L'organisation internationale de la francophonie et la démocratie en Afrique noire francophone.par Abdou-Ramane MAMA Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Droit international et organisations internationales 0000 |
B- Une réaction solennelle des organisations régionalesL'impulsion donnée à la démocratie par l'ONU a suscité un engouement général de la part des organisations régionales. En effet, ces organisations sont devenues des espaces régionaux propices à l'expansion de la démocratie en raison de leur nature et de leurs objectifs qui sont d'établir au-delà d'une simple coopération technique, une véritable intégration entre leurs Etats membres. Ainsi, dans les textes juridiques qui régissent les organisations européennes telles que le Conseil de l'Europe49, l'Union Européenne50 et l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe51, un cachet spécial a été donné à la démocratie dans les relations régissant les Etats membres et la gouvernance conduite par ces derniers. Tout d'abord, en ce qui concerne le Conseil de l'Europe, dès sa création par la Convention de Londres du 5 mai 1949, les dix Etats fondateurs à l'époque ont fait de la trilogie : Droits de l'Homme, démocratie et Etats de droit la pierre angulaire de l'organisation. En effet, le préambule du statut du Conseil de l'Europe dispose dans son deuxième considérant : « inébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l'origine des principes de libertés individuelles, de libertés politiques et de prééminence du Droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable »52. A l'article 3 de la Charte, sont énoncés les principes 49 Le Conseil de l'Europe qui n'est pas à confondre avec le Conseil de l'UE et le Conseil européen, deux institutions de l'UE, est en fait une organisation intergouvernementale instituée le 5 mai 1949 par le traité de Londres signé par dix Etats. Elle compte 47 Etats membres et a son siège en France. Il apparait comme l'Organisation des Etats attachés à la démocratie libérale et au pluralisme politique. 50 L'UE est une association politico-économique sui generis de vingt-huit Etats européens qui délèguent ou transmettent par traité l'exercice de certaines compétences à des organes communautaires. L'Union Européenne a été instituée par le traité de Maastricht en 1992 après celui de Rome de 1957 qui instituait une communauté économique européenne. Elle est actuellement régie par le traité de Lisbonne de 2009. 51 L'OSCE est la plus grande organisation régionale au monde. Elle oeuvre en faveur de la stabilité, de la paix, et de la démocratie pour plus d'un milliard de personnes par le biais d'un dialogue politique autour des valeurs partagées et par des activités concrètes sur le terrain. Elle compte 57 Etats membres d'Amérique du nord, d'Europe et d'Asie. Sa création remonte à 1973 sous le nom de Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) devenue OSCE en janvier 1995. 52 http://www.cvce.eu/viewer/-/content/4aa0bc88-cea9-902d- a19e5bbf2c82/fr;jsessionid=A87D659CE54FEFBDACAFRD029B39B943F 19 nécessaires à la réalisation d'une démocratie véritable53. Le respect de ces engagements est une condition pour tout Etat désireux d'être membre du Conseil de l'Europe54. En d'autres termes, leur violation peut entrainer le retrait ou la suspension du Conseil. C'est ainsi qu'en Grèce lors de la suppression de la légalité constitutionnelle et la démocratie parlementaire en 1967, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a décidé, sur la base de l'interprétation de l'article 3 du statut de la suspension de cet Etat du Conseil. La Grèce s'est alors retirée en 1969 et ce n'est qu'en 1974, jugée démocratique qu'elle a été invitée à rejoindre le Conseil de nouveau55. Etant consciente du lien intrinsèque entre démocratie et droit de l'Homme, l'organisation s'est dotée à partir de novembre 1950 de la Charte européenne des droits de l'Homme (CEDH) qui entrera en vigueur en 1953. Afin de garantir le respect de ce texte par les Etats membres, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a été créée en septembre 1959. C'est auprès de cette Cour que les Européens peuvent introduire des recours s'ils estiment qu'un Etat a enfreint à leur droit. Dans le traité de Maastricht du 7 février 1992, les chefs d'Etats et de gouvernement des douze Etats membres de l'Union Européenne ont réaffirmé « leur attachement aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l'Homme, des libertés fondamentales et de l'Etat de droit ». L'article F du traité prévoit que « l'union respecte l'identité nationale de ses Etats membres, dont les systèmes de gouvernements sont fondés sur les principes démocratiques ». L'engagement de l'Union pour la démocratie a été réitéré dans l'article J -1- qui prévoit que « Le développement et le renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales » est l'un des objectifs de la politique étrangère et de la sécurité commune des Etats de l'Union. Le traité de Lisbonne adopté en 2009 qui se substitue au traité de 53 Article 3 de la Charte : « Tout membre du Conseil de l'Europe reconnait le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'engage à collaborer sincèrement et activement à la poursuite du but défini au chapitre 1er ». 54 C'est ce qui ressort de la lecture des articles 4 et 5 de la Charte du Conseil de l'Europe. 55 BEIDEGER Yves, Le contrôle international des élections, Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J. 1994, p.93. Cité par HAMROUNI Salwa, L'ONU et la démocratie, mémoire de DEA en droit public et financier, Tunis, 1996. https://www.memoireonline.com/07/08/1356/ml-onu-et-la-democratie0.html Maastricht en plus d'apporter des modifications majeures aux anciens traités, réitère l'attachement de l'organisation à la gouvernance démocratique. Nous pouvons alors dire que la démocratie est bel et bien prise en compte dans les textes du droit international européen56. Par ailleurs, le système juridique interaméricain affiche également sa préférence pour la démocratie. Ainsi, déjà dans le préambule de la Charte adoptée le 30 avril 1948 à Bogota, le principe de la démocratie est énoncé. Selon ce préambule, « ... le véritable sens de la solidarité américaine et du bon voisinage ne peut se concevoir qu'en consolidant dans ce continent et dans le cadre des institutions démocratiques, un régime de liberté individuelle et de justice sociale basée sur le respect des droits fondamentaux de l'Homme ». Cela est confirmé par l'article 5d qui stipule que la solidarité des Etats américains exige que leur organisation politique soit basée sur l'exercice effectif de la démocratie représentative. Cette même option pour la démocratie représentative a été réitérée dans le protocole de Buenos Aires du 27 février 1967 en son article 3d. La Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH) du 22 novembre 1969 adoptée à San José et entrée en vigueur le 18 juillet 1978 vient préciser dans son préambule et en son article 23 l'importance de sauvegarder la démocratie à travers la préservation des droits civils et politiques des individus. Le premier considérant du préambule de la CADH prévoit que : « Réaffirmant leur propos de consolider sur ce continent, dans le cadre des institutions démocratiques, un régime de liberté individuelle et de justice sociale, fondé sur le respect des droits fondamentaux de l'Homme. ». La convention consacre un certain nombre de droits aux individus qui sont nécessaires dans une démocratie: le droit de 20 56 En qui concerne la Conférence sur la sécurité et la Coopération en Europe devenue Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, il faut attendre les années 90 pour que l'organisation opte clairement et explicitement pour le régime démocratique libéral. En effet dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe adoptée le 21 novembre 1990 dans le cadre de la C. S.C.E, les Etats européens déclarent : « il nous appartient aujourd'hui de réaliser les espérances et les attentes que nos peuples ont nourri pendant des décennies : un engagement indéfectible en faveur de la démocratie fondée sur les droits de l'Homme et les libertés fondamentales ». (Voir le texte de la Charte, in R.U.D.H, 1990, pp. 490-495). Parlant des relations amicales entre les Etats, les Etats partis à la Charte affirment : « Nos relations reposeront sur notre adhésion commune aux valeurs démocratiques, aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Nous sommes convaincus que les progrès de la démocratie, ainsi que le respect de l'exercice effectif des droits de l'homme sont indispensables au renforcement de la paix et de la sécurité entre nos Etats ». La Charte de Paris a même consacré un paragraphe spécial aux droits de l'Homme à la démocratie et à l'Etat de droit dans lequel les Etats participants s'engagent « à édifier consolider et raffermir la démocratie comme seul système de gouvernement de leur nation. Ils considèrent que « le gouvernement démocratique repose sur la volonté du peuple, exprimée à intervalles régulière par des élections libres et loyales » participer aux gouvernements, directement ou à travers des représentants librement élus, le droit de voter à des élections libres et honnêtes et périodiques (article 23). Pour s'assurer du respect des principes et intensifier les droits de l'Homme, l'OEA a mis en place un système de protection et de contrôle du respect des droits de l'Homme prévus par la CADH. Ainsi, la Commission Interaméricaine des droits de l'Homme57 et la Cour Interaméricaine des droits de l'Homme58 ont été créées. L'option de l'OEA en faveur de la démocratie est donc sans ambages et cette option a connu son point d'orgue à partir des années 199059. Notons ensuite que l'Asie et l'Afrique ne sont pas restées en marge de cette nouvelle donne politique qu'est la gouvernance démocratique. En effet, l'Organisation de l'Unité Africaine créée en mai 1963 s'était déjà très tôt constituée en son apôtre dans le continent. C'est pourquoi à l'issue du sommet de l'OUA tenu à Addis-Abeba en juillet 1990, les chefs d'Etats et de gouvernement ont proclamé leur adhésion aux principes démocratiques tout en précisant que chaque Etat reste libre de choisir la forme de 21 57 La Commission a toujours insisté sur le lien entre droits de l'Homme et démocratie. Sa pratique s'est développée par le biais de trois méthodes ; le système de pétition (examen de plaintes ou de communication), le système des rapports (rapport sur la situation concernant les droits de l'Homme dans les Etats de la région), le système d'enquête (missions d'observation). Voir Annual report of the interamericain commission on Human Rights 1979-1980, Chapter VI, OEA/Ser.L/V/II.50, Doc, 13 rev.12 October 1980. 58 La relation entre principes démocratiques et droits de l'Homme a retenu également l'attention de la Cour Interaméricaine des droits de l'Homme. A titre d'exemple, la Cour dans son arrêt Baena Ricardo et autres c. Panama declare: « therefore, in a democratic system it is necesary to intensify precautions in order for such measures to be adopted with absolute respect for the basic rights of individuals (...) ». Voir interamerican court of Human Rights, Case of Baena-Ricardo et al. v. Panama, judgement of 02/2/2001. Paragraphe 106. Cité par AYARI Zied, L'exigence démocratique en droit international, mémoire de master2 en Droit international public, Université Jean Moulin Lyon 3, 2012. 59 Ce sont les années quatre-vingt-dix qui vont marquer le processus d'un véritable engagement démocratique de l'OEA. D'abord avec la création de « l'Unité pour la promotion de la démocratie » qui a la responsabilité d'offrir un programme d'appui en faveur de la promotion de la démocratie (son action doit être sollicitée par les Etats membres). Ces principales activités concernent le renforcement des institutions démocratiques, le renforcement des processus électoraux, l'information et le dialogue. Voir RODRIGUES Maristela, le système interaméricain et les principes démocratiques : l'évolution de son engagement, Paris, l'Harmattan, 2009, pp. 77- 146. Le 14 décembre 1992 a été adopté le Protocole de Washington qui a ajouté l'article 9 à la Charte de l'O.E.A prévoyant des sanctions à l'encontre de coups d'Etats allant jusqu'à la suspension de l'Etat concerné de l'Organisation si l'ordre constitutionnel n'est pas rétabli. La Déclaration de Managua du 8 juin 1993 pour la promotion de la démocratie et le développement reconnait la nécessité de développer des dispositifs «qui promeuvent et renforcent intégralement le système démocratique de gouvernement ». C'est dans ce sens que le Protocole de Managua adopté par la XIXème session spéciale de l'Assemblée générale le 10 juin 1993, a envisagé des réformes structurelles dans l'OEA. Ainsi, le Conseil interaméricain pour le développement intégré a pour mission « le renforcement de la conscience civique des peuples américains considéré comme l'un des éléments fondamentaux de l'exercice effectif de la démocratie et du respect des droits et des devoirs de la personne humaine ». Par ailleurs, la Charte démocratique interaméricaine adoptée le 11 septembre 2011 traduit l'évolution de l'OEA dans le renforcement de la démocratie en Amérique. Elle reconnait expressément le droit à la démocratie. L'article 1 par. 1 de cette Charte interaméricaine prévoit que : « Les peuples des Amériques ont droit à la démocratie et leurs gouvernements ont pour obligation de la promouvoir et de la défendre ». démocratie qui correspond le mieux à ses réalités 60 . Avec la naissance de l'UA, l'engagement démocratique s'est affirmée avec plus d'acuité car dans son acte constitutif61, elle affirme sa préférence pour la démocratie en définissant ce qu'elle entend par démocratie et en tentant de la faire accepter par tous les Etats africains. L'adoption de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance en 2007 lors du 8è sommet de l'UA à Addis-Abeba qui établit à la fois les principes politiques et juridiques d'un système démocratique est une action qui vise à étaler les valeurs démocratiques que tout Etat membre de l'Union est tenu de préserver. Face à cette nouvelle donne politique partagée et défendue dans la plupart des organisations régionales, la réorientation politique de la Francophonie devint irréversible sous peine qu'elle devienne anachronique par rapport aux défis de son temps. |
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