant dans un environnement numérique ethnocentré. Afin de mieux appréhender ces systèmes de surveillance, Steve Mann, un professeur canadien imagine le concept de « sousveillance » dans les années 90 afin d'opposer une résistance aux déploiement des systèmes de surveillances, notamment les caméras dans les espaces publics 30 (Mann, 2004). L'idée étant de fabriquer des systèmes d'enregistrements vidéos afin de « surveiller ceux qui nous surveille ». C'est une philosophie que l'on peut également transposer aux technologies du web évoquées précédemment. En revanche dans cet environnement, il est plus difficile de quantifier d'où peut provenir la

    28 Ganascia, J. (s. d.). Le futur de la mémoire à l'heure du numérique et de ChatGPT [Rediffusion]. Dans WebTV. Semaine de la mémoire, Lille, Haut de France, France. https://urlz.fr/ox0S

    29 Halbwachs, M. (1950). La mémoire collective (2e éd.) [Édition numérique]. Paris : Les Presses universitaires de France, consulté le 18 novembre 2023, à l'adresse https // shorturl.at/gGVW6

    30 Mann, S. (2004). « Sousveillance » : inverse surveillance in multimedia imaging. ACM Multimedia, 620-627. https://doi.org/10.1145/1027527.1027673

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    surveillance, car dès lors que nous partageons nos données publiquement, qui de nos amis ou du service d'hébergement espionne vraiment nos données. De cette manière, de plus en plus d'outils propose de se protéger contre la collecte de nos données personnelles, à l'image d'extensions web comme Qwant VIPrivacy. Développée par l'entreprise Qwant, qui est à l'origine un moteur de recherche lancé en 2013, la même année que les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden sur les outils de surveillance de masse utilisés par les services de renseignement américain. Qwant, par opposition souhaite à tout prix ne rien savoir sur ses utilisateurs : « Qwant ne sait rien sur vous et ça change tout ! ». L'entreprise possède également un blog sur lequel sont publiés des articles divers sur les bonne pratiques à avoir pour protéger ses données en ligne. Parmi eux ont trouve aussi des articles explicitement « anti-google » : « Comment vivre sans Google : les alternatives qui protègent ta vie privée » 31, avec donc une sélection de navigateur, de services de messagerie garantissant une meilleure protection de nos données. Cette position affirmée ne favorise cependant pas la compréhension réel du sujet, à titre d'exemple l'un des derniers articles parût « Pourquoi c'est important de protéger sa vie privée en

    31 Team Qwant. (2023, 7 décembre). Comment vivre sans Google : les alternatives qui protègent ta vie privée. Qwant. Consulté le 7 février 2024, à l'adresse https://urls.fr/fqFHxR

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    ligne ? » 32 ne se résume qu'à 4 points apportant chacun une réponse courte à la question posée par l'article. En guise de conclusion, l'article rappel que Qwant constitue une réponse adéquate à la protection de nos données, en proposant également des liens de téléchargement pour son moteur de recherche. « Les dispositifs numériques que nous utilisons de manière ordinaire, et qui permettent ainsi des formes de braconnage du contrôle social, ne sont pas neutres. Si la sousveillance permet de fournir un autre regard sur les formes de surveillance, de documenter les structures étatiques ou privées les déployant, d'alimenter le débat démocratique sur les questions de renseignement et de vie privée, les médiations techniques qui favorisent le développement de ces débats dans l'espace public doivent être comprises de tous. » 33 (Aloing. C, 2016). Ici la sousveillance qualifie également la volonté de renseigner sur les structures de surveillance en plus de fournir des outils concrets pour agir comme avec l'exemple de Qwant. En revanche, comme le souligne la citation, un point de vue plus mesuré et pédagogue sur les technologies numériques est préférable afin d'assurer leur bonne compréhension. La CNIL (Commission Nationale de l'informatique et

    32 Team Qwant. (2024, 23 janvier). Pourquoi c'est important de protéger sa vie privée en ligne ? Qwant. Consulté le 7 février 2024, à l'adresse https://urls.fr/ Cpqew3

    33 Aloing, C. (2016). La sousveillance. Vers un renseignement ordinaire. Hermès, la revue, 76, 68-73. consulté le 16 novembre 2023, à l'adresse, https:// www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2016-3-page-68.htm

    34 Beaudouin, V. (2019). Comment s'élabore la mémoire collective sur le web ? Réseaux, n° 214-215(2), 141-169. https://doi.org/10.3917/res.214.0141

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    des Libertés), même si son déploiement n'est pas moins politique, fournit par exemple des informations plus détaillées sur l'exercice de nos droits et devoirs dans l'environnement numérique.

    Puisque cet environnement est relativement récent et évolue très rapidement il est normal que sa compréhension et sa maîtrise prenne du temps. Malgré les limites évoqués précédemment, les initiatives fleurissent afin de construire une mémoire collective via les outils du web. En 2019, une étude a été menée afin de comprendre l'influence d'internet sur la construction et la transmission de la mémoire collective, se basant sur les archives web collectés par la bibliothèque nationale de France 34 (Beaudoin, 2019). L'étude s'appuie ainsi sur des forums, des blogs et constitués à partir de 2014 à propos de la première guerre mondiale, ainsi que sur leurs auteurs. Ont constate que les forums permettent de retrouver une forme d'espace public ou le lien social est aussi important que l'acquisition de connaissances. En effet, les usagers de ces outils sont volontaires et désireux d'apprendre sans contrainte extérieur, ce qui fait la différence. Il est aussi noté qu'il y a une volonté de leur part de faire preuve de rigueur dans la documentation des différents sujets. De plus avec la numérisation croissante des documents physiques, le

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    travail de ces historiens amateurs est appuyé par une grande quantité d'archives. Il est ainsi possible pour eux de faire un travail de relation, de comparaison entre des archives récentes et anciennes. En reconstituant la vie des soldats de cette guerre via les archives qu'ils ont laissés derrière eux, c'est une façon pour ces usagers de lutter contre l'oubli de cette histoire et leur éviter une seconde mort. Leur travail est en fait guidé par une volonté de ne pas oublier le passé, de continuer à réalisé un « devoir de mémoire » à leur échelles : « Alors que tous les témoins ont disparu, ces mémoriaux numériques constituent des lieux d'un genre nouveau qui tentent, en s'appuyant sur des sources, de reconstituer au plus près ce qu'a pu être l'expérience vécue. Il n'y a donc pas antinomie entre mémoire et histoire : le travail historiographique, documenté, sourcé étant mis au service de la mémoire. » 35 (Beaudoin, 2019)

    35 Beaudouin, V. (2019). Comment s'élabore la mémoire collective sur le web ? Réseaux, n° 214-215(2), 141-169. https://doi.org/10.3917/res.214.0141

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    LES COMPOSANTES DE LA MÉMOIRE

    Conclusion

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    Au long de cette première partie nous avons vu que les rapports entre l'histoire et la mémoire ont évolués depuis plusieurs années. Il y a désormais une volonté de se réapproprié l'histoire et raconter des récits qui construisent une mémoire qui à plus de sens pour les historiens, les états, les associations ou les individus. Ces changements s'expliquent aussi par une mutation des lieux de mémoires. Même si les mémoriaux physiques tel que les stèles, les plaques, les statues ne sont pas complètement désert, les multiples acteurs de la mémoires cherchent de nouveaux milieux afin de construire la mémoire collective. De fait, les évolutions permises par l'essor du numérique ont permis le développement de nouveaux outils (les forums, les réseaux sociaux) qui deviennent progressivement nos lieux de mémoires contemporains. Ces outils particulièrement récents comparés aux lieux de mémoires « physiques » (stèles, statues), restent malgré tout un défi pour le citoyen d'aujourd'hui qui doit encore apprendre à s'en servir afin de préserver ses données personnelles et assurer une transmission mémorielle intègre pour les prochaines générations. Est-ce que cela signifie pour autant la disparition de nos lieux de mémoires physiques ? Quelles est leur place dans notre mémoire collective ? Ont-ils perdu de leur sens au yeux du citoyen ?

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    LES MUTATIONS DE LA MÉMOIRE

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    « visiter un champ de bataille ou un camp
    d'extermination mettrait les touristes en contact
    avec leur propre destructivité »
    (Binik. O, 2016)

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    Les lieux de mémoires : rien ne se perd tout se transforme

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    3.1 - Les témoins dans l'histoire

    Le temps passe et les événements dupassé s'éloignent de nous inexorablement. Ceux qui les ont vécues de l'intérieur, les témoins, disparaissent et disparaîtront quoi que l'on fasse, laissant derrière eux des témoignages et autres archives diverses (journaux intimes, lettres) dont la responsabilité sera déléguée aux générations qui les suivront. « L'ère du témoin » est une formule utilisée pour la première fois par l'historienne Annette Wieviorka à la fin des années 90 dans un ouvrage du même nom. Son travail s'appuie sur les vagues de témoignages des victimes de la Shoah pendant les années 90 et au début des années 2000. Analysant ainsi les différentes phases de considération de ces traces particulières, de l'ignorance à la reconnaissance, voire à l'instrumentalisation. En effet, les tout premiers témoignages veulent laisser une trace pour ne pas oublier, mais la position du survivant n'est pas encore mise en avant socialement pour que ces documents sortent de l'ombre. Mais c'est à partir de 1962, lors du procès d'Adolf Eichmann, que le statut social du témoignage change, la figure du survivant devenant par la suite inhérente à l'écriture de l'histoire de la Shoah. Même si cela a permis aux survivants une meilleure reconnaissance sociale, l'instrumentalisation politique de leur parole n'a pas pour autant favorisé une pratique objective de l'Histoire, de par les attributs affectifs des témoignages qui ne sont pas pertinents pour sa pratique.

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    C'est donc dans les années qui suivront que débutera « l'ère du témoin », caractérisée par une collecte massive de témoignages afin de garder une trace de ce passé 36 (Chevalier, 2000). À titre d'exemple, L'INA possède une rubrique intitulée Grands entretiens compilant des séries d'interviews diverses, dans laquelle on retrouve une séquence sur la mémoire de la Shoah 37. Sont ainsi compilés 105 témoignages de victimes de la Shoah (anciens déportés, enfants de déportés, résistants...) durant chacun plus d'une heure. Ils n'ont pas été montés, mais possèdent cependant un chapitrage détaillé, facilitant leur visionnage. De plus, ces interviews sont aussi accompagnées d'interventions « d'acteurs de la mémoire » (historiens, magistrats, diplomates) afin de replacer le témoignage des victimes dans leur contexte. Ces vidéos sont désormais accessibles en permanence et nous rappellent à quel point il est aujourd'hui facile d'immortaliser des moments du passé, et en l'occurrence des témoignages.

    Si l'on se réfère ainsi aux conflits contemporains fréquemment actualisés par l'actualité internationale, nous

    36 Chevalier, Y. (2000). Wieviorka (Annette), L'Ère du témoin. Archives des Sciences Sociales des Religions, 110, 110. Consulté le 19 novembre 2023, à l'adresse https://doi.org/10.4000/assr.20611

    37 INA. (s. d.). Collection Mémoires de la Shoah - Grands entretiens patrimoniaux. Consulté le 19 novembre 2023, à l'adresse https://entretiens.ina.fr/ memoires-de-la-shoah

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    constatons que la mémoire des victimes se construit alors même que les conflits ne sont pas officiellement terminés. Il y a une forme d'accélération dans la production de contenu. Ainsi, au moment où ces lignes sont écrites, la guerre entre Israël et le Hamas n'est toujours pas terminée, et malgré tout, la construction des mémoires s'est déjà amorcée. Une cérémonie d'hommage nationale a ainsi été organisée à Paris le 4 février 2024 en l'honneur des victimes françaises des attaques terroristes perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 38. L'événement à partir duquel Israël rentrera en guerre contre l'organisation terroriste. La forte présence des médias d'informations dans le conflit entraîne également la propagation d'un flux important de données. Parmi ce flux, on retrouve ainsi les témoignages de survivants accessible très facilement en ligne 39.

    À l'image des mémoires et des témoignages des victimes de la Shoah, ces vidéos ne peuvent attester de l'Histoire exacte du conflit et sont donc à prendre avec de la distance, du moins si l'on adopte le regard de l'historien. Car de nouveau, même s'il est plus facile aujourd'hui d'avoir des informations « brutes » sur les caractéristiques d'un

    38 Élysée. (2024, 7 février). Cérémonie d'hommage national aux victimes françaises des attaques terroristes du 7 octobre en Israël. Élysée. Consulté le 12 février 2024, à l'adresse https://urls.fr/UNpM5q

    39 Le Monde. (2023, 30 décembre). Mia Schem et Chen Almog-Goldstein, ex-otages israéliennes racontent leur captivité à Gaza [Vidéo]. YouTube. Consulté le 12 février 2024, à l'adresse https://www.youtube.com/watch?v=NlPUzbO65oQ

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    témoignage : Nom de l'auteur. Ice de l'interview, date de celle-ci, nom du média chargé de l'interview... La véracité des propos et des intentions de la victime sont nuancées en fonction de la situation micro (conditions de l'entretien par exemple) et macro (contexte de l'événement).

    Cette production intensive et continued'informations entraîne une forme d'accélération dans la construction des mémoires collectives, d'autant que c'est un processus qui s'appuie sur des événements qui ne sont pas encore terminés. Cependant, les constats qui ont été faits sur la gestion des témoignages des victimes de la Shoah peuvent nous éclairer sur la manière dont il est possible d'appréhender nos témoignages contemporains. « Dès lors qu'il s'agit moins de faire preuve que de chercher du sens, le triptyque trace, document, question [...] laisse la porte ouverte aux renouvellements, sans doute infinis, des écritures de l'histoire, puisque les interrogations posées au passé se multiplient au rythme du présent. » 40 (Zalc, 2018). Autrement dit, dans le cadre du travail d'histoire mené sur la Shoah, les travaux d'investigations se voulaient être un rempart contre le négationnisme et l'effacement des traces par les nazis. Ces positions militantes commencent donc à s'apaiser aujourd'hui et laissent progressivement

    40 Zalc, C. (2018). Passages de témoins. Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 139, 2-21. consulté le 15 juin 2023, à l'adresse https://doi.org/10.3917/ ving.139.0002

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    leur place à un travail qui s'effectue pour le sens et non pour les preuves. Dans le cas de la mémoire de la Shoah, la disparition progressive des témoins incite donc à renouveler les modalités d'écriture de l'Histoire. Nous en revenons à des exemples cités précédemment, à l'image du travail de Barbara Engelking sur les récits de rêves pendant l'Holocauste, et dans quelle mesure ces traces pourraient être pertinentes dans l'écriture de cette histoire. Concernant la manière dont sont écrites celles de nos événements contemporains, telle la guerre sur la bande de Gaza évoquée précédemment, ou bien des événements passés, tels les attentats du 11 septembre 2001. Il est légitime de se demander si l'écriture de l'histoire de ces événements n'est pas plus portée par une volonté de faire justice que par une quête de sens ? Et si cela est problématique pour les acteurs contemporains liés à ces événements (historiens, victimes) ?

    Ainsi, le témoin est une figure emblématique et malgré tout nécessaire dans la transmission du passé, d'autant qu'en chacun d'eux réside une volonté de parler de ce qu'ils ont vécu. Cependant, même si leur témoignage provoque facilement l'empathie, il ne permet pas toujours d'effectuer un travail d'histoire de par la dimension affective non nécessaire à cette tâche et la difficulté potentielle à cerner les conditions de création d'un tel témoignage. Ce faisant, lorsque le témoin disparaît, c'est une connexion importante avec le passé qui est perdue. Même si cela peut

    Ainsi, moins de monuments seront construits et

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    permettre de renouveler le récit historique, les témoins laissent derrière eux des traces également nécessaires dans la compréhension du passé, mais qui peuvent devenir étrangères dans un contexte contemporain. Nous pouvons parler ici d'écrits, d'images, ou bien de monuments aux morts.

    3.2 - les fondations du monument aux morts

    Il nous arrive parfois de passer à côté de cet édifice, une sculpture verticale de béton, tantôt avec une statue, tantôt sans. Une inscription est gravée en majuscule « En mémoire de ces soldats morts pour la France », suivie d'une liste de noms nous rappelant que près de 1,5 million de soldats et de civils français périront lors du premier conflit mondial de 1914 à 1918. L'érection des monuments aux morts connaît un réel développement dans les années qui suivront la fin de cette guerre. En revanche, ces initiatives ne se limitent pas seulement à cette période : déjà à partir de la guerre franco-allemande de 1870-71, des monuments aux morts sont construits. Seulement, contrairement aux monuments de 1914-18, ceux-ci résultent majoritairement d'initiatives privées et s'établissent dans un esprit de revanche vis-à-vis de la perte de deux départements français, ceux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, plus communément connus comme l'Alsace-Lorraine.

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    avec une symbolique plus patriotique comparativement à ceux de la Première Guerre mondiale 41 (Prost & Nora, 1984). À ce titre, le 25 octobre 1919, face à l'ampleur des pertes humaines, l'État met en place une loi consacrée « à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la Grande Guerre ». Cette loi promet entre autres aux communes d'offrir une subvention à utiliser pour la glorification de leurs héros locaux, notamment via l'édification de monuments aux morts.

    Cependant, cette décision est à nuancer au regard de ses résultats réels. Dans un premier temps, certaines des propositions formulées dans le texte de loi n'ont tout simplement pas été mises en place, comme par exemple le dépôt des noms de soldats morts pour la France au Panthéon ou encore la construction d'un monument en leur honneur à Paris (même si la dépouille d'un soldat français inconnu sera déposée sous l'Arc de Triomphe en 1920). D'autre part, les subventions pour les communes n'ont été fixées qu'en juillet 1920 et n'ont couvert qu'entre 5 % et 26 % du coût du monument érigé ; cette aide sera finalement arrêtée en 1925. 42 (Julien, 2016). Enfin, la date du 11 novembre

    41 Prost, A., & Nora, P. (1984). Les monuments aux morts. Dans Les Lieux de mémoires, La République, La Nation (Vol. 1). Gallimard.

    42 Julien, E. (2016, 29 septembre). La loi du 25 octobre 1919 et sa postérité. Le Souvenir Français. Consulté le 13 février 2024, à l'adresse https://le-souvenir-francais.fr/la-loi-du-25-octobre-1919-et-sa-posterite/

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    que l'on connaît aujourd'hui afin de commémorer « tous les morts de la France » n'était à l'origine pas celle choisie. La loi du 25 octobre avait en effet préféré les dates du 1er et du 2 novembre à celle du 11, respectivement le jour de la Toussaint et de la fête des morts, afin de privilégier des commémorations endeuillées plutôt que victorieuses. Mais à plusieurs reprises, les associations d'anciens combattants se sont levées contre cette décision, préférant la date du 11 novembre. Elles continueront ainsi à réaliser leurs propres cérémonies en 1919 et en 1920, avant que le gouvernement ne décide finalement d'officialiser cette date en rendant le 11 novembre férié le 8 novembre 1920. Par la suite, l'addition de nouveaux conflits dans la mémoire collective entraîne, le 28 février 2012, le vote de la loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts de la France. Ce texte, en plus des soldats, rend donc hommage aux civils ainsi qu'à ceux ayant péri lors d'opérations extérieures.

    Ainsi, la date du 11 novembre tire ses racines d'initiatives que l'on pourrait qualifier de « citoyennes », car elle émane directement du peuple qui affirme trouver davantage de sens en cette date. Même si nous pourrions nuancer en disant que les associations d'anciens combattants ne sont pas exactement représentatives de l'ensemble de la population française en cette période ; leur volonté semble malgré tout en accord avec la situation démographique du pays après la guerre. En effet, la France fut le pays le plus durement touché au regard de

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    ses pertes militaires. 70 % des soldats mobilisés ont été tués ou blessés, avec parmi eux 15 000 gueules cassées 43. Malgré tout, l'épreuve du temps fait que les cérémonies du 11 novembre perdent progressivement de leur sens aux yeux des citoyens d'aujourd'hui. Ce qui vaut aussi pour les monuments aux morts qui vivent surtout au travers de ces mêmes cérémonies. « Aux héritiers d'aujourd'hui, il continue d'adresser un langage plus ou moins clair, plus ou moins audible. Le signifié a pu changer ou perdre de sa vigueur, le signifiant demeure pour sa part gravé dans le marbre et le bronze. » 44 (David, 2013). Pourtant, ces édifices sont des portails temporels vers le passé, dans la mesure où chaque détail de leur conception a dû être pris en compte à un moment donné, de leur justification architecturale à la symbolique de leur emplacement. En effet, pourquoi avoir choisi de l'avoir placé dans un cimetière plutôt que directement dans l'espace public ? Le monument se veut-il être plus proche des vivants, ou au contraire appartenir aux morts ?

    Également, son emplacement peut être choisi en fonction de la topographie du lieu, et de cette manière, le

    43 WeDoData. (2014). Guerre 14-18 : une population transformée [Base de données ; Infographie en ligne]. Dans 14-18, un monde en guerre. https:// shorturl.at/dhrV1

    44 David, F. (2013). Comprendre le monument aux morts [OpenEditionBooks]. Codex. consulté le 10 septembre 2023, à l'adresse https://doi.org/10.4000/books. codex.967

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    parcours pour y arriver devient une forme de narration. Dans le cas du mémorial de la Vendée à Lucs-sur-Boulogne (datant de la révolution, mais constituant un exemple pertinent dans ce cas-là), le mémorial ayant été construit en 1993 marque le début du parcours afin de monter jusqu'à la chapelle commémorative du Petit-Luc dans laquelle on retrouve des plaques commémoratives avec les noms des 564 résidents du village tués pendant la Révolution. La chapelle étant placée sur un terrain surélevé, il faut gravir la colline, faire un effort pour monter jusqu'à celle-ci, et enfin profiter d'un espace de quiétude en l'honneur de ces victimes. Mais ce sont autant d'informations qui se perdent avec le temps et qu'il est nécessaire de rendre accessibles à celui ou celle qui veut faire parler le monument aux morts. D'autant plus lorsque l'on s'intéresse à la symbolique d'un emplacement. Car dans l'exemple d'un monument aux morts établi en milieu urbain, depuis son érection, l'agencement des bâtiments a évolué autour de lui, le rendant de plus en plus anachronique par rapport au contexte contemporain.

    3.3 - Le monument aux morts contemporains

    Ainsi, comment le Monument aux morts est-il perçu aujourd'hui dans l'espace public ? Plus particulièrement dans l'espace urbain ? Ces questions et les recherches de terrain que j'ai menées par la suite ont sûrement été inspirées par les travaux de Laurent Aucher à propos des

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    pratiques nouvelles des visiteurs sur le mémorial de la Shoah à Berlin 45 (Aucher. L, 2018). Bien que l'on parle ici d'un « mémorial » et non d'un « monument aux morts », car plus récent et avec une gestion de l'espace différente des monuments de la Première Guerre mondiale. Ainsi, j'ai également souhaité mener mes propres observations sur les lieux de mémoire de ma région afin de comprendre comment ils s'intègrent et comment ils sont perçus dans l'espace urbain aujourd'hui. Réalisés en juillet et septembre 2023, la météo était estivale et les promeneurs nombreux dans les rues. Ce fut l'un de mes premiers constats, sûrement dû aux températures clémentes : certaines personnes profitaient ainsi des abords de certains monuments pour se détendre, s'allonger et dormir un peu, ou s'asseoir pour bouquiner. Ainsi, les qualités des interactions avec le monument dépendent de la manière dont il est agencé. Par exemple, le monument aux 50 otages à Nantes est constitué d'une structure verticale centrale avec autour des marches qui descendent progressivement vers le sol. Le monument est construit juste à côté de l'Erdre et offre également une vue directe sur la rivière avec un promontoire permettant de s'asseoir et de profiter de la vue. Ce monument, certes commémorant une mémoire lourde, peut aussi se transformer en espace de détente, à la

    45 Aucher.L, (2018).«Devant le mémorial, derrière le paradoxe», Géographie et cultures, 105, 11-30. consulté le 26 juin 2023, à l'adresse, https://journals. openedition.org/gc/6351

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    manière d'un square de taille réduite 46 Ce sont des constats qui peuvent être faits sur d'autres lieux de mémoires, étant donné que ces derniers s'intègrent dans un espace public qui évolue avec leur temps. Ils se fondent peu à peu dans le décor et sont utilisés au regard de leurs fonctions pratiques. Ils peuvent aussi devenir des espaces propices au jeu, même si ces comportements restaient minoritaires et limités à des enfants. Globalement, lorsque ces édifices sont finalement remarqués, c'est grâce au hasard ou à une balade qui prévoyait un détour par ce lieu. « Il n'y avait pas une valeur historique que je voulais connaître, c'était dans mon parcours nantais de la journée » 47. Encore que l'extrait présenté ici est tiré d'un échange au mémorial de l'abolition de l'esclavage à Nantes, un lieu de mémoire bien plus autonome que les autres, dans la mesure où ce dernier offre des explications audios ainsi que des infographies pour le replacer dans son contexte. C'est une forme de mini-musée accessible gratuitement et qui affiche explicitement sa volonté d'apprendre une histoire à un public plus ou moins averti, « provoquant le hasard » pour qu'il soit approché. Ce sont également des lieux qui sont parcourus autrement, soumis aux normes de l'espace public, comme avec ces vélos accrochés aux rambardes d'entrée du mémorial,

    46 D'après des observations et des photographies faites sur le monument des 50 otages à Nantes l'après midi du 08/07/2023

    47 D'après une série de 6 interviews menés au mémorial de l'abolition de l'esclavage à Nantes l'après midi du 21/06/2023

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    Photos sur le monument aux 50 otages à
    Nantes, Paul Gourmaud (c)

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    ou bien alors, des cyclistes faisant un petit détour par l'esplanade de celui-ci, appréciant ainsi la vue sur la Loire. En effet, ces lieux de mémoire sont à l'image des rochers dans un cours d'eau : ils sont bien là, visibles, mais sont posés au milieu des flux de l'espace urbain qui obéissent à leurs propres règles. D'autre part, si un lieu de mémoire est finalement remarqué, c'est l'occasion pour certaines personnes d'immortaliser ce moment. Comme à Paris lors de mes observations sur un mémorial bien plus récent, commémorant les morts de la Première Guerre mondiale et situé sur l'un des murs extérieurs du cimetière du Père-Lachaise. Installé en 2018 à l'initiative d'Anne Hidalgo, ce sont au total 94 000 noms de Parisiens morts pendant le conflit qui sont gravés sur des plaques métalliques. Le tout, mesurant une longueur totale de 270 mètres, le monument souhaite ainsi représenter l'échelle du conflit et l'ampleur du sacrifice humain. À plusieurs reprises donc, des couples de sexagénaires parcouraient les noms (également classés par ordre alphabétique), n'hésitant pas à faire glisser un doigt sur les plaques. Lorsqu'ils semblaient avoir trouvé un nom familier, ils l'immortalisaient avec une photo ou un selfie 48. Cette volonté de garder une trace se retrouve aussi au moment des commémorations, comme à Nantes lors de la cérémonie du 11 novembre 2023 organisée sur

    48 D'après des observations et des photographies faites sur le monument en mémoire des parisien morts pendant la première guerre mondiale à Paris le matin du 29/09/2023

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    Photo sur le mémorial attenant au cimetière du Père-Lachaise à Paris, Paul Gourmaud (c)

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    le monument en mémoire des Nantais morts pendant la Première Guerre mondiale. Déjà pendant la cérémonie, des photographes se frayent un passage dans la foule pour immortaliser l'événement : les discours, les musiciens et les personnalités présentes. À la fin du dernier discours, la foule se disperse enfin autour du monument, l'atmosphère se détend, des discussions émergent, et de nouveau, c'est le temps des photos. Un groupe de jeunes appartenant à la délégation de la frégate de défense Chevalier Paul prend ainsi la pose pour une photo de groupe, avec en toile de fond le monument, silencieux 49.

    Face à la disparition des témoins, c'est un moyen de continuer à assurer une discussion sur ces mémoires, car ce sont autant de photos qui peuvent être partagées avec quelqu'un qui n'aurait pas été présent et réemployées dans le futur afin de se souvenir qu'en ce jour, une foule s'était réunie pour se souvenir des morts de la première guerre mondiale. C'est également, comme nous l'avons vu précédemment, une forme de réappropriation de la mémoire par une écriture de l'Histoire qui s'individualise. Nous pouvons également noter des modifications formelles sur les monuments construits en mémoire des conflits suivant ceux de 14-18. Ils ne se nomment d'ailleurs plus couramment « monuments aux morts », mais plutôt «

    49 D'après des observations et des photographies faites durant la cérémonies du 11 novembre 2023 à Nantes.

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    Photos d'observations à la cérémonie du 11
    novemvre 2023, Paul Gourmaud (c)

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    mémoriaux », un terme qui s'élargit même aux musées documentant ces conflits. Ces mémoriaux, contrairement à ceux de la Première Guerre mondiale, célèbrent moins des individus que des groupes, avec des monuments en l'honneur des résistants ou des juifs dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale.

    Ce sont aussi des monuments qui utilisent un mode de représentation nouveau, avec des structures plus complexes, moins brutes, plus expressives afin de permettre aux visiteurs de se projeter vers les événements passés 50 (Trouche, 2015). Une section du cimetière du Père-Lachaise est ainsi dédiée aux mémoires des victimes de la Shoah. De la tombe, on passe à la sculpture. Et souvent, on se retrouve face à des représentations de corps humains squelettiques, témoignant de la souffrance endurée par les victimes. De cette manière, les choix symboliques et esthétiques des monuments de la Première Guerre mondiale sont dépassés par ceux qui sont faits pour nos monuments plus récents. Sans pour autant parler de concurrence, sachant qu'il arrive que les conflits contemporains comme la seconde guerre mondiale ou les OPEX (opérations militaires extérieures de la France) soient ajoutés à des monuments de la première guerre mondiale. Ainsi, il

    50 Trouche, D. (2015, 7 janvier). Du monument aux morts au mémorial. Hypothèses. Consulté le 14 février 2024, à l'adresse https://sms.hypotheses. org/4652

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    convient de se souvenir des monuments aux morts en gardant en tête les codes qui les font revivre, et dans le même temps, il faut construire des mémoriaux qui auront du sens pour les générations futures afin de leur faciliter ce travail de compréhension. En somme, il y a un double travail à faire, en maintenant une continuité entre ce qui a été et ce qui est à venir. Certains acteurs ont ainsi compris que mener des actions mémorielles afin de maintenir cette continuité pouvait devenir un levier puissant pour fédérer des personnes à leurs causes...

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    Une réappropriation compliquée

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    4.1 - Les politiques mémorielles et leurs limites

    De quoi parle-t-on lorsqu'on évoque les politiques mémorielles ? Ce sont en fait des actions menées par l'État afin de proposer une écriture du récit national qui fait sens pour ses concitoyens. Ainsi, même si ces actions peuvent paraître récentes aujourd'hui à cause de leurs fréquences, c'est bien parce que les années 90 ont marqué un tournant dans la manière de les réaliser. En effet, à partir de la fin du XVIIIe siècle, l'État s'est engagé dans la construction d'un récit national glorifiant des événements emblématiques tels que le 14 juillet 1789 ou le 11 novembre 1918, ainsi que des figures héroïques (hommes politiques, résistants, artistes) qui ont contribué à la grandeur ou à la défense de la France. Ce récit, visant à unifier une population composite en partageant les mêmes références à un passé glorieux, a été promu notamment à travers l'éducation. Cette politique mémorielle a perduré jusque dans les années 1980, orientant la perception collective de l'histoire nationale et la valorisation des acteurs et événements qui la composent 51 (Ledoux, 2023). Mais, depuis les années 90, ces politiques mémorielles ne sont plus orchestrées pour glorifier des événements et des acteurs du passé.

    51 Ledoux, S. (2023, 12 mai). Les politiques mémorielles en France depuis les années 1990 Vie publique Consulté le 12 novembre 2023, à l'adresse https :// urlz.fr/pyHJ

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    Désormais, les victimes des conflits et les atteintes aux droits de l'homme ont supplanté la valorisation de la souveraineté de la nation. Ces nouvelles politiques mémorielles impliquent également une obligation morale de l'État à ne pas oublier les mémoires des victimes de ses conflits, ce « devoir de mémoire » ayant aussi pour objectif de prévenir le retour de ces événements à l'avenir. Ces décisions passent notamment par l'application des lois mémorielles, cette dénomination ne signifiant pas que ces lois bénéficient d'un statut particulier. Elles permettent d'appliquer un point de vue officiel à des évènements historiques. La première de ces lois fut ainsi adoptée le 13 juillet 1990, c'est la loi Gayssot réprimant tous les actes racistes, antisémites ou xénophobes. Elle considère également les actes négationnistes comme des délits. Ces actions mémorielles passent aussi par des discours, des actions directes du chef d'État qui se place en narrateur de l'histoire et promet, avec ses actions, « d'être celui qui soigne les maux de la société ».

    En effet, la mémoire est désormais devenue un levier parmi d'autres afin de gagner une partie de l'opinion publique. Ainsi, donc parmi les conseillers du président, on peut retrouver un « conseiller mémoire » chargé de veiller à l'organisation des grands anniversaires, tels que l'armistice du 11 novembre ou la fête nationale du 14 juillet. Cependant, cette nouvelle direction est critiquée, notamment par des juristes qui considèrent que certaines

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    L'historien Benjamin Stora et Emmanuel
    Macron, lors de la remise du rapport sur la
    colonisation et la guerre d'Algérie

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    lois mémorielles, dont la loi Gayssot, ne contiennent pas de mesures assez précises pour légiférer correctement ; de ce fait, elles n'ont qu'une finalité idéologique 52 (Duclos-Grisier, 2021). Cette transformation des politiques mémorielles incite chaque nouveau président à investir un terrain qui n'a pas déjà été conquis et à y exercer un « devoir de mémoire » toujours plus rigoureux. Le président actuel Emmanuel Macron a par exemple choisi celui de la colonisation, notamment en axant ces efforts sur la Guerre d'Algérie. Ainsi, le 20 janvier 2021, l'historien Benjamin Stora remettait un rapport au président sur « ses conclusions et recommandations sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie » 53. Quelques mois après, le président annoncera qu'un réseau d'archives classifié en rapport avec l'événement sera ouvert. L'accès aux archives est important, c'est la matière nécessaire pour les historiens afin d'éclairer le passé.

    Cependant, si l'on se rattache aux politiques mémorielles, depuis le début des années 2000, on remarque qu'elles sont davantage orientées vers des problématiques identitaires, chaque action mémorielle se faisant pour la

    52 Duclos-Grisier, A. (2021, 3 mai). Lois mémorielles : la loi, la politique et l'Histoire. Vie publique Consulté le 15 février 2024, à l'adresse https ://urlz.fr/ pz2D

    53 Elysée. (2021, 20 janvier). Remise du rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Consulté le 15 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pERC

    54 Préfet du Nord. (s. d.). Cérémonies officielles & protocole. Les Services de L'État Dans le Nord. Consulté le 15 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pzgJ

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    mémoire d'un groupe (les harkis, les juifs, les arméniens, etc.). Le risque étant de provoquer des tensions entre ces différentes mémoires, car si certaines sont valorisées, d'autres restent dans l'ombre. Nous sommes alors face à une situation contre-productive pour la construction de la mémoire collective, dans la mesure où un processus de synthèse est nécessaire pour assurer une transmission intelligible. C'est de cette tension que témoigne le calendrier des commémorations désormais bien rempli. En effet, pour 2024, on compte 17 dates prévues, sans compter les anniversaires des conflits importants 54. Parmi cet agenda chargé, on retrouve 3 dates reliées à la Guerre d'Algérie, le 19 mars, le 25 septembre et le 9 décembre, symptomatiques d'un manque de consensus sur cette mémoire.

    4.2 - Le cas complexe de la Guerre d'Algérie

    Les politiques mémorielles, malgré les avancées qu'elles permettent dans l'éclairage du passé (notamment via la déclassification des archives), peuvent aussi devenir la source de tensions mémorielles. La Guerre d'Algérie est un exemple particulier, car sa commémoration reste encore problématique en France. S'attarder sur cet exemple peut nous permettre de comprendre les causes qui amènent à ce qu'une mémoire ne passe pas. Tout d'abord, la guerre

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    d'Algérie, déjà dans ses racines, contient des ambivalences qui la rendent difficile à commémorer. Ce conflit a en effet impliqué une diversité d'acteurs aux revendications bien différentes. On parle d'ailleurs des mémoires et non pas de la mémoire de la guerre d'Algérie.

    Cette guerre aura ainsi duré 8 ans, officiellement de 1954 à 1962 en Algérie, et opposant principalement l'armée française au FLN (Front de libération nationale) et à sa section armée, l'ALN (Armée de libération nationale). Du côté de l'armée française, on retrouve des soldats avec de l'expérience, ayant déjà combattu en Indochine, mais cultivant un ressentiment après avoir participé à une guerre très impopulaire. Ces « rappelés » arrivent donc en Algérie avec un esprit revanchard, ils ne veulent pas perdre « l'Algérie française ». À leurs côtés, on retrouve les « appelés » des militaires plus jeunes, abandonnant leur travail, leurs familles pour participer à leur première guerre. Ils sont beaucoup plus nombreux que les rappelés, mais seront traumatisés par leur expérience sur le champ de bataille. Parmi eux, l'armée française recrutera aussi des Algériens, majoritairement des paysans, ce sont les « Harkis ». Ces soldats supplétifs rejoindront l'armée française pour des raisons très diverses. Mais ils sont pris dans un entre-deux : d'un côté, ils subissent la méfiance des autres soldats français, et de l'autre, le risque de représailles de leur propre peuple qui les voient comme des traîtres. Enfin, parmi les victimes, on compte aussi les

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    civils. En Algérie, ce sont principalement les « pieds-noirs », des colons européens qui se sont établis en « Algérie française » avant la guerre 55 (Dalisson, 2018).

    Ainsi, les accords d'Évian signés le 18 mars 1962 instaurent un cessez-le-feu en Algérie et la fin officielle de la guerre. Cependant, il n'est pas encore question d'utiliser le mot « guerre », on parle plutôt des « événements » ou des « opérations de maintien de l'ordre », jusqu'en 1999 où une loi est votée pour adopter l'expression « à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc ». Ce manque de clarté transparaît aussi dans le choix des dates de commémorations qui sont encore débattues, témoignant d'un manque de consensus entre les multiples acteurs de cette mémoire. La principale, le 19 mars, est la « journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la Guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » (Duclos-Grisier, 202 ) 56. Cette date acte la fin officielle de la guerre, mais pour certaines communautés telles que les harkis ou les pieds noirs, elle marque aussi le début des violences à

    55 Dalisson, R. (s. d.). L'impossible commémoration de la guerre d'Algérie (De 1962 à nos jours) | Canal U. Dans Canal-U [Rediffusion]. Université de Roue, Rouen, Normandie, France. Consulté le 26 juillet 2023, à l'adresse, https:// urlz.fr/pDrP

    56 Duclos-Grisier, A. (2023, 16 mars). Guerre d'Algérie : quelle célébration du 19 mars 1962 ? Vie Publique. Consulté le 16 février 2024, à l'adresse https://urlz. fr/c87F

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    leur encontre. À l'image du 5 juillet 1962, quelques mois après les accords d'Évian, où des centaines de personnes seront tuées à Oran, la ville la plus européenne d'Algérie, les causes de la fusillade restent encore mal connues tout comme le nombre de victimes exact 57. En plus du 19 mars, le 5 décembre célèbre également l'ensemble des morts pour la France pendant la guerre d'Algérie ainsi que les combats du Maroc et de la Tunisie. La différence étant que cette date est accolée à l'érection d'un mémorial à l'initiative de Jacques Chirac en 2002. La date n'a donc pas de relation directe avec l'histoire des événements et peut se confondre avec celle du 19 mars 58. On note finalement que le 25 septembre est spécifiquement dédié à la mémoire des anciens harkis et autres membres des formations supplétives ayant servi aux côtés de l'armée française.

    Ainsi, chaque commune, chaque association peut décider de commémorer l'une ou l'autre des dates proposées en fonction de son point de vue sur les événements. Ce n'est donc pas pour faciliter la discussion autour de ces mémoires et le problème provient peut-être davantage

    57 Mémoires des hommes. (2022, 4 juillet). Victimes des massacres d'Oran le 5 juillet 1962. Mémoire des Hommes. Consulté le 16 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pzMD

    58 SGA du ministère des Armées. (2022, 12 décembre). [De la mémoire à l'Histoire] Comprendre la Journée nationale d'hommage du 5 décembre [Vidéo]. YouTube. Consulté le 16 février 2024, à l'adresse https://www.youtube.com/ watch?v=CTB6fLSrL1Q

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    d'un manque de pédagogie autour de ces histoires, comme le suggère l'historien Rémi Dalisson : « Il faut sortir des mythes d'une identité française, gauloise qui ne devrait pas changer, surtout à l'ère des migrations comme aujourd'hui [...] Tout ça, ce sont des problèmes mal expliqués, instrumentalisés, comme l'est la guerre d'Algérie et comme l'est la commémoration. » 59 (Dalisson, 2018)

    59 Dalisson, R. (s. d.). L'impossible commémoration de la guerre d'Algérie (De 1962 à nos jours) | Canal U. Dans Canal-U [Rediffusion]. Université de Roue, Rouen, Normandie, France. Consulté le 26 juillet 2023, à l'adresse, https:// urlz.fr/pDrP

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    Nouveau secteur, le tourisme de mémoire

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    5.1 - Le tourisme de mémoire pré & post covid

    L'intérêt pour la mémoire ne se joue pas simplement qu'au niveau politique, mais également aux échelles individuelles. On remarque ainsi un intérêt croissant pour la visite de lieux de mémoire. Dès lors, on s'intéresse à ce qu'on définit aujourd'hui comme le « tourisme de mémoire ». Cette pratique n'est pas exclusivement basée sur la visite de lieux historiques où s'est déroulé une bataille ou un massacre, elle peut aussi se faire dans des mémoriaux ou des musées qui sont délocalisés de l'événement qu'ils commémorent. Les dimensions mémorielles et historiques sont ainsi mélangées dépendamment de la nature du lieu.

    Afin de mieux définir ce terme, il peut-être judicieux de comprendre qui sont les visiteurs pratiquant ce type de tourisme ? Dans un premier temps, certaines personnes visitent ces lieux, car elles entretiennent un rapport personnel avec lui ou parce que leurs descendants ont eu un rapport avec l'événement. D'autre part, cela peut aussi concerner les personnes motivées par une démarche scientifique ou pédagogique, à l'image des visites scolaires 60 (Crahay, 2015). Ainsi, en 2019, on compte 1,3 millions de scolaires parmi les 15,2 millions d'entrées enregistrées

    60 Crahay, F. (2015). Tourisme mémoriel. Témoigner Entre Histoire et Mémoire, 117, 151-152. Consulté le 17 février 2024, à l'adresse https://journals. openedition.org/temoigner/1215

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    dans les lieux de mémoire des conflits contemporains 61. Ce chiffre record sera cependant suivi par une chute des fréquentations en 2020 à cause de la pandémie de la COVID-19, avec seulement 3,8 millions d'entrées enregistrées 62. Ce changement brutal a forcé les institutions mémorielles à faire évoluer leurs propositions en fonction des nouvelles contraintes et des nouvelles attentes induites par la pandémie. En effet, les confinements à répétition, le port du masque, les distanciations, sont autant de contraintes qui ne vont pas avec la pratique plus globale du tourisme.

    Cette période a cependant pu nous inciter à mieux connaître des lieux d'intérêt proches de chez nous, plutôt qu'à chercher le dépaysement à des centaines de kilomètres. Cette pratique d'un tourisme plus local et plus durable, le « slow tourism » pourrait ainsi remettre en cause une forme de consommation frénétique sur des lieux touristiques bondés 63 (Briant et al., 2020). Concernant les

    61 Wyckaert, M., & Mansueto, A. (2020). 15,2 millions d'entrées dans les lieux de mémoires des conflits contemporains en France en 2019. Dans Ecodef. Consulté le 14 septembre 2023, à l'adresse https://urlz.fr/pAkc

    62 OED. (2021). Chute de la fréquentation des lieux de mémoire des conflits contemporains en 2020. Dans Ecodef. Consulté le 14 septembre 2023, à l'adresse https://urlz.fr/pAkc

    63 Briant, E., Bechet, M., Machemehl, C., & Suchet, A. (2020). Utopies d'un tourisme en renouvellement. Teoros, 39(3). consulté le 17 février 2024, à l'adresse http://journals.openedition.org/teoros/7312

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    lieux de mémoire, cela signifie entre autres un ajustement des dispositifs numériques afin d'assurer une médiation qui soit adaptée à ces nouveaux enjeux. À partir des années 80, avec l'arrivée progressive d'un « devoir de mémoire » collectif, le numérique avait déjà sa place dans certains lieux afin d'appuyer une médiation centrée sur l'immersion et l'anticipation de la disparition des témoins. Comme dans le cinéma circulaire « Arromanches 360 », situé à proximité des plages du débarquement en Normandie ; construit en 1994, il propose d'être littéralement entouré d'images et de vidéos d'archives, proposant ainsi une expérience immersive dans ce passé tragique. Il sera par la suite rattaché au site du mémorial de Caen en 2012.Désormais, il propose des projections de films thématiques afin de compléter la visite du mémorial, garantissant, en plus d'un apport pédagogique, une expérience émotionnelle forte : « Des débarquements sur les 5 plages de la Manche et du Calvados au tragique bombardement du Havre le 12 septembre, la bataille de Normandie a duré 100 jours. Vivez 20 minutes d'une pure intensité historique ! » 64. En effet, en plus d'une évolution probable vers une forme de tourisme plus locale, comme avec des parcours thématiques et des visites plus autonomes, il y a aussi une volonté de la part des visiteurs de vivre une expérience émotionnelle forte.

    64 Arromanches 360. (2024, 17 janvier). Le cinéma 360° - Arromanches 360. Consulté le 17 juillet 2023, à l'adresse https://www.arromanches360.fr/le-lieu/ le-cinema-360/

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    Vue de l'intérieur du cinéma circulaire
    Arromanche 360 en Normandie (c)

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    C'est pourquoi l'amélioration des technologies présentes dans nos smartphones et l'augmentation de leur puissance (géolocalisation, réalité augmentée, gyroscope, etc.) permet aux musées de renouveler leurs médiations. L'entreprise Baludik propose par exemple depuis 2015 un outil à destination notamment des offices de tourisme afin de promouvoir le patrimoine historique et les événements d'une ville 65. L'outil a déjà été utilisé par la ville de Nantes afin de créer des parcours thématiques permettant de découvrir l'histoire de la traite négrière ou encore celle du cimetière de la Chauvinière (en partenariat avec l'Office national des anciens combattants) par exemple. Ces différents parcours rendent ainsi le visiteur complètement autonome, le responsabilisant également dans la préservation du patrimoine ainsi que sur la transmission et la construction de la mémoire collective. D'autant que les derniers chiffres donnés sur la fréquentation des lieux de mémoire des conflits contemporains sont largement en hausse depuis la pandémie, avec, en 2022, 11,4 millions d'entrées enregistrées. 66

    65 Le concept - Baludik. (2023, 17 octobre). Baludik. Consulté le 13 novembre 2023, à l'adresse https://baludik.fr/concept/

    66 Prené, L. (2023). Avec la fin des restrictions sanitaires, la fréquentation des lieux de mémoires des conflits contemporains bondit en 2022. Dans Ecodef. Consulté le 15 janvier 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pAkc

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    5.2 - De l'expérience transmise à l'expérience vécue

    Le tourisme de mémoire constitue désormais un nouvel enjeu important dans la construction de la mémoire collective, en accompagnant les politiques mémorielles et en s'appuyant sur les avancées du numérique. Cependant, dans la définition du concept, nous avons oublié une catégorie particulière de touristes et probablement la plus nombreuse. En plus de ceux ayant une relation personnelle avec le lieu et de ceux qui le visitent pour des raisons scientifiques et/ou pédagogiques, il y a également des personnes qui le visitent par simple attrait culturel ou touristique. De fait, tandis que les intentions des deux premières catégories sont assez explicites, pour cette dernière, nous sommes en droit de mieux comprendre leurs intentions réelles ? S'agit-il d'une attirance malsaine pour les lieux où se sont déroulés des drames humains ? Est-ce un phénomène récent qui pourrait témoigner d'un changement global dans les pratiques commémoratives ? Ces multiples questions peuvent être reliées au concept de « tourisme noir » défini comme suit par ses théoriciens : « le phénomène qui englobe la présentation et la consommation (par les visiteurs) de sites liés à la mort et aux catastrophes réels et commercialisés ». 67 (Lennon & Foley, 2000).

    67 Lennon, J., & Foley, M. (2000). Dark tourism the attraction of death and disaster [Internet archives]. London ; New York : Continuum. Consulté le 14 février 2023, à l'adresse https://archive.org/details/darktourism0000lenn

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    Ambassadeur de l'entreprise « Chernobyl
    Story Tours » (c) proposant des visites du
    site de la catastrophe nuéclaire.

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    Ce terme, depuis sa création, a été enrichi de nouvelles pratiques qui constitueraient une forme de tourisme noir. Pour les plus récentes, on retrouve par exemple le tourisme apocalyptique ou de la dernière chance, qui consiste à visiter des écosystèmes amenés à disparaître, en raison du réchauffement climatique par exemple. Paradoxalement, si cette forme de tourisme est pratiquée de manière excessive, elle participe aussi à l'accélération de la disparition de ces écosystèmes. 68 (Eijgelaar et al., 2010). Ainsi, ces nouvelles formes de tourisme cohabitent avec d'autres dont le contexte est bien différent, comme la visite de lieux où se sont déroulés des génocides, à l'image du camp d'Auschwitz-Birkenau. Sous ce concept large de « tourisme noir », on retrouve ainsi des sous-pratiques dont les intentions touristiques sont très différentes. Cependant, les recherches successives sur ce concept s'axent principalement sur deux principes : la mise en marché des lieux de souffrance ainsi que les motivations des touristes. 69 (Baillargeon, 2016). Même si l'exploration du contexte et des conséquences économiques de cette pratique peuvent nous éclairer sur

    68 Eijgelaar, E., Thaper, C., & Peeters, P. (2010). Antarctic cruise tourism : the paradoxes of ambassadorship, «last chance tourism» and greenhouse gas emissions. Journal Of Sustainable Tourism, 18(3), 337-354. Consulté le 17 février 2023, à l'adresse https://doi.org/10.1080/09669581003653534

    69 Baillargeon, T. (2016). Le tourisme noir : l'étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde. Teoros, 35. consulté le 18 février 2024, à l'adresse http://journals. openedition.org/teoros/2839

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    les bienfaits et les dommages causés aux environnements et aux personnes des lieux visités, ce n'est pas le point que nous allons aborder par la suite.

    Ce qui va nous intéresser, c'est bien de comprendre les motivations des personnes visitant des lieux de mémoire où se sont déroulés des drames humains. J'entends donc ici des lieux comme le camp d'Auschwitz-Birkenau, l'ancien village d'Oradour-sur-Glane ou encore les champs de bataille à Verdun. Ainsi, j'ai pu mener une série d'interviews sur certains lieux de mémoire nantais afin de mieux comprendre les intentions des passants et des visiteurs qui approchaient ces lieux. Dans un premier temps, on remarque que la notion de respect revient très souvent lorsqu'il leur est demandé l'attitude à adopter dans ce type de lieu. « Ici, je pense qu'il faut rester assez sérieux, sinon ça reviendra à aller dans des camps de concentration et à faire des blagues sur les juifs ! » « Faut être respectueux, pas parler trop fort, on respecte l'endroit, on ne va pas aller faire des graffitis » 70. Ces derniers extraits proviennent de jeunes réalisant un voyage à Nantes dans le cadre du SNU (Service national universel) et la notion de respect est clairement identifiée, notamment vis-à-vis du lieu. D'autres interventions de personnes plus âgées permettent de comprendre que l'attitude adoptée peut faire écho à des

    70 D'après une série de 6 interviews de visiteurs aléatoires au mémorial de l'abolition de l'esclavage à Nantes l'après midi du 21/06/2023

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    conflits contemporains, tels que la guerre en Ukraine : « Il faut avoir du respect, même par rapport à ce qu'il s'est passé, on est un peu triste, ça gêne un peu quand on sait ce qu'il s'est passé, il ne faudrait pas que ça se reproduise, mais bon, ce n'est pas qu'une illusion quand on voit la guerre en Ukraine. » 71 Enfin, certaines remarques attestent d'une ambivalence dans les émotions à l'approche de ces lieux, ainsi qu'une difficulté à bien les qualifier : « C'est dur à décrire comme émotion, mais c'est un peu mélangé entre les émotions tristes et de la reconnaissance », (traduit de l'anglais) « C'est assez triste de voir tous ses noms, il y en a tellement, ce sont tous des gens décédés et c'est triste, c'est un sentiment étrange » 72. Bien qu'ici, nous parlions de visiteurs qui se sont arrêtés par hasard ou s'apprêtaient à passer à côté des mémoriaux sans les remarquer. Leurs intentions de « visites » ne sont donc pas les mêmes que pour les visiteurs des lieux de mémoire qui sont directement implantés sur les événements passés. Tels que des champs de bataille ou des camps d'extermination.

    Cependant, ces lieux dégagent tous une ambiance particulière commune au regard du but de leur préservation

    71 D'après une série de 6 interviews de visiteurs aléatoires au mémorial de l'abolition de l'esclavage à Nantes l'après midi du 21/06/2023

    72 D'après séries de 7 interviews de visiteurs aléatoires au monument aux morts de la guerre 14-18 à Nantes près du quai Ceineray, l'après midi du 26/09/23

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    dans le temps et de la typologie d'événements auxquels ils sont rattachés. Ainsi, nous pourrions tenter d'expliquer ce « sentiment étrange » et comprendre en quoi il peut être la cause des visites sur ces lieux. Selon le point de vue psychologique, nous sommes conditionnés à l'équilibre entre nos pulsions et les limites de la réalité. D'après cette approche, la limite du droit joue un rôle crucial dans la société en nous aidant à contrôler ces pulsions et à nous conformer aux normes collectives. Cela nous apaise et nous pousse à respecter certaines limites pour le bien de tous. Cependant, cet équilibre est fragile, surtout lorsque la justice ne semble pas fiable ou lorsque des individus sont injustement traités. Dans de telles situations, enfreindre la loi peut devenir tentant, révélant un état émotionnel complexe. Le fait de violer les règles fait ressurgir un désir refoulé de satisfaction personnelle, ce qui suscite à la fois de l'amertume pour la transgression et une prise de conscience de nos impulsions profondes.

    « De ce point de vue, visiter un champ de bataille ou un camp d'extermination mettrait les touristes en contact avec leur propre destructivité, la composante animale qui se trouve en chacun. Ils ne cherchent pas seulement le point de vue de la victime, mais aussi celui de l'auteur de violence. L'exploration des endroits sombres permettrait donc de savoir ce qui se passe lorsque le principe de réalité est brisé et que le principe de plaisir se manifeste dans sa forme la plus extrême et obscure, lorsqu'une rupture dans

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    les règles se produit. » 73 (Binik. O, 2016).

    Ainsi, en surface, cette quête d'émotion « voyeuriste » lorsque le « tourisme de mémoire » est perçu de manière négative permet en fait, dans une forme de catharsis, de se mettre à la place de l'auteur des crimes et de dépasser la fameuse « limite », de manière fictive. De cette manière, cette approche émotionnelle permet de s'approprier le point de vue de l'auteur de ces crimes et de mieux comprendre ses intentions, dans une quête de sens et non dans une quête de sensationnalisme. Dans ce cadre, le très récent film de Jonathan Glazer La zone d'intérêt, sorti en 2023 et adapté du roman du même titre du romancier britannique Martin Amis, peut nous donner de nouvelles clés de compréhension. Le film nous raconte l'histoire du commandant Rudolf Hoss, alors responsable de la « gestion » du camp d'Auschwitz, et de sa famille, dans leur villa située juste à côté du camp. En adoptant ainsi le point de vue de l'auteur des crimes, cela nous permet de comprendre le sens derrière les agissements inhumains des Nazis. Le film nous montre ainsi que ces exécutants ne font partie que d'une plus grande machine ne considérant les Juifs que comme du Menschenmaterial, soit du « matériau humain ». Les nazis n'agissent alors qu'avec une attitude

    73 Binik, O. (2016). Dans les terres sauvages à la recherche du sublime. La dimension émotionnelle du tourisme sombre. Teoros, 35. http://journals. openedition.org/teoros/2844

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    dite sachlich, que l'on pourrait qualifier par le fait d'être « objectif, professionnel, froid et réifiant, c'est-à-dire de transformer les gens en choses » 74 (Baralon. M, 2024). De ce point de vue, le film dresse également des constats qui peuvent être comparés à des problématiques de notre présent, dont la question du darwinisme social, comme quoi la vie est un combat et que seuls les plus forts peuvent réussir à subsister via la figure de Rudolf Hoss, homme froid, seulement préoccupé par les chiffres et sa propre réussite plus que par les vies humaines qu'il sacrifie.

    Ainsi, ce renouvellement dans les pratiques touristiques sur les lieux de mémoire témoigne d'une certaine volonté de réappropriation mémorielle. D'autant que depuis la Première Guerre mondiale, les conflits contemporains ont connu une résonance internationale qui s'est encore élargie avec les mémoires de la Shoah. Depuis les années 90, une forme d'hypermnésie se met en place, et chaque événement du passé, aussi éloigné soit-il, ne doit pas être oublié pour ne pas être commis une deuxième fois, à l'image des mémoires de l'esclavage. Nous sommes là dans une manifestation claire du « présentisme », où les frontières entre passé et présent deviennent floues, rendant les contemporains responsables de toutes les mémoires de

    74 Baralon, M. (2024, janvier 29). Johann Chapoutot : « Ce film est à la pointe de ce qui se fait en sciences humaines sur la Shoah » . Trois Couleurs. Consulté le 18 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pACh

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    leurs ancêtres 75 (Rousso, 2007). Cependant, comme nous l'avons vu précédemment, ce « devoir de mémoire » ne favorise pas pour autant une réappropriation saine. Cette réappropriation croissante peut-être également entravée par les lieux de mémoires en eux-mêmes et par leurs règles morales de bonne conduite. On parle alors ici des « usages primaires » 76 (Aucher, 2018) afin de qualifier les comportements qui sont considérés comme étant adaptés au lieu : attitudes silencieuses, contemplatives, etc. Dans un second temps, les « usages secondaires » qualifient les comportements que l'on pourrait qualifier de touristiques. C'est-à-dire, comme nous l'avons évoqué précédemment, utiliser le monument au regard de son utilité pratique ou encore l'utiliser comme un espace de jeu. Dans les cas extrêmes, que je n'ai pas observés, il peut également s'agir d'actes irrespectueux, voire antisémites.

    Cependant comme le précise Brigitte Sion, experte dans les domaine des musée et de mémoriaux : « La présence d'objets associés au deuil et au souvenir, ainsi que la posture sombre et silencieuse de ces visiteurs identifient le champ des stèles comme mémorial.

    75 Rousso, H. (2007). Vers une mondialisation de la mémoire. Vingtième Siècle. Revue d'histoire. 94.3-10, consulté le 26 juin 2023, à l'adresse, https:// doi.org/10.3917/ving.094.0003

    76 Aucher. L, (2018).«Devant le mémorial, derrière le paradoxe», Géographie et cultures, 105, 11-30. consulté le 26 juin 2023, à l'adresse, https://journals. openedition.org/gc/6351

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    Cependant, les traces matérielles sont rapidement enlevées par le personnel d'intendance, comme si les stèles devaient être admirées comme oeuvres d'art et non servir de lieu de mémoire 77 (Sion, 2013). Ainsi les usages primaires imposés par les lieux de mémoires peuvent empêcher une forme de réappropriation individuelle au nom d'une morale considéré comme appropriée. Cependant, nous avons aussi vu que le renouvellement des pratiques commémoratives s'accélère et que les cadres moraux proposés par les institutions mémorielles pourraient bientôt devenir insuffisants. En témoignent les actes déplacés qui continuent de se propager sur certains lieux de mémoire assez touristiques, notamment le fameux « selfie » 78.

    77 Sion Brigitte, 2013, « Le Mémorial de la Shoah à Berlin : échec et succès », in Denis Peschanski (dir.), Mémoire et mémorialisation, vol. 1, Paris, Hermann, p. 279-293.

    78 Le Parisien. (2023, 17 avril). Selfies : le mémorial d'Auschwitz rappelle à l'ordre ses visiteurs tentés de prendre la pose. Le Parisien. Consulté le 18 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pALH

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    LES MUTATIONS DE LA MÉMOIRE

    Conclusion

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    Au long de cette seconde partie, nous avons observé que les témoins de l'histoire disparaissent et qu'ils laissent derrière eux des traces de leur passé (archives, monuments) qui, sans eux, sont plus difficiles à comprendre avec nos yeux de contemporains. Cela doit nous rappeler qu'en plus de préserver notre passé, nous devons aussi nous assurer de laisser des traces compréhensibles de notre présent. Car qui nous dit que nos lieux de mémoire liés par exemple au terrorisme seront toujours compris dans 40 ans ? Ainsi, depuis les années 90 et la résurgence des mémoires de la Shoah, nous assistons à de profonds changements dans nos pratiques commémoratives. Pour comprendre le passé, l'histoire simplement transmise ne suffit plus. Il s'agit désormais de vivre une expérience émotionnellement forte, de s'immerger dans le passé pour mieux le comprendre et se le réapproprier. Cependant, cette réappropriation peut être entravée par des politiques mémorielles dont la gestion du passé n'est pas centrée sur la recherche de sens, mais par des problématiques identitaires et idéologiques. Ce sont également les lieux de mémoire et leur gestion morale qui sont mis à l'épreuve par les nouveaux comportements des touristes qu'il faut pouvoir réguler sans aller à l'encontre de leurs libertés individuelles.

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    PENSER LA MÉMOIRE AUTREMENT

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    « Mon métier, par définition, c'est de faire des
    objets inertes. Néanmoins, je les dessine pour qu'il
    se crée une forme d'attraction, une énergie invisible
    entre ce que j'ai produit et une personne qui va la
    voir ou la posséder. »
    (Lehanneur. M, 2023)

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    Réveiller le monument

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    6.1 Le monument, une relation tactile

    « Découvrir et faire vivre un monument aux morts, cela suscite immanquablement un ressenti. [...] Certains pourraient imaginer faire toucher du doigt ou même caresser de la paume la froideur du matériau pour accéder à une sensation physique. » 79 (David, 2013) Le monument est avant toute chose un objet tangible, et s'il s'invisibilise progressivement, c'est aussi peut-être parce que nous avons oublié son côté sensible. C'est pourquoi, au long des interviews que j'ai pu mener sur le mémorial de la Première Guerre mondiale à Nantes, j'ai aussi proposé aux personnes interrogées de toucher de la matière amenée pour l'occasion (contreplaqué, morceaux de tissus) et de la comparer au béton du monument. L'objectif étant de comprendre, selon l'opinion des passants, pourquoi la pierre serait une matière plus justifiée que du bois ou du tissu dans la construction d'un monument.

    La majorité des réponses obtenues s'accordent sur la forme et la matière de celui-ci, qui lui permet de résister à l'épreuve du temps et de devenir un marqueur pérenne du passé : « La matière que vous proposez, c'est un peu un manque de respect envers le monument, les morts sont

    79 David, F. (2013). Comprendre le monument aux morts [OpenEditionBooks]. Codex. consulté le 10 septembre 2023, à l'adresse https://doi.org/10.4000/books. codex.967

    100

    assimilés à la pierre, ça renvoie au travail nécessaire et à la souffrance pour en arriver là, au travail du tailleur de pierre », « le bois, ça peut-être une planche de n'importe quoi, ça a pu être coupé il y a deux semaines, alors que ça (la pierre), ça fait partie de notre histoire en fait, y a plus d'émotion là dedans, y a plus de vécue » 80. Ainsi, on note l'importance accordée par les visiteurs aux caractéristiques du matériau du monument. En partant d'un simple contact tactile avec la pierre, il est ensuite facile de déduire des valeurs symboliques, « travail du tailleur de pierre », « souffrance », « sacrifice » et de dériver vers un récit historique lié au monument.

    Cette forme de pédagogie in situ est ainsi déjà éprouvée par les voyages scolaires qui représentent une part non négligeable de la fréquentation des lieux de mémoires en France, avec 546 000 entrées recensées en 2022 81. En effet, les neurosciences ont démontré que les stimulus émotionnels pouvaient dans certaines conditions améliorer la qualité de l'apprentissage. Les influences des émotions sur l'apprentissage et la mémoire peuvent être expliquées en termes de composantes attentionnelles

    80 D'après une série de 7 interviews menés au monument en hommage aux morts nantais de la première guerre mondiale à Nantes l'après midi du 21/06/2023

    81 Prené, L. (2023). Avec la fin des restrictions sanitaires, la fréquentation des lieux de mémoires des conflits contemporains bondit en 2022. Dans Ecodef. Consulté le 15 janvier 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pAkc

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    et motivationnelles. Les composantes attentionnelles améliorent le traitement perceptif, c'est à dire le traitement des stimulus provenant de notre environnement à travers nos sens (la vue, l'ouïe, le toucher, le goût et l'odorat) et aident à sélectionner et à organiser l'information pertinente. Tandis que les composantes motivationnelles induisent la curiosité, encourageant ainsi l'exploration et préparant le cerveau à apprendre et à se souvenir 82 (Tyng et al., 2017).

    Pour aller plus loin, la sculptrice et peintre Quitterie Ithurbide (malheureusement décédée en 2020) a réalisé des sculptures en bas-relief de peintures célèbres, afin notamment de rendre accessibles ces peintures aux personnes malvoyantes 83 (Ithurbide. Q, 2018). Ces sculptures sont faites en céramique et permettent également aux personnes capables visuellement d'apprécier les tableaux en ayant enfin la possibilité de toucher une version alternative. Également, afin d'aider à la compréhension des lumières dans le tableau, l'artiste a fait l'usage de différents émaux afin de retranscrire tactilement les zones d'ombres et les zones éclairées. Ici, la dimension tactile permet de donner des clés de compréhension supplémentaires dans

    82 Tyng, C. M., Amin, H. U., Saad, M. N. M., & Malik, A. S. (2017). The Influences of Emotion on Learning and Memory. Frontiers In Psychology, 8. consulté le 19 février 2024, à l'adresse https://doi.org/10.3389/fpsyg.2017.01454

    83 Quitterie Ithurbide. (2018, 30 octobre). express Quitterie Ithurbide DEF 4mb s [Vidéo]. YouTube. Consulté le 17 octobre 2023, à l'adresse https://www. youtube.com/watch?v=Uo_AkyCZQKY

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    la lecture d'une oeuvre picturale qu'on ne peut pas toucher. Les sens se complètent et viennent renforcer une certaine immersion, à l'image de ce que l'on peut ressentir si l'on prend le temps de visiter un mémorial physique.

    6.2 Rendre le monument vivant

    Par nature, s'il est entretenu, un monument est vivant. Un simple regard, une visite, des cérémonies sont autant de moyens pour lui permettre de rester en vie. Il existe pourtant des initiatives bien plus littérales qui viennent questionner la place du monument, pour le faire passer d'un lieu pour les morts à un lieu pour les vivants.

    Ainsi, le 13 juillet 1996 marquera la fin de la restauration du monument délabré de la commune française de Biron, érigé en 1921. À la demande de la commission du ministère de la Culture de l'époque, l'artiste allemand Jochen Gerz sera garant de cette restauration afin de créer un monument vivant. Ainsi, chaque nouvel habitant de la commune, lorsqu'il atteint la majorité, est invité à répondre à une question gardée secrète. Chacune des réponses est ensuite gravée sur une plaque et accrochée au monument 84. Dans un autre registre, des mémoriaux vivant en ligne

    84 Gerz, J. (s. d.). Le monument vivant de Biron. Jochen Gerz. Consulté le 19 février 2024, à l'adresse https://jochengerz.eu/works/le-monument-vivant-de-biron

    85 Vimy : Mémorial vivant. (2022, 9 avril). Consulté le 19 novembre 2023, à l'adresse https://livingmemorialvivant.ca/

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    font également leur apparition. Par exemple, le mémorial de Vimy au Canada, commémorant les Canadiens morts en France pendant la Première Guerre mondiale, possède également une déclinaison numérique permettant de réaliser un « pèlerinage numérique » 85. Cette expérience se présente sous la forme d'un site web, sur lequel il est possible de découvrir des témoignages de vétérans de plusieurs conflits différents (Seconde guerre mondiale, Guerre de Corée, Afghanistan...). Ainsi, le mémorial est susceptible d'évoluer dans le temps si d'autres conflits sont à venir, car le site Web offre également la possibilité d'ajouter son propre témoignage afin d'enrichir la collection déjà existante. De plus, l'expérience se veut immersive et sensible, au moyen de visuels et d'effets sonores travaillés.

    La création de ces mémoriaux vivants va de pair avec les formes de réappropriation mémorielles que nous avons vues précédemment. Ils permettent de consigner les nouveaux événements du présent avec des outils que nous connaissons (témoignages vidéo, par exemple) en s'ajoutant à un corpus d'archives appartenant au passé. C'est ainsi un moyen de créer un lien entre le passé et le futur, en entretenant notre mémoire au présent. Les enjeux qui se jouent ici sont importants, car si l'on parle ici de réappropriation mémorielle à l'échelle internationale, on

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    constate un accroissement des mouvements sociaux. Ces derniers sont perçus comme une réponse à l'inégalité, à l'injustice et à l'incapacité perçue des gouvernements à agir dans des domaines tels que la fiscalité, l'économie, la santé et l'environnement. Ces mouvements ne sont pas simplement réactifs, mais expriment également un désir chez les acteurs sociaux de reprendre le contrôle de leur destin collectif. Ces mouvements remettent en question le modèle traditionnel de représentation politique et aspirent à une forme de « démocratie réelle » basée sur des interactions horizontales, l'autonomie, la collaboration et le partage des compétences 86 (Forero Mendoza et al., 2023).

    Ainsi, ces dernières années ont vu apparaître de nouveaux mouvements de contestations internationales, à l'image des révolutions du printemps arabe à partir de 2010. En effet, après plusieurs décennies à subir les conséquences de régimes autoritaires et gouvernés par une seule partie, les revendications des protestataires pouvaient se résumer en une seule affirmation : une recherche de dignité. D'une part par la reconnaissance d'une forme de citoyenneté fondée sur les libertés politiques, d'autre part par une amélioration de la situation sociale alors

    86 Forero Mendoza, S., Hohlfeldt, M., & Peyraga, P. (2023). L'art en partage citoyen : introduction [Hal open science]. Dans L'art en partage citoyen (p. 9-24). Orbis Tertius. https://hal.science/hal-04293401

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    profondément inégale 87. Un peu plus récemment, et dans un autre registre, c'est le mouvement américain March for our lives qui s'est créé en 2018 en réaction aux multiples fusillades dans le pays et demandant un contrôle accru des armes à feu. Depuis, le mouvement s'est propagé à l'international et a encouragé certaines actions politiques en faveur d'une meilleure législation des armes à feu 88.

    Enfin, si l'on se rattache au cas du monument vivant, il existe aussi des initiatives qui ont pris une dimension citoyenne, en faisant de la mémoire un enjeu qui dépasse les frontières nationales. C'est par exemple le cas pour le projet Stolpersteine que l'on pourrait traduire par « pierre trébuchante » 89, officialisé en 2015. À l'origine de ce projet, l'artiste allemand Gunter Demnig, créa des pavés en béton couverts d'une plaque de laiton en mémoire des victimes de la Shoah. Les pavés sont indicatifs et placés aux derniers endroits de vies des personnes disparues. À ce jour, 90 000 Stolpersteine ont été installés, d'après les derniers chiffres de 2022, dans une vingtaine de pays dont la France (seule la ville de Paris refuse encore leurs

    87 Chagnollaud, J. (2020, 24 février). Aux origines des printemps arabes. Vie Publique. Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pBNo

    88 March for our Lives. (2018). Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https:// marchforourlives.org/

    89 Stolpersteine. (s. d.). Consulté le 10 février 2024, à l'adresse https://www. stolpersteine.eu/en

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    L'artiste Gunter Demnig à l'oeuvre (c)

    107

    installations), la Russie ou encore l'Irlande. De plus, le site web du projet permet de rendre autonomes les personnes souhaitant faire les démarches afin d'installer ces pavés commémoratifs, sachant qu'il s'agit encore d'un projet indépendant. Malgré le fait que le projet et ses contraintes morales restent contrôlées par l'artiste qui l'a initié, la démarche fait sens pour les acteurs qui souhaitent faire installer des pavés dans leur village ou dans leurs villes. Ainsi, ce type de démarche permet d'ouvrir le débat sur les solutions possibles aux nouveaux enjeux de réappropriation des lieux de mémoire et de la mémoire en général.

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    Le point de vue du designer

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    7.1 - Le designer, un acteur social

    Selon Alain Findeli, théoricien du design : « La fin ou le but du design est d'améliorer ou au moins de maintenir l'habitabilité du monde dans toutes ses dimensions. » Cette citation démontre que le design n'est pas simplement une performance technique ou esthétique, c'est une discipline résolument centrée sur des problématiques d'usage qui définissent ensuite les deux premières dimensions. On parle même aujourd'hui de « design social » afin de qualifier des méthodes et des actions concrètes pour résoudre des problèmes du quotidien à l'échelle des citoyen.ne.s d'aujourd'hui. Au regard du phénomène d'augmentation des mouvements sociaux que nous avons vu précédemment, on peut même se demander s'il y a encore besoin de designer aujourd'hui ? Si nous ne sommes pas de trop et que les gens peuvent en fait se débrouiller sans nous ?

    Si l'on devait répondre de suite à cette menace d'extinction, on pourrait essayer de comprendre en quoi les outils et les méthodes utilisés par les designers peuvent accompagner les démarches sociales et faciliter l'émancipation des citoyens.ne.s. Il faut de fait s'intéresser à la « pensée design » ou au « design thinking », qualifiant un ensemble de règles de créations qui partent de problématiques d'usages pour finir par la création d'un produit ou d'un service qui essaye d'y répondre au mieux. Parmi les caractéristiques de cette méthodologie, plusieurs

    90 Findeli, A. (2015). Le design social. The Complete Works Of Alain Findeli. Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pCrr

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    décrivent le rôle que le designer peut jouer en collaboration avec d'autres acteurs sociaux (associations, municipalités etc.) ou d'autres professions (ingénieur, architecte, analyste etc.) afin d'améliorer « l'habitabilité du monde ». Dans un premier temps, les designers « pensent le monde de façon finalisée ». 90 (Findeli, 2015), c'est-à-dire qu'ils réfléchissent dans une logique de projet, avec une phase de conception et une phase de réception. Cela signifie qu'ils mettent leur image de designer, leur image de « marque » en jeu d'une certaine manière, car ils s'engagent à respecter un certain nombre de valeurs qui déterminent leur crédibilité. Il peut s'agir de préserver l'environnement en utilisant des matériaux recyclés ou encore de collaborer avec des partenaires qui assurent une provenance locale de leurs matières premières. Ces valeurs n'ont aucun intérêt à devenir des promesses, car les designers imaginent des solutions pour le présent et donc prennent aussi en compte les problématiques du présent. Mais surtout, ils ne créent pas des besoins, ils y répondent. Ainsi, ils possèdent aussi une « expertise d'usage » qu'ils intègrent directement dans leurs outils de conception. Avant qu'un objet ou un service soit enfin livré, il est modifié à multiples reprises en fonction des critiques des usagers à son égard. Cette dimension permet de garder à l'esprit ce qui est purement « nécessaire » dans la solution produite et donc de s'arrêter

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    quand elle devient assez satisfaisante pour répondre au problème posé à l'origine. Ceci permettant un gain de temps et une projection facile du produit fini, faisant du designer un partenaire idéal pour les acteurs sociaux soucieux de provoquer une amélioration de leurs conditions. À ce titre, l'agence de design parisienne « Vraiment vraiment » 91, crée des projets afin de « défendre l'intérêt général », cela passe par des ateliers afin d'imaginer un futur plus soutenable avec la participation de citoyen.ne.s et d'élu.e.s. Ou encore la création de « fournitures publiques libres », des objets publics qui se veulent inclusifs et faciles à entretenir dans le temps.

    7.2 - Le designer, un acteur sensible

    « Mon métier, par définition, c'est de faire des objets inertes. Néanmoins, je les dessine pour qu'il se crée une forme d'attraction, une énergie invisible entre ce que j'ai produit et une personne qui va la voir ou la posséder. » 92 Mathieu Lehanneur est le designer qui se cache derrière le design de la future flamme olympique. Dans son travail, la nature et l'instinct ont une place prépondérante. Chacune

    91 Vraiment Vraiment - Design d'intérêt général. (2023, 6 décembre). Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https://vraimentvraiment.com/

    92 Maison & Objet. (2023, 21 décembre). Mathieu Lehanneur - Masterclass Maison&Objet [Vidéo] YouTube. Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https :// www.youtube.com/watch ?v=x9-4N-v7z2I

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    de ses créations espère pouvoir éveiller l'instinct primaire qui réside en chacun de nous, celui que chaque être humain possède indifféremment de son ethnie ou de sa religion. De cette manière, ses objets dans leurs formes s'inscrivent dans une démarche biomimétique, c'est-à-dire « qui imite la nature », à l'image de ses tables « Ocean Memories » sculptées dans un bloc de marbre et imitant les remous de l'eau au repos.

    Cette démarche rappelle ce que peuvent ressentir certaines personnes lors de la visite d'un mémorial, un sentiment étrange ou de malaise, comme si le monument dégageait une sorte d'aura. Cette dimension a d'ailleurs été relevée par une personne que j'ai interrogée sur le mémorial de l'abolition de l'esclavage à Nantes : « La mémoire, c'est aussi ça, faire parler les fantômes d'une certaine manière, il y a une dimension spectrale qui peut-être convoquée, quelque part, quand on consacre un lieu, il y a quelque chose de magique aussi. » 93 Après avoir discuté avec la personne par la suite, j'ai appris qu'elle était également artiste et anthropologue, ce qui peut expliquer ce point de vue inhabituel, du moins dans le cadre de mes interviews.

    Cette dimension sensorielle se retrouve aussi aux balbutiements de l'Histoire du design. En effet, au début

    93 D'après une série de 6 interviews menés au mémorial de l'abolition de l'esclavage à Nantes l'après midi du 21/06/2023

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    Une table de la collection « Ocean Memories» du
    designer Mathieu Lehanneur (c)

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    du XXe siècle est théorisée la Gesfalt 94 (Levanier. J, 2021) par des psychologues allemands, permettant de comprendre la manière dont les formes sont traitées et comprises par notre cerveau, sans pour autant l'affirmer comme une science exacte. Cette théorie sera par la suite reprise et diffusée dans les années 1930 par des artistes et des designers comme Walter Gropius ou Vassily Kandinsky. Elle est notamment très parlante pour la pratique du design graphique, car la maîtrise des codes de la hiérarchie ou de la complémentarité entre les formes permet de renforcer le sens d'une image. Depuis, les technologies ont évoluées et l'apport du numérique en la matière permet aujourd'hui d'imaginer des expériences multisensorielles, même si la majorité n'utilise surtout que l'ouïe et la vue, à l'image des casques de réalité virtuelle.

    Ces évolutions permettent aussi de se projeter sur des pratiques comme « l'affective computing » 95 (Wang et al., 2022) ou « l'informatique affective », décrivant les capacités d'un ordinateur à comprendre les émotions

    94 Levanier, J. (2021). La théorie de la Gestalt en design : l'influence de la psychologie sur notre perception. 99designs. Consulté le 19 février 2024, à l'adresse https://99designs.fr/blog/conseils-design/theorie-gestalt/

    95 Wang, Y., Song, W., Tao, W., Liotta, A., Yang, D., Li, X., Gao, S., Sun, Y., Ge, W., Zhang, W., & Zhang, W. (2022). A systematic review on affective computing : emotion models, databases, and recent advances. Information Fusion, 83-84, 19-52. Consulté le 19 février 2024, à l'adresse https://doi. org/10.1016/j.inffus.2022.03.009

    96 Borsari, A., & Brulé, É. (2016). Le sensible comme projet : regards croisés. HermèS, n° 74(1), 176. https://doi.org/10.3917/herm.074.0176

    115

    humaines et à pouvoir y répondre avec des émotions adaptées. Cette technologie se base notamment sur des données physiques (vidéo, audio, texte etc.) et permet par exemple aux assistants virtuels comme Google Assistant ou Siri d'ajuster leurs réponses en fonction des émotions de l'utilisateur. Cela peut aussi être utilisé sur les réseaux sociaux par des entreprises désireuses de mieux comprendre les commentaires des consommateurs sur ces produits et ainsi d'améliorer leurs offres. En dehors de l'application commerciale, la question du design sensoriel permet de renouveler la pratique en utilisant la physiologie comme moyen de développer des solutions plus humaines et inclusives : « Le design sensoriel est complémentaire d'une approche anthropologique pour répondre à des questions précises [...] mais aussi pour renouveler l'approche de la matière et la question du rapport au monde. En effet, l'implication des sens dans la communication, et plus encore lorsqu'il faut pallier un déficit, est avant tout l'appréhension d'un environnement en relation avec le corps humain. » 96 (Borsari & Brulé, 2016). Dans la pratique, nous avons vu que cette conception du design peut se traduire par un travail inspiré de la nature, à l'image de Mathieu Lehanneur évoqué précédemment.

    Mais d'autres designers vont plus loin et proposent

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    de mettre le sensoriel au centre de leur travail. L'architecte et designer Neri Oxman a par exemple créé un masque imprimé en 3D, le Lazarus, immortalisant le dernier souffle d'une personne décédée, le masque transparent révélant alors une sorte de fluide de couleurs figé 97. Ce projet est une réinterprétation moderne du masque de mort et permet également d'imaginer les futures pratiques funéraires et mémorielles.

    97 Oxman, N. (2016). Lazarus. Oxman. Consulté le 19 février 2024, à l'adresse https://oxman.com/projects/lazarus

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    Le masque Lazarus, par Neri Oxman (c)

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    PENSER LA MÉMOIRE AUTREMENT

    Conclusion

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    Cette partie finale nous aura permis de voir que la préservation de la mémoire est aussi bien un acte sensible que collectif. Et même si le numérique permet aujourd'hui de renouveler le patrimoine commémoratif en rendant les mémoriaux vivants, il y a toujours une nécessité de préserver nos monuments physiques. Les stèles, les plaques, les statues permettent un apport sensoriel unique qui va de pair avec l'apprentissage de leurs histoires. Le designer, malgré les multiples casquettes que l'on peut lui donner, est aussi un acteur sensible dont le travail est centré sur l'humain. En plus des collaborations menées sur le terrain de la citoyenneté, la méthodologie du designer pourrait aussi aider à la préservation de la mémoire.

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    SYNTHESE

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    Winston Churchill disait qu'un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre, d'autant que depuis les années 90, et la résurgence des mémoires de la Shoah, la préservation de la mémoire et la condamnation de l'oubli n'ont jamais été autant d'actualité qu'aujourd'hui. L'impératif d'un « devoir de mémoire » s'est créé envers le passé, et chaque mémoire demande à être ressuscitée. Le citoyen qui est au coeur de ce processus de transmission mémorielle dispose désormais des outils numériques afin d'archiver le passé et de construire la mémoire du futur. Des outils qui restent cependant à maîtriser au regard de leur puissance et de leur instrumentalisation par les grandes entreprises du secteur. Ces modifications du statut du citoyen s'accompagnent aussi d'une transformation des pratiques mémorielles, basculant vers une transmission et un apprentissage qui se font par l'expérience vécue plutôt que par l'expérience transmise. Les flux de données ininterrompus connectent les individus au reste du monde et incitent les acteurs mémoriels comme les touristes à voir de leurs propres yeux les effets du réchauffement climatique (doomsday tourism, tourisme de l'apocalypse) ou encore ceux des écarts de richesses et de la pauvreté dans le monde (slum tourism ou tourisme de la pauvreté). Cela s'applique par conséquent au tourisme de mémoire, en proie à un engouement important depuis quelques années. Ce secteur évolue afin de proposer des expériences qui invitent à s'immerger toujours plus dans le passé. Cette médiation plaît à un réseau d'acteurs mémoriels qui cherchent, par

    122

    l'émotion et l'incarnation de personnages historiques, à mieux comprendre le passé. Cela démontre une volonté de se réapproprier les lieux de mémoire et l'histoire qu'ils racontent, aussi par des pratiques qui peuvent sortir du cadre moral de ces mêmes lieux. L'écriture de l'histoire est aussi une des préoccupations des politiques nationales aujourd'hui. Cependant, ces politiques sont souvent source de controverses à cause d'un « devoir de mémoire » excessif et instrumentalisé. Ainsi, cela complique d'une certaine manière le travail du citoyen, qui cherche à trouver le sens dans les événements et les acteurs du passé. Donc finalement, en se demandant pourquoi et non pas comment commémorer. Afin d'accompagner ces actions, le designer peut avoir son rôle à jouer, d'une part grâce à des outils méthodologiques favorisant les actions sociales, et d'autre part par une approche sensorielle qui s'adapte aux récits des lieux de mémoire. Alors, afin de commencer ce travail de collaboration, nous pourrions nous demander comment le designer pourrait encourager une réappropriation citoyenne des lieux de mémoire afin de préserver notre héritage mémoriel avec pédagogie ?

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    RÉFÉRENCES

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    · Vraiment Vraiment - Design d'intérêt général. (2023, 6 décembre). Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https://vraimentvraiment.com/

    Réseaux sociaux

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    Images

    · Demnig.K (inconnu) [photographie], Stolpersteine, https://www. stolpersteine.eu/en/gallery

    · Hartmann. C (2021) [photographie], AFP, https://urlz.fr/pEWe

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    · Inconnu (inconnu) [photographie], Mathieu Lehanneur, https://www. mathieulehanneur.fr/project/ocean-memories-low-table-232

    · Inconnu (inconnu) [photographie], Chernibyl story tours, https:// chernobylstory.com/photo-video/

    · Thierry M.A (inconnu) [photographie], Cinéma circulaire Arromanches, https://www.normandie-tourisme.fr/les-incontournables/arromanches/

    · Zadelhoff, D (2016), Child with Lazarus mask [photographie], OXMAN, https://oxman.com/projects/lazarus

    Rapports

    · Aschieri, G., & Popelin, A. (2017). Réseaux sociaux numériques : comment renforcer l'engagement citoyen ? Journeaux Officiels. Consulté le 9 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pEHW

    Observations

    · Gourmaud. P, observations et photographies sur 3 lieux de mémoires nantais, l'après midi du 08/07/2023, Nantes

    Ces observations m'ont permis de comprendre comment les lieux de mémoire, et plus particulièrement les monuments aux morts, sont utilisés aux quotidiens, sachant qu'ils sont intégrés à l'espace urbain.

    · Gourmaud. P, observations et photographies sur le mémorial de la guerre 14-18 près du cimetière du Père Lachaise, la matinée du 29/09/2023, Paris

    Ces observations ont confirmé plusieurs points déjà relevés lors de mes observations précédentes à Nantes, comme l'ignorance des monuments. Mais elles m'ont aussi permis d'identifier de nouveaux comportements, comme la création de contenu se basant sur l'expérience de la visite de ce monument

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    Interviews

    · GOURMAUD.P, séries de 6 interviews de visiteurs aléatoires au mémorial pour l'abolition de l'esclavage, l'après midi du 21/06/2023, Nantes

    Ces séries d'interviews m'ont permis de comprendre les sentiments ambivalents que les visiteurs peuvent ressentir lors de la visite d'un lieu de mémoire, d'avoir leur point de vue sur la notion de « devoir de mémoire » et également de connaître leur point de vue sur l'arrivée des nouvelles technologies dans le tourisme de mémoire.

    · GOURMAUD.P, séries de 7 interviews de visiteurs aléatoires au monument aux morts de la guerre 14-18, l'après midi du 26/09/23, Nantes quai Ceineray

    Pour cette nouvelle série d'interviews, je voulais comprendre l'utilité de la physicalité du monument aux morts en interrogeant les passants à proximité. En leur faisant toucher différents échantillons de matière, j'ai pu comprendre que la pierre est un matériau aux yeux de chacun des interviewés, perçu comme robuste, révélateur du temps qui passe.

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