Quelle place occupe le jeu vidéo indépendant dans l'univers vidéo-ludique?( Télécharger le fichier original )par Mickaël FAURE Université Nice Sophia Antipolis - Master 2 Dispositifs Socio Technique d'Information et de Communication 2014 |
II. Analyse d'entretiensSept entretiens ont été effectués lors de cette enquête. Ces entretiens sont à ranger dans trois catégories différentes selon la position professionnelle de l'individu interrogé. Ainsi dans la catégorie presse vidéo-ludique généraliste, nous pouvons classer deux entretiens différents, l'interview de M. Loïc Rallet, journaliste pour le site jeuxvideo.com édité par l'Odyssée Interactive, société du groupe Webedia, réalisée le 8 mai 2015, et l'entrevue de M. Matthieu Hurel, journaliste pour le site Gamekult.com, propriété de Cup Interactive, réalisée le 9 mai 2015. Dans la catégorie presse vidéo-ludique spécialisée dans le jeu vidéo indépendant, deux entretiens peuvent être classés, l'entrevue de M. Arthur Jeannin, rédacteur pour le site web Indius.org, réalisée le 31 mars 2015, et l'entretien de M. Lucas Delhez, rédacteur pour le magazine électronique P911 ainsi que pour le site web P911-magazine.com, réalisé le 20 avril 2015. Pour finir, dans la catégorie studios de développement indépendants, trois entrevues ont été réalisées. Tout d'abord l'entretien avec M. Alain Puget, Co-fondateur du studio indépendant Alkemi Games, réalisée le 12 mai 2015. L'interview de M. Ronan Coiffec, directeur créatif du studio de développement indépendant Osome Studio, réalisée le 10 mai 2015. L'entrevue de M. Jimmy Latour, développeur pour le studio indépendant Bwoogames, réalisée le 11 Mai 2015 Afin de mener une analyse efficace et intelligente des données obtenues lors des entrevues, il est important, de regrouper les différentes réponses en catégories afin de confronter les arguments de chaque participant entre eux et d'en tirer différentes tendances Pour commencer, les questions portent donc sur ce qu'est le jeu indépendant et ce que représente cette notion. La tendance générale dégagée lors de ces entretiens montre que le jeu indépendant représente une catégorie de jeux développés par des petites équipes de développeurs, indépendantes des grosses sociétés d'édition. Cela sous entend une indépendance créative, puisque les jeux 108 développés ne sont pas des projets commandés par de plus grosses sociétés, mais également une indépendance financière dont résulte des moyens limités. Ils représentent donc des projets moins cher à produire, nécessitant un moindre besoin de rentabilité. Le jeu vidéo indépendant est également un moyen de donner la possibilité aux petites équipes de développeurs de réaliser leurs projets, il en résulte donc des jeux plus créatifs mais également plus personnels. Alain Puget, co-fondateur du studio de développement indépendant Alkemi Games, ajoute qu'un jeu indépendant s'oppose à la notion de jeu sur commande ou de jeu à licence de l'industrie classique Cependant, ce dernier s'élève contre la tendance principale. En effet, pour lui un jeu peut être indépendant tout en ayant un éditeur qui assure sa communication. Par ailleurs, Loïc Rallet, journaliste pour le site web d'information jeuxvideo.com, ajoute que le jeu indépendant rencontrant un succès de plus en plus important, les gros conglomérats d'éditeurs tentent de s'approprier cette part de marché en commandant à de petites équipes internes des titres proches de ce que proposent les jeux indépendants : « A l'heure où le public commence à se lasser des grosses productions, souvent assez formatées, le jeu indépendant est en vogue, et les éditeurs l'ont bien compris. Du coup, eux-mêmes commencent à proposer leurs jeux indépendants. Child of Light, Grow Home ou Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre sont développés par de toutes petites équipes, mais en interne, chez Ubisoft (un gros éditeur NDR). » Ainsi, la frontière entre jeux indépendants et jeux issus de l'industrie classique semble devenir poreuse, et des objets hybrides apparaissent rendant le jeu vidéo indépendant difficile à définir. Afin d'affiner cette analyse, les participants nous ont délivré une explication de ce que représente cette notion d'indépendance. Ainsi, il apparait que c'est ce concept qui autorise aux équipes de développeurs de se délivrer de toute contrainte de création, ligne éditoriale, planning de production, ne laissant plus que des contraintes économiques. Cette liberté est donc l'occasion pour ces équipes de laisser libre cours à leur imagination et de suivre leurs envies. Cependant, Loïc Rallet, tempère ces propos en ajoutant que cela peut donner naissance à d'excellents jeux mais également à de très nombreux mauvais jeux. Pour Arthur Jeannin, rédacteur pour le site spécialisé dans le jeu indépendant Indius.org, 109 l'apparition du concept d'indépendant au sein de l'univers vidéo-ludique représente une véritable révolution. En effet, en proposant de véritables concepts originaux, ils ont apporté un vent d'air frais sur l'industrie qui semble peu à peu s'enfermer dans une standardisation. Elle a également permis de montrer que tout le monde pouvait émettre des idées et créer des jeux vidéo, peu importe l'âge ou les qualifications : « Une vraie révolution. Les premiers gros jeux indépendants comme World of Goo ont fait fureur parce qu'ils changeaient tellement de ce qui nous était proposé à l'époque. On avait de nouveaux concepts, des jeux plein d'idées fraiches, de genres totalement originaux qui sont nés. Le boom de la scène indépendante a vraiment montré que tout le monde pouvait avoir de bonnes idées et créer un jeu vidéo, peu importe son âge ou ses qualifications. » Matthieu Hurel, journaliste pour le site web de presse vidéo-ludique Gamekult.com, s'oppose à la tendance générale. En effet, selon lui, le terme indépendant représente aujourd'hui avant tout un atout marketing : « Aujourd'hui, c'est un atout marketing avant tout, puisque l'image du jeu indépendant renvoie souvent au côté artisanal, authentique et un peu anarchiste par certains aspects. ». Le second groupement de questions se concentre sur l'utilité que représentent les jeux vidéo indépendants. Ainsi, selon la tendance principale qui se dégage, les jeu vidéo indépendants ne s'adressent pas à public réellement ciblé, car techniquement n'importe qui possédant une machine de jeu peut jouer à ces titres, de plus de nombreux genres (FPS, Plate-forme, jeux de rythme, gestion, etc...) sont représentés au sein de la sphère du jeu vidéo indépendant, ouvrant ce marché au plus grand nombre, la réponse de Ronan Coiffec, directeur créatif pour le studio indépendant Osome Studio est représentative de cette tendance : « Je pense que le jeu indépendant parvient à toucher différents types de joueurs. [...] le jeu indépendant parvient à créer un peu ce qui se passe au cinéma, c'est-à-dire une pluralité d'expériences dans énormément de styles différents. C'est extrêmement riche et intéressant pour le public, à condition de s'y intéresser un peu et d'aller chercher son jeu. ». Ainsi, les indépendants n'auraient donc pas de cible précise. Cependant, toujours selon les propos de Ronan Coiffec, ils demandent un investissement temporel. En effet, le 110 manque de communication et de marketing autour de ces titres entraîne un manque de visibilité qui aura pour conséquence le fait que seuls les joueurs intéressés par le milieu et ayant les moyens d'accéder à des informations sur ces jeux pourra se procurer un titre indépendant. Cette conclusion est appuyée par la majorité des interrogés et notamment par Loïc Rallet, « En général ils attirent des joueurs expérimentés, qui connaissent bien le milieu et qui fouillent Steam, les comptes Twitter de certains développeurs pour se tenir au courant de l'actu indépendante. ». De plus, la démocratisation et la forte expansion récente de l'indépendant au sein de l'univers vidéo-ludique semble, selon les interrogés, être une réponse à l'évolution générale de l'industrie du jeu vidéo. Les indépendants ont toujours existé mais ont pris une certaine ampleur face à la transformation du jeu vidéo en loisir de masse entraînant ainsi une standardisation, une aseptisation et une inertie du modèle de création traditionnel. Selon Loïc Rallet, « Dans les années 2000 le jeu vidéo est vraiment passé d'un hobbie de geek à un loisir de masse, son économie a évolué en conséquences », il y a donc eu « une sorte de réaction à la "businessification" du jeu vidéo ». Nous retrouvons cette tendance chez la plupart des interrogés, et notamment chez Ronan Coiffec pour qui le jeu vidéo indépendant « répond à une certaine inertie commerciale du jeu vidéo en général », chez Matthieu Hurel, selon qui le jeu indépendant « est né médiatiquement d'un besoin de différenciation par rapport aux productions commerciales traditionnelles, d'une réponse aux AAA », ou encore chez Lucas Delhez, rédacteur pour le magazine distribué en ligne spécialisé dans le jeu vidéo indépedant P911, qui ajoute à cet effet de réaction à l'orientation qu'a pris le marché vidéo-ludique l'apparition d'internet comme condition principale à l'origine de l'explosion de la bulle indépendante : « Il y a deux facteurs qui font que le jeu indépendant est ce qu'il est aujourd'hui. Tout d'abord, internet. En effet, avant, il était très difficile de commercialiser son jeu, désormais, il suffit d'un clic pour héberger son jeu en ligne, à la portée de tous. La deuxième chose, c'est ce dégoût vis-à-vis des jeux des grosses productions devenant de plus en plus lassant ». Enfin nous pouvons voir qu'un dissensus s'est formé au sein de ces entretiens au sujet du bas prix auquel sont vendus la plupart des jeux vidéo indépendants. En effet, dans un premier temps, Arthur Jeannin, Lucas Delhez et Jimmy 111 Latour, développeur pour le studio indépendant Bwoogames, semblent d'accord sur le fait que ce bas prix représente un point d'entrée pour toute personne, joueuse ou non joueuse, dans l'univers vidéo-ludique. En effet, le catalogue très important de titres permet à tout un chacun de trouver l'expérience qui lui correspond à un prix très bas permettant de ne pas rebuter les joueurs non réguliers. Cependant, plusieurs arguments mis en avant par Loïc Rallet, Ronan Coiffec et Alain Puget semblent aller à l'encontre de ces affirmations. En effet, tout d'abord il semblerait que l'aspect visuel d'un jeu soit un critère de choix très important chez les joueurs occasionnels. Les studios indépendant, disposant d'un budget limité préfèrent mettre l'accent sur d'autres éléments de leurs jeux tel que le gameplay ou l'histoire, les graphismes sont donc la plupart du temps moins développés que celui des grosses productions. Les titres indépendants semblent donc moins à même de correspondre pleinement aux critères de sélection de ce type de joueur. De plus, les pratiques liées à l'achat de jeux vidéo indépendant ne semblent pas être encore intégrées dans les moeurs des joueurs non réguliers. En effet, la vente en ligne par le biais de plates-formes spécialisées, le téléchargement des titres, ainsi que l'installation de ces derniers peut apparaître comme rebutant pour toute personne non habituée, ces pratiques restent donc des actes de joueurs avertis, tels que Ronan Coiffec les qualifie : « Je ne suis pas sûr que les jeux indépendants soient installés chez les non-joueurs, et aller sur Steam ou GOG ou le PSN (plates-formes permettant de télécharger des jeux vidéo indépendants NDR) est déjà un acte de joueurs avertis ». Par la suite, les participants aux entrevues ont été orientés vers l'aspect réception et perception du jeu vidéo indépendant afin de comprendre les raisons du succès croissant de ce marché. Les interviewés s'entendent sur le fait que le jeu vidéo indépendant créé des réactions diverses lors de la réception par le public. Ainsi, Matthieu Hurel sépare le grand public qui, selon lui, ne perçoit pas du tout le jeu indépendant car il n'est pas vendu en boite, et le public de joueurs avisés qui offre une réception positive au jeu indépendant lui permettant de retrouver des genres délaissés ou d'essayer de nouveaux types de jeu. Loïc Rallet, sépare également ce public en trois catégories, la première qui est complètement hermétique à cette catégorie de jeux, la seconde qui s'y adonne régulièrement, et la troisième qui délaissent complètement les jeux 112 classiques pour ne jouer qu'au jeu indépendant. Ainsi, le jeu vidéo indépendant semble s'intégrer de plus en plus au marché. A tel point que, selon Alain Puget, de nombreuses idées reçues circulent à son sujet. Il cite notamment l'aspect innovation et qualité qui pour certaines personnes vont de pair avec la notion d'indépendant, mais également l'aspect production considéré comme plus simple, plus accessible et nécessitant moins de travail qu'il considère comme très souvent faux. Enfin, il est important de souligner que Loïc Rallet et Ronan Coiffec font un parallèle avec le cinéma en soulignant que le jeu indépendant est considéré par beaucoup comme des propositions d'auteurs très personnelles très semblable à ce que peut produire la nouvelle vague dans le domaine cinématographique ou encore le cinéma d'Art et Essai. Selon les interrogés, le jeu vidéo indépendant est actuellement en train d'effectuer une montée en puissance. Il rencontre un succès exponentiel, cependant, il ne parvient en aucun cas à rivaliser avec le marché traditionnel en termes de réception. Ainsi, plusieurs facteurs permettent aux indépendants de rencontrer un certain succès. Il présente une originalité que l'on ne retrouve pas forcément dans les titres classiques, la possibilité d'effectuer des parties très courtes, un prix très bas pour des joueurs n'ayant pas forcément les moyens d'investir de grandes sommes d'argent dans ce loisir, une orientation vers certains publics de niche spécialisés, une communication grandissante autour de la sphère indépendante permettant de développer une certaine image du jeu indépendant auprès des joueurs, un assouplissement de l'accès aux jeux par le biais de l'achat dématérialisé en ligne. Pour Ronan Coiffec, les joueurs ont évolués et se sont diversifiés depuis l'apparition des premiers jeux vidéo, « Le jeu vidéo murit et évolue. En prenant conscience de la diversité des joueurs, en proposant des nouveaux contenus, de nouvelles expériences telles que le jeu indépendant un peu comme dans le cinéma ou la musique. » Par la suite, nous avons orienté les interrogés vers les relations entre le marché du jeu vidéo traditionnel et le marché du jeu vidéo indépendant. Afin de mieux comprendre les relations que peuvent avoir ces deux acteurs, nous avons demandé aux interrogés comment, selon eux, le marché du jeu vidéo indépendant est perçu par l'industrie traditionnelle et notamment par les grands éditeurs de jeux 113 vidéo. Deux tendances différentes émergent parmi les interviewés face à cette question. Ainsi, selon la première tendance au sein de laquelle nous pouvons regrouper les propos de Lucas Delhez, Jimmy Latour et Alain Puget, le jeu vidéo indépendant est un concurrent pour le marché traditionnel car malgré leur petite taille, ils sont source de créativité et intéressent de plus en plus le public. Ils poussent donc le marché traditionnel à se remettre en question et à proposer des productions plus travaillées. Pour répondre à cette montée en puissance, deux stratégies différentes peuvent être adoptées par les grands éditeurs : le mimétisme ou la démarcation. La seconde tendance dégagée regroupe tous les autres interrogés et met en avant le fait que de tous temps, les gros éditeurs ont donné les moyens aux amateurs et aux petits studios de développer leurs propres jeux et de les mettre en avant. Nous pouvons notamment citer l'exemple du Microsoft XNA qui est une série d'outils informatiques distribués gratuitement par Microsoft afin de permettre le développement de jeux pour les plates-formes Windows, Zune, Windows Phone 7 et Xbox 360, ou bien encore le Xbox Live Indie Games, plate-forme de mise en téléchargement de jeux vidéo créés par la communauté disponible sur Xbox 360, et plus récemment Sony qui n'hésite pas à chaque conférence dédiée à la firme, à présenter de nouveaux titres disponibles dans leur section jeux indépendants. Ainsi, ces éditeurs offrent une place de choix aux indépendants au sein de leur marché permettant à ces derniers de prendre de l'ampleur. Selon Matthieu Hurel et Ronan Coiffec, les acteurs du marché traditionnel voient le marché indépendant comme quelque chose de nouveau, leur permettant d'étoffer leur catalogue tout en améliorant leur image de marque, le tout, à peu de frais et donc sans risque financier : « Je pense qu'ils voient le marché des jeux indépendants comme un marché récent, à étudier, mais très peu risqué financièrement. Ils ont donc tout intérêt à s'y essayer, en soutenant des productions par exemple, pour simplement leur permettre d'avoir des chiffres concrets, d'améliorer leur image. ». Ainsi, il semblerait que les jeux indépendants soient un moyen pour la grande industrie de se fournir en nouveaux concepts et idées voire en nouveau personnel. Cependant plusieurs interrogés tempèrent cette conclusion. En effet, Loïc Rallet souligne dans ses propos qu'au sein des grands studios de développement de 114 nombreux salariés possèdent des idées originales, selon lui, c'est l'organisation même de ces studios et notamment les preneurs de décision qui limitent les créations nouvelles, « C'est surtout les preneurs de décision qui limitent la créativité de leurs développeurs. C'est pas qu'ils sont dans l'incapacité d'avoir des idées, c'est surtout qu'ils ne veulent pas trop investir là-dedans. ». De même, Arthur Jeannin et Jimmy Latour ajoutent que les indépendants s'inspirent également de concepts et idées présents au sein des titres traditionnels. Enfin, selon Alain Puget de nombreux développeurs indépendants ont, par le passé travaillé dans des grands studios de production de jeux. C'est par ailleurs le cas de Ronan Coiffec, qui a longtemps travaillé sur de gros projets commandités par de grands éditeurs avant de ressentir le besoin de s'orienter vers une production indépendante à plus petite échelle, plus personnelle afin de se concentrer sur des idées fortes et d'exprimer certaines choses, « D'une part ça fait 10 ans que je travaille dans les jeux vidéo et je suis passé par certains des plus gros studios Français comme Eden Games, Ubisoft, DontNod, sur des productions qu'on appelle « AAA », donc dans de très grosses équipes avec parfois même plus de 100 personnes. D'autre part j'ai toujours réalisé des petits prototypes de jeu de mon côté. Après le dernier AAA sur lequel j'ai travaillé, d'abord Remember Me puis Life Is Strange, j'ai ressenti le besoin et l'intérêt de retrouver une échelle plus « humaine » sur la création d'un jeu. A deux ou trois, se concentrer sur des idées fortes pour exprimer des choses différentes. » Il semblerait que ces deux pans du marché de l'industrie vidéo-ludique aient donc des relations étroites. Toutefois, selon Loïc Rallet et Alain Puget, le jeu vidéo indépendant n'est pas à même de faire face à la grande industrie. Ils mettent en exergue le fait que la majorité des projets indépendants ne sont pas rentables et que les gros succès ne restent que des exceptions difficilement reproductible « L'énorme majorité des projets de production de jeux dans le monde ne sont pas rentables [...] Il ne faut jamais oublier que toutes les belles histoires de succès indépendants sont de très rares exceptions et à ce titre difficilement reproductibles. ». Il apparaît donc que l'industrie vidéo-ludique est un marché à risque, les grosses structures sont par ailleurs soumises aux même difficultés, c'est pourquoi elles déclinent des licences à succès afin de limiter les risques de manque de rentabilité. D'après Matthieu Hurel et 115 Ronan Coiffec, ces deux marchés ne sont pas en conflit car ce sont deux méthodes de production complétement différentes. Cependant, les sommes soulevées par les campagnes de financement participatif et l'efficacité des méthodes de production des indépendants (petites équipes, télétravail etc...), vont, selon Ronan Coiffec, inspirer les grands studios de développement « Je pense que le jeu indépendant parvient à créer des process de production très efficaces, dont les gros studios vont peu à peu s'inspirer » Pour finir, ces entrevues se sont conclues en abordant le futur de la bulle indépendante, quelle va-t-être son évolution ? La tendance principale dégagée admet que le jeu vidéo indépendant va prendre de l'ampleur en touchant un public toujours plus large. Cependant, Arthur Jeannin tempère ses propos. Selon lui, il y a actuellement au sein du domaine indépendant beaucoup plus titres médiocres que de bons jeux. Le genre semble donc, selon lui, être voué à évoluer vers du positif, à proposer plus de titres de qualité, cependant il ne pourra pas se détacher complètement de cette part négative qui l'accompagne incarnée par les nombreux jeux médiocres qui sont réalisés. Selon Matthieu Hurel, il va se monétiser et se professionnaliser davantage tout en gardant une part d'amateur exerçant cette pratique pour le plaisir. Toujours selon lui, le terme même d'indépendant pourrait disparaître laissant la plus grande place à la notion essentielle à savoir celle de jeu vidéo, il deviendrait alors une nouvelle norme, « On peut dire aussi qu'il va encore plus se banaliser et peut-être même sortir de l'étiquette d'indépendant pour n'être que du jeu, devenir une nouvelle norme, en quelque sorte. ». Nous avons, par la suite orienté les interrogés vers le futur de la relation entre industrie vidéo-ludique traditionnelle, et marché du jeu vidéo indépendant. Ainsi, selon Ronan Coiffec, les éditeurs vont prendre une place plus importante dans le jeu indépendant, par la création de labels ou d'éditeurs spécialisés dans le domaine. Il effectue, par ailleurs un parallèle avec le monde cinématographique et de la musique au sein duquel des labels spécialisés dans la création et la distribution indépendante, « Dans un avenir proche, je pense que les 116 éditeurs vont y avoir plus de place, à travers soit la création de labels, soit même d'éditeurs spécialisés en indépendant tel que c'est le cas dans les domaines de la musique ou du cinéma. ». De plus, la majorité des interrogés pensent que les deux domaines vont continuer de coexister, les indépendants pourront s'accaparer une plus grande part de marché tandis que certains d'entre eux seront absorbés par les grands studios, créant ainsi un phénomène de régulation, l'un se nourrissant de l'autre, ils fonctionneront en interdépendance et n'entreront pas en conflit car ils s'adresseront à un public différent, tels que le soulignent Matthieu Hurel « Certains seront absorbés par l'évolution du marché traditionnel qui s'en nourrira pour continuer à exister, d'autres resteront en marge et ne lui feront aucun mal faute de visibilité. », ou encore Ronan Coiffec « Je pense que les deux modèles vont coexister et se nourrir l'un l'autre. Tout comme au cinéma ou la musique on aime autant les blockbusters que les indépendants. ». Ces divers entretiens ainsi que leur analyse ont permis d'obtenir des informations sur le jeu vidéo indépendant ainsi que plusieurs éléments de réponses liés aux hypothèses émises lors de ce travail de recherche. Tout d'abord, nous avons pu voir que le jeu vidéo indépendant est un objet difficile à qualifier car sa définition ne fait pas consensus. Nous avons également pu déterminer que même si le jeu indépendant ne cible pas un public en particulier, à cause de son manque de communication et de la nécessiter de maîtriser certains outils afin de se le procurer, ce sont essentiellement les joueurs réguliers et investis dans l'univers vidéo-ludique qui s'adonnent à ces titres. Par la suite, nous avons vu que c'est en réaction à la stagnation de l'industrie vidéo-ludique qu'a eu lieu l'explosion de la sphère indépendante démocratisant cette scène au sein de l'univers vidéo-ludique. En effet, en proposant des titres originaux, la possibilité d'effectuer des parties très courtes, un prix très bas et un assouplissement de l'accès aux jeux par le biais de l'achat dématérialisé en ligne, le jeu indépendant semble séduire un public de plus en plus large, tout en se construisant une image positive de la scène indépendante auprès des joueurs. Ces différents entretiens, mettent également en exergue le fait que le marché du jeu vidéo indépendant ainsi que l'industrie vidéo-ludique classique entretiennent une relation complexe. En effet, d'une part, le secteur indépendant, en proposant des idées originales, alimentent le marché traditionnel, notamment par le biais de rachats de licences. D'autre part, il est important de noter que les 117 indépendants s'inspirent d'idées issues de certains jeux vidéo classiques, et s'accaparent une partie des travailleurs du domaine traditionnel. Ainsi, il semblerait que ces deux pans de l'industrie vidéo-ludique fonctionnent en interdépendance et selon un principe de régulation. Pour finir, il apparait qu'à l'avenir, la sphère indépendante pourrait prendre une ampleur plus importante, mais restera toutefois inférieure à la production traditionnelle. Ainsi, l'hypothèse selon laquelle ces deux modèles peuvent et vont coexister semble donc se confirmer, infirmant par la même occasion l'hypothèse selon laquelle le jeu vidéo indépendant serait susceptible de devenir le nouveau schéma de production classique. Cependant, le succès rencontré par ce marché et l'expansion prévue pour les années à venir n'est pas sans attirer l'intérêt des grandes industries du milieu vidéo-ludique qui voient en lui un nouveau marché leur permettant de toucher un public plus large à frais réduits. La multiplication des petites productions réalisées par des grands studios est donc d'actualité, de même que la coopération entre grandes industries du jeu vidéo et studios indépendants. N'existe-t-il donc pas un risque que ces grandes industries s'approprient le domaine de l'indépendant afin de contrôler ce nouveau marché ? Il semblerait qu'effectivement ces acteurs pourraient s'approprier une plus grande place dans le modèle de production indépendant. En effet, des labels et éditeurs spécialisés dans le domaine indépendant pourraient se développer tel que c'est le cas dans les domaines de la musique et du cinéma. De même, les succès les plus importants issus de la production indépendante seraient susceptibles d'être rachetés par les puissants conglomérats de l'industrie vidéo-ludique. Cependant, les interrogés restent convaincus que ces deux marchés tout en entretenant des relations plus ambiguës, resteront distincts puisqu'ils ne s'adressent pas au même public. Ils continueront donc à coexister sans entrer dans un réel conflit, tout comme c'est le cas au sein des autres industries culturelles. |
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