Premier chapitre
CONSIDERATIONS GENERALES SUR LES PARIS SPORTIFS
Dans ce chapitre, nous développons tour à tour
quelques notions spécifiques qui entretiennent un rapport étroit
avec les paris sportifs et ce, pour la compréhension de la suite de
l'étude. Pour ce faire, il se structure en deux sections. La
première propose une recension des écrits de quelques devanciers
qui ont eu à aborder ce sujet et à émettre leur avis
à propos du déroulement de cette activité dans leurs
sociétés respectives. Quant à la seconde, au regard du
caractère complexe de cette activité qui est fonction du contexte
particulier de chaque société, nous exposons les
généralités sur les paris sportifs.
1.1. REVUE DE LA LITTERATURE
Grâce à la voie que nous avons choisie pour
traiter cette thématique, nous tenons à souligner l'existence
d'une abondante littérature sur les JAH. C'est celle-ci qui nous a
permis de déblayer le terrain en nous offrant la possibilité de
nous rendre compte de nombreux aspects se rapportant à cette question
avec pertinence. Toutefois, il sied de souligner que si dans certains pays,
cette littérature est foisonnante, tel n'est pas le cas en RDC où
il se remarque une absence d'études scientifiques centrées
essentiellement sur ce sujet. Cette carence est liée non seulement au
manque d'intérêt de la part de ses chercheurs, mais aussi au
déficit d'attention que prête le pouvoir public sur cette question
qui gangrène chaque jour les habitudes de la population
Congolaise.
En effet, dans le cadre de la présente étude,
nous nous sommes intéressé au travail de l'historien Huizinga
(18(*)) qui, après
tant d'années d'observation de ces jeux dans sa société,
est arrivé au constat selon lequel les jeux n'étaient
considérés rien plus que comme une activité mineure. C'est
de là qu'il a réussi dans son oeuvre Homo ludens,
à relancer l'intérêt des philosophes contemporains pour les
questions en rapport avec les jeux dans les communautés humaines. Pour
lui, le jeu est une activité pourvue de sens et qui donc procure
à l'homme un sentiment de tension et de joie que renforce l'incertitude
sur les issues de la partie. Dans cette conception universaliste du jeu,
Huizinga affirme que « tout provient du jeu, plus ancien que la
culture, il se retrouve partout dans la mesure où l'on peut
considérer n'importe quelle activité sous l'angle du jeu »
(19(*)). Mais cette
pensée universaliste du jeu sera attaquée par un autre courant
composé de M. Klein et DW. Winnicot qui trouvent que, rien n'est dans la
nature, pas même le jeu, puisque tout est déterminé.
De manière générale, le
déroulement des JAH ne date pas de la dernière pluie. C'est un
sujet qui a suscité autant des querelles aussi morales
qu'éthiques dans presque toutes les sociétés, mettant
ainsi en opposition d'un côté, les courants prônant sa
prohibition et de l'autre, celui qui défend les intérêts
des Etats en prétextant que ces jeux constituent une forme de taxe que
les citoyens ont le plaisir de payer (20(*)).
Dans le courant religieux par exemple, l'histoire nous
renseigne à travers l'étude de J. Järvinen-Tassopoulos, que
le catholicisme dans sa conception, a contribué à la
diabolisation, à la stigmatisation, voire à la condamnation de
tout argent provenant de cette activité au motif qu'il est une
manière illicite de s'enrichir. De l'autre côté, le
protestantisme rejette les gains découlant d'un autre moyen que le
travail. Quant à l'islam qui avance une position proche de celle des
catholiques, ces jeux sont considérés comme des activités
immorales dans la mesure où, quelqu'un peut accumuler de la richesse
sans aucun effort, alors qu'une autre personne en devient la victime (21(*)).
Cependant, dans la grande majorité des pays à
travers le monde, le déroulement de ces jeux fut prohibé par les
autorités pour diverses raisons, notamment la préservation de
l'ordre social, car pour eux, les dommages causés par les jeux
dépassent de très loin ses bienfaits. Par ailleurs, même
pendant la période de sa prohibition, une partie des citoyens trouvait
toujours le moyen de contourner la règle et de s'adonner à cette
pratique de manière illégale. Ainsi, fort de son attirance
auprès de la population, la pratique des JAH a su traverser les
différentes cultures et civilisations. Au regard de ses
complexités et de ses rebondissements récurrents, Lavigne J-C.
qualifie l'histoire des JAH de chaotique (22(*)).
Nonobstant, le débat qui, jadis, entourait la logique
éthique et morale n'est plus l'actualité aujourd'hui, car il est
maintenant tourné vers les problèmes qu'engendrent ces jeux
auprès de ses consommateurs. En soi, les jeux constituent un moment de
récréation, de divertissement et de loisir pour tous ceux qui
jouent de manière contrôlée. Ils deviennent un
problème lorsqu'une personne perd le contrôle puisque ceci
s'accompagne des conséquences négatives d'ordre social, personnel
ou professionnel. L'identification des modèles théoriques pour
essayer d'expliquer le développement des troubles liés à
la pratique des JAH et ses facteurs de risque, a fait et continue de faire
l'objet de nombreuses études.
Parmi les modèles théoriques
élaborés jusque-là par différents auteurs, le plus
consensuel est celui que proposent Blaszczynski et Nower (23(*)), qui sont parvenus à
décrire les trois types de profil de joueur problématique :
les joueurs problématiques au comportement conditionné, les
joueurs problématiques émotionnellement vulnérables et les
joueurs problématiques antisociaux-impulsifs. Et pour ce qui est
des facteurs de risque, plusieurs études ont été
réalisées pour ce but, notamment, celle menée par
l'Institut national de santé médical, en 2008 basée sur
une expertise collective de plusieurs auteurs qui s'appuient sur les
données scientifiques de plus de 1.250 articles disponibles jusqu'au
premier trimestre 2008 (24(*)).
Cette étude de grande envergure a su concilier les
différentes approches (sociologiques, psychologiques et
médicales) qui semblaient, à première vue, difficiles
à réunir dans une même dynamique de travail. Au regard de
cette étude, il ressort que les facteurs de risque résident au
niveau du joueur, de l'environnement et du jeu lui-même.
Par ailleurs, la proportion de joueurs problématiques
diffère selon le type de jeu le plus pratiqué par les joueurs.
C'est ainsi qu'en raison de sa structure (diverses options, mises importantes,
fréquence, ...), Williams R.J. et compagnie (25(*)) ont fait remarquer que les
paris sportifs constituent la seconde forme des JAH, après les appareils
de loteries vidéo (ALV), la plus fréquemment associée au
facteur pathologique. Cette structure du jeu permet au parieur de
dépenser des montants considérables, de jouer plusieurs fois par
semaine et surtout de réaliser plusieurs mises par séance. Ces
types de comportements, ainsi que le souligne Currie et alii., suggèrent
des habitudes qui dépassent largement les recommandations d'un jeu
à faible risque et contribuent aux problèmes de jeu (26(*)).
Mais malgré tous les risques liés à une
pratique excessive que courent ces joueurs, les paris sportifs ne cessent de
s'intensifier ce dernier temps. Depuis la survenance de l'internet, les paris
sportifs sont entrés dans l'ère numérique permettant aux
parieurs de placer leurs pronostiques en ligne sans se déplacer. En
effet, dans son article publié en 2011 et qui porte sur la
révolution numérique des jeux d'argent, Christophe
Blanchard-Dignac atteste que l'avènement de l'internet intervenu vers la
fin des années 1990, a chamboulé le segment des paris sportifs
où il se remarque une exubérance de l'offre et de nouvelles
formes de paris (27(*)).
Toutefois, avant cette date, cet auteur fait observer que les paris mutuels
représentaient la forme de pari la plus populaire dans le monde,
exception faite aux quelques pays comme le Royaume-Uni, l'Italie avec le
Totocalcio ou la France avec le Loto sportif. Ces jeux
faisaient gentiment rêver leurs consommateurs qui prétendaient
toucher le gros lot en pronostiquant sur les quinze vainqueurs des principaux
matchs de football se jouant pendant le week-end.
Fort du succès recueilli par les paris à
côte qui ont pour spécificité l'avantage de permettre aux
parieurs de connaitre à l'avance leur gain, les opérateurs des
paris sportifs ont développé une gamme de paris
dérivés (paris sur le score exact, le vainqueur à la
mi-temps, etc.), avant de proposer des paris pendant la rencontre (le live
betting, où les côtes sont réévaluées par des
traders en fonction de l'évolution du match). Aussi, il n'est
pas étonnant de trouver chez un même opérateur ou sur un
même site de paris en ligne, les paris sportifs simultanés des
différents sports se déroulant presque dans toutes les
régions du monde.
Cependant, la notion des paris sportifs est sans
équivoque, intrinsèquement liée à l'enjeu qui
résulte à l'issue de sa pratique. Dans son sens le plus large, le
pari est un contrat financier dont l'objectif final de chaque signataire est de
tirer profit des mises des autres signataires. C'est ainsi qu'en misant,
l'objectif qui hante dans l'esprit du parieur, est de gagner un gain. Dans
ce monde ludique de paris sportifs, l'enjeu monétaire constitue le socle
de son attractivité à travers le temps et l'espace, même
si, dans le chef de certains auteurs, à l'instar de Martignoni J-P. qui
évoque que l'argent, une fois misé, peut devenir un «
instrument au service d'une pratique » et que « le joueur ne joue pas
que pour l'argent » (28(*)), essayent de relativiser l'aspect monétaire
comme l'unique raison qui motive un joueur.
Toutefois, il faut relever que cette dédramatisation
est mise plus en évidence au niveau des jeux où la
compétence est aussi déterminante que le hasard. Dans ce cas
précis, l'argent ne constitue qu'un enjeu facultatif dans la mesure
où, l'utilisation ou la planification de certaines stratégies ou
tactiques, peut suffire pour générer d'autres plaisirs que ceux
monétaires comme l'épilogue Roger Caillois. Pour cet auteur,
« le désir de voir reconnue son excellence dans un domaine
donné » donne aux joueurs la possibilité d'être
engagés par des aspirations autres que la recherche du profit (29(*)).
A notre avis, cette pensée ne semble pas encadrer avec
la nature des paris sportifs malgré son appartenance à la
catégorie des jeux semi-hasard où l'habilité des parieurs
influence, en partie, le résultat final. C'est ainsi dans le souci de
dégager la part de chaque composante dans le résultat final des
paris sportifs, Mercier J. (30(*)) a tenté de recenser bon nombre des travaux
publiés entre 1980 et 2014, portant sur le rôle de chacune de ces
composantes. Il se dégage dans cette littérature que sur cinq
études examinées, trois ont montré que les parieurs
prédisent mieux les résultats sportifs que le hasard, mais que
cela ne se traduit pas en gains financiers en raison de la structure du jeu.
Si la structure du jeu fait obstacle à la maximisation
des gains financiers, Di Gaspero M. (31(*)) étudie pour sa part, les variables qui
peuvent évaluer la performance des parieurs sportifs sur internet. De
son entrevue semi-dirigée réalisée avec les parieurs
sportifs, émergent trois facteurs majeurs. Le premier facteur est
l'importance de la recherche d'information spécifique sur un
évènement sportif à propos duquel leur connaissance des
faits, des actualités et des statistiques est trop limitée. Ce
qui revient à dire que, placer un pari « à
l'aveuglette » basé uniquement sur la recherche d'information
interne ne semble pas être une méthode garante de succès.
Le deuxième facteur est lié aux principes que se fixent les
parieurs pour pouvoir sélectionner les bons évènements
sportifs, les bons types de pari et les bons résultats. En dernier lieu,
cette entrevue révèle que l'expérience accumulée
par un parieur après de nombreuses erreurs constitue tout aussi un
facteur qui influence sa performance.
* 18 HUIZINGA, J., Homo
ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris, Gallimard, 1951.
p.23.
* 19Idem, p.79.
* 20LAVIGNE, J.-C.,
« Les jeux d'argent », in Revue d'éthique et de
théologie morale, n°262, 2010, p. 3.
*
21JÄRVINEN-TASSOPOULOS, J., « Les jeux d'argent : un
nouvel enjeu social ? », in De Boeck Supérieur,
n°23, 2010, p. 5.
* 22LAVIGNE, J.-C.,
op.cit., p.3.
* 23BLASZCZYNSKI et NOWER
cité par SASHA M., Etude des motivations, des cognitions et des
émotions chez les joueurs de jeu de hasard et d'argent,
Thèse de doctorat en Psychologie, Université Paris Descartes,
2018, p.326.
* 24 INSERM, Jeux de
hasard et d'argent : Contextes et addictions, Paris, Editions Inserm,
2008, p.108.
* 25 WILLIAMS, R.J.,
cité par MERCIER, J., Cognitions des parieurs sportifs,
Thèse de Doctorat en Psychologie, Université Laval,
Québec-Canada, 2019, p.76.
* 26 CURRIE et alii cité
par MERCIER, J., op.cit., p.108.
* 27 BLANCHARD-DIGNAC, C.,
« La révolution numérique des jeux
d'argent », in Pouvoirs, n° 139, 2011, p.9, disponible
en ligne sur :
https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2011-4-page-25.htm
* 28 MARTIGNONI-HUTIN, J.-P.,
Faites vos jeux, Paris, L'Harmattan, 1993, pp. 207 et 211.
* 29 CAILLOIS, R.,
op.cit., p. 52.
* 30 MERCIER, J., op.cit.,
p.79.
* 31 DI GASPERO, M.,
op.cit., p.78.
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