14
2.2.5 La singularité de la situation à la
Réunion vis-à-vis de l'usage des plantes médicinales.
Ø Le contexte multiculturel réunionnais
et l'importance des plantes à l'échelle de l'île.
La Réunion est marquée par sa
multiculturalité. La colonisation et le métissage ont
ramené des croyances, savoirs et pratiques de toutes les aires
géographiques environnantes, offrant à l'île une richesse
monumentale en termes culturels. De plus, sa géographie et la
singularité de son climat et de ses paysages favorisent la
diversité végétale de l'île.
La médecine réunionnaise est donc un
système spécifique riche d'origines. L.POURCHEZ la décrit
comme une imbrication de plusieurs systèmes : européen, malgache
et indien (51). Elle se caractérise : « par un rapport aux humeurs
(le sang, la bile, le vent) générant des relations d'oppositions,
inséparable d'un rapport au sacré ». Ces relations
d'opposition attribuées aux humeurs sont : le pur et l'impur, le chaud
et le froid, l'épais et le liquide. La santé est un
équilibre des humeurs. Les plantes font partie intégrante du
système de soin. Il existe des plantes dites « échauffantes
», d'autres « rafraichissantes » par exemple. Le rapport
à la maladie et à la santé est aussi défini par la
théorie des semblables (« un mal peut être soigné par
son équivalent » : les herbes à vers, dont la forme
évoque celle des asticots, soignent les vers par exemple), et la
théorie des transferts (transférer le mal d'un corps à un
autre) (52).
La raison pour laquelle les plantes réunionnaises sont
mal connues, et que peu d'entre elles sont inscrites à la
pharmacopée, est avant tout historique. Leur émancipation a
été difficile. La première pharmacopée (le Codex)
date de 1818, date à laquelle l'esclavage était encore
présent. Or, de nombreux savoirs traditionnels sont issus des pratiques
des esclaves interdites à l'époque, et que même l'abolition
de 1848 n'a pas reconnu. Le clivage entre médecine occidentale et
médecine traditionnelle (dont les secrets sont longtemps restés
cachés) a longtemps résisté. Il a fallu modifier la
législation pour inscrire les plantes médicinales à la
pharmacopée le 12 juillet 2013. C'est un des objectifs de
l'APLAMEDOM.
Les « anciens » s'attachent à leurs
traditions faisant perdurer les pratiques. Il s'avère en effet que
malgré de profonds bouleversements de la société
réunionnaise et de son système médical, les croyances et
pratiques traditionnelles sont toujours présentes. La Réunion
s'est forgée son métissage médical. Les deux
médecines se côtoient, cohabitent. La population a recours aux
deux, parfois simultanément. En 2011, Julie DUTERTRE, dans sa
thèse de médecine soutenue à la Réunion, a
montré que 87% de la population avaient recours à la
15
phytothérapie (7). Sur les 300 personnes
interrogées (usagers et non usagers), 83 % sont des femmes. Et parmi la
population d'usagers, 18 % ont moins de 30 ans et près de la
moitié ont entre 30 et 45 ans. Il semble donc y avoir un nombre
conséquent de femmes en âge de procréer qui ont recours
à la phytothérapie, domaine qui intéresse de plus en plus
la médecine conventionnelle.
En effet, différentes études, concernant
l'usage thérapeutique des plantes ont alors été
menées. Les vertus de l'Ayapana Ayapana triplinervis ou
Eupatorium triplinerve par exemple, ont été
recensées par le pharmacien C MARODON (53). L'Ayapana est reconnue pour
ses effets anticoagulants, anti agrégants, anti-dépresseurs,
hépatoprotecteurs, antiseptiques, cardiotoniques, sédatifs,
antitumoraux (cancer du sein, du foie, de la vessie, reins), antiparasitaires,
antipaludéens, antibactériens. Elle est inscrite à la
pharmacopée française depuis 2013 ; comme 18 autres plantes
réunionnaises. Mais ces études concernent la population
générale. Etonnement, il y a peu d'écrits concernant la
grossesse et le nouveau-né.
C'est aussi ce qu'ont constaté L. POURCHEZ et S. DUPE
qui en viennent à conclure que ce manque de données est
lié à un manque de savoir dans les familles et à certaines
réticences vis-à-vis du sujet (54). Les familles redoutent
l'usage des plantes pour la femme enceinte et son enfant. En effet, au temps de
l'esclavage, quand les plantes étaient utilisées par les femmes
enceintes, elles l'étaient surtout à des fins abortives. Par
ailleurs, de nombreuses tisanes sont rafraichissantes en provoquant «
l'évacuation du sang impur » (les règles), donc possiblement
un avortement. Le sujet en devient presque tabou et les connaissances se
perdent alors.
Par ailleurs, la biomédecine est parvenue à
monopoliser le suivi des femmes enceintes, qui se détachent de la
phytothérapie. Pourtant, traditionnellement les plantes ont un objectif
préventif, profitant à l'enfant. Or, le progrès dans la
prévention de certaines maladies a populairement été
attribué à l'avènement de la biomédecine. Les
femmes enceintes ont alors préféré la prévention
plus sécure de la biomédecine aux plantes. Celle-ci est parvenue
à discréditer le savoir des femmes (déjà
craintives) en mettant en avant le manque de données rassurantes
vis-à-vis de l'usage des plantes pendant la grossesse et pour
l'enfant.
L. POURCHEZ, en 2002 est parvenu à défaire le
tabou autour du sujet (8). Ses recherches se sont axées sur les
pratiques et croyances autour de la grossesse, de la naissance et de la petite
enfance et sur le savoir des femmes en matière de médecine
traditionnelle. Il s'avère que les plantes sont utilisées aussi
bien à des fins de « traitement du corps », que pour des
affections
16
psychologiques ou pour des pratiques magico-religieuses.
L'exemple le plus fréquemment cité est la tisane «
saisissement » : après un choc émotionnel, la
tisane calme l'esprit et le corps.
L'enfant, le symbole de la fertilité, est l'assurance
d'une aide future dans les vieux jours, c'est celui qui aide, qui rassure,
autant économiquement que sentimentalement. Il permet à la femme
de retrouver sa place sociale. Dès son début de grossesse et pour
la mener au mieux, la femme doit pouvoir maintenir un équilibre physique
(entre le chaud et le froid, le pur et l'impur, le fluide et
l'épais...). Elle a alors recours aux plantes. Ainsi, certaines tisanes
servent à rafraichir le corps, d'une chaleur non évacuée
habituellement par le sang des règles, et vecteur d'un risque
d'impureté, et d'épaississement du sang. Après
l'accouchement au contraire, d'autres tisanes permettent d'éviter les
« refroidissements » en aidant à retrouver la tonicité
vaginale. Pendant la grossesse comme après, le sang doit être dans
un équilibre entre le chaud et le froid, le liquide et l'épais,
le pur et l'impur (8).
Ø Les plantes utilisées autour de la
naissance à la Réunion :
Rafraîchissant Barb maïs (stigmates
Zea mays* Pharmacologie : Les stigmates de maïs sont
du maïs) diurétiques, hypotensifs,
stimulants utérins
et immunostimulants
Accélérer Jus de citron
Citrus limon
l'accouchement
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Indications Noms vernaculaires Noms scientifiques
Autre : résultats d'études pharmacologiques
(32)indications communes
(55)
Fluidification du
sang et « tanbav », rafraichissant pour les
nourrissons
|
Liane d'olive Secamone volubilis
(Lam) Maraiis*
|
Pharmacologie : hypotensive,
diurétique, antioxydante, antiradicalaire
A la Réunion, elle est utilisée contre les
infections urinaires et vaginales également (56).
|
|
Col-col Sigesbeckia orientalis* Pharmacologie : A
Madagascar,
Sigesbeckia orientalis traite les
ulcères, furoncles, plaies infectées ; elle y est CONTRE-INDIQUEE
CHEZ LA FEMME ENCEINTE ET L'ENFANT de moins de 5ans
Bois cassant Psathura borbonica Selon Roger LAVERGNE,
en dehors de la
grossesse , on l'utilise aussi comme hypotenseur, comme
rafraîchissant, pour calmer les inflammations urinaires ou encore
contre les ménorragies
Jean Robert Euphorbia hirta Pharmacologie : contre
les gastro-entérites et
les diarrhées
Ambrovate Cajanus cajan* Pharmacologie : à
Madagascar, Cajanus cajan est recommandée
comme anti-diarrhéique, hypoglycémiant, dans les troubles
cutanés, en supplémentation protéique
Col-col Sigesbeckia orientalis* Pharmacologie :
cicatrisant
Nausées et
vomissements
Cicatrisation après accouchement
Cicatrisation, Tamarin Tamarindus
indicus* Pharmacologie : A Madagascar, la plante est
« Reprendre des recommandée pour
ces mêmes propriétés en
forces » plus de ses autres vertus
|
|
|
« Tanbav » (57) Ti Coeur de
pêche Prunus persica
associé à :
+ Ayapana Ayapana triplinervis*
+ Bleuette Stachytarpheta
jamaicensis*
|
Pharmacologie : A Madagascar,
Stachytarpheta jamaicensis
est recommandée comme fébrifuge,
analgésique, sédatif, antidiarrhéique, hypotenseur et
antispasmodique.
|
|
+ Camomille Parthenym hysterphorus
« Tanbav » des petits
garçons
Romarin Rosmarinus officinalis*
Patte poule Vepris lanceolata*
Feuilles de Combava Citrus hystrix
Petit Carambole Bulbophyllum nutans
Lanis Foeniculum dulce*
Affouche rouge Ficus rubra Vahl Aussi appelé
affouche à grandes feuilles
Bois d'Osto Antirrhea borbonica*
Ti Coeur de pêche Prunus persica
associé à :
|
+ camomille Parthenium
hysterophorus
|
Col-col associé à : Sigesbeckia
orientalis*
|
|
|
+ Ambaville Hubertia ambavilla*
+ lingue café* Mussaenda arcuata
Poiret*
|
|
Bleuette asssocié à : Stachytarpheta
jamaicensis
+ tiouette Cardiospernum
halicacabum
|
|
+ capillaire Adiantum pedatum*
17
+ camomille Parthenum hysterphorus
Indications
|
Noms vernaculaires
|
Noms scientifiques
|
Autre : résultats d'études
pharmacologiques
|
|
|
|
(32) indications communes (55)
|
Rhumatisme, refroidissement,
plaies, contusion, nourrisson
|
Patte poule
|
Vepris lanceolata*
|
Pharmacologie : antipaludéen, antioxydant,
antibactérien
|
« paralysé »
|
|
|
|
Galactogène
|
Affouche rouge
|
Ficus rubra Vahl
|
Aussi aappelé affouche à grandes feuilles
|
|
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Contre le « lait contrarié
»
Coeur de Landrez Celtis madagascariensis
(bois d'Andrèze =Trema orientalis (L) Blum.
Ulmacées)
Fébrifuge
Bringelier Solanum mauritianum
Sevrage Mazambron, Aloes Aloe
barbadensis*
Calmer le nouveau- Sensitive Mimosa pudica
Pharmacologie : A Madagascar, la
Sensitive
né est recommandée comme
anti-oxydante, anti-
inflammatoire, anti-ulcéreuse etc. en externe
ou en interne à courte durée
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Purgatif chez le nouveau-né
Herbe à vers Chenopodium
ambrosoïde L*
Potentiel toxique
Papaye Carica papaya Linné* Plutôt
utilisé contre les diarrhées
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Goyavier Psidium guajava*
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Muguet buccal chez le bébé
Cochlearia associé à : Centella asiatica*
Pharmacologie : Centella asiatica est
recommandé à Madagascar comme cicatrisant,
veinotonique, sédatif, anti-ulcéreux, immunomodulateur etc.
Une faible activité mutagène a cependant
été mise en évidence.
+ café fort Coffea arabica
+ colan (= col-col) Sigesbeckia orientalis*
+ coeur de framboisier Rubus apetalus Poir
Eugenia uniflora
Fièvre du bébé Feuilles de
cerise
(coeur cerise) associé à :
Aloes, mazambron Aloe barbadensis*
Huile de ricin Ricinus communis* Huile
chauffée (non toxique) + beurre de
cacao
Lanis Foeniculum dulce*
Ayapana Ayapana triplinervis*
Betel maron Piper sarmentosum spp Pharmacologie : A
Madagascar, elle est
utilisée comme digestive,
anthelmintique etc. Elle peut être toxique
Coliques du
nouveau-né
+ patte poule Vepris lanceolata*
Rhume de l'enfant Tiloc : beurre de cacao
associé à :
+ Bleuette Stachytarpheta
jamaicensis*
+ coeur de peche Prunus persica
Contre le rhume, « l'oppressement » = rhume,
ou glaires du nouveau-né
Racine de safran-péi associé à :
+ zerbabouc Ageratum conyzoides*
+ jean robert Euphorbia hirta* Pharmacologie : A
Madagascar, Euphorbia hirta est recommandée
en tant qu'anti-spasmodique, antibactérienne, analgésique,
anti-inflammatoire et antipyrétique, sédatif et anxiolytique
etc.
Curcuma longa L.
Zingibéracées
+ racines zerb tombé Leucas lavandulifolia
Smith
Lamiacées *
+ Ambrovate Cajanus cajan*
18
Renforcement des os du nouveau- né
Bains de riz ou « eau de riz »
Oriza sativa L. Poacées
Col-col associé à : Sigesbeckia
orientalis*
+ Ambaville Hubertia ambavilla*
+ lingue café* Mussaenda arcuata
Poiret*
Plaies chez le
nouveau-né et l'adulte
Arrow-root Maranta arundinaceae
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Indications Noms vernaculaires
Noms scientifiques Autre : résultats d'études
pharmacologiques
32 ? indications communes (55)
Barb maïs associé à : Zea
mays*
+ change écorce Aphloia theiformis*
Pharmacologie : stimulant cardiaque,
diurétique, anti-radicalaire, anti-collagénase,
prévention de l'hémolyse, anti-bactérien,
anti-inflammatoire
« Jaunisse » du
nouveau-né
« gratèl » de l'enfant
Bois cassant associé à : Psathura
borbonica
19
+ Ambaville Hubertia ambavilla* Antiulcéreux
gastrique, anti-oxydant, anti-
radicalaire
+ pattes de lézard Phymatodes
scolopendria
|
|
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Bois maigre Nuxia verticillata* Pharmacologie :
antiproliférative,
antioxydante
Jean Robert Euphorbia hirta*
Herbe à bouc Argeratum conyzoïdes*
Change écorce Aphloia theiformis*
Colan, kol-kol Sigesbeckia orientalis*
Diarrhées sanglantes chez l'enfant
Gros chiendent Eleusine indica
Millefeuilles péi Conyza sumatrensis
(Retz) EH Walker Astéracées
Rougette Euphorbia prostrata
Bois cassant Psathura borbonica
« Vérette » chez le
nourrisson
Patte poule Vepris lanceolata (Lam)
G.Don*
« ti coeur cerise » Eugenia
uniflora
Romarin Rosmarinus officinalis*
Bois d'arnette Dodonea viscosa*
Olea europaea
L.subsp.africana*
Bois de cerf*, Bois d'olive noir
Pharmacologie : analgésique, anti-
inflammatoire, myorelaxant, antibactérien,
anti-parasitaire, etc.
Bois d'Osto Antirrhea borbonica* Pharmacologie :
hypotensif, diurétique,
antipaludéen
Contre la « crise » : convulsions,
fièvre, épisodes spasmodiques liés aux vers
Saisissement de
l'enfant
Romarin Rosmarinus officinalis*
Thym vert Thymus vulgaris*
Marjolaine Origanum majorana*
Problème de hanche chez le
nouveau-né
Camphre ou camphrier Cinnamomum camphora Interdiction
formelle avant 12 ans
Géranium rosat Pelargonium x asperum
Ehrh.
mazambron, aloes Aloes barbadensis*
« Katar » du
nouveau-né
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Bringelier Solanum mauritianum
|
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Huile de ricin Ricinus communis
|
|
Benjouin Terminalia bentzoe (L)
|
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Jus de safran cru Curcuma longa
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Ti-Cannelle Cinnamomum cassia
Nees.
|
|
Safran vert Curcuma longa
Tableau 5 : plantes à usage traditionnel
à la Réunion
*plantes inscrites à la Pharmacopée
Française
Les professionnels de terrain insistent sur le fait que
l'efficacité et la toxicité des plantes dépendent de la
dose utilisée. Chez le nouveau-né, les doses sont en
général restreintes. FB, sage-femme libérale, conseille
aux femmes « d'essayer de petites doses » des tisanes
conseillées par la famille, et d'observer les réactions. Elle
fait confiance au système empirique en gardant quelques
précautions. « Dans les familles créoles ça se passe
comme ça depuis des générations, et tout le monde est bien
(en bonne santé). Franswa Tibère, tisaneur, et Raymond
20
Lucas, botaniste, insistent sur le fait que si la plante n'a
pas été efficace au bout de 3 jours, il faut changer de
traitement.
Par ailleurs, il est nécessaire avant de conseiller
une plante, de connaître un minimum la personne. Kakouk, tisaneur reconnu
par l'APLAMEDOM, explique qu'il a des questions à poser aux personnes
avant de leur conseiller des plantes. De même, Franswa Tibère ne
donne pas de plante au mari mais le renvoie chercher son épouse avant de
lui donner des plantes médicinales. Selon lui, il y des plantes qui
correspondent à telle ou telle personne. Il y a des plantes à
éviter selon le profil de la femme ou de l'enfant.
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