UNIVERSIDADE DE ÉVORA
Mestrado em Gesto e Valorizaço do
Património Histórico e Cultural Master Erasmus Mundus
TPTI (Techniques, Patrimoine, Territoires de l'Industrie :
Histoire, Valorisation, Didactique)
La société sucrière du Burkina Faso (SN
SOSUCO) : de l'aménagement du territoire à la préservation
de la mémoire (1965-2020).
Thomas Frank Bancé
Orientador / Sous la direction de : Ana Cardoso de
Matos
Évora, Septembre 2023 | Évora, Setembro 2023
UNIVERSIDADE DE ÉVORA
Mestrado em Gesto e Valorizaço do
Património Histórico e Cultural Master Erasmus Mundus
TPTI (Techniques, Patrimoine, Territoires de l'Industrie :
Histoire, Valorisation, Didactique)
La société sucrière du Burkina Faso (SN
SOSUCO) : de l'aménagement du territoire à la préservation
de la mémoire (1965-2020).
Thomas Frank Bancé
Orientador / Sous la direction de : Ana Cardoso de
Matos
Évora, Septembre 2023 | Évora, Setembro 2023
Page I
TITRE ET RESUMÉ DU MÉMOIRE
Titre : A sociedade açucareira do
Burkina Faso (SN SOSUCO) : da gesto do território à
preservaço da memória (1965-2020)..
Resumo
A Nouvelle Société Sucrière de la
Comoé (SN SOSUCO) é a oenica indoestria açucareira do
Burkina Faso, fundada em 1965 e ainda em atividade. O complexo agroindustrial
está situado na regio de Cascades, entre as comunas de
Bérégadougou e Banfora. Para o funcionamento da indoestria
açucareira, o governo do Burkina Faso concedeu à SN SOSUCO 10.000
ha de terras, dos quais 4.000 ha esto reservados à cultura da
cana-de-açoecar. O objetivo da indoestria açucareira é
cultivar e transformar a cana-de-açoecar em produtos e subprodutos
açucarados. Após meio século de atividade, a empresa
açucareira construiu um património cultural significativo. Este
património inclui bens e locais tang'veis e intang'veis. Ausente da
lista do património cultural do Burkina Faso, apresentámos as
razes que justificariam a sua incluso. Apresentámos igualmente propostas
para promover este património açucareiro junto da populaço
do Burkina Faso.
Palavras-chave : cana-de-açoecar,
indoestria, açoecar, património industrial, valorizaço,
centro de interpretaço, contar histórias.
Titre : La société
sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO) : de l'aménagement du
territoire à la préservation de la mémoire
(1965-2020).
Résumé
La Nouvelle Société Sucrière de la
Comoé (SN SOSUCO) est l'unique industrie sucrière du Burkina Faso
créée en 1965 et toujours en activité. Le complexe
agro-industriel est situé dans la région des Cascades, entre les
communes de Bérégadougou et de Banfora. Pour le fonctionnement de
l'industrie sucrière, l'État burkinabè a
concédé à la SN SOSUCO 10 000 ha de terres, dont 4 000 ha
sont réservés à la culture de la canne à sucre.
L'industrie sucrière a pour objectif la culture et la transformation de
la canne à sucre en produits et sous-produits sucriers. Après un
demi-siècle d'activités, la société sucrière
a constitué un important patrimoine culturel. Ce patrimoine comprend des
biens et des sites matériels et immatériels. Absent sur la liste
du patrimoine culturel du Burkina Faso, nous avons donné les raisons qui
justifieraient son inscription. Nous avons également formulé des
propositions pour la valorisation de ce patrimoine sucrier auprès de la
population burkinabè.
Mots clés : canne à sucre,
industrie, sucre, patrimoine industriel, valorisation, centre
d'interprétation, storytelling.
Title : The sugar company of Burkina Faso
(SN SOSUCO): from land use planning to memory preservation (1965-2020).
Abstract
Nouvelle Société Sucrière de la
Comoé (SN SOSUCO) is Burkina Faso's only sugar industry, founded in 1965
and still in operation. The agro-industrial complex is located in the Cascades
region, between the communes of Bérégadougou and Banfora. To
operate the sugar industry, the Burkinabè government has granted SN
SOSUCO 10,000 ha of land, 4,000 ha of which is reserved for growing sugar cane.
The purpose of the sugar industry is to grow and process sugar cane into sugar
products and by-products. After half a century in business, the sugar company
has built up a significant cultural heritage. This heritage includes tangible
and intangible assets and sites. Absent from the list of Burkina Faso's
cultural heritage, we explained why it should be included. We have also
formulated proposals for the valorization of this sugar heritage among the
Burkinabé population.
Keywords : sugar cane, industry, sugar,
industrial heritage, valorization, interpretation center, storytelling.
Master TPTI
https://www.tpti.eu
Page II
DÉDICACES
À ma très chère famille, pour
nous avoir soutenu dans ce projet.
À mon cher ami Dominique Bakouan, pour nous
avoir montré le chemin.
Merci pour ce je suis
aujourd'hui.
REMERCIEMENTS
Nous commençons nos propos par une citation de
l'écrivain danois Hans Christian Anderson (1806-1875) : « La
reconnaissance est la mémoire du coeur ». Nous tenons à
exprimer notre profonde gratitude à toutes les personnes et institutions
qui ont créé le cadre et les conditions nécessaires
à la réalisation de ce travail de recherche dans le domaine des
Techniques, du Patrimoine et des Territoires de l'industrie. Nous tenons
à exprimer notre plus profonde gratitude.
À notre directrice, le Professeur Ana Cardoso
de Matos, pour ses conseils, son soutien et sa disponibilité
permanente. Vos conseils et votre grande flexibilité ont
été d'une importance incommensurable pour ce travail et nous vous
en sommes reconnaissants.
À tous les enseignants du Master TPTI, relevant de
l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (France), de
l'Université de Padoue (Italie), de l'Université d'Évora
(Portugal) et de l'Université d'Oviedo (Espagne). Nous remercions tout
particulièrement les professeurs Valérie Nègre, Jean-Luc
Rigaud, Vincent Guigueno, Marco Bertilorenzi, Massimo Preite, Antonia Fialho
Conde, Maria Da Luz Sampaoi, Jorge Ur'a, Camilo R. Darias et Armando
Quintas.
À tous les administrateurs du Master Erasmus Mundus
Techniques, Patrimoine et Territoires de l'Industrie (TPTI). Nous
apprécions votre assistance technique et morale au cours de ces deux
dernières années. Je tiens également à remercier
l'Union Européenne qui, par le biais de son programme de financement,
nous a accordé une bourse d'une importance capitale.
À tous nos collègues de la promotion 15 «
Dekapente-6sxOEðvT ». Ce fut un réel plaisir de partager ces
enseignements avec vous.
À nos très chers prédécesseurs
dans ce programme dont les orientations ont été salvatrices
à plus d'une reprise. Merci à Dominique Bakouan
et à Abdoul Djalilou Dabré. Merci d'avoir partagé
votre expérience.
Aux professeurs de l'Université Joseph Ki-Zerbo et de
l'Université Norbert Zongo. Nous remercions particulièrement les
professeurs Claude Etienne Sissao, Serge Noël Ouédraogo, Salif
Kiendrébéogo, Yves Pascal Sanou et Zara Dao. Vos conseils et vos
encouragements nous ont donné de la force. Merci de nous inspirer au
quotidien par votre leadership.
À mes très chers amis et frères, Julien
Bancé, Inoussa Komboïgo et Inoussa Guende. Merci pour votre
disponibilité sans faille.
Page III
À tous ceux qui ont contribué de près ou de
loin à la réalisation de ce mémoire.
Page IV
ABRÉVIATIONS
APIS-BF Association de Promotion de
l'Industrie Sucrière au Burkina Faso
CISC Centre d'Interprétation du Sucre
dans les Cascades
CMPRN Comité Militaire de Redressement
pour le Progrès National
CNR Conseil National de la
Révolution
CSP Comité de Salut du Peuple
FP Front Populaire
Francs CFA Francs de la Communauté
Financière d'Afrique
INSD Institut National de la Statistique et
la Démographie
IPS-WA Industrial Promotion Services - West
Africa
ONTB Office National du Tourisme
Burkinabè
PAS Programme d'Ajustement Structurel
RN Route Nationale
SESUHV Société d'Études
Sucrières de Haute-Volta
SIAN Société Industrielle et
Agricole de Niari
SODISUCRE Société de
Distribution du Sucre
SOMDIAA Organisation de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et
Agricoles
SOSUHV Société Sucrière
de Haute-Volta
SOSUCO Société Sucrière
de la Comoé
SN SOSUCO Nouvelle Société
Sucrière de la Comoé
TPTI Techniques, Patrimoine et Territoire de
l'Industrie
UNESCO Organisation des Nations Unies pour
l'Éducation, la Science et la Culture
Page V
TABLE DES MATIÈRES
TITRE ET RESUMÉ DU MÉMOIRE I
DÉDICACES II
REMERCIEMENTS III
ABRÉVIATIONS IV
TABLE DES MATIÈRES V
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
I. Présentation du sujet 2
II. Justification du choix 3
III. Bornes chronologiques et géographiques 3
IV. Problématique 4
A/ Hypothèses 5
B/ Objectifs 5
V. Cadre conceptuel 6
VI. État de la question 9
A/ Les sources écrites 13
B/ Les sources orales 14
C/ Les sources auxiliaires 15
D/ L'analyse des sources 15
Chapitre I : L'installation et le développement de la
Nouvelle Société Sucrière de la Comoé (SN
SOSUCO) 17
Abstract 17
I. Le contexte de la création et de l'installation du
complexe sucrier au Burkina Faso 18
A/ Le paysage industriel du Burkina Faso avant la création
du complexe sucrier 18
1. Les industries pendant la période coloniale 18
2. Les premières politiques de développement
industriel du Burkina Faso 20
B/ L'implantation du complexe sucrier à
Bérégadougou 22
1. Les atouts physiques de la région des Cascades 23
2. Les potentialités humaines et économiques 26
C/ Le processus de création de la SN SOSUCO 27
1. La phase d'études avec la SESUHV 28
2. La création d'une usine d'agglomération
sucrière 29
3. Le processus de mise en place du complexe sucrier 30
II. L'exploitation du complexe sucrier sous la direction du
Groupe SOMDIAA 31
A/ Brève présentation de la SOMDIAA 31
1. Histoire de la SOMDIAA 31
2. Domaine d'activités 33
Page VI
B/ Les actions de la multinationale de 1975 à 1985 en
Haute-Volta 35
1. La première décennie : 1965-1975 36
2. La deuxième décennie : 1975-1985 37
C/ Les transgressions de la SOMDIAA dans la gestion du complexe
sucrier 40
1. Les écarts dans l'application des textes juridiques
40
2. La gestion des effectifs à l'époque de la
SOMDIAA 42
3. Le climat politique en Haute-Volta dans les années
1980 43
III. La nationalisation du complexe sucrier de la Comoé
44
A/ Les grandes mutations opérées à la SOSUCO
44
1. L'évolution des textes juridiques 44
2. Le processus de redressement économique de la SOSUCO
46
3. L'organisation de la force productrice 48
B/ Les réformes politiques et économiques 50
1. Les orientations politiques de la décennie 1990-2000
50
2. La libéralisation de l'économie
burkinabè 50
C/ Le climat socio-économique à la veille de la
privatisation de la SOSUCO 51
1. L'instabilité de production sucrière 51
2. Les revendications syndicales 52
IV. La privatisation de la SN SOSUCO et la série de
méventes 53
A/ La naissance de la Nouvelle Société
Sucrière de la Comoé (SN SOSUCO) 53
1. La mise en place de la Commission de privatisation 53
2. Le processus de privatisation de la SOSUCO 54
B/ Le gestionnaire actuel de la SN SOSUCO : le Holding IPS-WA
55
1. La reprise de la SOSUCO en 1998 55
2. Le plan de développement et les mesures sociales de la
SN SOSUCO 56
3. L'évolution du capital social de la SN SOSUCO de 1998
à 2020 56
C/ Les conséquences de la privatisation de la SN SOSUCO
57
1. La production et la commercialisation du sucre de la SN
SOSUCO 58
2. Le climat social généré par la
privatisation de l'industrie sucrière 59
3. Les crises économiques à la SN SOSUCO 60
Conclusion 64
Chapitre II : L'analyse du complexe sucrier du Burkina Faso 65
Abstract 65
I. L'occupation spatiale de la SN SOSUCO dans la région
des Cascades 66
A/ L'aménagement des zones de culture de la SN SOSUCO
67
1. La répartition des plantations de canne à sucre
67
2. La mise en place du système d'irrigation 68
3. L'expropriation des terres des populations locales 72
Page VII
B/ Les installations industrielles 73
1. La sucrerie de canne 74
2. La raffinerie de sucre 75
3. Les installations annexes 75
C/ Les zones de logements 76
1. La cité des cadres 77
2. Les cités ouvrières 80
3. Les aménagements temporaires 81
II. Le processus de production du sucre et le fonctionnement de
la SN SOSUCO 81
A/ La culture de la canne à sucre 82
1. La phase de bouturage ou de plante nouvelle 82
2. La phase de croissance et d'entretien 83
3. La phase de récolte et de repousse 84
B/ Le processus de fabrication du sucre 85
1. La préparation de la canne à sucre 85
2. La production de sucre 85
3. La phase de post-production 87
C/ La chaîne de travail et la commercialisation des
produits finis 88
1. L'organisation du travail 88
2. L'organisation des ressources humaines 89
3. La commercialisation du sucre et de ses dérivés
90
III. L'impact de la société sucrière du
Burkina Faso 91
A/ L'impact positif de l'installation de la société
sucrière à Bérégadougou 91
1. La contribution de la SN SOSUCO au développement
économique 92
2. Les retombées sociales du complexe sucrier 93
3. L'évolution des techniques agricoles 94
B/ Les effets négatifs de l'implantation du complexe
sucrier à Bérégadougou 94
1. Les conséquences de l'aménagement du
périmètre sucrier 95
2. Les effets de l'industrie sucrière sur l'environnement
96
3. Les changements socioculturels 96
Conclusion 98
Chapitre III : L'histoire et le patrimoine comme moyens de
promotion des entreprises industrielles 99
Abstract 99
I. Le patrimoine sucrier du Burkina Faso 100
A/ La description du patrimoine sucrier burkinabè 100
1. Le paysage de la canne à sucre 100
2. Le site de production du sucre 102
3. Les autres patrimoines sucriers 103
Page VIII
B/ La justification de la valeur patrimoniale de l'industrie
sucrière burkinabè 105
1. La classification d'un bien au patrimoine culturel national
105
2. Les valeurs reflétées par l'industrie de la
canne à sucre au Burkina Faso 106
II. Des propositions de valorisation du patrimoine sucrier du
Burkina Faso 108
A/ La proposition de création d'un Centre
d'Interprétation du Sucre des Cascades (CISC) 108
1. L'avant projet du CISC 108
2. La phase opérationnelle du CISC 111
3. L'aménagement du bâtiment du CISC 113
4. Le fonctionnement du CISC 115
B/ L'élaboration d'un storytelling pour la SN SOSUCO
118
1. La clarification conceptuelle 118
2. Le storytelling au service des entreprises 119
3. La conception de storytellings pour la SN SOSUCO 124
Conclusion 126
CONCLUSION GÉNÉRALE 127
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE 131
TABLEAU DES ILLUSTRATIONS 141
TABLE DES TABLEAUX 142
TABLE DES GRAPHIQUES 142
ANNEXES 143
Page 1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Page 2
I. Présentation du sujet
La ville de Banfora, chef-lieu de la région des
Cascades, est située au sud-ouest du Burkina Faso, à 80 km
à peine de Bobo-Dioulasso, la capitale économique du Burkina
Faso. Cette région, est peuplée de populations à
majorité paysanne et historiquement opposées à toute forme
d'organisation politique forte et centralisée. Entre 1985 et 2006, la
population de la ville est passée de 257 553 à 531 808 habitants.
En 2019 la région comptait 812 466 habitants, ce qui témoigne
d'une constante progression de la population1. La région des
Cascades a une économie agricole avec 80% de la population
engagée dans des activités agricoles. Cela est dû en partie
aux conditions naturelles, physiques et humaines qui favorisent le
développement de ce secteur. Outre l'agriculture ; les secteurs du
commerce, du tourisme, de l'artisanat et de l'industrie alimentent
l'économie de la région.
C'est dans cette région des Cascades, la plus
arrosée du Burkina Faso, que le complexe sucrier de
Bérégadougou a été aménagé à
partir de 1965. Il s'agit de la plus grande zone aménagée du
Burkina Faso, couvrant 10 000 hectares, dont 4 000 hectares de plantations de
canne à sucre. Jusqu'en 1998, le complexe sucrier était
géré par une société d'économie mixte sous
l'appellation de la Nouvelle Société Sucrière de
la Comoé (SN SOSUCO), dans laquelle l'État
burkinabé détenait une participation importante2.
Prise dans les privatisations des années 1990, la société
sera acquise le 24 juin 1998 à près de 67% par la Holding
Industrial Promotion Services-West Africa (IPS-WA). A partir de cette
date, le gouvernement burkinabé ne possèdera que 30,67% des
actions. L'histoire post-coloniale de la ville de Banfora est intimement
liée à celle de l'industrie sucrière et ses impacts
socio-économiques.
Dans le paysage national du Burkina Faso, la Nouvelle
Société Sucrière de la Comoé (SN SOSUCO)
apparaît comme une entreprise gigantesque, avec le statut de premier
employeur privé du pays3 et assurant plus de 30% des besoins
nationaux en sucre. Avec ses cités ouvrières pour les
travailleurs nationaux et étrangers, ses vastes plantations de canne
à sucre, son usine d'agglomération sucrière, sa
raffinerie, sa distillerie d'alcool éthylique 96° GL et son
réseau de
1
|
Institut National de la Statistique et de la Démographie
(INSD), Monographie de la région des Cascades,
|
Ouagadougou, INSD, 2019, p. 1, consulté le 14 mars
2023, URL :
https://www.insd.bf/sites/default/files/2023-02/
MONOGRAPHIE%20DES%20CASCADES%205E%20RGPH.pdf.
2 La SN SOSUCO à l'origine s'appelait la
Société Sucrière de Haute-Volta (SOSUHV) avant de devenir
à partir de 1985 la Société Sucrière de la
Comoé (SOSUCO). Le capital était réparti comme suit :
État burkinabè (66,05%, organismes para-étatiques
(16,52%), État ivoirien (10,72%), acteurs privés locaux
(6,05%).
3 Plus de 1 500 salariés et plus de 10.500 emplois
indirect.
Source : Site web officiel de la SN SOSUCO,
consulté le 21 juillet 2023, URL :
https://snsosuco.com/a-propos/
presentation.
Page 3
distribution national, la SN SOSUCO est l'exemple type d'une
entreprise privée dont l'histoire mérite d'être
étudiée, valorisée et transmise aux populations.
Vingt-cinq années après sa privatisation, la
société connait d'année en année, un cycle
interminable de mévente4 rendant son avenir incertain
malgré les efforts constants du nouveau gestionnaire (IPS-WA). C'est
dans un tel contexte que nous avons choisi d'axer notre projet de recherche sur
le thème : La société sucrière du Burkina
Faso (SN SOSUCO) : de l'aménagement du territoire à la
préservation de la mémoire (1965-2020).
II. Justification du choix
Le choix de ce thème de recherche est significatif de
notre volonté de contribuer à une meilleure connaissance de
l'histoire d'une entreprise qui a joué un rôle
prépondérant dans le développement économique et
social d'une région et dont le passé fait partie du patrimoine
collectif national de l'ensemble des travailleurs burkinabè. La
spécificité et l'intérêt de l'étude que nous
nous proposons de réaliser se manifestent à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, notre étude contribuera à la
connaissance de l'histoire de l'industrie sucrière au Burkina Faso en
passant en revue les grandes périodes de sa création et de ses
étapes de développement. Elle présentera également
les différents changements dans le paysage urbain causés par la
présence de cette entreprise et de ses travailleurs dans la
région des Cascades. L'étude abordera également les
conditions de vie et de travail des travailleurs de l'entreprise afin de
raconter et valoriser une histoire de la mémoire du sucre au Burkina
Faso. Cette étude nous permettra de poser les bases d'une
réflexion sur la sauvegarde et la valorisation du patrimoine
matériel et immatériel de la société
sucrière du Burkina Faso avec ses cinquante-huit années
d'existence. C'est en cela que nous contribuerons à l'écriture
d'un pan de l'histoire du patrimoine industriel burkinabè.
III. Bornes chronologiques et
géographiques
Pour mener une analyse historique, il est recommandé de
situer l'objet d'étude dans un cadre spatio-temporel. C'est à cet
égard que nous avons choisi de placer notre thème de recherche
sur La société sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO) :
de l'aménagement du territoire à la préservation
4Voir Ouédraogo Frédéric,
« SN-SOSUCO à Banfora : encore 23 832 tonnes de sucre en
mévente », News A Ouaga, 2018, Mise en ligne le 2 mars
2018, consulté le 27 janvier 2023, URL :
http://news.aouaga.com/h/114535.html.
Page 4
de la mémoire dans l'espace
géographique de « Bérégadougou, province de la
Comoé, région des Cascades, Burkina Faso » dans la
fourchette chronologique de « 1965 à 2020 » 5 .
Le choix de Bérégadougou comme cadre
d'étude s'explique par le fait que le complexe sucrier de la SN SOSUCO
est situé dans la commune rurale de Bérégadougou. Mais
dans la pratique, la société sucrière est
administrativement rattachée à la commune urbaine de Banfora,
chef-lieu de la région des Cascades6. C'est donc à
partir de Bérégadougou que la société mènera
ses activités sociales et économiques dans la région des
Cascades.
Pour le cadre temporel de l'étude, les dates 1965 et
2020 sont utilisées comme bornes temporelles. L'année 1965 a
été choisie comme borne inférieure car elle correspond
à la date de création de la Société d'Études
Sucrières de Haute-Volta (SESUHV), actuelle SN SOSUCO. Elle est donc le
point de départ des activités sucrières au Burkina Faso.
Quelques années après sa création, le complexe sucrier de
Bérégadougou connaitra de nombreuses crises sociales et
économiques jusqu'à plonger l'entreprise dans la
précarité. Ce n'est que très récemment, en 2020,
que l'usine retrouve une stabilité économique. L'année
2020 marque la fin des crises internes de la SN SOSUCO et nous l'avons choisie
comme limite supérieure de cette étude.
IV. Problématique
Autour d'un sujet d'étude ou de réflexion se
trouve une problématique à concevoir. Cette problématique
peut être construite à partir d'une question de recherche. «
Et l'ensemble des questionnements, des hypothèses de recherche, des
réflexions qui se construiront autour de cette question de recherche
constituent la problématique. » ajoute Michel Beaud dans
son ouvrage L'art de la thèse7.
Lorsque nous avons défini notre sujet de recherche :
La société sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO) : de
l'aménagement du territoire à la préservation de la
mémoire (1965-2020) ; nous avons été guidé par
une question principale : Quelle est la valeur patrimoniale de la
société sucrière du Burkina Faso dans un pays en pleine
mutation économique ?
5 La structure administrative du Burkina Faso peut être
résumée comme suit : le pays est divisé en 13
régions. Chaque région comprend un nombre variable de provinces
avec une seule capitale régionale. Une province est subdivisée en
plusieurs communes avec un seul chef-lieu de province. Il existe deux types de
communes : les communes urbaines pour les communes denses et les communes
rurales pour les communes moins denses. Une commune regroupe plusieurs
villages.
6 Conseil Municipal de Bérégadougou, Plan
Communal de Développement 2020-2024 de Bérégadougou,
Bérégadougou, Commune rurale de Bérégadougou, 2020,
p. 9. [Ouvrage disponible à la Mairie de Bérégadougou].
7 Beaud Michel, L'art de la thèse : comment
préparer et rédiger un mémoire de master, une thèse
de doctorat ou tout autre travail universitaire à l'ère du
net, Paris, La Découverte, 2006, p. 55.
Page 5
De cette question principale découlent des questions
secondaires : Quels sont les facteurs qui ont conduit à l'installation
du complexe sucrier à Bérégadougou ? Quels sont les
systèmes d'exploitation et les procédés de production du
sucre développés à la SN SOSUCO ? Comment l'histoire et la
valorisation du patrimoine peuvent-elles offrir à la
société sucrière une identité et un meilleur
positionnement sur le plan socio-économique ? La réponse à
la présente problématique nous permet de formuler des
hypothèses et objectifs autour de notre thème de recherche.
A/ Hypothèses
Le choix du présent sujet de recherche résulte
d'une observation sur le terrain de la situation de la Nouvelle
Société Sucrière de la Comoé, abrégée
SN SOSUCO. De cette observation, il ressort que ladite société
créée en 1965 dans le but de produire et de transformer le sucre,
reste très peu abordée dans la recherche scientifique. En plus de
son statut de première entreprise privée pourvoyeuse d'emplois au
Burkina Faso, la SN SOSUCO est l'une des rares sociétés
créées après l'indépendance du pays en 1960
à être encore en activité. Sur la base de ces faits, nous
avons formulé quelques hypothèses sur le thème de la
recherche.
L'hypothèse principale est que la société
sucrière du Burkina Faso a constitué depuis sa création un
patrimoine matériel et immatériel qu'il convient de restaurer et
de valoriser. Une hypothèse secondaire concerne l'impact social,
économique et culturel de l'installation de la SN SOSUCO dans la
région des Cascades. Enfin, nous émettons l'hypothèse
qu'une bonne valorisation de l'histoire et du patrimoine permettra à la
société sucrière d'obtenir un meilleur positionnement sur
l'échiquier social et économique du Burkina Faso.
B/ Objectifs
L'objectif général de cette étude est de
démontrer la valeur patrimoniale de la société
sucrière du Burkina Faso et de développer des moyens pour mettre
en lumière ce patrimoine.
Au-delà de cet objectif général, il nous
appartiendra de :
Retracer l'histoire de l'implantation du complexe sucrier au
Burkina Faso afin de comprendre les modifications socio-économiques et
paysagères.
Montrer l'apparition d'un nouveau paysage industriel avec la
culture et la transformation de la canne à sucre.
Montrer dans quelle mesure l'histoire et le patrimoine peuvent
promouvoir l'activité sucrière au Burkina Faso.
Page 6
V. Cadre conceptuel
Notre présent thème de recherche implique un
certain nombre de concepts et de terminologies clés qui
nécessitent une clarification préalable. Ces définitions,
qui ne sont pas exhaustives, ont pour but de situer chaque terme dans le
contexte de cette étude.
- Patrimoine
Lorsqu'on se penche sur l'étymologie du mot
patrimoine, on constate qu'il s'agit d'une notion dont les
premières mentions remontent à l'Antiquité et
désignent « L'ensemble des biens que l'on hérite de ses
ascendants ou que l'on constitue pour le transmettre à ses descendants
» selon le Dictionnaire de l'Académie
française8. Si le terme était circonscrit
à l'espace familial, privé ; il faut reconnaitre qu'il s'est
rapidement élargi au fil des siècles pour devenir « Ce qui
est considéré comme l'héritage commun d'un groupe » 9
. Par extension, le patrimoine désigne l'ensemble des biens d'une
communauté, d'un État et reconnus comme tels, valorisés et
transmis aux générations futures. Lorsque ces biens ont une
valeur historique, archéologique, industrielle, culturelle, monumentale,
ethnologique, etc., on parle de patrimoine culturel. Mais lorsque ces biens
concernent des formations physiques, biologiques et géologiques
remarquables et exceptionnelles, on parle de patrimoine naturel. C'est la
notion de dualité du patrimoine. Dans la présente étude,
nous nous intéresserons davantage au patrimoine culturel.
Pour l'Organisation des Nations Unies pour l'Éducation,
la Science et la Culture (UNESCO), est considéré comme
patrimoine culturel :
« a1. Les monuments : oeuvres architecturales, de
sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de
caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes
d'éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du
point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science, a2. Les ensembles :
groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de
leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le
paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de
l'histoire, de l'art ou de la science, a3. Les sites : oeuvres de l'homme ou
oeuvres conjuguées de l'homme et de la nature, ainsi que les zones y
compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle
exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou
anthropologique »10.
8 Site web de l'Académie française,
consulté le 17 mars 2023, URL :
https://www.dictionnaire-academie.fr/article/
A9P1012.
9 Site web de Le Larousse, consulté le 17 mars
2023, URL :
https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/patrimoine/
77550.
10 Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la
Science et la Culture, Convention concernant la protection du patrimoine
culturel et naturel, Adoptée par la Conférence
générale à sa dix-septième session Paris, 16
novembre 1972, p. 2, consulté le 17 mars 2023, URL :
https://whc.unesco.org/archive/convention-fr.pdf.
Page 7
Si cette définition de l'UNESCO a le mérite
d'être la plus complète possible, elle semble large. Pour obtenir
une définition synthétique adaptée à notre
étude, il faut se référer à la Loi N°
024-2007/AN portant protection du patrimoine culturel au Burkina Faso, en
son article 3, qui définit le patrimoine culturel comme suit : « On
entend par patrimoine culturel, l'ensemble des biens culturels, naturels,
meubles, immeubles, immatériels, publics ou privés, religieux ou
profanes dont la préservation ou la conservation présente un
intérêt historique, artistique, scientifique, légendaire ou
pittoresque »11.
En ce qui concerne le patrimoine industriel,
une des composantes du patrimoine culturel, on remarque que la notion est en
constante évolution au regard du sens large du mot « industrie
». Toutefois, grâce à la présence d'organismes
importants, des définitions de références ont
été élaborées. Parmi elles, on peut citer la
définition conjointe du Comité international pour la conservation
du patrimoine industriel (TICCIH) et du Conseil international des monuments et
des Sites (ICOMOS) adoptée en 2011 :
« Le patrimoine industriel comprend les sites, les
constructions, les complexes, les territoires et les paysages ainsi que les
équipements, les objets ou les documents qui témoignent des
procédés industriels anciens ou courants de production par
l'extraction et la transformation des matières premières ainsi
que des infrastructures énergétiques ou de transport qui y sont
associées. Il exprime une relation étroite entre l'environnement
culturel et naturel puisque les procédés industriels - anciens ou
modernes - dépendent de ressources naturelles, d'énergie et de
voies de communication pour produire et distribuer des biens sur les
marchés. Ce patrimoine comporte des dimensions immatérielles
comme les savoir- faire techniques, l'organisation du travail et des
travailleurs ou un héritage complexe de pratiques sociales et
culturelles résultant de l'influence de l'industrie sur la vie des
communautés et sur la mutation des sociétés et du monde en
général »12.
Cette définition justifie le statut de patrimoine
industriel que nous avons attribué à la SN SOSUCO dans cette
étude. Elle permet également de comprendre que le patrimoine
industriel n'est pas seulement constitué d'éléments
physiques mais aussi de dimensions immatérielles à prendre en
compte.
11
|
Assemblée nationale du Burkina Faso, Loi N°
024-2007/AN portant protection du patrimoine culturel au Burkina
|
Faso, Ouagadougou, AN, 2007, consulté le 25
mars 2023, URL :
https://www.google.com/url?
sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjUsdfq0-P9AhWLP-wKHQ5RANYQFnoECAoQAQ&url=
https://faolex.fao.org/docs/texts/bkf78671.doc&usg=AOvVaw2VZtEiBIQX-QLcHWwmont0.
12 The International Council on Monuments and Sites,
Principes conjoints ICOMOS-TICCIH pour la conservation des sites,
constructions, aires et paysages du patrimoine industriel : « Les
principes de Dublin », Adoptés par la 17e Assemblée
générale de l'ICOMOS le 28 novembre 2011,
consulté le 15 mars 2023, p. 2, URL: https://www.icomos.org/
images/DOCUMENTS/Charters/GA2011_ICOMOS_TICCIH_joint_principles_EN_FR_final_20120110.pdf.
Page 8
« En définitive, il demeure de la
prérogative de chaque pays de formuler sa propre terminologie et sa
propre interprétation du patrimoine. » conclut l'UNESCO dans sa
définition du patrimoine13. Ainsi, on peut dire que le
patrimoine sucrier du Burkina Faso est l'ensemble des biens historiques,
culturels et économiques liés à la culture de la canne
à sucre, à sa transformation et à sa commercialisation.
Par biens matériels, on entend les champs de canne, les infrastructures,
les machines et les archives. Le savoir-faire sucrier, l'organisation du
travail et des planteurs appartiennent à la dimension
immatérielle de ce patrimoine.
- Histoire
Nous n'avons ni la capacité ni la prétention de
donner une définition large et consensuelle du mot Histoire
dans cette étude ; nous cherchons à en clarifier
l'usage. Nous partageons ainsi la définition du Centre National de
Ressources Textuelles et Lexicales (CNRLT) qui définit l'histoire
comme la : « Recherche, connaissance, reconstruction du passé de
l'humanité sous son aspect général ou sous des aspects
particuliers, selon le lieu, l'époque, le point de vue choisi
»14. Qu'il s'agisse de « l'histoire du sucre »,
« l'histoire de la SN SOSUCO », on se réfère à
l'ensemble des évènements, des actions qui, à une
période déterminée, ont concerné des espaces, des
personnes, des institutions. Ces faits seront relatés en application de
la méthodologie historique.
- Paysage industriel
Le dictionnaire Le Larousse définit le mot
paysage comme « une étendue spatiale, naturelle ou
transformée par l'homme, qui présente une certaine
identité visuelle ou fonctionnelle »15. Quant à
la définition du paysage industriel, François
Crouzet parle « d'un paysage où les activités industrielles
sont évidentes, révélées par des bâtiments et
équipements caractéristiques, lesquels, finalement, dominent ce
paysage »16. Pour nous, le paysage industriel correspond
à l'espace aménagé pour accueillir les activités
industrielles de la société sucrière dans la commune de
Bérégadougou.
13 Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la
Science et la Culture, Les indicateurs UNESCO de la culture pour le
Développement (IUCD), Genève, UNESCO, 2009, p. 134,
consulté le 17 mars 2023, URL :
https://
fr.unesco.org/creativity/sites/creativity/files/digital-library/cdis/Dimension%20Patrimoine.pdf.
14 Site web du Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales, consulté le 16 mars 2023, URL :
https://
www.cnrtl.fr/definition/histoire.
15 Site web de Le Larousse, consulté le 17
mars 2023, URL :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/paysage/
58827.
16 Crouzet François, « Naissance du paysage
industriel », Histoire, économie et société,
n°3, 16? année, Environnement et développement
économique, 1997, p. 420, consulté le 13 mars 2023, URL :
https://www.persee.fr/doc/
hes_0752-5702_1997_num_16_3_1955, DOI :
https://doi.org/10.3406/hes.1997.1955.
Page 9
- Société sucrière
Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
définit le mot sucrière comme un adjectif «
qui est relatif à la production, à la fabrication du sucre
»17. De ce fait, une société
sucrière désigne une entreprise qui produit ou fabrique
du sucre. Dans le présent sujet de recherche, les expressions «
industrie sucrière », « société sucrière
», « complexe sucrier » font toutes référence
à la SN SOSUCO située à Bérégadougou.
- Mémoire
Dans cette étude, le mot « mémoire »
est étroitement lié à la mémoire
collective. La définition du Larousse arrive donc
à point nommé. Pour ce dictionnaire, version en ligne, la
mémoire est « l'Ensemble des faits passés qui reste dans le
souvenir des hommes, d'un groupe »18. Ces faits renvoient
à des souvenirs communs, des connaissances et d'informations appartenant
à un groupe social et créant une identité sociale. A
travers cette mémoire collective, nous souhaitons construire, partager
et transmettre une identité des travailleurs du sucre de la
région des Cascades.
VI. État de la question
Le présent sujet de recherche s'intitule : La
société sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO) : de
l'aménagement du territoire à la préservation de la
mémoire (1965-2020). La formulation de ce sujet est
précédée d'une minutieuse phase d'historiographie. Cette
étape a permis de dresser d'abord un bilan de la littérature
existante sur le thème avant de proposer une analyse de la question de
recherche. Des articles scientifiques, des ouvrages individuels et collectifs,
des thèses, des mémoires, des périodiques et des rapports
annuels sur la production sucrière ont ainsi été
exploités. Les principaux thèmes abordés sont le
patrimoine industriel, l'aménagement du territoire et l'industrie
sucrière.
Mener une recherche sur une industrie agroalimentaire
nécessite une large connaissance du domaine de l'industrie, de ses
composantes et de son fonctionnement. C'est pourquoi nous avons commencé
à explorer des ouvrages, des travaux universitaires et des articles
scientifiques. Parmi
17 Site web du Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales, consulté le 14 mars 2023, URL :
https://
www.cnrtl.fr/definition/sucrière.
18 Site web de Le Larousse, consulté le 17
mars 2023, URL :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mémoire/
50401.
Page 10
eux, la thèse du géographe Georges
Compaoré intitulé « L'industrialisation de la Haute-Volta
»19 . Cet ouvrage, publié en 1984, présente le
processus d'industrialisation de la Haute-Volta, aujourd'hui Burkina Faso.
L'auteur concentre ses recherches sur les industries de transformation de
matières premières et des produits industriels, puis sur le
conditionnement des produits industriels et agroalimentaires. En trois phases,
Georges Compaoré a retracé le processus d'installation des
industries au Burkina Faso. La dernière phase a été
fondamentale pour nous car l'auteur évoque le projet de création
du complexe sucrier de Banfora à partir de 1965. Il rappelle les
objectifs de l'usine et le statut d'économie mixte que le gouvernement
voltaïque voulait lui accorder. Il présente également les
potentialités naturelles et humaines de la ville de Banfora, qui ont
certainement influencé le choix d'implantation de l'usine dans cette
partie du pays. Cette thèse propose une lecture spatio-temporelle de
l'industrialisation du Burkina Faso.
En 2019, Thiombiano Taladidia a publié un ouvrage
intitulé L'enclave industrielle : la Société
Sucrière de Haute-Volta20. L'auteur structure son
ouvrage en six parties dans lesquelles il propose une analyse
socio-économique de la société sucrière au Burkina
Faso. Il s'intéresse particulièrement aux aspects
théoriques de l'économie agro-industrielle. Il analyse
également le fonctionnement du complexe sucrier sous la direction de la
société transnationale française SOMDIAA. L'auteur
dénonce les insuffisances de la gestion de la SOSUHV, avant de
s'interroger sur l'avenir même de l'agro-industrie en Haute-Volta,
aujourd'hui Burkina Faso. Cet ouvrage a le mérite de présenter
les données micro et macro-économiques de la SOSUHV durant la
période 1975-1982. Il a également permis de comprendre les
insuffisances de la gestion de la SOMDIAA conformément aux contrats
qu'elle avait signés avec le gouvernement burkinabè.
Un article intéressant que nous avons consulté
est celui du géographe français Thierry Hartog. En 1983, il a
publié un article intitulé « Le périmètre
sucrier de Banfora. (Haute-Volta) : du pouvoir technocratique aux
déboires paysans »21. Dans cet article, l'auteur note la
profonde opposition entre les modes de vie traditionnels des paysans et la
modernité créée par l'installation de l'usine dans la
région de Banfora. S'il reconnait que la région de Banfora
était à l'époque la plus propice à
19 Compaoré Georges, « L'industrialisation de la
Haute-Volta », thèse de doctorat de 3e cycle en
Géographie et Écologie tropicales, Université de Bordeaux
III, 1984, 281 p., consulté le 2 octobre 2021, URL :
https://beep.ird.fr/collect/
depgeo/index/assoc/COMGEO84/COMGEO84.pdf.
20 Thiombiano Taladidia, L'enclave industrielle : la
Société Sucrière de Haute-Volta, CODESRIA/ NENA,
[version numérique], 2019, ISBN: 978-2-86978-888-6.
21 Hartog Thierry, « Le périmètre sucrier
de Banfora. (Haute-Volta) : du pouvoir technocratique aux déboires
paysans », Cahiers d'Outre-mer, n°142 - 36e année,
1983, pp. 119-135, consulté le 20 juin 2022, URL :
https://www.persee.fr/doc/
caoum_0373-5834_1983_num_36_142_3061, DOI :
https://doi.org/10.3406/caoum.1983.3061.
Page 11
l'implantation de la nouvelle usine, il déplore que le
système d'aménagement n'ait pas pris en compte le monde paysan de
cette région. Il justifie cela par les nombreux villages qui ont
été expulsés pour faire place à des champs de canne
à sucre sans système de compensation fiable. En
conséquence, on assiste à une triple évolution
régressive agricole, économique et sociale tandis qu'un
nouveau monde se crée au nord de Banfora rassemblant les industriels,
les ouvriers et tout l'aménagement induit. Thierry Hartog a voulu
révéler les impacts négatifs de l'aménagement de
Banfora pour accueillir la SN SOSUCO en 1965 et c'est en cela que cet article
est digne d'intérêt pour notre présente étude
même si nous déplorons que l'auteur n'ait pas pu fournir
suffisamment d'informations sur ces profonds contrastes.
Un travail universitaire plus spécifique sur la SN
SOSUCO a été réalisé en 2009 par Oumar
Cissé. Dans son mémoire de maîtrise intitulé :
« Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso : le cas de
la SN SOSUCO de 1974 à 2008 »22, l'auteur
développe trois grandes parties de l'histoire du complexe sucrier de la
Haute-Volta, aujourd'hui Burkina Faso. Dans la première partie, il
examine les raisons du choix de la plaine de Bérégadougou comme
environnement propice à l'installation de l'usine. Les principaux
facteurs étaient la disponibilité de l'eau, de l'énergie
et de la main d'oeuvre. Ensuite, Oumar Cissé explique le processus de
culture et de récolte de la canne à sucre à la SN SOSUCO.
L'auteur présente les différentes phases de culture de la canne
à sucre, sa transformation en produits finis et sa commercialisation.
Les installations industrielles sont brièvement décrites. Dans la
dernière partie de son mémoire, l'auteur passe en revue les
grandes mutations qu'a connues la SN SOSUCO depuis sa création en 1965.
Les principales crises et difficultés de l'entreprise sont
décrites. Ce travail est d'un apport fondamental pour la première
partie de notre travail car il offre une approche historique sur le
fonctionnement de la société sucrière.
A cela s'ajoute le mémoire de master de Biaou
Orèdola Daryle : « Améliorer la disponibilité des
coupeurs de canne à sucre sur un périmètre industriel :
cas de la SN SOSUCO »23. Daryle a soutenu ce travail en 2017
après un stage à la SN SOSUCO pour l'obtention du diplôme
d'ingénieur de l'eau et de l'environnement. Présenté comme
l'un des rares chercheurs à s'intéresser aux conditions de
travail des ouvriers de la canne à sucre, l'auteur s'intéresse
aux causes de la diminution des
22 Cissé Oumar, « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso : le cas de la SN SOSUCO de 1974 à 2008
», Mémoire de maîtrise en Histoire économique,
Université de Ouagadougou, 2009, 126 p.
23 Biaou Orèdola Daryle, « Améliorer la
disponibilité des coupeurs de canne à sucre sur un
périmètre industriel : cas de la SN SOSUCO »,
Mémoire de master en Ingénierie de l'eau et de
l'environnement, Institut International d'Ingénierie de l'Eau et de
l'Environnement, 2017, p. 100, consulté le 1 décembre 2022, URL :
http://documentation.2ie-edu.org/
cdi2ie/opac_css/doc_num.php?explnum_id=2614.
Page 12
coupeurs de canne dans le complexe sucrier. Il met ensuite en
évidence les facteurs susceptibles de motiver les coupeurs et
d'améliorer leurs conditions de travail. L'ouvrage de Daryle offre une
vision du monde de travail à la SN SOSUCO basée sur des
enquêtes de terrain et des entretiens avec les premiers acteurs. Ce
travail permettra de mieux comprendre l'histoire des planteurs et de proposer
des pistes pour valoriser leur savoir-faire technique.
Un autre exemple est le mémoire de master TPTI de Rose
Timeu Guiawa intitulé « Les multinationales au Cameroun au
lendemain des indépendances : cas de la SOSUCAM de 1964 à nos
jours »24. Dans ce travail, l'auteure s'intéresse
à la politique globale des multinationales au Cameroun, à leurs
relations avec l'État et à leur implication au niveau local en
prenant l'exemple de la Société Sucrière du Cameroun.
Cette analyse nous permet de faire une comparaison avec le cas du Burkina Faso
quand on sait que la même multinationale a eu la SOSUCO pour filiale
entre 1965-1985. Le travail de Guiawa a également été
fondamental pour nous aussi car la dernière partie est consacrée
à des propositions de valorisation du patrimoine industriel de la
SOSUCAM. Ces propositions nous ont inspiré dans la rédaction de
notre projet de patrimonialisation de la SN SOSUCO.
Dans le cadre de leur travail de fin de cycle, les
étudiants du Master Urbanisme, Habitat et Aménagement de
l'Université de Perpignan ont élaboré un projet
d'aménagement du territoire25. Le projet vise à
transformer l'ancien théâtre municipal de
Laroque-des-Albères (France) en centre d'interprétation. Ils se
sont appuyés sur de nombreuses études comparatives avec d'autres
centres d'interprétation, ainsi que sur la documentation du
ministère français de la Culture. L'ouvrage propose de nombreuses
solutions en termes d'aménagement, de mise en valeur et de circulation
au sein du centre d'interprétation. Il comprend des propositions en
matière d'aménagement de l'espace, de sécurité des
bâtiments, de scénographie et de muséographie.
L'accessibilité du public et le fonctionnement du centre
d'interprétation ont également fait l'objet de nombreuses
propositions pour la municipalité bénéficiaire. La
proposition d'aménagement du centre d'interprétation de
Laroque-des-Albères a été pour nous un exemple important
dans nos propositions de valorisation du patrimoine sucrier
burkinabè.
24 Guiawa Rose Timeu, « Les multinationales au Cameroun
au lendemain des indépendances : cas de la SOSUCAM de 1964 à nos
jours. », Mémoire de master en Techniques, Patrimoine et
Territoires de l'industrie, Université de Padoue, 2021, 244 p.
25 Perlik, Barela, Baptista, Terres, Geres et Ali-Guechu,
Projet du centre d'interprétation de la commune de Laroque
des
Albères. Partie 2 : préconisations et
proposition d'aménagement, Master professionnel en Urbanisme,
Habitat et Aménagement, Perpignan, 2015, 74 p., consulté le 27
juin 2023, URL : https://www.payspyreneesmediterranee.org/
mbFiles/documents/etudes/etudefac-2015- cimta-document3.pdf.
VII. Méthodologie
Le choix d'une méthode de travail est nécessaire
pour mener à bien une recherche en histoire et même dans toute
autre discipline. Cette méthode de travail a pour but d'expliquer le
type de méthodologie choisi, la nature des sources utilisées et
la méthode d'analyse de ces sources. Dans notre présente
étude, nous avons choisi une approche méthodologique qualitative
et pluridisciplinaire (histoire, géographie, anthropologie, sociologie,
aménagement, économie, muséologie). Ainsi, nous avons
mené des recherches documentaires d'une part et des entretiens d'autre
part.
A/ Les sources écrites
La recherche bibliographique sur le thème
étudié a permis de consulter deux types de sources écrites
: les archives et les ouvrages. Les archives constituent des sources de
première main dont la consultation a été d'une
utilité incommensurable. En effet, les archives consultées
d'abord au Burkina Faso puis en France nous ont permis de disposer
d'informations inédites. Au Burkina Faso, il n'existe qu'un seul
Centre National des Archives (CNA) pour la communication des
archives au public. Au CNA, nous avons consulté essentiellement le fonds
de la série V. La Série V, qui s'étend de 1898 à
nos jours, comprend les fonds des ministères de la Santé, de
l'administration générale, de l'Environnement, des Mines, des
Travaux Publics, de l'Industrie, de l'Agriculture, du Commerce, de l'Economie,
de l'Education et les Formations, de la Justice, des Sports, etc. Plusieurs
sous-séries (7V, 17V, 31V, 40V, 41V) contiennent des informations sur la
Société Sucrière de la Haute-Volta ou sur les travaux
d'aménagement du Ministère du Plan et de l'Industrie de la
Haute-Volta.
En France, nous nous intéressons aux archives de deux
ministères conservées aux Archives nationales. Il s'agit des
archives du Centre des archives économiques et
financières et du Centre des archives
diplomatiques. Les documents consultés dans le Fond 201 MC sont
des contrats, des conventions, des rapports de campagnes ou encore des comptes
rendus et procès-verbaux de réunion. Ces archives ont
été produites entre 1972 et 1980.
Comme nous l'avons annoncé dans la méthodologie,
nous avons voulu faire de cette étude un travail multidisciplinaire.
Pour ce faire, nous avons aussi consulté de nombreux travaux
universitaires (thèses, mémoires, articles scientifiques,
rapports), des ouvrages individuels ou collectifs et des dictionnaires. Les
thèmes abordés par cette documentation concernent l'histoire des
industries, le patrimoine industriel, l'aménagement du territoire, la
culture entrepreneuriale et la préservation de la mémoire
collective. Toutes les sources écrites ont été
consultées dans les centres
Page 13
Page 14
d'archives, dans les bibliothèques nationales et celles
de diverses autres institutions, et sur les sites Internet
agréés.
B/ Les sources orales
Les sources orales de cette étude sont essentiellement
de deux types : les entretiens que nous avons menés en présentiel
et à distance, et les extraits d'entretien dans des enregistrements
audiovisuels. Les personnes ressources interviewées lors de ces
entretiens sont des travailleurs ou anciens travailleurs de la SN SOSUCO et les
autorités des communes de Bérégadougou et de Banfora. Les
outils de collecte utilisés lors de ces entretiens sont : un guide
d'entretien, un bloc-notes, un stylo à bille, un appareil photo, un
logiciel d'enregistrement et un ordinateur pour le traitement de
l'information.
Par ailleurs, la collecte des sources orales a
été semée d'embuches. En effet, nous n'avons pas pu
rencontrer les premières autorités de la SN SOSUCO malgré
nos demandes d'entretien adressées au secrétariat. Les visites et
même l'accès à la documentation interne de la
société ne nous ont pas été accordés
officiellement. Le même refus nous a été opposé
lorsque nous avons tenté de contacter les deux sociétés
privées qui gèrent le complexe sucrier : le groupe
français SOMDIAA SA26 et le Holding IPS-WA SA27 .
Par ailleurs, le climat sécuritaire malsain qui règne dans la
région des Cascades depuis 2020 a rendu difficile les
déplacements sur le terrain28. Certaines de nos personnes
ressources résidaient dans des zones à forts enjeux
sécuritaires et dont les voies d'accès étaient
bloquées par des groupes terroristes. La psychose s'étant
propagée à toutes les populations, nous n'avons pas pu trouver un
cadre idéal pour des discussions de groupe avec certains planteurs ou
certains syndicats de travailleurs de la compagnie sucrière. L'approche
individuelle a donc été privilégiée. Nous
espérons pouvoir mener ces enquêtes de terrain dès le
retour à une paix durable dans l'ensemble du pays. Ces deux facteurs ont
réduit de moitié le nombre initial de personnes ressources
à interviewer.
26 La Société d'Organisation, de Management et
de Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA) SA
se veut un acteur majeur de l'industrie agro-alimentaire en Afrique. Elle a
géré la SN SOSUCO de sa création jusqu'en 1985.
27 Industrial Promotion Services - West Africa (IPS-WA) SA se
veut est une institution de promotion industrielle qui oeuvre dans l'industrie
et les services, et contribue au développement des pays dans lesquels
elle opère. L'entreprise gère la SN SOSUCO depuis 1996.
28 En effet, depuis 2015, le Burkina Faso a enregistré
ses premières attaques terrorismes sur son territoire. Dès lors,
le pays a connu de nombreuses attaques terroristes, plongeant une partie du
territoire dans des zones d'insécurité. Notre zone
d'études, la région du Sud-ouest, fait partie de celles
menacées par le terrorisme, en témoigne l'attaque de la
gendarmerie de Mangodara en 2020 par des hommes armés non
identifiés.
Page 15
C/ Les sources auxiliaires
Outre les sources orales et écrites, nous avons
exploré d'autres types de sources. Il s'agit des sources iconographiques
et des sites Internet. Compte tenu de la place importante que nous avons
accordée à l'image dans notre travail, nous avons consulté
des cartes topographiques, des plans d'urbanisation et de construction, des
images et des schémas du patrimoine sucrier de la SN SOSUCO. Ces visuels
ont servi de support aux sources écrites et orales.
En 2006, Michel Beaud constatait que : « Comme
l'ordinateur, l'internet prend une place de plus en plus importante dans
l'activité des chercheurs »29. Nous ajoutons que la
place d'Internet est aujourd'hui incontournable dans la recherche scientifique
au regard de la globalisation du monde et des avancées technologiques
considérables. Les sources Internet nous ont permis ainsi d'avoir
accès à une documentation physiquement inaccessible ou disponible
uniquement sous forme numérique. Nos recherches sur internet se sont
déroulées sur des sites officiels (
https://snsosuco.com,
https:// www.ips-wa.org,
https://www.unesco.org/fr) ;
des portails institutionnels (
https://www.archives-nationales.culture.gouv.fr,
http://www.insd.bf,
https://www.si.uevora.pt)
et des sites de référence (JSTOR, PERSÉE, OpenEdition,
CAIRN). Sur ces sites, nous avons principalement exploité des ouvrages,
des statistiques et des figures.
D/ L'analyse des sources
En ce qui concerne la nature des sources exploitées,
nous avons appliqué deux types d'analyse. Le premier traitement a
porté sur la documentation. Après avoir lu les différents
ouvrages et iconographies, nous avons réalisé des fiches de
lecture. Ces fiches nous ont permis de classer les documents par thème
d'étude. Il s'agit entre autre des thèmes suivants : industrie,
sucre, aménagement du territoire, patrimoine industriel, patrimoine
culturel, mémoire collective, valorisation, centre
d'interprétation, storytelling. Pour finir, nous avons
réalisé des synthèses sur chaque ouvrage que nous avons
utilisées dans le présent travail.
Quant au second traitement, il a concerné les sources
orales. Composées essentiellement d'entretiens et de vidéos, nous
avons commencé par les écouter ou les visionner. Ensuite, nous
avons transcrit tous les entretiens réalisés et les vidéos
téléchargées sur des sites officiels. Une fois
transcrites, ces sources deviennent des documents écrits et subissent
donc le même traitement que nos sources écrites. La transcription
des entretiens se trouve en annexe du mémoire. Cependant,
29 Beaud M., L'art de la thèse, op. cit., p.
50.
Page 16
certaines vidéos nous ont permis d'extraire des images
inédites que nous avons utilisées dans notre présent
travail.
Une analyse synthétique de toutes ces sources nous
permet de proposer un plan de travail qui a guidé notre rédaction
finale.
VIII. Annonce du plan
L'analyse de notre sujet de recherche s'articule autour de trois
chapitres :
? Le premier chapitre retrace l'installation et le
développement de la Nouvelle Société Sucrière de la
Comoé. Il présente le contexte de la création et de
l'installation du complexe sucrier dans la région des Cascades. Ensuite
il explique le fonctionnement et l'organisation dudit complexe depuis sa
création jusqu'à nos jours.
? Le deuxième chapitre propose une analyse du complexe
sucrier de Bérégadougou. Cette analyse met en évidence
l'occupation spatiale des champs de canne à sucre et de l'usine
sucrière. Elle permet ensuite de présenter la chaîne de
production sucrière de la SN SOSUCO, de la culture de la canne à
sucre à l'obtention des produits et sous-produits sucriers. Enfin, ce
deuxième chapitre évalue l'impact socio-économique de
l'entreprise sur la région des Cascades.
? Le troisième chapitre met en évidence la
valeur patrimoniale de l'industrie sucrière burkinabè. Ce
chapitre commence par présenter la composition du patrimoine sucrier
burkinabè, avant de faire deux propositions pour sa mise en valeur. La
première proposition concerne la création d'un Centre
d'Interprétation du Sucre des Cascades (CISC) pour promouvoir les biens
et les sites de l'industrie sucrière. La seconde proposition
s'intéresse au storytelling, une technique de communication
destinée à promouvoir l'industrie sucrière à
travers la réalisation d'histoires émouvantes.
Page 17
Chapitre I : L'INSTALLATION ET LE DÉVELOPPEMENT
DE LA NOUVELLE SOCIÉTÉ
SUCRIÈRE DE LA COMOÉ (SN
SOSUCO)
Abstract
The history of the Nouvelle Société
Sucrière de la Comoé (SN SOSUCO) would be like the history of its
country, Burkina Faso, that is to say a history made of many twists and turns.
Created in 1965 in a Sudanese-Sahelian country, the cultivation of sugar cane
and its local transformation was full of uncertainties and obstacles to be
solved. But in 1968, the Société d'Etudes Sucrières de
Haute-Volta (SESUHV) came to the conclusion that the Cascades region, located
in the southwest of Burkina Faso, was favorable for the cultivation and
manufacture of sugar. The choice of this region was justified by the
availability of physical, economic and human assets favorable to the
development of the sugar industry. In 1972, the Government of Upper Volta, now
Burkina Faso, signed a contract with the Société d'Organisation,
de Management et de Développement des Industries Alimentaires et
Agricoles (SOMDIAA) to build a sugar complex. This complex should be
established on a perimeter of 10,000 ha of which 4,000 ha will be used for
sugar cane plantation. The factory should have an annual production of about 30
000 tons of sugar. The sugar complex was inaugurated in 1975 with the launch of
Made in Burkina Faso sugar. From 1975 onwards, SN SOSUCO underwent several
political, social and economic changes. Created with the status of a mixed
economy company, SN SOSUCO will undergo legal changes in accordance with the
political instability of the country between 1966 and 1987. The return to
constitutional order in Burkina Faso in 1991 puts an end to exceptional
regimes, but economic crises took over. Caught in the grip of the
liberalization of African economies from 1991 onwards, the Burkinabè
authorities privatized SN SOSUCO in 1998, which had become a state-owned
company since 1985. Since then, the Holding Industrial Promotion Services-West
Africa (IPS/WA) has managed the sugar complex. From its privatization in 1998
until 2020, SN SOSUCO went through instability related to sugar production,
crises of poor sales, social discontent among workers and a need to modernize
its industrial facilities.
Page 18
Située au coeur de l'Afrique de l'Ouest et
entièrement bordée par six autres pays, la Haute-Volta,
aujourd'hui Burkina Faso, est un pays continental avec une population de 20 505
155 habitants30. Créée le 1er mars 1919 en tant que
colonie française, la Haute-Volta a attendu son indépendance le 5
août 1960 pour pouvoir mettre en oeuvre une politique industrielle.
L'objectif de cette industrialisation, comme ailleurs, était d'amorcer
le développement économique du pays. Soixante ans après le
démarrage du processus industriel, force est de constater que le Burkina
Faso peine à se doter d'une industrie forte au regard des
difficultés politiques, économiques et sociales que connaît
le pays. Néanmoins, certaines industries parviennent à
fonctionner malgré le contexte socio-économique difficile. L'une
d'entre elles est la Nouvelle Société Sucrière de la
Comoé, abrégée SN SOSUCO. Cette industrie sucrière
d'économie mixte a été créée en 1965 dans
l'objectif de doter le Burkina Faso de sa propre usine de production et de
commercialisation de la canne à sucre. Aujourd'hui, la SN SOSUCO est
l'une des rares industries créées après
l'indépendance à être encore en activité. Il
s'avère donc intéressant de revisiter l'histoire de la SN SOSUCO
depuis sa création jusqu'en 2020. Cette analyse nous permettra de
comprendre le contexte de création de l'usine, des raisons de
l'implantation du complexe sucrier à Bérégadougou et le
fonctionnement de l'usine sous le groupe SOMDIAA SA puis sous la holding
IPS-WA.
I. Le contexte de la création et de l'installation
du complexe sucrier au Burkina Faso
Si les années 1970 ont vu la
désindustrialisation des systèmes productifs en Europe, en
Afrique en général et au Burkina Faso en particulier,
l'ère était à l'industrialisation de l'économie.
Cette industrialisation a véritablement commencé dans les
années 1960 et se poursuit encore au Burkina Faso avec la
présence des sociétés comme la SN SOSUCO.
A/ Le paysage industriel du Burkina Faso avant la
création du complexe sucrier 1. Les industries pendant la période
coloniale
De 1919 à 1960, le bilan de la colonisation
française au Burkina Faso est très pauvre en termes
d'industrialisation. En effet, la Haute-Volta, à l'instar des autres
colonies de l'Afrique Occidentale
30 Institut National de la Statistique et de la
Démographie (INSD), Cinquième Recensement
Général de la Population et de l'Habitation du Burkina Faso,
Synthèse des résultats définitifs, Ouagadougou, INSD,
2e édition, 2022, p. 28, consulté le 27 mars 2023, URL :
https://www.insd.bf/fr/file-download/download/public/2066.
Page 19
Française (AOF)31, avait le statut de
colonie d'exploitation au regard des potentialités naturelles et
humaines des territoires de l'AOF. L'exploitation de ces ressources naturelles
par l'empire colonial français pendant la période coloniale n'a
pas abouti à l'installation de nombreuses usines d'extraction et de
fabrication en Haute-Volta. La raison fondamentale de la sous-industrialisation
du Burkina Faso pendant la période coloniale serait « [É]
l'absence d'une politique industrielle rigoureuse »32. La
métropole s'est contentée d'utiliser le "pacte colonial" dans ses
relations avec la colonie. Ce pacte lui garantissait un monopole commercial
avec la Haute-Volta. Ainsi, la France préférait exporter les
matières premières voltaïques (coton, coques d'arachide,
bétail) pour les transformer dans des industries situées en
France. En retour, elle ramenait des produits manufacturés en
Haute-Volta. L'industrialisation du Burkina Faso n'était donc pas une
nécessité pour la France.
À partir de 1939, avec le déclenchement de la
Seconde Guerre mondiale, la métropole entreprend d'implanter quelques
industries en Haute-Volta pour répondre aux besoins croissants de la
France en produits manufacturés. Georges Compaoré, dans sa
thèse de doctorat, affirme que : « Le colonisateur, loin de se
préoccuper de l'avenir du pays, a surtout implanté quelques
unités de production dans le but de servir sa cause » 33 . Ce fut
le début d'un faible processus d'industrialisation en Haute-Volta. Parmi
ces industries, nous avons essentiellement :
- La Société d'Exploitation des Carburants
Coloniaux (SECACO) qui a existé en Haute-volta entre 1938 et 1953.
L'usine devait produire du carburant alternatif à base d'amende de
karité34.
- Le Comptoir des Industries Textiles et Cotonnières
(CITEC), créé en 1942 à Bobo-Dioulasso. Cette usine,
toujours en activité, est spécialisée dans la production
d'huile et de savon. Elle est de ce fait la plus ancienne usine du pays encore
en activité.
31 L'Afrique Occidentale Française (AOF) était
un gouvernement général qui a réuni huit (8) colonies
françaises d'Afrique de l'Ouest dans une fédération entre
1895 et 1958. Formée en plusieurs étapes, elle comprenait
finalement la Mauritanie, le Sénégal, le Soudan français
(actuel Mali), la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Niger, la
Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et le Dahomey (actuel
Bénin).
32 Compaoré G., « L'industrialisation de la
Haute-Volta », op. cit., p. 12.
34 Sissao Claude Etienne, « La SECACO : la
création d'une usine en temps de guerre en Haute-Volta. »,
Outre-mers, tome 97, n°366-367, Images et pouvoir dans le
Pacifique, 2010, p. 273, consulté le 30 mars 2023, URL :
https://
www.persee.fr/docAsPDF/outre_1631-0438_2010_num_97_366_4466.pdf, DOI :
https://doi.org/10.3406/
outre.2010.4466.
Page 20
- L'abattoir municipal de Ouagadougou a été
construit en 1954 pour faciliter l'abattage et le transport de la viande. Deux
abattoirs frigorifiques ont ensuite été construits à Bobo
Dioulasso (1962) et à Ouagadougou (1969).
- L'usine d'égrenage de coton de la Compagnie
Française pour le Développement des Textiles (CFDT) a
été mise en service en janvier 1957. Aujourd'hui, cette usine
continue d'égrener le
coton dans huit villes du pays sous le nom de
Société des Fibres et Textiles (SOFITEX).
- La création de deux grandes imprimeries à
Ouagadougou : l'imprimerie évangélique en 1942 et
l'imprimerie des Presses Africaines (1952).
- Un entrepôt de boissons en 1955. Cet entrepôt
deviendra les Brasseries de Haute-Volta (BRAVOLTA) en 1960 et depuis
1984 la Brakina, la brasserie nationale.
- Deux boulangeries "industrielles" à Ouagadougou : la
boulangerie Attié ouverte en 1956 et la boulangerie-pâtisserie
Nouvelle créée en 1958 35 .
L'analyse spatiale de toutes les industries
créées pendant la période coloniale permet de comprendre
que la quasi-totalité des industries n'étaient présentes
que dans les cercles de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso. Le cercle de Banfora,
à l'instar des autres cercles voltaïques, n'a pas été
touché par les autorités coloniales.
Si l'on déplore la faiblesse de l'héritage
colonial français dans le domaine industriel, force est de constater que
toutes ces industries primitives ont le mérite d'avoir
résisté aux nombreuses difficultés
socio-économiques du Burkina Faso.
2. Les premières politiques de
développement industriel du Burkina Faso
Face au faible niveau d'industrialisation du nouvel
État, les autorités politiques de la Haute-Volta des
années 196036 ont voulu faire de l'industrialisation de
l'économie un secteur prioritaire. Cette volonté politique s'est
traduite par la formulation de plusieurs politiques de développement
industriel au fil des années. Parmi celles qui ont
précédé la période de 1965, on peut citer les
Politiques d'orientation et le Plan-cadre 1967-1970.
35 Compaoré G., « L'industrialisation de la
Haute-Volta », op. cit., p. 23.
36 Le 5 août 1960, la Haute-Volta, aujourd'hui Burkina
Faso, accède à l'indépendance. Cette indépendance
est proclamée par Maurice Yaméogo, Président de la
République de la Haute-Volta. Le 3 janvier 1966, un soulèvement
populaire met fin au régime de Maurice Yaméogo et marque
l'arrivée des régimes militaires au pouvoir.
Page 21
Les Politiques d'orientation
Les autorités politiques voltaïques savaient que
l'indépendance politique ne pouvait être atteinte sans
indépendance économique, ce qui nécessitait un programme
de développement socio-économique pour le pays. Les objectifs de
cette politique d'industrialisation étaient les suivants :
? Améliorer la balance commerciale en réduisant
les importations. Pour combler le déficit, l'État favorise
l'implantation de petites unités de production de biens
manufacturés à forte consommation (ciment, tôle, bois,
tissus, chaussures, matériel de cuisson, pneus, etc.) Cette mesure
permet non seulement d'ajouter de la valeur au produit intérieur brut,
mais aussi de créer de nouveaux emplois pour la population.
? Encourager la construction d'unités industrielles
pour transformer les matières premières localement. Des secteurs
prioritaires seront déterminés pour accueillir les
premières industries. Il s'agit du textile, du pneumatique et de
l'agro-alimentaire. C'est notamment cet objectif des autorités
politiques qui lancera les réflexions sur la création d'un
complexe sucrier national.
Pour mener à bien ces politiques de
développement industriel, l'État voltaïque s'est doté
d'institutions politiques et financières chargées de piloter les
différentes mesures. En 1962, il adopte également un instrument
juridique pour règlementer le secteur des investissements : le Code
des investissements37. Ainsi, toutes les conditions politiques
et économiques étaient réunies pour favoriser la
création d'une société sucrière en Haute-Volta.
La conséquence de ces politiques de
développement économique a été l'émergence
dès 1962 de nouvelles industries dans l'agro-industriel, le coton et les
produits manufacturés. Georges Compaoré résume le secteur
industriel en ces termes : « Fin 1965, l'ensemble représentait
environ
36 installations industrielles dont 20 à Ouagadougou et 16
à Bobo-Dioulasso »38 .
Plan-cadre 1967-1970
L'objectif du Plan-cadre était de dynamiser
l'économie nationale en s'appuyant sur les potentialités de
chaque région. Une place centrale a été accordée
à la production rurale avec la création d'Organismes
Régionaux de Développement (ORD). Ces ORD ont permis
d'accroître le potentiel agricole de la région de Banfora au point
d'en faire le lieu d'implantation de l'industrie
37 Compaoré G., « L'industrialisation de la
Haute-Volta », op. cit., p. 32.
38 Ibid., p. 35.
Page 22
sucrière en 1968. Six autres unités
industrielles seront créées en Haute-Volta dans le cadre de la
mise en oeuvre de ce schéma directeur. Des villes comme Koudougou et
Kaya bénéficient de leurs premières unités
industrielles. C'est l'industrialisation à l'échelle
nationale.
À la fin des années 1970, les résultats
des unités industrielles créées par la politique de
développement industriel du gouvernement voltaïque sont faibles,
mais meilleurs que l'héritage colonial. D'une dizaine d'unités
industrielles, le pays en comptait une quarantaine lors de la création
du complexe sucrier de Bérégadougou. On peut conclure que la
politique de développement industriel était lancée en
Haute-Volta.
B/ L'implantation du complexe sucrier à
Bérégadougou
Compte tenu de la taille du complexe sucrier qui devrait
être installé en Haute-Volta, la recherche et le choix d'un espace
approprié était une étape primordiale. Cet espace devait
permettre de réduire au maximum les coûts d'aménagement et
de fonctionnement de l'usine. C'est à cet effet que l'Institut de
Recherches Agronomiques Tropicales (IRAT), après plusieurs recherches, a
finalement retenu la commune de Bérégadougou dans la
région des Cascades pour l'implantation du complexe sucrier de la
Haute-Volta39. Ce choix s'explique par les potentialités
physiques, économiques et humaines de la région. La carte
ci-dessous illustre la situation géographique de la SN SOSUCO,
située à l'extrême nord de la ville.
39 Dans les documents juridiques et administratifs de la SN
SOSUCO (lois, conventions, correspondances), la commune rurale de
Bérégadougou est bien le lieu d'emplacement de la
société sucrière du Burkina Faso. Mais la plupart des
études économiques, politiques et urbanistiques
préliminaires ont localisé la SN SOSUCO à Banfora, commune
urbaine et chef-lieu de la région des Cascades. Ainsi, selon la nature
du document utilisé, nous situerons la SN SOSUCO à
Bérégadougou ou à Banfora.
Figure 1 : Carte de la situation géographique de
Banfora
Source : Groupement Agence ARCADE et Agence AXIALE, « Le
découpage administratif de la commune », dans Conseil Municipal de
Banfora, Plan Communal de Développement de la Commune urbaine de
Banfora, op. cit., p. 15.
1. Les atouts physiques de la région des
Cascades
L'environnement physique de Banfora, chef-lieu de la
région des Cascades, présente quatre potentialités
favorables à la culture de la canne à sucre. Il s'agit du relief,
du sol, du climat et de l'hydrographie.
Le relief et les sols
La commune urbaine de Banfora est située dans une
cuvette marquée par un relief plat et élevé. La majeure
partie du territoire est relativement plate avec une altitude de 270 m, bien
qu'à certains endroits il y ait un relief élevé
caractérisé par des escarpements ou ruptures de
pentes40. Pour la culture de la canne à sucre, le relief plat
était un atout pour les tiges et le système d'irrigation.
40 Conseil Municipal de Banfora, Plan Communal de
Développement de la Commune urbaine de Banfora : horizon 2019-2023,
Banfora, Commune urbaine de Banfora, 2019, p. 18. [Ouvrage disponible à
la Mairie de Banfora]
Page 23
La platitude du relief devrait s'accompagner de sols
prédisposés à la culture de la canne. Les études
réalisées ont permis de classer les sols de Banfora en trois
types : les sols hydromorphes, les sols peu évolués et les sols
ferralitiques ou ferrugineux. Parmi ces sols, seuls les sols hydromorphes se
sont révélés favorables à la culture de la canne
à sucre en termes de valeurs agronomiques (70-80% de sable).
Figure 2 : Carte des sols et des bas-fonds de Banfora
Source : Groupement Agence ARCADE et Agence AXIALE, « Le
découpage administratif de la commune », dans Conseil Municipal de
Banfora, Plan Communal de Développement de la Commune urbaine de
Banfora, op. cit., p. 23.
La carte ci-dessus donne une lecture globale de la
diversité des sols de la commune de Banfora. La présence
abondante de sols hydromorphes ou bruns eutrophes sur matériaux
argilo-sableux est visible au Nord-ouest et au Sud. Cette zone est
également la plus riche en bas-fonds, utilisés pour l'irrigation
des plantes. Malgré leur faible teneur chimique, ces sols ont
été déclarés compatibles avec l'utilisation
d'équipements lourds tels que tracteurs, bulldozers, canoteurs, etc.
Toutes les conditions étaient réunies pour déclarer ces
sols et ce relief aptes à recevoir une plantation de canne à
sucre.
Le climat et les ressources en eau
Banfora bénéficie d'un climat tropical humide
sud-soudanien, marqué par deux grandes saisons : une saison sèche
de cinq mois (novembre-mars) et une saison des pluies de sept mois (avril-
octobre). Les températures moyennes annuelles varient
entre 17°et 36° C. L'humidité, un facteur
Page 24
Page 25
important pour la croissance de la canne, était
supérieure à la moyenne. Entre 1971-1978, une relative
humidité de 63% a été enregistrée à
Bérégadougou41. Cette humidité favorise la
croissance et la maturité de la canne. Un autre facteur climatique
déterminant est l'ensoleillement, considéré comme
satisfaisant pour la formation du sucre dans les tiges de
canne42.
Le Sud-ouest du pays est considéré comme la zone
la mieux arrosée en termes de précipitations annuelles. La canne
à sucre étant une plante consommatrice d'eau, cette région
semblait être l'endroit le plus favorable au développement de
cette culture. Entre 1959 et 1967, la moyenne pluviométrique à
Banfora a été de 1224,5 mm d'eau par an. Une quantité
d'eau jugée suffisante pour les plants de canne. Thierry Hartog ajoute
que « Les variations pluviométriques inter-annuelles y sont aussi
moins accentuées : elles se situent entre 72 et 130% des moyennes
relevées, alors qu'elles oscillent, dans le Nord du pays, entre 50 et
170% » 43 . Cette zone s'est révélée être l'une
des plus arrosées de la Haute-Volta, et donc propice aux plantations de
canne à sucre. La carte du réseau hydrographique ci-dessous
montre la variété et l'abondance des ressources en eau à
Banfora.
Figure 3 : Carte du réseau hydrographique de Banfora
Source : Groupement Agence ARCADE et Agence AXIALE, « Le
découpage administratif de la commune », dans Conseil Municipal de
Banfora, Plan Communal de Développement de la Commune urbaine de
Banfora, op. cit., p. 21.
41 Ouattara A., « Industrialisation et urbanisation en
Haute-Volta. Le cas de Banfora : transformations, problème de croissance
urbaine et d'organisation spatiale. », Thèse de doctorat,
Université Louis Pasteur, Strasbourg 1, 1982, p. 77, cité par
Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina
Faso », op. cit., p. 11.
42 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 11.
43 Hartog T., « Le périmètre sucrier de
Banfora », art. cit., p. 121.
Page 26
Les fortes précipitations de la région ne
suffisent pas à assurer le plein développement des tiges de
canne. Il était donc important de disposer de réserves d'eau pour
alimenter le système d'irrigation des plantations. En 1965, les
réserves d'eau de la région étaient estimées
à 51 600 000 m3.44 Le barrage de la Comoé
(38 millions de m3) et ses deux affluents, la rivière Yannon
et la
45
rivière Béréga, en étaient les
principales. Outre l'utilisation de ces réserves d'eau pour l'irrigation
des champs, il est prévu de les utiliser pour alimenter les centrales
hydroélectriques de sucrerie. Cette mesure devait assurer une relative
autonomie à l'ensemble du complexe sucrier.
Si les potentialités du milieu physique pour la culture
de la canne à sucre sont satisfaisantes, la SESUHV avait besoin de
réunir des conditions humaines et économiques avant de conclure
à la possibilité d'installer le complexe sucrier à
Bérégadougou.
2. Les potentialités humaines et
économiques
La ressource humaine
Les besoins en main-d'oeuvre du projet sucrier ont
été estimés à 2 000 travailleurs permanents
répartis comme suit : 1 500 dans les cultures, 300 dans l'usine et 200
dans les services généraux46. En 1965, la population
du cercle de Banfora était de 6.661 habitants. La densité humaine
était de 10,4 habitants/km2 contre 20,5
habitants/km2 au niveau national47. Cette faible
densité s'explique par l'abondance des zones d'eau. Cependant, il existe
un potentiel de main-d'oeuvre et la facilité de recrutement est un autre
avantage au regard de l'organisation administrative de Banfora. Le
caractère agricole de la population a été pris en compte
dans la mesure où l'activité principale de ces populations
était l'agriculture et la vannerie.
La région de Banfora bénéficiait
également d'une position géographique favorable. Dans un rayon de
20 km, on comptait environ 53 500 habitants, ce qui conforte l'idée que
la main-d'oeuvre est disponible dans cette partie du pays grâce au
développement du travail migratoire. La proximité de Banfora avec
la deuxième ville de la Haute-Volta, à 82 km de Bobo-Dioulasso, a
été un facteur déterminant dans l'offre de main-d'oeuvre.
En somme, une ressource humaine disponible et
44 Ministère du Commerce, de l'Industrie et de
l'Artisanat, Privatisation de la société sucrière de la
Comoé, 1998, p.31, cité par Cissé O., « Une approche
historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 30.
45 Biaou O. D., « Améliorer la disponibilité
des coupeurs de canne à sucre sur un périmètre industriel
», op. cit., p. 12.
46 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Présidence du Faso, sous-série 7V, 7V408, Correspondance relative
au projet de création d'industrie, 1965-1994.
Page 27
qualifiée pourrait être mobilisée à
Banfora pour servir dans le futur complexe sucrier de la Haute-Volta.
Les atouts économiques
Le projet sucrier devrait permettre à terme la
commercialisation d'un produit de consommation courante : le sucre. Or, les
prévisions de consommation de sucre en Haute-Volta étaient
progressives pour la période de 1969 à 197748. Le
complexe sucrier disposait donc d'un marché pour la consommation de
sucre en Haute-Volta. Il y a donc une valeur ajoutée à
l'économie de la région de Banfora d'abord et à
l'économie nationale ensuite. Cela permettra d'amorcer le processus de
désenclavement économique des régions, tel que
souhaité par les autorités de la Haute-Volta avec l'adoption de
diverses politiques de développement industriel.
Banfora était desservie par la ligne de chemin de fer
Abidjan-Ouagadougou. Cette position était très
déterminante pour l'implantation du complexe sucrier pour deux raisons.
Tout d'abord, la Haute-Volta est un État enclavé sans
accès à la mer. Le transport du matériel roulant, des
grosses machines et des équipements du complexe sucrier, qui devait se
faire par voie fluviale, ne pouvait se faire que par voie ferrée. Une
autre importance de ce réseau était son utilisation pour
l'approvisionnement en matières premières nécessaires au
fonctionnement de l'usine. Le chemin de fer devait servir à
l'acheminement du produit fini sur les marchés de l'intérieur et
de l'extérieur.
Au vu de ces potentialités physiques, humaines et
économiques, la région des Cascades, et en particulier la commune
de Bérégadougou, a été proposée comme lieu
d'implantation du tout premier complexe sucrier de la Haute-Volta. Une fois le
site validé par le gouvernement voltaïque, le projet pouvait
continuer son développement.
C/ Le processus de création de la SN SOSUCO
La création d'un complexe sucrier d'envergure nationale
nécessite un long processus de travail passant par des études de
terrain, des notes de réflexion, la recherche de financement, le
démarrage des activités industrielles et enfin la mise sur le
marché du produit fini.
48Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/20, Projet sucrier de Banfora,
1972.
Page 28
1. La phase d'études avec la SESUHV
Cette première phase a été importante
pour le complexe sucrier de la Haute-Volta car elle a déterminé
la fiabilité et la durabilité du projet sucrier. Le 17 août
1965, le gouvernement de la Haute-Volta et la Société
Industrielle et Agricole de Niari (SIAN)49 signent un Protocole
d'accord. Cet accord a conduit à la création, le 27 novembre
1965, de la Société d'Etudes Sucrières de
Haute-Volta (SESUHV) avec le statut de société anonyme.
Cette société a été créée pour une
durée de 99 ans et « a pour objet toutes études agronomiques
et industrielles pour tous les problèmes de production de canne, de
fabrication et de raffinage de sucre et tous problèmes s'y rattachant
jusqu'à la commercialisation sur le territoire de la République
de la Haute-Volta »50. Le gouvernement voltaïque confie
à la SESUHV le soin de réaliser pour son compte un programme
d'essais et d'expérimentations agronomiques en vue de promouvoir la
culture industrielle de la canne à sucre et la création d'une
industrie sucrière. Ce programme devrait avoir une durée de
quatre ans, de 1965 à 196951. Outre le gouvernement
voltaïque, la SESUHV rendait compte à deux autres associés
du projet sucrier : la Société Multinationale pour le
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA) et le
gouvernement ivoirien. Le 23 décembre 1965, la première
pépinière est plantée à Bérégadougou
et les essais se poursuivent jusqu'en 197452 avec une augmentation
progressive du nombre de parcelles de canne à sucre.
Pour atteindre ces objectifs, la SESUHV a collaboré
avec d'autres structures existantes. Il s'agit
de :
- La Société Grenobloise d'Etudes et
d'Applications Hydrauliques (SOGREAH) : elle a réalisé des essais
sur les variétés de canne à sucre à cultiver
à Bérégadougou et des études sur les
possibilités hydrauliques53 ;
49 La Société Industrielle et Agricole de Niari
(SIAN) a été créée au Congo-Brazzaville en 1929 et
s'est spécialisée dans la culture et la transformation de la
canne à sucre. En 1949 la SIAN est devenue une filiale du groupe
français SOMDIAA au Congo sous le nom de SIAN-Congo. Après la
privatisation de la SIAN en 1991, la SARIS Congo a été
créée pour la remplacer.
50 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Présidence du Faso, sous-série 7V, 7V408, Correspondance relative
au projet de création d'industrie, 1965-1994.
51 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/20, Complexe Agro Industriel de
Banfora, 1972.
52 La toute première campagne de récolte de
canne à sucre du complexe sucrier de la Haute-Volta a eu lieu au cours
de la saison 1974-1975.
53 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 15.
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- La Société Générale des
Techniques Hydro-Agricoles (SOGETHA) : elle étudie la mobilisation des
réserves d'eau ;
- L'Institut de Recherches Agronomiques Tropicales (IRAT) pour
la recherche du financement du projet : pionnier dans les études sur la
possibilité de cultiver la canne à sucre en Haute-Volta depuis
1960, mais aussi assistant technique à SOMDIAA dans la
réalisation du complexe ;
- Le Secrétariat français des Missions
d'Urbanisme et d'Habitat (SMUH) : chargé des opérations
d'urbanisme de la ville de Banfora dans le cadre de la réalisation du
complexe sucrier.
En mai 1968, les études de prospection de la SESUHV
sont bien avancées. Elle décide alors de passer à
l'étape suivante du projet : la création d'une
"agglomérerie de sucre"54 à
Bérégadougou, dans le cercle de Banfora55.
2. La création d'une usine d'agglomération
sucrière
En Juillet 1968, la Société
Sucrière de Haute-Volta (SOSUHV) est créée pour
exploiter une "agglomérerie du sucre" à
Bérégadougou, dans le cercle de Banfora56. Le
début de l'exploitation est prévu pour septembre 1969. L'usine
d'agglomération devait avoir une capacité de production de 15 000
tonnes de sucre en morceaux par an. La phase expérimentale des
plantations de cannes n'étant pas achevée, la SESUHV a
décidé d'approvisionner l'usine d'agglomération en sucre
en vrac provenant des territoires membres de l'OCAM. Ces échanges se
feront conformément aux Accords Sucriers en vigueur. Cette
usine d'agglomération du sucre a été créée
pour être intégrée dans la future sucrerie. Le coût
du financement de l'usine d'agglomération du sucre a été
estimé à 300 millions de francs CFA avec un apport de
crédit de 200 millions. Les 100 millions de francs CFA
restants57 constituaient le capital social de l'agglomérerie
et se répartissaient comme suit : 33 millions pour le gouvernement
voltaïque, 33 millions pour la SIAN et 34 millions pour les
54 Le terme "agglomérerie du sucre" apparaît
ainsi dans les archives. Mais nous pensons que ce terme est désuet et
qu'il faudrait plutôt parler de « usine d'agglomération
sucrière ». Cependant, par souci de conformité avec les
sources écrites, nous conserverons l'appellation officielle du terme.
55 Pour rappel, le site de Bérégadougou n'a pas
été la seule zone étudiée. D'autres sites ont
été étudiés, comme la vallée du Sourou (au
nord-ouest du Burkina Faso) et les sites derrière les barrages. De nos
jours, des sites non retenus pour la culture de la canne à sucre ont
été aménagés pour la culture du riz.
56 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé : études
diverses, 1986, p. 2.
57 Ce capital social a été finalement
porté à 110 millions de francs CFA.
Page 30
souscripteurs privés58. L'usine
d'agglomération a fonctionné jusqu'à la création du
complexe sucrier en 1972.
3. Le processus de mise en place du complexe
sucrier
En 1972, compte tenu des résultats encourageants de
"l'agglomérerie du sucre" de Bérégadougou, le gouvernement
voltaïque décide de réaliser un complexe sucrier
qui engloutira l'usine d'agglomération du sucre. La SESUHV a
donc été absorbée par ce complexe sucrier. Un premier
contrat est signé le 20 octobre 1972 entre la République de la
Haute-Volta et la SOMDIAA pour la réalisation du complexe sucrier :
c'est le Contrat d'établissement. Il portait sur la culture de
4 000 hectares de canne à sucre sur un total de 10 000 hectares en deux
étapes : l'une de 2 250 ha et l'autre de 1 700 ha. Ce contrat devrait
également permettre la construction d'une usine de transformation de la
canne à sucre de 30 000 tonnes par an59, soit le double de
l'usine d'agglomération. Le capital social est porté à 1
832 500 francs CFA.
L'année suivante, en 1973, le capital est porté
à 1 965 500 francs CFA après la signature du contrat
d'établissement entre le gouvernement voltaïque et la SOMDIAA.
Cette convention fixe les conditions d'exercice de la multinationale
française et définit les avantages fiscaux et douaniers pour le
transport du matériel du complexe.
De 1972 à 1974, la SOMDIAA et ses partenaires
techniques procèdent à la construction des bâtiments,
à la fourniture du matériel agricole et à l'installation
des machines de la raffinerie. Les dernières expérimentations sur
les variétés de canne à sucre sont achevées et la
récolte peut avoir lieu en décembre 1974. Dès 1972, des
opérations d'urbanisme sont prévues à Banfora dans le
cadre de la construction du complexe agro-industriel. Dirigées par le
Secrétariat français des Missions d'Urbanisme et d'Habitat
(SMUH), ces opérations devaient déboucher sur un plan
d'aménagement de la ville de Banfora60.
Le 28 janvier 1975, le gouvernement de la Haute-Volta
procédait à l'inauguration du complexe sucrier.
La SOSUHV venait de mettre sur le marché son sucre granulé issu
de ses plantations de canne à sucre. Le
1er juillet 1975, le gouvernement
de la République de la Haute-Volta signe
58 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Commerce, du Développement industriel et des Mines,
sous-série 31V, 31V145, Création d'une agglomérie de sucre
à Bérégadougou (cercle de Banfora) -
Procès-verbal de réunion, 1968.
59 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 26.
60 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère des Travaux Publics et de l'Urbanisme, sous-série 40V,
40V28, Société Sucrière de la Haute-Volta : études
d'urbanisme de Banfora, levers topographiques, correspondance - Compte
rendu de réunion, 1972, p. 2.
Page 31
officiellement un nouveau contrat avec la SOMDIAA. Ce contrat
permet à la multinationale française d'assurer l'assistance
technique de gestion et la responsabilité de l'exploitation. Il a
été signé pour une période de 10 ans à
compter de la date de signature du contrat61.
La SOSUHV a connu de nombreuses mutations au cours de son
évolution. Ces changements sont caractérisés par des
périodes de forte croissance économique, des crises de
mévente ou des périodes de stabilité économique. La
gestion du complexe a été confiée dès le
départ à une entreprise privée, puis nationalisée
dans les années 80 avant d'être privatisée à la fin
du XXe siècle.
II. L'exploitation du complexe sucrier sous la direction
du Groupe SOMDIAA
Outre l'État de la Haute-Volta, un autre partenaire est
fortement impliqué dans le projet sucrier de la Haute-Volta depuis 1965.
Il s'agit de la Société Industrielle et Agricole de Niari (SIAN)
au Congo-Brazzaville, créée en 1947, dont une partie a servi de
base à la création de la SOMDIAA en 1970. Sa forte implication et
son expertise dans l'industrie sucrière ont certainement conduit
l'État voltaïque à confier à la SOMDIAA la gestion de
la nouvelle société sucrière en 1975.
A/ Brève présentation de la SOMDIAA
La SOMDIAA (Société d'Organisation, de
Management et de Développement des Industries Alimentaires et Agricoles)
se positionne aujourd'hui sur le continent africain comme un acteur majeur de
l'industrie agroalimentaire. Cette expertise est certainement le fruit de
plusieurs décennies d'activités sur ce continent et même en
dehors.
1. Histoire de la SOMDIAA
L'aventure de la SOMDIAA commence par le rachat de la
Société Industrielle et Agricole de Niari (SIAN)
au Congo-Brazzaville. En 1947, la famille Vilgrain, qui dirige les Grands
Moulins de Paris, achète une concession au Congo et crée sa
première sucrerie de canne à sucre, une minoterie de blé
et une huilerie d'arachide. Forte de ce succès, l'entreprise familiale,
dirigée par Jean-Louis Vilgrain, décide de poursuivre ses
investissements transnationaux compte tenu du potentiel du marché
économique. Pour ce faire, la SIAN utilise la stratégie
d'internationalisation de la "joint-venture"62, méthode
très influente à l'époque. Ainsi, en quelques
années d'existence, elle devient
61 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/20, Complexe Agro Industriel de
Banfora, 1972.
62 La joint-venture (en français entreprise commune)
permet à deux ou plusieurs entreprises de coopérer pour atteindre
un objectif spécifique, comme la production d'un bien ou d'un service ou
la volonté de conquérir un nouveau marché dans un nouveau
pays, ce qui nécessite parfois de lourds investissements et une
connaissance du marché.
Page 32
une société transnationale avec des filiales au
Cameroun (Société Sucrière du Cameroun créée
en 1964), en Haute-Volta (Société Sucrière de Haute-Volta
créée en 1965) et au Gabon (Société Meunière
et Avicole du Gabon créée en 1969).
En 1969, le gouvernement congolais nationalise la SIAN. Les
actionnaires privés se retirent alors pour créer la SOMDIAA au
début des années 1970, acronyme qui désigne à
l'époque la Société Multinationale pour le
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles63. La
multinationale maintient néanmoins ses rapports d'investissement avec
les États africains et des investisseurs privés.
Dans les années 1990, les Programmes d'Ajustement
Structurel (PAS) du Fonds Monétaire International et de la Banque
mondiale entraînent des vagues de privatisation dans le secteur
économique africain. La SOMDIAA en profite pour racheter de nombreuses
entreprises agroalimentaires. La SIAN qu'elle avait perdue au Congo-Brazzaville
est rachetée et rebaptisée en 1991 : Société
Agricole de Raffinage Industriel du Sucre du Congo, en
abrégé SARIS Congo. La même année, la
Société le Grand Moulin du Cameroun (SGMC) est
créée. En Côte d'Ivoire, la multinationale crée en
1997 la Sucrerie Africaine Côte d'Ivoire, abrégée
en SUCAF CI.
En 1995, Alexandre Vilgrain est nommé
Président-Directeur Général de la SOMDIAA, à la
suite de son père Jean-Louis Vilgrain. Cette nomination place la
multinationale au rang des entreprises familiales. Alexandre Vilgrain poursuit
la politique de son père en créant de nouvelles filiales et en
élargissant le domaine d'activité du Groupe.
Le 3 janvier 2011, les groupes familiaux Vilgrain et Castel
fusionnent. Le Groupe Castel est un groupe industriel français
créé en 1949 par Pierre Castel pour la production de vins, de
bières, de boissons gazeuses et de sucre. La famille Castel
rachète alors 45% des actions de la SOMDIAA et apporte ses actifs
sucriers de l'Afrique64. Il s'agit des sucreries SUCAF Centrafrique,
SUCAF Côte d'Ivoire et SUCAF Gabon. En mars 2022, Alexandre Vilgrain est
contraint de démissionner et est remplacé trois mois plus tard
par Olivier Parent65.
63 Thiombiano Taladidia, L'enclave industrielle : la
Société Sucrière de Haute-Volta, CODESRIA/NENA,
[version numérique], 2019, p. 200, ISBN: 978-2-86978-888-6.
64 Magazine Jeune Afrique, « Castel et SOMDIAA, une
fusion pure sucre », Economie, Mis en ligne le 11 janvier 2011,
consulté le 13 avril 2023, URL :
https://www.jeuneafrique.com/31207/economie/castel-et-somdiaa-une-fusion-pur-sucre/.
65 Le Groupe Castel profitera de cette démission pour
prendre plus de responsabilités au sein de la SOMDIAA en nommant Michel
Palu Président du Conseil d'Administration de la SOMDIAA SA.
Afin de mieux gérer sa Responsabilité
sociétale, la SOMDIAA a ouvert des Fondations (réseau
d'associations locales) au sein de chacune de ses filiales à partir de
2010.
De nos jours, se positionnant comme un expert des nouvelles
techniques agricoles et agroalimentaires en Afrique, le Groupe SOMDIAA produit
et commercialise des matières premières agricoles et des produits
alimentaires de base sur les marchés africains de
préférence.
2. Domaine d'activités
En 2020, la Société d'Organisation, de
Management et de Développement des Industries Alimentaires et Agricoles
compte 15 filiales dans 7 pays d'Afrique et dans l'Océan Indien sur
l'île de la Réunion. Ces filiales opèrent principalement
dans quatre domaines : le sucre, la farine, l'alimentation animale et les
oeufs. Ces filiales ont réalisé un chiffre d'affaires de
558,1 millions d'euros en 202066.
Figure 4 : Représentation des filiales et des secteurs
de la SOMDIAA67
Source : Société d'Organisation, de Management
et de Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA),
Rapport Développement Durable, op. cit., p. 11.
66 Site web officiel de la SOMDIAA, consulté
le 17 avril 2023, URL :
https://www.somdiaa.com/groupe/les-chiffres-cles/.
67 Le Burkina Faso n'est pas représenté sur
cette carte établie en 2019 pour la simple raison que le Groupe SOMDIAA
n'y a plus de filiale depuis 1985. Cependant, il reste actionnaire de la SN
SOSUCO avec une part d'environ 6%.
Page 33
Page 34
Cette carte fournit plusieurs informations sur chaque filiale :
son nom, sa localisation géographique, son domaine, sa capacité
de production et son étendue spatiale pour les plantations.
La production de sucre
Le Groupe SOMDIAA dispose de six filiales en Afrique
chargées de produire, de transformer et de commercialiser la canne
à sucre sous forme de produits finis auprès des utilisateurs et
des consommateurs finaux68. Ces filiales sont :
Compagnie Sucrière du Tchad (CST) : Société
Anonyme de droit tchadien créée en 1970 au capital de 10 000 000
000 francs CFA. Son siège social est situé à N'Djamena.
Société Sucrière du Cameroun (SOSUCAM) :
Société Anonyme de droit camerounais créée en 1964
au capital de 13 925 000 000 francs CFA et dont le siège social est
à Yaoundé.
Société Agricole de Raffinage Industriel du Sucre
du Congo (SARIS Congo) : Société Anonyme de droit congolais
créée en 1991 au capital de 15 200 000 000 francs CFA. Son
siège social est situé à N'Kayi.
Sucrerie Africaine Côte d'Ivoire (SUCAF CI) :
Société Anonyme de droit ivoirien créée en
1997 au capital de 21 200 000 000 francs CFA, dont le
siège social est à Ferkessédougou.
Sucrerie Africaine du Gabon (SUCAF Gabon) : Société
Anonyme de droit gabonais créée en 1998 avec un capital de 14 250
000 000. Son siège est à Franceville.
Sucrerie Africaine de Centrafrique (SUCAF RCA) :
Société Anonyme de droit centrafricain créée en
2003 au capital de 6 243 460 000 francs CFA et dont le siège social est
à Bangui69.
En 2019, ces six filiales ont produit un total de 358 838 tonnes
de sucre et commercialisé 419 065 tonnes de sucre (y compris les
méventes des années antérieures)70. La
totalité du sucre produit est issue de la monoculture pluriannuelle de
la canne à sucre.
68 Société d'Organisation, de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA),
Rapport Développement Durable, rapport réalisé en
2019, p. 13, consulté le 14 avril 2023, URL :
https://
www.somdiaa.com/wp-content/uploads/2015/11/SOMDIAA_Rapport_Developpement_Durable_2019_VODEF.pdf.
69 Société d'Organisation, de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA),
Dossier de presse, [version numérique] 2018, p. 5,
consulté le 15 avril 2023, URL:
https://www.somdiaa.com/wp-content/uploads/2015/11/DP-Somdiaa-2018-VD.pdf.
70 Société d'Organisation, de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA),
Rapport Développement Durable, op. cit., p. 15.
Page 35
La minoterie
La transformation et la commercialisation du blé sont
assurées par cinq filiales de la SOMDIAA. En 2019, 305 833 tonnes de
farine ont été produites et 304 181 tonnes
commercialisées. Les cinq filiales sont implantées au Gabon
(Société Meunière et Avicole du Gabon, 1969), au
Togo (Société Générale des Moulins du
Togo, 1972), à la Réunion (Compagnie
Générale d'Alimentation, 1973), au Cameroun
(Société le Grand Moulin du Cameroun, 1991), et en
République Démocratique du Congo (Société les
Grands Moulins du Phare, 2017)71.
Autres domaines
Le groupe SOMDIAA est également présent dans le
secteur de l'alimentation animale et de l'élevage. En 2019, ces deux
filiales ont produit 69 631 tonnes et commercialisé 61 953 tonnes
d'aliments et équivalents pour animaux72. Certains de ces
produits animaliers proviennent de sociétés de minoteries comme
la Société Meunière et Avicole du Gabon (SMAG).
Cette filiale, qui intervient dans la production de farine de blé, a une
capacité productive annuelle de 350 000 poussins avec 42,57 millions
d'oeufs vendus en 2019. Outre la SMAG, la SOMDIAA détient depuis 2014 la
Société Camerounaise pour l'Elevage et la Provende
(SCEP). Cette filiale est spécialisée dans l'alimentation
animale pour la volaille.
La société transnationale française ne
compte pas s'arrêter à ces quatre domaines d'activité sur
le continent africain. Son département Recherche et
Développement travaille sur la filière maïs pour la
transformation et la commercialisation du maïs et ses
dérivés. Des unités industrielles seraient en phase
d'expérimentation au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Congo et en
Éthiopie73.
B/ Les actions de la multinationale de 1975 à 1985
en Haute-Volta
Plusieurs accords ont été signés entre la
République de la Haute-Volta et la SOMDIAA de 1965 à 1985. Ces
accords ont servi de cadre aux actions de la multinationale française
dans le cadre du projet sucrier voltaïque. Les actions de la SOMDIAA se
sont étalées sur deux décennies : 1965-1975 et
1975-1985.
71 Société d'Organisation, de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA),
Dossier de presse, op. cit., p. 6.
72 Société d'Organisation, de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA),
Rapport Développement Durable, op. cit., p. 17.
73 Ibid., p. 18.
Page 36
1. La première décennie :
1965-1975
Les premières actions de la SOMDIAA débutent
officiellement en République de la Haute-Volta le 17 août 1965,
date de la signature du protocole d'accord entre la SIAN (devenue SOMDIAA en
1970) et la République de la Haute-Volta, aujourd'hui Burkina Faso. De
ce protocole d'accord est née la Société d'Etudes
Sucrières de Haute-Volta, dirigée par la SIAN. De 1965
à 1969, la SIAN a mené les actions suivantes :
- Des études préliminaires (rapports,
compte-rendus, notes, etc.) sur le milieu physique, économique et humain
des zones ciblées à accueillir le futur complexe sucrier de la
Haute-Volta ont été réalisées au préalable.
Ces études, commandées par la SIAN, ont permis de déclarer
la région de Banfora comme la plus propice à l'implantation du
complexe sucrier.
- Des projets d'aménagement hydraulique ont
également été réalisés afin d'étudier
les ressources en eau de la région. Ces études ont abouti
à la mise en place d'un système d'irrigation des tiges de canne
à sucre pendant la saison sèche.
- Des essais agronomiques sur plusieurs variétés
de canne à sucre ont été réalisés.
L'objectif est de fournir aux pépinières les
variétés les mieux adaptées à ce milieu
physique.
- La recherche de financement pour le projet sucrier de la
Haute-Volta. La SOMDIAA a eu la lourde tâche de rassembler les
investisseurs privés et publics autour de ce projet et de solliciter des
financements auprès des institutions financières
sous-régionales et internationales.
Compte tenu de la technicité de certaines actions, la
SIAN a collaboré avec des structures spécialisées pour
mener à bien certaines activités. Il s'agit notamment de
l'Institut de Recherches Agronomiques Tropicales (IRAT), de la
Société Grenobloise d'Etudes et d'Applications Hydrauliques
(SOGREAH), ou du Secrétariat français des Missions d'Urbanisme et
d'Habitat (SMUH). L'État voltaïque, par l'intermédiaire de
ces directions régionales, a également assisté la SIAN
dans l'accomplissement de toutes ces missions.
En juillet 1968, la Haute-Volta a créée sa
première usine d'agglomération du sucre avec l'assistance
technique de la SIAN. Au vu des premières productions encourageantes,
cette agglomération sucrière a été
transformée en 1972 en complexe sucrier sous le nom de
Société Sucrière de Haute-Volta, en
abrégé SOSUHV. Un contrat d'assistance technique est signé
entre le Gouvernement voltaïque et la SOMDIAA.
Page 37
De 1972 à 1974, la SOMDIAA multiplie les
réalisations en Haute-Volta. Elle assure la construction des
bâtiments de l'usine, l'installation des machines de la raffinerie et la
fourniture du matériel agricole dans le cadre du Contrat
d'engineering du 20 octobre 1972. Au même moment, les
dernières expérimentations sur les variétés de
canne à sucre dans les pépinières sont achevées. En
1975, le complexe sucrier est opérationnel.
2. La deuxième décennie :
1975-1985
Après l'inauguration de la Société
Sucrière de Haute-Volta en janvier 1975, le gouvernement de la
République de la Haute-Volta décide de confier la gestion et
l'exploitation du nouveau complexe sucrier à la SOMDIAA en signant un
nouveau contrat. Ce Contrat de Gestion et d'assistance technique est
signé le 1er juillet 1975 pour une durée de 10 ans.
À partir de cette date, tous les actes de l'entreprise française
sont régis par ce contrat. Les actions de la SOMDIAA dans la gestion de
la SOSUHV se répartissent en plusieurs secteurs.
L'équipement technique
La réussite de ce projet sucrier commençait dans
les champs de canne à sucre. Pour ce faire, la SOMDIAA a acquis un
important matériel agricole afin de rentabiliser la culture de la canne
et le système agricole qui l'accompagne. Ce matériel comprend des
véhicules légers, des véhicules lourds (tracteurs,
camions-bennes, remorques) et des machines spéciales. Ce matériel
était utilisé pour la culture, l'irrigation, la coupe et au
transport de la canne des plantations à l'usine. Ils servaient
également à la mobilité des travailleurs dans les
plantations. La SOMDIAA a commencé avec 30 ha de
pépinières en 1972 74 et n'a pu développer que
4 210 ha sur les 10 000 ha prévus.
La transformation de la canne à sucre devait se faire
dans une unité industrielle sophistiquée et moderne. Pour ce
faire, la SOMDIAA signe en 1972 un Contrat d'ingénierie avec la
société française Fives Lille-Cail pour la construction de
l'usine. Cette entreprise s'associe avec une société belge
(UCMAS) pour la fourniture des équipements75 et à une
société française (UDEC Volta) pour le montage des
équipements à Bérégadougou. Au final, le complexe
sucrier dispose d'une cour à cannes, d'un bâtiment industriel,
d'un magasin à sucre, d'un atelier de production, d'une raffinerie, d'un
laboratoire et de bureaux administratifs. Ces prestations d'ingénierie
ont permis la mise en service en 1975 d'une sucrerie dont la capacité de
production est estimée à 30 000 tonnes par an.
74Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/19, Contrat d'ingénierie Fives
Lille-Cail, 1972, p. 3.
75 Ibid., p. 2.
Page 38
La production et la commercialisation du sucre
Les données statistiques relatives à la
production et à la vente de sucre SOSUVH n'ont pas suivi la même
évolution. Le Tableau 1 et le Graphique 1 ci-dessous
illustrent cette disparité.
Tableau 1 : L'évolution de la production et des ventes
de la SOSUHV de 1974-1985
|
1974-
|
1975-
|
1976-
|
1977-
|
1978-
|
1979-
|
1980-
|
1981-
|
1982-
|
1983-
|
1984-
|
Années
|
1975
|
1976
|
1977
|
1978
|
1979
|
1980
|
1981
|
1982
|
1983
|
1984
|
1985
|
Production (tonnes)
|
5805
|
16129
|
20793
|
30214
|
31018
|
27838
|
25506
|
28406
|
27702
|
26939
|
27369
|
Vente (tonnes)
|
-
|
-
|
-
|
-
|
29178
|
30380
|
30252
|
32322
|
31013
|
32140
|
29863
|
Source : Centre d'archives de la SOSUHV, Statistiques des
ventes 1974 à 2007, tableau cité par Cissé O., «
Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit.,
p. 64.
Graphique 1 : L'évolution de la production et des ventes
de la SOSUHV de 1974-1985
Production Vente
Source : Bancé Thomas Frank, graphique
généré à partir des données du tableau
ci-dessus, avril 2023.
Tout d'abord, en observant la chaîne de production de la
SOSUHV, on distingue deux grandes périodes. La première
période s'étend de la campagne 1974-1975 à celle de
1978-1979. Durant cette période, la quantité de sucre produite
par l'usine augmente à chaque campagne, passant de 5 805 tonnes en 1974
à 31 018 tonnes en 1978, soit une augmentation de 531%. Puis, à
partir de la campagne 1979-1980, la production chute de 31 018 à 27 828
tonnes de sucre avant de se stabiliser entre 1980 et 1985. Cette baisse de
production sous la direction de la SOMDIAA pourrait être justifiée
par le faible rendement des champs de canne à sucre (70 à 100
tonnes par ha)76. Nous reviendrons sur les raisons des faibles
rendements des champs de canne à sucre qui ont marqué le
début de l'instabilité économique du complexe sucrier.
76 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p.
181.
Page 39
En ce qui concerne les ventes de sucre, nous n'avons pas eu
accès aux statistiques des quatre premières années de
vente de la SOSUHV (1975-1978), ce qui nous a contraint à ne
présenter le graphique qu'à partir de la saison 1978-1979. Dans
le Graphique 1, on constate que la production de la SOSUHV ne correspond
pas à ses ventes pour la même période, alors que la
société était censée vendre ce qu'elle produisait.
En effet, la quantité de sucre vendue était supérieure
à la production (sauf pour la campagne 1979-1980). Ceci est dû
à la vente du sucre importé par la SOMDIAA conformément
à la Convention d'établissement de 1972 afin de
satisfaire les besoins nationaux en sucre.
Sur le plan financier77, la SOMDIAA a obtenu des
résultats relativement satisfaisants. L'exercice comptable 1984-1985
fait apparaître un chiffre d'affaires de 8 596 879 267 francs CFA, une
valeur ajoutée de 4 644 410 074 francs CFA et un bénéfice
net de 638 929 649 francs CFA78. Il est évident que l'on
aurait pu s'attendre à un bilan beaucoup plus élevé
après 10 ans de gestion de la SOMDIAA, mais à défaut, il
faudra se contenter d'un solde excédentaire en fin d'année. En
1982, Thiombiano Taladidia estimait que les investissements de la SOSUHV
gérés par la SOMDIAA s'élevaient à 11,5 milliards
de francs CFA 79 . Il s'agit du plus important investissement
réalisé dans une unité industrielle en Haute-Volta.
Les travaux connexes
Outre la gestion administrative et technique de la
Société Sucrière de Haute-Volta, la SOMDIAA a mené
d'autres actions pour faciliter la productivité du complexe sucrier.
Parmi ces actions, on note la construction d'une cité pour les cadres
à proximité de l'usine. Selon les dirigeants de la SOSUHV, ces
villas permettraient de rapprocher les directeurs de service (des travailleurs
étrangers)80 de l'usine. La SOMDIAA a contribué
à faciliter la mobilité des travailleurs de l'usine en mettant
à leur disposition des camions. Cette mesure a permis d'optimiser les
horaires de travail des ouvriers qui habitaient parfois à des dizaines
de kilomètre du complexe. Toujours dans le
77 Nos recherches ne nous ont pas permis d'obtenir un
état financier complet de la SOSUHV pour la période allant de
1975 à 1985. Seule l'année 1985 est présentée
ici.
78 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé : études
diverses - Dossier soumis à la Commission Nationale des
Investissements pour bénéficier du régime A du Code des
investissements, 1988, annexe 2, p. 7.
79 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p.
190.
80 Dans la documentation des employés de la SOSUHV, les
cadres non voltaïques sont appelés "expatriés". Aujourd'hui,
le mot expatrié désigne une personne qui a été
contrainte de quitter son pays d'origine. Les cadres recrutés par la
SOMDIAA ayant quitté volontairement leurs pays, nous
préférons les appeler "travailleurs étrangers".
Page 40
domaine du transport, la société a construit des
pistes et des routes rurales pour faciliter la mobilité de la population
environnante, au bénéfice de la toute la
région81.
Dans le cadre de sa responsabilité sociétale, la
SOSUHV a construit un dispensaire (ouvert aux travailleurs et à leurs
familles, ainsi qu'à la population environnante) et une école
primaire de trois classes pour promouvoir l'alphabétisation dans la
région82. Des subventions seraient accordées pour le
fonctionnement de certains services publics dans la région et pour des
activités sportives, culturelles et sociales83.
Les dix années passées par la transnationale
française à la tête de la SOSUHV ne peuvent se
résumer à un bilan positif. Dans la suite de notre analyse, nous
présenterons les manquements de la SOMDIAA au contrat d'assistance
technique et de gestion du complexe sucrier.
C/ Les transgressions de la SOMDIAA dans la gestion du
complexe sucrier
Deux accords principaux ont régi les activités
de la SOMDIAA en Haute-volta. Il s'agit de la Convention
d'établissement du 20 octobre 1972 et du Contrat de conseil et
d'assistance technique pour la gestion du Complexe sucrier de Banfora du
1er juillet 1975.
1. Les écarts dans l'application des textes
juridiques
La SOMDIAA a eu peu de résultats positifs en termes
d'investissements financiers, au point qu'elle n'a pas pu faire face à
certains engagements vis-à-vis de l'État voltaïque. Le
premier manquement dans l'application de la Convention d'établissement
concerne sur le TITRE IV, article 12, paragraphe 2, qui stipule que la SOSUHV
s'engage à réinvestir au moins 20% de ses bénéfices
réalisés en Haute-Volta pour d'autres entreprises
conventionnées84. Malgré les bénéfices
enregistrés à la fin de l'exercice, la SOSUHV n'a aucunement pu
investir ces 20%. Ce non-respect des engagements s'explique par la santé
financière fragile de la société sucrière : fond de
roulement insuffisant, perte d'une partie du capital des actionnaires, frais
financiers élevés et amortissement
accélérés85. De sérieuses
difficultés financières semblent affecter la
société à partir de 1982.
81 Site web officiel de la SN SOSUCO, consulté le
13 juillet 2023, URL :
https://snsosuco.com/engagement/rse.
82 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p.
178.
83 Site web officiel de la SN SOSUCO, consulté le
13 juillet 2023, URL :
https://snsosuco.com/engagement/rse.
84 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, des Mines et de l'Industrie, sous-série 41V,
41V234, Société Sucrière de Haute-Volta : études
diverses - Convention d'établissement entre le Gouvernement de la
Haute-Volta et la Société Sucrière Voltaïque,
1972, p. 4.
85 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit.,
p. 206.
Page 41
Dans le Titre V- Obligations de la
Société, il est écrit à l'article 13 que la
SOSUHV est tenue de faire appel à des entreprises locales dans le cadre
des réalisations bénéficiant des avantages du Gouvernement
voltaïque (exonération fiscale et douanière). Sans connaitre
les raisons du retrait de la SOMDIAA, nous constatons que la majorité
des entreprises auxquelles elle a fait appel étaient
étrangères, avec une prédominance des entreprises
françaises. C'est le cas de Fives Lille-Cail (construction du complexe
sucrier), UDEC Volta (montage de l'usine), SOGETHA (études
hydro-agricoles), SOGREAH (aménagement hydraulique), IRAT (études
agronomiques), SMUH (aménagement du territoire et urbanisme), etc. Il
est tentant de penser qu'il existerait un système de favoritisme,
d'octroi délibéré d'avantages aux entreprises
françaises au détriment des entreprises voltaïques, et donc
une violation de la Convention d'établissement.
Au titre des prestations sociales, la SOSUHV de
l'époque n'a pas respecté ses engagements au titre de l'article
25. L'État voltaïque avait engagé la SOSUHV à loger
ses cadres dans la ville de Banfora afin de les intégrer dans la
société locale86. Malheureusement, cette
intégration sociale n'a pas eu lieu sous la SOMDIAA car celle-ci a
décidé de construire une cité pour ses cadres à
Bérégadougou, à 50 mètres de l'usine. Cette
cité, composée de 28 villas F3, était destinée aux
cadres étrangers de l'usine. Le choix de la SOMDIAA a certainement
créé des sentiments d'inégalité et de
ségrégation par rapport aux autres travailleurs de l'usine.
Aujourd'hui, la plupart de ces villas sont en ruine, par manque d'occupation
humaine et d'entretien.
En ce qui concerne les droits d'exonération fiscale et
les diverses taxes perçues par l'État sous le régime de la
SOMDIAA, il y a une irrégularité voire une absence d'acquittement
de ces droits fiscaux au regard des articles 39-40. En effet, l'article 39
exonérait la SOSUHV du paiement des taxes locales sur le chiffre
d'affaires pendant une période de cinq ans à compter de sa
création, c'est-à-dire en 197587. Ainsi, le paiement
de ces taxes devrait se refléter dans les bilans à partir de
l'exercice 1979-1980. Or, si l'on examine les statistiques collectées
par Thiombiano pour les exercices de 1974-75 à 1980-8188, on
constate qu'aucune taxe sur le chiffre d'affaires n'a été
payée. Quant à l'article 40 de la Convention
d'établissement, il stipule que :
86 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, des Mines et de l'Industrie, sous-série 41V,
41V234, Société Sucrière de Haute-Volta : études
diverses - Convention d'établissement, op. cit., p. 7.
87Ibid., p. 11.
88 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p.
192.
Page 42
« La société devra acquitter sur le sucre brut
ou raffiné importé, lors de sa mise à la consommation,
une taxe unique dont le montant est égal à la
fiscalité globale fixée pour les produits similaires
d'importations. Cette taxe sera liquidée sur la valeur mercuriale
prévue pour les produits »89.
Là encore, la réalité est toute autre. Le
gouvernement voltaïque a autorisé la SOSUHV à importer du
sucre pour répondre aux besoins de la consommation nationale de sucre.
Cela explique pourquoi la quantité de sucre vendue par la SOSUHV soit
supérieure à la quantité de sucre produite. Par
conséquent, il devrait y avoir une ligne consacrée à la
taxe sur les importations de sucre dans chaque période comptable. Or,
l'analyse des données collectées par Thiombiano montre que la
SOSUHV a payé 132 312 583 francs CFA de taxe pour l'exercice 1974-1975.
Ensuite, aucun paiement de cette taxe n'apparaît pour les six exercices
suivants, comme si la SOSUHV avait cessé d'importer du sucre. Cependant,
les quantités de sucre produites et vendues ont continué à
différer jusqu'en 1985, comme le montre la Figure 5.
Au vu de toutes ces irrégularités, on pourrait
penser que la transnationale française a fait preuve de laxisme fiscal
dans sa gestion de la SOSUHV. Ces irrégularités constituent un
manque à gagner important pour le secteur industriel et
l'économie voltaïque en général.
2. La gestion des effectifs à l'époque de
la SOMDIAA
La SOSUHV est la seule entreprise de l'époque à
compter environ 5 500 employés. Ces 5 500 employés sont repartis
en : 2 000 permanents (1 500 aux champs, 300 à l'usine et 200 aux
services généraux), 500 contractuels et 3 000 saisonniers
(coupeurs de canne)90. La gestion de cette main-d'oeuvre a
nécessité une grande habilité pour atteindre les objectifs
de la société tout en favorisant un environnement de travail sain
et respectueux des travailleurs. Il semble que la Direction de la SOMDIAA ait
privilégié la rentabilité du complexe au détriment
d'un climat de travail sain. Selon Oumar Cissé, les travailleurs
étaient régulièrement sous pression avec des conditions de
travail et de mobilité précaires91. Les ouvriers
auraient été transportés dans des camions ouverts,
exposés au vent et à la poussière. Cette
précarité a entraîné de nombreux accidents et
maladies de travail. De plus, les employés subissaient des licenciements
arbitraires, des sanctions abusives et des mutations injustifiées. Face
à cette gestion, les employés se sont organisés en
syndicats pour mieux défendre
89 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, des Mines et de l'Industrie, sous-série 41V,
41V234, Société Sucrière de Haute-Volta : études
diverses - Convention d'établissement, op. cit., p. 11.
90 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé : Annexe, 1985,
p. 5.
91 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 72.
Page 43
leurs droits du travail et mettre fin aux injustices. Les
syndicats les plus importants sont le Syndicat des Travailleurs de la Canne
à Sucre (SYNTCAS) et le Syndicat Voltaïque des
Travailleurs de Canne à Sucre (SVTCS)92.
Malgré la pénibilité de leur travail, les
salaires des employés nationaux de la SOSUHV ne sont pas à la
hauteur de leurs attentes93. Pire, il existe un écart
important entre les salaires des cadres nationaux et ceux des cadres
étrangers. Outre les avantages considérables dont
bénéficient les employés étrangers (logement, eau,
électricité, billets d'avion pour leur famille), leurs salaires
dépassent largement ceux de leurs collèges nationaux. En 1980, la
SOSUHV comptait 47 cadres, dont 29 nationaux et 18 étrangers. Alors que
le salaire moyen des nationaux (62% du personnel de l'usine) était de
231 430 francs CFA, celui des étrangers (38% du personnel de l'usine)
était de 649 315 francs CFA 94. L'environnement de travail
à la SOSUHV sous la direction de SOMDIAA était tendu.
3. Le climat politique en Haute-Volta dans les
années 1980
La décennie 1980-1991 a été
marquée politiquement par la succession de trois régimes
d'exception au Burkina Faso. Il s'agit du Comité Militaire de
Redressement pour le Progrès National (CMRPN) de 1980 à
1982, du Conseil du Salut du Peuple (CSP) de 1982 à 1983 et du
Conseil National de la Révolution (CNR) de 1983 à 1987.
Les nouveaux dirigeants ont annoncé de grandes réformes dans tous
les secteurs pour stimuler le développement du pays et réaffirmer
son indépendance. Sous le CNR de Thomas Sankara, des mesures fortes sont
prises. Le 4 août 1984, le pays change de nom, passant de la Haute-Volta
au Burkina Faso, qui signifie "le pays des hommes intègres". En
conséquence, de nombreuses dénominations ont changés. Les
nouvelles autorités décident de rebaptiser la SOSUHV en 1984 en
Société Sucrière de la Comoé,
abrégée en SOSUCO. Le gouvernement augmente alors le capital et
détient la majorité absolue des actions. Les nouvelles
autorités voulaient mettre fin à toute ingérence
extérieure dans les affaires intérieures du pays et rompre tout
lien colonial. La gestion de la plus grande unité industrielle du pays
par la SOMDIAA, une entreprise française, était très mal
perçue. En conséquence, le Gouvernement burkinabè a
refusé de renouveler le Contrat d'assistance technique qui avait
expiré en 1985. La
92 Ibid., p. 73.
93 En l'absence des données statistiques sur les
salaires des employés, toutes catégories confondues, nous nous
sommes contentés des témoignages des travailleurs lors des
enquêtes de terrain réalisées par nos
prédécesseurs. Nous nous référons notamment aux
travaux de Thiombiano Taladidia et de Cissé Oumar.
94 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit.,
p. 216.
Page 44
Société Sucrière de la Comoé est
nationalisée après le départ de la transnationale
française SOMDIAA. Cette nationalisation s'inscrit dans le cadre d'une
série de réformes économiques nationales. Le CNR voulait
contrôler la production et augmenter la rentabilité de ces
industries.
C'est dans ce contexte social et économique que les
longues années de collaboration entre le gouvernement du Burkina Faso et
la Société d'Organisation, de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles ont pris fin. La
SOMDIAA reste cependant actionnaire de la société sucrière
du Burkina Faso.
III. La nationalisation du complexe sucrier de la
Comoé
Alors que jusqu'en 1985, l'État burkinabè se
contentait d'être actionnaire de son unique société
sucrière, il a décidé de prendre plus de
responsabilités en la nationalisant. Par ce choix, le Gouvernement
burkinabè a voulu opérer un véritablement changement de
paradigme dans la gestion de ses unités industrielles. Ainsi, de 1985
à 1998, une série d'actions ont été menées
pour donner un nouvel élan à la SOSUCO.
A/ Les grandes mutations opérées à la
SOSUCO
Les changements effectués au sein du complexe sucrier
par l'État burkinabè sont de deux ordres : les changements
formels et les changements structurels.
1. L'évolution des textes juridiques
Suite à la nouvelle dénomination du pays
décrétée le 4 août 1984, le Conseil National de
la Révolution change le nom du complexe sucrier comme
mentionné précédemment. La Société
Sucrière de Haute-Volta (SOSUHV) devient la
Société Sucrière de la Comoé
(SOSUCO)95. Ce nouveau nom tient compte de la localisation
de la société, à savoir la province de la Comoé
située dans la région des Cascades96. La SOSUCO reste
une société d'économie mixte et son siège social
demeure à Banfora, chef-lieu de la province de la
Comoé.
Par ailleurs, l'État a pris l'initiative de doubler le
capital social de l'entreprise. De 3 115 500 000 francs CFA en 1975, le nouveau
capital est porté à 6 031 050 000 francs CFA.
Cette mesure a permis à l'État de devenir l'actionnaire
majoritaire, détenant près de 83% des actions. La
95 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale, 1988, p. 1.
96 La province de Comoé tire également son nom
du fleuve Comoé, principale source d'eau du complexe sucrier et de toute
la région des Cascades.
SOMDIAA se retrouve avec 6,05% des actions.97. Pour
rappel, en 1975, le gouvernement ne détenait que 73,09%, la
République de Côte d'Ivoire 16,02% et la SOMDIAA 8,09%. Ci-dessous
la répartition du capital social de la SOSUCO en 1985.
Tableau 2 : La répartition du capital social de la
SOSUCO en 1985
Désignation
|
État burkinabè
|
Organismes Para-étatiques
|
Privés burkinabè
|
République de Côte d'Ivoire
|
SOMDIAA
|
Privés étrangers
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
Capital de la SOSUCO en 1985
|
3983060000
|
66,05
|
996440000
|
16,52
|
6590000
|
0,11
|
646230000
|
10,72
|
365570000
|
6,05
|
33160000
|
0,55
|
Source : Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale, op. cit., p. 1.
Graphique 2 : La répartition du capital social de la
SOSUCO en 1985
État burkinabè et ses démembrements
Rép. de Côte d'Ivoire SOMDIAA Privés étrangers
Page 45
Source : Bancé Thomas Frank, graphique
généré à partir des données du tableau
ci-dessus, avril 2023.
97 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale, op. cit., p. 1.
Page 46
2. Le processus de redressement économique de la
SOSUCO
Tous les régimes politiques du Burkina Faso, y compris
les régimes d'exception, se sont intéressés au complexe
sucrier du pays en raison de son importance socio-économique. La baisse
des rendements de la SOSUCO au début des années 1980 était
le signe de difficultés d'exploitation. Ainsi, en mars 1983, la
Commission de contrôle du Conseil du Salut du Peuple (CSP) a
établi un rapport de mission sur le complexe sucrier. Les
résultats de ce rapport sont accablants et constituent l'un des premiers
documents officiels dénonçant la gestion malsaine de la SOMDIAA
à la tête du complexe. En effet, les faits dénoncés
sont entre autres : le commerce illégal et la concurrence
déloyale exercés par le Directeur d'exploitation de la SOSUCO, M.
Jean Bernard Joseph André Cabot ; la rétention fiscale ; la
mauvaise gestion du personnel ; le laxisme de la SOMDIAA dans l'embauche des
cadres étrangers et dans la gestion financière de la SOSUCO ; la
centralisation des pouvoirs entre les mains du Directeur d'exploitation ;
etc98. Malheureusement, les autorités politiques n'ont pas eu
le temps de réagir à ces infractions car, le 4 août 1983,
un coup d'État a mis fin au régime du président Saye
Zerbo.
Le Conseil National de la Révolution (CNR) du
capitaine Thomas Sankara prend le pouvoir en 1983. Face aux nombreux
dysfonctionnements de la SOSUCO, les autorités ne renouvellent pas le
contrat de gestion et d'assistance de la SOMDIAA signé en 1975 et qui
expire en 1985. La SOSUCO passe sous la direction du CNR après avoir
été déclarée entreprise publique au Burkina Faso.
Cette mesure s'inscrit dans le cadre de la nouvelle Politique industrielle
du Burkina Faso dans le cadre du Plan quinquennal 1986-1990. La politique
industrielle du CNR vise trois objectifs : l'autosuffisance alimentaire, la
satisfaction des besoins essentiels de la population et la valorisation des
ressources nationales99. La volonté de renforcer la
production de la SOSUCO répond au premier objectif de cette politique.
En juillet 1986, la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA) a
financé le Programme d'investissement de la SOSUCO à
hauteur de 658 000 000 de francs CFA100. Les autorités du CNR
justifient l'adoption de ce programme d'investissement en ces termes :
98 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V109, Aménagement du périmètre de Banfora - Rapport
sur une mission effectuée à la Société
Sucrière de Haute-Volta du 21 au 26 mars 1983, 1983, 37 p.
99 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Présidence du Faso, sous-série 7V, 7V405, Situation des
industries burkinabè - Politique industrielle du Burkina Faso dans
le cadre du Plan quinquennal 1986-1990, 1985, p. 1.
100 Pour une liste complète des équipements
acquis dans le cadre de cet investissement, voir l'annexe 1.
Page 47
« Après une dizaine d'années
d'exploitation, la société commence à sentir de
véritables besoins d'investissements et de renouvellement
d'investissement. Cela vient aussi du fait qu'elle doit s'adapter aux
problèmes quotidiens, se moderniser et rationaliser sa production pour
en tirer le meilleur profit »101.
Toutes ces nouvelles mesures ont contribué à la
stabilisation immédiate de la production et des ventes de la SOSUCO.
Elles ont ensuite amélioré la rentabilité de la SOSUCO
pendant toute la période de sa nationalisation, de 1985 à 1998.
Le tableau suivant présente l'évolution de la production et des
ventes de sucre.
Tableau 3 : L'évolution des ventes, de la production et
du chiffre d'affaires de la SOSUCO
Années
|
Production (tonne)
|
Vente (tonne)
|
Chiffres d'affaire (milliard FCFA)
|
1985-1986
|
26 939
|
27 990
|
8473
|
1986-1987
|
26 440
|
29 440
|
8 901
|
1987-1988
|
26 093
|
29 041
|
9 187
|
1988-1989
|
21 919
|
28 704
|
9 217
|
1989-1990
|
27 781
|
30 166
|
9 822
|
1990-1991
|
24 795
|
31 005
|
10 055
|
1991-1992
|
28 662
|
30 770
|
10 038
|
1992-1993
|
28 144
|
28 829
|
9 485
|
1993-1994
|
31 141
|
34 541
|
11 391
|
1994-1995
|
28 995
|
35 071
|
13 205
|
1995-1996
|
28 303
|
38 323
|
14 635
|
1996-1997
|
31 900
|
38 535
|
14 700
|
1997-1998
|
28 500
|
40 000
|
13 900
|
Source : Centre d'archives de la SOSUHV, Statistiques des
ventes 1974 à 2007, tableau cité par Cissé O., «
Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit.,
p. 64.
101 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale - Programme d'investissement
soumis à la caisse nationale de crédit agricole, 1986, p.
2.
Graphique 3 : L'évolution de la production et des ventes
de la SOSUCO
Production Vente
Source : Bancé Thomas Frank, graphique
généré à partir des données du tableau
ci-dessus, avril 2023.
L'observation faite sur ce graphique montre une relative
stabilité de la production de sucre (entre 1985 et 1987) et des ventes
(entre 1985 et 1992). Cette stabilité reflète la gestion
rationnelle de la SOSUCO. Malheureusement, à partir de 1988,
l'instabilité a repris comme sous l'ère SOMDIAA. La
réapparition de nouvelles crises pourrait justifier cet état de
fait.
3. L'organisation de la force productrice
La force productrice de la Société
Sucrière de la Comoé comprend d'une part les installations
industrielles et d'autre part la ressource humaine qui l'accompagne. Depuis le
début des régimes d'exception au Burkina Faso, chaque
régime a commandé des études économiques sur la
SOSUCO afin d'identifier les problèmes qui la minent. Ces études
ont conduit à l'adoption de nouvelles politiques de gestion et à
la réalisation d'importants investissements. Parmi ces études, on
peut citer:
- Le sucre SOSUCO sur le marché
burkinabè102 : cette étude de marché
réalisée en juin 1986 par les autorités du CNR a permis
d'identifier les préférences de consommation des deux produits de
la SOSUCO : le sucre en morceaux et le sucre granulé103.
102 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale - Le sucre SOSUCO sur le
marché burkinabè, 1986, p. 1.
103 A l'époque, la SOSUCO proposait deux produits finis
: le sucre en morceaux (blond et blanc) et le sucre granulé ou
cristallisé. Les choix des consommateurs étaient : le sucre en
morceaux (57,7%), le sucre granulé (21,1%) et 21,2% n'avaient pas de
préférence. Quant à la couleur, le sucre en morceaux blond
l'emporte (45,5%) sur le blanc (28%).
Page 48
Page 49
- Alimentation directe des chaînes CHAMBON et de
l'ensacheuse : ce dossier, monté en août 1988, concernait un
investissement de 100 000 000 francs CFA que la SOSUCO souhaitait
réaliser pour améliorer et moderniser la production du sucre en
morceaux104. Pour ce faire, elle avait
bénéficié du "Régime A" du Code des
Investissements afin d'obtenir des avantages sur les droits de douane, la
TVA et l'impôt sur les bénéfices.
La gestion de la main d'oeuvre, de la force productive
humaine, était sévère avec les régimes d'exception.
L'objectif étant de réaliser un maximum d'économies sur
les coûts de fonctionnement de l'industrie sucrière, on assiste
à une détérioration des conditions de travail des
employés de l'usine. Si les régimes d'exception qui se sont
impliqués dans la gestion de la SOSUCO dans les années 1980 ont
assaini le complexe sucrier et l'ont "remis sur les rails", force est de
constater qu'ils ont également créé de nouvelles crises au
sein du complexe. En effet, l'une des caractéristiques des pouvoirs
révolutionnaires a été la restriction des libertés
syndicales. Ainsi, à partir de 1985, la plupart des centrales
syndicales105 ont été opprimées par la
Direction de la SOSUCO. Elles étaient impuissantes face aux nombreuses
violations du droit du travail qu'elles avaient déjà subies sous
l'ère SOMDIAA. Ces violations se caractérisent par des
interdictions de grève, des licenciements injustifiés, de la
suppression des primes de campagne, de la suppression des fêtes de
début et de fin de campagne, des frais médicaux et
d'électricité pour les cadres, etc.106 Toutes ces
mesures d'austérité, visant à réduire les
dépenses de SOSUCO, ont détérioré les relations
entre les centrales syndicales et la nouvelle direction. Il faudra attendre la
fin du Conseil National de la Révolution en 1987 pour que le climat
social à la SOSUCO s'apaise.
Une autre mesure concernait la réduction du nombre
d'employés permanents. Pour ce faire, les autorités ont
utilisé la politique du vide en refusant de renouveler les
départs à la retraite, les décès, les inaptes et
les démissions. La conséquence à long terme a
été une forte réduction du nombre d'employés
permanents : de 2 650 en 1975 à 1 515 en 1998107.
104 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale - Alimentation directe des
chaînes CHAMBON et de l'ensacheuse, 1988, p. 2.
105 Les syndicats présents à la SOSUCO sont :
CGTB-SYNACAME, CSB, ONSL-SYNTCAS, USTB, UGTCS, FESBACI, CSB Banfora. Source :
Archives de la SN SOSUCO citées par Cissé O., « Une approche
historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., Annexes
3.
106 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 76.
107 Ibid., p. 34.
B/ Les réformes politiques et économiques
Le 15 octobre 1987, le président révolutionnaire
Thomas Isidore Sankara est assassiné. Le CNR est remplacé par le
Front Populaire (FP), présidé par le capitaine Blaise
Compaoré. Le nouveau régime s'emploie à rétablir
l'ordre constitutionnel au Burkina Faso. Le secteur de l'économie est
réformé afin de s'ouvrir au marché international.
1. Les orientations politiques de la décennie
1990-2000
L'arrivée au pouvoir du Front Populaire en
1987 par effusion du sang, a créé un climat politique et social
tendu. Le CNR de Thomas Sankara avait initié une Révolution au
Burkina Faso le 4 août 1983. Et cette révolution dite populaire a
parfois recouru à des mesures oppressives pour parvenir à ses
fins. Il était donc nécessaire pour le pouvoir en place de
réduire ces oppressions avant d'instaurer la stabilité politique
dans le pays. Une politique de désescalade a été
lancée au niveau national pour "rectifier" les excès de la
Révolution.
Le 2 juin 1991, le Burkina Faso adopte par
référendum sa cinquième constitution, instaurant la IVe
République sous la présidence de Blaise Compaoré. Ce
retour à l'ordre constitutionnel marque la fin des régimes
d'exception de la décennie précédente et le début
d'une démocratie pluraliste. De nombreuses politiques ont
été mises en oeuvre tout au long des années 1990 dans le
but de parvenir à un développement durable.
2. La libéralisation de l'économie
burkinabè
Depuis 1991, le Burkina Faso a entrepris une série de
réformes économiques visant à désengager
l'État des secteurs concurrentiels et à libéraliser
l'économie. Pour ce faire, le gouvernement a mis en oeuvre son premier
Programme d'Ajustement Structurel (PAS) recommandé par le Fonds
Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM). Ce programme
visait à libéraliser l'économie et à
accroître la participation du secteur privé au
développement national. Le PAS comprenait également un plan
d'ajustement pour les secteurs du transport, de l'élevage, de
l'agriculture, de la finance, de la santé et de l'éducation. Les
réformes comprenaient la simplification des tarifs douaniers, la
limitation des droits d'entrée spécifiques et des valeurs
mercuriales. Ces réformes ont également abrogé certaines
barrières non tarifaires sur de nombreux produits, telles que les permis
d'exportation et d'importation préalables et spéciaux, le
contrôle des prix, la détention de monopoles, etc. Au fur et
à mesure que le gouvernement mettait en place ses PAS, d'autres textes
ont été adoptées pour fournir le cadre juridique
nécessaire à la réussite de ces
Page 50
Page 51
nouvelles politiques. Un nouveau Code des Investissements
est entré en vigueur en 1995 et a été amendé
en 1997. Ce code vise à promouvoir l'investissement productif en
garantissant les mêmes droits et obligations aux entreprises nationales
et étrangères. Il autorise également le libre transfert
des capitaux et des salaires pour les personnes et les entreprises
étrangères108.
En ce qui concerne la SOSUCO, il a fallu attendre les
réformes des secteurs agricole et industriel en 1994 pour que les
premières grandes orientations soient connues. L'État a choisi
d'imposer des droits de douane élevés sur les produits dits de
grande consommation. Selon le rapport de l'Organisation Mondiale du Commerce
(OMC), le sucre a été le produit le plus protégé
jusqu'à la fin de l'année 1998 par diverses
mesures109. Le rapport ajoute que le Burkina Faso avait mis en place
une clause de sauvegarde spéciale sur le sucre et des barrières
techniques sous forme de normes. Depuis, la SOSUCO détient le monopole
du sucre, puisqu'elle est la seule à le produire et à l'importer
au Burkina Faso. Toutefois, l'entreprise publique connaît des crises
profondes dans son fonctionnement interne.
C/ Le climat socio-économique à la veille de
la privatisation de la SOSUCO
Le gouvernement burkinabè avait mis en place des
mesures exceptionnelles pour protéger la SOSUCO d'une éventuelle
concurrence et pour réduire les importations frauduleuses. Cependant, le
mal de la société sucrière semblait être beaucoup
plus interne qu'externe au regard de l'environnement socio-économique
qui prévalait.
1. L'instabilité de production
sucrière
Malgré la vingtaine d'années d'expérience
de la SOSUCO, la Société d'État éprouvait toujours
des difficultés à stabiliser sa production annuelle. Plusieurs
facteurs auraient conduit à cette situation déplorable qui a
débuté dans les années 1980. Le premier facteur
d'instabilité de la production est la baisse des rendements de la canne
à sucre observée à partir de la campagne
1977-1978110. Cette baisse des rendements serait due à la
diminution des rendements en canne dans les champs, à la baisse de la
teneur en sucre de la canne, au vieillissement des tiges de canne et à
la
108 Organisation Mondiale du Commerce, Premier
communiqué de presse : résumé des rapports du
secrétariat et du gouvernement, réalisé le 13
novembre 1998, consulté le 22 mars 2023, URL :
https://www.wto.org/french/tratop_f/
tpr_f/tp089_f.htm.
110 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 77.
Page 52
forte acidité de certains sols du
périmètre de la SOSUCO. La canne à sucre subirait de
nombreuses maladies à évolution rapide causées par des
chenilles et des champignons111.
Outre les problèmes liés à la culture de
canne à sucre, l'obsolescence de certaines installations constituerait
une autre justification de la baisse de la production du sucre. Certaines
installations et équipements utilisés dans la sucrerie dateraient
de 1972. La modernisation des installations industrielles contribuerait
à l'augmentation de la force productrice.
Par ailleurs, les conditions de vie et de travail des ouvriers
et des cadres de la SOSUCO seraient un facteur déterminant dans la
baisse de la production. La main-d'oeuvre n'a pas toujours été
gérée correctement pour une utilisation optimale. Au contraire,
elle a été reléguée au second plan par les
différentes politiques d'exploitation de la société
sucrière.
Autant de raisons peuvent justifier la baisse de production de
la SOSUCO. Or, une entreprise commerciale qui subit des baisses de production
risque de mettre en péril sa survie dans l'économie
concurrentielle.
2. Les revendications syndicales
Depuis la création de la SOSUCO, les centrales
syndicales qui se sont constituées n'ont cessé de lutter pour le
bien-être des employés de la société. Elles ont
toujours dénoncé les conditions de vie et de travail difficiles
subies par les employés, ainsi que les dérives des
autorités dirigeantes. Si certaines de leurs luttes ont
été couronnées de succès, d'autres ont
été classées sans suite. En ce qui concerne les
restrictions des droits du travail que les centrales syndicales auraient subies
sous les régimes d'exception, elles décident de prendre fait et
causes dès le 1 mai 1991 en soumettant un cahier de doléances
auprès de la Direction Générale de la
SOSUCO112. Plusieurs revendications y sont consignées
concernant la santé, l'encadrement professionnel, la carrière et
les conditions salariales des travailleurs. Mais le plus marquant est que les
syndicats s'opposaient déjà à un programme d'ajustement
structurel qu'ils disent "sauvage" de la SOSUCO113. Ils ne semblent
pas avoir digéré la gestion de la SOMDIAA durant la
décennie 1975-1985. Sur la douzaine de points revendiqués, seuls
cinq ont été pris en compte par la Direction
Générale de la SOSUCO. La non-
111
|
Hartog T., « Le périmètre sucrier de Banfora
», art. cit., p. 126.
|
112 Le cahier de doléance de la correspondance du
Syndicat National des Cadres et Agents de Maîtrise des Entreprises
(SYNCAME) figure à l'annexe 2.
113 SYNCAME, Cahier de doléances du 1er mai 1991
présenté par les centrales syndicales de la SOSUCO, Archives de
la SN SOSUCO consulté par Cissé O., « Une approche
historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., Annexe
n°4.
Page 53
privatisation de la société sucrière n'a
pas été accordée aux syndicats. Cette action de la
nouvelle Direction de l'entreprise publique a contribué à apaiser
le climat social dans le complexe jusqu'à la veille de la privatisation
de la SOSUCO en 1998.
IV. La privatisation de la SN SOSUCO et la série
de méventes
Avec l'adoption des Programmes d'Ajustement Structurel
(PAS) en 1991, l'État burkinabè s'engage à ouvrir son
économie au marché international. Cette mesure s'est traduite par
la privatisation d'un certain nombre de sociétés d'État
qui avaient bénéficié pendant des années du
protectionnisme de l'État. Si le bilan des PAS semble aujourd'hui
mitigé, il a néanmoins permis d'accroître les
Investissements Directs Etrangers (IDE) au Burkina Faso. Des
décennies après la privatisation de la SN SOSUCO, nous revisitons
l'histoire pour présenter les conséquences des politiques de
libéralisation sur certaines entreprises publiques de grande
envergure.
A/ La naissance de la Nouvelle Société
Sucrière de la Comoé (SN SOSUCO)
Le 4 septembre 1998, la Société Sucrière
de la Comoé, Société d'État burkinabè, est
libéralisée. Elle a été remplacée par la
Nouvelle Société Sucrière de la
Comoé, abrégé en SN SOSUCO. Son siège
social demeure à Banfora. Cette décision a été
prise par la Commission de privatisation du Burkina Faso mise en place
par le Chef de l'État. Cependant, avant que cette mesure ne soit prise,
un processus national de privatisation avait déjà
été initié depuis 1991.
1. La mise en place de la Commission de
privatisation
Dans les années 1990, le Burkina Faso a entrepris des
réformes juridiques et institutionnelles pour libéraliser
progressivement son économie. L'objectif principal de cette
libéralisation était de promouvoir une économie de
croissance durable par le développement des activités du secteur
privé et la création d'un environnement plus propice à
l'investissement privé et à l'emploi. C'est dans ce contexte que
l'ordonnance du 17 juillet 1991 a créé une Commission de
privatisation placée sous la tutelle du Ministère en charge
du Commerce, de l'Industrie et de l'Artisanat. La privatisation des entreprises
publiques au Burkina Faso avait pour but, d'une part, de remédier aux
nombreux maux dont elles souffrent et, d'autre part, de permettre à
l'État de réaliser de substantielles économies
financières.
En 1996, le gouvernement burkinabè libéralise le
marché du sucre. C'est le premier signe fort du désengagement de
l'État dans l'industrie sucrière. La SOSUCO perd son monopole sur
les
Page 54
importations de sucre au Burkina Faso, monopole qu'elle
détenait depuis 1975. La SOSUCO figure sur la liste des
sociétés d'État à libéraliser par la
Commission de privatisation114.
2. Le processus de privatisation de la SOSUCO
La Commission de privation a joué un rôle central
dans la privatisation de la société sucrière car elle
était mandatée par le gouvernement burkinabè. La
privatisation de la SOSUCO s'est déroulée en plusieurs
séquences. La première étape a consisté à
définir les objectifs de la privatisation. Le gouvernement
burkinabè avait trois principaux objectifs : l'amélioration de la
productivité et la compétitivité de l'industrie
sucrière nationale ; la consolidation et le développement de
l'industrie sucrière ; et le maintien des activités
économiques dans la région de Banfora. Ces objectifs peuvent
paraitre modestes si l'on considère que la SOSUCO était la seule
usine sucrière du pays à l'époque et que la
compétitivité était quasi-inexistante sur le marché
du sucre.
Une fois les objectifs définis, il fallait choisir la
stratégie de privatisation. L'État burkinabè a choisi de
vendre directement une grande partie de ses actions. Le repreneur de la
société d'État devrait être un professionnel de la
culture de la canne à sucre, avoir une expérience des affaires en
Afrique, disposer d'une base d'investissement nationale représentative
et d'une capacité financière suffisante115.
La troisième étape consistait à
évaluer le patrimoine et la rentabilité de la SOSUCO. À
cette fin, un cabinet privé d'audit et de conseil financier, Ernst
& Young, a été engagé. Le travail de ce cabinet a
permis de déterminer la valeur des actions. Sur la base des actifs de la
SOSUCO, une action valait entre 12 779 et 15 012 francs CFA116. Mais
compte tenu de la rentabilité future et des investissements à
réaliser, la valeur d'une action se situait entre 15 387 et 17 075
francs CFA117 .
Au début de l'année 1998, un appel d'offres est
lancé par la Commission de privatisation pour la reprise de la
SOSUCO. A la clôture de l'appel d'offres le 11 février 1998,
quatre soumissionnaires répondaient aux critères de
sélection. Il s'agit de : Castel-SUCAF Holding et Brakina, le groupement
SIFCA-SOMDIAA, le groupe Mimran de la Compagnie Sucrière
Sénégalaise (CSS), et le consortium EmbalFaso-IPS-FC Schaffer. La
Commission porte son choix sur le consortium
114 La privatisation de la SOSUCO s'est faite conjointement
avec une petite unité industrielle de fabrication d'alcool
éthylique 96° GL appelée Société de Production
d'Alcool (SOPAL).
115 Commission de Privatisation, Privatisation de la
SOSUCO, Ouagadougou, Ministère du Commerce, de l'Industrie et de
l'Artisanat, 1998, p. 12.
Page 55
EmbalFaso, IPS et FC Schaffer. Après
des mois de mise au point du contrat de cession, une loi a été
promulguée le 4 septembre 1998 portant libéralisation de la
Société Sucrière de la Comoé. La Nouvelle
Société Sucrière de la Comoé, abrégée
en SN SOSUCO, est créée en lieu et place.
B/ Le gestionnaire actuel de la SN SOSUCO : le Holding
IPS-WA
Industrial Promotion Services/West Africa a repris la SN
SOSUCO en 1998, après que l'État burkinabè ait
décidé de se désengager de la société
sucrière. Bien que IPS-WA opère aujourd'hui dans un cercle
restreint, elle a dû constituer un consortium pour acquérir la
SOSUCO lors de la libéralisation.
1. La reprise de la SOSUCO en 1998
L'un des critères de la reprise de la SOSUCO
était d'avoir des investisseurs burkinabè dans sa
société. C'est dans cet esprit qu'un consortium a
été formé entre des sociétés
étrangères et des opérateurs économiques nationaux
pour reprendre la société sucrière. Il s'agit d'une part
d'EmbalFaso et d'autre part de partenaires burkinabè.
EmbalFaso est une holding spécialisée
dans l'emballage, le carton et l'empaquetage des produits industriels au
Burkina Faso. Son capital en 1998 était de 10 000 000 de francs CFA,
avec l'Industrial Promotion Services de Côte d'Ivoire (IPS-CI)
comme actionnaire majoritaire118. Il y avait d'autres partenaires
comme la société d'ingénierie FC Schaffer.
Ensuite, deux grands opérateurs économiques burkinabè
rejoignent la holding en 1998 pour former le consortium. Il s'agit de El Hadj
Barro et El Hadj Kanazoé. Ils décident alors de créer une
société anonyme sous le nom de Sucre
participation119 pour racheter 55% des actions de la SOSUCO
équivalant à 3 745 000 000 de francs CFA. 3% de ces actions
devraient être rétrocédées au personnel de la
société sucrière conformément aux recommandations
de l'État burkinabè.
De nos jours, la SN SOSUCO est une filiale du groupe
Industrial Promotion Services - West Africa (IPS-WA), actionnaire
majoritaire de Sucre participation. Depuis mars 2013, Mouctar
Koné est le Directeur Général de la SN SOSUCO à
Banfora. Le groupe IPS-WA est une holding financière créée
en 1965 et opérant dans les domaines de l'industrie et des services dans
plusieurs
118 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 85.
119 Les actionnaires de Sucre Participation étaient :
IPS-CI avec 51% des actions, FC Schaffer avec 30% et les partenaires
burkinabè détenaient 19%.
Page 56
pays. Il est détenu majoritairement par le Fonds Aga
Khan pour le Développement Economique (AKFED) à hauteur de 41%.
Son siège social est situé à Abidjan, en Côte
d'Ivoire.
2. Le plan de développement et les mesures
sociales de la SN SOSUCO
La Commission de privatisation a demandé aux
soumissionnaires de présenter un plan de développement
économique et social de la société sucrière. Dans
son dossier de développement économique, le consortium Sucre
participation avait prévu une série d'investissements. Ces
investissements devaient porter sur les plantations existantes, le
système d'irrigation, la rénovation de l'usine de production et
l'extension des cultures. Sur le plan social, de nombreuses mesures avaient
été énoncées. Celles-ci comprennent le maintien de
la main-d'oeuvre existante (1 515 employés), le recrutement de 55
nouveaux employés, l'offre de primes et un programme de
réinsertion des populations de Banfora120.
Toutefois, selon les revendications des centrales syndicales
que nous développerons plus tard, le repreneur de la SN SOSUCO ne
tiendra pas ses engagements économiques ni les mesures sociales
promises. Alors, le climat social et économique se
détériore et le complexe plonge dans une série
d'instabilité économique jamais égalée.
3. L'évolution du capital social de la SN SOSUCO
de 1998 à 2020
Le capital social de la SN SOSUCO a été
augmenté à plusieurs reprises depuis la SOSUHV en 1968.
Après la libéralisation du complexe sucrier, les repreneurs ont
réalisé des investissements pour dynamiser l'entreprise et
accroitre sa rentabilité. En 1998, le repreneur Sucre participation
a estimé ses investissements à 9 611 000 000 francs CFA,
répartis comme suit : 7 230 millions de francs CFA pour les cultures et
la mécanisation des outils ; 2 081 millions de francs CFA pour l'usine ;
150 millions de francs CFA pour l'usine d'agglomération sucrière
et 150 millions de francs CFA pour les services
généraux121. Après sa libéralisation, le
capital de la SN SOSUCO se présentait comme suit :
- La société Sucre participation : 52%, -
L'État du Burkina Faso : 28%,
- Les privés burkinabè : 3%,
120 Commission de Privatisation, Privatisation de la
SOSUCO, op. cit., p. 20.
121 Ibid., p. 35.
Page 57
- L'État de Côte d'Ivoire : 11%,
- Le groupe SOMDIAA SA : 6%.
Depuis 2017, le capital social de la Nouvelle
Société Sucrière de la Comoé est passé
à 8 143 590 000 francs CFA122. Mais bien avant cela, le
consortium Sucre participation avait racheté les parts de la
SOMDIAA et de l'État de Côte d'Ivoire123. Ces rachats
lui permettront de conserver sa majorité avec maintenant 69,2% des
actions. L'État burkinabè et ses démembrements
détiennent désormais 30,6% des parts, contre 82,68% en 1985.
Depuis 2017, la répartition du capital de la SN SOSUCO s'illustre par le
Graphique 4 ci-dessous.
Graphique 4 : La répartition du capital social de la SN
SOSUCO en 2017
Source : Bancé Thomas Frank, mai 2023.
C/ Les conséquences de la privatisation de la SN
SOSUCO
La privatisation de la société sucrière
burkinabè est apparue comme un impératif pour le gouvernement
burkinabè en 1998. Mais pour les structures syndicales, l'État ne
devait pas se désengager de son unique société
sucrière. Comme on pouvait s'y attendre, l'avis des partenaires sociaux
n'a pas été pris en compte. Si les premières années
de la privatisation ont été caractérisées par une
croissance de la production et du chiffre d'affaires, une décennie
aurait suffi pour constater
122 Comité de Privatisation, « Rapport annuel 2017
», rapport réalisé pour la Primature de la République
de Côte d'Ivoire, 2017, p. 14, consulté le 2 mai 2023, URL :
http://privatisation.gouv.ci/fichier/1526053515Rapport-annuel-2017.pdf.
123 Ibid., p. 15.
les échecs de la libéralisation du marché
sucrier et de la privatisation de l'industrie sucrière :
instabilité économique accompagnée de crises sociales.
1. La production et la commercialisation du sucre de la
SN SOSUCO
L'analyse des données statistiques sur la production et
la commercialisation du sucre de 1998 à
2008 révèle trois grandes phases
d'activités. Le Tableau 4 et le Graphique 5 montrent
l'évolution de la production et de la commercialisation du sucre de la
SN SOSUCO.
Tableau 4 : Les productions, les ventes et le chiffre
d'affaires de la SN SOSUCO124
Années
|
Production (tonne)
|
Vente (tonne)
|
Chiffres d'affaire (milliard FCFA)
|
1998-1999
|
24 767
|
30 695
|
13 600
|
1999-2000
|
31 522
|
43 375
|
15 265
|
2000-2001
|
35 387
|
52 518
|
19 266
|
2001-2002
|
36 847
|
55 938
|
19 774
|
2002-2003
|
36 805
|
44 730
|
14 676
|
2003-2004
|
32 250
|
39 953
|
10 093
|
2004-2005
|
28 733
|
38 957
|
13 660
|
2005-2006
|
25 006
|
30 238
|
11 779
|
2006-2007
|
35 305
|
21 800
|
10 948
|
2007-2008
|
37 600
|
39 752
|
13 780
|
Source : Centre d'archives de la SOSUHV, Statistiques des
ventes 1974 à 2007, tableau cité par Cissé O., «
Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit.,
p. 64.
Graphique 5 : Les ventes, la production et le chiffre
d'affaires de la SN SOSUCO
Production Vente C.A
Source : Bancé Thomas Frank, graphique
généré à partir des données du tableau
ci-dessus, mai 2023.
124 Nous tenons à préciser que les
données de ce tableau devraient s'étendre à la campagne
2019-2020. Toutefois, en l'absence de réponse favorable à notre
demande d'accès à l'information auprès de la SN SOSUCO,
nous n'avons pas pu obtenir de statistiques pour la période 2009
à 2020.
Page 58
Page 59
La privatisation de la SOSUCO a permis à l'industrie
sucrière burkinabè d'atteindre son âge d'or. Les premiers
investissements réalisés dans les plantations et l'usine par le
nouveau propriétaire semblent donner des résultats positifs. De
1999 à 2002, les ventes de sucre battent tous les records, atteignant un
record de 55 938 tonnes vendues lors de la campagne 2001-2002. Le chiffre
d'affaires de la SN SOSUCO atteint également son apogée au cours
de la même campagne avec un total de 19,774 milliards de francs CFA. Tout
laissait présager une opération de privatisation avec une
industrie en pleine croissance. Malheureusement, ces quatre campagnes
glorieuses laissent place à une baisse de performance à partir de
2003.
La deuxième phase a débuté lors de la
campagne 2002-2003 et s'est poursuivie jusqu'à la campagne 2005-2006.
Cette phase a été caractérisée par une chute libre
de la production et des ventes. Les principales raisons de cette baisse de
performance de la SN SOSUCO sont les faibles rendements dans les champs de
canne à sucre et l'usure de certaines machines de
production125. L'évolution des ventes durant cette
période était donc étroitement liée à celle
de la production.
2. Le climat social généré par la
privatisation de l'industrie sucrière
Le groupe IPS-WA a repris la SN SOSUCO dans un climat social
caractérisé par l'inquiétude et la méfiance des
travailleurs suite à la privatisation de la société
sucrière. La première crise sociale, qui a débuté
en 1999, concernait le non-respect du plan de développement
économique et social du complexe sucrier proposé par le
consortium Sucre participation au moment du rachat. En effet, quelques
mois ont suffi aux travailleurs de la SN SOSUCO pour comprendre que le dossier
de développement économique et social était une ruse et
que sa mise en oeuvre nécessiterait des luttes acharnées.
Dès lors, les travailleurs s'adonnèrent à une série
de manifestations parfois violentes pour exiger la prise en compte des cinq
points de leur plate-forme de revendications. Il s'agit de la fourniture
d'équipements de protection des garagistes ; de l'avancement de grade ;
de l'application d'augmentations salariales de 5 à 10%, de
l'augmentation des indemnités et de la prise en charge des prêts
scolaires126. Si le premier point a été satisfait par
la direction générale de la SN SOSUCO, les quatre autres feront
l'objet de négociations avec les leaders syndicaux. Insatisfaits des
propositions de la direction, ces derniers décrètent une
grève générale de 13 jours marquée par des sit-in,
des arrêts de travail, des marches, des actes de vandalisme et même
une tentative
125 Sombié Ferdinand, entretien du 03 novembre 2021, SN
SOSUCO à Bérégadougou, réalisé par
Bancé Thomas Frank.
126 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 89.
Page 60
d'enlèvement du directeur
général127. La réponse à ces
manifestations, parfois violentes, a été le licenciement de sept
responsables syndicaux par la direction générale. Ces
licenciements abusifs ont contribué à accentuer la crise sociale
à la fin de l'année 1999128.
La crise sociale de 1999 à la SN SOSUCO a fait place
à une autre crise, beaucoup plus pacifique mais avec des impacts
négatifs sur les performances de la société
sucrière. Les travailleurs de la SN SOSUCO semblent ne pas avoir
digéré la précédente crise. Mais à l'absence
de leurs responsables syndicaux et par peur de perdre leur emploi, ils ont
créé un climat de travail "froid". Les employés pour
exprimer leurs mécontentements se sont contentés de faire le
strict minimum. Cette démotivation des travailleurs aura un impact sur
les rendements de l'entreprise à partir de 2003.
3. Les crises économiques à la SN
SOSUCO
Les premières baisses de performance
Les premières difficultés de commercialisation
du sucre de la SN SOSUCO sont apparues en 1998, deux ans après la
libéralisation du marché du sucre. Avec l'ouverture du
marché aux importations, le marché burkinabè est
rapidement inondé de sucre importé. Une grande partie de ce sucre
était frauduleuse, car entrée illégalement dans le pays.
Dans une correspondance adressée au Ministère du Commerce en
1999129, les organisations syndicales s'inquiètent de
l'inondation du marché par ce sucre frauduleux, qui pouvait être
dangereux pour la santé des consommateurs en raison de sa provenance
douteuse. En conséquence, la SN SOSUCO a rencontré des
difficultés à écouler sa production et à honorer
ses engagements mensuels vis-à-vis du monde salarial. Pour surmonter
cette crise, la direction commerciale de la SN SOSUCO de concert avec le
ministère en charge du commerce ont dû prendre une série de
mesures. Le Ministère cesse de délivrer des attestations
d'importation de sucre afin de stabiliser le marché pendant un certain
temps. La SN SOSUCO a développé une stratégie de vente
assistée, qui consistait à vendre du sucre aux consommateurs par
l'intermédiaire de clients non agréés répartis sur
tout le territoire. Les employés étaient chargés de
promouvoir le sucre auprès de ces clients non agréés. La
direction a dû également vendre une partie de ses stocks à
perte à des grossistes afin de minimiser les pertes
financières130. Bien que ces mesures aient porté leurs
fruits, elles n'ont pas permis d'éviter d'autres crises.
127 Ibid., p. 90.
128 Bien que l'affaire ait été portée
devant les tribunaux du travail, les sept travailleurs n'ont pas
été autorisés à retourner à la SN SOSUCO.
L'entreprise a préféré les indemniser cinq ans
après les faits.
129 La correspondance des organisations syndicales
complète se trouve à l'Annexe 3.
130 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 91.
Page 61
La mévente en 2008
La campagne de 2006-2007 se solde par une crise de
mévente d'une ampleur sans précédent pour la SN SOSUCO.
Sur les 35 305 tonnes de sucre produites, l'entreprise n'a pu vendre que 21 800
tonnes, une première depuis son existence. En avril 2008, Cissé
Oumar comptabilisait 25 201 tonnes de sucre immobilisées dans les
magasins sans acheteurs131. La cause principale de ce manque de
vente est la dérégulation du marché mondial du sucre. Il
s'avère qu'à cette époque, le sucre importé
était moins cher que celui produit par la SN SOSUCO132. Par
conséquent, les commerçants préfèrent importer
frauduleusement du sucre au Burkina Faso. Cette fraude a instauré une
concurrence déloyale pour le sucre burkinabè et une faible
demande des consommateurs pour le sucre local. Pour tenter de limiter la
fraude, le gouvernement décide d'imposer une clause de parité sur
le marché du sucre : la quantité de sucre importée doit
être égale à la quantité de sucre achetée
à la SN SOSUCO. Malheureusement, cette mesure ne fera qu'augmenter le
chiffre d'affaires de la société car les importateurs se
permettront d'acheter le sucre local sans passer le récupérer
à l'entrepôt. L'objectif est simplement de pouvoir obtenir
l'agrément d'importer beaucoup plus de sucre. Le 21 avril 2008, le
directeur général estimait que plus de 4 000 tonnes de sucre
avaient été payées mais étaient encore
stockées dans ses entrepôts133. Parallèlement,
d'autres commerçants importaient illégalement du sucre au Burkina
Faso. Plusieurs solutions internes ont été mises en place pour
freiner la fraude, mais sans grand succès. Pour une sortie
définitive de crise, deux nouvelles structures ont été
mises en place. D'une part, une Société de Distribution de
Sucre (SODISUCRE) a été créée pour acheter et
distribuer le sucre local en collaboration avec tous les acteurs de l'industrie
sucrière134. D'autre part, l'Observatoire de lutte contre
la fraude du sucre a été mis en place en collaboration avec
le Ministère en charge du Commerce pour réguler les importations
de sucre en délivrant une Autorisation Spéciale d'Importation
(ASI)135. Un déstockage progressif du sucre de la SN SOSUCO a
eu lieu au cours des campagnes suivantes.
131 Ibid., p. 93.
132 Alors que le sucre SN SOSUCO coûte 370 000 francs
CFA (granulé) et 540 000 francs CFA (cristallisé), le sucre
importé du Brésil coûte 120 000 francs CFA à l'achat
et est livré à moins de 200 000 francs CFA, soit un prix de
revient d'environ 320 000 francs CFA.
133 Propos recueillis par Cissé Oumar lors de ces
enquêtes orales, 26 juin 2008 à Bérégadougou.
134 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 97.
135 African Business French, « Burkina Faso : des mesures
d'urgence pour le sucre », Magazine de l'Afrique, mis en ligne le
11 juillet 2018, consulté le 30 avril 2023, URL :
https://magazinedelafrique.com/uncategorized/burkina-faso-des-mesures-durgence-pour-le-sucre/.
La mévente de 2015
Au 2 novembre 2015, Mouctar Koné, directeur
général de la SN SOSUCO, annonçait au moins 17 000 tonnes
de sucre invendu, soit la moitié de la production de
2013-2014136. En mars 2015, il avait annoncé 32 000 tonnes de
sucre stockées dans son entreprise. Les importations frauduleuses
semblent être de retour, car l'inondation du marché par du sucre
importé frauduleusement est à l'origine de cette nouvelle
mévente. Cette crise remonte à la campagne 2014-2015 au cours de
laquelle la SN SOSUCO avait stocké 8 000 tonnes de sucre achetées
mais non livrées aux commerçants137. Cela nous
rappelle les pratiques malsaines des importateurs en 2007. Une fois à
l'intérieur du pays, le sucre importé était vendu à
un prix inférieur au sucre local. Compte tenu du faible pouvoir d'achat
des classes sociales, la qualité du sucre acheté importait peu.
Pour sortir de la crise, le directeur général a proposé de
supprimer la subvention sur le sucre importé et de reconstituer une
SODISUCRE, puisque celle de 2008 avait fonctionné avant de
disparaître. Mais c'est l'application rigoureuse des termes de l'accord
tripartite de 2012 qui permettra de faire respecter les engagements des
importateurs de sucre et la régulation du prix du sucre sur le
territoire national138. La vente promotionnelle du sucre durant le
mois de Ramadan 2016 a permis à la SN SOSUCO d'écouler le stock
restant139. Au regard de l'aggravation de la mévente en 2015,
Mouctar Koné alerte sur des risques sérieux de fermeture de son
entreprise si les importations frauduleuses se poursuivent.
La mévente en 2019
En 2019, une autre crise de mévente a lieu à la
SN SOSUCO, alors que la résolution de la précédente crise
sucrière avait entrainé une brève rupture de stocks en
novembre 2016140. C'est dire que le mal était profond et
qu'il était temps de trouver des solutions radicales à ces
méventes
136 Sy Amir Lookman, « Crise à la SN SOSUCO : les
travailleurs n'ont jamais manqué de salaire »,
L'économiste du Faso, mis en ligne le 2 novembre 2015,
consulté le 8 mai 2023, URL :
https://www.leconomistedufaso.com/2015/11/02/
crise-a-la-sn-sosuco-les-travailleurs-nont-jamais-manque-de-salaire/.
137 Sy Amir Lookman, « SN SOSUCO : La campagne
sucrière 2014-2015 lancée », L'économiste du
Faso, mis en ligne le 15 décembre 2014, consulté le 5 mai
2023, URL :
https://www.leconomistedufaso.com/2014/12/15/sn-sosuco-la-campagne-sucriere-2014-2015-lancee/.
138 En 2012, un accord a été signé entre
le Ministère du Commerce, la SN SOSUCO et un groupe de 10 importateurs
de sucre. Cet accord fixe le quota de chaque importateur sur la campagne en
cours avant l'acquisition d'une Autorisation Spéciale d'Importation.
139 Gadiaga Karim, « SN SOSUCO : Après la
mévente, la rupture de stocks », L'économiste du
Faso, mis en ligne le 28 novembre 2016, consulté le 8 mai 2023, URL
:
https://www.leconomistedufaso.com/2016/11/28/sn-sosuco-apres-mevente-rupture-de-stocks/.
140 La rupture de stock de fin 2016 n'a duré que peu de
temps avant que le sucre SN SOSUCO ne soit rendu disponible pour la campagne
2016-2017. Pour plus de détails sur la pénurie, vous pouvez lire
l'article du magazine l'Economiste du Faso à l'adresse
https://www.leconomistedufaso.com/2016/11/28/sn-sosuco-apres-mevente-rupture-de-stocks/.
Page 62
Page 63
d'autant plus que la cause est restée la même :
l'inondation du marché par du sucre importé frauduleusement. Le
directeur général de la société sucrière
estime que 24 000 tonnes resteront invendues en septembre 2019141.
Cette fois-ci, la réponse à la crise a été simple
et forte : la suspension de l'importation de sucre et d'huile sur tout le
territoire national. Cette mesure a été rendu publique par le
communiqué du 9 septembre 2019 du Ministère du Commerce, de
l'Industrie et de l'Artisanat. Cette décision gouvernementale sera
qualifiée de « courageuse, historique et patriotique » par les
entreprises bénéficiaires. Elle marque la fin d'une longue
série de méventes à la SN SOSUCO et le retour à la
stabilité économique et sociale de l'industrie sucrière.
Voici une représentation des crises commerciales de la SN SOSUCO sous la
gestion du groupe IPS-WA.
Graphique 6 : Les méventes de la SN SOSUCO
25 201 tonnes
32 000 tonnes
17 000 tonnes
24 000 tonnes
Source : Bancé Thomas Frank, mai 2023.
141 Sy Amir Lookman, « Suspension de l'importation du
sucre et des huiles : une mesure saluée par les industriels »,
L'économiste du Faso, mis en ligne le 23 septembre 2019,
consulté le 9 mai 2023, URL :
https://
www.leconomistedufaso.com/2019/09/23/suspension-de-limportation-du-sucre-et-des-huiles-une-mesure-saluee-par-les-industriels/.
Page 64
Conclusion
La Nouvelle Société Sucrière de la
Comoé, ou SN SOSUCO en abrégé, est l'unique
société sucrière du Burkina Faso. Créée en
1965 avec pour objectif la production et la commercialisation du sucre et de
ses dérivés sur le territoire national et dans la
sous-région, la SN SOSUCO a eu du mal à prendre son envol. En 58
années d'existence, son statut juridique a évolué d'une
Société d'économie mixte (1972-1985) à une
Société d'État (1985-1998) avant de revenir
à une Société d'économie mixte (1998
à ce jour). A l'instar de son statut juridique, la situation
économique et sociale de la société sucrière fait
preuve de grandes instabilités. Sur le plan économique, la SN
SOSUCO a pu atteindre une production record de 37 600 tonnes de sucre
(2007-2008) et des ventes de 55 938 tonnes (2001-2002). Durant certaines
années, elle a eu de la peine à produire 20 000 tonnes de sucre
et à les commercialiser (32 000 tonnes de méventes en mars 2015).
De 1998 à 2010, la société sucrière a
bénéficié d'investissements d'environ 20 milliards de
francs CFA pour dynamiser la production et rendre le sucre local
compétitif sur le marché national. Malheureusement, les
résultats tardent à venir, compte tenu de la série de
méventes qu'elle a connue entre 2007 et 2019. En ce qui concerne le
climat social, il est plus détendu de nos jours qu'en 1991 et 1999. Les
travailleurs étant la force productive de l'entreprise, leurs conditions
de travail et de vie doivent être régulièrement
améliorées pour espérer des rendements à la hauteur
des attentes. Aujourd'hui, la SN SOSUCO, filiale de la holding Industrial
Promotion Services - West Africa (IPS-WA), doit consolider sa position de
première entreprise privée pourvoyeuse d'emplois au Burkina Faso.
Son sucre doit également être une source de fierté
nationale en s'imposant sur le marché, sachant que sa production
sucrière ne représente que 25% de la consommation nationale en
2020. Pour ce faire, un diagnostic approfondi de l'industrie sucrière
est nécessaire afin d'identifier les problèmes majeurs auxquels
des solutions durables et efficaces seront apportées.
Page 65
Chapitre II : L'ANALYSE DU COMPLEXE SUCRIER DU BURKINA
FASO
Abstract
In this chapter, we analyze three aspects of the
Burkinabè sugar company. The first aspect analyzed concerns the
company's spatial distribution in the Cascades region. The sugar complex was
established on a perimeter of 10,000 ha. On this sugar perimeter, three
different developments were built to ensure sugar production from locally grown
sugar cane. To this end, over 40% of the complex is currently devoted to
sugarcane cultivation. Part of the remaining perimeter has been developed for
industrial facilities and employee housing. The second part of this chapter is
devoted to the process of transforming sugar cane into sugar. This process
begins with 12 to 14 months of sugarcane cultivation to obtain an average yield
of 300,000 tonnes of cane per year. From November to April each year, the cut
cane is processed in a cane sugar factory and a sugar refinery. After
processing, SN SOSUCO obtains an average of 30,000 tonnes of granulated and
lump sugar, which it markets within the country. Since this production
represents only 25% of sugar consumption in Burkina Faso, the sugar company
imports the remainder to satisfy its consumers. The final part of the chapter
looks at the positive and negative impacts of the establishment of the sugar
complex in the Cascades region. Here, we first highlight the complex's major
contribution to the economic and social development of Burkina Faso in general,
and the Cascades region in particular. SN SOSUCO, the leading private
enterprise with over 3,000 employees, has helped to open up the region's
economy. However, the agricultural activities and industrial installations of
the sugar industry have a negative impact on the environment and the social and
cultural organization of the populations concerned.
I. L'occupation spatiale de la SN SOSUCO dans la
région des Cascades
La réussite du projet sucrier burkinabè
était intrinsèquement liée à la qualité de
l'organisation et la gestion du périmètre sucrier. Le 18 juillet
1972, le gouvernement burkinabè décide de confier
l'aménagement du complexe sucrier à la SOSUHV avec l'entreprise
française SOMDIAA comme maitre d'ouvrage142. La SOMDIAA est
assistée par d'autres entreprises techniques telles que l'Institut de
Recherches Agronomiques Tropicales (IRAT) et le Secrétariat
français des Missions d'Urbanisme et d'Habitat (SMUH). L'objectif de cet
aménagement était de répartir les zones de culture, les
infrastructures hydrauliques, les installations industrielles, les logements
sociaux et les voiries. D'une superficie de 10 000 ha, le projet
d'aménagement a coûté 5,445 milliards de francs CFA. Le
financement a été assuré par le capital social de la
SOSUHV (1 965 500 000 francs CFA) et par des institutions
financières143 (3 480 000 000 francs CFA) . La Figure 5
montre la
144
répartition spatiale du complexe sucrier de
Banfora145.
Figure 5 : Plan du périmètre sucrier de la SN
SOSUCO
Source : SN SOSUCO/ Direction culture, carte redessinée
par Samuel Paré, dans « Risk of workers exposure to pesticides
during mixing/loading and supervision of the application in sugarcane
cultivation in Burkina Faso », mis en ligne en juillet 2014,
consulté le 25 mars 2023, URL : Pesticides_risk_assessment.
142 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/20, Contrat d'ingénierie et
d'assistance technique pour la création du complexe sucrier de Banfora,
1972, p. 2.
143 Plusieurs institutions financières ont
participé au financement de l'aménagement de la SOSUHV. Il s'agit
du Fonds Européen de Développement (FED) avec 1,400 milliard de
F.CFA ; de la Banque Nationale de Développement (BND) avec 1,300
milliard de F.CFA ; de la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest
(BCEAO) avec 500 millions de F.CFA ; du Fonds d'Aide et de Coopération
(FAC) avec 280 millions de F.CFA.
144 Hartog T., « Le périmètre sucrier de
Banfora », art. cit., p. 123.
145 Nous rappelons encore une fois que sur certaines archives
du complexe sucrier, il était situé à Banfora. Mais avec
les nouvelles répartitions administratives, une grande partie du
complexe se trouverait dans la commune de Bérégadougou.
Page 66
Page 67
A/ L'aménagement des zones de culture de la SN
SOSUCO
Sur les 10 000 ha que représente le
périmètre sucrier de Bérégadougou, 4 000 ha
devaient être consacrés à la culture de la canne à
sucre avec des possibilités d'extension. En 2017, environ 4 210 ha de
terre sont exploitées par la SN SOSUCO146. L'obtention du
périmètre sucrier a nécessité une opération
de délocalisation des populations installées sur ces terres.
1. La répartition des plantations de canne
à sucre
La zone de culture de la SN SOSUCO est située dans la
plaine de Bérégadougou, dans la région des Cascades au
sud-ouest du Burkina Faso. Elle est située entre 10°41' et
10°47' de latitude Nord et 4°38' et 4°39' de longitude Ouest. Le
périmètre de la SN SOSUCO est subdivisé en 111 parcelles
de culture comme le montre la Figure 6 ci-dessous. Les zones de
culture de la canne à sucre ont été
déterminées en fonction de la teneur élevée en
matière organique et en eau des sols. Un système de codification
est utilisé pour désigner chaque parcelle. La codification prend
en compte le système d'irrigation (pivot, latéral, aspersion), le
nom du village dans lequel elle est localisée, le numéro de
série et la planche sur laquelle la parcelle est située (planche
A, B, C et D)147. En choisissant d'attribuer les noms des villages
délocalisés aux parcelles, la SN SOSUCO manifeste sa
reconnaissance envers ces villages. La mémoire de ces villages est ainsi
préservée des années plus tard malgré le fait
qu'ils ne soient plus habités. La majorité des parcelles
exploitées aujourd'hui sont situées à l'est et au nord de
l'usine.
Pour faciliter la circulation des personnes et du
matériel agricole dans le périmètre sucrier, des pistes
rurales, des routes et des ponts ont été construits. Ces voies de
communication serviront également au transport de la canne coupée
vers les ateliers de transformation. La Route Nationale n°7 (RN7), qui
traverse le périmètre sucrier en son centre, permet à la
SN SOSUCO de se connecter avec les villes de l'intérieur du pays mais
aussi au sud, avec la capitale économique de la Côte d'Ivoire,
Abidjan. Le tronçon du chemin de fer de la Régie Abidjan-Niger
(RAN) qui traverse le périmètre vers le sud était
autrefois utilisé pour le transport des matières premières
et des produits de la société sucrière. La Figure 6
ci-dessus montre les voies de communication du périmètre
sucrier.
146 Biaou O. D., « Améliorer la disponibilité
des coupeurs de canne à sucre sur un périmètre industriel
», op. cit., p. 15.
Page 68
Figure 6 : Plan parcellaire de la SN SOSUCO
Source : SN SOSUCO/ Direction culture, plan cité par
Biaou O. D., « Améliorer la disponibilité des coupeurs de
canne à sucre sur un périmètre industriel », op.
cit., p. 16.
2. La mise en place du système
d'irrigation
Il est bien connu que la canne à sucre est l'une des
cultures agricoles les plus gourmandes en eau. C'est pourquoi la
disponibilité des ressources en eau sur le périmètre de
Bérégadougou a été un facteur essentiel de
l'aménagement de la zone. Pour rappel, la région connaît
annuellement une saison sèche de novembre à mars. L'irrigation de
la canne, en plus de la pluviométrie annuelle comprise entre 843 mm et 1
254 mm, était plus que nécessaire. À la SN SOSUCO, deux
principaux systèmes d'irrigation sont utilisés : le
goutte-à-goutte sous-terrain (4% des surfaces irriguées) et
l'aspersion (96% de la surface irriguée).
Dans le cas de l'irrigation
goutte-à-goutte, l'eau est dirigée vers les cultures par
de petits goutteurs placés sur des tuyaux flexibles le long des
rangées de cultures148. Ce système, en plus
d'être économe en eau, fournit aux racines des tiges de canne la
quantité d'eau dont elles ont besoin pour se développer. En
observant le schéma ci-dessous (Figure 7), on peut voir comment
l'eau est acheminée depuis les sources d'eau (la rivière Yannon
et Béréga), puis régulée par des vannes
motorisées ou manuelles avant d'atteindre les cultures qui sont
organisées en secteurs.
148 Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et
l'agriculture (FAO), Les techniques d'irrigation pour les agriculteurs
à petite échelle : Pratiques clés pour les praticiens de
la RRC, FAO, [version numérique], 2014, consulté le 27 mars
2023, p. 29, URL:
http://www.fao.org/3/a-i3765f.pdf.
Figure 7 : Schéma d'irrigation goutte-à-goutte de
la SN SOSUCO
|
Légende
Vanne manuelle ouverte
Zones de culture
Vanne motorisée d'isolement de circuits
Superviseur
Détenteur d'eau en besoin
|
Page 69
Source : Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/19, Études d'urbanisme du
périmètre de Banfora, 1972, p. 46.
Pour les zones éloignées des sources d'eau du
périmètre, la SN SOSUCO utilise l'irrigation par aspersion. Cette
méthode est une technique d'irrigation de surface dans laquelle l'eau
est appliquée à la canne à sucre par des jets d'eau qui
tombent comme une pluie artificielle. Les deux dispositifs d'irrigation par
aspersion utilisés sur le périmètre sucrier de
Bérégadougou sont la couverture intégrale et l'irrigation
par rampe pivotante et frontale. L'irrigation par couverture
intégrale est actuellement peu répandue dans les zones
de culture (10% de la surface totale). Cette méthode consiste à
mailler les parcelles en 18mx18m à l'aide d'un dispositif fixe. L'eau
est ensuite distribuée par aspersion à l'aide de rampes, de
supports de rampes, de vannes, et d'asperseurs (Figure
8)149.
149 Konan, Kouamé, Ouattara, Péné et Dick
(dir.), « Caractérisation des surfaces récoltées
selon le statut hydrique et efficience des systèmes d'irrigation dans le
périmètre sucrier de Ferké 2 en Côte d'Ivoire
», Afrique Science, 14(5), mis en ligne en septembre 2018,
consulté le 27 mars 2023, p. 110, URL :
https://www.researchgate.net/publication/
328026993_Caracterisation_des_surfaces_recoltees_selon_le_statut_hydrique_et_efficience_des_systemes_d%27irrigat
ion_dans_le_perimetre_sucrier_de_Ferke_2_en_Cote_d%27Ivoire..
Page 70
Cette méthode permet aux plantes d'obtenir la
pluviométrie souhaitée à partir d'une même
distribution d'eau.
Figure 8 : Schéma illustratif du système
d'irrigation à couverture intégrale
Source : Konan, Kouamé, Ouattara, Péné et
Dick (dir.), « Caractérisation des surfaces récoltées
selon le statut hydrique et efficience des systèmes d'irrigation »,
art. cit., p. 110.
Le deuxième système d'irrigation par aspersion
utilisé dans les zones de culture de la SN SOSUCO est
l'irrigation par rampe pivotante et frontale. Cette
méthode d'irrigation utilise des machines mobiles automotrices qui se
déplacent en translation pour irriguer des parcelles circulaires (rampe
pivot) et rectangulaires (rampe frontale). Sur ces machines, il n'y a pas de
point d'ancrage fixe au sol, la rampe doit donc résister à la
contrainte mécanique des charges en mouvement. Chaque machine est
équipée de travées porte-arroseurs, de tours
montées sur roues supportant les travées à une
extrémité, d'un axe central ou pivot autour duquel les
travées tournent, qui fournissent toute la puissance à la rampe.
Un porte-à-faux avec un canon de pulvérisation est situé
après la dernière travée (Figure
9)150. L'avantage de la rampe pivotante et de la rampe frontale
est qu'elles permettent d'irriguer de très grandes surfaces. C'est
pourquoi l'irrigation par pivot est le système le plus utilisé
dans les zones de culture de la SN SOSUCO. Elle s'étend sur 3 440 ha,
soit 86% des surfaces irriguées151.
150 Konan, Kouamé, Ouattara, Péné et Dick
(dir.), « Caractérisation des surfaces récoltées
selon le statut hydrique et efficience des systèmes d'irrigation »,
art. cit., p. 109.
151 Site web officiel de la SN SOSUCO,
consulté le 28 mars 2023, URL :
https://snsosuco.com/expertise/culture-irriguee-de-la-canne.
Page 71
Figure 9 : Schéma illustratif de la rampe frontale et de
la rampe pivotante
Rampe frontale Porte-à-faux
Travée
Canon
Axe central Tour
Porte-à-faux
Rampe pivotante
Travée
Canon
Pivot central Tour
Source : OTECH leading irrigation, Les rampes frontales et
les pivots, [site web] reconstitué par Bancé Thomas Frank,
10 mai 2023, URL :
https://www.otech.fr/fr/nos-produits/rampe-frontale.html.
Figure 10 : Photographies aériennes des zones de culture
de la SN SOSUCO
Parcelle irriguée par rampe frontale Parcelle
irriguée par rampe pivotante
Source : CNES/Airbus Landsat, SN SOSUCO de
Bérégadougou, images datées du 07/11/2022,
consultées le 12 mai 2023, URL :
https://earth.google.com/web/search/SN+sosuco,+Bérégadougou,+Burkina+Faso/.
Ces deux grands systèmes d'irrigation sont
alimentés en eau par gravité à partir de trois barrages :
le barrage de la Comoé (40 millions de m2), le barrage de la
Lobi (6 millions de m2) et le barrage de Toussiana (6 millions de
m2). Les infrastructures hydrauliques de la SN SOSUCO
Page 72
attirent de nombreux regards des populations et contribuent
ainsi à offrir un beau paysage au périmètre sucrier.
3. L'expropriation des terres des populations
locales
L'expulsion des populations locales de leurs habitations et
de leurs terres agricoles
Dans la Convention d'établissement de 1972,
l'article 27 stipule que : « L'Etat s'engage à apporter à la
Société, un terrain de 10 000 ha appelé
périmètre sucrier au prix de 13 300 F l'hectare, l'État
recevant en contrepartie des actions de type B ». C'est en application de
ce contrat que les terres sur lesquelles vivaient plus de 11 villages ont
été expropriées pour constituer le fameux
périmètre sucrier de la SN SOSUCO. Ce mouvement de
déguerpissement, qui s'est déroulé entre 1970 et 1973, a
touché 549 familles, soit environ 5 000 personnes152. La SN
SOSUCO a exercé deux formes d'expropriation sur les populations
autochtones : la récupération totale de leurs terres (habitats et
champs de culture) ou leur récupération partielle. S'ensuit la
destruction des arbres, des vergers, des lieux de culte sacrés, des
zones de pâturage, etc. L'héritage historique, culturel et
économique des populations expulsées est affecté.
Le 31 octobre 1972, une commission interministérielle
ad hoc est créée pour résoudre les problèmes
sociaux et d'accueil des populations dans le cadre de l'implantation du
complexe sucrier de Banfora153. Le seul mérite de cette
commission est d'avoir porté de 10 à 12 ans la période
d'exonération d'impôts et de taxes locales des familles
déplacées. Selon Thierry Hartog, cette mesure n'était pas
suffisante : « Hormis le préjudice moral subi par ces populations,
aucun système sérieux d'indemnisation à long terme ne
régla le problème : la faiblesse du dédommagement
contrasta avec l'importance des préjudices subis »154.
Pire, aucun plan de réhabilitation des populations n'avait
été établi avant le processus d'aménagement du
territoire. C'est le cas des habitants de Takalédougou,
Séréfédougou et Niankadougou, qui ont été
expulsés de force par des bulldozers155. Ils ont dû se
résigner à vivre dans les villages environnants avec toutes les
conséquences que cela pouvait engendrer : surpopulation, baisse du
pouvoir d'achat, réduction des terres agricoles, conflits sociaux.
152 La liste des villages déplacés avec toutes les
caractéristiques figure à l'annexe 4.
153 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, des Mines et de l'Industrie, sous-série 41V,
41V234, Société Sucrière de Haute-Volta : études
diverses - Procès verbal de la réunion de la commission ad
hoc, 1973, p. 4.
154 Hartog T., « Le périmètre sucrier de
Banfora », art. cit., p. 130.
Page 73
Les mutations résultant de l'installation du
complexe sucrier
Face à l'absence de réelles compensations et
à l'incapacité des autorités étatiques à
leur trouver un plan de réinsertion sociale, les populations des
villages expropriés ont dû réajuster leur mode de vie. Sur
le plan agricole, on constate une nette réduction des cultures de rente
(sésame, riz, arachide) au détriment des cultures
vivrières (mil, maïs, sorgho)156. D'autre part,
l'aménagement du périmètre sucrier a bouleversé le
mode de vie des populations locales. L'économie vivrière
disparaît au profit d'un environnement où la recherche du profit
et l'acquisition de matériels deviennent une fin en soi.
L'économie capitaliste est introduite sans transition à
Banfora.
Sur le plan socioculturel, une communauté
multiculturelle d'origines diverses voit le jour. La ville entame son processus
de modernisation avec tous les changements qui s'ensuivent : logement,
habillement, alimentation, moyens de transport, activités culturelles et
sportives. Les pratiques religieuses et linguistiques se diversifient. La
langue dioula, qui était parlée avant l'installation du complexe,
est désormais concurrencée par une autre langue, le moore. Cette
nouvelle langue, parlée par la majorité des habitants du Burkina
Faso, n'était pas présente auparavant dans le Sud-ouest. À
la lumière de toutes ces divergences entre le monde traditionnel
marginalisé et le monde moderne, il est regrettable que la politique
d'aménagement du périmètre sucrier de
Bérégadougou n'ait pas impliqué davantage les populations
locales.
B/ Les installations industrielles
Le Contrat d'établissement qui a engagé la
SOSUHV dans la mise en valeur des zones de culture de la canne à sucre
à Bérégadougou prévoyait également la
réalisation d'installations industrielles pour assurer la production
locale de sucre à partir de la canne. C'est ainsi que la SOSUHV,
gérée par la SOMDIAA, signe le 12 janvier 1973 avec la
société française Fives Lille-Cail un Contrat
d'ingénierie pour la construction d'une usine157. Sur
une superficie de 35 ha, devrait être aménagés une cour
à cannes, un bâtiment industriel, un magasin à sucre, un
atelier de production, une raffinerie, un laboratoire et des bureaux
administratifs. Ces prestations d'ingénierie, d'un montant de 1 880 000
000 de francs CFA, ont permis la mise en service en 1975 d'une sucrerie d'une
capacité de 2 400 tonnes par jour158. Sa production moyenne
est estimée à 30 000 tonnes par an.
156 Hartog T., « Le périmètre sucrier de
Banfora », art. cit., p. 131.
157 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/19, Contrat d'ingénierie pour
la construction d'une sucrerie-raffinerie, 1972, p. 2.
158 Site web officiel de la SN SOSUCO,
consulté le 13 juillet 2023, URL:
https://snsosuco.com/expertise/production-du-sucre-et-valorisation-de-ses-sous-produits.
Page 74
D'importants travaux de génie civil ont
également accompagné l'implantation du complexe sucrier à
Bérégadougou.
Figure 11 : Photographie aérienne des installations
industrielles de la SN SOSUCO
Echelle: 1/10 000
Installations industrielles
Garage automobile
Ateliers mécaniques
Services sociaux
Source : CNES/Airbus Landsat, Installations industrielles
de Bérégadougou, images datées de novembre 2019,
consultées et reconstituées par Bancé Thomas Frank en mai
2022, URL :
https://earth.google.com/web/search/
SN+sosuco,+Bérégadougou,+Burkina+Faso/.
1. La sucrerie de canne
Le lieu d'édification de la sucrerie de cannes
(agglomération sucrière) a été déterminant
dans le processus de développement du périmètre sucrier.
Trois facteurs ont dû être pris en compte avant de choisir
l'emplacement idéal (voir Figure 5)159. Le premier
facteur est la localisation des zones de culture. L'usine devait être
aussi proche que possible des zones de culture afin de faciliter la circulation
des employés et le transport des cannes coupées. Ensuite, le
besoin en eau et le retour des eaux usées de l'usine ont conduit les
promoteurs à l'installer à proximité du Yannon et de la
159 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/20, Contrat d'ingénierie et
d'assistance technique pour la création du complexe sucrier de Banfora,
1972, p. 2.
Page 75
Béréga, les deux plus importantes sources d'eau
disponibles sur le périmètre sucrier. Le dernier facteur est la
proximité du chemin de fer. En effet, la proximité du chemin de
fer a permis d'acheminer entre 15 000 à 20 000 tonnes de
matériaux nécessaires au montage de l'usine depuis le port
d'Abidjan en Côte d'Ivoire, et de transporter les matières
premières de l'usine (fertilisants chimiques, chaux, souffre, sucre
importé)160 et le sucre de Banfora à Ouagadougou via
Bobo-Dioulasso, Koudougou ou Kaya161.
La sucrerie de canne compte cinq ateliers principaux
impliqués dans la production de sucre granulé. Il s'agit de
l'atelier de broyage, de la chaufferie, de l'épuration du vesou, de
l'évaporation et de la cristallisation. L'équipement technique
nécessaire au fonctionnement de l'ensemble de l'usine a
été fourni par la société française Five
Lille-Cail et la société belge UCMAS. Nous expliquerons plus loin
le fonctionnement de tous ces ateliers dans le processus de production du sucre
à la SN SOSUCO.
2. La raffinerie de sucre
Le processus de mise en place des installations industrielles
se termine par l'aménagement d'un espace pour la raffinerie de sucre.
Cette raffinerie est intégrée à la sucrerie de canne pour
assurer la production de sucre raffiné à partir du sucre
granulé dans la sucrerie. Elle a une capacité de production de
150 tonnes de sucre par jour162. La raffinerie de sucre se compose
de deux ateliers : l'un pour le raffinage et l'autre pour le séchage et
l'ensachage.
3. Les installations annexes
La présence d'une sucrerie de canne et d'une raffinerie
de sucre n'était pas suffisante pour faire fonctionner le complexe
sucrier de Banfora. Le processus de développement a dû inclure
l'installation de services dits auxiliaires. Ces services peuvent jouer
plusieurs rôles dans le périmètre sucrier. Tout d'abord, il
y a les installations qui soutiennent la production de sucre. Il s'agit
notamment de la cour de cannes, qui traite les tiges de canne à sucre
venues directement des zones de cultures avant qu'elles ne soient introduites
dans l'atelier de broyage, de la centrale de production et de distribution
d'énergie électrique, de la centrale diesel, de la station
d'épuration et
160 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé : études
diverses - Notes sur l'aménagement du périmètre de
Banfora, 1965, p. 3.
161 La carte du réseau ferroviaire du Burkina Faso figure
à l'annexe 5.
162 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/20, Contrat d'ingénierie et
d'assistance technique, op. cit., p. 2.
Page 76
de l'"installation du vide", qui alimente les ateliers
d'évaporation et de cristallisation. Viennent ensuite les services
généraux de l'usine. Répartis en deux blocs, ces services
s'occupent de la gestion et du fonctionnement des activités
industrielles. Un premier bâtiment de 43mx8,5m abrite les bureaux du
service médical et du service culture et la douche commune. Ensuite, un
second bâtiment de 20mx8m comprend sept bureaux et le laboratoire
d'analyse163.
Afin de valoriser les sous-produits de la production
sucrière, une distillerie a été installée à
proximité des installations industrielles. Elle produit essentiellement
10 000 litres d'alcool pharmaceutique et industriel par jour à partir de
la mélasse de canne à sucre. La Figure 12 ci-dessous
donne un aperçu de la disposition externe de l'usine.
Figure 12 : Photographie panoramique de la sucrerie-raffinerie
de la SN SOSUCO
Parc automobile
Station de traitement des eaux
Bâtiments de la
sucrerie-raffinerie
Distillerie d'alcool
Source : ACE Développement Synergie, Une vue
aérienne de la partie arrière de la manufacture de sucre,
mise en ligne le 19 mars 2018, consulté et reconstitué par
Bancé Thomas Frank en mai 2022, URL : https://youtu.be/
Vul95akdGuA.
C/ Les zones de logements
A l'instar des parcelles de culture et des installations
industrielles, la détermination des zones de logements pour les
travailleurs de la SN SOSUCO a fait l'objet d'une planification à
l'intérieur et à l'extérieur du périmètre
sucrier. Les études préliminaires de 1972 avaient estimé
l'arrivée d'au moins 10 000 personnes avec l'ouverture du complexe
sucrier164. Et pour un aménagement rationnel
163 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/20, Contrat d'ingénierie et
d'assistance technique, op. cit., p. 34.
164 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère des Travaux Publics et de l'Urbanisme, sous-série 40V,
40V28, Société Sucrière de la Haute-Volta : études
d'urbanisme de Banfora, levers topographiques, correspondance - Compte
rendu de la réunion tenue le 18 juillet 1972 au Ministère du
Plan, p. 1.
Page 77
du territoire, le gouvernement préconisait
l'installation des nouveaux arrivants à Banfora et non dans les
alentours du périmètre sucrier au risque de créer des
bidonvilles. C'est pourquoi des cités d'habitation sont
aménagées pour accueillir les cadres et les ouvriers de la
compagnie sucrière. Concernant la politique de logement de la
société sucrière, Cissé Oumar affirme que les
cadres et les ouvriers qui s'occupent de l'irrigation des champs sont
logés gratuitement, tandis que les agents de maîtrise
bénéficient d'indemnités de logement165. La
cité ouvrière de Bérégadougou est mise à la
disposition des employés permanents sur une base forfaitaire. Le reste
des travailleurs doit habiter dans les zones environnantes du complexe sucrier
à leur charge.
1. La cité des cadres
Conçue dans le projet d'aménagement du complexe
sucrier pour s'établir à Banfora, la cité des cadres a
finalement été construite à Bérégadougou,
à une quinzaine de mètres au sud des installations industrielles
(voir Figure 5). La non-application de cette recommandation
gouvernementale s'explique par le désir de la SOMDIAA de maintenir son
personnel étranger à proximité de l'usine, mais aussi par
l'obligation pour les constructeurs d'usines de résider près de
leur chantier de travail. Au nombre de 28 logements, la cité des cadres
a été construite en deux temps : 4 villas de type C entre janvier
et juin 1973 et 24 autres entre 1973 et 1975166. Chaque villa a une
superficie de 160 m2 167 et servait de logements aux employés
européens occupant des postes de direction dans les différents
départements de l'entreprise.
165 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 33.
166 Sombié Ferdinand, entretien du 03 novembre 2021, SN
SOSUCO à Bérégadougou, réalisé par
Bancé Thomas Frank.
167 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/20, Contrat d'ingénierie et
d'assistance technique, op. cit., p. 36.
Page 78
Figure 13 : Photographie aérienne de la cité des
cadres de la SN SOSUCO
Echelle: 1/5 000
Secteur 3
Secteur 4
Secteur 2
Secteur 5
Secteur 1
Source : CNES/Airbus Landsat, Installations industrielles
de Bérégadougou, images datées de novembre 2019,
consultées et reconstituées par Bancé Thomas Frank en mai
2022, URL :
https://earth.google.com/web/search/
SN+sosuco,+Bérégadougou,+Burkina+Faso/.
Comme le montre la figure ci-dessus, la cité est
subdivisée en 5 secteurs d'habitation délimités par des
pistes rurales en l'absence de clôtures. Chaque villa est reliée
au circuit général d'eau potable et au réseau
électrique du périmètre sucrier.
La Figure 14 ci-dessous montre que le style
architectural des villas est classique, avec l'utilisation de briques de ciment
ou le granite comme matériaux de construction. Chaque maison dispose de
3 chambres à coucher, d'un salon, d'une toilette, d'une cuisine et d'un
débarras, d'un garage pour une voiture et d'une terrasse
abritée168. Un système de climatisation est
installé. La toiture est uniquement constituée de tôles
d'aluminium et les ouvertures (portes et fenêtres) sont
métalliques. L'aménagement intérieur et extérieur
des villas est très sommaire.
168 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V109, Aménagement du périmètre de Banfora - Etudes
de programmation à Banfora, 1973, p. 41.
Page 79
Figure 14 : Plan de construction des logements de cadre de la
SN SOSUCO
Source : Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V109, Aménagement du périmètre de Banfora - Etudes
de programmation à Banfora, p. 43.
Figure 15 : Photographies de la cité des cadres de la SN
SOSUCO
Air conditionnée Villa en briques de ciment,
secteur 1
Jardin privatif
Villa en briques de ciment, secteur 1
Toiture en aluminium
Entrée principale
Terrasse abritée
Garage
Fenêtres et portes en fer
Villa en briques de granite, secteur 3
Villa en briques de granite, secteur 3
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de la
cité des cadres de Bérégadougou, novembre 2021.
Page 80
Aujourd'hui, 45 ans après leur construction, de
nombreuses villas ne sont plus habitées. Ceci est dû, d'une part,
à la réduction du nombre de cadres étrangers travaillant
pour l'usine et, d'autre part, à la présence dans la ville de
Banfora de logements plus modernes et plus confortables pour les cadres. Par
conséquent, la cité des 28 villas est moins habitée et les
maisons sont abandonnées (voir photos en annexe 6).
2. Les cités ouvrières
Deux types de cité ont été
aménagées pour accueillir les travailleurs de la SN SOSUCO : une
grande cité dans la commune de Bérégadougou et quatre
autres dans le périmètre sucrier.
La cité ouvrière de
Bérégadougou169
En 1975, la SOSUHV obtient de l'État burkinabè
le lotissement d'un périmètre situé à
Bérégadougou, à quelques kilomètres du complexe
sucrier. Ce périmètre de 239 ha a été
découpé en 792 parcelles pour l'édification d'une
cité ouvrière destinée aux employés permanents de
la SN SOSUCO. Cependant, en raison des difficultés de financement, la SN
SOSUCO n'a obtenu le financement que pour la mise en valeur de 326 parcelles de
375 et 700 m2. Ce financement a été accordé en
1975 par l'Agence Française de Développement (AFD) pour un
montant total d'environ 700 000 000 de francs CFA170. Contrairement
à la cité des cadres, les villas qui ont été
réalisées sur la cité ouvrière de
Bérégadougou ont été vendues aux employés
à des prix forfaitaires. Ainsi, après la réalisation des
villas de type F1 à F5, la SN SOSUCO a procédé entre 1988
et 2006 à l'attribution aux bénéficiaires de leurs
propriétés171. Mais il a fallu attendre 32
années avant que la majorité des bénéficiaires de
ces villas (255 employés) obtiennent leur Permis Urbain d'Habiter
(PUH)172.
Les autres cités ouvrières
La spécificité de ces cités c'est
qu'elles sont toutes aménagées dans le périmètre
sucrier. En effet, pour des questions de proximité avec les zones de
culture pendant la campagne sucrière, la SN SOSUCO a mis en place des
cités pour loger les ouvriers saisonniers. Il s'agit des cités de
Yannon Est, Yannon Ouest, Lémouroudougou et Nyanka Sud (voir Figure
5). Ces travailleurs saisonniers
169 Pour des raisons droits d'image, nous n'avons pas pu prendre
des photos des villas des travailleurs à Bérégadougou.
170 Yere Mamadou, « Cité ouvrière de la SN
SOSUCO : Après 32 ans d'attente, les propriétaires de villas
reçoivent leur PUH », Agence d'Information du Burkina, mis
en ligne le 22 juin 2020, consulté le 10 février 2023, URL :
https://
www.aib.media/regions/2020/06/22/cite-ouvriere-de-la-sn-sosuco-apres-32-ans-dattente-les-proprietaires-de-villas-recoivent-leur-puh//.
171 Le prix des villas a été fixé en
fonction de la superficie de la parcelle et de la qualité de la
construction. Les bénéficiaires ont payé à
tempérament entre 800 000 et 3 500 000 francs CFA pour acquérir
leur logement.
172 Yere M., « Cité ouvrière de la SN
SOSUCO », art. cit.
Page 81
sont essentiellement des coupeurs de canne et quelques
ouvriers de l'irrigation des champs. Au regard du nombre élevé de
coupeurs de canne, les chambres sont partagées par 4 ou 5 personnes.
Toutes ces conditions de logement contraignent de nombreux travailleurs
à refuser d'habiter dans ces cités. Ils préfèrent
louer des chambres à leurs frais dans les environs du complexe
sucrier173. La plupart du temps, les logements sont rudimentaires et
non équipés. Toutefois, l'entreprise rénove les logements
avant le début de chaque campagne.
3. Les aménagements temporaires
Plusieurs projets d'aménagement ont été
élaborés pour répondre aux besoins spécifiques des
activités industrielles. La plupart de ces aménagements
temporaires réalisés ont disparu à la fin de leur usage et
d'autres ont été modifiés pour répondre à de
nouveaux besoins. Nous allons rappeler quelques uns de ces aménagements
territoriaux :
- La cité de chantier : 50 maisons, elle a servi
à loger les ouvriers de chantier du complexe sucrier. Les maisons
devaient avoir l'architecture de cases traditionnelles préconstruites. A
la fin des travaux de chantier, estimée en 1975, une partie des maisons
pourrait être utilisée comme logement pour les ouvriers
saisonniers et pour les travailleurs en transit. Le site devait être
situé au sud de l'autoroute Ouest-est174.
- La trame d'accueil : Cette aire de 35 ha a été
délimitée au nord de l'autoroute Ouest-est pour accueillir les
nouveaux arrivants à Banfora. Ces nouveaux arrivants auront le choix de
louer des maisons existantes ou de construire leurs propres maisons en achetant
un terrain. Des infrastructures publiques seront construites (routes, eau,
électricité, toilettes, etc.)175.
- Le contournement de la route nationale 7 (RN7) : Ce projet
n'a pas été réalisé faute de financement. Il
consistait à désenclaver la ville de Bérégadougou
de la région des Cascades et à éviter la RN7 de traverser
le centre du périmètre sucrier, comme on le constate
aujourd'hui.
II. Le processus de production du sucre et le
fonctionnement de la SN SOSUCO
La chaîne de production sucrière de la SN SOSUCO
est divisée en trois phases principales : la phase de culture de la
canne, la phase de production du sucre et la phase de commercialisation des
produits finis. Pour atteindre ses résultats annuels, la
société s'appuie sur l'organisation interne du travail et la
gestion efficace des ressources humaines. Par moment, nous comparerons les
processus de culture de la canne à sucre et de production de sucre au
Burkina Faso avec ceux du Cameroun ou du Maroc.
173 Biaou O. D., « Améliorer la disponibilité
des coupeurs de canne à sucre sur un périmètre industriel
», op. cit., p. 19.
174 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère des Travaux Publics et de l'Urbanisme, sous-série 40V,
40V28, Société Sucrière de la Haute-Volta : études
d'urbanisme de Banfora - Compte rendu, op. cit., p.
2.
Page 82
A/ La culture de la canne à sucre
La SN SOSUCO a démarré avec 30 ha de
pépinières de canne à sucre en 1972, et aujourd'hui elle
cultive environ 4 210 ha sur les 10 000 ha du périmètre sucrier
de Bérégadougou. Le service Culture s'occupe des activités
agronomiques (analyse des sols et introduction variétale, puis
fertilisation et traitement phytosanitaire des plantations) et de
l'exploitation de la canne à sucre (irrigation des plants,
activités manuelles et mécanisées). La culture de la canne
à sucre s'organise autour de trois cycles.
1. La phase de bouturage ou de plante
nouvelle
Une plantation de canne à sucre est obtenue par deux
procédés : par bouturage ou par repousse des tiges de canne
coupées. Avant le bouturage de la canne, le sol est labouré pour
préparer la terre. Cette étape permet d'éliminer les
obstacles naturels, de protéger le sol de l'érosion et de le
disposer à recevoir les boutures. C'est également à ce
stade que sont tracés les sillons du système d'irrigation. Le
bouturage consiste à planter les variétés de canne
à sucre sélectionnées. Une distance de 1,5 mètre
est laissée entre chaque bouture. Le deuxième processus
d'obtention d'une plantation de canne à sucre n'est valable que sur les
sols où les tiges de canne à sucre viennent d'être
coupées. En effet, après une première coupe des tiges de
canne à sucre mûres, la racine repousse d'elle-même pour
donner de nouvelles plantes : on parle de nouveau cycle de la canne à
sucre. Et une tige peut offrir plusieurs cycles pendant quatre à cinq
années consécutives.
La SN SOSUCO, en partenariat avec le Centre de
coopération International en Recherche Agronomique pour le
Développement (CIRAD), reçoit chaque année une trentaine
de variétés de canne à sucre176. Ces
variétés sont testées et certaines sont
sélectionnées pour leur teneur en sucre, leur résistante
aux maladies et leur forte capacité d'adaptation aux faibles
pluviométries. De 2006 à 2016, la division Agronomie de la
compagnie sucrière a estimé le rendement moyen de la culture
à 69,365 tonnes de canne/ha177. Les deux
variétés de canne les plus utilisées dans les zones de
culture sont la Co997 d'Inde (42,77% de la superficie) et la R570 de la
Réunion (34,01% de la superficie)178. Alors que les
variétés de Barbades sont les plus utilisées au Cameroun ,
elles ne
179
176 Biaou O. D., « Améliorer la disponibilité
des coupeurs de canne à sucre sur un périmètre industriel
», op. cit., p. 18.
178 La liste des variétés de canne cultivées
et leurs rendements se trouve à l'annexe 7.
179 Guiawa R. T., « Les multinationales au Cameroun au
lendemain des indépendances », op. cit., p. 118.
Page 83
représentent que 1% des superficies cultivées au
Burkina Faso. Cela montre que le type de sol est un facteur déterminant
dans le choix des variétés à utiliser dans une zone de
culture.
2. La phase de croissance et d'entretien
Une fois les boutures plantées, la canne commence sa
croissance. Alors que le bouturage est fait manuellement à
Bérégadougou, il est mécanisé au Maroc à
l'aide des machines à planter. Ces planteuses assurent le sillonage, la
fertilisation, la coupe et la plantation des tiges. L'utilisation des
planteuses permettrait aux plantations marocaines d'économiser du temps
et de la main d'oeuvre180. Pendant la période de croissance
(12-14 mois), on observe trois types de paysages de canne : le premier
marqué par les boutures de canne, le second par les jeunes tiges de
canne et le dernier marqué par la canne mûre prête à
être coupée. La Figure 16 ci-dessous illustre
l'évolution de la canne à sucre au cours de sa croissance.
Figure 16 : Photographies illustrant la croissance de la canne
à sucre
Apparition des tiges primaires Formation des jeunes tiges
(noeuds) Cannes mûres
Source : Site web de Istock photo, consulté le
30 mars 2023, URL :
https://www.istockphoto.com/fr/search/search-by-asset?assetid=177346275&assettype=image.
Les tiges de canne à sucre doivent être
entretenues afin d'être remplies de saccharose (le sucre contenu dans la
canne à sucre). Pour rester dans un environnement sain pendant leur
croissance, les plantes ont besoin d'irrigation, d'épandage d'engrais et
de contrôles phytosanitaires. Les contrôles phytosanitaires sont
effectués à partir de la bouture de la canne jusqu'à sa
maturité. Il comprend l'utilisation de pesticides et d'engrais
chimiques, le désherbage des champs et la lutte contre les maladies et
les parasites. Cette phase est mécanisée, avec l'utilisation de
tracteurs agricoles et d'équipements de pulvérisation d'engrais
et d'herbicides. L'irrigation des plantes apporte un complément d'eau
pour leur croissance pendant les périodes de faible pluviométrie
(octobre à juin)181.
180 El Mahdaoui Soumia, « Les cultures sucrières
», Les cultures sucrières au Maroc, n°2, janvier
2019, p. 15, mis en ligne le 4 mars 2019, consulté le 2 avril 2023, URL
:
https://issuu.com/culturesucrieremag/docs/
cultures_sucrie_res_mag_2.
181 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 48.
Page 84
Figure 17 : Photographie de canne à sucre
irriguée à la SN SOSUCO
Source : Magazine Jeune Afrique, « Comment l'Aga Khan a
redressé le Burkinabè Sosuco ? », Economie, mis en
ligne le 3 juillet 2017, consulté le 20 novembre 2022, URL :
https://www.jeuneafrique.com/mag/450937/economie/
agroalimentaire-laga-khan-a-redresse-burkinabe-sosuco/.
3. La phase de récolte et de repousse
Après 12 mois de croissance, les tiges de canne
arrivent à maturité et peuvent être
récoltées. On commence par sevrer les cannes mûres durant 1
à 2 mois avec la suspension de l'irrigation dans la zone. À cette
période, le paysage est vert, touffu et plein de petits insectes et
d'invertébrés. A la fin de la période de sevrage,
l'effeuillage et la coupe des tiges sont effectués manuellement à
Bérégadougou afin de donner de l'emploi aux saisonniers et
d'enrichir le sol avec de la paille. Certaines parcelles sont brulées
avant la coupe des tiges. Cette pratique faciliterait la coupe. Après la
coupe à la machette, des engins motorisés (camions) ramassent les
cannes et les transportent à l'usine pour la transformation
industrielle. Les souches restantes sont entretenues pendant un à deux
mois après la coupe. Un nouveau cycle de croissance commence avec la
repousse de ces souches. Chaque souche a un cycle de vie de 4 à 5
ans182.
Figure 18 : Photographie d'une parcelle de canne à sucre
sevrée à la SN SOSUCO
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de terrain de la
SN SOSUCO, Bérégadougou, novembre 2021.
182 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 50.
Page 85
B/ Le processus de fabrication du sucre
L'extraction du saccharose183 des tiges de canne
à sucre à la SN SOSUCO est réalisée dans des
ateliers industriels à travers un long processus de transformation. Quel
que soit le pays, le processus de transformation de la canne à sucre
demeure le même. Les différences majeures se situent au niveau de
l'équipement industriel et de la capacité de production. La
production du sucre peut être regroupée en trois grandes phases :
la phase de préparation de la canne, la phase de production du sucre et
la phase de post-production. La direction de la production est en charge de
toutes les activités de production de sucre dans les ateliers. Elle est
assistée par la direction contrôle et qualité pour assurer
le respect des normes et la qualité des produits sucriers.
1. La préparation de la canne à
sucre
Dans cette phase, la canne subit un certain nombre de
traitements dans un espace appelé cours à
cannes. En effet, les camions chargés de cannes provenant des
champs sont pesés d'abord sur une bascule à canne
(d'une capacité de 30 tonnes) pour connaitre le rendement des
champs. Après la pesée, la canne est divisée en deux
parties : une petite partie est laissée sur l'aire de stockage
pour servir de canne de réserve et la grande partie est
déversée sur la table d'alimentation en forme de
cuvette. Sur cette table, il y a un niveleur pour
égaliser les couches de canne, un ébouleur pour
contrôler la chute de la canne et un dispositif de lavage
de la canne. Ce lavage permet d'éliminer tous les
déchets de la canne afin de faciliter l'extraction du saccharose. Un
transporteur auxiliaire de cannes est chargé de
découper la canne en fibres avant de l'acheminer vers un
transporteur principal de cannes. Ce dernier conduira la canne
à l'état fibreux vers les moulins d'extraction184.
2. La production de sucre185
La production de sucre passe par cinq grandes étapes
interdépendantes.
183 Selon la maturité de la plante, la teneur en fibres
peut varier de 10 % à 18 %, la quantité d'eau de 72 % à 77
% et le saccharose de 12 % à 16 %. Source : Arzate Alfa, Extraction
et raffinage du sucre de canne, Saint-Norbert d'Arthabaska, ACER, 2005, p.
7, URL :
https://www.franceagrimer.fr/fam/layout/set/ajax/content/download/
2411/12196/file/Canne_Publique.pdf.
184 Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/19, Contrat d'ingénierie pour
la construction d'une sucrerie-raffinerie : Annexe 1, 1972, p. 7.
185 Nous avons inclus dans l'annexe 8 quelques photos des
machines utilisées dans le processus de fabrication du sucre à la
SN SOSUCO.
L'extraction
L'extraction du jus de canne se fait par broyage des fibres de
canne à travers une batterie de six moulins. Ces moulins produisent deux
produits : un jus sucré appelé vesou et la
bagasse, qui est le résidu fibreux. Alors que la
bagasse est envoyée dans les chaudières pour servir de
combustible, comme à la Société Sucrière du
Cameroun186, le vesou est épuré. Les moulins
permettent d'extraire de 92 à 96% de saccharose.
L'épuration
Ce procédé consiste à éliminer les
impuretés présentes dans le jus issu des moulins. Pour ce faire,
le vesou est d'abord tamisé pour éliminer les particules
ligneuses. Ensuite, il est chaulé (ajout de chaux) et chauffé
(entre 65° à 105°C) plusieurs fois afin d'obtenir le maximum
de sucre présent dans les impuretés appelées "boues". Le
chaulage permet d'obtenir un PH de 7,5. Un jus clair contenant 85% d'eau est
libéré à la fin du processus d'épuration.
L'évaporation
Le jus clair est chauffé à différentes
températures dans quatre évaporateurs à pression afin que
l'eau s'évapore. Le nouveau jus, qui ne contient que 15% d'eau, est le
sirop vierge. Le sirop est ensuite chauffé à 55°C dans trois
chaudières à cuire sous pression réduite. Une pompe
à vide aspire le gaz incondensable dans un condensateur
barométrique.
La cristallisation
La cristallisation est le processus par lequel le jus de canne
est transformé en cristaux à l'intérieur de neuf appareils
de cuisson. Dans chaque appareil se trouve la masse cuite obtenue à
partir du sirop. Cette masse cuite est malaxée et turbinée dans
des centrifugeuses187 pour obtenir le premier jet de sucre
appelé sucre A et le sirop restant, maintenant pauvre
en sucre, est appelé égout A. Lors du
deuxième jet, l'égout A est malaxé et turbiné
à nouveau pour produire le sucre B et
l'égout B. L'égout B est malaxé et
turbiné à nouveau dans un troisième jet pour produire du
sucre
C et de la mélasse.
La mélasse sera ensuite utilisée pour produire de l'alcool dans
la distillerie. Quant au sucre A du premier jet, il est soit refondu pour
produire du sucre blanc (sucre raffiné), soit
emballé directement, soit transformé en sucre morceaux pour la
commercialisation.
186 Guiawa R. T., « Les multinationales au Cameroun au
lendemain des indépendances », op. cit., p. 127.
187 Une centrifugeuse est un appareil qui permet de distinguer
les cristaux de sucre du sirop épuisé. A la SN SOSUCO, 14
centrifugeuses sont installées, dont 5 contiennent du sucre A, 2 du
sucre B, 5 du sucre C et 2 du sucre blanc.
Page 86
Page 87
Le raffinage
Le raffinage est le processus qui permet d'obtenir du sucre
blanc en éliminant les impuretés contenues dans le sucre roux ou
blond. Pour ce faire, le sucre A (sucre blond) est refondu dans de l'eau chaude
pour obtenir un sirop auquel on ajoute de l'acide phosphorique et de la chaux.
Une fois les impuretés en floculation, le sirop est pompé dans un
clarificateur pour faire remonter les impuretés à la surface. Le
sirop provenant du clarificateur est filtré, décoloré et
cristallisé dans des cuves à cuire. Le jus clair est
dirigé vers deux centrifugeuses à sucre blanc où les
cristaux sont séparés de la masse cuite.
3. La phase de post-production
Cette dernière phase comprend essentiellement les
activités de finition de la chaîne de production du sucre.
Le séchage et l'emballage
Le sucre blond ou blanc est séché dans des
séchoirs à tambour à une température de 75 à
85°C. Il est ensuite déversé sur un tamiseur vibrant
à l'aide de godets élévateurs. Une fois sec et
tamisé, le sucre est divisé en deux parties : l'une est
acheminée vers l'agglomération sucrière et l'autre est
dirigée vers quatre trémies de stockage. Dans ces trémies,
le sucre granulé est conditionné en sacs de 1 kg et de 50 kg. Le
sucre en morceaux produit dans l'agglomération sucrière est
emballé dans des paquets de 1 kg.
Le stockage et le contrôle de la
qualité
Le sucre produit est disposé sur des palettes en bois
d'une capacité de 2 tonnes chacune. Sa distribution est assurée
par le service de gestion des stocks. Le sucre granulé est stocké
à l'air libre sous des bâches, tandis que le sucre en morceaux est
stocké dans le magasin à stockage. Le contrôle de la
qualité et de l'hygiène est assuré par la direction
contrôle et qualité de la société sucrière.
Des tests sont réalisés à chaque étape afin de
remédier aux anomalies et d'assurer l'application des recommandations de
qualité.
Pour tenter de résumer l'ensemble du processus de
production de sucre à partir de la canne à sucre, nous
utiliserons le schéma illustrant la production de canne à sucre
réalisé par l'Institut de Recherches Agronomiques Tropicales
(IRAT).
Page 88
Figure 19 : Schéma de la production de canne à
sucre
Source : IRAT, cité par Thiombiano T., L'enclave
industrielle, op. cit., p. 188.
C/ La chaîne de travail et la commercialisation des
produits finis
Pour atteindre les résultats positifs de la
société sucrière de Bérégadougou, le travail
est organisé et hiérarchisé. De la culture de la canne
à sucre à la commercialisation des produits finis, des
salariés qualifiés et non qualifiés sont à l'oeuvre
pour assurer la rentabilité de l'entreprise.
1. L'organisation du travail
Le travail est organisé à la SN SOSUCO autour de
trois pôles d'activités qui sont : les activités de
gestion, les activités d'exécution et les activités de
support. Ci-dessous, nous avons l'organigramme de la SN SOSUCO.
Figure 20 : L'organigramme de la SN SOSUCO
Source : Bancé Thomas Frank, Organigramme
basé sur des données collectées sur le terrain,
novembre 2022.
Page 89
Le premier niveau hiérarchique de la SN SOSUCO est son
conseil d'administration, composé des actionnaires de la
société. Les grandes orientations de la société
sucrière sont prises à ce niveau annuellement. Le deuxième
niveau de gestion est la direction générale. Elle est
chargée d'élaborer la politique générale de la
société et de coordonner les opérations de la
société. Le dernier niveau de gestion est constitué de
directions départementales rattachées à la direction
générale : la direction de la culture, la direction de la
production, la direction du contrôle et de la qualité et la
direction de la commercialisation. Ces directions, subdivisées en
services plus petits, sont responsables de la réalisation des objectifs
spécifiques de l'entreprise. La distillerie d'alcool est
également placée sous la supervision du directeur
général.
Outre ces directions, il existe des services de support qui
contribuent au fonctionnement de l'entreprise. Il s'agit notamment du service
des ressources humaines, du service de gestion des stocks et des
approvisionnements, du service informatique, du service de
sécurité et des ateliers de chaudronnerie, de mécanique et
d'électricité.
2. L'organisation des ressources humaines
La SN SOSUCO emploie plus de 1 500 personnes et offre plus de
10.500 emplois indirects pour le fonctionnement de son industrie
sucrière188. Cette main-d'oeuvre est divisée en trois
groupes : les employés permanents, les travailleurs saisonniers et les
travailleurs journaliers.
- Les employés permanents : ces employés ont
rejoint la société sucrière avec un contrat de travail
professionnel. Ils constituent le personnel de la SN SOSUCO. Ce sont les
directeurs, les responsables de division, les agents qualifiés et les
agents.
- Les travailleurs saisonniers : lors de chaque campagne
sucrière, des travailleurs saisonniers sont employés dans les
ateliers de production (ouvriers d'usine) et dans les zones de culture de la
canne à sucre (ouvriers agricoles).
- Les travailleurs journaliers : les journaliers travaillent
essentiellement dans les zones de culture pendant la saison de récolte
de la canne à sucre. Ce sont des effeuilleuses, des coupeurs et des
ramasseurs de canne à sucre. Le transport de la canne est
effectué par des engins agricoles.
La SN SOSUCO a mis à la disposition de ses
employés des bus et des camions pour faire la jonction entre leur
habitation et leur lieu de travail. Ce service est fourni par la
société privée de transport Société Barro,
abrégée en SOBA.
188 Site web officiel de la SN SOSUCO, consulté
le 13 juillet 2023, URL :
https://snsosuco.com/a-propos/presentation.
3. La commercialisation du sucre et de ses
dérivés
La SN SOSUCO met sur le marché burkinabé deux
types de produits : le sucre et l'alcool éthylique.
Le sucre de la SN SOSUCO189
Deux qualités de sucre sont commercialisées par
la SN SOSUCO sous plusieurs formats : le sucre blond et le sucre blanc. Le
sucre blond est conditionné sous forme de
granulés en sacs de 50 kg et en sachets de 1 kg. Il est également
conditionné en morceaux dans des paquets de 500 g, de 1 kg et de 5 kg (5
paquets de 1 kg) sous la dénomination de "Gazelle" (Figure
21).
Quant au sucre blanc, il est
commercialisé uniquement en morceaux. Il est emballé en paquets
de 1 kg et regroupé en lots de 25 kg. Il est commercialisé sous
la dénomination de "Cascade".
Le sucre est un produit de grande consommation dont le prix
est réglementé par l'État burkinabè. Un
arrêté ministériel fixe fréquemment le prix maximum
de vente du kilogramme et de la tonne de sucre SN SOSUCO sur le territoire
national.
Figure 21 : Photographies du sucre de la SN SOSUCO
Page 90
Sucre blond granulé en sachet de 1kg Sucre blond
granulé en paquet de 1kg Sucre blond granulé en sac de
50kg
Source : Genedis Burkina, Sucres de la SN SOSUCO,
consultées le 22 mai 2023, URL :
https://
www.genedisburkina.com/boutique/page/2/.
189 Le site web de la société a
été utilisé comme source principale pour l'analyse des
produits commercialisés par la SN SOSUCO, car il est le seul à
fournir des informations complètes sur les types de produits
commercialisés. Ces informations sont accessible sur le Site web
officiel de la SN SOSUCO, consulté le 13 juillet 2023, URL :
https://
snsosuco.com/produits/le-sucre.
Page 91
Les sous-produits
Le traitement de la canne à sucre offre plusieurs
produits en plus du sucre. À la SN SOSUCO, trois sous-produits de la
canne à sucre sont utilisés : la mélasse, la bagasse et la
vinasse. La mélasse est utilisée en distillerie pour la
production d'alcool éthylique à 96° GL. Cet
alcool est utilisé dans les industries comme carburant industriel et
dans les pharmacies. La bagasse est utilisée comme combustible
pour les chaudières de la sucrerie. Elle est aussi
utilisée comme engrais. Le traitement de la vinasse
(résidu des égouts de la canne à sucre) fournit des
fertilisants pour les sols de la canne à
sucre190.
Le réseau de distribution
Les produits de la SN SOSUCO sont principalement
commercialisés sur le marché national par le biais de
vente-assistée. Cette stratégie consiste à faire appel
à des grossistes agréés pour vendre le sucre aux
consommateurs. C'est ainsi que le sucre est vendu par le Groupe Nana
Boureima, Genedis Burkina, Etrama et le Groupe
Velegda SARL. Toutefois, elle a récemment créé ses
propres points de vente dans quatre grandes villes du Burkina Faso : Gaoua,
Tenkodogo, Dédougou, Ouahigouya191. Ces deux
stratégies commerciales permettent d'écouler rapidement les
stocks après production. L'alcool éthylique 96° GL est vendu
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.
III. L'impact de la société sucrière
du Burkina Faso
Comme toute nouvelle entreprise, la création de la
société sucrière burkinabè a eu des
retombées sur la région des Cascades en particulier et sur le
Burkina Faso en général. L'implantation du complexe sucrier
à Bérégadougou a eu un impact positif sur le
développement socio-économique de la région. Cependant,
l'introduction de la culture de la canne à sucre et l'émergence
d'une nouvelle organisation du travail ont contribué à la
restructuration de la société et l'économie dans cette
région.
A/ L'impact positif de l'installation de la
société sucrière à Bérégadougou
En choisissant la région des Cascades pour implanter le
complexe sucrier, l'objectif du gouvernement burkinabè était de
créer un nouveau pôle de développement économique et
social
190 Site web officiel de la SN SOSUCO, consulté
le 13 juillet 2023, URL :
https://snsosuco.com/produits/la-distillerie.
191 Sombié Ferdinand, entretien du 03 novembre 2021, SN
SOSUCO à Bérégadougou, réalisé par
Bancé Thomas Frank.
Page 92
dans la région, compte tenu de la quasi-absence
d'industrie locale192. Aujourd'hui, la société
sucrière est une source de fierté nationale pour la population,
puisqu'elle produit du sucre "made in Burkina" mis sur le marché depuis
un demi-siècle.
1. La contribution de la SN SOSUCO au
développement économique
Le premier impact économique
généré par l'implantation du complexe sucrier de
Bérégadougou est la création d'emplois. La Nouvelle
Société Sucrière de la Comoé emploie environ 3 000
personnes pour le fonctionnement de son activité. Cet emploi massif de
travailleurs lui a permis d'occuper la deuxième place des structures
pourvoyeuses d'emplois au Burkina Faso, juste après l'État
burkinabè qui comptait 216 837 employés en 2020193.
Mais parmi les entreprises non étatiques, la SN SOSUCO occupe la
première place en termes d'effectifs. En employant des milliers de
personnes, la société sucrière contribue à
réduire le chômage dans un pays où le taux de
pauvreté était de 36,2% en 2018194. En consacrant plus
de 3 milliards par an à la masse salariale, elle contribue à
augmenter le pouvoir d'achat de ses salariés dans un contexte
d'inflation progressive des produits de consommation.
La présence de la SN SOSUCO dans la région des
Cascades a contribué au développement de l'économie
locale, avec la croissance et la création de nouvelles activités
économiques. En effet, avec la croissance démographique que
connait la région suite à l'arrivée de nouveaux
employés des régions environnantes, les besoins quotidiens de la
population vont augmenter et se diversifier. Les secteurs économiques
bénéficiant de ce développement dans la région sont
: les institutions financières, la maçonnerie, la menuiserie, la
mécanique, l'artisanat, le commerce, la restauration, etc. Des
sociétés de transport ont été créées
pour assurer le déplacement des travailleurs à l'intérieur
de la région et vers d'autres régions environnantes.
L'autre impact de la SN SOSUCO sur l'économie
régionale et nationale réside dans le paiement des impôts.
À l'instar des autres entreprises opérant au Burkina Faso, la SN
SOSUCO s'acquitte chaque année des taxes aux autorités locales et
nationales. Ces impôts couvrent le chiffre d'affaires,
192 Avant l'installation de la SN SOSUCO dans la région
de Banfora, il n'existait qu'une seule minoterie de blé. Il s'agit de la
Société des Grand Moulin du Burkina, créée en mai
1970 et spécialisée dans la transformation et la
commercialisation des céréales (blé, maïs, sorgho) en
farine.
193 Ministère de la fonction publique, du travail et de
la protection sociale, Annuaire statistique 2020, Ouagadougou,
Direction générale des études et des statistiques
sectorielles, 2021, p. 26, URL :
http://cns.bf/IMG/pdf/
annuaire_statistique_2020_du_mfptps.pdf.
194 Site web de l'Institut National de la Statistique et
de la Démographie, consulté le 26 mai 2023, URL
https:// www.insd.bf.
Page 93
les droits d'importation, les patentes, les droits de douane,
les cotisations sociales et les impôts sur les salaires. De 2008 à
2014, les impôts payés par la société
sucrière s'élèvent à 26 121 805 480 francs CFA,
soit 31,5% du chiffre d'affaires de la société195.
Dans une interview accordée à la presse nationale en 2018, le
directeur général de la SN SOSUCO a résumé la
contribution de son entreprise en ces termes :
« La SOSUCO, c'est également près de 6
à 7 milliards de FCFA d'achats de biens au niveau national,
sans compter les 3 milliards de FCFA de salaires que nous
versons, le centre de santé que nous avons mis à la
disponibilité des populations, les aides scolaires aux écoles qui
fonctionnent grâce à nous »196.
En ce qui concerne les employés, la direction
générale a mis à leur disposition un certain nombre
d'avantages économiques dans le cadre des mesures d'accompagnement. Il
s'agit notamment de la possibilité de contracter un prêt pour la
scolarité de leurs enfants en chaque début d'année, et
d'avances sur salaire pour les employés en difficulté
financière. Un magasin économique a été ouvert au
sein de l'entreprise pour la revente aux salariés des biens de
consommation tels que le sucre, le riz, le maïs, l'huile, etc à des
prix fixes197.
2. Les retombées sociales du complexe
sucrier
La création de la SN SOSUCO a contribué de
manière significative à l'expansion de la ville de Banfora,
chef-lieu de la région des Cascades. Cette expansion se
caractérise par la croissance démographique que l'entreprise a
entrainée. D'environ 8 000 habitants en 1972, la population de Banfora
est passée à environ 23 000 habitants en 1980198, soit
un quasi-triplement en 8 ans. L'implantation de la SN SOSUCO s'est
également accompagnée d'un projet d'urbanisme à
Bérégadougou et à Banfora. L'entreprise aménage des
routes et contribue à la réhabilitation des pistes rurales pour
faciliter le déplacement des travailleurs. La société
sucrière a construit un dispensaire et une école de trois classes
à Bérégadougou, et a transformé une école
communale de trois classes en une école de six classes199.
Toujours dans le cadre de sa responsabilité sociétale, la
société finance annuellement un certain nombre d'activités
organisées par des associations sportives
195A.T, « SOSUCO : pourquoi l'Etat
subventionne-t-il l'importation du sucre », L'économiste du
Faso, mis en ligne le 8 octobre 2018, consulté le 28 mai 2023, URL
:
https://www.leconomistedufaso.com/2018/10/08/sosuco-pourquoi-letat-subventionne-t-il-l-importation-du-sucre/.
196A.T, « SOSUCO : pourquoi l'Etat
subventionne-t-il l'importation du sucre », art. cit.
197 Hartog T., « Le périmètre sucrier de
Banfora », art. cit., p. 128.
199 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p.
178.
Page 94
et culturelles de la région, et contribue à
l'accès à l'eau potable et à des espaces verts par le
reboisement200.
La SN SOSUCO emploie en majorité des Burkinabè
au sein de l'entreprise et contribue à leur formation en
mécanique industrielle, génie industriel et agronomie. Une
expertise locale a ainsi été développée dans
l'entretien des machines, la conduite d'engins lourds et la gestion des
cultures irriguées. D'autres formations socioprofessionnelles sont
régulièrement organisées pour les employés.
Pour répondre aux besoins de logements de ses
employés, la SN SOSUCO a mis en place des cités ouvrières
: quatre cités ouvrières pour les saisonniers, une cité
ouvrière pour les employés permanents et une cité pour les
cadres. Ces logements contribuent à améliorer l'environnement de
travail des salariés et de leurs familles.
3. L'évolution des techniques
agricoles
L'introduction de la culture de la canne à sucre en
Haute-Volta en 1972 a entraîné un transfert de technologies et de
connaissances. L'utilisation de machines agricoles pour le défrichement,
le sous-solage, le désherbage et le billonnage a modernisé les
pratiques agricoles dans la région des Cascades. Nous n'avons aucune
connaissance de l'utilisation antérieure de ces équipements pour
quelque culture que ce soit. Cette mécanisation de l'agriculture a
influencé le développement des cultures de grandes surfaces,
pratiquées aujourd'hui dans d'autres régions (coton, riz,
sésame).
Outre l'utilisation d'outils agricoles pour la culture de la
canne à sucre, le génie hydraulique a apporté une
contribution majeure aux activités agricoles de la région. En
plus de la technologie utilisée pour irriguer 4 000 ha de champs de
canne, des plans d'eau aménagés (barrages de la Comoé, du
Yannon et de Béréga) ont été utilisés pour
la culture de produits maraîchers par les populations environnantes.
B/ Les effets négatifs de l'implantation du complexe
sucrier à Bérégadougou
Comme on pouvait s'y attendre, l'implantation de la
société sucrière à Bérégadougou n'a
pas été qu'un succès. Nous examinerons ici les
conséquences pour les populations locales et l'environnement de
l'aménagement du périmètre sucrier et de la pratique des
activités agricoles et industrielles.
200 Site web officiel de La SN SOSUCO, consulté
le 13 juillet 2023, URL :
https://snsosuco.com/engagement/rse.
Page 95
1. Les conséquences de l'aménagement du
périmètre sucrier
L'un des principaux échecs du processus
d'aménagement du périmètre sucrier a été
l'absence d'un plan de réhabilitation des villages expulsés. Pour
obtenir les 10 000 ha du périmètre sucrier, l'État a
expulsé totalement 11 villages comptant une population d'environ 5 000
habitants201. Bien qu'un dédommagement ait été
annoncé en 1970, seule une exonération de 12 années des
impôts locaux a été accordée aux familles
concernées. Cette gestion des populations déplacées a
laissé un terrible souvenir dans la région, qui se fait encore
sentir de nos jours.
Outre la perte de leurs terres d'habitation et de culture,
certaines populations de la région ont perdu leur héritage
social, culturel et économique. Pour accueillir les nouvelles
plantations de canne à sucre, toute la zone cultivée (autrefois
les villages) a dû être débarrassée de tous les
obstacles de surface par des engins mécaniques. Sur le plan
économique, cela s'est traduit par la perte de champs de culture, la
destruction de vergers et la disparition de pâturages pour le
bétail202. Sur le plan social, certaines familles se sont
séparées pour trouver une nouvelle habitation, en raison de la
taille de leur ménage203. Sur le plan culturel,
l'aménagement du périmètre aurait entrainé la
destruction de lieux de culte, des bosquets sacrés, de cimetières
et d'espaces de sociabilité.
Dès les premières années du
déguerpissement, certaines cultures ont été
abandonnées par manque de terres arables. Thierry Hartog explique que
:
« Dès 1971, 80% des paysans déplacés
durent restreindre leur éventail de cultures. L'autosuffisance
alimentaire ne fut plus assurée totalement que par trois cultures de
base : le mil, le sorgho, le maïs. D'autres cultures furent
complètement abandonnées : le sésame (à 50%), le
riz (à 25%), l'arachide (à 10%), les pois de terre (à 8%),
sans parler de l'arrachage des palmiers-rônier, pénalisant
l'ensemble des villageois »204.
Le recul ou l'abandon de ces activités agricoles
réduira le pouvoir d'achat de la population paysanne. Par
conséquent, la cherté de la vie est ressentie par ceux qui ont
perdu leurs zones de culture.
201 Hartog T., « Le périmètre sucrier de
Banfora », art. cit., p. 129.
202 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 40.
203 Hartog T., « Le périmètre sucrier de
Banfora », art. cit., p. 129.
204 Ibid., p. 131.
2.
Page 96
Les effets de l'industrie sucrière sur
l'environnement
L'irrigation annuelle des champs de canne à sucre
réduit les réserves d'eau de la région. Cela rend
difficile la culture d'autres produits irrigués comme le riz. Selon
Oumar Cissé, plusieurs projets de riziculture ont dû être
interrompus en raison de l'insuffisance des ressources en eau205.
Les cultures maraîchères (tomates, choux, oignons) sont
délaissées au détriment des travaux dans les plantations
de canne à sucre.
La culture de la canne à sucre a des effets
négatifs sur l'environnement, si l'on en croit les nombreuses
études menées sur cette plante. Tout d'abord, la culture de la
canne à sucre entraine une érosion du sol due à l'arrosage
mécanique. Cette érosion entraine un appauvrissement
général des terres qui ne sont pas laissées en
jachère. Un autre facteur d'appauvrissement et de fragilisation des sols
est l'utilisation massive des produits phytosanitaires et de pesticides dans
les champs. Toujours à propos des sols, les agronomes font état
d'une énorme réduction de la quantité de terre
après chaque opération de sarclage et de labour que subissent les
sols de canne à sucre. Nous n'avons pas de données sur la
quantité de sols perdue à Banfora, mais savoir que la terre a
été exploitée pendant 48 ans suffit à faire
frémir. L'épuisement des réserves d'eau dans la
région des Cascades est dû à la culture de la canne
à sucre accompagnée de 9 mois d'irrigation.
En ce qui concerne la pollution de l'air, le
périmètre sucrier de la SN SOSUCO a un impact négatif sur
l'environnement. Les ateliers de production, les machines agricoles et les
moyens de transport utilisés quotidiennement pour les activités
de l'entreprise rejettent dans l'air des polluants tels que le dioxyde d'azote
et l'ozone. Les eaux usées des ateliers de production sont
rejetées directement dans le Yannon et la Béréga. Ces
rejets industriels peuvent avoir un impact sur la santé des
salariés et de la population environnante. La détection de
certaines maladies respiratoires chez les employés (asthme, bronchite,
sinusite, infection pulmonaire)206 pourrait être liée
aux polluants industriels.
3. Les changements socioculturels
Si la SN SOSUCO a amélioré les conditions de vie
de ses employés (comme mentionné dans les retombées
sociales de l'industrie sucrière), elle a aussi bouleversé leur
mode de vie et de travail traditionnel. Les travailleurs de l'entreprise et
leurs familles doivent désormais se conformer
205 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 41.
206 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 72.
Page 97
strictement au système de travail imposé par
leur employeur. Cela signifie un travail continu avec peu de jours de
congés fixes, l'obligation de respecter les jours et heures de travail
fixés par l'employeur, l'obligation d'attendre le début de chaque
mois pour percevoir son salaire, la peur de perdre son emploi pour manque de
résultats ou de mauvaise conduite, l'impossibilité pour les
salariés permanents d'exercer d'autres activités
extra-professionnelles, l'obligation d'épargner ses revenus pour
s'assurer une vie financière à la retraite. Le monde capitaliste
a ainsi pris le relai d'un monde longtemps resté traditionnel. Ce monde
est né avec une vague de nouveaux maux sociaux : délinquance
juvénile, dépravation des moeurs et des coutumes, vol,
prostitution, etc.
L'accumulation des biens matériels est devenue le
moteur des principales préoccupations des populations : achat de
maisons, de moyens de transport, d'accessoires vestimentaires et d'appareils
ménagers. L'individualisme et l'égoïsme ont également
pris le dessus sur la solidarité d'antan. L'entraide, le travail
collectif, le partage des moments heureux et douloureux ont
considérablement régressé. Au contraire, des pratiques
telles que la course au sommet, l'enrichissement et la jalousie humaine se sont
installées dans la société. Les familles nombreuses
(paternelle, maternelle et noyau) sont délaissées pour les
familles nucléaires (mari, femme et enfants).
Page 98
Conclusion
L'analyse du complexe sucrier du Burkina Faso a permis de
comprendre le processus d'aménagement du territoire pour la
réalisation d'une zone de culture de la canne à sucre, des
installations industrielles et des zones d'habitation pour les employés
de la société. La culture de la canne à sucre dans un pays
soudano-sahélien nécessite un aménagement
spécifique du territoire. Du système d'irrigation à la
récolte de la canne, en passant par la phase d'entretien et de
croissance, la zone de culture offre un rendement annuel assez satisfaisant
pour la production du sucre. La mécanisation d'une grande partie des
opérations culturales a facilité les activités et
amélioré les rendements qui s'élèvent en moyenne
à 300 000 tonnes de canne à sucre. La canne obtenue dans la zone
de culture est broyée, raffinée et agglomérée dans
les installations industrielles de la SN SOSUCO. Le sucre granulé et en
morceaux ainsi obtenu est ensuite commercialisé sur le marché
national par l'intermédiaire de grossistes. Les sous-produits de la
canne à sucre (bagasse, mélasse et vinasse) sont valorisés
de plusieurs manières. La mélasse est utilisée pour
produire de l'alcool éthylique 96° GL, la bagasse pour la
production d'énergie et d'engrais, et la vinasse comme fertilisant pour
les sols. Le travail est organisé et hiérarchisé à
la SN SOSUCO. Le personnel exerce dans trois activités principales : la
gestion, la production et le soutien. Les directeurs et les chefs de services
sont chargés de veiller à ce que cette organisation du travail
soit respectée au quotidien, afin d'atteindre les objectifs de
l'entreprise. Aujourd'hui, la compagnie sucrière est une source de
fierté nationale pour ses nombreuses contributions au
développement social et économique de la région des
Cascades. Avec ses 3 000 employés, elle est le deuxième employeur
du Burkina Faso après l'État. Toutefois, la culture de la canne
à sucre s'est révélée être une culture qui
épuise les sols et la nappe phréatique. Les installations
industrielles polluent l'environnement en rejetant des produits chimiques et
des eaux usées. Ces impacts négatifs de l'industrie
sucrière sur l'homme et la nature doivent être au centre de
l'attention des autorités publiques burkinabè.
Page 99
Chapitre III : L'HISTOIRE ET LE PATRIMOINE COMME MOYENS
DE PROMOTION
DES ENTREPRISES INDUSTRIELLES
Abstract
In the first two chapters, we presented the history of the
evolution of the Burkinabè sugar company, including the process of sugar
land development. In this final chapter, we highlight the heritage value of
Burkina Faso's sugar industry. To do this, we begin by presenting Burkina
Faso's sugar heritage. This heritage is made up of the sugarcane landscape, the
assets of the production site, the workers' housing estates, the abandoned
railroad line and the documentation produced by the sugar company. The sugar
heritage that has not been protected since 1965, we will attempt to demonstrate
its heritage value with a view to its inclusion on the national cultural
heritage list. The second project concerns the creation of a Centre
d'Interprétation du Sucre dans les Cascades (CISC). The aim of this
center is to promote sugar heritage through museographic and scenographic
trails. The last project, storytelling, is a communication technique designed
to promote the sugar industry through the production of moving stories about SN
SOSUCO, the two brands of sugar marketed in Burkina Faso, and about sugar
products and their by-products. All these objectives are part of a strategy to
discover and promote Burkina Faso's sugar heritage.
Champ de canne à sucre
Arbres de rôniers
Source : ACE Développement Synergie, extrait vidéo
consulté le 20 mai 2022, URL :
https://youtu.be/Vul95akdGuA.
Page 100
I. Le patrimoine sucrier du Burkina Faso
L'introduction générale de cette étude
précise déjà le concept de patrimoine industriel dans sa
globalité. Sur cette base, nous avons considéré le
patrimoine sucrier du Burkina Faso comme l'ensemble des biens historiques,
culturels et économiques liés à la culture, à la
transformation et à la commercialisation de la canne à sucre.
A/ La description du patrimoine sucrier
burkinabè
Les sites et biens liés à l'industrie
sucrière que nous allons décrire sont actuellement en
activité, ce qui en fait un patrimoine industriel "vivant". Ce
patrimoine est essentiellement matériel, compte tenu de la
mécanisation d'une grande partie de la culture de la canne à
sucre et de la transformation industrielle de la canne à sucre en
produits sucriers. Il comprend les champs de canne, les sites de production de
sucre et les habitations.
1. Le paysage de la canne à sucre
La zone de culture de la canne à sucre de la SN SOSUCO
(voir Figure 6) est sans aucun doute le premier patrimoine
matériel sucrier du Burkina Faso de par son ampleur. Ces champs offrent
un paysage agricole sans précédent, unique dans tout le pays. La
vue agréable attire le regard des populations locales et des usagers de
la route nationale, faisant de la région une destination touristique
privilégiée pour les nationaux comme pour les
étrangers.
Figure 22 : Photographie panoramique du paysage de canne
à sucre
Figure 23 : Photographie du paysage de la canne à
sucre
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de terrain de la
SN SOSUCO, Bérégadougou, novembre 2021.
La canne à sucre est une monoculture étendue sur
une superficie d'environ 4 210 ha, à l'aide de machines agricoles,
d'outils de culture manuels et de matériel d'irrigation des plantes. La
SN SOSUCO utilise des machines agricoles telles que des tracteurs agricoles de
175 chevaux, des tracteurs de génie civil, d'équipements
d'épandage d'engrais et d'herbicides, des ramasseurs de canne, des
camions et des remorques pour transporter les tiges de cannes coupées
vers les zones industrielles (Figure 24). Le parc automobile de
l'entreprise est complété par des charriots
élévateurs, des véhicules de service et des camions pour
la livraison du sucre aux clients (voir annexe 9). Les outils manuels
utilisés dans les champs sont principalement des machettes et des
couteaux. Ces outils manuels, utilisés pour effeuiller et couper les
tiges de canne à sucre, ont leur propre histoire et ont
évolué en même temps que les techniques de forge.
Figure 24 : Photographies de machines agricoles
utilisées à la SN SOSUCO
Tracteur de génie civil
Appareil d'épandage d'engrais et de
herbicides
Source : Site web officiel de la SN SOSUCO,
consulté le 13 juillet 2023, URL :
https://snsosuco.com/nos-equipements.
Le matériel d'irrigation est le dernier
élément du patrimoine matériel de la canne à
sucre.
L'irrigation par pivot et par rampe frontale des champs de canne
à sucre permet à l'eau de s'écouler
Page 101
Page 102
des réservoirs vers les cannes, leur apportant l'eau
supplémentaire dont elles ont besoin pour croître. Dans certaines
zones de culture, l'irrigation par couverture intégrale et les arroseurs
motorisés sont utilisés pour irriguer les champs de canne
à sucre.
Figure 25 : Photographies de l'équipement hydraulique de
la SN SOSUCO
Rampes mobiles pivotantes
Source : Magazine Jeune Afrique, « Comment l'Aga Khan a
redressé le Burkinabè Sosuco ? », art. cit., p. 1.
Tour de la rampe
Porte-à-faux de la rampe
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de terrain
à la SN SOSUCO, Bérégadougou, novembre 2021.
2. Le site de production du sucre
Couramment appelé "usine", le site de production est le
lieu où la canne à sucre est transformée en
différents types de sucre et de sous-produits. Le site de production de
sucre est composé de plusieurs bâtiments de style architecturaux
différents207. Ces bâtiments sont les suivants :
207 Faute d'accès aux données, nous ne sommes
pas en mesure de fournir plus d'informations sur l'architecture de chaque
bâtiment de l'usine : fiche technique, dimensions, matériaux, etc.
Nous nous sommes contentés d'une observation visuelle de ces
bâtiments lors de notre visite de terrain.
Page 103
- Le bâtiment de la sucrerie-raffinerie : le plus grand
bâtiment par sa dimension, il abrite les installations industrielles de
la sucrerie de canne et de la raffinerie de sucre (Annexe 8). A
l'intérieur de ce bâtiment se trouvent des machines
chargées de transformer la canne à sucre en sucre granulé
et en sucre en morceaux (Annexe 8). Il s'agit des moulins, des
générateurs, des clarificateurs, des chaudières, des
appareils à cuire, des filtres, des sécheurs, des lignes de
moulage et une ensacheuse208. Bien qu'une grande partie du travail
soit mécanique, les ouvriers de l'usine effectuent également des
opérations mineures à la main.
- La distillerie d'alcool : cette zone est consacrée
à la production d'alcool éthylique à 96° GL à
partir de la mélasse de canne à sucre. Elle comprend des cuves,
un bac en PVC, une batterie de 6 fermentateurs, une chaudière et des
tanks de stockage d'alcool209.
- Les bâtiments administratifs : pour gérer et
contrôler les activités industrielles, des bureaux administratifs
ont été installés à l'intérieur du site de
production.
- Les bâtiments annexes : autour de ces bâtiments
principaux se trouvent le laboratoire d'analyse et de test des
échantillons de la société sucrière, des ateliers
mécaniques et des entrepôts de stockage. Un garage a
été construit derrière l'usine, du côté
ouest, pour permettre le stationnement des véhicules de la
société. L'usine est alimentée par trois
turbo-alternateurs à vapeur situés à l'intérieur de
l'usine, fournissant 1 700 kw210.
Les machines obsolètes et les pièces de rechange
sont stockées dans une zone réservée à cet effet,
près de l'atelier de mécanique.
3. Les autres patrimoines sucriers
Outre le paysage de la canne à sucre et le site de
production, les cités ouvrières, les rails abandonnés et
la documentation constituent des témoins matériels de l'industrie
sucrière burkinabè.
a) Les cités ouvrières
L'habitat des employés fait partie du patrimoine
sucrier du Burkina Faso. La construction de logements à partir de 1972 a
permis d'offrir un cadre de vie aux employés de la société
sucrière. Comme déjà mentionné dans le chapitre
précédent, la société sucrière a construit
trois types de logements : une cité des cadres et quatre cités
ouvrières dans le périmètre sucrier, suivies d'une
cité ouvrière en dehors du périmètre, dans la
commune de Bérégadougou. Chaque cité se distingue des
208 Site web officiel de la SN SOSUCO, consulté le 13
juillet 2023, URL :
https://snsosuco.com/nos-equipements.
210 ACE Développement Synergie, op. cit., extrait
vidéo consulté le 20 mai 2022, URL :
https://youtu.be/Vul95akdGuA.
Page 104
autres par son emplacement, sa superficie, son nombre de
logements et son style architectural211. Des milliers de
travailleurs sont passés par ces habitations depuis leur construction,
ce qui en fait un héritage social et culturel de première
importance.
Tableau 5 : Les caractéristiques du logement des
employés de la société sucrière
Désignation
|
Emplacement
|
Superficie
|
Nombre de logements
|
Style architectural
|
La cité des cadres
|
Dans le périmètre sucrier, à moins de 100 m
des installations industriels
|
160 m2/ villa
|
28 villas de type F3 avec jardins privatifs
|
Maisons à un seul niveau aux murs de ciment ou de granit
et aux toits de tôle.
|
La cité ouvrière
|
Dans la commune de
Bérégadougou, à quelques km au nord du
périmètre sucrier
|
239 ha
|
326 villas de type F1 à F5
|
Maisons à un seul niveau aux murs de ciment et aux toits
de tôle.
|
Les quatre cités ouvrières
|
Disséminés en 4 endroits du périmètre
sucrier, à proximité des zones de culture
|
Non obtenue
|
Des logements de type F2 à F3
|
Maisons à un seul niveau aux murs de ciment et aux toits
de tôle.
|
Source : Bancé Thomas Frank, d'après les
données sur les cités ouvrières et des cadres de la SN
SOSUCO, juin 2023.
b) Les rails abandonnés
L'usine était reliée au chemin de fer de la
Régie Abidjan-Niger (RAN) avant même l'inauguration de la
société sucrière en 1975. Mais avec le
développement des moyens de transport et le bitumage de la RN7,
l'utilisation de la voie ferrée a été abandonnée au
profit des routes pour le transport des matières premières et des
produits commercialisés par la société sucrière.
Ces rails, aujourd'hui abandonnés, sont un témoin tangible de
l'histoire sucrière de la région. La Figure 26 montre la
voie ferrée abandonnée par la SN SOSUCO.
Figure 26 : Photographies des rails abandonnés dans le
périmètre sucrier de la SN SOSUCO
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de terrain de la
SN SOSUCO, Bérégadougou, novembre 2021.
211 Pour plus d'informations sur les caractéristiques des
cités, voir : Chapitre 2, I. C/ Les zones de logements.
Page 105
c) La documentation interne de la société
sucrière
La documentation est une autre composante du patrimoine
sucrier immatériel. Par documentation, nous entendons les photographies,
les documents écrits, oraux ou gravés relatifs au fonctionnement
de la société sucrière et à ses relations avec le
monde extérieur. Il s'agit par exemple des documents administratifs, de
la correspondance, des cartes d'identification des travailleurs, des fiches de
paie, des données médicales des employés, etc. Cette
documentation primaire, produite tout au long de l'existence de l'entreprise,
serait conservée au centre de documentation de la SN SOSUCO à
Ouagadougou, la capitale du pays212.
Bien qu'il soit difficile de parler d'un patrimoine sucrier
immatériel au Burkina Faso en raison de la forte mécanisation de
la culture et de la transformation industrielle de la canne à
sucre213, nous pensons qu'un certain nombre de savoir-faire et de
techniques ont été développés au fil des
années. Ces connaissances sont spécifiques à l'industrie
sucrière burkinabè et concernent les techniques manuelles
d'effeuillage, de coupe et de ramassage des tiges de canne à sucre. Ce
savoir-faire est détenu par une minorité de la population de la
région et s'acquiert après une période d'apprentissage.
Nous envisageons approfondir ce sujet dans nos prochaines études, en
menant des enquêtes auprès des ouvriers agricoles de l'industrie
sucrière burkinabè.
B/ La justification de la valeur patrimoniale de
l'industrie sucrière burkinabè
Après avoir proposé un bref inventaire des biens
et sites de l'industrie sucrière au Burkina Faso, il nous appartient
dans cette section de montrer en quoi ces biens et sites ont une valeur
patrimoniale pour le Burkina Faso ?
1. La classification d'un bien au patrimoine culturel
national
Le Burkina Faso dispose d'un certain nombre de textes
juridiques régissant le patrimoine culturel. Toutefois, la loi
fondamentale régissant la préservation et la mise en valeur des
sites et biens d'intérêt national est la loi N° 024-2007/AN
du 13 novembre 2007 portant protection du
212 Nous tenons à préciser qu'au cours de nos
recherches, nous n'avons pas eu accès à un seul type de cette
documentation. Nous n'avons pu confirmer leur existence et leur état de
conservation qu'au cours de nos entretiens.
213 Cette difficulté est due à la
définition actuelle du patrimoine culturel immatériel (PCI). En
substance, l'UNESCO définit le PCI comme « les traditions ou les
expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises
à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle,
les pratiques sociales, rituelles et évènements festifs, les
connaissances et pratiques concernant la nature et l'univers ou les
connaissances et le savoir-faire nécessaires à l'artisanat
traditionnel », UNESCO, Qu'est-ce que le patrimoine culturel
immatériel ?, URL :
https://ich.unesco.org/fr/
qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003, consulté le
17 juin 2023.
Page 106
patrimoine culturel au Burkina Faso. Cette loi définit
le patrimoine culturel comme « l'ensemble des biens culturels, naturels,
meubles, immeubles, immatériels, publics ou privés, religieux ou
profanes dont la préservation ou la conservation présente un
intérêt historique, artistique, scientifique, légendaire ou
pittoresque »214. Sur la base de cette définition,
l'industrie sucrière peut être considérée comme un
bien culturel à préserver pour son intérêt
historique et scientifique. L'État burkinabè est responsable de
l'inventaire et du classement des sites du patrimoine culturel215.
Et pour qu'un site soit inscrit sur la liste nationale du patrimoine culturel,
il faut qu'il soit inscrit dans l'inventaire. L'article 8 de la loi sur la
protection du patrimoine culturel définit l'inscription comme suit :
« L'inscription à l'inventaire consiste en
l'enregistrement des biens meubles, immeubles et immatériels appartenant
à l'Etat, aux collectivités territoriales, aux
communautés, aux associations ou à des personnes physiques ou
morales qui, sans justifier une nécessité de classement
immédiat, présentent du point de vue de l'histoire, de l'art, de
la pensée, de la science, de la technique ou tout
autre aspect culturel, un intérêt suffisant pour
rendre indispensable la préservation ».216
Compte tenu des conditions préalables qu'un bien doit
remplir pour être inscrit sur la liste du patrimoine culturel national,
il est de notre devoir de présenter les valeurs que l'industrie de la
canne à sucre pourrait refléter afin de justifier son inscription
sur la liste du patrimoine culturel national.
2. Les valeurs reflétées par l'industrie de
la canne à sucre au Burkina Faso
Avant tout propos, il convient de préciser qu'aucun
bien ou site industriel n'est inscrit sur la liste du patrimoine culturel
national du Burkina Faso. Les biens et sites figurant sur cette liste font
partie du patrimoine naturel et culturel (matériel et
immatériel). L'émergence récente des industries,
après l'indépendance du pays en 1960, pourrait justifier
l'absence de biens industriels sur la liste du patrimoine national. Cependant,
l'industrie sucrière est porteuse de plusieurs valeurs qui peuvent
être mises en lumière pour une inscription sur la liste du
patrimoine culturel du Burkina Faso.
Le site de production sucrière de la SN SOSUCO a
une valeur historique pour le Burkina Faso. Tout d'abord, si
l'on prend l'industrie sucrière en général, elle existe au
Burkina Faso depuis 1965, soit depuis plus d'un demi-siècle. Cette
longévité en fait l'une des plus anciennes industries du
214 Assemblée Nationale du Burkina Faso, Loi N°
024-2007/AN, op. cit., p. 3.
215 Ibid., p. 5.
Page 107
pays, créée juste après
l'indépendance et toujours en activité. Elle est parfois
citée comme une entreprise modèle en termes de résilience,
malgré les crises majeures qu'elle a traversées au fil des ans.
Il est donc important que la valeur historique de la SN SOSUCO soit
préservée et valorisée à juste titre.
Deuxièmement, la culture et la transformation de la canne à sucre
suscitent un interêt du point de vue de la technique. En effet, les
ateliers de production de sucre, les machines, et les outils industriels
témoignent de l'évolution de l'histoire technique
du sucre au Burkina Faso. La technologie sucrière
évoluant au fil du temps, la conservation de ces témoignages
tangibles permet d'obtenir des données sur l'origine de la technique,
ses acteurs, ses performances, etc.
Le sucre est l'un des "produits de grande consommation" au
Burkina Faso en termes d'utilisation quotidienne. Malgré cela, nous
pensons que très peu de personnes ont une connaissance approfondie du
fonctionnement de cette industrie unique en son genre217. La culture
de la canne à sucre et sa transformation en sucre et en produits
dérivés sont des activités qui doivent être promues
auprès de la population locale. La découverte des champs de canne
à sucre, des cités d'habitation, des installations industrielles
et du processus de fabrication du sucre sont autant d'activités qui
pourraient générer un nouveau type de tourisme au Burkina Faso :
le tourisme industriel. Cette activité permettrait
d'augmenter et de diversifier l'offre culturelle de la
région218. Elle inciterait également d'autres
industries à ouvrir leurs portes aux visiteurs, valorisant ainsi le
patrimoine industriel du Burkina Faso.
Une autre valeur développée par l'industrie
sucrière est sa valeur économique. L'une des
premières entreprises créatrices d'emplois au Burkina Faso, elle
est une entreprise à fort impact socio-économique et dont sa
préservation est essentielle pour éviter toute crise
économique dans la région qui pourrait avoir des
répercussions sur l'ensemble du territoire. Sur le plan
économique, la SN SOSUCO est une source importante de revenus financiers
pour des milliers de familles burkinabè, ainsi que pour l'État en
termes de contribution fiscale au budget national.
Au regard de l'intérêt que suscite l'industrie
sucrière au Burkina Faso, nous pensons qu'elle pourrait faire l'objet
d'une inscription sur la liste du patrimoine culturel national. D'autres
industries (textiles, huileries, savonneries, etc.) pourraient également
y figurer.
217 Nous ne disposons pas de chiffres pour étayer cette
affirmation, mais nous émettons l'hypothèse compte tenu de la
quasi-absence d'activités de promotion et d'éducation à
l'industrie sucrière dans les lycées et collèges du
pays.
218 En effet, la région des Cascades abrite l'un des
sites touristiques les plus visités du Burkina Faso. Il s'agit notamment
des Cascades de Banfora, une série de chutes d'eau situées le
long du fleuve Comoé, à une dizaine de kilomètres du
périmètre sucrier de la SN SOSUCO. Les autres sites
visités par les touristes sont les dômes de Fabédougou et
les pics de Sindou.
Source : Site web de l'Office National du Tourisme
Burkinabè (ONTB), consulté le 18 juin 2023, URL :
https://
www.ontb.bf/visites/sites-touristiques/les-cascades-de-karfiguela-banfora.
II. Des propositions de valorisation du patrimoine
sucrier du Burkina Faso
Le potentiel patrimonial dont regorge l'industrie
sucrière dans la région des Cascades doit être
valorisé. L'objectif est de permettre à la population locale de
découvrir et de renouer avec son patrimoine industriel, puis de le
préserver et le transmettre aux générations futures. Pour
ce faire, nous envisageons de mettre en place un centre d'interprétation
et de créer une "storytelling" de l'industrie sucrière au Burkina
Faso.
A/ La proposition de création d'un Centre
d'Interprétation du Sucre des Cascades (CISC)
Le centre d'interprétation peut se définir comme
un espace sans collection, destinée à mettre en valeur et
à diffuser un patrimoine auprès d'un large public219.
A la différence du musée, un centre d'interprétation est
un espace muséographique destiné à valoriser un patrimoine
qui ne peut être collecté ou contenu dans l'enceinte d'un
bâtiment220. Les biens et les sites de l'industrie
sucrière étant dispersés dans le périmètre
sucrier de Bérégadougou, nous avons décidé de
développer un projet de centre d'interprétation en lieu et place
d'un musée. La création d'un centre d'interprétation est
considérée comme un processus complexe mais important pour la
préservation d'un patrimoine culturel ou naturel221.
1. L'avant projet du CISC
Avant de mettre en place un centre d'interprétation, un
certain nombre d'actions doivent être menées en amont. Ces actions
permettront de créer les conditions nécessaires au
développement du centre d'interprétation.222
a) La recherche d'un thème et d'un site
Un centre d'interprétation doit être construit
autour d'un thème central. Toutes les activités seront
menées en référence à ce thème central, qui
pourra être décliné en sous-thèmes selon les
besoins. Dans le cas de notre projet, le thème central du Centre
d'Interprétation du Sucre des
219 Chaumier Serge et Jacobi Daniel, « Nouveaux regards
sur l'interprétation et les centres d'interprétation »,
La Lettre de l'OCIM, 119 | 2008, mis en ligne le 21 janvier 2011,
consulté le 26 juin 2023, URL : https://journals.openedition.org/
ocim/348#tocto1n2, DOI :
https://doi.org/10.4000/ocim.348.
220 Ibid, p. 6.
221 L'objectif de ce travail n'est pas d'étudier en
détail les centres d'interprétation, mais de s'intéresser
à leur fonctionnement et à leur rôle dans la
préservation et la valorisation du patrimoine culturel et naturel. Une
étude plus approfondie pourra être réalisée lorsque
le projet de création du centre d'interprétation sera
validé.
222 Plusieurs des idées proposées dans cette
section sont le fruit de nos observations lors des visites de centres
d'interprétation en France, en Italie, au Portugal et en Espagne. Nous
les avons confrontées à un certain nombre d'ouvrages et à
l'enseignement reçu dans le cadre du Master Techniques, Patrimoine et
Territoires de l'Industrie.
Page 108
Page 109
Cascades est sans aucun doute le sucre, avec
des sous-thèmes tels que la culture de la canne à sucre, la
production du sucre et la vie des travailleurs du sucre.
Le site qui reflète le mieux le thème
développé par le centre d'interprétation est à
définir. Pour notre projet, la culture et la transformation de la canne
à sucre ont lieu dans une seule région du pays : les Cascades. La
disponibilité d'un périmètre sucrier à
Bérégadougou, l'une des communes rurales de la
région, en fait le site idéal pour le CISC. Ce choix facilitera
la mobilité des visiteurs du centre.
b) La mobilisation de la ressource humaine
Les centres d'interprétation, à l'instar des
autres espaces muséographiques, ont besoin de réunir un
réseau d'acteurs aussi qualitatifs que diversifiés. Ces personnes
contribueront au fonctionnement, à la sensibilisation, à
l'information et à la formation de la population locale sur le
patrimoine culturel mis en valeur dans les centres d'interprétation. La
mobilisation des acteurs du CISC pourrait être réalisée par
les responsables de la SN SOSUCO en collaboration avec les autorités
administratives de la région des Cascades. Les acteurs à
mobiliser pourraient être regroupés en plusieurs équipes
:
- Une équipe de scientifiques223 : la mise
en valeur du patrimoine culturel par la construction d'un centre
d'interprétation nécessite une approche interdisciplinaire des
thèmes abordés224. Pour le CISC, nous comptons sur la
contribution de chercheurs tels que des historiens, des sociologues, des
archéologues, des ethnologues, des architectes, des urbanistes et
autres. Ces acteurs animeront des débats et produiront des contenus
autour du sucre et de sa culture au Burkina Faso en particulier, et en Afrique
en général.
- Une équipe de professionnels de la promotion
culturelle et patrimoniale : ils participeront à la définition du
parcours de visite, ainsi que du contenu des expositions temporaires et
permanentes. Il peut s'agir d'agents du service de protection du patrimoine
culturel, de médiateurs culturels, de travailleurs de la
société sucrière, de syndicats de travailleurs, de
gestionnaires du patrimoine industriel et culturel, etc. Certains d'entre eux
pourraient occuper des postes de médiateurs dans le nouveau centre
d'interprétation.
223 Gardette Guillemette, « Éléments
clés de l'aménagement d'un centre d'interprétation :
faisabilité, programmation, travaux, acteurs. L'exemple de la redoute
Marie-Thérèse à Avrieux, Barrière de l'Esseillon
», Culture & Musées, n°21, 2013, consulté
le 26 juin 2023, p. 201, URL :
https://www.persee.fr/doc/pumus_1766-2923_2013_num_21_1_1740,
DOI :
https://doi.org/10.3406/pumus.2013.1740.
224 Chaumier S. et Jacobi D., « Nouveaux regards sur
l'interprétation et les centres d'interprétation », art.
cit., p. 10.
Page 110
- Une équipe de bénévoles : qu'ils soient
issus d'associations de jeunes ou non, ces bénévoles s'engageront
dans la réalisation du centre d'interprétation. Ils contribueront
énormément à la sensibilisation et à la promotion
du patrimoine sucrier de la région. Ils seront en quelque sorte les
ambassadeurs du CISC auprès des populations burkinabè.
- Une équipe de gestion de projet : chargée de
concrétiser l'idée d'un centre d'interprétation. Sa
tâche principale sera de coordonner les actions sur le terrain. Pour le
CISC, les membres de cette équipe de maîtrise d'oeuvre seront
issus de chacune des autres équipes, et la direction pourra être
assurée par un agent de la direction régionale de la promotion du
patrimoine culturel. Cette équipe sera chargée de rédiger
le dossier de présentation du projet de centre
d'interprétation.
La taille et la qualité de chaque équipe
dépendront de la capacité du projet à réunir le
maximum de ressources humaines. Une liste de toutes ces personnes ressources
sera établie et restera ouverte à de nouveaux
membres225.
c) L'étude de faisabilité
Comme pour tout projet, une étude de faisabilité
doit être réalisée pour le Centre d'Interprétation
du Sucre des Cascades. Cette étude aura pour objectif d'analyser la
pertinence du projet, de réaliser une pré-programmation du projet
et de réaliser une étude de marché pour déterminer
si l'offre répond à un besoin existentiel. L'étude
définira également le statut juridique opérationnel et
organisationnel du centre d'interprétation226. Selon
Guillemette Gardette, ces études sont généralement
confiées à des bureaux d'études spécialisés
en ingénierie culturelle et touristique227. Le recrutement du
bureau d'études relèverait de la responsabilité du
comité de pilotage, après un appel d'offres.
d) La recherche de financements
C'est l'une des phases majeures de l'avant-projet. La plupart
des projets de développement ont besoin de lever des fonds pour les
activités de démarrage (infrastructures, équipements,
services). Ce financement peut également couvrir les premières
années de fonctionnement du projet, avant qu'il ne commence à
générer des revenus et à s'autofinancer. Dans le cadre du
projet CISC, nous ciblerons deux types de structures pour le financement : les
structures publiques (la Direction de la
225 Gardette G., « Éléments clés de
l'aménagement d'un centre d'interprétation », art. cit., p.
201.
226 Ibid., p. 203.
227 Ibid., p. 202.
Page 111
Culture et du Patrimoine, le fonds d'appui aux initiatives
culturelles) et les structures privées (SN SOSUCO, les opérateurs
économiques du secteur sucrier, les institutions financières).
Les mécènes et investisseurs privés pourraient
également contribuer au financement, à condition que leurs
contributions soient sans contrepartie. Il est important que le CISC conserve
son indépendance pour atteindre ses objectifs. Le financement peut
prendre la forme d'un prêt sans intérêt ou portant
intérêt, d'un don ou d'une subvention. Dans sa phase
opérationnelle, le projet doit pouvoir générer des revenus
pour s'autofinancer (ventes de billets de visite, revenus de la boutique de
souvenirs).
2. La phase opérationnelle du CISC
Il s'agit de la phase de mise en oeuvre concrète du
projet. Elle définit les objectifs à atteindre et les actions
à mener sur le terrain. Le Centre d'Interprétation du Sucre dans
les Cascades a trois objectifs : préserver le patrimoine sucrier du
Burkina Faso, promouvoir le patrimoine sucrier auprès de la population
locale et faire du patrimoine sucrier une identité nationale. Pour
atteindre chacun de ces objectifs, des actions spécifiques sont
nécessaires.
a) La préservation du patrimoine sucrier
burkinabè
La première action consiste à dresser un
inventaire complet des biens et sites de l'industrie
sucrière du Burkina Faso. Cet inventaire fournira une liste exhaustive
du patrimoine sucrier avec des informations sur la localisation de chaque bien,
son état de conservation ou sa protection. Cette liste d'inventaire
servira à constituer le dossier d'inscription du patrimoine
sucrier sur la liste du patrimoine culturel national, garantissant la
préservation de tous les biens et sites inscrits. L'étape
suivante est la conservation et la restauration. Il s'agit de
stabiliser et de réparer les biens et les bâtiments afin
d'éviter qu'ils ne se détériorent davantage. D'autres
biens peuvent être réhabilités pour leur
valeur historique et mémorielle. Il s'agit notamment des logements des
cadres en ruine (voir annexe 6) et des bâtiments abandonnés de la
propriété sucrière. Ces actions contribueront à
pérenniser les biens concernés.
b) La valorisation du patrimoine sucrier
burkinabè
La pérennité du présent projet
réside dans sa capacité à attirer le maximum de visiteurs
en suscitant l'intérêt pour le patrimoine industriel. Pour ce
faire, plusieurs actions doivent être développées. Tout
d'abord, les acteurs culturels et touristiques (médiateurs,
muséologues, professionnels du patrimoine culturel) seront réunis
pour développer un parcours muséologique.
Celui-ci permettra de découvrir les installations industrielles de la SN
SOSUCO, les champs de
Page 112
canne à sucre, les cités ouvrières et le
bâtiment d'exposition. La prochaine étape sera la
construction d'un bâtiment, idéalement situé dans
le périmètre sucrier de Bérégadougou. Un concours
national d'architecture sera organisé pour sélectionner la
meilleure proposition. Parallèlement, un autre projet sera lancé
pour la conception de la scénographie. La
scénographie est une forme de médiation spatiale, un moyen de
transmettre un message, un concept ou une émotion, à l'interface
entre l'objet-émetteur et le public-récepteur.228 La
scénographie créera une animation (lumière, son, ombre,
couleur) autour du contenu proposé par la muséographie. Une fois
tous ces projets achevés, le CISC pourra fonctionner à pleine
capacité.
c) Le patrimoine sucrier burkinabè : une
identité nationale
L'une des principales missions du Centre
d'Interprétation du Sucre des Cascades est de favoriser la
découverte, la valorisation et l'appropriation du patrimoine sucrier
burkinabè. Pour ce faire, il doit mettre en place un certain nombre
d'activités :
- La recherche scientifique : il s'agit
d'encourager les études sur le patrimoine industriel burkinabè en
général, et sucrier en particulier, afin de sensibiliser le
public à cette industrie. Il s'agit d'organiser des séminaires,
des colloques et des ateliers, ainsi que de publier des ouvrages collectifs ou
individuels traitant de l'histoire du patrimoine industriel, de son
évolution et de son impact socio-économique. A moyen terme, des
bourses de recherche seront mises à la disposition des étudiants
et des chercheurs dans le domaine du patrimoine industriel. La publication des
résultats de ces recherches placera le patrimoine sucrier au même
niveau que les autres patrimoines naturels et culturels du pays. A terme, le
projet prévoit d'intégrer le patrimoine sucrier dans des modules
d'enseignement destinés aux élèves des écoles
primaires et secondaires du Burkina Faso.
- L'interprétation du patrimoine sucrier
: l'objectif est de faciliter la compréhension par le public
des biens, des sites et de la documentation relatifs au patrimoine industriel
sucrier. Pour ce faire, le CISC organisera des expositions, des ateliers
pédagogiques, des débats animés et des projections
cinématographiques. Le but de l'interprétation est de souligner
l'importance du patrimoine sucrier et de justifier les raisons de sa
préservation.
- La création d'une association :
l'Association de Promotion de l'Industrie Sucrière au Burkina Faso
(APIS-BF) regroupera les acteurs et les sympathisants de l'industrie du sucre
au Burkina Faso. Son rôle sera d'intensifier les campagnes de
communication sur le patrimoine
228 Grzech Kinga, « La scénographie d'exposition,
une médiation par l'espace », La lettre de l'OCIM,
numéro 96, 2004, p. 5, consulté le 30 juin 2023, URL :
https://ocim.fr/wp-content/uploads/2013/02/LO.961-pp.04-12.pdf.
Page 113
sucrier, de fournir des volontaires pour les travaux de
restauration et de réhabilitation de certains biens menacés, et
de participer aux activités culturelles du CISC. Ses membres seront
issus de toutes les couches sociales et de toutes les régions du Burkina
Faso, afin d'être les premiers à relayer le patrimoine industriel
sucrier auprès de la population. Ainsi, le patrimoine ne sera plus
seulement l'affaire des acteurs du domaine, mais aussi celle des populations
bénéficiaires.
3. L'aménagement du bâtiment du
CISC
Le Centre d'Interprétation du Sucre des Cascades sera
installé dans un bâtiment construit à cet effet. Ce choix a
été fait en raison de l'absence d'un ancien bâtiment, d'au
moins 100 m2 et en état de récupération,
disponible sur le périmètre sucrier de la SN SOSUCO. S'il est
vrai que l'architecture du bâtiment du CISC sera proposée lors du
concours d'architecture, nous avons néanmoins voulu montrer à
quoi ressemblera l'aménagement du futur bâtiment. Sur un niveau
(R+1), le bâtiment du CISC aura une surface d'environ 350 m2.
Pour ce faire, nous nous sommes inspirés du projet du centre
d'interprétation de la commune de Laroque des Albères en France,
réalisé par des étudiants en master de l'Université
de Perpignan Via Domitia229.
Figure 27 : Plan du sous-sol du CISC
Représentation descriptive 3D du
sous-sol
Plan du sous-sol
Source : Perlik, Barela, Baptista, Terres, Geres et
Ali-Guechu, Projet du centre d'interprétation de la commune de
Laroque des Albères, op. cit., pp. 37-38.
Comme le montre la Figure 28, le sous-sol du
bâtiment du CISC abritera la salle des machines, le local de stockage et
les toilettes communes. Cette partie du bâtiment n'est accessible depuis
le
229 Perlik, Barela, Baptista, Terres, Geres et Ali-Guechu,
Projet du centre d'interprétation de la commune de Laroque des
Albères. Partie 2 : préconisations et proposition
d'aménagement, Master professionnel en Urbanisme, Habitat et
Aménagement, Perpignan, 2015, 74 p., consulté le 27 juin 2023,
URL : https://www.payspyreneesmediterranee.org/
mbFiles/documents/etudes/etudefac-2015-cimta-document3.pdf.
sous-sol que par des escaliers. Hormis les toilettes, les
autres pièces du sous-sol seront inaccessibles aux visiteurs.
Figure 28 : Plan du rez-de-chaussée du CISC
Boutique de souvenirs
Plan du rez-de-chaussée
Représentation descriptive 3D du
rez-de-chaussée
Plan de l'étage
Source : Perlik T., Projet du centre
d'interprétation de la commune de Laroque des Albères, op.
cit., pp. 35-36.
Le rez-de-chaussée est l'espace principal du
bâtiment et accueille l'exposition permanente sur l'industrie
sucrière. Près de la moitié de l'espace a
été aménagé pour accueillir le contenu
muséographique et scénographique. Ce niveau abrite
également le service d'accueil (informations générales,
billetterie, documentation), une réserve et la boutique de souvenirs.
Contrairement au sous-sol, le rez-de-chaussée et l'étage sont
accessibles aux personnes à mobilité réduite.
Figure 29 : Plan de l'étage du CISC
Source : Perlik T., Projet du centre d'interprétation
de la commune de Laroque des Albères, op. cit., pp. 42-43.
Page 114
Représentation descriptive 3D de
l'étage
Page 115
L'étage comprend un atelier pédagogique pour les
plus jeunes, des bureaux pour le personnel et une salle de conférence.
En cas d'exposition temporaire, la salle de conférence pourrait
être aménagée pour accueillir l'exposition.
Dans l'ensemble, des mesures de sécurité ont
été prises pour le bâtiment du CISC, avec l'installation de
cages d'escaliers résistantes au feu. Le bâtiment a
également été rendu plus accessible aux personnes à
mobilité réduite, avec des ascenseurs, des couloirs, des
élévateurs et des toilettes. Le bâtiment est
désormais accessible à tous les types de public. A terme, un
restaurant, une aire de repos, un parc automobile pourraient être
aménagés à proximité.
4. Le fonctionnement du CISC
Une fois le siège du Centre d'Interprétation du
Sucre des Cascades (CISC) inauguré, les activités pourront
commencer. Le parcours muséographique proposé dans l'avant-projet
du CISC par des muséographes et des scénographes professionnels
doit être pleinement opérationnel. Une équipe hautement
qualifiée et enthousiaste sera chargée de mettre en oeuvre les
activités du centre.
a) Le parcours muséographique
"JE DÉCOUVRE LE SUCRE" est le nom que
nous avons donné au parcours muséographique conçu pour le
CISC. La visite complète dure de deux à trois heures et est
divisée en quatre étapes. Toutefois, les visiteurs sont libres de
choisir une ou plusieurs étapes du parcours. Les autres étapes
peuvent être visitées ultérieurement.
Figure 30 : Schéma du parcours muséographique "Je
découvre le sucre" du CISC
Source : Bancé Thomas Frank, Conception d'un
schéma descriptif du parcours muséographique du CISC, juin
2023.
Page 116
"JE VAIS AU CHAMP" : est le nom de la
première étape du parcours du CISC. L'objectif de ce parcours est
de découvrir les plantations de canne à sucre. Immergés
dans les champs de canne à sucre, les visiteurs apprennent à
connaître les différentes variétés de canne à
sucre cultivées à la SN SOSUCO, le processus de croissance de la
canne, les systèmes d'irrigation et le processus de récolte de la
canne mûre. S'ils le souhaitent, ils peuvent s'essayer à
l'effeuillage, à la coupe et au ramassage de la canne à sucre
dans les champs. Cet itinéraire peut être parcouru à pied,
en voiturette ou en tramway230. L'étape "Je vais au champ"
dure au maximum une heure. Des panneaux seront installés tout au long
des champs de canne à sucre pour aider les visiteurs non
accompagnés à se repérer dans les 10 000 ha de canne
à sucre.
"JE FAIS DU SUCRE" : cette étape
consiste en une explication basique de la chaîne de production du sucre,
depuis l'arrivée de la canne à sucre dans les ateliers
industriels jusqu'à la production de sucre brun et de sucre blanc. Les
visiteurs apprendront également comment la bagasse est utilisée
pour produire de l'alcool éthylique 96° GL. La visite dure au
maximum une heure et nécessite la présence d'un guide. L'usine
étant toujours en activité, le guide de l'usine veillera à
ce que les visiteurs respectent le cordon de sécurité mis en
place pour la visite, afin d'éviter tout accident de parcours.
"JE VIS DANS LES CHAMPS" : la
troisième étape de la visite du CISC se déroule dans les
cités de logement. Disséminés dans le
périmètre sucrier, les visiteurs découvrent les quartiers
d'habitation des travailleurs de la plantation sucrière. Ils
découvrent leurs conditions de vie en fonction de leur grade : ouvrier
agricole, ouvrier d'usine, travailleur permanent et cadre. Les visiteurs
communient avec les souvenirs des milliers de personnes qui ont vécu
dans ces maisons depuis 1972. Ils pourront même lire ou entendre des
témoignages d'anciens habitants de ces logements. La visite "Je vis dans
les champs" dure au maximum 45 minutes et peut se faire sans guide, en s'aidant
des panneaux et des étiquettes.
"JE RENCONTRE MON PATRIMOINE" : la
dernière partie de la visite se déroule à
l'intérieur du bâtiment du CISC. À l'issue de la visite,
les visiteurs ont accès à une exposition permanente et à
une boutique de souvenirs au rez-de-chaussée, puis à un atelier
pédagogique et à une salle polyvalente à l'étage.
En fonction des biens collectés, le CISC proposera les thèmes
suivants pour l'exposition permanente : l'histoire de l'industrie
sucrière, les étapes de
230 Nous pensons que la ligne de raccordement ferroviaire
construite avant 1975, date de l'inauguration du complexe sucrier, et
aujourd'hui à l'abandon, pourrait être réhabilitée
pour assurer un service de tramway à l'intérieur du
périmètre sucrier. Pour rappel, il existe encore très peu
de lignes ferroviaires dans le pays, et le train ne fait pas partie des moyens
de déplacement quotidiens des Burkinabè.
Page 117
la culture de la canne à sucre, le sucre et ses
dérivés, de l'industrie au patrimoine, les métiers du
sucre, les conditions de travail des ouvriers du sucre. L'exposition se veut
pédagogique, interactive et immersive dans le patrimoine sucrier
burkinabè. Ensuite, si besoin est, nous pouvons organiser une exposition
temporaire sur l'un des thèmes ci-dessous, afin d'approfondir le
thème et d'atteindre un groupe cible. Quant à l'atelier
pédagogique, il se veut interactif et ludique pour les jeunes, mais
aussi pour les adultes qui ne connaissent pas grand-chose au sucre. A l'aide de
manettes d'écran, de puzzles et d'expériences chimiques, les
ateliers éducatifs encouragent les plus jeunes à
développer leur imagination, leur créativité et leur
compréhension de l'univers du sucre. La scénographie contribuera
à rendre l'expérience inoubliable. Le personnel du CISC sera
chargé de développer et de contrôler le contenu de ces
ateliers. Le parcours se terminera par la boutique, où les visiteurs
auront accès à des consommables, des gadgets et des
vêtements liés à l'industrie sucrière ou
spécifiques à la région des Cascades.
b) Le personnel
Pour que le Centre d'interprétation fonctionne
correctement et atteigne ses objectifs (préserver, valoriser et
transmettre le patrimoine industriel sucrier), il doit être doté
de ressources humaines hautement qualifiées. Cette équipe sera
également chargée de développer les stratégies de
communication du CISC. Le travail muséographique exigeant beaucoup
d'ingéniosité et de pluridisciplinarité, on veillera
à réunir des professionnels de plusieurs domaines.
L'équipe sera composée de guides touristiques (travailleurs ou
retraités de l'industrie sucrière), de professionnels de la
culture (médiateurs, muséologues, scénographes,
gestionnaires du patrimoine, communicateurs, conservateurs, d'archivistes) et
de scientifiques (biochimistes, agronomes, chercheurs en histoire,
archéologie et sociologie). On veillera à assurer la
parité genre et à constituer une équipe jeune, dynamique
et créative.
c) Les horaires d'ouverture et la billetterie
Étant donné qu'une grande partie de la sucrerie
sera en activité pendant les visites, il serait judicieux d'adapter les
horaires des visites aux heures de fonctionnement de la sucrerie, avec un
léger décalage entre le début et la fin des
activités. Les horaires varieront également en fonction des
périodes de campagne et d'inter-campagne de la SN SOSUCO. Les dimanches
seront fermés au public, afin d'entretenir les expositions et de
procéder aux ajustements nécessaires. Le calendrier est le
suivant :
De novembre à avril, du lundi au samedi . ·
10h00 à 18h00. De mai à octobre, du lundi au samedi
. · 08h00 à 18h00.
En ce qui concerne le prix des billets, une étude
spécifique devrait être menée afin de déterminer les
tarifs appropriés pour les différentes catégories de
visiteurs : enfants, écoliers et groupes scolaires, étudiants,
travailleurs, personnes âgées, entreprises, etc. Dans le but
ultime de permettre à la population locale de s'approprier son
patrimoine industriel sucrier. L'indice de performance du CISC devrait
être l'enregistrement des milliers de visiteurs par an.
B/ L'élaboration d'un storytelling pour la SN
SOSUCO
Le secteur commercial est devenu très concurrentiel
depuis le début du XXIe siècle, avec la création de
nombreuses entreprises. Cette concurrence conduit les entreprises à
travailler en permanence leur communication auprès des populations
cibles. Mais avec l'essor des technologies numériques, la communication
promotionnelle a pris de nouvelles formes. Le storytelling, ou
littéralement l'art de raconter une histoire, est l'une de ces nouvelles
formes de communication en vogue dans les entreprises commerciales. Dans cette
section, nous ferons d'abord une clarification conceptuelle du storytelling.
Ensuite, nous présenterons la structuration d'un storytelling. Enfin,
nous ferons une proposition de storytelling pour l'industrie sucrière au
Burkina Faso.
1. La clarification conceptuelle
Comme nous pouvons le constater, le
storytelling est un mot d'origine anglaise. De nos jours, il est
utilisé dans le langage courant. Sa traduction française signifie
« l'action de raconter une histoire »231 . En d'autres
termes, le storytelling est l'art de raconter un récit. L'art de
raconter est pratiqué depuis l'Antiquité, à travers les
contes, les poèmes et les légendes. Pour l'écrivain
Sébastien Durand, l'Iliade et l'Odyssée
d'Homère232 attestent de l'existence de cet art du
récit .
233
231 Site web de Le Larousse, consulté le 9
juillet 2023, URL :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/storytelling/
188202#11058528.
232 Pour rappel, Homère était un écrivain
(chanteur et poète) grec du VIIIe siècle avant notre ère.
Il a écrit les deux poèmes fondateurs de la littérature
grecque : l'Iliade et l'Odyssée. Dans ces
poèmes, l'auteur raconte l'histoire de deux "héros
légendaires », Achille dans l'Iliade et Ulysse dans
l'Odyssée.
Source : Site web de Le Larousse, consulté le
9 juillet 2023, URL :
https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/
Homère/124178.
233 Durand Sébastien, Le storytelling. Le guide
pratique pour raconter efficacement votre marque, Paris, Dunod, 2018, p.
9, consulté le 05 juillet 2023, URL :
https://www.cairn.info/le-storytelling--9782100776252-page-9.htm#re1no5.
Page 118
Page 119
À partir des années 1990, aux États-Unis
d'Amérique, le concept a évolué pour s'étendre au
marketing, à la gestion et à la politique. Le storytelling se
définit comme une technique de communication narrative.
L'écrivain Durand en donne la définition suivante :
Le storytelling (ou communication narrative) est une technique
qui consiste à mettre un récit ou plusieurs récits, vrais
ou les plus vraisemblables possibles de personnes morales ou physiques au
service d'un objectif stratégique défini en amont, dans le but de
capter l'attention ou d'emporter
l'adhésion d'un auditoire234.
Le storytelling devient ainsi une technique
de communication qui consiste à promouvoir une idée, un produit
ou une marque à travers l'histoire qu'il raconte, afin de susciter
l'attention, de séduire et de convaincre par l'émotion
plutôt que par l'argumentation235. De cette définition,
il ressort que l'objectif du storytelling est de créer de
l'émotion à travers un narratif afin de vendre un service, un
bien ou de valoriser une entreprise. C'est pourquoi cette technique de
communication pourrait contribuer à la promotion de l'industrie
sucrière au Burkina Faso.
2. Le storytelling au service des entreprises
Lorsqu'il s'agit de promouvoir leurs produits et services, les
entreprises accordent une place majeure à la communication. En fonction
du bien ou du service vendu, des objectifs à atteindre et des cibles,
les entreprises utilisent plusieurs techniques et outils de communication, dont
le storytelling. Il convient toutefois d'examiner l'importance du storytelling,
sa structure et des exemples de storytelling.
a) Pourquoi faire du storytelling
Le storytelling est doublement important. Il sert à la
fois les entreprises (narrateurs) et les consommateurs (récepteurs).
Pour les entreprises, le storytelling est un outil de communication efficace
pour plusieurs raisons :
- Se démarquer des autres entreprises
: dans une économie de marché, où de nombreuses
entreprises sont créées par jour, la concurrence est
féroce dans tous les secteurs. Il appartient à chaque entreprise
de développer des stratégies pour se différencier en
offrant des services ou des biens différents. Le storytelling peut
contribuer à faire la différence.
234Durand S., Le storytelling, op. cit., p.
4.
235 Site web de Le Larousse, consulté le 9
juillet 2023, URL :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/storytelling/
188202#11058528.
Page 120
- Capter l'attention du public et le fidéliser
: face aux nombreux messages publicitaires diffusés chaque
jour, les entreprises ont besoin de contenus capables de retenir l'attention
des consommateurs en racontant une histoire émotionnelle autour d'un
produit ou d'un service. Cette même histoire peut également
renforcer la fierté et l'attachement des clients à leurs produits
ou services. Ainsi, le storytelling permet non seulement d'attirer de nouveaux
consommateurs, mais aussi de fidéliser les anciens.
- Présenter l'histoire d'une marque, d'une
entreprise ou d'une institution : peu d'entreprises construisent leur
communication sur leur passé, leur origine ou leur succès.
Cependant, certaines entreprises (automobile, alimentaire, mode)
bâtissent leur réputation sur leur longue et glorieuse histoire.
C'est pourquoi le storytelling se construit autour de récits glorieux ou
légendaires.
- Créer ou renforcer l'identité d'une
institution ou d'une marque : pour les jeunes entreprises, le
storytelling est une technique de communication qui peut les aider à
créer une identité en racontant un récit futuriste. Il
s'agit de construire un récit émotionnel sur ce que sera
l'entreprise dans les dix, vingt ou cinquante prochaines
années236. Cela permet de rassurer les consommateurs sur le
fait que l'entreprise a une grande vision.
- Placer le public au coeur de la communication
: le storytelling consiste à écrire un récit dans
lequel le consommateur doit s'identifier à l'acteur principal ou au
héros de l'histoire. Autrement dit, toute la communication est
centrée sur le client potentiel, plutôt que sur le produit, comme
c'est généralement le cas dans la communication traditionnelle
(publicité, publipostage, spot publicitaire, etc.). De cette
manière, les consommateurs sont liés à leur entreprise ou
à leur institution.
Si le storytelling permet aux entreprises et aux institutions
d'atteindre un certain nombre d'objectifs, il est également important
pour les bénéficiaires à plusieurs niveaux :
- Justifier la consommation d'un produit ou d'un
service : en transmettant une histoire émotionnelle sur un
produit ou un service, le destinataire de cette histoire s'y identifie et
exprime une certaine fierté d'être un consommateur. Un
storytelling sur un constructeur automobile renforcera le choix du destinataire
pour cette compagnie, tout comme un storytelling sur une industrie
sucrière donnera aux consommateurs des arguments pour choisir
236 Durand S., Le storytelling, op. cit., p. 23.
Page 121
leur marque de sucre. C'est pourquoi Durand affirme que le
storytelling « donne un sens à ce qui n'en a (peut être) pas
»237.
- Partager ou adopter des valeurs : le
storytelling construit autour d'une entreprise ou d'une institution mettra en
évidence l'identité et les valeurs de cette entreprise. En
conséquence, les employés et les clients auront tendance à
s'identifier à ces valeurs et à les partager.
- (Re)découvrir un produit ou un service
: parfois, les consommateurs sont intéressés par un
produit ou un service, mais ne connaissent pas l'histoire qui se cache
derrière le produit, la marque ou l'entreprise. Pour ces consommateurs,
le storytelling est l'occasion de découvrir comment tout a
commencé et comment cela a évolué au fil du temps. La
communication joue donc un rôle éducatif pour ces
destinataires.
b) La structuration du storytelling
Le storytelling peut s'appliquer à tous les secteurs
d'activité (économique, politique, social, culturel, etc.) et
à tous les types de structures (entreprise privée ou publique,
institution, centre culturel ou sportif, etc.). La structure du storytelling
correspond à l'ensemble des éléments ou étapes
nécessaires à la réalisation d'une communication
narrative. Selon Sébastien Durand, le storytelling s'articule autour de
six éléments238 :
- Une quête : c'est l'étape
où l'on détermine l'objectif à atteindre par le
récit. Il peut s'agir de repositionner une entreprise en
difficulté, de consolider sa position de leader, d'inspirer
confiance, etc239. Cette question se
matérialise par le récit d'une histoire réelle ou
fictive.
- Un protagoniste : acteur principal du
récit, il est chargé de mener à bien la quête. Il
existe deux types de protagonistes dans la narration : un héros qui
incarne l'entreprise, le produit ou le service et un héros qui incarne
le consommateur240. Il sera doté de valeurs, de
qualités et de défauts auxquels le destinataire pourra
s'identifier.
- Des antagonistes : il s'agit des obstacles
(personnifiés ou chosifiés) que le héros de l'histoire
doit affronter. Ces obstacles peuvent être concrets, abstraits ou
superflus241. Une forte dose d'émotion est
insérée dans les antagonistes que le protagoniste de l'histoire
doit surmonter.
237Durand S., Le storytelling, op. cit., p.
20.
238 Ibid, p. 101.
239 Ibid., p. 102.
240 Ibid., p. 105.
241 Ibid., p. 108.
- Une résolution (happy end) :
après plusieurs tentatives, le héros surmonte enfin l'obstacle et
accomplit la quête initiale. Cependant, toutes les quêtes n'ont pas
besoin d'être résolues, surtout celles qui s'inscrivent dans la
durée242.
- Un adjuvant : appelé aussi
preuve-produit en marketing, il s'agit généralement du produit ou
du service qui a permis au héros de mener à bien sa
quête243. C'est le moment que choisit le narrateur pour
promouvoir ses produits, son entreprise ou son fondateur.
- Une continuation : à la
différence d'un récit classique, le storytelling comporte souvent
une sixième étape, qui correspond au prochain chapitre à
raconter244. Tant que l'entreprise ou l'institut est en
activité, il doit continuer à raconter son histoire.
Toutefois, pour réussir ces six étapes du
storytelling, le narrateur doit respecter un certain nombre de règles.
La première est la créativité. Le contenu
de l'histoire doit être imaginatif, ambitieux et
caractérisé par de nouvelles approches. L'originalité
consiste également à utiliser la richesse des émotions
pour promouvoir des produits ou des services245. La deuxième
règle est l'authenticité. L'authenticité,
c'est l'utilisation d'un vocabulaire adapté au public, de gestes
simples, naturels et spontanés. Enfin, il y a la
cohérence du message. Le récit doit être
court, simple, clair et compréhensible246.
En règle générale, le storytelling prend
la forme d'un contenu audiovisuel d'une durée comprise entre 30 et 180
secondes. Les images sont accompagnées par une musique de fond ou d'une
voix off qui remplace la voix des acteurs pour susciter plus d'émotion.
Des sous-titres accompagnent les scènes clés du scénario
pour en faciliter la compréhension. Les images sont traitées de
manière à être captivantes.
c) Des exemples de storytelling
Comme mentionné ci-dessus, le storytelling se distingue
des autres techniques de marketing en plaçant le consommateur au centre
du récit. Le produit, le service ou l'entreprise n'est
mentionné
242 Durand S., Le storytelling, op. cit., p. 111.
243 Ibid., p. 114.
244 Ibid., p. 116.
245 Van Der Feer Julien, « Qu'est-ce que le storytelling
? », Fiches pratiques marketing et vente, mis en ligne le 23 juin
2020, avec une mise à jour du 25 août 2021, consulté le 10
juillet 2023, URL :
https://fiches-pratiques.chefdentreprise.com/Thematique/marketing-1052/FichePratique/storytelling-technique-marketing-qui-fait-appel-emotions-351183.htm.
246 Granger Raphaële, « Communiquer efficacement
avec le storytelling » Manager-Go, mis en ligne le 19 septembre
2021, consulté le 10 juillet 2023, URL :
https://www.manager-go.com/efficacite-professionnelle/storytelling.htm.
Page 122
Page 123
qu'en arrière-plan, ou presque à la fin du
scénario. Nous avons sélectionné ci-dessous trois
histoires, parmi des milliers, que nous avons trouvées réussies
et qui pourraient servir d'études de cas. Ces histoires sont les
suivantes :
- Bertha Benz : the first
driver247 : ce storytelling réalisé par
Mercedes-Benz USA, une filiale du constructeur automobile allemand
Mercedes-Benz Group, est centré sur Bertha Benz. Elle était la
femme de Karl Benz, l'un des cofondateurs de la marque Mercedes-Benz en 1926.
Bertha Benz, l'héroïne de ce storytelling, est
présentée comme la première conductrice de voiture,
puisqu'elle a été la première à essayer l'invention
de son mari (à son insu) en 1888. L'objectif du constructeur automobile
est de montrer que le geste courageux d'une femme a révolutionné
le monde des transports et a été à l'origine de
l'industrie automobile qui allait suivre. Au-delà des valeurs de
féminisme et de courage que Mercedes-Benz souhaite partager avec ses
consommateurs, il s'agit aussi de faire connaitre une partie de l'histoire de
l'automobile restée méconnue du grand public. Des six
étapes d'un scénario de storytelling, seule la dernière
étape est omise, l'histoire de Bertha Benz ayant ainsi été
révélée.
- Uber-Stories248 : cette
communication narrative a été créée pour mettre en
valeur un service. En effet, Uber est une multinationale américaine
créée en 2009 pour proposer des services de Voitures de Transport
avec Chauffeur (VTC) via une application mobile. Dans cette histoire, Uber
montre comment ses services facilitent la mobilité des utilisateurs. En
choisissant deux "jeunes amoureux", Uber joue sur les émotions, en
amenant les utilisateurs à se sentir comme l'un des deux acteurs. Le
rôle d'adjuvant, joué par un service, est clairement mis en
évidence dans ce contenu à partir de la 59 secondes de la
vidéo. Les étapes d'un scénario de storytelling y
figurent.
- Apple, inclusion and diversity -
open249 : avec cette vidéo, le géant
américain de l'électronique Apple cherche à dresser son
propre portrait. Pour ce faire, il fait défiler des images de 68
employés de toutes religions, couleurs de peau, orientations sexuelles
et âges. L'objectif est de montrer les valeurs qui animent l'entreprise
depuis sa création en 1976 : ouverture d'esprit, diversité,
inclusion et pluralité du monde. Ce que l'on retient de ce
247 Mercedes-Benz USA, Bertha Benz : the first
driver, vidéo de 2mn16s, mise en ligne le 21 août 2018,
consultée le 11 juillet 2023, URL :
https://www.youtube.com/watch?v=JBL_G-C51Dk.
248 Uber, Uber-Stories, vidéo de 1mn:05s, mise
en ligne le 7 novembre 2019, consultée le 11 juillet 2023, URL :
https://
www.youtube.com/watch?v=tCsJsRCFYKc.
249 Apple, Inclusion and diversity - open,
vidéo de 2mn03s, mise en ligne le 9 novembre 2017, consultée le
11 juillet 2023, URL :
https://www.youtube.com/watch?v=cvb49-Csq1o.
storytelling, c'est la volonté de Apple à
partager ses valeurs fondamentales avec ses consommateurs, et de les rassurer
sur le fait que les produits qu'ils consomment sont développés
dans un environnement de travail équitable et pluriel. Ainsi, les
utilisateurs trouveront la fierté de consommer davantage de produits du
géant de l'électronique.
Il existe d'autres exemples de marques telles que Coca
Cola, Nike, McDonald's, etc. que nous vous laissons
découvrir par vous-même pour comprendre l'intérêt
d'une telle technique de communication. Toutefois, il est important de rappeler
que le storytelling peut avoir un impact négatif sur la promotion d'un
produit ou d'un service s'il n'est pas correctement développé.
Cela peut se produire en créant une histoire trop imaginaire ou trop
fictive qui n'est pas plausible ou vraie pour le public cible. Il est donc
nécessaire de rester aussi proche que possible des histoires
réelles.
3. La conception de storytellings pour la SN
SOSUCO
Pour l'industrie sucrière du Burkina Faso, nous
envisageons de développer une série de communications narratives.
Ces communications auront pour but de révéler l'histoire de
l'industrie sucrière, de renforcer l'identité de la SN SOSUCO, de
valoriser son patrimoine industriel et d'insuffler aux consommateurs un
sentiment de fierté et d'appartenance à l'industrie. Pour ce
faire, trois types de storytelling ont été
développés, basés sur la documentation, les archives et
les témoins matériels de l'industrie sucrière disponibles
dans la région des Cascades.
- Un storytelling sur la SN SOSUCO
(entreprise ) : la première série de storytelling que
nous produirons concerne l'entreprise qui gère l'industrie
sucrière burkinabè : la Nouvelle Société
Sucrière de la Comoé (SN SOSUCO). Comme nous l'avons
déjà mentionné dans le deuxième chapitre de ce
document, la SN SOSUCO a connu plusieurs mutations de 1965 à nos jours.
Ces mutations se caractérisent par des changements de statut juridique
et de fonctionnement : SESUHV de 1965 à 1968
(société d'études), SOSUHV de 1968 à 1985
(société d'économie mixte), SOSUCO de 1985
à 1998 (société d'État) et SN SOSUCO de
1998 à nos jours (société d'économie mixte).
Chacune de ces périodes de l'histoire de la SN SOSUCO fera l'objet d'un
récit de deux minutes maximum, revenant sur les grands
évènements. Cette série de storytelling sera l'occasion
pour les travailleurs du sucre et le peuple burkinabè de
découvrir l'histoire de leur industrie sucrière.
- Un storytelling sur la "Gazelle" et la
"Cascade" (marques) : l'industrie sucrière du Burkina
Faso commercialise deux marques de sucre : le sucre blond sous la marque
"Gazelle" et le
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Page 125
sucre blanc sous la marque "Cascade". Ces deux marques
figurent sur l'emballage de chaque produit sucrier, sans réelle
communication. Pourtant, il est important que les consommateurs se souviennent
de l'histoire de la marque chaque fois qu'ils consomment du sucre. Cela permet
non seulement de les fidéliser, mais aussi de les rassurer sur le
produit qu'ils consomment. À cette fin, des communications narratives
spécifiques à chaque marque présenteront l'origine du nom
de la marque, l'auteur de la proposition de nom et la relation entre le nom de
la marque et le produit sucré. Le logo de la SN SOSUCO fera
également l'objet d'un scénario. Tous ces scénarios seront
mis en place avec le consommateur au centre, afin qu'il se reconnaisse dans ces
marques.
- Un storytelling sur le sucre et
l'alcool (produits) : la dernière série de
storytelling portera sur les principaux produits de l'industrie sucrière
burkinabè : le sucre et l'alcool éthylique 96° GL. Ici, il
sera question de proposer des récits qui vont présenter plusieurs
facettes du sucre et de l'alcool pharmaceutique et industriel. On aura ainsi
des récits sur la découverte du sucre, les différents
produits dérivés de la canne à sucre, les
différents usages du sucre, les différents usages de l'alcool,
les dosages recommandés pour une santé saine, le travail dans les
usines, le travail dans les champs, etc. Un scénario spécifique
sera élaboré pour chacun de ces sujets de communication avec une
quête, un protagoniste, un antagoniste, une résolution, un
adjuvant et une continuation. Le consommateur sera toujours au centre du
récit qui se veut captivant et émouvant.
Voici brièvement présenter la manière
dont nous voulons appliquer la technique de la communication narrative à
l'industrie sucrière burkinabè. Dans le cadre d'une étude
approfondie, nous pourrons produire les scénarios de chaque récit
et les remettre aux graphistes pour le montage audiovisuel.
Page 126
Conclusion
L'industrie sucrière du Burkina Faso est un ensemble
composé d'un paysage de canne à sucre, d'installations
industrielles et de cités d'habitation. Ce complexe est l'un des
exemples phares du passage du Burkina Faso d'une production artisanale à
une production industrielle à partir de 1972. Ces sites, qui conservent
la mémoire du sucre, sont aussi des témoins
privilégiés des débuts de l'industrialisation au Burkina
Faso. Un demi-siècle plus tard, l'usine sucrière reste la plus
ancienne industrie du pays encore en activité. Il est essentiel que les
traces de cette industrialisation et la mémoire du sucre qui habite ces
sites soient préservées et transmises aux
générations futures. Pour ce faire, il est nécessaire de
développer des projets de conservation, de valorisation et de
transmission de ce patrimoine aux générations futures. Dans cette
optique, nous avons proposé deux projets de valorisation. Le premier est
la création du Centre d'Interprétation du Sucre des Cascades
(CISC) qui vise à créer un parcours muséographique en 4
étapes pour la découverte et l'appropriation du patrimoine
sucrier. Le CISC siégera à Bérégadougou, dans le
périmètre sucrier. La deuxième proposition concerne le
développement d'une technique de communication appelée le
storytelling. L'objectif du storytelling est de développer des
récits émouvants sur l'histoire de la SN SOSUCO, sur les marques
de sucre commercialisées au Burkina Faso, sur le sucre et ses
sous-produits. L'importance de cette communication est de rassurer les
consommateurs de sucre et de créer un lien fort entre l'industrie
sucrière et eux. Une fois ce lien tissé, les consommateurs
développeront une identité de fierté envers l'industrie
sucrière et la protégeront à tout égard.
Page 127
CONCLUSION GÉNÉRALE
La recherche dans le cadre de ce document a été
menée autour du thème suivant : La société
sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO) : de l'aménagement du
territoire à la préservation de la mémoire (1965-2020).
L'objectif de la recherche a été de montrer la valeur
patrimoniale de l'unique industrie sucrière au Burkina Faso. En
activité depuis un demi-siècle, la Nouvelle Société
Sucrière de la Comoé (SN SOSUCO) n'a pas fait l'objet
d'études pour la valorisation et la préservation de son
patrimoine sucrier. Cependant, elle est l'une des rares industries
créées après l'indépendance du pays en 1960
à être encore en activité. Au vu de toutes ces
années d'activités de la SN SOSUCO, nous avons pensé
qu'elle dispose d'un patrimoine sucrier qui méritait d'être mis en
valeur.
La SN SOSUCO a été créée en 1965
avec pour objectif la production et la commercialisation du sucre et de ses
sous-produits sur le territoire national et dans la sous-région.
L'analyse historique a établi que la société
sucrière avait du mal à décoller. En 58 années
d'existence, son statut juridique a évolué de
Société d'économie mixte (1972-1985) à
Société d'État (1985-1998) avant de redevenir une
Société d'économie mixte (1998 à ce jour).
A l'image de son statut juridique, la situation économique et sociale de
la société sucrière montre une grande instabilité.
Sur le plan économique, la SN SOSUCO a pu réaliser une production
record de 37 600 tonnes de sucre (2007-2008) et des ventes de 55 938 tonnes
(2001-2002). Cependant, certaines années, elle peine à produire
20 000 tonnes de sucre et à les commercialiser (32 000 tonnes de
méventes en mars 2015). De 1998 à 2010, la société
sucrière a bénéficié d'investissements d'environ 20
milliards de francs CFA pour dynamiser la production et rendre le sucre local
compétitif sur le marché national. Malheureusement, les
résultats tardent à venir, compte tenu de la série de
méventes qu'elle a connue entre 2007 et 2019. Quant au climat social, il
est aujourd'hui plus détendu qu'en 1991 et 1999. Les travailleurs
étant la force productive de l'entreprise, leurs conditions de travail
et de vie doivent être régulièrement
améliorées pour espérer des rendements à la hauteur
des attentes.
Après avoir établi le cadre historique de
l'industrie sucrière, nous nous intéressons à son
occupation spatiale et à ses activités internes. En effet, la
culture de la canne à sucre dans un pays soudano-sahélien
nécessite un aménagement du territoire spécifique. Du
système d'irrigation à la récolte de la canne, en passant
par la phase d'entretien et de croissance, la zone de culture offre un
rendement annuel assez satisfaisant pour la production du sucre. La
mécanisation d'une grande partie des opérations de culture a
facilité les activités et amélioré les rendements
qui s'élèvent en moyenne à 300 000 tonnes de canne
à sucre. La canne obtenue dans la zone de culture est broyée,
raffinée et agglomérée dans les installations
industrielles de la SN SOSUCO. Le sucre blond et blanc ainsi obtenu est ensuite
commercialisé sur le marché national par l'intermédiaire
de
Page 128
Page 129
grossistes. Les sous-produits de la canne à sucre
(bagasse, mélasse et vinasse) sont valorisés de plusieurs
manières. La mélasse est utilisée pour produire de
l'alcool éthylique 96° GL, de la bagasse pour la production
d'énergie et d'engrais et la vinasse comme engrais pour les sols. Le
travail est organisé et hiérarchisé à la SN SOSUCO.
Le personnel exerce dans trois activités principales : la gestion, la
production et le soutien. Les directeurs et les chefs de services sont
chargés de veiller au quotidien au respect de cette organisation du
travail, afin d'atteindre les objectifs de l'entreprise. Aujourd'hui, la
société sucrière est une source de fierté pour ses
nombreuses contributions au développement social et économique de
la région des Cascades. Avec ses 3 000 employés, c'est le
deuxième employeur du Burkina Faso après l'État.
Cependant, la culture de la canne à sucre s'est
révélée être une culture qui épuise les sols
et la nappe phréatique. Les installations industrielles polluent
l'environnement en libérant des produits chimiques et des eaux
usées. Ces impacts négatifs de l'industrie sucrière sur
les personnes et la nature doivent être au centre de l'attention des
autorités publiques burkinabè.
Le patrimoine sucrier matériel et immatériel du
Burkina se divise en trois grands ensembles : les paysages de canne à
sucre, les installations industrielles et les zones d'habitation. Les biens
matériels trouvés dans ces espaces sont constitués de
champs de canne à sucre, d'équipements agricoles,
d'équipements hydrauliques, de machines, de bâtiments industriels,
de logements, d'une voie ferrée abandonnée et d'une abondante
documentation. Tous ces biens matériels fonctionnent grâce
à un savoir-faire artisanal (travail manuel dans les champs et ateliers
industriels) et à la technique de transformation de la canne à
sucre en produits et sous-produits sucriers. Tous les sites qui conservent la
mémoire du sucre constituent des témoins
privilégiés des débuts de l'industrialisation au Burkina
Faso et de son évolution. Il est donc essentiel que les traces de cette
industrialisation et la mémoire du sucre qui habite ces sites soient
préservées et transmises aux générations futures.
Pour ce faire, il est nécessaire de développer des projets de
conservation, de valorisation et de transmission de ce patrimoine aux
générations futures. Dans cette optique, nous avons
proposé deux projets de développement. Le premier est la
création du Centre d'Interprétation du Sucre des Cascades (CISC)
qui vise à créer un parcours muséographique en 4
étapes pour la découverte et l'appropriation du patrimoine
sucrier. La deuxième proposition concerne le développement d'une
technique de communication appelée storytelling. L' objectif du
storytelling est de développer des récits émouvants sur
l'histoire de la SN SOSUCO, sur les marques sucrières
commercialisées au Burkina Faso, sur le sucre et ses sous-produits.
L'importance de cette
Page 130
communication est de rassurer les consommateurs de sucre et de
créer un lien fort entre eux et l'industrie sucrière.
En somme, on constate que l'industrie sucrière au
Burkina Faso possède un important patrimoine sucrier matériel et
immatériel qui mérite d'être inscrit sur la liste nationale
du patrimoine culturel. Si nos recherches documentaires et nos sorties de
terrain ont mis en lumière le patrimoine sucrier matériel du
Burkina Faso, nous pensons que le patrimoine sucrier immatériel reste
à explorer. En effet, pour des raisons de sécurité
liées aux attaques terroristes et contraintes personnelles, nous n'avons
pas pu réaliser d'enquêtes orales auprès des
détenteurs de la mémoire du sucre, qui sont : les dirigeants de
l'entreprise sucrière, les représentants des travailleurs, les
responsables syndicaux et les autorités administratives, religieuses et
coutumières de la région. Il serait donc judicieux que nous y
revenons dans des études ultérieures afin de dresser un
inventaire exhaustif du patrimoine immatériel de l'industrie
sucrière burkinabè.
Page 131
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
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novembre 2021 à la SN SOSUCO, réalisé par Bancé
Thomas Frank.
Dabiré Rodrigue, Secrétaire général
de la mairie de la commune urbaine de Banfora, entretien du 05 novembre 2021
à Banfora, réalisé par Bancé Thomas Frank.
Koné Brahima, Maire de la commune rurale de
Bérégadougou, entretien du 08 novembre 2021 à
Bérégadougou, réalisé par Bancé Thomas
Frank.
Nikiema Issa, Agent à la Direction régionale de
l'économie de la planification des Cascades, entretien du 04 novembre
2021 à Banfora, réalisé par Bancé Thomas Frank.
Ouédraogo Arouna, Directeur régional de l'urbanisme
et de l'habitat des Cascades, entretien du 05 novembre 2021 à Banfora,
réalisé par Bancé Thomas Frank.
Séré Issouf, Agent du service industriel de la
Direction régionale du Commerce et de l'Industrie des Cascades,
entretien du 05 novembre 2021 à Banfora, réalisé par
Bancé Thomas Frank.
Sombié Ferdinand, Agent du laboratoire de production de la
SN SOSUCO, entretien du 03 novembre 2021 à la SN SOSUCO,
réalisé par Bancé Thomas Frank.
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Page 141
TABLEAU DES ILLUSTRATIONS
Figure 1 : Carte de la situation géographique de
Banfora 23
Figure 2 : Carte des sols et des bas-fonds de Banfora 24
Figure 3 : Carte du réseau hydrographique de Banfora
25
Figure 4 : Représentation des filiales et des secteurs
de la SOMDIAA 33
Figure 5 : Plan du périmètre sucrier de la SN
SOSUCO 66
Figure 6 : Plan parcellaire de la SN SOSUCO 68
Figure 7 : Schéma d'irrigation goutte-à-goutte
de la SN SOSUCO 69
Figure 8 : Schéma illustratif du système
d'irrigation à couverture intégrale 70
Figure 9 : Schéma illustratif de la rampe frontale et
de la rampe pivotante 71
Figure 10 : Photographies aériennes des zones de
culture de la SN SOSUCO 71
Figure 11 : Photographie aérienne des installations
industrielles de la SN SOSUCO 74
Figure 12 : Photographie panoramique de la sucrerie-raffinerie
de la SN SOSUCO 76
Figure 13 : Photographie aérienne de la cité des
cadres de la SN SOSUCO 78
Figure 14 : Plan de construction des logements de cadre de la
SN SOSUCO 79
Figure 15 : Photographies de la cité des cadres de la
SN SOSUCO 79
Figure 16 : Photographies illustrant la croissance de la canne
à sucre 83
Figure 17 : Photographie de canne à sucre
irriguée à la SN SOSUCO 84
Figure 18 : Photographie d'une parcelle de canne à
sucre sevrée à la SN SOSUCO 84
Figure 19 : Schéma de la production de canne à
sucre 88
Figure 20 : L'organigramme de la SN SOSUCO 88
Figure 21 : Photographies du sucre de la SN SOSUCO 90
Figure 22 : Photographie panoramique du paysage de canne
à sucre 100
Figure 23 : Photographie du paysage de la canne à sucre
101
Figure 24 : Photographies de machines agricoles
utilisées à la SN SOSUCO 101
Figure 25 : Photographies de l'équipement hydraulique
de la SN SOSUCO 102
Figure 26 : Photographies des rails abandonnés dans le
périmètre sucrier de la SN SOSUCO 104
Figure 27 : Plan du sous-sol du CISC 113
Figure 28 : Plan du rez-de-chaussée du CISC 114
Figure 29 : Plan de l'étage du CISC 114
Figure 30 : Schéma du parcours muséographique
"Je découvre le sucre" du CISC 115
Page 142
TABLE DES TABLEAUX
Tableau 1 : L'évolution de la production et des ventes
de la SOSUHV de 1974-1985 38
Tableau 2 : La répartition du capital social de la
SOSUCO en 1985 45
Tableau 3 : L'évolution des ventes, de la production et
du chiffre d'affaires de la SOSUCO 47
Tableau 4 : Les productions, les ventes et le chiffre
d'affaires de la SN SOSUCO 58
Tableau 5 : Les caractéristiques du logement des
employés de la société sucrière 104
TABLE DES GRAPHIQUES
Graphique 1 : L'évolution de la production et des
ventes de la SOSUHV de 1974-1985 38
Graphique 2 : La répartition du capital social de la
SOSUCO en 1985 45
Graphique 3 : L'évolution de la production et des
ventes de la SOSUCO 48
Graphique 4 : La répartition du capital social de la SN
SOSUCO en 2017 57
Graphique 5 : Les ventes, la production et le chiffre
d'affaires de la SN SOSUCO 58
Graphique 6 : Les méventes de la SN SOSUCO 63
Page 143
ANNEXES
Page 144
Annexe 1 : Liste des investissements retenus par la
Caisse Nationale de Crédit Agricole en
1986.
Secteurs
|
Désignation de l'investissement
|
Montant (FCFA)
|
Usine
|
Alimentation des chaînes CHAMBON
|
97
|
000
|
000
|
Alimentation des chaînes CHAMBON I
|
250
|
000
|
000
|
Alimentation des chaînes CHAMBON II
|
150
|
000
|
000
|
Matériels divers usine
|
56
|
000
|
000
|
Culture et mécanisation
|
Grue
|
78
|
000
|
000
|
Epandeur d'engrais
|
7
|
000
|
000
|
Tuyaux d'irrigation
|
20
|
000
|
000
|
Total
|
658
|
000
|
000
|
Source : Ministère du Commerce, de l'Industrie et des
Mines, Programme d'investissement soumis à la caisse nationale de
crédit agricole, Centre National des Archives du Burkina,
série V, sous-série 17V, 17V93, 1986, p.1.
Observation : Ce tableau présente la
liste exacte des équipements et des coûts inclus dans le dossier
d'investissement soumis à la Caisse Nationale. L'objectif était
de mécaniser davantage la culture de la canne à sucre et
d'augmenter la capacité de production journalière de la
sucrerie-raffinerie.
Page 145
Annexe 2 : Cahier de doléances du 1er Mai 1991
présenté par les centrales syndicales de la
SOSUCO
I. Economique et social
a) Non à l'application d'un programme d'ajustement
structurel sauvage à la SOSUCO.
b) Mise en place d'un statut du personnel à la SOSUCO et
son application effective.
c) Matériel de sécurité et de travail en
rapport avec la nature des travaux à la SOSUCO.
d) Révision et reclassement des travailleurs du Service
entretien et des autres cas d'injustice à la SOSUCO.
e) Abrogation de la note de service suspendant provisoirement
les tenues de travail à la SOSUCO.
f) Réorganisation du service de l'action sociale pour
qu'il joue pleinement son rôle en faveur des travailleurs.
g) Elaboration de textes clairs concernant la cité de
Bérégadougou dont les habitants vivent dans l'incertitude totale
quant à leurs droits et devoirs.
h) Précisez les attributions des différentes
responsables à la SOSUCO afin de favoriser les prises de
décisions rapides et efficaces pour l'entreprise et les travailleurs.
II. Santé et éducation
a) Prise en charge à 80% des ordonnances des travailleurs
de la SOSUCO et leur famille.
b) Prise en charge des examens et évacuations sanitaires
des travailleurs de la SOSUCO et leur famille à 100%.
c) Nécessité d'une deuxième ambulance au
centre médical de la SOSUCO.
d) Application effective de la formation professionnelle du
personnel à la SOSUCO.
e) Reprise des travailleurs suspendus ou licenciés sans
motif valable.
f) Une juste solution au problème de ces travailleurs
contribuera à décrisper la tension sociale à la SOSUCO.
Source : Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit, Annexe
n°4.
Observation : La lecture de ce cahier de
doléances nous donne une idée sur la situation
socio-économique qui prévalait à la SN SOSUCO dans les
années 1990. Tous les secteurs d'activité étaient soumis
aux revendication syndicales.
Page 146
Annexe 3 : Lettre ouverte à Monsieur le Ministre
du Commerce, de l'Industrie et de l'Artisanat/ Ouagadougou
Organisation syndicale SN SOSUCO :
CGTB-SYNACAME/CSB/ONSL-SYNTCAS/USTB/ UGTCS/FESBACI/CSB Banfora
Monsieur le Ministre,
Nous venons par la présente vous faire connaitre ce qui
suit :
Depuis le lancement du processus de privatisation de la
SOSUCO, les organisations syndicales ont, à travers toutes les
rencontres officielles ou par correspondances, émis des
inquiétudes quant à la fiabilité du système de
contrôle et autres accords destinés à pérenniser la
SOSUCO et à sauvegarder nos emplois.
Six mois seulement après la fin de ce processus de
privatisation, nos inquiétudes se confirment chaque jour puisqu'on
assiste à des importations de sucre de toutes qualités à
des prix divers qui rendent difficile la commercialisation de nos produits.
Pourtant au bouclage de ce processus, vous aviez
affirmé toute votre grande satisfaction pour cette privatisation «
Oh combien réussi » ; et affirmé aux travailleurs,
l'engagement du gouvernement à appuyer les efforts du repreneur pour le
maintien de nos emplois et la pérennité de l'entreprise, tout en
exhortant les travailleurs à redoubler d'effort pour une meilleure
productivité afin de mériter leurs emplois.
Monsieur le Ministre, les travailleurs ont
joué pleinement leur rôle comme en témoignent les
résultats partiels de la campagne en cours :
- Broyage moyen de canne par 24 heures = 2 461,800
tonnes contre 2 160 tonnes en 1997-1998.
- Extraction sucre = 95,25 contre 94,74 en 1997-1998.
- Pertes totales = 2,20 contre 2,62 en 1997-1998. - Rendement
= 11,41 contre 11,16 en 1997-1998.
Page 147
Cependant, l'inondation du marché national en sucre
souvent de qualité douteuse, voire dangereuse pour la santé de
nos populations déjà précaire et les niveaux de prix de la
concurrence semblent découler d'une concurrence déloyale de
certains importateurs.
Aussi, voudriez-vous bien faire prendre toutes dispositions
utiles pour faire respecter rigoureusement la réglementation en
matière d'importation de sucre (rigueur dans la délivrance des
CNC, régularité des déclarations de mise à la
consommation, paiement de tous les droits et taxes de douane, application de la
TVA sur vente à réserver à l'État comme le fait la
SN SOSUCO, etc.).
Monsieur le Ministre, l'État a
déjà pris d'importantes dispositions telles que l'agrément
au code des investissements mais nous pensons qu'au niveau du gouvernement, des
efforts peuvent encore être faits pour une meilleure protection et
sauvegarde de la SN SOSUCO. A ce titre et selon nos informations, la Côte
d'Ivoire qui est un pays côtier par où transitent certains sucres
qui inondent le Burkina Faso, n'a sur son marché que le sucre produit
par ses unités locales (SUCAF et Sucre-Ivoire) fruits de la
privatisation de SODESUCRE. Il est bon également de savoir que
malgré notre position géographique, nos prix de vente au
consommateur restent sensiblement les mêmes.
Monsieur le Ministre, il vous appartient en relation
avec vos collègues concernés, de faire prendre toutes les mesures
adéquates et rapides pour l'assainissement du marché national du
sucre ; sinon la privatisation de la SOSUCO qu'on dit réussie, risque de
se transformer en échec. Ce qui aura pour conséquence de rendre
les travailleurs très méfiants et incrédules
vis-à-vis des propos « rassurants » quant aux bienfaits de
cette privatisation (maintien et création d'emploi, promotion de
l'entreprise, développement économique et social, etc.).
En conclusion, Monsieur le Ministre, nous vous demandons de
prendre toutes vos responsabilités face à la liquidation de notre
secteur industriel.
Pour notre part, nous nous battrons pour la sauvegarde de
notre unité industrielle et de nos emplois.
C'est pourquoi nous prenons l'opinion publique à
témoin car si d'aventure des mesures sociales devraient être
entreprises sur le dos des travailleurs, nous prendrons nos
responsabilités en engageant toutes actions que nous jugerons utiles
contre la liquidation de ce qui reste aujourd'hui comme entreprise digne de ce
nom. Car faut-il le rappeler, la SN SOSUCO est le premier pourvoyeur d'emplois
après l'État.
Page 148
Sûrs et convaincus que vous réservez une
attention particulière à la présence, nous vous prions de
croire, Monsieur le Ministre, à notre détermination à nous
battre pour la sauvegarde de nos emplois.
Banfora, le 24 février 1999.
Source : Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit, Annexe
n°5.
Observation : Cette lettre des responsables
syndicaux à leur ministre de tutelle témoigne de la
méfiance des travailleurs à l'égard du fonctionnement de
la SN SOSUCO au lendemain de sa privatisation. Tout en rappelant leurs efforts,
les travailleurs s'inquiètent des conséquences de la
libéralisation du secteur du sucre au Burkina Faso et appellent à
la prise des mesures de restriction. Ils ont également rappelé au
ministre leur attachement à la pérennité de leur industrie
sucrière au-delà des luttes syndicales.
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Annexe 4 : Caractéristiques des villages
déplacés lors de l'installation de la SN SOSUCO
N° D'ordre
|
Village
|
Nombre de familles touchées
|
Nombre d'habitants
|
Groupe ethnique
|
Année de déplacement
|
1
|
Takalédougou
|
176
|
1 597
|
Toussian
|
1970
|
2
|
Séréfédougou
|
56
|
427
|
Karaboro
|
1970
|
3
|
Niankadougou
|
10
|
96
|
Karaboro
|
1970
|
4
|
Karfiguéla
|
78
|
970
|
Karaboro
|
1971
|
5
|
Lémouroudougou
|
89
|
776
|
Karaboro
|
1971
|
6
|
Malon
|
21
|
269
|
Karaboro
|
1973
|
7
|
Dapri
|
13
|
144
|
Karaboro
|
1973
|
8
|
Dalina
|
14
|
129
|
Turka
|
1973
|
9
|
Bérégadougou
|
6
|
40
|
Soukalas
|
1973
|
10
|
Tarfila
|
43
|
300
|
Turka
|
1973
|
11
|
Banfora
|
43
|
250
|
Gouin
|
1973
|
TOTAL
|
549
|
4 998
|
|
Source : Hartog Thierry, « Le périmètre
sucrier de Banfora. (Haute-Volta) : du pouvoir technocratique aux
déboires paysans », Cahiers d'Outre-mer, n°142 - 36e
année, 1983, p. 130.
Observation : Ce tableau complète
l'analyse faite dans le document. Il donne les caractéristiques de tous
les villages touchés par le processus d'aménagement du
périmètre sucrier de Bérégadougou.
Page 150
Annexe 5 : Carte du chemin de fer Côte
d'Ivoire-Burkina Faso
Source : BNDT/IGB, Natural Earth, carte citée par
Savadogo Brahima, « Le chemin de fer Abidjan-Ouagadougou : une structure
de désenclavement et d?intégration du Burkina Faso en Afrique de
l?Ouest (1904-2017) », thèse de doctorat unique en Histoire
Africaine, Université de Ouagadougou, Laboratoire des Systèmes
Politiques, Economies, Religions et Sociétés en Afrique Noire
(SPERSAN), 2021 p. 34.
Description : Cette carte montre comment le
réseau ferroviaire a permis au Burkina Faso, pays enclavé,
d'acheminer ses équipements industriels depuis l'Europe en passant par
le port autonome d'Abidjan. En effet, une fois arrivé par bateau, le
matériel est chargé sur les wagons de la Régie
Abidjan-Niger (RAN) à Abidjan. De la gare d'Abidjan, le matériel
est transporté jusqu'à Banfora, grâce à liaison
ferroviaire qui a été réalisé à quelques
mètres de l'usine. Ce même réseau ferroviaire a
été utilisé pour acheminer le sucre produit par la SN
SOSUCO vers Bobo Dioulasso, Koudougou, Ouagadougou, Ziniaré et Kaya.
Page 151
Annexe 6 : Photographies des villas en ruine de la
cité des cadres de la SN SOSUCO
Impacts des intempéries
Villa en briques de ciment, secteur 1
Toiture inexistante
Absence d'entretien
Villa en briques de ciment, secteur 5
Moisissure
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de la cité
des cadres, novembre 2021.
Observation : Les photos montrent clairement
l'état de ruine de certaines villas de la première cité
construite dans le cadre du projet sucrier. Il s'agit de la cité des
cadres, qui comprenait à l'origine 28 villas résidentielles.
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Annexe 7 : Les variétés de canne et leurs
rendements
Variétés
|
Pays d'origine
|
Récolte (tonne de canne)
|
Superficie en pourcentage
|
Rendement en tonne/ha
|
Co997
|
Inde
|
116 291,76
|
42,77
|
76,76
|
R570
|
Île de la Réunion
|
92 928,040
|
34,01
|
77,74
|
PR1007
|
Porto Rico
|
23 624,94
|
8,58
|
77,74
|
DIVERS
|
Divers pays
|
12 815,78
|
5,01
|
72,27
|
SP701006
|
Brésil
|
13 475,85
|
4,58
|
83,08
|
SP711406
|
Brésil
|
5 007,57
|
2,26
|
62,59
|
B8008
|
Barbades
|
3 983,81
|
1,83
|
61,29
|
R579
|
Île de la Réunion
|
2 776,79
|
0,96
|
81,34
|
TOTAL
|
-
|
270 904,54
|
100,00
|
74,02
|
Source : Direction Culture/SN SOSUCO, Données sur
les variétés de canne à sucre, 2016, données
recueillies par Biaou O. D., « Améliorer la disponibilité
des coupeurs de canne à sucre sur un périmètre industriel
», op. cit., p. 18.
Observation : La diversité des
variétés de canne à sucre utilisées dans les zones
de culture de la SN SOSUCO est mise en évidence dans ce tableau. Cette
stratégie d'acquisition de plusieurs qualités de canne à
sucre permet à la société sucrière d'élargir
ses options variétales, de choisir la meilleure variété
disponible dans le monde afin de prétendre à des rendements plus
élevés.
Page 153
Annexe 8 : Quelques photographies des
équipements industriels
Un transporteur auxiliaire de canne à
sucre
Bac à cuire la canne à sucre
La sucrerie raffinerie
Moulin à cannes à sucre
Bac à sirop
Les 4 évaporateurs
Les 4 trémies de stockage
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de terrain de la
SN SOSUCO, Bérégadougou, novembre 2021.
Charpente des machines
Machine d'empaquetage du sucre en morceau
Ensacheuse de sucre granulé
Entrée principale à la SN SOSUCO
Centrifuge
Tableau de bord des
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de terrain de la
SN SOSUCO, Bérégadougou, novembre 2021.
Page 154
Observation : Nous présentons ici une
sélection des équipements de la SN SOSUCO.
Page 155
Annexe 9 : Des engins du parc automobile de la SN
SOSUCO
Ramasseur de canne coupée
Charriot élévateur
Source : ACE Développement Synergie, extrait
vidéo consulté le 20 mai 2022, URL : https://youtu.be/
Vul95akdGuA.
Camions Camion remorque
Source : Bancé Thomas Frank, Visite de terrain de la
SN SOSUCO, Bérégadougou, novembre 2021.
Observation : Selon le stade de la culture de
la canne à sucre, une partie du matériel est utilisée pour
assurer le bon déroulement des activités agricoles. L'autre
partie est utilisée exclusivement au sein des installations
industrielles.
Annexe 10 : Guide d'entretien (exemplaire)
Entretien n° avec une des Autorités
administratives/communales de la région des Cascades
|
Personne interviewée :
|
Date : Lieu : Durée :
|
Bancé Thomas Frank, Etudiant de Master
II en Techniques, Patrimoine et Territoire de l'Industrie (TPTI), promotion
2021-2023.
1. Que savez-vous de la Nouvelle Société
Sucrière de la Comoé (SN SOSUCO) ?
2. Quelles sont les relations de votre administration avec la SN
SOSUCO ?
3. Comment trouvez-vous ces rapports ?
1. Moins important 2. Important 3. Très important
4. Pensez-vous que la SN SOSUCO contribue au
développement socio-économique de la région des Cascades
?
1. Oui 2. Non
5. Si oui, comment la société sucrière
contribue-t-elle au développement socio-économique de la
région des Cascades ?
6. En quoi la SN SOSUCO est-elle différente des autres
industries de la région ?
7. Avez-vous des suggestions pour améliorer le
fonctionnement de la SN SOSUCO ?
Page 156
Page 157
8. Quelles sont vos recommandations pour cette étude ?
Source : Bancé Thomas Frank, octobre 2021.
Observation : Nous avons conçu ce
guide d'entretien pour canaliser nos entretiens et faciliter le traitement des
informations recueillies. Toutefois, nous tenons à préciser que
ce guide n'a pas été utilisé pour tous nos entretiens, les
personnes rencontrées ayant préféré souvent
s'entretenir avec nous plutôt que de se soumettre aux questionnaires du
guide.
Page 158
Annexe 11 : Transcription d'un entretien
réalisé à Banfora
Entretien réalisé avec Monsieur Nikiema Issa,
agent à la Direction régionale de l'économie de la
planification des Cascades.
Question 1 (Q1) : Que savez-vous de la Nouvelle
Société Sucrière de la Comoé (SN SOSUCO)
?
Réponse 1 (R1) : C'est l'entreprise
qui produit et vend le sucre au Burkina Faso depuis l'indépendance du
pays.
Q2 : Quelles sont les relations de votre administration
avec la SN SOSUCO ?
R2 : Nous avons de bonnes relations. Notre
direction relève du Ministère de l'Economie et de la
Planification Nationale. Pour cela, il contrôle toutes les entreprises
privées et publiques opérant dans les trois grands secteurs de
l'économie. Il s'agit des secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Et
comme la SN SOSUCO est une entreprise agro-industrielle, nous suivons ses
activités agricoles (secteur primaire) ainsi que ses activités
industrielles (secteur tertiaire). Notre suivi consiste à analyser
l'évolution de la société dans la région, afin
qu'elle soit prise en compte dans la planification économique future de
la région des Cascades, d'autant plus qu'elle occupe la première
place parmi les entreprises privées et agro-industrielles.
Q3 : Comment trouvez-vous ces rapports ?
R3 : Très intéressants. Nous
avons eu quelques rencontres avec des gestionnaires de la société
sucrière, pour surtout discuter de leurs rapports d'activité
annuels.
Q4 : Pensez-vous que la SN SOSUCO contribue au
développement socio-économique de la région des Cascades
?
R4 : Oui, évidemment. Vous savez, ici
dans la région des Cascades, lorsqu'on veut citer un exemple de
réussite de politique de décentralisation économique,
c'est la SN SOSUCO que tout le monde cite en exemple. Donc pour dire qu'elle
constitue une force économique majeure pour la région et pour le
pays de façon générale.
Page 159
Q5 : Si oui, comment la société
sucrière contribue-t-elle au développement
socio-économique de la région des Cascades ?
R5 : Elle participe au développement
socio-économique à travers le payement des taxes, la
création de milliers d'emplois, l'aide sociale aux populations
environnantes, la gestion des routes et des pistes. Je peux ajouter aussi les
subventions qu'elle accorde à l'éducation et aux activités
de la jeunesse. Elle a au moins un important impact sur la dynamisation du
secteur économique de la région.
Q6 : En quoi la SN SOSUCO est-elle différente des
autres industries de la région ?
R6 : Essentiellement, son impact
économique et social. Notre région abrite plus d'une dizaine
d'industries. Mais pour ma part, et même les statistiques le confirment,
la SN SOSUCO contribue beaucoup plus au développement de la
région que le reste des industries. Certes, il y a beaucoup à
dire sur son mode de fonctionnement, mais nous reconnaissons qu'elle fait du
mieux qu'elle peut pour contribuer au développement de la
région.
Q7 : Avez-vous des suggestions pour améliorer le
fonctionnement de la SN SOSUCO ?
R7 : (souriant) Pas vraiment de suggestions
en tant que telles. Mais nous serions plus heureux si la SN SOSUCO pouvait
augmenter sa production pour créer plus d'emplois pour les jeunes de la
région, dont nombreux sont toujours au chômage. C'est pour cela
l'État doit soutenir la SN SOSUCO, surtout qu'elle est notre seule
société sucrière.
Q8 : Quelles sont vos recommandations pour cette
étude ?
R8 : Nous nous réjouissions que les
étudiants s'intéressent à l'industrie sucrière.
Nous aimerions les encourager et leur dire de continuer ainsi pour faire
connaitre la société et la valoriser comme il le faut. Et nous
vous remercions d'être venus à notre service.
Source : Bancé Thomas Frank, entretien
réalisé le 4 novembre 2021 à Banfora.
Commentaire : Cet entretien nous a permis de
comprendre l'importance de la SN SOSUCO dans l'économie régionale
et la volonté des autorités administratives d'oeuvrer pour un
meilleur développement de l'industrie sucrière au Burkina
Faso.
Page 160
Annexe 12 : Transcription d'un entretien
réalisé à Bérégadougou
Entretien réalisé avec Monsieur Emma Youmati,
ouvrier-manipulateur latéral dans les champs de la
SN SOSUCO.
Thomas Bancé (T.B) : Comment s'appelle les
appareils d'irrigation ?
Emma Youmati (E. Y) : Les appareils d'irrigation sont
appelés par trois noms : pivot (P), latéral (L) et aspersion (A).
Moi je travaille que dans un secteur où se trouve que des
Latéraux, trois latéraux exactement. Il y a trois autres secteurs
en plus donc au total 4 secteurs d'irrigation.
T.B : Sur quelle séquence se font l'irrigation des
champs.
E. Y : Nous, on ne fait que suivre les instructions de la
direction culture. Donc c'est à nos supérieurs de nous donner les
périodes et la durée de chaque irrigation.
T.B : Comment les appareils d'irrigation arrivent
à traverser les champs de canne à sucre ?
E. Y : Pendant le labourage des champs, des espaces sont
laissés pour la circulation des roues des latéraux
(c'est-à-dire, appareil d'irrigation).
T.B : L'irrigation des champs commence à quelle
période de l'année ?
E. Y : Cette année, nous avons commencé les
premières irrigations en octobre.
T.B : Combien de temps passez-vous dans les champs en
tant qu'ouvrier agricole chargé de
l'irrigation ?
E. Y : La saison ici dure 9 mois. Vous commencez en octobre et
vous arrêtez en juin. Mais souvent, on ajoute 15 jours de travail pour
que les cannes reçoivent le maximum d'eau donc nous continuons jusqu'au
15 juillet. Ces 9 mois correspondent au nombre de mois nécessaires
à la croissance des plantes de canne à sucre.
T.B : Êtes-vous en train de dire que vous irriguer
les champs même quand il pleut ?
E. Y : Non, lorsqu'il y a les pluies, on arrête
l'irrigation des champs. Et quand les pluies se font rares pendant la saison
des pluies, nous relançons encore l'irrigation.
Page 161
T.B : Depuis quand travaillez-vous comme manipulateur
latéral pour la SN SOSUCO ?
E. Y : Moi, on m'a recruté depuis 2012 avec le niveau
BEPC (Brevet d'études du premier cycle). Cela fait donc aujourd'hui 9
ans que je suis là. Malgré mon ancienneté, j'ai toujours
le statut d'un ouvrier contractuel. Si l'entreprise marchait normalement, je
devais être maintenant un employé permanent et non temporaire.
T.B : Quelles sont vos conditions de travail en tant que
manipulateur latéral ?
E. Y : Nous travaillons par équipe de quatre personnes
allouée à la manipulation de chaque latéral
(c'est-à-dire, appareil d'irrigation). Chaque manipulateur a
droit à un jour de repos dans la semaine. Mon prochain jour de repos,
c'est le mardi. Ensuite, chaque manipulateur travaille pleinement durant 1 mois
et se met en repos le mois suivant jusqu'à ce que les 9 mois de travail
d'irrigation soient atteint.
T.B : Êtes-vous payés pendant vos mois de
repos ?
E. Y : Justement non. Nous devenons des chômeurs durant
nos mois de repos et cela nous rend la vie dure surtout que nous ne pouvons pas
trouver un travail durant ce mois de repos. Vraiment, notre travail est
souffrant pour un homme qui a une famille, des enfants. C'est pour cela sur le
plan national on invite la jeunesse à entreprendre. Si tu arrives
à entreprendre, tu as ton propre argent. Ou bien, on te recrute dans la
fonction publique. Si non ici, la vie est difficile ici.
T.B : Combien gagnez-vous par mois en tant que
manipulateur latéral ?
Avec mon niveau BEPC, si j'arrive à travailler pleinement
dans un mois, je peux gagner jusqu'à 70
000 FCFA.
T.B : Avez-vous chercher à améliorer vos
conditions de travail ?
E. Y : Non, puisqu'on est nombreux à rechercher le
même travail. Donc si su te plains beaucoup, on ne t'appelle plus la
campagne prochaine et on te remplace par un autre sur la liste d'attente. Ceci
empêche les luttes ici. Les ouvriers des 4 secteurs d'irrigation
s'étaient réunis dans un bureau central pour porter nos
revendications. De ces revendications, la responsable de la DRH a
accepté d'engager 5 ouvriers contractuels par secteur comme des
employés permanents, soit 20 ouvriers. Mais après cela, ils ont
cassé notre lutte et depuis lors, personne n'a encore été
engagé de nouveau car notre bureau est cassé. S'il y a un
problème actuellement, c'est sauve qui peut.
T.B : Les accidents de travail sont-ils pris en charge
?
E. Y : Sur les papiers oui, mais en pratique non. Lorsque ce
sont des petits accidents, tu peux aller te faire soigner dans le centre de
santé de l'usine. Mais quand ton AT (accident de travail) est
grave, tu risques de ne pas être pris en charge par la
société. En 2013, je suis tombé d'un véhicule 4x4
dans le cadre du travail mais j'ai jamais bénéficier des frais
d'accident de travail malgré mes pièces justificatives.
T.B : Quelles difficultés rencontrez-vous dans
votre travail ?
L'insécurité dans notre travail, surtout les
nuits. Nous sommes exposés à des êtres mystiques
(génies), au froid et à la solitude. Il y a aussi des
malfrats qui viennent pour voler le gasoil utilisé pour alimenter les
moteurs des appareils. Nous risquons nos vies en surveillant les appareils.
Nous avons suggéré à l'entreprise de constituer des
équipes de binômes mais sans succès. C'est Dieu qui nous
protège ici.
T.B : Quels sont vos projets d'avenir ?
E. Y : Pour l'instant, chaque année je tente les
concours de la fonction publique sans succès. Mon but c'est d'arriver
à intégrer le concours des enseignants du primaire. Comme cela,
je pourrai joindre les deux bouts avec ma famille.
Source : Bancé Thomas Frank, entretien
réalisé le 8 novembre 2021 à Banfora.
Commentaire : Cet entretien a pris la forme
d'une discussion générale qui a duré plus d'une dizaine de
minutes car la personne interviewée voulait en savoir davantage sur nous
et soumettre certaines doléances d'ordre personnel. Toutefois, nos
échanges nous ont permis de toucher du doigt les conditions de travail
des ouvriers (surtout ceux qui travaillent dans les champs) et de connaitre
davantage le fonctionnement du système d'irrigation des parcelles de
canne à sucre.
Page 162
Fin du mémoire
|