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Les déterminants géopolitiques des difficultés de la gestion communautaire des conflits en Afrique de l'Ouest. La CEDEAO face au règlement de la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte-d'Ivoire.


par Christophe C. H DAVAKAN
Institut de Relations Internationales et Stratégiques - Paris - Master 2 en stratégie internationale 2018
  

Disponible en mode multipage

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Paris, Septembre 2018

 

INSTITUT DE RELATIONS INTERNATIONALES ET STRATÉGIQUES Paris - FRANCE

Master

ANALYSTE EN STRATÉGIE INTERNATIONALE

Thème :

LES DÉTERMINANTS GÉOPOLITIQUES DES DIFFICULTÉS DE
LA GESTION COMMUNAUTAIRE DES CONFLITS EN AFRIQUE
DE L'OUEST : LA CEDEAO FACE AU RÈGLEMENT DE LA
CRISE POST-ÉLECTORALE DE 2010-2011 EN CÔTE D'IVOIRE

Présenté par: Christophe C. H. DAVAKAN

Sous la Direction de : Samuel NGUEMBOCK

Docteur en Sciences Politiques

2

REMERCIEMENTS

Nous voudrions présenter avant tout nos remerciements au Référant de notre filière à l'IRIS, monsieur Maxime PINARD,

qu'il reçoive ici le témoignage de notre gratitude pour son soutien pédagogique et la motivation qu'il a su nous insuffler pendant nos moments de doute et d'hésitation ;

nos remerciements vont également au Dr. Arthur BANGA pour son assistance et son soutien ;

nous adressons enfin nos remerciements au Dr. Samuel NGUEMBOCK pour sa patience et son éclairage scientifique dans la réalisation de ce travail ;

DEDICACE

Pour ma famille en guise de réconfort pour les privations engendrées par les impératifs de mon cursus dont le présent travail est l'aboutissement.

« Pour éviter que les conflits, ne s'installent dans la durée, dialogue et diplomatie souverains en sont les clés. »

3

Monique MOREAU

4

Sommaire

Introduction Générale

7

I- Cadre théorique

9

1- Problématique et objectifs du travail

9

2- Justification de l'étude

.12

3- Champ de l'étude

.14

4- Approche définitionnelle de quelques notions

.15

Première partie : La CEDEAO et les sources de la crise post-électorale en Côte

d'Ivoire

19

Chapitre I : La CEDEAO et ses outils de prévention et de gestion des conflits

.É21

A- Présentation de la CEDEAO

22

1- Création et objectifs de l'organisation

22

2- Organes et institutions de la CEDEAO

24

 

B- L'architecture de prévention, de gestion, de règlement, de paix et de sécurité de la

CEDEAO 29

1- Les premiers efforts communautaires en matière de paix et de sécurité sous-régionalesÉ29

2- Le mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de paix et

de la sécurité de la CEDEAO 31

3- Le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance . 33
Chapitre II : Le passif de la crise de 2002-2007 et les soubresauts de la médiation de la

CEDEAO 36

A- Les causes profondes de la crise ivoirienne de 2002-2007 . 37

1-

5

Les causes internes de la crise .37

2- Les causes liées à l'instabilité sous-régionale ouest-africaine 41

B- L'implication de la CEDEAO dans le processus de rétablissement de paix 43

1- La CEDEAO face aux impondérables de la crise 44

2- Les espoirs déçus de la CEDEAO 47

Deuxième partie : De la crise post-électorale au rétablissement de la légitimité

constitutionnelle 51

Chapitre I : La médiation de la CEDEAO . 52

A- Le volontarisme communautaire à l'épreuve de l'urgence ivoirienne . 53

1- Les bons offices de la CEDEAO 53

2- Le spectre d'une intervention militaire de la CEDEAO 55

B- Le choc de la médiation de la CEDEAO avec les ambitions de puissances régionales du

Nigéria et de l'Afrique du Sud 56

1- L'activisme du Nigéria ou la preuve à la communauté internationale d'un attachement à la

démocratie 57

2- La défiance sud-africaine 60

Chapitre II : L'enlisement de la médiation de la CEDEAO et la montée en puissance de la

diplomatie française 63

A- La médiation à l'épreuve de la géopolitique intracommunautaire 64

1- Les activistes secondaires de l'option militaire 65

1.1- Le Burkina-Faso ou le souci de se débarrasser d'un fardeau économique et socialÉ 65

1.2- La fermeté sénégalaise ou l'heure des comptes entre Wade et Gbagbo 68

2- Les Etats opposés à une intervention militaire 69

6

2.1- Le cas du Ghana : éviter un afflux migratoire massif sur le territoire national tout en

ménageant le `'camarade» Gbagbo 69

2.2- Le cas du Libéria ou le souci de protéger une situation intérieure encore très précaireÉ71

B- La France aux commandes du règlement de la crise

.73

1- Un mandat de l'ONU au nom de l'impératif humanitaire

.75

2- L'épilogue de la crise ou le coup de grâce des forces françaises contre Gbagbo

.76

 

Conclusion

.79

Bibliographie

.81

Annexes

 

7

A sa création le 28 Mai 1975 la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest s'est fixée comme objectif majeur la coopération et l'intégration économiques des Etats membres. Mais face aux nombreux conflits politiques qui ont commencé à agiter un certain nombre de pays, les Chefs d'Etats et de gouvernement ont pris conscience que sans un environnement politique stable l'objectif de développement et d'intégration économiques visé par l'organisation sous régionale risquait d'être compromis. Ainsi, confortant l'idée de Robert Dussey selon laquelle « la paix et la sécurité en Afrique ne peuvent être imposées de l'extérieur. La responsabilité première revient aux dirigeants africains » 1 , le 24 juillet 1993 une révision du traité fondateur de l'Organisation a été adoptée pour y introduire la coopération politique, et l'action en faveur de la paix et de la sécurité régionales. Cette volonté politique au sommet s'est progressivement traduite dans les actes par la mise en place d'un dispositif de maintien de la paix, de prévention et de règlement des conflits. Ainsi, lancé en 1990 pour faire face à l'urgence humanitaire que nécessitait le conflit libérien par la mise en place des forces armées de la CEDEAO, baptisées ECOMOG2, le dispositif sera formalisé par un instrument juridique en 1999 : le protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement, de maintien de la paix et de la sécurité. Pour renforcer l'action préventive en se donnant les moyens de s'attaquer aux causes récurrentes des conflits, l'organisation régionale complète en décembre 2001 son arsenal juridique par un protocole additionnel sur la bonne gouvernance et la démocratie.

Dans le contexte de succession de crises politiques qui a tourmenté la sous-région dès le lendemain de la fin de la guerre froide et de l'atermoiement des grandes puissances à continuer à jouer les pompiers en Afrique, cette initiative ouest africaine constitue une indéniable avancée. Mais à l'épreuve, force est de constater que ce dispositif de paix que la CEDEAO peut se targuer d'être la première organisation régionale sur le continent à avoir réussi à inventer, éprouve beaucoup de difficultés dans sa mission de maintien et de rétablissement de la paix. Dans sa mise en oeuvre, le mécanisme a « révélé les limites des capacités politiques et diplomatiques de l'organisation, mais aussi la faiblesse de ses moyens

1

DUSSEY, (Robert), Pour une paix durable en Afrique, plaidoyer pour une conscience africaine des conflits, Abidjan, Les Editions Bognini, 2002, P19

2

ECOWAS Monitoring Group ou Groupe de contrôle du cessez-le-feu de la CEDEAO. Cette

force largement dominée et contrôlée par le Nigeria était composée de contingents issus de huit pays de l'Afrique de l'ouest.

8

organisationnels et logistiques en matière de gestion des crises. » 3 . Et ceci d'autant plus que en dehors de quelques relatifs succès en Guinée Bissau et en Sierra Leone à mettre à son actif, la CEDEAO présente aujourd'hui un bilan assez discutable de son action en ce qui concerne la gestion et le règlement des conflits dans la sous-région.

De plus, derrière l'apparente stabilité qu'affichent nombre de pays couvent des crises potentiellement graves et susceptibles de mettre à mal la quiétude dans la sous-région. Dans certains pays ayant été récemment en crise où on est parvenu peu ou prou à un règlement, les passifs des conflits sont le plus souvent loin d'être liquidés et une résurgence est toujours redoutée par les observateurs de la vie politique de la sous-région. La lutte acharnée pour la conquête ou la confiscation du pouvoir d'Etat est plus que d'actualité dans la sous-région ouest africaine. Dans de nombreux Etats se prévalant d'une démocratie pluraliste se trouvent aux commandes des acteurs politiques qui n'imposent aucunes limites aux manoeuvres susceptibles de leur permettre d'accéder au pouvoir ou de le confisquer. Ce qui constitue une source évidente de potentiels conflits. Au vu du passif de l'organisation régionale et de ce tableau qui présage de l'importance et de la délicatesse des défis qui restent à relever, il est à notre avis utile de mettre en évidence ses faiblesses en vu de la rendre plus performante et plus apte à assurer la mission qui lui est dévolue. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous appuyer sur la récente crise survenue en Côte d'Ivoire au lendemain du deuxième tour de l'élection présidentielle en 2010 pour comprendre les dysfonctionnements internes qui ont mis en difficulté les missions de bons offices de la CEDEAO.

Pour mener cette étude, nous partirons d'une introduction générale qui présentera les aspects théoriques de la question. Nous aborderons ensuite dans une première partie le dispositif institutionnel de paix et de sécurité de la CEDEAO et les péripéties de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire.

Enfin, dans une deuxième et dernière partie nous essaierons de montrer, tout en nous focalisant sur la partition jouée par la CEDEAO, comment de la crise on est parvenu au rétablissement de la légitimité constitutionnelle.

3

SADA, (Hugo), Le conflit ivoirien : enjeux régionaux et maintien de la paix en Afrique,

in Politique Etrangère, Paris, 2003, Volume 68, N°2, p 327

9

I - Cadre théorique

1. Problématique et objectifs du travail

Longtemps maintenu à l'abri des soubresauts politiques qui ont marqué les premières décennies de l'indépendance de plusieurs pays francophones d'Afrique noire, la Côte d'Ivoire a basculé dans une profonde et longue crise politique en 2002. La fin de la menace communiste en Afrique à la fin des années 1980 qui a favorisé une mutation des relations franco-africaines pour les faire évoluer vers une "normalisation"4 a ouvert la voie au sein des Etats à l'expression, bien souvent dans la violence, de contradictions et d'antagonismes longtemps étouffés par l'activisme de la Françafrique. La France en effet, « considérée après la colonisation comme le gendarme de l'Afrique, a choisi de rompre avec les modes traditionnelles de gestion des crises dans le pré carré africain, où pendant longtemps la règle était de porter secours aux régimes en place contre les rebelles. ». 5 De plus, désormais orpheline en décembre 1993 du père tutélaire, le président Félix Houphouët-Boigny connu pour son habileté à arrondir les angles et trouver des compromis dynamiques, la Côte d'Ivoire n'a pas pu échapper aux tourments auxquels nombre de pays ont été en proie en Afrique dès le début des années 1990 pour les raisons indiquées ci-dessus.

Ainsi, en décembre 1999, le pays est secoué par un coup d'état militaire qui permet au Général à la retraite Robert Guéï de prendre le pouvoir en renversant Henri Konan Bédié qui avait pris la succession du défunt président Houphouët-Boigny six ans plus tôt. On pourrait penser que l'armée qui disait vouloir "faire une oeuvre de salubrité publique", allait réussir « après la lente dérive xénophobe des derniers mois, orchestrée par l'ex président Bédié »6, à rassembler à nouveau la population ivoirienne dans une perspective pluriethnique, mais très tôt, les intrigues politiques nourries par les appétits du pouvoir, des uns et des autres ont ravivé les clivages socio-politiques. Laurent Gbagbo, élu président de la République à la suite d'une élection que lui même a jugée "calamiteuse" sera confronté dès 2002 à une rébellion

4

BAT, (Jean-Pierre), Le syndrome Foccart. La politique française en Afrique de 1959 à nos jours, in La Revue Internationale et Stratégique, N° 91, automne 2013, p203

5

DUBLIN, (Antoine), La gestion par la France de la crise en Côte d'Ivoire, de

septembre 2002 à avril 2005, Séminaire de relations internationales, institut d'Etudes Politiques de Lyon, 2004-2005, p6

6

GANTIN, (Karine), Que devient le modèle ivoirien ? in L'Humanité, Paris, 27 décembre

1999, p.11

10

qui se soldera par une partition du pays qui ne prît fin qu'en avril 2007, après les accords de Ouagadougou signés entre Guillaume Soro, le chef de la rébellion et le président Laurent Gbagbo. L'élection présidentielle prévue par les accords successifs et maintes fois reportée a fini par avoir lieu à la fin de l'année 2010. Mais envisagée comme une élection de sortie crise, elle va plutôt en ouvrir la plus sanglante après le refus du président sortant de reconnaître la victoire de son challenger, Alassane D. Ouattara, pourtant reconnu vainqueur par la communauté internationale. Après l'annonce par la Commission électorale, de Alassane Ouattara vainqueur de l'élection, résultat validé comme le prévoit les accords politiques par l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), et la proclamation par le Conseil Constitutionnel de la victoire de Laurent Gbagbo, l'imbroglio s'installe à Abidjan.

Confrontée à l'urgence d'agir pour éviter que ces élections laborieusement organisées sous l'égide de la communauté internationale ne se soldent par un nouvel affrontement entre les protagonistes de la crise, la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO) ne tarde pas à engager une action diplomatique tout comme elle s'était vue obligée de le faire dès le début de la rébellion le 19 septembre 2002. La crise ivoirienne étant apparue à ses yeux « comme un défi pour sa crédibilité ». 7 Mais les missions de bons offices initiées par l'institution régionale sont toutes restées infructueuses.

Après quatre mois de crise où deux présidents "proclamés élus" se disputent la légitimité de la direction du pays, les Forces Nouvelles (ex rebelles) lancent une grande offensive militaire le 28 mars 2011 et parviennent à Abidjan où ils se heurtent à la résistance des partisans de Laurent Gbagbo. La situation humanitaire devient chaotique à Abidjan. La France, s'appuyant sur le mandat de l'ONU exige la reddition de Laurent Gbagbo en brandissant la menace d'une action militaire. La crise ne trouve son dénouement dans le sang que le 4 avril 2011, après l'offensive menée par les Forces Nouvelles appuyées par les forces de l'ONUCI et surtout celles de l'opération française Licorne contre la résidence de Laurent Gbagbo qui, à son corps défendant finit par baisser l'échine.

Si on peut louer la célérité de la mobilisation politique de la CEDEAO pour endiguer la crise, son incapacité à parvenir à un accord entre les protagonistes, ou à défaut, à user de la force pour faire triompher la légitimité populaire a laissé perplexe bien d'observateurs. En dépit de sa détermination à montrer sur le champ ivoirien, sa capacité à rétablir la paix dans

7 SADA, (Hugo), Op. Cit., P327

11

la sous-région, son mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits laborieusement mis en place pendant plus de deux décennies a une fois encore déçu les espoirs, à l'épreuve. Tant et si bien que la crise post-électorale n'a connu son dénouement que grâce à une action diplomatique et militaire décisive de la France, mais malheureusement après des affrontements qui avaient déjà fait plus de trois mille morts à travers le pays. Comme on le voit, le salut une fois encore vient de l'ex puissance coloniale qui déjà, dès le lendemain du 19 septembre 2002, et à la demande du gouvernement ivoirien,8 avait mobilisé ses soldats de la base militaire française de Port-Bouët9, pour s'interposer entre les belligérants et éviter le chaos. Cette difficulté, voire cette incapacité de la CEDEAO à faire aboutir le processus de règlement du conflit en faisant triompher l'approche régionale, ajouté aux résultats très mitigés qu'elle a enregistrés dans ses interventions sur des champs de conflit précédents dans la région peut justifier des questionnements sur sa capacité intrinsèque à conduire et réussir les missions de paix dont les orientations diplomatiques et stratégiques

ont du mal a faire l'unanimité au sein même de l'instance suprême de décision de
l'organisation régionale. Au vu de cet ultime échec de l'action de la CEDEAO dans la crise post-électorale en Côte d'Ivoire, en dépit des moyens diplomatiques et militaires à sa portée, On peut se demander si dans les approches de solutions dans la gestion des crises, l'opérationnalisation du mécanisme de règlement des conflits de la CEDEAO n'est pas souvent trop influencé, voire compromis par des considérations géopolitiques internes des Etats membres. Autrement dit, l'efficacité des missions de règlement des conflits par la CEDEAO, n'est-elle pas trop souvent prisonnière des enjeux géopolitiques internes des Etats par rapport aux ambitions pacifistes régionales? C'est à cette préoccupation majeure que nous voulons tenter de répondre au travers du décryptage de l'implication de la CEDEAO dans le règlement de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire en nous fondant sur les hypothèses de travail ci-après:

8

Se référant aux accords de défense existant entre la Côte d'Ivoire et la France, le gouvernement Ivoirien excipe de ce que son pays est victime d'une agression extérieure et demande l'appui militaire de la France. Mais la France a préféré s'interposer entre les deux parties en conflit pour des raisons officiellement qualifiées d'humanitaires.

9

Base militaire française installée à Port-Bouët, au sud d'Abidjan dans le cadre des accords

de défense du 24 avril 1961 entre la France et la Côte d'Ivoire

12

- Malgré les menaces évidentes de déstabilisation de la région que comporte chaque conflit armé, les calculs stratégiques nationaux ne priment-ils pas le plus souvent sur les réponses communautaires aux crises?

- Les rivalités politiques et parfois personnelles entre les Chefs d'Etat dans la mise en oeuvre des approches diplomatiques et militaires de la CEDEAO dans la résolution des conflits n'ont-elles pas souvent un effet plus inhibiteur que l'on puisse imaginer?

- la grande disparité de l'ancrage de la démocratie dans les différents pays de la sous-région ouest africaine et les élans totalitaires qui caractérisent encore bon nombre de régimes politiques ne peuvent-ils pas compromettre la convergence des positions, nécessaire à toute action communautaire efficace dans le cadre de la résolution des conflits internes dont les causes sont essentiellement liées à un déficit démocratique?

2 - JustiÞcation de l'étude

Certains observateurs de la vie politique africaine avaient pensé au lendemain de la fin de la guerre froide que les « conflits par procuration de l'époque bipolaire allaient enfin cesser, ce qui permettrait à l'Afrique de se défaire de l'héritage colonial et de s'attaquer à la construction de l'Etat et au développement È 10 Mais le vent de démocratisation qui a soufflé sur le continent n'a pas favorisé que des passages en douceur du monolithisme au pluralisme politique. Dans bon nombre de pays, les clivages et autres antagonismes longtemps étouffés ont trouvé un terrain favorable pour s'exprimer. Du coup, dès les années 1990 on a vu les conflits violents se multiplier au point de faire redouter l'embrasement de plusieurs parties du continent.

Dans le même temps le déclassement stratégique dont le continent a été l'objet du fait de la fin de la guerre froide a eu entre autres pour conséquence une réduction significative de la présence et de l'attention des pays occidentaux qui, naguère jouaient au gendarme en Afrique. Plus que jamais, l'Afrique devra compter sur elle-même pour son développement, mais aussi pour sa sécurité. C'est dans ce contexte que face à l'urgence de circonscrire et de juguler la guerre civile qui éclate au Liberia en 1990 la CEDEAO a redimensionné son champ

10

PORTEOUS, (Tom), l'Evolution des conflits en Afrique subsaharienne, in Politique

Etrangère, Paris, 2003, volume 68, N°2, p307

13

d'action pour faire de la prévention, de la gestion et du règlement des conflits dans la sous-région ouest africaine une préoccupation majeure. Depuis, l'initiative a fait du chemin ; des succès ont été peu ou prou enregistrés, mais au vu des attentes et des défis qui restent à relever, il importe d'améliorer cet instrument incontournable qu'est devenu le mécanisme de paix et de sécurité de la CEDEAO, dans tout processus de rétablissement et de maintien de la paix en Afrique de l'ouest.

A travers cette étude nous souhaitons contribuer à mettre en exergue les goulots d'étranglement qui limitent l'efficacité de l'organisation régionale dans sa mission sécuritaire. Cela ne veut point dire qu'une telle entreprise n'a jamais été faite. Bien au contraire. Il existe une littérature non négligeable sur l'implication de la CEDEAO dans la résolution des conflits en Afrique de l'ouest. Mais la plupart des études qui se sont intéressées au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement, de maintien de la paix et de la sécurité de l'organisation, ont essentiellement fait un bilan de son action dans différents conflits, notamment ceux du Libéria, de la Sierra Leone, de la Guinée Conakry, de la Guinée Bissau, de la Côte d'Ivoire de 2002- 2007. On peut citer entre autres à ce titre une étude de Gilles Yabi consacrée à une évaluation de l'action de la CEDEAO dans la gestion des conflits politiques qui ont affecté la Guinée et la Guinée Bissau, et qui reste une référence dans l'appréciation des performances de l'organisation sous-régionale en matière de gestion des crises.11 Au sujet de la crise ivoirienne de 2002, en dehors des articles publiés dans certaines revues, l'analyse de Didier Bapidi sur "la contribution sous régionale dans la recherche d'une solution pacifique au conflit ivoirien" s'est plutôt essentiellement employée à démontrer la capacité de l'organisation communautaire à conduire avec volontarisme un processus de paix en Afrique de l'ouest.

Dans les travaux qui ont essayé de mettre en évidence les faiblesses de l'organisation dans le règlement des conflits, le manque de moyens logistiques a souvent été essentiellement pointé du doigt. A part quelques articles de presse dénonçant des prises de positions de Chefs d'Etat privilégiant des intérêts particuliers, ou personnels au détriment des objectifs régionaux de paix et de sécurité, les études existantes sur la question n'ont pas suffisamment mis l'accent sur les entraves résultant des contraintes ou des comportements même des Etats membres de l'organisation dans les missions de paix. Or, l'efficacité de l'organisation dépend

11

L'étude intitulée " Le rôle de la CEDEAO dans la gestion des Crises Politiques et des

Conflits : cas de la Guinée et de la Guinée Bissau" est une publication du bureau régional de la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung à Abuja au Nigeria

14

essentiellement de la cohésion et de la discipline des Etats par rapport aux enjeux de paix dans la sous-région. N'est-ce pas faute d'avoir bien intégré cette réalité que le dispositif de maintien ou de rétablissement de paix de la CEDEAO qui a capitalisé une certaine expérience dans nombre de conflits à travers la sous-région enregistre des échecs comme on a pu le constater dans la crise post-électorale en Côte d'Ivoire ? Avec des échecs répétitifs, l'organisation qui fait pourtant figure de modèle sur le continent risque de se trouver discréditée aux yeux de l'opinion internationale. Ce qui pourrait l'éclipser de cet axe de sa mission, et monter en puissance l'Union Africaine, plus distante et plus timorée dans la gestion et le règlement des conflits. Toute chose qui pourrait ouvrir la voie à des incertitudes au moment où le continent africain fait de plus en plus l'objet de convoitises des puissances des différentes parties de la planète.

La présente étude se donne donc comme objectif majeur d'apporter une modeste contribution visant à mettre en évidence certaines faiblesses de l'organisation régionale dans le souci de la voir plus performante et plus rassurante quant à sa capacité à juguler les conflits dans les pays membres. Pour réussir une telle ambition, il importe d'éprouver les hypothèses de travail sur un champ d'étude bien déterminé.

3- Le champ de l'étude

L'objectif du présent travail est de mettre en évidence au travers de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire les facteurs souvent inhibiteurs de l'action communautaire en faveur de la gestion et du règlement des conflits en Afrique de l'Ouest. Il s'agit donc plus précisément au cours de la présente étude, de faire une évaluation de l'intervention de la CEDEAO dans la résolution de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire. Au regard des ambitions de l'organisation sous-régionale pour le rétablissement et le maintien de la paix dans l'espace ouest africain, il importe de voir si les moyens dont elle dispose, tant sur le plan institutionnel que fonctionnel sont en adéquation avec ses objectifs. A cet effet le conflit post-électoral en Côte d`Ivoire apparaît comme un terrain d'évaluation particulièrement intéressant de l'action de la CEDEAO d'autant plus que tous les dirigeants ouest africains semblaient très préoccupés par la normalisation de la situation politique dans ce pays en raison de sa position géostratégique dans la sous-région. L'organisation communautaire ne pouvait en effet se permettre de mener une action approximative face au risque de déstabilisation encouru par

15

toute l'Afrique de l'ouest avec une éventuelle dégradation de la situation politique en Côte d'Ivoire.

4- Approche définitionnelle de quelques notions

La problématique de la présente étude est fondée sur deux mots-clés dont il convient de préciser les contours. Il s'agit des notions de géopolitique et de conflit.

4.1- La notion de géopolitique

Etymologiquement, géopolitique est composé du grec "gé" qui signifie terre, et du mot "politique". Selon le dictionnaire Larousse, la géopolitique est la science qui étudie les rapports entre la géographie des Etats et leur politique. Elle est l'étude de l'influence des facteurs géographiques, économiques et culturels sur la politique des Etats et sur les relations internationales. 12 Mais pour mieux appréhender le sens du mot géopolitique, il importe de s'intéresser à son évolution lexicale dans le temps.

En effet, l'apparition de la géopolitique remonte à la fin du XIXe siècle. Le terme géopolitique a été utilisé pour la première fois par Rudolf KJellén, professeur suédois de Sciences Politiques et de Géographie qui définit la géopolitique comme "la science de l'Etat comme organisme géographique ou comme entité dans l'espace : c'est à dire l'Etat comme pays, territoire, domaine, ou plus caractéristique, comme règne. Comme science politique elle observe fermement l'unité étatique et veut contribuer à la compréhension de la nature de l'Etat." Pour Ratzel, un Etat est " comme un être vivant qui naît, grandit, atteint son plein développement, puis se dégrade et meurt." 13 Pour vivre ou survivre il doit s'étendre et fortifier son territoire, avec la notion "d'espace vital". S'appuyant sur cette approche de développement spatial de l'Etat, les successeurs de Ratzel vont proposer au IIIe Reich une approche cartographique du monde où les "Grands Peuples " se partagent la planète en fonction d'alliances et d'une hiérarchie des peuples fondée sur la race. Cette conception un peu trop expansionniste de la géopolitique va logiquement conduire à des dérives qui vont avoir pour conséquence le bannissement de son enseignement en tant que discipline dans les

12www.toupie.org

13

RATZEL, (Friedrich), Politische Geographie, 1897 cité par www.toupie.org

16

universités. Mais elle retrouve sa légitimité dans les années 1970-1980 grâce à l'étude des nouveaux conflits qui associe des connaissances de la géographie physique et humaine, de l'histoire et de la science politique. En tant que discipline, la géopolitique vise à "étudier les projets politiques des différents acteurs présents sur la scène mondiale en fonction de leur rapport à l'espace. Elle concerne donc l'étude des multiples influences (à la fois de la géographie, de la culture, de la société et de l'économie) qui orientent le comportement d'une nation et le type de relation que cette dernière entretient avec ses semblables."14 Mais pour les besoins de notre étude, " la définition la plus concise et qui paraît la plus rapidement opérationnelle reste celle donnée par Yves Lacoste, l'auteur français contemporain de référence en la matière. La géopolitique est selon lui « l'analyse des rivalités de pouvoirs sur des territoires »."15

Ainsi compris, les déterminants géopolitiques des difficultés de la gestion des conflits internes par la CEDEAO, reviendraient à rechercher les éléments procédant des rivalités de pouvoir dans la sous-région ouest africaine, et qui limitent l'efficacité de l'action de la CEDEAO dans la gestion et le règlement des conflits internes en Afrique de l'ouest. Mais pour lever toute ambig·ité afin de permettre une nette compréhension de l'objet de la présente étude, il importe de préciser aussi le sens que revêt ici le mot "conflit".

4.2- La notion de conflit

Les rapports humains et sociétaux n'évoluent pas toujours dans la stabilité, mais connaissent parfois des déséquilibres qui peuvent profondément affecter leur évolution, voire menacer leur existence. Des antagonismes s'exprimant parfois sous des formes très violentes peuvent naître entre les acteurs sociaux avec pour objectif avoué ou non une redéfinition de certains aspects des relations sociales. La notion de conflit désigne donc selon Dominique Picard et Edmond Marc, "une situation relationnelle structurée autour d'un antagonisme. Celui-ci peut être dû à la présence simultanée de forces opposées, à un désaccord (sur des valeurs, des opinions, des positions, É) à une rivalité lorsque des acteurs sont en compétition

14 CHAUTARD, (Sophie), Comprendre la Géopolitique, Levallois-Perret, Studyrama, 2006, P 17

15 BONIFACE, (Pascal), La Géopolitique, 40 fiches thématiques et documentées pour comprendre l'actualité, Mayenne, Erolles, deuxième édition, 2014, P 14

17

pour atteindre le même but ou posséder le même objet (personne, bien, statut, territoire,...) ou à une inimitié affective (animosité, hostilité, haine, É). 16"

En considérant la dynamique sociale qui induit une confrontation permanente des aspirations des acteurs sociaux, on peut affirmer tout comme les psychologues que "le conflit est inhérent aux rapports humains. Il fait partie des formes « normales de la relation à l'autre au même titre que la « bonne entente », la coopération ou l'évitement."17

Mais c'est Georg Simmel qui conforte plus largement cette approche du conflit pour mieux situer le désordre qu'il peut induire dans le corps social, en indiquant que "si toute interaction entre les hommes est une socialisation, alors le conflit, qui est l'une des formes de socialisation les plus actives, qu'il est logiquement impossible de réduire à un seul élément, doit absolument être considéré comme une socialisation. Dans les faits, ce sont les causes du conflit, la haine et l'envie, la misère et la convoitise, qui sont véritablement l'élément de dissociation."18

Pour les besoins de notre étude, c'est le conflit en tant que facteur de dissociation, de division et d'affrontement qui nous intéresse, l'objectif majeur de ce travail étant d'améliorer au niveau communautaire les instruments de maintien de paix et de règlement des conflits. Il s'agit plus précisément ici de la conflictualité (donnée fondamentale de la géopolitique) en tant que lutte entre groupes rivaux pour le contrôle d'un facteur de puissance. Les conflits internes, objet de notre analyse, s'entendent comme ceux qui se sont développés à l'intérieur d'un même territoire dans l'espace de la CEDEAO.

Selon Tran Van Minh, "la notion de conflit est une terminologie qui met en concurrence plusieurs termes : conflit, litige, différend, crise, tension, antagonisme, situation,

16 Picard, (Dominique) et Marc, (Edmond), Les conflits relationnels, Paris, PUF, Col Que sais-je ? , 2008, p7

17 Picard, (Dominique) et Marc, (Edmond), Op cit, p3

18 Simmel, (Georg), Le conflit, Belval, Les Editions Circé, 1995, p19

etc"19. Nous nous appuierons sur cette approche de définition pour préciser que conflit et crise recouvrent dans le présent travail la même réalité, même si de façon classique la crise est considérée comme "une phase critique dans l'évolution du conflit"20. Une fois cette clarification faite, nous pouvons avancer dans cette analyse de la gestion par la CEDEAO du règlement de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire en présentant dans une première partie un inventaire du cadre règlementaire approprié de la CEDEAO et les sources de la crise post-électorale en Côte d'ivoire.

18

19Tran Van, (Minh), Les conflits, Encyclopédie Juridique de l'Afrique Noire, in Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, Thèse de Doctorat en Droit Public, Université de La Rochelle - Université de Cocody Abidjan, 2012, 718 p

20 EHUENI MANZAN, (Innocent), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, Thèse de Doctorat en Droit Public, Université de La Rochelle - Université de Cocody Abidjan, 2012, 718 p

PREMIERE PARTIE:
La CEDEAO et les sources de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire

20

Initialement créée pour impulser l'intégration économique des pays membres, la CEDEAO a progressivement fait au cours des trois dernières décennies, de la prévention et du règlement des conflits, son principal cheval de bataille. Depuis la fin de la guerre froide et l'allègement de l'engagement des puissances occidentales en Afrique qui s'en ait suivi, nombre de pays en Afrique occidentale comme dans d'autres régions du continent ont vu éclater sur leurs territoires des crises politiques et des conflits armés internes parfois d'une violence inouïe. Cette situation préjudiciable à la stabilité et à la paix, gages de toute intégration économique a amené l'Organisation communautaire à mettre en place des outils appropriés pour la prévention et le rétablissement de la paix dans les pays membres.

21

Chapitre I :

La CEDEAO et ses outils de prévention et de gestion des conflits

22

Analyser et apprécier avec justesse l'action de la CEDEAO en faveur de la prévention et de la gestion des conflits suppose une connaissance assez précise du cadre institutionnel et réglementaire qui constitue le socle de la dynamique de l'organisation communautaire. C'est la raison pour laquelle dans ce premier chapitre, nous présenterons dans un premier temps l'organisation sous régionale et ensuite les outils mis en place pour garantir ou rétablir la paix et la stabilité dans les Etats membres

A. Présentation de la CEDEAO

1. Création et objectifs de l'Organisation

1.1- Bref historique de la création de l'Organisation

Créé le 28 mai 1975, la CEDEAO est l'aboutissement d'un projet politique sous régional dont l'idée a été lancée par le président du Liberia, William Tubman, en 1964. La première tentative de regroupement sous régional fut d'abord matérialisée par un accord signé entre la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone en février 1965, mais qui n'avait pas pu prospérer. C'est finalement sous l'impulsion des Généraux Yacubu GOWON, président du Nigéria et Gnassingbé EYADEMA , Président du Togo que le projet sera lancé en avril 1972. De juillet à août 1973, les deux Chefs d'Etat ont préparé des propositions qu'ils ont soumis à douze autres Etats de l'Afrique de l'ouest en vue de recueillir leurs contributions. Une réunion organisée à Lomé au Togo et chargée d `étudier une proposition de traité sera parachevée par une autre rencontre d'experts et de juristes tenue à Accra en janvier 1974 pour la même mission. Après une réunion des Ministres à Monrovia en janvier 1975 pour un examen minutieux des projets de textes fondateurs, quinze pays de l'Afrique de l'ouest signent le traité pour une Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest le 28 mai 1975,21 acte qui consacrera le Traité de Lagos. Les protocoles établissant la CEDEAO seront signés à Lomé le 5 novembre 1976. Un traité revu pour accélérer l'intégration économique et pour renforcer la coopération politique a été signé en juillet 1993.

21 Les quinze Etats membres de la CEDEAO sont : le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d'Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone et la Togo

23

1.2- Les objectifs de la CEDEAO

A sa création, la CEDEAO s'est assignée comme objectif de promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l'activité économique, notamment l'industrie, les transports, les télécommunications, l'énergie, l'agriculture, les ressources naturelles, le commerce. A ces domaines il faut ajouter les coopérations monétaire et financière ; sociale et culturelle. L'objectif ultime du Traité de Lagos vise à parvenir à une union économique et monétaire par l'intégration des différentes économies nationales des Etats membres. Mais très tôt, l`Organisation, très souvent en bute aux conflits internes qui ébranlent la stabilité politique des Etats membres, s'est aperçu que sans une coopération politique l'intégration économique que se propose de réaliser la CEDEAO resterait un voeux pieux. Le Traité revu du 24 juillet 1993 va inclure dans les objectifs de l'organisation cette dimension politique tout en élargissant les bases de la coopération économique. Il prévoit en effet au plan politique, la mise en place d'un parlement de l'Afrique de l'ouest, un Conseil Economique et Social et une Cour de justice de la CEDEAO en remplacement du Tribunal prévu par le traité de Lagos, pour veiller à l'application des décisions de la Communauté. Au plan économique il prévoit la création d'un marché commun, et à terme une monnaie unique.

Mais l'acte politique majeur de ce traité reste la responsabilité qu'il donne à la Communauté de prévenir et de régler les conflits internes dans les Etats membres. Ainsi, "d'une organisation régionale au départ essentiellement vouée à la promotion de l'intégration des économies des quinze Etats membres, la CEDEAO s'est progressivement transformée, sous la pression des événements politiques, en une organisation également chargée de trouver des solutions aux conflits armés et autres crises politiques qui mettaient en péril la paix et la sécurité dans l'espace communautaire."22 Pour réussir ce double objectif, l'Organisation se doit de se doter d'organes internes à la dimension de ses ambitions.

22 YABI, (Gilles), Le Rôle de la CEDEAO dans la Gestion des crises Politiques et des Conflits : Cas de la Guinée et de la Guinée Bissau, Abuja, Friedrich-Ebert-Stiftung , septembre 2010, p 6

24

2. Organes et institutions de la CEDEAO

La direction de la CEDEAO est assurée par les huit principales institutions que sont:

- la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement;

- le Conseil des Ministres;

- le Parlement de la Communauté;

- le Conseil Economique et Social;

- la Cour de Justice de la Communauté;

- Le Secrétariat Exécutif;

- Le Fonds de Coopération, de Compensation et de Développement

- Les Commissions techniques spécialisées;

2.1- La Conférence des Chefs d `Etat et de Gouvernement

La conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement est l'organe suprême de la Communauté et est composée des Chefs d'Etat et/ou de Gouvernement des Etats membres. La Conférence à la responsabilité de définir les orientations et de formuler les principes directeurs de la Communauté, ainsi que de prendre toutes les mesures afin de garantir le développement progressif et la réalisation des objectifs de l'Organisation.

Les fonctions de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement sont les suivantes:

- Définir la politique générale et les principes directeurs de la Communauté, donner les directives ;

- Assurer et coordonner les politiques économiques, scientifiques, techniques, culturels et sociales des Etats membres;

- Superviser le fonctionnement des organismes de la Communauté et suivre la mise en oeuvre des objectifs de la Communauté;

- Préparer et adopter les règles de procédure;

25

- Nommer le Secrétaire Exécutif dans le cadre du Traité;

- Nommer les auditeurs externes suivant les recommandations du Conseil;

- Déléguer au Conseil, quand il est nécessaire, l'autorité de prendre des décisions ainsi qu'il est stipulé dans le traité ;

- Soumettre à la Cour de Justice de la Communauté quand elle le juge nécessaire, toute instance confirmée si un Etat membre ou Institution de la Communauté a manqué d'honorer ses obligations ou si une institution de la Communauté a outrepassé ses pouvoirs ou a abusé des pouvoirs qui lui ont été conférés aux termes du Traité, par une décision de l'Assemblée ou une règle du Conseil;

- Demander à la Cour de Justice de la Communauté de donner un avis sur les questions légales quand c'est nécessaire;

- Exercer les pouvoirs qui lui sont conférés aux termes du Traité.

La Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement se réunit au moins une fois par an en séance ordinaire. Une séance extraordinaire peut être organisée à la demande du président en exercice ou d'un Etat membre dont la requête est soutenue par une majorité des Etats membres. Le président de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement est le président en exercice de l'Organisation, désigné par ses pairs.

2.2- Le Conseil des Ministres

Le Conseil des Ministres est composé du ministre chargé des affaires de la CEDEAO ainsi que d'un ministre désigné par chaque Etat membre. Le Conseil est responsable du fonctionnement et du développement de la Communauté. Les attributions du Conseil des Ministres sont les suivantes:

- formuler des recommandations à la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement sur les questions visant à la réalisation des objectifs de la communauté;

- Nommer tous les candidats aux fonctions officielles à l'exception du Secrétaire Exécutif;

- Emettre des directives pour les affaires concernant la coordination et l'harmonisation des politiques d'intégration économique;

26

- Faire des recommandations à la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement pour la nomination des auditeurs externes;

- Préparer et adopter les règles de procédure;

- Adopter le règlement pour les employés et approuver les structures d'organisation des institutions de la Communauté;

- Approuver les programmes de travail et les budgets de la Communauté et de ses institutions ;

- Requérir l'avis de la Cour de Justice de la Communauté quand c'est nécessaire;

- S'acquitter de toute autre tâche qui lui est confiée, aux termes de ce Traité et exercer les pouvoirs qui lui sont délégués par la Conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement.

Le Conseil se réunit au moins deux fois par an en séance ordinaire. Une de ces séances précède immédiatement la séance ordinaire de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement. Une séance extraordinaire peut être convoquée par le Président en exercice ou à la demande d'un Etat membre soutenue par une simple majorité des Etats membres. La Présidence du Conseil des Ministres est assurée par le ministre responsable des affaires de la CEDEAO de l'Etat membre élu Président en exercice de l'Organisation.

2.3- Le Conseil Economique et social

Le Conseil Economique et Social de la CEDEAO est institué par l'article 14 du traité révisé de l'Organisation qui lui confère un rôle consultatif sur les questions d'ordre économique et social. Il est composé des représentants des différentes catégories d'activité économiques et sociales.

2.4- Le Secrétaire Exécutif

Le Secrétaire Exécutif est responsable du bon fonctionnement de la Communauté et de la mise en oeuvre des décisions de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement. Il est élu pour un mandat de quatre ans. Le Secrétaire Exécutif est assisté de quatre députés auxquels sont assignés les fonctions suivantes:

- Affaires politiques, Défense et Sécurité;

27

- Intégration;

- Harmonisation des Politiques Economiques ; - Administration des Finances

2.5- Les Commissions spécialisées

Il existe au sein de la Communauté, différentes commissions spécialisées qui travaillent sur les différents domaines de compétence de l'Organisation sous régionale. Il s'agit des Commissions chargées de :

- Alimentation et Agriculture;

- Industrie, Science, Technologie et Energie ;

- Environnement et Ressources Naturelles;

- Transport, Communications et Tourisme;

- Commerce, Douanes, Impôts, Statistiques et Politique monétaire; - Affaires Politiques, Juridiques, Sécurité Régionale et Immigration; - Ressources Humaines, Information, affaires sociales et culturelles; - Administration et Finances

La Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement peut toutefois, si elle le juge nécessaire, restructurer les Commissions existantes ou en créer de nouvelles.

2.6- La Cour de Justice de la Communauté

Créée en octobre 1999, la Cour de Justice fait partie des institutions permanentes additionnelles au Traité de Lagos. Elle a pour attributions de connaître des plaintes émanant des Etats membres et des institutions de la CEDEAO, et est animée par un président, un greffier en chef et sept juges.

2.7- Le Parlement de la CEDEAO

Assez différent des parlements classiques, le Parlement de la CEDEAO est une émanation des différents parlements des Etats membres. Il a pour missions de :

28

- Assurer un droit de regard des populations ouest africaines sur le processus d'intégration de la sous-région;

- Doter la Communauté d'une architecture institutionnelle comportant un volet législatif qui s'ajoute à un volet judiciaire et promouvoir ainsi une communauté fonctionnant suivant la logique de la séparation des pouvoirs propre à toute construction démocratique.

- Informer, sensibiliser les populations de la sous-région ouest africaine sur les enjeux de l'intégration ;

- Conforter la légitimité des actes posés par l'Exécutif communautaire sur le terrain de l'intégration sous régionale.

Les députés communautaires sont élus par les parlements nationaux et constituent des groupes nationaux au sein du Parlement de la CEDEAO.23

Il faut souligner deux faits exceptionnels qui peuvent mettre en difficulté l'exécution des missions du Parlement. Il s'agit d'une part de son statut consultatif, sans prérogatives législatives qui, indubitablement devrait avoir la conséquence de limiter la portée de son activité sur le processus d'intégration. D'autre part, le mode de désignation des membres du Parlement qui est tributaire des parlements nationaux ne permet pas une permanence de son activité ainsi qu'un suivi des initiatives parlementaires, souvent mises à mal par le remplacement fréquent des élus nationaux.

2.8- Le Fonds de Coopération, de Compensation et de Développement

Ce Fonds est chargé de financer les projets de développement et de fournir des compensations et indemnités aux Etats ayant subi des pertes dues aux dispositions du Traité de la Communauté.

Ces différentes institutions et organes animent la vie de l'Organisation sous régionale et oeuvrent à la réalisation de l'objectif majeur de la CEDEAO qui est l'intégration des économies de l'ensemble des Etats membres. Mais très tôt, il est apparu un obstacle sérieux,

23 Répartition par Etat membre des sièges du Parlement de la CEDEAO : Bénin :5 ; Burkina Faso :6 ; Cap Vert :5 ; Côte d'Ivoire :7 ; Gambie :5 ; Ghana :8 ; Guinée :6 ; Guinée Bissau :5 ; Liberia :5 ; Mali :6 ; Niger :6 ; Nigeria :35 ; Sénégal :6 ; Sierra Leone :5 ; Togo :5.

29

très rédhibitoire à l'action communautaire : les crises politiques et autres conflits armés qui ébranlent la stabilité régionale, sans laquelle toute intégration sous régionale est vouée à l'échec. C'est fort de cette triste réalité que la révision du 24 juillet 1993 du Traité fondateur est intervenue pour conjurer le spectre de la déstabilisation de la sous région, en introduisant parmi les innovations majeures la coopération politique, la paix et la sécurité régionales. " Le maintien de la paix est ainsi affiché dans le Traité, non pas au titre de l'objectif global de la Communauté mais comme un principe fondamental qui doit permettre à la CEDEAO d'atteindre ses objectifs en vue d'une prospérité économique durable."24

B. L'architecture de paix et de sécurité de la CEDEAO

Il faut dire qu'avant l'intégration par le Traité révisé du 24 juillet 1993 qui à formellement pris en compte la coopération politique et la nécessité de garantir la paix et la sécurité dans la sous région, l'action communautaire ne s'était pas moins préoccupée de la mise en place de dispositifs relatifs à la paix, au désarmement et à la sécurité sous régionale. Mais "Très vite, deux textes faisant partie intégrante du Traité de la CEDEAO ont fixé le cadre et les règles appelés à orienter les efforts en matière de promotion de la paix et de la sécurité dans la sous-région."25

1- Les premiers efforts communautaires en matière de paix et de sécurité sous-régionales

Au lendemain de la mise en application du Traité de Lagos consacrant la création de la CEDEAO, la volonté d'instaurer entre les Etats membres un climat politique stable a été manifestée. Ce fut d'abord par l'Accord-cadre de non-agression et d'assistance en matière de défense (ANAD) signé le 9 juin 1977 dans l'espace de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest avec pour objectif d'assurer la paix et la sécurité par la prévention des conflits. Aussi, cet Accord prévoit-il le règlement des différends par les moyens pacifiques et

24ODZOLO MODO, (Madeleine), Fiche d'information de l'Organisation : CEDEAO, Réseau de recherche sur les opérations de paix - Université de Montréal, www.operationspaix.net, 21 juin 2010

25ODZOLO MODO, (Madeleine), Op Cit

30

l'assistance militaire en cas d'agression contre un Etat membre. Le protocole d'application de l'ANAD a été signé à Dakar le 14 décembre 1981 et complété le 20 décembre 1981 par un protocole additionnel qui prévoit la possibilité de constituer une force de paix pour contrôler en cas de conflit une zone de délimitation du champ des opérations militaires.

L'ANAD a été étendu à la CEDEAO le 22 avril 1978 par un protocole de non-agression. Cette évolution a permis le 29 mai 1981 à Freetown, la signature d'un deuxième texte qui sera déterminant dans les choix sécuritaires futurs de la Communauté : il s'agit du Protocole d'Assistance Mutuelle en matière de Défense (PAMD), mis en vigueur à partir de 1986.

En parcourant les méandres de cet Accord, on s'aperçoit que le PADM est un véritable accord de défense qui assure les Etats membres de la CEDEAO du soutien de leurs partenaires de l'Organisation en cas d'attaque ou de menace d'agression provenant de l'extérieur, dans la mesure où il vise à organiser la sécurité et l'assistance entre les Etats de la sous-région dans la perspective des situations évoquées tantôt. Le PADM préconise par ailleurs la création en cas de conflit impliquant au moins un Etat de la communauté, d'une Force commune d'interposition, voire d'unités alliées de la Communauté (FAAC). Il se dégage nettement à travers cet outil le souci de répondre promptement, et sans attendre un quelconque soutien extérieur aux attaques susceptibles de menacer la sécurité de la sous-région.

On voit ainsi dans cette volonté sécuritaire manifestée à travers le PAMD des efforts de la Communauté tendant à mettre en place un mécanisme de défense commune dans la sous-région ouest africaine. La manifestation la plus évidente de cette réalité sera la mise en place de l'ECOWAS Monitoring Group (ECOMOG), comme force d'interposition pour ramener la paix au Liberia et endiguer un conflit qui menaçait fortement de déstabiliser toute la région, et peu après en Sierra Leone en proie elle aussi à une longue guerre civile. Mais face à la succession de crises politiques et de conflits armés des années 1990 (Liberia, Sierra Leone, Guinée-Bissau) de plus en plus complexes à gérer et à régler, ces outils de maintien et de rétablissement de la paix et de la sécurité ont très tôt montré leurs limites. C'est ce qui va conduire la Conférence des Chefs d `Etat et de Gouvernement à adopter le 10 décembre 1999 le protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.

31

2. Le mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de la CEDEAO

La décennie 90 a été l'une des plus ensanglantée qu'a connu l'Afrique de l'ouest. Sous la pression des drames engendrés par les conflits et face au risque d'embrasement de toute la région, la CEDEAO est souvent intervenue de façon prompte et énergique pour parer au plus pressé. Elle a ensuite mis en place les bases institutionnelles et opérationnelles d'un mécanisme de paix et de sécurité juridiquement encadrés par les textes adoptés à cet effet.

L'objectif du mécanisme se décline en trois points, à savoir:

- la prévention, la gestion et le règlement des conflits internes et inter-étatiques ; le renforcement de la coopération dans les domaines de la prévention, de l'alerte précoce, des opérations de maintien de la paix, de la lutte contre la criminalité transfrontalière, le terrorisme international, la prolifération des armes légères et les mines;

- le maintien et la consolidation de la paix, de la sécurité et de la stabilité au sein de la Communauté;

- la constitution et le déploiement, chaque fois que de besoin, d'une force civile et militaire pour maintenir ou rétablir la paix dans la sous-région, etc.

Le mécanisme est activé en cas d'agression armée contre un Etat membre ; de conflit interne susceptible de menacer gravement la paix et la sécurité sous régionale ; d'atteintes graves aux droits de l'homme ou de renversement ou de tentative de renversement d'un gouvernement démocratiquement élu.

Quoique tributaire des organes de décision au sommet de la CEDEAO, le mécanisme bénéficie d'une certaine autonomie de gestion dans son processus de mise en oeuvre en raison de la célérité que requièrent certaines de ses interventions. Les organes du mécanisme sont les suivants:

- la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement; - le Secrétariat Exécutif;

32

- la Commission de Défense et de Sécurité (CDS). La CDS est constituée par les chefs d'état-major général des armées, les responsables des ministères de l'Intérieur et de la Sécurité, les experts des ministères des Affaires Etrangères et les responsables des matières inscrites à l'ordre du jour. Elle examine tous les aspects techniques et administratifs et détermine les besoins en logistique dans le cadre des opérations de paix. La CDS assiste le Conseil de Médiation et de Sécurité dans la formulation du mandat de la force du maintien de la paix et la détermination de la composition des contingents. C'est à ce titre que en juin 2004 la CDS a approuvé la création d'une Force commune et établi la feuille de route de la Force en attente de la CEDEAO en 2005.

- Le Conseil des Sages. Cet organe inauguré le 19 février 2004 à Accra a pour mandat de consolider la paix et de prévenir les conflits par la promotion d'une diplomatie de prévention dans la sous-région;

- Le Système d'Observation de la Paix et de la Sécurité ou système d'alerte précoce et de réponse de la CEDEAO (ECOWARN). C'est un outil d'observation et de suivi prévu pour la prévention des conflits et l'aide à la décision de la CEDEAO. Son but est de collecter, d'analyser et de mettre à la disposition des Etats des informations devant permettre de prévenir les crises dans la sous-région. Il est composé d'un centre d'observation et de suivi chargé de la collecte et du traitement des informations installé à Abuja au Nigeria et de quatre bureaux d'observation et de suivi établis à Banjul, Cotonou, Monrovia et Ouagadougou. Le centre s'appuie sur ces différents bureaux pour couvrir toute l'Afrique de l'ouest éclatée en quatre zones rattachées à ces quatre bureaux d'observation.

- Le Groupe de Contrôle de Cessez-le-feu de la CEDEAO ou ECOWAS CeasÞre Monitoring Group (ECOMOG). Cette entité qui est la force armée de la Communauté et constituée selon leurs capacités par les différentes armées des pays membres a déjà fait ses preuves avec plus ou moins de succès dans différents conflits. Les missions dévolues à l'ECOMOG sont:

o Observation et suivi de la paix;

o Action et appui aux actions humanitaires;

o Application des sanctions

o

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Déploiement préventif;

o Consolidation de la paix, désarmement et démobilisation;

o Activité de police et notamment la lutte contre la fraude et le crime organisé.

La décision de mise en oeuvre du mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité est prise par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement sur proposition du Conseil de Médiation et de Sécurité ; à la demande d'un Etat membre ; à l'initiative du Secrétaire Exécutif ou à la demande de l'Union Africaine (UA) ou des Nations Unies.

Malgré cette architecture de paix et de sécurité savamment pensée et structurée, il reste que pour réussir à mettre en place une véritable diplomatie préventive de la conflictualité sous régionale, la consolidation de la culture démocratique et la bonne gouvernance s'imposent dans les Etats membres de la CEDEAO. Ce à quoi l'Organisation a tenté d'apporter une réponse en adoptant le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance.

3- Le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance

Adopté par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement le 21 décembre 2001, le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance vise à consolider celui du 10 décembre 1999 en ce qui concerne la prévention des crises intérieures, la démocratie, la bonne gouvernance, l'Etat de droit ainsi que les droits de la personne.26 " Ce Protocole établit donc un lien clair et direct entre le respect des normes démocratiques et de « bonne gouvernance » dans les Etats membres et les perspectives de paix et de sécurité, ce qui constitue indubitablement une évolution de la culture de sécurité dans l'espace communautaire ouest africain."27 Préoccupé par « les conflits qui sont de plus en plus engendrés par l'intolérance religieuse, la marginalisation politique et la non transparence du processus électoral », les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont réaffirmé leur attachement au renforcement de la culture démocratique en définissant dans ce Protocole les principes de convergence constitutionnels, donc communs à tous les Etats membres de la CEDEAO. Il s'agit entre autres :

26

Voir annexe 1

27 YABI, (Gilles), Op Cit, p 12

34

- de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire; - de la valorisation et du renforcement des Parlements;

- de l'indépendance de la justice;

- de l'interdiction de tout changement anticonstitutionnel ainsi que de tout mode non démocratique d'accession ou de maintien au pouvoir etc.

Toujours dans une approche préventive, le Protocole a largement pris en compte l'encadrement des élections, souvent sources de contestations et de crises politiques parfois violentes. Ainsi, une série de principes relatifs aux élections ainsi que le rôle d'observation et d'assistance de la CEDEAO ont été définis. Au nombre de ceux-ci on peut mentionner entre autres les principes selon lesquels:

- aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d'une large majorité des acteurs politiques;

- les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la constitution ou les lois électorales;

- les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits organes;

- les listes électorales seront établies de manière transparente et fiable avec la participation des partis politiques et des électeurs qui peuvent les consulter en tant que de besoin etc.

Pour ce qui concerne la transparence des élections, l'article 12 du Protocole dispose entre autres qu'à la demande de tout Etat membre, la CEDEAO peut apporter aide et assistance à l'organisation et au déroulement de toute élection. Le même article prévoit que l'Organisation peut envoyer dans les pays membres des missions de supervision ou d'observation des élections. Le texte prévoit que la CEDEAO, en se fondant sur les rapports de ses missions et les risques de violences post-électorales, puisse prendre à l'encontre du pays concerné des sanctions.

Pour prévenir les risques d'interférence de l'armée sur la scène politique dans les Etats membres, le Protocole additionnel a également fixé les normes communautaires en ce qui

concerne le rôle que doit jouer l'armée en précisant notamment que « l'armée et les forces de sécurité publiques sont soumises aux autorités civiles régulièrement constituées ». "

Somme toute, on relève un dispositif communautaire assez élaboré pour prévenir les conflits et autres crises politiques. Mais à l'épreuve, de graves insuffisances ont compromis les attentes. C'est la raison pour laquelle le Conseil de Médiation et de Sécurité a adopté au terme d'une série de consultations et de rencontres d'experts, le 16 janvier 2008 un Règlement définissant le Cadre de Prévention des Conflits de la CEDEAO (CPCC). L'objectif visé est de clarifier la stratégie de mise en oeuvre des principes contenus dans les deux Protocoles (celui de 1999 et celui de 2001) relatifs au mécanisme. Après avoir notamment fait le constat selon lequel « la mise en oeuvre des aspects préventifs du Mécanisme a parfois souffert de l'absence d'une approche stratégique », le CPCC a été pensé avec pour objectif majeur de mettre en place « une stratégie complète et opérationnelle de prévention des conflits et d'édification de la paix permettant au système de la CEDEAO et aux Etats membres de mobiliser les ressources humaines et financières à l'échelle régionale (y compris la société civile et le secteur privé) et international dans leurs efforts orientés vers la transformation créatrice des conflits ». Tous ces instruments communautaires inventés dans une approche préventive des conflits ont certes permis de réaliser des avancées certaines au niveau de la sous-région. En dépit de cela, "les Etats restent réticents à abandonner une portion de leur souveraineté. Ce qui ne permet pas toujours de pouvoir réaliser l'objectif d'intervenir en amont des crises".28

35

28ODZOLO MODO, (Madeleine), Op Cit

36

CHAPITRE II

Le passif de la crise ivoirienne de 2002-2007 et les soubresauts de la médiation de

la CEDEAO

37

Les tenants et les aboutissants de la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte d'Ivoire ne peuvent être appréhendés sans une évaluation des péripéties du règlement du conflit armé déclenché par des groupes rebelles en 2002, et du retour de la paix précaire en 2007. Dans ce chapitre nous ferons une évaluation de l'implication de la CEDEAO dans le processus de paix qui a permis l'organisation des élections de 2010 après avoir fait un rappel du contexte politique et socio-économique qui a favorisé le déclenchement de cette crise.

A. Les causes profondes de la crise de 2002-2007

Alors qu'on croyait que le coup d'état du Général Robert GUEÏ du 24 décembre 1999 resterait marginal dans les annales politiques de la Côte d'Ivoire, l'histoire a failli bégayer le 19 septembre 2002 lorsque des soldats et des rebelles du Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire tentent de renverser le Président Laurent GBAGBO. Elu deux ans plus tôt dans un contexte particulier, le Président Gbagbo a hérité d'une situation socio-politique et économique qui semblait déjà porter les germes d'une crise politique majeure.

Après le décès du Président Félix Houphouët-Boigny en 1993 et le latent affrontement politique qui a marqué sa succession au sommet de l'Etat, la Côte d'Ivoire est plongée dans un malaise social qui va s'approfondir sur fond d'exclusion. Aussi, aux clivages internes exacerbés par une crise économique sans précédent va se superposer une instabilité régionale, conséquence des conflits de plus en plus tentaculaires qui affectent l'Afrique de l'ouest.

1. Les causes internes de la crise

Au "miracle économique ivoirien" des années 1970 qui a favorisé une forte immigration de populations de différents pays de l'Afrique de l'ouest29, succède au cours de la décennie 1980 une sévère crise économique. Le pays qui a connu une prospérité économique sans pareil dans la sous-région à la faveur des cultures de cacao et de café dont il est resté respectivement le premier producteur mondial et africain a souffert de l'effondrement des cours des matières premières sur le marché international. Cette conjoncture économique au niveau international va notablement éprouver le modèle

29 Au recensement de la population en 1998, la population d'origine étrangère était de 4 millions d'habitants, soit 26% de la population nationale, contre 5% en 1950.

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économique ivoirien presque exclusivement fondé sur les deux cultures de rentes. Face à la baisse continue des recettes issues de l'exportation qui a jusque là porté la croissance, l'Etat se retrouve en grande difficulté pour honorer ses engagements. Sous la pression des institutions financières et autres partenaires occidentaux, le pays qui a de plus en plus de difficultés à faire face au service de la dette extérieure se voit contraint de réduire son train de vie. A leur corps défendant les autorités ivoiriennes finissent par conclure avec le Fonds Monétaire International (FMI) un Programme d'Ajustement Structurel. Les mesures d'austérités induites par ce programme ajouté à l'attentisme économique que provoque l'ambiance de fin de règne qui prévaut dans le pays30ont contribué à fragiliser le tissu social. Aussi, l'ouverture au multipartisme politique engagé au forceps31 par le Parti unique ivoirien PDCI au début des années 1990 et le repli identitaire qui en a découlé a t-il contribué à accentuer sur le terreau déjà favorable de la pauvreté grandissante, les clivages ethniques.

Dans ce contexte socio-économique très morose, c'est d'abord les communautés d'origine étrangère dont la présence massive dans le pays dès les années 1970 a été favorisée par une agriculture de plus en plus gourmande en main d'oeuvre qui sont désignées comme boucs émissaires de l'effondrement des revenus. Ensuite viendra sur fond de calculs politiques et électoralistes le concept de l'«ivoirité« qui établit dans la communauté nationale une échelle d'ivoiriens. Fabriqué en effet de toutes pièces et entretenu par une certaine classe politique mue par le dessein de conquérir ou de confisquer dans la facilité le pouvoir d'Etat

l' «ivoirité« va cristalliser le sentiment d'exclusion que nourrit désormais une large frange de la population. Henri Konan Bédié qui prend aux termes de la constitution, la succession de Félix Houphouët-Boigny décédé le 7 décembre 1993 va remettre en cause la politique d'ouverture du pays aux peuples d'Afrique et aux étrangers, menée par son prédécesseur. Il introduit officiellement dans le débat national la référence identitaire qui est la marque substantielle du concept de l'«ivoirité«. Ainsi, le 23 novembre 1994, à la veille de l'élection présidentielle d'octobre 1995, la première à laquelle il se présentera après l'achèvement du

30 Les spéculations sur l'Etat de santé du Président Houphouët-Boigny qui refusait de passer la main à plus de 80 ans avaient contribué à essouffler la dynamique de l'économie ivoirienne marquée par une indécision de plus en plus lisible.

31 La chute du mur de Berlin et les conditionnalités de l'aide publique au développement indiquées dans le discours de La Baule du Président français, François Mitterrand ont contraint la Côte d'Ivoire, tout comme nombre de pays en Afrique à engager malgré eux des réformes politiques en vue de favoriser une ouverture démocratique.

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mandat présidentiel dont il a constitutionnellement hérité du défunt président, il fait adopter un nouveau code électoral. Le texte dispose en son article 49 que « nul ne peut être élu président de la République, s'il n'est ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens de naissance. » Cette disposition qui vise à exclure de la compétition électorale un concurrent gênant en la personne de l'ancien Premier Ministre Alassane Dramane Ouattara dont on dit être d'origine burkinabé, va notamment consolider au niveau des populations du nord, sa région et de la communauté musulmane dont il fait partie, le sentiment d'exclusion. Elu Président de la République dans cette atmosphère délétère, Henri Konan Bédié qui était attendu par les ivoiriens pour apporter les réponses idoines aux effets de la crise économique se montre plutôt plus préoccupé par l'affaiblissement de ses adversaires politiques. Le sentiment d'ostracisme qui se développe au sein de l'opposition politique incarnée d'un côté par le Front Populaire Ivoirien (FPI) et de l'autre par le Rassemblement Des Républicains (RDR) ayant respectivement leurs ancrages en pays Bété dans le sud-ouest et dans le nord, fait le lit à des contestations qui peuvent déborder du champs politique. Le 24 décembre 1999, un groupe de militaires renverse le président Bédié par un coup d'état qui permet à l'ancien Général Robert Guéï de prendre le pouvoir. Ce dernier qui propose une transition politique afin de « balayer la maison »32 va reprendre à son compte le concept de l'ivoirité pour exclure à nouveau de l'élection présidentielle organisée en octobre 2000 à l'issue de la transition politique, le leader du RDR, Alassane Dramane Ouattara. Le Général Guéï qui se déclare "candidat du peuple" à cette élection après avoir vainement tenté de se présenter sous la bannière de l'ex parti unique, le PDCI, est déclaré vainqueur par le ministère de l'intérieur. L'opposant historique Laurent Gbagbo se déclare président élu et appelle ses militants à descendre dans la rue afin qu'on ne leur "vole leur victoire." Les contestations qui éclatent à Abidjan le 24 octobre déboucheront sur un ralliement des Forces armées qui se mettent à la disposition de Laurent Gbagbo qu'elles reconnaissent comme Chef de l'Etat. Ce ralliement sera consolidé par la Commission Electorale Nationale qui proclame la victoire de Laurent Gbagbo. Dès le lendemain de cette annonce, de violents affrontements éclatent entre militants nordistes musulmans, partisans du RDR d'Alassane Ouattara et militants sudistes du FPI de Laurent Gbagbo. Le bilan de ces manifestations qui ont fait plus de cent morts va rapidement se corser quelques semaines plus tard avec la découverte à Yopougon dans la banlieue ouest

32 L'expression « balayer la maison » a été utilisée par le Général Robert Gué
· qui , rassurant la communauté internationale sur les intentions de l'armée voulait indiquer qu'elle ne voulait pas conserver le pouvoir, mais était intervenue pour assainir l'échiquier politique devenu vicié par des tensions de toutes sortes.

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d'Abidjan d'un charnier contenant cinquante sept corps identifiés comme étant essentiellement des musulmans du nord.

Dès le début de sa présidence Laurent Gbagbo reprend le concept de l'ivoirité à son profit pour en faire un instrument essentiel de la stratégie de consolidation de son pouvoir. "Il remettra en cause cette conception de l'ivoirité basée sur l'ethnie Akan33 et lui donnera plutôt une base régionaliste et religieuse en l'élargissant à l'ensemble du sud chrétien. Preuve que l`ivoirité est un construit social contemporain à géométrie variable. Cette nouvelle donne ne fera qu'aggraver l'instrumentalisation d'une opposition séculaire supposée entre ivoiriens chrétiens du sud forestier et ceux majoritairement musulmans des savanes du nord."34 Le nouveau pouvoir se dévoile dans cette volonté par son rejet de la candidature d'Alassane Ouattara aux élections législatives organisées juste après la présidentielle en décembre 2000. Le RDR qui proteste contre l'exclusion de son leader du scrutin, renonce à y participer et appelle ses militants à manifester dans les rues d'Abidjan. La manifestation violemment réprimée fera selon un bilan officiel une vingtaine de morts. Dans de nombreuses circonscriptions électorales au nord du pays, fief électoral d'Alassane Ouattara les élections n'ont pas pu avoir lieu.

En définitive la tension sociale que le coup d'état du 24 décembre 1999 est censé résorber n'aura fait que monter en puissance, à tel point que le président Laurent Gbagbo dût se résoudre en août 2002 à mettre en place un gouvernement d'union nationale incluant toutes les grandes formations politiques du pays. Mais cette décrispation semble être amorcée trop tard puisque le 19 septembre 2002, avec le déclenchement de la rébellion, le pays va se retrouver dans la tourmente d'une crise politique sans précédent dont le règlement va se révéler très complexe dans un environnement régional déjà assez agité par les conflits internes.

33 Les Akan représentent un groupe ethnique implanté dans le sud-est de la Côte d'Ivoire, et qu'on retrouve également dans l'ouest du Ghana. Les Baoulé, ethnie du président Bédié constituent en Côte d'Ivoire le noyau central de ce groupe.

34MEMIER, (Marc) et LUNTUMBUE, (Michel), La Côte d'Ivoire dans la dynamique d'instabilité ouest africaine : les racines de la crise postélectorale 2010-2011, Bruxelles, Note d'analyse du Groupe de Recherche et d'Information sur la Paix et la Sécurité (GRIP), 31 janvier 2012, p5

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2. Les causes liées à l'instabilité de la sous-région ouest africaine

La fin de la guerre froide a eu comme conséquence immédiate entre autres le désengagement des puissances occidentales de l'Afrique. Cette situation vécue comme un "lâchage" par nombre de régimes dictatoriaux qui trouvaient leur soupape de sécurité dans les rivalités du monde bipolaire a entrainé des mouvements de contestations qui ont souvent débouché sur des luttes armées internes. L'Afrique de l'ouest a été particulièrement agitée en cette période où les luttes de pouvoir, attisées par la soif de démocratisation ont favorisé dans certains pays des affrontements internes, souvent d'une violence inouïe. "Ainsi, la dynamique de régionalisation de l'insécurité en Afrique de l'ouest s'est déclenchée en 1989 lorsque Charles Taylor, un membre de l'élite libérienne, a lancé une rébellion armée contre la dictature de Samuel Doe au Liberia."35 A la faveur des jeux d'alliances nouées sur fond de calculs politiques régionaux et de l'implantation transnationale des ethnies dans la région, le conflit libérien s'est très vite exporté en Côte d'Ivoire. Derrière l'affrontement entre les forces rebelles conduites par Charles Taylor et les forces gouvernementales du président Samuel Doe, on retrouve une lutte de pouvoir entre deux ethnies, à savoir les Khrans dont est issu Samuel Doe et les Gio, ethnie de Charles Taylor. Or les Khran qu'on identifie au Guéré de l'ouest de la Côte d'Ivoire avec lesquels ils parlent la même langue ont très tôt après la chute de Samuel Doe fait de l'ouest ivoirien avec le soutien de Laurent Gbagbo, leur base arrière pour continuer la lutte contre Charles Taylor.

Dans sa quête des appuis régionaux pour la conquête du pouvoir, Laurent Gbagbo avait dès les années 1980 établi des contacts avec Samuel Doe dont il soutiendra les proches même après l'arrivée au pouvoir de Charles Taylor. Ce dernier, naguère soutenu dans sa rébellion contre le pouvoir en place à Monrovia par le défunt Président ivoirien Félix Houphouët-Boigny par l'intermédiaire de son chef d'état major d `alors qui n'était autre que le Général Robert Guéï avait des raisons d'en vouloir au pouvoir de Laurent Gbagbo. Ce passif contribuera remarquablement à complexifier le conflit ivoirien qui, à l'origine a été déclenché par un groupe de militaires essentiellement issus des communautés ethniques du nord de la Côte d'Ivoire pour des légitimes besoins identitaires. Mais très tôt, Charles Taylor qui cherchait depuis longtemps les moyens pour saper la base arrière des Khran que se trouve être l'ouest de la Côte d'Ivoire n'hésite pas à s'inviter dans le conflit. Avec l'intention à peine voilée de faire tomber Laurent Gbagbo, le président libérien soutien la création sur le

35 MEMIER, (Marc) et LUNTUMBUE, (Michel), Op Cit, p 11

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territoire ivoirien de groupes rebelles connexes qu'il entraine et arme. Selon un rapport de l'ONG britannique Global Witness, le MPIGO et le MJP, deux groupes ayant rejoints la rébellion dans l'ouest de la Côte d'Ivoire serait composé « à 90% des mercenaires libériens et sierra léonais, pour la plupart provenant de l'ancien RUF ou des forces de sécurité de Taylor ».36

En face, Laurent Gbagbo que les luttes de pouvoir avait rapproché de Samuel Doe, donc des Khran du Liberia désormais refugiés dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire, apparentés aux Guéré dont le Président ivoirien bénéficie du soutien, n'a pas eu de difficultés à recruter et armer des anciens membres du LURD37 pour l'appuyer contre la rébellion. Ainsi, des combattants du LURD ont été recrutés et armés pour combattre aux côtés des FANCI (Forces Armées Nationales de Côte d'Ivoire). Un accord avait même été conclu selon lequel « les Khran libériens participeraient à la guerre menée par Gbagbo en échange de quoi leur serait accordés le libre passage au Liberia et une aide militaire pour renverser Taylor ».38 L'appropriation du conflit ivoirien par les factions en opposition au Liberia était telle que parfois les combats sur le théâtre ivoirien n'opposaient que des libériens entre eux, comme l'illustre la bataille de Toulepleu au début de l'année 2003.

D'un autre côté, la situation politique d'avant le 19 septembre 2002 devenue de plus en plus délétère en Côte d'Ivoire semblait ne pas laisser indifférent le Burkina Faso qui avait deux raisons fondamentales de se préoccuper du climat politique interne de son grand voisin. D'abord en tant que pays enclavé, ne disposant pas d'un accès direct à la côte maritime le Burkina est tributaire de la Côte d'Ivoire pour ses échanges commerciaux avec l'extérieur. L'essentiel du trafic burkinabé en matière d'importation et d'exportation transite par le Port d'Abidjan. Ensuite on relève sur le sol ivoirien une forte diaspora burkinabé constituée essentiellement d'agriculteurs et d'ouvriers estimés à plus de trois millions, et dont les

36 COMARIN, (Elio), Côte d'Ivoire : comment Taylor contrôle l'Ouest via le MPIGO et le MJP, www1.rfi.fr, 03 avril 2003

37 Le LURD (Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie) est un rassemblement de factions armées de l'ancien ULIMO (Mouvement Unifié pour la démocratie au Libéria) qui combattait le NPFL (Front Patriotique National de Libération du Liberia) de Charles Taylor. La fraction Khran du LURD basée dans l'ouest ivoirien était totalement acquise à la cause de Laurent Gbagbo.

38 ERO, (Comfort), et MARSHALL, (Anne), L'ouest de la Côte d'Ivoire : un conflit libérien ? in Politique Africaine N°89, mars 2003, p 97

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transferts financiers réguliers dans leur pays d'origine représente un pactole non négligeable pour l'économie nationale. Le Burkina, pour ces raisons majeures s'est toujours intéressé de très près au développement de la situation politique en Côte d'Ivoire." Après le déclenchement de la rébellion, le soutien du régime de Blaise Compaoré à la cause des rebelles ivoiriens s'est vérifié à travers un appui politique et militaire. Les leaders du mouvement rebelles du MPCI ont effectué plusieurs voyages à Ouagadougou durant l'insurrection armée pour « prendre des instructions ou informer les autorités », et ce jusqu'au plus haut niveau de l'Etat".39

Quoique déclenché par une forte crispation politique interne, le conflit ivoirien de septembre 2002 a trouvé un terrain favorable dans un environnement où la conflictualité régionale présentait déjà une sérieuse menace. La guerre civile qui a commencé au Liberia en décembre 1989 et qui a déstabilisé par la suite la Sierra Leone avant de s'exporter brièvement sur le territoire Guinéen avait déjà suffisamment miné la Côte d'Ivoire pour qu'une rébellion ne prenne pas des allures assez complexes dans son évolution. C'est donc à une crise aux ramifications régionales multiples et insoupçonnées que doit faire face la CEDEAO qui s'est promptement portée au chevet de la Côte d'Ivoire pour essayer d'endiguer le conflit et proposer sa médiation.

B. L'implication de la CEDEAO dans le processus de rétablissement de la paix

Dès le lendemain des attaques du 19 septembre 2002 à Abidjan, Bouaké et Korhogo, visant le renversement du pouvoir de Laurent Gbagbo, la CEDEAO a promptement réagi. Le premier acte de l'organisation sous régionale a été la condamnation par un communiqué signé de son Secrétaire Exécutif Mohammed Ibn Chambas des violences perpétrées en Côte d'Ivoire. S'appuyant sur les dispositions du Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, le communiqué de la CEDEAO dénonce " une conduite inconstitutionnelle" des rebelles et fait remarquer que " ces évènements sont préoccupants du fait qu`ils compromettent les efforts déployés pour instaurer une culture démocratique dans la

39 MEMIER, (Marc) et LUNTUMBUE, (Michel), Op Cit, p 13

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sous-région ouest africaine". 40Ensuite, dès le 23 septembre un sommet extraordinaire des Chefs d'Etat et de Gouvernement est convoqué par le président en exercice, le Chef de l'Etat sénégalais, Abdoulaye Wade. Ce sommet qui se tiendra finalement après un report de quelques jours à Accra dans la capitale ghanéenne, et élargi au président en exercice de l'OUA, le sud africain Thabo Mbeki et son Secrétaire Général Amara Essy ainsi que le représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, ira au delà de la simple condamnation de la rébellion en Côte d'Ivoire. Après avoir réaffirmé la position de la CEDEAO aux termes de laquelle "aucune reconnaissance ne sera accordée à tout gouvernement qui prendra le pouvoir en renversant un gouvernement démocratiquement élu ou en utilisant des moyens anticonstitutionnels",41 le sommet a décidé de la création d'un groupe de contact de haut niveau. Ce groupe de contact composé des Chefs d `Etat du Ghana, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Nigeria et du Togo aura pour mission « d'établir le contact avec les assaillants, les amener à cesser immédiatement les hostilités, ramener le calme dans les localités occupées et négocier un cadre général de règlement de la crise ». Mais si ce sommet a l'avantage de prouver une fois encore la réactivité de la CEDEAO et son attachement à la culture démocratique dans l'espace ouest africain, il permet tout de même à l'organisation sous régionale de se rendre compte que le règlement de cette crise ne serait pas une sinécure.

1. La CEDEAO face aux impondérables de la crise

Deux faits étonnants se dégagent du communiqué final du sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement de la CEDEAO d'Accra. Il s'agit de la reconnaissance officielle des forces rebelles comme des « assaillants », et de l'abstention de l'organisation communautaire de décider de l'envoi d'une force d'interposition entre les belligérants. En créant un groupe de contact «missionné« pour prendre contact avec les forces rebelles et « négocier un cadre général de règlement de la crise », la CEDEAO entreprend ainsi une médiation devant amener les protagonistes de la crise autour d'une table de discussion. On s'étonne que tout en faisant une telle option, l'organisation qualifie les forces rebelles d' « assaillants » et se contente

40 www.panapress.com, la CEDEAO condamne la mutinerie en Côte d'Ivoire, 20 septembre 2002

41 CEDEAO, Communiqué Final du Sommet extraordinaire des Chefs d'Etat et de Gouvernement sur la situation en Côte d'Ivoire, Accra, 29 septembre 2002

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d'inviter ces derniers à « déposer les armes et de régler leurs différends avec le gouvernement par des voies pacifiques » sans envisager immédiatement la mise en place d'une force d'interposition alors que les violences continuent de se répandre dans plusieurs régions de la Côte d'Ivoire.

De toute évidence, cette position de l'organisation communautaire ne s'est pas manifestée ex nihilo. Elle procède plutôt d'un certain nombre de préoccupations chères au président ivoirien Laurent Gbagbo, que ce dernier a défendu bec et ongles lors du sommet d'Accra.

Premièrement, le Chef de l'Etat ivoirien qui, dès le début de la crise avait pointé du doigt le Burkina Faso comme instigateur des attaques contre son pays préférait faire jouer les accords de défense entre la Côte d'Ivoire et la France. Dans cette optique il était capital pour le gouvernement ivoirien de faire accepter implicitement à la CEDEAO que les attaques perpétrées contre son pays étaient menées par des « assaillants », donc des forces armées extérieures à la Côte d'Ivoire et non des groupes rebelles de l'intérieur.

En réussissant à faire adopter par le sommet un communiqué final à sa mesure, le président ivoirien cherchera durant cette période comme le fait remarquer Hugo Sada "à se prévaloir des conclusions du sommet d'Accra pour limiter les effets d'une dynamique régionale dont il perçoit alors le triple risque: celui de l'irruption dans le jeu ivoirien des pays de la région, dont beaucoup, à ses yeux, lui sont hostiles, soutiennent les rebelles ou sont proches d'Alassane Ouattara ; celui de la mise en place d'une force d'interposition qui, de facto, protégerait les positions des rebelles dans le nord et l'ouest du pays, et donc l'empêcherait de mettre en oeuvre une solution militaire ; et celui d'une médiation qui donnerait aux rebelles un statut d'opposants reconnus postulants à un partage du pouvoir en Côte d'Ivoire, avec de nouvelles règles constitutionnelles et d'éventuelles élections anticipées. "42On voit dans la démarche du président ivoirien une manière à peine voilée d'éviter la prise en main totale du processus de paix par la CEDEAO.

42 SADA, (Hugo), Le conflit ivoirien : enjeux régionaux et maintien de la paix en Afrique, in Politique étrangère, N°2, 2003, p 323

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Mais s'il est parvenu grâce à une interposition de la France43, au motif officiel avancé par l'Hexagone de protéger les ressortissants français et étrangers vivant en Côte d'Ivoire, à contenir les rebelles au delà de Yamoussoukro, le président ivoirien n'a pas réussi à faire jouer l'accord de défense entre les deux Etats. En qualifiant le conflit d'ivoiro-ivoirien, la France s'est refusée à toute immixtion dans les affaires intérieures de la Côte d'Ivoire et se cantonne dans un rôle, suspect aux yeux du pouvoir ivoirien, de protecteur de ses ressortissants et des étrangers.

Sur le plan du règlement politique de la crise qui est à la charge de la CEDEAO, le groupe de contact mis en place par le sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement éprouve de difficultés à dérouler sa feuille de route. Ses premières négociations eu vue d'un cessez le feu ont échoué. Mieux, la diplomatie parallèle mise en oeuvre par le Ministre sénégalais des Affaires Etrangères, à l'initiative du président Abdoulaye Wade en sa qualité de président en exercice, et appuyée par le Secrétaire Exécutif de l'Organisation n'a pas pu prospérer du fait d'inextricables rivalités politiques régionales. Le président en exercice, Abdoulaye Wade est accusé par certains de ses pairs de prendre des initiatives trop solitaires. D'autres Chefs d'Etat de la sous-région, soucieux d'utiliser le règlement de cette crise à des fins personnelles ne cachent plus leurs envies de leadership dans la médiation.

L'organisation communautaire qui obtient tout de même un cessez-le-feu le 17 octobre sans pour autant éviter que le conflit s'étende dans l'est et le sud-ouest de la Côte d'Ivoire avec l'apparition de nouveaux mouvements rebelles, à savoir le MJP et le MPIGO prend conscience de l'enlisement de sa mission. En attendant les propositions de la Commission Défense et Sécurité chargée d'examiner les modalités de la mise en oeuvre d'une Force de Paix, le président Gnassingbé Eyadema du Togo prend le relais en tant que coordonateur de la médiation. S'il parvient à accorder les protagonistes de la crise sur le volet militaire, il ne progresse guère quant aux solutions politiques. L'échec de la CEDEAO dans la recherche d'une solution globale et immédiate à la crise ivoirienne se révèlera au grand jour au sommet extraordinaire de l'organisation tenu à Dakar le 18 décembre 2002 par l'indifférence consciente ou non affichée par de nombreux Chefs d'Etat qui ont brillé par leur absence. Seulement quatre Chefs d'Etat sur quinze étaient présents à Dakar!

43 Dès le 22 septembre 2002, la France envoie en Côte d'Ivoire les premiers renforts militaires pour assurer la sécurité des étrangers dont quelque 3000 seront évacués. Une force française s'installe à Yamoussoukro pour empêcher la progression des forces en conflit.

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Dans l'esprit de sa nouvelle diplomatie d'après la chute du mur de Berlin en Afrique, fondée sur le principe de "ni ingérence, ni indifférence", la France constate l'incapacité de plus en plus visible de la CEDEAO à assurer la médiation, et essaie de reprendre la main. Elle obtient du Sénégal qui assurait toujours la présidence de l'organisation que la situation ivoirienne soit portée devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Concomitamment, l'ancienne puissance coloniale prend l'initiative d'inviter toutes les forces politiques ivoiriennes pour une table ronde à Linas-Marcoussis en territoire français, suivi d'un sommet qui a réuni à l'avenue Kleber à Paris les Chefs d'Etat directement concernés par la crise ainsi que les représentants de l'ONU, de l'Union européenne, l'Union africaine et de la CEDEAO. Les Accords politiques sortis de ses assises, appelés Accords de Linas-Marcoussis ou Accords Kleber vont mettre fin aux hostilités et susciter de réels espoirs pour l'aboutissement du processus de sortie de crise. Dépitée tout de même par son incapacité malgré les heureuses perspectives qui se dégagent de ces Accords, la CEDEAO se verra quelque peu consolider dans sa mission dans la crise ivoirienne par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

2. Les espoirs déçus de la CEDEAO

Par la résolution 1464 du 4 février 2003, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a fait de la CEDEAO le coeur battant du dispositif de rétablissement de la paix en autorisant l'ECOFORCE à imposer avec l'appui de la force française Licorne, la paix en Côte d'Ivoire en référence au chapitre VII de la charte des Nations Unies. Consolidé par ce mandat onusien, la CEDEAO reprend l'initiative pour faire avancer le processus de paix. Le 6 mars 2003, à l'initiative du nouveau président en exercice de l'organisation, le ghanéen John Kufuor, les leaders des différentes forces politiques ivoiriennes ont tenu une réunion de concertation à Accra afin de mettre en place le gouvernement de réconciliation dirigé par le Premier ministre Seydou Diarra, conformément aux Accords de Linas-Marcoussis.

Sur le plan militaire, la Commission Défense et Sécurité de la CEDEAO obtient une redéfinition de la Mission des Nations Unies en Côte d'Ivoire (MINUCI) créée par la résolution 1479 du 13 mai 2003 par le Conseil de Sécurité qui deviendra une opération de maintien de paix. La MUNICI est ainsi muée en "Opération des Nations Unies en Côte

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d'Ivoire, ONUCI."44Mais l'accalmie observée sur le champ militaire suite à la mise en place du dispositif ONUCI-ECOFORCE-LICORNE de maintien de paix contraste avec les convulsions qui continuent d'avoir cours sur le terrain politique.

En effet, le président Laurent Gbagbo qui n'avait accepté de lâcher du lest qu'à son corps défendant pour permettre la conclusion des Accords de Linas-Marcoussis qui le dépouillaient d'une bonne partie de ses prérogatives présidentielles au profit du Premier ministre, fait de la résistance dans la mise en oeuvre des réformes prévues. Le bras de fer entre le Président et le Premier ministre appuyé par les forces politiques de l'opposition paralyse très rapidement le gouvernement de transition. Le président ghanéen, John Kufuor encouragé par le secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan invite à nouveau les protagonistes de la crise à Accra le 30 juillet 2004 à un sommet extraordinaire des Chefs d'Etat et de Gouvernement de la Communauté. Ce sommet auquel prit part aussi le président Thabo Mbéki en qualité de président de l'Union africaine était destiné à aplanir les difficultés survenues dans l'application des Accords de Linas-Marcoussis, et lever les blocages du processus de paix. Les Accords obtenus à l'issue du sommet dits Accords d'Accra II ont relancé les activités du gouvernement de transition paralysé depuis un moment par des clivages internes. Mais très tôt, des dissensions au sommet de l'exécutif de transition apparaissent à nouveau et s'amplifient, au point où le 20 octobre, "la CEDEAO tire sur la sonnette d'alarme et dit exprimer avec préoccupation l'absence de progrès enregistré dans le processus de paix en Côte d'Ivoire."45

Sur le théâtre des opérations militaires, les Forces Armées Nationales de Côte d'Ivoire (FANCI), toujours restées sous le commandement du président de la république de Côte d'Ivoire violent le cessez-le-feu en bombardant les villes de Bouaké, Yamoussoukro et Korhogo. Cette opération qui fait plusieurs dizaines de victimes civiles et militaires, dont neuf soldats français est unanimement condamnée par la communauté internationale.

44 L'ONUCI a été constituée en application de la résolution 1528 du 27 février 2004 qui fait suite à la résolution 1464 autorisant la mise en place de la MINUCI et de l'ECOFORCE. Déployée initialement pour une période de 12 mois, son mandat sera régulièrement prolongé jusqu'à la fin du processus électoral en Côte d'Ivoire.

45 BAPIDI, (Didier), La CEDEAO dans la crise ivoirienne : 2002-2007, contribution de l'organisation sous régionale dans la recherche d'une solution pacifique au conflit ivoirien, Saarbr·cken, Presses Académique francophones, 2015, p 61

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Face à ce nouveau constat d'échec des efforts de la CEDEAO que le camp présidentiel ivoirien récuse à mots couverts, soupçonnant toujours un certain nombre de pays membres d'être opposés à ses intérêts, L'Union africaine se résout à prendre le relais dans la médiation. Le 6 novembre 2004 le président nigérian, Olusegun Obasanjo, président en exercice de l'organisation continentale organise à Ota au Nigeria des consultations avec la Commission de l'Union africaine et la CEDEAO. L'Union africaine mandate à l'issue de son sommet de novembre 2004 à Abuja, le président Thabo Mbeki comme médiateur de la crise ivoirienne. Le président sud africain, très déterminé à sauver la face de l'Afrique qui a déjà suffisamment montré ses faiblesses dans la résolution de ce conflit, invite dès le 6 avril 2OO5 à Pretoria les principaux leaders ivoiriens dont le Président Laurent Gbagbo, le Premier ministre Seydou Diarra et le Secrétaire Général des FNCI,46 Guillaume Soro. Les négociations basées sur les plateformes de Linas-Marcoussis, de Accra I et Accra II ainsi que les résolutions des Nations Unies débouchent sur la volonté partagée par toutes les parties d'organiser l'élection présidentielle en octobre 2005. Le président Gbagbo, visiblement plus rassuré par la médiation sud africaine finit par céder sur la question de l'éligibilité d'Alassane Ouattara à la présidentielle, qui était pour lui un point non négociable depuis les Accords de Linas-Marcoussis.

Quand on se réfère aux mobiles ayant conduit à la rébellion, cette concession de Laurent Gbagbo constitue une avancée considérable dans la résolution du conflit. Mais très tôt de nouveaux points de discorde liés notamment à l'établissement des listes électorales apparaissent et le processus de paix s'embourbe à nouveau. On assistera même à une escalade de la violence qui va se solder par un massacre de plusieurs dizaines de personne dans l'ouest du pays. Les Accords de Pretoria I ainsi plombés vont conduire à Pretoria II le 29 juin 2005, mais les parties maintiennent la date du 30 octobre pour la tenue de l'élection présidentielle.

Les tiraillements finiront par avoir raison de cet agenda électoral et, aux querelles déjà existantes, va s'ajouter la question du maintien au pouvoir de Laurent Gbagbo comme président de la république au delà de la date du 30 octobre (son mandat constitutionnel devant déjà arriver à terme). Statuant sur un rapport de la CEDEAO sur la situation, l'Union africaine

46 Les FNCI (Forces Nouvelles de Côte d'Ivoire), sont une coalition de mouvements rebelles composée du MPCI, du MPIGO et du MJP, qui ont pris part aux différentes étapes des négociations du processus de paix en Côte d'Ivoire

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constate tout comme les leaders ivoiriens l'impossibilité d'organiser l'élection présidentielle à cette date et proroge le mandat du président Gbagbo d'un an à compter du 31 octobre 2005. Mais son pouvoir sera vidé de ces prérogatives substantielles qui seront attribuées au nouveau Premier ministre de consensus, Charles Konan Banny, conformément à la résolution 1633 adoptée par le Conseil de Sécurité sur la base des recommandations de la CEDEAO et de l`UA. Gbagbo qui dénonce une "mise sous tutelle de fait de son pays" par cette résolution s'engage dans un bras de fer et se dit déterminé à exercer ses pouvoirs constitutionnels. L'impasse se crée à nouveau car à la date du 30 octobre 2006 l'élection présidentielle n'a pas pu se tenir. Le président Laurent Gbagbo brave encore la résolution 1721 adoptée le 1er novembre 2006 à la suite de nouvelles recommandations de la CEDEAO et de l'UA et propose ce qu'il appelle "un dialogue direct " avec le Secrétaire Général des FNCI. Conscient que le rapport de force se joue entre lui et les mouvements rebelles, désormais appelés FNCI, le président ivoirien ne rechigne même plus à se soumettre à la médiation du président Blaise Compaoré qu'il accusait directement de soutenir la rébellion. Les laborieuses négociations engagées sous l'égide du président burkinabé en qualité de président exercice de la CEDEAO aboutissent à la conclusion des Accords politiques de Ouagadougou le 4 mars 2007.

C'est finalement ces Accords politiques de Ouagadougou essentiellement conclus grâce à l'entregent personnel du Chef de l'Etat Burkinabé, qui partagent le pouvoir exécutif entre le Président Laurent Gbagbo et son nouveau Premier ministre, Guillaume Soro qui vont ressusciter de réels espoirs de sortie de crise. L'élection présidentielle prévue comme ultime étape du processus de sortie de crise et maintes fois reportée pour cause de divergences liées notamment à la question du désarmement et à l'établissement des listes électorales finit par se tenir le 31 octobre 2010. Mais si les Accords de Ouagadougou et la tenue de la présidentielle peuvent apparaître à juste titre comme une reprise en main par la CEDEAO du processus de paix, couronné par un relatif succès, le second tour du scrutin organisé le 28 novembre 2010 va déboucher sur une crise dont le bilan humanitaire sera sans précédent dans l'histoire de la Côte d'Ivoire.

51

Deuxième Partie:

De la crise post-électorale au rétablissement de la légitimité
constitutionnelle

52

Chapitre I: La médiation de la CEDEAO

53

Dès le lendemain de l'imbroglio électoral qui s'est installé à Abidjan à la suite de la proclamation des résultats du second tour du scrutin présidentiel du 28 novembre par la CEI et le Conseil Constitutionnel, la CEDEAO s'est mobilisée au plus haut niveau. Le 7 décembre 2010 un sommet extraordinaire des Chefs d'Etat et de Gouvernement de la CEDEAO consacré à la crise ivoirienne qui vient ainsi de prendre une nouvelle tournure se réunit à Abuja au Nigéria. Le communiqué final qui en sera issu suspend la participation de la Côte d'Ivoire aux instances de l'organisation sous-régionale et indique clairement que « les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont reconnu M. Alassane Ouattara comme président élu de Côte d'Ivoire et invite M. Laurent Gbagbo à respecter les résultats de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire tels que certifiés par l'ONUCI, et à rendre sans délai le pouvoir dans l'intérêt supérieur de la Côte d'Ivoire«. 47 Mais face à l'enjeu que représente pour le président Laurent Gbagbo et ses soutiens politiques la conservation du pouvoir d'Etat, il faudra bien plus qu'une récusation officielle de la CEDEAO des résultats proclamés par le Conseil constitutionnel et une injonction pour que la situation se normalise en Côte d'Ivoire.

A- le volontarisme communautaire à l'épreuve de l'urgence ivoirienne

A la suite du sommet extraordinaire du 7 décembre 2010 tenu à Abuja au Nigeria et consacré à la crise ivoirienne, un autre sommet a réuni les Chefs d'Etat le 24 décembre 2010 pour réaffirmer la position de l'organisation sous-régionale au sujet de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire. 48 Ce sommet a notamment pris comme mesure au titre des résolutions, la mise en place d'une équipe de médiation de la CEDEAO avec pour mission de rencontrer les différents protagonistes de la crise, mais surtout de ramener le président Laurent Gbagbo à la raison.

1- Les bons Offices de la CEDEAO

Composée des Chefs d'Etat du Bénin, du Cap-Vert et de la Sierra-Leone, cette équipe de médiation s'est rendue dès la fin du sommet, soit le 24 décembre à Abidjan avec pour mission

47

lemonde.fr, 9 décembre 2010, Extrait du communiqué final du sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la crise en Côte d'Ivoire

48

Voir communiqué final en annexe 2

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assignée de convaincre Laurent GBAGBO à reconnaître sa défaite et céder le pouvoir à Alassane Ouattara. Après avoir rencontré le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations-unies en Côte d'Ivoire, Young Jin Choi, les trois Chefs d'Etat ont eu une longue entrevue de plus de trois heures avec le président Laurent Gbagbo au palais présidentiel avant d'aller rencontrer Alassane Ouatttara et ses soutiens réfugiés depuis la proclamation des résultats du second tour de la présidentielle à l'hôtel du Golfe sous forte protection des soldats de l'ONUCI, la mission des Nations-Unies en Côte d'Ivoire. Malgré son opiniâtreté, l'équipe des trois Chefs d'Etat est reparti d'Abidjan sans aucune avancée dans la résolution pacifique de la crise. Laurent Gbagbo reste campé sur sa position de vainqueur «légitimé« par le Conseil Constitutionnel dont il excipe les «preuves« pour convaincre la mission, tandis que Alassane Ouattara et son camp sont demeurés persuadés de leur victoire et estiment que « le statut de président de la République de Monsieur Ouattara n'est pas négociable«. En termes clairs, les positions des uns et des autres sont encore loin de bouger.

Sur le terrain, la tension devient de plus en plus palpable. Le camp Ouattara lance un appel à une grève générale eu vue de paralyser l'activité économique dans le pays et contraindre Gbagbo à céder le pouvoir. Peu suivi les premiers jours, le mouvement finira par perturber significativement l'activité économique à Abidjan et dans plusieurs villes à l'intérieur du Pays. Ce mouvement intervient dans un contexte de blocus financier décrété par l'UEMOA49 et les institutions de Brettonwood. En effet, conformément aux mesures de rétorsion prises à l'encontre du gouvernement illégitime de Laurent Gbagbo par la CEDEAO pour le contraindre à céder le pouvoir, l'UEMOA a pris une séries de mesures dont l'objectif est de pousser le pouvoir Gbagbo à une cessation de paiement. Ainsi, dès le 26 janvier 2011 les agences de la banque centrale , BCEAO50 devraient fermer sur toute l`étendue du territoire de la Côte d'Ivoire. Toutes les agences des banques primaires ivoiriennes seront déconnectées du système bancaire de la sous-région, isolant ainsi le pays de toute possibilité de transaction avec les autres Etats de l'UEMOA. Le pays va se trouver rapidement confronté à un assèchement de liquidité qui va durement impacter les activités économiques. L'UEMOA a

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UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) est une organisation qui a pour mission l'intégration économique des Etats membres, à travers le renforcement de la compétitivité des activités économiques en favorisant au sein de l'espace ouest-africain l'accès à un marché concurrentiel et juridiquement encadré. Il regroupe les pays ouest africain ayant en partage le franc CFA.

50

BCEAO ( Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest)

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également demandé à la BCEAO de prendre les dispositions pour récuser la signature du gouvernement Gbagbo. Ces différentes mesures auxquelles viendront s'ajouter celles de la Banque mondiale et du FMI qui ont suspendu tous leurs programmes en cours avec la Côte d'Ivoire vont notablement corser la situation économique et sociale du Pays au début de l'année 2011.

La colère monte dans le camp Gbagbo et des actes de violence sont de plus en plus enregistrés, notamment à Abidjan. A Yopougon, quartier populaire à la périphérie d'Abidjan et très favorable au président Gbagbo un convoi de la mission des Nations-Unies est pris à partie et des véhicules incendiés. Un casque bleu s'est vu le bras tranché à la machette par une foule surexcitée de partisans de Gbagbo.

Sur la plan diplomatique, le nouveau gouvernement nommé par Gbagbo à la suite de son investiture contestée et dirigé par Aké Ngbo brandit la menace de renvoyer tous les chefs de missions diplomatiques dont les pays reconnaîtraient les ambassadeurs ivoiriens entre-temps nommés par Alassane Ouattara et son gouvernement dirigé par Guillaume Soro. Ceci d'autant plus que « dans le sillage des Nations-Unies qui ont accepté les lettres de créances de Youssouf Bamba, nouvel ambassadeur nommé par Alassane Ouattara, les pays de la région devraient en faire de même«.51

Face à cette escalade de la tension que va sûrement amplifier la bactérie de sanctions à venir dans l'esprit de l'approche de sanctions graduelles adoptée par la CEDEAO, une nouvelle mission de l'organisation sous-régionale se rend à Abidjan le 3 janvier, effectuée par le même groupe de Chefs d'Etats mandatés par le précédent sommet extraordinaire de la CEDEAO. Mais le président Laurent Gbagbo s'obstine toujours à revendiquer sa victoire et une fois de plus, invite à un recomptage des suffrages du scrutin du 28 novembre et refuse tous les aménagements proposés pour lui offrir une retraite paisible. Ce nouvel échec des négociations semble pousser la CEDEAO à une espèce de radicalisation.

2- Le spectre d'une intervention militaire de la CEDEAO

Dans la droite ligne du choix des sanctions graduelles fait par l'organisation sous-régionale pour contraindre la président Gbagbo à abdiquer, l'option militaire évoquée dans le communiqué officiel du sommet du 24 décembre comme une éventualité pour faire respecter

51

www.rfi.fr, La Côte d'Ivoire au menu d'un sommet extraordinaire de la CEDEAO, 24

décembre 2010

56

le verdict des urnes en cas d'échec des négociations apparait de plus en plus comme une évidence. Des réunions de concertation ont regroupé les chefs d'état-major de la CEDEAO du 28 au 29 décembre 2010 et du 18 au 20 janvier 2011 pour étudier les modalités pratiques pour engager des troupes sur le théâtre ivoirien. Le Nigéria, assumant la présidence en exercice de l'organisation communautaire introduit le 24 janvier auprès du Conseil de sécurité des Nations-unies une requête «validant l'usage de la force, mais en dernier recours« pour faire respecter le résultat proclamé par la CEI en cas d'échec des missions de médiation. Cette requête se heurte aux vétos de la Russie et de la Chine, tous deux membres permanents du Conseil de sécurité «qui se montrent très timides dans la condamnation de Laurent Gbagbo depuis le début de la crise ivoirienne«52. Fort de cette difficulté à mettre en oeuvre une intervention militaire pour installer son challenger au pouvoir, Laurent Gbagbo qui conserve le soutien des forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS) continue d'exercer son contrôle sur les régions clés du territoire national ainsi que les infrastructures économiques stratégiques du pays comme les ports d'Abidjan et de San Pedro. Aussi, sa capacité à faire fonctionner l'administration et à contourner les mesures de blocus économique, notamment par la réquisition de certains établissements bancaires nationaux et la nationalisation de la commercialisation du café et du cacao lui procure d'indéniables moyens de résistance face à la pression internationale. C'est dans ce contexte que semble s'imposer ce choix audacieux à l'organisation communautaire qui joue une fois encore sa propre crédibilité en démontrant la capacité opérationnelle de son architecture de gestion de crise. L'organisation sous-régionale qui s'est heurtée à une résistance silencieuse de la Russie et de la Chine dans sa requête pour disposer d'un mandat de l'ONU en vue d'une intervention militaire en Côte d'Ivoire, se trouve en butte à d'autres difficultés inattendues qui sont apparues dans ses rapports avec certains Etats, notamment au sein de l'Union Africaine.

B- Le choc de la médiation de la CEDEAO avec les ambitions de puissances régionales du Nigéria et de l'Afrique du sud

Le Nigeria et l'Afrique du Sud sont aujourd'hui les deux plus puissantes économies du continent africain avec respectivement un PIB de 415,08 milliards USD et 280,36 milliards

52

Le Strat (Yoann), Crise postélectorale en Côte d'Ivoire: un pays dans l'impasse, Université

de Laval, in www.reagrdcritique.ca, février 2011

57

USD (2016)53. Outre cette puissance économique, le Nigeria et l'Afrique du Sud se caractérisent par de remarquables richesses naturelles pour lesquelles ils tiennent le premier rang au niveau continental, voire mondial pour certaines, à savoir d'impressionnants gisements de pétrole pour le premier et de l'or, du diamant et de la platine pour le second. Ces atouts économiques naturels sont soutenus dans les deux pays par une économie diversifiée qui passent pour être des plus industrialisées du continent.

Forts de ces atouts qui les positionnent d'emblée comme des puissances économiques régionales, les deux pays se discutent le leadership au niveau continental. « Chacun de ces pays se veut le leader de l'Afrique. Cette rivalité économique se retrouve aussi dans le domaine diplomatique. le Nigeria s'est rapproché de la France sur bien des dossiers pour contrer l'Afrique du Sud: notamment pour tenter de trouver une issue à une solution régionale à la crise centrafricaine. Après s'être longtemps défié de Paris, le pouvoir de Lagos tente désormais de s'appuyer sur les réseaux français sur le continent, notamment en Afrique de l'Ouest.«54

En ligne de mire de cette rivalité économique, diplomatique et politique pour se positionner comme leader et porte-voix de l'Afrique se trouve un objectif de taille: l'obtention d'un statut de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Dans cette perspective, peser sur les processus de règlement des conflits sur le continent devient un enjeu majeur pour les deux puissances régionales pour démonter leurs ancrages dans les différentes régions de l'Afrique, mais aussi leur influences diplomatiques. C'est donc à juste titre que le Nigeria, se voyant investi d'un rôle de leader naturel de l'Afrique de l'Ouest prend la conduite des négociations de paix en Côte d'Ivoire, sous les auspices de la CEDEAO.

1- L'activisme du Nigeria, ou la preuve à la communauté internationale d'un attachement à la démocratie

Pays le plus peuplé d'Afrique, première économie du continent, ajouté à son potentiel militaire qui le classe deuxième armée d'Afrique, le Nigeria s'impose naturellement comme

53

Selon un rapport du FMI sur les perspectives économiques mondiales en Octobre 2017. En outre, longtemps classé deuxième économie africaine derrière l'Afrique du Sud, le Nigeria ravit la première place en 2014 par suite d'un changement de mode de calcul de son PIB.

54

Parsi, (Mandana), l'Afrique du Sud et le Nigeria,deux géants en défiance, www.rfi.fr, 14

avril 2017

58

leader des pays d'Afrique de l'Ouest, et par conséquent très influent au sein de la CEDEAO. Mieux, le pays s'est conférer au sein de l'organisation sous-régionale un rôle de quasi gendarme en n'hésitant pas à déployer des moyens humains et matériels rarement à la portée d'un Etat africain pour s'investir dans les opérations de prévention ou de rétablissement de paix en Afrique de l'Ouest. Dès le début des années 1990, au lendemain de la fin de la guerre froide, où les puissances occidentales se sont désintéressées de l'Afrique, le Nigeria n'a pas hésité à affirmer son statut de puissance régionale en utilisant efficacement comme tremplin les conflits régionaux provoqués par la soif de démocratie qui a touché de nombreux pays africains au lendemain de la chute du mur de Berlin. C'est ainsi que le pays s'est trouvé en avant garde de la force d'interposition de la CEDEAO ( ECOMOG) au Liberia en 1990, en Sierra Leone et en Guinée-Bissau en 1998, pour ne citer que les missions les plus emblématiques. Cette puissance militaire qui a fait la preuve de sa capacité dans certains conflits de la sous-région, ajoutée à l'activisme diplomatique connu pour le pays depuis la présidence d'Olusegun Obasanjo55 a permis au Nigeria de se forger son statut de leader incontestable, mais aussi d'imposer la CEDEAO comme «un interlocuteur incontournable de la communauté internationale dans la gestion des crises de la région .«56 C'est tout naturellement que le Nigeria prend le devant du processus de paix en Côte d'Ivoire en se proposant à fournir éventuellement un contingent militaire pour renforcer les troupes de l'ONUCI en place. A cet effet son ministre des affaires étrangères demande officiellement le 24 janvier 2011 une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies en vue d'obtenir une base juridique à une éventuelle intervention de la CEDEAO en cas d'échec des négociations. Même si certains Etats de l'Afrique de l'Ouest sont restés quelque peu timorés sur l'idée d'une intervention militaire qu'ils trouvent prématurée à cette étape de la crise, la fermeté nigériane emporte l'adhésion de la Conférence des Chefs d'Etat de la CEDEAO qui donne son quitus pour une saisine du Conseil de sécurité. « Pour le Nigéria, il faut également agir de manière décisive et rapide afin de prévenir les risques de déstabilisation régionale. Après les élections ayant traîné en longueur en Guinée, il n'est pas question de laisser s'enkyster une nouvelle crise électorale violente dans la sous-région. Ce d'autant plus que la Côte d'Ivoire

55

Succédant au dictateur Sani Abacha à la suite d'une transition démocratique sanctionnée par des élections générales qui l'ont porté à la tête du pays, Olusegun Obasanjo à été très actif sur le plan diplomatique pour redonner au Nigeria une certaine influence dans le concert des nations africaines.

56

Darracq ( Vincent), Jeu de puissance en Afrique: le Nigeria et l'Afrique du Sud face à la

crise ivoirienne, Politique Etrangère, IFRI, février 2011, in www.cairn.info

59

est un pays moteur de la croissance économique régionale, où vivent environ 4 millions d'immigrés de la CEDEAO.«57 Même si cet argument se justifie par sa pertinence, derrière l'activisme du Nigeria, il se cache des préoccupations géostratégiques personnelles du pouvoir d'Abuja. Le Nigeria qui a en effet depuis toujours souffert dans sa rivalité avec l'Afrique du Sud de son déficit démocratique58 qui concède à cette dernière un avantage de taille pour un éventuel statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-unies, ne compte pas rater cette occasion qu'offre la crise ivoirienne pour s'imposer comme ardent défenseur de la cause démocratique. Une fois encore, Abuja tente de se positionner aux yeux de la communauté internationale comme le gendarme et garant de la paix et de la démocratie en Afrique de l'Ouest en vue de corriger une faiblesse majeure dans la compétition avec Pretoria. Au plan intérieur, des mobiles expliquent bien aussi ce débordement d'engouement pour imposer la ligne de conduite dans le règlement de la crise ivoirienne. Le président Goodluck Jonathan a qui reste collé l'étiquette de «candidat illégitime«59 doit affronter les suffrages des nigérians le 16 avril 2011 à l'occasion des élections législatives et présidentielles. La crise ivoirienne offre au président, candidat à sa propre succession une occasion d'affirmer son attachement à la démocratie et aux élections transparentes et de démontrer sa capacité à assurer le rayonnement du Nigeria au plan international. C'est en portant en sous-main ces préoccupations personnelles que le Nigeria tente d'engager en Côte d'Ivoire la CEDEAO dans une action militaire qui sera vite étouffée par les réticences au sein de la l'organisation communautaire, mais d'abord par son challenger traditionnel pour le leadership en Afrique que constitue l'Afrique du Sud.

57

58

Darracq, (Vincent), Op cit.

Malgré sa reconversion à la démocratie, le Nigeria traîne comme un boulet une démocratie inachevée du fait d'élections régulièrement contestées, entachées de fraudes et de violences meurtrières à l'exposé de l'Afrique du Sud qui affiche un système démocratique nettement plus stable.

59

Selon une règle non écrite, le président Goodluck Jonathan, chrétien du sud du pays qui a

pris la succession de Umaru Yar'Adua en tant que vice-président après le décès de ce dernier pour terminer son mandat devrait laisser se présenter un candidat du PDP musulman et originaire du nord du Nigeria. M. Goodluck a fait fi de cette tradition suscitant de vives contestations dans le pays.

60

2- La défiance sud-africaine

Auréolée par son passage en douceur du régime de l'apartheid à une démocratie exemplaire, le succès de son approche originale de réconciliation nationale pour refermer les clivages sociaux nés du système de la ségrégation raciale et le prestige international de Nelson Mandela, l'Afrique du Sud se voit naturellement investie du rôle d'objecteur de conscience et de garant des intérêts de l'Afrique au sein de la communauté internationale. Avec sa diplomatie plutôt décomplexée, comparativement à ses pairs africains, l'Afrique du Sud post-apartheid n'a pas tardé à trouver une place de porte-parole des intérêts africains et se positionner comme un interlocuteur légitime au sein des coalitions Sud-Sud ou des groupes des 77 et des BRICS dans le combat pour une refonte du système international, pour l'avènement d'une Afrique moins marginalisée sur la scène internationale.

Dans cette perspective, « l'Afrique est un terrain central de la stratégie de diplomatie sud-africaine. l'Afrique du Sud a initié et porté les grands projets d'intégration régionale (UA, NEPAD, APRM). 60 Elle s'est directement investie, et sans compter, dans la résolution des crises ( République démocratique du Congo, Burundi, Zimbabwe, Soudan, etc.). Déjà active par le passé en Côte d'Ivoire, puisque Thabo Mbeki, alors président, avait fait office de médiateur au nom de l'UA entre les parties ivoiriennes de 2004 à 2006, l'Afrique du Sud se devait de s'impliquer dans la crise post-électorale ivoirienne.«61 Ce volontariste qui cache sans doute des intentions inavouées en raison de la position ambiguë62 adoptée par le pouvoir sud-africain dès le début de la crise ne tardera pas à mettre en difficulté le processus mis en route par la CEDEAO. Un peu timoré quant à la reconnaissance officielle des résultats tels que certifiés par le représentant du Secrétaire général des Nations Unies au départ, l'Afrique du Sud finit par dévoiler ses vraies appréciations de l'imbroglio ivoirien le 21 janvier 2011

60

UA: Union africaine

- NEPAD: New Partnership for Africa's Development, entendu Nouveau Partenariat pour la Développement de l'Afrique.

61

62

- APRM : African Peer Review Mechanism.

Darracq, (Vincent), Op cit.

Par un communiqué rendu public le 4 décembre 2010, au lendemain de la proclamation des résultats certifiés par l'ONU et sa récusation par le Conseil Constitutionnel, le gouvernement sud-africain a déclaré en substance, « prendre note« de la situation. Ce communiqué sera suivi le 8 décembre d'un deuxième qui s'abstient toujours de reconnaître ouvertement la victoire de M. Alassane Ouattara, tout en s'alignant sur la position de la CEDEAO et de l'UA pour demander le départ de M. Laurent Gbagbo.

61

lors du sommet du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l'UA. Par la voix de son président, Jacob Zuma, elle exprime sa nouvelle position qui remet en cause la validité des résultats issus du scrutin du 28 novembre 2010 et certifiés par l'ONU, et estime prématuré de désigner un vainqueur, prenant ainsi le contrepied de la CEDEAO, de l'UA et de toute la communauté internationale. Cette clarification de la position de l'Afrique du Sud intervient au moment où la probabilité d'une intervention militaire de la CEDEAO, fortement influencée par le Nigeria se précise. Une manière sans doute de couper l'herbe sous les pieds du «rival« nigérian qui pourrait voir sa cote nettement appréciée par la communauté internationale par le rétablissement de la légitimité des urnes en Côte d'Ivoire. Aussi, selon certains observateurs, « les liens forts qui lient le président Jacob Zuma à l'angolais José Eduardo Dos Santos, fervent soutien de Laurent Gbagbo, et à Atiku Abubakar, le rival du nigérian de Goodluck Jonathan, expliquent la position sud-africaine de remise en cause du verdict des urnes proclamé par la CEI et avalisé par le représentant du Secrétaire général des Nations-unies.«63

La diplomatie sud-africaine a montrer de l'entregent jusqu'à obtenir du sommet du Conseil de Paix et de Sécurité de l'UA du 21 janvier 2011, un compromis de l'ensemble du continent africain qui a validé la nomination d'un autre panel de Chefs d'Etat africains en remplacement de celui nommé par la CEDEAO lors de son sommet extraordinaire du 7 décembre 2010 à Abuja. L'organisation ouest-africaine a été court-circuitée lors de la visite des quatre Chefs d'Etat nommés par l'UA à Abidjan en janvier 2011 puisqu'aucun de ses représentants n'y a été convié, ce qui a contribué à refroidir considérablement les relations avec l'UA.64 Prenant tous les acteurs de la médiation au dépourvu, au moment même où le panel de Chefs d'Etat nommés par l'UA se trouve en séjour à Abidjan, l'Afrique du Sud communique à la presse l'acceptation par les protagonistes de la crise d'un compromis du type de « power sharing »65, une approche de solution durable de paix à laquelle elle croit pour l'avoir insufflée avec plus ou moins de succès au Kenya et au Zimbabwe. Assurée d'avoir pris les commandes du processus de paix en Côte-d'Ivoire, le pouvoir de Pretoria envoie dans les eaux ivoiriennes un navire battant pavillon sud-africain devant accueillir les

63

Rouppert, (Bérangère), La Côte d'Ivoire un an après: Rétrospective sur cinq mois de crise électorale, ses impacts et ses questionnements, Les rapports du GRIP, Janvier 2012, p 21.

64

65

Rouppert, (Bérangère), Op Cit, p 22.

Dans l'entendement de l'Afrique du Sud la solution à la crise passe par un compromis

d'une présidence alternée entre les deux leaders.

62

protagonistes de la crise pour un accord de partage du pouvoir. A cette démarche, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara tout comme l'UA, et naturellement la CEDEAO opposent une fin de non recevoir. Finalement mise en minorité, notamment par le panel de Chefs d'Etat de l'UA lors d'un sommet extraordinaire tenu le 10 mars 2011 à Addis Abeba et dont le rapport reconnaît sans ambages la victoire de Alassane Ouattara, l'Afrique du Sud reconnaît officiellement le sérieux de la certification des résultats par le représentant du Secrétaire général des Nations-unies et fait volteface. Sûrement voyant le rapport de force de plus en plus défavorable à sa position, elle a préféré s'éviter un isolement international qui pourrait entacher sa crédibilité et ruiner ses espoirs de consécration par la communauté internationale comme porte-voix de l'Afrique en accédant au statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-unies. La CEDEAO voit dans ce revirement sud-africain une indéniable victoire en raison de la constance de sa position, favorable à la reconnaissance de la victoire de Alassane Ouattara depuis le début de la crise. Mais pour autant, cette nouvelle avancée ne procure pas à l'organisation sous-régionale un blanc seing pour évoluer dans le processus de médiation puisque l'éventualité d'une intervention militaire envisagée dans le règlement de la crise semble profondément diviser les Etats membres.

63

Chapitre II:

l'enlisement de la médiation de la CEDEAO et la montée en puissance de la diplomatie

française

64

Même si le sommet extraordinaire de la conférence des Chefs d'Etat de la CEDEAO du 24 décembre 2010 a envisagé « de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l'usage de la force légitime pour réaliser les aspirations du peuple ivoirien«66 et des réunions des états majors des pays de la communauté se sont tenues à cet effet, cette initiative a très rapidement généré des dissensions au sein des Etats membres de l'organisation. Certains Etats se sont alignés sur la fermeté nigériane, mais d'autres par contre ont trouvé inappropriée à cette étape du conflit, une intervention militaire et ont préféré que les négociations pour un règlement pacifique se poursuivent. La médiation stagne pendant que sur le terrain en Côte d'Ivoire la tension monte entre les protagonistes et la situation humanitaire devient de plus en plus préoccupante. Les forces de défense et de sécurité (pro-Gbagbo) multiplient les exactions contre les populations civiles, notamment dans les quartiers favorables à Alassane Ouattara67. C'est dans ce contexte marqué par un net clivage méthodologique dans la gestion de la crise au niveau des Etats membres de la CEDEAO que la communauté internationale va davantage se mobiliser autour de l'urgence ivoirienne, sous l'impulsion de la diplomatie française.

A- La médiation à l'épreuve de la géopolitique intra-communautaire

Nombre d'observateurs ont été agréablement surpris par la cohésion de la CEDEAO dans l'approbation du rapport de certification des résultats du scrutin du 28 novembre et la reconnaissance de Alassane Ouattara comme vainqueur de l'élection présidentielle ivoirienne. En effet, au vue de la frilosité de certains gouvernements par rapport aux exigences démocratiques et des affinités entre leaders politiques, l'effort accompli par les Chefs d'Etat et de gouvernement ouest-africains pour parvenir à l'issue du sommet extraordinaire du 7 décembre 201068 à une telle convergence de vue n'est pas négligeable. Le sommet du 24 décembre 2010 confirmera cette posture appréciable des Etats et ira même plus loin en évoquant dans ses résolutions l'éventualité de l'usage de la force pour faire triompher le

66

Point 10 du communiqué final de la session extraordinaire de la conférence des Chefs d `Etat et de gouvernement de la CEDEAO sur la situation en Côte d'Ivoire.

67

l'ONUCI accuse le 17 mars les forces de défense et de sécurité d'avoir tué entre 25 et 30

«civils innocents« en pilonnant à l'arme lourde le quartier pro-Gbagbo d'Abobo.

68

Voir le communiqué final issu du sommet qui reconnaît sans ambages Alassane Ouattara

comme vainqueur et invite Laurent Gbagbo à céder pacifiquement le pouvoir au président élu par le peuple ivoirien.

65

verdict des urnes tel que exprimé par le peuple ivoirien. Très rapidement, l'option «de faire usage de la force« s'impose comme un choix satisfaisant, approuvé par les membres de la CEDEAO. Deux réunions des chefs d'état major de l'organisation se tiennent les 28 et 29 décembre 2010 et du 18au 20 janvier 2011 pour envisager les modalités pratiques d'une force d'intervention. Le ministre des affaires étrangères du Nigeria demande officiellement le 24 janvier 2011 une résolution du Conseil de sécurité des Nations-unies qui donnerait mandat à la CEDEAO d'user de la force pour faire entendre le verdict des urnes en Côte d'Ivoire en cas d'échec des négociations. Mais contre toute attente, des dissensions apparaissent au sein de l'organisation sous-régionale. Les considérations géopolitiques internes de certains Etats ont provoqué des divergences de grilles de lecture de la situation en Côte d'ivoire, et par conséquent une mésintelligence sur l'approche de résolution du conflit.

1- Les activistes secondaires de l'option militaire

En dehors du Nigeria pour les raisons déjà évoquées plus haut et sur lesquelles nous ne reviendrons par ici, un certains nombre de pays sont restés fidèles à l'esprit de la conférence des Chefs d'Etat de la CEDEAO du 24 décembre, du moins pour ce qui concerne la position officielle, pour réitérer leur adhésion à une intervention militaire. Au nombre de ceux-ci figurent notamment le Burkina-Faso et le Sénégal pour des raisons qui ne sont pas toujours identiques.

1.1- Le Burkina-Faso ou le souci de se débarrasser d'un fardeau économique et social

Pour comprendre la fermeté du Burkina-Faso sur l'option militaire pour une résolution rapide de la crise, il faut remonter à la crise ivoirienne de 2002 et ses effets collatéraux au plan politique, économique et social sur ce pays. D'abord, le concept de «l'ivoirité« habilement récupéré par Laurent Gbagbo pour triompher sur fond de manifestations sanglantes de sa confrontation électorale avec le Général Guéï en 2000 a suscité des craintes auprès des autorités burkinabés. Pour le nouveau pouvoir ivoirien aussi, les accointances connues de Alassane Ouattara avec le Burkina-Faso et ses autorités ne manque pas de susciter une certaine méfiance. Pour preuve, lorsqu'intervient en janvier 2001 la prétendue tentative coup d'Etat dite de «la mercedes noire« contre le président nouvellement élu, le Burkina-Faso a été très tôt pointé du doigt.

«Au cours du premier semestre 2002, les tensions allaient même s'aviver avec une succession d'incidents militaro-diplomatiques, notamment l'arrestation sur le sol burkinabé, d'un

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« commando » prétendument chargé d'éliminer « IB » et certains de ses compagnons exilés, puis celle d'adjudant ivoirien venu, sous une fausse identité, vérifier la rumeur selon laquelle des rebelles étaient entraînés au célèbre camp de Pô, et enfin l'assassinat , dans la nuit du 1er au 2 août à Ouagadougou, du député ivoirien Balla Keita. Ce meurtre, perpétré dans des circonstances qui restent encore très floues, est considéré par nombre de commentateurs comme l'un des événements déclencheurs de la rébellion ivoirienne.«69 C'est dans ce climat de hautes suspicions entre les deux gouvernements qu'intervient en Côte d'Ivoire le 19 septembre 2002 la tentative coup d'Etat qui a débouché sur une crise militaro-politique qui va durer presque une décennie. A maintes reprises, le gouvernement ivoirien pointera du doigt le Burkina-Faso comme territoire servant de base arrière aux rebelles ayant pris le contrôle de près de 60% du territoire ivoirien, évoquant les connivences supposées ou réelles de certains leaders de la rébellion avec les autorités burkinabés. En guise de représailles, le gouvernement ivoirien, sous le fallacieux prétexte de rechercher des assaillants potentiellement cachés dans des abris précaires dans différents quartiers d'Abidjan, mais connus comme des taudis où vivent essentiellement des ouvriers burkinabés et accessoirement maliens, détruisent des bidonvilles à Abidjan. L'opération menée en novembre 2002 est intervenue à la suite du premier discours à la Nation du président Laurent Gbagbo après les événement du 19 septembre, qui avait prévenu que « Les quartiers dits précaires » soupçonnés d'abriter des assaillants allaient être « nettoyés ». 70 Plusieurs milliers de burkinabés résidents en Côte d'ivoire, dont certains depuis plusieurs générations se retrouvent sans-abris. A l'intérieur du pays, précisément à Soubré, fuyant des violences orchestrées par des populations autochtones, plusieurs centaines de paysans burkinabés établis depuis plusieurs décennies à la faveur de la politique d'incitation à l'immigration des ouest-africains menée par le président Houphou`t Boigny pour développer notamment l'agriculture, ont dû abandonner leurs champs et leurs biens pour retourner dans leur pays d'origine. Terre d'immigration par excellence pour le Burkina-Faso, la Côte d'Ivoire abrite une population de ressortissants burkinabés qui se chiffre à près de 3 millions. Face à cette situation, le gouvernement burkinabé se trouve contraint de lancer ce qu'il a appelé l'«opération Bayiri« qui signifie en langue nationale Mooré «retour au pays natal« pour assurer le rapatriement de ses citoyens qui ont perdu tous leurs biens en Côte d'Ivoire, et au profit desquels une

69

Banégas, (Richard) et Otayek, (René), Le Burkina-Faso dans la crise ivoirienne : effets
d'aubaine et incertitudes politiques, Politique africaine, Editions Karthala, N° 89, 2003, p71

70

Barry, (Alpha), correspondant de RFI au Burkina-Faso, www.rfi.fr

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assistance conséquente s'impose sur le long terme. Plusieurs milliers de ressortissants burkinabés se sont empressés de répondre à l'appel et sont convoyés sous escorte de la gendarmerie nationale par des dizaines d'autocars à Ouagadougou. Il est évident que des rapatriements de cette ampleur vont poser dans la société burkinabé de réels problèmes d'orde sanitaire, alimentaire et de réinsertion social. Une telle charge crée forcément sur le long terme des soucis budgétaires pour un gouvernement dont les resources sont déjà assez limitées.

A ces passifs politique et social résultant de la crise ivoirienne de 2002-2007, s'ajoute l'impact économique, le plus redouté par le pouvoir burkinabé, en raison du poids économique de la Côte d'Ivoire dans la sous-région, mais surtout de l'arrimage naturel du voisin burkinabé au territoire de transit qu'elle représente pour les importations et les exportations de l'hinterland. En effet, l'économie burkinabé, très tributaire des infrastructures portuaires d'Abidjan a enregistré pendant la crise précédente de remarquables ralentissements d'activités dans plusieurs secteurs, notamment le transport et l'industrie. Malgré le fait que nombre d'opérateurs économiques burkinabés se soient rabattus sur les ports d'Accra, de Lomé ou de Cotonou, les conséquences de la fermeture des frontières ivoiriennes ou de l'insécurité sur le corridor Abidjan - Ouagadougou, selon les périodes, a causé un sérieux manque à gagner à l'économie burkinabé. Au seul bureau principal des douanes de Ouagadougou qui enregistre les importations par voie ferrée, de la côte d'Ivoire, on évalue à plus 1,6 milliards de francs CFA la baisse mensuelle de recettes fiscales.71 Plusieurs sociétés telles que la Sitarail ont connu des baisses drastiques de ressources qui les ont contraintes à des réductions d'effectifs, aggravant ainsi les effets sociaux induits par la crise déjà caractérisée par une flambée généralisée des prix des produits de première nécessité.

Redoutant donc naturellement l'éclatement en Côte d'Ivoire d'une nouvelle guerre civile et voyant dans cette victoire proclamée de Alassane Ouattara une ultime occasion d'en finir avec ce concept de l'«ivoirité« dont les effets collatéraux ont largement affecté le peuple burkinabé, le président Blaise Compaoré n'a pas résisté à la solution la plus radicale. Il trouvera en appui à sa posture, le président Abdoulaye Wade qui, en plus de s'inquiéter pour les conséquences qu'une nouvelle crise pourrait avoir sur le Sénégal, ne manque pas de griefs

71

Supérieur, (De Boeck), Les conséquences de la crise ivoirienne sur les pays sahéliens

enclavés: un premier tour d'horizon, in Afrique contemporaine, N° 205, 2003, p10

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personnels à l'encontre de Laurent Gbagbo dont il souhaite le départ dans les plus brefs délais.

1.2- La fermeté Sénégalaise ou l'heure des comptes entre Wade et Gbagbo

L'impact direct d'une crise majeure en Côte d'Ivoire sur le Sénégal n'est pas significatif. Les échanges commerciaux entre les deux pays restent marginaux même si la Côte d'Ivoire constitue la locomotive de la zone UEMOA dont les deux Etats sont membres. A la différence donc du Burkina-Faso et du Mali , le Sénégal, favorisé par sa position géographique et son accès direct à l'océan atlantique n'avait pas à redouter les conséquences d'une nouvelle guerre civile en Côte d'Ivoire avec acuité. En revanche, depuis la crise de septembre 2002 et le discours xénophobe tenu par les partisans du président Laurent Gbagbo, les autorités sénégalaises nourrissent de réelles craintes pour la sécurité de la très forte diaspora de leur pays en Côte d'Ivoire. Pour Abdoulaye Wade, un atermoiement de la médiation pourrait offrir au président Gbagbo le moyen de se réorganiser pour mener des représailles contre les intérêts de tous les Etats qui n'ont pas accepté d'adouber sa sacralisation par le Conseil constitutionnel ivoirien. Abdoulaye Wade voyait donc les intérêts économiques de la diaspora sénégalaise en Côte d'Ivoire menacés par Gbagbo.72 Mais la raison la plus déterminante de la radicalisation de la position du Sénégal est plutôt liée aux rapports personnels entre les présidents Wade et Gbagbo.

Premier médiateur dans la crise ivoirienne de septembre 2002, en sa qualité de président en exercice de la CEDEAO, Abdoulaye Wade fut subrepticement éjecté de la médiation au profit d'un groupe de contact de la CEDEAO présidé par le Président togolais Gnassingbé Eyadéma. frustré et mécontent, le président sénégalais qui se vantait d'avoir obtenu au cours de sa brève médiation un cessez-le-feu des parties en conflit a multiplié les invectives contre certains de ses pairs ouest-africains dont Laurent Gbagbo qu'il soupçonnait d'avoir manoeuvré pour l'écarter de la médiation. La situation s'est envenimée au point où le sommet extraordinaire organisé par Wade en tant que président en exercice de la CEDEAO le 18 décembre 2003 sur la crise ivoirienne a été boycotté par la majorité des Chefs d'Etat membres de l'organisation. Ces derniers « voulaient traduire leur mécontentement suite aux différentes

72

Wyss, (Marco), Bienfait ou malédiction pour les efforts de maintien de la paix onusien et africain? le rôle de la France dans la crise ivoirienne, in la côte d'Ivoire d'une crise à l'autre, l'Harmattan, 2014, p 97.

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déclarations de A. Wade.«73 Pour répondre à cette humiliation, Wade déroute la médiation et fait prendre la main à la diplomatie française.

« En effet, alors que les belligérants se trouvaient chez Eyadéma, A. wade annonça que les négociations ne portaient pas leurs fruits, et posa les jalons d'une discussion ivoiro-ivoirienne à Paris. C'est dans ce contexte qu'il faut situer l'initiative de la France qui, en organisant les assises de Linas-Marcoussis en janvier 2004, n'avait d'autre objectif que de court-circuiter les efforts du président togolais.« 74 Ce passif que entache remarquablement les rapports entre Wade et Gbagbo, malgré les apparences diplomatiques, ajouté aux relations très amicales du président sénégalais avec Alassane Ouattara ont indubitablement pesé dans la position du Sénégal en faveur d'une intervention militaire pour faire plier Gbagbo. Mais ce soutien de taille parmi les voix qui portent au sein de l'organisation communautaire ouest-africaine ne sera as suffisante pour réaliser l'unanimité sur la question de l'usage de la force pour faire céder Gbagbo. Certains Etats ouest-africains s'opposent ouvertement à une intervention militaire.

2- Les Etats opposés à une intervention militaire

Malgré l'influence et l'entregent du Nigeria au sein de la CEDEAO pour engager des concertations à l'effet de déployer une force d'intervention en Côte d'Ivoire, Il a été très tôt mis en minorité sur cette position au sein de l'organisation. Même la traditionnelle solidarité des anglophones dont il a souvent la faveur dans son soft power n'a pas permis de rallier du monde à sa cause puisque parmi les pays hostiles à une intervention militaire on retrouve en première ligne le Ghana et le Liberia dont nous ferons à titre d'illustration un décryptage de la position dans les lignes qui suivent.

2.1- Le cas du Ghana : éviter un flux migratoire massif sur le territoire national tout en ménageant le «camarade« Gbagbo

La frontière longue de plus 668 kilomètres qui sépare le Ghana et la Côte d'Ivoire fait des deux pays des entités assez imbriquées l'une dans l'autre a plans culturel, social et

73

Bamba, (Abdoulaye), L'africanisation du règlement des conflits: mythe ou réalité? le cas des médiations africaines en Afrique de l'Ouest francophone (2000-2010). Perspectives Internationales, janvier-juin 2013, N°3 70-88

74 Bamba, (Abdoulaye), Op Cit.

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économique, comme condamnées à s'entendre pour ne pas s'autodétruire. Au plus haut niveau au sommet des deux Etats on semble bien avoir conscience de cette réalité comme l'atteste les déclaration de Hanna Tetteh parlant des relations du Ghana avec la Côte d'Ivoire: « Nos relations seront toujours étroites. La plupart de nos frontières sont artificielles. Certains groupes ethniques présents au Ghana le sont en nombre égal en Côte d'Ivoire. Il y a des familles liées des deux côtés de la frontière; nos pays produisent , à eux deux, les deux tiers de la production mondiale de cacao et nous avons des raisons de coopérer dans d'autres secteurs, comme le pétrole. Si nous sommes capables de nous entendre sur des positions communes sur les plans régional et continental, cela nous sera mutuellement bénéfique.«75Le Ghana qui apparait donc potentiellement en raison de la géographie, mais aussi de l'histoire et de la culture des deux peuples comme l'une des premières terres d'accueil de populations en cas d'un conflit armé a de fait des craintes d'une mise à mal de ses équilibres sociaux déjà précaires.

Même si sur le plan économique, un report du trafic de marchandises des pays de l'hinterland dans l'hypothèse d'une dégradation de la situation à Abidjan peut constituer un véritable boom pour l'économie ghanéenne comme il a été prouvé avec la crise ivoirienne de 2002-2007, les conséquences sociales d'un déplacement massif de populations de la Côte d'Ivoire vers le Ghana ne tolèrent le moindre risque pour le gouvernement d'Accra.

Bien que ce souci de préserver la stabilité sociale du Ghana soit un alibi assez pertinent pour se désolidariser de la position nigériane, une autre raison de non moindre importance pour le pouvoir ghanéen a aussi lourdement pesé dans la décision de Accra. En effet, depuis

75

Hanna Tetteh, ministre des affaires étrangères du Ghana, dans une interview accordée à Jeune Afrique et réalisée par Vincent Duhem, publiée sur www.jeuneafrrique.com, 18 octobre 2013.

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l'avènement au pouvoir à Abidjan de Laurent Gbagbo, le climat exécrable76 qui a caractérisé pendant plusieurs décennies les relations entre la Côte d'Ivoire et le Ghana s'est dissipé pour laisser la place à une forte proximité politique, notamment avec les dirigeants ghanéens du NDC.77 Appartenant comme le président Gbagbo à l'International Socialiste, le président ghanéen John Atta Mills issu du NDC, tout en reconnaissant comme ses pairs la victoire de Ouattara n'était par prêt à franchir le rubicon d'une intervention militaire dont l'issu pour Laurent Gbagbo pourrait être imprévisible. La ruée à Accra des soutiens de Gbagbo, y compris Paul Yao N'Dré, le président du Conseil constitutionnel ivoirien, après son arrestation du président sortant le 11 avril 2011, fuyant les représailles des nouvelles autorités témoignent de la force des relations entre le NDC et le FPI, le parti du président Gbagbo.

2.2 Le cas du Liberia ou le souci de protéger une situation intérieure encore très précaire

Tout comme le Ghana, le Liberia, voisin de l'ouest ivoirien partage avec la Côte d'Ivoire une assez longue frontière ( 716 kilomètres) qui passe pour être l'une des plus poreuses en Afrique

76

A l'origine de ses relations caractérisées comme telles, se trouve l `opposition de deux visons du développement de l'Afrique post-colonisation du début des années 1960. Kwame Nkrumah, panafricaniste qui a conduit son pays à l'indépendance en 1957 s'opposa à l'approche de Félix Houphouët Boigny plutôt partisan du maintien d'un lien fort avec l'ancienne puissance coloniale. En 1959 le président ivoirien accuse son voisin d'héberger les indépendantistes du Sanwi provoquant ainsi une nouvelle discorde qui va perdurer jusqu'à la mort de Nkrumah en 1966. Plus tard, la Côte d'Ivoire, par souci de sécurité interne s'est inquiétée de la multiplication des coup d'Etat au Ghana et en particulier de la prise di pouvoir par le lieutenant J.J Rawlings considéré par Abidjan comme un révolutionnaire communiste. Les accusations de volonté de déstabilisation s'inverse et s'est le président ghanéen qui indexe la Côte d'Ivoire d'héberger des opposants à son régime.

77

NDC: National Democratic Congress (Congrès Démocratique National ) parti politique

fondé par J.J. Rawlings et membre de plein droit de l'International Socialiste.

72

de l'Ouest. Après deux longues guerres civiles78 souvent marquées par des intrigues politiques entre dirigeants ivoiriens et libériens sur fond d'antagonismes et de complicités, le Liberia commençait juste à retrouver l'espoir d'une situation intérieure normale suite à l'élection de la présidente Ellen Sirleaf en janvier 2006. L'avènement au pouvoir à Monrovia de madame Sirleaf a constitué un véritable tournant dans les relations entre la Côte d'Ivoire et le Liberia où les passes d'armes entre combattants de factions rebelles des deux pays étaient légions et créant par voie de conséquence une grande zone d'insécurité qui échappe au contrôle des deux gouvernements. Les rapports entre groupes armés ivoiriens et libériens étaient étroits et complexes, de telle sorte que des combattants libériens venaient se combattre pour différentes forces sur le territoire ivoirien au début des années 2000. Ainsi par exemple, la crise ivoirienne offrait également de nouvelles possibilités aux forces opposées à Charles Taylor de repartir à l'offensive ( contre les factions qui le combattent au Liberia). Nombre des supplétifs libériens figurant dans l'armée gouvernementale ivoirienne appartiennent en fait au LURD (faction rebelle opposée au président Taylor). Mais il y a aussi d'autres libériens, en particulier des réfugiés, qui ont été souvent recrutés de force ou ont délibérément choisi de combattre. Le LURD en Côte d'Ivoire regroupe pour l'essentiel des dirigeants politiques en exil et d'anciens combattants des différentes factions qui ont essaimé l'opposition à Taylor lors de la guerre civile libérienne. 79 Cette intense activité militaire transversale aux deux pays et menée au plus haut sommet entre Gbagbo et Taylor, longtemps pointée du doigt par les Etats de la sous-région comme une menace pour leur sécurité intérieure commençait juste à être quelque peu endiguée par le nouveau pouvoir en place à Monrovia quand survient la crise électorale en Côte d'Ivoire. On comprend donc toute la difficulté pour le Liberia de souscrire à une intervention militaire en Côte d'Ivoire à cette étape de la crise. Tant les efforts

78

Au début des années 1990 le Liberia a sombré dans une guerre civile qui a opposé les partisans du président Samuel Doe aux rebelles de Charles Taylor qui finit par prendre le pouvoir à la suite d'un long et laborieux processus de paix mis en oeuvre par la CEDEAO. L'effondrement total du système sécuritaire du pays a favorisé une multiplication de factions rebelles utilisant comme bases arrières la Côte d'Ivoire et la Sierra Leone. La seconde guerre civile a commencé en 1999 avec l'apparition au nord du pays, du mouvement LURD ( Libériens Unis Pour la Réconciliation et la Démocratie) dirigé par Sekou Conneh. Au début de l'année 2003, le MODEL ( Mouvement pour la Démocratie au Liberia), un autre groupe armé apparaît et le président Charles Taylor ne contrôlait plus qu'un tiers du territoire du pays.

79

Ero, (Confort), Marshall, (Anne) et Marchal, (Roland), L'Ouest de la Côte d'Ivoire: Un

conflit libérien? , Politique Africaine, Editions Karthala, N° 89, 2003, p 96.

73

déployés et le travail qui reste à accomplir pour parvenir à une sécurité intérieure appréciable sont immenses. Cette crainte ajoutée aux risques de déplacements massifs de populations ivoiriennes sur le territoire libérien peut provoquer des drames sociaux que le pays qui peine encore à se remettre de son douloureux passé récent n'a pas les moyens de maîtriser.

A ce groupe de pays opposés à une intervention militaire, on peut ajouter les Etats qui n'ont pas à craindre comme le Ghana, le Liberia, la Guinée Conakry, ou le Mali une invasion de réfugiés ivoiriens, mais pour des raisons liées à leur situation politique propre sont hostiles à l'usage de la force en Côte d'Ivoire. Dans ce registre on peut citer notamment la Gambie et le Togo qui, sous le couvert du principe de non ingérence dans les affaires intérieures d'un pays de la CEDEAO se sont désolidariser de la position nigériane. On peut comprend le souci majeur de ces deux Etats caractérisés par un déficit chronique de démocratie, et habitués à organiser des élections tronquées, qui est d'éviter de créé en Côte d'Ivoire un précédent qui pourrait s'appliquer très rapidement à eux-mêmes.

Face à un clivage aussi marqué des positions entre partisans et opposants à une intervention militaire de la CEDEAO en Côte d'Ivoire, le Nigeria semble perdre son leadership sur le règlement de la crise ivoirienne. Même la confirmation de l'UA du rapport de certification des résultats du scrutin du 28 novembre, qui équivaut à une ratification de la position de l'organisation ouest-africaine depuis le début de la crise n'a pas suffit à relancer le processus de médiation. Pendant ce temps, Le président Gbagbo qui n'avait d'ailleurs jamais pris au sérieux la menace d'usage de la force, comptant sûrement sur ses affinités avec de nombreux Chefs d'Etat de la sous-région, s'organise pour anéantir la résistance opposée par le camp Ouattara, retranché depuis le début de la crise à l'hôtel du Golfe et protégé par une ceinture sécuritaire de l'ONUCI. C'est dans ce contexte où le spectre d'une nouvelle guerre civile dans le pays est plus que perceptible, que les manoeuvres de la diplomatie française ont pris une nouvelle dynamique.

B- La France aux commandes du règlement de la crise

L'implication de la France dans le processus de rétablissement de paix en Cote d'ivoire n'est pas une donnée nouvelle. On se rappelle le rôle joué par Paris pour endiguer la

74

poussée de la rébellion en mettant en place une force d'interposition à la latitude de Yamoussoukro pour obtenir un arrêt des hostilités entre les mouvements rebelles et les forces loyalistes de Laurent Gbagbo. Même si cette intervention française faite à la demande du président Gbagbo au nom des accords de défense entre la France et la Côte d'Ivoire est justifiée côté français par des soucis humanitaires, il est évident qu'une guerre civile en Côte d'Ivoire ferait peser de graves menaces sur les importants intérêts français80 dans cette ex-colonie où vivent plus de douze milles ressortissants français. Sans doute mu par ce même souci, Paris n'avait pas hésiter à offrir ses bons offices au début de l'année 2003 quand la médiation de la CEDEAO avait commencé à s'enliser à la suite de guerres de leadership entre dirigeants ouest-africains dans la conduite des négociations. Même si les accords de Linas-Marcoussis conclus sous l'égide de la France n'ont pas in fine débouché sur une véritable solution de sortie de crise, ils ont posé les prémisses d'un principe de partage de pouvoir qui est resté la trame des négociations ayant conduit jusqu'aux élections présidentielles de novembre 2010.

Mais quoique discrète, la diplomatie française a été bien active depuis bien longtemps. En effet, dès le début de la crise post-électorale, la France a mobilisé tout son réseau diplomatique au niveau de tous les cercles déterminants pour influencer les positions des puissances européennes, internationales tout comme des pays africains pour favoriser une reconnaissance internationale de Alassane Ouattara et la prise de sanctions contre le pouvoir de Gbagbo, selon des aveux de diplomates ayant suivi l'évolution de la crise.81 Compte tenu de toutes les raisons évoquées plus haut, la France qui était déjà intervenue en 2002, bien évidemment avec un esprit plutôt intéressé, pour éviter que le chaos ne s'installe en Côte d'Ivoire, ne pouvait rester insensible à la stagnation que connaît le processus de règlement de la crise post-

80

Selon une note de la mission économique de l'ambassade de France à Abidjan rapportée par

Guilbert, (Victor), Pourquoi la France est-elle intervenue en Côte d'Ivoire? , www.afrik.com , 5 avril 2011

81 Wyss, (Marco), Op Cit, p 99

75

électorale. C'est ce que va faire la diplomatie française avec le mérite de réussir à relancer le processus de règlement du conflit.

1- Un mandat de l'ONU au nom de l'impératif humanitaire

Pendant que les négociations engagées dans le cadre de la médiation de la CEDEAO comme celle de l'UA sont au point mort, la violence enfle sur le terrain en Côte d'Ivoire. Les 173 morts déplorés entre le 16 et le 21 décembre , selon l'ONU, sont devenus rapidement marginaux au vue des décès enregistrés du fait de l'escalade des exactions dans le pays. Au mois de janvier, les violences se propagent à l'intérieur du pays, en particulier dans l'ouest, réputée pour être la région la plus instable, faisant plusieurs centaines de morts, notamment à Duékué où un massacre à grande échelle a été perpétré, et dont l'ONU impute la responsabilité aux deux Belligérants. A Abidjan, les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) pro-Gbagbo, musclent la répression contre les manifestations qui se multiplient notamment dans les quartiers d'Abobo, Kouassi et Treichville. La situation se dégrade sérieusement courant février et mars 2011 avec l'entrée en scène d'un «commando invisible« formé dans les quartiers pro-Ouattara pour mener des embuscades contre les FDS et les confrontations régulières entre ces dernières et les Forces Républicaines (FRCI).82 Après la mort d'au moins 6 femmes tuées par balles par les forces pro-Gbagbo qui dispersait une manifestation à Abidjan le 3 mars, et au vue des rapports de ses agences humanitaires qui estiment que près d'un million de personnes ont dû quitter leurs domiciles pour fuir les violences qui ont fait depuis l'élection du 28 novembre, des centaines de morts, l'ONU craint la «résurgence de la guerre civile« de 2002-2003.83

82

Les FRCI, ( Forces Républicaines de Côte d'Ivoire), composées essentiellement d'ex-rebelles et de mercenaires libériens, favorables à Ouattara lancent une grande offensive depuis leur base dans le nord du pays et progressent rapidement pour atteindre Abidjan le 31 mars. Elles se heurtent à une résistance des partisans de Laurent Gbagbo, transformant Abidjan déjà en proie aux pillages et aux violences en un véritable champ de batailles.

83

www.lexpress.fr, La chute de Gbagbo en huit actes, 11avril 2011

76

Le branle-bas diplomatique se fait plus intense. L'Afrique du Sud qui avait vainement tenté d'obtenir une redéfinition de la position de l'UA par rapport aux résultats de l'élection du 28 novembre infléchit sa position, notamment à la suite de la visite d'Etat effectuée par le président Jacob Zuma en France du 2 au 3 ma84rs 2011. On rapporte de sources diplomatiques qu'à cette occasion, son entretien avec le président Nicolas Sarkozy aurait principalement porté sur la situation en Côte d'Ivoire. De toute façon, dans la foulée, le projet de résolution soumis au vote du Conseil de sécurité et retoqué pour défaut de vote favorable de la Russie et de la Chine85 fut voté le 30 mars, avec des aménagements plus souples, pour une force d'interposition. Le texte voté à l'unanimité des 15 membres, reconnaît M. Ouattara comme président, condamne le refus de M. Gbagbo à une solution négociée, et autorise l'ONUCI à « utiliser tous les moyens nécessaires » pour protéger les civils, « y compris pour empêcher l'utilisation d'armes lourdes contre la population civile ». 86 La diplomatie française vient ainsi de dégager la voie, le compte à rebours peut maintenant commencer pour la fin du pouvoir de Laurent Gbagbo.

2- L'épilogue de la crise ou le coup de grâce des forces françaises contre Gbagbo

En dépit de la dissipation de la mésintelligence qui a semblé affecter les positions de l'UA et de la CEDEAO, le processus de règlement du conflit ivoirien a presque totalement échappé aux instances multilatérales africaines. Dès le vote de la résolution 1975 par le Conseil de sécurité, les FRCI, visiblement assurées de la couverture que leur fournit ce texte plutôt extensible, ont multiplié les offensives contre les FDS de Laurent Gbagbo. Ces attaques menées en chaîne contre les positions des FDS entrent

84

Voir Résolution 1975 (2011) adoptée par le Conseil de Sécurité à sa 6508ème séance le 30

mars 2011 en annexe 3

85

Quand on connaît la proximité entre l'Afrique du Sud, La Chine et la Russie, tous membres du groupe des BRICS, on peut à raison soupçonner une manoeuvre sud-africaine dans l'échec du projet de résolution précédemment introduite par le Nigeria pour obtenir de l'ONU un mandat favorable à une intervention militaire, pour les raison que l'on peut imaginer.

86

Résolution 1975 du Conseil de sécurité des Nations-unies

77

certainement dans une stratégie visant à provoquer les forces pro-Gbagbo en vue de les obliger à riposter de façon disproportionnée, et ainsi fournir des alibis aux forces de l'ONUCI et les forces françaises de la Licorne afin qu'elles mènent des frappes contres les armes lourdes dont les FDS auraient commencé par faire usage contre des populations civiles. Désormais contre les forces pro-Gbagbo combattent trois armées à savoir Les FRCI, les forces de l'ONUCI et celles de l'opération française de la Licorne. Après que les FDS de Gbagbo aient réussi à regagner du terrain à Abidjan début avril en reprenant le contrôle de plusieurs quartiers, les forces françaises de la Licorne et l'ONUCI lancent une campagne de frappes sur les bastions du président ivoirien sortant, le 10 avril.87 Le rapport de force change littéralement en défaveur de Laurent Gbagbo qui capitule.

Les frappes des forces française de la Licorne et l'importance décisive qu'elles ont eu pour la victoire de Alassane Ouattara, ont suscité de nombreuses interrogations. Le porte-parole du Parti Socialiste français, Benoît Hamon, a interpellé le gouvernement français et souhaité notamment qu'il « précise les conditions d'engagement « de la force Licorne en Côte d'Ivoire, tout en réitérant le soutien de son parti à cette opération.88 La Russie et certains pays africains opposés à une intervention militaire, l'Afrique du Sud en tête, se sont aussi inquiétés de l'interprétation faite par la France et ses soutiens africains de la résolution 1975, et dénonce une ingérence dans les affaires intérieures ivoiriennes. Mais le ministre français de la défense, Gérard Longuet, rétorquera lors d'une conférence de presse à Paris que « l'objectif fixé par la communauté internationale était de faire en sorte que le président élu puisse présider«, en indiquant l'engagement de l'ONUCI et de la Licorne comme « un soutien à l'offensive des forces pro-Ouattara.89

87

88

89

www.lexpress.fr, Op Cit.

www.lemonde.fr, La chute de Laurent Gbagbo, 11 avril 2011

www.lemonde.fr, Op Cit

78

Cette grande implication de la France vient matérialiser son retour sur le continent après son pivot diplomatique des années 1990 marqué par un désintérêt pour l'Afrique au lendemain de la fin de la guerre froide. On croyait plus aguerrie la CEDEAO qui avait vaille que vaille su jouer le gendarme en Afrique de l'Ouest face aux nombreux foyers de tensions qui ont accompagné le vent de démocratisation qui a soufflé sur le continent au début des années 1990, mais face à la crise post-électorale ivoirienne, nombre d'observateurs ont été surpris par ses limites pour des raisons qui semblent tout même, pour le moins évidentes.

79

De la mission d'intégration régionale qui lui a été dévolue à sa création, la CEDEAO s'est plus intensément investie ces dernières décennies dans la prévention des conflits et le rétablissement de la paix dans les Etats membres. Engagée sur le fil du rasoir avec un certain volontarisme dans le conflit libérien au début des années 1990, elle s'est au fil du temps dotée d'un cadre réglementaire et institutionnelle qui fait d'elle, l'organisation sous-régionale disposant d'une architecture de paix et de sécurité appréciable. Du point de vue des efforts conceptuels pour un encadrement juridique du dispositif de prévention et de gestion des conflits, comme celui du volume de ses engagements dans la sous-région, la CEDEAO peut se réjouir d'avoir réalisé un certain progrès.

En effet, appelée à se démener pour ramener la paix dans une région ensanglantée par des revendications politiques à la suite du «lâchage« des puissances tutélaires dont la diplomatie ne faisait plus de l'Afrique une priorité au lendemain de la fin de la guerre froide, la CEDEAO a montré sa grande utilité. «Au fil des ans, l'organisation sous-régionale est devenue le « pompier » de l'Afrique de l'Ouest, a fortiori un instrument indispensable de règlement des conflits. Prête à dégainer la menace d'une intervention militaire pour remettre dans le rang un chef de l'Etat tenté par les prolongations ou qui serait menacé par une rébellion et souvent la première à intervenir sur les lieux du drame pour tenter d'y éteindre le feuÉ«90

Mais en dépit de ses relatifs succès enregistrés dans différentes missions à travers la sous-région, l'organisation dont le rôle est devenu in fine, plus politique qu'économique a montré des limites dans son projet politique. L'absence de critères clairement définis pour évaluer les situations de crise et définir conséquemment les modalités de mise en oeuvre du mécanisme de gestion et de règlement des conflits fait que les réponses de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement, organe suprême de décision sont souvent influencées par la qualité des parties en conflit. Le

90

Olivier, (Mathieu) et Gorwitz, (Natacha), Cedeao: quel bilan pour le « pompier » de

l'Afrique de l'ouest?, www.jeuneafrique.com, 16 décembre 2016

80

caractère politique de cet organe qui assigne à des Etats la charge de prendre des décisions devant affecter la situation intérieure d'un autre Etat voisin contraint le plus souvent les membres de la conférence à évaluer prioritairement la situation en jeu sous le prisme de leur propre géopolitique interne. Aussi, la maîtrise du processus de règlement du conflit se complique-t-elle pour l'organisation sous-régionale dans les cas où les enjeux du conflit touchent aux intérêts stratégiques de puissances occidentales ayant une certaine influence dans da zone géographique. Dans le cas de la gestion de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire, la conjugaison de ses différents facteurs a largement affecté la médiation et compromis les attentes de la communauté internationale par rapport à l'action de la CEDEAO dont le volontarisme ne peut être tout de même mis en doute. La cacophonie des ambitions et les calculs politiques ont fragilisé la cohésion au sein des Etats, ce qui a permis aux manoeuvres diplomatiques françaises de réussir à imposer l'approche de l'ex- puissance coloniale de résolution de la crise. Même si les forces françaises ont, une fois de plus, permis de mettre fin à l'effusion de sang, le rôle influent de l'ancienne puissance coloniale dans la crise ivoirienne constitue un fardeau pour la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire.91 Pour la CEDEAO, l'expérience ivoirienne qualifiée d'un échec indéniable par nombre d'observateurs, doit inspirer l'organisation sous-régionale en vue de l'élaboration d'une grille d'évaluation claire des situations de crise, et réduire par conséquent les influences politiques dans les solutions préconisées. Aussi les projets d'intervention militaire communautaire seraient-ils plus rassurants, avec de meilleurs chances de prospérer si on y incluait un volet d'assistance aux pays les plus exposés aux mouvements potentiels de population, véritable noeud gordien redouté par les Etats voisins de tout théâtre d'opérations militaires.

91 Wyss, (Marco), Op Cit, p 103

81

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2- Rapports d'études, Presse, Thèses et Mémoires

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- BAGAYOKO-PENONE, (Niagalé), La France et la gestion militaire des crises africaines, Géopolitique Africaine, N°12, Automne 2003

- OMBALLA, (Magelan), La politique Africaine de la France : Rupture et continuités, Questions Internationales, N°5, 2004

- SADA, (Hugo), Le conflit ivoirien : enjeux régionaux et maintien de la paix en Afrique, in Politique Etrangère, Paris, 2003, Volume 68, N°2

- BAT, (Jean-Pierre), Le syndrome Foccart. La politique française en Afrique de 1959 à nos jours, in La Revue Internationale et Stratégique, N° 91, automne 2013

- VILLEPIN, (Dominique de), La nouvelle politique de sécurité de la France en Afrique, Discours à l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, 13 juin 2003

- PORTEOUS, (Tom), l'Evolution des conflits en Afrique subsaharienne, in Politique Etrangère, Paris, 2003, volume 68, N°2

3 - Sources institutionnelles

- Ministère des Affaires Etrangères de la République du Bénin

- Ministère des Affaires Etrangères de la République de Côte d'Ivoire

ANNEXE 1

Economic Community of West African States

Communauté Economique des Etats de l'Afrique

de l'Ouest

PROTOCOLE A/SP1/12/01 SUR LA DEMOCRATIE ET

LA BONNE GOUVERNANCE ADDITIONNEL AU
PROTOCOLE RELATIF AU MECANISME DE PREVENTION,
DE GESTION, DE REGLEMENT DES CONFLITS,
DE MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SECURITE

Page 2

PREAMBULE

Nous, Chefs d'Etat et de Gouvernement des Etats membres de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ;

VU le Traité de la CEDEAO, signé à Cotonou, le 24 juillet 1993, notamment en son article 58 ;

VU le Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, signé à Lomé, le 10 décembre 1999 ;

PRENANT EN COMPTE, toutes les considérations rappelées ou réaffirmées au préambule du Protocole du 10 décembre 1999, ci-dessus visé ;

VU les principes contenus dans la Déclaration de l'OUA sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique, adoptée à Abuja, les 8 et 9 mai 2000, de même que le contenu de la Décision AHG Dec. 142(XXV) sur le cadre pour une réaction de l'OUA face aux changements anticonstitutionnels de Gouvernement adoptée par l'OUA à Alger en juillet 1999 ;

PRENANT EN COMPTE la Déclaration de Harare adoptée par les Etats du Commonwealth le 20 octobre 1991 de même que la Déclaration de Bamako adoptée par les Etats de la Francophonie le 3 novembre 2000 ;

PRENANT EGALEMENT EN COMPTE la Déclaration de Cotonou adoptée le 6 décembre 2000 à l'issue de la IVème Conférence internationale des démocraties nouvelles ou rétablies ;

RAPPELANT que les droits de la femme sont reconnus et garantis dans tous les instruments internationaux de droits de l'Homme, notamment la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, la Charte africaine des Droits de l'Homme et des Peuples et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes ;

AYANT A L'ESPRIT la ratification de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples et des autres instruments internationaux des droits de l'Homme par la majorité des Etats membres de la CEDEAO, et leur engagement à éliminer toutes formes de discrimination et de pratiques préjudiciables aux femmes ;

PRENANT EN COMPTE l'acuité du terrorisme international ;

Page 3

PREOCCUPES EGALEMENT par les conflits qui sont de plus en plus engendrés par l'intolérance religieuse, la marginalisation politique et la non-transparence du processus électoral ;

CONSTATANT que le Protocole du 10 décembre 1999 pour avoir plus d'efficacité exige d'être complété notamment dans le domaine de la prévention des crises intérieures, de la démocratie, de la bonne gouvernance, de l'Etat de droit, des droits de la Personne ;

AYANT DECIDE à apporter les améliorations nécessaires au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des conflits, de Maintien de la paix et de la sécurité existant à l'intérieur de la Communauté.

CONVENONS DE CE QUI SUIT :

DEFINITIONS

Les termes et expressions tels que définis dans le Protocole du 10 décembre 1999 s'entendent dans le même sens qu'au présent Protocole.

En outre, cette liste de définitions est complétée ainsi qu'il suit :

« Traité » : le Traité Révisé de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) signé à Cotonou le 24 juillet 1993 ;

« Protocole » : le Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité signé à Lomé le 10 décembre 1999;

« Protocole Additionnel » : le présent Protocole sur la Démocratie et la Bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des conflits, de Maintien de la paix et de la sécurité ;

« Communauté » : la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest visée à l'Article 2 du Traité ;

« Etat membre »ou « Etats membres » : un Etat membre ou des Etats membres de la Communauté tels que défini (s) à l'Article 2 paragraphe 2

« Citoyen ou citoyenne de la Communauté » : tout (s) ressortissant (s) d'un Etat membre remplissant les conditions fixées par le Protocole portant définition de la Communauté ;

Page 4

« Cour de Justice » : la Cour de Justice de la Communauté créée aux termes de l'Article 15 du présent Traité ;

« Conférence » : la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest créée à l'Article 7 du Traité ;

« Conseil de Médiation et de Sécurité » : le Conseil de Médiation et de Sécurité défini à l'Article 8 du Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité ;

« Commission de Défense et de Sécurité » : la Commission de Défense et de Sécurité défini à l'Article 18 du Protocole relatif au Mécanisme de Prévention des Conflits , de maintien de la paix et de la sécurité;

« Secrétaire Exécutif » : le Secrétaire Exécutif de la CEDEAO nommé conformément à l'Article 18 du Traité ;

« Secrétaire Exécutif Adjoint » : Le Secrétaire Exécutif Adjoint chargé des Affaires politiques, de Défense et de Sécurité conformément à l'Article 16 du Protocole ;

« Secrétariat exécutif » : Le Secrétariat exécutif créé par l'Article 17 du Traité ;

« ECOMOG » : le Groupe de contrôle du Cessez-le-feu de la CEDEAO s'occupant des activités d'intervention de la Communauté et prévu à l'Article 21 du Protocole relatif au Mécanisme de Prévention des Conflits ;

« Forces Armées » : Armée de Terre, Armée de l'Air, Marine, Gendarmerie.

« Forces de Sécurité » : Police, Gendarmerie, Garde nationale et toutes autres forces assurant des missions de sécurité.

Page 5

CHAPITRE I

DES PRINCIPES

Les dispositions du présent chapitre complètent et explicitent les

principes contenus à l'Article 2 du Protocole du 10 décembre 1999.

SECTION I - DES PRINCIPES DE CONVERGENCE CONSTITUTIONNELLE

ARTICLE 1ER

Les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO:

a)

- La séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire

- la valorisation, le renforcement des Parlements et la

garantie de l'immunité parlementaire ;

- l'indépendance de la justice : le juge est indépendant dans

la conduite de son dossier et le prononcé de ses décisions ;

- la liberté des barreaux est garantie ; l'Avocat bénéficie de

l'immunité de plaidoirie sans préjudice de sa responsabilité pénale ou disciplinaire en cas d'infraction d'audience ou d'infractions de droit commun ;

b) Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes.

c) Tout changement anti-constitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d'accession ou de maintien au pouvoir.

d) La participation populaire aux prises de décision, le strict respect des principes démocratiques, et la décentralisation du pouvoir à tous les niveaux de gouvernement.

e) L'armée est apolitique et soumise à l'autorité politique régulièrement établie ; tout militaire en activité ne peut prétendre à un mandat politique électif.

f) L'Etat est laïc et demeure entièrement neutre dans le domaine de la religion ; chaque citoyen a le droit de pratiquer librement et dans le cadre des lois en vigueur, la religion de son choix en n'importe quel endroit du territoire national. La même laïcité s'impose à tous les démembrements de l'Etat, mais elle ne doit pas priver l'Etat du droit de réglementer, dans le respect des Droits de la Personne, les diverses religions sur le territoire national ni d'intervenir en cas de troubles à l'ordre public ayant pour source une activité religieuse.

2. Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou

périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales.

Page 6

g) L'Etat et toutes ses institutions sont nationaux. En conséquence, aucune de leurs décisions et actions ne doivent avoir pour fondement ou pour but une discrimination ethnique, religieuse, raciale ou régionale.

h) Les droits contenus dans la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des peuples et les instruments internationaux sont garantis dans chacun des Etats membres de la CEDEAO ; tout individu ou toute organisation a la faculté de se faire assurer cette garantie par les juridictions de droit commun ou par une juridiction spéciale ou par toute Institution nationale créée dans le cadre d'un Instrument international des Droits de la Personne.

En cas d'absence de juridiction spéciale, le présent Protocole additionnel donne compétence aux organes judiciaires de droit civil ou commun.

i) Les partis politiques se créent et exercent librement leurs activités dans le cadre des lois en vigueur.

Leur formation et activités ne doivent avoir pour fondement aucune considération raciale, ethnique, religieuse, ou régionale. Ils participent librement et sans entrave ni discrimination à tout processus électoral. La liberté d'opposition est garantie.

Chaque Etat peut mettre en place un système de financement des partis politiques, sur des critères déterminés par la loi.

j) La liberté d'association, de réunion et de manifestation pacifique est également garantie.

k) La liberté de presse est garantie.

l) Tout ancien Chef d'Etat bénéficie d'un statut spécial incluant la liberté de circulation. Il bénéficie d'une pension et d'avantages matériels convenant à son statut d'ancien Chef d'Etat.

SECTION II - DES ELECTIONS

ARTICLE 2

1. Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir

dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d'une large majorité des acteurs politiques.

Page 7

3. Les Etats membres prendront les mesures appropriées pour que les

femmes aient, comme les hommes, le droit de voter et d'être élues lors des élections, de participer à la formulation et à la mise en oeuvre des politiques gouvernementales et d'occuper et de remplir des fonctions publiques à tous les niveaux de l'Etat.

ARTICLE 3

Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits Organes.

ARTICLE 4

1. Chaque Etat membre doit s'assurer de l'établissement d'un système
d'état civil fiable et stable. Un système d'état civil central doit être mis en place dans chaque Etat membre.

2. Les Etats membres coopéreront dans ce domaine aux fins d'échange
d'expériences et au besoin d'assistance technique, pour la production de listes électorales fiables.

ARTICLE 5

Les listes électorales seront établies de manière transparente et fiable avec la participation des partis politiques et des électeurs qui peuvent les consulter en tant que de besoin.

ARTICLE 6

L'organisation, le déroulement des élections et la proclamation des résultats s'effectueront de manière transparente.

ARTICLE 7

Un contentieux électoral crédible relatif à l'organisation, au déroulement des élections et à la proclamation des résultats doit être institué.

ARTICLE 8

Les organisations de la société civile intéressées aux questions électorales seront requises pour la formation et la sensibilisation des citoyens à des élections paisibles exemptes de violence ou de crise.

Page 8

ARTICLE 9

A l'issue de la proclamation définitive des résultats des élections, le parti politique et/ou le candidat battu doit céder, dans les formes et délais de la loi, le pouvoir au parti politique et/ou au candidat régulièrement élu.

ARTICLE 10

Tout détenteur du pouvoir à quelque niveau que ce soit, doit s'abstenir, de tout acharnement ou harcèlement contre le candidat ayant perdu les élections et ses partisans.

SECTION III - DE L'OBSERVATION DES ELECTIONS

ET DE L'ASSISTANCE DE LA CEDEAO

ARTICLE 11

Les dispositions de l'Article 42 du Protocole du 10 décembre 1999 sont complétées par celles de la présente section.

ARTICLE 12 :

1. A la demande de tout Etat membre, la CEDEAO peut apporter aide et assistance à l'organisation et au déroulement de toute élection.

2. Cette aide ou assistance peut s'effectuer sous n'importe quelle forme utile.

3. De même, la CEDEAO peut envoyer dans le pays concerné une mission de supervision ou d'observation des élections.

4. La décision en la matière est prise par le Secrétaire Exécutif. ARTICLE 13

1. A l'approche d'une élection devant se tenir dans un Etat membre, le Secrétaire Exécutif de la CEDEAO envoie dans le pays concerné une mission d'information.

2. Cette mission peut être suivie d'une mission exploratoire destinée à: D collecter tous les textes devant régir les élections concernées ;

D collecter toutes informations et tous éléments caractérisant le cadre et les conditions dans lesquels devront se dérouler les élections ;

Page 9

D réunir toutes informations utiles relatives aux candidats ou aux partis politiques en compétition ;

D rencontrer tous les candidats, les responsables des partis politiques et autorités gouvernementales et autres responsables compétents ;

D évaluer l'état des préparatifs ;

D recueillir tous éléments utiles à une exacte appréciation de la situation.

ARTICLE 14

1. Le Secrétaire Exécutif désigne le chef et les membres de la mission de supervision ou d'observation qui doivent être des personnalités indépendantes et de nationalité autre que celle de l'Etat dans lequel se déroulent les élections.

2. La mission doit comporter des femmes.

3. Des fonctionnaires du Secrétariat Exécutif sont désignés pour assister la mission.

ARTICLE 15

1. La mission de supervision ou d'observation, munie des documents
collectés par la mission exploratoire et du rapport de ladite mission doit arriver dans le pays concerné au plus tard quarante-huit heures avant la date de déroulement des élections.

2. Elle peut être précédée par les fonctionnaires du Secrétariat Exécutif
qui devront préparer les rencontres de la mission avec les autorités nationales.

3. La mission doit tenir des réunions avec les autorités compétentes
du pays hôte aux fins d'échange et de détermination du mode de déploiement dans l'Etat membre.

4. Elle peut coopérer avec les ONG et toutes autres missions
d'observation tout en conservant son autonomie.

5. Les membres de la mission sont tenus à une obligation de réserve
et doivent s'abstenir de toute déclaration individuelle. Toute déclaration est collective et faite au nom de la mission par le Chef de mission ou un porte-parole désigné à cet effet.

Page 10

ARTICLE 16

1. La durée de la mission doit couvrir toute la période de déroulement des élections jusqu'à la proclamation des résultats.

2. La mission fait aussitôt rapport au Secrétariat Exécutif.

3. Ledit rapport doit obligatoirement comporter :

D Tout ce que la mission a pu constater par elle-même ;

D Ce qu'elle a recueilli par témoignage ;

D Son appréciation sur le déroulement du vote par rapport, d'une part, aux lois nationales s'appliquant aux élections, d'autre part, aux principes universellement admis en matière électorale ;

D Ses recommandations aux fins d'amélioration des élections à venir et des missions d'observation.

ARTICLE 17

1. Le rapport de la mission d'observation devra être signé par tous les
membres de la mission et soumis au Secrétaire Exécutif par le Chef de la mission dans un délai de quinze (15) jours au plus tard pour compter de la date de la fin de la mission.

2. En vue de la rédaction de ce rapport, la mission tient obligatoirement une réunion de concertation avant de quitter le pays d'accueil.

3. Tout membre de la mission ne pouvant prendre part à ladite
réunion, remet un rapport écrit au Chef de mission avant de quitter le pays.

4. Les fonctionnaires du Secrétariat Exécutif assistent la mission dans
la préparation du rapport.

ARTICLE 18

Le rapport est transmis par le Secrétaire Exécutif avec le cas échéant, ses observations personnelles au Conseil de Médiation et de Sécurité qui décidera des recommandations à faire à l'Etat concerné et/ou à tous les Etats membres et le cas échéant des mesures à prendre.

Page 11

SECTION IV - DU ROLE DE L'ARMEE ET DES FORCES

DE SECURITE DANS LA DEMOCRATIE

ARTICLE 19

1. L'armée est républicaine et au service de la Nation. Sa mission est
de défendre l'indépendance, l'intégrité du territoire de l'Etat et ses institutions démocratiques.

2. Les forces de sécurité publique ont pour mission de veiller au
respect de la loi, d'assurer le maintien de l'ordre, la protection des personnes et des biens ;

3. L'armée et les forces de sécurité publique participent à l'ECOMOG
dans les formes prévues à l'Article 28 du Protocole.

4. Elles peuvent également sur décision des autorités constitutionnelles
participer à toute autre mission de paix sous l'égide de l'Union Africaine ou de l'ONU.

5. Les forces armées peuvent être employées à des tâches de
développement national.

ARTICLE 20

1. L'armée et les forces de sécurité publique sont soumises aux
autorités civiles régulièrement constituées.

2. Les autorités civiles doivent respecter l'apolitisme de l'armée ;
toutes activités et propagande politiques, ou syndicales sont interdites dans les casernes et au sein des forces armées.

ARTICLE 21

Les personnels des forces armées et des forces de sécurité publique sont des citoyens bénéficiant de tous les droits reconnus aux citoyens par la constitution sous les réserves édictées par leur statut spécial.

ARTICLE 22

1. L'usage des armes pour la dispersion de réunions ou de manifestations non violentes est interdit. En cas de manifestation violente seul est autorisé le recours à l'usage de la force minimale et ou proportionnée.

2.

Page 12

Est interdit en tout état de cause le recours à des traitements
cruels, inhumains et dégradants.

3. Les forces de sécurité publique lors des enquêtes de police ne
doivent inquiéter ni arrêter un parent ou allié du mis en cause.

ARTICLE 23

1. Les personnels des forces armées et ceux des forces de sécurité
publique doivent recevoir dans le cadre de leur formation une éducation à la Constitution de leur pays, aux principes et règles de la CEDEAO, aux Droits de la Personne, au Droit humanitaire et aux principes de la Démocratie. A cet égard, des séminaires et rencontres périodiques seront organisés entre les éléments de ces forces et les autres secteurs de la société.

2. De même des formations communes seront organisées entre
armées des Etats membres de la CEDEAO et entre policiers, universitaires et société civile.

ARTICLE 24

1. Les Etats membres s'engagent à renforcer à l'intérieur de leurs
territoires respectifs les structures de prévention et de lutte contre le terrorisme.

2. Conformément aux Articles 3(d) et 16(1) du Protocole, le Département des Affaires politiques, de la Défense et de la Sécurité du Secrétariat exécutif devra initier des activités communes aux agences nationales des Etats membres chargées de prévenir et de combattre le terrorisme.

SECTION V - DE LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETE
ET DE LA PROMOTION DU DIALOGUE SOCIAL

ARTICLE 25

Les Etats membres conviennent que la lutte contre la pauvreté et la

promotion du dialogue social sont des facteurs importants de paix.

ARTICLE 26

Les Etats membres s'engagent à assurer les besoins et services essentiels de leurs populations.

ARTICLE 27

Les Etats membres de la CEDEAO s'engagent à lutter efficacement contre la pauvreté dans leurs pays respectifs et au niveau de la Communauté, notamment en :

2. Il sera crée des établissements communautaires de formation où

seront admis les élèves de la Communauté.

Page 13

- Créant un environnement propice à l'investissement privé, et au développement d'un secteur privé dynamique et compétitif ;

- Mettant en place les instruments nécessaires à la promotion de l'Emploi, et au développement prioritaire des secteurs sociaux ;

- Assurant une répartition équitable des ressources et des revenus visant à renforcer la cohésion et la solidarité nationales ;

- Favorisant l'intégration des activités économiques, financières et bancaires par l'harmonisation des législations commerciales et financières et par l'émergence de sociétés communautaires.

ARTICLE 28

1. Des syndicats d'employeurs ou d'opérateurs économiques doivent
être organisés et/ou renforcés au niveau de chaque Etat membre et au niveau de la CEDEAO.

2. Les Etats membres de la CEDEAO doivent promouvoir le dialogue
social. A cet égard, les deux (2) secteurs syndicaux, patronat et travailleurs doivent se réunir régulièrement entre eux et avec les autorités politiques et administratives aux fins de prévenir tout conflit social.

3. La paysannerie et l'artisanat, de même que le secteur des
artistes doivent connaître la même forme d'organisation au niveau de chaque Etat membre et au niveau de la Communauté.

SECTION VI - EDUCATION, CULTURE ET RELIGION

Article 29

L'éducation, la culture et la religion sont des facteurs essentiels de développement, de paix, et de stabilité dans chacun des Etats membres.

ARTICLE 30

1. Des échanges réguliers d'élèves, d'étudiants, d'universitaires

s'effectueront entre les Etats membres.

3.

Page 14

Conformément à l'article 36 du Protocole, le Secrétariat exécutif
doit prévoir dès à présent un budget aux fins de financement dans les meilleurs délais de ce qui est prévu au présent article.

Chaque Etat membre est également tenu de prévoir sa contribution au démarrage dans les meilleurs délais des programmes prévus au présent article.

Un pourcentage du prélèvement communautaire devra être affecté à la constitution d'un fonds destiné à l'exécution des prescriptions du présent article.

4. Une politique de nature à promouvoir l'éducation des femmes à
tous les niveaux et dans tous les secteurs de formation dans chaque Etat membre et au niveau de la Communauté sera mise en oeuvre.

5. Les Etats membres doivent garantir aux femmes les mêmes
droits que les hommes dans le domaine de l'éducation ; ils doivent notamment leur assurer les mêmes conditions de carrière et les mêmes orientations professionnelles, l'accès aux mêmes études et programmes et l'accès aux bourses et subventions d'études. Ils doivent également s'assurer de l'élimination à tous les niveaux et dans toutes les formes d'éducation des rôles stéréotypés des hommes et des femmes.

ARTICLE 31

1. La culture de chaque composante de la population de chacun des Etats membres sera respectée et valorisée.

2. Le Secrétaire Exécutif prendra les initiatives nécessaires pour organiser, au niveau sous régional, des manifestations culturelles périodiques entre les Etats membres : festival des arts et de la culture, colloques et événements culturels divers sur les lettres, la musique, les arts, sports...

3. Les Etats membres s'engagent à prendre les mesures propres à faire disparaître ou prévenir tout conflit religieux et à promouvoir la tolérance religieuse et la concorde. A cet effet, des structures permanentes de concertation seront instituées au niveau national entre d'une part, les représentants de chacune des religions, d'autre part , les différentes religions et l'Etat.

4. Le Secrétaire Exécutif prendra les initiatives appropriées pour favoriser la concertation entre les structures religieuses des Etats de la Communauté au moyen de rencontres périodiques.

Ces rapports et les réactions du gouvernement feront l'objet d'une large diffusion par les moyens les plus appropriés.

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SECTION VII - DE L'ETAT DE DROIT, DES DROITS DE LA PERSONNE
ET DE LA BONNE GOUVERNANCE

ARTICLE 32

Les Etats membres conviennent de ce que la bonne gouvernance et la liberté de la presse sont essentielles pour la préservation de la justice sociale, la prévention des conflits, la sauvegarde de la stabilité politique et de la paix et le renforcement de la démocratie.

ARTICLE 33

1. Les Etats membres reconnaissent que l'Etat de Droit implique non
seulement une bonne législation conforme aux prescriptions des Droits de la Personne, mais également, une bonne justice, une bonne administration publique et une bonne et saine gestion de l'appareil d'Etat.

2. Ils estiment de même qu'un système garantissant le bon fonctionnement de l'Etat, de son administration publique et de la justice contribue à la consolidation de l'Etat de Droit.

ARTICLE 34

1. Les Etats membres et le Secrétariat exécutif mettront tout en oeuvre
pour la mise en place aux plans national et régional des modalités pratiques permettant l'effectivité de l'Etat de Droit, des Droits de la Personne, de la bonne justice et de la bonne gouvernance.

2. Les Etats membres s'emploieront en outre à assurer responsabilité,
professionnalisme, expertise et transparence dans les secteurs public et privé.

ARTICLE 35

1. Les Etats membres procéderont à la création d'Institutions nationales indépendantes chargées de la promotion et de la protection des Droits de la Personne.

2. Le Secrétariat exécutif veillera au renforcement de leurs capacités et
les organisera en réseau.

Dans le cadre de ce réseau, chaque Institution nationale adressera systématiquement au Secrétariat exécutif tout rapport sur les violations en matière des Droits de l'Homme à l'intérieur du territoire national.

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ARTICLE 36

Les Etats membres s'engagent à institutionnaliser un système national de médiation.

ARTICLE 37

1. Les Etats membres s'engagent à oeuvrer pour le pluralisme de
l'information et le développement des médias.

2. Chaque Etat membre peut accorder une aide financière à la
presse privée ; la répartition et l'affectation de cette aide sont effectuées par un organe national indépendant ou à défaut par un organe librement institué par les journalistes eux-mêmes.

ARTICLE 38

1. Les Etats membres s'engagent à lutter contre la corruption, à
gérer les ressources nationales dans la transparence et à en assurer une équitable répartition.

2. Dans ce cadre, les Etats membres et le Secrétariat exécutif
s'engagent à créer des mécanismes appropriés pour faire face au problème de la corruption, au sein des Etats et au niveau de l'espace communautaire.

ARTICLE 39

Le Protocole A/P.1/7/91, adopté, à Abuja le 6 juillet 1991, et relatif à la Cour de Justice de la Communauté, sera modifié aux fins de l'extension de la compétence de la Cour, entre autres aux violations des droits de l'Homme après épuisement, sans succès, des recours internes.

SECTION VIII - DES FEMMES, DES ENFANTS
ET DE LA JEUNESSE

ARTICLE 40

Les Etats membres conviennent de ce que l'épanouissement et la promotion de la femme sont un gage de développement, de progrès et de paix dans la société. Ils s'engagent en conséquence à éliminer toutes formes de pratiques préjudiciables, dégradantes et discriminatoires à l'égard des femmes.

Page 17

ARTICLE 41

1. Les Etats membres veilleront à la protection des droits des
enfants et garantiront en particulier leur accès à l'éducation de base.

2. Des règles particulières seront élaborées dans chaque Etat
membre et au sein de la Communauté pour lutter contre le trafic et la prostitution des enfants.

3. Des dispositions communautaires devront également intervenir
sur le travail des enfants, conformément aux prescriptions arrêtées par l'Organisation Internationale du Travail (OIT).

ARTICLE 42

1. Les Etats membres de la Communauté conviendront des règles à
adopter pour l'encadrement et la promotion de la jeunesse.

2. La prévention et la prise en charge de la délinquance juvénile feront
l'objet de règles uniformes au sein de la Communauté.

ARTICLE 43

Le Secrétariat exécutif devra mettre en place en son sein toutes structures utiles pour s'assurer de la mise en oeuvre efficace des politiques communes et programmes relatifs à l'éducation, à la promotion, et à l'épanouissement de la femme et de la jeunesse.

CHAPITRE II

DES MODALITES DE MISE EN OEUVRE ET DES SANCTIONS

Article 44

1. Le présent Article complète les dispositions du Chapitre V du
Protocole du 10 décembre 1999.

2. Aux fins de donner plein effet à ce qui est affirmé à l'Article 28 du
présent Protocole additionnel et conformément à l'Article 57 du Traité révisé de la CEDEAO une convention judiciaire intégrant au besoin la Convention A/P.1/7/92 de juillet 1992 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale et la Convention A/P1/8/94 relative à l'extradition sera élaborée et adoptée dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur du présent Protocole additionnel.

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Article 45

1. En cas de rupture de la Démocratie par quelque procédé que ce
soit et en cas de violation massive des Droits de la Personne dans un Etat membre, la CEDEAO peut prononcer à l'encontre de l'Etat concerné des sanctions.

2. Lesdites sanctions à prendre par la Conférence des Chefs d'Etat
et de Gouvernement peuvent aller par graduation :

D Refus de soutenir les candidatures présentées par l'Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations internationales ;

D Refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l'Etat membre concerné ;

D Suspension de l'Etat membre concerné dans toutes les Instances de la CEDEAO ; pendant la suspension, l'Etat sanctionné continue d'être tenu au paiement des cotisations de la période de suspension.

3. Pendant ladite période, la CEDEAO continuera de suivre, d'encourager et de soutenir tout effort mené par l'Etat membre suspendu aux fins de retour à la vie institutionnelle démocratique normale.

4. Sur proposition du Conseil de Médiation et de Sécurité, il peut
être décidé à un moment approprié de procéder comme il est dit à l'Article 45 du Protocole.

CHAPITRE III

DES DISPOSITIONS GENERALES ET FINALES

ARTICLE 46

Le présent Protocole additionnel fait corps avec le Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité signé à Lomé le 10 décembre 1999.

ARTICLE 47 : AMENDEMENTS

1. Tout Etat membre peut soumettre des propositions pour amender

ou réviser le présent Protocole additionnel.

2.

Page 19

Ces propositions doivent être soumises au Secrétaire Exécutif qui en informe les Etats membres au plus tard trente (30) jours après leur réception. Les amendements ou révisions ne seront examinés par la Conférence que si les Etats membres en ont été informés un (1) mois auparavant.

3. Les amendements ou révisions sont adoptés par la Conférence. ARTICLE 48 : RETRAIT

1. Tout Etat membre souhaitant se retirer du Protocole additionnel doit, un (1) an au préalable faire parvenir un avis au Secrétaire Exécutif qui en informe les Etats membres. A la fin de cette période d'une année, si cet avis n'est pas retiré, l'Etat en question cesse d'être partie prenante au Protocole additionnel.

2. Toutefois, au cours de cette période d'un (1) an, l'Etat membre continue d'observer les dispositions du présent Protocole additionnel et d'honorer ses obligations.

ARTICLE 49 : ENTREE EN VIGUEUR

Le présent Protocole additionnel entrera en vigueur dès sa ratification par au moins neuf (9) Etats signataires, conformément aux règles constitutionnelles de chaque Etat membre.

ARTICLE 50 : AUTORITE DEPOSITAIRE

Le Présent Protocole additionnel, ainsi que tous les instruments de ratification seront déposés au Secrétariat exécutif, qui en transmettra des copies certifiées conformes à tous les Etats membres, leur notifiera les dates de dépôt des instruments, et le fera enregistrer auprès de l'Organisation de l'Unité africaine/Union Africaine (OUA/UA), et l'Organisation des Nations Unies (ONU) et auprès de toutes les autres organisations désignées par le Conseil.

EN FOI DE QUOI, NOUS CHEFS D'ETAT ET DE GOUVERNEMENT
DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L'AFRIQUE DE
L'OUEST (CEDEAO), AVONS SIGNE LE PRESENT PROTOCOLE
ADDITIONNEL EN TROIS (3) ORIGINAUX EN LANGUES FRANCAISE,
ANGLAISE ET PORTUGAISE, LES TROIS (3) TEXTES
FAISANT EGALEMENT FOI.

FAIT, A DAKAR, 21 DECEMBRE 2001

Page 20

S. E. Mathieu KEREKOU S. E Blaise COMPAORE

Président de la République du BENIN Président du FASO

Président du Conseil des Ministres

S. E. Jose Maria Pereira NEVES S. E. Abou Drahamane SANGARE

Premier Ministre, Chef du Gouvernement Ministre d'Etat,

de la République du CAP VERT Ministre des Affaires Etrangères

Pour et par ordre du Président de la République de CÔTE D'IVOIRE

S. E. Yahya A. J. J. JAMMEH S. E. John Agyekum KUFUOR

Président de la République de la GAMBIE Président de la République du GHANA

S. E. Lamine SIDIME S. E. Koumba Yala Kobde NHANCA

Premier Ministre de la République de GUINEE Président de la République de

GUINEE BISSAU

S. E. Monie R. CAPTAN S. E. Alpha Oumar KONARE

Ministre des Affaires Etrangères Président de la République du MALI

Pour et par ordre du Président de la République du LIBERIA

S. E. MINDAOUDOU A
·chatou (Mme) S. E. Olusegun OBASANJO

Ministre des Affaires Etrangères Président et Commandant en Chef des

Pour et par Ordre du Président de la Forces Armées de la République Fédérale

République du NIGER du NIGERIA

Page 21

S. E. Abdoulaye WADE S.E. Alhaji Dr Ahmad Tejan KABBAH

Président de la République du SENEGAL Président de la République

de SIERRA LEONE

S. E. Gnassingbé EYADEMA

Président de la République TOGOLAISE

ANNEXE 2

COMISSÂO DA CEDEAO

ECOWAS COMMISSION

 

COMMISSION DE LA CEDEAO

Réf.: ECW/CEG/ABJIEXTIFR.)Rev. D

SESSION EXTRAORDINAIRE

DE LA CONFERENCE DES CHEFS D'ETAT

ET DE GOUVERNEMENT SUR LA COTE D'IVOIRE

Abuja, 24 décembre 2010

COMMUNIQUE FINAL

1.

2

Sous la Présidence de Son Excellence Goodluck Ebele Jonathan,
Président de !a République-Fédérale du Nigeria, Président en exercice de !a CEDEAO, la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) s'est réunie en Session Extraordinaire à Abuja, République Fédérale du Nigeria, le vendredi 24 Décembre 2010, pour examiner l'évolution récente de la situation politique et sécuritaire en Côte d'ivoire.

2. Etaient présents à cette Session, les Chefs d'Etat et de Gouvernement
suivants ou leurs représentants dûment accrédités :

S. E. Thomas Boni Yayi, Président de la République du Bénin ;

S. E. Blaise Compaore, Président du Faso ;

S. E. Pedro Verona Rodrigues Pires, Président de la République du Cap

Vert ;

S. E. John Evans Atta-Mills, Président de la République du Ghana ;

S. E. Malam Bacai Sanhâ, Président de la République de Guinée Bissau ;

S. E. Ellen Johnson-Sirleaf, Présidente de la République du Liberia ;

S. E. Jonathan Ebele Goodluck, Président de la République Fédérale du

Nigeria ;

S. E. Maître Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal ;

S. E. Ernest Bai Koroma, Président de la République de Sierra Leone ;

S. E. Faure Essozimna Gnassingbe, Président de la République

Togolaise ;

S. E. Mamadou Tangara, Ministre des Affaires Etrangères, de la

Coopération Internationale et des Gambiens de l'Extérieur, représentant le

Président de la République de la Gambie ;

S. E. Moctar Ouane, Ministre des Affaires Etrangères et de la

Coopération Internationale, représentant le Président de la République du

Mali.

7.

4

Les Chefs d'Etat et de Gouvernement réitèrent leur position du 7
décembre 2010, .en particulier sur le statut_de M. Alassane Ouattara comme Président légitime de ia Côte d'Ivoire, un statut non négociable. Ils demandent instamment à M. Laurent Gbagbo de transférer pacifiquement et sans délai le pouvoir à Mr Alassane Ouattara, conformément à la volonté exprimée par le peuple ivoirien.

8. Les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont exprimé leur volonté de
soutenir les interdictions de voyage, le gel des avoirs financiers et toute autre forme de sanction ciblée qui ont été prises par les institutions régionales et la Communauté Internationale contre le Président sortant et son entourage ainsi que toutes autres formes de mesures additionnelles qui seraient prises dans ce sens.

9. Les Chefs d'Etat regrettent que le message adressé le 17 décembre
par le Président en exercice, au nom de la Conférence, à M. GBAGBO, n'a pas été entendu. Toutefois, en cette période de l'avent et de paix, le Sommet consent à faire un dernier geste à l'endroit de Monsieur Gbabgo, l'exhortant à faire une sortie pacifique. A cet effet, les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont décidé de dépêcher une délégation spéciale de haut niveau en Côte d'Ivoire.

10. En cas de rejet de cette demande non négociable par M. Gbagbo, la Communauté n'aura d'autre choix que de prendre toutes mesures nécessaires, y compris l'usage de la force légitime pour réaliser les aspirations du peuple ivoirien

11. Au regard de la volatilité de la situation sécuritaire, les Chefs d'Etat et de Gouvernement instruisent le Président de la Commission de convoquer sans délai une réunion des Chefs d'Etat major de la CEDEA4 pour planifier

les actions futures y compris la sécurisation de la frontière entre la Côte d'ivoire et le Libéria en cas de fin ale non recevoir opposée à leur messane:-

12. Les Chefs d'Etats et de Gouvernement ont décidé de demeurer activement saisis de la situation en Côte d'Ivoire.

13. Les Chefs d'Etat et de Gouvernement expriment leur reconnaissance renouvelée à S. E. Goodluck Ebele Jonathan, Président de la République Fédérale du Nigeria, pour son leadership et les efforts qu'il ne cesse de faire pour l'aboutissement heureux du processus démocratique en Côte d'Ivoire.

14. Les Chefs d'Etat et de Gouvernement témoignent leur sincère gratitude au Gouvernement de la République Fédérale du Nigeria ainsi qu'au Peuple nigérian pour l'hospitalité généreuse et authentiquement africaine qui leur a été réservée pendant leur séjour à Abuja ainsi que pour les excellentes facilités mises à leur disposition pour la réussite de ce Sommet Extraordinaire.

Fait à Abuja, le 24 Décembre 2010

s

LA CONFERENCE

ANNEXE 3






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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry