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Le processus de légitimation du jeu vidéo


par Germain Bridoux
Sciences-po Lille - M2 - Stratégie et Communication des Organisations 2019
  

Disponible en mode multipage

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MÉMOIRE DE RECHERCHE

Le processus de légitimation du Jeu Vidéo
Parcours et enjeux d'un dixième art.

1

Sciences-po Lille, année universitaire 2017-2018.

Master 1 - SGO/CPC

Germain Bridoux, sous la direction de Monsieur Julien Boyadjian

2

Sciences po Lille de Lille n'entend donner aucune approbation ni improbation aux thèses et
opinions émises dans ce mémoire de recherche. Celles-ci doivent être considérées comme
propres à leur auteur.

J'atteste que ce mémoire de recherche est le résultat de mon travail personnel, qu'il cite et
référence toutes les sources utilisées et qu'il ne contient pas de passages ayant déjà été utilisés
intégralement dans un travail similaire.

3

Remerciements

Je tiens à remercier mon directeur de mémoire, Monsieur Julien Boyadjian, pour m'avoir
accompagné tout au long de la construction et de la rédaction de ce mémoire de recherche. Ses
conseils m'ont été précieux.

Merci également à monsieur Romain Sephy et monsieur François Frimat pour avoir accepté les
entretiens. Nos discussions ont été d'une grande aide.

Merci également à ma famille, pour son soutien, sa patience et sa compréhension.

Enfin, je tiens à remercier Audrey, mes amis et le Collectif du 26 pour avoir créé des moments
de discussion, de concertation et de rédaction indispensables à l'émergence d'idées nouvelles
et à la rédaction d'un travail de cette ampleur.

4

SOMMAIRE

Page de garde 1

Remerciements 3

INTRODUCTION 5

Partie 1 : Parcours du Jeu vidéo : des bornes d'arcade au débat sur « l'artisticité ». 14

I) L'art dans le jeu vidéo : parcours, évolution et réflexions historiques. 14

II) Le jeu vidéo est-il un art ? Le débat épique. 25

Partie 2 : La légitimation du Jeu Vidéo comme "Dixième Art" : Enjeux et acteurs. 36

I) La légitimation du Jeux Vidéo : la création d'une nouvelle dynamique 36

II) Une perspective globale : un enjeu au-delà du dixième art. 48

Partie 3 : Processus de légitimation dans les nouveaux medias 56

I) La légitimation du cinéma : un cas d'école pour le jeu vidéo. 56

II) Le parcours de légitimation : un processus normé et automatique ? 61

CONCLUSION 69

Bibliographie 72

Annexes 79

Table des matières 109

5

INTRODUCTION

"L'art n'est légitimé que par comparaison et la comparaison ne peut se faire qu'avec ce qui est déjà légitime ». Marcel Duchamp

o Définition de l'objet d'étude.

« Mais, Mario, comment reconnais-tu que c'est un jeu ? Ta définition est parfaitement circulaire : un jeu vidéo est un jeu dans lequel on joue avec de la vidéo, me dis-tu. Mais quelle vidéo ? Et comment savoir à coup sûr que nous avons affaire à un jeu ? Par quels critères objectifs et infaillibles ? C'est là justement la question à laquelle nous n'arrivons pas à répondre, sans tourner en rond. ».

C'est ce dialogue fictif entre Mario (personnage du jeu Super Mario Bros sur la console NES) et Socrate qui sert de prologue au livre La Philosophie des Jeux Vidéo de Mathieu Triclot1. Le jeu vidéo est intrinsèquement lié à la notion de jeu, de ludique. Le jeu est protéiforme, son étude est transdisciplinaire. Les définitions du jeu sont aussi nombreuses que les domaines qui le considèrent comme un objet d'étude : "Activité inférieure, non adaptée au réel comme l'est le travail" (P. Janet), "Activité consistant dans la reproduction d'actions actuellement inutiles, mais qui, dans le passé de l'histoire de l'humanité, ont été des travaux." (St Hall), "Activité mettant en jeu une fonction sans qu'une fin particulière soit poursuivie (Bühler et Carr) et permettant à l'enfant de réaliser son moi quand il ne peut le faire par une activité sérieuse." (Claparede). Elles s'accordent sur un point : le jeu est une activité qui se déroule dans un temps et un espace défini, le jeu obéit à un ensemble de règles et le jeu peut s'affranchir de liens avec la réalité. En ce sens, le jeu vidéo pourrait se comprendre comme un jeu d'images, une activité ludique inutile, sans fin particulière.

Cependant les définitions données au jeu vidéo peuvent l'affranchir du jeu. Le joueur de jeu vidéo obéit à un ensemble de règles, mais toutes ne sont pas connues du joueur, seul le

1 Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, La Découverte, coll. Poches Sciences, 2017, 304p.

6

concepteur de jeu les choisis et les connait pour mener à bien le processus de développement. Il faut également noter que le jeu vidéo ne s'affranchit pas complètement du lien avec la réalité pour se situer dans l'imaginaire puisque l'interaction avec la console ou l'ordinateur fait conserver un lien physique obligatoire avec la réalité. Grace à ses différences de fond et de forme majeures, le jeu vidéo peut donc se percevoir tantôt comme un sous-champ du jeu, tantôt comme un dépassement de celui-ci. Force est de constater que le jeu et le ludique ne sont pas au débat pour accéder au rang d'art. Ils sont analysés tantôt du point de vue de la culture ou des moeurs, tantôt du point de vue cognitif ou psychologique.

Héritier du jeu, le jeu vidéo est un nouvel objet qui se détache de son aîné. L'apparition du jeu vidéo comme objet culturel est lié à la démocratisation des ordinateurs personnels. Les premiers jeux sont des programmes développés dans les instituts de recherche informatique (comme le Massachussetts Institute of Technology, MIT). Le terme « jeux vidéo » n'apparait que dans les années 1970, quand ils sont distribués en grande surface et accessibles à un public large. Le jeu vidéo se développe d'abord sur des bornes d'arcade payantes, les parties sont à durée limitée et les jeux ne présentent qu'un intérêt limité. C'est le magazine Tilt, qui apparait en 1982 en France, qui rassemble une communauté de joueurs. Le jeu vidéo dépasse alors la sphère marchande pour proposer une réflexion sur lui-même et sur les loisirs ou la culture en général. C'est à cette période (fin des années 1980 - milieu des années 1990) que sont produites les premières analyses sur ce nouveau medium qui plaident pour en faire un objet d'études à part entière. Seulement, la difficulté de séparer le jeu vidéo du « jeu » et de la « vidéo » cantonne les recherches à le lier à d'autres medias ou à d'autres champs de recherche (comme la psychologie, les sciences cognitives, les sciences technologiques ou même le marketing).

Le jeu vidéo est alors défini, soit d'un point de vue « essentialiste » comme l'ensemble des dispositifs ludiques électroniques basés sur un principe d'interaction (Mathieu Tricot, Samuel Coavoux, Vincent Berry), soit d'un point de vue « social » comme « ce à quoi joue la personne dont on dit qu'elle joue aux jeux vidéo »2. Le jeu vidéo se réduit donc par ces définitions aux jeux sur consoles, sur ordinateur voire sur téléphone mobile. Ces deux définitions se rejoignent dans

2

7

l'analyse proposée par les Game Studies. Les Game Studies sont un champ de recherche pluridisciplinaire consacré à l'étude du jeu. C'est dans la revue scientifique Game Studies lancée en 2001 par Espen Aarseth que les Game Studies ne s'intéressent non plus au jeu « traditionnel » mais également aux jeux vidéo.

o État de la recherche.

L'apparition des consoles dites de « Cinquième Génération »3 (Playstation et Nintendo 64 entre autres) attire un public de joueurs de plus en plus large. La portée sociale et culturelle du jeu vidéo le place alors comme un objet de recherche valable et la recherche sur le jeu vidéo s'institutionnalise avec la multiplication des articles scientifiques anglophones. Pourtant, dans le champ de l'étude, les Game Studies restent une catégorie critiquée pour la polarisation qu'elle apporte au débat. Loin de considérer le jeu vidéo comme un objet d'étude à part entière, celui-ci est toujours lié aux débats sur le jeu et le ludique. Les études sur le jeu vidéo se limitent à ceux auxquels les chercheurs jouent ou qu'ils étudient, sans prendre en compte les réalités de la communauté de joueurs. Le biais le plus courant dans l'analyse sociale des jeux vidéo est l'intérêt grandissant (parfois quasi-autarcique) pour les MMORPG 4 . A ce propos, Mathieu Triclot, philosophe qui travaille sur le jeu vidéo, répond dans un entretien au journal Libération le 13 juin 2016 :

« Je pense que les MMORPG ont été aussi importants dans la légitimation des jeux vidéo [...] parce que ça permettait de dire : ah mais regardez, en fait, ces pauvres joueurs, avachis devant leurs écrans, ils sont sociaux, ils sont sociables, ils sont pas désocialisés, ils ont des sociabilités en ligne. Alors vous imaginez c'est génial, si vous êtes sociologue, vous pouvez aller étudier les sociabilités en ligne, c'est cool. Alors que c'était une pratique CSP+, ultra minoritaire parmi toutes

3 On situe le début de cette génération 1993 avec la console Saturn et la fin en 2006 avec la maitrise de la 3D sur Playstation 2. Un historique complet est disponible en Annexe 1.

4 MMORPG : « Massively Multiplayer Online Role-Playing Games », ou « jeu de rôle en ligne massivement multijoueur » en français. Neverwinter Night (1991, AOL) est considéré comme le premier et World Of Warcraft (1994, Blizzard Entertainment) comme le plus connu.

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les pratiques, mais elle a joué un rôle symbolique extrêmement important dans le discours de légitimation autour des jeux.»

Et aussi

« Samuel Coavoux avait fait une revue de littérature en regardant les jeux cités dans les articles des games studies. [...] Il comparait les jeux cités effectivement dans la littérature aux jeux réellement pratiqués... Et on voit qu'il y a un écart juste absolument considérable, et qu'en réalité les chercheurs étudient, sous les noms d'études de jeux vidéo, étudient leurs propres pratiques. ».

La recherche sur les jeux vidéo semble donc osciller « analyse sociale » coupée d'une réalité des pratiques et un débat éternel, quasiment intrinsèque. Ce deuxième débat, c'est celui qui anime les Game Studies depuis leur fondation. Il oppose deux approches du jeu, et donc du jeu vidéo. La première, c'est l'approche dite « narratologique » : le jeu vidéo est d'abord un ensemble d'hypertexte5. Il devrait être analysé du point de vue de sa narrativité, analysé comme « la combinaison entre une intrigue « programmée » et matérielle et l'expérience de cette intrigue par le joueur»6. La deuxième est l'approche « ludologique » : le jeu vidéo serait d'abord une pratique ludique dans un temps, un espace et avec des règles définies et cette pratique ludique a une dimension sociale et des effets sur le joueur. La recherche est longtemps restée polarisée entre ces deux approches, jusqu'à la constitution du jeu vidéo comme un objet de recherche à part entière, sous-champ qui s'écarte des Game Studies. La littérature grise (tests de jeux vidéo7, articles amateurs, réflexions de joueurs...) ne prenant que très peu part au débat ludologie/narratologie, le jeu vidéo est de plus en plus considéré comme un medium spécifique. Il répond à la fois à des logiques narratologiques et ludologiques mais aussi à des logiques autres, loin de ce débat bipolaire8. Le consensus est trouvé parmi les chercheurs dans les appellations

5 Technique ou système permettant, dans une base documentaire de textes, de passer d'un document à un autre selon des chemins préétablis ou élaborés lors de la consultation (Larousse, 2018).

6 Marc Marti, « La narrativité vidéoludique : une question narratologique », Cahiers de Narratologie, numéro 27, 2014.

7 Un exemple de test du jeu vidéo Journey (Thatgamecompany, 2012) est fourni en Annexe 3.

8 Voir les travaux de Sebastien Genvo sur la ludologie narrative et le numero de la revue Ludologie de mai/juin 2018.

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« ludologie narrative » ou « narration ludique »9. Une fois l'objet défini, cadré, les recherches sur le jeu vidéo transcendent cette ancienne question. C'est la communauté de joueurs et le corps de métier des travailleurs du jeu vidéo qui recentre le débat sur les notions de gameplay, de gamefeel ou de gamedesign10. Une définition consensuelle est trouvée dans les travaux de Gonzalo Frasca :

« Le jeu vidéo inclus toute forme de logiciel informatique de divertissement, qu'il soit à base de textes ou d'images, utilisant une plateforme électronique, comme un ordinateur personnel ou une console, impliquant un ou plusieurs joueurs dans un environnement physique ou en réseau »11.

Encadré 1: Gameplay, Gamefeel, Gamedesign.

Le Gameplay, le Gamefeel et le Gamedesign sont trois termes anglo-saxons qui font référence à la création d'un jeu vidéo ou aux sensations procurées par celui-ci. Les termes ne sont pas traductibles en français. Le gameplay désigne les éléments d'une « expérience vidéo-ludique », c'est-à-dire le ressenti du joueur quand il s'adonne au jeu vidéo. Il est parfois traduit par « jouabilité » bien que ce terme dénature un peu le propos (ce n'est pas parce qu'un jeu est « jouable » qu'il propose une expérience). Le gamefeel est un terme popularisé par Steve Swing et regroupe les aspects mineurs ou majeurs d'un jeu (temps de réponse du medium, ambiance sonore, images par seconde...) qui rend la sensation de jeu intangible, unique et tactile. Enfin, le gamedesign est le processus de création et de mise au point des règles, des niveaux et autres éléments constitutifs du jeu dans un ensemble cohérent et interactif. Les trois termes sont différents et participent tous les trois à créer ou penser une spécificité du jeu vidéo.

o Enjeux et but du mémoire de recherche.

Ce mémoire de recherche se situe dans la continuité des recherches d'Alain et Fréderic Le Diberder. La réflexion qu'ils opèrent dans Qui a peur du jeu vidéo ? (La Découverte, Paris, 1993)

9 Voir par exemple pour cette résolution : Alexandre Béland-Bernard, Narration ludique ou ludologie narrative : réconciliation de la ludologie et de la narratologie dans le discours universitaire sur le jeu vidéo, particulièrement en ce qui concerne le jeu de rôle. Masters thesis, Concordia University, 2007.

10 Voir Encadré 1.

11 Gonzalo Frasca, « Ludology Meets Narratology : Similitudes and Differences between (Video) Games and Narratives», Ludology, Disponible en ligne : www.ludology.org/articles/ludology.html, traduction par nos soins.

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a fait date. Ce fut la première fois que des chercheurs associaient les jeux vidéo au dixième art. De la même manière, les recherches sur la spécificité du jeu vidéo portés d'abord par les travaux sur le Game Design de Chris Crawford12 et sur le Game Feel par Steve Swink13 permettent de définir une certaine spécificité du jeu vidéo dans le champ de l'art ou des médias.

Les travaux qui définissent le jeu vidéo non plus comme une pratique mais comme un objet culturel, un objet d'étude, dépassent ce qui avait été fait par les Game Studies. La question est maintenant de savoir si, une fois accepté comme un objet de recherche valable et comme un objet culturel transgénérationnel, le jeu vidéo pourrait être considéré comme un art. Pour Marcel Mauss l'objet d'art, par définition, est celui reconnu comme tel par un groupe14. Ce mémoire de recherche s'intéresse donc à savoir comment se positionne la communauté qui s'est constituée autour du medium vidéoludique par rapport à la question de l'art, pour savoir si la définition de l'art par Marcel Mauss s'applique ici. Ensuite, si la notion d'art regroupe des idées d'esthétique (A. Baumgarten, Aesthetica) ou d'interaction (comme analysée par Gérard Genette15). Il faut comprendre où se situe le jeu vidéo dans cette catégorisation. Notre analyse ne cherche pas à définir le jeu vidéo par rapport à la philosophie de l'art. Il nous faut cependant recontextualiser et définir les conditions d'accès aux arts légitimes pour comprendre le processus qui se joue. Il s'agit aussi d'expliquer ce que représenterait une consécration pour le jeu vidéo, pour ses acteurs, son industrie, ses travailleurs ou ses joueurs. Une pratique qui acquiert des lettres de noblesse subit forcement une transformation dans sa manière d'être et de se produire : il faut dévoiler ce que cela représente pour le jeu vidéo.

Par l'explication de son histoire mise en comparaison avec le cinéma, il est possible de comprendre le « parcours de légitimation » qui se met à l'oeuvre dans le jeu vidéo, medium plutôt récent par rapport aux autres arts déjà adoubés (voir Annexe 1). C'est ce parcours (ou processus) de légitimation qui est au coeur de ce mémoire de recherche. Ici, le mot « légitimation » se

12 Chris Crawford, The Art Of Computer Game Design, McGraw-Hill/Osborne-Media, Berkeley, 1984. 113p.

13 Steve Swink, Game Feel: A Game Designer's Guide to Virtual Sensation, CRC Press, 2008.

14 Marcel Mauss, Manuel d'ethnographie [Cours professé entre 1926-1939], Payot, Paris, 1971.

15 Gérard Genette, L'OEuvre de l'art, Paris, Seuil, coll. poétique, 1994.

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comprend au sens de « consécration » ou de « adoubement ». Pierre Bourdieu définit le légitime comme :

« Un mot technique du vocabulaire sociologique que j'emploie sciemment, car seuls des mots techniques permettent de dire, donc de penser, de manière rigoureuse, les choses difficiles. Est légitime une institution, ou une action ou un usage qui est dominant et méconnu comme tel, c'est-à-dire tacitement reconnu. »16.

Le duo méconnaissance-reconnaissance pourrait s'appliquer au cas du jeu vidéo. Le mot « légitimation » est ici à prendre dans l'expression « legitimation and recognition » (« Légitimation et reconnaissance ») qui décrit l'acceptation générale par la société, les institutions et les champs de la recherche et de la philosophie d'une forme d'expression ou de création comme artistique. Notre travail de recherche s'inscrit donc à la fois dans la continuité de l'article de Felan Parker « an Art World For Artgames »17, qui fait état des prérequis à un jeu vidéo (ou au jeu vidéo de manière générale) pour être reconnu comme une forme d'art. L'article relate également le processus qui s'engendre quand le débat autour de la légitimation s'engage. Les travaux de Mathieu Triclot sur la Philosophie des Jeux Vidéo (2011, La Découverte) ont également un écho particulier, ils expliquent les raisons qui incitent la communauté vidéoludique à se lancer dans un tel débat. Travail qui fait date et qui reviendra également plusieurs fois pendant notre mémoire : Qui a peur des jeux vidéo ? De Alain et Fréderic LeDiberder (1993, La Découverte), réédité plus tard sous le titre L'Univers des jeux vidéo, et qui intitule pour la première fois un chapitre : « le jeu vidéo comme dixième art ». À travers l'évolution du jeu vidéo et grâce aux débats et aux intérêts qui animent les différents acteurs du milieu, pouvons-nous rendre compte d'un processus de légitimation ?

16 Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1984, 302 p.

17 Felan Parker, «An Art World For Artgames», Loading..., Simon Fraser University, 2013, 59 p.

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o Considération méthodologique et présentation du plan.

Ce travail est en partie la compréhension de l'avancée des recherches sur le jeu vidéo, doublé d'une réflexion pour définir un parcours de légitimation général, qui sera mis à l'épreuve avec une analyse de l'évolution du cinéma. Deux entretiens viennent appuyer les considérations sur l'avancement actuel du processus de consécration, et sur les enjeux du champ de la recherche : un entretien avec Romain Sephy, graphiste et Game Designer chez Ankama Production et un entretien avec François Frimat, philosophe de l'art et professeur à l'université de Lille III. Ces deux entretiens servent à cerner les réalités et les enjeux actuels des acteurs de l'industrie et du débat sur le jeu vidéo comme dixième art. Ils sont mis en comparaison avec des articles de journaux, des reportages, des notes d'intention de studios de développement...L'Agence Française pour le Jeu Vidéo (qui sera dénommé AFJV tout au long de ce travail) ayant refusé d'accorder un entretien, sa position vis-à-vis du débat sera considérée en fonction de ses actions sur le terrain et de sa prise de parole dans l'espace public et dans la communauté vidéoludique (à travers la littérature grise à disposition, notamment les notes, les articles, les déclarations et autres compte-rendus). Il en va de même pour le ministère de la culture ou le Fond d'aide à la Création de Jeu Vidéo. Pour la traduction, les termes spécifiques anglo-saxons dont la transcription en français dénaturerait le sens resteront inchangés, les extraits traduits le seront toujours par nos soins, dans le cas contraire, le traducteur sera identifié en note de bas de page. En accord avec les travaux précédents, les différents jeux vidéo seront référencés comme ceci : Nom du Jeu (Studio de développement, Année de Sortie).

Dans une première partie, le but est de présenter le parcours du jeu vidéo, sa spécificité et sa réflexion sur lui-même. Il s'agit de le positionner sociologiquement et "philosophiquement", en tant qu'objet d'étude mais aussi par rapport au contexte actuel de consommation et de création. Il faut également démontrer que le jeu vidéo a un parcours suffisamment spécifique pour se démarquer des autres arts, mais assez similaire pour prendre la suite du cinéma.

L'objectif de la deuxième partie est de comprendre les forces et les acteurs qui entrent spécifiquement en jeu dans ce processus de légitimation. Il faut montrer le point de vue du

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"milieu de l'art" (musée, exposition, réflexion), de celui de la "communauté" (Joueurs, développeurs, designers, modes, passionnes), de celui de la recherche, des pouvoirs publics... Ces milieux répondent à des motivations différentes, mais qui ont parfois des intérêts convergents.

La troisième et dernière partie a pour but d'expliquer que tous les nouveaux medias, les nouvelles pratiques, impliquent forcément un débat de fond (parfois politique, philosophique) sur leur place en tant qu'art et répondent donc à un processus de légitimation, qui pourrait être défini comme général et inéluctable.

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Partie 1

Parcours du Jeu vidéo : des bornes d'arcade au débat sur « l'artisticité ».

Il faut replacer notre objet d'étude dans un contexte plus large en expliquant ce qu'est un jeu vidéo et comment il a évolué (dans la société, dans ses pratiques, dans son développement). Il s`agit aussi d'expliciter les logiques à l'oeuvre dans la création d'un jeu vidéo, les termes qu'il regroupe, les problématiques qu'il a soulevées. C'est une partie primordiale pour notre recherche où il faut tenter de comprendre comment le jeu vidéo a évolué de "loisir de garage, populaire", à "possible objet d'étude". Il faut aussi comprendre comment nait un phénomène, comment il s'impose et comment il dépasse le cadre qui lui était attribué au départ. L'histoire du jeu vidéo comme art est intimement liée à celle de l'art dans le jeu vidéo. Il est délicat de jalonner ce cursus par des dates précises, le jeu vidéo comme art étant un processus long que les jeux et acteurs construisent pièce par pièce.

I) L'art dans le jeu vidéo : parcours, évolution et réflexions historiques.

o De la borne d'arcade à la console de salon.

La période 1970-1980 est marquée par les bornes d'arcade et les premiers ordinateurs personnels. Les jeux vidéo d'arcade répondent à des logiques marketings : il faut que les joueurs « tournent » (expression populaire a l'époque) sur les bornes qui se rechargent avec des pièces de monnaie. Le temps de jeu est compté, la courbe de progression de la difficulté des jeux sur borne d'arcade à un pic abrupt après quelques minutes de jeu, ce qui force le joueur à payer de plus en plus. La narration est limitée (parfois suggérée ou inexistante). Le modèle des bornes d'arcade ne laisse pas de place à une forme de création artistique, il repose uniquement sur des considérations économiques. Pour les premiers ordinateurs personnels (Apple I, Commodore, Atari 2600) se pose d'abord un problème de limitation technique : les jeux sont souvent sur

cassette à bande magnétique, l'ordinateur doit pré-charger toutes les composantes du jeu (parfois pendant plusieurs heures) et les problèmes techniques sont fréquents. La faible puissance de calcul (processeur de première génération) offre une réactivité limitée, des décors sommaires et des musiques peu travaillées. L'autre problème est celui de l'accessibilité. La technologie de pointe qu'offrent les microsystèmes personnels me les rend accessibles qu'à un public de passionnés disposant de connaissances solides en micro-informatique. Il était par exemple possible d'acheter des magazines jeux vidéo, puis de recopier les programmes soi-même en ligne de code sur des bandes magnétiques vierges. Cette complexité empêche le grand public de s'y intéresser et participe à l'apparition d'un cliché qui perdure : le joueur est solitaire, enfermé, il pratique un loisir obscur et complexe.

Néanmoins, la démocratisation des ordinateurs personnels et des premières consoles à la fin des années 1970 et au début des années 1980 encourage les producteurs et les développeurs à s'intéresser à ce nouveau marché. De nombreux droits sur des licences connues sont rachetés (Star Wars ou E.T l'extraterrestre par exemple) et portés sur console ou sur ordinateur. La situation du marché du jeu vidéo nuit à la production et l'image de celui-ci18 jusqu'en 1985, date de la sortie de la Famicom de Nintendo (sortie sous le nom de NES partout dans le monde).

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18 Voir Encadré 2.

16

Encadré 2: Atari

Atari est une société fondée par Nolan Bushnell et Ted Dabney en 1972. Le mot « Atari » vient du jeu japonais de Go et signifie cible. Le but de Nolan Bushnell était de cibler les Etats-Unis avec une nouvelle forme de culture et de divertissement : le jeu vidéo. Le 29 Novembre 1972, Atari lance sa première borne d'arcade du jeu Pong. Trente-cinq mille unités sont écoulées au total. Pendant trois ans, Atari rayonne dans le domaine de l'arcade. La compagnie décide de tenter de conquérir le marché domestique en 1975. La nouvelle console sensée s'installer dans les foyers, « l'Atari 2600 » sort en 1977 et coute alors 199$ (soit plus de 700$ aujourd'hui en tenant compte de l'inflation. Le succès est relatif dans les premières années, mais en 1982 les ventes passent le cap des 8 millions. La concurrence au sein de l'industrie et les logiques marchandes qui animent le marché des années 1980 pousse les développeurs à sortir de plus en plus de jeux, de moins bonne qualité. Avec un portage de Pac-man puis d'E.T L'extraterrestre qui défraye la chronique par leur piètre qualité, Atari perd des dizaines de millions de dollars. Les mauvais jeux se succèdent, le marché est saturé de consoles et de jeux. Les magasins réexpédient les invendus que les petits studios n'ont pas les moyens de rembourser. En 1983, on parle du « Krach des jeux vidéo ». Atari parvient à peine à survivre à l'implosion du secteur. La partie de la production domestique d'Atari est vendue à Jack Tramiel, fondateur d'une console concurrente, la Commodore. Atari tente de survivre grâce au fond de Jack Tramiel en sortant la Lynx (1989, première console portable avec un écran LCD en couleur) puis la Jaguar (1993, console de faible qualité technique face à la toute nouvelle Playstation de Sony). Face à ces deux échecs commerciaux, Atari abandonne la production de console et se concentre sur l'édition de jeu. Atari devient alors une filiale de Hasbro, puis d'Infogrames et disparaît progressivement de 2001 à 2009. La marque demeure pourtant encore dans la légende, notamment grâce à la portée de l'Atari 2600 et à la vision futuriste de Nolan Bushnell.

o Du marché de niche au phénomène culturel.

Les possibilités techniques augmentent. Les nouvelles cartouches de jeu supportent une puce avec batterie permettant de sauvegarder la progression du joueur, l'histoire peut alors être développée pendant plus longtemps. Le support de stockage permet aussi l'ajout de musique, de décors pré-calculés. La réflexion autour du jeu vidéo s'installe en même temps que celle du

17

jeu vidéo sur lui-même. La presse spécialisée se développe. Les magazines Tilt (1982), Gen4 (1987) et Joypad (1994) en France propose des analyse sur le marché ou sur le jeu vidéo tandis qu'en Angleterre, c'est Edge (1993) qui s'impose comme une référence. Ces magazines sont d'abord de la presse écrite par des passionnés. Ils proposent des tests de jeux vidéo (Gen4 attribue le premier une note sur 100 aux jeux) ce qui empêche indirectement la saturation du marché avec des mauvais jeux. Le public devient plus critique : conquis par la presse spécialisée et conscient de la dépense financière que représente le jeu vidéo dans les années 1980-1990, les joueurs réclament du contenu inventif et de qualité. Une communauté se crée atour du jeu vidéo, tant pour partager les jeux que pour partager des moments de jeux. Conscients que ce phénomène peut apporter beaucoup, la presse se met à développer un système de ligne téléphonique payante pour renseigner la communauté qui permet surtout de rendre accessible un loisir alors réservé à des initiés.

Les années 1990 marquent un tournant pour le jeu vidéo. La démocratisation du CD-ROM permet de stocker plus d'informations, et d'augmenter les contenus. En 1993 sort Myst, développé par les frères Robyn et Rand Miller au sein de leur propre studio : Cyan Interactive. Myst est le premier point'n'click à la première personne, c'est-à-dire que le joueur a la même vision de l'univers exploré que le personnage qu'il incarne. Le déplacement s'effectue à l'aide de la souris, en cliquant à l'endroit où l'on souhaite aller. Le joueur peut également interagir avec certains objets en cliquant dessus. Le but est de résoudre une série d'énigmes dans des décors pré-calculés. Le gameplay n'est pas linéaire, les énigmes peuvent se traiter dans l'ordre souhaité. Myst est un franc succès. A ce jour, il reste le troisième jeu vidéo le plus vendu au monde. En 1994, sur le magazine Joystick numéro 48, on peut lire : « Une aventure insolite, une ambiance incroyable, des graphismes époustouflants...Le plus beau jeu du monde ? Et pourquoi pas ? ». La rédaction lui attribue une note de 95/100 avec pour commentaire « Pour ma part [le jeu] se révèle être la huitième merveille du monde ». Le magazine Génération 4 numéro 80 de septembre 1995 écrit une autre critique pour la sortie de la version traduite en français du jeu : « 90/100 : Myst est un jeu fascinant, fantastique, formidable ». Le phénomène est tel que les futurs point'n'click en vue subjective sont dénommés « Myst-like » (« comme Myst » en français). Le succès et la nature du jeu justifient à lui seul l'achat d'un ordinateur avec lecteur de CD-ROM,

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ce qui lui vaut le nom de killer application19. La présence des ordinateurs dans les foyers se démocratise, les consoles de jeu deviennent des objets culturels populaires. Avec Myst, les jeux vidéo touchent un public adulte et varié. La généralisation du CD-ROM comme support de stockage autorise des jeux plus complets.

Au même moment, les consoles se dotent de support de sauvegarde interne (comme les ordinateurs), ce qui permet d'enregistrer la partie pour la reprendre plus tard. Dans chaque catégorie de jeux nait un canon du genre : Tomb Raider (Core Design / Eidos), sur Sega Saturn, PlayStation et PC en 1996 pour le jeu d'action-aventure, Resident Evil, jeu conçu par Shinji Mikami (Capcom) qui définit le genre survival horror sur PlayStation en aout 1996, Metal Gear Solid (Konami, 1998) pour le jeu d'action cinématographique, Diablo (Blizzard, 1997) pour le hack'n'slash20 et le jeu de rôle européen en 1997 ou encore Final Fantasy VII (Square, 1997) sur Playstation pour le jeu de rôle japonais. En parallèle, les méthodes de production et de développement changent. Les jeux sont plus longs, plus techniques, souvent à la pointe de la technologie de l'animation 3D. Les développements coûtent cher et demandent une équipe conséquente. Par exemple, pour Final Fantasy VII, le développement se déroule sur 3 ans (19941997), avec une équipe de plus de 220 personnes et un budget de 68 millions de dollars (en tenant compte de l'inflation). En comparaison, Pac-Man (Namco, 1980) a été développé par une équipe de 5 personnes en un an pour une dizaine de milliers de dollars. Le coût de développement augmente en parallèle de celui du marketing. En 1996, la campagne marketing de Nintendo pour Pokémon Version Rouge et Bleu fait grand bruit, son budget est sans précédent,, atteignant 50 millions de dollars21. En 2009, c'est Call Of Duty : Modern Warfare 2 qui devient le jeu le plus cher à produire, avec un coût de développement de 50 millions de dollars et un coût en marketing de 200 millions de dollars. Le but est simple : les studios et les éditeurs doivent réussir à rendre le jeu visible dans un marché qui compte de plus en plus d'acteurs. Le jeu vidéo se démocratise, il n'appartient plus au loisir d'initiés mais devient un objet culturel. Cela se traduit

19 Se dit d'un logiciel tellement attractif et intéressant qu'il justifie à lui seul l'investissement dans une nouvelle console ou un nouvel ordinateur.

20 Le Hack'n'Slash est un terme utilisé dans le domaine du jeu vidéo pour désigner les jeux vidéo de rôle dont le gameplay se focalise sur le combat contre des hordes de monstres qui permettent au joueur d'obtenir des récompenses, sous la forme de points d'expérience et de trésors.

21 Joseph Jay Robin, Pikachu's Global Adventure: The Rise and Fall of Pokémon, Duke University Press, 2004 p. 66.

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par une modification du modèle de vente. Avec l'augmentation des campagnes marketing et un nombre de joueur sans cesse en progression, le jeu vidéo ne se vend plus dans des magasins spécialisés mais en grande surface. La baisse du nombre de magasins spécialisés (Encadré 3) en France suit la croissance des ventes de jeux vidéo toutes plateformes confondues (Encadré 4). Cette augmentation du nombre de joueurs fait également entrer le jeu vidéo dans la société, et donc dans les débats de société.

Encadré 3 : Evolution du nombre de points de vente spécialisés dans la vente de jeux vidéo entre 1996 et 2010

David Hecq, « Importante baisse du nombre de magasins de jeux vidéo en France »,

Objectifmicro.org, 14 mai 2012.

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Encadré 4 : Evolution des ventes de jeux vidéo en France de 1990 à 2006.

Alain Kahn, Olivier Richard, Les Chroniques de Player One: 20 ans de jeu vidéo et de manga, Boulogne-Billancourt, Pika Edition, 2010, 299 p., p. 297

o De la polarisation du débat à la bataille juridique.

Les travaux de recherche et de théorie du jeu vidéo se multiplient à partir du milieu des années 1990, au même titre que les débats autour de la violence ou de l'abrutissement supposément provoqués par les jeux vidéo. L'ouvrage d'Alain et Fréderic LeDiberder intitulé Qui a peur des Jeux vidéo ? (opus cité précédemment) est publié dans un contexte où le débat se polarise. D'un côté, une frange de la société dénigre la pratique, les joueurs et le contenu des jeux. De l'autre côté, les développeurs et les studios se battent pour une reconnaissance de leur travail. Dans ce contexte, le chapitre «Le Jeu Vidéo comme Dixième Art » de l'ouvrage apparait comme une position nouvelle, presque extrême. Cette polarisation du débat est constatée dans

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tous les ouvrages ou articles depuis le milieu des années 1990. Dans l'introduction de Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian pour Les Jeux vidéo comme objet de recherche22on peut lire : « Les jeux vidéo sont, en apparence, aisément appropriables. Ils constituent un objet culturel porteur de nombreux discours normatifs, souvent très polarisés (les jeux vidéo c'est... beau/rigolo/idiot etc.) Dans les années 1980, les discours de dénonciation étaient dominants, utilisant les mêmes arguments que les critiques antérieures adressées aux médias de masse (télévision, radio, cinéma, bande dessinée) ». Par la multiplicité des plateformes et des types de jeu, le jeu vidéo est un objet culturel accessible. Son processus de démocratisation amène les discours normatifs et donc la polarisation du débat.

La mise en débat d'un objet est un prérequis à sa légitimation : un objet inconnu ou un objet qui fait consensus ne peut amener à un débat sur la nature de celui-ci. Or, plus le débat est animé, plus apparaissent des arguments qui créent une base de réflexion pour la recherche. Les premières réponses aux critiques faites sur le jeu vidéo (le jeu vidéo est violent, le jeu vidéo est abrutissant, le jeu vidéo est dangereux pour la santé...) ne sont pas formées par des chercheurs ou des scientifiques mais par la communauté de joueurs ou de concepteurs de jeux. Cette bataille d'arguments rappelle les travaux de Howard Becker23 sur la déviance et la marginalité. Cette approche rejoint parfaitement l'idée déjà abordée de polarisation du débat. Le jeu vidéo est, dans son entièreté, beau/drôle/dangereux/violent. Le joueur serait un déviant (au sens interactionniste de Howard Becker) et le jeu vidéo une pratique et un objet illégitime qui fait face aux critiques provenant des classes les plus aisées de la société. Le jeu vidéo fait donc face à des entrepreneurs de morale, des lobbys et des groupes de pression composés de militants (crusaders pour Howard Becker, que l'on pourrait traduire par « croisés » en français) qui défendent une vision de moralité et de conservatisme. Le jeu vidéo doit se construire en objet légitime, normal (« dans la norme ») pour se défendre. Le débat privilégié par les croisés de la morale est celui sur la violence, qui apparait dans les années 1990 et se termine vers 2010, avec un point d'orgue entre 2000 et 2003 consécutif à la tuerie du lycée de Columbine. Le débat vise

22 Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian (dir), Les Jeux vidéo comme objet de recherche, Paris, Questions théoriques, 2011, 197 p.

23Howard S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985 (éd. originale 1963).

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particulièrement deux jeux : Doom (ID Software, 1993), décrit comme une source d'inspiration pour les deux lycéens responsables de la tuerie, et Grand Theft Auto III (Rockstar Games 2001), jeu le plus vendu aux Etats-Unis en 2001 qui fait l'objet de nombreux recours en justice pour son côté permissif et irrévérencieux24. Comme défense, les concepteurs avancent deux arguments : « le jeu vidéo est une forme d'expression libre » et « la violence n'est pas au coeur du jeu ».

Concernant le premier argument, c'est une bataille juridique qui s'engage en 2005 en Californie. En Octobre 2005, le gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger signe une loi qui interdit la vente de jeu violent aux mineurs. La Entertainment Merchants Association (EMA, association qui regroupe plus de mille compagnies de vendeurs de jeux vidéo et de DVD) s'engage dans une bataille juridique et parvient à bloquer l'application de la loi dès la fin de l'année 2005. L'affaire est portée devant la Cour d'appel des Etats-Unis en 2007 qui juge la loi anticonstitutionnelle car « allant à l'encontre du Premier Amendement de la Constitution »25. Arnold Schwarzenegger réfute la décision et amène l'affaire devant la Cour Suprême des Etats-Unis en mai 2009. Le jugement est rendu en 2011 et fait jurisprudence au niveau national. la Cours Suprême des Etats-Unis estime que les jeux vidéo restent protégés par le 1er Amendement de la constitution américaine qui garantit aux citoyens américains la liberté de religion, d'expression, de presse et de s'assembler pacifiquement. Pour la Cour Suprême, aucune étude n'a établi de lien de causalité entre les jeux vidéo violents et les comportements violents. Dans le compte-rendu du verdict, on peut lire : « Les preuves apportées par l'Etat de Californie ne sont pas suffisantes. L'état de Californie s'appuie principalement sur la recherche du Docteur Craig Anderson et quelques autres chercheurs en psychologie dont les études visent à montrer un lien entre l'exposition à des jeux vidéo violents et des effets dommageables sur les enfants. Ces études ont été rejetées par toutes les cours qui les ont examinées et ceci pour une bonne raison : elles ne prouvent pas que les jeux vidéo violents poussent les mineurs à agir agressivement, ce qui serait au moins un commencement. Au contraire, presque toutes ces recherches sont basées sur la corrélation, non sur la preuve d'une causalité et la plupart de ces études souffrent de

24Article Mario m'a tué par la rédaction de Jeuxvideo.com, 2004.

25 Video Software Dealers Assn., et al. v. Schwarzenegger, et al., 556 F.3d 950 (9th Cir. 2008).

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problèmes avérés et admis (dans leur méthodologie. Elles montrent au mieux une certaine corrélation entre l'exposition à des jeux violents et de minuscules effets dans le monde réel, comme des enfants se sentant plus agressifs ou faisant davantage de bruit quelques minutes après avoir joué à un jeu violent que lorsqu'ils ont joué à un jeu vidéo non-violent »26. En même temps que le débat sur la violence dans les jeux vidéo, les développeurs gagnent également une certaine reconnaissance du jeu vidéo en tant que forme d'expression.

o Le Game Feel comme expression de la spécificité.

La deuxième étape pour la communauté vidéoludique est de montrer que la violence n'est pas au coeur du jeu, mais qu'elle n'est qu'un outil. Ce qui le débat sur la violence dans les jeux vidéo. Le débat universitaire se saisi de la notion anglaise du Gameplay avec l'idée comment « jouer le jeu ». Le jeu vidéo se partage en deux catégories, le game : l'objet physique, et le play : l'activité ludique. La traduction de gameplay en français est complexe, le gameplay étant un terme générique qui regroupe plusieurs éléments : « Tout le monde affirme que le gameplay est ce qu'il y a de plus important, mais lorsqu'il s'agit d'expliquer de quoi il s'agit vraiment, chacun dit la sienne et on a un peu de mal à s'y retrouver. Tâchons d'être le plus générique possible, donc : le gameplay désigne à la fois le but d'un jeu vidéo et les moyens donnés au joueur pour y parvenir. Cela comprend les commandes, les interactions, les angles de vue (notamment quand le jeu est en 3d), le rythme, le dosage entre les diverses qualités requises pour progresser (réflexes, réflexion, habilité, observation...), et tout un tas de facteurs qu'on pourrait regrouper sous l'appellation "mécanismes de jeu", qui paraît être la traduction française la plus crédible de ce mot. Le gameplay définit le jeu vidéo, et inversement. »27 Le gameplay est intrinsèquement lié à l'interactivité, cheval de bataille des Game designers. Le jeu vidéo se doit d'être interactif, parce que c'est cette interactivité que le public recherche et qui est au coeur de ce qu'est le jeu vidéo. L'interactivité joueur-jeu devient un domaine d'études privilégié pour les développeurs.

26 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Syllabus, BROWN, GOVERNOR OF CALIFORNIA, ET AL. v. ENTERTAINMENT MERCHANTS ASSOCIATION ET AL. CERTIORAI TO THE UNITED STATES COURT OF APPEALS FOR THE NINTH CIRCUIT No. 08-1448. Argued November 2, 2010--Decided June 27, 2011, Traduction Yann Leroux

27 Peav' et Laurent sur https://www.grospixels.com/site/lexique.php, site spécialisé.

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Sur cette question, le livre Game Feel: A Game Designer's Guide to Virtual Sensation (2008, CRC Press) de Steve Swink fait date. Le livre est dédié « aux gens qui luttent et font de belles choses », faisant ainsi appel au côté artistique et engagé de la création de jeux vidéo. Steve Swink écrit : « le Game feel est un art invisible, [...]c'est l'aspect le plus abouti de la création de jeux, une sensation puissante, accrocheuse, tactile qui apparait entre le joueur et le jeu. [C'est] une sensation virtuelle ». Les travaux de Steve Swink sont un plaidoyer pour une forme de spécificité dans le jeu vidéo28, qui est un prérequis philosophique ou moral à la reconnaissance de la création sur un nouveau support médiatique comme une forme d'art. Fort d'une victoire juridique aux Etats-Unis sur le statut du jeu vidéo, d'une augmentation progressive du nombre de joueurs et de l'existence d'un réel débat autour de la forme de la création du jeu vidéo (à travers

Encadré 5 : Les six éléments du Gamefeel selon Steve Swink

Image de: Game Feel, A Game Designer's guide to virtual sensation, CRC Press, 2008

28 Voir encadré 5.

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l'interactivité), le jeu vidéo entre dans une ère de débat de fond, de débat d'idées autour de sa possible légitimation.

II) Le jeu vidéo est-il un art ? Le débat épique.

Le titre de cette partie est le titre d'un colloque/débat du 13 Avril 2005 à la Conférence on World Affairs de l'Université du Colorado à Boulder. Cette conférence énumère les arguments, et l'historique du débat. Le but de cette sous-partie n'est pas de rendre compte de cette conférence, mais de rendre compte du débat homérique autour de la légitimation. Pourquoi est-ce un débat ? Peut-on en lister les arguments ? Prend-il un sens politique ? Social ? Philosophique ? Depuis quand existe-t-il ? Et au-delà de tout ceci : qu'est-ce qu'une "légitimation" dans notre cas ? Que signifie-t-elle pour le jeu vidéo ?

o La classification des arts

Si ce mémoire emploie le terme « dixième art », il fait donc directement référence à la classification des arts communément admise dans le langage courant et qui fait écho aux travaux de Hegel. En effet, chacun des arts progressivement consacrés utilise la terminologie de Hegel29 qui classe les arts en fonction de deux échelles : l'expressivité et la matérialité. Les arts sont classés du plus expressif mais moins matériel au moins expressif mais plus matériel. L'idée est de reprendre les cinq Muses de l'Antiquité et d'établir une classification, et donc une hiérarchie :

1er art : l'architecture.

2eme art : la sculpture.

3eme art : les « arts visuels », qui regroupent la peinture et le dessin.

4eme art : la musique.

5eme art : la danse

6eme art : la littérature, qui regroupe la poésie, les romans et tout ce qui se rattache à l'écriture.

29 Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1997) Esthétique, Le livre de Poche, collection Les classiques de la philosophie, Paris, tome 1 776 pages, tome 2 780 pages, t. 2 pp. 19-22.

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Au fur et à mesure du XXème puis du XXIème siècle, on gardera l'idée de numérotation des arts tout en éliminant peu à peu l`idée d'une hiérarchie. Le « septième art », expression proposée en 1919 par Ricciotto Canudo désigne l'art cinématographique. C'est une expression importante qui servira à la légitimation progressive du cinéma (que nous aborderons plus tard dans ce mémoire de recherche). En 1941, Roger Clausse publie La Radio, huitième art. La télévision (considérée comme « un art médiatique », c'est-à-dire un art dont le fonctionnement fait appel à un composant technologique) est en débat pour prendre la place d'abord attribuée à la radio. Le Festival de la télévision de Monte-Carlo, créé par le prince Rainier III de Monaco en 1961, définit la télévision comme « nouvelle forme d'expression artistique au service de la paix et de l'entente entre les hommes. [...] La télévision comme moyen exceptionnel pour rapprocher les hommes et les enrichir par la culture ». La télévision et la radio sont les premiers « arts consacrés » dont la création nécessite des composants électroniques. Enfin, l'expression « neuvième art » est aujourd'hui utilisée pour qualifier la bande dessinée. L'expression a pu être popularisée en 1971 par Francis Lacassin qui publie Pour un neuvième art, la bande dessinée30en 1971. Le combat pour la dénomination d'une pratique comme faisant partie de la classification des arts et de leur numérotation n'est pas qu'un débat de forme, il permet également de faire passer l'idée de légitimation dans le langage courant et correspond à une vision philosophique de la consécration de l'art. Les conventions qui gouvernent les mondes de l'art ne sont pas toutes formelles, certaines concernent l'attitude même que l'on manifeste à l'égard de celui-ci. Quand l'artiste ou l'auteur prime sur l'oeuvre, comme c'est notamment le cas dans les arts plastiques ou le cinéma, tout ce que fait un artiste ou tout ce qu'il désigne en tant que tel devient automatiquement de l'art (cf. M. Duchamp ou J-L. Godard par exemple) »31. L'appartenance à la classification des arts pour une pratique est donc symbolique, elle permet de faire passer le créateur ou concepteur au statut d'artiste, et donc de transformer sa création en « oeuvre d'art ».

30 Francis Lacassin, Pour un neuvième art : La Bande Dessinée, Paris, Union générale d'éditions, 1971, 510 p.

31 Benghozi Pierre-Jean. « Becker Howard S., Les mondes de l'art ». In: Revue française de sociologie, 1990, 31-1. pp. 133-139.

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o « Jeux vidéo » : un objet protéiforme.

« De toute façon le jeu vidéo c'est un travail d'équipe, de base. A moins d'être un génie qui sait tout faire, c'est vraiment un travail d'équipe. Sur Wakfu1, ouais il y avait du monde. Il y avait une bonne quinzaine de graphistes. Tu peux mette d'un côté ceux qui font les personnages, de l'autre ceux qui font les décors...Après est ce qu'on va aussi appeler graphistes ceux qui font les animations j'en sais rien. Après, au niveau d'Ankama le style a pas mal été initié par un mec qui s'appelle Xavier, je sais pas si tu le connais...

Non.

En gros, il faut vraiment imaginer que c'est lui, c'est son style. Le style Ankama ça vient de lui. Il a toujours un cran d'avance par rapport à moi, forcément. Il a son style et je peux pas assimiler son style en un an ou deux ans, forcément. Lui il a toujours été entre guillemets « prioritaire » sur les designs de personnages, les univers, la création, et après il y a des gens qui arrivent à imiter son style. De toute manière ce mec là joue le rôle de Directeur Artistique, c'est lui qui va guider le style. Après moi je suis un peu un original, j'arrive pas trop à coller au sien, donc j'essaye de faire les choses un peu par moi-même. C'est vrai qu'on arrive à trouver un style dans le style mais...C'est un peu différent.

En fait il faut que tout se suive, que tous les personnages se rejoignent et se ressemblent c'est ça ? Si chaque artiste a sa propre manière de dessiner, ce n'est pas possible ?

L'idéal, ce serait ça, mais c'est impossible en fait. Idéalement oui, c'est ça, mais au final, même quand t'es chef d'équipe et que tu essayes de créer un guide, tu as toujours des individualités, tu fais aussi avec les imperfections. «

Extrait de l'entretien avec Romain Sephy réalisé le 12/02/2018

Dans le cas du jeu vidéo, cette appellation revêt une importance particulière : celui-ci appartient à la catégorie des créations médiatiques (liées à des composants électroniques), la création d'un jeu vidéo requiert le travail d'une équipe entière et pas d'un seul individu : difficile alors de considérer qu'il y aurait un artiste unique derrière un jeu vidéo. La question de la multiplicité des artistes ou des créateurs dans le jeu vidéo est un point essentiel pour comprendre les possibles obstacles à la légitimation du jeu vidéo. Dans un entretien avec Romain Sephy, Character Designer et Game Designer chez Ankama, la question du travail en équipe a beaucoup été abordée :

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A l'instar des autres arts, le jeu vidéo porte donc bien une idée de vision, l'idée d'un créateur qui commande à des équipes la production d'une oeuvre. Pourtant, la complexité de la mise en place d'un jeu vidéo complet fait que souvent, c'est le nom du studio de développement ou des équipes de développement qui apparaît dans les articles de journaux. Que dire des « grands noms » du jeu vidéo dans ce cas-là ? Pourquoi le public attache-t-il le nom de Hideo Kojima a la série Metal Gear Solid de Konami plutôt que le studio de développement PlatinumGames ? Ou le nom de Fumito Ueda pour Ico et Shadow Of The Colossus de Sony plutôt que le studio de développement Sony Interactive Entertainment ? A l'inverse, pourquoi le public attache-t-il le studio Ubisoft au développement du jeu Assassin's Creed et pas le nom des chefs de projet, Patrice Désilets et Jade Raymond ? Ces différences symboliques et (voire sémiotiques) tiennent aux différentes méthodes de production, d'édition et de développement qui ont cours dans le milieu du jeu vidéo.

o Catégories de jeux vidéo selon leur possible prise de position dans le débat.

Pour comprendre la logique derrière le besoin de reconnaissance du jeu vidéo, il faut comprendre les différences notables entre les logiques dites « marketing » et les logiques dites « de projet ». A travers les entretiens réalisés et les connaissances regroupées dans les différents ouvrages de classification des jeux vidéo ou de morphologie du jeu vidéo, nous proposons ici une catégorisation des différents jeux (sur console et ordinateur) selon leur logique de production, de développement et d'idée maitresse. Celle-ci servira à définir quelle frange de la communauté vidéoludique est touchée par un besoin de légitimation, pourquoi, et de quelle manière elle aborde le débat.

Les jeux à logique marketing : c'est une catégorie de jeux soumis à la rentabilité. Les jeux à gros budget sont portés par de grands studios, une équipe de production et une maison

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d'édition. Ces jeux sont aujourd'hui appelés « Triple A ». Ce jargon est directement hérité du secteur financier et de la fameuse note qui donne la capacité de remboursement d'un état. Pour le jeu vidéo, ce sont les éditeurs qui attribuent la note en fonction du potentiel commercial32. Ces jeux font l'objet d'une attention particulière apportée à l'aspect marketing. La logique ici n'est pas de créer un objet unique, novateur en termes de narration ou de gameplay, mais d'exploiter au maximum les possibilités techniques d'une console ou d'un ordinateur. Les jeux à logique marketing peuvent être comparés aux blockbusters du cinéma, ils visent un public de casual gamers33, une expérience de jeu facile, amusante. Parmi les séries les plus connues on peut citer Uncharted (développé par Naughty Dogs pour Sony Interactive Entertainment), Assassin's Creed (développé par Ubisoft pour Ubisoft et Gameloft) et Call Of Duty (développé par Treyarch, Activision et Infinity Ward pour Activision). Dans cette catégorie se trouvent également les jeux dit Pay-To-Win34.

Les jeux porteurs d'une vision : nous pouvons classer ici les jeux qui sont portés par une vision de leur créateur. Ces jeux sont aussi développés dans des grands studios avec des grands moyens. Cependant, les réussites précédentes des chefs d'équipe leur laissent une liberté, ils s'éloignent d'une logique de bénéfices, même si parfois les budgets restent parfois comparables. Dans ces jeux, le public retient une figure propre (Hidetaka Miyazaki pour la série des Dark Souls, Fumito Ueda pour ICO et Shadow Of The Colossus, Hideo Kojima pour la série des Metal Gear Solid, David Cage pour Heavy Rain et The Nomad Soul...). Ici, l'accent est mis sur la valeur ajoutée du jeu par rapport aux autres jeux vidéo. Le concepteur a une vision particulière du Gameplay,

32 William Audureau, «Que veut dire la mention « AAA » dans les jeux vidéo ? », Le Monde Pixels, 11/11/2015, disponible en ligne.

33 En opposition avec un hardcore gamer, il s'agit d'un joueur occasionnel, qui choisit généralement des jeux simples et qui ne recherche que l'amusement. Dans le jeu, le casual gamer cherche avant tout à se détendre ou à passer le temps. (Définition de gameart.eu).

34 Jeux dans lesquels les joueurs qui payent disposent d'un avantage certain par rapport à ceux qui ne payent pas. « Mickaël Pointier, développeur chez Funcom, confirme cette tendance de fond : "Ça implique de gros changements du côté de la monétisation, avec des jeux basés sur des micro-transactions, du "pay to win", etc. Le design des jeux s'en ressent, nous concevons des jeux plus petits, facilement téléchargeables, qui tournent sur tous les navigateurs Web et sur les mobiles." » . Jean-Michel Oullion, Le jeu vidéo : un secteur en pleine mutation, www.letudiant.fr, 04.09.2013.

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du Gamefeel ou du Gamedesign et tente un exercice de style plus qu'un exercice de virtuosité technique. Parfois sans concession sur la difficulté, l'accessibilité ou la maturité du jeu, ce type de jeux vidéo s'adresse à un public d'initié, que l'on qualifie parfois d'Hardcore Gamers35.

Les jeux à logique de création : cette catégorie regroupe les jeux développés par de plus petites équipes qui n'appartiennent pas à la catégorie des jeux réalisés par de grands créateurs porteurs d'une vision sur le jeu vidéo. Celle-ci catégorie regroupe les jeux indépendants, et les jeux qui explorent les possibilités du medium. L'accent est mis sur l'expérience utilisateur et sur la création d'un jeu unique, avec une équipe réduite. Le jeu est parfois financé par financement participatif, parfois par des éditeurs de jeux indépendants qui voient dans ce marché bien spécifique un moyen de participer à l'évolution des techniques et des narrations dans le jeu vidéo. Les indépendants sont devenus une catégorie bien définie depuis quelques années, notamment avec l'apparition de la plateforme Steam qui permet de mettre en vente en ligne n'importe quel jeu. Pour Michel Ancel (concepteur de Rayman (Ubisoft, 1995) et Beyond Good & Evil (Ubisoft, 2003) se pose un problème de définition du jeu indépendant : « Nous ne devrions pas dire "jeu indépendant". Désormais, nous devrions dire "jeu vraiment innovant", ne pas donner une définition qui se repose sur des valeurs de production et des millions de dollars. Nous pourrions dire qu'un jeu indépendant est un produit de pixel qui coûte dix dollars, mais je pense que c'est plus que ça. C'est un jeu qui vient de "vraies" personnes qui ont une passion une vision et qui peuvent exprimer cette vision. C'est ainsi que je définirais un jeu indépendant »36. Cette idée d'une « vision » du jeu vidéo rejoint celle abordée dans la deuxième catégorie, le critère déterminant ici est donc le budget alloué au développement. Les deux catégories sont poreuses, elles comportent des passerelles comme le prouve le parcours de plusieurs licences, jeux ou développeurs, tel que notamment Markus « Notch » Persson et le jeu vidéo Minecraft (Mojang,

35 Dans sa définition théorique, l'expression hardcore gamer désigne simplement un joueur passionné, peu importe quels sont les aspects du Jeu vidéo qui l'attirent le plus. Cette définition a essentiellement pour rôle de s'opposer au concept de casual gamer en marquant une différence dans le temps que le joueur voudra bien accorder au média.

36 Patrick Garratt, «Ancel et al: «indie» is a defunct term and we should stop using it», VG24/7, en ligne, 19 August 2014, traduction par gameblog.fr.

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2009) qui passe du statut de jeux indépendant développé par Notch seul à celui de jeux à succès planétaire, racheté par Microsoft 2.5 milliards dollars.37

Les jeux communautaires : cette catégorie regroupe tous les jeux dont le but est de former des communautés de joueurs (en ligne ou non). Elle regroupe le sport électronique, les jeux de rôle en ligne massivement multi-joueurs, et même les jeux si complexes qu'une communauté se forme d'elle-même, fondée sur l'aide de jeu (à travers par exemple, les wiki ou les tutoriels). C'est le cas notamment de Dwarf Fortress, créé par Tarn « Toad » Adams (Bay12Games, 2006), dont le côté très cryptique et très exigeant a amené une communauté en ligne à se former très rapidement pour échanger des conseils et des anecdotes concernant leurs parties. Les jeux communautaires font l'objet d'une attention toute particulière dans les travaux de recherche, notamment les jeux de rôle en ligne (comme World Of Warcraft). La sociologie s'intéresse aux interactions au sein de ses jeux. Leur côté addictif est souvent décrié, analysé, décortiqué. Ils sont sensés pousser à l'asociabilité ou, au contraire, à la création de communauté soudée à travers l'expérience de jeu38. Cette catégorie se fait ici autour de la volonté affirmée de rendre le jeu communautaire, de rendre l'expérience sociale, ce qui demande un développement et un marketing diffèrent des autres catégories.

Comme nous l'avons dit précédemment, ces quatre catégories présentent des liens entre elles, il semble possible d'avoir des jeux dont les critères appartiennent à plusieurs catégories. C'est notamment le cas des jeux avec des fonctionnalités en ligne payantes39. Pourtant, cette distinction entre quatre catégories nous permet de bien cerner le débat qui nous intéresse. Si les quatre catégories ont des objectifs différents, elles apportent des arguments parfois semblables et parfois différents à la légitimation. Ces différences en terme de prétention à la légitimation et

37 « Microsoft va racheter Minecraft pour près de 2 milliards d'euros », Le Monde, Lemonde.fr, 15 septembre 2014.

38 Vincent Berry, L'expérience virtuelle. Jouer, vivre, apprendre dans un jeu vidéo, Presses universitaires de Rennes, coll. « Paideia », 2012, 222 p.

39 Ce qui est de plus en plus courant avec les systèmes de micro-transactions ou d'abonnement, par exemple avec le Playstation Plus pour la Playstation 4, seul moyen de s'opposer à d'autres joueurs en ligne moyennant un abonnement de 7.99 euros par mois.

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des arguments avancées rend le débat plus complexe qu'une simple bipolarité « pour ou contre le jeu vidéo en tant que dixième art ».

o Prises de position internes et externes : la difficile définition des termes.

Au-delà des différentes logiques qui s'appliquent selon les acteurs (que nous aborderons en Partie 2), il y a des dissensions internes, des débats d'idées au sein même de la communauté vidéoludique. Un exemple marquant est celui de la prise de position d'Hideo Kojima, créateur de la série Metal Gear Solid : "Le fait est que l'art est quelque chose qui dégage, qui représente la personnalité de l'artiste, de celui qui crée l'oeuvre d'art. Si cent personnes passent devant et qu'une seule d'entre elles est captivée par ce que dégage l'oeuvre, c'est de l'art. Mais les jeux vidéo n'essayent pas de captiver une personne. Un jeu vidéo doit faire en sorte que les 100 personnes qui y joueront apprécieront ce qu'il leur procure. C'est une sorte de service. Mais je suppose que la manière de faire cela avec un jeu vidéo est une forme d'art E...] L'art, c'est ce que vous trouvez au musée, si c'est une toile ou une statue. Ce que je fais, ce que les créateurs de jeux font, c'est organiser le musée - décider de l'éclairage, du placement des choses, de la vente des billets. C'est faire fonctionner le musée pour permettre aux gens de venir y voir l'art. Ce que je fais, moi, Hideo Kojima, c'est gérer le musée et aussi créer l'art qui s'y trouve."40. Cette prise de position rejoint celle qu'avait avancée Roger Erbert la même année. Roger Erbert est un critique de cinéma qui écrit dans le Chicago Sun-Times depuis 1967. A la suite de sa prise de position sur le sujet (« Les jeux vidéo ne pourront jamais être de l'art, ou en tout cas, pas des Beaux-Arts »), le romancier Clive Barker, auteur de la série à succès HellRaiser et consultant sur de nombreux jeux vidéo lui envoie une réponse virulente. La prise de position de Roger Erbert est cinglante, dénonçant la mauvaise compréhension de l'art qu'ont les joueurs de jeux vidéo et qualifiant l'argumentation de Clive Barker d'une « honnête et mature articulation d'un enfant de 4 ans »41. Ces deux prises de position de personnalités réputées dans leur domaine montrent d'abord que le débat a bien lieu. Or, lorsqu'un débat existe, c'est qu'il y a des raisons et des

40 Interview d'Hideo Kojima, Playstation : Magazine Officiel, Février 2006.

41 Roger Erbert, "Games vs. Art: Ebert vs. Barker". Chicago Sun-Times. 31/08/2010.

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arguments qui permettent de se positionner dans un camp ou dans l'autre. La subjectivité ou la complexité des questions annexes au débat de la légitimation du jeu vidéo (« qu'est-ce que l'art ? », « l'artiste peut-il être un collectif ? », ..) rend le débat si « épique ».

La méconnaissance de l'objet (peut-être dû à la difficulté de saisir son aspect protéiforme, ou à la prédominance d'une partie émergée de l'iceberg dominée par les jeux avec de fortes dépenses de marketing) participe également au manque de compréhension entre les acteurs du débat. Dans un entretien au Monde Pixels du 28/09/2016 Oscar Barda, conseiller artistique à la Gaîté Lyrique, un espace parisien dédié aux cultures numériques :

« Les gens ne connaissent que les jeux vidéo qui ont l'argent pour se faire connaître. Il leur est imposé une image du jeu qui est «Call of Duty» ou «Mario». Ça revient à considérer que la nourriture, c'est McDo et c'est tout. »42.

Cette interview est à mettre en relation avec les chiffres du ministère de la culture43 : « Seuls 7 % des Français considèrent que le jeu vidéo est, par nature, un objet culturel », avec un taux de joueurs qui représenterait 53% de la population en France (selon le SELL : Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs). Le jeu vidéo est donc un objet méconnu de la population, y compris de la population qui l'utilise, son aspect protéiforme rend le cadrage du débat difficile, et chaque argumentaire se heurte soit à un problème de définition de l'art, soit au problème de savoir ce qu'il faut attacher au terme « les jeux vidéo ». La définition de l'objet a été faite précédemment dans ce travail de recherche. La question de la définition de l'art demeure. Même si ce travail n'a pas pour but de rentrer dans un débat philosophique sur « qu'est-ce que l'art ? » ou « qu'est-ce qu'un artiste ? », il nous faut donner les définitions auxquelles se réfèrent les acteurs du débat pour analyser quels acteurs utilisent quels arguments dans les parties suivantes. Nous en donnerons trois : la première est celle de Howard Becker dans Les Mondes de l'Art44, il envisage l'art comme « le produit d'une action collective », cette action collective ce produit au sein d'un monde, qui lui révèle ou non de l'artistique : « les mondes de l'art connaissent des

42 Corentin Lamy, «Pourquoi le jeu vidéo est-il si peu considéré en France ?», Le Monde Pixels, 28/09/2016, (En ligne)

43 Les représentations de la culture dans la population française [CE-2016-1], Parution le 05.09.2016

44 Howard S. Becker, Les Mondes de l'art, Paris, Flammarion, 1988.

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transformations incessantes, graduelles ou brutales. De nouveaux mondes de l'art voient le jour, d'autres vieillissent et disparaissent. Aucun monde de l'art ne peut se protéger longtemps ou complètement contre les forces de changement, qu'elles proviennent de l'intérieur ou de tensions internes » (Becker, 1988, p. 301). Cette définition convient parfaitement au monde du jeu vidéo, elle est parfois reprise en filigrane lors de démonstration sur l'aspect artistique du jeu vidéo. Elle suppose l'art comme un travail, comme le résultat d'une action au sein d'un monde en perpétuel évolution. La définition mouvante et volontairement imprécise des mondes de l'art par Becker laisse la possibilité au jeu vidéo de s'exprimer sous son aspect protéiforme. La deuxième définition est celle déjà citée de Marcel Duchamp, qui fait référence au regard du public, à la critique. Marcel Duchamp dit : «Un tableau, même abstrait, est de l'art dès qu'on accepte de le regarder comme un tableau, un readymade est tout simplement de l'art [...] Peut-on faire des oeuvres qui ne soient pas «d'art»? [...] Un mauvais art est quand même de l'art, comme une mauvaise émotion est quand même une émotion »45. Définition certes cryptique, mais qui a son importance dans le débat. Si le public fait l'oeuvre, alors il suffirait d'acquérir les joueurs à la cause de la légitimation pour que le jeu vidéo devienne un art. Enfin, il existe une définition d'usage, moins philosophique du dictionnaire Larousse : « Manière de faire qui manifeste du goût, un sens esthétique poussé. Création d'objets ou de mises en scène spécifiques destinées à produire chez l'homme un état particulier de sensibilité, plus ou moins lié au plaisir esthétique ». Il y a trois définitions pour trois niveaux de débat : un débat sur la création de jeu vidéo et les processus de création qu'il regroupe, un débat sur les joueurs et leur perception du jeu et un débat sur l'esthétisme du jeu vidéo et les émotions qu'il peut créer. Le débat est épique car en plus de regrouper des défenseurs et des détracteurs de la légitimation du jeu vidéo, il englobe également des définitions différentes qui amènent à se pencher sur différentes dimensions du jeu vidéo.

45 Pierre Cabanne, Entretiens avec Marcel Duchamp, Paris, Éditions Belfond, 1967 ; rééd. Éditions Somogy, 1995

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Les arts sont classifiés, numérotés. Chaque art qui a succédé aux six premiers arts présentés par Hegel a dû suivre un processus de légitimation et se soumettre au débat sur l'aspect artistique de la pratique. Le problème est que le jeu vidéo est un objet protéiforme qui se construit avec une équipe. Il est alors nécessaire de recontextualiser et de catégoriser les jeux vidéo pour comprendre quels sont les acteurs et quels sont leurs prises de position. Une classification en quatre catégories semble appropriée. Ces catégories sont formées selon les logiques à l'oeuvre dans le développement, la vente et le but assumé du jeu vidéo. Chaque aspect spécifique du jeu vidéo est un obstacle de plus à une légitimation immédiate, le débat est polarisé parce que l'objet est complexe, méconnu. Néanmoins, l'existence même du débat prouve qu'il existe à la fois des acteurs, des enjeux et des arguments dans les deux camps. L'objectif de la partie suivante est de comprendre les forces et les acteurs qui entrent en jeu dans ce processus de légitimation en particulier. Il faut montrer la position du "milieu de l'art" (musée, exposition, réflexion), le milieu de la "communauté" (Joueurs, développeurs, designers, modes, passionnes), celui de la recherche, des pouvoirs publics...Ces milieux répondent à des motivations différentes, mais qui ont parfois des intérêts convergents. Si la partie précédente a prouvée qu'un débat existe, il nous faut maintenant mettre ce débat dans une perspective globale.

Partie 2

La légitimation du Jeu Vidéo comme "Dixième Art" : Enjeux et acteurs.

Il s'agit ici de comprendre les tenants et les aboutissants du débat autour de la légitimation du jeu vidéo en tant que dixième art. Comme nous l'avons dit précédemment, les différents acteurs du monde du jeu vidéo ont des intérêts et des visions différentes. Une légitimation de l'objet aurait une signification différente pour chacun de ces acteurs. Dans la première partie, l'histoire du jeu vidéo, sa spécificité et le débat en cours ont été décrit, il s'agit maintenant d'expliquer les dynamiques à l'oeuvre dans l'industrie et dans le monde du jeu vidéo, puis de montrer que le débat autour du dixième art regroupe des enjeux qui dépassent le jeu vidéo : l'exemple du jeu vidéo est un nouveau parcours de légitimation, il apporte aussi une ouverture des possibilités et une refonte de la manière de penser la production artistique.

I) La légitimation du Jeux Vidéo : la création d'une nouvelle dynamique

Avec le débat qui s'est formé autour de la légitimation du jeu vidéo est apparu une production à deux vitesses dans l'industrie vidéoludique, d'un côté les partisans de cette légitimation, qui travaillent (ou jouent) à des jeux vidéo réflectifs sur eux-mêmes, qui recherchent cette légitimation (d'un point de vue technique, artistique...), de l'autre une industrie de consommation, ludique, qui recherche le jeu vidéo AAA. Ce n'est pas une bataille rangée avec deux camps bien distincts, les points de vue et les méthodes de production sont parfois semblables. Cependant, la légitimation des jeux vidéo inéluctablement en cours entraine une modification de l'industrie des jeux vidéo. Pour comprendre la nouvelle dynamique, il faut présenter les acteurs, leurs intérêts et leur position dans le débat.

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o Le développement

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Le développement d'un jeu vidéo est la part de création d'un jeu vidéo. Il regroupe le design, la programmation, la scénarisation, l'infographie, la musique assistée par ordinateur, l'infographie ou encore l'animation. La ou les personnes qui travaillent au développement sont les développeurs. Regroupés au sein d'une entreprise ou d'un collectif ils forment un studio de développement. En 2008, l'entreprise de développement Blizzard Entertainment fusionne avec Activision pour former Activision Blizzard. Ce studio de développement est le plus important de l'industrie du jeu vidéo46. Les développeurs sont considérés comme les créateurs du jeu vidéo. Dans la revue du ministère de la culture Culture Etudes, François Rouet fait état des modifications du statut des créateurs de jeu vidéo. L'apparition de nouvelles technologies et la difficulté d'avoir des machines qui supportent les calculs d'éléments en trois dimensions a amené une professionnalisation du métier. Pour François Rouet, nous sommes entrés dans le troisième âge :

« Une troisième génération de créateurs émerge aujourd'hui, formée dans des écoles spécialisées. Elle succède à la première génération des pionniers, qui ont parfois conçu et développé des jeux entièrement seuls, et à la deuxième génération née au cours des années 1990 qui contribua au développement de la plupart des studios actuels. Les créateurs des deux premières générations sont pour beaucoup des autodidactes du jeu, arrivés sur le marché du jeu vidéo à une époque où aucune filière ne permettait de se former à cette création. Ils venaient de la musique, du graphisme, de l'architecture ou encore de la programmation, ont découvert et inventé leur pratique en créant, et tous expriment la même motivation fondamentale, celle de l'exploration, de la découverte d'un univers inconnu. Cette motivation se retrouve dans la troisième génération et chez les étudiants d'aujourd'hui - tous ayant nourri leur passion de créateur de leur passion de joueur. »47.

Le parcours atypique du jeu vidéo, hors de la sphère traditionnelle et proche de la pop-culture, était une source de satisfaction pour les créateurs de première et de deuxième génération. Avec l'augmentation des budgets, la massification du public et la reconnaissance

46 Agence Française pour le Jeu Vidéo, Analyse de l'annonce de la fusion, 4 décembre 2007, Note en ligne.

47 François Rouet, « La création dans l'industrie du jeu vidéo », Culture Etudes, 2009-1, Ministère de la Culture et de la Communication.

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du jeu vidéo, les créateurs demandent de nos jours une reconnaissance individuelle de leur travail. En effet, le statut d' « hommes de l'ombre » des concepteurs de jeu vidéo ne permet pas de reconnaitre individuellement leur talent artistique (Design, graphisme, dessin..) et ne permet pas non plus une grande mobilité professionnelle48. L'un des principaux acteurs du débat sur les jeux vidéo est donc cet ensemble de créateurs qui militent pour une reconnaissance de leur travail. L'agglomérat de développeurs sous la forme de studios requiert un « management du travail de création collective » expression qui rejoint la définition de l'art selon Howard S. Becker.

« Créer un jeu vidéo est un travail d'équipe qui laisse peu de place à l'exercice indépendant et exige que les auteurs soient intégrés à des studios. Ces derniers fournissent le contexte technique dans lequel sont immergés les créateurs. Ainsi la création devient-elle le fait d'entreprises de création » (François Rouet, 2009, op. cit.).

La quête de reconnaissance du jeu vidéo peut apporter à ceux qui travaillent à son développement : dans un premier temps l'association de l'idée de création a l'idée de travailleurs du jeu vidéo et dans un second temps la reconnaissance de compétences spécifiques et individuelles au-delà de l'aspect collectif du travail de développement d'un jeu vidéo.

o L'édition et la production.

Les éditeurs de jeux vidéo sont une conséquence directe de la massification du public et de l'apparition d'une logique de rentabilité. Les premiers éditeurs prenaient en charge la publication d'un jeu développé par un studio, moyennant une partie des recettes de la vente. Aujourd'hui, un éditeur distribue, s'occupe du marketing et continue à publier les jeux. La mondialisation a fait du marché du jeu vidéo un marché international et la multiplication des jeux sur le marché a

48 Cette quête de reconnaissance des conditions de travail et des qualités des employés dans les studios de développement fait l'objet d'une attention particulière par le SNJV, le syndicat national du jeu vidéo. La demande de reconnaissance des créateurs et concepteurs au sein des studios est également abordée par François Rouet dans « La création dans l'industrie du jeu vidéo » (op. cit.).

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rendu nécessaire le marketing autour des nouveaux jeux : ces deux phénomènes liés ont rendu les éditeurs populaires, voire indispensables à la survie des studios. Cependant, si le rôle des éditeurs est de s'assurer de la publication et de la diffusion des jeux, leur rôle aurait dû perdre en intensité avec la numérisation des jeux49. Force est de constater que les éditeurs n'ont pas disparu, leur rôle a muté vers un panel de services aux développeurs. Depuis les années 1990, les éditeurs assurent tous les rôles d'aide au développement du jeu vidéo, du financement à la publication et de la distribution au marketing. C'est pour cette raison que nous avons choisi de les regrouper en tant qu'un acteur unique, sous l'étiquette des éditeurs-producteurs. Bien qu'ils financent le développement des jeux et assurent leur bonne vente, la question de la production et de l'édition fait face à un débat houleux. D'un côté, l'arrivée de l'édition et de la production est perçue comme une perte d'autonomie pour les studios de développement. En effet, si l'édition finance la création de jeu, elle le fait moyennant un pourcentage sur les ventes (proportionnel à la somme investie). Ce modèle économique ne permet plus aux studios de développement de faire croitre leurs capitaux pour développer des jeux de plus en plus ambitieux. Il y a un fort risque pour les studios de perdre leur indépendance financière. Parallèlement on trouve un débat plus pernicieux, plus moral : celui des logiques de rentabilité et de l'indépendance du créateur. En effet le financement d'un jeu n'est pas un don de la part des producteurs ou des éditeurs, c'est un investissement. Celui-ci leur fournit un droit de regard sur l'avancée du développement, sur le contenu du jeu, sur les restrictions d'âge, la violence50, le choix des plateformes...Le tout dans une logique de rentabilité. C'est un point vivement critiqué par les joueurs et les créateurs de jeux vidéo. Le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs51 est souvent attaqué pour son « ingérence » dans le processus de développement : amputant le jeu

49 En plus de la plateforme de vente en ligne de jeux sur ordinateur Steam dont nous avons déjà parlé, les jeux sur console se dématérialise et sont maintenant en vente par téléchargement sur des plateformes propres a chaque consoles (comme le Playstation Network pour la console Playstation 3 et Playstation 4 de Sony.

50 Voir Encadré 6.

51 Plus communément dénommé par son acronyme SELL, il a été fondé en 1995, il compte une vingtaine d'adhérents. Le mot sell signifie vendre en anglais, les détracteurs de la logique commerciale les plus subtils reconnaissent souvent l'ironie de cet acronyme.

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de certains contenus choquants, abaissant la difficulté ou ajoutant des fonctionnalités payantes, les éditeurs dénaturent parfois la vision primordiale des studios de développement.

Encadré 6 : La classification PEGI.

Selon le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs, les pictogrammes PEGI « apparaissent sur le devant et au dos de l'emballage et indiquent l'une des classes d'âge suivantes : 3, 7, 12, 16 et 18. Ils donnent une indication fiable du caractère adapté du contenu du jeu en termes de protection des mineurs. La classification par âge ne tient pas compte du niveau de difficulté ou des aptitudes requises pour jouer à un jeu ». Les pictogrammes font aussi état des contenus pontentiellement choquants présents dans les jeux vidéo. Il existe depuis 2003 et est fixé sous sa forme actuelle depuis 2009. La classification PEGI est utilisée dans 31 pays de l'Europe, au Canada et en Israël. Si la classification d'un jeu selon la norme PEGI est obligatoire, celle-ci n'a qu'une valeur informative, ce qui en fait un objet de critiques de la part des association de protection des mineurs, qui la trouve trop laxiste et de la part du Syndicat national du jeu video et des joueurs, qui la trouve restrective et inutile.

Les pictogrammes PEGI avec l'âge minimum requis et les contenus potentiellement

choquant

Source : https://pegi.info/

Les éditeurs et les producteurs sont devenus des acteurs incontournables de la communauté vidéoludique, et ils prennent donc également part au débat sur le processus de légitimation. La reconnaissance du jeu vidéo en tant qu'oeuvre d'art, pourrait signifier soit la pérénnité des pratiques d'ingérence des éditeurs et des producteurs (les jeux vidéos deviendrait des oeuvres de commandes, ordonnées par les éditeurs et développées par des créateurs.), soit l'ouverture d'un nouveau marché (et donc de nouveaux bénéfices) par l'entrée du jeu vidéo dans le monde

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de l'art. Si la logique des éditeurs et des développeurs est une logique professionnelle et commerciale, leurs intérêts dans le débat sont eux aussi des intérêts commerciaux.

o Les joueurs.

S'ils sont souvent regroupés sous des termes génériques comme « les joueurs de jeux vidéo » ou « la communauté des joueurs », force est de constater qu'ils forment un groupe hétérogène.

Encadré 7 : les chiffres du jeux vidéo en 2017 par le SELL.

Source : Agence Francaise pour le jeu video, Etude Sell/GfK, Octobre 2017

Le nombre de joueurs a connu une très forte augmentation depuis les années 1990 avec la démocratisation des consoles et des ordinateurs de salon. L'apparition des jeux sur téléphones mobiles à la fin des années 2000 a ensuite amené une nouvelle catégorie de joueurs casual et un nouveau marché. Il est difficile de dire quelle est la place de ces acteurs dans le débat sur la légitimation du jeux video en tant que dixième art. Néanmoins, selon les démonstrations

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précédentes, nous pouvons déterminer qu'il y a une recherche de contenu de qualité chez les joueurs : l'attribution d'une très bonne note par la presse specialisée est souvent suivie d'une vague d'achat du jeu. L'exemple le plus récent est celui de God Of War (Sony Interactive Entertainment, 2018), premier jeu à obtenir la note maximale de 20/20 sur le site jeuxvideo.com depuis Zelda : Breath Of The Wild (Nintendo EPD, 2017). La semaine suivante, dans le top 5 des ventes dévoilé par le SELL, God Of War occupe les trois premières places. (Edition classique en première place, édition collector en deuxième et édition limitée en troisième position). Le jeu totalise 3.1 millions de vente en trois jours, occupant ainsi la première place sur le podium des jeux avec la meilleure entrée sur le marché. Les joueurs sont ainsi des acteurs important, puisque ce sont les consommateurs. Ce sont eux qui sont au coeur du processus de création. Si le processus de création est artistique (car il cherche à faire ressentir des émotions et vise l'esthètisme), le joueur devient le public. La question de la pratique de l'art a été abordée lors de notre entretien avec Francois Frimat52 :

Tous les arts se pratiquent ?

Oui. Oui, oui. Je pense qu'ils se pratiquent plus qu'ils ne se contemplent. Alors il y a évidemment différents régimes de pratiques hein. Dans le jeu vidéo il faut peut-être distinguer la pratique technique du jeu, la pratique physique et d'un autre côté une pratique plus spirituelle. Il faut que le récepteur soit actif pour qu'il y ait art, si je suis dans une contemplation passive, il n'y a pas d'art.

La position des joueurs dans le débat pourrait donc s'apparenter à celles d'un « pratiquant » de l'art, cherchant du contenu qualitatif. Il faut néanmoins faire état de différences notables : les pratiques diffèrent autant que les points de vue. Il semble complexe de définir une opinion générale des joueurs, si ce n'est que sur un marché du jeu vidéo de plus en plus saturé, ceux-ci attendent un contenu de qualité. Le jeu vidéo est perçu comme un investissement : de temps et

52 Entretien avec François FRIMAT, philosophe de l'art et enseignant à Lille III, réalisé le 09/02/2018 par nos soins. Disponible intégralement en Annexe 2.

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d'argent. Une potentielle reconnaissance du jeu vidéo donnerait un sens supplémentaire à l'argent et au temps investit, prétextant une pratique artistique.

o Les vidéastes YouTube et la presse spécialisée.

Ces deux catégories sont intimement liées. Comme nous l'avons vu précédemment, la presse de jeux vidéo est une presse de passionnés pour passionnés. La presse spécialisée a joué un rôle important dans la démocratisation du jeu vidéo. Dans son « annuaire de la presse spécialisée », l'Agence Française pour le Jeu Vidéo compte 23 journaux différents. La presse papier est aujourd'hui en perte de vitesse par rapport à une presse en ligne qui se développe de plus en plus. Sur ce domaine, jeuxvideo.com reste le premier site de jeux vidéo visité en Europe. C'est un site gratuit, son maintien est financé par de la publicité faite pour les éditeurs et les fréquentations du site. On retrouve ici une logique de dépendance financière aux éditeurs qui pourrait influencer le contenu éditorial. En effet, il semble difficile de construire des critiques négatives envers les jeux des grands éditeurs qui sont les premiers annonceurs du site :

« Tu as une presse purement business, qui fait du fric. Tu as un article élogieux d'Ubisoft, une pub d'Ubisoft. Un article élogieux de Quantic Dream, une pub Quantic Dream. Mais il y a la même chose dans la mode. » (Propos d'Eric Leguay recueillis dans le cadre du projet Medialab de l'école de la communication de Sciences Po Paris, 2016).

Si cette situation s'est progressivement installée au cours des années 2000, c'est le scandale dit du « Doritos-gate » qui la met sur le devant de la scène : en 2012, des industriels du jeu vidéo et des journalistes ont posé ensemble pour une photo devant une affiche du jeu Halo 4 avec un paquet de biscuit Doritos. Les joueurs s'insurgent alors contre la démonstration flagrante de relations d'intérêt et de dépendance entre les journalistes de jeux vidéo et les industriels. Au-delà des conflits d'intérêt entre les éditeurs et les journalistes spécialisés, cette connivence permet également de faire apparaitre un effet de solidarité : journalistes, producteurs, développeurs et éditeurs se retrouvent unis pour défendre le jeu vidéo. La presse

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spécialisée en ligne ou sur papier emmène avec elle le reste des acteurs dans le processus de légitimation. Selon Martin Lefebvre, rédacteur en chef de Merlanfrit, site de critiques vidéoludique :

« C'est un champ dominé dans la société, les acteurs de ce champ vont avoir tendance à faire bloc d'une certaine mesure. E...] Il y a cet effet de scène, ces gens qui vont aller aux mêmes endroits, avoir les mêmes centres d'intérêts. C'est tout à fait normal. Le problème, car il y en a, c'est que l'effet de scène il va avoir tendance à être un petit peu incestueux, il va y avoir des renvois d'ascenseurs. »53.

Avec ces problèmes éthiques apparaissent deux positions dans la presse spécialisée. La première vise à massifier et à diffuser au maximum (comme pour jeuxvideo.com). La deuxième, c'est de cibler un public de niche, intéressé par des sujets précis (le Hardware ou la scène indépendante par exemple, c'est la position choisie par un magazine comme Gamekult.). Dans un tout autre domaine, les rubriques jeux vidéo ont aussi fait leur apparition dans la presse généraliste dès la fin des années 1990 avec l'arrivée du jeu vidéo dans le débat de société. C'est le fait d'initiatives individuelles, de journalistes qui décident d'offrir un autre traitement médiatique que celui des dangers liés à la pratique du jeu vidéo. La presse généraliste touche un double lectorat : l'un est constitué des lecteurs historiques du journal qui ne s'intéressent pas à ce sujet, l'autre est uniquement constitué de joueurs de jeux vidéo. Si parfois la presse généraliste relaye des clichés intemporels (sur l'addiction, la violence, le sexisme dans les jeux et dans l'industrie...), elle permet de servir de catalyseur, elle agglomère les avis et arguments en leur offrant un écho dans ses tribunes.

Les Youtubers et les live-streamers (nom donné à ceux qui se filment en direct en train de jouer à un jeu vidéo, notamment sur la plateforme en ligne Twitch) sont devenus peu à peu les nouveaux critiques du milieu. Leur audience dépasse massivement les abonnés aux magazines de presse spécialisée :

53 Propos de Martin Lefebvre recueillis dans le cadre du projet Medialab de l'école de la communication de Sciences Po Paris, 2016.

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« La France est un petit marché [sur Youtube] mais en France il y a une sorte de concentration de la starification des Youtubers. Vous prenez un magazine indépendant, avec une belle plume qui a du mordant comme CanardPC, les mecs ils ont 30 000 abonnés. Donc au maximum, même s'ils le passent à leurs copains et tout ça, tu vas avoir 200 000 vues. C'est quand même beaucoup plus faible qu'un YouTuber lambda. »54.

Pourtant les considérations éthiques et les liens qui les unissent aux éditeurs (à travers le système du placement de produit) restent obscurs. Il existe néanmoins des créateurs de contenus qui s'imposent comme des analystes ou comme des critiques : les pionniers d'un tel format ont été Usul et Dorian dans la série de vidéos 3615 Usul diffusée sur jeuxvideo.com pour Nesblog. Les vidéos du 3615 Usul sont des vidéos de fond, qui abordent la question du politique, de l'indépendance ou de la spécificité du medium. Sans être des articles de recherche, les vidéos provoquent des débats de fond favorisant l'émergence de nouveaux arguments. et donnent un écho aux travaux de recherche et de théories du jeu vidéo (notamment aux travaux de Steve Swink). Le jeu vidéo est un nouveau medium, il a pu profiter d'un nouveau support avec des lignes éditoriales et des cadrages du sujet bien précis. Loin de s'adresser au « tout public », Youtube et Twitch rassemblent des passionnés autour de la pratique et du partage du jeu. Avec un système de messagerie instantanée à droite de la fenêtre de visionnage sur Twitch, la plateforme se veut interactive. La communauté vidéoludique est une communauté de l'ensemble qui, après avoir fait face à des critiques virulentes sur son medium de prédilection, invente de nouvelles manières de le diffuser.

o Les pouvoirs publics et associations.

Les pouvoirs publics et les associations forment un ensemble d'acteurs spéciaux, qu'il est parfois utile de regrouper pour déterminer leur action commune et individuelle. Ces deux entités occupent la sphère légale. Ce sont des acteurs qui se construisent en réponse à des stimuli posés

54 Propos de FibreTigre, rédacteur de blog spécialisé dans les nouvelles technologies, recueillis dans le cadre du projet Medialab de l'école de la communication de Sciences Po Paris, 2016.

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par les autres groupes. Un bon exemple est la réaction du gouvernement Raffarin face à la démocratisation de la pratique du jeu vidéo en France. De 1990 à 2000, la communauté vidéoludique internationale emploie le terme de French Touch pour parler des productions françaises qui seraient des créations à part avec une certaine vision artistique de ce que doit être l'interactivité et la création. Comprenant que la France avait une place de choix dans le développement des jeux, le gouvernement octroie un crédit d'impôts aux créateurs de jeu vidéo, leur permettant de défiscaliser les frais de production. Avec ce cadeau financier, les pouvoirs publics s'assurent d'un maintien de la création dans les studios français. C'est aussi un levier efficace pour faire valoir les critères officiels de la création. C'est la définition même de la légitimation. Le crédit d'impôts n'est accordé qu'à divers aspects du développement (dessin, design, musique...). Par exemple, la programmation par exemple, étape cruciale de l'animation et du développement, ne se voit pas couverte par le crédit d'impôts. Elle reste à cause de ce choix un domaine qui n'est pas valorisée dans le processus de création.

Les pouvoirs publics détiennent intrinsèquement du pouvoir, celui de la reconnaissance et de l'adoubement d'une pratique par l'Etat. En 2006, trois concepteurs de jeux vidéo sont nommés Chevaliers de l'Ordre des Arts et des Lettres par le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres. On trouve deux français, Michel Ancel et Fréderic Raynal et un japonais Shigeru Miyamoto. Le discours du ministre place le jeu vidéo à un rang particulier :

« Vous avez durablement révolutionné l'univers du jeu vidéo, en lui donnant ses lettres de noblesse, avec la place qu'il occupe désormais au sein de la création vivante, entre le cinéma et les autres arts, grâce à de véritables prouesses techniques. »55.

Ce discours implique que le jeu vidéo pourrait donc être révolutionné dans son ensemble par la sortie de titres majeurs. Il ne fait pas état de différences notables entre les différents titres, ni des apports mineurs de chacun des jeux au jeu vidéo en général. Il implique également que les lettres de noblesse du jeu vidéo auraient déjà été données par ces trois développeurs. Le jeu vidéo appartiendrait à la création vivante, entre le cinéma et l'ensemble vague des « autres arts ».

55 Olivier Dumons, « Le jeu vidéo acquiert ses lettres de noblesse », Le Monde, 27 avril 2006.

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Il faut analyser l'épisode de 2006 comme une reconnaissance partielle, faite a posteriori. Le fait que des concepteurs fassent de l'art avec des jeux vidéo est diffèrent que de faire de cet objet un art. La différence est subtile, mais importante : dans le premier cas, on utilise des techniques artistiques déjà présentes pour les transposer sur le jeu vidéo, qui devient un support. Dans le second cas, c'est le support lui-même qui est considéré comme une oeuvre, dans son ensemble et comme un objet unique. L'entrée des pouvoirs publics et des institutions de la culture dans le débat se fait a posteriori. Les trois concepteurs sont récompensés pour des oeuvres parfois datées56. Ici, pas de prise en compte de la spécificité française, ni de la spécificité du jeu vidéo, mais une prise de conscience que le jeu vidéo est bel et bien dans un processus évolutif depuis 1992.

C'est dans ce décalage entre la sphère la plus proche du jeu vidéo et du public, et celle des pouvoirs publics que s'insèrent les associations et les syndicats. Que ce soient des associations de démocratisation de la pratique, de l'aide au financement, de la conception indépendante ou du consulting, celles-ci se regroupent autour du jeu vidéo ont pour but de prendre une place pour l'instant non-attribuée. Elle joue des rôles proches des associations politiques : elles font remonter les problèmes que connaissent les studios de développement français aux pouvoirs publics. C'est un système que nous pourrions qualifier de Bottom-up, qui va du haut vers le bas. Le décalage entre l'émission d'un message et sa réception est grand. Il entraine les problèmes courants de mauvaise compréhension des attentes et des besoins57. La sphère qui regroupe les pouvoirs publics et les associations n'est pas une sphère du débat, mais une sphère de l'action. Elle agit sur des problèmes identifiés quand le climat s'apaise.

Force est de constater que les enjeux diffèrent et que le camp des acteurs n'est pas homogène et clos. Le débat sur la légitimation du jeu vidéo n'est pas une bataille rangée entre les détracteurs et les défenseurs, il est le fait d'une multitude d'acteurs qui ont des intérêts à la

56 Michel Ancel sort le jeu Rayman en 1995, Michel Ancel réalise Alone In The Dark en 1992 et Shigeru Miyamoto est à l' origine des premiers succès de Nintendo.

57 Il est possible de s'intéresser aux rôles des associations telles que Gamelier ou l'AFJV par le biais des théories dites du « principal-agent ».

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fois communs et individuels. Cette multiplicité d'acteurs permet de prendre une place dans le débat public.

II) Une perspective globale : un enjeu au-delà du dixième art.

Par-delà l'industrie du jeu vidéo, par-delà les domaines qu'elle touche, la légitimation d'un nouvel art est une porte ouverte à d'autres études, d'autres débats qui dépassent les frontières du « Dixième art », l'exemple du jeu vidéo (puisqu'il n'est qu'un exemple), apporte des éléments supplémentaires aux théories de la légitimation, aux théories de l'art, aux futurs processus, aux croisades de la morale (Selon les termes de Howard S. Becker), aux nouvelles technologies, au patrimoine...Les enjeux individuels et collectifs des acteurs peuvent apparaitre secondaires face à d'autres enjeux qui sont culturels et artistiques nationaux et internationaux.

o Culture, art et patrimoine.

Le parcours du jeu vidéo est celui d'un objet de loisir qui mute en objet culturel et prétend ensuite accéder au rang de dixième art. Le jeu vidéo comme objet de loisir est une conséquence directe de son but premier : amuser le joueur. Il s'impose ensuite comme un objet culturel au moment de la démocratisation de la pratique. L'objet culturel peut être défini comme l'alliance d'un objet matériel et d'un fait social. Nous l'avons vu, le jeu vidéo s'impose comme un fait social au milieu des années 1980, quand les ordinateurs personnels et les consoles de jeu gagnent en popularité dans les foyers. Or, pour Emmanuel Diet, psychologue et psychanalyste :

« Symbolique ou matériel, l'objet culturel, inscrit dans le social-historique, participe, pour les sujets comme pour les groupes, au travail de civilisation, subjectivation et socialisation. Comme objet malléable intermédiaire, conteneur, médiateur et transformateur des destins de

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la pulsion et structure transitionnelle étayant le travail de sublimation et d'élaboration, l'objet culturel assure, comme tel, une fonctionnalité essentielle dans la construction de la relation à soi, aux autres et à l'ensemble. La contextualité hypermoderne de la marchandisation généralisée et de l'impératif de jouissance immédiate tend à le réduire au statut de produit consommable et jetable dont la valeur symbolique et symbolisante apparaît désormais problématique. »58.

L'objet « jeu vidéo » qui s'inscrit dans le « social-historique ». Il est porteur d'une notion de patrimoine, car c'est une production d'une civilisation qui assure un rôle de médiation et de construction de la relation à soi. Ce rôle pourrait être mis en danger par les logiques de bénéfices à l'oeuvre. Le concept de jeu vidéo comme objet de patrimoine est de plus en plus repris dans les domaines de la culture. C'est le cas notamment des expositions permanentes sur le jeu vidéo : elles ne le présentent plus en tant que simple objet matériel (comme une console avec un jeu sous vitrine), elles proposent surtout un temps de jeu, une expérience particulière de l'interactivité59. Le jeu devient un objet « consultable », il sort du simple objet de consommation pour devenir une ressource. Entre la fin de la « fracture numérique », la médiation culturelle, la démocratisation et la sensibilisation à une pratique, le jeu vidéo entre dans un traitement qui ressemble à ceux de pratiques plus légitimées (comme la bande dessinée ou le cinéma). C'est avec cette idée qu'il a été mis à disposition dans certaines bibliothèques de France. L'entretien ci-dessous fait état de l'importance que prend l'entrée du jeu vidéo dans les bibliothèques :

Qu'est-ce que le service "numérique" dans votre médiathèque ? Quelles sont ses missions ?

L'espace numérique englobe plusieurs aspects. Le plus visible, et celui qui attire le plus, c'est la partie jeu vidéo. Nous proposons en effet un catalogue de plus de 1200 jeux, sur consoles et tablettes, qui est disponible à la fois en prêt et en accès libre sur place. L'objectif étant de rendre ces matériels accessibles au plus grand nombre. Les abonnés peuvent également emprunter une tablette ou une console de jeu, chose peu courante en médiathèque ! Nous sommes deux agents à gérer l'espace numérique, qui a rencontré un fort succès dès le démarrage. Au-delà de la gestion du fonds de jeu et de prêt de matériel, nous organisons régulièrement des animations liées au jeu vidéo (tournoi, soirée jeux en famille...).

58 Emmanuel Diet, « L'objet culturel et ses fonctions médiatrices », Connexions, vol. 93, no. 1, 2010, pp. 39-59.

59 Voir notamment la collection du Museum of Modern Arts de New-York, première collection a intégrer des jeux vidéo a sa collection permanente.

Comment rapprocher le jeu vidéo des missions "classiques" d'une bibliothèque ? En quoi cette évolution est importante aujourd'hui ?

Le jeu vidéo est un produit culturel à part entière, au même titre que la littérature, la vidéo, la musique... Il a une histoire (plus de 40 ans d'existence !), ses auteurs, ses genres, ses best-sellers et ses titres de niche. Selon les titres, l'accent peut être mis sur un aspect en particulier : le scénario, la musique, l'esthétique graphique... qui peut faire d'un jeu une véritable oeuvre. Comme avec les autres supports, il y en a pour tous les goûts : apprendre, s'émerveiller, se détendre... Sa présence en bibliothèque apparaît finalement comme assez naturelle, c'est une collection comme une autre.

Autre point, tout le monde n'a pas les moyens d'acheter du matériel de jeu vidéo, ou même si c'est le cas, le jeu vidéo reste un média onéreux ; y donner accès permet de réduire une certaine fracture numérique. C'est pourquoi nous avons aussi choisi d'acquérir deux casques de réalité virtuelle : l'un dédié au jeu vidéo, et le second orienté vers d'autres types d'expériences (exploration sous-marine, création artistique, visite virtuelle...).

Une autre de nos missions est aussi de créer du lien, entre des collections et les gens, mais aussi entre les gens eux-mêmes. Et le jeu vidéo est un excellent moyen pour créer ce lien : un joueur va par exemple naturellement solliciter un autre joueur pour l'accompagner (certains jeux sont faits pour être joués à plusieurs), ce qui est aussi l'occasion de se faire de nouveaux amis ! Le lien peut aussi être intergénérationnel. Nous avons un public plutôt familial, et notre rôle de médiateur est aussi de mettre les parents ou grands-parents à l'aise et de les accompagner dans la pratique du jeu, notamment avec leur enfant ou petits-enfants.

Entretien d'Alice Bernard, responsable de la médiathèque Michel Serres à Saint-Avertin et présidente du groupe région Centre de l'Association des Bibliothécaires de France, entretien réalisé par Aurèlie R. pour le blog moncherwatson.fr (développement culturel & valorisation du patrimoine).

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Le terme « culture vidéoludique » fait intrinsèquement référence à l'idée d'une culture indépendante, faite d'un ensemble de titres, de souvenirs et de savoir. De la même manière, l'expression « culture du jeu vidéo » indique bien une notion de savoir-faire, de talent dans le processus de fabrication d'un jeu vidéo. Ce savoir-faire est celui de la mise en oeuvre de l'interaction entre le joueur et la machine et celui de la création d'émotions à travers le jeu vidéo. En ce sens, la création est aussi une forme de pratique qui entre dans la définition du patrimoine, ce qui pourrait expliquer la prise de position des pouvoirs publics abordée dans la partie précédente. Le processus de légitimation passe par une reconnaissance de la culture

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vidéoludique. Elle se démocratise et devient accessible à la fois dans les institutions et centres culturels populaires, tout comme dans les centres culturels les plus légitimes.

o Vers une nouvelle dynamique de production

Le financement et la création de jeux vidéo est un système complexe. Nous pouvons les séparer en deux domaines :

- Le premier est l'industrie dite mainstream, qui considère les jeux comme un moyen de s'amuser, qui se concentre sur le côté ludique et sur un public de casual gamers. Cet ensemble de créateurs regroupe ceux qui cherchent des éditeurs et parfois une logique financière.

- Le deuxième domaine est celui du jeu dit « de création » ou « artistique ». Il regroupe les jeux qui cherchent un public intéressé par la spécificité du jeu vidéo ou par le côté artistique de celui-ci.

Une potentielle légitimation du jeu vidéo pourrait signifier l'apparition d'une industrie définitivement bicéphale, totalement polarisée entre les éditeurs aux logiques de bénéfices et les créateurs aux logiques artistiques. C'est un débat, comme nous l'avons vu, qui fait écho aux dissensions internes déjà présentes dans l'industrie du jeu vidéo. Certains développeurs ou chefs de projet prennent position. C'est le cas notamment de Chris Crawford60 ou plus récemment de David Cage. C'est l'un des « grands noms » du jeu vidéo français. A la tête du studio Quantic Dream, il développe The Nomad Soul (1999, Quantic Dream) pour lequel le chanteur David Bowie compose l'intégralité des musiques. Il est également connu pour ses prises de position sur le milieu du jeu vidéo et le but du media. Dans une interview de David Cage par Vincent Jolly pour le Figaro en 2013, il dit :

« Il y a des gens qui ne veulent pas que le jeu vidéo change. Mais ce n'est pas parce que jeux de zombies ou de bagnoles existent qu'on ne doit pas essayer autre chose ! E...] Nous, les créateurs, avons tellement tendu le bâton pour nous faire battre avec certains jeux...Mais il ne

60 Voir Encadré 8.

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faut pas généraliser. A Quantic Dream, comme dans d'autres studios, on essaye de faire les choses autrement. ».

Cette position est celle de plusieurs studios et créateurs indépendants ou non, qui cherchent d'abord à produire de l'art plutôt qu'à proposer un produit de consommation. D'un autre côté, les coûts de production augmentent en même temps que les avancées technologiques, et les éditeurs et développeurs attendent un retour sur investissement. Dans d'autres grands studios, une autre logique est à l'oeuvre. C'est le cas notamment du studio Ubisoft, qui répond maintenant à des logiques boursières et pourrait être racheté par le groupe Vivendi. Celui-ci compte plus de dix mille employés à travers le monde. Le mode de production et les objectifs du studio sont donc différents :

Peux-tu nous expliquer la hiérarchie et le fonctionnement d'une si grosse entreprise ?

Ouah... C'est presque mission impossible en fait de le faire de façon précise, mais je vais tenter de le faire simplement et d'être le plus clair possible. En gros tu as trois grands « boss » : Yves Guillemot pour les grandes décisions stratégiques d'entreprise, Serge Hascoët pour les décisions concernant les jeux en eux-mêmes, Christine Burgess-Quémard pour la direction des studios et des ressources financières, humaines. Ces gens travaillent au HQ de la production internationale à Montreuil, près de Paris, entité qui doit regrouper autour de 300 personnes. Elles sont là en support pour les studios avant toute chose qui eux sont un peu partout à travers le monde et qui créent les jeux. Un seul studio peut créer un ou plusieurs jeux, seul ou en collaboration avec d'autres studios. Le HQ est là pour les aider à faire leur travail du mieux possible, du coup on se rencontre régulièrement à moult occasions, notamment les « gates », les étapes de production où les studios font part des avancées des projets aux dirigeants. À côté, il y a bien d'autres structures de supports business, marketing, commerciales qui sont aussi à Montreuil et qui sont là pour s'occuper de la bonne diffusion des jeux sur les réseaux de distribution (pour que vous retrouviez vos jeux en magasin). Cela c'est sans compter la diversification, Ubisoft Motion Pictures, la gestion des goodies, des BDs, Uplay, les métiers du juridique, la compta, les relations presse, les ressources informatiques et d'infrastructure, les achats, etc etc.

De plus, tu utilises le terme « Art de construction massive »... Ce n'est pas un peu antinomique ? Que veux-tu dire avec ce drôle de mot ?

L'art de construction massive, c'est pour moi l'idée de créer des mondes gigantesques et généreux dans ce qu'ils ont à proposer aux joueurs. Tout le travail abattu en amont pour faire en sorte que chacun des éléments se répondent mutuellement, tant au niveau gameplay qu'au niveau de la narration, tant au niveau visuel que du design sonore... C'est vraiment colossal comme travail et la conjugaison de beaucoup de talents. Construire ensemble, de façon cohérente et logique, pour des mondes offerts aux joueurs, de sorte à ce qu'ils se les approprient et créent leurs propres histoires, leur propre contenu, leurs propres logiques à partir de règles et d'environnement riches.

Propos de Mickael Newton, Chief Happy Officer chez Ubisoft, recueilli par Aurélie

Knosp pour le site joypad.fr le 14/02/2017.

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Si le débat interne est insoluble, l'industrie du jeu vidéo pourrait donner lieu à deux camps aussi inconciliables que les Casual gamers et les Hardcore gamers, qui ont chacun une approche différentes du jeu et de sa pratique. Cette évolution est récurrente dans les différents processus de légitimation, on assiste aujourd'hui à une séparation nette entre le cinéma grand public et le cinéma d'auteur, ou encore à une séparation de fait entre les mangas japonais et la bande dessinée occidentale. Marc Dupuy, journaliste sur le site spécialisé jeuxactu.com, propose une analyse presque similaire de cette polarisation :

« S'il semble mis en retrait sur certaines machines, le Hardcore gaming n'est donc pas menacé. Seulement, il faut être conscient qu'aujourd'hui un joueur pur et dur ne peut pas se contenter d'une console Nintendo sous peine d'être sous-alimenté en titres de bon calibre. Mais après tout, faut-il vraiment s'insurger sur le fait que chaque console cible des joueurs en particulier ? La question qu'on peut se poser maintenant concerne la part réservée à la créativité dans le casual gaming. Le genre est à double tranchant. Soit les développeurs se focalisent sur une simplicité

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d'accès, justifiant cette approche par le fait qu'il s'agisse d'un jeu casual, soit ils peuvent se creuser la tête pour inventer des concepts à la fois ludiques et simples. »61

Le dernier changement qui pourrait s'opérer est un changement dans les dynamiques de recherche. La légitimation du jeu vidéo ouvrirait un nouveau champ des possibles. Si, comme nous l'avons vu, le débat sur la ludologie ou la narratologie est un débat de définition de l'objet, la reconnaissance du jeu vidéo en tant qu'art donnerait lieu à des débats sur les effets de celui-ci grâce aux outils de la sociologie de l'art ou de la philosophie de l'art. Les recherches ou articles qui l'analysent sous cet angle commencent à apparaitre, notamment autour de réflexions sur l'esthétisme, la course au réalisme ou les émotions procurées par les jeux d'horreur62. La reconnaissance globale de la spécificité du jeu vidéo pourrait signifier une nouvelle approche de l'interactivité. Pour l'instant, le jeu vidéo est considéré comme « utile » quand il est un « serious game ». Le serious game (« jeu sérieux » en français) est :

« [Une] application informatique, dont l'objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive, l'enseignement, l'apprentissage, la communication, ou encore l'information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game). Une telle association a donc pour but de s'écarter du simple divertissement. »63.

Ces jeux font l'objet d'un traitement particulier. Ils sont par définition « sérieux », ils se séparent des autres qui, par opposition, ne le seraient pas. L'emploi de l'expression « jeux sérieux » est symbolique. Elle fait une distinction entre des jeux vidéo méritants, qui valent la peine d'être étudiés, qui abordent des « vrais problèmes » (comme le jeu de gestion de

61 Marc Dupuy, « Casual Gaming, faut-il en avoir peur ? », jeuxactu.com, 16 décembre 2008, disponible en ligne. 62Stello Bonhomme et Carole Talon-Hugon. « Esthétique des jeux vidéo », Nouvelle revue d'esthétique, vol. 11, no. 1, 2013, pp. 5-10.

63 Julien Alvarez, Du Jeu vidéo au Serious Game : approches culturelle, pragmatique et formelle, Thèse spécialité science de la communication et de l'information, Toulouse : Université" de Toulouse II (Le Mirail), Université deToulouse III (Paul Sabatier), décembre 2007, 445 p.

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l'électricité, développé après une commande d'Électricité de France qui sensibilise sur les enjeux de l'énergie) et des jeux vidéo péjorativement ludiques. Le champ de la recherche est saturé d'analyses, de comparaisons et de preuves que les « serious game » sont d'intérêt public. Peu de recherches font état des apports du jeu vidéo dans son ensemble à la société. Une légitimation du jeu vidéo pourrait dynamiser la recherche sur la vision de la société, de l'art et de l'éducation que portent les jeux vidéo de créateurs.

Le champ du jeu vidéo rassemble une multitude d'acteurs dans des sphères aux enjeux et aux actions différentes. Force est de constater que, si les intérêts divergent souvent, tous ces acteurs forment un bloc qui travaille de fait à la reconnaissance du jeu vidéo. La dynamique qui est lancée par les joueurs, la presse spécialisée, les créateurs ou les éditeurs est une dynamique d'évolution, qui permet au jeu vidéo de se construire à long terme. Si le jeu vidéo suit un parcours de légitimation, chacun des acteurs y occupent donc une place propre, aux intérêts bien définis. Le problème des logiques financières demeure pourtant, la financiarisation pouvant être un frein à une logique de création puisqu'elle obéit à des acteurs hors-champ (la bourse, le marketing, ...). Dans ce parcours, les pouvoirs publics et les associations occupent un rôle bien particulier : ils sont situés hors du monde du jeu vidéo mais ils agissent sur celui-ci par le biais de la loi, des institutions et de la reconnaissance des milieux étatisés de l'art. Un changement de dynamique pourrait donc s'opérer dans l'industrie du jeu vidéo, tiraillée entre une logique de création artistique et une logique de rentabilité financière. L'industrie pourrait se polariser jusqu'à donner deux pôles de développement distinct l'un de l'autre, occupant deux parts du marché pour deux publics différents. De ces constats sur l'évolution du jeu vidéo et les différents mouvements dans l'histoire de sa légitimation, nous pouvons une forme de parcours de légitimation formé de plusieurs étapes successives qui vont de l'émergence d'une nouvelle pratique à son adoubement.

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Partie 3

Processus de légitimation dans les nouveaux medias

Le but de cette partie est de présenter une réflexion complète autour du processus de légitimation. Nous pouvons la mettre à l'épreuve en comparant les parcours du jeu vidéo et du cinéma. Si le jeu vidéo suit un parcours bien défini, celui-ci semble n'être qu'un exemple. En effet, dans l'historique passé et actuel du jeu vidéo, se dessine en filigrane un parcours de légitimation général. Celui-ci est composé de plusieurs étapes se succédant les unes aux autres dans un ordre strict, pour aboutir à la légitimation d'une pratique.

I) La légitimation du cinéma : un cas d'école pour le jeu vidéo.

o Le cinéma : du loisir populaire à l'objet d'étude.

Si le but de ce mémoire est de s'intéresser au parcours et au processus de légitimation du jeu vidéo, il nécessite un élément de comparaison. L'objectif est de montrer un parcours de légitimation dit « classique » pour pouvoir qualifier celui du jeu vidéo. Les analyses portées sur le cinéma s'y appliquent pour la plupart. Les deux medias se ressemblent sur les modes de production et de consommation. Comme le jeu vidéo, le cinéma a été un nouveau media : il ne se contente plus de montrer, il entre dans la narration. Celle-ci trouve sa catégorie de consommateurs : les spectateurs. Ils viennent plusieurs fois voir des films formant plus tard la notion de « public ». L'industrie cinématographique, dans sa logique de consommation, est dépendante de ce public. C'est le spectateur qui permet de financer les films et leur diffusion. Entre 1903 et 1930, le public se doit d'être élargi pour des raisons économiques et « les bourgeois

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commencent à côtoyer le peuple »64. C'est en 1930, une fois que les standards narratifs ont été posés, que commencent les premières études sociologiques du cinéma. D'abord objet de consommation, de divertissement, il devient un objet d'étude et entre dans le domaine de la culture. Les premières études65 sur le cinéma le place comme l'instrument le plus achevé de la consommation de masse : le cinéma influence, regroupe, massifie, des individus séparés par la « bureaucratisation du monde »66.

Dans les années 1930, le cinéma est accusé de corrompre la jeunesse, de la rendre violente (le parallèle serait ici facile à faire avec le jeu vidéo). Paul Lazarsfeld prend la défense de l'industrie cinématographique : l'influence de la culture de masse est réduite, c'est un mythe. Il rejoint en ce sens ce que les Layne Fund Studies montraient en 1934 : on ne peut faire aucun lien entre la violence montrée dans les films et la violence de la jeunesse67. De la même manière, l'Intelligentsia stigmatise le cinéma qui représenterait une menace contre les valeurs artistiques et esthétiques héritées du siècle des Lumières. C'est ici que le parallèle prend tout son sens : le cinéma est une « double peine » puisqu'il représente à la fois du divertissement et de la culture de masse, en tant qu'objet d'étude, il est d'abord voué à être analysé comme un outil d'asservissement au profit de logiques économiques. En tant que pratique culturelle populaire, il ne peut être traité avec les autres domaines de la culture ou de l'art. Pourtant, un changement apparait dans les années 1960 avec l'apparition des Cultural Studies anglo-saxonnes. En 1966, le sociologue anglais Raymond Williams écrit :

« Ce que nous appelons « masse », c'est tout bonnement ce que l'on ne connait pas »68

La distinction entre films commerciaux et films d'art et d'essai devient alors caricaturale. La spécificité du cinéma par rapport aux Beaux-Arts est qu'il n'a pas été pensé de manière verticale.

64Emmanuel Ethis, Sociologie du cinéma et de ses publics. 4eme Edition, Armand Colin, Paris, 2018

65 Jean Mitry, Georges Sadoul, Les Cahiers du Cinéma ou le Cercle du cinéma dirigé par Henri Langlois et Georges Franju

66 Max Weber

67 La même critique était adressée au jeu vidéo au début des années 2000. Démentie par de nombreuses études sérieuses, elle continue de trouver un écho dans la société. Voir «Video games and health» de Mark Griffiths, British Medical Journal, Juillet 2005.

68 Don Milligan, «Raymond Williams: Hope and Defeat in the Struggle for Socialism». Studies in Anti-Capitalism. E-book, 2007.

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il ne n'est pas uniquement créé par les sphères savantes pour se diffuser à l'ensemble de la population. Son espace social original est ancré dans la population. La problématique de la légitimation est alors d'adouber un art qui est lié au peuple et doit se hisser vers l'Intelligentsia.

o Le cinéma : création d'une spécificité et consécration.

C'est dans ce contexte que la perception du cinéma et sa place en tant qu'objet évolue. « Le cinéma ne s'est pas constitué comme un « art » ex nihilo. Les changements qui ont affecté son statut (et, tout particulièrement, l'opinion que le public bourgeois s'en faisait) tiennent d'abord à l'accumulation d'un capital artistique qui s'est opéré par des transferts en provenance d'univers culturels déjà consacrés. »69.

Ce sont les prises de positions d'intellectuels d'autres milieux qui font figure d'autorité. Le cinéma ne peut plus être qu'un loisir populaire aux origines foraines car des figures de la littérature ou de la peinture statuent sur son utilité. Ces artistes participent également à la réalisation des films, ce qui permet de faire accepter le cinéma aux milieux bourgeois. De la même manière, des intellectuels jouent le rôle d'agents de légitimation en prenant position en sa faveur.

Enfin, dans la France d'après-guerre se développe un rapport érudit au cinéma. La « cinéphilie » de la jeunesse des années 1950 permet l'apparition de revues qui théorisent sa spécificité et son côté artistique. La Revue du Cinéma qui parait de 1929 à 1931 puis de 1946 à 1948 développe une critique esthétique qui influe sur les Cahiers du Cinéma. C'est l'apparition de la politique des auteurs, une réflexion sur la spécificité du cinéma, sur sa position dans les champs de l'art, du loisir et de la culture. La politique des auteurs entérine l'adoption d'une posture esthète : les films sont censés prendre place dans « l'histoire d'un art » »70. Cette prise de position va de pair avec la création d'une communauté autour du cinéma. Celle-ci est composée : du public, des intellectuels qui défendent la position du cinéma au rang des arts

69 Julien Duval et Philippe Mary, op. cit.

70 Julien Duval et Philippe Mary op. cit.

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consacrés, des artistes qui réalisent les films et des critiques qui diffusent leurs avis dans des revues spécialisées. C'est l'existence d'une telle communauté qui permet la création d'une « instance de légitimation ».

o « Elites et populaires » : un parallèle entre la légitimation du cinéma et celle du jeu vidéo.

Une fois reconnu par les avant-gardistes comme un moyen d'expression artistique. Le cinéma est en instance de légitimation. Cette situation met la production de films dans une nouvelle dynamique. Tout ce qui est jugé comme populaire est rejeté. Pour Graeme Turner, le cinéma populaire est la première pratique populaire à devenir un art71. Cette pratique passe par également par un processus de légitimation qui regroupe des acteurs et des enjeux divers pour aboutir à une reconnaissance de la légitimité artistique. Il est possible de lier le parcours du cinéma et celui des jeux vidéo, et de faire un état d'un processus de légitimation général. Rappelons également que chaque nouvelle pratique puise une inspiration dans un des arts qui la précèdent, ce qui pose d'emblée la question de la légitimation. Sur la question des liens entre les concepteurs de jeux vidéo et les cinéastes, David Cage répond :

«Je ne suis pas un cinéaste frustré! Je pense que chaque forme d'art se construit sur une autre. De la même manière que la peinture a influencé la photographie, puis la photo, le cinéma, le jeu vidéo s'inspire directement de ces formes d'art.»72

Une fois adoubé, le cinéma change profondément. Il se partage entre sa version populaire et sa version académique. Se pose ici le même constat que pour la nouvelle bicéphalie de l'industrie du jeu vidéo. Certains producteurs, réalisateurs et acteurs auraient des considérations commerciales vis-à-vis du medium, tandis que d'autres seraient de grands artistes. Dans le

71 Graeme Turner, « Cultural Studies and Film », John Hill and Pamela Gibson (dir.), The Oxford Guide to Film Studies, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 196

72 Vincent Jolly, «Entretien avec David Cage», Le Figaro, 2007.

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domaine de la culture : « la masse consomme et l'élite se cultive »73. Il existerait une séparation nette entre deux pratiques de l'art. Il ne faut pourtant pas séparer ces deux pratiques pour un motif de consommation a peu de sens :

Mais elles sont séparées en trois domaines, alors que le jeu vidéo s'achète pour pouvoir ensuite être un joueur. Il a ceci de particulier que l'on est obligé de le payer - avec toutes les campagnes marketing autour - pour pouvoir y jouer. C'est plus ou moins unique. A la différence du cinéma où il y a des représentations gratuites et des alternatives gratuites, le jeu vidéo lui est un objet de consommation d'abord. Ça empêcherait les études sur son côté artistique, qu'il soit payant ?

J'ai peur que ce soit une fausse piste, parce que même les films que l'on va regarder gratuitement en streaming, on peut le faire parce qu'on a consommé un abonnement, une box, un ordinateur...Donc, il n'y a aucune pratique culturelle qui échappe à la consommation. Mais le propre d'une pratique culturelle c'est de ne pas s'arrêter à la consommation. Moi je pense que le fait de payer n'empêche pas le fait de la considérer. On n'échappe pas au côté consommation. [...] Cette histoire de la consommation, non, je n'y crois pas. Si on veut faire la généalogie des freins qui inhibent le processus de légitimité du jeu vidéo comme produit artistique, on pourra ramener le discours sur l'addiction qui est un discours récurrent. Mais ça ne suffit pas pour épuiser la spécificité du jeu vidéo en tant que tel. Pour moi c'est un objet artistique non identifié en tant que tel mais il le sera de plus en plus. C'est une technologie qui apparait, et puis cette technologie elle devient de plus en plus artistique de fait. C'est souvent comme ça. Le cinéma ce n'était pas fait pour faire de l'art, la photographie non plus. Mais au fur et à mesure il y a eu des tentatives. [...] Voilà, pour moi si on prend la question avec la consommation, on va faire de l'analyse historico...sociologique avec tous les aléas que ça contient, les gens vont dire « oui mais vous oubliez qu'en telle année il y a eu ça, et ça etc. etc. ». Et ça ne va pas être très intéressant. Ce qui est intéressant c'est de voir que, si on ne voit pas pourquoi le jeu vidéo en tant que media ne pourrait pas prétendre à la dignité d'une pratique artistique, à quelle condition ça le devient, et le montrer à partir d'exemples précis. On ne peut montrer des choses qu'en considérant les pratiques. Il faut parler de la pratique du jeu vidéo et de ses pratiques : les pratiques créatives, les pratiques interactives et les pratiques participatives. C'est de ca qu'il faut parler concrètement. C'est là où on peut montrer qu'on a quelque chose qui relève de ce qu'on appelle « Art » aujourd'hui.

73 Germain Lacasse et al. « L'objet cinéma entre culture populaire et culture savante1. » Globe, volume 15, numéro 1-2, 2012, p. 83-101.

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En retirant l'aspect consommation du débat, nous pouvons dire que la séparation entre les deux pratiques (celle en voie de légitimation et celle qui ne l'est pas) relève d'un questionnement sur les rapports sociaux. Il n'y a pas un art qui se consomme, réservé aux classes populaires, et un art qui rend cultivé réservé aux élites. En revanche, la séparation existe belle et bien entre une pratique légitime, adoubée par les classes supérieures à travers la recherche et la théorisation et une pratique populaire propre aux classes dominées. Les processus de légitimation du cinéma et du jeu vidéo ont ceci en commun qu'ils suivent le même parcours et aboutissent aux mêmes résultats. En ce sens, il serait possible de théoriser ce parcours de légitimation et d'en faire un processus général, automatique, applicable à toutes les nouvelles pratiques de création.

II) Le parcours de légitimation : un processus normé et automatique ?

Nous l'avons vu, le jeu vidéo a suivi un parcours de légitimation qui va de l'émergence de la pratique à sa possible légitimation par la société. De la même manière, on perçoit dans le cinéma un parcours similaire. La question est de savoir si ce parcours est un processus automatique, inéluctable et applicable aux autres medias et pratiques en instance de légitimation. Le parcours de légitimation se découpe en 6 étapes distinctes :

- l'émergence d'une nouvelle pratique.

- Le gain de popularité.

- Reconnaissance de la spécificité.

- Institutionnalisation et création d'une communauté.

- Polarisation de la pratique.

- Acceptation de la légitimité artistique.

o 62

L'émergence d'une nouvelle pratique.

L'émergence d'une nouvelle pratique avec un aspect créatif disposant d'une spécificité est un prérequis évident au parcours de légitimation. Le medium entre le créateur et l'objet doit être nouveau, lié, par exemple, à une nouvelle technologie (comme ce fut le cas pour la photographie, le cinématographe ou les arts médiatiques). Pour le jeu vidéo, l'émergence du nouveau medium et de la nouvelle pratique se fait dans les années 1985 - 1990, avec l'apparition du développement de jeu pour consoles et ordinateurs de salon. Dans cette première étape, le medium s'impose comme un moyen neuf de faire passer un message, une émotion. Ce fut le cas par exemple pour le cinéma, Robert Bresson, célèbre réalisateur du milieu du XXème siècle écrit dans Notes sur le cinématographe74 : « le cinématographe est une écriture avec des images en mouvement et des sons ». Chaque nouveau moyen de création est une nouvelle méthode d'écrire une histoire, d'inventer du réel.

o Gain de popularité.

La deuxième étape est celle de la pratique qui devient populaire. Ce mot prend ici un double sens. D'abord, il est populaire parce qu'il est pratiqué par le peuple et pour le peuple. En ce sens, la pratique n'est pas légitime parce qu'elle est pratiquée par les « dominés ». Ce terme fait directement référence à la sociologie et aux théories de l'asymétrie des rapports sociaux. Les dominés se retrouvent soumis à un rapport de domination sociale, idéologique et politique par rapport aux « dominants » qui s'approprient des pratiques en les légitimant75.

Ensuite, il est populaire au sens où il se démocratise et devient accessible. Ce fut le cas par exemple pour la photographie avec l'apparition des appareils bon marché de la marque Kodak,

74 Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Gallimard, Paris, 1975.

75 Pour une analyse complète des travaux sur la domination, consulter : Michel Messu, « Explication sociologique et domination sociale », SociologieS, Théories et recherches, En ligne, mis en ligne le 15 novembre 2012.Cet article reprend les travaux sur la domination de Pierre Bourdieu et Max Wever, notamment : Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, Réponses, 1992, Paris, Éditions du Seuil.

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qui ont permis l'accès aux familles les moins aisées. La démocratisation d'une pratique de la photographie apparait, de même que la caméra Super 8 avait rendue accessible une pratique amateur du cinéma. Pour le jeu vidéo, ce sont les années 1990-2000, l'apparition du CD-ROM et la sortie des canons de chaque style de jeu qui marque le gain en popularité du jeu vidéo.

o Reconnaissance de la spécificité.

Cette étape se situe dans le champ de la recherche. Elle est cruciale. Autour du medium se créent des considérations philosophiques et esthétiques. La pratique est reconnue comme une forme de création, et s'engage alors une réflexion du media sur lui-même et sur les possibilités qu'il a d'entrer dans la catégorie des arts. Pour le cinéma, en 1900 sort le film « La loupe de Grand-maman » (« Grandma's Reading glass » en version originale). C'est un film de 1 minute et 20 secondes réalisé par Georges Albert Smith. Malgré sa très courte durée, ce film est révolutionnaire car il est le premier à utiliser une succession de plans avec différents point de vue, et à les monter pour obtenir une histoire. C'est l'apparition de la spécificité au cinéma. A ce sujet, Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, historiens du cinéma, écrivent :

« George Albert Smith a compris que le plan est l'unité créatrice du film. Il n'est pas seulement "une image", il est l'outil qui permet de créer le temps et l'espace imaginaires du récit filmique, au moyen de coupures dans l'espace et dans le temps chaque fois que l'on crée un nouveau plan que l'on ajoute au précédent. Filmer, ce n'est pas seulement enregistrer une action, c'est d'abord choisir la manière de montrer cette action, par des cadrages variés avec des axes de prise de vue différents. Cette opération, le découpage, fournit après tournage un ensemble de plans que l'on colle l'un derrière l'autre, selon leur logique spatiale et temporelle, dans l'opération du montage »76.

Chaque medium doit opérer une recherche de ses codes de composition et de création. C'est un passage obligé qui ancre la pratique dans le réel et dans les codes de l'esthétique. Le jeu vidéo a aussi mené ce travail, notamment avec la sortie de Myst (Cyan Interactive, 1992), ou

76 Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Grammaire du cinéma, Paris, Nouveau Monde, 2010, 588 p.

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encore de la série des Final Fantasy (Square puis Square-Enix) qui amènent les consoles de salon au bout de leurs capacités techniques77.

o Institutionnalisation et création d'une communauté.

Le parcours de légitimation passe également par une phase de création d'une communauté. Elle se crée d'un côté grâce à des acteurs hors du champ (comme les pouvoirs publics), qui institutionnalise la pratique. C'est le cas notamment avec l'apparition d'école, de fonds d'aide, d'observatoire ou d'exposition. Pour le jeu vidéo, c'est par exemple la création de l'Ecole National du Jeu et des Media Interactifs Numériques (ENJMIN), seule école publique en France qui propose un master professionnel « jeux et media numériques ». Pour la photographie, l'institutionnalisation de la pratique est arrivée par l'exposition au sein des maisons de la culture ou dans les maisons de la photographie.

De l'autre côté, une communauté d'amateurs se crée autour de la pratique, regroupant des individus appartenant aux catégories ayant un capital culturel plus élevé : c'est l'apparition d'une-avant-garde78. Elle marque le début de la reconnaissance des dominants pour la nouvelle pratique artistique. Elle tente de se séparer de la production populaire en maximisant la pratique artistique et la spécificité du medium :

« Cependant, il faut rappeler que l'irruption du terme « avant-garde » dans le champ vidéoludique est loin d'être anodine. En effet, ce concept est traditionnellement associé aux beaux-arts, s'apparentant de facto à une forme de culture qualifiée de « légitime » ; a contrario,

77 Sur ce sujet, il est intéressant de s'informer sur la tentative de Square de sortir un film d'animation intitulé : Final Fantasy, les créatures de l'esprit en 2001. Le film avait pour but de faire connaitre les méthodes d'animation du jeu vidéo au grand public et de créer la première actrice virtuelle en image de synthèse. Ce fut un échec cuisant, avec un déficit de plus de 50 millions de dollars qui conduisit à la faillite du studio Square et a sa fusion avec Enix Games.

78 Julien Duval et Philippe Mary. « Retour sur un investissement intellectuel », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 161-162, no. 1, 2006, pp. 4-9

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les jeux vidéo (et tout particulièrement les oeuvres de science-fiction) restent classés au sein de la culture « populaire » »79.

L'émergence d'une avant-garde dans le jeu vidéo signifierait donc une nouvelle approche du jeu, une séparation entre le jeu « populaire » et le jeu « légitime ».

o Polarisation de la pratique.

Avec l'apparition d'une avant-garde, la pratique d'un nouveau media ou d'une nouvelle activité (et donc son industrie et son public) se polarise en deux camps distincts. D'un côté, la pratique artistique, minoritaire et « légitime » aux yeux de la classe dominante. De l'autre, la pratique populaire (ou « ludique » pour le cas du jeu vidéo) qui est motivée par l'accessibilité. Ces deux pratiques donnent chacun lieu à une industrie et à un mode de création différents (comme les films d'auteurs et les blockbusters, la haute-couture et le prêt-à-porter). La pratique artistique est théorisée et défendue par l'avant-garde. L'apparition des théories sur le jeu vidéo (à travers, nous l'avons dit, des réflexions sur le game feel, le gameplay ou les serious games), permet ce que David Gerber appelle : « une valorisation des impacts du jeu hors du cadre ludique »80. La pratique du jeu vidéo n'est plus inacceptable dans son ensemble, puisqu'il en existe une légitime. Pour Maxence Voleau, Game Designer chez Amplitude Studios :

« Dans un domaine artistique quand vous n'avez plus de polémiques, vous n'avez plus d'avant-garde, ça veut dire qu'on est dans une période où le domaine est un peu moribond. »81.

L'avant-garde d'une pratique effectuerait donc également un travail de résolution des débats de société, par le côté légitime qu'elle lui apporte. Cette étape du processus de légitimation

79 Julie Delbouille, « Jeu vidéo, avant-garde et science-fiction. Le cas de Rez et Child of Eden », ReS Futurae, numéro 5, 2015.

80 David Gerber, « Le jeu vidéo comme pratique discréditable », RESET, numéro 4, 2015.

81 Propos de Matthieu Voleau, recueillis dans le cadre du projet Medialab de l'école de la communication de Sciences Po Paris, 2016.

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regroupe donc deux étapes en une, une étape de légitimation de l'utilisation et une étape de reconnaissance culturelle :

« Au-delà de la fragilité de la frontière entre culture populaire et légitime, ainsi qu'entre productions commerciales et indépendantes, les créations de Mizuguchi 82 embrassent la question plus large de la légitimation du médium vidéoludique. Si le jeu vidéo est aujourd'hui encore classé parmi les productions populaires et commerciales, il entretient des liens évidents avec la « haute » culture, remettant en cause cette opposition. Dans le cadre de nos recherches, nous avons pu identifier un processus de légitimation, en deux temps, à l'oeuvre dans le champ vidéoludique : l'acceptation de la pratique, et celle de la dimension culturelle, artistique et patrimoniale du médium. »83

o Acceptation de la légitimité artistique.

C'est la dernière étape du parcours de légitimation. Celle où l'objet artistique devient légitime. Après la polarisation de la pratique et de la production, l'objet est utilisé par les catégories sociales supérieures qui lui confèrent une reconnaissance artistique. Cette étape est encore en cours dans le jeu vidéo mais est aboutie dans d'autres domaines comme le cinéma. Il y a alors un changement dans la pratique, dans la symbolique et dans le traitement médiatique. L'analyse de l'objet par les catégories sociales supérieures se veut prescriptive, c'est-à-dire qu'elle conseille une forme de pratique et qu'elle incite à s'intéresser à certains objets plutôt qu'à d'autres :

« Je conseillerai de commencer par des jeux d'arcade ou d'action simples : les jeux de plate-forme sont les plus adaptés pour les jeunes enfants et ceux qui ont des capacités cognitives entravées. (...) Le joueur est incité à acquérir des procédures d'actions qu'il automatise progressivement en mobilisant, en lui, l'énergie et le plaisir à découvrir et à explorer. C'est

82 Tetsuya Mizuguchi, concepteur de jeu vidéo japonais ayant travaillé sur Rez (Q Entertainment, 2001) et Child Of Eden (Q Entertainment, 2011). Ces jeux sont considérés comme des oeuvres totalement en décalage avec leur époque, misant plus sur un jeu de synesthésie entre les sons et les lumières que sur un gameplay ou un univers très travaillé, comme ce fut le cas pour les autres jeux de 2000 à 2010.

83 Julie Delbouille, 2015, art. cit.

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particulièrement remarquable chez des enfants passifs en classe. (...) Les jeux d'aventure nécessitent déjà d'avoir quelques acquisitions en lecture et une image du corps suffisamment élaborée pour pouvoir réaliser à l'écran des procédures d'action complexe (...). Les jeux de réflexion comme Lemmings et Lemmings 2, Populous, les jeux de simulation/gestion comme Sim City, Sim City 2000 sont utilisables sans savoir lire à condition d'être aidé et peuvent être proposés comme support pour le développement de l'esprit stratégique, une fois que l'image du corps de l'enfant s'est suffisamment développée et n'entrave plus les processus cognitifs. »84.

On assiste à une séparation de l'objet en deux catégories avec un jugement de valeur : « Le bon objet », accaparé par les dominants et prescriptibles (le cinéma d'auteur français, la bande dessinée belge...) et « le mauvais objet », abrutissant et néfaste, qui est réservé aux classes populaires (les comics américains, les blockbusters, les jeux vidéo violents ou sexuels). Le processus de légitimation peut être perçu comme le lent processus d'absorption d'une pratique populaire par les dominants. L'avant-garde jouerait un rôle de liant, donnant involontairement à une pratique populaire les codes de la classe dominante. En ce sens, la légitimation d'un art doit être perçue comme un processus sociologique plutôt que comme un débat de philosophie :

« C'est ainsi que dans le domaine culturel une culpabilisation généralisée s'est abattue sur les pouvoirs artistiques, puisque toute « instance de légitimation » (« dominante », par définition) est a priori suspectée de priver les « non-légitimes (dominés) de légitimité, en ne leur accordant pas la reconnaissance qui devrait leur revenir. En même temps, toute légitimité acquise est a priori suspectée d'être l'instrument ou le résultat d'une « domination, », tandis que la consécration devient « récupération » ou participation à la reproduction des modèles dominants. »85

La question est de savoir si la légitimation artistique est un instrument de récupération des classes dominantes ou un moyen pour les classes populaires de produire quelque chose de symbolique. C'est avant tout une question de positionnement par rapport à la culture populaire.

84 Evelyn Esther Gabriel, Que faire avec les jeux vidéo ? Paris, Hachette Edition, 1994.

85 HEINICH, Nathalie. L'art en régime de singularité : Quelques caractéristiques sociologiques de l'art contemporain In : Art et société : Recherches récentes et regards croisés, Brésil/France , Marseille : OpenEdition Press, 2016.

Avec une perspective populiste (nous employons ici la terminologie de Jean-Claude Passeron et Claude Grignon), la légitimation d'un art serait une forme de réhabilitation de la culture populaire, faisant-fi des rapports de domination. Dans une perspective misérabiliste, le processus de légitimation reviendrait à considérer « la culture du pauvre comme une pauvre culture ». La culture dominée serait dans l'attente de légitimation par les dominants86. Définir la légitimation comme un processus automatique, c'est repenser la notion de « besoin de légitimation » d'une nouvelle pratique :

Est-ce que le jeu vidéo a besoin de cette dignité ?

Non...Il en aurait besoin à quel titre ? A titre commercial ou industriel il n'en a pas du tout besoin. Même si parfois c'est agité, je pense que les gens s'en foutent, ça les empêchera pas de continuer à jouer. Je ne pense pas qu'il en ait « besoin ». Par contre, ça semble intéressant pour quelqu'un qui s'intéresse à l'art de repérer qu'il y a là, aussi, possibilité de réfléchir sur l'art parce qu'il y a de l'art qui se fait. Et il faut commencer à expliquer en quoi. Je dirai que c'est plus intéressant pour la philosophie de l'art et pour l'art que pour le jeu vidéo lui-même.

Entretien avec François Fimat, philosophe de l'art et enseignant à Lille III, réalisé le 09/02/2018 par nos soins. Disponible intégralement en Annexe 2.

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86 Jean-Claude Passeron et Claude Grignon, Le Savant et le Populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Gallimard/Le Seuil, 1989.

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CONCLUSION

Tout d'abord, le jeu a été analysé et défini. Son évolution en tant qu'objet et en tant que pratique a été expliquée. Nous avons vu que les logiques à l'oeuvre dans le processus de création font état d'une spécificité. Le jeu vidéo est à la fois une nouvelle pratique et un nouveau medium qui se fonde sur des concepts et préoccupations différentes des autres arts ou objets culturels. Ces spécificités ont permis l'évolution du jeu vidéo d'un « loisir de garage » à « objet d'étude. Dans les années 1980-1990, un phénomène naît et le jeu vidéo dépasse le cadre qui lui était au départ attribué : il devient une pratique créative. Celui-ci est alors lié à l'art et au débat autour de sa légitimation. La question de la légitimation regroupe plusieurs acteurs et plusieurs enjeux. Les acteurs gravitent tous autour du jeu vidéo et ont des intérêts parfois convergents, parfois divergents. La plus grande convergence de ces intérêts se fait autour d'un espoir de légitimation. Force est de constater que tous ces acteurs forment un bloc qui travaille de fait à la reconnaissance du jeu vidéo. La dynamique qui est lancée par les joueurs, la presse spécialisée, les créateurs ou les éditeurs est une dynamique d'évolution, qui permet au jeu vidéo de se construire à long terme. Même si la raison de cette volonté diffère selon les acteurs, la finalité reste la même : le jeu vidéo est en voie de légitimation. Elle est possible grâce à la spécificité de celui-ci : c'est une nouvelle méthode de création avec un vocabulaire et des instruments propres : la programmation, le gameplay, le gamefeel. La spécificité est un prérequis obligatoire. Elle permet à une nouvelle pratique de ne pas être rattachée à un autre art. Pour ne pas devenir un sous-champ d'un art qui la précède chronologiquement, un medium doit pouvoir prouver qu'il est un nouveau moyen de création. Dans ce cas, la théorisation d'un nouveau medium est primordiale : elle l'inscrit dans le champ de la recherche et permet l'apparition d'une avant-garde qui transforme les codes de production et de compréhension.

Or, cette voie de légitimation s'apparente à un parcours bien défini. Si le jeu vidéo a suivi ce parcours qui va de ses origines à sa reconnaissance grâce à sa spécificité, pouvons-nous appliquer celui-ci à une autre pratique ? A un autre art ? Il semblerait que le cinéma ait suivi un tracé similaire. Le cinéma a émergé en tant que loisir populaire. Sa reconnaissance par

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l'Intelligentsia en tant que forme d'expression valable l'a placé sur la voie de sa légitimation. L'industrie s'est alors séparée en deux parties : une partie qui produit des films populaires et une partie qui produit des films acceptés et reconnus par les catégories sociales avec un capital culturel plus fort. Tout ce qui est considéré comme populaire est rejeté et ne sera pas perçu comme artistiquement légitime. L'industrie devient bicéphale, une partie des films cherche la création artistique, adoubée par les élites tandis qu'une autre recherche le ludique, désavoué par la critique. Ce phénomène est également observé dans le jeu vidéo. Une partie des jeux est étudiée par les chercheurs ou par les défenseurs de l'esthétique, une autre est considérée comme présentant peu d'intérêt (voire considérée comme abrutissante). Cette polarisation entre « le bon goût » et le reste permet d'avoir une partie des jeux vidéo qui sont considérés comme acceptable par les instances et groupes de légitimation. Se met alors en place une analyse prescriptive du jeu vidéo qui consiste à séparer les bons objets des mauvais. Cette séparation morale et subjective a peu de sens, elle est simplement le fait d'une opposition entre populaire et légitime.

En ce sens, nous pouvons constater que la légitimation semble être un processus automatique. Nous avons tenté de la séparer en six étapes distinctes : l'émergence d'une nouvelle pratique, le gain en popularité, la reconnaissance de la spécificité, l'institutionnalisation et la création d'une communauté, la polarisation et enfin l'acceptation de la légitimité artistique. Le passage d'une étape à l'autre est un phénomène de cause à effet. La nature automatique du parcours de légitimation nous a invités à une tentative de compréhension globale du phénomène : si le processus est automatique, une nouvelle pratique a-t-elle besoin de légitimation ? Perçu sous cet angle, le parcours de légitimation prend un autre sens : il serait la résultante des rapports de domination analysés par la sociologie de la culture. Dans une perspective populiste, la légitimation d'un art serait une réhabilitation de la culture populaire. Dans une perspective misérabiliste, le processus de légitimation reviendrait à considérer « la culture du pauvre comme une pauvre culture ». La culture dominée (ou la pratique en voie de légitimation) serait dans l'attente de légitimation par les dominants.

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Il serait intéressant de se pencher sur les implications et les réalités d'une telle théorie. Il faudrait pour cela s'intéresser plus en profondeur au phénomène de « polarisation » à l'oeuvre quand une pratique s'engage dans la voie de la légitimation. Ce travail de recherche fait état de l'évolution du jeu vidéo et de son entrée dans le processus de légitimation qui peut servir de prérequis à une analyse poussée entre la culture vidéoludique populaire et d'Elite. La théorie de la légitimation comme processus de redéfinition d'une pratique avec des codes de la classe dominante n'est pas nouvelle, elle a déjà été développée dans des analyses sur la culture. Pourtant, elle pourrait également servir dans le champ de la recherche sur l'art. Ce champ est séparé entre des recherches philosophiques sur l'esthétisme et des recherches sociologiques sur la culture des groupes sociaux. Il est possible d'imaginer de nouveaux travaux sur le septième, huitième, neuvième, dixième (onzième, douzième...) art qui ferait état d'un changement de définition.

S'intéresser à l'art comme à une « pratique qui suit un processus de légitimation » signifierait repenser les rapports entre l'art et les groupes sociaux. Bien sûr, une telle approche nécessiterait de plus amples recherches. D'abord, il serait intéressant de s'intéresser à la pratique élitiste du jeu vidéo. Ceci requiert une analyse sociologique poussée qui reprendrait les distinctions sociologiques entre dominants et dominés. Si il y a bien une polarisation de la pratique, nous pourrions déterminer si il y a des jeux légitimes et d'autres qui ne le sont pas, et déterminer s'ils servent de moyen de distinction des classes dominantes. Ensuite, une étude approfondie du parcours des futurs arts (en ce moment, un débat cherche à déterminer si la gastronomie aurait sa place en tant que douzième art) servirait à éprouver notre hypothèse de parcours de légitimation. Enfin, une recherche sur la consommation de l'art pourrait servir à comprendre la transformation de définition de l'art qui s'opère, entre les anciennes définitions sur l'esthétisme et les nouvelles définitions sociologiques.

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Annexe 1

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Effectuée par Vintage-era.com

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? Jouets Rationnels (à qui on doit Télécran en 1959) commercialise en France le JRO1 Computer :

conçu en collaboration avec Honeywell Bull, il permet de simuler le fonctionnement d'un ordinateur avec des ampoules électriques et remporte l'oscar du jouet.

1971

? Computer Space de Nolan Bushnell et Ted Dabney est le premier jeu vidéo commercial : il fonctionne avec des pièces de monnaie en guise de jetons et apparaît dans le film Soylent Green (Soleil vert).

1972

? Pong d'Atari devient le premier jeu vidéo grand public : sa borne jaune qui permet à deux

joueurs d'échanger des balles s'implante dans toutes les salles de jeu du monde anglophone. ? 24 mai : commercialisation de la Magnavox Odyssey, première console de jeux vidéo de

l'histoire.

1974

? Nintendo acquiert les droits de distribution de la Magnavox Odyssey au Japon.

80

1975

· Sortie du premier jeu d'arcade de Nintendo : EVR Race. 1976

· Aux USA, la Fairchild Channel F devient la première console de jeux de l'histoire à utiliser des cartouches programmables (de deuxième génération).

· Durant l'été, Daniel Michael Lawrence commence la programmation du jeu DND en BASIC sur PDP-11 : il est la première adaptation du jeu de rôles de Gary Gygax sur ordinateur. Adapté ensuite sur micro-ordinateurs 8 bits sous le nom de Telengard, il sera publié par Avalon Hill en 1982.

· Sortie de la borne d'arcade Breakout, le premier jeu de casse-brique conçu par Nolan Bushnell et Steve Bristow (Atari).

1977

· Chess devient le premier programme informatique à remporter un tournoi d'échecs majeur.

· Science of Cambridge commercialise le micro-ordinateur en kit MK14 pour UK £39,95.

· Apple lance l'Apple II, présenté au West Coast Computer Faire : équipé d'un processeur Motorola 6502A à 1MHz, il affiche 280x172 caractères en 6 couleurs. Ce sera le premier micro-ordinateur fabriqué en série.

· Commodore commercialise le premier Commodore PET: Motorola 6502A @ 1MHz, 40 col x 25 li x 1 couleur.

· octobre : commercialisation de la console de jeux Atari Vidéo Computer System (rebaptisée ensuite Atari 2600).

1978

· Sortie de la console de jeux Videopac G7000, ou Odyssey 2 de Philips. Celle-ci, conçue par Magnavox, obtient un succès notable aux Pays-Bas et au Brésil.

· Bally tente de s'imposer sur le marché des consoles de jeux avec l'Astrocade qui utilise des cartouches interchangeables.

·

81

Space Invaders du Japonais Tomohiro Nishikada (Taito) est le premier jeu de tir (shoot'em up), sur fond fixe : son thème est inspiré par Star Wars, sorti l'année précédente aux USA, tandis que le design des aliens vient des créatures sous-marines.

· En France, parution de la revue L'Ordinateur Individuel (orientée utilisateurs) et de Micro-Systèmes (orientée électronique).

· Commercialisation de l'Apple II+ en Europe (sous l'appellation Euro +, il dispose de 48K RAM).

· Début du développement de l'Intellivision (Mattel), inspiré par le succès de l'Atari 2600.

1979

· Sortie de l'arcade Asteroids (Atari), jeu vidéo aux graphismes vectoriels qui impressionnent par leur finesse.

· Commercialisation de la première gamme d'ordinateurs familiaux 8 bits d'Atari : l'Atari 400 et l'Atari 800 (Jay Miner). Le premier vise un public adolescent fortuné, tandis que le second s'adresse à un usage plus professionnel. Ce sont les premiers micro-ordinateurs qui utilisent intensivement des coprocesseurs, concept qui sera repris ensuite pour l'Amiga. La même année, sortie de Star Raiders, développé par Doug Neubauer pour Atari : il est un des premiers jeux de tir en 3D, qui aura une influence déterminante sur les créateurs d'Elite, ou ceux de Wing Commander.

· Adaptation du jeu Rogue, qui existait en mode texte sur Mainframe, sur systèmes Unix. Sortie de Temple of Apshai d'Epyx Software sur TRS-80, puis sur Apple II l'année suivante.

1980

· Sortie de Pacman (Namco), inspiré à Toru Iwatani par une pizza entamée sur sa table de travail : il devient le jeu vidéo le plus vendu au monde. Au Royaume-Uni, la calculatrice de poche Casio MG-880, sortie la même année, en reçoit même une adaptation programmée avec des chiffres en guise de lutins...

· Sortie en salles de Defender (Williams Electronics), jeu de tir à défilement latéral qui s'impose par ses qualités techniques et par son gameplay inédit. Le jeu sera adapté sur ordinateurs Atari 400 et 800, puis sur à peu près toutes les plate-formes existantes.

· Sortie de Missile Command (Atari).

· Invention du Compact Disc (CD).

·

82

Commercialisation au Royaume-Uni du ZX80 de Clive Sinclair (Sinclair Research Ltd.) et de l'Atom d'Acorn, première machine de ce constructeur.

· Commercialisation de l'Intellivision de Mattel aux USA.

· Lancement de la série de jeux de rôle sur ordinateur Ultima (Sierra Adventure, puis Origin Systems) avec la sortie d'Ultima I: The First Age of Darkness sur Apple II.

· Création de Brøderbund Software et publication par cette dernière de Galactic Empire (Doug Carlston) sur TRS-80.

1981

· Sortie en salles d'arcade de Donkey Kong, conçu par Miyamoto (Nintendo) et de Gorf (pour Galactic Orbiting Robot Force, Bally-Midway). Le premier est un succès mondial.

· Adam Osborne lance le premier micro-ordinateur « portable », l'Osborne 1, livré avec une collection complète de logiciels.

· Sortie de l'IBM PC.

· Le ZX81 de Sinclair remplace le ZX80 et donne naissance à une dizaine de micro-éditeurs de jeux, souvent des adolescents, outre-Manche.

· Sortie au Royaume Uni du magazine de jeux vidéo Computer and Vidéo Games (C&VG).

· Sortie de l'arcade Frogger, publiée par Sega.

· Sortie de l'ordinateur familial TI99-4/A de Texas Instruments, le premier micro-ordinateur pourvu d'un processeur 16 bits de l'histoire.

· Lancement de la série de jeux de rôle sur ordinateur Wizardry (Sir-Tech), avec la sortie sur Apple II de Wizardry: Proving Grounds of the Mad Overlord.

· Sortie du Commodore VIC-20.

1982

· Sortie de l'arcade Joust (Williams Electronics) : inspiré par Flash Gordon, le jeu permet à deux joueurs de s'affronter en joutant à la lance sur des autruches soumises à l'inertie et en collectant le plus grand nombre d'oeufs.

· Sortie de l'arcade Star Wars (Atari) qui permet de revivre la scène finale du film en 3D filaire et qui sera adaptée sur toutes les plate-formes de jeu des années 1980.

·

83

Sortie de l'arcade Q*bert (Gottlieb / Mylstar), jeu original qui sera adapté sur toutes les plate-formes de l'époque.

· Sortie de l'arcade Robotron: 2084 (Williams Electronics) : il est le premier jeu qui utilise deux leviers de commandes pour contrôler séparément les mouvements et les tirs de l'avatar, principe qui sera repris par les contrôleurs des consoles de dernière génération (et il est considéré comme un des meilleurs jeux de tous temps par certains).

· Sortie du jeu Telengard sur ordinateurs 8 bits : ce jeu de rôles et de simulation du type Dungeon crawl est l'ancêtre de Diablo.

· Sortie du jeu Advanced Dungeons & Dragons sur Mattel Intellivision : il est le premier titre sous licence officielle TSR.

· Sortie de du jeu de plate-forme Pitfall! (Activision) sur Atari 2600.

· Sortie du jeu de tir à défilement latéral Choplifter, de Dan Gorlin (Brøderbund Software), sur Apple II : le jeu sera adapté par Sega en borne d'arcade en 1985.

· Commodore commercialise le Commodore 64 : ce dernier, pourvu de 64K de RAM et orienté vers le jeu, reprend le boîtier et certains périphériques du Vic-20.

· Sinclair commercialise le ZX Spectrum qui connaîtra un succès considérable sur le marché britannique, et plus largement en Europe.

· En France, Thomson-Brandt commercialise le TO7, pourvu de 16K de RAM et d'un clavier à membrane.

· Lancement en France du magazine spécialisé de jeux Tilt : d'abord tourné vers l'arcade, le magazine s'intéresse rapidement aux consoles de jeux, puis aux micro-ordinateurs.

· Création aux États-Unis de MicroProse, co-fondée par Sid Meier et par Bill Stealey.

· Août : commercialisation de la ColecoVision aux USA, puis dans le reste du monde. Elle bénéficie de l'adaptation du jeu d'arcade de Nintendo Donkey Kong pour sa sortie.

· Novembre : sortie de la console de jeux intégrée (avec un écran en noir et blanc) et vectorielle (la seule à ce jour) Vectrex de Milton Bradley. Sortie de la console de jeux Atari 5200, basée sur le matériel des ordinateurs 400/800.

· Fin d'année : sortie de l'éphémère Atari 1200 XL, qui sera retiré de la vente l'année suivante.

1983

· Crash de l'industrie du jeu vidéo aux États-Unis : celle-ci se développe ensuite principalement au Japon.

·

84

Yu Suzuki rejoint Sega en tant que programmeur.

· Sortie de l'arcade Spy Hunter (Bally Midway)

· Aux USA, commercialisation des modèles 600 XL et 800 XL par Atari.

· L'Oric-1 est élu ordinateur de l'année en France et réalise ses meilleures ventes dans l'hexagone.

· Création, en France, de Loriciel (plus tard changée en Loriciels) par Marc Bayle et Laurent Weill. La société développe en premier des jeux sur Oric (Le manoir du Dr Genius).

· Sortie de la SG-1000 Mark 1 (une console de jeux) et du SC-3000 (un micro-ordinateur) de Sega au Japon.

· Sortie de Jetpac, des frères Tim et Chris Stamper (Ultimate Play The Game) sur ZX Spectrum.

· Sortie de Colossal Adventure, premier titre de Level 9 Computing sur ZX Spectrum 48K.

· Sortie du jeu de plate-forme disposant d'un éditeur de niveaux Lode Runner de Brøderbund Software sur Apple II.

· Sortie du jeu de stratégie Archon: The Light and the Dark (Free Fall Associates) sur Atari 8 bits.

· Juin : naissance du standard de micro-informatique MSX au Japon.

· 15 juillet : sortie de la Famicom de Nintendo au Japon, elle deviendra la NES dans le reste du monde.

· Fin d'année : sortie d'Atic Atac des frères Stamper (Ultimate Play The Game) sur ZX Spectrum.

· Sortie de Elite de David Braben et Ian Bell sur Acorn BBC (Acornsoft) : le titre associe combats spatiaux et commerce galactique, et propose une fin ouverte.

1984

· Arrêt de la commercialisation de la Vectrex par Milton Bradley.

· Sortie de la console de jeux Atari 2600 Jr. (une Atari 2600 redessinée pour réduire son coût de fabrication).

· Sortie de Lords of Midnight écrit par Mike Singleton sur ZX Spectrum (Beyond Challenging Software).

· Sortie de King's Quest de Roberta William sur IBM PC jr. (Sierra Entertainment).

· Création de Telarium Corporation aux USA : la société donne ses lettres de noblesse au jeu de fiction interactive graphique avec Rendez-vous with Rama, l'adaptation du roman d'Arthur C. Clarke.

· Sortie dans les salles d'arcade de Marble Madness (Midway Games) et d'Hyper Sports (Konami).

· Summer Games d'Epyx Software renouvelle le genre de la simulation sportive sur ordinateur.

·

85

Thomson : sortie du MO5 de Thomson pour les fêtes de fin d'année

· Amstrad : sortie du CPC 464

· Apple : sortie de l'Apple //c, du Macintosh, un ordinateur personnel 16/32 bits, et de Mac OS, le premier système d'exploitation à base de fenêtres et d'icônes pilotable à la souris.

· l'Oric Atmos est élu ordinateur de l'année en France.

· Sortie du jeu de rôle Mandragore, de Marc Cecchi et Christian Ballandras (Infogrames) sur Commodore 64, puis sur Thomson MO5.

· Commercialisation des micro-ordinateurs au standard MSX en Europe : ces derniers ne s'imposeront jamais vraiment en dehors du Japon.

· Création en France de la société Froggy Software par Jean-Louis Le Breton et Fabrice Gille. Elle se consacre au développement de jeux d'aventure (Le Crime du parking) pour Apple II.

· Février : parution au Royaume Uni du premier numéro du magazine CRASH (Newsfield Publications Ltd), consacré au ZX Spectrum.

· Mai : Arrêt de la commercialisation de l'Atari 5200.

· Octobre : Staff of Karnath est le premier jeu d'Ultimate Play the Game pour Commodore 64 (action-aventure). Il sort en même temps que le célèbre Raid over Moscow, directement inspiré par la guerre froide.

· Sinclair « rhabille » son micro-ordinateur en réduisant son coût de fabrication : sortie du ZX Spectrum+.

· Fin d'année : commercialisation des premiers lecteurs de CD-ROM.

1985

· En France, L'Aigle d'or de Loriciels obtient le Tilt d'or du meilleur jeu d'aventure.

· le Russe Alexei Pajitnov crée le jeu Tetris.

· Dans les salles d'arcade, Sega sort Hang-On et définit le genre du jeu de tir sur rail avec Space Harrier, auquel contribue Vu Susuki.

· Le premier Amiga Commodore : l'Amiga 1000 fourni avec AmigaOS 1.0.

· Sortie des modèles CPC664 et CPC6128 d'Amstrad : ils sont équipés en série d'un lecteur de disquettes au format 3» développé par Hitachi.

· Sortie du jeu éducatif Where in the World Is Carmen Sandiego? sur PC (Brøderbund Software) : il sera le premier d'une longue série qui définit le genre.

·

86

Sortie du jeu de tir à défilement latéral Cauldron (Palace Software) sur Commodore 64 et ZX Spectrum.

· Janvier : sortie de l'Atari ST, ordinateur personnel 16/32 bits.

· Janvier : sortie du Commodore 128, ordinateur 8 bits qui combine 3 machines en une.

· Mai : publication du premier numéro du magazine Zzap!64 (Newsfield Publications Ltd) au Royaume Uni.

· 13 septembre : sortie du jeu de plate-forme Super Mario Bros de Nintendo au Japon.

· Octobre : fin officielle de la commercialisation de la ColecoVision.

· 18 octobre : commercialisation de la NES par Nintendo aux USA.

· 20 octobre : sortie de la SG-1000 Mark III de Sega au Japon (elle deviendra la Master System dans le reste du monde).

1986

· En France, la bande-dessinée de François Bourgeon Les Passagers du Vent est adaptée en jeu vidéo pour Amstrad CPC et Thomson par Infogrames.

· Atari intègre un lecteur de disquettes 3,5» dans le 1040STF.

· En France, création d'Ubisoft par les frères Guillemot pour distribuer les jeux d'Electronic Arts, Sierra On-Line, et MicroProse dans l'hexagone.

· Sortie de l'arcade Wonder Boy (Sega) : le titre sera adapté sur Mark III.

· Sortie de l'arcade Bubble Bobble (Taito).

· Sinclair Research Ltd. est racheté par Amstrad. Ce dernier homogénéise les deux gammes d'ordinateurs en rationalisant leur fabrication avec le ZX Spectrum +2, proche d'un CPC en apparence.

· Sortie des premiers micro-ordinateurs MSX 2.

· Sortie de Brataccas sur Atari ST et sur Amiga, premier titre de Psygnosis et le premier jeu en haute résolution (640 × 400 sur Atari ST)

· Sortie de Defender of the Crown sur Amiga, premier titre de Cinemaware, qui redéfinit le niveau graphique des jeux sur ordinateurs.

· Sortie de Out Run, conçu par Vu Susuki (Sega-AM2) dans les salles d'arcade.

· Sortie de Sapiens (Loriciels) sur Amstrad CPC.

·

87

Sortie du jeu Mobile Suit Gundam sur NES : il est basé sur la série animée du même nom très populaire au Japon.

· Février : Nintendo sort le Famicom Disk System (une extension pour la Famicom), seulement disponible au Japon. Le titre de lancement est The Legend of Zelda, l'ancêtre du jeu de rôle sur console.

· juin : Sega lance la Master System aux États-Unis et le jeu Alex Kidd in Miracle World qui lui servira ensuite de titre phare pour sa console.

· 1er septembre : commercialisation du NES en Europe.

1987

· Au Royaume-Uni, sortie de l'Archimedes d'Acorn, ordinateur familial à base processeur RISC.

· Sortie de l'arcade R-Type (Irem), qui renouvelle le genre du jeu de tir à défilement latéral.

· Lancement du Commodore Amiga 500, un modèle d'ordinateur personnel 16/32bits

· Sortie de Castlevania de Konami sur NES.

· Sortie de Wonder Boy in Monster Land et d'After Burner (Sega) dans les salles d'arcade. Ce dernier repousse les limites du jeu de combat aérien (Vu Susuki)

· Dungeon Master de FTL pour Atari ST est le premier jeu de rôle en temps réel.

· Sortie de Defender of the Crown, premier titre de Cinemaware sur Amiga.

· Sortie en salles d'arcade du premier Mega Man (Rockman au Japon) et du premier Street Fighter (Capcom). Le second est conçu par Takashi Nishiyama et Hiroshi Matsumoto.

· Sortie de Sid Meier's Pirates! sur Commodore 64, puis sur Apple II et sur PC.

· Sortie de Maniac Mansion (Lucasfilm Games), premier jeu d'aventure utilisant le moteur SCUMM (Script Creation Utility for Maniac Mansion), sur Commodore 64.

· Sortie du jeu de combat Barbarian: The Ultimate Warrior (Palace Software) qui utilise pour sa promotion Maria Whittaker (playmate dans The Sun)

· mars : sortie du Apple Macintosh II dont le boîtier est horizontal comme celui des PCs.

· 15 mai : sortie de la NES en Europe. Avec celle-ci commence une nouvelle percée des consoles de jeux vidéo sur ces territoires.

· 30 juin : sortie au Japon de OutRun sur Sega Mark III / Master System, moins de 12 mois après l'arcade.

· 7 juillet : sortie de Metal Gear de Konami.

· Septembre : sortie de la Master System de Sega en Europe.

·

88

Octobre : la Master System remplace officiellement la SG-1000 Mark III au Japon.

· 30 octobre : sortie de la PC-Engine de NEC au Japon.

1988

· Sortie des MSX2+.

· Juillet : sortie de l'arcade Forgotten Worlds, jeu de tir à défilement latéral qui tire pleinement partie du Play System de Capcom.

· 29 octobre : sortie de la Mega Drive de Sega au Japon, première console de jeux 16 bits (elle sera nommée Megadrive en Europe et Genesis aux USA).

1989

· Au Japon, apparition des Fujitsu FM Computers (Fujitsu) qui retarderont l'implantation des compatibles PC.

· Réalisation de la première borne d'arcade modulaire avec la NeoGeo MVS (pour Multi-Vidéo System) de SNK.

· Sortie de la console de jeux vidéo portable (hand held) Game Boy de Nintendo.

· Sortie de la console portable Lynx d'Atari.

· La PC-Engine sort aux États-Unis sous le nom de Turbografx-16.

· Prince of Persia de Jordan Mechner est un succès mondial.

· Sortie de Populous sur ordinateurs 16/32 bits et, en salles, de l'arcade Golden Axe.

· Fin de la commercialisation de la Master System au Japon.

· 9 janvier : sortie de la Megadrive (renommée « Genesis ») aux États-Unis.

· 14 août : commercialisation de la MegaDrive en Amérique du nord.

· Fin d'année : Sortie de l'Atari 520 STE (pour Enhanced)

1990

· Commodore tente de renouveler le succès du C64 sur le marché des consoles de jeu en sortant le C64 GS, aujourd'hui très recherché pour sa rareté.

· Amstrad lance la console GX-4000 en Europe en septembre.

·

89

Sega lance la Game Gear au Japon le 6 octobre.

· Nintendo sort la Super Famicom au Japon le 21 novembre.

· Sega lance la Megadrive en Europe le 30 novembre.

· NEC sort la console portable PC-Engine GT.

· Amstrad stoppe la production de ZX Spectrum.

· Sortie du MSX TurboR, dernier avatar du standard MSX.

· Octobre : sortie de The Secret of Monkey Island (Lucasfilm Games) sur Amiga.

· 21 novembre : sortie du Super Nintendo Entertainment System (SNES) au Japon.

· 30 novembre : commercialisation de la Sega MegaDrive sur les marchés PAL (Europe et Australie).

1991

· SNK s'essaye au marché du jeu domestique avec la NeoGeo Advanced Entertainment System (AES) et sort le NeoGeo CD, puis une version améliorée de celui-ci : le NeoGeo CDZ.

· Sonic, le hérisson bleu qui peut atteindre la vitesse de MACH 1, devient la nouvelle mascotte de Sega (Sonic the Hedgehog sur Megadrive / Genesis) : il sera également adapté sur la Master System.

· Arrêt de la commercialisation de l'Atari 2600.

· Janvier : sortie de Mega Man 2 sur NES : il est généralement considéré comme le meilleur de la série.

· 23 août : sortie du SNES en Amérique du nord.

· Décembre : sortie du Mega-CD de Sega au Japon.

1992

· Capitalisant sur le succès domestique du multimédia, Philips sort le CD-I. Le dernier modèle (série 500) sort en 1994.

· Commodore sort le CD32, console de jeux basée sur un Amiga 1200 équipé d'un lecteur CD-ROM. Malgré un catalogue intéressant, ce sera la dernière tentative du constructeur.

· Création de la société Treasure par quelques employés de Konami.

· Fin de la commercialisation de la Master System en Amérique du nord.

· Sortie du jeu d'action-aventure en 3D Alone in the Dark sur PC (Infogrames).

·

90

Commercialisation du Atari Falcon 030, dernier ordinateur de la marque.

· 1er janvier : abandon officiel du support de sa gamme d'ordinateurs 8 bits par Atari.

· 11 avril : sortie du SNES en Europe.

· 03 juillet : sortie du SNES en Australie.

· Octobre : sortie de Virtua Racing, jeu initialement développé par Sega-AM2 pour servir de démonstration sur sa nouvelle plate-forme 3D en développement Model 1.

· Décembre : fin du support de l'Apple IIgs par Apple.

1993

· Sortie dans les salles d'arcade du premier jeu de combat en 3D : Virtua Fighter, de Vu Susuki (Sega). Son adaptation sera le (malheureux) titre de lancement de la Saturn l'année suivante.

· Sortie du jeu de combat Samurai Shodown (SNK) sur Neo-Geo MVS : il est le premier d'une longue série qui s'achève en 2004.

· Atari renonce au développement de sa gamme d'ordinateurs ST / Falcon.

· Avec le lancement du Pentium d'Intel, la domination du marché informatique par les PC devient irréversible.

· 09 septembre : sortie de Gunstar Heroes (jeu de tir à défilement latéral de Treasure) sur Sega Genesis.

· 24 septembre : sortie sur Macintosh du jeu d'aventure graphique Myst des frères Robyn et Rand Miller (Cyan Worlds).

· 18 novembre : commercialisation de la Jaguar, console de jeux vidéo 64 bits d'Atari aux USA.

1994

· Sortie de l'arcade Tekken (Namco), jeu de combat en 3D.

· LucasArts : Beneath a Steel Sky (point'n click) sort sur PC

· Sortie de la console de jeux vidéo 32 bits Saturn de Sega.

· Sortie de la première console de jeux vidéo de Sony : PlayStation. Le succès de celle-ci marque le passage des jeux à l'ère de la 3D.

· Commercialisation de la Jaguar d'Atari en Europe et au Japon.

· Sega sort en salles d'arcade Virtua Cop et Virtua Fighter 2.

· 91

25 août : sortie de l'arcade The King of Fighters '94 (SNK), basé sur Neo-Geo MVS et premier d'une longue série qui sera déclinée sur les consoles de jeux postérieures.

1995

· sortie du DVD

· Microsoft : sortie de Windows 95

· 11 mai : commercialisation de la Saturn par Sega sur les marchés nord-américains.

· 8 juillet : commercialisation de la Saturn par Sega sur les marchés PAL (Europe et Australie).

· 24 août : sortie mondiale du système d'exploitation pour PC Windows 95 (Microsoft).

1996

· Atari arrête la commercialisation de la Jaguar.

· Aux USA, Working Designs publie Sega Ages Volume 1 qui réunit Out Run, Space Harrier et After Burner 2 sur un seul disque optique. Les conversions sont presque parfaites.

· Sega arrête le support de la Master System en Europe.

· Sortie des cartes graphiques PCI à base de processeur 3dfx Voodoo : la baisse du prix de la DRAM EDO permet de rendre la 3D texturée accessible aux PCs.

· Sortie de Tomb Raider (Core Design / Eidos), sur Sega Saturn, PlayStation et PC.

· 22 mars : sortie de Panzer Dragoon II Zwei sur Saturn.

· 24 mai : sortie de Metal Slug, qui redéfinit le genre run and gun sur Neo-Geo MVS.

· 23 juin : sortie de la Nintendo 64 au Japon : la console est la dernière à cartouches ROM et accepte jusqu'à quatre joueurs. Son titre de lancement, Super Mario 64, donne ses lettres de noblesse au jeu de plate-forme en 3D.

· Août : sortie de Resident Evil, jeu conçu par Shinji Mikami (Capcom) qui définit le genre survival horror sur PlayStation. Il sortira ensuite sur Saturn.

· 26 septembre : commercialisation de la Nintendo 64 aux USA.

1997

· Au Japon, sortie du SNES 2 ou SNES JR, une version redessinée et moins chère de la console 16

bits.

·

92

Première victoire d'un système informatique contre un grand maître d'échecs, Deep Blue, l'ordinateur d'IBM bat Garry Kasparov (2 victoires, 3 nulles et 1 défaite).

· Sortie de Castlevania: Symphony of the Night (titre américain) sur PlayStation : il sera augmenté avant de sortir sur Saturn l'année suivante.

· 1er mars : commercialisation de la Nintendo 64 sur le marché PAL européen.

· Avril : sortie au Japon du Rumble Pak, extension qui ajoute la fonction vibration aux contrôleurs de la Nintendo 64. Il est alimenté par deux piles AAA et supporté par le jeu Star Fox 64.

· Juillet : commercialisation du Rumble Pak de Nintendo aux USA.

· Septembre : commercialisation du Rumble Pak de Nintendo en Europe.

· 15 octobre : sortie de Age of Empires (Ensemble Studios / Microsoft) qui révolutionne le genre du jeu de stratégie en temps réel.

· 5 décembre : sortie de The Last Blade, jeu de combat de samurais / ninjas sur Neo-Geo MVS.

1998

· Sortie de la première console de jeux portable de SNK : la Neo-Geo Pocket.

· Sortie du processeur graphique Voodoo 2.

· Sortie sur PC du jeu de rôle Baldur's Gate sous licence Dungeons & Dragons (BioWare / Interplay).

· Sortie du Gameboy Color (Nintendo).

· Sega met fin au support de la Master System au Brésil.

· Sortie de l'arcade House of the Dead 2 (Sega) qui exploite au mieux un pistolet optique.

· Sortie de Azel: Panzer Dragoon RPG (Sega : Team Andromeda), connu en Europe et aux États-Unis sous le nom de Panzer Dragoon Saga, sur Saturn. Troisième jeu de la franchise, il en développe l'univers en un jeu de rôle mémorable.

· Sortie de Radiant Silvergun d'Hiroshi Luchi (Treasure / ESP) sur Saturn. Ce jeu de tir à défilement vertical remet le genre au goût du jour et atteint un statut mythique auprès des collectionneurs.

· Sortie de Metal Gear Solid de Konami sur PlayStation.

· Sega retire la Saturn de la vente sur les marchés nord-américain et européen. Aux États-Unis, la Genesis 3 de Majesco est le dernier clone officiel de sa console 16 bits.

· 21 novembre : sortie au Japon de The Legend of Zelda: Ocarina of Time sur Nintendo 64 : il est le premier titre en 3D de la série.

·

93

Sega présente au JAMMA son nouveau système d'arcade, nommé NAOMI (New Arcade Operation Machine Idea)

· 27 novembre : sortie au Japon de Dreamcast, la dernière console de jeux vidéo de Sega et première de sa génération (à base de processeur 128 bits) : elle partage les mêmes composants que NAOMI.

1999

· Sortie de la console portable Wonderswan (Bandai).

· Sortie de Silent Hill (Konami) sur PlayStation : le jeu est la première production de Konami dans le genre survival horror. Il apporte à ce dernier une dimension psychologique inspirée du cinéma d'horreur japonais.

· 31 août : sortie du processeur graphique GeForce 256 (Nvidia), qui s'impose dans les cartes graphiques pour ordinateurs PC.

· 14 octobre : sortie de Dreamcast sur le marché PAL européen.

2000

· Sega retire la Saturn de la vente au Japon, mettant ainsi fin à la vie officielle de cette dernière.

· Sortie de Skies of Arcadia (Overworks) sur Dreamcast.

· Sortie de Shen Mue, de Vu Susuki (Sega) sur Dreamcast : la série est entrée dans l'histoire pour son coût de développement record.

· Sortie du premier jeu au monde en cell shading : Jet Set Radio (Jet Grind Radio aux USA) sur Dreamcast.

· Sortie de Diablo II sur PC (Blizzard).

· 4 mars : sortie de la PlayStation 2 de Sony au Japon, console la plus vendue à ce jour : sa dernière version, baptisée Slim, est encore commercialisée.

2001

· Sega arrête la fabrication de Dreamcast et se retire officiellement du marché des consoles de jeux vidéo.

· Sortie de Rez, jeu de tir sur rail inclassable qui est dédié à Kandinsky, sur Dreamcast.

· Sortie du Gameboy Advance (Nintendo).

·

94

Sortie de Silent Hill 2 de Konami sur PlayStation 2.

· Octobre : sortie de Grand Theft Auto III, cinquième jeu de la série, il est le premier en 3D (Rockstar Games).

· 21 mars : sortie de la Game Boy Advance au Japon.

· 14 septembre : sortie du GameCube au Japon.

· 15 novembre : sortie de la Xbox, première console de jeux vidéo de Microsoft sur le marché nord-américain, puis au Japon. Son titre de lancement est le jeu de tir à la première personne Halo: Combat Evolved, de Bungie.

· 18 novembre : sortie US du GameCube.

2002

· Sortie du WaveBird, premier contrôleur de jeu sans fil fiable car il s'appuie sur les ondes radio, pour Nintendo GameCube (la technologie avait déjà été expérimentée au début des années 1980 par Atari avec ses joysticks CX-42).

· The Elder Scrolls III: Morrowind, le jeu de rôle de Bethesda Software offre une liberté de jeu inconnue jusqu'alors sur PC.

· Grand Theft Auto: Vice City sort sur PlayStation 2 : il ajoute à son prédécesseur un environnement urbain ancré dans les années 80 et caractéristique (Miami).

· Sortie de la plateforme d'arcade Triforce, développée conjointement par Namco, Sega et Nintendo et inspiré par le matériel du GameCube.

· Sortie du jeu d'action-aventure Ico sur PlayStation 2.

· 14 février : retrait officiel de Dreamcast par Sega du marché nord-américain.

· 14 mars : commercialisation de la Xbox sur le marché PAL européen.

· Mai : commercialisation du Nintendo GameCube en Europe. Hiroshi Yamauchi abandonne le poste de Président de Nintendo qu'il détenait depuis 1949.

· Septembre : sortie du jeu de tir à défilement vertical Ikaruga (Treasure) sur Dreamcast (ESP). Il est adapté sur GameCube l'année suivante.

95

2003

· Vu Suzuki est recompensé pour sa carrière par le AIAS Hall of Fame.

· Sega publie sur Xbox OutRun 2, la première suite officielle du jeu d'arcade de 1986.

· 7 mai : Infogrames rachète le nom Atari et abandonne son ancienne appellation.

· 29 octobre : sortie de Call of Duty d'Activision sur PC.

· 11 novembre : sortie du très sous-estimé Beyond Good and Evil (Michel Ancel), développé par les studios d'UbiSoft à Montpellier.

2004

· Sortie de Samurai Shodown V Special (SNK), le dernier jeu pour Neo-Geo MVS.

· Sony dévoile la PlayStation 2 slim, encore en vente officiellement en 2010.

· 1er janvier : publication du premier numéro du magazine britannique Retro Gamer (Live Publishing, puis Imagine Publishing). Il est entièrement consacré aux jeux vidéos « rétro ».

· Octobre : sortie de Grand Theft Auto: San Andreas, troisième jeu de la série de Rockstar Games en 3D, celui-ci offre non plus seulement une ville, mais trois à explorer.

· 23 novembre : sortie de World Of Warcraft, le « jeu de rôle massivement en ligne » (MMORPG) de Blizzard pour PC.

· Décembre : sortie au Japon de la Nintendo DS, puis de la PlayStation Portable.

2005

· 27 janvier : sortie au Japon de Biohazard 4 / Resident Evil 4 de Capcom pour GameCube : le jeu renouvelle la franchise en étant pour la première fois entièrement en 3D temps réel.

· En France, pour la première fois, un jeu vidéo (Gran Turismo 4) se classe premier des ventes de produits culturels de l'année.

· Novembre : Aux États-Unis, la Nielsen Active Gamer Study dévoile que le marché du jeu vidéo s'est diversifié et s'étend désormais à la tranche 25-40 ans.

· 22 novembre : sortie de la Xbox 360 aux USA.

· 02 décembre : sortie de la Xbox 360 en Europe.

· 10 décembre : sortie de la Xbox 360 au Japon.

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2006

· 23 mars : arrêt de la production de PSone (la nouvelle version de la PlayStation de Sony).

· Sortie de Shadow of the Colossus, par les auteurs d'!co sur Sony PlayStation 2.

· 11 novembre : sortie officielle au Japon de la PlayStation 3. Elle sort le 19 aux USA.

· 19 novembre : sortie US de la Wii de Nintendo, qui avait été présentée à l'E3 de Chicago la même année.

· 2 décembre : la Wii est disponible au Japon.

· 9 décembre : la Wii est disponible en Europe.

2007

· Fin de la vie « officielle » de Dreamcast sur le marché japonais (sortie du dernier jeu commercial sur cette console).

· Février : arrêt de la production de GameCube par Nintendo.

· 13 mars : sortie de God of War !! sur PlayStation 2, probablement le jeu le plus abouti techniquement sur cette console.

· 23 mars : sortie officielle de la PlayStation 3 en Europe.

· 31 octobre : arrêt définitif du support des consoles NES, Super NES, N64, Game Boy et Game Boy Pocket par Nintendo.

· 20 novembre : sortie US de Mass Effect, le jeu de rôle sur console de Bioware, sur Xbox 360.

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Annexe 2

Entretien avec François FRIMAT, philosophe de l'art et enseignant à Lille III.

Le 09/02/2018

La question de l'art dans le jeu vidéo c'est une question qui s'est déjà posée dans la philosophie de

l'art ?

Dans la philosophie de l'art pas à ma connaissance. Par contre ce qui est clair c'est que fa fait longtemps que l'on s'intéresse aux arts numériques, quand même. Ça rentre un petit peu là-dedans. La question que vous vous posez, c'est quoi finalement ?

En fait je m'intéresse à la légitimation du jeu vidéo. Est-ce qu'il recherche ses lettres de noblesse, et ce qu'il a la prétention de devenir un art ou pas ? Qu'est ce qui le motive, qu'est ce qui l'en empêche...Pour certain c'est un coup marketing, pour d'autre c'est une réalité, je m'intéresse au processus en fait.

Il y a toujours deux dimensions à ce type de questions. La première, ou je ne vais pas être très compètent c'est si je considère la question comme une question de fait, autrement dit « qu'est ce qui se passe actuellement, quelles sont les tendances, les stratégies mises en place par les différents créateurs... » Là je ne sais pas trop. Par contre là où je peux vous donner des pistes, c'est si on aborde la question comme une question de droit et là il y a plusieurs questions à se poser.

La première c'est de savoir pourquoi le jeu vidéo aurait besoin de se légitimer. On n'a pas besoin de légitimer ce qui existe, ça existe c'est tout. Et ça c'est quelque chose qui d'une certaine manière croise bien des questions de l'art contemporain, qui font du régime de l'exposition déjà une justification en soi. Ça c'est sur la question de la légitimation, de la légitimation de la légitimation même. Apres, la question ce serait « est-ce que je peux tenir pour artistique, est-ce que je peux faire entrer dans l'art le jeu vidéo ? »

Pour vous, en tant que philosophe et en tant que citoyen...

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Pour moi, ça ne me gêne pas parce que « jeu vidéo » ca ne désigne qu'un medium et une pratique. Moi je n'ai pas à évaluer un media en tant que tel ou une pratique en tant que tel, ce qui m'intéresse c'est de réfléchir aux possibilités qu'offre cette pratique. Pour autant que je sache, sur un plan strictement esthétique, les jeux vidéo croisent quand même des intérêts esthétiques contemporains. Par exemple on a dans le spectacle vivant actuellement, toute une partie de création qui s'oriente vers ce que l'on appelle « L'esthétique documentaire », « le théâtre documentaire », et je pense qu'il y a beaucoup de jeux vidéo qui a cette prétention à pouvoir relever de l'esthétique documentaire. Je pense a la série comme Assassin's Creed, des jeux comme ça. L'idée c'est que tout en pratiquant le jeu on apprend quelque chose, du cours du monde, de l'histoire. Ça c'est la première chose. La deuxième, l'art est fait pour...Il y a une ambition de désorienter les attentes de la réception, je pense à tous les jeux de stratégies qui reposent aussi sur le fait d'essayer de jouer avec les limites, les résistances les habitudes des joueurs et les désorienter par rapport à ça. De ce point de vue-là on peut dire que ça recroise. Ensuite, il y a quand même, mais je connais moins bien, il y a quand même tout un chantier d'exploration des possibilités graphiques, d'offrir un imaginaire, là il faudrait que je regarde précisément. En tout cas moi il me semble qu'il y a trois systèmes qui permettent de dire - avant même de dire que le jeu vidéo relevé de l'art - que le jeu vidéo occupe la question de l'art.

D'accord. J'ai l'impression que même dans ces trois items, on ne fait pas état d'une spécificité : il y a déjà des documentaires qui montrent le réel, il y a déjà des choses qui transforment les possibles en terme d'esthétique. Alors pourquoi ajouter le jeu vidéo à la liste des arts puisqu'il regroupe des pratiques déjà existantes ?

En fait peut-être qu'il faut prendre le problème dans l'autre sens, dans « jeu vidéo » ce qui est peut être intéressant c'est « jeu ». C'est-à-dire qu'est-ce que c'est qu'un jeu, qu'est-ce que c'est de jouer ? Alors il y a le ludique, et il ne faut pas confondre le jeu et le ludique. On va dire que le ludique on peut l'indexer sur le plaisir, ce qui donne de la satisfaction, gagner, remporter contre les autres, remporter sa partie etc...Bon, mais dans la notion de jeu il y a de la stratégie évidemment, en théorie des jeux il y a une thématique qui est très spéculative et qui peut d'une certaine manière développer une sensibilité logique, en tout cas stratégique Et puis ce qui m'intéresse c'est aussi le sens figure du mot « jeu » qui est « faire bouger les lignes ». Quand on dit d'un bois qu'il « joue », ça veut dire que ça force un peu les cadres, ça déborde, ça déforme etc. etc...Et peut être que c'est là que l'on peut se poser la question de savoir si dans le jeu vidéo il n'y a pas une façon particulière de faire jouer certaines limites. Pourquoi, parce que là où le

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jeu traditionnel repose sur un corpus de règles qui ouvrent une possibilité d'actions limitées, le jeu vidéo, comme il est participatif (dans la mesure où il creuse l'interactivité), il est beaucoup moins cadre et il laisse place à autre chose que de la simple réactivité, il donne de l'inventivité aussi. Et c'est la peut-être ou ça peut faire jouer d'une manière spécifique. Et la manière dont le jeu vidéo ferait jouer, ou parvient à faire jouer, là on se retrouve au coeur de l'art. Parce que l'art comme un jeu c'est aussi une conception traditionnelle de l'art qu'on retrouve dans beaucoup de disciplines.

Vous avez dit « interactivité », c'est un point important dans ma recherche, est-ce que vous connaissez la théorie dite de la « spécificité du medium » ? C'est une théorie qui dit qu'à partir du moment ou une pratique emploie des moyens spécifiques, comme le coup de pinceau en peinture ou les plans et le montage en cinéma, alors elle pourrait prétendre rentrer dans la liste des arts. Et justement, l'interactivité ce serait le moyen pour le jeu vidéo de se hisser au rang d'art, parce que c'est sa spécificité.

Oui, ça me semble légitime. On va dire qu'une oeuvre d'art, elle fait ou dit quelque chose de son medium. Si j'arrive à pouvoir saisir que le jeu vidéo me dit quelque chose sur lui-même, je rentre dans ce régime-là. Ça devient un type de pratique réfléchit. Alors là, je me place de la cote du créateur du jeu plutôt que de son utilisateur, de son joueur. Ce qui me semble intéressant c'est de voir comment on peut reconnaitre dans le jeu vidéo une des lignes qui bougerait, la ligne qui départagerait le créateur et le spectateur. Jouer à un jeu c'est pas utiliser le jeu, c'est se mettre soi-même en position de créateur de quelque chose. Là, ça devient très clairement artistique. Je comprends ce qui les motive : faire reconnaitre un media comme ayant la dignité artistique, chose que l'on a connue avec la BD, avec le cinéma, la photographie. Ce serait intéressant d'aller reprendre les analyses de Walter Benjamin sur la photographie ou sur le cinéma. Il note bien qu'il y a un changement de régime. Le jeu vidéo présente une rupture, en initiant un nouveau régime d'interactivité, un nouveau régime de participation. Quelque chose qui ferait que l'art ne tient pas à une oeuvre. Mon coffret, mon disque, mon jeu vidéo, ce n'est pas ça l'oeuvre d'art. C'est la pratique qu'elle va permettre. Autrement dit ça c'est un support matériel pour qu'il y ait la pratique. Et peut-être que si je n'ai pas une utilisation correcte, si je ne joue pas mais que je ne fais qu'utiliser, il n'y a pas d'art. Il y a de l'art à partir du moment où je commence à jouer pour de vrai. Le jeu vidéo ouvrirait la possibilité d'être réellement un joueur.

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On arrive sur quelque chose d'important, c'est que le jeu vidéo est à la croisée à la fois de l'objet de consommation, de l'objet culturel et de l'objet artistique.

Oui mais ça ce n'est pas propre au jeu vidéo. Je pourrai le dire pour la musique. Il y a une musique de consommation, une musique industrielle et une musique artistique.

Mais elles sont séparées en trois domaines, alors que le jeu vidéo s'acheté pour pouvoir ensuite être un joueur. Il a ceci de particulier que l'on est obligé de le payer - avec toutes les campagnes marketing autour - pour pouvoir y jouer. C'est plus ou moins unique. A la différence du cinéma ou il y a des représentations gratuites et des alternatives gratuites, le jeu vidéo lui est un objet de consommation d'abord. Ca empêcherait les études sur son coté artistique, qu'il soit payant ?

J'ai peur que ce soit une fausse piste, parce que même les films que l'on va regarder gratuitement en streaming, on peut le faire parce qu'on a consomme un abonnement, une box, un ordinateur...Donc, il n'y a aucune pratique culturelle qui échappe à la consommation. Mais le propre d'une pratique culturelle c'est de ne pas s'arrêter à la consommation. Moi je pense que le fait de payer n'empêche pas le fait de la considérer. Si on acheté un jeu en grande surface, ou sur Amazon, on achète aussi une place de concert sur Digitik. On n'échappe pas au côté consommation. D'ailleurs on voit bien que le para culturel et de plus en plus présent autour des pratiques culturelles. Les boutiques et les restaurants de musée ne font que grandir. On essaye de faire de ces lieux de pratiques culturelles, des lieux qui ne soient plus que des lieux de pratiques culturelles. Et je pense que ce qui est dangereux, c'est de vouloir étendre les caractères culturels de la pratique a tout le reste. Il ne faut pas confondre les approches anthropologiques et sociologiques de la culture et les approches purement artistiques et philosophiques. On peut aller au musée sans avoir aucune pratique culturelle, au sens strict du terme et aucune pratique artistique, et c'est possible aussi de n'avoir aucune pratique culturelle ou artistique en écoutant de la musique, en allant voir un spectacle ou en jouant à un jeu vidéo. Cette histoire de la consommation, non, je n'y crois pas. Si on veut faire la généalogie des freins qui inhibent le processus de légitimité du jeu vidéo comme produit artistique, on pourra ramener le discours sur l'addiction qui est un discours récurrent. Mais ça ne suffit pas pour épuiser la spécificité du jeu vidéo en tant que tel. Pour moi c'est un objet artistique non identifie en tant que tel mais il le sera de plus en plus. C'est une technologie qui apparait, et puis cette technologie elle devient de plus en plus artistique de fait. C'est souvent comme ça. Le cinéma ce n'était pas fait pour faire de l'art, la photographie non plus. Mais au fur et à mesure il y a eu des tentatives. Je ne connais pas

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l'histoire du jeu vidéo dans le détail mais je suis certain que dès le début il y a des gens qui ont fait des jeux qui n'étaient pas seulement de la distraction ou du divertissement. Voilà, pour moi si on prend la question avec la consommation, on va faire de l'analyse historico...sociologique avec tous les aléas que ça contient, les gens vont dire « oui mais vous oubliez qu'en telle année il y a eu ça, et ça etc. etc. ». Et ça ne va pas être très intéressant. Ce qui est intéressant c'est de voir que, si on ne voit pas pourquoi le jeu vidéo en tant que media ne pourrait pas prétendre à la dignité d'une pratique artistique, à quelle condition ça le devient, et le montrer à partir d'exemples précis. On ne peut montrer des choses qu'en considérant les pratiques. Il faut parler de la pratique du jeu vidéo et de ses pratiques : les pratiques créatives, les pratiques interactives et les pratiques participatives. C'est de ca qu'il faut parler concrètement. C'est là où on peut montrer qu'on a quelque chose qui relevé de ce qu'on appelle « Art » aujourd'hui.

Est-ce que le jeu vidéo a besoin de cette dignité ?

Non...Il en aurait besoin à quel titre ? A titre commercial ou industriel il n'en a pas du tout besoin. Même si parfois c'est agité, je pense que les gens s'en foutent, ça les empêchera pas de continuer à jouer. Je ne pense pas qu'il en ait « besoin ». Par contre, ça semble intéressant pour quelqu'un qui s'intéresse à l'art de repérer qu'il y a là, aussi, possibilité de réfléchir sur l'art parce qu'il y a de l'art qui se fait. Et il faut commencer à expliquer en quoi. Je dirai que c'est plus intéressant pour la philosophie de l'art et pour l'art que pour le jeu vidéo lui-même.

Quand on lit les articles qui font état du processus de légitimation du jeu vidéo, il y a une chose qui ressort c'est que ça arriverait en premier en France. Il y aurait une spécificité française dans la réflexion sur l'art qui ferait que ça arrivera d'abord en France avant d'arriver ailleurs. Est-ce qu'on a une pensée française ou une habitude française qui permettrait de dire que c'est d'abord la France qui va donner ses lettres de noblesse au Jeu vidéo ?

C'est une question difficile parce que je ne veux pas faire de prophétisme...Mais je comprends. Là ou peut-être le jeu vidéo continue à être tenu pour une industrie, chez nous on a peut-être des pionniers dans la création d'écoles ou de département qui ont fait entrer le jeu vidéo dans les activités créatives.

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Et il y aurait une manière de voir l'art à la française qui permettrait de dire que ça se passera ici

d'abord ?

Ca me semble difficile de dire ça. Alors il y a des éléments qui pourraient conduire à ça. La French Theory qui a tiré les fils du post-modernisme, qui a remis en question les grands récits concernant l'art et qui s'est très vite émancipe des dogmes classiques et traditionnels de l'art qui se réduirait aux Beaux-Arts tels qu'on pourrait les trouver de Platon a Hegel, et qui fait pas de places a un tas de choses comme les septième, huitième, neuvième, dixième arts...Effectivement la pratique d'ajouter des arts aux arts elle est spéciale. Mais par ailleurs, il y a un parallèle intéressant à faire avec le manga. Le manga qui est au départ en France vu comme une espèce de BD de seconde zone, sans texte, très enfantin alors qu'au Japon il est tenu comme un genre à part entier. Et c'est bien de comparer le jeu vidéo au manga parce qu'on a eu des petits chefs d'oeuvre en manga comme le truc la...Paysages Lointains ou Quartiers Lointains. Un manga comme celui-là, on a à faire à quelque chose d'autre que les dessins animés japonais pour enfant. D'ailleurs avec le jeu vidéo c'est un peu la même chose, il y a une division non ?

Oui...La ça me fait penser à quelque chose : il y a des défenseurs des Beaux-Arts qui font barrages au jeu vidéo comme ils avaient fait barrage au manga, ou au cinéma qui était un divertissement populaire. Le jeu vidéo et fait pour s'amuser, et il serait impossible de le considérer comme un art. Ce serait mauvais pour l'art et pour le jeu vidéo. Ce qui fait un parallèle avec le manga.

Oui je pense. Après peut être qu'il faut interroger des choses comme le statut commercial à grande échelle de l'Héroïc-Fantaisy, qui essaime dans différentes pratiques artistiques. C'est quand même quelque chose de bizarre parce qu'à la fois ca relevé du jeu et ça se veut créatif et en même temps ça s'enracine toujours dans des mythologies, comme si partir d'une base référentielle ultra classique donnait une caution culturelle. Est-ce qu'il suffit que je puisse retrouver des mythes très anciens pour que mon jeu devienne intéressant ? Rien n'est moins sûr. Regarde tout ce que le cinéma a produit comme série Z ou série B...On ne considère pas le cinéma de Cecil B. DeMille comme étant l'aboutissement du cinéma hein, même si c'est du cinéma populaire et que Ben-Hur ou Les Dix Commandements ça reste des classiques. Si je dois comme ça, tout de suite, citer des grands films, ce n'est pas Cecil B. DeMille qui va venir. Cette passion pour l'Héroïc-Fantasy qui essaime un peu partout peut-être qu'elle traduit à la fois le fait de vouloir se légitimer en partant d'une base référentielle ultra-classique, et en même temps rate. Parce que ce qui permet de se légitimer ça tient pas à la référence.

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Justement, j'ai eu un entretien avec un Designer de Jeu vidéo la semaine dernière qui m'a dit que tout était une question de vision et de volonté. On pourrait séparer les studios de développement qui ont la volonté de faire quelque chose d'artistique et ce qui ne l'ont pas. Donc il y aurait une division dans le jeu vidéo ?

Oui, sans doute. Moi je dirai que la question de savoir si le jeu vidéo c'est de l'art, c'est une question banale. C'est une question qui s'est pose après toute apparition d'une nouvelle technologie dont s'emparent les artistes. Et l'histoire du jeu vidéo ressemble juste à l'histoire des autres technologies. Et ceci une fois pose, se demander qu'est-ce que c'est que d'être créateur ? De faire de l'art ? D'avoir une pratique culturelle ? Tout ça à partir d'un objet qui serait le jeu vidéo et d'études de cas précis. Je pense que c'est ça qui est intéressant. Alors oui, les studios qui prennent le pari de faire de l'art, c'est des studios qui construisent pas quelque chose à partir de présupposées attentes ou enquêtes, ils participent à ce programme qui consistent à donner de la visibilité a de la vue. Alors comment on donne de la visibilité a de la vue...Alors la comment ça se passe dans le jeu vidéo... En fait je veux dire « donner de la visibilité a une vision », une vision du monde et cætera...

Dans cette idée toujours du jeu vidéo comme art, il y a un problème qui se pose malgré la volonté du créateur c'est qu'on considère qu'il est trop à la croisée des chemins. On va encenser son graphisme, sa musique, son univers indépendamment, on va dire qu'il y a quelque chose d`artistique mais que l'objet lui-même ne l'est pas.

Je vois, je ne pense pas que ça soit une fatalité. Ca dépend des tentatives. C'est exactement comme dans les autres arts ou on a des propositions extrêmement techniques, extrêmement virtuoses mais qui sont pas très artistiques. On va retrouver ça dans certains jeux vidéo. Mais d'autre, peut-être qu'ils cherchent moins la performance de chaque segment de cette partition mais continue à chercher une unité plus globale. Mais après bon, c'est quoi l'objet... ? Si l'objet n'est pas réductible à une seule de ses dimensions, c'est quoi l'objet ? C'est peut être ça qu'il faut essayer de préciser : « C'est quoi l'objet Jeu Vidéo ? ».

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C'est intéressant parce qu'on dit souvent que ce qui va miner la possibilité de légitimation, c'est la course au réalisme dans le jeu vidéo, parce que là il va oublier sa spécificité, donner un aperçu du réel. Donc devenir très mimétique, très fort technologiquement et ça l'empêchera de prétendre a une légitimation.

Ouais. Dans ce cas-là il faut parler comme ça, le créateur est un artiste qui ne doit pas se laisser déborder par sa technique. Ça c'est une problématique qui n'est pas propre aux jeux vidéo, c'est présent dans tous les arts, et d'une certaine manière comme on la trouve dans tous les arts c'est aussi par cette difficulté qu'on comprend ce qu'on peut reconnaitre comme un art. Qu'est ce qui fait qu'un concepteur de jeu vidéo peut être un artiste ? Qu'est ce qui fait qu'un joueur est un pratiquant de l'art en jouant ? Voilà la question à se poser.

Tous les arts se pratiquent ?

Oui. Oui, oui. Je pense qu'ils se pratiquent plus qu'ils ne se contemplent. Alors il y a évidemment diffèrent régimes de pratiques hein. Dans le jeu vidéo il faut peut-être distinguer la pratique technique du jeu, la pratique physique et d'un autre côté une pratique plus spirituelle. Il faut que le récepteur soit actif pour qu'il y ait art, si je suis dans une contemplation passive, il n'y a pas art.

Le récepteur ne peut pas être passif dans le jeu vidéo, il doit jouer pour l'apprécier. Je comprends plus le côté « je pratique l'art en jouant un jeu vidéo » mais pas dans les autres arts.

Alors si c'est un tableau de la Renaissance je pratique l'art à partir du moment où je lis le tableau, je regarde comment il est construit, quelles peuvent être les intentions à l'oeuvre. Si je vois le tableau comme le résultat d'une action, j'agis, je pratique. Si je regarde Pollock comme étant une image, je pratique pas Pollock. Pratiquer ce serait regarder le tableau en essayant d'imaginer l'action qui a produit le résultat. La pratique c'est l'activité. Un spectateur qui n'est pas actif c'est pas un spectateur. Je me pose une question, très naïve. Est-ce que ça peut m'arriver, que pris par l'image, la musique et l'univers, d'oublier d'utiliser la manette ? Etre d'avantage dans un va et vient d'actionner la manette et puis activer autre chose.

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Ce côté « pratiquer », on dit que le jeu vidéo est une pratique. Et on a l'impression que le jeu vidéo prend une place bien particulière.

Le jeu vidéo ne permet pas seulement une pratique technique, pas seulement une pratique sportive, pas seulement une pratique physique. Mais il ouvre à d'autres pratiques.

Je reviens sur quelque chose dont on a parlé tout à l'heure, le « but d'un créateur de jeu vidéo », il y a pas longtemps on m'a répondu que ça pouvait tout simplement être « choqué ». Dans une représentation de la violence, une pratique de la violence dans le jeu. C'est pourtant quelque chose qui est décrié par la société, est ce qu'on va finir par accepter la violence dans le jeu vidéo comme utile ? Comme quelque chose qui a un but ?

La violence esthétique elle a de la légitimité à partir du moment où elle est au service de quelque chose, d'un propos ou d'une dénonciation. Il ne faut pas que ce soit une violence spectaculaire. Il faudrait voir comment une violence pratiquée contrebalance un coté uniquement spectaculaire à la violence. C'est-à-dire que si je vais voir un film gore, je suis dans le pur spectaculaire. En tant que spectateur je subis ça. Mais avec le jeu vidéo je suis dans une interactivité avec la violence. En même temps, pour renforcer l'interactivité il faut pas que le joueur soit dans une habitude, il faut que ce soit disruptif...C'est les analyses de Bernard Stiegler sur le disruptif qui viennent là. Apres, moi je pense que l'idée que parce que je vois de la violence je deviens violent, c'est simpliste. C'est un peu simpliste si on veut parler d'un conditionnement simple, ça marche pas, tout est dit par Orange Mécanique sur la question : on peut me forcer à voir des films violents ça change rien. Ça ne m'inhibe pas. Par contre, ce qui est vrai, ce qui est dangereux c'est la mithridatisation. Le fait d'inocule une petite dose de poison régulièrement. Ça, ça banalise peut être les choses. Il n'y a pas que le jeu vidéo qui est responsable. On peut pointer la question de l'addiction. Ce qui est dangereux c'est l'addiction. On le voit bien avec le phénomène des séries, les gens regardent beaucoup de séries. Elles sont construites de manière telle qu'on ne finit pas un épisode sans vouloir voir le suivant. Je suppose que dans les scenarii des jeux on va retrouver les mêmes choses. Il y a des jeux ou on peut dire « je prends deux heures et j'avance dans le jeu », et des jeux ou c'est impossible. Je pense que là on peut voir une différence artistique entre les premiers et les seconds.

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Annexe 3

Exemple d'un test de Jeu : Journey, Playstation 3, ThatGameCompany, 2012

Source : jeuvideo.com

?Après la découverte des profondeurs abyssales avec FlOw, puis les tribulations d'une multitude de pétales dans Flower, c'est à un véritable voyage que Sony et thatgamecompany vous convient sur le PSN. Journey propose en effet une aventure initiatique originale qui ne laissera en aucun cas le joueur indifférent.

On s'en souvient, les deux précédents titres présentés par le studio offraient déjà des expériences de jeu au gameplay simple et accessible à tous, tentant surtout de susciter l'émotion chez le joueur, qui possède parfois un coeur de pierre. Journey clôt le contrat passé entre Sony et Thatgamecompany (qui concernait donc trois jeux), et les développeurs comptent bien conserver la même recette pour ce final, toujours disponible en téléchargement sur le PSN. Pour ne pas noyer le joueur sous un flot d'informations qui lui ôterait sans doute toute impression d'immersion, l'interface y est encore une fois très épurée. Le menu principal vous propose juste de lancer un nouveau périple, puis, c'est à vous de jouer.

Les environnements semblent immenses et sont tout simplement magnifiques. Les images publiées avant la sortie du jeu l'ont largement montré : on commence l'aventure en plein milieu d'un environnement désertique, avec du sable à perte de vue. Votre personnage, couvert de la tête aux pieds d'une sorte de burqa rouge foncé, ne ressemble ici qu'à une silhouette bien frêle, face à l'immensité de cet univers hostile, mais splendide. Car c'est bien ce qui saisit le joueur dès le début : visuellement, le soft est somptueux, et cette impression n'aura de cesse d'être renouvelée tout au long de l'aventure, au fil des environnements, très variés, des arrière-plans à couper le souffle, et des effets de lumière à faire pleurer. Rien que pour cette réussite artistique, Journey se doit d'être découvert. Mais opérons un petit retour au début de notre aventure. On vous l'explique très vite, vous pourrez contrôler la caméra avec le Sixaxis, ou avec le stick droit. Celui-ci sera sans doute rapidement privilégié par le joueur, qui tentera alors d'avancer et de

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découvrir son environnement en se déplaçant de dune en dune et de ruine en ruine. En effet, puisqu'aucune indication ne nous est donnée, l'intuition prend le dessus, et on se dirige donc toujours vers les éléments du décor se démarquant davantage que les autres. On rencontrera rapidement quelques glyphes lumineux, qui parsèment la plupart des environnements de Journey. Ceux-ci permettent d'agrandir une sorte d'écharpe en tissu portée par notre personnage, qui lui donne la capacité d'effectuer des sauts, voire même de voler durant quelques instants. Ce temps de vol est justement déterminé par la longueur de l'écharpe, qui doit également être illuminée pour être d'une quelconque utilité. En bref, elle se décharge lorsqu'on l'utilise, et devra donc être rechargée, ce qui se fait automatiquement lorsqu'on approche de « rassemblement de tissus volants », eux aussi disséminés dans les décors.

Etre accompagné vous donnera-t-il davantage de courage pour affronter ce qui vous attend ? Cet aspect du gameplay a son importance, puisqu'il permet de faciliter les déplacements et donne accès à certaines plates-formes moins accessibles que d'autres. Plus tard, lorsque notre voyage sera bien entamé, on planera parfois automatiquement, en se servant de bannières géantes volant au gré du vent, et qui nous permettront d'atteindre des hauteurs impressionnantes. Oui, mais pour aller où ? Le désert étant particulièrement inhospitalier, notre attention se portera vers une montagne éloignée que l'on distingue à peine, au début de notre périple, avant qu'elle se fasse bien plus nette, au fur et à mesure de notre progression. Entre chaque niveau, se consacrant toujours à un environnement distinct (diverses parties du désert, la montagne et son ascension très périlleuse...), de brèves cinématiques abordent le background du titre, qui reste pourtant toujours un peu mystérieux. Peu importe, il ne tient pas vraiment la première place, c'est ici le voyage qui a de l'importance, pas son but. Et puisque la solitude pourrait bien vous peser rapidement, Journey vous permet de rencontrer un compagnon sur votre chemin. Celui-ci apparaît automatiquement à un endroit précis de votre progression, pour peu que votre console soit connectée à Internet. Libre à vous d'ignorer cette seconde silhouette, qui vous est en tout point identique, et de continuer le voyage en solitaire, mais vous vous priveriez alors d'une partie des émotions que les développeurs souhaitent véhiculer avec Journey.

Voilà donc la fameuse montagne qui nous motive... Car si, lorsque l'on tente le périple à deux, les possibilités ne sont pas décuplées pour autant, cela apporte quand même une autre dimension à l'expérience que l'on est en train de vivre, et maintenant de partager. Face à un univers hostile, on aura tendance à se rapprocher de notre compère, et à communiquer avec lui. Pas par un tchat vocal - absent du jeu car il briserait évidemment cette chère immersion - mais plus simplement par une série de sons, déclenchant parfois une petite onde pour attirer l'attention de notre comparse. En se rapprochant l'un de l'autre, on « recharge » également notre fameuse écharpe, afin de pouvoir planer encore un peu. Le sentiment de solidarité est à son paroxysme lorsqu'on approche du sommet de cette fameuse montagne, et que les conditions météo se dégradent encore, nous plongeant au coeur d'une impressionnante tempête de neige, à glacer le sang... Autant le dire clairement, le dernier-né de thatgamecompany parvient tour à tour à émerveiller ou émouvoir le joueur, lors de ces deux à trois heures de jeu menées à un rythme effréné. On nous y offre une expérience poétique digne de ce nom, qui ne tente pourtant pas d'atteindre les sommets en délivrant un gameplay complexe et une narration profonde. Non, Journey parvient plutôt à toucher votre coeur de joueur en distillant des émotions universelles et primitives, portées par un univers visuellement époustouflant et une musique enchanteresse. Un voyage à ne pas rater.»

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Lena sur jeuvideo.com ( http://www.jeuxvideo.com/articles/0001/00016628-journey-test.htm)

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Table des matières

Remerciements 3

INTRODUCTION 5

o Définition de l'objet d'étude. 5

o État de la recherche. 7

o Enjeux et but du mémoire de recherche. 9

o Considération méthodologique et présentation du plan. 12

Partie 1 : Parcours du Jeu vidéo : des bornes d'arcade au débat sur « l'artisticité ». 14

I) L'art dans le jeu vidéo : parcours, évolution et réflexions historiques. 14

o De la borne d'arcade à la console de salon. 14

o Du marché de niche au phénomène culturel. 16

o De la polarisation du débat à la bataille juridique. 20

o Le Game Feel comme expression de la spécificité. 23

II) Le jeu vidéo est-il un art ? Le débat épique. 25

o La classification des arts 25

o « Jeux vidéo » : un objet protéiforme. 27

o Catégories de jeux vidéo selon leur possible prise de position dans le débat. 28

o Prises de position internes et externes : la difficile définition des termes. 32

Partie 2 : La légitimation du Jeu Vidéo comme "Dixième Art" : Enjeux et acteurs. 36

I) La légitimation du Jeux Vidéo : la création d'une nouvelle dynamique 36

o Le développement 36

o

110

L'édition et la production. 38

o Les joueurs. 41

o Les vidéastes YouTube et la presse spécialisée. 43

o Les pouvoirs publics et associations. 45

II) Une perspective globale : un enjeu au-delà du dixième art. 48

o Culture, art et patrimoine. 48

o Vers une nouvelle dynamique de production 51

Partie 3 : Processus de légitimation dans les nouveaux medias 56

I) La légitimation du cinéma : un cas d'école pour le jeu vidéo. 56

o Le cinéma : du loisir populaire à l'objet d'étude 56

o Le cinéma : création d'une spécificité et consécration. 58

o « Elites et populaires » : un parallèle entre la légitimation du cinéma et celle du jeu

vidéo. 59

II) Le parcours de légitimation : un processus normé et automatique ? 61

o L'émergence d'une nouvelle pratique. 62

o Gain de popularité. 62

o Reconnaissance de la spécificité. 63

o Institutionnalisation et création d'une communauté. 64

o Polarisation de la pratique. 65

o Acceptation de la légitimité artistique. 66

CONCLUSION 69

Bibliographie 72

Sur le jeu vidéo, son histoire et sa spécificité 72

Sur la recherche de légitimation du jeu vidéo 74

111

Sur la légitimation de l'art ou de la culture en général 76

Annexe 1 : Chronologie du Jeu Vidéo et de l'informatique ludique 79

Annexe 2 : Entretien avec François FRIMAT, philosophe de l'art et enseignant à Lille III. 97

Annexe 3 : Exemple d'un test de Jeu : Journey, Playstation 3, ThatGameCompany, 2012 106






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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote