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Museomix: people make museums

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par Joris Astier
Université Paris IV-Sorbonne - Master 2 2018
  

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Joris ASTIER

Mémoire

Master 2 Conseil éditorial

Sous la direction du Professeur Eric LEGUAY

Université Paris-Sorbonne - UFR de Philosophie Année 2016-2017

MUSEOMIX

People Make Museums

Merci enfin à ma famille et mes amis pour leurs relectures et leur présence quotidienne.

REMERCIEMENTS

Je tiens tout d'abord à remercier l'ensemble du corps enseignant du Master 2 Conseil éditorial qui a su nous apporter tous les outils nécessaires à notre incursion progressive dans le monde professionnel.

Merci en particulier à Eric Leguay qui m'a suggéré ce sujet sur lequel j'ai pu trouver des pistes de réflexion fascinantes et qui a aiguillé l'élaboration de ma rédaction.

Aussi, merci à la promotion du Master 2 conseil éditorial pour son soutien quotidien et sa joie de vivre grâce à laquelle nous avons pu travailler dans d'agréables conditions.

Merci encore à One Heart Communication pour m'avoir transmis les compétences et le savoir-être que mon poste de chef de projet junior et responsable de production nécessitait.

SOMMAIRE

INTRODUCTION P. 1

PARTIE I - MUSEOMIX : L'HISTOIRE D'UNE CULTURE COLLABORATIVE P. 4

A/ EMERGENCE D'UNE NOUVELLE FAÇON DE TRAVAILLER LA MATIÈRE CULTURELLE P. 4

B/ UN MODÈLE COLLABORATIF RÉPLIQUÉ : L'ENGOUEMENT CROISSANT AUTOUR DU CONCEPT

MUSEOMIX P. 6

PARTIE II - MUSEOMIX 2016 : UNE CULTURE COLLABORATIVE AU SERVICE DE LA PERFORMANCE

MUSÉALE ? P. 10

A/ AVANT L'ÉVÉNEMENT P. 10

B/ PENDANT L'ÉVÉNEMENT P. 11

C/ APRÈS L'ÉVÉNEMENT P. 13

PARTIE III - PROBLÈMES, INFLUENCE ET PERSPECTIVES D'UN DISPOSITIF DE MÉDIATION

CULTURELLE P. 15

A/ PROBLÈMES ET SOLUTIONS POTENTIELLES P. 15

B/ INFLUENCE P. 16

C/ PERSPECTIVES P. 18

CONCLUSION P. 20

ANNEXES P. 22

ENTRETIEN P. 37

SOURCES MOBILISÉES P. 40

1

INTRODUCTION

Depuis plusieurs années se dessine une modernisation de la société. L'explosion du numérique et des nouveaux usages qu'il introduit nous offre des perspectives d'amélioration qui nous paraissent aujourd'hui sans limite. Que ce soit à l'échelle de l'individu ou à celle des rapports internationaux, le numérique modifie en profondeur notre façon de penser, d'interagir et d'agir. Il impacte toutes nos activités et apporte une multiplicité des solutions qui nous permettent d'offrir des services adaptés aux nouveaux besoins qu'il a lui-même créés.

Dans le secteur de la culture, il a radicalement transformé les usages et facilité l'accès à l'information, et donc sa diffusion. L'exemple de la Bibliothèque nationale de France constitue à cet égard un exemple frappant. Lancée en 1997 par la BnF, la bibliothèque en ligne Gallica recense aujourd'hui plus de 4 millions d'ouvrages accessibles à tous ceux munis d'un ordinateur, en seulement quelques clics. L'accessibilité atteint son paroxysme par le numérique.

L'espace muséal n'a pas non plus été mis à l'écart de ce nouveau système évolutif. Pour promouvoir l'accès aux oeuvres, les musées améliorent depuis les années 2000 leur maîtrise des outils technologiques1 et commencent aujourd'hui à privilégier l'usage de l'open data. Ainsi le Rijksmuseum d'Amsterdam, la National Gallery de Washington, le Getty Research Institute de Los Angeles et le Metropolitan Museum of Art de New York proposent-ils des bibliothèques en ligne contenant des centaines de milliers d'images haute définition des oeuvres qu'ils possèdent. De plus, leur téléchargement est gratuit et, la grande majorité de ces réalisations étant tombée depuis longtemps dans le domaine public, leur utilisation est libre de tout droit, même à des fins commerciales. Mais l'innovation culturelle ne s'arrête pas là. La Smithsonian Institution, soucieuse d'offrir aux utilisateurs la possibilité de posséder l'oeuvre de leur choix chez eux, a lancé une visionneuse en ligne qui permet au public de manipuler les objets en 3D. Au total, 14 millions d'oeuvres figurant parmi ses collections ont été sélectionnées pour être numérisées et potentiellement imprimées en volume dans les foyers2. Un tournant dans l'histoire muséal a été amorcé.

Cette volonté d'innovation s'inscrit dans un élan plus global d'interactions entre les musées et le public3. Depuis plusieurs années, les acteurs du milieu cherchent de nouvelles approches pour

1 Dominique Gélinas, « Le sensorium synthétique : réflexion sur l'utilisation de l'expographie immersive numérique et muséale », Conserveries mémorielles [En ligne], #16 | 2014, mis en ligne le 25 septembre 2014, consulté le 08 octobre 2017. URL : http://cm.revues.org/2000

2 http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/tourisme-loisirs/20140818trib000844827/le-numerique-reinvente-la-consommation-culturelle.html

3 Michel Côté, « Préface » dans Lucie Daignault, Bernard Schiele, Les musées et leurs publics : savoirs et enjeux, Presses universitaires du Québec, Québec, 2014, préface.

2

impliquer davantage les visiteurs dans l'évolution et la transmission de la culture4. En témoignent les nombreuses initiatives qui transforment en profondeur l'expérience muséale. Des serious games aux activités immersives par réalité virtuelle, en passant par les nombreuses applications disponibles sur mobile, les lignes de partage entre le spectateur et l'acteur semblent s'effacer progressivement. Le musée tend à devenir un symbole emblématique du vivre ensemble et du faire ensemble5. Avec l'éventail d'objets technologiques qui est mis à sa disposition, le public a davantage le sentiment de « construire » ou de « vivre » l'univers muséal plus qu'il ne l'observe passivement. Le cas d'Erasme, le laboratoire d'innovation ouverte du département du Rhône, est à ce titre significatif. Ce « living lab », ouvert à tous, met les technologies au service de la transmission du savoir ou de l'action sociale en appliquant de nouvelles méthodes, telles que le co-design ou le détournement de la culture numérique6. Son Museolab, un espace de maquette et d'expérimentation autour du numérique et de la muséographie, vise à tester de nouveaux concepts qui pourront être intégrés aux futurs projets des musées. Dans cette dynamique de transformation culturelle, citoyens, habitants et usagers sont considérés comme les acteurs clés du processus de recherche et d'innovation.

De cette volonté de construction collective et collaborative est né Museomix. Ce concept, qui a officiellement vu le jour en 2011, est un événement annuel créatif7 consacré aux nouvelles formes de médiation et au numérique. S'inspirant du hackathon, il réunit pendant trois jours des participants, dont les profils doivent être variés afin d'apporter une diversité des idées et des compétences8, pour concevoir et prototyper des expériences innovantes au coeur d'un musée. Museomix a aussi pour objectif de faire naître une communauté « techno-culture » mélangeant passionnés de musées et passionnés de nouvelles technologies pour que des projets concrets puissent émerger9. Cinq principes régissent le fonctionnement du concept :

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- un musée forum : transformer l'expérience de visite des publics à travers des dispositifs favorisant l'échange, le partage, la contribution des publics entre eux et du public avec les institutions

4 Lucie Daignault, L'évaluation muséale : savoirs et savoir-faire, Presses universitaires du Québec, Québec, 2012, p. 1.

5 http://www.culturecommunication.gouv.fr/content/download/158462/1722777/version/2/file/MCC_20170303_DP-Mus%C3%A9es-XXI%C3%A8me-si%C3%A8cle.pdf.

6 http://www.erasme.org/#all

7 Lucas Introna, Donncha Kavanagh, Séamas Kelly, Wanda Orlikowski, Susan Scott (eds.), Beyond Interpretivism? New Encounters with Technology and Organization, Springer, New York, 2016, p. 152.

8 http://www.lemonde.fr/arts/article/2014/11/07/museomix-le-marathon-creatif-connecte-remixe-les-musees_4520468_1655012.html

9 Serge Chaumier, Camille Françoise, « Museomix : l'invention d'un musée du XXIe siècle », La Lettre de l'OCIM, 156, 2014, p. 7.

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- un musée ouvert : dispositif critique des institutions culturelles

- un musée laboratoire : expérimenter et tester des prototypes de médiation

- un musée en réseau : mutualiser les attitudes, les connaissances, l'expérience de professionnels de la culture ayant des intérêts divers et variés

- une gouvernance horizontale : favoriser le travail en équipes et l'autonomie, conjuguer les talents de ses contributeurs.

En plaçant au coeur du processus d'innovation la collaboration, Museomix ouvre de nouvelles perspectives sur la façon de penser l'évolution du milieu culturel. Par son intermédiaire, une nouvelle voie a été ouverte : la culture collaborative.

Au travers du prisme de Museomix et des mécaniques technologiques et sociales qu'il mobilise, nous tenterons de mesurer tous les enjeux de cette nouvelle approche que représente la culture collaborative.

Dans un premier temps, nous nous efforcerons d'observer l'évolution et la diffusion de cette culture collaborative à travers les différentes éditions de Museomix, en nous concentrant sur les effets qu'elle produit sur les participants, les institutions et le public.

Dans un second temps, nous nous focaliserons sur la dernière édition en date pour saisir le fonctionnement du mécanisme et ses résultats.

Enfin, nous tenterons d'adopter une démarche analytique et prospective pour mesurer l'inßuence qu'exerce Museomix dans le milieu culturel via la culture collaborative.

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PARTIE I

MUSEOMIX : L'HISTOIRE D'UNE CULTURE COLLABORATIVE

EMERGENCE D'UNE NOUVELLE FAÇON DE TRAVAILLER LA MATIÈRE CULTURELLE

Au commencement, des acteurs de l'univers muséal observent un décalage important entre les pratiques de médiation instaurées par les institutions culturelles, les pratiques sociales du numérique et le potentiel en termes de médiation que possèdent les nouveaux médias. Soucieux d'offrir une place d'« acteur » de l'institution muséale aux visiteurs et non de « consommateur », ils ouvrent la voie à la culture collaborative. En 2011 naît alors la première édition de Museomix.

A l'origine de Museomix, une équipe diversifiée alliant particuliers et structures innovantes. Samuel Bausson, webmaster du musée de Toulouse, et Julien Dorra, enseignant des nouvelles technologies dans plusieurs écoles et facultés, s'associent à Buzzeum, une agence spécialisée dans l'innovation culturelle, à l'agence nod-A, experte en conseil des pratiques innovantes, et au centre Erasme pour donner forme à ce nouveau concept. La première édition se tiendra au musée des Arts décoratifs à Paris. Des appels à projets sont alors lancés11 et les équipes retenues, constituées de chefs de projets, de médiateurs, de développeurs et de bien d'autres métiers divers et complémentaires (Annexes, Fig. 1), travailleront intensément pendant trois jours pour donner corps à leurs idées (Annexes, Fig. 2).

Sébastien Magro, chef de projet numérique et participant de cette première édition, nous livre son sentiment à la sortie de l'événement : « Soudain, le numérique au musée n'était plus pour moi un centre d'intérêt personnel et professionnel, c'était devenu une réalité, partagée par au moins une centaine de personnes capables de donner de leur temps pour un projet utopique : (re)mixer le musée12. » Le concept suscite l'engouement chez les participants. Une situation dialogique s'instaure non seulement entre ces derniers mais également entre l'oeuvre et le museomixeur13. Parce qu'il développe les principes collaboratif et participatif, le fonctionnement de Museomix s'inscrit au coeur des tendances actuelles, notamment dans celles du développement durable. Le musée citoyen,

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http://www.ladn.eu/news-business/actualites-agences/museomix-remixe-les-musees/

http://blog.sebastienmagro.net/2012/05/21/retour-sur-museomix-premiere-edition/

Serge Chaumier, La médiation culturelle, Armand Colin, « Collection U », Paris, 2013, p. 118-119.

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évoqué depuis plusieurs années, trouve dans cet événement annuel son terrain d'accomplissement, puisqu'il ajoute aux anciennes espérances écomuséales les formes les plus évoluées et les aspects les plus technologiques du « fab-lab »14. Plus encore, il ouvre de nouvelles perspectives sur la façon de construire la matière culturelle. Le même témoin poursuit : « Je retire aussi de cette expérience une grande confiance en l'avenir et en l'évolution des institutions culturelles : malgré les lenteurs administratives, malgré leur fonctionnement vertical et hiérarchique, je reste persuadé que les musées ont la possibilité de changer, d'évoluer pour intégrer le numérique dans leur fonctionnement. Plus largement, je crois que les institutions culturelles pourront s'ouvrir aux dimensions participatives et collaboratives qui découlent du numérique, si elles s'appuient sur leur deux grandes forces : la richesse de leurs contenus et l'énergie dont sont capables leurs communautés15. »

Le rôle du public est lui aussi central dans le processus d'innovation. A distance, par le biais du numérique, il s'intègre au modèle collaboratif par deux modes d'intervention. Premièrement, il peut apporter son soutien par une contribution financière. En effet, Museomix fonctionne sur le volontariat et certains des participants se proposent même de payer leur logement pour réduire les coûts que l'événement engendre (planification et organisation, matériels technologiques, logistiques d'accueil, promotion et diffusion, etc.). Nous retrouvons aujourd'hui sur internet des traces laissées par la participation financière du public pour cette première édition. Le site de financement participatif Ulule dévoile par exemple une collecte de dons s'élevant à 500 euros et atteignant 100% des objectifs fixés (Annexes, Fig. 3). L'intérêt suscité par le concept ne se limite donc pas aux participants.

Deuxièmement, il ne faut pas minimiser le poids des réseaux sociaux dans la diffusion du savoir et dans la construction collective des idées innovantes. De plus en plus munis de community managers et de communicants, les musées s'accaparent progressivement le web 2.0 pour en faire un outil de communication culturelle efficace. Le concept Museomix repose aussi en partie sur la communication. C'est de cette façon qu'il se fait connaître et qu'il attire de nouveaux participants. Mais les équipes Museomix sont aussi souvent composées de communicants dont le rôle est de relayer leurs projets sur les réseaux. Les internautes sont ainsi conviés à participer au processus de création, qui devient dès lors extra-muros et d'intérêt public. Ils peuvent donner leurs avis et

14 Le « fab-lab » (contraction de l'anglais fabrication laboratory, laboratoire de fabrication) est un lieu ouvert à tous dans lequel toutes sortes d'outils servant à la conception et la réalisation d'objets, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, sont mis à disposition du public.

15 http://blog.sebastienmagro.net/2012/05/21/retour-sur-museomix-premiere-edition/

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proposer des pistes d'amélioration pour les projets diffusés. Par les interactions sociales qu'il mobilise, le numérique offre à l'objet créatif des possibilités évolutives quasiment infinies.

Au terme de cette première édition, onze prototypes ont pu voir le jour et être présentés au public. Parmi eux, le projet Strat, l'un des plus ambitieux d'un point de vue muséographique, retiendra l'attention. A travers ce concept, il s'agit d'augmenter numériquement une pièce entière du musée, le Cabinet des fables, par des technologies immersives utilisant uniquement le déplacement du visiteur comme interface (Annexes, Fig. 4). Par l'immersion, le visiteur est beaucoup plus affecté par son expérience muséale16. Mais les concepts innovants et les futurs projets fusent déjà dans l'esprit des participants. Le témoignage d'Yves-Armel Martin, fondateur du centre Erasme, en dit long sur cette véritable réaction en chaîne des idées que produit Museomix : « En entendant les conversations autour de cette salle, cela m'a donné l'idée d'un sujet à exploiter : parmi les fables présentées dans ce cabinet, certaines nous sont inconnues. Il y aurait un beau projet à monter de participation des publics (en ligne ou en atelier) pour imaginer et écrire ces fables disparues simplement en partant de leur traces picturales dans cette pièce17. » Au moment même où l'événement s'achève, le modèle Museomix est déjà destiné à être répliqué.

UN MODÈLE COLLABORATIF RÉPLIQUÉ : L'ENGOUEMENT CROISSANT AUTOUR DU CONCEPT

MUSEOMIX

Le modèle proposé par Museomix séduit tant le public que les acteurs du milieu muséal. Le ministère de la culture l'accompagne le soutient également18. Après le succès de l'édition de 2011, d'autres voient le jour. Les 19, 20 et 21 octobre 2012 se tient la deuxième édition du concept, au musée Gallo-romain de Lyon Fourvière cette fois, et aboutit à la création de huit prototypes19. Mais c'est en 2013 qu'il prend véritablement son essor. Six lieux, répartis sur trois pays, accueillent pendant trois jours des participants de toutes professions. Ainsi les musées de Grenoble, Lens, Nantes, Paris, Québec et Shropshire ouvrent-ils leurs portes à la culture collaborative. Il en ressort une répartition majoritairement française mais qui préfigure néanmoins un élargissement du modèle à l'échelle internationale.

16 Florence Belaën, « L'immersion dans les musées de science : médiation ou séduction ? », Culture & Musées, n°5, 2005, p. 99.

17 http://www.erasme.org/Strat

18 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000331.pdf

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VOIR LE SITE OFFICIEL DE MUSEOMIX : HTTP://www.MUSEOMIX.ORG/EDITIONS/EDITION-2012/

Mais pourquoi le concept est-il aussi rapidement repris par les institutions culturelles ? Outre cet aspect de co-construction entre le public et les musées, l'efficacité de l'événement convainc à bien des égards. L'intérêt qu'ont les institutions d'intégrer Museomix à leur système évolutif est évident. Véritable laboratoire de recherche en innovation et lieu d'expérimentation, regroupant chercheurs, testeurs et techniciens de tous horizons, tels que peu de structures peuvent se permettre de financer, il représente une aubaine. Les participants s'investissent énergiquement en peu de temps et produisent des projets concrets, tandis que le coût total de l'opération reste moindre. Des pistes de renouvellement leur sont ainsi proposées sans grand investissement financier de leur part.

Mais, au-delà de ce profit, l'événement représente aussi pour les institutions une stratégie de positionnement. En se faisant l'hôte de Museomix, le lieu d'accueil se situe à l'intersection entre culture et technologie et se positionne clairement comme incubateur de solutions culturelles innovantes. Grâce à cette stratégie, les institutions partent à la conquête de nouveaux publics. Combien de passionnés de nouvelles technologies ne se seraient jamais déplacés au musée sans lui ajouter une dimension hautement innovante ? L'intérêt porté à l'espace muséal naît alors des médiations qu'il est possible d'y déployer, et non l'inverse.

Enfin, plus en arrière-plan parce que plus aléatoire, Museomix peut également permettre de repenser le système hiérarchique et les rapports de travail au sein même des institutions culturelles. En participant à l'événement, les musées choisissent logiquement de s'y impliquer pleinement. Au moins une partie du personnel s'investit, quelque soit sa position hiérarchique, pour collaborer à un projet commun de manière égalitaire, sans distinction sociale ni professionnelle. En revisitant son fonctionnement interne l'espace de quelques jours, le musée peut s'ouvrir sur de nouvelles façons de travailler et conserver « l'esprit Museomix » après l'achèvement de l'opération. La nouvelle dynamique professionnelle insufflée pendant les longs mois de préparation et pendant ces trois jours intenses est susceptible d'imprégner les méthodes de travail du personnel et de les faire perdurer sur le long terme. Mais ce schéma est aléatoire puisqu'il dépend de la façon d'entrevoir le concept. Il ne peut fonctionner lorsque le lieu d'accueil n'y voit qu'un moyen efficace pour communiquer sur sa modernité. Ainsi le musée de Louvre-Lens a-t-il délaissé cette dynamique après l'achèvement de l'opération, à l'inverse des musées de Lyon et de Grenoble. Museomix est pourtant une belle occasion de dénicher de nouvelles formes de management d'équipes, plus collaboratives et moins soumises à l'autorité hiérarchique. Pour Catherine Barra, chercheuse-archéologue et museomixeuse, avec qui nous avons réalisé une interview, Museomix est une expérience incroyable qui ne peut qu'imprégner le personnel du musée après son achèvement : « Museomix ne peut pas ne pas laisser de traces. On ne peut pas accueillir 150 personnes le week-end, s'impliquer à fond avec elles pour bâtir des projets concrets qui peuvent changer les choses, et retourner au même endroit le

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lundi sans que cette énergie n'ait impacté le personnel20. » L'institution tend à se transformer en profondeur21.

De l'édition de 2013 éclosent alors cinquante-huit prototypes, dont dix-huit en dehors de l'hexagone22. L'événement produit sur les participants une émotion tout aussi vive que lors de la première édition. Myrlène Numa, museomixeuse experte en technologie et fonctionnement, témoigne : « J'ai découvert Museomix au détour d'un tweet, j'ai d'abord été très étonnée par l'originalité du concept. C'est un véritable challenge d'arriver à élaborer des propositions originales qui apporteront de nouvelles perspectives dans la manière d'appréhender le musée. Je suis convaincue qu'un tel événement participe à en faire un lieu ouvert à tous, en connexion avec son temps et qui puise dans différents univers pour mener à bien sa mission d'éducation et de médiation. Lorsque je vois la qualité des prototypes des éditions précédentes et la matière que l'on a à disposition ici à Nantes mais aussi sur les autres lieux de la manifestation, je me dis qu'il y a un beau défi à relever 23. »

C'est pourquoi s'enchaînent les éditions et se multiplient les pays d'accueil. Le concept répond aux attentes d'une société en quête d'innovation par l'échange culturel et technologique. Qu'il s'agisse des individus ou des institutions, le culture collaborative ouvre de nouvelles voies de médiation grâce auxquelles naissent des solutions innovantes fondées sur une dynamique de travail transformée.

Dans les années suivantes, le concept continue logiquement à gagner en notoriété. En 2014, sept musées accueilleront l'événement, répartis sur quatre pays (France, Canada, Angleterre et Suisse), avec toujours une dominante française. En 2015, nous assistons à une plus vaste expansion du phénomène, qui touche onze musées dans cinq pays24 (France, Canada, Suisse, Belgique et Mexique), avec cette fois une majorité extra-nationale (Annexes, Fig. 5). Un goût prononcé pour la culture collaborative se diffuse dans le monde entier. Mais ce modèle, aussi innovant soit-il, est-il si performant ? Amène-t-il à des résultats probants ? Une fois l'événement achevé, que reste-t-il concrètement de Museomix dans le musée ? Pour répondre à ces questions, il nous faudra, en nous

20 Entretien téléphonique réalisé avec Catherine Barra, le 7 octobre 2017. L'intégralité de l'entretien se trouvera à la fin de cette étude.

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Paul Rasse, Le musée réinventé. Culture, patrimoine, médiation, CNRS éditions, Paris, 2017, p. 2.

http://www.museomix.org/editions/edition-2013/

http://www.museomix.org/wp-content/uploads/2013/07/dossier-de-presse-museomix.pdf

24 http://www.20minutes.fr/rennes/1729779-20151113-rennes-marathon-creatif-week-end-musee-bretagne

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focalisant sur la dernière édition en date (2016), analyser dans son ensemble le déroulement et la construction du modèle collaboratif proposé par Museomix.

PARTIE II

MUSEOMIX 2016 : UNE CULTURE COLLABORATIVE AU SERVICE DE LA
PERFORMANCE MUSÉALE ?

AVANT L'ÉVÉNEMENT

Suite au succès de l'édition de 2015 sont lancés, comme chaque année, en janvier, des appels à projets en vue de l'édition suivante. Depuis sa création, l'organisation pré-événementielle du concept n'a que très peu changé dans son fonctionnement, excepté le fait qu'avec le déploiement géographique qu'ont connu les précédentes éditions, Museomix est désormais administré par zones (à peu près équivalentes aux régions en France puis, en dehors, chaque pays correspond à une seule zone). Les porteurs de projets se manifestent alors et sont sélectionnés par la zone géographique dans laquelle ils se trouvent. Dans le même temps et de la même façon, les musées qui souhaitent participer à l'opération prennent contact avec la zone qui les concernent. Tous les musées, pourvu qu'ils répondent aux critères nécessaires pour recevoir un Museomix (l'espace, les oeuvres, les ressources humaines dont ils disposent, etc.) sont de fait sélectionnés. Une organisation avec les musées doit être effectuée en amont pour prévoir les espaces et les aspects pratiques (un large espace de travail pour toutes les équipes, un fab-lab comprenant toutes les machines, un espace média destiné aux lives, etc.). Une fois les projets et les musées sélectionnés, les appels à participation commencent. Comme nous l'avons déjà évoqué, les métiers exercés ne sont pas un critère d'exclusion, car c'est de la diversité professionnelle que naîtra l'innovation culturelle. Néanmoins, le nombre de participants par musée est limité et déterminé en fonction de l'espace dont ce dernier dispose. Ce qui, malgré tout, n'empêche pas un participant de demander à être affecté à un autre musée situé dans une région plus lointaine. Les participants sont répartis en six catégories pour assurer l'équilibre des différents groupes :

- interactions et usages (muséographie, UX, etc.),

- communication et diffusion (community management, rédaction, etc.)

- fabrication (mécanique, menuiserie, etc.)

- technologie et fonctionnement (développement web, électronique, etc.)

- contenus (conservation, recherche, etc.)

- magic (tout ce qui est externe aux autres domaines).

11

Ces appels à participation sont ouverts jusqu'à la fin septembre. A l'approche du jour J, l'équipe web est déjà mobilisée pour assurer la communication en ligne autour de l'événement, tandis que l'équipe d'organisation s'occupe des derniers préparatifs sur place, dans les musées. L'édition commence alors à la fin du mois d'octobre ou au début du mois de novembre. En 2016, l'événement se tient presque simultanément dans les 15 musées participants, du 10 au 13 novembre. Cette sixième édition se déroule en France, en Suisse25, au Canada, en Italie et en Belgique.

PENDANT L'ÉVÉNEMENT

Les 10 et 11 novembre, les participants se réunissent et se rencontrent dans les différents musées où ils se sont préalablement inscrits. Les porteurs de projets pitchent alors leurs idées et chaque participant rejoint le projet par lequel il est le plus attiré. Les organisateurs, quant à eux, veillent à la bonne répartition des compétences au sein de chaque groupe, constitué de six, sept ou huit personnes. Le travail de brainstorming peut alors être engagé 26 (Annexes, Fig. 6). Les différentes équipes commencent à échanger des idées, explorer la situation, imaginer les solutions possibles avant de cadrer leur projet et de s'accorder sur une direction commune. Les membres de l'équipe se documentent, cherchent des exemples effectués ailleurs (travail de benchmark) et réalisent des schémas et des storyboards d'interaction. Ils jouent également les variations de scénarios possibles dans les espaces d'exposition pour penser le prototype le plus adapté au besoin identifié. Les coachs sont là pour aider, donner des indications, pointer sur des opportunités et créer des liens de mutualisation entre les équipes. Le soir, chaque équipe présente son projet aux autres. Elle explique la manière dont l'expérience muséale du visiteur sera transformée une fois le dispositif mis en place. Ce qui permet de se poser des questions entre équipes pour dénicher de nouvelles idées créatives. C'est aussi un moment collectif privilégié pour construire une cohésion entre tous les participants. Car Museomix n'est pas un marathon créatif concurrentiel ou compétitif ; la collaboration est effective non seulement au sein des équipes mais aussi entre elles. Au musée Tolomeo de Bologne (Italie) pitchent ainsi deux équipes, tandis qu'à Grasse six équipes présentent leurs projets et discutent de leurs idées. De l'autre côté de l'Atlantique, à Québec, c'est dans un monastère augustin que les participants échangeront autour de leurs prototypes pour alimenter le processus créatif.

25 http://fablab-leman.fr/wp-content/uploads/2017/01/FabLac-RapportActivités-2015-16.pdf

26 Timothy Kuhn, Karen L Ashcraft, Francois Cooren, The Work of Communication: Relational Perspectives on Working and Organizing in Contemporary Capitalism, Routledge, New York, 2017, p. 99.

12

Le deuxième jour est celui des tests et des ajustements. Après avoir reçu les retours de leurs pairs et des co-organisateurs, les équipes sont désormais prêtes à donner matière à leurs idées. Les prototypes sont construits et chacun exerce un rôle bien spécifique au sein de son projet : l'expert contenus garantit un prototype fondé sur des données scientifiques, le bricoleur le fabrique, le développeur le fait fonctionner, le graphiste le rend visuellement attractif, le communicant le documente et le diffuse (sur internet et les réseaux sociaux), et le médiateur proposera, lors du troisième et dernier jour, cette expérience à vivre aux visiteurs (Annexes, Fig. 7). Les facilitateurs et les coachs s'assurent que les participants avancent et les aident à se sortir de situations bloquantes. Le Tech shop met à disposition tout le matériel dont les équipes ont besoin (tablettes tactiles, systèmes sons, composants électronique, etc.) et c'est au fab-lab que les prototypes sont réalisés. Après une journée de construction intensive, les équipes montrent une video-prototype de leur projet le soir, en utilisant des Legos ou des découpages en papier. Les vidéos racontent l'histoire du visiteur, son parcours, ses actions, ses pensées et ses ressentis lorsqu'il interagit avec le prototype. La phase de construction arrive à son terme et laisse place à celle de la présentation auprès du public.

Le troisième jour, après que les participants aient terminé les derniers ajustements pendant la matinée, le public est invité à venir découvrir les prototypes créés au long de ces deux jours. En amont, les community managers et les employés du musée ont communiqué en ligne autour de l'événement pour lui offrir un maximum de visibilité. Car les visiteurs sont le public cible de l'opération. Pour Catherine Barra, ils sont le moteur qui donne tant d'énergie au concept : « Le public a une place centrale dans les Museomix. Non pas en tant qu'acteurs, mais en tant que consommateurs. Tous ces dispositifs sont créés pour le public. [É] Le but premier de l'opération, c'est le partage avec le public. Il est le cobaye et le coeur du système. L'idée est toujours de proposer quelque chose qui améliorera son expérience et qui le poussera à s'engager un peu plus dans le domaine culturel27. » Le Palais du Tau à Reims, l'un des hôtes de l'édition de 2016, communique l'événement sur son site et convie les internautes à venir visiter les projets exposés (Annexes, Fig. 8). Pour garantir le fait qu'ils se déplaceront en grand nombre, l'entrée est gratuite.

Les visiteurs observent, questionnent les équipes, doutent ou s'enthousiasment face à ces réalisations novatrices. Au musée Saint-Raymond de Toulouse, les retours d'expérience sont enrichissants. Le prototype Pose divine, qui propose au public de découvrir l'univers des travaux d'Hercule en l'invitant à adopter les poses herculéennes, attire l'attention du visiteur en gamifiant le concept. Ainsi, comme le community manager de l'équipe l'a posté sur Twitter, les familles et surtout les enfants se sont pris au jeu (Annexes, Fig. 9). Mais la médiation humaine reste l'élément le

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Entretien téléphonique réalisé avec Catherine Barra, le 7 octobre 2017. L'intégralité de l'entretien se trouvera à la fin

de cette étude.

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plus attrayant de la transmission du savoir : l'expert contenu réussit à tenir le public en haleine à travers le récit des travaux d'Hercule 28.

APRÈS L'ÉVÉNEMENT

Que reste-t-il de Muséomix après son achèvement ? Est-il un événement passager qui a seulement produit un engouement éphémère ou a-t-il réellement apporté des éléments concrets au musée ? Un peu des deux. En fait, tout dépend de la manière dont le musée souhaite exploiter la dynamique de travail qui a animé son espace pendant ces quelques jours d'effervescence. Cela vaut autant pour les rapports de travail, que nous avons déjà évoqués précédemment, que pour le devenir des prototypes réalisés pendant l'opération. Même si l'organisation de Muséomix n'inclut pas, pour le moment, la post-production systématique des prototypes, leur pérennisation est encouragée et accompagnée autant que possible. Ce sont souvent les équipes elles-mêmes qui travaillent avec le musée, ou indépendamment, à faire évoluer leurs prototypes vers une solution stabilisée. Certains musées choisissent de développer un ou plusieurs projets(s), mais le matériel qui sert à leur réalisation est prêté par des fab-lab ou d'autres structures, il faut donc le rendre. Pour pouvoir les développer, le musée doit les budgétiser et lancer des appels d'offres. Ce qui prend un certain temps puisque, sorti de Muséomix, comme nous le confirme Catherine Barra, « la `vie réelle' reprend son cours ainsi que les démarches administratives qui l'accompagnent29. »

Mais cet effort n'empêche pas les musées d'entreprendre la pérennisation des prototypes. Si la démonstration devant le public lors du dernier jour s'est avérée pertinente, le projet peut représenter un apport substantiel à l'espace muséal. En 2012, quatre des dix dispositifs ont été définitivement adoptés par le musée Gallo-Romain sur un budget propre. Pour l'année 2016, comme l'a fièrement tweeté le Museomix de la région, deux des sept prototypes présentés au musée Saint-Raymond de Toulouse seront retravaillés et mis à disposition du public dans les prochaines années (Annexes, Fig. 10). Il s'agit des projets Chaux Must Go On !, qui propose d'éclairer, par des jeux de lumière et de signalétique, le four à chaux du musée et YODO, You Only Die Once, qui permet à l'utilisateur de concevoir son propre sarcophage à partir des programmes décoratifs de la collection pour décoder les symboles qu'ils renferment 30 (Annexes, Fig. 11). Les deux prototypes sélectionnés

28

29

http://saintraymond.toulouse.fr/Museomix-au-MSR-les-prototypes-crees_a848.html

Entretien téléphonique réalisé avec Catherine Barra, le 7 octobre 2017. L'intégralité de l'entretien se trouvera à la fin de cette étude.

30 https://archeomuse.eu/2016/11/20/museomix-2016/

sont centrés sur le contenu31, reflétant l'attrait du public pour cette forme de médiation culturelle. Grâce à la mise en production des prototypes, les musées prouvent que « l'esprit Museomix » peut perdurer et que le modèle collaboratif qu'il propose produit de réels résultats dans l'espace culturel.

14

31 https://cehistoire.hypotheses.org/900

15

PARTIE III

PROBLÈMES, INFLUENCE ET PERSPECTIVES D'UN DISPOSITIF DE
MÉDIATION CULTURELLE

PROBLÈMES IDENTIFIÉS ET SOLUTIONS POTENTIELLES

Nous l'avons vu, le dispositif de médiation déployé par Museomix, malgré des résultats encore trop hétérogènes, débouche sur de très belles perspectives pour le devenir muséal. Cependant, plusieurs problèmes bridant le processus de création ou la mise en production des projets peuvent être dégagés.

L'événement laisse certes la parole à tous les participants de façon égalitaire, mais, au-delà des murs du musée, celle du public n'est guère écoutée. Que ce soit pour donner des pistes d'amélioration via les réseaux sociaux durant l'opération ou pour offrir au prototype créé davantage de consistance technologique et/ou culturelle pendant la phase de post-production, le public n'est pas pensé comme un acteur du processus créatif. Pourtant, le modèle collaboratif proposé par Museomix, qui prône la diversité comme élément central de l'innovation, s'inscrit parfaitement dans cette démarche. Donner plus de voix à la parole du public ne pourrait qu'accroître les chances de dénicher des solutions innovantes. Ainsi, des formulaires accompagnant la description des projets pourraient être diffusés, ou des systèmes de votes mis en place, afin que tous puissent donner un avis et surtout des perspectives d'évolution. Car c'est d'un engagement collectif que naîtront de réels résultats ; la réaction en chaîne des idées produite pendant l'opération, que nous avons déjà évoquée, pourrait atteindre une dimension beaucoup plus grande si la voix était aussi donnée au public.

Un autre problème est celui de la réticence des musées à recevoir l'événement. Dans l'entretien que nous avons réalisé, Catherine Barra nous en parle : « Mais le concept peine malgré tout à pénétrer les musées, qui le trouvent trop exigeant : l'accueillir implique de trouver un budget et de confier son espace à un grand groupe de personnes qui va le désordonner pendant quelques jours32. » En fait, ce sont surtout les grands musées qui ont cette mentalité. Beaucoup de visiteurs y affluent déjà et leurs pratiques sont de fait trop institutionnalisées pour accueillir l'opération. Si un

32

Entretien téléphonique réalisé avec Catherine Barra, le 7 octobre 2017. L'intégralité de l'entretien se trouvera à la fin

de cette étude.

16

grand musée se faisait l'hôte de Museomix, la décision ne pourrait qu'émaner de la direction et il y aurait de grandes chances pour que l'événement soit envisagé comme une opération marketing. Il est probable que peu de traces resteraient de Museomix après son achèvement. En revanche, pour les petits musées de province, comme celui de Guéret (dans la Creuse), l'événement représente une véritable aubaine. D'une part, il leur permet de trouver de nouvelles façons de consommer leurs produits, car ces petites structures ne bénéficient que de très peu de personnel et rares sont les personnes en charge d'un tel développement. D'autre part, il leur permet de booster leur potentiel culturel. De cette manière, ces musées gagnent en visibilité et peuvent trouver des investissements futurs pour réaliser d'autres projets ou pour développer les prototypes créés pour l'occasion. En touchant de plus en plus de petites structures, peut-être le phénomène Museomix pourra-t-il progressivement séduire les grandes institutions, souvent considérées comme trop fermées à la culture collaborative et comme « poussiéreuses ».

Enfin, nous avons dégagé dans cette étude un troisième problème, qui concerne la pérennisation des projets. Cette dernière n'est pas systématisée et il revient aux musées d'entreprendre les démarches administratives pour leur mise en production. Museomix n'a pas pour vocation la gestion de ce que l'événement a produit pendant ses trois jours d'effectivité. Il en résulte de grandes difficultés pour mettre à disposition du public de nouvelles formes de consommation culturelles. C'est du système administratif français que doit être opéré le changement. En rendant très difficiles la mise en place d'éléments évolutifs, il bride par contre-coup le processus créatif et limite les effets d'innovation que souhaite produire Museomix.

INFLUENCE

Face à ces problèmes, d'autres structures reprennent la démarche de Museomix en l'adaptant à un public cible donné qui reste en marge du phénomène. C'est par exemple le cas de labOmusée, organisé par Museomix Rhône-Alpes, Cybèle (société d'assistance à la conception de médiation), Patrimoine Aurhalpin (association régionale qui valorise le patrimoine) et la Fondation Renault. LabOmix a pour but de reprendre le même principe que Museomix, mais adaptable aux musées locaux avec les problématiques qui y sont liées33. La première édition a eu lieu en 2016 au musée de la Grande Chartreuse et portait comme problématique locale « comment faire prendre conscience aux personnes qui viennent dans les alentours du musée que près d'ici vivent des moines et qu'un musée parle de leur histoire et de leur mode de vie ? ». Nous le voyons, le concept est

33 https://labomusee.fr/a-propos/

17

davantage centré sur le caractère local de l'espace muséal. Cette première édition a abouti à la création de deux prototypes. Parmi eux, L'appât son proposait aux visiteurs, en les munissant d'un casque sonore, de s'immerger dans la vie quotidienne du monastère et des moines chartreux en reproduisant les bruits qu'ils pouvaient entendre tous les jours (Annexes, Fig. 12).

Mais l'influence exercée par Museomix dépasse le cadre strictement muséal. Le phénomène

a également pénétré l'enseignement, et notamment les collèges. Le cas d'Edumix est à cet égard

significatif. Initié par le réseau des LearningLabs34 et le centre Erasme, Edumix se dit être une

transposition dans le monde de l'éducation du format Museomix35. Le mouvement vise à :

- décloisonner des habitudes et des communautés

- initier et renforcer une communauté d'innovateurs

- former aux méthodes agiles

- amorcer la transformation numérique d'une institution

- ouvrir des pistes innovantes.

Le concept a vu sa première édition naître en 2017 et dix projets ont été concrétisés jusqu'à présent. L'un deux, Un collège sur mesure, propose à chaque élève un parcours individualisé qui valorise ses progrès et qui lui permet de s'engager dans des projets liés à ses centres d'intérêts. Sur une application à caractère ludique, l'élève est identifié à un avatar et il peut répondre à des questions liées aux éléments de cours abordés lors du trimestre et surveiller sa marge de progression au long de l'année (Annexes, Fig. 13). Le but du projet est clair : il s'agit d'accroître l'intérêt des élèves pour les matières enseignées au collège ainsi que de permettre aux enseignants de valoriser les connaissances et les compétences que développe leur discipline. En pénétrant l'enseignement, et donc le quotidien des élèves, l'enjeu est ici considérable : l'apprentissage est non plus considéré comme un devoir mais comme un objectif. Ce concept reprend l'esprit Museomix dans sa conception mais emprunte aussi beaucoup au mouvement des serious games qui tend de plus en plus à pénétrer le milieu professoral.

Enfin, un troisième exemple d'influence a émergé de nos recherches documentaires. Il s'agit des BiblioRemix, un mouvement qui implique les lecteurs dans la transformation des

34 Les LearningLabs sont des espaces innovants dédiés aux nouvelles formes d'apprentissage exploitant notamment les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l'information et de la communication.

35 http://www.edumix.fr/a-propos/

18

bibliothèques36. Après tout, si le concept a réussi à toucher le musée, pourquoi le modèle ne pourrait-il pas être dupliqué pour d'autres institutions culturelles ? Ainsi le BiblioRemix, né en juin 201337, vise à réunir des participants aux compétences diverses (lecteurs, informaticiens, bibliothécaires, designers, architectes, etc.) pour mettre en place des dispositifs concrets qui correspondent à leur vision de la bibliothèque idéale 38. Les groupes imaginent, prototypent et expérimentent alors des réponses aux problématiques identifiées par les professionnels des bibliothèques lors de l'exercice de leurs fonctions. Le mouvement semble prendre une ampleur plus importante que Museomix, puisqu'il est parvenu assez vite à toucher la plus grande institution française : la BnF. Le 29 mai dernier se sont regroupés des bibliomixeurs dans l'enceinte de la bibliothèque pour imaginer collectivement son futur pôle Média39. Le 17 juin, le public a été invité à découvrir et à échanger autour des huit projets d'évolution des salles et de leurs services que les bibliomixeurs ont proposés40. Au regard du mode de communication déployé pour l'occasion, il semble que la BnF ait très vite capté les enjeux de l'opinion publique dans le processus d'innovation, puisque les visiteurs, mais aussi les internautes (Twitter), sont invités à voter pour les projets qu'ils souhaitent voir aboutir (Annexes, Fig. 14). La BnF comprend que les transformations mises en place seront destinées au public, et qu'il est donc primordial qu'il puisse s'exprimer sur le sujet.

PERSPECTIVES

La vague Museomix se propage efficacement puisque des envies de nouvelles formes de médiation culturelle naissent un peu partout et construisent des réseaux de personnes appréhendant différemment les musées et les problématiques liées aux services proposés au public41. Par cette nouvelle façon de penser la transmission du savoir, Museomix souhaite irriguer les institutions, les territoires et les individus pour que son esprit puisse donner à des structures locales l'envie d'agir à leur échelle. Le concept a d'ores et déjà réussi le tour de force d'opérer un brassage entre les entreprises, les collectivités, les professionnels et les amateurs du monde muséal. En mobilisant des

36 http://www.letelegramme.fr/finistere/plougastel-daoulas/biblioremix-penser-la-bibliotheque-de-

demain-23-03-2017-11445602.php

37 http://www.enssib.fr/biblio-remix-esprit-lab-en-bibliotheque

39 http://www.bnf.fr/fr/la_bnf/anx_actu_bib/a.170529_biblioremix.html

40 http://www.bnf.fr/documents/170529_biblioremix_reglement.pdf

41 Serge Chaumier, Camille Françoise, « Museomix : l'invention d'un musée du XXIe siècle», La Lettre de l'OCIM, 156, 2014, p. 9-10.

19

individus et structures de tous horizons, Muséomix crée des communautés diversifiées et engagées dans un projet commun : donner à la matière culturelle de nouvelles formes de consommation.

Il serait par ailleurs intéressant d'élargir la démarche amorcée par Museomix au-delà des musées. Nous l'avons vu juste avant, d'autres institutions reprennent le modèle collaboratif qu'il propose, et cela semble trouver son efficacité au sein de ces structures. Mais le paradigme culturel n'est pas qu'un conglomérat d'organismes qui cherchent à trouver de façon autonome de nouvelles solutions pour transmettre leur propre patrimoine. Pour que la culture puisse être condensée et transmise le plus efficacement possible, ces institutions doivent constituer un ensemble cohérent et être liées par un système d'interrelations. Et le numérique peut en faciliter les usages. Prenons les exemples des bibliothèques et des musées, cités plus haut. Dans le fond, ces deux institutions exercent les mêmes fonctions au sein du système culturel : ils en sont les conservateurs. Nous pourrions donc envisager de les connecter par la voie numérique : une application pourrait par exemple mettre en relation la base de données d'un musée et celle d'une bibliothèque. Puisque les vestiges archéologiques et les textes parlent d'un même objet, l'histoire, il est nécessaire de les relier pour mobiliser toutes les sources dont notre patrimoine dispose sur cet objet. Ainsi, aux musées des Beaux-Arts de Lausanne, l'utilisateur de l'application pourrait observer le tableau du massacre de la Saint-Barthélémy de François Dubois tout en lisant les mémoires de Marguerite de Valois sur l'événement, conservés à la BnF (Annexes, Fig. 15). Ce n'est que l'une des nombreuses innovations que les liaisons institutionnelles et le modèle collaboratif proposé par Museomix pourraient permettre.

20

CONCLUSION

Le concept Museomix et les mécaniques sociales et technologiques qu'il mobilise ouvrent de nouvelles perspectives dans la façon de penser l'évolution du système culturel. Le nombre toujours plus croissant des musées qui y participent est significatif d'un réel besoin d'élargir le processus d'innovation culturelle à l'ensemble de la société. En donnant la parole aux acteurs extérieurs du musée, l'institution ouvre ses portes à des idées neuves qui sauront séduire un visiteur lassé par l'image poussiéreuse qu'elle véhicule42. La dynamique de travail qu'insuffle l'événement possède également le potentiel de transformer en interne les méthodes professionnelles d'un musée, régies par l'autorité hiérarchique et bien souvent réfractaires aux idées extérieures.

En observant avec précision le déroulement d'une édition, nous comprenons qu'il ne s'agit pas uniquement de créer des prototypes qui seront exploitables et exploités par les musées. Il s'agit aussi d'une mécanique sociale : de véritables communautés qui partagent une même vision de l'avenir se forment à cette occasion. Des communautés qui investiront par la suite d'autres espaces et qui dissémineront leur idéologie un peu partout ailleurs. Car, même si les prototypes représentent le résultat matériel d'une édition, les liens sociaux créés lors de l'opération sont essentiels à la multiplication et au renforcement des communautés Museomix. Dans un premier temps, tout l'enjeu est la diffusion de cet esprit collaboratif. Plus ce dernier touchera d'individus, plus grandes seront les communautés et donc les chances d'obtenir des résultats matériels probants.

Malgré les problèmes identifiés lors de cette étude, Museomix possède un très grand potentiel d'innovation. Les structures qui reprennent sa démarche l'ont d'ailleurs bien compris. Les BiblioRemix en sont un exemple frappant. Bien entendu, cette dimension collaborative pourrait être déclinée dans quantité d'autres domaines, mais celui de la culture s'y prête particulièrement bien. Comme chacun possède son patrimoine familial et souhaite le développer, le patrimoine national n'est qu'une extension de ce système et il appartient à tout le monde de l'améliorer en apportant sa pierre à l'édifice. Le modèle collaboratif fourni par Museomix n'est qu'une esquisse d'un schéma beaucoup plus vaste. Une fois que les institutions l'auront poussé davantage, il sera alors possible de répliquer ce modèle entre elles. La culture aura alors atteint une dimension tout autre et les possibilités d'utilisation seront immenses.

La septième édition de Museomix aura lieu les 10, 11 et 12 novembre prochain. La notoriété du concept suit la logique de sa courbe d'évolution : l'événement se tiendra dans huit pays (France,

42 http://www.museomix.org/wp-content/uploads/2013/06/rapport-inmediats.pdf

21

Brésil, Belgique, Italie, Espagne, Suisse, Autriche et Mexique) et continuera de former de nouvelles communautés. Nous sommes impatients d'observer les résultats qu'il produira.

ANNEXES

22

FIG. 1 : PROPORTIONS DES PROFESSIONS DES PARTICIPANTS DE MUSEOMIX (2011)

23

FIG. 2 : PREMIÈRE ÉDITION DE MUSEOMIX AUX ARTS DÉCORATIFS DE PARIS (2011)

 

The Place to Seat : Choisir un fauteuil sur Museotouch, se prendre en photo sur ce siège, retrouver son profil en ligne et l'échanger.

Savez-vous garder un secret ? : Une mise en ambiance sonore et interactive de l'appartement de Jeanne Lanvin.

La danse serpentine : Une installation des chevaux modernistes permettant au public de faire danser une représentation de Loïe Fuller.

Opération Dragon : Le visiteur est invité à participer à une quête avec un objet liant (une lampe torche) qui va l'emmener à travers différents espaces du musée.

24

FIG. 3 : LE PROJET STRAT (2011)

Lorsque les pieds du visiteur touchent le marqueur au sol, des commentaires sonores se
déclenchent et content l'histoire de l'oeuvre que l'on observe.

FIG. 4 : PARTICIPATION FINANCIÈRE DU PUBLIC POUR MUSEOMIX SUR ULULE (20H)

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ulule

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500 €

collectés sur un objectif de 500 €

Financé le 15 nov. 2011

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·

3 jours pour

(ré tnuenter

le musée

à l heure du numérLque

25

https://fr.ulule.com/museomix-vernissage/

26

FIG. 5 : ÉVOLUTION DE L'ENGOUEMENT INTERNATIONAL POUR LE CONCEPT MUSEOMIX
ET LA CULTURE COLLABORATIVE (2011-2015)

Nombre de musées museomixés

12

9

6

3

0

2011 2012 2013 2014 2015

27

FIG. 6 : BRAINSTORMING ET SCÉNARIO UTILISATEUR DU PROJET ODORAM(O)A, JOUR 1

(GRASSE, 2016)

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28

FIG. 7 : ARTICULATION DES ROLES SUR LES DIFFÉRENTS PÔLES PENDANT LES TROIS
JOURS (EXEMPLE DE MUSEOMIX RENNES, 2015)

FIG. 8 : INVITATION DU PALAIS DU TAU AUX VISITEURS POUR OBSERVER LES PROTOTYPES
PRODUITS PAR LES MUSEOMIXEURS (2016)

A PRÉPARER SA VISITE ACTUALITÉS EXPLORER

ACCUEIL CENTRE OEa - +.
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MORTONQ FR ) MONYMENTS NRIIYNRYM~ LE RÉSEAU

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BILLETTERIE

HORAIRES

ACCÈS

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RÉSEAU SOCIAUX

SERVICES

CONTACTSI

VUSEOV X 2016 AU PALAIS DU TAU

Ti NOVEMBRE 2016 >13 NOVEMBRE 2016 ÉVÉNEMENT

Rendez-vous le dimanche 13 novembre à partir de 15h pour découvrir des prototypes innovants créés pour vous. L'entrée est gratuite pour La us.

1,14USEOMIX

EST

29

Le monument change ses horaires traditionnels dimanche 13 novembre et ouvre exceptionnellement et gratuitement de 15h a 18h à l'occasion de museomix I

En effet, à l'issue des trois jours de travail intense, le public pourra découvrir les prototypes créés pour eux.

MUSEOMIX, QU'EST-CE-QUE C'EST ?

30

FIG. 9 : CONCEPT ET TWEET DE L'ÉQUIPE « L'HYDRE DE SAINT-RAYMOND » LORS DE LA
PRÉSENTATION DU PROTOTYPE AUPRÈS DU PUBLIC (2016)

31

FIG. 10 : TWEET DE MUSÉOMIX OCCITANIE PYRÉNÉES CONCERNANT LA PÉRENNISATION DE DEUX PROTOTYPES PAR LE MUSÉE SAINT-RAYMOND DE TOULOUSE (2017)

32

FIG. 11 : LE PROTOTYPE YODO (YOU ONLY DIE ONCE) SÉLECTIONNÉ POUR ÊTRE
PÉRENNISÉ PAR LE MUSÉE SAINT-RAYMOND DE TOULOUSE (2016)

33

FIG. 12 : LE PROTOTYPE L'APPÂT SON PROPOSÉ PAR LABOMUSÉE (2016)

34

FIG. 13 : PROJET UN COLLÈGE SUR MESURE PROPOSÉ LORS DE LA PREMIÈRE
ÉDITION D'EDUMIX (2017)

35

FIG. 14 : TWEET DE LA BNF INVITANT LE PUBLIC À VOTER POUR LE MEILLEUR
PROJET LORS DE L'ÉVÉNEMENT BIBLIOREMIX (2017)

36

FIG. 15 : PERSPECTIVES D'INTERCONNEXION ENTRE BIBLIOTHÈQUES ET MUSÉES
PAR LE NUMÉRIQUE ET LA CULTURE COLLABORATIVE

37

ENTRETIEN

Entretien téléphonique réalisé avec Catherine Barra, chercheuse-archéologue (INRAP), museomixeuse depuis 2013 et représentante de Museomix Ile-de-France. Le 7 octobre 2017.

De quel constat a émergé l'idée de Muséomix et de cette notion de culture collaborative qui manquait à l'univers muséal ?

« Les fondateurs ont un jour décidé qu'il fallait monter quelque chose de nouveau dans les musées, endroits souvent considérés comme trop fermés et poussiéreux. Le musée des arts déco à Paris a accueilli la première édition en 2011. La caractéristique première de Museomix, c'est la mentalité nouvelle qu'il fait émerger, matérialisé par la manière de travailler qui est différente, où il n'y a pas de hiérarchie, et qui mobilise une équipe pluridisciplinaire qui peut monter des projets sans validation administrative, donc très vite. Pendant 3 jours, la créativité n'est pas bridée : des personnes qui ne se connaissent pas se rassemblent, écrivent leur scénario et réalisent leur prototype en toute liberté. »

Comment Museomix est-il parvenu à pénétrer de plus en plus de musées ?

« Cela remonte à l'année 2012 où, après le succès de l'édition de l'année précédente, beaucoup de candidats se sont portés volontaires, mais très peu ont été sélectionnés en raison de l'espace prévu pour le seul musée que nous avions. Nous avons donc décidé d'essaimer l'événement et de trouver plus de musées pour l'accueillir. Des communautés locales se sont créées par l'impulsion d'anciens muséomixeurs. L'organisation a changé : au départ, les fondateurs étaient au pilotage, mais depuis 2016, nous sommes passés dans un fonctionnement d'interco : c'est-à-dire que les communautés gèrent leur opération par une organisation horizontale. Des réunions sont d'ailleurs régulièrement organisées par les communautés pour penser l'évolution du concept à l'échelle locale.

Museomix a aussi impressionné les politiques dans les petits musées. Par exemple, dans le musée de Guéret, habitué à accueillir très peu de visiteurs, lorsque 150 personnes sont arrivées et qu'elles ont créé des prototypes pour ce musée, cela montrait qu'il possédait un potentiel culturel. A l'inverse des grands musées qui comptent plusieurs centaines de milliers de visiteurs par an, Museomix compte pour

38

ces petites structures : il leur donne de la visibilité et elles peuvent ainsi trouver des investissements futurs pour réaliser d'autres projets ou pour pérenniser les prototypes créés pour l'occasion. »

Et le rôle du public dans tout ça ?

« Le public a une place centrale dans les Museomix. Non pas en tant qu'acteurs, mais en tant que consommateurs. Tous ces dispositifs sont créés pour le public. Hormis les professionnels du monde muséal, la plupart des participants de l'événement font aussi partie de ce public. Pour chaque projet, ils se questionnent : « Cela m'apporterait-il une expérience muséale différente ? ». Le but premier de l'opération, c'est le partage avec le public. Il est le cobaye et le coeur du système. L'idée est toujours de proposer quelque chose qui améliorera son expérience et qui le poussera à s'engager un peu plus dans le domaine culturel. »

A travers la chronologie de vos différentes éditions, avez-vous observé des évolutions dans les mentalités sur le plan de la collaboration dans le milieu de la culture ?

« D'un point de vue institutionnel, Museomix a réussi le tour de force de rallier à sa cause le ministère de la Culture, qui est maintenant l'un de ses partenaires. Mais le concept peine malgré tout à pénétrer les musées, qui le trouvent trop exigeant : l'accueillir implique de trouver un budget et de confier son espace à un grand groupe de personnes qui va le désordonner pendant quelques jours. »

Selon vous, Museomix peut-il transformer les méthodes de travail d'un musée qui l'a accueilli ?

« Museomix ne peut pas ne pas laisser de traces. On ne peut pas accueillir 150 personnes le week-end, s'impliquer à fond avec elles pour bâtir des projets concrets qui peuvent changer les choses, et retourner au même endroit le lundi sans que cette énergie n'ait impacté le personnel. Lorsque je suis allée au musée d'Arles en 2014, je me suis aperçue que quelque chose avait changé. Museomix avait laissé des traces : le personnel se sentait plus important. Les filles de l'accueil avaient participé à la mixroom à Arles, à savoir des interviews de museomixeurs réalisées dans un petit studio. Nous avons proposé à ces filles de faire les camerawomen. D'après Fabrice, un employé du musée d'Arles, l'ambiance était vraiment différente après Museomix. Et c'est tout à fait normal : pendant l'opération, les « petites

39

mains » sont valorisées, elles se rendent compte qu'elles sont importantes aussi et qu'elles peuvent participer au processus créatif. »

Après Museomix, que deviennent les prototypes ?

« Les prototypes sont présentés aux visiteurs pendant 1 semaine. Certains musées choisissent par la suite de les pérenniser, mais le matériel servant à les réaliser pour l'occasion est prêté par des fab-lab et d'autres structures, il faut alors le rendre. Pour les développer, le musée va donc budgétiser le projet, et proposer des appels d'offres. Légalement, les modèles construits pendant Museomix sont sous la licence Creative Commons. En choisissant de pérenniser les prototypes, le musée s'engage à les identifier à leurs créateurs, soit les museomixeurs.

Il est fréquent que les projets soient pérennisés. Mais cela prend du temps car, une fois que Museomix est terminé, la `vie réelle' reprend son cours ainsi que les démarches administratives qui l'accompagnent. Certains musées ont choisi de garder parmi leurs collections un certain nombre de prototypes : le musée dauphinois, par exemple, a pérennisé l'an dernier un prototype de l'édition de 2013. A Arles a été pérennisé le prototype Antik.en.Kit qui permet au visiteur d'explorer un contenu vidéo mêlant images du monument aujourd'hui et à l'époque pour observer son évolution. Au musée d'art et d'archéologie de Guéret, deux prototypes créés en novembre 2015 vont aussi être pérennisés : le MuSeo-teaSinG de l'équipe des Cartonniers et le Museocluedo de l'équipe des Mythos, sous forme d'application téléchargeable sur le portable du visiteur pour ce dernier. »

Le modèle collaboratif proposé par Museomix a-t-il inspiré d'autres structures ?

« Oui. Depuis 2011, beaucoup de structures ont repris cette démarche. Par exemple, des Biblioremix se sont montés dans quantités de bibliothèques. La BNF, quant à elle, a organisé un hackathon sur le modèle de Museomix. Un autre concept découlant de Museomix sont les Edumix, qui visent à remixer des collèges. Hack My Church, créé par d'anciens museomixeurs, a été mis en place à Lyon et a cherché à transformer l'église en lieu de prières numériques à travers des interfaces graphiques qui faisaient monter les prières vers le ciel. Tous ces exemples ne sont qu'une partie de ce qu'a inspiré Museomix. »

- Propos recueillis par Joris Astier,

7 octobre 2017.

40

SOURCES MOBILISÉES

ÉTUDES

Belaën Florence, « L'immersion dans les musées de science : médiation ou séduction ? », Culture & Musées, n°5, 2005, p. 91-110.

Chaumier Serge, Françoise Camille, « Museomix : l'invention d'un musée du XXIe siècle », La Lettre de l'OCIM, 156, 2014.

Chaumier Serge, La médiation culturelle, Armand Colin, « Collection U », Paris, 2013.

Côté Michel, « Préface » dans Lucie Daignault, Bernard Schiele, Les musées et leurs publics : savoirs et enjeux, Presses universitaires du Québec, Québec, 2014.

Daignault Lucie, L'évaluation muséale : savoirs et savoir-faire, Presses universitaires du Québec, Québec, 2012.

Gélinas Dominique, « Le sensorium synthétique : réflexion sur l'utilisation de l'expographie immersive numérique et muséale », Conserveries mémorielles [En ligne], #16 | 2014, mis en ligne le 25 septembre 2014, consulté le 08 octobre 2017. URL : http:// cm.revues.org/2000

Introna Lucas, Kavanagh Donncha, Kelly Séamas, Orlikowski Wanda, Scott Susan (eds.), Beyond Interpretivism? New Encounters with Technology and Organization, Springer, New York, 2016.

Kuhn Timothy, Ashcraft L. Karen, Cooren François, The Work of Communication: Relational Perspectives on Working and Organizing in Contemporary Capitalism, Routledge, New York, 2017.

Rasse Paul, Le musée réinventé. Culture, patrimoine, médiation, CNRS éditions, Paris, 2017.

WEBOGRAPHIE

ARTICLES MÉDIAS

http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/tourisme-loisirs/20140818trib000844827/le-numerique-reinvente-la-consommation-culturelle.html

41

http://www.lemonde.fr/arts/article/2014/11/07/museomix-le-marathon-creatif-connecte-remixe-les-musees_4520468_1655012.html

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http://www.20minutes.fr/rennes/1729779-20151113-rennes-marathon-creatif-week-end-musee-bretagne

http://www.internetactu.net/2012/11/15/les-dispositifs-creatifs-en-questions-12-ce-que-la-creativite-libere/

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http://www.letelegramme.fr/finistere/plougastel-daoulas/biblioremix-penser-la-bibliotheque-de-demain-23-03-2017-11445602.php

RAPPORTS INSTITUTIONNELS

http://www.culturecommunication.gouv.fr/content/download/158462/1722777/version/2/file/ MCC_20170303_DP-Mus%C3%A9es-XXI%C3%A8me-si%C3%A8cle.pdf.

http://www.museomix.org/wp-content/uploads/2013/06/rapport-inmediats.pdf http://fablab-leman.fr/wp-content/uploads/2017/01/FabLac-RapportActivités-2015-16.pdf http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000331.pdf http://www.bnf.fr/documents/170529_biblioremix_reglement.pdf

SITES INTERNET

http://www.erasme.org

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https://cehistoire.hypotheses.org/ https://labomusee.fr/ http://www.edumix.fr/ http://www.enssib.fr/ https://biblioremix.wordpress.com/ http://www.bnf.fr/ https://fr.ulule.com/

RÉSEAUX SOCIAUX

https://www.facebook.com/Museomix/ https://twitter.com/museomix https://www.flickr.com/photos/museomix/ https://twitter.com/biblioremix https://www.youtube.com/watch?v=QT1et9NqQg8 http://museomix.tumblr.com

ENTRETIEN RÉALISÉ AVEC CATHERINE BARRA, CHERCHEUSE-ARCHÉOLOGUE ET REPRÉSENTANTE MUSEOMIX IDF. LE 7 OCTOBRE 2017.






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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo