CONCLUSION
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Après la seconde guerre mondiale et les mutations qui
s'en sont suivies, les relations internationales se sont mues en des relations
complexes caractérisées essentiellement par une
interdépendance assez complexe, reliant tous les points du globe. Le
monde est devenu une communauté c'est-à-dire, une sorte de
conglomération réunissant des sociétés partageant
des valeurs communes ou presque. Cela est devenu d'autant plus poignant avec la
fin de la guerre froide où l'impératif démocratique
était devenu un idéal auquel sont convié les Etats
(surtout en développement) bon gré, mal gré. On peut
dès lors comprendre l'intérêt de la communauté
internationale dans les affaires politiques des Etats, surtout ceux qui
expérimentent la démocratie pour la premières fois ou ceux
qui renouent avec ce mode de gouvernement. Mais l'implication de la
communauté internationale et son positionnement dans le jeu politique
togolais suscite une curiosité que la présente recherche s'est
donnée d'élucider.
Le jeu politique relève de l'élaboration et de
l'implémentation de stratégies par les joueurs avec en toile de
fond le désir constant de remporter les joutes électorales.
Conçu comme tel, le jeu politique togolais est sans contexte une affaire
des togolais. Mais l'observation révèle que la communauté
internationale exerce une influence réelle dans la distribution des
rapports de force dans le jeu politique, faisant d'elle un acteur à part
entière dans l'arène politique ou peu s'en faut. L'objectif que
le présent travail de recherche s'est assigné est
d'appréhender les facteurs qui expliquent la présence permanente
de la communauté internationale dans le jeu politique et les enjeux que
cette implication génère dans le champ politique. L'exploration
du sujet nous a amené à découvrir que cette implication
est favorisée par les conditions aussi bien externes qu'internes et
recèle des enjeux polarisés comme le prédisaient nos
hypothèses de départ.
Au plan externe, les travaux de Crawford Young montrent «
comment la chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc
soviétique ont eu des répercussions en Afrique et pas seulement
dans les pays auparavant adossés à ce bloc comme le Bénin,
le Congo, l'Ethiopie »195. Le
deuxième élément incitatif de l'implication de la
communauté internationale dans l'espace politique togolais était
la dépendance à l'aide extérieur qui, à partir de
1990 devient subordonnée à la conditionnalité
démocratique. La communauté internationale va ainsi servir non
seulement de référent à l'action, mais aussi comme un
195 M. GAZIBO, « La dynamique de la
démocratisation », Introduction à la politique africaine
(en ligne), Montréal, Presse de l'Université de
Montréal, 2010, pp. 167-189.
allié pour les forces d'opposition surtout au cours de
la période de la transition démocratique. L'opposition togolaise
ne manquera guère d'occasion de la prendre pour témoin ou pour
appui à son action. Ainsi jouera-t-elle un rôle crucial dans la
tenue de la conférence nationale, conférence qui paraissait aux
yeux de l'opposition de l'époque, comme la panacée aux
problèmes politiques du Togo.
S'agissant des facteurs internes favorisant l'implication de
la communauté internationale dans le jeu politique togolais, la longue
période du monopartisme a suscité une soif aigüe de
liberté, une soif qui n'attendait qu'un évènement
catalyseur pour s'assouvir. Au début de la décennie 1990 en
effet, le Togo connu l'une des plus grandes manifestations populaires de son
histoire. Cette mobilisation de masse, galvanisée par un couvert
médiatique déjà mûr, criera à la face du
monde le ras-le-bol des togolais face à la fermeture du régime
Eyadema et leur désir du pluralisme politique. La communauté
internationale sera dès lors invoquée en appui aux
différentes actions en contestation du régime Eyadéma
aussi bien par les forces de l'opposition sur place que par une diaspora
mobilisée pour la même cause. De même, la majorité
présidentielle pour légitimer ses actions a eu également
recours à la communauté internationale en conformant ses actions
aux orientations de cette dernière. Ainsi, tout au long de la
facilitation de la crise politique d'août 2017 par exemple, on a vu
l'exécutif togolais vénérer la feuille de route
définie par la CEDEAO comme le veau d'or incontesté pour la
sortie de ladite crise.
Seulement la communauté internationale ne jouit pas que
de bonnes grâces de la part des acteurs politiques togolais. De fait, la
communauté internationale sera présentée par l'opposition
comme un complice au pouvoir « autoritaire » des Gnassingbés
comme le soulignait si bien Y. Agboyibor lors d'une conférence de presse
: « Pour avoir procédé à la levée totale
des sanctions en 2008 sans que les conditions requises soient remplies, l'Union
Européenne a effectivement conforté le gouvernement togolais dans
son refus de mettre en oeuvre les réformes et a contribué
à la persistance de la crise sociopolitique au Togo »
196. La majorité présidentielle
également ne manque pas de fouler au pied cette communauté
internationale lorsque les circonstances s'y prêtent. L'attitude du
gouvernement face aux recommandations de l'expert commis par la CEDEAO pour les
propositions d'un schéma de réformes institutionnelles et
constitutionnelles en est révélatrice. Ce qui contraste
ostensiblement avec son attitude à l'adoption de la feuille de
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196 Le Changent N° 567 du jeudi 05
octobre 2017, Op. Cit.
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route. En conséquence, l'on peut soutenir que la
communauté internationale est l'objet d'une instrumentalisation
rationnelle par les acteurs politiques togolais, faisant ainsi d'elle une
référence ou au contraire, un ennemi selon la concordance ou la
discordance de leurs intérêts. Elle constitue à cet effet
un enjeu réel dans l'espace de jeu ainsi défini.
Si la communauté internationale apparait comme un enjeu
dans le champ politique togolais, il n'en demeure pas moins que le Togo
lui-même soit un enjeu de l'action internationale. En effet,
derrière l'homogénéité qui semble
caractériser la communauté internationale, se cache une
pluralité d'acteurs aux mobiles d'action divers. L'étude a permis
de démontrer que les motivations des Etats, peuvent dans certaines
circonstances et plus généralement différer de celles des
organisations internationales constituées par eux ou diverger entre eux
même sur les mêmes enjeux. Si dans la communauté
internationale, l'opinion publique et les organisations internationales (dans
une certaine mesure) défendent des causes universellement admises donc
d'intérêt général, les Etats par contre sont
fondamentalement motivés par l'intérêt qu'ils peuvent tirer
d'une action même si les apparences militent en faveur du contraire.
L'attitude de la France, du discours de la Baule aux actions menées
ultérieurement, semble conforter la position de Jean-François
Bayart lorsqu'il affirmait que « la France se doit de tenir un
discours clair en matière de démocratisation durable des
sociétés politiques subsaharienne
»197.
En somme, il convient de retenir que si la communauté
internationale était moins perçue comme un instrument
d'assouvissement de désirs politiques par les acteurs politiques
togolais et qu'inversement, celle-ci s'en tenait véritablement aux
motivations apparentes de ses actions, le Togo serait sans doute à un
niveau de maturité démocratique exemplaire.
197 J.-F. BAYART, « La problématique
de la démocratie en Afrique noire : la Baule, et puis après ?
», Politique africaine, 1991, pp. 5-20.
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