3.1.1. La lumière
L'environnement lumineux sous-marin est très variable
et dynamique car la lumière, qui passe à travers l'eau, est
absorbée et dispersée par les molécules et les particules
d'eau. Les algues, comme les plantes terrestres, utilisent la
photosynthèse rayonnement actif ou photosynthetic active radiation
(PAR), qui est la portion de lumière disponible pour la
photosynthèse. Leur développement dépend essentiellement
de la lumière disponible pour la photosynthèse, de sa
quantité en termes d'intensité et de sa qualité en termes
de spectre. Cette lumière est soumise à des changements
momentanés, diurnes et saisonniers (Talarico et Maranzana, 2000).
L'intensité lumineuse reçue à la surface de l'eau
dépend de la profondeur de la colonne d'eau et des
phénomènes d'absorption et de diffusion. Ces
phénomènes sont liés à la présence de
phytoplanctons, de la matière organique dissoute, des particules en
suspensions et de l'eau en elle-même (Loiselle et al., 2008). En
effet, la variation de l'un de ces composants a une incidence sur la
pénétration de la lumière dans la colonne d'eau.
Les Gracilaires nécessitent généralement
une intensité lumineuse élevée pour une croissance
normale. Par exemple, l'intensité lumineuse optimale pour Gracilaria
lemaneiformis est de 40 à 60 umol.m- 2.s- 1
(Lei, 2007 ; Zhao, 2007). Cependant, lorsque les algues sont cultivées
dans la mer, soit suspendues horizontalement à différentes
profondeurs dans la plupart des cas, soit parfois verticalement dans la colonne
d'eau, elles sont soumises à une grande fluctuation de la
disponibilité de l'éclairement énergétique due
principalement aux profondeurs de l'eau, au jour et à l'auto-ombrage.
12
Selon Talarico et Maranzana (2000), les rhodophycées
développent généralement des mécanismes
d'adaptation à la quantité et à la qualité de la
lumière en développant des stratégies et des
mécanismes d'adaptation à échelle individuelle impliquant
des changements dans l'anatomie du thalle et des parois cellulaires ainsi que
dans la structure chloroplastique et thylacoïdale, cellulaires (adaptation
à court terme) et moléculaire (adaptation à long terme)
à travers une modification dans la pigmentation et dans la composition
de la membrane photosynthétique. Certaines espèces de
rhodophycées semblent capables d'adapter leurs caractéristiques
photosynthétiques à des conditions supérieures ou
inférieures aux gammes optimales d'irradiance. Elles s'adaptent à
ces fluctuations environnementales avec un potentiel d'acclimatation
photosynthétique plus élevé, ce qui leur permet de
transformer leurs caractéristiques photosynthétiques de concert
avec les modifications des niveaux de lumière dans leur habitat naturel.
Xu et Gao (2008) ont étudié la réponse de G.
lemaneiformis à la réduction du rayonnement solaire à
des profondeurs accrues. Ils ont constaté que cette algue est capable
d'augmenter le contenu cellulaire des pigments photosynthétiques et de
diminuer ainsi la teneur en composés en absorbant les ultraviolets
(UVAC) pour atténuer le faible rayonnement solaire. Cette
stratégie peut permettre à l'algue de capter plus de
lumière pour la photosynthèse et de réduire le coût
métabolique de la production des produits secondaires et des UVAC (Xu et
Gao, 2008).
La lumière est l'un des facteurs environnementaux les
plus importants influant sur la croissance et le développement des
gracilaires. Nejrup et al. (2013) ont montré que le taux de
croissance de Gracilaria vermiculophylla augmente significativement
avec la lumière. Selon les mêmes auteurs, le taux de croissance le
plus élevé (0,045 #177; 0,001 % jour - 1, moyenne #177; DS)
était observé pour la combinaison de 20 °C et de 225
ìmol de photons jour-1.s-1. Cependant, G.
vermiculophylla est capable de pousser avec de très faible
luminosité (<1 ìmol de photons m- 2. s-
1) et à haute température allant jusqu'à au moins 25
°C. À une température de 30 °C, une respiration
élevée dépasse la photosynthèse (Mensi et al.,
2014).
L'intensité lumineuse reçue à la surface
de l'eau diminue proportionnellement avec la profondeur selon la loi de
Beer-Lambert (Iz = I0· e- Kd · Z) (Mensi et al.,
2014). Buschmann et al. (1995) montrent que les gracilaires sont
capables de se développer dans des profondeurs atteignant les 8 à
10 m, sauf qu'au-delà de 4-5 m, la croissance et la biomasse sont
largement affectées, surtout dans les milieux troubles qui ne laissent
pas passer la lumière.
13
L'espèce Gracilaria gracilis supporte de
très fortes intensités lumineuses allant jusqu'à 1000
ìmol m-2s-1. A cette intensité, les frondes
se décolorent et la croissance s'arrête (Mensi et al.,
2014). La durée de vie des thalles dépend des valeurs
extrêmes de l'intensité lumineuse et de l'adaptation de l'algue
aux conditions de stress lumineux. Selon Ksouri et al. (1999), dans la
lagune de Bizerte et à des profondeurs inférieures à 3 m,
la croissance de G. gracilis s'arrête fin mai sous l'effet d'un
ensoleillement trop fort. De même, les gracilaires semblent capables de
supporter de très faibles intensités lumineuses allant
jusqu'à 80 ìmol. m-2. s-1.
3.1.2. Température et
salinité
Les taux de croissance des végétaux marins sont
largement influencés par les saisons. Ils se caractérisent par
une augmentation pendant le printemps et l'été, et une chute
pendant l'automne et l'hiver. Chez les algues rouges, la croissance est
influencée par l'insolation, la salinité et la température
ou par une interaction entre ces différents facteurs (Friedlander et
al., 1990 ; Marinho-sorino et al., 2006).
La température a une influence considérable sur
la distribution saisonnière et géographique, ainsi que le taux de
croissance de Gracilaria. Selon Yang et al. (2015), plus de
100 espèces des gracilaires ont été décrites dans
le monde et elles se développent principalement dans les zones
tempérées, subtropicales et tropicales, une corrélation
entre la température de l'eau et la croissance a été
signalée par Silkin et Mironova (2007). En effet, la plupart des
espèces de Gracilaria enregistrent une croissance maximale, et
probablement une production, dans les zones d'eaux chaudes
caractérisées par des températures comprises entre 25 et
30°C, mais certaines ont une limite supérieure au-delà de
laquelle la croissance peut être réduite ou même
arrêter par les basses températures (McLachlan et Bird, 1986).
Wang et al. (1984) ont observé que G. gracilis a
disparu dans les zones où la température de surface de l'eau de
mer dépasse 30 °C. Lefebvre, (1968) montre qu'une basse
température empêche l'apparition de frondes ; mais elle favorise
le développement du disque basal qui constitue un moyen de survie et de
résistance vis à vis aux différents facteurs du stress. Un
hiver très froid pourrait détruire les frondes alors que la base
résiste pour assurer la croissance l'année suivante.
Dans des conditions de culture en eau de mer enrichie en
nutriments, le TCS (Taux de Croissance Spécifique) quotidien de
Gracilaria coronopifolia était positivement
corrélée à une température allant de 15 à 35
°C, atteignant un taux de production maximal à 30 °C (Tsai
14
et al., 2005). La température favorable pour
la croissance de G. lemaneiformis varie de 12 à 23 °C.
Lorsque la température de l'eau est inférieure à
10°C, le TCS moyen des espèces de Gracilaria devient
négatif et lorsqu'elle dépasse les 26°C, l'algue meurt.
Donc, la période de croissance de G. lemaneiformis est
d'environ six mois (Yang et al., 2015). La température de l'eau
contrôle la croissance de cette algue, ce qui en fait l'un des facteurs
limitants les plus importants. Elle peut également influer sur plusieurs
processus physiologiques, tels que les taux de diffusion et d'absorption des
nutriments. Des études antérieures ont montré que le taux
d'absorption de NO3- par Gracilaria tikvahiae augmente avec
l'augmentation des températures (Yang et al., 2015).
De nombreux chercheurs considèrent la
température et la salinité comme deux facteurs fondamentaux de
contrôle de la croissance saisonnière dont il est difficile de
séparer leurs effets. D'après Mensi et al. (2014), il y
a une interaction entre la salinité et la température pour la
croissance de G. gracilis. En effet, avec une température
comprise entre 20 et 30 °C et une salinité comprise entre 25 et 30
%o, la croissance est optimale. Cependant, une chute de la croissance a
été enregistrée avec des températures se situant
entre 25 et 30 °C et une salinité inférieure à 25
%o.
Les algues rouges marines dans leur ensemble sont
considérées comme sensibles aux conditions mésohaline
(5-18 %o), relativement peu de représentants étant
enregistrés pour des salinités inférieures à 15 %o
(Coutinho et Seeliger, 1984). En général, les algues du genre
Gracilaria sont euryhalines. Cependant, McLachlan et Bird (1986) ont
montré que certains gracilaires (G. tikvahiae et G.
coronopifolia) présentent une croissance maximale uniquement
à des salinités inférieures à 30 %o, tandis que
d'autres (G. gracilis et Gracilaria sp.) préfèrent des
milieux plus concentrés. Des résultats obtenus avec G.
tikvahiae suggèrent également une préférence
pour les habitats saumâtres (Connor, 1980). De même pour G.
gracilis (Mathieson et al., 1981). McLachlanet Bird (1986) ont
montré que la plupart des espèces de Gracilaria ont une
croissance limitée à des salinités inférieures
à 33 %o et 43 %o représente la salinité la plus
élevée à laquelle le genre se trouvait.
L'algue G. gracilis semble capable de supporter une
large gamme de variation des salinités (Turan et al., 2006). En
effet, elle est présente à des salinités
inférieures à 20 %o dans la mer Baltique, à des
salinités d'environ 17,5 %o dans la mer Noire et à environ 38 %o
en Méditerranée (Ketchum, 1983). Cependant, le succès
écologique de G. gracilis dans différents
15
régimes de salinité peut reposer sur une
adaptation écotypique ou sur une réduction de la concurrence
d'espèces moins halotolérantes. Simonetti et al. (1970)
ont rapporté que des peuplements presque purs de cette espèce
prospèrent durant la saison de leur croissance dans une plage de
salinité allant de 5 à 23 %o. À l'exception de G.
gracilis, même les gracilaires qui se développaient
raisonnablement bien à 45%o et pouvaient donc également se
développer à des salinités plus élevées mais
toujours inférieures à 60 %o, ont atteint leur croissance
maximale dans la partie inférieure de leur plage de tolérance
à 30 %o ou moins. Cirik et al. (2010) montrent que la
production optimale de G. gracilis a été
déterminée à 42 %o.
L'amplitude des fluctuations saisonnières et annuelles
de la température et de la salinité qui caractérisent la
lagune de Bizerte explique les fortes variations de croissance des gracilaires.
En se basant sur les études de Mansouri (1996), il paraît que dans
la lagune de Bizerte, la période correspondant aux conditions optimales
de croissance de Gracilaria gracilis est très courte et ne
dépasse pas deux mois (Mars-Avril). En effet, durant la période
pluvieuse, les précipitations provoquent une chute de la salinité
jusqu'à des valeurs inférieures à 28%o. Par contre,
pendant la saison estivale, les eaux du lac ont une salinité tout
à fait similaire à celle de l'eau de mer (38 %o) pouvant
atteindre des valeurs extrêmes de 41 %o.
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