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Le modèle de bus rapid transit et l’Afrique subsaharienne.


par Camille JEAN-BAPTISTE
Université Jean moulin Lyon 3 - Master Ingénierie des transports et politiques de déplacements durables 2017
  

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1.5 L'exemple du BRT de Johannesburg

Si dans l'exemple précédent nous avons pu mettre en évidence les particularités techniques des lignes de BRT et leur fonctionnement à travers le temps, je propose dans ce nouvel exemple de s'attacher d'avantage au contexte politique qui accompagne l'émergence de projet de transport d'une telle influence. Nombre de pays d'Afrique subsaharienne restent encore aujourd'hui marqués par la période coloniale qui a dicté leur organisation gouvernementale pendant de très nombreuses décennies. Le secteur des transports en Afrique du Sud en a été particulièrement marqué et la mise en place d'un tout nouveau réseau de transport par l'intermédiaire d'une création de ligne de BRT, a rappelé, et interrogé cet héritage colonialiste. La période d'apartheid qui a su diviser la population sud-africaine l'a effectivement séparé à de nombreux niveaux et la construction des réseaux de transport est directement liée à cette période de l'histoire du pays. Si aujourd'hui ce temps est révolu dans les faits, dans le monde des transports la réalité est encore tout autre.

Afin d'appréhender efficacement les questions politiques liées à la gestion des réseaux de transports en Afrique du sud il parait important de rappeler tout d'abord les logiques d'urbanisation qui ont accompagné le développement du pays. Ces premières informations offriront des éléments de compréhension aux logiques de déplacements ainsi qu'à l'organisation des transports urbains qui sera traitée dans la partie suivante. Enfin après avoir évoqué les nouvelles directives de l'action publique en matière de mobilité nous mettrons en évidence les tensions autour de l'émergence d'un système intégré.

1.5.1 Urbanisation et déplacements

En Afrique Australe l'accessibilité pose souvent problème à l'intérieur de la ville en raison à la fois de l'apartheid mais également en raison de l'absence de coordination entre planification des transport et planification des établissements humains. La période de l'apartheid a laissé sa trace dans la morphologie urbaine avec la présence de faible densité que la période post-apartheid a su renforcer en développant des aires suburbaines riches le plus souvent protégées. En parallèle les anciennes zones tampons ont à plusieurs reprises connu des installations informelles ou alors du fait de leur faible attractivité en raison de leur proximité avec des industries, ou de quartiers jugés malfamés sont restées vacantes

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En conséquence, le phénomène d'urbanisation a pris de l'ampleur du côté des littoraux, éloignés des anciens townships et des agglomérations. Par ailleurs la disponibilité et le prix des terrains, le relogement des habitants des campements informels s'effectue depuis une dizaine d'années essentiellement dans les zones périphériques particulièrement mal reliées aux infrastructures et aux bassins d'activité.19

2.2.2 Quid de la mobilité en Afrique du Sud

La part de l'automobile s'accroît petit à petit dans le partage modal des quartiers périphériques. Cette tendance est à rapprocher du développement des infrastructures de types parkings, centres commerciaux et voies rapides, de la périurbanisation ainsi que de l'apparition de nouveaux modes de vie pour les classes moyennes et supérieures. D'autant plus, que pour les populations concernées, les transports en commun sont associés dans leur imaginaire à la violence et à la promiscuité avec des groupes dont les ressources financières sont moindres.

Si on fait le point sur les modes de déplacements des citadins nous constatons une forte disparité des pratiques. Par exemple l'usage de l'automobile est relativement répandu auprès des classes aisées et suis l'étalement d'agglomération très vastes20 alors que la majorité des habitants ne disposent que d'une mobilité limitée qui repose essentiellement sur la marche et les transports collectifs. Une enquête nationale (Department of Transports RSA, 2005) faisait apparaître que les trois quarts des Sud-Africains n'avaient pas accès au train, ce chiffre s'abaissant à 38 % pour les bus.

Figure 27 : Accessibilité par la marche à la station de transport en commun la plus proche. Johannesburg

19 VERMEULIN, S. (2006) Centralités métropolitaines et disparités socio-spatiales. Le cas de Durban (Afrique du Sud)

20 1 643 Km2 pour la municipalité de Johannesbourg, 2 292 Km2 pour Durban, 2 455 Km2 pour Cape Town

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Des études menées depuis plusieurs années s'accordent à dire que pauvreté et mobilité sont liées. Dans le cas présent plus les habitants sont pauvres moins ils se déplaces, toutefois plus leurs déplacements leur coûtent par rapport à leurs revenus. La part des ressources d'un ménage peut ainsi atteindre 50 % pour le seul accès aux transports notamment pour ceux dont les revenus sont inférieurs à 800 rands.21La mobilité est donc bel et bien un facteur de différenciation sociale en Afrique du Sud encore peut-être davantage qu'ailleurs.

Concernant les quartiers les plus défavorisés tels que certaines zones des townships, les campements informels ou encore les secteurs ruraux la mobilité repose principalement sur les modes doux dont la marche. Ce sont ensuite les transports de passagers terrestres dont l'image et l'efficience ne sont pas toujours en phase avec les attentes des usagers. Les lignes de train existante à destination des périphéries sont largement sous utilisées (6 à 7% des navettes à Durban en 2004) en raison de l'insécurité et de la vétusté des installations.

Figure 28 : Utilisation d'un mode de transport motorisé par les habitants des métropoles sud-africaines

Les bus et surtout les taxis-minibus constituent donc, avec la marche, le véritable socle de la mobilité de la majorité des Sud-Africains. La tendance actuelle montre une progression de la voiture personnelle dans le partage modal pour les années à venir. La mobilité en Afrique du Sud est principalement l'affaire de moyens de transports privés (individuels ou collectifs) dont les objectifs s'articulent d'avantages autour de la rentabilité et de l'optimisation du rapport coût-distance-temps plutôt qu'autour du développement durable.

21 Vermeulin et Sultan Khan, mobilité urbaines et durabilité dans les villes sud-africaines

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2.2.3 Les acteurs du transport urbain

Le transport urbain sud-africain est un secteur tumultueux. Ce caractère bouillonnant, est en partie lié au passé du pays mais aussi à la complexité des jeux d'acteurs qui s'y déroulent. « Pendant la période de l'apartheid, l'organisation des transports publics servait avant tout les objectifs ségrégationnistes du pouvoir blanc et les intérêts économiques. Les liaisons domicile-travail des employés noirs s'articulaient de façon à éviter les quartiers blancs alors que les compagnies municipales de bus organisaient le transport des populations blanches essentiellement à l'intérieure des aires centrales et péricentrales. Il en résulte un réseau radial d'où émerge le centre-ville comme seule véritable plate-forme multimodale, imposant souvent aux usagers une ou plusieurs correspondance(s). Aussi face aux carences des transports publics mis en place au niveau local, une multitude d'opérateurs privés de bus et de taxis-minibus est apparue dans les townships et a développé depuis plusieurs décennies une industrie très concurrentielle. 22» A l'origine, ces petits opérateurs privés ne disposaient que d'un ou deux véhicules et n'exploitaient qu'une ligne. Très vite, leur nombre a connu une extraordinaire croissance et leur réseau s'est étendu à de nombreux nouveaux quartiers. Le succès de ce réseau de transport informel représente « une des plus belles réussites de l'entrepreneuriat noir et la réussite d'un système marginalisé durant l'apartheid »23 A la chute du régime de l'apartheid, ce secteur artisanal s'était déjà étendu à l'ensemble des métropoles sud-africaines. Aussi l'African National Congress (ANC) alors arrivé au pouvoir en 1994 ne pouvait que reconnaître leur rôle essentiel dans le transport urbain de passagers remettant à plus tard le dossier sensible que constitue la régulation de ce secteur.

Il faut avoir à l'esprit également, que contrairement à de nombreux pays occidentaux, le transport collectif en Afrique du Sud n'est pas perçu comme un service public permettant à chaque citadin d'accéder à la mobilité, mais comme un secteur géré en majorité par des opérateurs privés et ne concernant au final, que les ménages n'ayant pas suffisamment de ressources pour disposer d'une voiture.24 En conséquence c'est une logique de profit ou d'optimisation matérialisée par le délaissement des trajets et des horaires les moins rentables qui domine. Toutefois pour contrebalancer cette tendance les municipalités ont opté récemment pour la création d'autorités locales de régulation. En 2003, la municipalité de Thekwini à

22 Stephane Vermeulin et Sultan Khan « Mobilités urbaines et durabilité dans les villes sud-africaines » 2010

23 ibid

24 Ibid

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Durban a été la première à développer une Transport Authority, organe qui, bien qu'indépendant, est placé sous la tutelle du gouvernement local dont les élus forment l'ossature du conseil d'administration. La municipalité devient alors un « arbitre » du secteur des transports urbains et, en tant que tel, doit céder sa propre compagnie de bus.25

2.2.4 Tensions autour de l'émergence d'un système intégré

Les éléments de contexte mentionnés jusqu'à présent vont désormais nous permettre de mieux comprendre les tensions qui ont entouré l'émergence de la 1ère ligne de BRT du pays. La réforme du système de transport urbain entre actuellement dans une nouvelle ère en Afrique du Sud. Relevant le défi de l'amélioration de la qualité du service, d'une baisse de la congestion, de l'intermodalité et d'une modification du partage modal, cette réforme vient renforcer les actions menées en faveur du développement durable26. A ce titre un premier projet de BRT nommé Rea Vaya littéralement : « we are going in » a été imaginé dans la ville de Johannesburg. Ainsi sur plus de 59 km un corridor réservé aux bus a été mis en place en juin 2009 reliant Johannesburg CBD, Braamfontein et Soweto.

2.2.5 Eléments de tension

Ce projet s'inscrit pour la collectivité dans la volonté de développer un transport efficace, sûr, abordable (entre 3 et 8 rands selon le trajet), moderne et au service des 2/3 de la population qui ne disposerait pas de véhicule personnel. Toutefois, avant même la mise en service de la ligne de nombreux points de blocage ont fait surface.

Le premier et principal point de discorde reposait sur l'intégration des opérateurs privés dans ce nouveau système de transport. En apparence les pouvoirs publics envisageaient, du moins laissaient à entendre que les opérateurs de bus et de taxis-minibus s'associeraient afin de créer de nouvelles associations à même d'exploiter les lignes BRT au nom de la municipalité dans le cadre d'un contrat à long terme. Si l'idée parait pertinente de prime abord, cette dernière nécessite une entente sur la répartition des parts de chacun des

25 Bellangère et al., 2004

26 ibid

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associés dans les futures compagnies et qu'ils respectent le cahier des charges imposé par la municipalité. Encore, selon la municipalité de Johannesburg la modification de l'industrie des transports devrait se faire sans perte ni création d'emplois par le redéploiement d'une partie des chauffeurs de taxis-minibus. La question attenante à la gestion des ressources humaines restait épineuse, comment recenser les employés et leurs compétences dans un secteur informel ? Un autre sujet matière à questionnement restait l'attribution des lignes et surtout à qui reviendrait les lignes les plus lucratives ?

Un deuxième point de désaccord, le BRT de Johannesburg a été perçu comme un modèle imposé sans alternative. En effet, le projet a entièrement été pensé et développé par le gouvernement local qui l'a par la suite présenté aux opérateurs. Très vite ils l'ont perçu comme une volonté d'imposer une réforme venant nuire à leur business. La période de concertation a été mise en place très tardivement ce qui a insufflé un vent de rancoeur et de contestations important chez les opérateurs privés. D'autant plus que tout taxi-minibus qui refusait de faire partie du projet se retrouvait face à une très grande concurrence. Ne pouvant bénéficier de la ligne de la voie de circulation de la ligne BRT ils se retrouvent dans la congestion quotidienne de la métropole et doivent modifier le tracé de leur ligne devant des compléments informels à la ligne de BRT. Les relations entre les instances gouvernementales et les opérateurs de taxis-minibus sont complexes. Pour les premiers, « les taxis-minibus représentent à la fois une des plus belles réussites de l'entrepreneuriat noir, mais aussi l'un des secteurs les plus dangereux, incontrôlables et imprévisibles. Depuis la fin des années 1990, le gouvernement a ainsi souhaité mieux encadrer et organiser cette activité. Dans le cadre de l'action qu'il a menée pour offrir aux personnes « historiquement défavorisées » une meilleure intégration dans la sphère économique, notamment par le biais du très controversé Black Economic Empowerment (BEE), l'État sud-africain tente de faire émerger des cadres et des dirigeants noirs, indiens ou métis. De fait, les opérateurs de taxis-minibus s'affichent comme des entreprises respectant en tous points les principes du BEE. Ces opérateurs, de leur côté, sont aussi conscients de représenter le mode de transport le plus utilisé en milieu urbain et souhaitent, à ce titre, être consultés au cours du processus de transformation de ce secteur.27

Ainsi, pendant la période de réflexion du projet BRT mais également à la suite de la mise en exploitation de la ligne de nombreuses grèves, des manifestations et des actions parfois

27 Vermelun et S khan

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d'une grande violence ont secoué la ville. Pour exemple, deux bus de Rea Vaya ont été pris pour cible à Soweto en septembre 2009 à peine un mois après la mise en service de la ligne, une fusillade ayant entraîné plusieurs blessés et nécessitant l'intervention des forces de l'ordre pour accompagner les nouveaux véhicules pendant leur trajets quelques jours après. « Une quinzaine d'années après la chute de l'apartheid, les arguments en faveur de la justice sociale ou de la déségrégation n'ont visiblement plus le même écho et ne semblent plus à même de supplanter les logiques économiques d'un côté, préserver une activité lucrative pour les entreprises symboles du BEE (Black Economy Empowerment) et de l'autre, doter l'économie locale d'un système de transport plus efficace. » Stéphane Vermeulin et Sultan Khan.

Finalement, la première décennie après l'apartheid comprise entre 1994 et 2004 n'a pas fait l'objet de projet de réforme des politiques de transports. Ce n'est qu'en 2007 que le département national du transport déploie une large enquête nationale sur ce sujet, ses résultats permettant de définir une stratégie à l'échelle nationale avec des déclinaisons locales. Ainsi entre 2007 et 2020 une stratégie censée fonder un système de transport cohérent, efficace et durable en Afrique du Sud est mise en place.28 « L'affirmation de l'économie de marché et l'avènement de la démocratie en Afrique du Sud ont amené les pouvoirs locaux, dont les compétences ont été renforcées, à organiser la mise en place de nouvelles compagnies de bus rapides en site propre. Celles-ci s'inspirent souvent des expériences étrangères (Curitiba notamment) et prennent généralement la forme de consortiums incorporant une partie des transports artisanaux actuels. »29

Les mobilités étant guidées par des pratiques idéologiques ou culturelles pour l'Afrique du Sud l'ascension sociale s'accompagne dans la plupart des cas par une mutation de la nature et de la fréquence des déplacements. Le recours à la voiture et la mobilité individuelle motorisée font encore figure d'idéale dans une société où les groupes aisés ne partagent que rarement l'espace public avec les autres groupes de population.

Toutefois, « l'Afrique du Sud s'est lancée dans une vaste refonte de son système de transport urbain avec pour objectifs la durabilité et la régulation par une intégration des taxis-minibus

28 Pillay, 2008

29 Vermullin, 2006

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dans un système reposant sur le développement de noeuds intermodaux ».30 Le système bus rapid transit (BRT), par le développement de l'efficacité et le développement d'un réseau de bus modernes à un coût maîtrisé apparaît comme un modèle d'avenir, notamment dans les métropoles des pays émergents où les mobilités et le développement durable sont des enjeux majeurs. Néanmoins, ce nouveau modèle nécessite une concertation avec l'ensemble des acteurs concernés et ne doit pas ignorer ou sous-estimer le rôle que jouent les transports dans la réduction de la pauvreté.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams