Ecole des Hautes Etudes internationales et politiques de Paris
(HEIP)
Les mécanismes d'engagement de la
responsabilité
internationale de l'Etat pour le fait d'acteurs
non-étatiques
face au phénomène d'externalisation
de la guerre. Le cas du
conflit turco-kurde en Syrie du Nord.
Sous la direction de : THERON Julien
Master 1 Diplomatie et Relations internationales Année
universitaire 2020-2021
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact1.png)
LAOUITI Tessa
Image : Haaretz. « Free Syrian Army fighters ride on a
truck decorated with a Turkish flag in the rebel-held town of al-Rai near
Aleppo, Syria, October 5, 2016. Credit: Khalil Ashawi, Reuters »
1
SOMMAIRE
2
Introduction
I - Les mécanismes et critères
d'attribution d'un fait international illicite à l'Etat pour le fait
d'un acteur non-étatique
II - L'applicabilité du droit de l'engagement de
la responsabilité internationale de l'Etat pour le fait d'un acteur
non-étatique face aux stratégies d'externalisation de la
guerre
Conclusion
Annexes
Bibliographie
Table des matières
3
INTRODUCTION
En 2017, la Turquie rallie la plupart des combattants de
l'Armée syrienne libre (ASL) - groupe rebelle d'opposition à
Damas - sous la bannière de l' « Armée nationale syrienne
» (ANS) pour repousser les forces kurdes dans le Nord de la Syrie.
Après trois opérations militaires conjointes, Ankara occupe et
contrôle aujourd'hui une partie du Nord syrien, via ses troupes
régulières (TSK) d'une part et via l'ANS d'autre part. Ankara
sert ainsi un intérêt de sécurité nationale :
contenir la présence de l'armée kurde à sa
frontière, en empêchant notamment la jonction des trois cantons de
Qamichli, Tell Abyad et Afrin (voir carte Annexe n°1). En septembre 2020,
un rapport du Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des Nations unies
(ONU) alerte sur la situation des civils dans les zones contrôlées
par l'armée turque et les rebelles syriens, particulièrement
à Afrin, Ras al-Aïn et Tell Abyad. Il appelle Ankara à
enquêter sur ce qui pourrait constituer des crimes de guerre commis par
des groupes sous son contrôle1. Selon Michelle Bachelet,
Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme,
« la Turquie pourrait être considérée
comme un État responsable des violations commises par les groupes
armés qui lui sont affiliés, tant que la Turquie exerce un
contrôle effectif sur ces groupes ou sur des opérations au cours
desquelles ces violations ont été commises »2.
Ce terme de « contrôle effectif » est un
critère juridique édicté par la Cour internationale de
Justice (CIJ) fixant un seuil à partir duquel un Etat peut voir sa
responsabilité internationale engagée pour le fait d'un acteur
non-étatique. Cet aspect du droit de la responsabilité des Etats
pour fait internationalement illicite est primordial pour punir et
prévenir de façon effective toutes violations du droit
international des droits de l'homme (DIDH) et du droit international
humanitaire (DIH). En effet, lorsqu'un Etat externalise la guerre vers un
groupe armé non-étatique (GANE), cela soulève des
questions fondamentales sur la façon dont la violence est
utilisée par ce dernier au profit d'un acteur régulier. Cette
externalisation induit une « distanciation du champ de bataille »,
faisant craindre « une forme de déresponsabilisation pouvant
être dangereuse pour le respect du droit international
1 UNHCR. « Syria: Violations and abuses
rife in areas under Turkish-affiliated armed groups - Bachelet »,
2020.
2 ONU info. « Syrie : possibles crimes de
guerre par une milice pro-turque, selon l'ONU », 2019.
3 Assemblée nationale. « Le droit
international humanitaire à l'épreuve des conflits ».
Rapport d'information, Commission des Affaires étrangères,
n°2484, 2019.
4
humanitaire » 3. Par ailleurs, les pertes
civiles directes dans les conflits armés relèvent plus de gestes
délibérés que d'accidentels dommages collatéraux.
Certaines parties, régulières ou non, n'hésitent pas
à user directement de la violence sur les civils pour en dégager
quelques avantages tactiques. Or la plupart des crimes de guerre
présumés ne font pas l'objet de poursuites et restent impunis.
L'application totale du droit de la responsabilité des Etats est
compliquée par le jeu des acteurs, c'est-à-dire par le panel de
stratégies d'engagements indirects dans un conflit armé,
déléguant de plus en plus la conduite des opérations
militaires ou paramilitaires à des GANE. Les groupes syriens
d'opposition pro-turcs se sont rendus coupables de crimes de guerre devant
lesquels ils sont pleinement responsables. Mais pour une application totale du
droit, les institutions internationales doivent rechercher la potentielle
responsabilité de la Turquie, dont on sait qu'elle exerce un certain
contrôle sur l'ANS et qui occupe le territoire syrien en partie
grâce à elle. Sans quoi, avec cette impunité de fait, le
seuil de respect du DIH s'abaisse, et l'insécurité grandit pour
les populations civiles.
Après la chute de l'ordre bipolaire et
l'avènement d'une mondialisation caractérisée par des flux
transnationaux remettant en question la centralité de l'Etat à
tous les niveaux, l'analyse des conflits armés non-internationaux (CANI)
a particulièrement occupé les chercheurs en études
stratégiques et sécurité internationale. En effet, le
phénomène guerrier a connu une évolution notable avec la
multiplication des acteurs armés non-étatiques. C'est dans ce
contexte que le terme de guerre asymétrique (Münkler, 2003 ; Ould
Mohamedou, 2005) a été forgé et systématisé
pour désigner un conflit armé entre, au moins, un acteur
régulier et un acteur irrégulier. Dans ces conflits armés
aux nouvelles formes, parfois simplement appelées « nouvelles
guerres », les chercheurs ont établi une importante propension
à la violence contre les civils émanant des parties
belligérantes (Marchal & Messiant, 2003 ; Münkler, 2005 ;
Smith, 2005 ; Kaldor, 2012). Cette violence est en effet devenue l'objet d'une
stratégie à part entière de certains GANE visant à
contre balancer leurs désavantages militaires face à un acteur
régulier (Bassiouni, 2008 ; Münkler, 2003).
Si les CANI sont devenus prépondérants, les
conflits armés interétatiques ne sont pas devenus
obsolètes mais ont aussi évolué dans leurs formes,
devenant de plus en plus indirects du fait de l'évolution du contexte
global : spectre nucléaire, interdépendance économique
mondiale, avancées du droit international, etc. Aujourd'hui, les
conflits entre deux Etats via des acteurs interposés sont nombreux. Avec
ce phénomène, couplé à la multiplication des
5
acteurs armés, l'établissement de liens
stratégiques entre les acteurs réguliers et les acteurs
irréguliers est devenu de plus en plus fréquent. Les chercheurs
se sont intéressés à ces types de stratégies,
donnant lieu à un panel de nouveaux concepts et de nouvelles
terminologies.
Tout d'abord, la guerre indirecte entre les deux Grands dans
le contexte de la Guerre froide a donné lieu à une
conceptualisation de l'idée de proxy warfare ou «
guerre par procuration », terme inventé par Z.
Brzeziñski et repris par la littérature scientifique de la
période (Dunér, 1981 ; Bar-Siman-Tov, 1984). Ce concept a
été défini comme l'engagement indirect d'une partie tiers
(le bénéficiaire) dans un confit pour influencer son
issue stratégique, au travers d'une partie directe au conflit (le
proxy), contre un ennemi commun. Ces chercheurs ont notamment argué
que la guerre par procuration permet d'éviter un engagement direct et de
bénéficier d'une capacité de « déni plausible
» (« plausible deniability ») dans un contexte
d'archaïsme des guerres majeures (Mumford, 2013). Enfin, des études
plus récentes « ont affiné les modèles conceptuels,
théoriques et empiriques des guerres par procurations » (Rauta,
2020, p.9). En prenant en compte l'importance des terminologies
attribuées aux parties, elles ont permis de différencier les
termes d'auxiliaires et de proxies, ainsi que d'isoler le concept de
substitution comme une stratégie à part entière
(Scheipers, 2017 ; Rauta, 2019). Cet effort de typologie a ainsi permis de
mieux appréhender ce que sont les guerres par procuration et ce qu'elles
ne sont pas.
Thomas M. Hubert a quant à lui élaboré le
concept de compound warfare, ou « guerre composée
» pour qualifier l'utilisation simultanée de forces
régulières et de forces irrégulières par un
opérateur, contre un ennemi, pour augmenter sa capacité militaire
(2002). Ici, il n'y a pas de lien hiérarchique entre la force
régulière et la force irrégulière ; les deux sont
complémentaires et coopèrent. Plus récemment, Andreas
Krieg et Jean-Marc Rickly ont élaboré le concept de guerre
par substitution, ou « surrogate warfare »,
désignant le fait pour un Etat d' « externaliser le fardeau de la
guerre », c'est-à-dire de déléguer toute ou partie de
la conduite des opérations militaires à un GANE (2019). Enfin,
toujours dans la conceptualisation du lien stratégique Etat-GANE,
d'autres chercheurs se sont intéressés aux milices
pro-gouvernementales comme « agents » d'un Etat (Alvarez, 2006 ;
Carey & Mitchell, 2015 ; Böhmelt & Clayton, 2018).
Cette perte évidente pour l'Etat de son monopole de la
violence légitime a ensuite amené la recherche vers le but d'une
telle délégation dans la guerre. On a déterminé que
cette stratégie peut être un outil de négociation afin
d'obtenir des objectifs de politique étrangère (Bapat, 2012), ou
qu'elle peut constituer de fait un moyen pour l'Etat de sous-traiter un certain
type de violence contre les civils (Hughes & Tripodi, 2009 ; Carey,
Colaresi & Mitchell, 2015 ;
6
Krieg & Rickly, 2019). Ces dernières études
ont admises l'existence d'incitations logistiques et politiques des
gouvernements à collaborer avec des GANE, malgré le fait qu'ils
perdent en monopole de la violence.
D'un autre côté, les juristes se sont aussi
penchés sur ce phénomène de « nouvelles guerres
», car il y a un fossé entre la réalité des nouvelles
guerres - avec leurs lots de nouveaux acteurs - et les conceptions de la guerre
qui sont à la base des paradigmes de conformité au DIH (Lamp,
2011). La question de l'applicabilité du DIH aux conflits par «
procuration » ou « substitution » s'est alors posée. Les
études juridiques qui s'intéressent à la
responsabilité de l'Etat pour le fait d'un acteur non-étatique
admettent la trop grande impunité des crimes de guerre, du fait de
l'insuffisance des mécanismes juridiques existant, et cherchent des
alternatives uniquement juridiques pour attribuer un fait international
illicite à un Etat (la doctrine de la responsabilité du
commandement, l'entreprise criminelle commune, etc.)4. Mais cela ne
permet pas de contrebalancer les mécanismes juridiques existants.
Par conséquent, la question de la responsabilité
de l'Etat pour le fait d'acteurs non-étatiques, dans le cadre d'une
externalisation de la guerre du premier vers le second, reste un sujet
largement à traiter. Cette question est certes juridique, mais sa
réponse a des incidences importantes pour comprendre les choix et les
risques stratégiques des Etats lorsqu'ils décident de
déléguer des questions de sécurité, voire de
sécurité nationale, à des entités
extérieures à leur appareil régulier.
De plus, les concepts de proxy warfare, surrogate
warfare et compound warfare ne font pas la distinction entre
l'intervention d'une partie tiers et la délégation par une partie
tiers (Salehyan, 2010 ; Hauter, 2019) ; ils qualifient plus largement toute
forme d'engagement indirect. Ce manque de précision amène
à des confusions dans la classification des conflits armés, entre
guerre civile et guerre interétatique (Hauter, 2019), et ainsi dans la
mise en oeuvre du droit applicable. Aussi, il y a une
prépondérance du concept de « proxy warfare »,
utilisé à profusion pour désigner tout GANE qui entretient
une relation stratégique avec un Etat, sans vrai fondement conceptuel.
Or c'est un concept restrictif, dont la généralisation se fait au
dépend de l'étude de tous les autres types de stratégies
d'externalisation.
Enfin, s'il est relativement bien établi que
l'externalisation peut être de fait un moyen pour l'Etat de contourner
les règles de DIH en déléguant la violence à des
acteurs armés non-
4 Voir Ambos, K. (2009). « Command
responsability and Organisationsherrschaft : ways of attributing
international crimes to the `most responsible'
». System criminality in international law, p. 127-157. Et
CICR, (2014). « Command responsibility and failure to act »,
Advisory service on international humanitarian law.
7
étatiques (Hughes et Tripodi, 2009 ; Carey, Colaresi et
Mitchell, 2015 ; Krieg et Rickly, 2019), qu'en est-il, en cas de violation du
DIH par le GANE, de la responsabilité de l'Etat ? Les chercheurs en
études stratégiques et sécurité internationale
n'intègrent pas la donnée de contrôle effectif, ou
celle de contrôle global formulée par le TPIY, - ou de
façon très partielle5 - dans leurs conceptualisations
des liens stratégiques Etat-GANE. De fait, les termes de proxy,
substitut, auxiliaires, mercenaires ou encore d'affiliés ne sont pas
révélateurs des degrés de contrôle de l'Etat sur
l'acteur non-étatique, donnée pourtant fondamentale pour une
applicabilité du droit de la responsabilité internationale de
l'Etat.
Ce mémoire vise ainsi à concilier les notions
juridiques de « contrôle effectif » et de « contrôle
global » avec l'étude de la relation stratégique Etat-GANE
dans un CAI ou un CANI, domestique ou non. Le but de cette démarche est
de valider les hypothèses suivantes. D'une part, nous tenterons de
montrer que le test de « contrôle effectif » de la CIJ est
systématiquement périclité : théoriquement car la
relation organique requise par la CIJ est incompatible avec le concept
d'agent6, et pratiquement par le simple entretient d'un
relatif degré d'autonomie de l'acteur irrégulier, rendant le
contrôle de l'Etat pas assez clair d'un point de vue juridique
(hypothèse n°1). D'autre part, le test de « contrôle
global » du TPIY est, quant à lui, théoriquement et
pratiquement applicable à des relations stratégiques de
délégation entre un Etat et un acteur irrégulier,
mêmes dont les liens sont obscurs ou cachés (hypothèse
n°2).
Nous partons ainsi du postulat qu'il existe une
corrélation entre l'impunité des crimes de guerre et
l'externalisation de la guerre par l'Etat vers un acteur irrégulier. De
plus, nous nous situons dans un paradigme nouveau par rapport l'étude
classique des conflits armés, car on s'éloigne de facto
du monopole légitime de la force détenu par l'Etat (Weber,
1959) et des concepts clausewitziens de guerre stato-centrée. De plus en
plus, l'Etat délègue volontairement la violence à des
entités extérieures à son appareil de
sécurité régulier, pour ses propres intérêts
sécuritaires et/ou stratégiques.
Dans l'optique de démontrer la première
hypothèse, il faudra chercher à savoir si un Etat peut
théoriquement avoir un « contrôle effectif » sur un
acteur non-étatique qui, par nature, est extérieur à son
appareil de sécurité régulier ? (question de recherche
n°1). Il faudra
5 Voir Krieg, A. et Rickli, J.-M. (2019). «
Surrogate Warfare: The Transformation of War in the Twenty First Century
». Georgetown University Press, p.165-178.
6 Voir ci-après la « théorie de
l'agence ».
8
aussi se demander si un contrôle peut-être
effectif tout en ayant une part d'autonomie laissée à
l'irrégulier (n°2), ce qui nous amène à nous demander
quels sont les facteurs de contrôle d'un Etat sur un GANE hors
critères juridiques (n°3).
Ensuite, pour affirmer la deuxième hypothèse, il
faudra chercher à savoir si le test de « contrôle global
» est applicable pour tous les types de d'agents (n°4).
Enfin, dans l'intérêt des deux hypothèses,
il faut regarder les tests de contrôle juridique au regard de la
clarté des liens noués entre l'Etat et le GANE, de façon
réaliste : avec quelle stratégie d'externalisation le
degré d'intégration de l'agent à l'appareil de
sécurité de l'Etat, et donc le potentiel de contrôle de
l'Etat, est-il le plus fort ? (n°5) Pour l'utilisation de quel type
d'agent l'Etat retire-t-il le plus de bénéfices de la
délégation ? (n°6).
En sommes, la question générale de ce
mémoire de recherche est de se demander si, pratiquement, l'engagement
de la responsabilité internationale de l'Etat pour des faits illicites
commis par un acteur non-étatique est faisable. Autrement dit, dans
quelles mesures l'externalisation de la conduite des opérations
militaires par un Etat vers un acteur non-étatique peut-elle faciliter
l'externalisation de la responsabilité de l'Etat devant le droit
international des droits de l'homme et le droit international humanitaire ?
La porosité entre la stratégie
régulière et la stratégie irrégulière est
ainsi de plus en plus fine. Ce phénomène va à l'encontre
du concept de « guerre trinitaire » de Clausewitz,
c'est-à-dire de la trinité « nation, Etat-nation et
armée nationale », à la base de la guerre classique. Pour
Clausewitz, et plus tard Max Weber, l'Etat ne peut déléguer la
violence légitime qu'à des soldats citoyens. La guerre trinitaire
est donc conçue comme un cadre de violence organisée sous
l'autorité de l'Etat par une armée levée parmi la
société. Mais devant la prépondérance des
engagements indirects des Etats dans les conflits au XXIe, on peut davantage
parler de « guerres néo-trinitaires » (Krieg &
Rickly, 2019) que de « guerres non-trinitaires » (Martin van
Creveld, 1991). En effet, le fait que l'Etat développe une
stratégie sécuritaire alternative extérieure ne rend pas
caduc cette trinité (Krieg & Rickly, 2019 ; Biberman, 2014). Ce
recourt de l'Etat à une entité extérieure est une
réponse à un contexte mondial dans lequel règne un
sentiment d'insécurité permanente. On peut ainsi regrouper les
concepts de proxy, surrogate et compound warfare sous
l'appellation de guerres néo-trinitaires, qui peut se
définir comme une guerre dans laquelle un Etat délègue
toute ou partie de la conduite des opérations militaires et/ou
paramilitaires à une entité externe à son appareil de
sécurité régulier. En utilisant cette expression de guerre
néo-trinitaire plutôt que celle,
9
généralisée, de « proxy war
», on englobe sans écueil toutes les formes de stratégies
d'externalisation.
A la base de la compréhension du
phénomène d'externalisation, ou souvent appelé «
délégation », se trouve la « théorie du
principal et de l'agent » ou « théorie de l'agence ».
Selon une définition économique,
« le concept de PPP [partenariat public-privé]
fait référence à un arrangement contractuel couvrant une
longue période (typiquement plus de 20 ans) par lequel les
autorités publiques assignent à un opérateur privé
l'accomplissement d'une mission d'intérêt public » (De Palma,
Leruth, et Prunier, 2012, p.60).
La relation d'agence implique donc une forme de
délégation, soit « un octroi conditionnel d'autorité
du principal à un agent qui habilite le dernier
à agir au nom du premier. Cette théorie s'intéresse
à l'autonomie de l'agent, au contrôle du principal
sur lui, ainsi qu'aux risques et aux bénéfices de la
délégation. Ainsi, la théorie de l'agence nous offre un
cadre solide pour répondre à plusieurs de nos questions de
recherche. Par ailleurs, ces dernières variables de contrôle et
d'autonomie sont les mêmes adoptées par la CIJ pour son test de
« contrôle effectif », visant à déterminer
l'engagement ou non de la responsabilité d'un Etat pour le fait
d'acteurs non-étatiques. Ces faits qui nous intéressent ici sont
les violations du DIDH, du DIH et les crimes de guerre.
Le Statut de Rome (2002) définit les crimes de guerre
comme des « violations graves des lois et coutumes applicables aux
conflits armés internationaux [et] aux conflits armés ne
présentant pas un caractère international »7. Ces
violations entrainent l'engagement de la responsabilité pénale
individuelle ou de la responsabilité internationale de l'Etat pour fait
international illicite. Le fait international illicite est
« le fondement et l'élément premier de la
responsabilité, celui auquel se rattachent tous les autres : imputation
du fait illicite, préjudice, réparation et éventuellement
punition » (Reuter, 1958, p.245).
La commission d'un fait illicite cause un préjudice
à un tiers et, ce faisant, doit être imputé à son
auteur. Le procédé d'imputation du fait international illicite
permet d'engager la responsabilité de l'Etat. Par ailleurs,
« [l]'Etat est responsable des violations du droit
international humanitaire qui lui sont attribuables, y compris : a) les
violations commises par ses propres organes, y compris ses forces armées
; [...] c) les violations commises par des personnes ou des groupes agissant en
fait sur ses instructions ou ses directives ou sous son contrôle [...]
» (Règle 149).
7 Statut de la Cour pénale internationale
(1998), art. 8 (cité dans vol. II, ch. 44, § 3).
10
Cela dit, le processus d'imputabilité n'est pas le
même selon que le comportement illicite est celui d'agents
rattachés à un organe de jure de l'Etat ou celui
d'agents étrangers à l'appareil d'Etat. Dans ce dernier cas, il
convient de faire une distinction entre l' « agent de facto
» et l' « organe de facto » (Finck, 2011).
L'organe de facto désigne un groupe extérieur à
l'appareil d'Etat qui est « dépendant de l'Etat et soumis à
son autorité » (ibid., p.154), tandis que l'agent de
facto désigne un groupe extérieur à l'appareil d'Etat
dont l'action se fait « sous les instructions, les directives ou le
contrôle de l'Etat » (ibid., p.151). Par ailleurs, «
un organe de facto est un organe de l'Etat au même titre qu'un
organe de jure : le droit international prend en compte l'organisation
de l'Etat réelle, concrète » (ibid., p.155).
Dans ce cadre théorique, nous allons observer
l'applicabilité des mécanismes d'engagement de la
responsabilité internationale de l'Etat pour le fait d'acteurs
non-étatiques, au regard des liens structurant une relation
stratégique Etat-GANE de nature « principal-agent ». Le cas de
la relation entre la Turquie et l'ANS dans le conflit turco-kurde en Syrie du
Nord permettra d'étudier un cas concret de ce type de relation tout en
lui appliquant les mécanismes juridiques de contrôle.
Pour ce faire, il faudra procéder à une
étude empirique. D'abord, une étude qualitative consistant en une
analyse textuelle d'un corpus juridique et d'études
théorico-stratégiques nous permettra de recueillir des
données empiriques précises sur les critères juridiques et
théoriques de contrôle d'un Etat sur un acteur
non-étatique. Le but de cette étude empirique sera notamment de
rechercher d'autres facteurs de contrôle que ceux proposés par les
tests juridiques, émanant plutôt de la littérature
théorique sur le phénomène de délégation et
de la littérature stratégique sur le phénomène
d'externalisation de la guerre. Ensembles, ces facteurs de contrôle
constitueront une sorte de « test de contrôle effectif de facto
», que nous confronterons aux tests juridiques.
Ensuite, nous allons analyser les différentes
stratégies d'externalisation et proposer une typologie des types
d'agents, basée sur leur degré de proximité avec l'Etat,
et ce, grâce aux critères de « contrôle effectifs
de facto » précédemment identifiés. Nous
appliquerons ensuite, de façon théorique, les tests juridiques
sur certains types d'agents.
Enfin, une dernière étude qualitative
procèdera à l'observation du rapport Ankara-ANS afin d'essayer
d'appliquer pratiquement les tests juridiques.
Le but de cette approche non juridique du droit de la
responsabilité de l'Etat est d'intégrer des facteurs purement
réalistes, prenant en compte les stratégies, le jeu des
acteurs
11
et les façons par lesquelles un contrôle peut
être exercé de façon plus insidieuse. Nous irons ainsi dans
le sens d'une application plus concrète du droit.
L'idée générale de ce mémoire est
d'apporter modestement un facteur explicatif des phénomènes de
violence contre les civils, en montrant qu'il existe une faille dans le droit
positif entrainant une impunité générale des crimes de
guerre, faute d'une capacité d'imputation du fait international illicite
aux Etats qui, de plus en plus, externalisent la guerre à des
entités extérieures à leurs appareils de
sécurité réguliers. L'idée est aussi d'ouvrir la
voie à des réflexions pour repenser les distinctions juridiques
classiques entre CAT et CANT, trop exhaustives et exclusives, ne prenant pas en
compte le jeu des acteurs et faussant ainsi le droit applicable. Enfin, il
s'agit d'apporter plus de précision terminologique, dans un sens
utilitariste au regard du droit applicable, en complétant les concepts
de proxy et de substitut, et les termes de supplétifs et d'auxiliaires,
avec des degrés de contrôle de l'Etat. En effet,
« [f]ormaliser le lien [des Etats] avec les groupes
armés irréguliers augmente la transparence, décroit
l'asymétrie d'information et créer un degré de
responsabilité » (Carey & Mitchell, 2015, p.14).
Ce mémoire étudiera dans un premier temps les
mécanismes et critères d'attribution d'un fait international
illicite à l'Etat pour le fait d'acteurs non-étatiques (T) : il
faudra d'abord appréhender le phénomène de contrôle
de l'Etat sur un GANE aux niveaux théoriques, stratégiques et
juridiques, afin d'en dégager des critères pertinents. Cela
permettra, dans un deuxième temps, de déterminer
l'applicabilité du droit de l'engagement de la responsabilité
internationale de l'Etat pour le fait d'acteurs non-étatiques face aux
stratégies d'externalisation de la guerre (TT) selon une approche
théorique d'abord, puis selon une approche pratique, au regard des liens
noués entre Ankara et l'ANS dans le conflit turco-kurde en Syrie du
Nord.
12
I - LES MECANISMES ET CRITERES D'ATTRIBUTION D'UN
FAIT INTERNATIONAL ILLICITE A L'ETAT POUR LE FAIT D'ACTEURS NON-ETATIQUES
Le point central dans l'attribution du fait international
illicite est la notion de contrôle qu'exerce l'Etat sur
l'irrégulier, soit une notion très large et circonstancielle. Les
juridictions internationales ont adopté des degrés
différents de contrôle. Pour leurs parts, les chercheurs en
études stratégiques et des conflits armés se sont, dans
leur large majorité, appuyés sur la théorie de l'agence
pour décrire et expliquer à la fois le phénomène de
contrôle du principal et celui d'autonomie de l'agent.
L'étude des critères juridiques légaux sera un point de
départ (A) à l'étude de la mesure des degrés de
contrôle que peut avoir un Etat sur un acteur irrégulier dans la
conduite d'une opération militaire ou paramilitaire, selon une approche
basée sur la théorie de l'agence (B).
A- Le critère de contrôle en droit
international
« En règle générale, le comportement
de personnes ou d'entités privées n'est pas attribuable à
l'État d'après le droit international »8.
Toutefois, un fait international illicite d'un Etat peut constituer en une
action d'un acteur non-étatique qui se trouve « sous la direction
ou le contrôle » de cet Etat. A cet égard, l'état
actuel du droit positif est divisé sur la question du degré de
contrôle requis : la Cour international de Justice (CIJ) a adopté
un critère de « contrôle effectif » (a) tandis que la
Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
(TPIY) a préféré appliquer un critère de «
contrôle global » (b).
a) Le critère de « contrôle effectif
» de la Cour internationale de Justice
La Cour internationale de Justice, instituée en juin
1945, est l'organe judiciaire principal de l'Organisation des Nations unies
(ONU). Elle vise à régler les contentieux entre Etats de
manière pacifique, en rendant des arrêts juridiquement
contraignants, définitifs et sans recours. Ces arrêts constituent
une source importante de la jurisprudence en tant que source de droit. C'est
dans l'arrêt « Nicaragua » (1986), sur l'affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
l'opposant aux Etats-Unis9, que la CIJ a
8 Article 8, Projet d'articles sur la
responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite et
commentaires y relatifs (2001).
9 Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Les États-Unis
d'Amérique) (fond), arrêt, CIJ recueil, 1986.
« même le contrôle général
exercé par [les USA] sur une force extrêmement dépendante
à leur égard, ne signifieraient pas par eux-mêmes, sans
preuve complémentaire, que les Etats-Unis
13
introduit le critère de « contrôle effectif
» comme le degré de contrôle nécessaire pour engager
la responsabilité d'un Etat pour le fait d'un acteur
non-étatique.
A la chute du président Anastasio Somoza Debayle en
juillet 1979, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) arrive
au pouvoir à Managua. Une forte opposition politique se mue en groupes
d'oppositions militarisés et paramilitaires, appelés les «
contras ». Les contras ont mené des
opérations militaires et paramilitaires sur le territoire du Nicaragua
contre le nouveau gouvernement, au cours desquelles ils ont, selon le
Nicaragua,
« causé des dégâts matériels
considérables et provoqué de nombreuses pertes en vies humaines ;
ils auraient aussi commis des actes tels que l'exécution de prisonniers,
le meurtre de civils pris au hasard, des tortures, des viols et des
enlèvements » (Nicaragua., § 20).
De leurs côtés, les Etats-Unis ont doublement
soutenu l'opposition. D'une part, en apportant un soutien multiforme aux
contras (§ 108) et, d'autre part, en participant directement
à la pose de mines dans des ports et eaux du Nicaragua via des
militaires états-uniens et des ressortissants de pays
latino-américains agissant directement sous les ordres des organes
militaires des Etats-Unis et appelés par la CIA « UCLAs » -
« Unilaterally Controlled Latino Assets » (§ 75).
En 1984, le Nicaragua formule une requête devant la Cour
de La Haye. D'abord, Managua tient pour responsables les Etats-Unis des
violations du DIDH et du DIH commises par les contras du fait de leur
soutien apporté à ces derniers. Ensuite, Managua considère
que les activités menées par les UCLA rendent encore plus
directement responsables les Etats-Unis, du fait du lien plus organique entre
eux.
Concernant la première accusation du Nicaragua, la
question pour la CIJ était de savoir
« si les liens entre les contras et le
Gouvernement des Etats-Unis étaient à tel point marqués
par la dépendance d'une part et l'autorité de
l'autre qu'il serait juridiquement fondé d'assimiler les contras
à un organe du Gouvernement des Etats-Unis ou de les
considérer comme agissant au nom de ce gouvernement »
(§109, italique rajouté).
Les notions de dépendance et d'autorité sont
détaillées par les critères suivants : la
sélection, l'installation et la rétribution des dirigeants de la
force irrégulière ; l'organisation, l'entrainement et
l'équipement de la force ; le choix des objectifs et enfin le soutien
opérationnel fourni (§112). Cependant, même un contrôle
général à tous ces niveaux ne suffit pas:
14
aient ordonné ou imposé la perpétration
des actes contraires aux droits de l'homme et au droit humanitaire
allégués par 1'Etat demandeur ? [...] il devrait en principe
être établi qu'ils avaient le contrôle effectif des
opérations militaires ou paramilitaires au cours desquelles les
violations en question se seraient produites » (§115).
Or, aucune instruction directe émanant des Etats-Unis
n'a été prouvée, de même que leur «
contrôle effectif » pendant les opérations en questions. Ne
pouvant établir, faute de preuve, ce degré de contrôle
effectif exercé par les Etats-Unis sur les forces contras, la
CIJ refusa au Nicaragua de tenir pour responsables les Etats-Unis sur cette
question.
A propos de la deuxième accusation du Nicaragua, la
Cour a imputé les actes exécutés par les UCLAs aux
Etats-Unis, car la participation de ressortissants états-uniens à
la préparation et la conduite de ces opérations a clairement
été établie. Par conséquent, ces actions
constituent une violation du droit international coutumier pour laquelle les
Etats-Unis sont directement responsables (ibid., § 254).
La conclusion préliminaire que nous pouvons faire de
cet arrêt est, tout d'abord, qu'il introduit un test de contrôle
effectif composé de deux critères non cumulatifs (cf.
schéma Annexe 2). D'une part, le contrôle est effectif si les
degrés de dépendance et d'autorité sont très forts.
Ces derniers se manifestent par un contrôle de l'Etat à tous les
niveaux de l'acteur non-étatique, y compris et surtout sur les
opérations au cours desquelles les actes illicites sont commis :
? au niveau tactique : soutien/appui de l'Etat et
élaboration de la tactique ;
? au niveau opérationnel : soutien/appui de l'Etat, le
groupe opère sous ses ordres et instructions directes ou indirectes ;
? au niveau stratégique : l'Etat désigne les
objectifs et planifie les opérations ;
? au niveau organisationnel : l'Etat finance, organise,
entraine, arme et équipe le groupe ;
? et au niveau politique : l'Etat a autorité sur
l'organisation interne du groupe par la sélection et l'installation de
ses dirigeants.
Deuxièmement, le contrôle peut être
effectif si l'acteur non-étatique exécute les actes illicites sur
les ordres ou les instructions directes de l'Etat, comme c'était le cas
des UCLAs. En fait, pour la CIJ, l'Etat est responsable d'un GANE si on peut
prouver que ce dernier agit en fait comme un organe de facto de
l'Etat. Cela est consacré dans le Projet d'articles sur la
responsabilité de l'Etat pour fait international illicite (2001). Un
organe de facto qualifie un groupe d'individus ou un individu qui, de
fait, peut être assimilé à un organe de jure de
l'Etat en ceci qu'il « agit en fait sur les instructions ou les directives
ou sous le contrôle de cet État »
15
(article 8). L'article 8 traite ici de deux situations. «
La première est celle où des personnes privées agissent
sur les instructions de l'État lorsqu'elles mènent le
comportement illicite » (Commentaire, § 1). Ici, tant que
l'instruction précise est donnée par l'Etat, il n'y a pas de
difficulté à engager sa responsabilité internationale. La
seconde situation « à un caractère plus
général, où des personnes privées agissent sur les
directives ou sous le contrôle de l'État » (ibid.).
Ici, l'imputation est plus compliquée, car il faut prouver que l'Etat
ait « dirigé ou contrôlé l'opération
lui-même » (Commentaire, § 3). Ces deux situations
sont les deux faces du contrôle effectif.
En 2007, l'arrêt de la CIJ rendu sur l'affaire «
Application de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide » impliquant la Bosnie-Herzégovine et
la Serbie-Monténégro, apporte de nouvelles précisions au
processus d'imputation du fait international illicite à un Etat pour le
fait d'acteurs non-étatiques. Sans revenir sur les faits, la Cour a
introduit ici un critère d'attribution additionnel, celui de la «
totale dépendance », dans le cas où des
« personnes [...] qui, sans avoir le statut légal
d'organes de cet État, agissent en fait sous un contrôle tellement
étroit de ce dernier qu'ils devraient être assimilés
à des organes de celui-ci aux fins de l'attribution nécessaire
à l'engagement de la responsabilité de l'État pour fait
internationalement illicite » (Génocide, par. 391).
La totale dépendance correspond à un degré
très élevé de contrôle « qui ne se confond
cependant pas avec le critère [...] de «
contrôle effectif » » (Distefano & Hêche, 2016, p.
2728), et qui ne nécessite pas qu'il y ait eu des instructions
précises données ou de contrôle sur telle opération
du GANE : le contrôle est si étroit que le groupe ou l'individu,
« dépourvu de réelle autonomie »
(Génocide, par. 392), connaissent les objectifs de l'Etat et
n'ont pas besoin de directives, ils ne sont qu'un « instrument » de
l'Etat (ibid.).
Ainsi, la CIJ distingue plusieurs hypothèses dans
l'attribution d'un fait international
illicite à l'Etat pour le fait d'un acteur
non-étatique (cf. Figure 1). D'une part, s'il est établit que
l'acteur irrégulier est un organe de jure ou qu'il agit comme
un organe de facto de l'Etat, alors tous les actes accomplis par lui
sont imputables à l'Etat, quel que soit le degré de
contrôle exercé au moment des faits. Cela implique pour la Cour un
lien juridique (organe de jure) ou une « totale dépendance
» (organe de facto). D'autre part, s'il ne peut être
établit de « totale dépendance », et donc que l'acteur
irrégulier n'agit pas comme un organe de facto de l'Etat, alors
les actes illicites accomplis par l'acteur irrégulier seront imputables
à l'Etat seulement si l'irrégulier a agi sous le contrôle
effectif ou les directives de l'Etat.
16
Responsabilité de Test
déterminant
l'Etat pour :
Un organe de jure Droit interne
Un organe de facto Test de la totale
dépendance
Un acteur non-étatique Test de
contrôle effectif
Figure 1.
Ainsi, il semble que la CIJ ait fixé la barre
très haute, car atteindre et prouver un tel niveau de contrôle
effectif sur un GANE semble très difficile. Même pour ses organes
de jure l'Etat n'a pas le contrôle de chacun de leurs actes, et
pourtant il en est automatiquement responsable. Ce critère est donc
très restrictif, car la CIJ requière une relation
quasi-organique. En effet, « les expressions de « contrôle
», « dépendance » et « direction » sont prises
de manière très littérales par la CIJ » (Ramsundar,
2020, p.15). C'est pourquoi ce test a été plus tard
réfuté par la Chambre d'appel du TPIY.
b) Le critère de « contrôle global
» du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
Le TPIY, spécialisé en justice internationale
pénale, est créé par l'ONU en 1993 pour juger des
individus présumés coupables de crimes de guerre commis en
ex-Yougoslavie dans les années 1990. Treize ans après
Nicaraga, le TPIY récuse le critère de «
contrôle effectif » pour introduire celui de « contrôle
global » dans la célèbre affaire Tadiæ,
jugée en première instance10 puis en
appel11.
En 1991 et 1992, la République fédérale
de Yougoslavie (RFY) éclate avec les indépendances de la
Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la
Macédoine, ne comptant plus que la Serbie et le
Monténégro. Le conflit des Balkans qui nous intéresse ici
est celui qui se déroule en Bosnie-Herzégovine. En 1991, cet Etat
majoritairement musulman concentre une grande minorité de Serbes,
à savoir 31% des Bosniaques. Or la majorité des Serbes bosniaques
sont défavorables à la sécession de la Bosnie
vis-à-vis de la RFY Après la proclamation d'indépendance
de la Bosnie, les Serbes - organisés en milices
irrégulières - et
10 TPIY, chambre de première instance, 7 mai
1997, Le Procureur c. Duko Tadiæ, IT-94-1-T. Ci-après : Tadic
1997.
11 TPIY, chambre d'appel, 15 juillet 1999, Le
Procureur c. Duko Tadiæ, IT-94-1-T. Ci-après : Tadic ou Tadic
1999.
17
l'armée populaire yougoslave (JNA) ont étendu
leurs zones de contrôle et ont pris la ville de Prijedor le 30 avril 1992
(Tadic 1999, §93). Les milices serbes ont lancé des
attaques contre les civils musulmans et croates bosniaques dans la
région de Prijedor, où ils prirent le pouvoir par la force. Elles
ont fait fuir la population, détruit des mosquées et des
églises, interné les civils dans des camps de concentration et
maltraité les prisonniers de guerre (Le Pautremat, 2019). Le Conseil de
Sécurité des Nations unies (CSNU) exigea alors le départ
de la JNA ou sa soumission à l'autorité du Gouvernement de
Bosnie-Herzégovine. Officiellement, la JNA se retira de la Bosnie en mai
1992 (Tadic, §115), mais en réalité elle a
opéré une transformation en se scindant en deux : l'armée
de la Republika Srpska (la VRS), d'une part, et l'armée de la
nouvelle RFY (Serbie et Monténégro), connue sous le nom de VJ,
d'autre part. Par ailleurs, les officiers de la VRS continuaient à
percevoir leur solde de Belgrade (ibid.). C'est dans ce contexte que
Duko Tadiæ, un serbe de Bosnie, a participé entre autres aux
attaques de Prijedor et aux déportations et tortures dans le camp de
concentration d'Omarska.
Duko Tadiæ est poursuivi par le TPIY sur la base de la
responsabilité pénale individuelle pour trente-quatre chefs
d'accusation dont crimes contre l'humanité, infractions graves aux
Conventions de Genève et violations des lois ou coutumes de la guerre.
Parmi les questions que se sont posées la Cour et qui nous
intéressent, il y a celle de l'applicabilité du régime des
infractions graves aux Conventions de Genève. En effet, le concept de
« violations graves » ne s'applique qu'en situation de
CAI12. La Chambre de première instance a donc cherché
à savoir si la guerre en Bosnie revêtait un caractère
international, ce qui revient à savoir si « les actes de la VRS, y
compris son occupation de [...] Prijedor, peuvent être imputés au
Gouvernement de la Serbie et Monténégro » (ibid.,
§588). Pour ce faire, la Chambre a appliqué le critère de
contrôle effectif de la CIJ car, selon elle, il fallait non seulement
démontrer que la VRS était complètement dépendante
de la VJ et de Belgrade, mais également que ces derniers
exerçaient un contrôle sur la VRS (ibid.). La Chambre a
conclu que, malgré l' « influence considérable et
peut-être même [le] contrôle » de Belgrade sur la VRS,
et malgré la dépendance militaire de la VRS à
l'égard de la VJ, « aucun élément de preuve » ne
permet de conclure que Belgrade ait « dirigé [...] les
opérations militaires effectives de la VRS » (ibid.,
§ 605). Par conséquent, la partie irrégulière
n'étant pas liée à un Etat tiers au conflit, la Chambre de
première instance a jugé que la « guerre de Bosnie »
était
12 Convention de Genève IV, Art. 4.
18
un conflit armé non-étatique. Se faisant, la
Chambre acquitte Duko Tadiæ pour le chef d'accusation portant sur les
violations graves du D.I.H.
L'Accusation a fait appel de ce jugement. Selon sa
thèse, le régime des infractions graves devait s'appliquer dans
la mesure où la guerre de Bosnie revêtait bien un caractère
international. Dans le Jugement qu'elle rendit en 1999, la Chambre d'appel
classifia le conflit comme international, considérant que la RFY
exerçait un « contrôle global » sur la VRS, cette
dernière agissant de facto comme un agent de la
première. La Chambre d'appel n'a pas appliqué le test de «
contrôle effectif » introduit par la CIJ dix-huit ans plus
tôt. Son raisonnement n'était pas d'appliquer un test distinct de
celui de la CIJ, même si nous sommes ici dans la dimension de la
responsabilité individuelle et non étatique, mais bien de
récuser ce test. Selon la Chambre d'appel, que la question soit
d'engager la responsabilité internationale d'un Etat (Affaire
Nicaragua) ou d'engager la responsabilité pénale
individuelle (Affaire Tadiæ), le test de contrôle doit
être le même :
« Logiquement, les conditions doivent être les
mêmes, que le tribunal ait pour tâche de déterminer i) si
l'acte accompli par un particulier est imputable à un État,
engageant ainsi la responsabilité internationale de ce dernier ou ii) si
des individus agissent en qualité d'agents de fait d'un État,
conférant ainsi au conflit le caractère international et
satisfaisant par là même à la condition préalable
nécessaire à l'application du régime des «
infractions graves » » (Tadiæ 1999, § 104).
En effet, la question est de savoir quels sont « les
critères permettant d'imputer juridiquement à un Etat des actes
commis par des individus n'ayant pas la qualité d'agents de cet Etat
» (ibid.). Or selon la Chambre d'appel, le test de la CIJ est un
« critère de contrôle très étroit »
(§ 99) et non convaincant au regard du droit de la responsabilité
des Etats et de la pratique judiciaire et étatique. En effet, la Chambre
s'appuie sur l'article 8 du Projet d'articles relatifs à la
responsabilité des Etats adopté en première lecture par la
Commission du droit international (CDI) pour expliquer que « le
degré de contrôle peut varier selon les circonstances factuelles
propres à chaque affaire » (§ 117) : le droit ne doit pas
reposer sur des critères rigides et uniformes mais être adaptables
aux situations réelles.
La Chambre d'appel du TPIY estime que les actes d'un groupe
organisé et structuré sont imputables à l'Etat dès
lors qu'un « contrôle global » est exercé (§ 120),
avec ou sans instructions spécifiques (§ 123). Les
caractéristiques du « contrôle global » sont :
l'assistance sur le plan financier et militaire (§ 130) et
l'équipement, la coordination ou l'aide à la planification
d'ensemble des activités militaires (§ 131). La Chambre
précise cependant que le test de contrôle global n'a pas
été jugé suffisant « concernant des individus ou des
groupes qui
19
ne sont pas organisés en structure militaire »
(§ 132). Par conséquent, le groupe organisé militairement
est un critère préliminaire à l'application du test de
contrôle global.
C'est donc un critère bien moins restrictif que propose
le Tribunal ad hoc. Selon le CICR, « le critère du
contrôle global prend mieux en considération la
réalité de la relation entre le groupe armé
non-étatique et la puissance extérieure » (Ferraro, 2015,
p.192). Finalement, lors de la codification par la CDI du droit de la
responsabilité internationale de l'Etat au début des
années 2000, la Commission souligne les deux tests et points de vue de
la CIJ et du TPIY, sans trancher :
« c'est au cas par cas qu'il faut déterminer si
tel ou tel comportement précis se produisait ou non sous le
contrôle d'un Etat et si la mesure dans laquelle ce comportement
était contrôlé justifie que le comportement soit
attribué audit Etats »13.
Le droit reste donc divisé sur la question. Un
approfondissement de la notion de
contrôle, et la façon dont on peut la mesurer,
devient dès lors intéressant pour pousser la recherche sur cette
question, et ce, avec une approche non-juridique.
B- Mesurer le degré de contrôle de l'Etat
sur un acteur non-étatique selon une approche
théorico-stratégique
Il s'agit d'analyser les critères juridiques
précédents d'un point de vue théorique et de
déterminer quels sont les facteurs de contrôle d'un Etat sur un
GANE hors critères juridiques.
a) Contrôle du principal et autonomie
de l'agent selon la théorie de l'agence
Etudier la relation stratégique de
délégation entre un Etat et un acteur non-étatique dans le
cadre d'une relation de « principal-agent » va nous
permettre de dégager des caractéristiques de contrôle et
d'autonomie qui soient plus réalistes, plus soucieuses du jeu des
acteurs, car la théorie de l'agence intègre des variables de
préférences, de pertes d'agence et des
bénéfices découlant de la délégation.
La plupart des chercheurs qui ont étudié le
phénomène d'externalisation de la guerre par les Etats l'ont fait
avec la théorie de l'agence14. En effet, la relation d'agence
implique une forme de délégation, soit « un octroi
conditionnel d'autorité du principal à un agent
qui habilite le dernier à agir au nom du premier » (Hawkins,
Lake, Nielson & Tierney, 2006, p.7).
13 Article 8 paragraphe 5 du commentaire, Projet
d'articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement
illicite et commentaires y relatifs de la CDI, 2001, Vol. II, p. 50.
14 Voir Salehyan, 2010 ; Bryjka, 2020 ; Biberman, 2014
; Byman et Kreps, 2010 ; Popovic, 2018.
20
Dans l'étude des conflits armés, cette
théorie est couramment transposée à une situation dans
laquelle un Etat appui un GANE en lui fournissant un soutien matériel et
financier, en échange de sa coopération sur les objectifs
stratégiques, l'organisation des opérations et les tactiques
(Popovic, 2018).
Au départ d'une relation d'agence, le principal doit
inciter le futur agent à travailler pour lui. Ces incitations sont des
récompenses et des punitions (ou représailles) qui doivent
être adaptées à l'agent en question. Les variables de la
relation d'agence sont principalement celles des «
préférences » du principal et celles de l'agent.
Elles déterminent les objectifs et les résultats du
modèle. En fait, plus les intérêts et les ambitions
divergent entre le principal et l'agent, plus le premier devra fournir des
incitations importantes au second pour provoquer le comportement
désiré (Berman & Lake, 2019). Ensuite,
« [s]eulement quand les intérêts du
principal et de l'agent sont alignés de façon très
proches, le principal choisira une stratégie inconditionnelle de
renforcement des capacités [de l'agent], à travers une aide
accrue, un entrainement militaire, et d'autres formes d'assistance
nécessaires pour achever leurs ambitions partagées »
(ibid., p.4).
La relation d'agence consiste ainsi en une relation
conjoncturelle hiérarchique et mutuellement bénéfique
entre un Etat « patron » et un agent.
Pour le bon fonctionnement d'une relation d'agence, le
contrôle du principal sur l'agent est un élément
primordial. Selon la théorie de l'agence, nous pouvons relever plusieurs
facteurs de contrôle effectif d'un principal sur un agent. Il y a d'abord
celui d'une chaine d'approvisionnement courte ; plus la chaine
d'approvisionnement est longue, moins le principal peut effectuer un
contrôle effectif sur les faits et gestes de l'agent (Bryjka, 2020).
Ensuite, si l'agent seul à un faible potentiel au niveau de son armement
(type, quantité, qualité), de son niveau d'entrainement, de son
degré d'organisation, ou encore de son commandement central
(ibid.), le principal aura plus d'emprise sur lui. Par
conséquent, ce dernier deviendra dépendant de l'assistance
militaire extérieure, ce qui constitue un autre facteur de
contrôle effectif du principal, car les « ressources fournis par le
patron réduisent presque toujours l'autonomie du groupe armé
» (ibid.15). De plus, lorsque l'agent n'a aucun autre
sponsor vers qui se tourner, le patron aura plus de poids sur un agent plus
docile (Bryjka, 2020 ; Popovic, 2017).
Un autre facteur de contrôle effectif, et l'un des plus
importants, est celui de la gamme des intérêts et buts communs. Si
l'idéologie, l'ethnicité et la religion ne sont pas
directement
15 Absence de pagination. Voir DOI:
10.35467/sdq/131044.
21
des facteurs de contrôle, ce sont des
éléments qui, néanmoins, facilitent l'établissement
de la coopération et permettent surtout de justifier, pour les
dirigeants politiques, telle ou telle action (Bryjka, 2020). Par ailleurs, le
partage d'une même langue et d'une même culture réduit les
barrières de communication et « facilite le processus de criblage,
de surveillance et de sanction de l'agent, réduisant ainsi
l'«agency slack» » (ibid.), soit le risque que
l'agent dévie de la politique de préférence de son
principal à son propre profit. Mais ces éléments ne sont
pas suffisants en eux-mêmes, et l'alignement politico-stratégique
est primordial.
Enfin, pour contrôler une force
irrégulière souvent étrangère, le principal doit
avoir une forte capacité organisationnelle à externaliser
(Biberman, 2014), c'est-à-dire une capacité militaire importante
de l'appareil régulier :
« une capacité militaire élevée
permet à l'Etat d'amasser, d'armer, d'entrainer et de transporter une
force [...] et de s'assurer de la conformité [des actions] de l'agent
» (ibid., p.15)
vis-à-vis des directives et objectifs
énoncés par le principal. Par ailleurs, cette capacité
militaire permet de gérer les problèmes d'agence,
c'est-à-dire les problèmes inhérents à une trop
grande autonomie laissée à l'agent (ibid.).
Maintenant que nous avons examiné les facteurs de
contrôle du principal, nous pouvons regarder l'envergure de la marge de
manoeuvre indépendante de l'agent. L'agent est un acteur
extérieur à l'appareil régulier de l'Etat mais qui peut
faire partie de son organisation. Il peut être un acteur
non-étatique domestique ou étranger. Cet acteur
bénéficie donc d'une certaine marge d'indépendance et
d'autonomie vis-à-vis de l'Etat. La théorie de l'agence explique
qu'il existe deux formes de marge de manoeuvre indépendante de l'agent
vis-à-vis du principal. D'une part, il y a une forme
d'indépendance formelle, qui est préalablement conçue dans
le contrat avec le principal, et qui est la « discrétion
». Elle
« implique un octroi d'autorité qui
spécifie les objectifs du principal mais pas les actions
spécifiques que l'agent doit prendre pour accomplir ces objectifs »
(Hawkins, Lake, Nielson & Tierney, 2006, p.7).
Cela signifie que l'agent peut bénéficier d'une
marge de manoeuvre indépendante au niveau tactique voire
opérationnel d'une opération militaire afin de réaliser
les objectifs stratégiques fixés.
D'autre part, l'agent bénéficie d'une «
autonomie », ce qui désigne « la gamme d'action
potentielle indépendante disponible à un agent après que
le principal ait établi des mécanismes de contrôle »
(ibid.). Cette marge d'autonomie peut être utilisée au
profit ou au dépend du principal. Contrairement à la
discrétion, qui est contractuelle, l'autonomie est
16 Absence de pagination. Voir «
Exploitative, Transactional, Coercive, Cultural, and Contractual: Toward a
Better Theory of Proxy War », Modern War Institute (
usma.edu)
22
inhérente à la relation d'agence, c'est «
un produit dérivé inévitable d'un contrôle imparfait
sur les agents » (Byman & Kreps, 2010, p. 6). En effet, « la
nature même de la délégation signifie que le principal
accorde des degrés d'autonomie à l'agent » (ibid.).
En théorie, c'est l'autonomie et l'expertise de l'agent qui en font un
atout valable pour le principal (ibid.). Par ailleurs, c'est de cette
relative marge d'autonomie dont bénéficie l'agent que peuvent
naitre des problèmes pour le principal.
Le phénomène de délégation va de
pair avec les « pertes d'agence » (agency losses) (Hawkins,
Lake, Nielson & Tierney, 2006). La relation principal-agent soulève
deux problèmes principaux : le problème d'agence («
agency slack ») et le problème de partage du risque
(« risk sharing »). Le premier désigne « une
action indépendante d'un agent qui n'est pas désirée par
le principal » (ibid., p.8). Ce problème survient soit
lorsque l'agent minimise l'effort qu'il exerce au nom de son principal ou
lorsqu'il détourne la politique des préférences du
principal vers les siennes. Le second problème a déjà
été soulevé par Clausewitz : « un pays peut soutenir
la cause d'un autre, mais il ne la prendra jamais autant au sérieux
qu'il prend les sienne » (Fox, 2020)16. Un autre
problème soulevé dans la relation d'agence est celui de
l'asymétrie d'information. Le fait que les Etats délèguent
à des acteurs qui se trouvent en dehors de leurs appareils de
sécurités réguliers accroit l'asymétrie
d'information concernant la mise en oeuvre de tel ordre - de violation du droit
international par exemple -, permettant ainsi au principal de prétendre
qu'il ne pouvait contrôler l'agent (Carey, Colaresi & Mitchell,
2015). L'asymétrie d'information est ainsi un facteur de flou juridique
dans le processus d'imputation d'un fait international illicite.
En mettant en place certains mécanismes de
contrôle sur l'agent, le principal peut éviter les pertes
d'agence, voire les supprimer. Un mécanisme de contrôle vise
à compenser les pertes d'agence, et donc à faire en sorte que le
comportement de l'agent soit en accord avec les préférences du
principal. Un premier mécanisme est celui de la surveillance du
comportement de l'agent pour corriger l'asymétrie d'information. Mais
à terme, cela peut impliquer
« un degré de control direct sur l'organisation,
ce qui est potentiellement problématique car cela réduit le
prétexte de déni et les bénéfices de la
spécialisation » (Byman & Kreps, 2010, p.10).
23
Un autre mécanisme de contrôle consiste en
l'administration de sanctions ou de récompenses adaptées à
l'agent. Cependant, en règle générale, ces
mécanismes de contrôle sont très coûteux pour le
principal, ce dernier préférant tolérer la perte d'agence
(Kiewiet & McCubbins, 1991 ; Gailmard, 2012). Dans une relation d'agence,
la perte d'agence, découlant de l'autonomie de l'agent, serait donc
inévitable.
Nous pouvons conclure sur cette partie que, sur un plan
purement théorique, la théorie de l'agence permet
d'appréhender le phénomène de délégation
d'un acteur étatique vers un acteur non-étatique dans le cadre
d'un conflit armé. Elle explique que la délégation
d'autorité n'induit pas un contrôle total du principal sur l'agent
mais, au contraire, une marge de manoeuvre indépendante de l'agent,
nécessaire à la réalisation des objectifs
politico-stratégiques fixés par le principal. Cette
indépendance est caractérisée par la liberté de
choix des actions au niveau tactique voire opérationnel d'une
opération militaire, ainsi que par une certaine autonomie
inhérente à un contrôle imparfait et parfois volontaire.
Ainsi, si une relation stratégique entre un Etat et un GANE est de type
« principal-agent », le GANE ne sera pas totalement soumis au
contrôle du principal. Par conséquent, pour répondre
à notre première question de recherche, un Etat ne peut avoir,
théoriquement, de contrôle « effectif » au sens de la
CIJ sur un acteur non-étatique qui, par nature, est extérieur
à son appareil de sécurité régulier : l'agent aura
forcément un minimum d'autonomie.
En effet, on sait que la discrétion de l'agent
ainsi que son autonomie sont des données nécessaires
à la réalisation des objectifs stratégiques et/ou
politiques du principal. Contrevenir à cette marge d'action
indépendante de l'agent serait pour le principal coûteux, tant sur
le plan financier et matériel que sur un plan politique car cela
réduit sa possibilité de nier tout lien avec les activités
d'une force irrégulière, ce qui est une donnée importante
dans le cadre d'un engagement indirect dans un conflit armé. En effet,
un trop grand contrôle sur l'agent pourrait être un moyen pour ce
dernier d'obtenir des concessions de la part du principal : l'agent peut
menacer de commettre ou commettre volontairement une action illicite ou en
désaccord avec les objectifs, les principes ou les valeurs du principal,
ce dernier se retrouvant alors responsable de cette action du fait de son
contrôle évident sur l'agent. A l'inverse, en laissant une
certaine marge d'action indépendante, le principal peut, en cas de
besoin, démontrer qu'il existe une asymétrie d'information qui ne
lui permettait pas de contrôler l'agent lors de la commission de l'acte
illicite.
La relation d'agence est ainsi un jeu d'équilibre entre
liberté et contrôle. Le déséquilibre de cette
balance peut rendre l'agent inutile ou dangereux pour l'Etat.
24
« Au lieu de tenir le proxy trop proche ou le laisser
agir librement, l'Etat doit construire une sorte de « cage à
oiseaux » - une stratégie pour un contrôle
opérationnel effectif » (Biberman et Genish, 201517).
Ainsi,
« [l]'élément clé dans la gestion de
la relation principal-agent réside dans l'équilibre entre fournir
de l'aide aux proxies et leur permettre de gagner des batailles, tout
en exerçant et maintenant un contrôle politique et
opérationnel sur eux » (Bryjka, 202018).
L'agent doit bénéficier de la plus grande
discrétion, au moins au niveau tactique, si le principal veut
pouvoir se prémunir de l'argument de l'asymétrie
d'information.
C'est ainsi que la théorie de l'agence parvient
à saisir ce que nous appelons le « jeu des acteurs »,
c'est-à-dire le fait de laisser volontairement de l'autonomie/de la
discrétion à un groupe qu'on pourrait en fait contrôler,
entretenir l'asymétrie d'information et ne pas mettre en place de
mécanismes de contrôle pour garder une distance avec le groupe.
Bref, faire le choix stratégique de perdre en contrôle pour
espérer gagner des avantages stratégiques
considérés comme importants.
Maintenant que nous avons trouvé des facteurs de
contrôle plus réalistes car prenant en compte le jeu des acteurs,
nous devons continuer à mesurer ce contrôle selon une approche
plus stratégique, afin de déterminer ce qu'est un «
contrôle opérationnel effectif » (Biberman et Genish, 2015).
Nous allons mesurer les capacités de contrôle d'un principal sur
un agent selon les différentes composantes d'une opération
militaire, à savoir les niveaux stratégiques,
opérationnels et tactiques.
b) Mesurer la synergie des actions de l'Etat et de
la force irrégulière aux niveaux stratégiques,
opérationnels et tactiques d'une opération militaire
Nous avons vu que l'alignement politico-stratégique
entre le principal et l'agent est un facteur primordial de contrôle
effectif du premier sur le second. Cela dit, la compatibilité et la
complémentarité des intérêts stratégiques
n'est pas égale à une synergie stratégique (Mumford,
2013). Or cette dernière est, elle, un facteur clé de la notion
de contrôle effectif telle qu'édictée par la C.I.J. En
effet, le Cour requière un niveau de contrôle global du
17 Absence de pagination. Voir «The Problem
with Proxies: Ideology is No Substitute for Operational Control | Small Wars
Journal».
18 Absence de pagination. Voir DOI:
10.35467/sdq/131044.
25
principal sur l'agent à tous les niveaux pendant
l'opération militaire ou paramilitaire durant laquelle a lieu la
commission du fait international illicite (arrêt Nicaragua). Par
ailleurs, il y a différentes stratégies d'externalisation de la
guerre, et cette différence peut se mesurer selon le degré de
synergie des actions du principal et de l'agent aux différents niveaux
d'une opération militaire. En mesurant cette synergie, on pourra
identifier de nouveaux facteurs de contrôle. C'est la question de
recherche n°5 qui va guider notre analyse ici : avec quelle
stratégie d'externalisation le degré d'intégration de
l'agent à l'appareil de sécurité de l'Etat, et donc le
potentiel de contrôle effectif de l'Etat, sont-ils les plus forts ?
Le principal et l'agent peuvent avoir une synergie de leurs
actions aux niveaux stratégiques, opérationnels et/ou tactiques
d'une opération militaire. Le niveau stratégique est
défini par l'Organisation du traité de l'atlantique nord (OTAN)
comme celui
« auquel un pays ou un groupe de pays fixent des
objectifs de sécurité à l'échelon national ou
multinational et déploie des ressources nationales, notamment
militaires, pour les atteindre »19 (Maisonneuve, 2001, p.12).
C'est celui où on traduit les volontés de
politique étrangère en objectifs stratégiques. Le niveau
opérationnel est celui
« auquel des opérations de grande envergure et des
campagnes sont planifiées, conduites et soutenues en vue d'atteindre des
objectifs stratégiques sur des théâtres ou des zones
d'opérations »20.
Ici, il s'agit de traduire les objectifs stratégiques
en actions militaires. Enfin, le niveau tactique est celui du terrain, des
opérations militaires spécifiques menées par les
différentes composantes de la force régulière
(aérienne, navale, terrestre, cyber), en vue d'atteindre les objectifs
définis par le niveau opératif (ibid.).
L'enjeu pour le commandement d'une opération militaire
est de « s'assurer que les décisions stratégiques soient
appliquées et déclinées jusqu'aux plus petits
échelons tactiques » (ibid., p.9). Dans le cadre d'une
relation de principal-agent, dans laquelle toute ou partie de la conduite des
opérations militaires est déléguée, le principal
devra donc s'assurer que l'agent agit sur le terrain en conformité avec
ses préférences. Cela signifie que plus le principal aura
autorité aux niveaux opérationnels et tactiques, plus il aura une
capacité de contrôle effectif sur l'agent. Dans le cadre d'une
relation de principal-agent, c'est le principal qui a autorité au niveau
stratégique : il définit les grandes lignes et les objectifs
stratégiques.
19 Allied Administrative Publications (AAP) 6,
Glossaire OTAN de termes et définitions, 2014, p. 3, N.2
20 AAP 6, op. cit., p.3, N.2
26
Cependant, l'autorité du principal aux niveaux
opérationnels et tactiques est fonction de sa stratégie
d'externalisation, c'est-à-dire à la fois de son degré de
délégation (délégation totale ou partielle) et de
son niveau de participation (directe ou indirecte) dans l'opération
militaire. Nous allons voir comment le niveau de participation du principal
à l'opération militaire influence le niveau d'autonomie de
l'agent.
Un Etat et une force irrégulière peuvent
entretenir des relations structurelles variées, qui dépendent du
degré d'intégration de la force irrégulière
à l'appareil de sécurité du régulier. Nous assumons
que ce degré d'intégration peut être mesuré par le
niveau de participation du principal aux hostilités auprès de son
agent. Soit le principal participe directement aux combats, auquel cas on parle
d'intervention (sous-entendue directe), soit le principal participe
indirectement aux combats, auquel cas on parle d'engagement (sous-entendu
indirect) du principal dans un conflit armé. Le terme d'intervention
permet de saisir une implication militaire directe du principal sur le champ de
bataille, tandis que le terme d'engagement signifie plutôt que le
régulier est militairement absent du champ de bataille mais agit via une
partie au conflit pour influencer son issue stratégique. Souvent,
lorsque l'Etat intervient militairement dans un conflit armé, il tend
à agir pour conforter des intérêts sécuritaires et
stratégiques qu'il considère comme importants voire vitaux. C'est
le cas des interventions militaires turques en Syrie. Dans le cas d'un
engagement dans un conflit armé, le principal aura des
intérêts plus secondaires, lointains. C'est le cas du soutien des
Etats-Unis aux Forces démocratiques syriennes (FDS) dans leur combat
contre l'Etat islamique.
D'une part, en cas d'intervention, ou participation directe,
du principal, il y a coopération entre le principal et l'agent, les deux
agissants ensembles (Rauta, 2019). La notion de coopération est
importante et il convient de s'y attarder. En effet, plus la coopération
est grande, plus l'Etat aura le contrôle sur les opérations du
GANE (Krieg & Rickly, 2019). La coopération peut se définir
comme un comportement basé sur un accord réciproque entre
partenaires à propos de la fourniture de ressources (du temps, de
l'argent, des hommes, du matériel, etc.) et de leur appropriation pour
contribuer à un effort collectif en vue d'atteindre un but commun. Cet
accord décrit le degré de coopération (Gulati, Wohlgezogen
& Zhelyazkov, 2012). «Plus l'étendu attendu de la
coopération sera grand, plus les partenaires seront
interdépendants et plus grand sera le besoin d'un haut niveau de
coopération entre eux» (ibid.). Donc plus la
coopération s'étend jusqu'à l'échelon tactique,
plus le principal aura le contrôle sur l'agent. Une forte
coopération au niveau tactique signifie qu'il y a coordination entre le
principal et l'agent. La coordination peut se définir comme «
l'alignement délibéré et
27
ordonné des actions des partenaires afin d'achever des
objectifs déterminés communs » (ibid., p.7). La
coordination définit comment les interactions sont organisées
entre les partenaires. Ainsi, une forte coopération et coordination
réduisent les risques d'agence, comme l'asymétrie d'information
et augmentent le contrôle du principal sur l'agent.
D'autre part, l'engagement ou participation indirecte,
signifie que le principal agit via/au travers de l'agent (ibid.), et
que l'agent agit au nom du principal. C'est l'approche opérationnelle
«by/with/thrgouth» théorisée
par des Américains. Cette approche cherche à achever des
intérêts américains grâce à des
opérations menées par (by) les partenaires
américains (étatique ou non), avec (with) le
soutien des Etats-Unis (soutenir, organiser, entrainer, équiper et
conseiller) et via (through) l'autorité
américaine et l'accord du partenaire (Votel & Keravuori, 2018).
C'est donc un moyen de conduire des opérations militaires avec un
engagement moins direct des forces américaines, avec un partage du
fardeau de la responsabilité et des ressources (ibid.). A
l'inverse, une telle approche peut induire des inquiétudes
stratégiques du fait du moindre « contrôle
opérationnel à court et long terme sur le partenaire et son
agenda » (ibid., p.43). En effet, pour que cette approche
fonctionne, l'Etat doit « allouer au partenaire le contrôle de
l'emploi [des ressources], les délais et les directions »
(ibid., p.44). Par conséquent, cette approche est, en
règle générale, mise en oeuvre lorsque des
intérêts vitaux nationaux ne sont pas engagés.
L'autorité du principal aux niveaux
opérationnels et tactiques est donc fonction de son niveau de
participation auprès de son agent, mais aussi de son degré de
délégation à l'agent. Le principal peut
déléguer totalement ou partiellement à l'agent la conduite
des opérations militaires. La variation dans la forme de
délégation survient du degré par lequel la synergie entre
le commandement du principal et les forces exécutives de l'agent est
directe (partielle) ou indirecte (totale) (Krieg & Rickly, 2019).
Dans le cadre d'une délégation partielle,
également appelée «modèle de
supplémentation» (Rauta, 2019), l'agent a une valeur additive
: il complète et augmente les capacités du principal. L'agent
s'inscrit dans un cadre stratégique et opérationnel
préexistant, mais il bénéficie d'une marge d'autonomie, au
moins au niveau tactique. Cette autonomie, nous l'avons vu, est
nécessaire pour que l'agent puisse faire le travail qui lui a
été demandé. De plus, dans ce modèle de
délégation partielle, les forces régulières et
irrégulières agissent conjointement ; elles coopèrent et
se coordonnent. Cela réduit les risques de pertes d'agence pour le
principal, augmentant ainsi ses capacités de contrôle sur l'agent.
En effet, ici, les deux forces vont avoir plus tendance à
échanger, à se rencontrer, voire à opérer ensemble
aux plus
28
petits échelons tactiques. Ainsi, la capacité de
contrôle effectif du régulier au sens de la C.I.J. peut-être
ici très grande. Si l'agent est un simple «substitut
tactique» (Krieg & Rickly, 2019, p.42), il sera «sous le
contrôle total du [principal], augmentant ses capacités tactiques
sur le champ de bataille et fournissant du renseignement, de la surveillance,
de la reconnaissance ou une force de frappe» (ibid). Ici,
«le patron intègre le substitut dans son système de commande
et de contrôle» (ibid, p. 163).
Dans ce modèle, le degré d'autonomie de l'agent
est fonction du niveau d'interaction des modes d'opérations du principal
et de l'agent (Rauta, 2019, p.9), soit du niveau de participation du principal
à l'opération militaire aux côtés de l'agent. Ainsi,
dans le cadre d'une délégation partielle, l'agent peut
également avoir une autonomie au niveau opérationnel, mais
toujours dans le cadre idéologique et stratégique du patron.
DÉLÉGATION PARTIELLE
|
Niveau stratégique
|
Opérationnel
|
Tactique
|
Agent tactique
|
Contrôle du principal
|
Contrôle du principal
|
Relative autonomie de l'agent
|
Agent opérationnel
|
Contrôle du principal
|
Relative autonomie de l'agent
|
Autonomie de l'agent
|
Figure 2.
Cette variation dans le type d'agent survient du niveau de
participation du principal à l'opération militaire (cf. Figure
3). En effet, en cas de participation indirecte du principal, l'agent
bénéficie d'une plus grande marge d'autonomie qui s'étend
donc au niveau opérationnel, du fait de la moindre coopération et
de l'absence de coordination sur le terrain, le principal étant absent
du champ de bataille. Cependant, dans un modèle de
délégation partielle, il existe toujours une interaction
tactico-opérationnelle (Rauta, 2019) entre le principal et l'agent.
C'est pourquoi on reste bien dans le cadre d'une délégation
partielle et non totale.
«Ici, les lignes entre la substitution stratégique
et opérationnelle devient floue : le patron retient un levier
stratégique important sur le substitut mais lui permet de planifier et
exécuter des opérations plus ou moins de façon autonome
dans le cadre idéologique et stratégique du patron» (Krieg
et Rickly, 2019, p.43).
Ainsi, avec un « agent opérationnel »
à qui on délègue partiellement la conduite des
hostilités, la coopération est limitée au niveau
stratégique. Le patron a donc une marge de manoeuvre importante pour se
désolidariser de toute action conduite par cet agent sur le terrain, de
même que l'agent peut plus facilement détourner la politique de
préférences du principal.
29
Modèle de délégation
partielle
|
|
Type d'agent
|
Participation du principal
|
Incidence
|
Nom de l'agent associé
|
Agent tactique
|
Directe
|
Forte coopération à tous les niveaux
|
Auxiliaire (Rauta, 2019)
|
Agent
opérationnel
|
Indirecte
|
Coopération limitée au niveau
stratégique + interactions tactico- opérationnelles
|
Substitut (Rauta, 2019)
|
Figure 3.
Parallèlement au modèle de
délégation partielle se trouve celui de délégation
totale, aussi appelé modèle de délégation
par opposition au précédent modèle de
supplémentation (Rauta, 2019). Ici, l'agent ne supplémente
pas le principal mais le remplace. Même la planification
stratégique de la guerre est externalisée (Krieg & Rickly,
2019). Cela se traduit par l'envoi d'aide financière et
matérielle et par l'entrainement de l'agent. A l'inverse du
modèle précédent, c'est le patron qui intervient dans un
cadre conflictuel préexistant afin d'en influencer l'issue
stratégique selon ses intérêts. Dans ce cadre, se sont
souvent des intérêts non vitaux, lointains et secondaires qui sont
en jeu pour le principal. Ici, l'agent agit au nom du principal.
Le contrôle direct sur l'agent est, de fait, beaucoup
plus difficile ici. Il est possible que le principal exerce un fort
contrôle sur l'agent, du fait de plusieurs facteurs : la
dépendance de l'agent à l'aide matérielle et
financière extérieure, la fusion des intérêts
stratégiques ou encore une forme d'allégeance de l'agent au
principal. Avec ce type de contrôle indirect, seule la preuve que l'ordre
de commettre un acte illicite a été donné permettrait
d'engager la responsabilité du principal pour le fait de son agent. En
effet ici, du fait de l'absence d'une proximité directe et du fait d'une
coopération limitée au niveau politico-stratégique, le
principal ne peut avoir de contrôle global à tous les niveaux de
la force irrégulière (organisationnel, stratégique,
opérationnel et tactique), tel que requis par la CIJ. La synergie
stratégique est inexistante.
De plus, comme pour le modèle de
délégation partielle, les niveaux d'autonomie de l'agent et de
contrôle du principal varient sensiblement selon le niveau de
participation du principal à l'opération militaire aux
côtés de l'agent. Soit le principal délègue
totalement la conduite des hostilités et n'interfère pas dans les
décisions stratégiques de son agent, soit le principal
délègue totalement la conduite des hostilités à son
agent tout en entretenant des
21 Absence de pagination. Voir « The
Problem with Proxies: Ideology is No Substitute for Operational Control | Small
Wars Journal ».
30
interactions au moins au niveau de la gouvernance
stratégique de l'opération, c'est-à-dire en gardant un
degré de coopération, certes limité mais existant.
Ainsi, et tout en se basant largement sur les travaux de
Vladimir Rauta (2019), l'un des seuls chercheurs à avoir proposé
une typologie des GANE dans les guerres hybrides, nous pouvons isoler quatre
types d'agents non-étatiques catégorisés selon leur
proximité (contrôle/autonomie) avec un Etat :
|
Degré de délégation
|
Relation structurelle
|
Partiel
|
Total
|
Directe
(coopération)
|
Auxiliaire
|
Affilié
|
Indirecte
(by/through/with)
|
Substitut
|
Proxy
|
Figure 4.
Nous avons précédemment vus que pour qu'un
principal exerce un contrôle effectif sur son agent, il doit exercer un
« contrôle opérationnel » sur lui. Ce contrôle
opérationnel est défini comme
« l'exercice de l'autorité de commandent sur les
irréguliers : désignant leurs objectifs opérationnels et
donnant des directives afin d'accomplir ces objectifs à travers
l'application tactique de la force » (Biberman, Genish,
201521).
Dans un modèle de délégation partielle de
la force, le principal possède un potentiel de contrôle
opérationnel très élevé sur son agent, d'autant
plus s'il s'agit d'un agent tactique. Le principal possède alors de plus
grandes capacités de prévention des violations du droit
international. Pour répondre à notre question de recherche
n°5, c'est donc avec une stratégie d'externalisation partielle et
directe que le degré d'intégration de la force
irrégulière à l'appareil militaire régulier est le
plus fort, et donc le potentiel de contrôle du principal sur l'agent.
L'auxiliaire est ainsi le type d'agent le plus soumis à un fort
potentiel de contrôle opérationnel effectif du principal (cf
Figure 4).
Cela dit, le facteur d'une relation structurelle directe
semble être le plus important. En effet, si on se limite au fait de dire
qu'avec une délégation totale le principal ne peut pas avoir un
contrôle effectif sur l'agent, on éclipse le jeu des acteurs, les
opérations couvertes, etc. Ainsi, l'agent de type affilié
mérite aussi une attention particulière dans le cadre d'une
31
recherche sur la responsabilité de l'Etat pour le fait
d'un acteur non-étatique. En effet, sa relation structurelle directe
avec l'Etat permet toujours à ce dernier d'exercer un fort
contrôle sur lui, tandis que l'Etat bénéficie en même
temps d'une externalisation totale du « fardeau de la guerre » et
donc d'une capacité plus grande de nier toute implication avec des
violations du droit international. C'est ce que nous allons étudier dans
la prochaine partie.
Nous avons ainsi trouvé un nouveau facteur de
contrôle de l'Etat sur un GANE : la synergie stratégique, soit la
délégation partielle d'autorité combinée à
une relation structurelle directe du GANE avec l'Etat. Il vient s'ajouter aux
autres facteurs de contrôle précédemment trouvés
à partir de la théorie de l'agence22. Ensembles, ces
facteurs constituent donc une sorte de « test de contrôle effectif
de facto ». Ainsi, il parait que si une relation d'agence
répond aux critères de ce test de contrôle que nous avons
élaboré, alors un contrôle effectif de facto est
possible sur un agent qui garde une marge d'action indépendante. Par
conséquent, la relative autonomie de l'agent n'empêche pas pour
autant l'exercice d'un contrôle qui soit effectif (réponse
à notre question de recherche n°2). Cela contredit donc la vision
de la C.I.J., requérant une relation quasi-organique,
caractérisée par un degré de dépendance et
d'autorité extrêmement forts rendant impossible toute action
autonome de l'agent.
De plus, dans ce cas de contrôle effectif de
facto, on peut admettre que le principal sera responsable des actes de son
agent, au vu du contrôle de fait exercé par le premier sur le
second. Cela dit, l'issue de l'application des tests de contrôle effectif
et de contrôle global serait-elle la même ?
22 A savoir : une chaine d'approvisionnement courte
; une chaine d'approvisionnement courte ; un faible potentiel de l'agent au
niveau de son armement, entrainement, organisation et commandement central ;
une dépendance à l'assistance militaire ; l'alignement
politico-stratégique ; une forte capacité organisationnelle du
principal à externaliser ; un rôle de l'agent cantonné au
niveau tactique voire opérationnel.
32
II - L'APPLICABILITE DU DROIT DE L'ENGAGEMENT DE LA
RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE L'ETAT POUR LE FAIT D'UN ACTEUR NON-ETATIQUE
FACE AUX STRATEGIES D'EXTERNALISATION DE LA GUERRE
Maintenant que nous avons vu qu'il existe d'autres facteurs
permettant de déterminer un niveau contrôle effectif de facto
car plus réalistes, prenants en compte le jeu des acteurs, il
s'agit désormais de tester véritablement l'applicabilité
des tests de contrôle juridiques à partir de ce test
précédemment élaboré. D'abord, de façon
théorique (A), ensuite, de façon pratique (B).
A - Applicabilité théorique : les
tests juridiques de contrôle face au phénomène
d'externalisation de la guerre
L'examen du niveau d'applicabilité des tests de
contrôle juridique au niveau théorique va se faire en deux temps.
D'abord, en examinant les différentes stratégies
d'externalisation de la guerre en isolant, d'une part, un agent soumis à
un fort contrôle effectif de facto du principal, et d'autre part
un agent qui incarne un équilibre intéressant pour l'Etat entre
contrôle et autonomie (a). Puis nous leur appliqueront les tests
juridiques (b).
a) Les différentes stratégies
d'externalisation de la guerre
Pour bien évaluer le niveau d'applicabilité des
tests de contrôle juridique, il faut le faire sur deux types de
stratégie d'externalisation ; l'une incluant un niveau de contrôle
quasiment indéniable sur l'agent, l'autre se voulant plus
discrète, jouant à l'équilibriste entre contrôle et
déni plausible.
Il ressort de notre étude empirique une sorte de «
test de contrôle effectif de facto » qui inclut des
critères très concrets et totalement absents des tests de
contrôle juridique, à l'instar de celui de la CIJ. Ce « test
» va nous permettre de classer et définir les différents
types d'agents précisément selon leur degré de
proximité avec l'Etat, cette proximité étant
définie par le contrôle de l'un et l'autonomie/la
dépendance de l'autre. En formalisant ainsi les liens entre un Etat et
un GANE, on établit des degrés de responsabilité.
Rappelons les critères de notre « test »23 :
23 Nous avions déterminé d'autres
critères qui viennent compléter ce test, mais ils sont
circonstancielles : une forte capacité organisationnelle du principal
à externaliser, une proximité culturelle et/ou ethnique, et le
choix d'un seul principal pour l'agent.
33
- une chaine d'approvisionnement courte ;
- un faible potentiel de l'agent au niveau de son armement (type,
quantité, qualité), de
son niveau d'entrainement, de son degré d'organisation et
de son commandement
central ;
- une dépendance de l'agent à l'assistance
militaire du principal ;
- l'alignement politico-stratégique ;
- un rôle de l'agent cantonné au niveau tactique
voire opérationnel ;
- et une synergie stratégique, soit une participation
directe du principal auprès de son
agent (coopération et coordination) couplé à
un degré de délégation partiel.
Il s'agit ainsi de déterminer avec précision le
potentiel de contrôle effectif exercé par un Etat sur les agents
de types auxiliaire, affilié et substitut, ainsi que le niveau
d'autonomie de ces derniers. Nous allons laisser de côté l'agent
de type proxy, car il se trouve en dehors d'un fort potentiel de
contrôle de l'Etat au niveau théorique. En effet, non seulement
le proxy se substitue totalement au principal, agissant en son nom ou
pour son compte (relation structurelle indirecte) mais en plus on lui
délègue toute la conduite des opérations militaires
(délégation totale). Le proxy a un rôle uniquement
politico-stratégique, il bénéficie d'une autonomie
quasi-totale au niveau de la planification stratégique des
opérations militaires. Par conséquent, avoir un contrôle
effectif du proxy tel qu'entendu par la CIJ semble impossible,
à moins d'avoir la preuve que l'ordre de commettre tel acte illicite ait
été donné.
Nous avons certes déjà vu que l'auxiliaire est
l'agent qui est le plus soumis à un fort potentiel de contrôle
effectif du principal, du fait de son haut niveau d'intégration dans
l'appareil de sécurité régulier. Cela dit, nous devons
aller plus loin pour bien le démontrer. L'auxiliaire s'inscrit dans un
modèle de délégation partielle, car il a une valeur
complémentaire vis-à-vis du régulier, et dans une relation
structurelle de nature directe avec le principal, car les deux agissent
conjointement, en coopération (cf. Figure 4). En effet, l'auxiliaire
accompagne ou est accompagné par les réguliers durant les
opérations militaires (Rauta, 2019). Il a donc un rôle
tactico-opérationnel et est intégré dans le cadre
stratégique général du principal (Krieg & Rickly,
2019).
Il y a deux grandes formes de troupes auxiliaires : les forces
paramilitaires et les milices pro-gouvernementales (MPGs) (Böhmelt &
Clayton, 2018). Les premières peuvent se définir comme des
34
« unités de sécurité
militarisée, qui sont entrainées et organisées sous
[l'autorité du] gouvernement central afin de supporter ou remplacer
l'armée régulière » (ibid., p. 198).
Elles sont officiellement et directement
intégrées à l'organisation de l'Etat, tout en restant en
dehors de sa chaine de commande et de contrôle. Les paramilitaires
peuvent donc assumer des fonctions régulières, contrairement aux
MPGs.
De leurs côtés, les MPGs sont des
« groupes armés qui ont un lien avec
l'exécutif (soit informel soit semi-officiel) et des niveaux
d'organisation, mais elles existent en dehors de l'appareil régulier [de
l'Etat] » (ibid.).
Contrairement aux forces paramilitaires qui sont
mobilisées par l'Etat, les MPGs sont cooptées. Elles ont donc un
plus haut niveau d'autonomie du fait de leur statut semi-officiel ou informel
(ibid.) La « position pro-gouvernementale implique que ces
milices reçoivent une assistance implicite ou explicite de l'Etat, et/ou
supportent le gouvernement en retour » (ibid., p. 205). Les
milices informelles peuvent recevoir une aide militaire et financière de
l'Etat tout en menant des opérations conjointes avec l'armée
régulière, sans avoir aucun lien officiel avec le gouvernement
(Carey & Mitchell, 2015). Le contrôle que l'Etat exerce sur ces
milices a des conséquences sur le traitement des civils et
l'échec de l'Etat à les protéger.
Donc l'agent de type auxiliaire a une grande proximité
avec l'Etat à tous les niveaux : sa chaine d'approvisionnement en
matériel et financement est courte et directe, l'agent a peu de
potentiel militaire seul puisqu'il dépend de l'Etat, l'alignement
politico-stratégique est total, la coopération se fait
jusqu'à l'échelon tactique des opérations militaires et
l'auxiliaire a un rôle purement militaro-tactique ; il est
intégré dans le cadre stratégique et idéologique du
principal.
Ainsi, dans la perspective d'une notion de contrôle qui
prend en compte le jeu des acteurs, l'agent de type auxiliaire est
structurellement soumis à un fort potentiel de contrôle effectif
du principal (cf. Figure 5).
De leurs côtés, les forces affiliées
s'inscrivent dans un modèle de délégation totale, mais
dans une relation structurelle directe avec le principal. (cf. Figure 4). En
effet,
« [e]lles sont directement intégrées, elles
évoluent auprès des réguliers, souvent dans des
arrangements sombres qui challengent une attribution facile des actions sur le
champ de bataille » (Rauta, 2019, p. 11).
Ces forces peuvent se définir comme des
« groupes armés qui font non-officiellement
parties de la force régulière et se battent pour et au nom
d'Etats souhaitant influencer l'issue stratégique d'un conflit tout en
demeurant
35
extérieur à ce dernier. Les forces
affiliées ont une relation fusionnelle, formelle mais juridiquement
douteuse avec l'Etat, agissant comme une arme invisible » (ibid.,
p.11-12).
Les sociétés militaires privées (SMP)
sont des agents de type forces affiliées (Rauta, 2019). Parmi les SMP,
McFate distingue les « mercenaires » et les « entreprises
militaires » (2017). Les mercenaires constituent des armées
privées menant directement le combat et qui peuvent conduire des
campagnes militaires, des opérations offensives et défensives,
une projection de force, des opérations spéciales, et ce, de
façon autonome (McFate, 2017). Elles sont donc peut dépendantes
de l'aide matérielle et financière de l'Etat. Pour leurs parts,
les entreprises militaires génèrent des forces
étrangères. Cela inclut la démobilisation d'une force
adverse et/ou la levée d'une nouvelle, le recrutement, l'entrainement,
l'équipement et la mise en service de nouvelles forces de
sécurités. Ce sont donc les mercenaires qui nous
intéressent ici.
Lorsqu'une SMP est engagée par l'Etat pour intervenir
dans un conflit armé, les chaines d'approvisionnement et de commandement
sont très courtes. De plus, une SMP est, en règle
générale, indépendante : elle n'a pas besoin de l'Etat
pour être développée au niveau de son armement, de son
niveau d'entrainement, de son degré d'organisation et de son
commandement central. Elles ne sont donc pas dépendantes,
théoriquement, de l'assistance militaire de l'Etat24. En
revanche, elles sont dépendantes financièrement des contrats
qu'elles vont conclure avec le gouvernement. Par conséquent,
l'alignement politico-stratégique ne compte que peu, ce qui vient
compliquer l'exercice du contrôle de l'Etat. Les SMP sont
fondamentalement attirées par le profit et non la politique. A cet
égard, l'agent de type SMP a le libre choix sur son principal : elle
peut jouer sur la concurrence. Cela diminue le potentiel de contrôle du
principal.
Pour ce qui est de la synergie stratégique, la
coopération entre un Etat et une SMP est extrêmement
limitée. D'abord, le seuil de respect du contrat est
généralement bas. En effet, le mercenaire opère sur un
terrain plus ou moins lointain, « dans des zones à faible
gouvernance où il est difficile de faire respecter les contrats »
(ibid, p.59). Et sur le marché de l'industrie militaire
privée, il n'y a pas de mécanisme juridique effectif pour faire
respecter ces contrats. En 2007, du personnel de Blackwater a
tué 17 civils irakiens à Nisour Square : ils ont
été renvoyés chez eux, sans aucun jugement, ni punition
(ibid.). De plus, on laisse aux SMP une grande liberté, pour
bénéficier pleinement de leur efficacité. Elles profitent
notamment d'une
24 Mais cela peut dépendre des
circonstances. Lorsque Moscou a « abandonné » le groupe Wagner
en Syrie (moindre qualité de l'équipement et de l'entrainement
fourni, pas de soutien aérien, moindre qualité du personnel avec
des volontaires sans expérience militaire, et responsabilité du
financement du Groupe transférée au gouvernement syrien
influençant le niveau d'équipement du groupe), cela a
indirectement entrainé son écrasement avec le massacre de 200
personnes du groupe à Deir ez-Zor (Sukhankin, 2018).
25 Absence de pagination. Voir <
https://jamestown.org/
program/continuing-war-by-other-meANS-the-case-of-wagner-russias-premier-privatemilitary-company-in-the-middle-east/>
36
« latitude bureaucratique » (ibid. p.116)
plus grande que leurs homologuent réguliers. C'est pourquoi les SMP sont
en mesure, par exemple, de déployer rapidement du personnel et du
matériel à un endroit donné.
Toutefois, les forces affiliées restent dans une
relation structurelle directe avec le principal, c'est-à-dire qu'il peut
y avoir une coopération et une coordination entre les deux forces sur le
terrain, car elles agissent conjointement, augmentant le potentiel de
contrôle du principal. De plus, le rôle d'une force affiliée
est cantonné au niveau tactique voire opérationnel. Ce n'est bien
sûr pas le cas de toutes les SMP, mais les mercenaires sont des agents
aux fonctions paramilitaires. Ils ont à la fois un rôle offensif,
lorsqu'ils offrent au principal un support tactique direct durant une
opération militaire, et/ou un rôle défensif lorsqu'il
s'agit de garder le contrôle d'un territoire (Sukhankin, 2019). Par
exemple :
« les SMP russes assument régulièrement un
contrôle sur des « zones grises » afin de créer `des
zones de stabilité artificielles »
(ibid.25).
Structurellement, l'Etat a un potentiel de contrôle
effectif sur une SMP plus bas que pour des troupes auxiliaires. Par ailleurs,
selon Valeriy Boval,
« étant donné que l'Etat est de facto
la principal partie intéressée et un coordinateur des
activités des SMP, ces sociétés ne sont pas «
privées », [...], elles sont un genre de structure gouvernementale,
et un instrument de la politique étrangère de l'Etat »
(propos rapportés par Sukhankin, 2018).
Une SMP opère sous le parapluie de l'Etat pour
atteindre des objectifs stratégique, géopolitique ou
géoéconomique de politique étrangère de cet Etat.
Ce faisant, l'Etat renforce sa capacité de nier, évite de
s'impliquer dans des activités illégales, sert - pour certains -
sa propagande d'une armée forte et invincible en ayant moins de morts
dans ses rangs, et n'a pas à soutenir d'autres agents parties au conflit
avec lesquels un alignement politico-stratégique n'est pas toujours
total. Avec une SMP, l'alignement se fait automatiquement, le but
recherché étant théoriquement le profit et non des
considérations politiques, contrairement aux autres types de GANE.
Il y a donc de nombreux avantages pour un Etat à faire
appel à des SMP comme agent exécutant des opérations
militaires à l'étranger. Mais cela se fait en contrepartie d'une
grande marge de manoeuvre indépendante laissée à ces SMP.
Le niveau de confiance entre l'Etat et la SMP doit être grand. Ainsi, les
forces affiliées, sont un type d'agent extrêmement
intéressant
37
pour former une relation à cheval entre contrôle
et autonomie, entre gains stratégiques importants et déni
plausible.
Enfin, l'agent de type substitut, moins connu, s'insère
dans un cadre de délégation partielle, mais dans une relation
structurelle indirecte avec le principal, ce dernier agissant au travers du
substitut, sans aucun niveau d'intégration de l'agent à
l'appareil de sécurité régulier (cf. Figure 4). Si Andreas
Krieg et Jean-Marc Rickly (2019) utilisent le terme de substitut
(surrogate) comme concept parapluie incluant tous les autres types
d'agents, Vladimir Rauta (2019) en donne une définition bien plus
précise :
« groupe armé au travers duquel se battent les
forces régulières de l'Etat (en étant totalement ou
partiellement remplacées) » (Rauta, 2019, p. 12).
Les substituts désignent les types d'agents qui «
soutiennent » l'Etat face à son inaptitude à conserver son
monopole de la violence légitime (ibid.). On les retrouve le
plus souvent dans des conflits armés internes, dans des Etats instables,
car ils ont un lien avec l'Etat même dont l'autorité est
contestée au travers de la violence (ibid.).
Les milices pro-gouvernementales informelles sont des agents
de types substituts. En effet, à défaut de faire partie de
l'appareil militaire auxiliaire de l'Etat, elles font en générale
parties de l'appareil répressif de l'Etat. En effet, le risque pour les
civils est plus grand avec les milices informelles (Carey & Mitchell, 2015)
: un Etat peut avoir recours à ces groupes armés pour mener des
violences contre sa population civile afin d'obtenir des gains tactiques. Le
degré de contrôle de l'Etat sur la MPG informelle influence donc
directement la marge de manoeuvre qu'à l'Etat de pouvoir nier toute
responsabilité pour la perpétration d'actes illicites
(ibid.). Dans ce cas d'utilisation de MPGs informelles, on est bien
dans un modèle de délégation totale : l'Etat n'agit pas
conjointement avec l'agent lorsqu'il s'agit de commettre des violences contre
les civils. Les MPGs informelles ont plus un rôle de substitut que de
collaborateur ou de forces multiplicatrices à l'égard de la force
régulière (Alvarez 2006, Carey & Mitchell, 2015).
38
|
FACTEURS DE CONTROLE EFFECTIF (HORS CRITERES DE LA
CIJ)
|
TYPES D'AGENT
|
Chaine
d'approvision- nement courte
|
Faible potentiel militaire
et organisationnel
|
Dépendance
à l'assistance militaire extérieure
|
Alignement
politico- stratégique
avec le
principal
|
Rôle cantonné au niveau tactique
voire opérationnel
|
Synergie stratégique
|
Auxiliaires
|
Oui
|
Oui.
|
Oui
|
Oui.
|
Oui.
|
Oui
|
Forces affiliées.
|
Oui.
|
Non
|
Non
|
Sans grande importance.
|
Oui.
|
Limitée
|
Substituts
|
Oui
|
Relatif
|
Relatif
|
Oui.
|
Oui
|
Limitée
|
Figure 5.
Ainsi, en se basant sur des critères qui se veulent
réalistes et conscients du jeu des acteurs, nous pouvons conclure que
l'auxiliaire est l'agent le plus intégré et soumis à un
contrôle effectif de facto du principal. La force
affiliée, elle, fournit un type d'agent extrêmement
intéressant pour former une relation équilibrée entre
contrôle et autonomie, entre gains stratégiques importants et
déni plausible. Pour sa part, le substitut constitue une alternative
domestique à l'usage des forces paramilitaires ou
régulière lorsqu'il s'agit de commettre des actes de violence
contre les civils. Nous choisirons dès lors de tester
l'applicabilité des tests de contrôle juridique sur les agents de
types auxiliaire et substitut26.
b) Les tests de contrôle effectif et de
contrôle global appliqués à deux types de stratégies
d'externalisation de la guerre
Commençons par la force auxiliaire, en lui appliquant
le test de contrôle global du T.P.I.Y. Le prérequis d'un groupe
organisé en structure militaire est ici validé d'office pour les
auxiliaires. Le critère suivant est l'assistance sur le plan financier
et militaire, l'équipement, la coordination ou l'aide à la
planification d'ensemble des activités militaires. Ce critère est
également validé, car les auxiliaires agissent uniquement au
niveau tactique. Ils n'ont pas une autonomie totale au niveau
opérationnel ; l'Etat décide des objectifs stratégiques et
de la façon dont il faudra les atteindre. La force paramilitaire ou la
MPG semi-
26 Par manque de place et ayant déjà
bien analysé l'agent de type affilié, nous ne testerons pas les
tests juridiques sur ce dernier. Nous considérons, de toute
façon, que la conclusion de ces tests appliqués à l'agent
substitut sera quasiment la même pour des forces affiliées.
39
officielle en sera uniquement la force exécutive. A
partir de là, l'auxiliaire agit comme un organe de facto de
l'Etat. Dès lors, le besoin de prouver que des instructions
précises visant à violer le droit international ont
été données n'est pas nécessaire. C'est une
application réaliste du droit. La force auxiliaire, à l'instar de
la force paramilitaire, est tellement intégrée à
l'appareil de sécurité régulier qu'on ne peut nier la
responsabilité de l'Etat en cas de violation du DIH.
En suivant le raisonnement de la CIJ, on peut arriver à
la même conclusion, du moins pour ce qui est des troupes paramilitaires.
En effet, les Etats en sont pleinement responsables car elles sont
officiellement intégrées à l'organisation de l'Etat et
peuvent ainsi assumer des fonctions régulières. Toutefois, seul
le droit interne de l'Etat peut définir si une entité
paramilitaire est un organe de jure de l'Etat. Dans le cas contraire,
il s'agira d'établir que cette entité paramilitaire agit comme un
organe de facto de l'Etat, du fait d'un lien de « totale
dépendance » : l'agent est soumis à un contrôle
très étroit du principal, ne lui laissant aucune marge
d'autonomie (Génocide, par. 392). De fait, là aussi, le
besoin de ramener la preuve que des instructions ont été
données n'est pas nécessaire. Selon les circonstances (la place
qui est donnée à la force dans l'organisation de l'Etat, ses
missions, sa relation avec le gouvernement), le test de la totale
dépendance devrait pouvoir suffire à imputer un acte illicite
à l'Etat.
Pour ce qui est des MPGs semi-officielles, il parait
également possible d'établir un lien de totale dépendance
avec l'Etat, dans la mesure où elles ont « un lien formalisé
et officiel avec le gouvernement, tout en étant séparées
des forces régulières » (Carey & Mitchell, 2015, p.9).
Il parait donc possible de les assimiler à un organe de facto
de l'Etat.
Ainsi, en suivant les raisonnements juridiques du TPIY et la
CIJ, on constate que leurs deux tests de contrôle juridique sont
théoriquement applicables pour des agents de types auxiliaires. Mais en
même temps, cet agent fait partie de l'organisation de l'Etat à
laquelle il est plus intégré que n'importe quel autre type
d'acteur. Par ailleurs, il est très rare que l'Etat ait recours à
son appareil paramilitaire lorsqu'il s'agit de commettre des violences à
l'égard de civils. Le contrôle de l'Etat sur les forces
paramilitaires est tellement évident qu'il ne s'y risquerait pas. A
l'inverse, les agents de types substituts constituent une bonne alternative, du
fait qu'ils soient indirectement intégrés à l'appareil de
sécurité régulier (relation structurelle indirecte). Par
ailleurs, les MPGs informelles sont beaucoup plus propices à commettre
des violences contre les civiles, sous le sponsor de l'Etat (Mitchell et al,
2014 ; Stanton, 2015 ; Cohen & Nordas, 2015 ; Koren, 2017).
40
Appliquons dès lors les tests de contrôle
juridique à un agent de type substitut, dont la relation avec l'Etat est
plus ambiguë et flou, comme avec les MPGs informelles. Pourtant, le test
de contrôle global du TPIY est en mesure de pouvoir cerner cette
relation, car ses critères sont non seulement validés, mais en
plus on sait qu'il n'est pas figé, et adaptable selon les circonstances.
En effet, une milice est bien un groupe organisé en structure militaire,
son affiliation au gouvernement induit forcément une assistance sur le
plan financier et militaire, et la délégation de la conduite
d'une opération militaire par l'Etat induit un contrôle
opérationnel de l'Etat car le substitut est un agent
tactico-opérationnel ; l'Etat coordonne ou aide à la
planification d'ensemble des activités militaires selon le degré
de substitution. L'Etat décide bien sûr des objectifs
stratégiques, mais la milice peut bénéficier d'une
discrétion à propos de la façon dont il faudra atteindre
ces objectifs. Mais le test de contrôle global n'inclut pas de
critère restrictif à cet égard. Ainsi, le test de
contrôle global peut théoriquement s'appliquer à un type
d'agent dont le lien avec l'Etat est flou voire caché.
Qu'en est-il du test de contrôle effectif ? Le premier
critère d'un contrôle effectif au sens de la CIJ est un
degré de dépendance et d'autorité fort, ne laissant aucune
autonomie à l'agent. C'est donc, de fait, une relation organique. Or
avec la MPG informelle, la connexion peut être facile à camoufler,
du fait de l'absence de tout lien formalisé ou qui peut être
nié et parce qu'elle n'est pas clairement intégrée au
système de commande et de contrôle de l'Etat Le second
critère est celui d'un contrôle exercé par l'Etat sur
l'opération militaire ou paramilitaire au cours de laquelle a lieu la
commission de l'acte illicite. Avec une MPG informelle, l'asymétrie
d'information est importante, de même que le degré de
discrétion laissé à l'agent. Et ce, de
façon volontaire. Ce critère peut ainsi être facilement
indémontrable ; l'asymétrie d'information permet de montrer que
le gouvernement n'a aucune implication directe avec l'opération en
question.
Le troisième critère du contrôle effectif
est un contrôle exercé par l'Etat à tous les niveaux de la
force. Au niveau tactique, il n'y a aucune interaction avec les forces
régulières, aucune opération conjointe. En effet,
l'intérêt de la délégation à une MPG
informelle est notamment de déléguer une mission difficilement
réalisable pour les forces régulières. On
délègue parce que la MPG va avoir un avantage pour
réaliser plus facilement la mission et donc à moindre coût,
ou parce que l'Etat cherche à déléguer une mission
comportant la commission d'actes illicites. La MPG informelle dispose alors
d'une marge de manoeuvre autonome. Dès lors, le « faible
contrôle [sur la milice] peut être le résultat d'un choix
stratégique pour donner de la discrétion à l'appareil de
sécurité informel [de l'Etat] » (Carey & Mitchell, 2015,
p. 19). Malgré cette autonomie au niveau tactique, la MPG informelle
reste pleinement intégrée au
41
cadre stratégique et opérationnel du principal ;
elle opère sous les ordres de l'Etat et ce dernier désigne les
objectifs et planifie les opérations. Pour ce qui est du contrôle
au niveau organisationnel, l'Etat finance, organise, entraine, arme et
équipe le groupe. Mais l'assistance reste implicite, il faut parvenir
à la démontrer. Enfin, la CIJ requière un contrôle
de l'Etat au niveau politique. Or
« le principal peut sciemment recruter [des agents]
réputés pour leur violence (par exemple, des criminels) et
après refuser de contrôler ces agents - plutôt que de
réellement perdre le contrôle sur eux » (Carey et al., 2014,
p.818).
Ainsi, on trouve facilement de nombreuses limites aux
critères rigides de la CIJ, qui n'arrivent pas à cerner une
relation stratégique Etat-GANE avec un contrôle effectif de
facto du premier sur le second, mais sans aucun lien formalisé. Par
conséquent, une MPG informelle offre de fait le moyen de déplacer
la responsabilité d'un acte illicite vers l'agent, et ce déni
plausible encourage une violence sans limites (Alvarez, 2006). C'est la
preuve que le test d'imputabilité de la CIJ fixe la barre très
haute. Dès qu'il s'agit d'un agent dont les liens ne sont pas clairement
formulés avec l'Etat, toute application du test de la CIJ est
compliqué. En effet, pour ce qui est du cas où une MPG informelle
commettrais des violations du droit international pour le compte d'un Etat, le
test de contrôle effectif s'avère très dur à
appliquer. Or ce sont bien ces types d'acteurs qui sont le plus
concernés par des violations du DIH.
A l'inverse, le test de contrôle global est
théoriquement applicable, que ce soit à un type d'agent dont nous
avons évalué qu'il est soumis à un fort potentiel de
contrôle effectif de facto du principal, ou à un agent
dont les liens sont bien plus lointains et ambiguës avec l'Etat (question
de recherche n°4).
En fait, ce qu'il manque au test de contrôle effectif,
c'est sa prise en compte du niveau d'avantages et d'inconvénients que
tire l'Etat de son choix d'agent. La question qui est réellement
intéressante à se poser est la suivante : pour l'utilisation de
quel type d'agent l'Etat retire le plus de bénéfices de la
délégation ? (question de recherche n°6).
D'après nos recherches, les bénéfices de
la délégation proviennent à la fois de raisons
financières, logistiques et politico-stratégiques, dans un ordre
croissant d'importance. L'externalisation de la guerre permet d'éviter
le coût de la campagne militaire directe tandis que l'agent peut
effectuer la mission à moindre coût que le principal s'il agissait
directement (Berman & Lake, 2019).
42
Les raisons logistiques concernent le degré d'expertise
que peut avoir un agent sur une question spéciale (Popovic, 2017 ; Byman
& Kreps, 2010) ou le fait qu'il incarne des avantages spécifiques
pour l'Etat : une localisation stratégique, une connaissance du terrain,
la possibilité de collecter des informations, une
légitimité sociale, une crédibilité, etc. (Bryjka,
2020).
Enfin, les raisons politico-stratégiques peuvent
être les suivantes : une capacité de peser sur les
négociations, éviter des représailles de l'Etat
ciblé, servir un objectif stratégique de long terme si l'agent
soutenu arrivait au pouvoir, s'éloigner de la pression domestique et
internationale que provoque une intervention armée dans un conflit, et
donc de responsabilités. Aussi, les gouvernements peuvent éviter
les coûts de la gouvernance associés au fait de rester dans un
territoire étranger.
« Les agents locaux [...] peuvent gouverner plus
efficacement le territoire sous leur contrôle ou [l'Etat] peut s'appuyer
sur eux pour gouverner le pays entier en cas de victoire des rebelles »
(Salehyan, 2010, p.504).
C'est ainsi que le « fardeau » de la guerre est
délégué (Salehyan, 2010 ; Krieg & Rickly, 2019).
Enfin, la délégation fournie l'avantage de déni
plausible. La sous-traitance d'actes illicites d'un Etat vers un acteur
non-étatique permet de s'éloigner de l'acte en question et ainsi
de toute responsabilité, celle-ci étant déplacée
vers l'agent.
Dans le cadre d'un conflit local, voire régional selon
les circonstances, ce n'est vraiment pas pour les forces auxiliaires que l'Etat
retire le plus d'avantages de la délégation de son monopole
légitime de la force (cf. Figure 6). Or on a vu que c'est justement avec
ce type d'agent que l'Etat a le plus grand potentiel de contrôle effectif
de facto mais aussi de jure. Dans les faits, les Etats ne
délèguent pas à l'agent pour lequel ils ont le plus grand
potentiel de contrôle effectif, mais pour celui dont il retira le plus
d'avantages de la délégation et le moins d'inconvénients.
Avec les auxiliaires, il y a un risque direct découlant de la
délégation : celui de renforcer les capacités d'un GANE
domestique par rapport à l'Etat principal, à un point où
l'Etat peut perdre son contrôle sur lui. L'agent peut retourner les
ressources qu'il a obtenues de l'Etat contre ce dernier. C'est le « risque
moral » ou « aléa moral » selon la théorie de
l'agence (moral hazard). En retour, les avantages gagnés sont
minimes.
A l'inverse, les MPGs informelles constituent de fait des
agents très utiles à un gouvernement souhaitant externaliser des
actes de violence contre sa population civile, avec une capacité de
déni plausible importante (Böhmelt & Clayton, 2018 ;
Carey et Mitchell 2015 ; Jentzsch, 2017). Stanton (2015), Cohen et Nordås
(2015) ont montré que les
43
gouvernements ayant des milices n'utiliseront pas leurs
armées régulières pour violenter les civils (Carey &
Mitchell, 2015).
|
Force auxiliaire
|
MPG informelle (=substitut)
|
Avantages financiers
|
Coût financier plus élevé que les MPG,
car ce sont des forces officielles.
|
Coût de formation bas : l'Etat investit peu pour les
entrainer, elles s'auto-financent sur le dos de la population (Koren,
2017).
|
Avantages logistiques
|
« structure de
commandement décentralisée, capacité à utiliser
et appliquer du renseignement local et capacité à innover
plus vite que la bureaucratie liée à
l'armée régulière » (Ahram, 2006, p.66).
|
Fourni du renseignement, connaissance d'un terrain et d'une
population spécifique. Permet d'établir ou solidifier un
contrôle territorial : établir un lien avec la
population locale que l'Etat cherche à contrôler (Jentzsch,
2017), rôle de « police » locale non-officielle.
|
Avantages politico- stratégiques
|
Aucun par rapport à notre étude.
|
- Déni plausible
|
Figure 6.
Par ailleurs, en regardant les avantages de la
délégation, on constate que c'est surtout lorsqu'il
s'agit de supporter un GANE étranger dans un conflit armé que les
bénéfices de la délégation interviennent.
En effet, il est moins risqué pour un Etat de renforcer un GANE
étranger qu'un GANE domestique ; il conserve en ce sens son monopole de
la violence légitime dans ses frontières, ce qui constitue un
avantage politico-stratégique important. Par conséquent, pour
répondre à notre question de recherche n°6, les plus grands
avantages de la délégation dans un conflit armé sont
tirés des agents de type substitut (dans le cadre domestique), et
affiliée et proxy (dans le cadre d'un conflit extérieur) (cf.
Figure 7).
|
Force affiliée
|
Proxy
|
Avantages financiers
|
Pas besoin de soutien financier (équipement,
entrainement, etc.).
|
Coût financier moindre que celui d'une force
régulière
|
Avantages logistiques
|
Capacité à mener des
opérations spéciales à l'étranger
avec autonomie. Personnel qualifié dans des domaines
précis.
|
Aucun engagement direct des réguliers Avantages
stratégiques (légitimité, renseignement,
localisation)
|
Avantages politico- stratégiques
|
Déni plausible Rôle défensif et
offensif Alignement politico-stratégique de fait.
|
Déni plausible très élevé Offre
un levier politique/géopolitique et dans
les négociations Pas de coût de gouvernance si
contrôle de territoire/population
|
Figure 7.
44
Mais le test de contrôle effectif de la CIJ n'est pas
applicable pour ces types d'agent, à moins qu'il soit possible de
prouver qu'une instruction précise ait été donnée
ou que l'Etat contrôlait l'opération militaire au cours de
laquelle a eu lieu la commission de l'acte illicite. Or chacun de ces types
d'agent est concerné par au moins l'une des deux caractéristiques
suivantes : une délégation totale ou une relation structurelle
indirecte, rendant l'applicabilité du test de contrôle effectif de
la CIJ quasiment infaisable (cela dépendra des circonstances
précises du cas).
Ainsi, cela démontre bien que le test de contrôle
effectif ne prend aucunement en compte les choix stratégiques des Etats
: pourquoi l'Etat va-t-il choisir de déléguer à une MPG
informelle ce qu'il pourrait déléguer à ses troupes
auxiliaires pour lesquelles il exerce un plus grand contrôle, pouvant
ainsi s'assurer de la bonne réalisation de la mission
déléguée ? Pourquoi l'Etat va-t-il choisir de confier une
opération miliaire à une SMP plutôt qu'à un groupe
rebelle partie au conflit ? Et inversement ?
Pour compléter ce raisonnement, il faut essayer de
tester l'applicabilité des tests de contrôle juridique sur un cas
pratique.
B - Applicabilité pratique : le cas de la
relation entre Ankara et l'armée nationale syrienne (ANS).
Ce choix de cas pratique a un double objectif : étudier
un cas de relation principal-agent largement sous-traité (a), et
appliquer le droit en recherchant concrètement la responsabilité
internationale de la Turquie, comme devraient le faire les institutions
internationales (b).
a) La relation Ankara-ANS
Lorsque la guerre civile syrienne éclate en mars 2011,
la Turquie de Recep Tayyip Erdogan se range du côté de
l'opposition. Dès la fin 2011, un camp d'entrainement de l'Armée
syrienne libre (ASL) est installé en Turquie tandis que le Conseil
national syrien (CNS) est créé à Istanbul
(Yégavian, 2018). Mais Ankara soutient également une opposition
salafiste et salafo-jihadiste, éclatée en différents
groupes, tels que le Front islamique syrien, l'Armée de la
conquête (Jaïch al-Fath) qui comprend la branche syrienne
d'al-Qaïda (Jabhat al-Nosra), ou encore Ahrar al-Cham
(ibid.). Ce soutien est alors justifié par le combat
contre l'Etat islamique (E.I.), autoproclamé en juin 2014 sur une partie
de la Syrie et de l'Irak.
45
Cependant, lorsqu'en 2013 un conflit armé éclate
entre le PYD (parti de l'Union démocratique) kurde syrien et des groupes
islamistes27 dans le Nord syrien,
« la présence de forces turques aux
côtés des jihadistes de l'E.I. est signalée en plusieurs
lieux du Nord syrien [...] où elles les épaulent face aux
combattants kurdes du PYD » (Yégavian,
2018, p. 92).
En effet, Ankara considère le PYD et sa branche
armée, les YPG (Unités de protection du peuple), comme le bras
syrien du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)28, classé
organisation terroriste par la Turquie et la plupart des Etats occidentaux. Le
PYD et les YPG sont intégrés dans les Forces démocratiques
syriennes (FDS), groupe rebelle soutenu par la coalition internationale mais
non par Ankara car les kurdes y représentent la force principale. Les
FDS sont présentes en Syrie du Nord, où elles contrôlent
trois régions politiquement autonome depuis 2013 et à population
majoritairement kurde : Afrin, Kobané et Jezireh (Vignal, 2017) (cf.
carte Annexe 1). L'implantation politico-militaire des kurdes syriens à
sa frontière représente par conséquent un enjeu de
sécurité nationale pour Ankara, car le Rojava pourrait servir de
base arrière solide au PKK. Pour contenir cette menace, ainsi que celle
de Daesh, la Turquie vise à obtenir une « zone de
sécurité » de 33 km de profondeur sur 110 km de long en
territoire syrien, zone qui serait sous son contrôle avec une
exclusivité aérienne (ibid.). A cet égard, Ankara
et Washington ont concluent un accord, en octobre 2019, selon lequel Ankara
pourra orchestrer l'établissement de la zone de sécurité
dans le Nord syrien, mais sans en préciser les limites
géographiques, laissant une large marge de manoeuvre à R. T.
Erdogan (Haenni & Quesnay, 2020).
Pour ce faire, Ankara a lancé trois opérations
militaires en Syrie du Nord, accompagnées de la future ANS.
Déployée du 24 août 2016 au 29 mars 2017,
l'opération « Bouclier de l'Euphrate » a permis à la
Turquie d'atteindre un double objectif en Syrie : éloigner Daesh de sa
frontière et empêcher les FDS de réaliser la jonction des
territoires sous leur contrôle29, en s'emparant d'une zone
s'étendant de Jarabulus à Al-Bab (Rodier, 2019).
L'opération « Rameau d'olivier », lancée en janvier
2018, a abouti à la prise du canton d'Afrin aux YPG, situé
à 20 km de la frontière. Certains rapportent un massacre à
Afrin ayant
27 Ahrar al-Cham, al-Tawhid Brigade, IS, Islamic
Kurdish Front, Jabhat Fateh al-Cham (Uppsala Conflict Data Program).
28 Le PKK est une organisation de rebelles kurdes
de Turquie fondée en 1978. Revendiquant au début un Kurdistan
autonome, elle lutte aujourd'hui pour une autonomie politique. Avec des
bases-arrières en Irak, le PKK est engagé dans une lutte
armée contre la Turquie depuis 1984, scandée par des
périodes de cessez-le-feu. Créé en 2003 en Syrie, le PYD a
certes un lien organique avec le PKK, mais aujourd'hui la lutte contre l'Etat
turc n'est plus dans son agenda, et il a créé un parti
indépendant du PKK.
29 Sénat. « Turquie - prendre acte
d'une relation plus difficile, maintenir un dialogue exigeant et constructif
». Rapport d'information, 2019.
46
fait 5 000 à 10 000 morts30. Après le
retrait des Etats-Unis du Nord-Est syrien en décembre 2018, Ankara lance
l'opération « Printemps de la paix » contre les YPG, le 9
octobre 2019. Les régions de Ras al-Aïn et Tell Abyad sont prises,
mais les forces turques et syriennes pro-turques n'ont pas réussi
à progresser plus à l'Est comme initialement souhaité (cf.
Annexe 1).
A l'été 2021, la Turquie occupe une partie du
territoire du Nord syrien afin de l'ériger en zone de
sécurité, via ses troupes régulières (TSK) d'une
part et via l'ANS d'autre part. Trois régions sont concernées
:
- le canton d'Afrin, où les TSK sont les plus
présentes, avec l'ANS ;
- la région voisine entre Azaz et Jarabulus, avec la
ville d'Al-Bab ;
- et la région entre Tell Abyad et Ras al-Aïn,
séparée des autres par le territoire de Kobané, toujours
aux mains des FDS31. (cf. Annexe n°4).
Pour sa part, l'armée nationale syrienne (ou
Al-Jaysh Al-Watani) est née d'une partie de l'armée
syrienne libre. L'ASL, fondée en 2011 en Turquie, formait alors
l'armée officielle d'opposition à Bachar al-Assad. C'était
le groupe armé le plus aligné et le plus dépendant de la
Turquie (Yüksel, 2019), cette dernière ne soutenant pas les FDS.
Mais face au soutien apporté par l'Iran et la Russie à Damas,
elle s'est considérablement affaiblie sur tous les fronts où elle
était présente. Dès 2015, la Turquie propose à
l'ASL de bénéficier de formations militaires,
d'équipements et de salaires, à condition qu'elle se rende dans
le Nord pour participer aux futures opérations turques. Sa participation
à l'opération « Bouclier de l'Euphrate » en 2016 lui
redonne ainsi de la puissance. En 2017, Ankara rallie 30 groupes
affiliés à l'ASL sous la bannière de « l'Armée
nationale syrienne », complétée en 2019 par le Front de
libération nationale (FLN) - une formation nationaliste-islamiste
soutenue par la Turquie dans la province d'Idlib. Cette unification des
factions rebelles dans le Nord syrien hors forces kurdes a
généré une force plus centralisée et maintenant
composée d'environ 80 000 soldats (ibid.). Précisons ici
que les liens de la Turquie avec des groupes salafistes et salafo-jihadistes
sont avérés mais relatifs et limités, et ces groupes ne
font pas parties de l'ANS. Si la Turquie tolère Jabhat al-Nosra et
Jabhat Fatah al-Cham, sa relation avec Hayat Tahrir al-Cham (et Tanzim Hurras
al-Din) est plus complexe, et devrait être l'objet d'autres
études.
L'organisation interne de l'ANS est floue et diffère
selon les sources. Nous savons au moins qu'elle est organisée en trois
grandes légions, elles-mêmes composées de divisions et
30 Assemblée nationale française.
Question n°16619 au Ministère de l'Europe et des Affaires
étrangères.
31 Institute for the study of war, Control of Terrain
Accurate as of April 19, 2021.
47
enfin de brigades. Les quatrième, cinquième,
sixième et septième légions sont organisées par le
FLN (cf. schéma Annexe 3). Il y a trois brigades de turkmènes qui
dominent l'ANS, la plus importante étant « la Brigade du Sultan
Mourad », groupe fondé par Ankara avant la création de
l'ANS. Officiellement, l'ANS est responsable devant le Ministère de la
Défense du Gouvernement intérimaire syrien (GIS) en exil en
Turquie. Dans les faits, l'ANS répond aux instructions d'Ankara et
reçoit son entrainement, son matériel et ses salaires d'Ankara
(Özkizilcik, 2020 ; Khayrallah, 2021).
Chacune des trois légions principales est
présente dans chacun des trois territoires sous contrôle turc. Les
factions ont des rôles différents, à la fois militaires et
civils. A Alep par exemple, l'ANS a pour première tâche celle de
faire la police. Aussi,
« les interventions directes [des services de]
renseignement turc sont rares dans les trois régions comme la Turquie
utilise l'ANS pour traquer et supprimer ses opposants. Ankara a même
enjoint à l'ANS d'établir des prisons pour ce faire afin
d'éviter une implication directe dans de telles violations »
(Khayrallah, 2021, p.4).
A cet égard, Washington a affirmé qu'Ahrar
al-Charkiya aurait tué des centaines de personnes dans une prison
qu'elle contrôle dans la région d'Alep32. Enfin, en se
basant sur une interview avec un officier militaire turc, Engin Yüksel
écrit :
« des groupes armés de turkmènes syriens
exécuteraient des opérations spéciales et des missions
selected armed groups of Syrian Turkmen are said to execute special operations
and missions secrètes au nom du renseignement turc (MIT) comme partie
d'un arrangement séparé entre ces groupes et la Turquie »
(2019, p.7).
En effet, les membres de l'ANS se rendent coupables de
nombreuses exactions et violations du DIDH et du DIH. La Commission
d'enquête des Nations unies sur la République arabe syrienne a
établi
« avec précision le caractère
planifié, et spécifiquement ciblé contre les kurdes, des
exactions commises par les milices islamistes pro-turques avec le soutien
d'Ankara dans le Nord de la Syrie »33.
Au cours de l'opération « Printemps de la paix
», qui est la plus meurtrière avec un total de 1 129
morts34, des combattants d'Ahrar al-Charquiya se seraient
livrés à des exécutions de trois prisonniers kurdes ainsi
que de la femme politique kurde Hevrin Khalaf35, qui était
à la
32 L'Orient-le Jour, Washington sanctionne un groupe
armé syrien lié à la Turquie ». Juillet 2021.
33 Le Monde. « Lueur d'espoir pour les activistes
kurdes de Syrie après la publication du rapport de l'ONU sur les
exactions turques ». 2020.
34 Armed Conflict Location & Event Data Project
(ACLED).
35 ONU info. « Syrie : possibles crimes de guerre
par une milice pro-turque selon l'ONU ». 2019.
48
tête du parti « Avenir de la Syrie ». Le HCDH,
l'UNICEF et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) rapportent que les
hostilités turco-kurdes ont non seulement tué des civils, mais
ont aussi délibérément touché des écoles,
des services sanitaires et le camp de réfugiés d'Ein
Issa36. De plus, un rapport de mars 2021 de la Commission
d'enquête déclare :
« [p]endant leur détention, les femmes kurdes
(parfois des yézidies) ont également été
violées et soumises à d'autres formes de violence sexuelle,
notamment des actes dégradants et humiliants, des menaces de viol, la
réalisation de «tests de virginité» ou la diffusion de
photographies ou de vidéos montrant la détenue en train
d'être abusée »37.
Parallèlement, en juillet 2021, Ankara se retirait
officiellement d'une convention internationale contre les violences faites aux
femmes38. L'ONU, entre autres, affirme que ces actes commis par
l'ANS constituent des crimes de guerre. Et les factions concernées en
sont pleinement responsables. Mais elles n'ont jamais été
poursuivies pour ces crimes, et la Turquie n'a pas amoindrie son soutien
à l'ANS.
Les violences sont particulièrement fortes dans le
canton d'Afrin, à population majoritairement kurde et sous le
contrôle de la Turquie. On y recense, entre autres, des viols, des
arrestations arbitraires, le recrutement d'enfants soldats, des
enlèvements, des expropriations de familles kurdes et des
pillages39. Le but principal des rebelles syriens est de faire du
profit. Ils se transforment en véritables « seigneurs de guerre
». Pourtant, il n'y a pas de vide sécuritaire à Afrin ;
c'est là où les TSK sont les plus présentes. Par
conséquent, on peut en déduire deux choses. Soit la Turquie perd
le contrôle sur ces factions, soit elle les laisse volontairement se
payer sur le dos de la population civile avec un double bénéfice
: ces forces lui coûtent moins cher, et un règne de la terreur
s'installe, faisant fuir la population locale kurde, et permettant de reloger
les réfugiés syriens présents en Turquie.
La Turquie ne contrôle pas les régions syriennes
via l'ANS mais bien avec elle ; Ankara contrôle elle-même les
régions sur lesquelles opère l'ANS. Depuis la fin de
l'opération militaire « Printemps de la paix », les TSK sont
postées à différents avants postes militaires en Syrie du
Nord. Cette présence est très claire dans le canton d'Afrin et la
région du Nord d'Alep (Khayrallah, 2021). Plus qu'une occupation
militaire, la Turquie intègre ces régions à son
modèle administratif et de sécurité : les conseils locaux
syriens sont dirigés par le Ministère turc de l'Intérieur,
il y a un coordinateur turc présent dans chaque conseil et
36 Ibid.
37Kurdistan au féminin. «
Al-Monitor rapporte de nouveaux crimes de guerre commis à Afrin par les
gangs de la Turquie », 2021.
38 Le Monde, « La Turquie quitte
formellement un traité sur les violences faites aux femmes »,
juillet 2021.
39 Al-Monitor, « Turkish backed rebels
leave trail of abuse and criminality in Syria's Afrin », 2021.
49
plusieurs ministères turcs ont envoyé des
représentants dans les trois zones d'influence turque (ibid.).
De plus, des bases de renseignement ont été installées
pour traquer les opposants kurdes (Khayrallah, 2019). En termes de
sécurité, la Turquie a établi une force
opérationnelle syrienne (« syrian task force »)
affiliée au département des opérations spéciales de
la police turque, ainsi qu'une unité de forces spéciales syrienne
dans la police civile d'Afrin, sous le commandement du renseignement turc, et
dont le rôle serait de traquer les membres de l'YPG (ibid.). A
cet égard, le nombre de kidnapping a explosé, permettant une
source de revenu pour certaines factions de l'ANS.
Cette plus grande propension à la violence contre les
civils à Afrin peut s'expliquer par l'origine des combattants des
factions de l'ANS chargés du contrôle de ce canton. Les factions
présentes à Afrin ne sont pas composées de combattants
locaux, natifs. Par conséquent, n'ayant aucun lien avec la population
locale, ils suivent plus facilement les ordres d'Ankara et se servent plus
aisément sur le dos de la population (ibid.). A l'inverse, dans
la région d'al-Bab, les membres des factions de l'ANS sont des
combattants locaux, ce qui explique la moindre commission de violences envers
les civils. Toutefois, la présence turque reste la plus importante
à Afrin. Elle n'empêche donc pas l'ANS de commettre ces violences.
Les violences sont aussi grandes dans la région de Ras al-Aïn et
Tell Abyad où, là, la présence turque est moins
importante. La Brigade du Sultan Mourad et la Division Hamza sont deux factions
turkmènes chargées du contrôle de Ras al-Aïn
(Khayrallah, 2021). Elles ne contiennent aucun combattant originaire de la zone
qu'elles contrôlent.
Ainsi, dans ce contexte, il est légitime de questionner
la responsabilité de la Turquie pour une coalition de groupes
armés fondée par Ankara, agissant pour son profit, avec qui elle
contrôle le Nord syrien, et qui sont coupables de violations du DIDH et
du DIH.
b) Mesurer le niveau de contrôle d'Ankara sur
l'ANS : un contrôle effectif de facto ou un contrôle
effectif de jure ?
A présent, nous allons déterminer si Ankara
exerce un « contrôle effectif de facto » sur l'ANS, et
ce, en deux étapes. D'abord, nous allons appliquer les critères
d'un contrôle effectif que nous avons déterminé dans la
première partie de ce mémoire, hors critères juridiques.
Ensuite, nous analyserons les bénéfices tirés par Ankara
de cette délégation stratégique.
50
? Une chaine d'approvisionnement courte
Du fait de la proximité géographique entre la
Turquie et la zone d'opération, la chaine d'approvisionnement est
très courte. De plus, la Turquie fourni à l'ANS une
base-arrière solide. Ses soldats y sont directement entrainés.
? Une proximité culturelle, ethnique et/ou
idéologique
Nous avons vu que ce sont des critères non
nécessaires mais qui peuvent jouer. Cette proximité existe du
fait de facteurs ethniques (turkmènes), religieux (sunnites) et
idéologiques (nationalisme islamiste). Ces facteurs participent à
une perception commune de qui est l'ennemi commun (Yüksel, 2019), en
l'occurrence les FDS. Or, initialement, l'ASL se battait contre l'armée
de Bachar al-Assad. Cette proximité identitaire a facilité la
mise sous parapluie turque de l'ASL.
? Un faible potentiel militaire et organisationnel de
l'agent
On l'a vu, sans Ankara, l'ANS a un très faible
potentiel. C'est grâce à la Turquie que l'ASL (déjà
très dépendante du soutien turc) a « survécu »
et a gagné en puissance. Ankara a joué un rôle primordial
pour l'organisation et la fédération des différents
groupes qui la composent. Par ailleurs,
« [c]e qui « unit » ces factions est le fait
d'être, à différents niveaux, financées et
équipées - directement ou indirectement - par Ankara, donc
complètement dépendantes. [...]. Al-Jabha al-Chamiya est
aujourd'hui le groupe le plus important et le plus imbriqué dans le
dispositif turc » (Nasr, 2018, p. 145).
? Une dépendance de l'agent à l'assistance
du principal
Par conséquent, l'ANS est dépendante de l'aide
militaire et financière turque. La Turquie approvisionne, paie et
entraîne l'ANS via la société militaire privée
SADAT AS International Defense Consulting (Rodier, 2019). Elle a
été fondée en 2012 et dirigée par le
général Adnan Tanriverdi, ancien conseiller militaire en chef de
R. T. Erdogan. C'est une SMP loyale au régime et à son
idéologie islamiste (Wither, 2020). Selon certains analystes, la SADAT
travaillerait en lien avec des groupes islamistes radicaux en Syrie - comme le
Front al-Nosra, Ahrar al-Cham et Jaysh al-Islam - mais aussi en Libye (Ely
& Barak, 2018 ; Wither, 2020 ; Dastan, 2021). La SADAT, bien qu'elle soit
une SMP, fonctionne comme une force paramilitaire d'Ankara (Cubukcu, 2018). A
l'international, sa mission est :
40 Absence de pagination. Voir Suat Cubukcu (2018).
« The Rise of Paramilitary Groups in Turkey ». Small Wars
Journal.
51
« de fournir les Etats musulmans en entrainement
militaire sur des tactiques de guerre asymétrique. [...] L'EI et
al-Nusra font partie des groupes qui ont reçu de l'entrainement
militaire de la part de SADAT » (ibid.)40.
? Un alignement politico-stratégique entre le
principal et l'agent
La Turquie a réussi à imposer à l'ASL ses
préférences, soit ses objectifs stratégiques :
l'ASL, qui se battait directement contre les forces de Bachar al-Assad, a
basculé dans un combat direct contre les FDS qui, elles-mêmes, se
battent contre les forces loyalistes. La Turquie a trouvé les
incitations adéquates pour motiver l'ASL dans ce nouveau combat
: l'entrainement, l'argent et le matériel. Les objectifs d'Ankara sont
clairs : obtenir une zone de sécurité dans le Nord syrien,
éloigner les forces kurdes de sa frontière et lutter contre les
forces loyalistes. Si la Turquie a détourné le combat direct
mené par l'ASL, ces objectifs stratégiques restent naturellement
partagés par les combattants syriens qui composent aujourd'hui l'ANS. Ce
moindre besoin d'inciter l'ANS à agir conformément aux
volontés de la Turquie est un facteur de contrôle de la seconde
sur la première. De plus, les risques de perte d'agence semblent
faibles, car l'ANS n'a pas vraiment de projet politique et les institutions
politiques syriennes d'opposition n'ont pas de réelle autorité
sur elle (Shaban, 2020).
? L'agent a un rôle cantonné au niveau
tactique voire opérationnel
L'ANS, en tant qu'agent de la Turquie en Syrie, a eu un
rôle strictement cantonné au niveau tactique lors des
opérations militaires évoquées précédemment.
Depuis la fin de ces opérations, l'ANS a essentiellement pour mission
d'aider les TSK à maintenir les trois régions sous le
contrôle de la Turquie, à maintenir la sécurité et
à traquer les opposants kurdes. Il s'agit toujours d'un rôle
strictement cantonné au niveau de l'action de terrain, sans aucun
rôle décisif. L'ANS est totalement intégré au cadre
stratégique et idéologique d'Ankara.
? La synergie stratégique entre les actions du
principal et celles de l'agent
L'ANS constitue une force multiplicatrice pour la Turquie.
Elle a agi conjointement avec les forces régulières turques au
cours des opérations militaires en Syrie du Nord.
« Quand Ankara a lancé son opération
Bouclier de l'Euphrate, [...], ce sont les soldats de l'ASL qui ont conquis la
ville [de Jarabulus]. Les forces turques ont fourni une couverture
aérienne et frappé les forces de l'Etat islamique avec une
artillerie de longue distance » (Barel, 2016).
52
Nous sommes donc dans le cadre d'une relation structurelle
directe, et d'un degré de délégation partielle. L'ANS et
les TSK agissent en Syrie en synergie stratégique : elles
coopèrent et se coordonnent.
Ainsi, l'ANS correspond totalement à un agent de type
auxiliaire vis-à-vis d'Ankara, et non de type « affilié
» comme on la qualifie généralement dans les médias.
En effet, nous avons vu que les « troupes affiliées » ont un
niveau de synergie stratégique beaucoup moins élevé, et
que l'alignement politico-stratégique n'est pas primordial. Or, ici, il
l'est. Les soldats de l'ANS se rapprochent plus de milices pro-gouvernementales
car elles partagent les intérêts politico-stratégiques
d'Ankara ainsi que la même idéologie politico-religieuse. Le
profit reste une donnée importante pour les soldats de l'ANS, mais ils
ont avant tout besoin du parapluie turc pour espérer gagner face aux
kurdes soutenus par l'Occident, face aux groupes extrémistes jihadistes
et face à Damas soutenu par l'Iran et la Russie. De même que la
Turquie a besoin de cette coalition de rebelles syriens pour atteindre ses
objectifs de sécurité nationale dans le Nord syrien. Tout cela
explique le niveau d'intégration et d'imbrication de ces deux forces
régulières et irrégulières. « L'ANS est en
train de devenir un élément intégré, bien
qu'irrégulier, à l'armée turque » (Yüksel,
2019).
Voyons maintenant quels sont les bénéfices de
cette relation stratégique pour Ankara. Prendre en compte les avantages
d'une relation stratégique de délégation d'un acteur
régulier vers un irrégulier est primordial pour comprendre et
intégrer le jeu des acteurs, et pour évaluer le niveau
d'importance de cette délégation pour le régulier.
D'abord, la position militaire de la Turquie dans le Nord et
dans Idlib s'est renforcée avec l'établissement de deux «
protectorats semi-autonomes », soit le canton d'Afrin et le corridor
Azaz-Jarabulus (Yüksel, 2019), sans oublier son influence dans la
région allant de Tell Abyad à Ras al-Aïn. Cette occupation
militaire se fait à moindre coût, grâce à ses
auxiliaires. Dans un avenir proche, cette zone contrôlée par
Ankara devrait le rester. Cela va permettre à Ankara de reloger une
partie 3,6 millions de réfugiés syriens qu'elle a accueillis,
permettant par-là à R. T. Erdogan de contenter sa population.
Ensuite, du fait de cette position sur le terrain, la posture
de la Turquie dans les négociations futures sur la Syrie est
renforcée. Elle a la possibilité de peser politiquement à
long termes sur la Syrie, d'autant plus si ces rebelles arrivaient au pouvoir
à Damas.
De plus, Ankara bénéficie d'une force
multiplicatrice conséquente en Syrie du Nord, face à Damas et ses
alliés, face aux FDS ainsi que face aux forces jihadistes
affiliés à al-Qaïda ou à Daesh. Or l'armée
régulière turque est affaiblie depuis les purges de juillet 2016,
quand
53
40% des officiers généraux ont été
limogés et 6 000 militaires révoqués (Pouvreau,
2017)41. Par ailleurs, cette force est une mine d'hommes volontaires
qui sont employés par la SADAT pour aller combattre comme mercenaires en
Libye en soutien à Fayez al-Sarraj ou au Haut-Karabagh en soutien
à l'Azerbaïdjan. Enfin, la Turquie a réussi à fonder
une coalition anti-PYD à sa frontière, la question kurde relevant
pour Ankara de sa sécurité nationale. Là encore, la
relation Ankara-ANS a permis d'empêcher la jonction des trois cantons
kurdes, et de maitriser ainsi une grande partie du Nord syrien.
Ainsi, non seulement l'ANS est très imbriquée
dans l'appareil de sécurité turc en Syrie, mais la Turquie trouve
dans cette relation le moyen de réaliser ses objectifs
stratégiques de sécurité nationale et de politique
étrangère. Les atrocités directement commises par l'ANS
n'ont jamais remises en question cette alliance pour Ankara, puisqu'elle en
profite largement, d'autant plus qu'aucune juridiction ou instance
internationale ne questionne sa responsabilité.
Après avoir appliqué au cas Ankara-ANS les
critères de contrôle effectif qui tiennent compte de la
réalité du jeu des acteurs, des objectifs et des volontés
de chacun, nous pouvons en déduire qu'Ankara exerce un contrôle
effectif de facto sur l'ANS. Alors que la Turquie soutenait et
exerçait une simple influence sur l'ASL, elle est à l'origine de
l'ANS, elle l'entretien et l'organise, elle l'utilise pour réaliser ses
propres objectifs, elle se substitue à l'autorité du Gouvernement
syrien intérimaire. Bref, elle la contrôle de facto.
Qu'en est-il au regard du test de contrôle effectif de
la CIJ ? La Turquie exerce-t-elle un contrôle effectif « de jure
» sur l'ANS, pouvant ainsi engager sa responsabilité
internationale ?
Cette relation valide en effet un certains nombres de
critères formulés par la CIJ (cf. schéma Annexe 2). Tout
d'abord, il existe un degré de dépendance et d'autorité
fort, du fait du fort niveau d'intégration de l'ANS dans l'appareil de
sécurité régulier et de sa dépendance à
l'assistance militaire et financière turque.
Ensuite, Ankara exerce un contrôle à tous les
niveaux d'ANS. Au niveau tactique, Ankara peut contrôler l'ANS du fait de
sa présence sur le terrain avec elle et leur coopération et
coordination durant certaines opérations militaires et paramilitaires.
Au niveau opérationnel, l'ANS bénéficie bien de l'appui
d'Ankara et opère sous ses ordres et
41 Or parallèlement à ces purges dans
l'armée turque, les forces kurdes progressaient au Nord de la Syrie et
étaient sur le point de faire la jonction entre les trois cantons sous
leurs contrôles, en prenant les derniers territoires aux mains de
Daesh.
54
instructions directes. Au niveau stratégique, la
Turquie désigne les objectifs et planifie les opérations. Au
niveau organisationnel de l'ANS, la Turquie l'a centralisée et
restructuré, transformant l'ASL « en une organisation
centralisée avec des structures de commandes et de contrôles plus
claires » (Yüksel, 2019, p.3). Pour ce qui est du contrôle de
l'Etat sur l'organisation politique du groupe, nous n'avons pas
réellement d'informations. Il semble cependant que les factions, gardant
leur propre organisation interne, puissent recruter de nouveaux combattants
à leur gré.
Par conséquent, une relation quasi-organique existe et
Ankara exerce un contrôle général sur l'ANS. De plus, il
faut largement considérer le fait que la Turquie n'occupe pas le Nord
syrien via l'ANS mais bien auprès d'elle : cela offre vraiment le moyen
pour la Turquie de contrôler cette force, et de prévenir tout acte
de violation du droit international sur un territoire qu'elle contrôle
également via son armée régulière. Dans ce
contexte, ces critères suffiraient au TPIY et son test de contrôle
global à engager la responsabilité internationale de la Turquie
pour les actes commis par l'ANS. Toutefois, le contrôle effectif de
jure d'Ankara sur l'ANS semble se heurter à deux limites
correspondant à des critères indétournables du test de
contrôle effectif.
La première limite est celle de l'autonomie. Les
factions en elles-mêmes gardent leur organisation, leur propre structure.
Mais toutes opèrent et se coordonnent sous un parapluie commun tenu par
Ankara. Il y a donc une certaine autonomie existante. Par exemple, Jaysh
al-Islam souhaite maintenir une certaine indépendance, en
établissant ses propres bases et gardant sa propre structure (Shaban,
2020). L'ANS n'a rien d'une armée régulière, elle n'est
pas unifiée ou professionnelle ; la Turquie doit contrôler une
coalition de 41 factions rebelles, sur 3 régions discontinues. Cela
demande que ces factions aient un minimum d'autonomie pour exécuter
leurs missions. De plus, comme l'ANS répond officiellement du GIS, il
semble difficile de déplacer la responsabilité vers la Turquie.
En effet, chaque commandant de légion doit, en théorie, se
coordonner avec le ministre de la Défense du GIS, Selim Idris
(Özkizilcik, 2020). La relation organique se trouve donc entre l'ANS et le
GIS, même si dans les faits l'ANS prend ses ordres d'Ankara.
La seconde limite se rapporte au critère d'un
contrôle exercé par l'Etat sur l'opération militaire ou
paramilitaire au cours de laquelle a lieu la commission de l'acte illicite. De
la même façon que nous l'avons vu avec les MPG informelles, les
TSK ne sont pas présentes avec les combattants de l'ANS lorsque des
violations du droit sont commises. La Turquie peut dès lors se
prémunir d'une asymétrie d'information du fait du degré de
discrétion laissé à
55
l'agent. Sans preuve qu'une instruction directe ou indirecte
ait été donnée, on ne peut démontrer ce
contrôle de la Turquie à un temps donné précis.
Pourtant, comme nous l'avons vu, Ankara a une capacité réelle de
contrôle sur les opérations de l'ANS. Par ailleurs, l'ANS a une
structure de commandement peu claire : il y a une absence d'un commandement
central unifié et d'une forte hiérarchie permettant d'acheminer
clairement les décisions militaires du haut vers le plus petit
échelon tactique (Shaban, 2019). Cela jette un flou
supplémentaire dans le processus d'imputabilité de l'acte
illicite.
Ainsi, les critères rigides d'un contrôle
effectif de jure empêchent véritablement toute prise en
compte des circonstances dans lesquelles évoluent la relation entre le
régulier et l'irrégulier. La relation quasi-organique est rare et
difficile à prouver, tandis que l'absence de toute autonomie d'un agent
extérieur à l'appareil de sécurité de l'Etat est,
théoriquement, impossible.
CONCLUSION
L'externalisation de la conduite des opérations
militaires par un Etat vers un acteur non-étatique facilite ainsi
l'externalisation de la responsabilité de cet Etat devant le droit
international. En effet, l'état actuel du droit de la
responsabilité internationale de l'Etat pour le fait d'un acteur
non-étatique est largement permissif, occultant la réalité
des faits et de leur contexte.
C'est du moins le cas du droit de la responsabilité des
Etats interprété selon le critère juridique de «
contrôle effectif » énoncé par la Cour internationale
de Justice. Ce critère est, de façon théorique,
systématiquement périclité par lui-même
(hypothèse 1). La CIJ requière un niveau de contrôle
exercé par l'Etat sur le GANE équivalent à celui qu'il
exerce sur ses propres organes de jure. Non seulement une telle
relation organique est difficilement reproduisable, - d'autant plus si on prend
le cas d'un agent étranger de type proxy -, mais en plus elle est
rarement souhaitable pour les deux parties. De plus, dans toute
opération militaire ou paramilitaire déléguée, le
GANE qui agit comme agent de l'Etat bénéficiera au
minimum d'une relative marge d'action indépendante pour accomplir sa
mission, empêchant ainsi systématiquement de prouver tout «
contrôle effectif » de l'Etat sur l'opération au cours de
laquelle a lieu la violation du droit international. Ainsi, le simple fait
d'entretenir un relatif
56
degré d'autonomie de l'agent suffit à rendre le
contrôle exercé par l'Etat pas assez clair d'un point de vue
juridique.
Ce critère est ensuite systématiquement
périclité par le jeu des acteurs. Là où l'Etat
bénéficie le plus de la perte de son monopole légitime de
la violence, avec tous les risques que cela induit, ce n'est pas lorsqu'il
contrôle le plus cette délégation. En fait, le degré
de contrôle est un corollaire de la marge de manoeuvre de déni
plausible de toute responsabilité pour l'agent en cas de violations du
DIH ou du DIDH. Si l'Etat exerce un fort contrôle structurel sur l'agent
de type auxiliaire, il va plutôt choisir une stratégie
d'externalisation de la guerre équilibrée entre autonomie de
l'agent et contrôle de l'agent, entre déni plausible et
contrôle de la délégation. Or, le test de contrôle
effectif ne prend aucunement en compte ces données. Reposant sur des
critères rigides, il échappe totalement à la
réalité des choses.
Au contraire, le test de contrôle global du TPIY prend
en compte ce jeu des acteurs. Son champs d'applicabilité est bien plus
large, et pourrait très bien concerner la responsabilité d'un
Etat pour un agent de type proxy ou substitut. Dans un contexte croissant
d'externalisation de la guerre, le test de contrôle global peut
s'avérer utile (Cassese, 2007). Il peut même permettre de saisir
les liens entre Etats et groupes terroristes, ce qui échapperait
totalement au test de contrôle effectif de la CIJ.
Si une instance juridique internationale appliquait le test de
contrôle global sur la relation Ankara-ANS, il ne fait aucun doute que la
Turquie verrait sa responsabilité internationale engagée pour les
crimes commis par l'ANS, dont le soutien n'a jamais été remis en
question suite à ces crimes. Mais il semble que l'ONU ait plutôt
opté pour une application du droit selon le degré de
contrôle effectif de la CIJ42.
Le régime des droits de l'homme et du droit humanitaire
n'est rien sans un régime effectif du droit de la responsabilité
étatique. Nous devons aller dans le sens d'un régime du droit de
la responsabilité plus responsable, plus soucieux des impacts de la
guerre sur les civils, prenant acte du nombre exorbitants de crimes de guerre
impunis. Le monopole de la violence légitime de l'Etat moderne ne
signifie pas qu'il est incapable de commettre des actes illicites.
« C'est ainsi que pour Krahmann, le monopole de la
violence légitime ne doit plus se comprendre comme étant le
monopole du déploiement des forces armées (et policières),
mais
42 « La Turquie pourrait être
considérée comme un État responsable des violations
commises par les groupes armés qui lui sont affiliés, tant que la
Turquie exerce un contrôle effectif sur ces groupes ou sur des
opérations au cours desquelles ces violations ont été
commises ». UNHCR «Syria: Violations and abuses rife in areas
under Turkish-affiliated armed groupes - Bachelet». 2020.
57
plutôt comme un contrôle juridique de
l'État sur les acteurs auxquels il délègue la violence
» (Lapointe, 2011, p.90)43.
Edicté en 1986, le test de contrôle effectif
n'est plus d'actualité - s'il ne l'avait jamais été. Le
droit doit évoluer au rythme de l'évolution du contexte global,
qui a récemment vu une démultiplication des groupes armées
non-étatiques, une transformation de leurs rôles par rapports aux
Etats et de leur place sur la scène internationale. Le droit doit tendre
au
maximum vers une représentation réaliste des
choses, pour une justice effective.
43 Krahmann, E. (2009). « Private Security
Companies and the State Monopoly on Violence: A Case of Norm Change? ».
Peace Research Institute Frankfurt Reports, n°88.
58
ANNEXES
Annexe n°1 : carte de « l'Institute for the Study of
War : Syrian Civil War Map », par Cécile Marin.
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact2.png)
Annexe n°2 : schéma synthétisant le
test de contrôle effectif de la CIJ. Source : l'auteur.
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact3.png)
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact4.png)
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact5.png)
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact6.png)
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact7.png)
59
Annexe n°3 : schéma synthétisant
l'organisation de l'ANS. Source : l'auteur.
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact8.png)
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact9.png)
Annexe n°4 : Carte de la présence militaire des
TSK et de l'ANS en Syrie du Nord. Source : Khayrallah, H. (2021). « The
Turkish intervention in Northern Syria : One Strategy, Discrepant Policies
». Robert Schuman Centre for advanced studies,
![](Les-mecanismes-dengagement-de-la-responsabilite-internationale-de-letat-pour-le-fait-dact10.png)
60
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p. 83-103.
CONCLUSION 55
69
TABLES DES MATIERES
SOMMAIRE 1
INTRODUCTION 3
I - LES MECANISMES ET CRITERES D'ATTRIBUTION D'UN FAIT
INTERNATIONAL ILLICITE A L'ETAT POUR LE FAIT D'ACTEURS NON-
ETATIQUES 12
A- Le critère de contrôle en droit international
12
a) Le critère de « contrôle effectif » de
la Cour internationale de Justice 12
b) Le critère de « contrôle global » du
Tribunal pénal international pour l'ex-
Yougoslavie 16
B- Mesurer le degré de contrôle de l'Etat sur un
acteur non-étatique selon une approche
théorico-stratégique 19
a) Contrôle du principal et autonomie de
l'agent selon la théorie de l'agence 19
b) Mesurer la synergie des actions de l'Etat et de la force
irrégulière aux niveaux
stratégiques, opérationnels et tactiques d'une
opération militaire 24
II - L'APPLICABILITE DU DROIT DE L'ENGAGEMENT DE LA
RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE L'ETAT POUR LE FAIT D'UN ACTEUR
NON-ETATIQUE
FACE AUX STRATEGIES D'EXTERNALISATION DE LA GUERRE 32
A - Applicabilité théorique : les tests juridiques
de contrôle face au phénomène
d'externalisation de la guerre 32
a) Les différentes stratégies d'externalisation de
la guerre 32
b) Les tests de contrôle effectif et de contrôle
global appliqués à deux types de
stratégies d'externalisation de la guerre 38
B - Applicabilité pratique : le cas de la relation entre
Ankara et l'armée nationale syrienne
(ANS). 44
a) La relation Ankara-ANS 44
b) Mesurer le niveau de contrôle d'Ankara sur l'ANS : un
contrôle effectif de facto ou
un contrôle effectif de jure ? 49
70
ANNEXES 58
BIBLIOGRAPHIE 60
TABLE DES MATIERES 69
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