II.1.2. Historique des mesures de protection du dugong :
des échelles différentes
Nous avons établi un historique des mesures
légales mises en place pour protéger le dugong, à
l'international puis dans le contexte néo-calédonien, en nous
inspirant de celui réalisé dans la monographie sur le dugong
(Cléguer, 2010). Cette chronologie a le mérite de montrer comment
l'implication de différents acteurs, relevant de compétences
juridiques, est répartie sur des échelles allant du global au
local. Enfin, nous souhaitons mieux comprendre l'évolution de la prise
en compte du dugong en tant qu'espèce menacée dans le monde et en
Nouvelle-Calédonie.
Contexte international
Depuis les années 1970, des mesures de protection et
conservation du dugong sur le plan international se sont multipliées, se
sont étendues et sont devenues plus drastiques. En 1973, la Convention
Internationale sur le Commerce des Espèces menacées (CITES)
répertorie le dugong dans son Annexe I relatives aux espèces les
plus en danger et interdit le « commerce international de leurs
spécimens » (CITES, 2009). La convention de Berne, conçue en
1979, vise à favoriser la conservation de la flore et la faune sauvages
ainsi que leurs habitats naturels. Si le dugong n'apparaît pas dans
l'Annexe I du document, qui d'ailleurs a été ratifié qu'en
1989 par la France, il est présent dans l'Annexe II de la Convention
relative aux espèces migratrices appartenant à la faune sauvage.
Dans les textes de lois, le dugong est donc affilié aux espèces
migratrices. Les politiques le classent parmi les espèces qui ont «
un état de conservation défavorable (....) pouvant
bénéficier d'une coopération internationale de
manière significative» (CMS, 2009).
35 Il s'agit de cette étude en
anthropologie, et ce même si elle compte bien plus de sujets de recherche
que la simple valeur symbolique accordée au dugong par les
différents groupes ethniques.
36 Par « acteurs institutionnels », nous
entendons toute personne morale qui appartient à une « structure
sociale (ou un système de relations sociales) dotée d'une [...]
règle du jeu acceptée socialement. Toute institution se
présente comme un ensemble de tâches, règles, conduites
entre les personnes et pratiques. Elles sont dotées d'une
finalité particulière » (wikipedia).
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation
de savoirs et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
Il n'est pas encore reconnu comme une espèce
menacée et cette prise de conscience progressive se fera par la
signature en 2007 d'un mémorandum d'Entente (MoU) sur la conservation et
la gestion des dugongs et de leurs habitats dans l'ensemble de leur aire de
répartition. Ce texte marque la volonté de plusieurs pays dont la
France de collaborer étroitement pour améliorer l'état de
conservation de l'animal. Enfin, depuis 2010, il est inscrit sur la Liste Rouge
de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) en tant
qu'espèce vulnérable, ce qui contraint les pays dont les bandes
côtières sont fréquentées par le dugong à
prendre des mesures nécessaires à sa protection.
Contexte régional
Parmi les États concernés par ce document, on
compte nombre de pays du Pacifique Sud qui ont fondé des organisations
spécialisées dans la définition et la mise en place de
programmes de gestion et de conservation comme le Programme Régional
Océanien de l'Environnement (PROE). Cet organisme est chargé de
« promouvoir la coopération, d'appuyer les efforts de
protection et d'amélioration de l'environnement du Pacifique insulaire
ainsi que de favoriser le développement durable » (PROE,
2008). Plusieurs plans d'actions quinquennaux ont vu le jour concernant des
espèces d'intérêt particulier pour le Pacifique, comme les
tortues marines, les cétacés et le dugong.
Grâce à une collaboration entre le PROE et la
Convention de la Conservation des Espèces Migratoires Sauvages
(UNEP/CMS), le plan d'actions régional dugong 20082012 a organisé
l' « Année du Pacifique du Dugong en 2011 ». Elle
concrétise les efforts du PROE et de la CMS qui, à la suite de
divers ateliers tenus après la signature du mémorandum d'entente
(MoU), ont convenu d'un protocole collectif de conservation. L'Australie, la
Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Calédonie, les îles
de Palau, le Vanuatu et les îles Salomon ont participé à la
mise en place ce projet politique et ont appuyé leurs démarches
sur la valeur culturelle de l'animal dans leurs territoires (PROE, Lady of
the Sea, Dugongs respect and Protect, 2011).
Contexte national
La France a établi un Arrêté national le
27 juillet 1995 fixant la liste des mammifères marins
protégés. Il est interdit « sur tout le territoire national
(....) et en tout temps, la destruction, la mutilation, la capture ou
l'enlèvement intentionnels, et la naturalisation des mammifères
marins » (Légifrance, 2006). Cet arrêté concerne entre
autres toutes les espèces de cétacés et de
siréniens. Il est modifié par l'Arrêté du 24 Juillet
2006 puis par l'Arrêté du 1er juillet 2011
(Légifrance, 2015).
Ensuite, suite aux conclusions du Grenelle Environnement, la
loi Grenelle de 2009 et 2010 ratifie un cadre législatif concernant la
protection des espèces végétales et animales en danger
critique d'extinction en France métropolitaine et d'Outre-mer. Elle vise
la mise en place de plans de conservation ou de restauration compatibles avec
les activités humaines d'ici à 2013. Le Ministère de
l'Écologie, du Développement durable et de l'Environnement
français a reconnu 72 espèces ou groupes d'espèces
correspondant à ce cadre législatif, dont le dugong. Il a
établi un protocole d'actions auquel répond le Plan d'actions
Dugong Nouvelle-Calédonie 2010-2015, piloté par l'Agence des
aires marines protégées, comportant un volet Connaissance, un
volet Gestion et Restauration, un volet Protection et un volet Sensibilisation
(Plans Nationaux d'actions en faveur des espèces menacées,
Objectifs et Exemples d'actions, Ministère de l'Écologie, du
Développement
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
durable et de l'Environnement français, 2012). De plus,
ce plan s'inscrit dans la démarche de l'Agence qui cherche à
dynamiser les collaborations entre les divers acteurs dans la construction
d'une politique nationale, provinciale et locale efficace en matière de
protection de cette espèce.
Contexte provincial
Si la Nouvelle-Calédonie a montré un réel
intérêt pour le domaine environnemental en signant diverses
conventions internationales comme la Convention Mondiale sur la
Biodiversité en 1992 et la Convention Apia en 1993 (qui a abouti
à la fondation du PROE), elle a trouvé les moyens de faire
appliquer sa politique qu'à partir de la création des Provinces
(entretien avec un agent de la Province Nord). Toutefois, elle a reconnu les
pressions exercées par le dugong en ratifiant la
délibération n°68 de la Loi du 25 juin 1962, qui stipule que
« sont interdites sauf autorisation spéciale et exceptionnelle
notamment pour des fêtes traditionnelles et coutumières
». Les personnes qui chassent le dugong pour ces occasions sont dans
l'obligation de fournir aux autorités locales des informations sur la
date et le lieu de la capture, la taille et le sexe de l'animal. (Gouvernement
de la Nouvelle-Calédonie, 2006). Ce texte est toujours en vigueur
aujourd'hui, notamment dans la Province des Îles Loyauté qui n'est
pas encore dotée d'un code de l'environnement comme les autres
Provinces.
Les Codes de l'environnement de la Province Nord et Sud de
2008-2009 ont prévu de rassembler et de compléter le cadre
législatif antérieur à leur mise en place. En revanche,
ils n'ont pas exactement les mêmes exigences concernant la chasse au
dugong. En effet, la Province Sud interdit totalement la chasse et le commerce
d'espèces menacées comme le dugong. La violation de cet
amendement peut être sanctionnée au maximum par 6 mois
d'emprisonnement et 1 073 000 francs CFP d'amende, qui est doublée
lorsqu'elle est commise dans une aire marine protégée.
La Province Nord n'est pas plus souple concernant ses
sanctions pénales de captures et de mutilation envers l'espèce.
Toutefois, le code prévoit dans l'Article 341-56 un système de
dérogations exceptionnelles pour la pêche du dugong dans le cadre
de consommation pour des cérémonies coutumières. Les
coutumiers (le chef de clan) peuvent donc faire une demande d'autorisation de
pêche, qu'ils adressent au Sénat Coutumier, qui l'envoie ensuite
à la Province. A ce moment là, les deux institutions entament une
procédure de discussion autour de la légitimité de la
demande et de négociation avec les demandeurs. Depuis 2004, la PN s'est
engagée avec les représentants coutumiers dans un travail de
négociation et de sensibilisation sur la fragilité de
l'espèce auprès des demandeurs et de la population locale. Dans
les faits, depuis cette date, elle n'a pas répondu favorablement
à une seule demande de dugong.
La mise en place des aires marines protégées a
été un des leviers utilisés par les institutions et les
organismes de protection de l'environnement pour sauvegarder l'espèce.
La chasse au dugong est totalement interdite en Province Nord et Sud dans les
aires marines protégées intégrant la sauvegarde de
l'espèce dans leurs objectifs premiers, comme les aires marines de la
côte ouest ou encore l'« Aire de Gestion Durable des Ressources de
Hyabé-Lé Jao » dans la commune de Pouébo. Celles-ci
peuvent compter sur le soutien de la population locale de ces zones.
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
Enfin, le « Plan d'actions dugong
Nouvelle-Calédonie 2010-2015 » est chargé de dynamiser tout
ce processus par la valorisation des collaborations entre les divers acteurs
liés à la protection de l'animal. Il est élaboré et
orchestré par l'Agence des aires marine protégées, et
intègre la Province Nord, la Province Sud, la Province des Îles
Loyauté, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le
Sénat coutumier, l'Etat, le WWF et Opération
Cétacés ! dans la construction d'une politique nationale,
provinciale et locale efficace en matière de protection de cette
espèce.
Toutefois, tous ces organismes ne sont pas actifs dans tous
les projets et actions proposés dans la Plan d'actions. En effet, les
institutions impliquées dans le programme restent plus ou moins
indépendants concernant les choix de financement ou de soutien des
actions rentrant dans le plan d'actions. D'après les explications d'un
agent provincial, « toutes les actions du plan ne sont pas
financées par tout le monde », chacune des structures, en
fonction de ses intérêts, de ses priorités, de son budget
et de sa disponibilité, s'investit dans tel ou tel projet.
Prenons l'exemple donné par cette personne, celui de la
thèse en biologie marine-encadré scientifiquement par
l'Université James Cook de à Townsville (Australie),
Opération Cétacés ! et l'IRD - qui est
intégré au volet « Connaissance » du programme. Elle
vise à valoriser les données déjà
récoltées par l'Agence des aires marines protégées
ou encore l'IRD, mais aussi celles obtenues après un projet-pilote en
Nouvelle-Calédonie de balisage des dugongs en 2013. Ce projet a
été réalisé par Opération
Cétacés ! grâce aux financements de la Province Sud. De
fait, les acteurs impliqués dans le projet de thèse sont
Opération Cétacés !, l'Agence des aires marines
protégées, l'IRD et la Province Sud. Aussi voyons-nous bien
qu'autour d'un projet précis, les acteurs institutionnels - qui sont
autant de représentants des politiques publiques, des scientifiques de
différentes structures ou des partenaires « ressources »
d'information - sont interconnectés les uns aux autres suivant des
relations complexes de bailleur / exécutant.
Concernant notre étude, nous avons travaillé en
collaboration avec certains membres du Groupe Technique Restreint (cf. Annexe I
du mémoire), c'est-à-dire l'Agence des aires marines
protégées, le WWF, Opération Cétacés !, les
Provinces Nord et Sud - et l'IRD. Comment ce projet d'évaluation est-il
compris par les divers acteurs impliqués ? Quelles postures adoptent-ils
? En quoi ces intérêts divergents ont-ils influencés
l'orientation de cette recherche ? Finalement, quels sont les objectifs
réels de ce stage ? Si nous souhaitons établir le portrait et le
rôle de chacun de ces « acteurs institutionnels » dans ce
projet, nous en profitons aussi pour donner une idée de leurs rapports
compliqués qui sous-tendent tout projet de développement.
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