MÉMOIRE DE RECHERCHE
Le processus de légitimation du Jeu
Vidéo Parcours et enjeux d'un dixième art.
1
Sciences-po Lille, année universitaire 2017-2018.
Master 1 - SGO/CPC
Germain Bridoux, sous la direction de Monsieur Julien
Boyadjian
2
Sciences po Lille de Lille n'entend donner aucune approbation
ni improbation aux thèses et opinions émises dans ce
mémoire de recherche. Celles-ci doivent être
considérées comme propres à leur auteur.
J'atteste que ce mémoire de recherche est le
résultat de mon travail personnel, qu'il cite
et référence toutes les sources utilisées et qu'il ne
contient pas de passages ayant déjà été
utilisés intégralement dans un travail similaire.
3
Remerciements
Je tiens à remercier mon directeur de mémoire,
Monsieur Julien Boyadjian, pour m'avoir accompagné tout au long de la
construction et de la rédaction de ce mémoire de recherche.
Ses conseils m'ont été précieux.
Merci également à monsieur Romain Sephy et
monsieur François Frimat pour avoir accepté les entretiens.
Nos discussions ont été d'une grande aide.
Merci également à ma famille, pour son soutien,
sa patience et sa compréhension.
Enfin, je tiens à remercier Audrey, mes amis et le
Collectif du 26 pour avoir créé des moments de discussion, de
concertation et de rédaction indispensables à l'émergence
d'idées nouvelles et à la rédaction d'un travail de
cette ampleur.
4
SOMMAIRE
Page de garde 1
Remerciements 3
INTRODUCTION 5
Partie 1 : Parcours du Jeu vidéo : des bornes d'arcade au
débat sur « l'artisticité ». 14
I) L'art dans le jeu vidéo : parcours, évolution
et réflexions historiques. 14
II) Le jeu vidéo est-il un art ? Le débat
épique. 25
Partie 2 : La légitimation du Jeu Vidéo comme
"Dixième Art" : Enjeux et acteurs. 36
I) La légitimation du Jeux Vidéo : la
création d'une nouvelle dynamique 36
II) Une perspective globale : un enjeu au-delà du
dixième art. 48
Partie 3 : Processus de légitimation dans les nouveaux
medias 56
I) La légitimation du cinéma : un cas
d'école pour le jeu vidéo. 56
II) Le parcours de légitimation : un processus
normé et automatique ? 61
CONCLUSION 69
Bibliographie 72
Annexes 79
Table des matières 109
5
INTRODUCTION
"L'art n'est légitimé que par comparaison et la
comparaison ne peut se faire qu'avec ce qui est déjà
légitime ». Marcel Duchamp
o Définition de l'objet d'étude.
« Mais, Mario, comment reconnais-tu que c'est un jeu ? Ta
définition est parfaitement circulaire : un jeu vidéo est un jeu
dans lequel on joue avec de la vidéo, me dis-tu. Mais quelle
vidéo ? Et comment savoir à coup sûr que nous avons affaire
à un jeu ? Par quels critères objectifs et infaillibles ? C'est
là justement la question à laquelle nous n'arrivons pas à
répondre, sans tourner en rond. ».
C'est ce dialogue fictif entre Mario (personnage du jeu
Super Mario Bros sur la console NES) et Socrate qui sert de prologue
au livre La Philosophie des Jeux Vidéo de Mathieu
Triclot1. Le jeu vidéo est intrinsèquement lié
à la notion de jeu, de ludique. Le jeu est protéiforme, son
étude est transdisciplinaire. Les définitions du jeu sont aussi
nombreuses que les domaines qui le considèrent comme un objet
d'étude : "Activité inférieure, non adaptée au
réel comme l'est le travail" (P. Janet), "Activité consistant
dans la reproduction d'actions actuellement inutiles, mais qui, dans le
passé de l'histoire de l'humanité, ont été des
travaux." (St Hall), "Activité mettant en jeu une fonction sans qu'une
fin particulière soit poursuivie (Bühler et Carr) et permettant
à l'enfant de réaliser son moi quand il ne peut le faire par une
activité sérieuse." (Claparede). Elles s'accordent sur un point :
le jeu est une activité qui se déroule dans un temps et un espace
défini, le jeu obéit à un ensemble de règles et le
jeu peut s'affranchir de liens avec la réalité. En ce sens, le
jeu vidéo pourrait se comprendre comme un jeu d'images, une
activité ludique inutile, sans fin particulière.
Cependant les définitions données au jeu
vidéo peuvent l'affranchir du jeu. Le joueur de jeu vidéo
obéit à un ensemble de règles, mais toutes ne sont pas
connues du joueur, seul le
1 Mathieu Triclot, Philosophie des jeux
vidéo, La Découverte, coll. Poches Sciences, 2017, 304p.
6
concepteur de jeu les choisis et les connait pour mener
à bien le processus de développement. Il faut également
noter que le jeu vidéo ne s'affranchit pas complètement du lien
avec la réalité pour se situer dans l'imaginaire puisque
l'interaction avec la console ou l'ordinateur fait conserver un lien physique
obligatoire avec la réalité. Grace à ses
différences de fond et de forme majeures, le jeu vidéo peut donc
se percevoir tantôt comme un sous-champ du jeu, tantôt comme un
dépassement de celui-ci. Force est de constater que le jeu et le ludique
ne sont pas au débat pour accéder au rang d'art. Ils sont
analysés tantôt du point de vue de la culture ou des moeurs,
tantôt du point de vue cognitif ou psychologique.
Héritier du jeu, le jeu vidéo est un nouvel
objet qui se détache de son aîné. L'apparition du jeu
vidéo comme objet culturel est lié à la
démocratisation des ordinateurs personnels. Les premiers jeux sont des
programmes développés dans les instituts de recherche
informatique (comme le Massachussetts Institute of Technology, MIT).
Le terme « jeux vidéo » n'apparait que dans les années
1970, quand ils sont distribués en grande surface et accessibles
à un public large. Le jeu vidéo se développe d'abord sur
des bornes d'arcade payantes, les parties sont à durée
limitée et les jeux ne présentent qu'un intérêt
limité. C'est le magazine Tilt, qui apparait en 1982 en France,
qui rassemble une communauté de joueurs. Le jeu vidéo
dépasse alors la sphère marchande pour proposer une
réflexion sur lui-même et sur les loisirs ou la culture en
général. C'est à cette période (fin des
années 1980 - milieu des années 1990) que sont produites les
premières analyses sur ce nouveau medium qui plaident pour en faire un
objet d'études à part entière. Seulement, la
difficulté de séparer le jeu vidéo du « jeu » et
de la « vidéo » cantonne les recherches à le lier
à d'autres medias ou à d'autres champs de recherche (comme la
psychologie, les sciences cognitives, les sciences technologiques ou même
le marketing).
Le jeu vidéo est alors défini, soit d'un point
de vue « essentialiste » comme l'ensemble des dispositifs ludiques
électroniques basés sur un principe d'interaction (Mathieu
Tricot, Samuel Coavoux, Vincent Berry), soit d'un point de vue « social
» comme « ce à quoi joue la personne dont on dit qu'elle joue
aux jeux vidéo »2. Le jeu vidéo se réduit
donc par ces définitions aux jeux sur consoles, sur ordinateur voire sur
téléphone mobile. Ces deux définitions se rejoignent
dans
2
7
l'analyse proposée par les Game Studies.
Les Game Studies sont un champ de recherche pluridisciplinaire
consacré à l'étude du jeu. C'est dans la revue
scientifique Game Studies lancée en 2001 par Espen Aarseth que
les Game Studies ne s'intéressent non plus au jeu «
traditionnel » mais également aux jeux vidéo.
o État de la recherche.
L'apparition des consoles dites de « Cinquième
Génération »3 (Playstation et
Nintendo 64 entre autres) attire un public de joueurs de plus en plus
large. La portée sociale et culturelle du jeu vidéo le place
alors comme un objet de recherche valable et la recherche sur le jeu
vidéo s'institutionnalise avec la multiplication des articles
scientifiques anglophones. Pourtant, dans le champ de l'étude, les
Game Studies restent une catégorie critiquée pour la
polarisation qu'elle apporte au débat. Loin de considérer le jeu
vidéo comme un objet d'étude à part entière,
celui-ci est toujours lié aux débats sur le jeu et le ludique.
Les études sur le jeu vidéo se limitent à ceux auxquels
les chercheurs jouent ou qu'ils étudient, sans prendre en compte les
réalités de la communauté de joueurs. Le biais le plus
courant dans l'analyse sociale des jeux vidéo est l'intérêt
grandissant (parfois quasi-autarcique) pour les MMORPG 4 . A ce
propos, Mathieu Triclot, philosophe qui travaille sur le jeu vidéo,
répond dans un entretien au journal Libération le 13
juin 2016 :
« Je pense que les MMORPG ont été aussi
importants dans la légitimation des jeux vidéo [...] parce que
ça permettait de dire : ah mais regardez, en fait, ces pauvres joueurs,
avachis devant leurs écrans, ils sont sociaux, ils sont sociables, ils
sont pas désocialisés, ils ont des sociabilités en ligne.
Alors vous imaginez c'est génial, si vous êtes sociologue, vous
pouvez aller étudier les sociabilités en ligne, c'est cool. Alors
que c'était une pratique CSP+, ultra minoritaire parmi toutes
3 On situe le début de cette
génération 1993 avec la console Saturn et la fin en 2006
avec la maitrise de la 3D sur Playstation 2. Un historique complet est
disponible en Annexe 1.
4 MMORPG : « Massively Multiplayer Online
Role-Playing Games », ou « jeu de rôle en ligne
massivement multijoueur » en français. Neverwinter Night
(1991, AOL) est considéré comme le premier et World Of Warcraft
(1994, Blizzard Entertainment) comme le plus connu.
8
les pratiques, mais elle a joué un rôle
symbolique extrêmement important dans le discours de légitimation
autour des jeux.»
Et aussi
« Samuel Coavoux avait fait une revue de
littérature en regardant les jeux cités dans les articles des
games studies. [...] Il comparait les jeux cités effectivement dans
la littérature aux jeux réellement pratiqués... Et on voit
qu'il y a un écart juste absolument considérable, et qu'en
réalité les chercheurs étudient, sous les noms
d'études de jeux vidéo, étudient leurs propres pratiques.
».
La recherche sur les jeux vidéo semble donc osciller
« analyse sociale » coupée d'une réalité des
pratiques et un débat éternel, quasiment intrinsèque. Ce
deuxième débat, c'est celui qui anime les Game Studies
depuis leur fondation. Il oppose deux approches du jeu, et donc du jeu
vidéo. La première, c'est l'approche dite « narratologique
» : le jeu vidéo est d'abord un ensemble d'hypertexte5.
Il devrait être analysé du point de vue de sa narrativité,
analysé comme « la combinaison entre une intrigue «
programmée » et matérielle et l'expérience de cette
intrigue par le joueur»6. La deuxième est l'approche
« ludologique » : le jeu vidéo serait d'abord une pratique
ludique dans un temps, un espace et avec des règles définies et
cette pratique ludique a une dimension sociale et des effets sur le joueur. La
recherche est longtemps restée polarisée entre ces deux
approches, jusqu'à la constitution du jeu vidéo comme un objet de
recherche à part entière, sous-champ qui s'écarte des
Game Studies. La littérature grise (tests de jeux
vidéo7, articles amateurs, réflexions de joueurs...)
ne prenant que très peu part au débat ludologie/narratologie, le
jeu vidéo est de plus en plus considéré comme un medium
spécifique. Il répond à la fois à des logiques
narratologiques et ludologiques mais aussi à des logiques autres, loin
de ce débat bipolaire8. Le consensus est trouvé parmi
les chercheurs dans les appellations
5 Technique ou système permettant, dans une
base documentaire de textes, de passer d'un document à un autre selon
des chemins préétablis ou élaborés lors de la
consultation (Larousse, 2018).
6 Marc Marti, « La
narrativité vidéoludique : une question narratologique »,
Cahiers de Narratologie, numéro 27, 2014.
7 Un exemple de test du jeu vidéo
Journey (Thatgamecompany, 2012) est fourni en Annexe 3.
8 Voir les travaux de Sebastien Genvo sur la ludologie
narrative et le numero de la revue Ludologie de mai/juin 2018.
9
« ludologie narrative » ou « narration ludique
»9. Une fois l'objet défini, cadré, les
recherches sur le jeu vidéo transcendent cette ancienne question. C'est
la communauté de joueurs et le corps de métier des travailleurs
du jeu vidéo qui recentre le débat sur les notions de
gameplay, de gamefeel ou de gamedesign10.
Une définition consensuelle est trouvée dans les travaux de
Gonzalo Frasca :
« Le jeu vidéo inclus toute forme de logiciel
informatique de divertissement, qu'il soit à base de textes ou d'images,
utilisant une plateforme électronique, comme un ordinateur personnel ou
une console, impliquant un ou plusieurs joueurs dans un environnement physique
ou en réseau »11.
Encadré 1: Gameplay, Gamefeel,
Gamedesign.
Le Gameplay, le Gamefeel et le
Gamedesign sont trois termes anglo-saxons qui font
référence à la création d'un jeu vidéo ou
aux sensations procurées par celui-ci. Les termes ne sont pas
traductibles en français. Le gameplay désigne les
éléments d'une « expérience vidéo-ludique
», c'est-à-dire le ressenti du joueur quand il s'adonne au jeu
vidéo. Il est parfois traduit par « jouabilité » bien
que ce terme dénature un peu le propos (ce n'est pas parce qu'un jeu est
« jouable » qu'il propose une expérience). Le gamefeel
est un terme popularisé par Steve Swing et regroupe les aspects
mineurs ou majeurs d'un jeu (temps de réponse du medium, ambiance
sonore, images par seconde...) qui rend la sensation de jeu intangible, unique
et tactile. Enfin, le gamedesign est le processus de création
et de mise au point des règles, des niveaux et autres
éléments constitutifs du jeu dans un ensemble cohérent et
interactif. Les trois termes sont différents et participent tous les
trois à créer ou penser une spécificité du jeu
vidéo.
o Enjeux et but du mémoire de recherche.
Ce mémoire de recherche se situe dans la
continuité des recherches d'Alain et Fréderic Le Diberder. La
réflexion qu'ils opèrent dans Qui a peur du jeu vidéo
? (La Découverte, Paris, 1993)
9 Voir par exemple pour cette résolution :
Alexandre Béland-Bernard, Narration ludique ou ludologie narrative :
réconciliation de la ludologie et de la narratologie dans le discours
universitaire sur le jeu vidéo, particulièrement en ce qui
concerne le jeu de rôle. Masters thesis, Concordia University,
2007.
10 Voir Encadré 1.
11 Gonzalo Frasca, « Ludology Meets
Narratology : Similitudes and Differences between (Video) Games and
Narratives», Ludology, Disponible en ligne :
www.ludology.org/articles/ludology.html,
traduction par nos soins.
10
a fait date. Ce fut la première fois que des chercheurs
associaient les jeux vidéo au dixième art. De la même
manière, les recherches sur la spécificité du jeu
vidéo portés d'abord par les travaux sur le Game Design
de Chris Crawford12 et sur le Game Feel par Steve
Swink13 permettent de définir une certaine
spécificité du jeu vidéo dans le champ de l'art ou des
médias.
Les travaux qui définissent le jeu vidéo non
plus comme une pratique mais comme un objet culturel, un objet d'étude,
dépassent ce qui avait été fait par les Game
Studies. La question est maintenant de savoir si, une fois accepté
comme un objet de recherche valable et comme un objet culturel
transgénérationnel, le jeu vidéo pourrait être
considéré comme un art. Pour Marcel Mauss l'objet d'art, par
définition, est celui reconnu comme tel par un groupe14. Ce
mémoire de recherche s'intéresse donc à savoir comment se
positionne la communauté qui s'est constituée autour du medium
vidéoludique par rapport à la question de l'art, pour savoir si
la définition de l'art par Marcel Mauss s'applique ici. Ensuite, si la
notion d'art regroupe des idées d'esthétique (A. Baumgarten,
Aesthetica) ou d'interaction (comme analysée par Gérard
Genette15). Il faut comprendre où se situe le jeu
vidéo dans cette catégorisation. Notre analyse ne cherche pas
à définir le jeu vidéo par rapport à la philosophie
de l'art. Il nous faut cependant recontextualiser et définir les
conditions d'accès aux arts légitimes pour comprendre le
processus qui se joue. Il s'agit aussi d'expliquer ce que représenterait
une consécration pour le jeu vidéo, pour ses acteurs, son
industrie, ses travailleurs ou ses joueurs. Une pratique qui acquiert des
lettres de noblesse subit forcement une transformation dans sa manière
d'être et de se produire : il faut dévoiler ce que cela
représente pour le jeu vidéo.
Par l'explication de son histoire mise en comparaison avec le
cinéma, il est possible de comprendre le « parcours de
légitimation » qui se met à l'oeuvre dans le jeu
vidéo, medium plutôt récent par rapport aux autres arts
déjà adoubés (voir Annexe 1). C'est ce parcours (ou
processus) de légitimation qui est au coeur de ce mémoire de
recherche. Ici, le mot « légitimation » se
12 Chris Crawford, The Art Of Computer Game
Design, McGraw-Hill/Osborne-Media, Berkeley, 1984. 113p.
13 Steve Swink, Game Feel: A Game Designer's Guide
to Virtual Sensation, CRC Press, 2008.
14 Marcel Mauss, Manuel d'ethnographie [Cours
professé entre 1926-1939], Payot, Paris, 1971.
15 Gérard Genette, L'OEuvre de l'art,
Paris, Seuil, coll. poétique, 1994.
11
comprend au sens de « consécration » ou de
« adoubement ». Pierre Bourdieu définit le légitime
comme :
« Un mot technique du vocabulaire sociologique que
j'emploie sciemment, car seuls des mots techniques permettent de dire, donc de
penser, de manière rigoureuse, les choses difficiles. Est
légitime une institution, ou une action ou un usage qui est dominant et
méconnu comme tel, c'est-à-dire tacitement reconnu.
»16.
Le duo méconnaissance-reconnaissance pourrait
s'appliquer au cas du jeu vidéo. Le mot « légitimation
» est ici à prendre dans l'expression « legitimation and
recognition » (« Légitimation et reconnaissance »)
qui décrit l'acceptation générale par la
société, les institutions et les champs de la recherche et de la
philosophie d'une forme d'expression ou de création comme artistique.
Notre travail de recherche s'inscrit donc à la fois dans la
continuité de l'article de Felan Parker « an Art World For Artgames
»17, qui fait état des prérequis à un jeu
vidéo (ou au jeu vidéo de manière générale)
pour être reconnu comme une forme d'art. L'article relate
également le processus qui s'engendre quand le débat autour de la
légitimation s'engage. Les travaux de Mathieu Triclot sur la
Philosophie des Jeux Vidéo (2011, La Découverte) ont
également un écho particulier, ils expliquent les raisons qui
incitent la communauté vidéoludique à se lancer dans un
tel débat. Travail qui fait date et qui reviendra également
plusieurs fois pendant notre mémoire : Qui a peur des jeux
vidéo ? De Alain et Fréderic LeDiberder (1993, La
Découverte), réédité plus tard sous le titre
L'Univers des jeux vidéo, et qui intitule pour la
première fois un chapitre : « le jeu vidéo comme
dixième art ». À travers l'évolution du jeu
vidéo et grâce aux débats et aux intérêts qui
animent les différents acteurs du milieu, pouvons-nous rendre compte
d'un processus de légitimation ?
16 Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris,
Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1984, 302
p.
17 Felan Parker, «An Art World For
Artgames», Loading..., Simon Fraser University, 2013, 59 p.
12
o Considération méthodologique et
présentation du plan.
Ce travail est en partie la compréhension de
l'avancée des recherches sur le jeu vidéo, doublé d'une
réflexion pour définir un parcours de légitimation
général, qui sera mis à l'épreuve avec une analyse
de l'évolution du cinéma. Deux entretiens viennent appuyer les
considérations sur l'avancement actuel du processus de
consécration, et sur les enjeux du champ de la recherche : un entretien
avec Romain Sephy, graphiste et Game Designer chez Ankama Production
et un entretien avec François Frimat, philosophe de l'art et professeur
à l'université de Lille III. Ces deux entretiens servent à
cerner les réalités et les enjeux actuels des acteurs de
l'industrie et du débat sur le jeu vidéo comme dixième
art. Ils sont mis en comparaison avec des articles de journaux, des reportages,
des notes d'intention de studios de développement...L'Agence
Française pour le Jeu Vidéo (qui sera dénommé AFJV
tout au long de ce travail) ayant refusé d'accorder un entretien, sa
position vis-à-vis du débat sera considérée en
fonction de ses actions sur le terrain et de sa prise de parole dans l'espace
public et dans la communauté vidéoludique (à travers la
littérature grise à disposition, notamment les notes, les
articles, les déclarations et autres compte-rendus). Il en va de
même pour le ministère de la culture ou le Fond d'aide à la
Création de Jeu Vidéo. Pour la traduction, les termes
spécifiques anglo-saxons dont la transcription en français
dénaturerait le sens resteront inchangés, les extraits traduits
le seront toujours par nos soins, dans le cas contraire, le traducteur sera
identifié en note de bas de page. En accord avec les travaux
précédents, les différents jeux vidéo seront
référencés comme ceci : Nom du Jeu (Studio de
développement, Année de Sortie).
Dans une première partie, le but est de
présenter le parcours du jeu vidéo, sa spécificité
et sa réflexion sur lui-même. Il s'agit de le positionner
sociologiquement et "philosophiquement", en tant qu'objet d'étude mais
aussi par rapport au contexte actuel de consommation et de création. Il
faut également démontrer que le jeu vidéo a un parcours
suffisamment spécifique pour se démarquer des autres arts, mais
assez similaire pour prendre la suite du cinéma.
L'objectif de la deuxième partie est de comprendre les
forces et les acteurs qui entrent spécifiquement en jeu dans ce
processus de légitimation. Il faut montrer le point de vue du
13
"milieu de l'art" (musée, exposition,
réflexion), de celui de la "communauté" (Joueurs,
développeurs, designers, modes, passionnes), de celui de la recherche,
des pouvoirs publics... Ces milieux répondent à des motivations
différentes, mais qui ont parfois des intérêts
convergents.
La troisième et dernière partie a pour but
d'expliquer que tous les nouveaux medias, les nouvelles pratiques, impliquent
forcément un débat de fond (parfois politique, philosophique) sur
leur place en tant qu'art et répondent donc à un processus de
légitimation, qui pourrait être défini comme
général et inéluctable.
14
Partie 1
Parcours du Jeu vidéo : des bornes d'arcade
au débat sur « l'artisticité ».
Il faut replacer notre objet d'étude dans un contexte
plus large en expliquant ce qu'est un jeu vidéo et comment il a
évolué (dans la société, dans ses pratiques, dans
son développement). Il s`agit aussi d'expliciter les logiques à
l'oeuvre dans la création d'un jeu vidéo, les termes qu'il
regroupe, les problématiques qu'il a soulevées. C'est une partie
primordiale pour notre recherche où il faut tenter de comprendre comment
le jeu vidéo a évolué de "loisir de garage, populaire",
à "possible objet d'étude". Il faut aussi comprendre comment nait
un phénomène, comment il s'impose et comment il dépasse le
cadre qui lui était attribué au départ. L'histoire du jeu
vidéo comme art est intimement liée à celle de l'art dans
le jeu vidéo. Il est délicat de jalonner ce cursus par des dates
précises, le jeu vidéo comme art étant un processus long
que les jeux et acteurs construisent pièce par pièce.
I) L'art dans le jeu vidéo : parcours, évolution et
réflexions historiques.
o De la borne d'arcade à la console de salon.
La période 1970-1980 est marquée par les bornes
d'arcade et les premiers ordinateurs personnels. Les jeux vidéo d'arcade
répondent à des logiques marketings : il faut que les joueurs
« tournent » (expression populaire a l'époque) sur les bornes
qui se rechargent avec des pièces de monnaie. Le temps de jeu est
compté, la courbe de progression de la difficulté des jeux sur
borne d'arcade à un pic abrupt après quelques minutes de jeu, ce
qui force le joueur à payer de plus en plus. La narration est
limitée (parfois suggérée ou inexistante). Le
modèle des bornes d'arcade ne laisse pas de place à une forme de
création artistique, il repose uniquement sur des considérations
économiques. Pour les premiers ordinateurs personnels (Apple I,
Commodore, Atari 2600) se pose d'abord un problème de limitation
technique : les jeux sont souvent sur
cassette à bande magnétique, l'ordinateur doit
pré-charger toutes les composantes du jeu (parfois pendant plusieurs
heures) et les problèmes techniques sont fréquents. La faible
puissance de calcul (processeur de première génération)
offre une réactivité limitée, des décors sommaires
et des musiques peu travaillées. L'autre problème est celui de
l'accessibilité. La technologie de pointe qu'offrent les
microsystèmes personnels me les rend accessibles qu'à un public
de passionnés disposant de connaissances solides en micro-informatique.
Il était par exemple possible d'acheter des magazines jeux vidéo,
puis de recopier les programmes soi-même en ligne de code sur des bandes
magnétiques vierges. Cette complexité empêche le grand
public de s'y intéresser et participe à l'apparition d'un
cliché qui perdure : le joueur est solitaire, enfermé, il
pratique un loisir obscur et complexe.
Néanmoins, la démocratisation des ordinateurs
personnels et des premières consoles à la fin des années
1970 et au début des années 1980 encourage les producteurs et les
développeurs à s'intéresser à ce nouveau
marché. De nombreux droits sur des licences connues sont rachetés
(Star Wars ou E.T l'extraterrestre par exemple) et
portés sur console ou sur ordinateur. La situation du marché du
jeu vidéo nuit à la production et l'image de
celui-ci18 jusqu'en 1985, date de la sortie de la Famicom
de Nintendo (sortie sous le nom de NES partout dans le monde).
15
18 Voir Encadré 2.
16
Encadré 2: Atari
Atari est une société fondée par Nolan
Bushnell et Ted Dabney en 1972. Le mot « Atari » vient du jeu
japonais de Go et signifie cible. Le but de Nolan Bushnell était de
cibler les Etats-Unis avec une nouvelle forme de culture et de divertissement :
le jeu vidéo. Le 29 Novembre 1972, Atari lance sa première borne
d'arcade du jeu Pong. Trente-cinq mille unités sont
écoulées au total. Pendant trois ans, Atari rayonne dans le
domaine de l'arcade. La compagnie décide de tenter de conquérir
le marché domestique en 1975. La nouvelle console sensée
s'installer dans les foyers, « l'Atari 2600 » sort en 1977 et coute
alors 199$ (soit plus de 700$ aujourd'hui en tenant compte de l'inflation. Le
succès est relatif dans les premières années, mais en 1982
les ventes passent le cap des 8 millions. La concurrence au sein de l'industrie
et les logiques marchandes qui animent le marché des années 1980
pousse les développeurs à sortir de plus en plus de jeux, de
moins bonne qualité. Avec un portage de Pac-man puis d'E.T
L'extraterrestre qui défraye la chronique par leur piètre
qualité, Atari perd des dizaines de millions de dollars. Les mauvais
jeux se succèdent, le marché est saturé de consoles et de
jeux. Les magasins réexpédient les invendus que les petits
studios n'ont pas les moyens de rembourser. En 1983, on parle du « Krach
des jeux vidéo ». Atari parvient à peine à survivre
à l'implosion du secteur. La partie de la production domestique d'Atari
est vendue à Jack Tramiel, fondateur d'une console concurrente, la
Commodore. Atari tente de survivre grâce au fond de Jack Tramiel en
sortant la Lynx (1989, première console portable avec un écran
LCD en couleur) puis la Jaguar (1993, console de faible qualité
technique face à la toute nouvelle Playstation de Sony). Face à
ces deux échecs commerciaux, Atari abandonne la production de console et
se concentre sur l'édition de jeu. Atari devient alors une filiale de
Hasbro, puis d'Infogrames et disparaît progressivement de 2001 à
2009. La marque demeure pourtant encore dans la légende, notamment
grâce à la portée de l'Atari 2600 et à la vision
futuriste de Nolan Bushnell.
o Du marché de niche au phénomène
culturel.
Les possibilités techniques augmentent. Les nouvelles
cartouches de jeu supportent une puce avec batterie permettant de sauvegarder
la progression du joueur, l'histoire peut alors être
développée pendant plus longtemps. Le support de stockage permet
aussi l'ajout de musique, de décors pré-calculés. La
réflexion autour du jeu vidéo s'installe en même temps que
celle du
17
jeu vidéo sur lui-même. La presse
spécialisée se développe. Les magazines Tilt
(1982), Gen4 (1987) et Joypad (1994) en France propose
des analyse sur le marché ou sur le jeu vidéo tandis qu'en
Angleterre, c'est Edge (1993) qui s'impose comme une
référence. Ces magazines sont d'abord de la presse écrite
par des passionnés. Ils proposent des tests de jeux vidéo
(Gen4 attribue le premier une note sur 100 aux jeux) ce qui
empêche indirectement la saturation du marché avec des mauvais
jeux. Le public devient plus critique : conquis par la presse
spécialisée et conscient de la dépense financière
que représente le jeu vidéo dans les années 1980-1990, les
joueurs réclament du contenu inventif et de qualité. Une
communauté se crée atour du jeu vidéo, tant pour partager
les jeux que pour partager des moments de jeux. Conscients que ce
phénomène peut apporter beaucoup, la presse se met à
développer un système de ligne téléphonique payante
pour renseigner la communauté qui permet surtout de rendre accessible un
loisir alors réservé à des initiés.
Les années 1990 marquent un tournant pour le jeu
vidéo. La démocratisation du CD-ROM permet de stocker plus
d'informations, et d'augmenter les contenus. En 1993 sort Myst,
développé par les frères Robyn et Rand Miller au sein de
leur propre studio : Cyan Interactive. Myst est le premier point'n'click
à la première personne, c'est-à-dire que le joueur a
la même vision de l'univers exploré que le personnage qu'il
incarne. Le déplacement s'effectue à l'aide de la souris, en
cliquant à l'endroit où l'on souhaite aller. Le joueur peut
également interagir avec certains objets en cliquant dessus. Le but est
de résoudre une série d'énigmes dans des décors
pré-calculés. Le gameplay n'est pas linéaire, les
énigmes peuvent se traiter dans l'ordre souhaité. Myst
est un franc succès. A ce jour, il reste le troisième jeu
vidéo le plus vendu au monde. En 1994, sur le magazine Joystick
numéro 48, on peut lire : « Une aventure insolite, une ambiance
incroyable, des graphismes époustouflants...Le plus beau jeu du monde ?
Et pourquoi pas ? ». La rédaction lui attribue une note de 95/100
avec pour commentaire « Pour ma part [le jeu] se révèle
être la huitième merveille du monde ». Le magazine
Génération 4 numéro 80 de septembre 1995
écrit une autre critique pour la sortie de la version traduite en
français du jeu : « 90/100 : Myst est un jeu fascinant,
fantastique, formidable ». Le phénomène est tel que les
futurs point'n'click en vue subjective sont dénommés
« Myst-like » (« comme Myst » en
français). Le succès et la nature du jeu justifient à lui
seul l'achat d'un ordinateur avec lecteur de CD-ROM,
18
ce qui lui vaut le nom de killer
application19. La présence des ordinateurs dans les
foyers se démocratise, les consoles de jeu deviennent des objets
culturels populaires. Avec Myst, les jeux vidéo touchent un
public adulte et varié. La généralisation du CD-ROM comme
support de stockage autorise des jeux plus complets.
Au même moment, les consoles se dotent de support de
sauvegarde interne (comme les ordinateurs), ce qui permet d'enregistrer la
partie pour la reprendre plus tard. Dans chaque catégorie de jeux nait
un canon du genre : Tomb Raider (Core Design / Eidos), sur Sega
Saturn, PlayStation et PC en 1996 pour le jeu d'action-aventure, Resident
Evil, jeu conçu par Shinji Mikami (Capcom) qui définit le
genre survival horror sur PlayStation en aout 1996, Metal
Gear Solid (Konami, 1998) pour le jeu d'action
cinématographique, Diablo (Blizzard, 1997) pour le
hack'n'slash20 et le jeu de rôle européen en 1997 ou
encore Final Fantasy VII (Square, 1997) sur Playstation pour
le jeu de rôle japonais. En parallèle, les méthodes de
production et de développement changent. Les jeux sont plus longs, plus
techniques, souvent à la pointe de la technologie de l'animation 3D. Les
développements coûtent cher et demandent une équipe
conséquente. Par exemple, pour Final Fantasy VII, le
développement se déroule sur 3 ans (19941997), avec une
équipe de plus de 220 personnes et un budget de 68 millions de dollars
(en tenant compte de l'inflation). En comparaison, Pac-Man (Namco,
1980) a été développé par une équipe de 5
personnes en un an pour une dizaine de milliers de dollars. Le coût de
développement augmente en parallèle de celui du marketing. En
1996, la campagne marketing de Nintendo pour Pokémon Version Rouge
et Bleu fait grand bruit, son budget est sans précédent,,
atteignant 50 millions de dollars21. En 2009, c'est Call Of Duty
: Modern Warfare 2 qui devient le jeu le plus cher à produire, avec
un coût de développement de 50 millions de dollars et un
coût en marketing de 200 millions de dollars. Le but est simple : les
studios et les éditeurs doivent réussir à rendre le jeu
visible dans un marché qui compte de plus en plus d'acteurs. Le jeu
vidéo se démocratise, il n'appartient plus au loisir
d'initiés mais devient un objet culturel. Cela se traduit
19 Se dit d'un logiciel tellement attractif et
intéressant qu'il justifie à lui seul l'investissement dans une
nouvelle console ou un nouvel ordinateur.
20 Le Hack'n'Slash est un terme
utilisé dans le domaine du jeu vidéo pour désigner les
jeux vidéo de rôle dont le gameplay se focalise sur le combat
contre des hordes de monstres qui permettent au joueur d'obtenir des
récompenses, sous la forme de points d'expérience et de
trésors.
21 Joseph Jay Robin, Pikachu's Global Adventure:
The Rise and Fall of Pokémon, Duke University Press, 2004 p.
66.
19
par une modification du modèle de vente. Avec
l'augmentation des campagnes marketing et un nombre de joueur sans cesse en
progression, le jeu vidéo ne se vend plus dans des magasins
spécialisés mais en grande surface. La baisse du nombre de
magasins spécialisés (Encadré 3) en France suit la
croissance des ventes de jeux vidéo toutes plateformes confondues
(Encadré 4). Cette augmentation du nombre de joueurs fait
également entrer le jeu vidéo dans la société, et
donc dans les débats de société.
Encadré 3 : Evolution du nombre de
points de vente spécialisés dans la vente de jeux vidéo
entre 1996 et 2010
David Hecq, « Importante baisse du nombre de magasins de
jeux vidéo en France »,
Objectifmicro.org,
14 mai 2012.
20
Encadré 4 : Evolution des ventes de
jeux vidéo en France de 1990 à 2006.
Alain Kahn, Olivier Richard, Les Chroniques de Player One: 20
ans de jeu vidéo et de manga, Boulogne-Billancourt, Pika Edition,
2010, 299 p., p. 297
o De la polarisation du débat à la bataille
juridique.
Les travaux de recherche et de théorie du jeu
vidéo se multiplient à partir du milieu des années 1990,
au même titre que les débats autour de la violence ou de
l'abrutissement supposément provoqués par les jeux vidéo.
L'ouvrage d'Alain et Fréderic LeDiberder intitulé Qui a peur
des Jeux vidéo ? (opus cité précédemment) est
publié dans un contexte où le débat se polarise. D'un
côté, une frange de la société dénigre la
pratique, les joueurs et le contenu des jeux. De l'autre côté, les
développeurs et les studios se battent pour une reconnaissance de leur
travail. Dans ce contexte, le chapitre «Le Jeu Vidéo comme
Dixième Art » de l'ouvrage apparait comme une position nouvelle,
presque extrême. Cette polarisation du débat est constatée
dans
21
tous les ouvrages ou articles depuis le milieu des
années 1990. Dans l'introduction de Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian
pour Les Jeux vidéo comme objet de recherche22on
peut lire : « Les jeux vidéo sont, en apparence, aisément
appropriables. Ils constituent un objet culturel porteur de nombreux discours
normatifs, souvent très polarisés (les jeux vidéo c'est...
beau/rigolo/idiot etc.) Dans les années 1980, les discours de
dénonciation étaient dominants, utilisant les mêmes
arguments que les critiques antérieures adressées aux
médias de masse (télévision, radio, cinéma, bande
dessinée) ». Par la multiplicité des plateformes et des
types de jeu, le jeu vidéo est un objet culturel accessible. Son
processus de démocratisation amène les discours normatifs et donc
la polarisation du débat.
La mise en débat d'un objet est un prérequis
à sa légitimation : un objet inconnu ou un objet qui fait
consensus ne peut amener à un débat sur la nature de celui-ci.
Or, plus le débat est animé, plus apparaissent des arguments qui
créent une base de réflexion pour la recherche. Les
premières réponses aux critiques faites sur le jeu vidéo
(le jeu vidéo est violent, le jeu vidéo est abrutissant, le jeu
vidéo est dangereux pour la santé...) ne sont pas formées
par des chercheurs ou des scientifiques mais par la communauté de
joueurs ou de concepteurs de jeux. Cette bataille d'arguments rappelle les
travaux de Howard Becker23 sur la déviance et la
marginalité. Cette approche rejoint parfaitement l'idée
déjà abordée de polarisation du débat. Le jeu
vidéo est, dans son entièreté,
beau/drôle/dangereux/violent. Le joueur serait un déviant (au sens
interactionniste de Howard Becker) et le jeu vidéo une pratique et un
objet illégitime qui fait face aux critiques provenant des classes les
plus aisées de la société. Le jeu vidéo fait donc
face à des entrepreneurs de morale, des lobbys et des groupes de
pression composés de militants (crusaders pour Howard Becker,
que l'on pourrait traduire par « croisés » en français)
qui défendent une vision de moralité et de conservatisme. Le jeu
vidéo doit se construire en objet légitime, normal (« dans
la norme ») pour se défendre. Le débat
privilégié par les croisés de la morale est celui sur la
violence, qui apparait dans les années 1990 et se termine vers 2010,
avec un point d'orgue entre 2000 et 2003 consécutif à la tuerie
du lycée de Columbine. Le débat vise
22 Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian (dir),
Les Jeux vidéo comme objet de recherche, Paris, Questions
théoriques, 2011, 197 p.
23Howard S. Becker, Outsiders. Études de
sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985
(éd. originale 1963).
22
particulièrement deux jeux : Doom (ID
Software, 1993), décrit comme une source d'inspiration pour les deux
lycéens responsables de la tuerie, et Grand Theft Auto III
(Rockstar Games 2001), jeu le plus vendu aux Etats-Unis en 2001 qui fait
l'objet de nombreux recours en justice pour son côté permissif et
irrévérencieux24. Comme défense, les
concepteurs avancent deux arguments : « le jeu vidéo est une forme
d'expression libre » et « la violence n'est pas au coeur du jeu
».
Concernant le premier argument, c'est une bataille juridique
qui s'engage en 2005 en Californie. En Octobre 2005, le gouverneur de
Californie Arnold Schwarzenegger signe une loi qui interdit la vente de jeu
violent aux mineurs. La Entertainment Merchants Association (EMA,
association qui regroupe plus de mille compagnies de vendeurs de jeux
vidéo et de DVD) s'engage dans une bataille juridique et parvient
à bloquer l'application de la loi dès la fin de l'année
2005. L'affaire est portée devant la Cour d'appel des Etats-Unis en 2007
qui juge la loi anticonstitutionnelle car « allant à l'encontre du
Premier Amendement de la Constitution »25. Arnold
Schwarzenegger réfute la décision et amène l'affaire
devant la Cour Suprême des Etats-Unis en mai 2009. Le jugement est rendu
en 2011 et fait jurisprudence au niveau
national. la Cours Suprême des
Etats-Unis estime que les jeux vidéo restent protégés par
le 1er Amendement de la constitution américaine qui garantit aux
citoyens américains la liberté de religion, d'expression, de
presse et de s'assembler pacifiquement. Pour la Cour Suprême, aucune
étude n'a établi de lien de causalité entre les jeux
vidéo violents et les comportements violents. Dans le compte-rendu du
verdict, on peut lire : « Les preuves apportées par l'Etat de
Californie ne sont pas suffisantes. L'état de Californie s'appuie
principalement sur la recherche du Docteur Craig Anderson et quelques autres
chercheurs en psychologie dont les études visent à montrer un
lien entre l'exposition à des jeux vidéo violents et des effets
dommageables sur les enfants. Ces études ont été
rejetées par toutes les cours qui les ont examinées et ceci pour
une bonne raison : elles ne prouvent pas que les jeux vidéo violents
poussent les mineurs à agir agressivement, ce qui serait au moins un
commencement. Au contraire, presque toutes ces recherches sont basées
sur la corrélation, non sur la preuve d'une causalité et la
plupart de ces études souffrent de
24Article Mario m'a tué par la
rédaction de
Jeuxvideo.com, 2004.
25 Video Software Dealers Assn., et al. v.
Schwarzenegger, et al., 556 F.3d 950 (9th Cir. 2008).
23
problèmes avérés et admis (dans leur
méthodologie. Elles montrent au mieux une certaine corrélation
entre l'exposition à des jeux violents et de minuscules effets dans le
monde réel, comme des enfants se sentant plus agressifs ou faisant
davantage de bruit quelques minutes après avoir joué à un
jeu violent que lorsqu'ils ont joué à un jeu vidéo
non-violent »26. En même temps que le débat sur la
violence dans les jeux vidéo, les développeurs gagnent
également une certaine reconnaissance du jeu vidéo en tant que
forme d'expression.
o Le Game Feel comme expression de la
spécificité.
La deuxième étape pour la communauté
vidéoludique est de montrer que la violence n'est pas au coeur du jeu,
mais qu'elle n'est qu'un outil. Ce qui le débat sur la violence dans les
jeux vidéo. Le débat universitaire se saisi de la notion anglaise
du Gameplay avec l'idée comment « jouer le jeu ». Le
jeu vidéo se partage en deux catégories, le game :
l'objet physique, et le play : l'activité ludique. La
traduction de gameplay en français est complexe, le
gameplay étant un terme générique qui regroupe
plusieurs éléments : « Tout le monde affirme que le gameplay
est ce qu'il y a de plus important, mais lorsqu'il s'agit d'expliquer de quoi
il s'agit vraiment, chacun dit la sienne et on a un peu de mal à s'y
retrouver. Tâchons d'être le plus générique possible,
donc : le gameplay désigne à la fois le but d'un jeu vidéo
et les moyens donnés au joueur pour y parvenir. Cela comprend les
commandes, les interactions, les angles de vue (notamment quand le jeu est en
3d), le rythme, le dosage entre les diverses qualités requises pour
progresser (réflexes, réflexion, habilité,
observation...), et tout un tas de facteurs qu'on pourrait regrouper sous
l'appellation "mécanismes de jeu", qui paraît être la
traduction française la plus crédible de ce mot. Le gameplay
définit le jeu vidéo, et inversement. »27 Le
gameplay est intrinsèquement lié à
l'interactivité, cheval de bataille des Game designers. Le jeu
vidéo se doit d'être interactif, parce que c'est cette
interactivité que le public recherche et qui est au coeur de ce qu'est
le jeu vidéo. L'interactivité joueur-jeu devient un domaine
d'études privilégié pour les développeurs.
26 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Syllabus,
BROWN, GOVERNOR OF CALIFORNIA, ET AL. v. ENTERTAINMENT MERCHANTS
ASSOCIATION ET AL. CERTIORAI TO THE UNITED STATES COURT OF APPEALS FOR THE
NINTH CIRCUIT No. 08-1448. Argued November 2, 2010--Decided June 27, 2011,
Traduction Yann Leroux
27 Peav' et Laurent sur
https://www.grospixels.com/site/lexique.php,
site spécialisé.
24
Sur cette question, le livre Game Feel: A Game
Designer's Guide to Virtual Sensation (2008, CRC Press) de Steve
Swink fait date. Le livre est dédié « aux gens qui luttent
et font de belles choses », faisant ainsi appel au côté
artistique et engagé de la création de jeux vidéo. Steve
Swink écrit : « le Game feel est un art
invisible, [...]c'est l'aspect le plus abouti de la création de jeux,
une sensation puissante, accrocheuse, tactile qui apparait entre le joueur et
le jeu. [C'est] une sensation virtuelle ». Les travaux de Steve Swink sont
un plaidoyer pour une forme de spécificité dans le jeu
vidéo28, qui est un prérequis philosophique ou moral
à la reconnaissance de la création sur un nouveau support
médiatique comme une forme d'art. Fort d'une victoire juridique aux
Etats-Unis sur le statut du jeu vidéo, d'une augmentation progressive du
nombre de joueurs et de l'existence d'un réel débat autour de la
forme de la création du jeu vidéo (à travers
Encadré 5 : Les six
éléments du Gamefeel selon Steve Swink
Image de: Game Feel, A Game Designer's guide to virtual
sensation, CRC Press, 2008
28 Voir encadré 5.
25
l'interactivité), le jeu vidéo entre dans une
ère de débat de fond, de débat d'idées autour de sa
possible légitimation.
II) Le jeu vidéo est-il un art ? Le débat
épique.
Le titre de cette partie est le titre d'un
colloque/débat du 13 Avril 2005 à la Conférence on
World Affairs de l'Université du Colorado à Boulder. Cette
conférence énumère les arguments, et l'historique du
débat. Le but de cette sous-partie n'est pas de rendre compte de cette
conférence, mais de rendre compte du débat homérique
autour de la légitimation. Pourquoi est-ce un débat ?
Peut-on en lister les arguments ? Prend-il un sens politique ? Social ?
Philosophique ? Depuis quand existe-t-il ? Et au-delà de tout ceci :
qu'est-ce qu'une "légitimation" dans notre cas ? Que signifie-t-elle
pour le jeu vidéo ?
o La classification des arts
Si ce mémoire emploie le terme « dixième
art », il fait donc directement référence à la
classification des arts communément admise dans le langage courant et
qui fait écho aux travaux de Hegel. En effet, chacun des arts
progressivement consacrés utilise la terminologie de Hegel29
qui classe les arts en fonction de deux échelles : l'expressivité
et la matérialité. Les arts sont classés du plus expressif
mais moins matériel au moins expressif mais plus matériel.
L'idée est de reprendre les cinq Muses de l'Antiquité et
d'établir une classification, et donc une hiérarchie :
1er art : l'architecture.
2eme art : la sculpture.
3eme art : les « arts visuels », qui regroupent la
peinture et le dessin.
4eme art : la musique.
5eme art : la danse
6eme art : la littérature, qui regroupe la poésie,
les romans et tout ce qui se rattache à l'écriture.
29 Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1997)
Esthétique, Le livre de Poche, collection Les classiques de la
philosophie, Paris, tome 1 776 pages, tome 2 780 pages, t. 2 pp. 19-22.
26
Au fur et à mesure du XXème puis du
XXIème siècle, on gardera l'idée de numérotation
des arts tout en éliminant peu à peu l`idée d'une
hiérarchie. Le « septième art », expression
proposée en 1919 par Ricciotto Canudo désigne l'art
cinématographique. C'est une expression
importante qui servira à la légitimation progressive du
cinéma (que nous aborderons plus tard dans ce mémoire de
recherche). En 1941, Roger Clausse publie La Radio, huitième
art. La télévision (considérée comme « un
art médiatique », c'est-à-dire un art dont le fonctionnement
fait appel à un composant technologique) est en débat pour
prendre la place d'abord attribuée à la radio. Le Festival de la
télévision de Monte-Carlo, créé par le prince
Rainier III de Monaco en 1961, définit la télévision comme
« nouvelle forme d'expression artistique au service de la paix et de
l'entente entre les hommes. [...] La télévision comme moyen
exceptionnel pour rapprocher les hommes et les enrichir par la culture ».
La télévision et la radio sont les premiers « arts
consacrés » dont la création nécessite des composants
électroniques. Enfin, l'expression « neuvième art » est
aujourd'hui utilisée pour qualifier la bande dessinée.
L'expression a pu être popularisée en 1971 par Francis Lacassin
qui publie Pour un neuvième art, la bande
dessinée30en 1971. Le combat pour la dénomination
d'une pratique comme faisant partie de la classification des arts et de leur
numérotation n'est pas qu'un débat de forme, il permet
également de faire passer l'idée de légitimation dans le
langage courant et correspond à une vision philosophique de la
consécration de l'art. Les conventions qui gouvernent les mondes de
l'art ne sont pas toutes formelles, certaines concernent l'attitude même
que l'on manifeste à l'égard de celui-ci. Quand l'artiste ou
l'auteur prime sur l'oeuvre, comme c'est notamment le cas dans les arts
plastiques ou le cinéma, tout ce que fait un artiste ou tout ce qu'il
désigne en tant que tel devient automatiquement de l'art (cf. M. Duchamp
ou J-L. Godard par exemple) »31. L'appartenance à la
classification des arts pour une pratique est donc symbolique, elle permet de
faire passer le créateur ou concepteur au statut d'artiste, et donc de
transformer sa création en « oeuvre d'art ».
30 Francis Lacassin, Pour un neuvième
art : La Bande Dessinée, Paris, Union générale
d'éditions, 1971, 510 p.
31 Benghozi Pierre-Jean. « Becker Howard S.,
Les mondes de l'art ». In: Revue française de sociologie,
1990, 31-1. pp. 133-139.
27
o « Jeux vidéo » : un objet
protéiforme.
« De toute façon le jeu vidéo c'est un
travail d'équipe, de base. A moins d'être un génie qui sait
tout faire, c'est vraiment un travail d'équipe. Sur
Wakfu1, ouais il y avait du monde. Il y avait une bonne
quinzaine de graphistes. Tu peux mette d'un côté ceux qui font les
personnages, de l'autre ceux qui font les décors...Après est ce
qu'on va aussi appeler graphistes ceux qui font les animations j'en sais rien.
Après, au niveau d'Ankama le style a pas mal été
initié par un mec qui s'appelle Xavier, je sais pas si tu le
connais...
Non.
En gros, il faut vraiment imaginer que c'est lui, c'est son
style. Le style Ankama ça vient de lui. Il a toujours un cran d'avance
par rapport à moi, forcément. Il a son style et je peux pas
assimiler son style en un an ou deux ans, forcément. Lui il a toujours
été entre guillemets « prioritaire » sur les designs de
personnages, les univers, la création, et après il y a des gens
qui arrivent à imiter son style. De toute manière ce mec
là joue le rôle de Directeur Artistique, c'est lui qui va guider
le style. Après moi je suis un peu un original, j'arrive pas trop
à coller au sien, donc j'essaye de faire les choses un peu par
moi-même. C'est vrai qu'on arrive à trouver un style dans le style
mais...C'est un peu différent.
En fait il faut que tout se suive, que tous les
personnages se rejoignent et se ressemblent c'est ça ? Si chaque artiste
a sa propre manière de dessiner, ce n'est pas possible ?
L'idéal, ce serait ça, mais c'est impossible en
fait. Idéalement oui, c'est ça, mais au final, même quand
t'es chef d'équipe et que tu essayes de créer un guide, tu as
toujours des individualités, tu fais aussi avec les imperfections.
«
Extrait de l'entretien avec Romain Sephy réalisé
le 12/02/2018
Dans le cas du jeu vidéo, cette appellation revêt
une importance particulière : celui-ci appartient à la
catégorie des créations médiatiques (liées à
des composants électroniques), la création d'un jeu vidéo
requiert le travail d'une équipe entière et pas d'un seul
individu : difficile alors de considérer qu'il y aurait un artiste
unique derrière un jeu vidéo. La question de la
multiplicité des artistes ou des créateurs dans le jeu
vidéo est un point essentiel pour comprendre les possibles obstacles
à la légitimation du jeu vidéo. Dans un entretien avec
Romain Sephy, Character Designer et Game Designer chez
Ankama, la question du travail en équipe a beaucoup été
abordée :
28
A l'instar des autres arts, le jeu vidéo porte donc
bien une idée de vision, l'idée d'un créateur qui commande
à des équipes la production d'une oeuvre. Pourtant, la
complexité de la mise en place d'un jeu vidéo complet fait que
souvent, c'est le nom du studio de développement ou des équipes
de développement qui apparaît dans les articles de journaux. Que
dire des « grands noms » du jeu vidéo dans ce cas-là ?
Pourquoi le public attache-t-il le nom de Hideo Kojima a la série
Metal Gear Solid de Konami plutôt que le studio de
développement PlatinumGames ? Ou le nom de Fumito Ueda pour Ico
et Shadow Of The Colossus de Sony plutôt que le studio de
développement Sony Interactive Entertainment ? A l'inverse, pourquoi le
public attache-t-il le studio Ubisoft au développement du jeu
Assassin's Creed et pas le nom des chefs de projet, Patrice
Désilets et Jade Raymond ? Ces différences symboliques et (voire
sémiotiques) tiennent aux différentes méthodes de
production, d'édition et de développement qui ont cours dans le
milieu du jeu vidéo.
o Catégories de jeux vidéo selon leur possible
prise de position dans le débat.
Pour comprendre la logique derrière le besoin de
reconnaissance du jeu vidéo, il faut comprendre les différences
notables entre les logiques dites « marketing » et les logiques dites
« de projet ». A travers les entretiens réalisés et les
connaissances regroupées dans les différents ouvrages de
classification des jeux vidéo ou de morphologie du jeu vidéo,
nous proposons ici une catégorisation des différents jeux (sur
console et ordinateur) selon leur logique de production, de
développement et d'idée maitresse. Celle-ci servira à
définir quelle frange de la communauté vidéoludique est
touchée par un besoin de légitimation, pourquoi, et de quelle
manière elle aborde le débat.
Les jeux à logique marketing : c'est une
catégorie de jeux soumis à la rentabilité. Les jeux
à gros budget sont portés par de grands studios, une
équipe de production et une maison
29
d'édition. Ces jeux sont aujourd'hui appelés
« Triple A ». Ce jargon est directement hérité du
secteur financier et de la fameuse note qui donne la capacité de
remboursement d'un état. Pour le jeu vidéo, ce sont les
éditeurs qui attribuent la note en fonction du potentiel
commercial32. Ces jeux font l'objet d'une attention
particulière apportée à l'aspect marketing. La logique ici
n'est pas de créer un objet unique, novateur en termes de narration ou
de gameplay, mais d'exploiter au maximum les possibilités techniques
d'une console ou d'un ordinateur. Les jeux à logique marketing peuvent
être comparés aux blockbusters du cinéma, ils
visent un public de casual gamers33, une expérience
de jeu facile, amusante. Parmi les séries les plus connues on peut citer
Uncharted (développé par Naughty Dogs pour Sony
Interactive Entertainment), Assassin's Creed (développé
par Ubisoft pour Ubisoft et Gameloft) et Call Of Duty
(développé par Treyarch, Activision et Infinity Ward pour
Activision). Dans cette catégorie se trouvent également les jeux
dit Pay-To-Win34.
Les jeux porteurs d'une vision : nous pouvons classer
ici les jeux qui sont portés par une vision de leur créateur. Ces
jeux sont aussi développés dans des grands studios avec des
grands moyens. Cependant, les réussites précédentes des
chefs d'équipe leur laissent une liberté, ils s'éloignent
d'une logique de bénéfices, même si parfois les budgets
restent parfois comparables. Dans ces jeux, le public retient une figure propre
(Hidetaka Miyazaki pour la série des Dark Souls, Fumito Ueda
pour ICO et Shadow Of The Colossus, Hideo Kojima pour la
série des Metal Gear Solid, David Cage pour Heavy Rain
et The Nomad Soul...). Ici, l'accent est mis sur la valeur
ajoutée du jeu par rapport aux autres jeux vidéo. Le concepteur a
une vision particulière du Gameplay,
32 William Audureau, «Que veut dire la mention
« AAA » dans les jeux vidéo ? », Le Monde
Pixels, 11/11/2015, disponible en ligne.
33 En opposition avec un hardcore gamer,
il s'agit d'un joueur occasionnel, qui choisit généralement des
jeux simples et qui ne recherche que l'amusement. Dans le jeu, le casual
gamer cherche avant tout à se détendre ou à passer le
temps. (Définition de
gameart.eu).
34 Jeux dans lesquels les joueurs qui payent
disposent d'un avantage certain par rapport à ceux qui ne payent pas.
« Mickaël Pointier, développeur chez Funcom, confirme cette
tendance de fond : "Ça implique de gros changements du côté
de la monétisation, avec des jeux basés sur des
micro-transactions, du "pay to win", etc. Le design des jeux s'en ressent, nous
concevons des jeux plus petits, facilement téléchargeables, qui
tournent sur tous les navigateurs Web et sur les mobiles." » . Jean-Michel
Oullion, Le jeu vidéo : un secteur en pleine mutation,
www.letudiant.fr, 04.09.2013.
30
du Gamefeel ou du Gamedesign et tente un
exercice de style plus qu'un exercice de virtuosité technique. Parfois
sans concession sur la difficulté, l'accessibilité ou la
maturité du jeu, ce type de jeux vidéo s'adresse à un
public d'initié, que l'on qualifie parfois d'Hardcore
Gamers35.
Les jeux à logique de création : cette
catégorie regroupe les jeux développés par de plus petites
équipes qui n'appartiennent pas à la catégorie des jeux
réalisés par de grands créateurs porteurs d'une vision sur
le jeu vidéo. Celle-ci catégorie regroupe les jeux
indépendants, et les jeux qui explorent les possibilités du
medium. L'accent est mis sur l'expérience utilisateur et sur la
création d'un jeu unique, avec une équipe réduite. Le jeu
est parfois financé par financement participatif, parfois par des
éditeurs de jeux indépendants qui voient dans ce marché
bien spécifique un moyen de participer à l'évolution des
techniques et des narrations dans le jeu vidéo. Les indépendants
sont devenus une catégorie bien définie depuis quelques
années, notamment avec l'apparition de la plateforme Steam qui
permet de mettre en vente en ligne n'importe quel jeu. Pour Michel Ancel
(concepteur de Rayman (Ubisoft, 1995) et Beyond Good &
Evil (Ubisoft, 2003) se pose un problème de définition du
jeu indépendant : « Nous ne devrions pas dire "jeu
indépendant". Désormais, nous devrions dire "jeu vraiment
innovant", ne pas donner une définition qui se repose sur des valeurs de
production et des millions de dollars. Nous pourrions dire qu'un jeu
indépendant est un produit de pixel qui coûte dix dollars, mais je
pense que c'est plus que ça. C'est un jeu qui vient de "vraies"
personnes qui ont une passion une vision et qui peuvent exprimer cette vision.
C'est ainsi que je définirais un jeu indépendant
»36. Cette idée d'une « vision
» du jeu vidéo rejoint celle abordée dans la deuxième
catégorie, le critère déterminant ici est donc le budget
alloué au développement. Les deux catégories sont
poreuses, elles comportent des passerelles comme le prouve le parcours de
plusieurs licences, jeux ou développeurs, tel que notamment Markus
« Notch » Persson et le jeu vidéo Minecraft
(Mojang,
35 Dans sa définition théorique,
l'expression hardcore gamer désigne simplement un joueur
passionné, peu importe quels sont les aspects du Jeu vidéo qui
l'attirent le plus. Cette définition a essentiellement pour rôle
de s'opposer au concept de casual gamer en marquant une
différence dans le temps que le joueur voudra bien accorder au
média.
36 Patrick Garratt, «Ancel et al:
«indie» is a defunct term and we should stop using it»,
VG24/7, en ligne, 19 August 2014, traduction par
gameblog.fr.
31
2009) qui passe du statut de jeux indépendant
développé par Notch seul à celui de jeux à
succès planétaire, racheté par Microsoft 2.5 milliards
dollars.37
Les jeux communautaires : cette catégorie
regroupe tous les jeux dont le but est de former des communautés de
joueurs (en ligne ou non). Elle regroupe le sport électronique, les jeux
de rôle en ligne massivement multi-joueurs, et même les jeux si
complexes qu'une communauté se forme d'elle-même, fondée
sur l'aide de jeu (à travers par exemple, les wiki ou les tutoriels).
C'est le cas notamment de Dwarf Fortress, créé par Tarn
« Toad » Adams (Bay12Games, 2006), dont le côté
très cryptique et très exigeant a amené une
communauté en ligne à se former très rapidement pour
échanger des conseils et des anecdotes concernant leurs parties. Les
jeux communautaires font l'objet d'une attention toute particulière dans
les travaux de recherche, notamment les jeux de rôle en ligne (comme
World Of Warcraft). La sociologie s'intéresse aux interactions au
sein de ses jeux. Leur côté addictif est souvent
décrié, analysé, décortiqué. Ils sont
sensés pousser à l'asociabilité ou, au contraire, à
la création de communauté soudée à travers
l'expérience de jeu38. Cette catégorie se fait ici
autour de la volonté affirmée de rendre le jeu communautaire, de
rendre l'expérience sociale, ce qui demande un développement et
un marketing diffèrent des autres catégories.
Comme nous l'avons dit précédemment, ces quatre
catégories présentent des liens entre elles, il semble possible
d'avoir des jeux dont les critères appartiennent à plusieurs
catégories. C'est notamment le cas des jeux avec des
fonctionnalités en ligne payantes39. Pourtant, cette
distinction entre quatre catégories nous permet de bien cerner le
débat qui nous intéresse. Si les quatre catégories ont des
objectifs différents, elles apportent des arguments parfois semblables
et parfois différents à la légitimation. Ces
différences en terme de prétention à la
légitimation et
37 « Microsoft va racheter Minecraft pour près de 2
milliards d'euros », Le Monde,
Lemonde.fr, 15 septembre 2014.
38 Vincent Berry, L'expérience
virtuelle. Jouer, vivre, apprendre dans un jeu vidéo, Presses
universitaires de Rennes, coll. « Paideia », 2012, 222 p.
39 Ce qui est de plus en plus courant avec les
systèmes de micro-transactions ou d'abonnement, par exemple avec le
Playstation Plus pour la Playstation 4, seul moyen de
s'opposer à d'autres joueurs en ligne moyennant un abonnement de 7.99
euros par mois.
32
des arguments avancées rend le débat plus
complexe qu'une simple bipolarité « pour ou contre le jeu
vidéo en tant que dixième art ».
o Prises de position internes et externes : la difficile
définition des termes.
Au-delà des différentes logiques qui
s'appliquent selon les acteurs (que nous aborderons en Partie 2), il y a des
dissensions internes, des débats d'idées au sein même de la
communauté vidéoludique. Un exemple marquant est celui de la
prise de position d'Hideo Kojima, créateur de la série Metal
Gear Solid : "Le fait est que l'art est quelque chose qui
dégage, qui représente la personnalité de l'artiste, de
celui qui crée l'oeuvre d'art. Si cent personnes passent devant et
qu'une seule d'entre elles est captivée par ce que dégage
l'oeuvre, c'est de l'art. Mais les jeux vidéo n'essayent pas de captiver
une personne. Un jeu vidéo doit faire en sorte que les 100 personnes qui
y joueront apprécieront ce qu'il leur procure. C'est une sorte de
service. Mais je suppose que la manière de faire cela avec un jeu
vidéo est une forme d'art E...] L'art, c'est ce que vous trouvez au
musée, si c'est une toile ou une statue. Ce que je fais, ce que les
créateurs de jeux font, c'est organiser le musée - décider
de l'éclairage, du placement des choses, de la vente des billets. C'est
faire fonctionner le musée pour permettre aux gens de venir y voir
l'art. Ce que je fais, moi, Hideo Kojima, c'est gérer le musée et
aussi créer l'art qui s'y trouve."40. Cette prise de position
rejoint celle qu'avait avancée Roger Erbert la même année.
Roger Erbert est un critique de cinéma qui écrit dans le Chicago
Sun-Times depuis 1967. A la suite de sa prise de position sur le sujet («
Les jeux vidéo ne pourront jamais être de l'art, ou en tout cas,
pas des Beaux-Arts »), le romancier Clive Barker, auteur de la
série à succès HellRaiser et consultant sur de nombreux
jeux vidéo lui envoie une réponse virulente. La prise de position
de Roger Erbert est cinglante, dénonçant la mauvaise
compréhension de l'art qu'ont les joueurs de jeux vidéo et
qualifiant l'argumentation de Clive Barker d'une « honnête et mature
articulation d'un enfant de 4 ans »41. Ces deux prises de
position de personnalités réputées dans leur domaine
montrent d'abord que le débat a bien lieu. Or, lorsqu'un débat
existe, c'est qu'il y a des raisons et des
40 Interview d'Hideo Kojima, Playstation :
Magazine Officiel, Février 2006.
41 Roger Erbert, "Games vs. Art: Ebert vs. Barker".
Chicago Sun-Times. 31/08/2010.
33
arguments qui permettent de se positionner dans un camp ou
dans l'autre. La subjectivité ou la complexité des questions
annexes au débat de la légitimation du jeu vidéo («
qu'est-ce que l'art ? », « l'artiste peut-il être un collectif
? », ..) rend le débat si « épique ».
La méconnaissance de l'objet (peut-être dû
à la difficulté de saisir son aspect protéiforme, ou
à la prédominance d'une partie émergée de l'iceberg
dominée par les jeux avec de fortes dépenses de marketing)
participe également au manque de compréhension entre les acteurs
du débat. Dans un entretien au Monde Pixels du 28/09/2016 Oscar
Barda, conseiller artistique à la Gaîté Lyrique, un espace
parisien dédié aux cultures numériques :
« Les gens ne connaissent que les jeux vidéo qui
ont l'argent pour se faire connaître. Il leur est imposé
une image du jeu qui est «Call of Duty» ou
«Mario». Ça revient à considérer que la
nourriture, c'est McDo et c'est tout. »42.
Cette interview est à mettre en relation avec les
chiffres du ministère de la culture43 : « Seuls 7 % des
Français considèrent que le jeu vidéo est, par nature, un
objet culturel », avec un taux de joueurs qui représenterait 53% de
la population en France (selon le SELL : Syndicat des Editeurs de Logiciels de
Loisirs). Le jeu vidéo est donc un objet méconnu de la
population, y compris de la population qui l'utilise, son aspect
protéiforme rend le cadrage du débat difficile, et chaque
argumentaire se heurte soit à un problème de définition de
l'art, soit au problème de savoir ce qu'il faut attacher au terme «
les jeux vidéo ». La définition de l'objet a
été faite précédemment dans ce travail de
recherche. La question de la définition de l'art demeure. Même si
ce travail n'a pas pour but de rentrer dans un débat philosophique sur
« qu'est-ce que l'art ? » ou « qu'est-ce qu'un artiste ? »,
il nous faut donner les définitions auxquelles se réfèrent
les acteurs du débat pour analyser quels acteurs utilisent quels
arguments dans les parties suivantes. Nous en donnerons trois : la
première est celle de Howard Becker dans Les Mondes de
l'Art44, il envisage l'art comme « le produit d'une action
collective », cette action collective ce produit au sein d'un monde, qui
lui révèle ou non de l'artistique : « les mondes de l'art
connaissent des
42 Corentin Lamy, «Pourquoi le jeu vidéo
est-il si peu considéré en France ?», Le Monde Pixels,
28/09/2016, (En ligne)
43 Les représentations de la culture dans la
population française [CE-2016-1], Parution le 05.09.2016
44 Howard S. Becker, Les Mondes de l'art,
Paris, Flammarion, 1988.
34
transformations incessantes, graduelles ou brutales. De
nouveaux mondes de l'art voient le jour, d'autres vieillissent et
disparaissent. Aucun monde de l'art ne peut se protéger longtemps ou
complètement contre les forces de changement, qu'elles proviennent de
l'intérieur ou de tensions internes » (Becker, 1988, p. 301). Cette
définition convient parfaitement au monde du jeu vidéo, elle est
parfois reprise en filigrane lors de démonstration sur l'aspect
artistique du jeu vidéo. Elle suppose l'art comme un travail, comme le
résultat d'une action au sein d'un monde en perpétuel
évolution. La définition mouvante et volontairement
imprécise des mondes de l'art par Becker laisse la possibilité au
jeu vidéo de s'exprimer sous son aspect protéiforme. La
deuxième définition est celle déjà citée de
Marcel Duchamp, qui fait référence au regard du public, à
la critique. Marcel Duchamp dit : «Un tableau, même abstrait, est de
l'art dès qu'on accepte de le regarder comme un tableau, un readymade
est tout simplement de l'art [...] Peut-on faire des oeuvres qui ne soient pas
«d'art»? [...] Un mauvais art est quand même de l'art, comme
une mauvaise émotion est quand même une émotion
»45. Définition certes cryptique, mais qui a son
importance dans le débat. Si le public fait l'oeuvre, alors il suffirait
d'acquérir les joueurs à la cause de la légitimation pour
que le jeu vidéo devienne un art. Enfin, il existe une définition
d'usage, moins philosophique du dictionnaire Larousse : « Manière
de faire qui manifeste du goût, un sens esthétique poussé.
Création d'objets ou de mises en scène spécifiques
destinées à produire chez l'homme un état particulier de
sensibilité, plus ou moins lié au plaisir esthétique
». Il y a trois définitions pour trois niveaux de débat : un
débat sur la création de jeu vidéo et les processus de
création qu'il regroupe, un débat sur les joueurs et leur
perception du jeu et un débat sur l'esthétisme du jeu
vidéo et les émotions qu'il peut créer. Le débat
est épique car en plus de regrouper des défenseurs et des
détracteurs de la légitimation du jeu vidéo, il englobe
également des définitions différentes qui amènent
à se pencher sur différentes dimensions du jeu vidéo.
45 Pierre Cabanne, Entretiens avec Marcel
Duchamp, Paris, Éditions Belfond, 1967 ; rééd.
Éditions Somogy, 1995
35
Les arts sont classifiés, numérotés.
Chaque art qui a succédé aux six premiers arts
présentés par Hegel a dû suivre un processus de
légitimation et se soumettre au débat sur l'aspect artistique de
la pratique. Le problème est que le jeu vidéo est un objet
protéiforme qui se construit avec une équipe. Il est alors
nécessaire de recontextualiser et de catégoriser les jeux
vidéo pour comprendre quels sont les acteurs et quels sont leurs prises
de position. Une classification en quatre catégories semble
appropriée. Ces catégories sont formées selon les logiques
à l'oeuvre dans le développement, la vente et le but
assumé du jeu vidéo. Chaque aspect spécifique du jeu
vidéo est un obstacle de plus à une légitimation
immédiate, le débat est polarisé parce que l'objet est
complexe, méconnu. Néanmoins, l'existence même du
débat prouve qu'il existe à la fois des acteurs, des enjeux et
des arguments dans les deux camps. L'objectif de la partie suivante
est de comprendre les forces et les acteurs qui entrent en jeu dans ce
processus de légitimation en particulier. Il faut montrer la position du
"milieu de l'art" (musée, exposition, réflexion), le milieu de la
"communauté" (Joueurs, développeurs, designers, modes,
passionnes), celui de la recherche, des pouvoirs publics...Ces milieux
répondent à des motivations différentes, mais qui ont
parfois des intérêts convergents. Si la partie
précédente a prouvée qu'un débat existe, il nous
faut maintenant mettre ce débat dans une perspective globale.
Partie 2
La légitimation du Jeu Vidéo comme
"Dixième Art" : Enjeux et acteurs.
Il s'agit ici de comprendre les tenants et les aboutissants du
débat autour de la légitimation du jeu vidéo en tant que
dixième art. Comme nous l'avons dit précédemment, les
différents acteurs du monde du jeu vidéo ont des
intérêts et des visions différentes. Une
légitimation de l'objet aurait une signification différente pour
chacun de ces acteurs. Dans la première partie, l'histoire du jeu
vidéo, sa spécificité et le débat en cours ont
été décrit, il s'agit maintenant d'expliquer les
dynamiques à l'oeuvre dans l'industrie et dans le monde du jeu
vidéo, puis de montrer que le débat autour du dixième art
regroupe des enjeux qui dépassent le jeu vidéo : l'exemple du jeu
vidéo est un nouveau parcours de légitimation, il apporte aussi
une ouverture des possibilités et une refonte de la manière de
penser la production artistique.
I) La légitimation du Jeux Vidéo : la
création d'une nouvelle dynamique
Avec le débat qui s'est formé autour de la
légitimation du jeu vidéo est apparu une production à deux
vitesses dans l'industrie vidéoludique, d'un côté les
partisans de cette légitimation, qui travaillent (ou jouent) à
des jeux vidéo réflectifs sur eux-mêmes, qui recherchent
cette légitimation (d'un point de vue technique, artistique...), de
l'autre une industrie de consommation, ludique, qui recherche le jeu
vidéo AAA. Ce n'est pas une bataille rangée avec deux camps bien
distincts, les points de vue et les méthodes de production sont parfois
semblables. Cependant, la légitimation des jeux vidéo
inéluctablement en cours entraine une modification de l'industrie des
jeux vidéo. Pour comprendre la nouvelle dynamique, il faut
présenter les acteurs, leurs intérêts et leur position dans
le débat.
36
o Le développement
37
Le développement d'un jeu vidéo est la part de
création d'un jeu vidéo. Il regroupe le design, la
programmation, la scénarisation, l'infographie, la musique
assistée par ordinateur, l'infographie ou encore l'animation. La ou les
personnes qui travaillent au développement sont les développeurs.
Regroupés au sein d'une entreprise ou d'un collectif ils forment un
studio de développement. En 2008, l'entreprise de développement
Blizzard Entertainment fusionne avec Activision pour former Activision
Blizzard. Ce studio de développement est le plus important de
l'industrie du jeu vidéo46. Les développeurs sont
considérés comme les créateurs du jeu vidéo. Dans
la revue du ministère de la culture Culture Etudes,
François Rouet fait état des modifications du statut des
créateurs de jeu vidéo. L'apparition de nouvelles technologies et
la difficulté d'avoir des machines qui supportent les calculs
d'éléments en trois dimensions a amené une
professionnalisation du métier. Pour François Rouet, nous sommes
entrés dans le troisième âge :
« Une troisième génération de
créateurs émerge aujourd'hui, formée dans des
écoles spécialisées. Elle succède à la
première génération des pionniers, qui ont parfois
conçu et développé des jeux entièrement seuls, et
à la deuxième génération née au cours des
années 1990 qui contribua au développement de la plupart des
studios actuels. Les créateurs des deux premières
générations sont pour beaucoup des autodidactes du jeu,
arrivés sur le marché du jeu vidéo à une
époque où aucune filière ne permettait de se former
à cette création. Ils venaient de la musique, du graphisme, de
l'architecture ou encore de la programmation, ont découvert et
inventé leur pratique en créant, et tous expriment la même
motivation fondamentale, celle de l'exploration, de la découverte d'un
univers inconnu. Cette motivation se retrouve dans la troisième
génération et chez les étudiants d'aujourd'hui - tous
ayant nourri leur passion de créateur de leur passion de joueur.
»47.
Le parcours atypique du jeu vidéo, hors de la
sphère traditionnelle et proche de la pop-culture, était
une source de satisfaction pour les créateurs de première et de
deuxième génération. Avec l'augmentation des budgets, la
massification du public et la reconnaissance
46 Agence Française pour le Jeu Vidéo,
Analyse de l'annonce de la fusion, 4 décembre 2007, Note en
ligne.
47 François Rouet, « La création
dans l'industrie du jeu vidéo », Culture Etudes, 2009-1,
Ministère de la Culture et de la Communication.
38
du jeu vidéo, les créateurs demandent de nos
jours une reconnaissance individuelle de leur travail. En effet, le statut d'
« hommes de l'ombre » des concepteurs de jeu vidéo ne permet
pas de reconnaitre individuellement leur talent artistique (Design,
graphisme, dessin..) et ne permet pas non plus une grande mobilité
professionnelle48. L'un des principaux acteurs du débat sur
les jeux vidéo est donc cet ensemble de créateurs qui militent
pour une reconnaissance de leur travail. L'agglomérat de
développeurs sous la forme de studios requiert un « management du
travail de création collective » expression qui rejoint la
définition de l'art selon Howard S. Becker.
« Créer un jeu vidéo est un travail
d'équipe qui laisse peu de place à l'exercice indépendant
et exige que les auteurs soient intégrés à des studios.
Ces derniers fournissent le contexte technique dans lequel sont immergés
les créateurs. Ainsi la création devient-elle le fait
d'entreprises de création » (François Rouet, 2009, op.
cit.).
La quête de reconnaissance du jeu vidéo peut
apporter à ceux qui travaillent à son développement : dans
un premier temps l'association de l'idée de création a
l'idée de travailleurs du jeu vidéo et dans un second temps la
reconnaissance de compétences spécifiques et individuelles
au-delà de l'aspect collectif du travail de développement d'un
jeu vidéo.
o L'édition et la production.
Les éditeurs de jeux vidéo sont une
conséquence directe de la massification du public et de l'apparition
d'une logique de rentabilité. Les premiers éditeurs prenaient en
charge la publication d'un jeu développé par un studio, moyennant
une partie des recettes de la vente. Aujourd'hui, un éditeur distribue,
s'occupe du marketing et continue à publier les jeux. La mondialisation
a fait du marché du jeu vidéo un marché international et
la multiplication des jeux sur le marché a
48 Cette quête de reconnaissance des
conditions de travail et des qualités des employés dans les
studios de développement fait l'objet d'une attention
particulière par le SNJV, le syndicat national du jeu vidéo. La
demande de reconnaissance des créateurs et concepteurs au sein des
studios est également abordée par François Rouet dans
« La création dans l'industrie du jeu vidéo » (op.
cit.).
39
rendu nécessaire le marketing autour des nouveaux jeux
: ces deux phénomènes liés ont rendu les éditeurs
populaires, voire indispensables à la survie des studios. Cependant, si
le rôle des éditeurs est de s'assurer de la publication et de la
diffusion des jeux, leur rôle aurait dû perdre en intensité
avec la numérisation des jeux49. Force est de constater que
les éditeurs n'ont pas disparu, leur rôle a muté vers un
panel de services aux développeurs. Depuis les années 1990, les
éditeurs assurent tous les rôles d'aide au développement du
jeu vidéo, du financement à la publication et de la distribution
au marketing. C'est pour cette raison que nous avons choisi de les regrouper en
tant qu'un acteur unique, sous l'étiquette des
éditeurs-producteurs. Bien qu'ils financent le développement des
jeux et assurent leur bonne vente, la question de la production et de
l'édition fait face à un débat houleux. D'un
côté, l'arrivée de l'édition et de la production est
perçue comme une perte d'autonomie pour les studios de
développement. En effet, si l'édition finance la création
de jeu, elle le fait moyennant un pourcentage sur les ventes (proportionnel
à la somme investie). Ce modèle économique ne permet plus
aux studios de développement de faire croitre leurs capitaux pour
développer des jeux de plus en plus ambitieux. Il y a un fort risque
pour les studios de perdre leur indépendance financière.
Parallèlement on trouve un débat plus pernicieux, plus moral :
celui des logiques de rentabilité et de l'indépendance du
créateur. En effet le financement d'un jeu n'est pas un don de la part
des producteurs ou des éditeurs, c'est un investissement. Celui-ci leur
fournit un droit de regard sur l'avancée du développement, sur le
contenu du jeu, sur les restrictions d'âge, la violence50, le
choix des plateformes...Le tout dans une logique de rentabilité. C'est
un point vivement critiqué par les joueurs et les créateurs de
jeux vidéo. Le Syndicat des Editeurs de Logiciels de
Loisirs51 est souvent attaqué pour son «
ingérence » dans le processus de développement : amputant le
jeu
49 En plus de la plateforme de vente en ligne de
jeux sur ordinateur Steam dont nous avons déjà
parlé, les jeux sur console se dématérialise et sont
maintenant en vente par téléchargement sur des plateformes
propres a chaque consoles (comme le Playstation Network pour la
console Playstation 3 et Playstation 4 de Sony.
50 Voir Encadré 6.
51 Plus communément dénommé
par son acronyme SELL, il a été fondé en 1995, il compte
une vingtaine d'adhérents. Le mot sell signifie vendre en
anglais, les détracteurs de la logique commerciale les plus subtils
reconnaissent souvent l'ironie de cet acronyme.
40
de certains contenus choquants, abaissant la difficulté
ou ajoutant des fonctionnalités payantes, les éditeurs
dénaturent parfois la vision primordiale des studios de
développement.
Encadré 6 : La classification
PEGI.
Selon le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs, les
pictogrammes PEGI « apparaissent sur le devant et au dos de l'emballage et
indiquent l'une des classes d'âge suivantes : 3, 7, 12, 16 et 18. Ils
donnent une indication fiable du caractère adapté du contenu du
jeu en termes de protection des mineurs. La classification par âge ne
tient pas compte du niveau de difficulté ou des aptitudes requises pour
jouer à un jeu ». Les pictogrammes font aussi état des
contenus pontentiellement choquants présents dans les jeux vidéo.
Il existe depuis 2003 et est fixé sous sa forme actuelle depuis 2009. La
classification PEGI est utilisée dans 31 pays de l'Europe, au Canada et
en Israël. Si la classification d'un jeu selon la norme PEGI est
obligatoire, celle-ci n'a qu'une valeur informative, ce qui en fait un objet de
critiques de la part des association de protection des mineurs, qui la trouve
trop laxiste et de la part du Syndicat national du jeu video et des joueurs,
qui la trouve restrective et inutile.
Les pictogrammes PEGI avec l'âge minimum requis et les
contenus potentiellement
choquant
Source : https://pegi.info/
Les éditeurs et les producteurs sont devenus des
acteurs incontournables de la communauté vidéoludique, et ils
prennent donc également part au débat sur le processus de
légitimation. La reconnaissance du jeu vidéo en tant qu'oeuvre
d'art, pourrait signifier soit la pérénnité des pratiques
d'ingérence des éditeurs et des producteurs (les jeux
vidéos deviendrait des oeuvres de commandes, ordonnées par les
éditeurs et développées par des créateurs.), soit
l'ouverture d'un nouveau marché (et donc de nouveaux
bénéfices) par l'entrée du jeu vidéo dans le
monde
41
de l'art. Si la logique des éditeurs et des
développeurs est une logique professionnelle et commerciale, leurs
intérêts dans le débat sont eux aussi des
intérêts commerciaux.
o Les joueurs.
S'ils sont souvent regroupés sous des termes
génériques comme « les joueurs de jeux vidéo »
ou « la communauté des joueurs », force est de constater
qu'ils forment un groupe hétérogène.
Encadré 7 : les chiffres du jeux
vidéo en 2017 par le SELL.
Source : Agence Francaise pour le jeu video, Etude Sell/GfK,
Octobre 2017
Le nombre de joueurs a connu une très forte
augmentation depuis les années 1990 avec la démocratisation des
consoles et des ordinateurs de salon. L'apparition des jeux sur
téléphones mobiles à la fin des années 2000 a
ensuite amené une nouvelle catégorie de joueurs casual
et un nouveau marché. Il est difficile de dire quelle est la place de
ces acteurs dans le débat sur la légitimation du jeux video en
tant que dixième art. Néanmoins, selon les
démonstrations
42
précédentes, nous pouvons déterminer
qu'il y a une recherche de contenu de qualité chez les joueurs :
l'attribution d'une très bonne note par la presse specialisée est
souvent suivie d'une vague d'achat du jeu. L'exemple le plus récent est
celui de God Of War (Sony Interactive Entertainment, 2018), premier
jeu à obtenir la note maximale de 20/20 sur le site
jeuxvideo.com depuis Zelda :
Breath Of The Wild (Nintendo EPD, 2017). La semaine suivante, dans le top
5 des ventes dévoilé par le SELL, God Of War occupe les
trois premières places. (Edition classique en première place,
édition collector en deuxième et édition limitée en
troisième position). Le jeu totalise 3.1 millions de vente en trois
jours, occupant ainsi la première place sur le podium des jeux avec la
meilleure entrée sur le marché. Les joueurs sont ainsi des
acteurs important, puisque ce sont les consommateurs. Ce sont eux qui sont au
coeur du processus de création. Si le processus de création est
artistique (car il cherche à faire ressentir des émotions et vise
l'esthètisme), le joueur devient le public. La question de la pratique
de l'art a été abordée lors de notre entretien avec
Francois Frimat52 :
Tous les arts se pratiquent ?
Oui. Oui, oui. Je pense qu'ils se pratiquent plus qu'ils ne se
contemplent. Alors il y a évidemment différents régimes de
pratiques hein. Dans le jeu vidéo il faut peut-être distinguer la
pratique technique du jeu, la pratique physique et d'un autre côté
une pratique plus spirituelle. Il faut que le récepteur soit actif pour
qu'il y ait art, si je suis dans une contemplation passive, il n'y a pas
d'art.
|
La position des joueurs dans le débat pourrait donc
s'apparenter à celles d'un « pratiquant » de l'art, cherchant
du contenu qualitatif. Il faut néanmoins faire état de
différences notables : les pratiques diffèrent autant que les
points de vue. Il semble complexe de définir une opinion
générale des joueurs, si ce n'est que sur un marché du jeu
vidéo de plus en plus saturé, ceux-ci attendent un contenu de
qualité. Le jeu vidéo est perçu comme un investissement :
de temps et
52 Entretien avec François FRIMAT,
philosophe de l'art et enseignant à Lille III, réalisé le
09/02/2018 par nos soins. Disponible intégralement en Annexe 2.
43
d'argent. Une potentielle reconnaissance du jeu vidéo
donnerait un sens supplémentaire à l'argent et au temps investit,
prétextant une pratique artistique.
o Les vidéastes YouTube et la presse
spécialisée.
Ces deux catégories sont intimement liées. Comme
nous l'avons vu précédemment, la presse de jeux vidéo est
une presse de passionnés pour passionnés. La presse
spécialisée a joué un rôle important dans la
démocratisation du jeu vidéo. Dans son « annuaire de la
presse spécialisée », l'Agence Française pour le Jeu
Vidéo compte 23 journaux différents. La presse papier est
aujourd'hui en perte de vitesse par rapport à une presse en ligne qui se
développe de plus en plus. Sur ce domaine,
jeuxvideo.com reste le premier site
de jeux vidéo visité en Europe. C'est un site gratuit, son
maintien est financé par de la publicité faite pour les
éditeurs et les fréquentations du site. On retrouve ici une
logique de dépendance financière aux éditeurs qui pourrait
influencer le contenu éditorial. En effet, il semble difficile de
construire des critiques négatives envers les jeux des grands
éditeurs qui sont les premiers annonceurs du site :
« Tu as une presse purement business, qui fait du fric.
Tu as un article élogieux d'Ubisoft, une pub d'Ubisoft.
Un article élogieux de Quantic Dream, une pub Quantic
Dream. Mais il y a la même chose dans la mode. » (Propos d'Eric
Leguay recueillis dans le cadre du projet Medialab de l'école de la
communication de Sciences Po Paris, 2016).
Si cette situation s'est progressivement installée au
cours des années 2000, c'est le scandale dit du « Doritos-gate
» qui la met sur le devant de la scène : en 2012, des
industriels du jeu vidéo et des journalistes ont posé ensemble
pour une photo devant une affiche du jeu Halo 4 avec un paquet de
biscuit Doritos. Les joueurs s'insurgent alors contre la
démonstration flagrante de relations d'intérêt et de
dépendance entre les journalistes de jeux vidéo et les
industriels. Au-delà des conflits d'intérêt entre les
éditeurs et les journalistes spécialisés, cette connivence
permet également de faire apparaitre un effet de solidarité :
journalistes, producteurs, développeurs et éditeurs se retrouvent
unis pour défendre le jeu vidéo. La presse
44
spécialisée en ligne ou sur papier emmène
avec elle le reste des acteurs dans le processus de légitimation. Selon
Martin Lefebvre, rédacteur en chef de Merlanfrit, site de
critiques vidéoludique :
« C'est un champ dominé dans la
société, les acteurs de ce champ vont avoir tendance à
faire bloc d'une certaine mesure. E...] Il y a cet effet de scène, ces
gens qui vont aller aux mêmes endroits, avoir les mêmes centres
d'intérêts. C'est tout à fait normal. Le problème,
car il y en a, c'est que l'effet de scène il va avoir tendance à
être un petit peu incestueux, il va y avoir des renvois d'ascenseurs.
»53.
Avec ces problèmes éthiques apparaissent deux
positions dans la presse spécialisée. La première vise
à massifier et à diffuser au maximum (comme pour
jeuxvideo.com). La deuxième,
c'est de cibler un public de niche, intéressé par des sujets
précis (le Hardware ou la scène indépendante par
exemple, c'est la position choisie par un magazine comme Gamekult.).
Dans un tout autre domaine, les rubriques jeux vidéo ont aussi fait leur
apparition dans la presse généraliste dès la fin des
années 1990 avec l'arrivée du jeu vidéo dans le
débat de société. C'est le fait d'initiatives
individuelles, de journalistes qui décident d'offrir un autre traitement
médiatique que celui des dangers liés à la pratique du jeu
vidéo. La presse généraliste touche un double lectorat :
l'un est constitué des lecteurs historiques du journal qui ne
s'intéressent pas à ce sujet, l'autre est uniquement
constitué de joueurs de jeux vidéo. Si parfois la presse
généraliste relaye des clichés intemporels (sur
l'addiction, la violence, le sexisme dans les jeux et dans l'industrie...),
elle permet de servir de catalyseur, elle agglomère les avis et
arguments en leur offrant un écho dans ses tribunes.
Les Youtubers et les live-streamers (nom
donné à ceux qui se filment en direct en train de jouer à
un jeu vidéo, notamment sur la plateforme en ligne Twitch) sont
devenus peu à peu les nouveaux critiques du milieu. Leur audience
dépasse massivement les abonnés aux magazines de presse
spécialisée :
53 Propos de Martin Lefebvre recueillis dans le
cadre du projet Medialab de l'école de la communication de Sciences Po
Paris, 2016.
45
« La France est un petit marché [sur Youtube] mais
en France il y a une sorte de concentration de la starification des Youtubers.
Vous prenez un magazine indépendant, avec une belle plume qui a du
mordant comme CanardPC, les mecs ils ont 30 000 abonnés. Donc
au maximum, même s'ils le passent à leurs copains et tout
ça, tu vas avoir 200 000 vues. C'est quand même beaucoup plus
faible qu'un YouTuber lambda. »54.
Pourtant les considérations éthiques et les
liens qui les unissent aux éditeurs (à travers le système
du placement de produit) restent obscurs. Il existe néanmoins des
créateurs de contenus qui s'imposent comme des analystes ou comme des
critiques : les pionniers d'un tel format ont été Usul et Dorian
dans la série de vidéos 3615 Usul diffusée sur
jeuxvideo.com pour Nesblog. Les
vidéos du 3615 Usul sont des vidéos de fond, qui
abordent la question du politique, de l'indépendance ou de la
spécificité du medium. Sans être des articles de recherche,
les vidéos provoquent des débats de fond favorisant
l'émergence de nouveaux
arguments. et donnent un écho
aux travaux de recherche et de théories du jeu vidéo (notamment
aux travaux de Steve Swink). Le jeu vidéo est un nouveau medium, il a pu
profiter d'un nouveau support avec des lignes éditoriales et des
cadrages du sujet bien précis. Loin de s'adresser au « tout public
», Youtube et Twitch rassemblent des passionnés
autour de la pratique et du partage du jeu. Avec un système de
messagerie instantanée à droite de la fenêtre de visionnage
sur Twitch, la plateforme se veut interactive. La communauté
vidéoludique est une communauté de l'ensemble qui, après
avoir fait face à des critiques virulentes sur son medium de
prédilection, invente de nouvelles manières de le diffuser.
o Les pouvoirs publics et associations.
Les pouvoirs publics et les associations forment un ensemble
d'acteurs spéciaux, qu'il est parfois utile de regrouper pour
déterminer leur action commune et individuelle. Ces deux entités
occupent la sphère légale. Ce sont des acteurs qui se
construisent en réponse à des stimuli posés
54 Propos de FibreTigre, rédacteur de blog
spécialisé dans les nouvelles technologies, recueillis dans le
cadre du projet Medialab de l'école de la communication de Sciences Po
Paris, 2016.
46
par les autres groupes. Un bon exemple est la réaction
du gouvernement Raffarin face à la démocratisation de la pratique
du jeu vidéo en France. De 1990 à 2000, la communauté
vidéoludique internationale emploie le terme de French Touch
pour parler des productions françaises qui seraient des créations
à part avec une certaine vision artistique de ce que doit être
l'interactivité et la création. Comprenant que la France avait
une place de choix dans le développement des jeux, le gouvernement
octroie un crédit d'impôts aux créateurs de jeu
vidéo, leur permettant de défiscaliser les frais de production.
Avec ce cadeau financier, les pouvoirs publics s'assurent d'un maintien de la
création dans les studios français. C'est aussi un levier
efficace pour faire valoir les critères officiels de la création.
C'est la définition même de la légitimation. Le
crédit d'impôts n'est accordé qu'à divers aspects du
développement (dessin, design, musique...). Par exemple, la
programmation par exemple, étape cruciale de l'animation et du
développement, ne se voit pas couverte par le crédit
d'impôts. Elle reste à cause de ce choix un domaine qui n'est pas
valorisée dans le processus de création.
Les pouvoirs publics détiennent intrinsèquement
du pouvoir, celui de la reconnaissance et de l'adoubement d'une pratique par
l'Etat. En 2006, trois concepteurs de jeux vidéo sont nommés
Chevaliers de l'Ordre des Arts et des Lettres par le ministre de la Culture
Renaud Donnedieu de Vabres. On trouve deux français, Michel Ancel et
Fréderic Raynal et un japonais Shigeru Miyamoto. Le discours du ministre
place le jeu vidéo à un rang particulier :
« Vous avez durablement révolutionné
l'univers du jeu vidéo, en lui donnant ses lettres de noblesse, avec la
place qu'il occupe désormais au sein de la création vivante,
entre le cinéma et les autres arts, grâce à de
véritables prouesses techniques. »55.
Ce discours implique que le jeu vidéo pourrait donc
être révolutionné dans son ensemble par la sortie de titres
majeurs. Il ne fait pas état de différences notables entre les
différents titres, ni des apports mineurs de chacun des jeux au jeu
vidéo en général. Il implique également que les
lettres de noblesse du jeu vidéo auraient déjà
été données par ces trois développeurs. Le jeu
vidéo appartiendrait à la création vivante, entre le
cinéma et l'ensemble vague des « autres arts ».
55 Olivier Dumons, « Le jeu vidéo acquiert
ses lettres de noblesse », Le Monde, 27 avril 2006.
47
Il faut analyser l'épisode de 2006 comme une
reconnaissance partielle, faite a posteriori. Le fait que des
concepteurs fassent de l'art avec des jeux vidéo est diffèrent
que de faire de cet objet un art. La différence est subtile, mais
importante : dans le premier cas, on utilise des techniques artistiques
déjà présentes pour les transposer sur le jeu
vidéo, qui devient un support. Dans le second cas, c'est le support
lui-même qui est considéré comme une oeuvre, dans son
ensemble et comme un objet unique. L'entrée des pouvoirs publics et des
institutions de la culture dans le débat se fait a posteriori.
Les trois concepteurs sont récompensés pour des oeuvres parfois
datées56. Ici, pas de prise en compte de la
spécificité française, ni de la spécificité
du jeu vidéo, mais une prise de conscience que le jeu vidéo est
bel et bien dans un processus évolutif depuis 1992.
C'est dans ce décalage entre la sphère la plus
proche du jeu vidéo et du public, et celle des pouvoirs publics que
s'insèrent les associations et les syndicats. Que ce soient des
associations de démocratisation de la pratique, de l'aide au
financement, de la conception indépendante ou du consulting,
celles-ci se regroupent autour du jeu vidéo ont pour but de prendre une
place pour l'instant non-attribuée. Elle joue des rôles proches
des associations politiques : elles font remonter les problèmes que
connaissent les studios de développement français aux pouvoirs
publics. C'est un système que nous pourrions qualifier de
Bottom-up, qui va du haut vers le bas. Le décalage entre
l'émission d'un message et sa réception est grand. Il entraine
les problèmes courants de mauvaise compréhension des attentes et
des besoins57. La sphère qui regroupe les pouvoirs publics et
les associations n'est pas une sphère du débat, mais une
sphère de l'action. Elle agit sur des problèmes identifiés
quand le climat s'apaise.
Force est de constater que les enjeux diffèrent et que
le camp des acteurs n'est pas homogène et clos. Le débat sur la
légitimation du jeu vidéo n'est pas une bataille rangée
entre les détracteurs et les défenseurs, il est le fait d'une
multitude d'acteurs qui ont des intérêts à la
56 Michel Ancel sort le jeu Rayman en
1995, Michel Ancel réalise Alone In The Dark en 1992 et Shigeru
Miyamoto est à l' origine des premiers succès de Nintendo.
57 Il est possible de s'intéresser aux
rôles des associations telles que Gamelier ou l'AFJV par le
biais des théories dites du « principal-agent ».
48
fois communs et individuels. Cette multiplicité
d'acteurs permet de prendre une place dans le débat public.
II) Une perspective globale : un enjeu au-delà du
dixième art.
Par-delà l'industrie du jeu vidéo,
par-delà les domaines qu'elle touche, la légitimation d'un nouvel
art est une porte ouverte à d'autres études, d'autres
débats qui dépassent les frontières du «
Dixième art », l'exemple du jeu vidéo (puisqu'il n'est qu'un
exemple), apporte des éléments supplémentaires aux
théories de la légitimation, aux théories de l'art, aux
futurs processus, aux croisades de la morale (Selon les termes de Howard S.
Becker), aux nouvelles technologies, au patrimoine...Les enjeux individuels et
collectifs des acteurs peuvent apparaitre secondaires face à d'autres
enjeux qui sont culturels et artistiques nationaux et internationaux.
o Culture, art et patrimoine.
Le parcours du jeu vidéo est celui d'un objet de loisir
qui mute en objet culturel et prétend ensuite accéder au rang de
dixième art. Le jeu vidéo comme objet de loisir est une
conséquence directe de son but premier : amuser le joueur. Il s'impose
ensuite comme un objet culturel au moment de la démocratisation de la
pratique. L'objet culturel peut être défini comme l'alliance d'un
objet matériel et d'un fait social. Nous l'avons vu, le jeu vidéo
s'impose comme un fait social au milieu des années 1980, quand les
ordinateurs personnels et les consoles de jeu gagnent en popularité dans
les foyers. Or, pour Emmanuel Diet, psychologue et psychanalyste :
« Symbolique ou matériel, l'objet culturel,
inscrit dans le social-historique, participe, pour les sujets comme pour les
groupes, au travail de civilisation, subjectivation et socialisation. Comme
objet malléable intermédiaire, conteneur, médiateur et
transformateur des destins de
49
la pulsion et structure transitionnelle étayant le
travail de sublimation et d'élaboration, l'objet culturel assure, comme
tel, une fonctionnalité essentielle dans la construction de la relation
à soi, aux autres et à l'ensemble. La contextualité
hypermoderne de la marchandisation généralisée et de
l'impératif de jouissance immédiate tend à le
réduire au statut de produit consommable et jetable dont la valeur
symbolique et symbolisante apparaît désormais
problématique. »58.
L'objet « jeu vidéo » qui s'inscrit dans le
« social-historique ». Il est porteur d'une notion de patrimoine, car
c'est une production d'une civilisation qui assure un rôle de
médiation et de construction de la relation à soi. Ce rôle
pourrait être mis en danger par les logiques de bénéfices
à l'oeuvre. Le concept de jeu vidéo comme objet de patrimoine est
de plus en plus repris dans les domaines de la culture. C'est le cas notamment
des expositions permanentes sur le jeu vidéo : elles ne le
présentent plus en tant que simple objet matériel (comme une
console avec un jeu sous vitrine), elles proposent surtout un temps de jeu, une
expérience particulière de l'interactivité59.
Le jeu devient un objet « consultable », il sort du simple objet de
consommation pour devenir une ressource. Entre la fin de la « fracture
numérique », la médiation culturelle, la
démocratisation et la sensibilisation à une pratique, le jeu
vidéo entre dans un traitement qui ressemble à ceux de pratiques
plus légitimées (comme la bande dessinée ou le
cinéma). C'est avec cette idée qu'il a été mis
à disposition dans certaines bibliothèques de France. L'entretien
ci-dessous fait état de l'importance que prend l'entrée du jeu
vidéo dans les bibliothèques :
Qu'est-ce que le service "numérique" dans votre
médiathèque ? Quelles sont ses missions ?
L'espace numérique englobe plusieurs aspects. Le plus
visible, et celui qui attire le plus, c'est la partie jeu vidéo. Nous
proposons en effet un catalogue de plus de 1200 jeux, sur consoles et
tablettes, qui est disponible à la fois en prêt et en accès
libre sur place. L'objectif étant de rendre ces matériels
accessibles au plus grand nombre. Les abonnés peuvent également
emprunter une tablette ou une console de jeu, chose peu courante en
médiathèque ! Nous sommes deux agents à gérer
l'espace numérique, qui a rencontré un fort succès
dès le démarrage. Au-delà de la gestion du fonds de jeu et
de prêt de matériel, nous organisons régulièrement
des animations liées au jeu vidéo (tournoi, soirée jeux en
famille...).
58 Emmanuel Diet, « L'objet culturel et ses
fonctions médiatrices », Connexions, vol. 93, no. 1, 2010,
pp. 39-59.
59 Voir notamment la collection du Museum of
Modern Arts de New-York, première collection a intégrer des
jeux vidéo a sa collection permanente.
Comment rapprocher le jeu vidéo des missions
"classiques" d'une bibliothèque ? En quoi cette évolution est
importante aujourd'hui ?
Le jeu vidéo est un produit culturel à part
entière, au même titre que la littérature, la vidéo,
la musique... Il a une histoire (plus de 40 ans d'existence !), ses auteurs,
ses genres, ses best-sellers et ses titres de niche. Selon les titres, l'accent
peut être mis sur un aspect en particulier : le scénario, la
musique, l'esthétique graphique... qui peut faire d'un jeu une
véritable oeuvre. Comme avec les autres supports, il y en a pour tous
les goûts : apprendre, s'émerveiller, se détendre... Sa
présence en bibliothèque apparaît finalement comme assez
naturelle, c'est une collection comme une autre.
Autre point, tout le monde n'a pas les moyens d'acheter du
matériel de jeu vidéo, ou même si c'est le cas, le jeu
vidéo reste un média onéreux ; y donner accès
permet de réduire une certaine fracture numérique. C'est pourquoi
nous avons aussi choisi d'acquérir deux casques de réalité
virtuelle : l'un dédié au jeu vidéo, et le second
orienté vers d'autres types d'expériences (exploration
sous-marine, création artistique, visite virtuelle...).
Une autre de nos missions est aussi de créer du lien,
entre des collections et les gens, mais aussi entre les gens eux-mêmes.
Et le jeu vidéo est un excellent moyen pour créer ce lien : un
joueur va par exemple naturellement solliciter un autre joueur pour
l'accompagner (certains jeux sont faits pour être joués à
plusieurs), ce qui est aussi l'occasion de se faire de nouveaux amis ! Le lien
peut aussi être intergénérationnel. Nous avons un public
plutôt familial, et notre rôle de médiateur est aussi de
mettre les parents ou grands-parents à l'aise et de les accompagner dans
la pratique du jeu, notamment avec leur enfant ou petits-enfants.
Entretien d'Alice Bernard, responsable de la
médiathèque Michel Serres à Saint-Avertin et
présidente du groupe région Centre de l'Association des
Bibliothécaires de France, entretien réalisé par
Aurèlie R. pour le blog
moncherwatson.fr
(développement culturel & valorisation du patrimoine).
|
50
Le terme « culture vidéoludique » fait
intrinsèquement référence à l'idée d'une
culture indépendante, faite d'un ensemble de titres, de souvenirs et de
savoir. De la même manière, l'expression « culture du jeu
vidéo » indique bien une notion de savoir-faire, de talent dans le
processus de fabrication d'un jeu vidéo. Ce savoir-faire est celui de la
mise en oeuvre de l'interaction entre le joueur et la machine et celui de la
création d'émotions à travers le jeu vidéo. En ce
sens, la création est aussi une forme de pratique qui entre dans la
définition du patrimoine, ce qui pourrait expliquer la prise de position
des pouvoirs publics abordée dans la partie précédente. Le
processus de légitimation passe par une reconnaissance de la culture
51
vidéoludique. Elle se démocratise et devient
accessible à la fois dans les institutions et centres culturels
populaires, tout comme dans les centres culturels les plus légitimes.
o Vers une nouvelle dynamique de production
Le financement et la création de jeux vidéo est
un système complexe. Nous pouvons les séparer en deux domaines
:
- Le premier est l'industrie dite mainstream, qui
considère les jeux comme un moyen de s'amuser, qui se concentre sur le
côté ludique et sur un public de casual gamers. Cet
ensemble de créateurs regroupe ceux qui cherchent des éditeurs et
parfois une logique financière.
- Le deuxième domaine est celui du jeu dit « de
création » ou « artistique ». Il regroupe les jeux qui
cherchent un public intéressé par la spécificité du
jeu vidéo ou par le côté artistique de celui-ci.
Une potentielle légitimation du jeu vidéo
pourrait signifier l'apparition d'une industrie définitivement
bicéphale, totalement polarisée entre les éditeurs aux
logiques de bénéfices et les créateurs aux logiques
artistiques. C'est un débat, comme nous l'avons vu, qui fait écho
aux dissensions internes déjà présentes dans l'industrie
du jeu vidéo. Certains développeurs ou chefs de projet prennent
position. C'est le cas notamment de Chris Crawford60 ou plus
récemment de David Cage. C'est l'un des « grands noms » du jeu
vidéo français. A la tête du studio Quantic Dream,
il développe The Nomad Soul (1999, Quantic Dream) pour lequel
le chanteur David Bowie compose l'intégralité des musiques. Il
est également connu pour ses prises de position sur le milieu du jeu
vidéo et le but du media. Dans une interview de David Cage par Vincent
Jolly pour le Figaro en 2013, il dit :
« Il y a des gens qui ne veulent pas que le jeu
vidéo change. Mais ce n'est pas parce que jeux de zombies ou de bagnoles
existent qu'on ne doit pas essayer autre chose ! E...] Nous, les
créateurs, avons tellement tendu le bâton pour nous faire battre
avec certains jeux...Mais il ne
60 Voir Encadré 8.
52
faut pas généraliser. A Quantic Dream, comme
dans d'autres studios, on essaye de faire les choses autrement. ».
Cette position est celle de plusieurs studios et
créateurs indépendants ou non, qui cherchent d'abord à
produire de l'art plutôt qu'à proposer un produit de consommation.
D'un autre côté, les coûts de production augmentent en
même temps que les avancées technologiques, et les éditeurs
et développeurs attendent un retour sur investissement. Dans d'autres
grands studios, une autre logique est à l'oeuvre. C'est le cas notamment
du studio Ubisoft, qui répond maintenant à des logiques
boursières et pourrait être racheté par le groupe Vivendi.
Celui-ci compte plus de dix mille employés à travers le monde. Le
mode de production et les objectifs du studio sont donc différents :
Peux-tu nous expliquer la hiérarchie et le
fonctionnement d'une si grosse entreprise ?
Ouah... C'est presque mission impossible en fait de le faire
de façon précise, mais je vais tenter de le faire simplement et
d'être le plus clair possible. En gros tu as trois grands « boss
» : Yves Guillemot pour les grandes décisions stratégiques
d'entreprise, Serge Hascoët pour les décisions concernant les jeux
en eux-mêmes, Christine Burgess-Quémard pour la direction des
studios et des ressources financières, humaines. Ces gens travaillent au
HQ de la production internationale à Montreuil, près de Paris,
entité qui doit regrouper autour de 300 personnes. Elles sont là
en support pour les studios avant toute chose qui eux sont un peu partout
à travers le monde et qui créent les jeux. Un seul studio peut
créer un ou plusieurs jeux, seul ou en collaboration avec d'autres
studios. Le HQ est là pour les aider à faire leur travail du
mieux possible, du coup on se rencontre régulièrement à
moult occasions, notamment les « gates », les étapes de
production où les studios font part des avancées des projets aux
dirigeants. À côté, il y a bien d'autres structures de
supports business, marketing, commerciales qui sont aussi à Montreuil et
qui sont là pour s'occuper de la bonne diffusion des jeux sur les
réseaux de distribution (pour que vous retrouviez vos jeux en magasin).
Cela c'est sans compter la diversification, Ubisoft Motion Pictures,
la gestion des goodies, des BDs, Uplay, les métiers du
juridique, la compta, les relations presse, les ressources informatiques et
d'infrastructure, les achats, etc etc.
De plus, tu utilises le terme « Art de construction
massive »... Ce n'est pas un peu antinomique ? Que veux-tu dire avec ce
drôle de mot ?
L'art de construction massive, c'est pour moi l'idée de
créer des mondes gigantesques et généreux dans ce qu'ils
ont à proposer aux joueurs. Tout le travail abattu en amont pour faire
en sorte que chacun des éléments se répondent
mutuellement, tant au niveau gameplay qu'au niveau de la narration, tant au
niveau visuel que du design sonore... C'est vraiment colossal comme travail et
la conjugaison de beaucoup de talents. Construire ensemble, de façon
cohérente et logique, pour des mondes offerts aux joueurs, de sorte
à ce qu'ils se les approprient et créent leurs propres histoires,
leur propre contenu, leurs propres logiques à partir de règles et
d'environnement riches.
Propos de Mickael Newton, Chief Happy Officer chez
Ubisoft, recueilli par Aurélie
Knosp pour le site
joypad.fr le 14/02/2017.
53
Si le débat interne est insoluble, l'industrie du jeu
vidéo pourrait donner lieu à deux camps aussi inconciliables que
les Casual gamers et les Hardcore gamers, qui ont chacun une
approche différentes du jeu et de sa pratique. Cette évolution
est récurrente dans les différents processus de
légitimation, on assiste aujourd'hui à une séparation
nette entre le cinéma grand public et le cinéma d'auteur, ou
encore à une séparation de fait entre les mangas japonais et la
bande dessinée occidentale. Marc Dupuy, journaliste sur le site
spécialisé
jeuxactu.com, propose une analyse
presque similaire de cette polarisation :
« S'il semble mis en retrait sur certaines machines, le
Hardcore gaming n'est donc pas menacé. Seulement, il faut
être conscient qu'aujourd'hui un joueur pur et dur ne peut pas se
contenter d'une console Nintendo sous peine d'être
sous-alimenté en titres de bon calibre. Mais après tout, faut-il
vraiment s'insurger sur le fait que chaque console cible des joueurs en
particulier ? La question qu'on peut se poser maintenant concerne la part
réservée à la créativité dans le casual
gaming. Le genre est à double tranchant. Soit les
développeurs se focalisent sur une simplicité
54
d'accès, justifiant cette approche par le fait qu'il
s'agisse d'un jeu casual, soit ils peuvent se creuser la tête pour
inventer des concepts à la fois ludiques et simples. »61
Le dernier changement qui pourrait s'opérer est un
changement dans les dynamiques de recherche. La légitimation du jeu
vidéo ouvrirait un nouveau champ des possibles. Si, comme nous l'avons
vu, le débat sur la ludologie ou la narratologie est un débat de
définition de l'objet, la reconnaissance du jeu vidéo en tant
qu'art donnerait lieu à des débats sur les effets de celui-ci
grâce aux outils de la sociologie de l'art ou de la philosophie de l'art.
Les recherches ou articles qui l'analysent sous cet angle commencent à
apparaitre, notamment autour de réflexions sur l'esthétisme, la
course au réalisme ou les émotions procurées par les jeux
d'horreur62. La reconnaissance globale de la
spécificité du jeu vidéo pourrait signifier une nouvelle
approche de l'interactivité. Pour l'instant, le jeu vidéo est
considéré comme « utile » quand il est un «
serious game ». Le serious game (« jeu sérieux
» en français) est :
« [Une] application informatique, dont l'objectif est de
combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de
manière non exhaustive, l'enseignement, l'apprentissage, la
communication, ou encore l'information, avec des ressorts ludiques issus du jeu
vidéo (Game). Une telle association a donc pour but de s'écarter
du simple divertissement. »63.
Ces jeux font l'objet d'un traitement particulier. Ils sont
par définition « sérieux », ils se séparent des
autres qui, par opposition, ne le seraient pas. L'emploi de l'expression «
jeux sérieux » est symbolique. Elle fait une distinction entre des
jeux vidéo méritants, qui valent la peine d'être
étudiés, qui abordent des « vrais problèmes »
(comme le jeu de gestion de
61 Marc Dupuy, « Casual Gaming, faut-il en avoir
peur ? »,
jeuxactu.com, 16
décembre 2008, disponible en ligne. 62Stello Bonhomme et
Carole Talon-Hugon. « Esthétique des jeux vidéo »,
Nouvelle revue d'esthétique, vol. 11, no. 1, 2013, pp. 5-10.
63 Julien Alvarez, Du Jeu vidéo au
Serious Game : approches culturelle, pragmatique et formelle, Thèse
spécialité science de la communication et de l'information,
Toulouse : Université" de Toulouse II (Le Mirail),
Université deToulouse III (Paul Sabatier), décembre 2007, 445
p.
55
l'électricité, développé
après une commande d'Électricité de France qui sensibilise
sur les enjeux de l'énergie) et des jeux vidéo
péjorativement ludiques. Le champ de la recherche est saturé
d'analyses, de comparaisons et de preuves que les « serious game
» sont d'intérêt public. Peu de recherches font état
des apports du jeu vidéo dans son ensemble à la
société. Une légitimation du jeu vidéo pourrait
dynamiser la recherche sur la vision de la société, de l'art et
de l'éducation que portent les jeux vidéo de créateurs.
Le champ du jeu vidéo rassemble une multitude d'acteurs
dans des sphères aux enjeux et aux actions différentes. Force est
de constater que, si les intérêts divergent souvent, tous ces
acteurs forment un bloc qui travaille de fait à la reconnaissance du jeu
vidéo. La dynamique qui est lancée par les joueurs, la presse
spécialisée, les créateurs ou les éditeurs est une
dynamique d'évolution, qui permet au jeu vidéo de se construire
à long terme. Si le jeu vidéo suit un parcours de
légitimation, chacun des acteurs y occupent donc une place propre, aux
intérêts bien définis. Le problème des logiques
financières demeure pourtant, la financiarisation pouvant être un
frein à une logique de création puisqu'elle obéit à
des acteurs hors-champ (la bourse, le marketing, ...). Dans ce parcours, les
pouvoirs publics et les associations occupent un rôle bien particulier :
ils sont situés hors du monde du jeu vidéo mais ils agissent sur
celui-ci par le biais de la loi, des institutions et de la reconnaissance des
milieux étatisés de l'art. Un changement de dynamique pourrait
donc s'opérer dans l'industrie du jeu vidéo, tiraillée
entre une logique de création artistique et une logique de
rentabilité financière. L'industrie pourrait se polariser
jusqu'à donner deux pôles de développement distinct l'un de
l'autre, occupant deux parts du marché pour deux publics
différents. De ces constats sur l'évolution du jeu vidéo
et les différents mouvements dans l'histoire de sa légitimation,
nous pouvons une forme de parcours de légitimation formé de
plusieurs étapes successives qui vont de l'émergence d'une
nouvelle pratique à son adoubement.
56
Partie 3
Processus de légitimation dans les nouveaux
medias
Le but de cette partie est de présenter une
réflexion complète autour du processus de légitimation.
Nous pouvons la mettre à l'épreuve en comparant les parcours du
jeu vidéo et du cinéma. Si le jeu vidéo suit un parcours
bien défini, celui-ci semble n'être qu'un exemple. En effet, dans
l'historique passé et actuel du jeu vidéo, se dessine en
filigrane un parcours de légitimation général. Celui-ci
est composé de plusieurs étapes se succédant les unes aux
autres dans un ordre strict, pour aboutir à la légitimation d'une
pratique.
I) La légitimation du cinéma : un cas
d'école pour le jeu vidéo.
o Le cinéma : du loisir populaire à l'objet
d'étude.
Si le but de ce mémoire est de s'intéresser au
parcours et au processus de légitimation du jeu vidéo, il
nécessite un élément de comparaison. L'objectif est de
montrer un parcours de légitimation dit « classique » pour
pouvoir qualifier celui du jeu vidéo. Les analyses portées sur le
cinéma s'y appliquent pour la plupart. Les deux medias se ressemblent
sur les modes de production et de consommation. Comme le jeu vidéo, le
cinéma a été un nouveau media : il ne se contente plus de
montrer, il entre dans la narration. Celle-ci trouve sa catégorie de
consommateurs : les spectateurs. Ils viennent plusieurs fois voir des films
formant plus tard la notion de « public ». L'industrie
cinématographique, dans sa logique de consommation, est
dépendante de ce public. C'est le spectateur qui permet de financer les
films et leur diffusion. Entre 1903 et 1930, le public se doit d'être
élargi pour des raisons économiques et « les bourgeois
57
commencent à côtoyer le peuple
»64. C'est en 1930, une fois que les standards narratifs ont
été posés, que commencent les premières
études sociologiques du cinéma. D'abord objet de consommation, de
divertissement, il devient un objet d'étude et entre dans le domaine de
la culture. Les premières études65 sur le
cinéma le place comme l'instrument le plus achevé de la
consommation de masse : le cinéma influence, regroupe, massifie, des
individus séparés par la « bureaucratisation du monde
»66.
Dans les années 1930, le cinéma est
accusé de corrompre la jeunesse, de la rendre violente (le
parallèle serait ici facile à faire avec le jeu vidéo).
Paul Lazarsfeld prend la défense de l'industrie cinématographique
: l'influence de la culture de masse est réduite, c'est un mythe. Il
rejoint en ce sens ce que les Layne Fund Studies montraient en 1934 :
on ne peut faire aucun lien entre la violence montrée dans les films et
la violence de la jeunesse67. De la même manière,
l'Intelligentsia stigmatise le cinéma qui représenterait
une menace contre les valeurs artistiques et esthétiques
héritées du siècle des Lumières. C'est ici que le
parallèle prend tout son sens : le cinéma est une « double
peine » puisqu'il représente à la fois du divertissement et
de la culture de masse, en tant qu'objet d'étude, il est d'abord
voué à être analysé comme un outil d'asservissement
au profit de logiques économiques. En tant que pratique culturelle
populaire, il ne peut être traité avec les autres domaines de la
culture ou de l'art. Pourtant, un changement apparait dans les années
1960 avec l'apparition des Cultural Studies anglo-saxonnes. En 1966,
le sociologue anglais Raymond Williams écrit :
« Ce que nous appelons « masse », c'est tout
bonnement ce que l'on ne connait pas »68
La distinction entre films commerciaux et films d'art et
d'essai devient alors caricaturale. La spécificité du
cinéma par rapport aux Beaux-Arts est qu'il n'a pas été
pensé de manière verticale.
64Emmanuel Ethis, Sociologie du cinéma et
de ses publics. 4eme Edition, Armand Colin, Paris, 2018
65 Jean Mitry, Georges Sadoul, Les Cahiers du
Cinéma ou le Cercle du cinéma dirigé par
Henri Langlois et Georges Franju
66 Max Weber
67 La même critique était
adressée au jeu vidéo au début des années 2000.
Démentie par de nombreuses études sérieuses, elle continue
de trouver un écho dans la société. Voir «Video games
and health» de Mark Griffiths, British Medical Journal, Juillet
2005.
68 Don Milligan, «Raymond Williams:
Hope and Defeat in the Struggle for Socialism». Studies in
Anti-Capitalism. E-book, 2007.
58
il ne n'est pas uniquement créé par les
sphères savantes pour se diffuser à l'ensemble de la population.
Son espace social original est ancré dans la population. La
problématique de la légitimation est alors d'adouber un art qui
est lié au peuple et doit se hisser vers l'Intelligentsia.
o Le cinéma : création d'une
spécificité et consécration.
C'est dans ce contexte que la perception du cinéma et
sa place en tant qu'objet évolue. « Le cinéma ne s'est pas
constitué comme un « art » ex nihilo. Les changements
qui ont affecté son statut (et, tout particulièrement, l'opinion
que le public bourgeois s'en faisait) tiennent d'abord à l'accumulation
d'un capital artistique qui s'est opéré par des transferts en
provenance d'univers culturels déjà consacrés.
»69.
Ce sont les prises de positions d'intellectuels d'autres
milieux qui font figure d'autorité. Le cinéma ne peut plus
être qu'un loisir populaire aux origines foraines car des figures de la
littérature ou de la peinture statuent sur son utilité. Ces
artistes participent également à la réalisation des films,
ce qui permet de faire accepter le cinéma aux milieux bourgeois. De la
même manière, des intellectuels jouent le rôle d'agents de
légitimation en prenant position en sa faveur.
Enfin, dans la France d'après-guerre se
développe un rapport érudit au cinéma. La «
cinéphilie » de la jeunesse des années 1950 permet
l'apparition de revues qui théorisent sa spécificité et
son côté artistique. La Revue du Cinéma qui parait
de 1929 à 1931 puis de 1946 à 1948 développe une critique
esthétique qui influe sur les Cahiers du Cinéma. C'est
l'apparition de la politique des auteurs, une réflexion sur la
spécificité du cinéma, sur sa position dans les champs de
l'art, du loisir et de la culture. La politique des auteurs entérine
l'adoption d'une posture esthète : les films sont censés prendre
place dans « l'histoire d'un art » »70. Cette prise
de position va de pair avec la création d'une communauté autour
du cinéma. Celle-ci est composée : du public, des intellectuels
qui défendent la position du cinéma au rang des arts
69 Julien Duval et Philippe Mary, op. cit.
70 Julien Duval et Philippe Mary op. cit.
59
consacrés, des artistes qui réalisent les films
et des critiques qui diffusent leurs avis dans des revues
spécialisées. C'est l'existence d'une telle communauté qui
permet la création d'une « instance de légitimation
».
o « Elites et populaires » : un parallèle
entre la légitimation du cinéma et celle du jeu vidéo.
Une fois reconnu par les avant-gardistes comme un moyen
d'expression artistique. Le cinéma est en instance de
légitimation. Cette situation met la production de films dans une
nouvelle dynamique. Tout ce qui est jugé comme populaire est
rejeté. Pour Graeme Turner, le cinéma populaire est la
première pratique populaire à devenir un art71. Cette
pratique passe par également par un processus de légitimation qui
regroupe des acteurs et des enjeux divers pour aboutir à une
reconnaissance de la légitimité artistique. Il est possible de
lier le parcours du cinéma et celui des jeux vidéo, et de faire
un état d'un processus de légitimation général.
Rappelons également que chaque nouvelle pratique puise une inspiration
dans un des arts qui la précèdent, ce qui pose d'emblée la
question de la légitimation. Sur la question des liens entre les
concepteurs de jeux vidéo et les cinéastes, David Cage
répond :
«Je ne suis pas un cinéaste frustré! Je
pense que chaque forme d'art se construit sur une autre. De la même
manière que la peinture a influencé la photographie, puis la
photo, le cinéma, le jeu vidéo s'inspire directement de ces
formes d'art.»72
Une fois adoubé, le cinéma change
profondément. Il se partage entre sa version populaire et sa version
académique. Se pose ici le même constat que pour la nouvelle
bicéphalie de l'industrie du jeu vidéo. Certains producteurs,
réalisateurs et acteurs auraient des considérations commerciales
vis-à-vis du medium, tandis que d'autres seraient de grands artistes.
Dans le
71 Graeme Turner, « Cultural Studies and Film
», John Hill and Pamela Gibson (dir.), The Oxford Guide to Film
Studies, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 196
72 Vincent Jolly, «Entretien avec David
Cage», Le Figaro, 2007.
60
domaine de la culture : « la masse consomme et
l'élite se cultive »73. Il existerait une
séparation nette entre deux pratiques de l'art. Il ne faut pourtant pas
séparer ces deux pratiques pour un motif de consommation a peu de sens
:
Mais elles sont séparées en trois domaines,
alors que le jeu vidéo s'achète pour pouvoir ensuite être
un joueur. Il a ceci de particulier que l'on est obligé de le payer -
avec toutes les campagnes marketing autour - pour pouvoir y jouer. C'est plus
ou moins unique. A la différence du cinéma où il y a des
représentations gratuites et des alternatives gratuites, le jeu
vidéo lui est un objet de consommation d'abord. Ça
empêcherait les études sur son côté artistique, qu'il
soit payant ?
J'ai peur que ce soit une fausse piste, parce que même
les films que l'on va regarder gratuitement en streaming, on peut le faire
parce qu'on a consommé un abonnement, une box, un ordinateur...Donc, il
n'y a aucune pratique culturelle qui échappe à la consommation.
Mais le propre d'une pratique culturelle c'est de ne pas s'arrêter
à la consommation. Moi je pense que le fait de payer n'empêche pas
le fait de la considérer. On n'échappe pas au côté
consommation. [...] Cette histoire de la consommation, non, je n'y crois pas.
Si on veut faire la généalogie des freins qui inhibent le
processus de légitimité du jeu vidéo comme produit
artistique, on pourra ramener le discours sur l'addiction qui est un discours
récurrent. Mais ça ne suffit pas pour épuiser la
spécificité du jeu vidéo en tant que tel. Pour moi c'est
un objet artistique non identifié en tant que tel mais il le sera de
plus en plus. C'est une technologie qui apparait, et puis cette technologie
elle devient de plus en plus artistique de fait. C'est souvent comme ça.
Le cinéma ce n'était pas fait pour faire de l'art, la
photographie non plus. Mais au fur et à mesure il y a eu des tentatives.
[...] Voilà, pour moi si on prend la question avec la consommation, on
va faire de l'analyse historico...sociologique avec tous les aléas que
ça contient, les gens vont dire « oui mais vous oubliez qu'en telle
année il y a eu ça, et ça etc. etc. ». Et ça
ne va pas être très intéressant. Ce qui est
intéressant c'est de voir que, si on ne voit pas pourquoi le jeu
vidéo en tant que media ne pourrait pas prétendre à la
dignité d'une pratique artistique, à quelle condition ça
le devient, et le montrer à partir d'exemples précis. On ne peut
montrer des choses qu'en considérant les pratiques. Il faut parler de la
pratique du jeu vidéo et de ses pratiques : les pratiques
créatives, les pratiques interactives et les pratiques participatives.
C'est de ca qu'il faut parler concrètement. C'est là où on
peut montrer qu'on a quelque chose qui relève de ce qu'on appelle «
Art » aujourd'hui.
73 Germain Lacasse et al. « L'objet
cinéma entre culture populaire et culture savante1. »
Globe, volume 15, numéro 1-2, 2012, p. 83-101.
61
En retirant l'aspect consommation du débat, nous
pouvons dire que la séparation entre les deux pratiques (celle en voie
de légitimation et celle qui ne l'est pas) relève d'un
questionnement sur les rapports sociaux. Il n'y a pas un art qui se consomme,
réservé aux classes populaires, et un art qui rend cultivé
réservé aux élites. En revanche, la séparation
existe belle et bien entre une pratique légitime, adoubée par les
classes supérieures à travers la recherche et la
théorisation et une pratique populaire propre aux classes
dominées. Les processus de légitimation du cinéma et du
jeu vidéo ont ceci en commun qu'ils suivent le même parcours et
aboutissent aux mêmes résultats. En ce sens, il serait possible de
théoriser ce parcours de légitimation et d'en faire un processus
général, automatique, applicable à toutes les nouvelles
pratiques de création.
II) Le parcours de légitimation : un processus
normé et automatique ?
Nous l'avons vu, le jeu vidéo a suivi un parcours de
légitimation qui va de l'émergence de la pratique à sa
possible légitimation par la société. De la même
manière, on perçoit dans le cinéma un parcours similaire.
La question est de savoir si ce parcours est un processus automatique,
inéluctable et applicable aux autres medias et pratiques en instance de
légitimation. Le parcours de légitimation se découpe en 6
étapes distinctes :
- l'émergence d'une nouvelle pratique.
- Le gain de popularité.
- Reconnaissance de la spécificité.
- Institutionnalisation et création d'une
communauté.
- Polarisation de la pratique.
- Acceptation de la légitimité artistique.
o 62
L'émergence d'une nouvelle pratique.
L'émergence d'une nouvelle pratique avec un aspect
créatif disposant d'une spécificité est un
prérequis évident au parcours de légitimation. Le medium
entre le créateur et l'objet doit être nouveau, lié, par
exemple, à une nouvelle technologie (comme ce fut le cas pour la
photographie, le cinématographe ou les arts médiatiques). Pour le
jeu vidéo, l'émergence du nouveau medium et de la nouvelle
pratique se fait dans les années 1985 - 1990, avec l'apparition du
développement de jeu pour consoles et ordinateurs de salon. Dans cette
première étape, le medium s'impose comme un moyen neuf de faire
passer un message, une émotion. Ce fut le cas par exemple pour le
cinéma, Robert Bresson, célèbre réalisateur du
milieu du XXème siècle écrit dans Notes sur le
cinématographe74 : « le cinématographe est
une écriture avec des images en mouvement et des sons ». Chaque
nouveau moyen de création est une nouvelle méthode
d'écrire une histoire, d'inventer du réel.
o Gain de popularité.
La deuxième étape est celle de la pratique qui
devient populaire. Ce mot prend ici un double sens. D'abord, il est populaire
parce qu'il est pratiqué par le peuple et pour le peuple. En ce sens, la
pratique n'est pas légitime parce qu'elle est pratiquée par les
« dominés ». Ce terme fait directement référence
à la sociologie et aux théories de l'asymétrie des
rapports sociaux. Les dominés se retrouvent soumis à un rapport
de domination sociale, idéologique et politique par rapport aux «
dominants » qui s'approprient des pratiques en les
légitimant75.
Ensuite, il est populaire au sens où il se
démocratise et devient accessible. Ce fut le cas par exemple pour la
photographie avec l'apparition des appareils bon marché de la marque
Kodak,
74 Robert Bresson, Notes sur le
cinématographe, Gallimard, Paris, 1975.
75 Pour une analyse complète des travaux sur
la domination, consulter : Michel Messu, « Explication sociologique et
domination sociale », SociologieS, Théories et recherches,
En ligne, mis en ligne le 15 novembre 2012.Cet article reprend les travaux sur
la domination de Pierre Bourdieu et Max Wever, notamment : Pierre Bourdieu et
Loïc Wacquant, Réponses, 1992, Paris, Éditions du
Seuil.
63
qui ont permis l'accès aux familles les moins
aisées. La démocratisation d'une pratique de la photographie
apparait, de même que la caméra Super 8 avait rendue accessible
une pratique amateur du cinéma. Pour le jeu vidéo, ce sont les
années 1990-2000, l'apparition du CD-ROM et la sortie des canons de
chaque style de jeu qui marque le gain en popularité du jeu
vidéo.
o Reconnaissance de la spécificité.
Cette étape se situe dans le champ de la recherche.
Elle est cruciale. Autour du medium se créent des considérations
philosophiques et esthétiques. La pratique est reconnue comme une forme
de création, et s'engage alors une réflexion du media sur
lui-même et sur les possibilités qu'il a d'entrer dans la
catégorie des arts. Pour le cinéma, en 1900 sort le film «
La loupe de Grand-maman » (« Grandma's Reading glass » en
version originale). C'est un film de 1 minute et 20 secondes
réalisé par Georges Albert Smith. Malgré sa très
courte durée, ce film est révolutionnaire car il est le premier
à utiliser une succession de plans avec différents point de vue,
et à les monter pour obtenir une histoire. C'est l'apparition de la
spécificité au cinéma. A ce sujet, Marie-France Briselance
et Jean-Claude Morin, historiens du cinéma, écrivent :
« George Albert Smith a compris que le plan est
l'unité créatrice du film. Il n'est pas seulement "une image", il
est l'outil qui permet de créer le temps et l'espace imaginaires du
récit filmique, au moyen de coupures dans l'espace et dans le temps
chaque fois que l'on crée un nouveau plan que l'on ajoute au
précédent. Filmer, ce n'est pas seulement enregistrer une action,
c'est d'abord choisir la manière de montrer cette action, par des
cadrages variés avec des axes de prise de vue différents. Cette
opération, le découpage, fournit après tournage un
ensemble de plans que l'on colle l'un derrière l'autre, selon leur
logique spatiale et temporelle, dans l'opération du montage
»76.
Chaque medium doit opérer une recherche de ses codes de
composition et de création. C'est un passage obligé qui ancre la
pratique dans le réel et dans les codes de l'esthétique. Le jeu
vidéo a aussi mené ce travail, notamment avec la sortie de
Myst (Cyan Interactive, 1992), ou
76 Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin,
Grammaire du cinéma, Paris, Nouveau Monde, 2010, 588 p.
64
encore de la série des Final Fantasy (Square
puis Square-Enix) qui amènent les consoles de salon au bout de leurs
capacités techniques77.
o Institutionnalisation et création d'une
communauté.
Le parcours de légitimation passe également par
une phase de création d'une communauté. Elle se crée d'un
côté grâce à des acteurs hors du champ (comme les
pouvoirs publics), qui institutionnalise la pratique. C'est le cas notamment
avec l'apparition d'école, de fonds d'aide, d'observatoire ou
d'exposition. Pour le jeu vidéo, c'est par exemple la création de
l'Ecole National du Jeu et des Media Interactifs Numériques (ENJMIN),
seule école publique en France qui propose un master professionnel
« jeux et media numériques ». Pour la photographie,
l'institutionnalisation de la pratique est arrivée par l'exposition au
sein des maisons de la culture ou dans les maisons de la photographie.
De l'autre côté, une communauté d'amateurs
se crée autour de la pratique, regroupant des individus appartenant aux
catégories ayant un capital culturel plus élevé : c'est
l'apparition d'une-avant-garde78. Elle marque le début de la
reconnaissance des dominants pour la nouvelle pratique artistique. Elle tente
de se séparer de la production populaire en maximisant la pratique
artistique et la spécificité du medium :
« Cependant, il faut rappeler que l'irruption du terme
« avant-garde » dans le champ vidéoludique est loin
d'être anodine. En effet, ce concept est traditionnellement
associé aux beaux-arts, s'apparentant de facto à une
forme de culture qualifiée de « légitime » ; a
contrario,
77 Sur ce sujet, il est intéressant de
s'informer sur la tentative de Square de sortir un film d'animation
intitulé : Final Fantasy, les créatures de l'esprit en
2001. Le film avait pour but de faire connaitre les méthodes
d'animation du jeu vidéo au grand public et de créer la
première actrice virtuelle en image de synthèse. Ce fut un
échec cuisant, avec un déficit de plus de 50 millions de dollars
qui conduisit à la faillite du studio Square et a sa fusion avec Enix
Games.
78 Julien Duval et Philippe Mary. « Retour sur
un investissement intellectuel », Actes de la recherche en sciences
sociales, vol. 161-162, no. 1, 2006, pp. 4-9
65
les jeux vidéo (et tout particulièrement les
oeuvres de science-fiction) restent classés au sein de la culture «
populaire » »79.
L'émergence d'une avant-garde dans le jeu vidéo
signifierait donc une nouvelle approche du jeu, une séparation entre le
jeu « populaire » et le jeu « légitime ».
o Polarisation de la pratique.
Avec l'apparition d'une avant-garde, la pratique d'un nouveau
media ou d'une nouvelle activité (et donc son industrie et son public)
se polarise en deux camps distincts. D'un côté, la pratique
artistique, minoritaire et « légitime » aux yeux de la classe
dominante. De l'autre, la pratique populaire (ou « ludique » pour le
cas du jeu vidéo) qui est motivée par l'accessibilité. Ces
deux pratiques donnent chacun lieu à une industrie et à un mode
de création différents (comme les films d'auteurs et les
blockbusters, la haute-couture et le prêt-à-porter). La
pratique artistique est théorisée et défendue par
l'avant-garde. L'apparition des théories sur le jeu vidéo
(à travers, nous l'avons dit, des réflexions sur le game
feel, le gameplay ou les serious games), permet ce que
David Gerber appelle : « une valorisation des impacts du jeu hors du cadre
ludique »80. La pratique du jeu vidéo n'est plus
inacceptable dans son ensemble, puisqu'il en existe une légitime. Pour
Maxence Voleau, Game Designer chez Amplitude Studios :
« Dans un domaine artistique quand vous n'avez plus de
polémiques, vous n'avez plus d'avant-garde, ça veut dire qu'on
est dans une période où le domaine est un peu moribond.
»81.
L'avant-garde d'une pratique effectuerait donc
également un travail de résolution des débats de
société, par le côté légitime qu'elle lui
apporte. Cette étape du processus de légitimation
79 Julie Delbouille, « Jeu vidéo,
avant-garde et science-fiction. Le cas de Rez et Child of Eden
», ReS Futurae, numéro 5, 2015.
80 David Gerber, « Le jeu vidéo comme
pratique discréditable », RESET, numéro 4, 2015.
81 Propos de Matthieu Voleau, recueillis dans le
cadre du projet Medialab de l'école de la communication de Sciences Po
Paris, 2016.
66
regroupe donc deux étapes en une, une étape de
légitimation de l'utilisation et une étape de reconnaissance
culturelle :
« Au-delà de la fragilité de la
frontière entre culture populaire et légitime, ainsi qu'entre
productions commerciales et indépendantes, les créations de
Mizuguchi 82 embrassent la question plus large de la
légitimation du médium vidéoludique. Si le jeu
vidéo est aujourd'hui encore classé parmi les productions
populaires et commerciales, il entretient des liens évidents avec la
« haute » culture, remettant en cause cette opposition. Dans le cadre
de nos recherches, nous avons pu identifier un processus de
légitimation, en deux temps, à l'oeuvre dans le champ
vidéoludique : l'acceptation de la pratique, et celle de la dimension
culturelle, artistique et patrimoniale du médium. »83
o Acceptation de la légitimité artistique.
C'est la dernière étape du parcours de
légitimation. Celle où l'objet artistique devient
légitime. Après la polarisation de la pratique et de la
production, l'objet est utilisé par les catégories sociales
supérieures qui lui confèrent une reconnaissance artistique.
Cette étape est encore en cours dans le jeu vidéo mais est
aboutie dans d'autres domaines comme le cinéma. Il y a alors un
changement dans la pratique, dans la symbolique et dans le traitement
médiatique. L'analyse de l'objet par les catégories sociales
supérieures se veut prescriptive, c'est-à-dire qu'elle conseille
une forme de pratique et qu'elle incite à s'intéresser à
certains objets plutôt qu'à d'autres :
« Je conseillerai de commencer par des jeux d'arcade ou
d'action simples : les jeux de plate-forme sont les plus adaptés pour
les jeunes enfants et ceux qui ont des capacités cognitives
entravées. (...) Le joueur est incité à acquérir
des procédures d'actions qu'il automatise progressivement en mobilisant,
en lui, l'énergie et le plaisir à découvrir et à
explorer. C'est
82 Tetsuya Mizuguchi, concepteur de jeu
vidéo japonais ayant travaillé sur Rez (Q Entertainment,
2001) et Child Of Eden (Q Entertainment, 2011). Ces jeux sont
considérés comme des oeuvres totalement en décalage avec
leur époque, misant plus sur un jeu de synesthésie entre les sons
et les lumières que sur un gameplay ou un univers très
travaillé, comme ce fut le cas pour les autres jeux de 2000 à
2010.
83 Julie Delbouille, 2015, art. cit.
67
particulièrement remarquable chez des enfants passifs
en classe. (...) Les jeux d'aventure nécessitent déjà
d'avoir quelques acquisitions en lecture et une image du corps suffisamment
élaborée pour pouvoir réaliser à l'écran des
procédures d'action complexe (...). Les jeux de réflexion comme
Lemmings et Lemmings 2, Populous, les jeux de simulation/gestion
comme Sim City, Sim City 2000 sont utilisables sans savoir lire
à condition d'être aidé et peuvent être
proposés comme support pour le développement de l'esprit
stratégique, une fois que l'image du corps de l'enfant s'est
suffisamment développée et n'entrave plus les processus
cognitifs. »84.
On assiste à une séparation de l'objet en deux
catégories avec un jugement de valeur : « Le bon objet »,
accaparé par les dominants et prescriptibles (le cinéma d'auteur
français, la bande dessinée belge...) et « le mauvais objet
», abrutissant et néfaste, qui est réservé aux
classes populaires (les comics américains, les
blockbusters, les jeux vidéo violents ou sexuels). Le processus de
légitimation peut être perçu comme le lent processus
d'absorption d'une pratique populaire par les dominants. L'avant-garde jouerait
un rôle de liant, donnant involontairement à une pratique
populaire les codes de la classe dominante. En ce sens, la légitimation
d'un art doit être perçue comme un processus sociologique
plutôt que comme un débat de philosophie :
« C'est ainsi que dans le domaine culturel une
culpabilisation généralisée s'est abattue sur les pouvoirs
artistiques, puisque toute « instance de légitimation »
(« dominante », par définition) est a priori
suspectée de priver les « non-légitimes
(dominés) de légitimité, en ne leur accordant pas la
reconnaissance qui devrait leur revenir. En même temps, toute
légitimité acquise est a priori suspectée
d'être l'instrument ou le résultat d'une « domination,
», tandis que la consécration devient «
récupération » ou participation à la reproduction des
modèles dominants. »85
La question est de savoir si la légitimation artistique
est un instrument de récupération des classes dominantes ou un
moyen pour les classes populaires de produire quelque chose de symbolique.
C'est avant tout une question de positionnement par rapport à la culture
populaire.
84 Evelyn Esther Gabriel, Que faire avec les jeux
vidéo ? Paris, Hachette Edition, 1994.
85 HEINICH, Nathalie. L'art en régime de
singularité : Quelques caractéristiques sociologiques de l'art
contemporain In : Art et société : Recherches
récentes et regards croisés, Brésil/France ,
Marseille : OpenEdition Press, 2016.
Avec une perspective populiste (nous employons ici la
terminologie de Jean-Claude Passeron et Claude Grignon), la légitimation
d'un art serait une forme de réhabilitation de la culture populaire,
faisant-fi des rapports de domination. Dans une perspective
misérabiliste, le processus de légitimation reviendrait à
considérer « la culture du pauvre comme une pauvre culture ».
La culture dominée serait dans l'attente de légitimation par les
dominants86. Définir la légitimation comme un
processus automatique, c'est repenser la notion de « besoin de
légitimation » d'une nouvelle pratique :
Est-ce que le jeu vidéo a besoin de cette
dignité ?
Non...Il en aurait besoin à quel titre ? A titre
commercial ou industriel il n'en a pas du tout besoin. Même si parfois
c'est agité, je pense que les gens s'en foutent, ça les
empêchera pas de continuer à jouer. Je ne pense pas qu'il en ait
« besoin ». Par contre, ça semble intéressant pour
quelqu'un qui s'intéresse à l'art de repérer qu'il y a
là, aussi, possibilité de réfléchir sur l'art parce
qu'il y a de l'art qui se fait. Et il faut commencer à expliquer en
quoi. Je dirai que c'est plus intéressant pour la philosophie de l'art
et pour l'art que pour le jeu vidéo lui-même.
Entretien avec François Fimat, philosophe de l'art et
enseignant à Lille III, réalisé le 09/02/2018 par nos
soins. Disponible intégralement en Annexe 2.
|
68
86 Jean-Claude Passeron et Claude Grignon, Le
Savant et le Populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en
littérature, Gallimard/Le Seuil, 1989.
69
CONCLUSION
Tout d'abord, le jeu a été analysé et
défini. Son évolution en tant qu'objet et en tant que pratique a
été expliquée. Nous avons vu que les logiques à
l'oeuvre dans le processus de création font état d'une
spécificité. Le jeu vidéo est à la fois une
nouvelle pratique et un nouveau medium qui se fonde sur des concepts et
préoccupations différentes des autres arts ou objets culturels.
Ces spécificités ont permis l'évolution du jeu
vidéo d'un « loisir de garage » à « objet
d'étude. Dans les années 1980-1990, un phénomène
naît et le jeu vidéo dépasse le cadre qui lui était
au départ attribué : il devient une pratique créative.
Celui-ci est alors lié à l'art et au débat autour de sa
légitimation. La question de la légitimation regroupe plusieurs
acteurs et plusieurs enjeux. Les acteurs gravitent tous autour du jeu
vidéo et ont des intérêts parfois convergents, parfois
divergents. La plus grande convergence de ces intérêts se fait
autour d'un espoir de légitimation. Force est de constater que tous ces
acteurs forment un bloc qui travaille de fait à la reconnaissance du jeu
vidéo. La dynamique qui est lancée par les joueurs, la presse
spécialisée, les créateurs ou les éditeurs est une
dynamique d'évolution, qui permet au jeu vidéo de se construire
à long terme. Même si la raison de cette volonté
diffère selon les acteurs, la finalité reste la même : le
jeu vidéo est en voie de légitimation. Elle est possible
grâce à la spécificité de celui-ci : c'est une
nouvelle méthode de création avec un vocabulaire et des
instruments propres : la programmation, le gameplay, le
gamefeel. La spécificité est un prérequis
obligatoire. Elle permet à une nouvelle pratique de ne pas être
rattachée à un autre art. Pour ne pas devenir un sous-champ d'un
art qui la précède chronologiquement, un medium doit pouvoir
prouver qu'il est un nouveau moyen de création. Dans ce cas, la
théorisation d'un nouveau medium est primordiale : elle l'inscrit dans
le champ de la recherche et permet l'apparition d'une avant-garde qui
transforme les codes de production et de compréhension.
Or, cette voie de légitimation s'apparente à un
parcours bien défini. Si le jeu vidéo a suivi ce parcours qui va
de ses origines à sa reconnaissance grâce à sa
spécificité, pouvons-nous appliquer celui-ci à une autre
pratique ? A un autre art ? Il semblerait que le cinéma ait suivi un
tracé similaire. Le cinéma a émergé en tant que
loisir populaire. Sa reconnaissance par
70
l'Intelligentsia en tant que forme
d'expression valable l'a placé sur la voie de sa légitimation.
L'industrie s'est alors séparée en deux parties : une partie qui
produit des films populaires et une partie qui produit des films
acceptés et reconnus par les catégories sociales avec un capital
culturel plus fort. Tout ce qui est considéré comme populaire est
rejeté et ne sera pas perçu comme artistiquement légitime.
L'industrie devient bicéphale, une partie des films cherche la
création artistique, adoubée par les élites tandis qu'une
autre recherche le ludique, désavoué par la critique. Ce
phénomène est également observé dans le jeu
vidéo. Une partie des jeux est étudiée par les chercheurs
ou par les défenseurs de l'esthétique, une autre est
considérée comme présentant peu d'intérêt
(voire considérée comme abrutissante). Cette polarisation entre
« le bon goût » et le reste permet d'avoir une partie des jeux
vidéo qui sont considérés comme acceptable par les
instances et groupes de légitimation. Se met alors en place une analyse
prescriptive du jeu vidéo qui consiste à séparer les bons
objets des mauvais. Cette séparation morale et subjective a peu de sens,
elle est simplement le fait d'une opposition entre populaire et
légitime.
En ce sens, nous pouvons constater que la légitimation
semble être un processus automatique. Nous avons tenté de la
séparer en six étapes distinctes : l'émergence d'une
nouvelle pratique, le gain en popularité, la reconnaissance de la
spécificité, l'institutionnalisation et la création d'une
communauté, la polarisation et enfin l'acceptation de la
légitimité artistique. Le passage d'une étape à
l'autre est un phénomène de cause à effet. La nature
automatique du parcours de légitimation nous a invités à
une tentative de compréhension globale du phénomène : si
le processus est automatique, une nouvelle pratique a-t-elle besoin de
légitimation ? Perçu sous cet angle, le parcours de
légitimation prend un autre sens : il serait la résultante des
rapports de domination analysés par la sociologie de la culture. Dans
une perspective populiste, la légitimation d'un art serait une
réhabilitation de la culture populaire. Dans une perspective
misérabiliste, le processus de légitimation reviendrait à
considérer « la culture du pauvre comme une pauvre culture ».
La culture dominée (ou la pratique en voie de légitimation)
serait dans l'attente de légitimation par les dominants.
71
Il serait intéressant de se pencher sur les
implications et les réalités d'une telle théorie. Il
faudrait pour cela s'intéresser plus en profondeur au
phénomène de « polarisation » à l'oeuvre quand
une pratique s'engage dans la voie de la légitimation. Ce travail de
recherche fait état de l'évolution du jeu vidéo et de son
entrée dans le processus de légitimation qui peut servir de
prérequis à une analyse poussée entre la culture
vidéoludique populaire et d'Elite. La théorie de la
légitimation comme processus de redéfinition d'une pratique avec
des codes de la classe dominante n'est pas nouvelle, elle a déjà
été développée dans des analyses sur la culture.
Pourtant, elle pourrait également servir dans le champ de la recherche
sur l'art. Ce champ est séparé entre des recherches
philosophiques sur l'esthétisme et des recherches sociologiques sur la
culture des groupes sociaux. Il est possible d'imaginer de nouveaux travaux sur
le septième, huitième, neuvième, dixième
(onzième, douzième...) art qui ferait état d'un changement
de définition.
S'intéresser à l'art comme à une «
pratique qui suit un processus de légitimation » signifierait
repenser les rapports entre l'art et les groupes sociaux. Bien sûr, une
telle approche nécessiterait de plus amples recherches. D'abord, il
serait intéressant de s'intéresser à la pratique
élitiste du jeu vidéo. Ceci requiert une analyse sociologique
poussée qui reprendrait les distinctions sociologiques entre dominants
et dominés. Si il y a bien une polarisation de la pratique, nous
pourrions déterminer si il y a des jeux légitimes et d'autres qui
ne le sont pas, et déterminer s'ils servent de moyen de distinction des
classes dominantes. Ensuite, une étude approfondie du parcours des
futurs arts (en ce moment, un débat cherche à déterminer
si la gastronomie aurait sa place en tant que douzième art) servirait
à éprouver notre hypothèse de parcours de
légitimation. Enfin, une recherche sur la consommation de l'art pourrait
servir à comprendre la transformation de définition de l'art qui
s'opère, entre les anciennes définitions sur l'esthétisme
et les nouvelles définitions sociologiques.
72
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79
Annexe 1
Chronologie du Jeu Vidéo et de l'informatique ludique
Effectuée par
Vintage-era.com
1970
? Jouets Rationnels (à qui on doit
Télécran en 1959) commercialise en France le JRO1 Computer
:
conçu en collaboration avec Honeywell Bull, il
permet de simuler le fonctionnement d'un ordinateur avec des ampoules
électriques et remporte l'oscar du jouet.
1971
? Computer Space de Nolan Bushnell et Ted Dabney est le
premier jeu vidéo commercial : il fonctionne avec des pièces de
monnaie en guise de jetons et apparaît dans le film Soylent Green
(Soleil vert).
1972
? Pong d'Atari devient le premier jeu vidéo grand
public : sa borne jaune qui permet à deux
joueurs d'échanger des balles s'implante dans toutes les
salles de jeu du monde anglophone. ? 24 mai : commercialisation de
la Magnavox Odyssey, première console de jeux vidéo
de
l'histoire.
1974
? Nintendo acquiert les droits de distribution de la
Magnavox Odyssey au Japon.
80
1975
· Sortie du premier jeu d'arcade de Nintendo :
EVR Race. 1976
· Aux USA, la Fairchild Channel F devient la
première console de jeux de l'histoire à utiliser des cartouches
programmables (de deuxième génération).
· Durant l'été, Daniel Michael Lawrence
commence la programmation du jeu DND en BASIC sur PDP-11 : il est la
première adaptation du jeu de rôles de Gary Gygax sur ordinateur.
Adapté ensuite sur micro-ordinateurs 8 bits sous le nom de
Telengard, il sera publié par Avalon Hill en 1982.
· Sortie de la borne d'arcade Breakout, le
premier jeu de casse-brique conçu par Nolan Bushnell et Steve Bristow
(Atari).
1977
· Chess devient le premier programme informatique
à remporter un tournoi d'échecs majeur.
· Science of Cambridge commercialise le
micro-ordinateur en kit MK14 pour UK £39,95.
· Apple lance l'Apple II, présenté au
West Coast Computer Faire : équipé d'un processeur
Motorola 6502A à 1MHz, il affiche 280x172 caractères en 6
couleurs. Ce sera le premier micro-ordinateur fabriqué en
série.
· Commodore commercialise le premier Commodore PET:
Motorola 6502A @ 1MHz, 40 col x 25 li x 1 couleur.
· octobre : commercialisation de la console de jeux
Atari Vidéo Computer System (rebaptisée ensuite
Atari 2600).
1978
· Sortie de la console de jeux Videopac G7000,
ou Odyssey 2 de Philips. Celle-ci, conçue par
Magnavox, obtient un succès notable aux Pays-Bas et au
Brésil.
· Bally tente de s'imposer sur le marché
des consoles de jeux avec l'Astrocade qui utilise des cartouches
interchangeables.
·
81
Space Invaders du Japonais Tomohiro Nishikada (Taito)
est le premier jeu de tir (shoot'em up), sur fond fixe : son
thème est inspiré par Star Wars, sorti l'année
précédente aux USA, tandis que le design des aliens
vient des créatures sous-marines.
· En France, parution de la revue L'Ordinateur
Individuel (orientée utilisateurs) et de Micro-Systèmes
(orientée électronique).
· Commercialisation de l'Apple II+ en Europe (sous
l'appellation Euro +, il dispose de 48K RAM).
· Début du développement de
l'Intellivision (Mattel), inspiré par le succès de
l'Atari 2600.
1979
· Sortie de l'arcade Asteroids (Atari), jeu
vidéo aux graphismes vectoriels qui impressionnent par leur finesse.
· Commercialisation de la première gamme
d'ordinateurs familiaux 8 bits d'Atari : l'Atari 400 et l'Atari
800 (Jay Miner). Le premier vise un public adolescent fortuné,
tandis que le second s'adresse à un usage plus professionnel. Ce sont
les premiers micro-ordinateurs qui utilisent intensivement des coprocesseurs,
concept qui sera repris ensuite pour l'Amiga. La même
année, sortie de Star Raiders, développé par Doug
Neubauer pour Atari : il est un des premiers jeux de tir en 3D, qui
aura une influence déterminante sur les créateurs
d'Elite, ou ceux de Wing Commander.
· Adaptation du jeu Rogue, qui existait en mode
texte sur Mainframe, sur systèmes Unix. Sortie de Temple of
Apshai d'Epyx Software sur TRS-80, puis sur Apple II l'année
suivante.
1980
· Sortie de Pacman (Namco),
inspiré à Toru Iwatani par une pizza entamée sur sa table
de travail : il devient le jeu vidéo le plus vendu au monde. Au
Royaume-Uni, la calculatrice de poche Casio MG-880, sortie la même
année, en reçoit même une adaptation programmée avec
des chiffres en guise de lutins...
· Sortie en salles de Defender (Williams
Electronics), jeu de tir à défilement latéral qui
s'impose par ses qualités techniques et par son gameplay
inédit. Le jeu sera adapté sur ordinateurs Atari 400 et 800,
puis sur à peu près toutes les plate-formes existantes.
· Sortie de Missile Command (Atari).
· Invention du Compact Disc (CD).
·
82
Commercialisation au Royaume-Uni du ZX80 de Clive Sinclair
(Sinclair Research Ltd.) et de l'Atom d'Acorn,
première machine de ce constructeur.
· Commercialisation de l'Intellivision de Mattel aux
USA.
· Lancement de la série de jeux de rôle sur
ordinateur Ultima (Sierra Adventure, puis Origin
Systems) avec la sortie d'Ultima I: The First Age of Darkness sur
Apple II.
· Création de Brøderbund Software et
publication par cette dernière de Galactic Empire (Doug
Carlston) sur TRS-80.
1981
· Sortie en salles d'arcade de Donkey Kong,
conçu par Miyamoto (Nintendo) et de Gorf (pour
Galactic Orbiting Robot Force, Bally-Midway). Le premier est
un succès mondial.
· Adam Osborne lance le premier micro-ordinateur «
portable », l'Osborne 1, livré avec une collection
complète de logiciels.
· Sortie de l'IBM PC.
· Le ZX81 de Sinclair remplace le ZX80 et donne
naissance à une dizaine de micro-éditeurs de jeux, souvent des
adolescents, outre-Manche.
· Sortie au Royaume Uni du magazine de jeux vidéo
Computer and Vidéo Games (C&VG).
· Sortie de l'arcade Frogger, publiée
par Sega.
· Sortie de l'ordinateur familial TI99-4/A de Texas
Instruments, le premier micro-ordinateur pourvu d'un processeur 16 bits de
l'histoire.
· Lancement de la série de jeux de rôle sur
ordinateur Wizardry (Sir-Tech), avec la sortie sur Apple II de
Wizardry: Proving Grounds of the Mad Overlord.
· Sortie du Commodore VIC-20.
1982
· Sortie de l'arcade Joust (Williams
Electronics) : inspiré par Flash Gordon, le jeu permet
à deux joueurs de s'affronter en joutant à la lance sur des
autruches soumises à l'inertie et en collectant le plus grand nombre
d'oeufs.
· Sortie de l'arcade Star Wars (Atari)
qui permet de revivre la scène finale du film en 3D filaire et qui sera
adaptée sur toutes les plate-formes de jeu des années 1980.
·
83
Sortie de l'arcade Q*bert (Gottlieb / Mylstar),
jeu original qui sera adapté sur toutes les plate-formes de
l'époque.
· Sortie de l'arcade Robotron: 2084 (Williams
Electronics) : il est le premier jeu qui utilise deux leviers de commandes
pour contrôler séparément les mouvements et les tirs de
l'avatar, principe qui sera repris par les contrôleurs des consoles de
dernière génération (et il est considéré
comme un des meilleurs jeux de tous temps par certains).
· Sortie du jeu Telengard sur ordinateurs 8
bits : ce jeu de rôles et de simulation du type Dungeon crawl
est l'ancêtre de Diablo.
· Sortie du jeu Advanced Dungeons & Dragons
sur Mattel Intellivision : il est le premier titre sous licence
officielle TSR.
· Sortie de du jeu de plate-forme Pitfall!
(Activision) sur Atari 2600.
· Sortie du jeu de tir à défilement
latéral Choplifter, de Dan Gorlin (Brøderbund
Software), sur Apple II : le jeu sera adapté par Sega en borne
d'arcade en 1985.
· Commodore commercialise le Commodore 64 : ce dernier,
pourvu de 64K de RAM et orienté vers le jeu, reprend le boîtier et
certains périphériques du Vic-20.
· Sinclair commercialise le ZX Spectrum qui
connaîtra un succès considérable sur le marché
britannique, et plus largement en Europe.
· En France, Thomson-Brandt commercialise le TO7, pourvu de
16K de RAM et d'un clavier à membrane.
· Lancement en France du magazine spécialisé
de jeux Tilt : d'abord tourné vers l'arcade, le magazine
s'intéresse rapidement aux consoles de jeux, puis aux
micro-ordinateurs.
· Création aux États-Unis de
MicroProse, co-fondée par Sid Meier et par Bill Stealey.
· Août : commercialisation de la ColecoVision aux
USA, puis dans le reste du monde. Elle bénéficie de l'adaptation
du jeu d'arcade de Nintendo Donkey Kong pour sa sortie.
· Novembre : sortie de la console de jeux
intégrée (avec un écran en noir et blanc) et vectorielle
(la seule à ce jour) Vectrex de Milton Bradley. Sortie
de la console de jeux Atari 5200, basée sur le matériel
des ordinateurs 400/800.
· Fin d'année : sortie de
l'éphémère Atari 1200 XL, qui sera retiré
de la vente l'année suivante.
1983
· Crash de l'industrie du jeu vidéo aux
États-Unis : celle-ci se développe ensuite principalement au
Japon.
·
84
Yu Suzuki rejoint Sega en tant que
programmeur.
· Sortie de l'arcade Spy Hunter
(Bally Midway)
· Aux USA, commercialisation des modèles 600
XL et 800 XL par Atari.
· L'Oric-1 est élu ordinateur de
l'année en France et réalise ses meilleures ventes dans
l'hexagone.
· Création, en France, de
Loriciel (plus tard changée en
Loriciels) par Marc Bayle et Laurent Weill. La
société développe en premier des jeux sur Oric
(Le manoir du Dr Genius).
· Sortie de la SG-1000 Mark 1 (une console de jeux)
et du SC-3000 (un micro-ordinateur) de Sega au Japon.
· Sortie de Jetpac, des
frères Tim et Chris Stamper (Ultimate Play The
Game) sur ZX Spectrum.
· Sortie de Colossal
Adventure, premier titre de Level 9 Computing sur ZX Spectrum
48K.
· Sortie du jeu de plate-forme disposant d'un
éditeur de niveaux Lode Runner de
Brøderbund Software sur Apple II.
· Sortie du jeu de stratégie
Archon: The Light and the Dark (Free Fall Associates) sur Atari 8
bits.
· Juin : naissance du standard de
micro-informatique MSX au Japon.
· 15 juillet : sortie de la Famicom de Nintendo au
Japon, elle deviendra la NES dans le reste du monde.
· Fin d'année : sortie d'Atic
Atac des frères Stamper (Ultimate Play The
Game) sur ZX Spectrum.
· Sortie de Elite de
David Braben et Ian Bell sur Acorn BBC (Acornsoft) :
le titre associe combats spatiaux et commerce galactique, et propose une fin
ouverte.
1984
· Arrêt de la commercialisation de la
Vectrex par Milton
Bradley.
· Sortie de la console de jeux Atari
2600 Jr. (une Atari 2600
redessinée pour réduire son coût de
fabrication).
· Sortie de Lords of
Midnight écrit par Mike Singleton sur ZX Spectrum
(Beyond Challenging Software).
· Sortie de King's Quest
de Roberta William sur IBM PC jr. (Sierra Entertainment).
· Création de Telarium
Corporation aux USA : la société donne ses lettres
de noblesse au jeu de fiction interactive graphique avec
Rendez-vous with Rama, l'adaptation du roman d'Arthur
C. Clarke.
· Sortie dans les salles d'arcade
de Marble Madness (Midway
Games) et d'Hyper Sports
(Konami).
· Summer Games d'Epyx Software
renouvelle le genre de la simulation sportive sur ordinateur.
·
85
Thomson : sortie du MO5 de Thomson pour les fêtes de fin
d'année
· Amstrad : sortie du CPC 464
· Apple : sortie de l'Apple //c, du Macintosh, un
ordinateur personnel 16/32 bits, et de Mac OS, le premier système
d'exploitation à base de fenêtres et d'icônes pilotable
à la souris.
· l'Oric Atmos est élu ordinateur de l'année
en France.
· Sortie du jeu de rôle Mandragore, de Marc
Cecchi et Christian Ballandras (Infogrames) sur Commodore 64, puis sur Thomson
MO5.
· Commercialisation des micro-ordinateurs au standard MSX
en Europe : ces derniers ne s'imposeront jamais vraiment en dehors du Japon.
· Création en France de la société
Froggy Software par Jean-Louis Le Breton et Fabrice Gille. Elle se
consacre au développement de jeux d'aventure (Le Crime du
parking) pour Apple II.
· Février : parution au Royaume Uni du premier
numéro du magazine CRASH (Newsfield Publications Ltd),
consacré au ZX Spectrum.
· Mai : Arrêt de la commercialisation de l'Atari
5200.
· Octobre : Staff of Karnath est le premier jeu
d'Ultimate Play the Game pour Commodore 64 (action-aventure).
Il sort en même temps que le célèbre Raid over
Moscow, directement inspiré par la guerre froide.
· Sinclair « rhabille » son micro-ordinateur en
réduisant son coût de fabrication : sortie du ZX
Spectrum+.
· Fin d'année : commercialisation des premiers
lecteurs de CD-ROM.
1985
· En France, L'Aigle d'or de Loriciels obtient le
Tilt d'or du meilleur jeu d'aventure.
· le Russe Alexei Pajitnov crée le jeu Tetris.
· Dans les salles d'arcade, Sega sort Hang-On et
définit le genre du jeu de tir sur rail avec Space Harrier,
auquel contribue Vu Susuki.
· Le premier Amiga Commodore : l'Amiga 1000 fourni avec
AmigaOS 1.0.
· Sortie des modèles CPC664 et CPC6128
d'Amstrad : ils sont équipés en série d'un lecteur de
disquettes au format 3» développé par Hitachi.
· Sortie du jeu éducatif Where in the World Is
Carmen Sandiego? sur PC (Brøderbund Software) : il sera le
premier d'une longue série qui définit le genre.
·
86
Sortie du jeu de tir à défilement
latéral Cauldron (Palace Software) sur Commodore 64 et
ZX Spectrum.
· Janvier : sortie de l'Atari ST, ordinateur personnel
16/32 bits.
· Janvier : sortie du Commodore 128, ordinateur 8 bits qui
combine 3 machines en une.
· Mai : publication du premier numéro du magazine
Zzap!64 (Newsfield Publications Ltd) au Royaume Uni.
· 13 septembre : sortie du jeu de plate-forme Super
Mario Bros de Nintendo au Japon.
· Octobre : fin officielle de la commercialisation de la
ColecoVision.
· 18 octobre : commercialisation de la NES par Nintendo aux
USA.
· 20 octobre : sortie de la SG-1000 Mark III de Sega au
Japon (elle deviendra la Master System dans le reste du monde).
1986
· En France, la bande-dessinée de François
Bourgeon Les Passagers du Vent est adaptée en jeu vidéo
pour Amstrad CPC et Thomson par Infogrames.
· Atari intègre un lecteur de disquettes 3,5»
dans le 1040STF.
· En France, création d'Ubisoft par les
frères Guillemot pour distribuer les jeux d'Electronic Arts,
Sierra On-Line, et MicroProse dans l'hexagone.
· Sortie de l'arcade Wonder Boy (Sega) : le titre
sera adapté sur Mark III.
· Sortie de l'arcade Bubble Bobble (Taito).
· Sinclair Research Ltd. est racheté par
Amstrad. Ce dernier homogénéise les deux gammes
d'ordinateurs en rationalisant leur fabrication avec le ZX Spectrum
+2, proche d'un CPC en apparence.
· Sortie des premiers micro-ordinateurs MSX 2.
· Sortie de Brataccas sur Atari ST et sur Amiga,
premier titre de Psygnosis et le premier jeu en haute résolution (640
× 400 sur Atari ST)
· Sortie de Defender of the Crown sur Amiga,
premier titre de Cinemaware, qui redéfinit le niveau graphique des jeux
sur ordinateurs.
· Sortie de Out Run, conçu par Vu Susuki
(Sega-AM2) dans les salles d'arcade.
· Sortie de Sapiens (Loriciels) sur Amstrad
CPC.
·
87
Sortie du jeu Mobile Suit Gundam sur NES : il est
basé sur la série animée du même nom très
populaire au Japon.
· Février : Nintendo sort le Famicom Disk
System (une extension pour la Famicom), seulement disponible au Japon. Le
titre de lancement est The Legend of Zelda, l'ancêtre du jeu de
rôle sur console.
· juin : Sega lance la Master System aux
États-Unis et le jeu Alex Kidd in Miracle World qui lui servira
ensuite de titre phare pour sa console.
· 1er septembre : commercialisation du NES en
Europe.
1987
· Au Royaume-Uni, sortie de l'Archimedes d'Acorn,
ordinateur familial à base processeur RISC.
· Sortie de l'arcade R-Type (Irem), qui
renouvelle le genre du jeu de tir à défilement latéral.
· Lancement du Commodore Amiga 500, un modèle
d'ordinateur personnel 16/32bits
· Sortie de Castlevania de Konami sur NES.
· Sortie de Wonder Boy in Monster Land et
d'After Burner (Sega) dans les salles d'arcade. Ce dernier repousse
les limites du jeu de combat aérien (Vu Susuki)
· Dungeon Master de FTL pour Atari ST est le
premier jeu de rôle en temps réel.
· Sortie de Defender of the Crown, premier titre
de Cinemaware sur Amiga.
· Sortie en salles d'arcade du premier Mega Man
(Rockman au Japon) et du premier Street Fighter
(Capcom). Le second est conçu par Takashi Nishiyama et Hiroshi
Matsumoto.
· Sortie de Sid Meier's Pirates! sur Commodore 64,
puis sur Apple II et sur PC.
· Sortie de Maniac Mansion (Lucasfilm Games),
premier jeu d'aventure utilisant le moteur SCUMM (Script Creation Utility
for Maniac Mansion), sur Commodore 64.
· Sortie du jeu de combat Barbarian: The Ultimate
Warrior (Palace Software) qui utilise pour sa promotion Maria
Whittaker (playmate dans The Sun)
· mars : sortie du Apple Macintosh II dont le
boîtier est horizontal comme celui des PCs.
· 15 mai : sortie de la NES en Europe. Avec celle-ci
commence une nouvelle percée des consoles de jeux vidéo sur ces
territoires.
· 30 juin : sortie au Japon de OutRun sur Sega
Mark III / Master System, moins de 12 mois après
l'arcade.
· 7 juillet : sortie de Metal Gear de Konami.
· Septembre : sortie de la Master System de Sega
en Europe.
·
88
Octobre : la Master System remplace officiellement la
SG-1000 Mark III au Japon.
· 30 octobre : sortie de la PC-Engine de NEC au Japon.
1988
· Sortie des MSX2+.
· Juillet : sortie de l'arcade Forgotten Worlds,
jeu de tir à défilement latéral qui tire pleinement partie
du Play System de Capcom.
· 29 octobre : sortie de la Mega Drive de Sega au Japon,
première console de jeux 16 bits (elle sera nommée Megadrive en
Europe et Genesis aux USA).
1989
· Au Japon, apparition des Fujitsu FM Computers
(Fujitsu) qui retarderont l'implantation des compatibles PC.
· Réalisation de la première borne d'arcade
modulaire avec la NeoGeo MVS (pour Multi-Vidéo System)
de SNK.
· Sortie de la console de jeux vidéo portable
(hand held) Game Boy de Nintendo.
· Sortie de la console portable Lynx d'Atari.
· La PC-Engine sort aux États-Unis sous le
nom de Turbografx-16.
· Prince of Persia de Jordan Mechner est un
succès mondial.
· Sortie de Populous sur ordinateurs 16/32 bits
et, en salles, de l'arcade Golden Axe.
· Fin de la commercialisation de la Master System
au Japon.
· 9 janvier : sortie de la Megadrive (renommée
« Genesis ») aux États-Unis.
· 14 août : commercialisation de la MegaDrive
en Amérique du nord.
· Fin d'année : Sortie de l'Atari 520 STE
(pour Enhanced)
1990
· Commodore tente de renouveler le succès du C64 sur
le marché des consoles de jeu en sortant le C64 GS, aujourd'hui
très recherché pour sa rareté.
· Amstrad lance la console GX-4000 en Europe en
septembre.
·
89
Sega lance la Game Gear au Japon le 6 octobre.
· Nintendo sort la Super Famicom au Japon le 21
novembre.
· Sega lance la Megadrive en Europe le 30 novembre.
· NEC sort la console portable PC-Engine GT.
· Amstrad stoppe la production de ZX Spectrum.
· Sortie du MSX TurboR, dernier avatar du standard
MSX.
· Octobre : sortie de The Secret of Monkey Island
(Lucasfilm Games) sur Amiga.
· 21 novembre : sortie du Super Nintendo Entertainment
System (SNES) au Japon.
· 30 novembre : commercialisation de la Sega MegaDrive sur
les marchés PAL (Europe et Australie).
1991
· SNK s'essaye au marché du jeu domestique avec
la NeoGeo Advanced Entertainment System (AES) et sort le NeoGeo
CD, puis une version améliorée de celui-ci : le NeoGeo
CDZ.
· Sonic, le hérisson bleu qui peut
atteindre la vitesse de MACH 1, devient la nouvelle mascotte de Sega (Sonic
the Hedgehog sur Megadrive / Genesis) : il sera également
adapté sur la Master System.
· Arrêt de la commercialisation de l'Atari
2600.
· Janvier : sortie de Mega Man 2 sur NES : il
est généralement considéré comme le meilleur de la
série.
· 23 août : sortie du SNES en Amérique du
nord.
· Décembre : sortie du Mega-CD de Sega
au Japon.
1992
· Capitalisant sur le succès domestique du
multimédia, Philips sort le CD-I. Le dernier
modèle (série 500) sort en 1994.
· Commodore sort le CD32, console de jeux
basée sur un Amiga 1200 équipé d'un lecteur CD-ROM.
Malgré un catalogue intéressant, ce sera la dernière
tentative du constructeur.
· Création de la société
Treasure par quelques employés de Konami.
· Fin de la commercialisation de la Master System
en Amérique du nord.
· Sortie du jeu d'action-aventure en 3D Alone in the
Dark sur PC (Infogrames).
·
90
Commercialisation du Atari Falcon 030, dernier
ordinateur de la marque.
· 1er janvier : abandon officiel du support de
sa gamme d'ordinateurs 8 bits par Atari.
· 11 avril : sortie du SNES en Europe.
· 03 juillet : sortie du SNES en Australie.
· Octobre : sortie de Virtua Racing, jeu
initialement développé par Sega-AM2 pour servir de
démonstration sur sa nouvelle plate-forme 3D en développement
Model 1.
· Décembre : fin du support de l'Apple IIgs
par Apple.
1993
· Sortie dans les salles d'arcade du premier jeu de combat
en 3D : Virtua Fighter, de Vu Susuki (Sega). Son adaptation sera le
(malheureux) titre de lancement de la Saturn l'année
suivante.
· Sortie du jeu de combat Samurai Shodown (SNK)
sur Neo-Geo MVS : il est le premier d'une longue série qui
s'achève en 2004.
· Atari renonce au développement de sa gamme
d'ordinateurs ST / Falcon.
· Avec le lancement du Pentium d'Intel, la domination du
marché informatique par les PC devient irréversible.
· 09 septembre : sortie de Gunstar Heroes (jeu
de tir à défilement latéral de Treasure) sur Sega
Genesis.
· 24 septembre : sortie sur Macintosh du jeu d'aventure
graphique Myst des frères Robyn et Rand Miller (Cyan
Worlds).
· 18 novembre : commercialisation de la Jaguar, console de
jeux vidéo 64 bits d'Atari aux USA.
1994
· Sortie de l'arcade Tekken (Namco), jeu
de combat en 3D.
· LucasArts : Beneath a Steel Sky (point'n
click) sort sur PC
· Sortie de la console de jeux vidéo 32 bits
Saturn de Sega.
· Sortie de la première console de jeux vidéo
de Sony : PlayStation. Le succès de celle-ci marque le passage
des jeux à l'ère de la 3D.
· Commercialisation de la Jaguar d'Atari en Europe et au
Japon.
· Sega sort en salles d'arcade Virtua Cop et
Virtua Fighter 2.
· 91
25 août : sortie de l'arcade The King of Fighters '94
(SNK), basé sur Neo-Geo MVS et premier d'une
longue série qui sera déclinée sur les consoles de jeux
postérieures.
1995
· sortie du DVD
· Microsoft : sortie de Windows 95
· 11 mai : commercialisation de la Saturn par
Sega sur les marchés nord-américains.
· 8 juillet : commercialisation de la Saturn
par Sega sur les marchés PAL (Europe et Australie).
· 24 août : sortie mondiale du système
d'exploitation pour PC Windows 95 (Microsoft).
1996
· Atari arrête la commercialisation de la Jaguar.
· Aux USA, Working Designs publie Sega Ages
Volume 1 qui réunit Out Run, Space Harrier et
After Burner 2 sur un seul disque optique. Les conversions sont presque
parfaites.
· Sega arrête le support de la Master System en
Europe.
· Sortie des cartes graphiques PCI à base de
processeur 3dfx Voodoo : la baisse du prix de la DRAM EDO permet de
rendre la 3D texturée accessible aux PCs.
· Sortie de Tomb Raider (Core Design / Eidos), sur
Sega Saturn, PlayStation et PC.
· 22 mars : sortie de Panzer Dragoon II Zwei
sur Saturn.
· 24 mai : sortie de Metal Slug, qui
redéfinit le genre run and gun sur Neo-Geo MVS.
· 23 juin : sortie de la Nintendo 64 au Japon : la
console est la dernière à cartouches ROM et accepte
jusqu'à quatre joueurs. Son titre de lancement, Super Mario 64,
donne ses lettres de noblesse au jeu de plate-forme en 3D.
· Août : sortie de Resident Evil, jeu
conçu par Shinji Mikami (Capcom) qui définit le genre
survival horror sur PlayStation. Il sortira ensuite sur
Saturn.
· 26 septembre : commercialisation de la Nintendo 64
aux USA.
1997
· Au Japon, sortie du SNES 2 ou SNES JR,
une version redessinée et moins chère de la console 16
bits.
·
92
Première victoire d'un système informatique contre
un grand maître d'échecs, Deep Blue, l'ordinateur d'IBM
bat Garry Kasparov (2 victoires, 3 nulles et 1 défaite).
· Sortie de Castlevania: Symphony of the Night
(titre américain) sur PlayStation : il sera augmenté avant de
sortir sur Saturn l'année suivante.
· 1er mars : commercialisation de la
Nintendo 64 sur le marché PAL européen.
· Avril : sortie au Japon du Rumble Pak, extension
qui ajoute la fonction vibration aux contrôleurs de la Nintendo
64. Il est alimenté par deux piles AAA et supporté par le
jeu Star Fox 64.
· Juillet : commercialisation du Rumble Pak de
Nintendo aux USA.
· Septembre : commercialisation du Rumble Pak de
Nintendo en Europe.
· 15 octobre : sortie de Age of Empires
(Ensemble Studios / Microsoft) qui révolutionne le genre
du jeu de stratégie en temps réel.
· 5 décembre : sortie de The Last Blade,
jeu de combat de samurais / ninjas sur Neo-Geo MVS.
1998
· Sortie de la première console de jeux portable de
SNK : la Neo-Geo Pocket.
· Sortie du processeur graphique Voodoo 2.
· Sortie sur PC du jeu de rôle Baldur's Gate
sous licence Dungeons & Dragons (BioWare /
Interplay).
· Sortie du Gameboy Color (Nintendo).
· Sega met fin au support de la Master System
au Brésil.
· Sortie de l'arcade House of the Dead 2 (Sega)
qui exploite au mieux un pistolet optique.
· Sortie de Azel: Panzer Dragoon RPG (Sega :
Team Andromeda), connu en Europe et aux États-Unis sous le nom de
Panzer Dragoon Saga, sur Saturn. Troisième jeu de la
franchise, il en développe l'univers en un jeu de rôle
mémorable.
· Sortie de Radiant Silvergun d'Hiroshi Luchi
(Treasure / ESP) sur Saturn. Ce jeu de tir à défilement
vertical remet le genre au goût du jour et atteint un statut mythique
auprès des collectionneurs.
· Sortie de Metal Gear Solid de Konami sur
PlayStation.
· Sega retire la Saturn de la vente sur les
marchés nord-américain et européen. Aux États-Unis,
la Genesis 3 de Majesco est le dernier clone officiel de sa
console 16 bits.
· 21 novembre : sortie au Japon de The Legend of
Zelda: Ocarina of Time sur Nintendo 64 : il est le premier titre en 3D de
la série.
·
93
Sega présente au JAMMA son nouveau système
d'arcade, nommé NAOMI (New Arcade Operation Machine
Idea)
· 27 novembre : sortie au Japon de
Dreamcast, la dernière console de jeux vidéo de
Sega et première de sa génération (à base de
processeur 128 bits) : elle partage les mêmes composants que
NAOMI.
1999
· Sortie de la console portable Wonderswan
(Bandai).
· Sortie de Silent Hill (Konami) sur PlayStation :
le jeu est la première production de Konami dans le genre survival
horror. Il apporte à ce dernier une dimension psychologique
inspirée du cinéma d'horreur japonais.
· 31 août : sortie du processeur graphique
GeForce 256 (Nvidia), qui s'impose dans les cartes graphiques pour
ordinateurs PC.
· 14 octobre : sortie de Dreamcast sur le
marché PAL européen.
2000
· Sega retire la Saturn de la vente au Japon,
mettant ainsi fin à la vie officielle de cette dernière.
· Sortie de Skies of Arcadia (Overworks) sur
Dreamcast.
· Sortie de Shen Mue, de Vu Susuki (Sega) sur
Dreamcast : la série est entrée dans l'histoire pour son
coût de développement record.
· Sortie du premier jeu au monde en cell shading :
Jet Set Radio (Jet Grind Radio aux USA) sur
Dreamcast.
· Sortie de Diablo II sur PC
(Blizzard).
· 4 mars : sortie de la PlayStation 2 de Sony au
Japon, console la plus vendue à ce jour : sa dernière version,
baptisée Slim, est encore commercialisée.
2001
· Sega arrête la fabrication de Dreamcast et
se retire officiellement du marché des consoles de jeux vidéo.
· Sortie de Rez, jeu de tir sur rail inclassable
qui est dédié à Kandinsky, sur Dreamcast.
· Sortie du Gameboy Advance (Nintendo).
·
94
Sortie de Silent Hill 2 de Konami sur PlayStation
2.
· Octobre : sortie de Grand Theft Auto III,
cinquième jeu de la série, il est le premier en 3D (Rockstar
Games).
· 21 mars : sortie de la Game Boy Advance au
Japon.
· 14 septembre : sortie du GameCube au Japon.
· 15 novembre : sortie de la Xbox, première console
de jeux vidéo de Microsoft sur le marché nord-américain,
puis au Japon. Son titre de lancement est le jeu de tir à la
première personne Halo: Combat Evolved, de Bungie.
· 18 novembre : sortie US du GameCube.
2002
· Sortie du WaveBird, premier contrôleur de
jeu sans fil fiable car il s'appuie sur les ondes radio, pour Nintendo
GameCube (la technologie avait déjà été
expérimentée au début des années 1980 par Atari
avec ses joysticks CX-42).
· The Elder Scrolls III: Morrowind, le jeu de
rôle de Bethesda Software offre une liberté de jeu
inconnue jusqu'alors sur PC.
· Grand Theft Auto: Vice City sort sur PlayStation
2 : il ajoute à son prédécesseur un environnement urbain
ancré dans les années 80 et caractéristique (Miami).
· Sortie de la plateforme d'arcade Triforce,
développée conjointement par Namco, Sega et Nintendo et
inspiré par le matériel du GameCube.
· Sortie du jeu d'action-aventure Ico sur
PlayStation 2.
· 14 février : retrait officiel de Dreamcast
par Sega du marché nord-américain.
· 14 mars : commercialisation de la Xbox sur le
marché PAL européen.
· Mai : commercialisation du Nintendo GameCube en
Europe. Hiroshi Yamauchi abandonne le poste de Président de Nintendo
qu'il détenait depuis 1949.
· Septembre : sortie du jeu de tir à
défilement vertical Ikaruga (Treasure) sur Dreamcast
(ESP). Il est adapté sur GameCube l'année suivante.
95
2003
· Vu Suzuki est recompensé pour sa carrière
par le AIAS Hall of Fame.
· Sega publie sur Xbox OutRun 2, la
première suite officielle du jeu d'arcade de 1986.
· 7 mai : Infogrames rachète le nom Atari
et abandonne son ancienne appellation.
· 29 octobre : sortie de Call of Duty d'Activision
sur PC.
· 11 novembre : sortie du très
sous-estimé Beyond Good and Evil (Michel Ancel),
développé par les studios d'UbiSoft à Montpellier.
2004
· Sortie de Samurai Shodown V Special (SNK), le
dernier jeu pour Neo-Geo MVS.
· Sony dévoile la PlayStation 2 slim,
encore en vente officiellement en 2010.
· 1er janvier : publication du premier
numéro du magazine britannique Retro Gamer (Live
Publishing, puis Imagine Publishing). Il est entièrement
consacré aux jeux vidéos « rétro ».
· Octobre : sortie de Grand Theft Auto: San
Andreas, troisième jeu de la série de Rockstar Games
en 3D, celui-ci offre non plus seulement une ville, mais trois à
explorer.
· 23 novembre : sortie de World Of Warcraft, le
« jeu de rôle massivement en ligne » (MMORPG) de Blizzard
pour PC.
· Décembre : sortie au Japon de la Nintendo
DS, puis de la PlayStation Portable.
2005
· 27 janvier : sortie au Japon de Biohazard 4
/ Resident Evil 4 de Capcom pour GameCube : le jeu renouvelle la
franchise en étant pour la première fois entièrement en 3D
temps réel.
· En France, pour la première fois, un jeu
vidéo (Gran Turismo 4) se classe premier des ventes de produits
culturels de l'année.
· Novembre : Aux États-Unis, la Nielsen Active
Gamer Study dévoile que le marché du jeu vidéo s'est
diversifié et s'étend désormais à la tranche 25-40
ans.
· 22 novembre : sortie de la Xbox 360 aux USA.
· 02 décembre : sortie de la Xbox 360 en
Europe.
· 10 décembre : sortie de la Xbox 360 au
Japon.
96
2006
· 23 mars : arrêt de la production de PSone
(la nouvelle version de la PlayStation de Sony).
· Sortie de Shadow of the Colossus,
par les auteurs d'!co sur Sony PlayStation 2.
· 11 novembre : sortie officielle au Japon de la
PlayStation 3. Elle sort le 19 aux USA.
· 19 novembre : sortie US de la Wii de Nintendo,
qui avait été présentée à l'E3 de Chicago la
même année.
· 2 décembre : la Wii est disponible au
Japon.
· 9 décembre : la Wii est disponible en
Europe.
2007
· Fin de la vie « officielle » de Dreamcast
sur le marché japonais (sortie du dernier jeu commercial sur cette
console).
· Février : arrêt de la production de
GameCube par Nintendo.
· 13 mars : sortie de God of War !! sur
PlayStation 2, probablement le jeu le plus abouti techniquement sur
cette console.
· 23 mars : sortie officielle de la PlayStation 3
en Europe.
· 31 octobre : arrêt définitif du support des
consoles NES, Super NES, N64, Game Boy et Game
Boy Pocket par Nintendo.
· 20 novembre : sortie US de Mass Effect, le jeu
de rôle sur console de Bioware, sur Xbox 360.
97
Annexe 2
Entretien avec François FRIMAT, philosophe de l'art et
enseignant à Lille III.
Le 09/02/2018
La question de l'art dans le jeu vidéo c'est une
question qui s'est déjà posée dans la philosophie
de
l'art ?
Dans la philosophie de l'art pas à ma connaissance. Par
contre ce qui est clair c'est que fa fait longtemps que l'on s'intéresse
aux arts numériques, quand même. Ça rentre un petit peu
là-dedans. La question que vous vous posez, c'est quoi finalement ?
En fait je m'intéresse à la
légitimation du jeu vidéo. Est-ce qu'il recherche ses lettres de
noblesse, et ce qu'il a la prétention de devenir un art ou pas ? Qu'est
ce qui le motive, qu'est ce qui l'en empêche...Pour certain c'est un coup
marketing, pour d'autre c'est une réalité, je m'intéresse
au processus en fait.
Il y a toujours deux dimensions à ce type de questions.
La première, ou je ne vais pas être très compètent
c'est si je considère la question comme une question de fait, autrement
dit « qu'est ce qui se passe actuellement, quelles sont les tendances, les
stratégies mises en place par les différents créateurs...
» Là je ne sais pas trop. Par contre là où je peux
vous donner des pistes, c'est si on aborde la question comme une question de
droit et là il y a plusieurs questions à se poser.
La première c'est de savoir pourquoi le jeu
vidéo aurait besoin de se légitimer. On n'a pas besoin de
légitimer ce qui existe, ça existe c'est tout. Et ça c'est
quelque chose qui d'une certaine manière croise bien des questions de
l'art contemporain, qui font du régime de l'exposition
déjà une justification en soi. Ça c'est sur la question de
la légitimation, de la légitimation de la légitimation
même. Apres, la question ce serait « est-ce que je peux tenir pour
artistique, est-ce que je peux faire entrer dans l'art le jeu vidéo ?
»
Pour vous, en tant que philosophe et en tant que
citoyen...
98
Pour moi, ça ne me gêne pas parce que « jeu
vidéo » ca ne désigne qu'un medium et une pratique. Moi je
n'ai pas à évaluer un media en tant que tel ou une pratique en
tant que tel, ce qui m'intéresse c'est de réfléchir aux
possibilités qu'offre cette pratique. Pour autant que je sache, sur un
plan strictement esthétique, les jeux vidéo croisent quand
même des intérêts esthétiques contemporains. Par
exemple on a dans le spectacle vivant actuellement, toute une partie de
création qui s'oriente vers ce que l'on appelle «
L'esthétique documentaire », « le théâtre
documentaire », et je pense qu'il y a beaucoup de jeux vidéo qui a
cette prétention à pouvoir relever de l'esthétique
documentaire. Je pense a la série comme Assassin's Creed, des
jeux comme ça. L'idée c'est que tout en pratiquant le jeu on
apprend quelque chose, du cours du monde, de l'histoire. Ça c'est la
première chose. La deuxième, l'art est fait pour...Il y a une
ambition de désorienter les attentes de la réception, je pense
à tous les jeux de stratégies qui reposent aussi sur le fait
d'essayer de jouer avec les limites, les résistances les habitudes des
joueurs et les désorienter par rapport à ça. De ce point
de vue-là on peut dire que ça recroise. Ensuite, il y a quand
même, mais je connais moins bien, il y a quand même tout un
chantier d'exploration des possibilités graphiques, d'offrir un
imaginaire, là il faudrait que je regarde précisément. En
tout cas moi il me semble qu'il y a trois systèmes qui permettent de
dire - avant même de dire que le jeu vidéo relevé de l'art
- que le jeu vidéo occupe la question de l'art.
D'accord. J'ai l'impression que même dans ces trois
items, on ne fait pas état d'une spécificité : il y a
déjà des documentaires qui montrent le réel, il y a
déjà des choses qui transforment les possibles en terme
d'esthétique. Alors pourquoi ajouter le jeu vidéo à la
liste des arts puisqu'il regroupe des pratiques déjà existantes
?
En fait peut-être qu'il faut prendre le problème
dans l'autre sens, dans « jeu vidéo » ce qui est peut
être intéressant c'est « jeu ». C'est-à-dire
qu'est-ce que c'est qu'un jeu, qu'est-ce que c'est de jouer ? Alors il y a le
ludique, et il ne faut pas confondre le jeu et le ludique. On va dire que le
ludique on peut l'indexer sur le plaisir, ce qui donne de la satisfaction,
gagner, remporter contre les autres, remporter sa partie etc...Bon, mais dans
la notion de jeu il y a de la stratégie évidemment, en
théorie des jeux il y a une thématique qui est très
spéculative et qui peut d'une certaine manière développer
une sensibilité logique, en tout cas stratégique Et puis ce qui
m'intéresse c'est aussi le sens figure du mot « jeu » qui est
« faire bouger les lignes ». Quand on dit d'un bois qu'il « joue
», ça veut dire que ça force un peu les cadres, ça
déborde, ça déforme etc. etc...Et peut être que
c'est là que l'on peut se poser la question de savoir si dans le jeu
vidéo il n'y a pas une façon particulière de faire jouer
certaines limites. Pourquoi, parce que là où le
99
jeu traditionnel repose sur un corpus de règles qui
ouvrent une possibilité d'actions limitées, le jeu vidéo,
comme il est participatif (dans la mesure où il creuse
l'interactivité), il est beaucoup moins cadre et il laisse place
à autre chose que de la simple réactivité, il donne de
l'inventivité aussi. Et c'est la peut-être ou ça peut faire
jouer d'une manière spécifique. Et la manière dont le jeu
vidéo ferait jouer, ou parvient à faire jouer, là on se
retrouve au coeur de l'art. Parce que l'art comme un jeu c'est aussi une
conception traditionnelle de l'art qu'on retrouve dans beaucoup de
disciplines.
Vous avez dit « interactivité », c'est un
point important dans ma recherche, est-ce que vous connaissez la théorie
dite de la « spécificité du medium » ? C'est une
théorie qui dit qu'à partir du moment ou une pratique emploie des
moyens spécifiques, comme le coup de pinceau en peinture ou les plans et
le montage en cinéma, alors elle pourrait prétendre rentrer dans
la liste des arts. Et justement, l'interactivité ce serait le moyen pour
le jeu vidéo de se hisser au rang d'art, parce que c'est sa
spécificité.
Oui, ça me semble légitime. On va dire qu'une
oeuvre d'art, elle fait ou dit quelque chose de son medium. Si j'arrive
à pouvoir saisir que le jeu vidéo me dit quelque chose sur
lui-même, je rentre dans ce régime-là. Ça devient un
type de pratique réfléchit. Alors là, je me place de la
cote du créateur du jeu plutôt que de son utilisateur, de son
joueur. Ce qui me semble intéressant c'est de voir comment on peut
reconnaitre dans le jeu vidéo une des lignes qui bougerait, la ligne qui
départagerait le créateur et le spectateur. Jouer à un jeu
c'est pas utiliser le jeu, c'est se mettre soi-même en position de
créateur de quelque chose. Là, ça devient très
clairement artistique. Je comprends ce qui les motive : faire reconnaitre un
media comme ayant la dignité artistique, chose que l'on a connue avec la
BD, avec le cinéma, la photographie. Ce serait intéressant
d'aller reprendre les analyses de Walter Benjamin sur la photographie ou sur le
cinéma. Il note bien qu'il y a un changement de régime. Le jeu
vidéo présente une rupture, en initiant un nouveau régime
d'interactivité, un nouveau régime de participation. Quelque
chose qui ferait que l'art ne tient pas à une oeuvre. Mon coffret, mon
disque, mon jeu vidéo, ce n'est pas ça l'oeuvre d'art. C'est la
pratique qu'elle va permettre. Autrement dit ça c'est un support
matériel pour qu'il y ait la pratique. Et peut-être que si je n'ai
pas une utilisation correcte, si je ne joue pas mais que je ne fais
qu'utiliser, il n'y a pas d'art. Il y a de l'art à partir du moment
où je commence à jouer pour de vrai. Le jeu vidéo
ouvrirait la possibilité d'être réellement un joueur.
100
On arrive sur quelque chose d'important, c'est que le jeu
vidéo est à la croisée à la fois de l'objet de
consommation, de l'objet culturel et de l'objet artistique.
Oui mais ça ce n'est pas propre au jeu vidéo. Je
pourrai le dire pour la musique. Il y a une musique de consommation, une
musique industrielle et une musique artistique.
Mais elles sont séparées en trois domaines,
alors que le jeu vidéo s'acheté pour pouvoir ensuite être
un joueur. Il a ceci de particulier que l'on est obligé de le payer -
avec toutes les campagnes marketing autour - pour pouvoir y jouer. C'est plus
ou moins unique. A la différence du cinéma ou il y a des
représentations gratuites et des alternatives gratuites, le jeu
vidéo lui est un objet de consommation d'abord. Ca empêcherait les
études sur son coté artistique, qu'il soit payant ?
J'ai peur que ce soit une fausse piste, parce que même
les films que l'on va regarder gratuitement en streaming, on peut le faire
parce qu'on a consomme un abonnement, une box, un ordinateur...Donc, il n'y a
aucune pratique culturelle qui échappe à la consommation. Mais le
propre d'une pratique culturelle c'est de ne pas s'arrêter à la
consommation. Moi je pense que le fait de payer n'empêche pas le fait de
la considérer. Si on acheté un jeu en grande surface, ou sur
Amazon, on achète aussi une place de concert sur Digitik. On
n'échappe pas au côté consommation. D'ailleurs on voit bien
que le para culturel et de plus en plus présent autour des pratiques
culturelles. Les boutiques et les restaurants de musée ne font que
grandir. On essaye de faire de ces lieux de pratiques culturelles, des lieux
qui ne soient plus que des lieux de pratiques culturelles. Et je pense que ce
qui est dangereux, c'est de vouloir étendre les caractères
culturels de la pratique a tout le reste. Il ne faut pas confondre les
approches anthropologiques et sociologiques de la culture et les approches
purement artistiques et philosophiques. On peut aller au musée sans
avoir aucune pratique culturelle, au sens strict du terme et aucune pratique
artistique, et c'est possible aussi de n'avoir aucune pratique culturelle ou
artistique en écoutant de la musique, en allant voir un spectacle ou en
jouant à un jeu vidéo. Cette histoire de la consommation, non, je
n'y crois pas. Si on veut faire la généalogie des freins qui
inhibent le processus de légitimité du jeu vidéo comme
produit artistique, on pourra ramener le discours sur l'addiction qui est un
discours récurrent. Mais ça ne suffit pas pour épuiser la
spécificité du jeu vidéo en tant que tel. Pour moi c'est
un objet artistique non identifie en tant que tel mais il le sera de plus en
plus. C'est une technologie qui apparait, et puis cette technologie elle
devient de plus en plus artistique de fait. C'est souvent comme ça. Le
cinéma ce n'était pas fait pour faire de l'art, la photographie
non plus. Mais au fur et à mesure il y a eu des tentatives. Je ne
connais pas
101
l'histoire du jeu vidéo dans le détail mais je
suis certain que dès le début il y a des gens qui ont fait des
jeux qui n'étaient pas seulement de la distraction ou du divertissement.
Voilà, pour moi si on prend la question avec la consommation, on va
faire de l'analyse historico...sociologique avec tous les aléas que
ça contient, les gens vont dire « oui mais vous oubliez qu'en telle
année il y a eu ça, et ça etc. etc. ». Et ça
ne va pas être très intéressant. Ce qui est
intéressant c'est de voir que, si on ne voit pas pourquoi le jeu
vidéo en tant que media ne pourrait pas prétendre à la
dignité d'une pratique artistique, à quelle condition ça
le devient, et le montrer à partir d'exemples précis. On ne peut
montrer des choses qu'en considérant les pratiques. Il faut parler de la
pratique du jeu vidéo et de ses pratiques : les pratiques
créatives, les pratiques interactives et les pratiques participatives.
C'est de ca qu'il faut parler concrètement. C'est là où on
peut montrer qu'on a quelque chose qui relevé de ce qu'on appelle «
Art » aujourd'hui.
Est-ce que le jeu vidéo a besoin de cette
dignité ?
Non...Il en aurait besoin à quel titre ? A titre
commercial ou industriel il n'en a pas du tout besoin. Même si parfois
c'est agité, je pense que les gens s'en foutent, ça les
empêchera pas de continuer à jouer. Je ne pense pas qu'il en ait
« besoin ». Par contre, ça semble intéressant pour
quelqu'un qui s'intéresse à l'art de repérer qu'il y a
là, aussi, possibilité de réfléchir sur l'art parce
qu'il y a de l'art qui se fait. Et il faut commencer à expliquer en
quoi. Je dirai que c'est plus intéressant pour la philosophie de l'art
et pour l'art que pour le jeu vidéo lui-même.
Quand on lit les articles qui font état du
processus de légitimation du jeu vidéo, il y a une chose qui
ressort c'est que ça arriverait en premier en France. Il y aurait une
spécificité française dans la réflexion sur l'art
qui ferait que ça arrivera d'abord en France avant d'arriver ailleurs.
Est-ce qu'on a une pensée française ou une habitude
française qui permettrait de dire que c'est d'abord la France qui va
donner ses lettres de noblesse au Jeu vidéo ?
C'est une question difficile parce que je ne veux pas faire de
prophétisme...Mais je comprends. Là ou peut-être le jeu
vidéo continue à être tenu pour une industrie, chez nous on
a peut-être des pionniers dans la création d'écoles ou de
département qui ont fait entrer le jeu vidéo dans les
activités créatives.
102
Et il y aurait une manière de voir l'art à la
française qui permettrait de dire que ça se passera ici
d'abord ?
Ca me semble difficile de dire ça. Alors il y a des
éléments qui pourraient conduire à ça. La
French Theory qui a tiré les fils du post-modernisme, qui a
remis en question les grands récits concernant l'art et qui s'est
très vite émancipe des dogmes classiques et traditionnels de
l'art qui se réduirait aux Beaux-Arts tels qu'on pourrait les trouver de
Platon a Hegel, et qui fait pas de places a un tas de choses comme les
septième, huitième, neuvième, dixième
arts...Effectivement la pratique d'ajouter des arts aux arts elle est
spéciale. Mais par ailleurs, il y a un parallèle
intéressant à faire avec le manga. Le manga qui est au
départ en France vu comme une espèce de BD de seconde zone, sans
texte, très enfantin alors qu'au Japon il est tenu comme un genre
à part entier. Et c'est bien de comparer le jeu vidéo au manga
parce qu'on a eu des petits chefs d'oeuvre en manga comme le truc
la...Paysages Lointains ou Quartiers Lointains. Un manga
comme celui-là, on a à faire à quelque chose d'autre que
les dessins animés japonais pour enfant. D'ailleurs avec le jeu
vidéo c'est un peu la même chose, il y a une division non ?
Oui...La ça me fait penser à quelque chose :
il y a des défenseurs des Beaux-Arts qui font barrages au jeu
vidéo comme ils avaient fait barrage au manga, ou au cinéma qui
était un divertissement populaire. Le jeu vidéo et fait pour
s'amuser, et il serait impossible de le considérer comme un art. Ce
serait mauvais pour l'art et pour le jeu vidéo. Ce qui fait un
parallèle avec le manga.
Oui je pense. Après peut être qu'il faut
interroger des choses comme le statut commercial à grande échelle
de l'Héroïc-Fantaisy, qui essaime dans différentes
pratiques artistiques. C'est quand même quelque chose de bizarre parce
qu'à la fois ca relevé du jeu et ça se veut créatif
et en même temps ça s'enracine toujours dans des mythologies,
comme si partir d'une base référentielle ultra classique donnait
une caution culturelle. Est-ce qu'il suffit que je puisse retrouver des mythes
très anciens pour que mon jeu devienne intéressant ? Rien n'est
moins sûr. Regarde tout ce que le cinéma a produit comme
série Z ou série B...On ne considère pas le cinéma
de Cecil B. DeMille comme étant l'aboutissement du cinéma hein,
même si c'est du cinéma populaire et que Ben-Hur ou
Les Dix Commandements ça reste des classiques. Si je dois comme
ça, tout de suite, citer des grands films, ce n'est pas Cecil B. DeMille
qui va venir. Cette passion pour l'Héroïc-Fantasy qui
essaime un peu partout peut-être qu'elle traduit à la fois le fait
de vouloir se légitimer en partant d'une base
référentielle ultra-classique, et en même temps rate. Parce
que ce qui permet de se légitimer ça tient pas à la
référence.
103
Justement, j'ai eu un entretien avec un Designer de Jeu
vidéo la semaine dernière qui m'a dit que tout était une
question de vision et de volonté. On pourrait séparer les studios
de développement qui ont la volonté de faire quelque chose
d'artistique et ce qui ne l'ont pas. Donc il y aurait une division dans le jeu
vidéo ?
Oui, sans doute. Moi je dirai que la question de savoir si le
jeu vidéo c'est de l'art, c'est une question banale. C'est une question
qui s'est pose après toute apparition d'une nouvelle technologie dont
s'emparent les artistes. Et l'histoire du jeu vidéo ressemble juste
à l'histoire des autres technologies. Et ceci une fois pose, se demander
qu'est-ce que c'est que d'être créateur ? De faire de l'art ?
D'avoir une pratique culturelle ? Tout ça à partir d'un objet qui
serait le jeu vidéo et d'études de cas précis. Je pense
que c'est ça qui est intéressant. Alors oui, les studios qui
prennent le pari de faire de l'art, c'est des studios qui construisent pas
quelque chose à partir de présupposées attentes ou
enquêtes, ils participent à ce programme qui consistent à
donner de la visibilité a de la vue. Alors comment on donne de la
visibilité a de la vue...Alors la comment ça se passe dans le jeu
vidéo... En fait je veux dire « donner de la visibilité a
une vision », une vision du monde et cætera...
Dans cette idée toujours du jeu vidéo comme
art, il y a un problème qui se pose malgré la volonté du
créateur c'est qu'on considère qu'il est trop à la
croisée des chemins. On va encenser son graphisme, sa musique, son
univers indépendamment, on va dire qu'il y a quelque chose d`artistique
mais que l'objet lui-même ne l'est pas.
Je vois, je ne pense pas que ça soit une
fatalité. Ca dépend des tentatives. C'est exactement comme dans
les autres arts ou on a des propositions extrêmement techniques,
extrêmement virtuoses mais qui sont pas très artistiques. On va
retrouver ça dans certains jeux vidéo. Mais d'autre,
peut-être qu'ils cherchent moins la performance de chaque segment de
cette partition mais continue à chercher une unité plus globale.
Mais après bon, c'est quoi l'objet... ? Si l'objet n'est pas
réductible à une seule de ses dimensions, c'est quoi l'objet ?
C'est peut être ça qu'il faut essayer de préciser : «
C'est quoi l'objet Jeu Vidéo ? ».
104
C'est intéressant parce qu'on dit souvent que ce
qui va miner la possibilité de légitimation, c'est la course au
réalisme dans le jeu vidéo, parce que là il va oublier sa
spécificité, donner un aperçu du réel. Donc devenir
très mimétique, très fort technologiquement et ça
l'empêchera de prétendre a une légitimation.
Ouais. Dans ce cas-là il faut parler comme ça,
le créateur est un artiste qui ne doit pas se laisser déborder
par sa technique. Ça c'est une problématique qui n'est pas propre
aux jeux vidéo, c'est présent dans tous les arts, et d'une
certaine manière comme on la trouve dans tous les arts c'est aussi par
cette difficulté qu'on comprend ce qu'on peut reconnaitre comme un art.
Qu'est ce qui fait qu'un concepteur de jeu vidéo peut être un
artiste ? Qu'est ce qui fait qu'un joueur est un pratiquant de l'art en jouant
? Voilà la question à se poser.
Tous les arts se pratiquent ?
Oui. Oui, oui. Je pense qu'ils se pratiquent plus qu'ils ne se
contemplent. Alors il y a évidemment diffèrent régimes de
pratiques hein. Dans le jeu vidéo il faut peut-être distinguer la
pratique technique du jeu, la pratique physique et d'un autre côté
une pratique plus spirituelle. Il faut que le récepteur soit actif pour
qu'il y ait art, si je suis dans une contemplation passive, il n'y a pas
art.
Le récepteur ne peut pas être passif dans le
jeu vidéo, il doit jouer pour l'apprécier. Je comprends plus le
côté « je pratique l'art en jouant un jeu vidéo »
mais pas dans les autres arts.
Alors si c'est un tableau de la Renaissance je pratique l'art
à partir du moment où je lis le tableau, je regarde comment il
est construit, quelles peuvent être les intentions à l'oeuvre. Si
je vois le tableau comme le résultat d'une action, j'agis, je pratique.
Si je regarde Pollock comme étant une image, je pratique pas Pollock.
Pratiquer ce serait regarder le tableau en essayant d'imaginer l'action qui a
produit le résultat. La pratique c'est l'activité. Un spectateur
qui n'est pas actif c'est pas un spectateur. Je me pose une question,
très naïve. Est-ce que ça peut m'arriver, que pris par
l'image, la musique et l'univers, d'oublier d'utiliser la manette ? Etre
d'avantage dans un va et vient d'actionner la manette et puis activer autre
chose.
105
Ce côté « pratiquer », on dit que
le jeu vidéo est une pratique. Et on a l'impression que le jeu
vidéo prend une place bien particulière.
Le jeu vidéo ne permet pas seulement une pratique
technique, pas seulement une pratique sportive, pas seulement une pratique
physique. Mais il ouvre à d'autres pratiques.
Je reviens sur quelque chose dont on a parlé tout
à l'heure, le « but d'un créateur de jeu vidéo
», il y a pas longtemps on m'a répondu que ça pouvait tout
simplement être « choqué ». Dans une
représentation de la violence, une pratique de la violence dans le jeu.
C'est pourtant quelque chose qui est décrié par la
société, est ce qu'on va finir par accepter la violence dans le
jeu vidéo comme utile ? Comme quelque chose qui a un but ?
La violence esthétique elle a de la
légitimité à partir du moment où elle est au
service de quelque chose, d'un propos ou d'une dénonciation. Il ne faut
pas que ce soit une violence spectaculaire. Il faudrait voir comment une
violence pratiquée contrebalance un coté uniquement spectaculaire
à la violence. C'est-à-dire que si je vais voir un film gore, je
suis dans le pur spectaculaire. En tant que spectateur je subis ça. Mais
avec le jeu vidéo je suis dans une interactivité avec la
violence. En même temps, pour renforcer l'interactivité il faut
pas que le joueur soit dans une habitude, il faut que ce soit disruptif...C'est
les analyses de Bernard Stiegler sur le disruptif qui viennent là.
Apres, moi je pense que l'idée que parce que je vois de la violence je
deviens violent, c'est simpliste. C'est un peu simpliste si on veut parler d'un
conditionnement simple, ça marche pas, tout est dit par Orange
Mécanique sur la question : on peut me forcer à voir des
films violents ça change rien. Ça ne m'inhibe pas. Par contre, ce
qui est vrai, ce qui est dangereux c'est la mithridatisation. Le fait d'inocule
une petite dose de poison régulièrement. Ça, ça
banalise peut être les choses. Il n'y a pas que le jeu vidéo qui
est responsable. On peut pointer la question de l'addiction. Ce qui est
dangereux c'est l'addiction. On le voit bien avec le phénomène
des séries, les gens regardent beaucoup de séries. Elles sont
construites de manière telle qu'on ne finit pas un épisode sans
vouloir voir le suivant. Je suppose que dans les scenarii des jeux on va
retrouver les mêmes choses. Il y a des jeux ou on peut dire « je
prends deux heures et j'avance dans le jeu », et des jeux ou c'est
impossible. Je pense que là on peut voir une différence
artistique entre les premiers et les seconds.
106
Annexe 3
Exemple d'un test de Jeu : Journey, Playstation 3,
ThatGameCompany, 2012
Source :
jeuvideo.com
?Après la découverte des profondeurs abyssales
avec FlOw, puis les tribulations d'une multitude de pétales dans Flower,
c'est à un véritable voyage que Sony et thatgamecompany vous
convient sur le PSN. Journey propose en effet une aventure initiatique
originale qui ne laissera en aucun cas le joueur indifférent.
On s'en souvient, les deux précédents titres
présentés par le studio offraient déjà des
expériences de jeu au gameplay simple et accessible à tous,
tentant surtout de susciter l'émotion chez le joueur, qui possède
parfois un coeur de pierre. Journey clôt le contrat passé entre
Sony et Thatgamecompany (qui concernait donc trois jeux), et les
développeurs comptent bien conserver la même recette pour ce
final, toujours disponible en téléchargement sur le PSN. Pour ne
pas noyer le joueur sous un flot d'informations qui lui ôterait sans
doute toute impression d'immersion, l'interface y est encore une fois
très épurée. Le menu principal vous propose juste de
lancer un nouveau périple, puis, c'est à vous de jouer.
Les environnements semblent immenses et sont tout simplement
magnifiques. Les images publiées avant la sortie du jeu l'ont largement
montré : on commence l'aventure en plein milieu d'un environnement
désertique, avec du sable à perte de vue. Votre personnage,
couvert de la tête aux pieds d'une sorte de burqa rouge foncé, ne
ressemble ici qu'à une silhouette bien frêle, face à
l'immensité de cet univers hostile, mais splendide. Car c'est bien ce
qui saisit le joueur dès le début : visuellement, le soft est
somptueux, et cette impression n'aura de cesse d'être renouvelée
tout au long de l'aventure, au fil des environnements, très
variés, des arrière-plans à couper le souffle, et des
effets de lumière à faire pleurer. Rien que pour cette
réussite artistique, Journey se doit d'être découvert. Mais
opérons un petit retour au début de notre aventure. On vous
l'explique très vite, vous pourrez contrôler la caméra avec
le Sixaxis, ou avec le stick droit. Celui-ci sera sans doute rapidement
privilégié par le joueur, qui tentera alors d'avancer et de
107
découvrir son environnement en se
déplaçant de dune en dune et de ruine en ruine. En effet,
puisqu'aucune indication ne nous est donnée, l'intuition prend le
dessus, et on se dirige donc toujours vers les éléments du
décor se démarquant davantage que les autres. On rencontrera
rapidement quelques glyphes lumineux, qui parsèment la plupart des
environnements de Journey. Ceux-ci permettent d'agrandir une sorte
d'écharpe en tissu portée par notre personnage, qui lui donne la
capacité d'effectuer des sauts, voire même de voler durant
quelques instants. Ce temps de vol est justement déterminé par la
longueur de l'écharpe, qui doit également être
illuminée pour être d'une quelconque utilité. En bref, elle
se décharge lorsqu'on l'utilise, et devra donc être
rechargée, ce qui se fait automatiquement lorsqu'on approche de «
rassemblement de tissus volants », eux aussi disséminés dans
les décors.
Etre accompagné vous donnera-t-il davantage de courage
pour affronter ce qui vous attend ? Cet aspect du gameplay a son importance,
puisqu'il permet de faciliter les déplacements et donne accès
à certaines plates-formes moins accessibles que d'autres. Plus tard,
lorsque notre voyage sera bien entamé, on planera parfois
automatiquement, en se servant de bannières géantes volant au
gré du vent, et qui nous permettront d'atteindre des hauteurs
impressionnantes. Oui, mais pour aller où ? Le désert
étant particulièrement inhospitalier, notre attention se portera
vers une montagne éloignée que l'on distingue à peine, au
début de notre périple, avant qu'elle se fasse bien plus nette,
au fur et à mesure de notre progression. Entre chaque niveau, se
consacrant toujours à un environnement distinct (diverses parties du
désert, la montagne et son ascension très périlleuse...),
de brèves cinématiques abordent le background du titre, qui reste
pourtant toujours un peu mystérieux. Peu importe, il ne tient pas
vraiment la première place, c'est ici le voyage qui a de l'importance,
pas son but. Et puisque la solitude pourrait bien vous peser rapidement,
Journey vous permet de rencontrer un compagnon sur votre chemin. Celui-ci
apparaît automatiquement à un endroit précis de votre
progression, pour peu que votre console soit connectée à
Internet. Libre à vous d'ignorer cette seconde silhouette, qui vous est
en tout point identique, et de continuer le voyage en solitaire, mais vous vous
priveriez alors d'une partie des émotions que les développeurs
souhaitent véhiculer avec Journey.
Voilà donc la fameuse montagne qui nous motive... Car
si, lorsque l'on tente le périple à deux, les possibilités
ne sont pas décuplées pour autant, cela apporte quand même
une autre dimension à l'expérience que l'on est en train de
vivre, et maintenant de partager. Face à un univers hostile, on aura
tendance à se rapprocher de notre compère, et à
communiquer avec lui. Pas par un tchat vocal - absent du jeu car il briserait
évidemment cette chère immersion - mais plus simplement par une
série de sons, déclenchant parfois une petite onde pour attirer
l'attention de notre comparse. En se rapprochant l'un de l'autre, on «
recharge » également notre fameuse écharpe, afin de pouvoir
planer encore un peu. Le sentiment de solidarité est à son
paroxysme lorsqu'on approche du sommet de cette fameuse montagne, et que les
conditions météo se dégradent encore, nous plongeant au
coeur d'une impressionnante tempête de neige, à glacer le sang...
Autant le dire clairement, le dernier-né de thatgamecompany parvient
tour à tour à émerveiller ou émouvoir le joueur,
lors de ces deux à trois heures de jeu menées à un rythme
effréné. On nous y offre une expérience poétique
digne de ce nom, qui ne tente pourtant pas d'atteindre les sommets en
délivrant un gameplay complexe et une narration profonde. Non, Journey
parvient plutôt à toucher votre coeur de joueur en distillant des
émotions universelles et primitives, portées par un univers
visuellement époustouflant et une musique enchanteresse. Un voyage
à ne pas rater.»
108
Lena sur
jeuvideo.com (
http://www.jeuxvideo.com/articles/0001/00016628-journey-test.htm)
109
Table des matières
Remerciements 3
INTRODUCTION 5
o Définition de l'objet d'étude. 5
o État de la recherche. 7
o Enjeux et but du mémoire de recherche. 9
o Considération méthodologique et
présentation du plan. 12
Partie 1 : Parcours du Jeu vidéo : des bornes d'arcade au
débat sur « l'artisticité ». 14
I) L'art dans le jeu vidéo : parcours, évolution
et réflexions historiques. 14
o De la borne d'arcade à la console de salon. 14
o Du marché de niche au phénomène culturel.
16
o De la polarisation du débat à la bataille
juridique. 20
o Le Game Feel comme expression de la
spécificité. 23
II) Le jeu vidéo est-il un art ? Le débat
épique. 25
o La classification des arts 25
o « Jeux vidéo » : un objet protéiforme.
27
o Catégories de jeux vidéo selon leur possible
prise de position dans le débat. 28
o Prises de position internes et externes : la difficile
définition des termes. 32
Partie 2 : La légitimation du Jeu Vidéo comme
"Dixième Art" : Enjeux et acteurs. 36
I) La légitimation du Jeux Vidéo : la
création d'une nouvelle dynamique 36
o Le développement 36
o
110
L'édition et la production. 38
o Les joueurs. 41
o Les vidéastes YouTube et la presse
spécialisée. 43
o Les pouvoirs publics et associations. 45
II) Une perspective globale : un enjeu au-delà du
dixième art. 48
o Culture, art et patrimoine. 48
o Vers une nouvelle dynamique de production 51
Partie 3 : Processus de légitimation dans les nouveaux
medias 56
I) La légitimation du cinéma : un cas
d'école pour le jeu vidéo. 56
o Le cinéma : du loisir populaire à l'objet
d'étude 56
o Le cinéma : création d'une
spécificité et consécration. 58
o « Elites et populaires » : un parallèle entre
la légitimation du cinéma et celle du jeu
vidéo. 59
II) Le parcours de légitimation : un processus
normé et automatique ? 61
o L'émergence d'une nouvelle pratique. 62
o Gain de popularité. 62
o Reconnaissance de la spécificité. 63
o Institutionnalisation et création d'une
communauté. 64
o Polarisation de la pratique. 65
o Acceptation de la légitimité artistique. 66
CONCLUSION 69
Bibliographie 72
Sur le jeu vidéo, son histoire et sa
spécificité 72
Sur la recherche de légitimation du jeu vidéo
74
111
Sur la légitimation de l'art ou de la culture en
général 76
Annexe 1 : Chronologie du Jeu Vidéo et de
l'informatique ludique 79
Annexe 2 : Entretien avec François FRIMAT, philosophe
de l'art et enseignant à Lille III. 97
Annexe 3 : Exemple d'un test de Jeu : Journey, Playstation 3,
ThatGameCompany, 2012 106
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