2.2.1.2.Conflits culturels comme obstacles à
l'autopromotion des communautés à la base
Amouzou E. (2009) atteste que le phénomène de
repli culturel ou identitaire se passe aussi et souvent à
l'intérieur des frontières nationales entre différentes
communautés vivant sur le même espace géographique
où des populations, parce que originaires d'ethnies différentes
et nourrissant de préjugés les unes envers les autres ou encore
s'attachant à des conflits séculaires de classes sociales ou de
castes, sont parfois incapables de se regrouper autour d'activités de
développement communautaire ; ceci constitue dans une certaine
mesure, en n'en point douter, l'un des facteurs majeurs d'échec des
processus de développement en Afrique.
Katagna E. (2006) a aussi démontré ce
phénomène dans son mémoire de maîtrise de sociologie
portant sur les contraintes et possibilités de la participation des
populations à la mise en oeuvre de projets sociaux.
En effet, étudiant le cas du projet d'Infrastructures
Socio-Collectives (ISC) du 4ème PPMR (Plan Pluriannuel de
Micro-Réalisation) dans le canton de Kouméa au Nord du Togo,
projet dont la mise en oeuvre met un accent particulier sur la participation
communautaire, Katagna soutient que l'entente participe dans une large mesure
à l'implication communautaire. Ainsi, seuls les villages où la
solidarité communautaire et l'entente sont fortes choisissent
véritablement les microréalisations qui leur conviennent et
enregistrent une forte participation populaire, ce qui n'est pas le cas dans
les villages où règnent la mésentente et où il a
été constaté par conséquent une faible
participation des communautés aux travaux de construction des
Infrastructures Socio-Collectives.
L'auteur de cette étude fort intéressante
témoigne à ce propos : « ...Cependant,
dans d'autres cas, la participation des villageois qui ne se sentent pas
concernés est très difficile à obtenir comme par exemple
la réfection des bâtiments scolaires à l'EPP Centrale
Sondè. C'est une école pour tout le canton de Kouméa, mais
seuls les habitants du village de Sondè où elle est construite se
sentant concernés ont participé. (...)
Dans le canton, il existe des conflits latents entre les
différents villages comme par exemples Sondè-Karè ou
Sondè- Sèdina qui sont de vieux conflits, mais que les
générations actuelles ravivent. Ceux-ci sont source de
mésentente entre les populations et ne favorisent pas une bonne
participation des bénéficiaires. » (Katagna, E.,
2006 : 84)
Nous pouvons aussi retenir l'existence de deux courants qui
dans une démarche dialectique, tentent d'expliquer les obstacles au
développement par l'autopromotiondu monde rural. Parmi les obstacles,
Joachim Koné de Sya relève ceux liés à lanature et
aux capacités du projet. A la différence de certains villages
où il existe uneentente entre villageois, on se rend compte aujourd'hui
que quelques villages choisissent de se heurter à des problèmes
de mésentente entre quartiers, entre familles ouentre individus. «
Ce manque de cohésion, cette division de la société en
castes empêchent les ruraux de prendre des initiatives susceptibles
d'améliorer leur sort et les rend réfractaires à toute
innovation » (Tilakaratna, S., 1983 : 4) Selon l'auteur, la
société villageoise, loin d'être une entité
homogène est déchirée par des tensions internes. D'une
part, on trouve une minorité privilégiée qui a
intérêt à ce que la situation n'évolue pas, ou que
le changement n'intervienne pas et d'autre part, la masse des petits
exploitants, travailleurs sans terres, petits fermiers, etc. qui vit dans la
pauvreté.
Les groupes entre eux manque de cohésion, ne
s'entendent pas et se disputent le peu de débouchés
économiques que leur offre le village. C'est dans ce sens que
Tilakaratna disait qu'il est difficile qu'un processus d'autopromotion s'amorce
spontanément en milieu rural et c'est pourquoi une intervention
extérieure est souvent nécessaire pour encourager les pauvres
à entreprendre des actions dont ils assumeront la
responsabilité.
Ce manque de cohésion dans les sociétés
villageoises et partant dans les associations paysannes
estl'élément central du premier courant critique qui, entre
autre, a abordé les obstacles à l'autopromotion rurale. Cette
démarche s'inscrit dans une logique de disqualification du postulat de
base sur lequel est construite la thèse anthropologique. D'après
cette dernière, la société paysanne, les groupements
ruraux étaient caractérisés par une forte cohésion
sociale. Cette dernière était telle que face à tout
processus d'autopromotion il y a la résistance des paysans. Allant dans
le même sens, BlundoG. affirment :
« Ce qui fait défaut aux associations
paysannes, c'est apparemment, cet esprit de corps tant exalté par les
anthropologues. Les groupements étudiés montrent leur faiblesse
moins parce qu'ils sont le théâtre de conflits, que parce qu'ils
ont une faible capacité de les résoudre sans recourir à
des médiateurs extérieurs (ONG) » (Blundo G.,1994:
103).
Ndiaye S. de son coté pensent que :
«La concentration du pouvoir entre les mains de
quelques leaders formant une oligarchie explique d'une part les contraintes et
d'autre part, il y a la forte prégnance des leaders sur le
fonctionnement et le processus de prise de décision au sein de l'union
en se substituant aux organes légaux » (Ndiaye S.,
1996 :17).
L'entente et la cohésion renforcent la
société traditionnelle et de surcroit, renforcent le lien social
qui se construit à partir de groupes dans lesquels, les individus
évoluent et effectuent leur apprentissage (socialisation). La
cohésion sociale est menacée si la communauté est
divisée, désunie, ou s'il y a une remise en cause de la
légitimité de certaines institutions traditionnelles entrainant
une baisse de la conscience collective. La mésentente et l'absence de
la cohésion empêchent les communautés à la base de
garantir leur développement local.
De ce qui précède, il convient de dire que les
conflits séculaires de tous les ordres qui font partie de
l'héritage culturel des communautés humaines et transmis à
ce titre de génération en génération, peuvent dans
une certaine mesure constituer des obstacles à l'autopromotion
communautaire.
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