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La publicité au Mexique, vecteur d'exclusion sociale.

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par Michael Spanu
Université Lyon 2 - Master  2009
  

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Université Lumière Lyon 2

La publicité au Mexique, vecteur d'exclusion sociale. Analyse communicationnelle d'un fragment publicitaire.

Mémoire de Master 1 en « Sciences de la communication » à

l'Institut de la Communication (ICOM),

par Michael Spanu,

dirigé par Juliette Rennes.

Année universitaire 2009/2010

SOMMAIRE

Introduction

PARTIE I : Culture de l'image et image de la culture

1. Culture des images et société contemporaine: un phénomène publicitaire

1.1. Des effets de la publicité à son rôle légitimé dans la société

1.2. La publicité mexicaine, un quatrième pouvoir?

2. Une image de la culture au Mexique

2.1. Notes sur le multiculturalisme

2.2. Discrimination, racisme et idéologie dominante dans un système global

PARTIE II : Un discours publicitaire vecteur d'exclusion sociale

1. Télévision et publicité

1.1. La télévision-publicité, un couple conceptuel

1.2. Une approche sémio-pragmatique de la publicité télévisuelle

2. Discours et visuel d'un fragment publicitaire

2.1. Description du corpus

2.2. Vendre du « rêve » et exclure le réel

3. Consommations et réceptions du discours publicitaire: l'entretien

3.1. En quête de compréhension: production discursive face au discours publicitaire

3.2. Opacité du processus d'exclusion et réalité sociale

Conclusion

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tout particulièrement Carlos Alabat Bernal qui a été attentif à toutes les avancées de mon travail, toujours prêt à partager une anecdote sur le Mexique qui pouvait m'aider dans ma compréhension du monde social mexicain. De même Fabian Bonilla Lopez, pour les livres prêtés et les bons conseils. Je remercie également tous mes amis mexicains qui m'ont écouté et m'ont ainsi aidé à formuler ma pensée, cette écoute a été précieuse. Patricia, pour son entretien, sa bonne humeur, sa présence. Sans oublier mes parents et ma soeur qui ont eu l'amabilité de m'envoyer des livres de France, Maïwenn et Pierre pour avoir fait l'effort de scanner des chapitres dont j'avais besoin.

Plus généralement je remercie la UNAM pour m'avoir accueillie tout au long de cet échange universitaire, de m'avoir tant appris et enrichi. Je serai éternellement reconnaissant à cette université qui occupe un vrai rôle de service public, qui malgré sa lourdeur administrative reste un des garde-fous de la pensée et de la culture authentique du Mexique et d'Amérique Latine.

Je tiens enfin à dire merci à ma directrice de mémoire, Juliette Rennes, pour m'avoir accompagné dans ce travail, de même que Jean-Claude Soulages pour ses articles et sa pensée si riche. Merci à l'université Lyon 2 pour avoir permis tout cela.

INTRODUCTION

Le Mexique est un pays empli de contradictions. Les pyramides de Teotihuacan, vestiges des cultures préhispaniques situées à une demi-heure de la ville de Mexico, font partie des attractions touristiques les plus visitées du pays. De manière plus générale, les sites archéologiques comme celui de Chichen-Itza ou de Palenque suscitent un engouement certain chez les touristes, autant étrangers que mexicains. Le gouvernement investit dans ces lieux, finance parfois même les restaurations, il y organise des évènements et affiche fièrement la grandeur de ce glorieux passé. D'un autre côté, les héritiers autochtones de ces peuples préhispaniques, qu'ils soient mayas, nahuas, ou de l'une des 52 autres ethnies indigènes du Mexique, font partie de la tranche de la population la plus pauvre du pays. Plus que cela, ils sont les plus démunis, les plus marginalisés, les plus stigmatisés.

Les différentes formes de pouvoir qui se sont succédées au Mexique ne semblent pas avoir su prendre en compte le caractère multiculturel de la nation, ni à mettre en place une politique efficace pour que les individus puissent vivre en harmonie, dans le respect de leurs cultures respectives, alors même que le Mexique est réputé pour son laxisme frontalier, se posant comme terre d'accueil pour les gens du monde entier. Peut-être trop préoccupés a former une grande nation économiquement homogène, un état progressiste calqué sur le modèle capitaliste des Etats-Unis, les pouvoirs publics mexicains ont clairement laissé de côté les questions de « multiculturalisme », abandonnant chacun à son propre sort. L'aspiration à un modèle économique capitaliste rend la vie facile aux européens et américains. Du côté autochtone et traditionnel, lorsque les protestations sociales se sont faites entendre, (révolte paysanne de 1910, insurrection des autochtones à Chiapas en 1994, Atenco en 2007, etc.) la seule réponse a été la répression militaire. L'opportunisme politique étant un sport de compétition au Mexique, on voit régulièrement des programmes d'aide dans certaines communautés, des terrains généreusement donnés, des services ponctuels d'attention médicale, mais qui malheureusement ne résolvent pas le problème de l'inégalité.

Par ailleurs, la ville de Mexico connait un mélange culturel extrêmement aigu, fruit de l'immigration massive de tout le pays mais aussi du monde entier. On trouve donc de nombreux européens et américains attirés par la facilité des affaires, des mexicains de tous les états de la république, des rescapés politiques, une grande communauté juive aisée, des libanais, des chinois et japonais, sans compter la descendance des dizaines d'esclaves africains qui débarquaient avec chaque conquistador et qui se sont aujourd'hui fondus dans le paysage. Dans la capitale, la population est passée d'environ 1 500 000 habitants en 1940 à plus de 20 000 000 aujourd'hui. Ainsi, ceux que l'on appelle les « chilangos » sont les fils de cette incroyable vague d'immigrants qui vivent dans la capitale, produits d'un choc culturel d'une rare intensité.

Pourtant, au regard des images publicitaires qui jonchent les stations de métro, ou des réclames de la télévision mexicaine, on ne retrouve que difficilement cette pluralité des cultures. En effet, ces images mettent en scène des visages et des corps lisses et apatrides que l'on ne rencontre que difficilement dans les rues de la capitale. Evidemment, ces images n'ont pas comme finalité de rendre compte du formidable multiculturalisme du Mexique, mais par leur omniprésence elles m'ont semblé un bon support pour m'interroger sur les manières de représenter le monde qui courent dans ce pays. Ces représentations sont à première vue plastiques et souvent forcées, touchant à un imaginaire collectif déformé et déformant qui réchauffe des stéréotypes. Mais plus on s'interroge et plus l'idée que la publicité véhicule un imaginaire inégalitaire et parfois discriminant se fait claire. La publicité mexicaine serait donc un vecteur d'exclusion sociale, car elle la représente et la véhicule par le biais de la magie médiatique, s'inscrivant ainsi dans un système politico-médiatique global et discriminant.

En me confrontant à cet imaginaire biaisé de la publicité au Mexique, les questions qui m'intéressaient au début étaient celles du rapport à l'autre et aux autres cultures, du rapport du « chilango » à sa propre identité, alors même que celle-ci n'est pas clairement définie, dans un contexte de mélange culturel extraordinaire. Je comptais étudier l'image des cultures à travers la culture de l'image.

C'est donc ce que j'ai tenté de faire dans un premier temps, en donnant un panorama de la culture des images, et notamment de son agent le plus vivace au Mexique, la publicité. Celle-ci est omniprésente, championne de l'affichage hors-norme sur des façades d'édifices et capable d'interrompre jusqu'à dix fois un film. Mais l'objectif ici n'est pas de chercher à voir les soi-disant effets qu'elle produit sur la population, sinon la place qu'elle occupe dans l'imaginaire et le discours de la société moderne. Puis, dans un cadre plus institutionnel, je tenterai d'examiner la machine qui produit ces images au Mexique, comment elle s'insère dans un jeu de pouvoir qui la rend presque intouchable. Par le manque de régulation et son importance dans la survie des médias, la publicité fait de sa voix un des discours dominants du Mexique.

Dans un second temps, je me suis attelé à dessiner une image de la culture au Mexique. En effet, l'enjeu était ici de mieux comprendre le contexte culturel et surtout multiculturel dans lequel s'inscrivent les messages publicitaires, car c'est là l'origine de l'exclusion sociale. Pour saisir ce processus d'exclusion opérée par la publicité, il fallait avant tout savoir comment celle-ci existe dans le quotidien de la société mexicaine, c'est pourquoi j'ai ensuite développé ma réflexion sur la notion de discrimination.

Ces deux temps formaient alors une parfaite entrée en matière à une sémiopragmatique de la publicité, car ils étaient les deux points nécessaires à la compréhension des lignes de lecture d'un message publicitaire au Mexique. D'un côté le contexte de production avec la culture de l'image et l'industrie publicitaire mexicaine, de l'autre le contexte de réception avec l'image de la culture et la discrimination.

J'ai alors pu entrer dans un travail plus concret que j'ai orienté vers l'analyse d'un fragment publicitaire de la télévision mexicaine. Pour cela il m'a fallu faire un détour par la télévision au Mexique et les éléments techniques qui la lient à la publicité, pour ensuite préciser comment j'allais travailler ce fragment publicitaire. Ma méthode allait reprendre des éléments propres à la sémiotique et à l'analyse d'image, qui me seraient utiles par la suite pour interpréter le fragment publicitaire. Enfin, j'ai partagé le rôle de chercheur en faisant participer deux personnes par le biais d'entretien. Cette dernière étape a été cruciale dans l'affinage et l'aboutissement de ma réflexion sur l'exclusion sociale, car ce n'est pas un phénomène si clair qu'il me paraissait au départ, bien qu'il reste très présent dans la publicité.

Les principales difficultés que j'ai rencontrées au cours de ce travail ont avant tout été d'ordre bibliographique. Bien qu'ayant à ma disposition la bibliothèque de la plus grande université du Mexique, je me ne suis rendu compte que tardivement des lacunes qu'elle présentait. Je me suis confronté à de nombreux ouvrages qui manquaient cruellement d'actualité. Alors que les universités françaises font beaucoup d'efforts pour rester à la page et obtenir les ouvrages les plus récents, notamment dans le champ des sciences de la communication, je n'avais à ma disposition que des travaux vieillis sur des thèmes pas toujours en rapport avec ma recherche. La bibliothèque de la faculté de sciences politiques et sociales dont dépend la licence en sciences de la communication s'est révélée pire encore, où j'étais incapable de mettre la main sur des classiques de la communication. Des ouvrages sur le contexte médiatique ou publicitaire au Mexique étaient très peu nombreux et souvent très vieux, rendant le croisement des sources relativement difficile.

J'ai donc dû faire avec le peu de sources à ma disposition. J'ai cependant pu compter sur l'aide de quelques professeurs qui disposaient de livres à me prêter. C'est alors que j'ai compris qu'au Mexique il est courant d'aller acheter soi-même des livres parfois très pointus sur un sujet car aucune bibliothèque ne l'aura à disposition. Je me suis également arrangé pour que l'on m'envoie certains livres plus théoriques en Français, dont je pensais avoir besoin pour ma réflexion et mon travail d'analyse. Cette contrainte bibliographique m'a par ailleurs permis d'épuiser les ressources bibliographiques mises à disposition par l'université Lyon 2. Je ne compte le nombre d'articles scientifiques auxquels j'ai eu accès sur Cairn, Persée ou Jstor et qui ont été tout à fait décisif dans l'avancée de mon travail.

En outre, mon université d'accueil comptait avec un grand nombre d'ouvrage sur le thème du multiculturalisme. Les questions d'identité et de culture en Amérique Latine sont ses grandes préoccupations académiques, j'ai eu l'occasion de participer à un programme nommé « México nación multicultural » qui m'a complètement ouvert les yeux sur le thème du multiculturalisme au Mexique. Ce programme m'a également permis d'accéder à un grand nombre de sources d'information, m'évitant ainsi de me perdre dans la marée d'ouvrages sur la culture.

L'autre difficulté à laquelle je me suis confronté a justement été d'être au Mexique. Bien que cela m'aie ouvert l'espace à un champ d'investigation que mes collègues en France n'avaient pas, la distance a rendu difficile le contact avec ma directrice de mémoire. Cette distance conjuguée à une absence de cours sur la méthodologie du mémoire m'a souvent amené à improviser pour pouvoir avancer. Je ne considère pas cette distance comme un réel obstacle, néanmoins il est évident que sans un intérêt profond pour mon sujet et une bonne motivation, j'aurais rapidement décroché. De plus, le fait d'être à l'étranger et d'avoir de nombreuses choses à découvrir ne facilitent pas l'affaire, car le mémoire m'a demandé beaucoup de rigueur au quotidien. J'ai pu heureusement compter sur l'aide de mes proches au Mexique, qui m'ont donné de précieuses informations sur des affaires médiatiques passés ou des détails de la culture que je ne pouvais connaître. De même, j'ai pu bénéficier des conseils avisés de ma directrice, parfois quelques mots pour orienter ma recherche suffisaient pour me remettre au travail, ainsi que d'autres professeurs de Lyon 2 qui ont été à ma disposition pour m'envoyer leurs articles ou des références bibliographiques.

En tant que jeune étudiant en sciences sociales, j'ai été très marqué par le climat d'injustice qui règne au Mexique. C'est ce qui m'a conduit à orienter mon travail vers la notion d'exclusion sociale. Partant au Mexique sans en connaître vraiment la culture ni l'histoire, j'ai été fasciné de me trouver face à une telle diversité culturelle. Et pendant que le débat sur l'identité nationale faisait rage en France, j'étais de mon côté en plein apprentissage d'une autre forme de vivre ensemble dans laquelle on pouvait retrouver les mêmes éléments de discrimination. J'ai pu assister à l'ouvrage d'un capitalisme cruel qui tend à faire des traditions mexicaines une sorte de voile identitaire purement artificiel. Un système profondément inégalitaire que le rapprochement des Etats-Unis ne fait qu'amplifier, un système où règne l'impunité pour ceux qui ont de l'argent.

PARTIE I : Culture de l'image et image de la culture

« Ce livre a donc pour objet les codes invisibles du visible, qui définissent très naïvement et pour chaque époque un certain état du monde, c'est-à-dire une culture. Ou comment le monde se donne à voir à ceux qui le regardent sans y penser. »

Régis Debray

On se réfère communément à la culture pour une chose qui requiert l'intervention humaine, par création ou dérivation: la culture, c'est du cultivé. Ainsi, on fera souvent référence à des choses raffinées, c'est-à-dire hautement « cultivées » (dans le sens de « travaillées »), d'où toute l'ambigüité entre culture au sens général et « haute culture ».

Par la culture, on ne parle pas seulement de « choses » sinon de comportements, raffinés ou non, mais toujours produits d'une construction humaine. En combinant choses et comportements, on obtient une définition comme celle-ci: « La culture est une série floue d'attitudes et de croyances, de normes comportementales, de préjugés et valeurs élémentaires que partagent un groupe de personnes, et qui, sur chaque membre, exerce une influence sur le comportement et sur l'interprétation du sens du comportement des autres personnes. »1(*)

Dans notre culture moderne et globalisée, l'image est l'objet manipulé et consommé « naturellement » par excellence: la télévision le matin pour ne pas être seul au petit-déjeuner, ou le soir pour s'endormir en couleur ; les flyers qui nous font aller à un concert et la photographie qui nous fait regarder ce concert à travers un écran numérique, pour ensuite montrer aux amis qu'on y était ; les peintures qui font notre histoire dans les manuels scolaires et le cinéma qui profite aux couples pour se réunir les jours de pluie. On fait de l'image des usages aussi divers que variés, on la manipule à notre aise sans vraiment y penser, comme si elle avait toujours été là. Et en quelque sorte, elle a toujours été là, puisque que l'on a grandi dans les images, celles des encyclopédies illustrées ou celles des dessins animés, et que l'on vieilli devant « Des chiffres et des lettres », avec quelques portraits accrochés aux murs où se côtoient anciens et nouveau-nés. Mais elle reste un pur produit de notre culture, de cette agglomération de comportements et d'attitudes que l'on partage face au monde. Un produit culturel façonné peu à peu au cours des siècles.

Par l'usage du temps, l'image s'est incorporée à la vie sociale contemporaine de telle sorte que: « on ne la voit plus à force de la voir »2(*). Tellement naturelle à nos yeux que l'on ne se demande pas comment ni pourquoi elle est arrivée là. Il y a pourtant bien des préjugés qui courent sur elle, le préjugé de la manipulation ou celui du caractère trompeur de nos images quotidiennes, mais cela ne nous empêche pas de vivre dans une société totalement inondée par les images, dont les usages ont été largement appropriés par la « culture » occidentale, comme le montre l'essor de la photographie amateur de la fin du XXe siècle3(*). Aujourd'hui, qui songerait à partir en vacances sans son compact numérique? Comment pourrait-on organiser une campagne électorale sans image? N'est-il pas indispensable de présenter un produit sous une belle lumière publicitaire pour avoir une chance de le vendre? L'image s'est affirmée comme un outil dominant de la communication contemporaine et il nous revient de la considérer comme tel, de la remettre en question, et ainsi tenter de voir ce qu'elle implique dans notre société. C'est en ces termes que l'on peut parler d'une réelle « culture de l'image ».

Alors que l'on discute aisément d'accès à la technologie ou au langage, on parle moins d'accès à l'image. Notre rapport à cette dernière n'a pourtant pas toujours été aussi simple et ce serait rater la première marche que de voir ce rapport comme universel, naturel ou transparent. En effet, la relation de l'homme occidental au concept d'image est le fruit d'une longue histoire où les religions (en tant qu'institution et croyance, c'est-à-dire en tant que culture) ont joué un rôle particulièrement important. Régis Debray identifie l'image comme une « présence/absence »4(*) dont l'origine profonde serait la contemplation de la mort. La vision d'un corps sans vie qui nous ramène à l'idée de l'individu mais qui n'est pas l'individu serait la première expérience esthétique de l'homme. L'image aurait ainsi une histoire bien plus ancienne que celle de l'écriture, bien que son invasion dans le quotidien soit beaucoup plus récente. Quoiqu'il en soit, c'est bien par une approche historique que l'on peu comprendre comment s'est formée notre culture de l'image, de la prohibition religieuse des idoles à la sacralisation de celles d'Hollywood. Bien que cela puisse paraître naïf, il est indispensable de garder à l'esprit que la profusion d'images au quotidien n'est pas un phénomène qui a toujours été là, établi tel que nous le percevons, et qu'il va en changeant chaque jour, de par l'image qui modifie notre regard et notre regard qui modifie l'image.

Si l'image fait partie intégrante de la culture occidentale contemporaine, je m'intéresserai ici plus particulièrement aux formes médiatiques que revêt cette « culture de l'image ». Ces forment ont en effet de l'intérêt dans ce qu'elles nous disent de la réalité contemporaine des rapports sociaux propre à un contexte donné. Il s'agirait donc de « déplier les avatars médiatiques »5(*), c'est-à-dire analyser des objets d'expression de la réalité qui serait plié à cette même réalité et observer comment les représentations imaginaires sont également constitutives du réel. Un travail que je résume vulgairement par cette forme rhétorique: « une image de la culture par la culture de l'image ». Si j'emploie les termes « culture » et « image » dans leur sens le plus large et approximatif, ce n'est que pour esquisser une introduction à un travail qui englobe des concepts complexes, dont les définitions et usages font l'objet de nombreuses divergences. Il me semble en effet inutile de remuer toute la masse scientifique qui traite de ces concepts que je n'utilise qu'à des fins didactiques. J'entends concrètement par « image de la culture » une représentation des représentations culturelles et sociales d'un contexte mexicain à travers ce que véhicule sa « médiaculture »6(*). C'est une de ces représentations que j'aurai l'occasion d'analyser plus en profondeur dans ma deuxième partie, après avoir esquissé le contexte culturel de ces représentations dans le deuxième point de cette partie.

Toujours selon Régis Debray, notre manière de regarder les images a profondément changé avec l'arrivée de la télévision. J'y reviendrai plus tard, mais il me semble d'ores et déjà pertinent de justifier le choix de la télévision comme forme médiatique puissante en termes d'analyse de représentations. Aujourd'hui, l'image fait foi, il faut voir pour croire. Les discours d'accord, mais on veut voir les résultats, et quoi de mieux qu'un média comme la télévision pour nous montrer (et non nous démontrer par la logique ou le raisonnement) la réalité. La politique doit se faire spectacle pour attirer l'attention, l'autre versant, écrit celui-là (lois, textes, circulaires) est réservé à une bande d'individus obscurs que l'on imagine comme la légion d'hommes pressés dans le film Brazil. L'image de la télévision est donc démocratique car soit disant à la portée de tous. En cela elle est un formidable moteur à représentations, car c'est un fourre-tout idéologique et instantané orchestré par de grands capitaux (la télé ça coute cher et ça rapporte beaucoup). Pour gouverner, il faut faire croire, et la télévision est première de la classe, car solidement armé (le fameux marketing et beaucoup d'argent) pour parler au citoyen-consommateur comme il se doit. Le schéma est simpliste mais efficace: les riches fabriquent l'information que les pauvres reçoivent. Dans sa composition même, l'image moderne est véhicule d'inégalité, et nous irons plus loin dans l'analyse de cette culture (ou « ère ») de l'inégalité qui se définie elle-même comme démocratique, par l'observation de son fer de lance: la publicité.

1. Culture des images et société contemporaine: un phénomène publicitaire

Il est intéressant de voir à quel point la propagande a toujours quelque chose à voir avec l'image. Les espagnols s'en sont allègrement servis lors de la « otra conquista», la conquête des esprits, remarquablement illustré dans le film du même nom7(*). On y voit un indigène aztèque vouer une fascination sans borne à l'image de la Vierge, qui donnera lieu plus tard au fameux culte de la Vierge de Guadalupe, symbole du syncrétisme mexicain. L'image n'est donc pas seulement regardée, elle est vécue, parfois de manière intense. Elle a également fait le bonheur des régimes totalitaires du XXème siècle qui en ont développé les techniques « persuasives », et par dessus tout l'idée « d'image persuasive ». Et c'est encore aujourd'hui de l'image dont se sert Greenpeace par exemple pour faire réagir le monde face à la destruction de la nature.

Mais la propagande, comme système producteur de discours dans un seul but de persuasion idéologique (et non de vente commerciale), n'est pas publicité. L'inverse est néanmoins discutable. On dira que la pub ne poursuit qu'un objectif commercial. Oui, certes, c'est ce qu'elle poursuit. J'ajouterai cependant que de la sorte elle tente de nous faire consommer, non de manière ponctuelle, mais sans relâche, pour le bien de l'économie et de la croissance. Il est par exemple intéressant de noter que l'on ne trouve pas de traces de la kleptomanie avant l'apparition de la publicité,8(*) ce qui pourrait nous amener à penser la publicité, mais pas seulement elle, comme une éventuelle créatrice de comportements déviants. Ainsi, par sa répétition, sa présence et son discours, elle véhicule de manière évidente une idéologie consumériste sur laquelle repose entièrement notre société. Parti pris, donc: la publicité est une forme de propagande.

Il existe toutefois une étrange contradiction dans le fait qu''une société hautement technologique coexiste avec un système magique d'acquisition d'objet comme la publicité. C'est-à-dire que, dans la publicité, l'objet ne s'acquiert pas en lui-même. Tout comme les sociétés primitives, nous attribuons des sens parfois profonds aux objets qui, dans le cas de notre société moderne, sont utilisés par la publicité pour être vendus. Et aujourd'hui, même les plus vieilles institutions ont recourt à cette symbolisation excessive qu'est la publicité: l'Église, l'État, les organisations charitables, etc. Pourtant la croyance en la publicité n'est pas aveugle, on sait qu'elle ne peut redonner la foi ou la flamme patriotique, elle n'est qu'un agent idéologique auquel on fait plus ou moins confiance car il a réussi à se glisser dans tout le paysage médiatique. Mais cette activité idéologique tendrait presque à nous faire oublier que la publicité est avant tout une industrie, c'est-à-dire un agent économique très lourd, qu'il me faudra visualiser dans le contexte mexicain pour mieux comprendre sa production de message.

Ce rapprochement autour du phénomène publicitaire, vu comme élément décisif de notre culture de l'image, se fera en deux temps. Il s'agira tout d'abord de rejeter la croyance dans les « effets » de la publicité pour s'intéresser plus précisément à la manière dont elle trouve sa place dans notre société, pour ensuite tenter de voir en quoi l'industrie publicitaire au Mexique constitue un réel pouvoir.

1.1. Des effets de la publicité à son rôle légitimé dans la société

La question des effets présupposés de la publicité9(*) a entrainé une longue série d'études de « réception », engageant souvent un rapport exclusif avec le récepteur du message, alors que les études plus récentes penche vers une vision plus large, prenant plus en compte ce qui entoure la réception, c'est-à-dire la socialisation de l'individu (et son contact à des leaders d'opinions par exemple10(*)). Considérant alors le consommateur comme relativement actif et critique, la question que l'on doit se poser est: pourquoi celui-ci, conscient des règles du jeu publicitaire (création d'un désir fictif pour pousser à un achat souvent non nécessaire), continue-t-il à céder face à ces images falsifiées? La publicité doit trouver, d'une manière ou d'une autre, une place particulière dans notre société, qui la rend acceptable, acceptée, et largement consommée.

Les traces et formes antiques de publicité que les professionnels énoncent fièrement pour légitimer leur action, sous couvert du « ça a toujours existé », ne seront pas abordées ici, car je considère la publicité comme un système organisé de reproduction en masse de message à but uniquement commercial, en d'autres termes, « une communication de masse, uniquement conçue pour l'échange économique, ayant donné lieu à la constitution d'un corps de technique et à une activité délimitée »11(*). Une définition qui ne correspond donc qu'à la forme moderne de la publicité (c'est-à-dire « indispensable » et « persuasive ») et que l'on retrouve sous une forme globalisée dans le monde entier. Ainsi, la publicité ne se serait formée qu'au cours du XXe siècle, c'est-à-dire de longues années après l'apparition du capitalisme et de la production de masse qui aujourd'hui ne peuvent s'en passer.

Il y a là une contradiction qui nous renvoie du XVIIe siècle, en France, lorsque la bourgeoisie fonde la Société Civile pour se protéger de l'Etat. La publicité est alors, dans son sens politique, une forme de diffusion (par le biais de la publication) d'information relevant de l'intérêt général.12(*) Ce sont là les traits d'une communication qui s'instituera rapidement au sein de la société, afin de gérer et organiser les rapports sociaux. En ce sens, elle jouera un rôle important dans la création de l'espace public et, par le biais de l'opinion public, dans l'instauration de la démocratie. En termes économiques, la publicité trouve, en France, ses racines dans la gazette de Renaudot, qui elle-même reprend l'idée de Montaigne « d'un service public capable d'avertir des besoins des uns et des offres des autres »13(*). La Gazette de France, qui se contente de relater les affaires du roi et de la cour (« affaires publiques »), contient un espace permettant aux particuliers d'insérer des annonces. L'objectif publicitaire devient rapidement d'englober l'intérêt à la fois du pauvre et du riche, de trouver un compromis qui touchera le plus grand nombre pour ainsi atteindre un certain succès.

L'idée serait donc que la publicité soit un outil de mise en relation de l'offre et de la demande, nécessaire à l'expansion du monde industriel, ce qui aurait entrainé la création des premières agences de pub. En principe, c'est un outil qui se devrait de ne pas tricher, ni masquer ou transformer par quelconque manière l'information économique qu'elle fait passer. La publicité devrait tendre à l'objectivité. Et au-delà de son activité informative, la publicité serait, selon Émile de Girardin, le moyen décisif pour accéder à la liberté de la presse et à la démocratisation du journal. Le concept de publicité est donc perçu à l'époque comme un système communicationnel d'intérêt public permettant de faciliter les échanges économiques entre individus, là où dans d'autres pays comme l'Angleterre et les États-Unis, la publicité est déjà une arme mercantile en quête de légitimité qui vise principalement à accélérer les ventes, ou qui, du moins, en donne l'impression.14(*)

La question de la légitimité du travail publicitaire est d'autant plus intéressante que l'efficacité marchande d'un investissement publicitaire n'a toujours pas été clairement prouvé par les études universitaires d'aujourd'hui. Par exemple, dans les études de marketing, les modèles utilisés pour étudier le comportement du consommateur face à la publicité se heurtent à de nombreux paramètres que l'on peut difficilement réunir, ainsi on ne pourrait parler de publicité qu'en terme de « prescription marchande distribuée »15(*). Tout comme la croyance dans le pouvoir de guérison du médecin a été indispensable dans la construction du corps médical, il y a un réel enjeu pour le publicitaire à faire croire en son « indispensabilité ».16(*) Ce processus qui rend le métier de publicitaire nécessaire aux yeux du monde industriel me paraît donc de première importance pour envisager la place qu'occupe la publicité dans la société.

Bourdieu a longuement abordé le thème de la « production de la croyance »17(*), mettant en avant les logiques de désintéressement économique dans le monde de l'art, par le biais du capital symbolique. Ces logiques se retrouvent d'une certaine manière dans le champ publicitaire, grâce a la marque, qui est l'équivalent du « nom connu et reconnu » qui « détient le pouvoir de consacrer des objets », qui lui « donne de la valeur » et en « tire des profits ». Bien évidemment, la publicité, dont un des buts premiers est de faire vendre, ne renie pas ouvertement l'aspect économique de son action. Cependant, derrière le visage du créateur, le publicitaire tente de faire oublier l'acte d'achat, passant sous silence le prix du produit sous peine de rompre l'esthétique. Bourdieu attribue le pouvoir de consacrer les objets à une puissance charismatique qui serait l'apanage des « grands », « découvreurs inspirés », dont l'autorité n'aurait d'existence que dans le champ de production. Les publicités des grandes marques ont toujours été considérées les plus novatrices et créatives, comme en témoignent la compétition de spots aux allures cinématographiques diffusés chaque année lors du super-bowl américain, avec cette année la présence en force des « géants » comme Coca-Cola et Budweiser18(*).

Dans le cadre d'une « approche socio-historique »19(*), on identifierait les premiers publicitaires encore une fois comme des intermédiaires (nommés « courtiers » à l'époque). Ils achètent en gros des espaces dans les journaux pour ensuite les revendre à des annonceurs qui rédigent eux-mêmes leurs annonces. Ces courtiers, ou régisseurs, trouvent avant tout leur place grâce aux profits qu'ils réalisent. L'agence de presse Havas en fera d'ailleurs une branche essentielle de sa réussite commerciale20(*). Ces agents intermédiaires de spécifieront avec l'arrivée de nouvelles technologies comme le cinéma et la radiophonie. Par exemple, Les Antennes de Publicis (plus tard Publicis) sont formées en 1927 par Marcel Bleustein-Blanchet, assurant la régie d'un large réseau de stations de radio, concomitant à l'intérêt grandissant des annonceurs pour le média radio. Les frais publicitaires de l'époque sont majoritairement consacrés à l'achat d'espace médiatique. Les agences comme Publicis et Havas remplaceront rapidement les courtiers pour former des entités médiatiques quasi hégémoniques, contrôlant à la fois la production de contenu, la commercialisation d'espace, et les réseaux de diffusion. On entrevoit déjà ici comment la publicité peut épouser le média pour lequel elle travaille. Ce lien sera différent pour chaque média et je décrirai plus loin le couple publicité/télévision qui m'intéressera particulièrement ici.

Apparaissent également au début du XXe siècle les agents de publicité. Ils conseillent les annonceurs en terme d'insertion dans les médias et se chargent de la rédaction-conception d'annonces. Encore une fois, le publicitaire trouve sa place dans le rôle d'intermédiaire ; c'est ce rôle qui le définit, qui est l'axe principal du métier, c'est-à-dire qui le place à équidistance du producteur et du consommateur dans une relation de communication et de médiation à but marchand.

L'entre-deux guerre fait figure de moment décisif pour la légitimation du monde publicitaire en France. Les pionniers de la pub, souvent de retour de voyage aux Etats-Unis, commencent a éditer leurs propres manuels professionnels21(*), ils créent des revues spécialisées (La Publicité, Réussir, Vendre) ainsi que des « organes corporatifs » comme la Corporation des Techniciens de la Publicité dont la vocation est de « défendre une nouvelle catégorie de fournisseurs de services, les chefs de publicité »22(*). Par cela ils formalisent et diffusent des méthodes de travail, qui sont deux éléments importants de la crédibilité, et donc de la légitimation. Le « groupe » publicitaire n'est pas fermé sur lui-même, l'accès y est justement encouragé par la diffusion de ces méthodes de travail et la création de formations professionnelles.

En France, le changement réel surgit donc dans les années 60 et 70 avec l'implantation des méthodes et du travail rationalisé anglo-saxon dans les agences françaises. La « réflexion stratégique » devient un élément décisif du travail publicitaire: étude de marché, le public se transforme en cible, aligné dans un cahier des charges précis. On fait désormais appel au « team créatif » pour procéder à la réalisation de l'annonce. Cette part « créative » sera à l'origine d'une forte valorisation du métier de publicitaire car elle suivra la tradition des affichistes du XIXe siècle. Ces derniers avaient été nombreux a recevoir les honneurs officiels, élevant leur pratique au statut d'art populaire encore reconnu aujourd'hui, comme en témoigne la popularité des peintures de Toulouse-Lautrec. Cette tradition porte en elle l'idée de démocratiser l'art par les arts appliqués, et redonne une image positive à la publicité que l'on condamnait pour son caractère commercial.

Les créatifs du monde publicitaire se revendiquent comme « concepteurs d'idées »23(*) dont l'objectif est d'être, entre autres, originaux. Leur « créativité » est reconnu par des instances professionnelles de consécration comme le Festival du film publicitaire de Cannes, le Musée de la publicité ou encore le Club des Directeurs Artistiques. Cette valeur créative n'exclue en aucun cas la valeur marchande, bien au contraire. Tout comme l'on croit au pouvoir magique de l'artiste qui touche un objet et en fait de l'art, la créativité du publicitaire est perçue comme un gage d'efficacité économique.24(*) Cela fait donc du créatif un élément majeur dans le processus de légitimation économique de la publicité.

L'apparition du modèle américain occupera également une place importante dans le travail de légitimation. Ce modèle consiste en un système de collecte et de traitement de données particulier. C'est ce que l'on appelle le sondage d'opinion et l'étude de motivation. Dans leurs instruments d'études, les publicitaires prendront vite avantage des théories sémiologiques qui affirment que l'on consomme plus du symbolique que du matériel25(*), mettant ainsi en avant un certain statut social que l'on atteindrait grâce au produit annoncé.

Ces outils, et notamment le sondage d'opinion, ont largement été dénoncés par la sociologie critique.26(*) Par ailleurs, les études de motivation n'offrent que des résultats dont la valeur est approximative de par leur non prise en compte de facteurs socioculturels. Malgré tout, ces méthodes, qui s'appuient sur une base théorique psychologique, ajoutées à une rationalisation du travail, font durement croire aux publicitaires en leur propre efficacité.

En outre, les organes corporatifs prennent une ampleur nouvelle à la suite de la seconde guerre mondiale. Les grandes agences françaises fondent, en 1957, la Compagnie des agences de publicité (plus tard AACC), afin de défendre l'industrie publicitaire face aux nombreuses agences américaines qui s'implantent en France. L'Union Des Annonceurs (UDA) fait figure de voix représentative lorsque qu'il faut parlementer avec les législateurs européens durant les années 70. Au cours des années 80, les publicitaires s'opposent à la restriction de leurs recettes et de certaines formes d'expression commerciale, arguant des principes de liberté d'expression et de libre choix du consommateur. L'AACC milite encore aujourd'hui pour véhiculer une image positive du métier de publicitaire27(*), chargeant des commissions de réaliser des études et de participer aux débats publics.

La publicité en France s'autorégule grâce a un organisme nommé Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (anciennement Bureau de Vérification de la Publicité). Les adhérents à cet organisme privé s'engagent à respecter des « recommandations », qui n'entrent dans aucun cadre législatif, mais qui servent à garder une certaine déontologie « en faveur d'une publicité loyale, véridique et saine dans l'intérêt des consommateurs, du public et des professionnels de la publicité28(*)». Cette « éthique » publicitaire cache surtout la crainte de voir le champ publicitaire perdre toute crédibilité à cause de quelques annonceurs qui « abuseraient » de leur activité. Un tel organisme de régulation s'inscrit lui aussi de manière significative dans le processus d'autolégitimation de la profession de publicitaire.

Grâce a ces différentes instances, un marché de service a pu se mettre en place en toute légitimité, justifiant la valeur ajoutée de ce service par un aspect créatif prononcé et une méthodologie rationalisée. La société de consommation de masse n'a fait que propulser en avant cette autolégitimation, l'accompagnant de fortes retombées financières. Le statut économique étant signe de réussite sociale, les grands profits engrangés par les entreprises publicitaires ont suffit a lui donné un rayonnement professionnel légitime et propice à sa reproduction idéologique (travailler dans la pub c'est « tendance ») et matérielle (on paie cher et on se bat pour entrer dans une école de pub).

Si j'ai fait ce détour français pour expliquer comment la publicité à réussi à s'insinuer dans la société, c'est évidemment par commodité bibliographique, mais surtout parce que le cas français est tout à fait pertinent pour observer le phénomène publicitaire depuis ses origines profondes, pour ensuite mieux comprendre les spécificités du modèle mexicain. Ce dernier suit en effet le modèle des États-Unis, c'est-à-dire qu'il apparaît déjà sous sa forme moderne, légitimé par l'ampleur économique américaine. Mais il m'intéresse en cela qu'il met en scène des acteurs dont le rôle dépasse largement ce que notre expérience française pourrait nous faire croire.

Avant de plonger plus concrètement dans une étude du paysage publicitaire mexicain, j'aimerais pousser un peu plus loin cette recherche sur la légitimité de la publicité.

La publicité laisse à penser que derrière l'acte de consommation, il y a un progrès social, un accès à un rang plus élevé dans la société. Mais là où les critiques marxistes voyaient uniquement une source d'aliénation dans la consommation d'objet à travers la publicité, il y a ce que Tisseron nomme un « prolongement de l'esprit »29(*). En effet, l'objet serait indispensable à l'existence sociale, car formant partie d'un « processus de symbolisation » propre à la constitution identitaire. A partir de là, la publicité chargée de la promotion de ces objets, met en scène le désir (sexuel, narcissique, de différenciation, etc.) et serait pour les individus une forme de présence symbolisante à portée de main (bien que parfois non désirée, interrompant sans cesse nos programmes). Le caractère aliénant ou manipulateur de la publicité serait dépassé par la croyance inavouée en la libération sociale et identitaire, non celle que nous apporterait la publicité en elle-même, mais celle qu'elle met en scène comme un flash prophétique que l'on regarde comme épris d'une rêverie soudaine et semi-passive. Le spot publicitaire parvient à graver une inversion bourdieusienne en nous faisant croire que c'est l'objet qui nous permettra d'accéder à tel rang social, alors que la sociologie critique nous montre que « ce n'est pas l'objet possédé qui fonde le rang, c'est le rang, en quelque manière, qui détermine la possession des objets ».30(*)

Du même auteur:

« dans la société moderne, pyramidale, les objets sont à la fois marque de bien-être, et marque de « par-être ». La quotidienneté devient la mise en spectacle de soi par soi et la richesse est signe de l'importance de mon être. La publicité, quant à elle, fait et défait les modes en prenant appui sur les modèles de la bourgeoisie et de son idéologie pour mieux attiser envies et jalousies. »31(*)

La classe moyenne, au centre de cette pyramide, reçoit les modèles socioculturels de la publicité qui s'appuie désormais sur l'imaginaire de cette même classe, « n'offrant plus à consommer des objets-signes de statut ostentatoire mais des objets-modes de vie qui différencient l'individu moins économiquement que culturellement ».32(*) Face à l'aliénation si souvent décriée, la société de consommation se donnerait plus à comprendre comme une entité qui, par des objets et un discours particulier (publicitaire), répond au malaise identitaire propre à chaque société/culture.

1.2. La publicité mexicaine, un quatrième pouvoir?

L'industrie publicitaire mexicaine conjugue des éléments de la publicité globalisée et des caractéristiques propres à la société mexicaine. Cette publicité se dirige dans sa grande majorité à la télévision, qui est de loin le média le plus consommé au Mexique33(*). Plus que cela, la télévision est, dans de nombreux cas, l'unique source d'information disponible. Un grand nombre de zones du pays ne reçoivent pas de journaux ni d'accès à Internet. Les journaux ne sont lus que par 10 millions de personnes, c'est-à-dire 10% de la population. Relativement cher pour la population, ils sont les moins lus dans le monde. Les radios, si elles ne sont pas la propriété des grands groupes télévisuels, sont locales et n'ont que peu de moyens d'information. Il reste donc la télévision, seule et hégémonique, qui dispose d'une couverture nationale, dont il nous faudra visualiser l'ampleur pour comprendre le « pouvoir » de la publicité.

Le terme information ne sera pas entendu ici comme simple nouvelle ou fait annoncé au JT, mais dans son sens le plus large et médiatique, c'est-à-dire de tout ce qui est dit et montré à tout moment et la manière dont cela est transmis. La publicité est donc information à partir du moment où elle nous dit quelque chose sur le monde et qu'elle nous le dit d'une manière et non pas d'une autre. Elle est même, de par son omniprésence et sa redondance, une des informations principales du média télévision, occupant chaque recoins, chaque espace de repos d'un programme, s'insérant même à l'intérieur des programmes sous sa capuche de sponsor. De plus, on considèrera également ce qui n'est pas officiellement publicité, c'est-à-dire les jeux télévisés, les séries ou encore les « telenovelas » comme information choisie et déterminée par la chaîne, lui donnant une politique télévisuelle précise. Il n'y a pas de hasard dans la programmation télévisuelle, contrairement à ce que ce bloc ininterrompu d'images pourrait nous faire croire, l'information n'est pas donnée naturellement ou aléatoirement, elle répond à des objectifs précis.

La résistance sociale au Mexique a souvent pris un tournant médiatique, justement à cause du manque de diversité et de justice informationnelle. C'est en réaction au « pouvoir » établi des médias dominants (qu'incarne la publicité) que les mouvements sociaux ont manifesté leur besoin de faire leur propre information, en créant leurs médias alternatifs, comme ça a été le cas en 1994 avec le EZLN34(*) ou en 2006 a Oaxaca avec Radio Planton. La Constitution mexicaine nous apprend que « la manifestation des idées ne fera l'objet d'aucune enquête judiciaire ou administrative, (...) le droit à l'information sera garanti par l'État ». De même, l'article 58 de la Loi Fédérale de Radio et Télévision (1960) indique que « le droit à l'information, d'expression et de réception, par le biais de la radio et la télévision, est libre et par conséquence ne fera l'objet d'aucune enquête judiciaire ou administrative, ni de limitation ou censure, et s'exercera dans les termes de la Constitution et des lois ». En d'autres termes, les mouvements populaires réclament quelque chose qui est déjà inscrit dans les lois mexicaines: la libre détermination médiatique et informationnelle. Ce qu'ils dénoncent pourtant, c'est avant tout l'emprise de l'empire Televisa-Tv Azteca, et le rôle passif de l'État. On notera d'ailleurs que dans les exemples de médias alternatifs cités plus haut, les deux ont subi des attaques, parfois très violentes, de la part de groupes paramilitaires ou policiers en raison de leur opposition à l'ordre médiatico-économique établi. De la loi à la réalité, il y a encore un grand pas à franchir lorsque le droit à l'information s'oppose aux intérêts économiques des dominants.

L'histoire des peuples mexicains nous rappellent que les outils traditionnels d'information et de communication verbale reposaient sur une base principalement orale: les conseils des anciens, les orateurs, les sacerdoces et les membres de la famille. Ainsi l'on enseignait l'histoire et les aspects importants de la vie sociale (politique, médecine, botanique, religion, etc.). Une culture de l'oral dont on a encore l'occasion d'observer les vestiges dans les espaces urbains, par l'utilisation notable de crieurs de rue, mais qui est surtout très vivace dans les communautés autochtones. Or la télévision ne peut se substituer à cette culture orale, comme l'aimeraient certains politiques progressistes, car elle en élude la fonction informative pour se consacrer au divertissement et aux faits divers. C'est le conflit engendré entre l'information demandée et celle reçue qui est à l'origine de nombreuses revendications sociales au sein des communautés.

On peut voir dans le programme national de développement des peuples autochtones (2001-2006)35(*) une charmante initiative pour réduire l'isolement médiatique de nombreuses communautés, un effort a été fait pour que les villages les plus reculés reçoivent plus d'information. Cela dit, ce ne sont pas des journaux que l'on a vu arriver aux villages, sinon des antennes de télévision capables de capter le signal des plus grandes chaînes privées. Par exemple, le mandat du président conservateur Fox (2000-2006)36(*), ex-impresario, était précisément reposé sur la volonté de faire parvenir la télévision, et plus particulièrement celle de ses amis du groupe Televisa, à tout le pays (en plus de la machine à laver). Ainsi s'explique la présence du « canal 2 » de Televisa même dans les villages les plus démunis du pays, leur donnant l'occasion de regarder les « telenovelas » et le JT comme le font les habitants de la capitale, bien qu'ils n'aient pas beaucoup d'autre choix dans la programmation.

Le discours télévisuel suscite alors le débat sur sa légitimité, car il a depuis toujours exclu la parole du peuple pour imposer une idéologie dominante incarnée par les deux groupes médiatiques les plus puissants du Mexique, Televisa et Tv Azteca. L'information est certes un élément essentiel à l'émancipation, mais lorsqu'elle est contrôlée par des groupes qui ne recherchent que le profit (en plus d'être très orientés politiquement et moralement), et qu'elle est hégémonique dans de nombreuses zones (c'est-à-dire que l'on n'y reçoit aucun autre signal que celui de ces deux groupes, le choix de programme y est donc très limité), elle devient dangereuse. En réalité, la télévision est une des rares voix informationnelles qui arrive à certains villages, outre les voix à l'intérieur de ce même village, qui se font plutôt échos du savoir des générations antérieures. Elle est la voix du pays et du monde, celle qui vient de l'extérieur pour en dévoiler les faits et gestes, et la publicité est son arme commerciale et idéologique. Les groupes Televisa et Tv Azteca, qui possèdent 97% des concessions du pays37(*), se caractérisent précisément par l'abondance de publicité dans leurs médias, et donc de leur dépendance à cette publicité. En cela nous verrons plus loin comment celle-ci se constitue comme « pouvoir ». Mais il me faut encore approfondir ce tour d'horizon médiatique mexicain pour visualiser le rôle des membres clés, et le rapport qu'ils entretiendront avec la publicité.

Comme c'est le cas dans tous les pays capitalistes, on observe au Mexique un fort lobbying de la part des grandes entreprises, souvent accusées de copinage (pour ne pas dire corruption) avec les politiques, pour parvenir à conserver leurs avantages fiscaux et économiques.

Le groupe Televisa est notamment connu pour ce genre d'activités, ayant toujours été plus ou moins lié au parti au pouvoir (le PRI), surtout dans les périodes les plus autoritaires, se convertissant en réel outil de propagande.38(*) C'est un phénomène très accentué dans les pays émergents qui disposent d'institutions faibles et de ressources économiques fortes comme le Mexique. L'impression d'impunité règne à l'intérieur du pays pour ceux qui possèdent beaucoup d'argent, d'où la lutte acharnée et sanglante pour le pouvoir39(*). Le groupe Televisa, longtemps seul à dominer le marché télévisuel, avant de se faire légèrement rattraper par la naissance de Tv Azteca en 1993, a toujours entretenu des liens étroits avec le pouvoir. Alors même que la loi mexicaine interdit les monopoles, on constate que l'histoire du groupe se résume à une alliance avec le pouvoir afin de conserver son monopole. Une histoire qui ressemble étrangement à celle de ce fameux parti, le PRI, resté à la tête du pays pendant plus de 70 ans.

La télévision se fait complice d'un gouvernement oppresseur, elle maquille la réalité du Mexique pour lui donner l'image propre de l'État démocratique. Les exemples d'alliances entre télévision et État sont nombreux. Lors des mouvements sociaux de 1968, on camoufle le massacre de 400 étudiants à Tlatelolco par l'armée, à quelques jours de l'ouverture des Jeux Olympiques40(*). Pendant l'époque de la « guerre sale » des années 70, on visait à éliminer tous les opposants au pouvoir, et les nouvelles ne parlaient que de délinquance pour justifier des morts et des disparus politiques41(*). Les révolutionnaires autochtones de l'EZLN étaient encore qualifiés de délinquants hors-la-loi par les médias en 199442(*). Et en 2007, lors des mouvements sociaux qui ont secoué la ville d'Atenco, on diffusait en boucle une vidéo d'habitants qui frappent un policier, que les présentateurs (ou plutôt commentateurs) se plaisaient à qualifier de « honte du pays », alors que ces mêmes policiers ont plus tard été accusés de viols et violences sur les civils en question43(*). La coutume des médias dominants, tout au long de l'histoire des mouvements sociaux, a été de qualifier ces mouvements de délinquance ou terrorisme, et de justifier d'une manière ou d'une autre les pratiques violentes et les machinations politiques. Televisa ira même jusqu'à se faire historien de la démocratie au Mexique par la diffusion de documentaires embellis, faisant fi des revendications sociales et des fortes oppositions qui ont eu lieu tout au long de l'histoire du pays.44(*)

D'autre part, on a pu assister à l'invention d'un nouveau genre journalistique: images en direct avec dramatisation musicale, inaugurée lors de l'assassinat de l'humoriste Paco Stanley. L'emphase largement utilisé par Tv Azteca et Televisa, pour mettre en avant la violence et l'insécurité dans la capitale, servait en fait des intérêts politiques qui allaient contre le gouverneur de gauche de la capitale. Ce spectacle de la terreur et de l'hystérie collective, l'usage de l'hélicoptère, étaient une tentative de prise de pouvoir, les commentateurs affichant ouvertement leur ras-le-bol face aux autorités, appelant le gouverneur à renoncer. Ce même groupe « d'activistes du pouvoir » a fait usage de fausses caméras cachés pour discréditer les politiques (de gauche) qui gênent.45(*) Tout un arsenal de tactiques médiatiques qui avaient pour but de discréditer la candidature à la présidence d'André Manuel Lopez Obrador en 2006, qui était alors annoncé comme favori et bénéficiait d'une opinion populaire favorable. Le parti au pouvoir, le PAN (Parti Action Nationale, conservateur), sous le joug des impresarios préoccupés de l'éventualité d'un président de gauche, a finalement organisé une fraude gigantesque pour remporter l'élection46(*) en s'assurant l'appui des médias pour reconnaître la légitimité du président « élu », Felipe Calderón.

Depuis les années 90, les grandes chaînes se sont converties en de véritables armes électorales pour les partis politiques. Ils sont le principal client publicitaire de la télévision et certaines chaînes n'hésitent pas à s'affranchir des lois pour afficher leur sympathie pour tel ou tel candidat, lui offrant une visibilité privilégiée. Ces manoeuvres restent impunis, sous le couvert d'une liberté d'expression que s'autoproclament les chaînes concernées47(*). Ces spots politiques occultent le vrai message et les programmes politiques par une formule publicitaire générale et racoleuse. La pauvreté importent moins aux politiques que leur apparition dans les médias, comme le montre la répartition des financements publics de certains états.

L'exemple du Canal 40 est tout à fait révélateur du pouvoir de la publicité et de l'acharnement avec lequel Televisa et Tv Azteca tentent de conserver leur emprise. La chaîne qui cherchait à faire un nouveau genre d'information, s'opposant ainsi aux chaînes dominantes, a été prise par un groupe armé de Tv Azteca à l'aube du 27 décembre 2002, sans qu'il n'y ait aucune poursuite légale. C'est lorsque les informations diffusées par le Canal 40 ont commencé à chatouiller des personnes influentes, notamment le Père Maciel accusé de pédophilie, que les problèmes ont commencé. Lorsque l'on connait la principale source de financement de la télévision, il facile d'en venir à bout s'il on a les moyens d'atteindre cette source. Les grands annonceurs du pays ont ainsi commencé à refuser que leur publicité soit diffusée sur une chaîne qui leur faisait préjudice (à eux ou à leurs proches) dans les informations qu'elle révélait. Le Canal 40 a rapidement perdu de l'argent, jusqu'à ne plus engranger suffisamment de recettes publicitaires pour survivre en tant que chaîne indépendante. La chaîne est aujourd'hui rachetée par Tv Azteca, n'ayant plus rien à voir avec la programmation d'antan. Voilà un exemple de l'usage qui peut être fait de la publicité afin d'éliminer un adversaire médiatique et politique.

Les impresarios contrôlent littéralement la classe politique mexicaine, ils font même parfois partie de celle-ci le système des portes tournantes (« revolving doors »). Ils utilisent les concessions médiatiques pour « travailler » avec la classe politique et imposer leurs règles du jeu. Televisa représente 66% des concessions télévisuelles du pays, Tv Azteca 31%. Deux familles médiatiques contrôlent l'information, ce que doit voir la population, les thèmes que l'on doit aborder, la publicité. Tout ce qui apparaît à l'écran: une dictature médiatique.

À travers l'énorme capital culturel acquis le long de ces nombreuses années de domination, Televisa, dirigé par la maison Azcárraga, s'est forgé un réel pouvoir d'influence sur les formules de consommation et sur la production de goûts médiatiques.48(*) Son emprise financière sur le paysage médiatique lui a permis d'atteindre la première place mondiale en terme de publication de magazines en langue espagnole (31 titres, dont la presse à scandale et les magazines de telenovelas, les plus vendus au Mexique), assurant entre autre la traduction de grands classiques internationaux comme Cosmopolitan, Elle ou Quo.

Le fameux Canal 2 de Televisa que reçoivent toutes les chaumières mexicaines et qui dispose de l'audience la plus large du pays, est surtout connu pour ses « telenovelas » (le « somnifère populaire »), et son JT qui propose une sorte d'agenda informationnel dont le but est de parler d'autre chose que des problèmes réels, de détourner l'attention. Il relève plus du spectacle que du journalisme, abusant du sensationnalisme avec la « nota roja »49(*), mettant en scène le présentateur grâce a un ensemble de procédés techniques dignes du « Juste Prix ». C'est un « one man show » qui commente l'actualité à une heure de grande écoute et qui créé la confusion entre opinion et information. Par ailleurs, on y présente les acteurs de « telenovelas » comme une information d'intérêt général lors du JT, ce qui s'apparente à une forme d'autopromotion des programmes de la chaîne. On invente de l'information pour rendre le show plus attractif50(*). On fait des faux micros-trottoirs pour appuyer les projets du gouvernement.

Télévision forte et État faible, une combinaison qui fait le bonheur des intérêts privés. Le chaos national se convertit en télé-réalité: insertion dans la vie privée, exaltation de l'égoïsme, du mensonge, de la trahison, et transformation de l'insignifiance en spectacle. Tout ce show alors qu'au même moment, dans la société réelle, on privatise l'eau, on liquide les services publics, on accentue les inégalités en prenant aux pauvres pour donner aux riches.

Dans son ouvrage El poder de la publicidad en México en los inicios del siglo XXI51(*), Carola García Calderón insiste sur l'usage du mot pouvoir (« poder » en espagnol), en lui quittant sa connotation magique et idéologique de persuasion, pour le ramener à son sens élémentaire, c'est-à-dire capacité d'agir. En effet, selon l'auteure, l'économie publicitaire manipule de gros capitaux et possède l'envergure nécessaire pour s'opposer à certaines règlementations qui lui seraient défavorables.

Ce « pouvoir » de la publicité mexicaine s'étendrait jusqu'à son discours d'autolégitimation qui prône la liberté d'expression commerciale, mais qui n'est en fait rien d'autre que sa propre liberté, ou plutôt son pouvoir d'annoncer sans aucune restriction. Tout l'appareil discursif du dominant économique tend à cacher le fait qu'il dit ce qu'il dit parce qu'il a un intérêt spécifique à le dire, et tend à faire croire qu'il fait ce qu'il fait car il est dans son plein droit de citoyen (capitaliste), et que tout le monde est dépositaire de ce même droit.

Au Mexique, les études de marché se sont amplement développées au cours de la fin du XXe siècle, tendant à se focaliser, de manière évidente, sur la branche de population qui a le plus accès aux produits. Cependant, si l'on envisage le fait publicitaire comme un média qui joue un rôle clé dans le processus économique, un décalage relativement important se creuse au sein de la société. Malgré tous les modes de communication et commercialisation qui existent au Mexique, dont la publicité est un des principaux acteurs, ceux-ci n'atteignent pas 85% de la population qui réalise leurs achats via le commerce informel ou de contrebande52(*).

Il est aisé d'observer l'importance du phénomène publicitaire dans son ensemble au Mexique, de par la quantité de spots publicitaires qui entrecoupent les émissions télévisuels, qui est la plus élevée au monde53(*), mais aussi par la profusion d'affiches géantes dans les rues de la capitale, par les panneaux de bienvenue dans les villages encadrés de Coca-Cola, et par les noms de marques qui sont devenus des noms propres (le pain Bimbo, les Kleenex, etc.).

La publicité est un pouvoir économique qui réunit les intérêts des annonceurs, qui pour la plupart sont les grandes entreprises qui produisent des services au niveau global et qui, particulièrement au Mexique, financent grandement des médias jusqu'à détenir le pouvoir d'en influencer le contenu. En 2005, environ 60% des investissements publicitaires étaient destinées aux deux principaux groupes médiatiques publicitaires: Televisa et TV Azteca54(*).

Le pouvoir économique de la publicité l'a mené à se convertir en force politique capable d'incidence sur l'activité gouvernementale. Ce pouvoir s'est construit à partir de mécanismes de défense et de cohésion qui regroupent les trois acteurs principaux: annonceurs, agences publicitaires et médias de communication. Ces mécanismes ont permis à l'industrie publicitaire de dialoguer et de s'imposer face à un État qui ne s'est intéressé à la régulation que très tardivement, en se limitant simplement à la publicité en relation avec la santé, aux temps et horaires de transmissions, et à la publicité mensongère, avec peu de moyens de surveillance pour mettre en place cette réglementation.

D'un point de vue historique, les grandes agences ne se développent que dans les années 50. À l'époque, la quasi totalité des investissements est faite dans les médias de masses, alors que seulement 5% se destinent a des médias de moindre envergure (feuillets, affiches, etc.). Pour devenir de réelles industries publicitaires, comme dans le reste du monde, les agences ont nécessité trois conditions: un large panel de producteurs compétitifs équipés des outils de distribution, l'existence de médias de communication qui couvrent une grande partie du pays, un marché étendu de consommateurs au niveau de vie suffisant et disposant d'un certain temps libre.

L'ampleur de la publicité au Mexique reflète une réalité que l'on retrouve dans d'autres pays d'Amérique Latine: la profonde inégalité qu'il existe dans la répartition des richesses. En effet, selon les chiffres de l'Institut National de Géographie et d'Informatique55(*), environ 15% de la population active touche 8 a 14 fois le salaire minimum alors que plus de 60% de la population reçoit moins de 4 fois le salaire minimum. Pour rendre ces chiffres plus parlants, il est nécessaire d'envisager le salaire minimum mexicain comme symbolique, car il est de 1400 pesos par mois (environ 80 euros), c'est-à-dire très insuffisant pour survivre lorsqu'on le compare au prix de la vie. Le salaire minimum est plus symbolique qu'autre chose, il existe de fait très peu d'emplois payés au salaire minimum, si ce n'est aucun, car il est plus facile de gagner sa vie en montant un stand informel de nourriture dans la rue, ou en vendant de la musique piratée dans le métro.

Le marché publicitaire mexicain est caractérisé par la présence de grandes agences, notamment étrangères, qu'a permis la politique économique mexicaine depuis les années 50. En 1973 par exemple, les dépenses publicitaires s'élevait à 4 500 000 000 de pesos, dont 44% se destinaient à la télévision. Ce chiffre est supérieur au financement de l'époque de toutes les universités publiques du pays56(*). En 2004, ces dépensent atteignaient 5 250 000 000 de pesos. Durant l'année 1992, sur les 250 agences qui existaient, 20 d'entre elles étaient responsables de 81,5% des dépenses publicitaires. De ces agences, citons entre autre Walter Thompson, Noble DMB&B, McCann Erickson Stanton, D'Arcy, Leo Burnett, toutes apparentées aux groupes publicitaires des Etats-unis. Et à titre d'exemple, le groupe McCann compte parmi ses clients Coca-Cola, l'Oreal, Nestlé, Bacardí, Colgate, Good Year et American Airlines ; alors que le groupe Ogilvy est présent dans 89 pays et offre ses services à Motorola, Kodak ou encore American Express. Ces agences font tout simplement partie des plus grandes agences au monde.

En outre, l'investissement publicitaire au Mexique est en lien avec les plus grands annonceurs internationaux. En 1995, on comptait 15 annonceurs responsables de 40% de l'investissement publicitaire total, parmi eux, Colgate, FEMSA (Coca-Cola), Telmex, Walmart et Visa. Selon la l'Association des Agences de Médias (AAM), 76% des dépenses publicitaires engagées par les annonceurs sont destinées à la télévision. Jusqu'en 1993, le groupe Televisa attirait 80% des investissements publicitaires destinés à la télévision et 50% des investissements destinés aux magazines et à l'affichage extérieur.

La télévision est le média qui attire le plus d'investissement publicitaire au Mexique, loin devant les journaux et magazines, un écart moins prononcé que dans des pays comme la France, l'Allemagne ou le Japon.57(*) Il faut ici souligner le lien très fort, pour ne pas dire hégémonique, qui unit la l'industrie publicitaire et la télévision, car c'est ce lien qui a orienté mon choix de corpus. C'est entre ces deux acteurs que se constitue tout le « pouvoir » de la publicité, par leur poids économique et médiatique.

Dans les années 90, sous le mandat de Salinas Goriatri, le Mexique a connu une vague de déréglementation et de dérégulation dont la publicité a beaucoup profité. Outre le tabac et l'alcool, il n'existe plus de produits dont l'annonce est soumise à un quelconque contrôle. Les publicités d'aliments à faible valeur nutritive, de boissons énergétiques, de produits d'hygiène, etc., qui étaient auparavant gérés par le Secrétariat à la Santé, ne font plus l'objet d'aucune réglementation. C'est, en d'autres termes, l'idée du « réguler moins pour réguler mieux ».

Dans le cadre de sa légitimité au Mexique, le discours publicitaire est souvent ambigüe. Il utilise certaines études de consommateurs pour avancer que diminuer ou supprimer la publicité de boissons alcoolisées ne réduit pas la consommation, et que c'est donc un manque d'information pour le consommateur. De même, en ce qui concerne les cigarettes, le président de l'agence McCann Erickson défendait l'idée que si un produit est réellement considéré comme dangereux pour la santé, ce n'est pas à la publicité qu'il faut s'en prendre mais à la production. Si ce produit existe, si sa production industrielle est autorisée, il devrait y avoir une liberté totale à le promouvoir. Bien évidemment, on imagine rapidement que le poids économique du marché du tabac et de l'alcool limite toute régulation de la production, c'est donc la publicité qui en fait les (petits) frais.

Le Mexique est un des rares pays dans le monde à incorporer un message de modération au message publicitaire des boissons alcoolisées, pour ainsi leur permettre une diffusion télévisuelle ou radiophonique: « Avec classe et sans excès, sentez sa saveur » ou « La qualité est la responsabilité de Bacardi, la quantité est votre responsabilité ». C'est une sorte de publicité hybride qui tente de se donner une image responsable, mais qui n'est en fait que de business moralement esthétisé.

Avec l'Accord de Libre Échange Nord-Américain (ALENA, 1994) surgissent de nouveaux produits et investissements sur le sol mexicain. L'article 5 de l'accord prévoit que la publicité pourra être réalisée a l'intérieur du territoire ou en dehors. Vision d'une publicité globale dont le message serait identique pour tous les pays, seulement traduit. Au final, l'accord ne fait que renforcer une situation qui existait déjà, c'est-à-dire le contrôle du marché par des agences et annonceurs étrangers.

Les membres de l'IAA (International Advertising Agency) représentent 97% des dépenses publicitaires mondiales. Ils constituent un groupe de pression qui fait valoir son droit à l'expression commerciale. Par exemple, en 1992, le président de la IAA, Roger Neill, proposait une campagne de publicité en faveur de la publicité, se dotant d'un slogan de type: « La publicité: le droit de choisir », recyclant l'idée qui veut que la publicité ne soit qu'un appareil économique et informatif comme un autre, dont l'usage (même intensif et abusif) est essentiel au bon fonctionnement du processus de consommation et à la stabilité de la société. Cette organisation a pu avoir un rôle important au Mexique, notamment durant les années 90, en s'opposant à certaines restrictions publicitaires, via des commentaires adressés au Secrétariat à la Santé58(*), appelant encore une fois à plus de liberté d'expression commerciale.

L'inexistence d'associations de protection du consommateur démontre du peu de participation de la part des citoyens et de la main mise de l'industrie publicitaire sur sa propre activité. Le seul dialogue qui existe, c'est celui entre le gouvernement et le monde publicitaire. Un gouvernement souvent accusé de corruption, dont les institutions manquent de moyen face aux géants internationaux du monde publicitaire, qui nous laissent imaginer un dialogue à sens unique. Le poids économique de la publicité, adjoint à l'emprise des grands impresarios sur la classe politique, ne permettent pas l'entrée en action d'une société civile contestataire souvent effrayée par les représailles. Cette société civile est pourtant la première à souffrir de l'invasion publicitaire et de ce que j'identifierai plus loin comme l'exclusion sociale. Nous verrons dans le point qui suit en quoi cette société, culturellement très diverse, est sujette à de nombreuses discriminations au quotidien ; et dans la deuxième partie, comment la publicité s'inscrit dans ce processus d'exclusion sociale.

2. Une image de la culture au Mexique

Ce titre vague n'ignore pas les difficultés de l'entreprise. Parler de culture est toujours synonyme d'approximation et de conflits de définition. Pour conserver le fil de mon raisonnement, je n'évoquerai ici que deux modèles de classification de la culture, celui de Hall et celui de Hofstede, pour que le lecteur puisse avoir une idée de ce à quoi peut globalement ressembler la « culture » au Mexique. Ces modèles ne sont pas exempts de défauts, mais ils ont le mérite de permettre de classifier une culture selon des critères simples, sans se perdre dans le détail ni dans des considérations trop abstraites59(*). La culture étant un thème trop vaste pour être étudié dans un travail comme celui-ci, je ne m'attarderai ensuite que sur deux aspects de la culture mexicaine, qui ont directement à voir avec la discrimination et l'exclusion sociale que l'on retrouve dans la publicité.

Hall distingue deux grands types de cultures pour les différencier entre elles, les cultures à contexte riche et celles à contexte pauvre60(*). Les concepts « riche » et « pauvre » renvoient principalement la manière dont l'information (sous toutes ses formes) est transmise (ou communiquée) au sein d'une culture. Selon l'auteur, toute « transaction d'information » se place à l'intérieur d'un contexte plus ou moins riche/pauvre. Dans un contexte riche, l'information est « préprogrammée » dans le cadre de l'échange et dans les interlocuteurs eux-mêmes, avec un minimum d'information dans le message. Dans le contexte pauvre, c'est l'inverse, on concentre toute l'information dans le message pour compenser l'absence d'information dans le contexte de communication. La deuxième pair de concepts que détache Hall est la polychronie/monochronie, qui fait référence à la manière dont les cultures structures le temps. Autrement dit, la monochronie suit le principe « d'une seule chose à la fois » alors que la polychronie repose sur la superposition des tâches. Ces deux oppositions qui paraissent très générales nous permettent en fait de différencier et « identifier » grossièrement des cultures.

D'une part, de par son héritage d'une culture orale antérieure à l'arrivée des espagnols, le Mexique dispose d'une culture à contexte relativement riche, bien qu'il tende à s'appauvrir avec le « progrès » et l'occidentalisation. Concrètement, cela se manifeste par une acquisition de l'information et du savoir quotidien de manière implicite (peu de signalisation, peu d'explication écrite en général), on juge souvent qu'il n'est pas nécessaire d'être très précis dans ce que l'on dit, la compréhension va de soi, et les frontières entre les groupes sociaux sont d'autant plus fortes que le savoir informel est important au sein d'un groupe de personnes. D'autre part, la culture mexicaine se situerait plutôt dans la monochronie, donnant lieu à une certaine lenteur dans le travail, mais aussi à des relations interpersonnelles à plus long terme. Sans rentrer plus dans le détail, j'insiste sur le fait que ceci n'est qu'une approximation visant à aider le lecteur à mieux comprendre la « culture » mexicaine.

De manière similaire, le modèle du hollandais Hofstede61(*) est particulièrement utile pour réduire la complexité d'une culture à quelques éléments. Ce dernier identifie cinq dimensions constitutives d'une culture: 1) la distance de pouvoir (qui examine dans quelle mesure les membres d'une culture au plus bas de l'échelle reçoivent et acceptent l'autorité), 2) l'individualisme ou le collectivisme, 3) la masculinité/féminité (répartition des rôles en fonction du sexe), 4) la fuite de l'incertitude, qui équivaut à la peur des membres d'un groupe face à une situation inconnue, et 5) l'orientation à court ou long terme.

Au Mexique, l'inégalité est très forte depuis toujours, et bien que l'on ne puisse plus parler d'esclavage, on remarque encore de nombreuses traces (langagières par exemple) d'une histoire marquée par la servitude. La profonde acceptation du pouvoir en place est sensible, que ce soit à l'école ou en entreprise, par un grand respect de l'autorité même lorsqu'elle est injuste, et l'on remarque une très forte attente de directives (et par conséquent peu d'initiatives personnelles). C'est par ailleurs une culture qui se distingue par son collectivisme aigüe, la vie en communauté est très répandue et contrairement à des pays comme la France ou le Canada, la vie en famille se poursuit jusqu'à très tard. La distinction homme/femme est encore très présente au sein de la société mexicaine. On peut en effet la qualifier de traditionnelle bien que la capitale tend à s'en détacher peu à peu. Les femmes sont présupposées au logis, beaucoup n'ont pas de travail et s'occupent des enfants. Un grand nombre de tâches sont uniquement effectuées par les femmes, de même pour l'homme, et tout changement serait perçu comme complètement anormal (on imagine tout simplement pas un homme s'occuper des galettes de maïs car ce sont les femmes s'en sont chargées pendant des centaines d'années). La peur face à une situation inconnue est assez répandu, on ne prend que peu de risques, on s'expose peu, l'attachement aux traditions et à la famille est sûrement lié d'une certaine manière à ce phénomène. Enfin, l'orientation au Mexique est plutôt vue sur le court terme, caractérisée par la stabilité personnelle, le respect des traditions et de la réciprocité (faveurs, cadeaux, remerciements, etc.), la recherche constante du « sauver la face ».

2.1. Notes sur le multiculturalisme

Le caractère multiculturel du Mexique est au coeur de la question de l'exclusion sociale. Il me revient donc de tenter ici une approche de la question de la diversité culturelle mexicaine.

Premièrement, j'aimerai aborder le thème de la terminologie. Le mot « multiculturalisme » a tellement été employé au Mexique qu'il a pratiquement perdu sa capacité à désigner un corpus analytique et idéologique concret. De manière générale, il fait référence à une posture morale et politiquement favorable au pluralisme culturel et aux modèles d'intégration sociales62(*). Les principes de tolérance et de respect seraient donc à la base du multiculturalisme, propre à une nation qui se veut républicaine. Mais le canadien Charles Taylor, un des premiers à appeler à une « politique de reconnaissance »63(*), nous rappelle toutes les difficultés qu'il peut y avoir à poursuivre une tel objectif dans un pays capitaliste. En effet, la pluralité culturelle s'oppose régulièrement aux intérêts de grandes multinationales qui cherchent, entre autres, à exploiter des territoires occupés par des autochtones.

Par ailleurs, j'utiliserai le terme « autochtone » dans son acceptation la plus commune, c'est-à-dire « originaire du lieu (pays, contrée, région, par affaiblissement ville, village) où il habite et que ses ancêtres ont également habité »64(*). Je pourrai employer le mot « indigène » mais l'éviterai pour cause de la connotation péjorative du « non civilisé ». Cette distinction existe également en Espagnol et peut rendre la chose confuse, car c'est le mot « indio » qui signifie « indien » qui porte la connotation péjorative. Le mot est évidemment hérité de la colonisation espagnole et sera largement employé par les anthropologues durant de nombreuses années. Aujourd'hui, les associations de défense de ces peuples privilégient l'emploi de « indigena » qui signifie « indigène » en Français, terme plus respectueux selon eux, moins chargé du poids de l'oppression coloniale et plus relatif à l'époque où les revendications autochtones ont fortement commencé à se faire entendre. De la part de ces mêmes associations, on retrouvera souvent des appellations du type « peuples originaires » pour signifier de leur présence millénaire et de leur volonté à perdurer.

L'organisation multiculturelle

Durant les quatre dernières décennies, les principales institutions nationales et internationales dédiées à la recherche en sciences sociales ont produit un vaste socle d'information concernant les différents groupes culturels du Mexique. Les peuples autochtones ont été le centre d'attention des spécialistes, universités et groupes de recherche, bien qu'il revienne de mentionner les études existantes sur l'héritage culturel des peuples africains, arabes et asiatiques au Mexique. Indubitablement, ces nombreuses études nous offrent une vision pluriethnique et multiculturelle du pays, qui se caractérise non seulement par la quantité de langues et de groupes socioculturels différents, mais aussi par la mobilité de ces groupes humains, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Par exemple, on estime à un million le nombre de personnes qui, chaque année, sont allées chercher des conditions de vie meilleures aux États-Unis, au Canada et en Alaska.65(*)

La mosaïque de peuples autochtones mexicains forme aujourd'hui la plus grande richesse culturelle du pays. Et y faire allusion c'est reconnaître une vérité que beaucoup de mexicains ont encore du mal à admettre: l'existence d'une nation mexicaine autochtone plurielle. En effet, on compte officiellement dans le pays presque dix millions d'autochtones66(*) (pour 100 millions d'habitants, environ 10% de la population), qui parlent 85 langues différentes67(*), preuve de l'extrême complexité culturelle du pays. La magnitude des groupes autochtones au Mexique est telle que c'est le pays qui occupe la première position en termes de diversité culturelle du continent américain. Néanmoins, ces chiffres varient fortement selon la manière de compter la population. Le recensement général de la population et de l'habitat est en vigueur depuis 1895 et effectué tous les dix ans, c'est une référence mais il a longtemps fait prévaloir la langue comme seul caractère autochtone, en excluant par ailleurs la population de 0 à 5 ans. Depuis les années 90, les enfants de moins de 5 dont le chef de famille est de langue indigène sont pris en considération. Et en 2000, ce n'est plus seulement la langue mais l'auto-assignation d'une personne à un groupe autochtone qui est en question. À partir de cette même année, le Conseil National de la Population (CONAPO) et l'Institut National Indigéniste (INI) ont proposé une nouvelle manière de recenser, prenant plus en compte la notion d'appartenance sous la forme où l'entendent les autochtones. Celle-ci part de l'idée qu'un foyer est considéré comme autochtone si le chef de famille, sa conjointe, ou un de ses parents parle une langue autochtone en plus de ceux qui se disent appartenir à un groupe autochtone, prenant ainsi en compte les familles entières dans toute leur complexité. Grâce à la nouvelle estimation de l'INI, la population autochtone atteint plus de 12 millions de personnes au Mexique, c'est-à-dire deux millions de plus que le chiffre officiel du recensement de la population.

Bien que ces groupes occupaient traditionnellement les zones centre et sud du pays, les déplacements de population dû aux flux migratoires ont fini par les répartir sur tout le territoire national: de la violente frontière nord (Ciudad Juarez, Tijuana) jusqu'au sud ultra-touristique (Cancún). Il est ainsi devenu courant de rencontrer des groupes de presque toutes les ethnies dans des zones aussi diverses que les villes industrielles, les champs agricoles ou les parcs touristiques. Et si la redistribution géographique qu'expérimentent actuellement les peuples autochtones a pu modifier profondément l'aspect sociodémographique du pays, leur situation socio-économique n'a en revanche pas connu d'amélioration notable.

La population autochtone est la plus marginalisée du pays. En accord avec les résultats de la « première enquête nationale sur les discriminations au Mexique »68(*), 209 des 386 villages considérés comme hautement marginalisés sont de population autochtone.

Ces villages sont organisés sous forme de « communauté », terme largement utilisé par les anthropologues69(*) pour définir la structure sociale de base de ces peuples. De fait, le concept de communauté a peu à peu réussi à s'envisager non seulement comme unité spatiale, sociale et culturelle appropriée pour étudier les peuples autochtones, sinon comme l'unité capable de les définir70(*). L'organisation communautaire existait bien avant l'arrivée des espagnols, mais sous leur règne, cette forme sociale s'est converti en noyau de préservation de leur identité et mode de vie. De par la réorganisation social et géographique engendrée par la domination espagnole, les peuples et villages autochtones ont dû s'organiser et se déplacer.71(*) On ne peut donc voir dans la communauté telle qu'elle est aujourd'hui une réminiscence claire du passé préhispanique. Cependant, les communautés autochtones constituent bel et bien des formes d'organisation alternatives à l'intérieur d'un système qui se veut entièrement institutionnalisé, elles sont des sanctuaires d'identités ethniques toujours vivaces dans lesquels elles se déploient et font exister des millions de gens.

La communauté autochtone est composée d'une base biologique et territoriale qui est maintenue dans une relation indissoluble par des instruments que fournie la culture.72(*) Les plus petites unités de cette base sont la famille et la parcelle de terrain que dispose chaque famille, regroupées au sein d'une autre « famille », plus grande, jusqu'à former l'ensemble de la communauté qui garde cette dualité famille/territoire. L'unité ou « noyau familial » est considérée comme fonctionnelle car reposée sur une division du travail quotidien, une coopération économique, une dépendance mutuelle et un partage de principes et croyances religieuses qui le rendent stable et cohérent. La « famille étendue » regroupe plusieurs noyaux composés des membres de la famille mais également les « affiliés » comme les beaux-frères ou les belles-mères, mais aussi parfois des individus comme des orphelins ou invalides sans relation avec la famille. Cette famille étendue possède souvent un aspect cérémoniel tout aussi important que son aspect économique. Le « lignage » est constitué par l'union d'un certain nombre de familles étendues qui partagent des ancêtres communs. Cet union se manifeste par l'utilisation d'un même nom autochtone. Les membres d'un même lignage résident sur un territoire plus ou moins étendu dont ils se considèrent comme strictement « propriétaire » (les guillemets pour marquer la différence avec la notion de propriété, bien souvent privée, qui domine dans nos sociétés) pour l'avoir occupé durant des siècles (les chemins en seraient l'expression concrète).

À mesure que se dilatent et se combinent les groupements sociaux dans la structure de la communauté indigène, les relations de parenté perdent leur caractère proéminent et laisse place à la relation étroite que conserve l'homme avec la terre qui le sustente. Ainsi se forment des « clans » ou « quartier », qui regroupent un nombre variable de lignages, et dont les fonctions principales sont l'organisation politique (sous forme de municipalité), l'organisation religieuse (paroisse), et l'organisation du travail sous une forme coopérative.

Le « pueblo » a pour double signification « peuple » et « village ». Il est l'ultime forme d'organisation autochtone dans laquelle s'intègre la communauté. Il est dénué d'une stratification sociale très marqué, c'est une unité coopérative de production autosuffisante qui constitue également une entité culturelle autonome, disposant de sa propre langue ou dialecte pour se différencier des autres « pueblos ». C'est aussi une entité politique indépendante qui fonctionne sur le modèle de la constitution nationale, avec ses règles et normes qui régulent la vie sociale. Le contrôle social est orchestré grâce aux instruments d'intégration qui administrent les pratiques « magico-religieuses », afin de satisfaire les besoins d'expression collective et d'extériorisation à travers le culte d'un « dieu-saint » local.

La cohésion sociale de la communauté repose sur deux éléments fondamentaux selon Aguirre Beltrán. D'une part, la communauté se dote d'un système de sécurité sociale créé par le lien des familles, la coopération économique et l'assistance mutuelle, constitué grâce aux sentiments collectifs de solidarité, d'honnêteté et de sacrifice pour le bien de la communauté. D'autre part, elle stimule des sentiments antagoniques et une conduite plus ou moins hostile envers les communautés voisines, ceci à travers de l'exaltation du sentiment d'appartenance et le rejet de l'étranger, phénomène connu comme ethnocentrisme qui a donné lieu à de nombreuses rivalités entre communautés, parfois allant jusqu'à des luttes sanglantes et interminables73(*). Ces conflits vont de pairs avec des différences dans le culte religieux, mais sont plus souvent le résultat d'intérêts et machinations politiques locales, pouvant aller jusqu'à la formation de groupes paramilitaires comme l'Armée de Dieu (« Ejercito de Dios ») affilié à l'ancien parti au pouvoir (PRI), qui menace certaines communautés au Chiapas74(*).

Enfin, pour se reproduire et perpétuer ces traits particuliers, la communauté dispose d'un système éducatif qui conduit quasi inexorablement à développer chez le futur membre de la communauté une personnalité particulière, encline à la survie biologique, à la continuité et à la persévérance des formes de vie communautaire.

La plupart des autochtones mexicains cristallise son identité ethnique dans la communauté. Cette dernière est alors considérée comme une communauté humaine avant d'être une localité géographique. Elle porte un nom propre, presque toujours celui d'un saint patron suivi d'un toponyme autochtone.

On parle beaucoup aujourd'hui de sauver les langues et coutumes, l'artisanat et les idées des ethnies indigènes, constitutives d'un patrimoine culturel à préserver, mais il n'est pas souvent accepté que l'organisation communautaire est justement le patrimoine à considérer75(*).Pour terminer sur la communauté et rependre quelques éléments, je citerai la synthèse du penseur autochtone Diáz Gómez:

« N'importe quelle communauté indigène possède les caractéristiques suivantes: 1) un espace territorial, démarqué et défini par la possession ; 2) une histoire commune, qui circule de bouche en bouche et d'une génération à l'autre ; 3) une variante de la langue du « pueblo » a partir de laquelle on identifie notre langue commune ; 4) une organisation qui définit le politique, le culturel, le social, le civil, l'économique et le religieux ; et 5) un système communautaire de procuration et d'administration de la justice. N'importe quel anthropologue sait parfaitement que d'une perspective théorique spécialisée, il s'agit des caractéristiques d'un État-nation dans son acceptation occidentale. Mais nous les autochtones ne sommes pas intéressés par construire des États-nations en termes modernes. (...) C'est-à-dire que l'on ne peut envisager la communauté comme un ensemble de maisons avec des personnes à l'intérieur, sinon comme un ensemble de personnes avec une histoire passée, présente et future, qui ne peut seulement se définir concrètement et physiquement, mais aussi spirituellement en relation avec la Nature entière. »76(*)

La propriété, le travail et l'usufruit de la terre sont les points les plus importants de la vie des peuples autochtones. Leurs revendications sociales se résument souvent à une lutte pour la terre et pour le respect de leurs traditions. À la lumière de la littérature existante, on se rend compte de l'extrême complexité du sujet, de par la concurrence de facteurs historiques (différentes formes de propriété entre l'époque préhispanique, coloniale et indépendante), régionaux (nord, centre-sud et sud-est présentent des particularités significatives), politiques (qui résultent de processus d'aliénation, mais aussi de pactes entre autochtones et institutions gouvernementales ou propriétaires privés), idéologiques (signification de la terre comme espace de reproduction matérielle et culturelle des peuples autochtones), et aussi linguistiques (qui s'expriment dans les formes de dénomination de la propriété autochtone, par exemple « communauté agricole », « terres communales », etc.)

Il existe au Mexique trois types de propriété: publique, privée et sociale. La sociale est celle qui attire particulièrement mon attention car elle est la marque de la pluralité culturelle au Mexique. Elle regroupe deux formes originales de disposer d'un territoire: communautaire et communale. Sans rentrer dans les détails, ces propriétés ont la particularité d'appartenir non pas à une mais à plusieurs personnes. En ce sens, de nombreuses communautés autochtones, mais pas seulement, administrent collectivement leurs terres. C'est une remise en cause totale d'un des fondements de notre société et de notre culture occidentale: la propriété privée. Dans le cas d'un « ejido » comme ils l'appellent au Mexique, une seule personne ne peut décider de vendre un terrain, il faut l'accord de la communauté entière, qui prend généralement sa décision après un conseil réunissant les concernés. Cette forme de propriété est décisive pour comprendre les luttes pour la terre qui ont souvent opposé de grandes entreprises à des communautés, et qui est souvent la marque de l'incompatibilité entre le capitalisme et la diversité culturelle.

On peut faire ici un détour par les évènements qui se sont déroulés à San Salvador Atenco en 2001, lorsque le gouvernement de Vicente Fox a prétendu construire un nouvel aéroport international pour la ville de Mexico dans cette municipalité qui dispose d'un grand nombre de terrains communautaires. L'expropriation de nombreux habitants étaient supposée se faire en échange d'une somme infime pour chaque mètre carré de terrain. Les habitants ont alors commencé un mouvement de résistance civile qui a dégénéré en de violents affrontements avec les forces l'ordre. Malgré la guerre médiatique entamée par le gouvernement pour diaboliser ces paysans équipés de machettes (leur instrument de travail)77(*), l'opinion reste en faveur des habitants, obligeant le gouvernement à renoncer à son projet. Les habitants d'Atenco, soudés par leurs propriétés communes, se sont organisés face à l'oppression pour rester maîtres de leur terrain, allant jusqu'à se déclarer comme communauté autonome sympathisante du mouvement révolutionnaire zapatiste (EZLN). Le mouvement a connu une fin malheureuse en 2006, lorsqu'un cercle de la « police-militaire » s'est formé autour de la ville, résultant de nombreuses arrestations violentes, la violation des droits de l'homme, des viols de femmes détenues, et la mort de deux jeunes personnes (respectivement âgés de 14 et 20 ans). Cet exemple nous montre à quel point une forme d'organisation du territoire, résultant d'une culture plurielle, peut constituer une force civile décisive dans le cadre de revendications sociales. Ce point est d'autant plus important lorsque l'on sait que la plupart des autochtones vivent dans des espaces naturels qui disposent de nombreuses ressources. Ils sont en quelque sorte les gardiens de cette nature, car ils la considèrent véritablement comme vivante, ils lui vouent un culte qui ne permet pas son exploitation en tant que simple marchandise.

Dans la discussion à propos des relations qui doivent s'établir entre l'État et les peuples autochtones, la question de l'autonomie et de la libre détermination a occupé une place privilégiée, à tel point qu'elle s'est convertie en demande centrale des mouvements et organisations indigènes. Ce fait ne peut être occulté car la construction d'un État multiethnique et démocratique dépend justement de l'établissement du dialogue en faveur de régimes autonomes78(*). Cette question, bien que relativement ancienne, a pris une ampleur nationale lors du soulèvement armé autochtone de l'EZLN en 1994, dont une des principales revendications était précisément la libre détermination et la non-reconnaissance du pouvoir en place (car il refusait le dialogue).

Bien que jusqu'à aujourd'hui il n'y ait pas de consensus sur ce que l'on entend par autonomie, on accepte généralement l'idée qu'elle suppose non seulement un transfert d'une série de compétences de l'État vers les régions ethniques, mais aussi l'acceptation de la différence culturelle dans l'organisation de ce même État79(*). Le fait d'unir les concepts d'autonomie et de libre détermination n'est pas fortuit, car l'un ne va pas sans l'autre, référence à la reconnaissance des peuples autochtones comme sujets collectifs de droit public, mais aussi des terres sur lesquelles ils vivent. Ces concepts ne sont, au final, pas autre chose que la capacité à décider des aspects fondamentaux de leur vie sociale, en accord avec leur propre culture et avec les engagements pris avec l'État. La proposition de l'EZLN, incluse dans les accords de San Andrés qui ont suivi les affrontements, était de reconnaître l'autonomie comme garantie constitutionnelle pour les peuples autochtones, avec pour objectif de les doter de droits spécifiques en rapport aux aspects substantifs qui constituent leur raison d'être comme peuple (par exemple les formes d'organisation sociale et politique, le développement de leur culture et tradition, l'accès à ses ressources, etc.)80(*).

La problématique de l'autonomie résume toute l'ambigüité du multiculturalisme, car si d'un côté elle est paraît essentielle au respect total de la diversité culturelle et des traditions, de l'autre côté, elle est appréhendée avec scepticisme par ceux qui y voient une menace pour l'unité nationale et un germe de séparatisme. Il existe par ailleurs un risque de déviance vers un modèle de « réserves indiennes » qui conduiraient les autochtones à une plus forte exclusion de la vie nationale.

Dans de nombreux secteurs du pays, l'opinion veut, conformément aux plans d'aide et d'assistance, que les peuples autochtones, miséreux et marginaux, n'aient pas grand chose à apporter à la nation. On ignore pourtant que, comme le signale le Programme National pour le Développement des Peuples Autochtones 2001-2006:

« au Mexique l'exploitation du pétrole est une des activités économique les plus rentables. On en extrait 70% dans le tropique mexicain. Les site les plus importants correspondent aux états de Campeche, Tabasco et Chiapas, dans des municipalités à forte présence autochtone. La richesse générée à sans aucun doute profité à la nation, mais les communautés autochtones, dans leur majorité, ont vu leurs terres affectées. L'exploitation de minéraux en zones autochtone est importante: dans l'état de Chihuahua, les municipalités autochtones de Guazapares et Urique apporte le dixième de la production nationale en or. La municipalité de Huajicori, dans l'état de Nayarit, apporte 89% de la production de plomb, 97% de cuivre et 68% d'or. Les principales entreprises d'hydroélectricité se sont construites en régions autochtones. »81(*)

Du même rapport, on apprend que ces terrains communautaires occupent 60% de la superficie forestière du pays. Les communautés autochtones fonctionnent en effet comme un garde-fou de la biodiversité mexicaine. Des 127 parcs naturels du pays, 51 se situe en zone fortement peuplée par les autochtones. On comprend ici tout l'enjeu de la diversité culturelle et du respect des communautés, car elles sont un rempart face à l'impact de la globalisation sur l'environnement. Une politique de préservation de l'environnement ne pourrait faire abstraction de l'aspect social lié à celui-ci, en passant notamment par la reconnaissance de ces peuples comme acteurs environnementaux.

Cherchant à améliorer leurs conditions de vie, un nombre important d'organisations autochtones ont développé certaines modalités productives (agriculture bio, prise en charge de réserves naturelles, écotourisme, pêche, etc.), allant parfois jusqu'à s'insérer sur les marchés internationaux, comme c'est le cas pour les producteurs mixes de café de Oaxaca ou les vanilliers de Papantla dans l'état de Veracruz. Ces initiatives marquent un tournant dans les processus de développement, appropriation et adaptation technologique, dans les formes associatives des peuples autochtones, recherchant la mise en valeur des ressources, l'usage adéquat de l'environnement et la croissance économique.

Outre les ressources naturelles, on observe un phénomène qui prend de l'ampleur chaque année et qui reste souvent ignoré des études économiques: l'importance des investissements des mexicains émigrés aux États-Unis ou au Canada. La Banque Interaméricaine du Développement (BID) a informé que lors de l'année 2001, ces exilés mexicains représentaient 40% des investissements étrangers. Une grande partie de ces migrants étant d'origine autochtone, les ressources financières envoyées parviennent parfois à dynamiser l'économie de zones rurales.

En revanche, les ressources dont disposent le moins les peuples autochtones sont l'éducation formelle et la santé. Selon le recensement de l'année 200082(*), 10,9% de la population mexicaine est analphabète, dont 34% sont autochtones. Les plus touchées sont les femmes indigènes, atteignant dans certains états 60% d'analphabétisme. La moitié d'entre elles n'ont pas terminé l'école primaire. En 1995, les populations autochtones dans leur ensemble avaient deux fois plus de retard concernant le passage de l'école primaire à l'école secondaire83(*). Ce retard s'explique par la grande pauvreté de ces populations, et par un système éducatif mal adapté aux communautés. Les inégalités en matière de santé s'expriment surtout à travers le taux de mortalité infantile 40% plus élevé dans les zones rurales et autochtones que dans la capitale. Plus globalement, les communautés autochtones affichent les pires résultats en matière de santé84(*). Elles sont les plus touchées par le SIDA et de nombreuses maladies curables comme la tuberculose, la diarrhée ou la pneumonie. L'absence de docteur dans de nombreuses municipalités, les distances gigantesques qui séparent certaines communautés des villes et l'inefficacité du service public de santé (hôpitaux et assurances) sont au coeur du problème. La médecine traditionnelle, encore largement répandue à travers les communautés indigènes, a prouvé son efficacité grâce à l'usage de nombreuses plantes aux vertus thérapeutiques (reconnues par la science moderne), mais elle reste impuissante face à certaines maladies comme le cancer et le SIDA.

En outre, les communautés sont largement touchées par l'alcoolisme, dégradant fortement l'image des autochtones, qu'on associe souvent à des ivrognes. C'est bien connu et cela remonte à l'époque coloniale, lorsque les espagnols faisaient usage des alcools forts comme le mezcal ou la tequila pour tromper et pervertir les autochtones (la distillation n'existait pas avant l'arrivée des espagnols, on consommait seulement le « pulque », une boisson fermentée a base d'agave, faiblement alcoolisée, encore populaire aujourd'hui mais relativement difficile à trouver, qui a longtemps souffert d'une mauvaise réputation de par son aspect laiteux et son odeur âcre). Dans les communautés autonomes zapatistes, la consommation de drogues et d'alcool est formellement interdite, les habitants se sont organisés de manière radicale pour lutter contre ce fléau qui ronge de nombreuses communautés. Les écrits en langue nahuatl montre d'ailleurs la fermeté qu'employaient les mexicas à l'encontre de l'état d'ébriété, considéré comme cause de « toute discorde et dissension ». Seuls les malades et les personnes âgées étaient autorisé à se « souler », le pulque étaient et est encore connu pour ses effets bénéfiques sur la digestion, en plus d'autres croyances (aphrodisiaque, régénération, réduction du stress, diurétique, etc.).

Multiculturalisme et globalisation

Le multiculturalisme embarque certains aspects qui révèlent toute sa complexité. La violence du contexte globalisant que l'on retrouve dans un pays émergent comme le Mexique (politiques économiques de dérégulation, catastrophe environnementale, corruption, crime organisé) est d'autant plus prégnante sur la problématique de la diversité culturelle, car elle la délaisse et l'instrumentalise à son gré.

La globalisation peut-être vue sous deux angles, celui de l'ouverture nationale exigée par le modèle néolibéral qui désintègre socialement et politiquement le national, et celui de l'intégration régionale par lequel un pays cherche à s'insérer au marché mondial avec compétitivité.85(*) Les règles du jeu global placent le marché, et non l'État, au coeur du principe organisateur de la société, faisant des inégalités un passage obligé à l'avancée de cette même société. La croissance de la pauvreté, qui va de pair avec la croissance de la richesse au Mexique, détériore les mécanismes de cohésion sociale et culturelle. On aurait d'ailleurs tort d'imaginer le Mexique comme un pays « pauvre » alors que l'homme le plus riche du monde est justement mexicain86(*). De plus, on retrouve la détérioration sociale dans un champ important de toute l'Amérique Latine, celui de la production audiovisuelle. Elle n'obéit souvent qu'à des intérêts privés et entraine ainsi un effacement des signes nationaux, notamment à travers les fameuses « telenovelas » qui, se convertissant en un terrain stratégique de la production d'images que se font les pays d'eux-mêmes et avec lesquelles ils se font reconnaître par les autres, se réduit à « une recette rentable de formules narratives et de stéréotypes folkloriques ».87(*) Alors que dans les années populistes (1930-1950), les médias ont contribué à la naissance d'un puissant imaginaire mexicain dont on tire tous nos clichés (le mariachi, le sombrero, le désert et les bandes armées à cheval), ces dernières années les industries culturelles ont voulu s'étendre et passer les frontières, au prix d'une relative désintégration culturelle. Face à un public toujours plus neutre et indifférencié, la production dissout la différence culturelle et l'originalité folklorique, plus rentable et moins chère. Nos relations avec les autres cultures sont ainsi marquées par « le schéma structurel de différence » que propose l'idéologie dominante de l'hémisphère nord, rendant l'opposition Nord-producteur-de-sens et Sud-consommateur-syncrétique plus forte.

Les cultures hybrides

Il n'y a encore pas si longtemps, l'organisation culturelle répondait seulement au modèle de communautés rurales fortement homogénéisées mais isolées les unes des autres. Cette dispersion géographique a connu un retournement brutal avec l'exode rural de la seconde moitié du XXe siècle. De cette migration nait la rencontre des cultures, la « multiculturalidad » en espagnol, la coexistence de groupes ethniques dans les espaces urbains, hétérogène dans la forme de vivre et de penser, et qui laissera place à cette manière de penser qu'est le multiculturalisme. Cette rencontre des cultures mexicaines dépasse notre notion de culture, de nation et de ville ; elle rend flou le concept d'identité et les limites entre les peuples. Un « vivre ensemble » changé et changeant, une expérimentation identitaire et territoriale dont la ville de Mexico est l'exemple le plus criant. C'est dans ces espaces urbains, et non dans la figure de l'État, que se cristallisent aujourd'hui les nouvelles identités faites d'imaginaires nationaux, de traditions locales et de flux d'informations transnationaux, et où se construisent de nouveaux modes de représentation et participation politique, c'est-à-dire de nouvelles formes de vivre sa citoyenneté.88(*)

On imagine alors toute la complexité qu'il peut y avoir à prendre en compte le phénomène multiculturel dans un travail en science sociale. On est confronté à des objets d'études nomades dont les contours sont flous. Car voir l'exclusion sociale c'est voir la différence et se heurter à la complexité des mécanismes que mettent en oeuvre les « différents » dans leur lutte contre l'universalité. La tâche est ardue et mérite pourtant que l'on s'y attarde. Elle nous ouvre les portes de l'expansion des industries culturelles, de la conformation d'un marché culturel dont les sources ne sont pas communautaires mais industrielles, c'est-à-dire qu'elles substituent les formes traditionnelles de vie à des styles de vie conforme à la publicité et à la consommation. Le monde symbolique est internationalisé, le peuple est quant à lui segmenté en publics-cibles sur un marché.

L'autonomie culturelle se produit lorsque l'État ne peut plus mobiliser et ordonner le champs culturel, il se contente alors de limiter et réguler dans une certaine mesure, assurant la liberté des acteurs et l'opportunité d'accès à tous, et laisse au marché le rôle de catalyseur. L'autonomie se produit également lorsque les expériences culturelles ne correspondent plus au répertoire des groupes sociaux présents. La modernité culturelle rend de nombreux groupes prisonniers de modèles qui ne sont pas les leurs et auxquels ils doivent se « disloquer » socialement pour s'y adapter. L'apparition de « cultures hybrides »89(*) résulte d'un ordre symbolique nouveau, celui du marché globalisé, où s'entassent et se bousculent les cultures dans la cacophonie, se donnant en spectacle aux médias de masse.

Les médias de masse tendent à nous faire croire que notre modèle économique est le seul et unique possible, laissant voir le jour à une « culture globale », face à laquelle on ne doit pourtant pas laisser s'effacer les cultures qui survivent et coexistent, et dont le « multiculturalisme » tente de se porter garant. C'est trouver le compromis entre une dynamique économique mondialisée doté d'une société homogène et la volonté croissante de beaucoup de peuples de maintenir leur identité propre (comme c'est le cas en Espagne par exemple). Le multiculturalisme peut alors se poser comme alternative à la ligne unique de « progrès » technologique pour l'humanité90(*). On peut y voir une recherche d'harmonie culturelle comme but à atteindre plutôt qu'une lutte constante pour plus de technologie, plus de pouvoir. Cette utopie « multiculturaliste » s'oppose à la rationalité unique des êtres humains, elle est non-absolue et non-universelle. L'adoption d'une position relativiste à travers mon travail est aussi une manière de voir la globalisation comme porteuse de valeurs qui se veulent justement absolues et universelles, et ainsi de lui résister intellectuellement.

« C'est la position relativiste que sustente un certain type de multiculturalisme, à savoir, une conception selon laquelle la compréhension et le jugement des actions et des croyances des membres de chaque culture doit se faire pour référence les critères acceptables seulement par les membres de cette culture »91(*)

En revanche, il ne faut pas voir dans cette position une espèce d'intégrisme culturel. Au contraire, l'idée est que l'interaction et la communication entre cultures est possible sans forcément générer une lutte de pouvoir. Je me servirai néanmoins de cette « manière de voir les choses », cette idée, pour examiner les luttes réelles qui ont eu lieu et qui sont encore d'actualité. Le Mexique est traversé par la confrontation entre l'idéal alimenté par les groupes dominants vers lequel devraient converger les autres, et la position qui penche pour la reconnaissance d'une diversité culturelle (qui existe de fait) et qui va dans le sens de la préservation et l'avancée de cette diversité, au lieu d'une assimilation au modèle occidental moderne.

En aucun cas, en dépit de ce que l'on vient de voir, les occidentaux ont réussi à éliminer les cultures autochtones du Mexique, de même que dans toute l'Amérique Latine (pour contraster avec ce qu'il reste des autochtones aux États-Unis par exemple). Il voir le processus de l'autre coté, celui des protestations sociales, et l'ardeur avec laquelle les peuples se sont accrochés à leurs traditions. Le capitalisme, à travers le travail à la chaîne, allait briser une forme antique du travail, mais également une manière de vivre qui y était associée. C'est justement cette confrontation qui allait donner naissance aux premiers mouvements de protestations, qui se sont vus mélanger des formes de lutte aux cultures populaires, démontrant la présence toujours vivace des traditions comme rempart au capitalisme. La culture populaire, menacée par la modernité, devient alors encore plus traditionnelle et rebelle, et c'est ce qui fait sa force. Comme le disent fièrement certains mixtèques de la région de Oaxaca: « Nous avons résisté 8000 ans car nous sommes la montagne-même », phrase-symbole de la résistance à l'envahisseur mexica, espagnol, puis métis. On comprend mieux toute l'absurdité que trouvent ces peuples à fêter le bicentenaire de l'indépendance mexicaine, quand on pense que la lutte pour la terre n'a peut-être jamais été aussi rude que maintenant.

2.2. Discrimination, racisme et idéologie dominante dans un système global

La mise en relation, le contact avec une autre personne, est un processus compliqué qui ne cesse de préoccuper les sciences sociales, car déterminant dans l'histoire des peuples et dans notre actualité si « internationalisante ». Qu'est-ce qui nous pousse à adopter tel ou tel comportement face à autrui? Une question que l'on ne peut envisager dans une seule dimension. Pour rendre compte des différences qu'il existe dans la réalité du rapport à l'autre, Todorov92(*) distingue premièrement un axe axiologique qui est le jugement de valeur sur l'autre: je l'apprécie ou non, j'y suis supérieur ou non. Deuxièmement, vient un axe plus pratique d'éloignement ou de rapprochement de cet autre: adoption de valeurs, identification, soumission à lui ou de lui. Et troisièmement, il y aurait un axe concernant la connaissance ou l'ignorance de cet autre. Utilisant ces trois axes, l'auteur refait une passionnante histoire de la conquête de l'Amérique et de ses principaux acteurs sous l'angle du rapport à l'autre. L'exemple est intéressant car il est l'un des plus grands chocs culturels de l'histoire de l'humanité et nous permet de faire un bond jusqu'à la relation actuelle aux peuples autochtones et étrangers du Mexique.

Les racismes latino-américains d'aujourd'hui sont des systèmes de domination ethnique et raciale dont les racines se retrouvent justement dans cette conquête des Amériques, autrement dit dans le colonialisme européen, qui a légitimée l'exploitation massive des peuples indigènes et l'esclavagisme de populations africaines (pour chaque espagnol qui débarquait, on comptait environ dix esclaves noirs). On peut positionner le discours dominant au Mexique sur le schéma de Todorov en ces termes-là: j'apprécie formellement les peuples autochtones mais je leur suis implicitement supérieur, je m'approche publiquement d'eux pour qu'ils adoptent mes valeurs mais je les éloignent subtilement du pouvoir, je cherche à les connaitre suffisamment pour les contrôler mais j'ignore réellement ce qu'ils pensent et ce qu'ils sont.

Je verrai plus en avant comment se matérialise ce discours dans les faits, mais j'entamerai d'abord mon propos par quelques généralités sur le thème du racisme.

Un racisme que l'on partage

Le racisme que l'on observe au Mexique, et plus globalement en Amérique Latine, possède de nombreuses caractéristiques en commun avec celui que l'on observe en Europe, notamment car il est « pratiqué » par ces mêmes européens, ou leurs descendants, et qu'ils partage une même idéologie sur les non-européens.

En Europe, le racisme a l'habitude de se diriger vers les peuples « étrangers » et « différents », alors qu'en Amérique Latine ce sont les étrangers eux-mêmes, immigrants, qui discriminent les peuples autochtones. Dû aux nombreux mélanges ethniques, les structures de domination ne se limitent pas à une dualité blancs et non-blancs. Il existe tout un panel de mélanges qui ont, au cours de l'histoire, été classés comme plus ou moins acceptables, pour attribuer un rang plus ou moins important aux individus selon le mélange dont ils sont issus.

Parmi tous les préjugés, racismes et discriminations qui existent en Amérique Latine, on observe une ligne directrice sur tout le continent: la population de plus grande apparence européenne discrimine à la population de moindre apparence européenne.93(*) Tous les postes importants et a gros revenus sont occupés par des individus à la peau claire ; la tranche de la population la plus pauvre, bien souvent celle qui travaille la terre ou qui mendie, est celle qui a la peau la plus foncée.

En dépit d'une promotion officielle du métissage dans certains pays comme le Mexique, et, dans un contexte plus international, de la fierté d'une certaine culture « latino », l'idéologie raciste euro-américaine a tendance à associer le fait d'être blanc à des valeurs plus positives comme l'intelligence, l'éducation, la beauté, l'honnêteté. À l'inverse, une peau mate serait plus associée à la paresse, l'irresponsabilité, la délinquance, etc.

Dans ce contexte, la réussite économique et sociale d'une personne de moindre aspect européen est perçue comme la preuve de la possible mobilité sociale, sous couvert du « quand on veut, on peut » hérité du capitalisme américain, légitimant le discours qui veut que les autochtones ont toujours vécu dans la misère parce qu'ils ne veulent pas vraiment s'en sortir. Les politiques, pensant de la sorte, ne laissent alors que peu de place à l'initiative sociale pour permettre aux plus démunis de vivre dans de meilleurs conditions, préférant une posture plus paternaliste. Ce système discriminatoire se combine structurellement avec le sexisme et la domination masculine. Toutes les positions importantes sont occupées par des hommes, et dans une société qui conserve de nombreux traits traditionnels, la femme est encore largement écartée des prises de décision.

La réalité économique d'Amérique Latine est la base de nombreuses formes de discrimination comme la subordination, l'exclusion ou la marginalisation, qui dérivent vers une distribution inégale des ressources du pouvoir matériel comme du pouvoir symbolique.

Là où il y a racisme et discrimination, il est commun de voir surgir des mouvements antiracistes, et l'Amérique Latine ne fait pas exception. Les victimes de discrimination adopte une position active et s'organise pour échapper ou résister aux formes de domination. Dans l'actualité, autant les groupes autochtones qu'afro-américains se regroupent en association pour lutter contre le racisme et consolider leur propre identité94(*). De même, dans les élites blanches, on peut observer des organisations qui luttent activement contre le racisme et qui sont, parfois, celles qui permettent aux autres organisations d'exister financièrement. Ainsi, dans certains pays, et c'est le cas du Mexique, des changements aux niveaux législatif et constitutionnel ont été possibles. Bien que, dans les faits, ces avancés soient lentes ou non appliquées, il faut reconnaitre un changement dans les attitudes qui rend le racisme moins évident, plus subtil, donc plus difficile à combattre, comme c'est le cas en France.

Il existe cependant de nombreuses particularités qui distinguent les pays d'Amérique Latine et les régions à l'intérieur de ces mêmes pays, où interviennent des facteurs historiques, économiques et culturels. Au Mexique, on distinguera entre autres l'état de Chiapas qui a connu le soulèvement armé de l'EZLN en 199495(*), qui fait figure de symbole de la résistance parmi les peuples autochtones et leurs défenseurs.

Un racisme qui s'acquiert

Ici, ma thèse est que le racisme n'est pas un mécanisme inné qui surgit spontanément d'on ne sait où. Bien au contraire, le racisme s'apprend, et surtout, il s'enseigne. La société nécessite des catégories sociales différenciées, et pour cela, il lui faut un système de légitimation. Les médias et discours politiques sont les sources principales de communication discriminante et de reproduction du racisme. Cependant, il nous faut garder à l'esprit que le « discours » en tant que tel n'est pas la seule manifestation quotidienne de la discrimination, mais qu'il sera pour moi, étudiant en communication et citoyen de « l'ère médiatique », le point de départ à la mise en évidence concrète de l'exclusion sociale comme phénomène plus global.

Avant tout, la discrimination au Mexique se matérialise par un manque de ressources élémentaire à certaines populations, par la pauvreté ; et le discours dominant n'a pas l'air, à première vue, d'un discours raciste. C'est dans ses interstices, ses recoins sombres, derrière la face claire et souriante de ce discours que l'on trouvera matière à le discuter. Il est d'autant plus intéressant qu'il est constitutif du phénomène d'exclusion sociale, car il le légitime, non pas en disant « exclure c'est bien », mais en disant justement le contraire. En cela il forme un objet d'analyse formidable pour voir non seulement comment le racisme se manifeste discursivement au quotidien, mais surtout pour comprendre les mécanismes idéologiques de son exercice et de sa reproduction.

Un racisme méconnu

La prédominante négation du racisme en Amérique Latine est à mettre en relation avec le peu d'études sur le sujet.96(*) En effet, outre des thèses par-ci par-là, il est relativement difficile d'obtenir de la littérature scientifique, ce qui est intriguant au regard de l'ampleur de la discrimination. Ce qui est d'autant plus étrange, c'est que dans une partie du monde ou l'étude du langage et des discours est très répandue, on ne trouve que difficilement un traitement des formes communicationnelles du racisme et des discriminations. Ainsi parmi les principales sources d'information, on retrouvera surtout les associations de lutte pour les droits des peuples autochtones et les médias alternatifs. Cela montre encore une fois à quel point ce phénomène est ancré dans les schémas de pensée, on l'accepte car il a toujours été là, et ce n'est que lorsqu'il dépasse les limites que l'on s'indigne et que l'on agit.

Les études anthropologiques sur les communautés indigènes du Mexique sont nombreuses à nous apprendre tout sur leur art, littérature ou langage ; elles abondent dans de nombreuses langues, sauf bien sûr dans les langues des concernés, preuve encore de leur marginalité. Bien que certaines études sociologiques se focalisent justement sur cette marginalité et ses répercussions sociales au sein des communautés, il me semble d'une importance primordiale de jeter un oeil plus approfondi sur les discours qui maintiennent d'une certaine manière cette situation. En ce sens, mon travail est donc plus consacré à la production de discours discriminant de la part de l'élite communicationnelle qu'aux populations victimes d'exclusion sociale.

Un racisme du politique

Avant de m'engager dans l'analyse plus profonde du discours publicitaire, j'aimerais faire un détour par le discours politique. Comme en Europe, ce discours tend à être officiel et public au Mexique. Cependant, par peur de perdre des votes, mais aussi de par l'idéologie propre à la démocratie et la retenue qui incombe aux hommes politiques, ce discours officiel cache souvent une vérité toute autre. Le mépris est d'usage et finement employé au Mexique. Publiquement, on observe donc une attitude respectueuse à l'égard des peuples autochtones, qui sont d'ailleurs largement mis en avant pour attester de la richesse culturelle du pays. Ils sont tellement aimé lorsqu'il s'agit de faire un musée à la gloire de l'indépendance que l'on monte une exposition grandiose sur la plus grande place de la capitale, juste au dessous de l'immense drapeau national, alors que des membres de ces mêmes communautés mendient au même moment à la station de étro la plus proche.

Il y a eu au Mexique trois grands moments de débat parlementaire au sujet des peuples autochtones, la création du DECRI en 1921, le DAI en 1935 et le INI en 1948.97(*) Mais chacun de ces évènements dans la prise de décision politique s'est passé de la présence des concernés. L'objectif de ces discussions étant « d'améliorer » la situation des peuples autochtones en favorisant l'intégration à la société. Plus simplement, cela signifiait rendre ces peuples un peu moins autochtones, et un peu plus civilisés, car les deux ne sont pas compatibles. Le préjugé concernant le soi-disant « retard » des autochtones prime et reste vivace de nos jours. En dépit de la constante existence d'appels à « l'aide des pauvres indiens », la réalité est qu'on leur a à peine octroyé de manière significative une ressource comme la terre ou le pouvoir politique98(*). Pour cette raison, le 1er janvier 1994, les zapatistes (EZLN) se sont soulevés au Chiapas contre l'Etat mexicain.

La question de la participation des autochtones à la vie politique et plus particulièrement à la prise de décision se retrouve tout au long de l'histoire du Mexique indépendant. La détermination du paysan révolutionnaire Zapata au début du XXe siècle avait suscité l'indignation des parlementaires qui y voyait une espèce de folie indigène ; tout comme la longue marche pacifique de l'EZLN vers la capitale 80 ans plus tard, largement suivie par la population, n'avait pas réussi à faire entrer ces autochtones au Parlement. À ce moment précis, en 2001, il est intéressant de voir comment le parti politique au pouvoir utilise une rhétorique pro-autochtone pour justifier de la non-négociation avec les « rebelles hors-la-loi » zapatistes.99(*) Cette rhétorique se caractérise par la réappropriation des problématiques identitaires des autochtones sous couvert du partage de valeurs républicaines et de légalité.

La notion de la « légalité » a été au centre du débat avec l'EZLN, car selon la loi il n'est pas permis de recevoir des intervenants extérieurs au Parlement. De la sorte, le gouvernement se disait prêt à recevoir dans la légalité le membre de l'EZLN, ce qui signifiait ne pas les laisser entre au Parlement et nier leur pouvoir politique symbolique, alors même qu'il était fréquent d'accueillir « en toute illégalité » des chefs d'Etats à ce même Parlement pour qu'ils s'expriment devant les députés. On voit encore une fois que le fait de nier la voix de l'EZLN n'est pas explicite, le gouvernement se cache derrière un semblant de légalité pour prouver sa soi-disant bonne foi démocratique.

On observe ici clairement toute l'ambigüité et le cynisme du discours politique qui prédomine au Mexique. D'un côté, la reconnaissance formelle des droits, de la culture et des aspirations des peuples autochtones. De l'autre, un maintien pratique de ces populations en marge du pouvoir politique et de la vie en société. Un abime sépare les beaux discours officiels parlementaires des conditions de vie des autochtones. Changer ces conditions entrainerait une rupture des relations de pouvoir et une reconnaissance du rôle du gouvernement. Il y a une tendance générale des pouvoirs publics à voir dans l'état misérable dans lequel se trouve les peuples indigènes un phénomène naturel qui a toujours existé, sans que le gouvernement n'y soit pour quoi que ce soit. Cette auto-déresponsabilisation entre dans un exercice discursif du type « ce n'est pas notre faute », accompagné du stéréotype de l'autochtone qui a toujours vécu dans la misère.

Un racisme de longue date

Pour terminer en nuançant mon propos, je reviendrai sur les écrits de langue nahuatl collectés par León-Portilla100(*). Comme je l'ai dit au début de ce chapitre, le racisme d'aujourd'hui trouve ses formes modernes dans la conquête de l'Amérique. Mais le racisme en tant que mécanisme engagé par le groupe dominant pour légitimer sa domination est bien plus ancien qui ne parait. Il ne faudrait pas voir dans la « conquista » un phénomène d'un nouveau genre. Dans son texte « Images des autres en Mésoamérique avant la rencontre », León-Portilla met en lumière la manière dont le peuple dominant (Mexica) voyait ses voisins. On peut ainsi lire que les otomies sont « imbéciles » et « paresseux » et les huaxtèques des « ivrognes ». Des préjugés du peuple dominant sur le peuple dominé qui lui donnent une bonne raison d'exercer son pouvoir. C'est ici la différence qui prime, car ces voisins forment déjà une autre culture, parle une langue complètement différente. On les voit donc différents et étranges. L'autre est vu comme le barbare, celui que l'on ne comprend pas, celui qui n'est pas civilisé. Du préjugé à la discrimination il n'y a qu'un pas, car la discrimination est toujours fondée sur la base d'un préjugé. C'est un leitmotiv que l'on retrouve chez grands peuples qui ont dominé l'Europe.

Un racisme double

Dans un pays aussi culturellement diversifié que le Mexique, on peut comprendre la tendance dominante à vouloir unifier les peuples sous une même bannière, quitte à leur faire perdre leurs traditions et bien que ce soit à l'encontre de certaines valeurs démocratiques. On peut observer un phénomène similaire lors de la Révolution française avec l'idée du Jacobinisme et l'abolition des langues régionales pour créer une nation souveraine et indivisible. La référence est intéressante en cela que le modèle politique mexicain est largement inspiré par la constitution française.

On pourrait pousser l'idée encore plus loin en voyant dans le modèle français une sorte de référence absolue à l'origine du conflit social mexicain. Le monde rural n'est plus accepté par la nation car différent et contre le progrès. Mais cette nation, d'inspiration républicaine, ne peut convertir les peuples autochtones par la force. Elle les isole donc, et les stigmatise. D'un autre coté, ces peuples sont la richesse culturelle du pays, ils en sont la mémoire et les descendants, mais non les héritiers. On les affiche en grand et en couleurs alors qu'ils vivent en bas et dans la boue. Voilà toute la contradiction, ils sont aimés et détestés en même temps. Une situation inextricable régie par la « double contrainte », envisagée « non dans les termes d'un « bourreau » et de sa victime mais en termes de personnes prises dans un système permanent qui produit des définitions conflictuelles de la relation ».101(*) Le conflit est complexe et ne peut donc se résumer à une simple lutte de pouvoir unidimensionnelle où le dominant exerce sa force sur le dominé. Les peuples autochtones, malgré les nombreuses revendications et critiques du pouvoir, n'ont jamais cherché l'indépendance, il se sentent mexicains plus que n'importe qui. Au paroxysme des revendications du l'EZLN, c'est la réfutation du gouvernement délinquant qui faisait discours, et la fondation des communautés autonomes en sont l'oeuvre pratique. Mais c'est ici un conflit identitaire qui est jeu, une quête de reconnaissance similaire à celle de l'enfant auprès de ces parents, non une séparation formelle. La « double contrainte » de Bateson qui se conjugue parfois à la « double absence » d'Abdelmayek Sayad102(*), car la pression est parfois si forte sur les groupes autochtones qu'elle les oblige à se déplacer, espérant rencontrer de meilleurs conditions de vie ailleurs, au États-Unis par exemple, où l'on connait bien les problèmes de racisme. Ils seront stigmatisés car vu comme étrangers, et au même moment accusés de trahison pour avoir fuit la communauté, entrainant une paupérisation à laquelle participe le discours publicitaire par son univers tronqué.

PARTIE II : Un discours publicitaire vecteur d'exclusion sociale

La publicité, comme le commerce d'art:

« appartient à la classe des pratiques où survit la logique de l'économie précapitaliste et qui, fonctionnant comme des dénégations pratiques, ne peuvent faire ce qu'elles font qu'en faisant comme si elles ne le faisaient pas »103(*).

En ce sens la publicité occulte tout un pan de ce qui la constitue comme telle, pour se laisser voir comme lisse et diaphane. Elle est néanmoins beaucoup plus compliquée à partir du moment où elle fait partie de la famille des actes de communication. C'est-à-dire qu'elle dépend de la régulation des normes dictées par l'instance sociale qui la produit. De ce fait, la publicité ne produit pas l'imaginaire socio-discursif du groupe social, mais en est le reflet, ou plutôt la « caisse de résonance »104(*), dont l'instance sociale décide de la « diciblité ». La publicité s'immisce dans les prétendues pauses médiatiques et offre un recyclage idéologique équipé d'un packaging stylisé. Elle est « l'enveloppe bavarde des médias »105(*), popularisée, imprécise et figurée, qui séduit sous couvert d'informer. Elle fait du quotidien un rêve dont sont exclus tous ceux qui pourrait en ternir l'image. Elle fait l'éloge de la blancheur et de la jeunesse, du sourire et de la consommation. Elle est l'anti-encyclopédie.

Celui qui produit la publicité, être social bien particulier aux intérêts propres à son champs, met en oeuvre des « stratégies de discours » par « l'activation de contenus sémantiques et interdiscursifs tout à fait précis (univers, valeurs, représentations supposées partagées) »106(*). Cette dynamique de contenus s'insère dans un flux discursif concurrentiel où seule une poignée de voix se fait entendre. L'exclusion sociale dans la publicité est alors avant tout substantielle, elle appartient à la publicité dans son ensemble, elle en fait partie intimement. Car la publicité est le discours dominant, elle le conduit à sa guise sans même en être entièrement consciente, et reproduit ainsi un processus d'exclusion préexistant. La publicité n'est pas l'auteure de la discrimination, mais le vecteur.

La publicité ne s'adresse pas seulement à un consommateur de supermarché sinon à un sujet-interprétant. Ce dernier ne voit pas l'annonceur en tant que tel, c'est-à-dire comme entreprise aux intérêts économiques propres, mais plutôt comme « le narrateur d'une histoire ou la figure anonyme d'un sujet montrant »107(*). On déguise ainsi un discours spécifique en récit qui appelle l'imaginaire et l'identification du public (et non sa critique ou son opinion). Un masque publicitaire qui exclue, car d'un discours idéologiquement orienté aux personnages identifiés on fait un récit qui se veut universel.

« l'énonciateur-publicitaire multiplie les syntagmes figés, pseudo-proverbes, pseudo-syllogismes, pseudo-postulats qui font l'ellipse sur la plupart des moments argumentatifs intermédiaires qui sont à reconstruire par le destinataire. Ces configurations délocutives y adoptent l'apparence de simulacres d'assertions véridictoires qui contribuent à naturaliser («doxaliser») la parole publicitaire. »108(*)

L'enjeu ici sera d'entrer dans le discours télévisuel publicitaire, d'en décortiquer un fragment pour en dessiner les traits inégalitaires. L'institution publicitaire exclue, et son discours télévisuel sera mon champ d'investigation.

J'entamerai mon propos par une approche des spécificités du couple télévision-publicité, comment ces deux concepts se rejoignent et se différencient, et en quoi ils forment un instrument idéologique redoutable. Ensuite, j'expliquerai comment travailler ce fragment publicitaire de la télévision, quels seront mes outils et les éventuelles limites de mon approche.

1. Télévision et publicité

Dotée de moyens exceptionnels, la publicité a converti la télévision en un terrain d'expérimentations commerciales et idéologiques. En l'espace d'un demi-siècle, elle a peu à peu atteint le position dominante en termes de discours télévisuel. Son esthétique particulière est devenue une référence et performance artistique dont certains sont très friands (comme nous le montre la désormais célèbre et tendance « nuit des publivores», une occasion pour nous de « goûter pendant 6 heures aux ambiances russes, asiatiques, africaines, sud-américaines, de découvrir des spots Mongols, Irakiens, ou même en Indien Guarani ! »109(*)).

Ce sont justement les contraintes du genre télévisuel qui ont forgé tout le style de la publicité à la télévision et qui la rendent reconnaissable. Un spot se doit d'être court, « informatif », convaincant et éventuellement émouvant/drôle. Ce style a connu un tel succès qu'il a permis à la publicité de se payer le luxe de créer de vrais « patterns » de langage sur lesquels les gens pouvaient ensuite discuter ou plaisanter (« T'as craché dans ton Yop » ou « Tu pousses le bouchon un peu loin Maurice! »). Si le décodage du message publicitaire est volontairement facilité, ce n'est pas en raison de l'innocence du spectateur, mais plutôt pour qu'il saisisse plus facilement et se sente à l'aise avec le média, comme s'il le dominait et le connaissait. La publicité recherche plus la connivence avec le spectateur que son allégeance.

Umberto Eco a réussi à résumer d'une très belle manière ce que nous dit concrètement la publicité: « Je suis là, je suis moi et je suis toi »110(*). Elle suscite l'attention du spectateur, elle cherche à interagir avec lui, elle ne le laisse pas être passif. Elle dépasse ainsi la seule volonté de montrer et informer pour faire acheter, mais elle ne l'avoue pas formellement pour ne pas effrayer le spectateur. Elle est passée de la simple réclame au spectacle professionnel à l'imaginaire puissant.

Elle s'est immunisée des critiques en créant une certaine complicité avec le téléspectateur. Lorsque celui-ci est devenu plus conscient des réalités médiatiques, de la douce tricherie publicitaire, des produits et des personnages plus esthétiques que réels, la publicité a commencé à jouer sur ces aspects. Elle s'est faite ironique et exagérante, usant de « l'autodérision consentie »111(*) avec le spectateur. Elle emploie ainsi une arme redoutable, l'humour, grâce auquel on peut (presque) tout justifier. Un message commercial passe beaucoup mieux s'il est drôle, car rire ne fait de mal à personne, « par le rire on baisse sa garde, on accepte plus facilement ». Que peut-on reprocher à quelqu'un qui nous fait rire, même s'il cherche à nous vendre quelque chose? La publicité a ainsi réussi à se mettre à l'abri des attaques, se voulant légère et bon enfant, inoffensive.

Toutefois, comme nous l'avons vu, elle conserve un pouvoir trop important au Mexique pour être considérée de la sorte. Mais c'est surtout par sa conjugaison à la télévision qu'elle créé une forme discursive ultra perfectionnée, « une réalité partagée recréée »112(*) qui se révèle parfois plus intense que la réalité personnelle vécue au quotidien. La transposition à l'écran la rend non seulement témoin ultra subjectif du réel, mais surtout catalyseur discursif d'une soi-disant vérité quotidienne.

1.1. La télévision-publicité, un couple conceptuel

La télévision occupe une place hégémonique dans la création de l'univers visuel qui nous entoure, dans les représentations que nous avons du monde et de nous-mêmes. Elle est, comme nous l'avons vu, une source d'information majeure pour beaucoup de gens au Mexique. La manière dont elle se lie à la publicité est tout à fait spécifique et mérite une attention particulière pour mieux comprendre comment se fige le discours publicitaire en son sein.

Les caractéristiques essentielles de la télévision (coexistence d'image et de son) servent un message multiple et abondamment répété au quotidien, dont la publicité constitue le plus pur exemple. Les critiques s'attaquent fortement à cette abondance de messages en mettant en avant l'altération des habitudes de perception qu'elle entraine113(*). La perte de sens, de valeurs, et la culture mosaïque engendrée par l'insurrection des « mass media », sont ce qui effrayait ces critiques qui croyaient en l'idée d'une masse de spectateurs passive incapable de décider librement.114(*)

Par ailleurs, il ne semblerait pas exagéré de considérer la télévision comme un média essentiellement publicitaire. L'annonce commerciale est en effet un phénomène central qui tend à s'infiltrer dans les marges de tous les espaces télévisuels (elle annonce à travers les produits utilisés par les acteurs dans les films, le sponsoring des jeux télévisés, des matchs de foot, etc.), jusqu'à s'introduire dans d'autres modes d'expression (du langage cinématographique jusqu'à la grande littérature française115(*)) qui reprennent des techniques publicitaires (phrases courtes, formulations efficaces). La publicité télévisuelle forme un genre à elle seule, disposant de ses propres codes et normes de langage, tendant à déteindre sur d'autres contenus.

Si l'on peut considérer la publicité télévisuelle comme un genre discursif, la télévision seule, au contraire, ne peut jouir du même statut. Pour reprendre la formule de Eco, la télévision est un « service »116(*), c'est-à-dire un média technique de communication a travers lequel s'expriment différents genres à des publics distincts, marquant une différence relative entre publicité et télévision. Quoiqu'il en soit, la télévision, d'une manière ou d'une autre, cherche souvent à nous vendre quelque chose, que ce soit par le biais du télé-achat, des SMS à envoyer pour gagner des cadeaux, ou des spots des séries « à ne pas manquer » en soirée. Plus globalement, à travers les idéologies, valeurs et modèles de comportement présents dans chaque programme, la télévision nous pousse à reproduire et maintenir le système économique, social et culturel au sein duquel elle s'est elle-même construite.117(*) De plus, si l'on suit Moles, la publicité est:

« un système de communication par diffusion qui fait usage de tous les canaux des médias de masse et qui emploie un ensemble de techniques de la psychologie et de la sociologie en vue d'un objectif utilitaire (généralement la vente), contribuant à l'accélération du circuit économique production-consommation »118(*)

Cette définition nous incite alors à voir de la publicité dans tous les fragments télévisuels. La télévision est littéralement envahie par la pratique de ces techniques à but commercial, du matin au soir, des programmes pour enfant à ceux pour adultes, jamais le processus publicitaire ne s'interrompt réellement.

Pourtant, pour des raisons d'usage, je me focaliserai dans mon travail sur la publicité qui se reconnaît comme telle, c'est-à-dire comme annonce ou coupure commerciale entre plusieurs programmes ou a l'intérieur d'un seul. Martine Joly nous rappelle d'ailleurs que « la télévision est un médium, la publicité est un contenu »119(*), et un contenu particulier qui, à force d'être répété, tend certes à effacer certaines limites avec d'autres contenus ou avec le médium lui-même, mais qui nous engage donc à redoubler d'effort pour garder cette distinction à l'esprit. Il me semblait néanmoins pertinent de rappeler que la publicité télévisuelle ne se résume pas seulement à ces coupures, mais que c'est un phénomène bel et bien global, envahissant souvent très discrètement le paysage audiovisuel.120(*)

La télévision possède une caractéristique propre et significative: la redondance. Par cela elle se renforce face au réel, use de la répétition comme outil de consolidation et d'expansion121(*). À la différence d'un message que l'on entend une fois, qui nécessite de l'écoute et de la concentration, la redondance télévisuelle ininterrompue permet une baisse d'attention qui a fortement joué sur l'idée de passivité du téléspectateur. La publicité en est l'exemple le plus parlant, vu que l'on assiste à un véritable matraquage des spots télévisuels. On ne songerait pas à prêter une attention poussée à une annonce que l'on est sûr de revoir de nombreuses fois dans les heures, jours et semaines qui suivent. C'est également en cela que la publicité est un objet d'étude tout à fait intéressant, elle est tellement présente et redondante qu'on a l'impression que personne ne la regarde attentivement, que l'on zappe sans vraiment y jeter un regard attentif. Mais elle est pourtant bel et bien là, prolixe et redoublant d'effort pour se renouveler.

Cet aspect redondant de la télévision-publicité s'inscrit cependant dans un processus bien plus large qui est celui de la production en série, de l'habitude de voir et d'être confronté aux mêmes choses qui s'est peu à peu développée dans les sociétés contemporaines. De là on peut supposer l'origine de la course effrénée à la nouveauté du champ médiatique. Une course pour oublier la constante et pesante répétition inhérente à la production industrielle de pratiquement tous nos biens de consommation.

Lorsque l'on parle de la publicité, celle qui se reconnaît comme telle, il faut souligner le rapport qu'il existe entre elle et le programme qui l'entoure. Autrement dit, on ne voit pas de publicité de jouet pour enfant à 23h après un film à suspense. Ainsi, d'une certaine manière, la publicité contextualise les fragments télévisuels par une systématique interruption, profitant de cet brèche à l'intérieur d'un programme pour annoncer des produits plus ou moins en rapport avec celui-ci et avec le public qui le regarde. Ce sont des mises en avant idéologiques qui se croisent, s'entrecoupent et se superposent à travers des intervalles télévisuels dont la forme suit un schéma binaire (programme/publicité).

Il me faut à présent détacher le couple télévision/publicité de celui qui unie la publicité aux médias à images fixes. Premièrement, la télévision seule est un média que l'on pourrait qualifier de physiquement actif: une fois allumée, la lumière dégagée par l'écran donne un dynamisme à l'image que l'on ne peut comparer à une page de magazine par exemple (bien que les graphistes parviennent à des prouesses pour attirer notre oeil). Par ailleurs, le fait de ne pouvoir réellement contrôler l'image télévisuelle (par un retour en arrière par exemple) oblige le message publicitaire à être d'une clarté plus prononcée que pour d'autres médias. Il faut convaincre un public hétérogène en un laps de temps très court, contourner un exposé long et objectif du produit, rendre le message précis et concentré en jouant plutôt sur la subjectivité. De plus, l'image en mouvement permet des mises en situation plus concrètes qui favorisent grandement la crédibilité du produit. La double attraction de l'audiovisuel, perceptive et narrative, renforce deux éléments: en premier lieu la relative fixation du spectateur à l'écran qui augmenterait, selon l'opinion publicitaire, « l'efficacité » du message ; et secondement, la création d'habitudes de perception à un certain type d'images pouvant susciter une forme de dépendance à un schéma de « densification iconographique »122(*). Ces mises en scène densifiées sont portées par une autre caractéristique majeure de la publicité à la télévision: la rapidité.

La notion de rapidité si chère à la publicité a directement à voir avec le rapport au temps dans les sociétés modernes. Je ne reprendrai pas ici tous les discours existants sur le profond changement socioculturel qu'a entrainé la réduction des distances et la course contre la montre en laquelle s'est transformée la vie occidentale. Les remarques qui suivent resteront volontairement généralisantes et issues de la pensée intellectuelle qui rode. Voici le point de vue: la culture occidentale est extrêmement marquée par une urgence quotidienne. Tout arrive très vite, on peut télécharger une discographie complète en quelques clicks, voir un grand nombre de films en ligne sans attendre, parler en « live » avec quelqu'un à l'autre bout du monde sans grande difficulté, voir les informations en direct, manger un hamburger moins d'une minute après l'avoir commandé. La jeunesse est devenue un idéal absolu, la vieillesse est occultée. L'imaginaire publicitaire de la vieillesse représente des personnes âgées en maison de retraite qui ont besoin d'une couverture sociale pour les accompagner jusqu'au cercueil, ou encore les « papi-mamie » rigolos et un peu niais face à l'ordinateur, loin de l'idée de sagesse et de savoir accumulée le long d'une vie riche en expériences encore très présente dans les sociétés traditionnelles. La jeunesse, au contraire, fait rêver et vendre. C'est l'argument majeur de la publicité. Il faut rester jeune, paraître jeune, vivre et ivre de jeunesse. Il faut bouger, rencontrer, s'amuser, ou la vie n'en vaut pas la peine. Pour cela le temps est compté, précieux et pouvoir. La télévision comme média incarne ce nouvel âge temporel et visuel. Régis Debray la situe comme à l'origine d'une nouvelle ère, la « vidéosphère »:

« La télé catéchise. Elle marche au devoir plus qu'au voir, se fait un devoir de nous faire voir tout ce qui compte. Elle incarne le Jugement de la Société, l'équivalent pour nous du jugement de Dieu. (...) La vidéosphère, qui bannit la durée, ne s'effraie pas de voir une image, une émission, se chasser l'une l'autre, car l'instant seul est réel (à ses yeux). Mais cet instant insaisissable n'a de cesse de nous devancer, comme un feu follet, mirage excitant et décevant, titillement sans fin pour nous autres, pauvres spectateurs éternellement en retard d'une image-seconde, d'une mode, d'un sujet, d'un scandale, d'un génocide, sur notre présent télévisuel qui court toujours plus vite que nous. (...) Pourquoi et à qui faut-il « rendre l'antenne » dans une minute, ce mystère ne sera jamais éclairci et tant mieux. Cette énigme donne à la règle de l'interruption, de l'exclamation ou du borborygme, un halo à la fois pathétique et fataliste qui transforme l'étranglement des parleurs en une sorte de sacrifice rituel à une divinité des ténèbres aux arrêts implacables: l'Heure. »123(*)

Ainsi, la publicité achète moins de l'espace que du temps à la télévision. Le prix payé par les annonceurs est à la seconde près, et plus l'annonce se situe dans un moment de grande écoute, c'est-à-dire de la large disponibilité d'un temps donné par un public, plus le prix est élevé. Patrick Le Lay, PDG de TF1 nous a d'ailleurs offert une magistrale citation illustrant ce propos:

« Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. »124(*)

Ce temps accordé par la télévision à la publicité se manifeste donc sous la forme bien particulière du spot. Pour mieux analyser cette forme narrative et discursive et ce qu'elle a de discriminatoire, j'aurai besoin d'une méthode affinée. C'est en effet derrière la première couche de sens qu'il me faudra aller débusquer ce que la publicité véhicule d'exclusion sociale, et pour cela j'aurai besoin d'outils scientifique qu'une méthode sémio-pragmatique me fournira.

1.2. Une approche sémio-pragmatique de la publicité télévisuelle

L'analyse du phénomène publicitaire à la télévision a été expérimentée de différentes manières, sous des angles scientifiques variés. Le but de mon étude ne sera pas d'opérer une classification systématisante et relativement subjective propre à l'approche de type motivationiste. Celle-ci, héritée de la psychanalyse, dont sont friands les publicitaires, cherche souvent à pénétrer la partie occulte ou inconsciente du spectateur à laquelle se dirigerait le message.125(*)

J'aborderai le phénomène publicitaire plutôt sous un angle sémiotique, considérant avant tout son « mode de production de sens »126(*), c'est-à-dire comment il génère des significations et des interprétations. Dans le cas étudié, j'avance l'hypothèse que le sens produit est vecteur d'inégalités sociales: il exclue significativement tout un pan de la réalité sociale et s'incruste dans un système médiatique et politique global discriminatoire.

On pourrait considérer la publicité en dehors du support qui l'utilise, comme un discours unifié et dynamique. Ce serait alors un « paquet de sens » relativement autonome qui ferait son office (vendre) sur des médias indifférenciés. Cette position se justifierait par l'apparente immédiateté compréhensive que l'on éprouve face à la publicité: d'une langue à l'autre, on reconnaît toujours très rapidement la publicité, son discours typé au-delà des mots, sa texture lisse, elle se démarque des discours qui l'entourent. Pourtant, cette immédiateté est trompeuse et peut, au final, rendre le message plus compliqué, plus tendancieux, et nous devons trouver une manière de le décortiquer. Pour cela je ne peux exclure le média qui supporte la publicité, car la publicité porte en elle les limites de ce média, elle en est déterminée techniquement. Elle vole les formes d'autres discours diffusés sur ce média, se fait caméléon, tente de passer pour autre chose, enfouir son aspect commercial. Elle veut divertir et plaire, empruntant la figure des autres, créature hybride que d'autres copient à leur tour.

J'utiliserai premièrement la classification sobre mais effective de Péninou127(*), qui me paraît tout à fait adaptée au spot publicitaire, car elle regroupe trois possibilités dans la relation entre message et spectateur: discours, récit et discours-récit.

Le discours appelle directement au destinataire, il s'adresse à lui à travers une relation de l'ordre du Moi-et-Toi. Le message est alors structuré de telle manière qu'il met en évidence ce locuteur, sa présence est interpellante et force le dialogue par lequel le message peut-être compris. C'est un message à la première personne dirigé franchement au destinataire qui tend à l'affirmation et à l'implication comme acteur invisible.

Par le récit, le message se forme en un ordre fermé, il n'interpelle pas le spectateur, il feint son absence. Il n'y a pas de persuasion directe, la troisième personne est employée. Le sujet énonciateur est souvent de profil et dirige son regard vers l'objet, excluant ainsi de manière indirecte le dialogue avec le destinataire. Se met alors en place une histoire, de forme anecdotique, dans lequel le destinataire devient concrètement spectateur.

Le discours-récit est, finalement, un mélange simple des deux. De fait, la versatilité de l'image entraine régulièrement un chevauchement du récit par le discours. Une anecdote termine par un discours au spectateur, ou l'inverse. La publicité joue alors sur l'ambigüité de sa situation.

L'image publicitaire est par nature hétérogène, elle conjugue des signes iconiques, plastiques (couleurs, formes, etc.) et linguistiques qui produisent le sens et qu'il faudra passer à la loupe. Les structuralistes ont vu dans l'hétérogénéité de la publicité un renouveau de la rhétorique128(*), c'est-à-dire de l'art ou technique de bien parler selon les grecs, où la vraisemblance passe devant la vérité, pour mieux persuader. La publicité joue en effet sur la vraisemblance, car la vraisemblance ne correspond pas au réel mais à l'idée que l'on se fait du réel et aux attentes qui y sont liées. En l'occurrence, la publicité utilise des préjugés discriminants, parfois inconsciemment, pour faire passer un message commercial. Pour mieux analyser ces images, j'aurais donc recours aux notions de rhétorique, car l'image dit toujours plus que ce qu'elle représente au premier degré, plus que ce qu'elle dénote, et elle le fait grâce à la rhétorique.

Le « principe de permutation », emprunté à Martine Joly129(*), est un outil efficace car il laisse voir les éléments constitutifs de l'image pour ce qu'ils sont, mais également pour ce qu'ils ne sont pas. Par exemple, je vois une femme et pas un homme, du vert et pas du bleu. Ce principe met en avant l'importance du choix des éléments pour la constitution du sens visuel.

Sans revenir en détail dessus, je m'appuierai également de manière relative sur les fonctions du langage de Jakobson130(*), comme le fait Péninou (bien qu'il les ramène au nombre de trois), comme cadre pour analyser certains messages. Mais avant d'identifier ces fonctions, Jakobson distingue six facteurs essentiels à la situation de communication: un contexte, un émetteur, un destinataire, un contact, un code commun et un message. Dans le cadre de mon étude, c'est surtout le message qui m'intéresse. Suivant Jakobson, la problématique serait de voir comment le message publicitaire, dans le contexte mexicain, produit par des groupes publicitaires hégémoniques et dominants, reçu par une population diverse et très inégale, transmis par le biais de la télévision et qui utilise un code ultra-perfectionné, peut être vecteur d'exclusion social.

Il faut par ailleurs voir la relation qu'il peut y avoir entre le mot et l'image dans la publicité. Différents rapports existent entre le texte et l'image, que Péninou identifient comme ceci: soutien (argumentation, redondance, paraphrase), complémentarité (informations autonomes dans leur expression, mais convergentes dans leur contenu), amplification (métaphorisation, hyperbolisation, supradimensionnalisation, etc.).131(*)

Dans l'article « Rhétorique de l'image »132(*), Roland Barthes identifie trois types de messages dans son analyse de l'image publicitaire des pâtes Panzani : le message linguistique, le message iconique codifié (symbolique, qui fait usage de la connotation), et le message iconique non-codifié (littéral, qui dénote). Trois messages qui se conjuguent et se soutiennent pour donner un sens global à l'annonce, pour rendre celle-ci recevable et effective.

La notion de genre me sera quant à elle utile dans le sens où elle représente un mode de communication culturellement admis et reconnaissable au sein de certains groupes sociaux. Cette notion peut s'identifier par les éléments qui constituent la situation spatio-temporelle dans laquelle se réalise la communication, par la détermination des rôles des participants et par la forme des énoncés discursifs.133(*) Elle est une boite à discours qui constitue peu à peu des régularités interprétatives précieuses pour l'analyse. Elle fonctionne selon des codes qu'elle reproduit systématiquement.

Car pour comprendre un message il faut avant tout comprendre pour qui il a été produit et dans quel but/fonction. Pour cela le message se doit d'être régulier et de faire appel à du déjà connu. C'est par une approche sémiopragmatique qui « examine le contexte institutionnel de production et de réception de l'oeuvre, pour y déceler les consignes de lecture qui y sont liées »134(*) que je parviendrai à entrevoir comment le message publicitaire participe à tout un mécanisme d'exclusion social. Une approche que j'ai introduite dans ma première partie, et qui va désormais se consacrer plus particulièrement au message. De plus, je soulignerai l'importance de la notion « d'horizon d'attente », c'est-à-dire « le contexte d'expérience antérieur dans lequel s'inscrit la perception esthétique »135(*), qui sera un concept clé pour comprendre comment la publicité s'inscrit dans un contexte de discrimination globale.

Les personnages présents à l'écran occupent une place importante, l'idée ne sera pas de les classifier mais de voir en quoi leur quantité et leur type forment un discours supplémentaire à celui officiellement proposé. La couleur participe également au discours visuel. Il ne s'agira alors point d'attribuer des significations mystifiantes à l'emploi de certaines couleurs, mais plutôt d'étudier les relations entre elles et le réel.

J'ai beaucoup parlé d'image, à croire que la publicité est uniquement constituée de « visuel », mais c'est sans compter sur le son qui accompagne chaque spot et qui joue un rôle tout à fait conséquent sur les sensations du spectateur, il me faudra donc consacrer une attention particulière au registre sonore: parole, musique, effets sonores et silences.

Savoir ce qu'il se vend à travers la publicité ne suffit pas. Le message appelle chez le spectateur certaines valeurs à travers l'attribution d'idéaux à l'objet annoncé, et ce sont souvent ces idéaux qui excluent et forment un imaginaire socialement épuré, que l'on cherchera dans le corpus qui suit.

2. Discours et visuel d'un fragment publicitaire

Le prix de la publicité est bien connu pour varier en fonction de l'horaire et du taux d'audience du programme au sein duquel elle s'insère. On détermine ainsi la valeur d'un moment télévisuel et on en profite pour vendre cher chaque petit « entre-acte » publicitaire. Le corpus présenté ici a en parti été choisi en fonction de ces deux facteurs.

Premièrement, l'idée était de sélectionner une heure et un canal de grande écoute pour penser ce fragment publicitaire comme reçu par un grand nombre de personnes, et faire de l'exclusion un phénomène global. Évidemment, le choix n'a pas été fait au hasard. Le segment nocturne, de 19h à 22h, est sans nul doute l'horaire phare de la télévision mexicaine. Le taux d'audience est le plus haut (67,4% des téléspectateurs possibles)136(*) et les tarifs publicitaires sont généralement les plus élevés. Cette tranche horaire se caractérise pour ses programmes de divertissement (81% des programmes) et ses informations. Les programmes éducatifs ne disposent d'aucun espace durant cet horaire. Parmi les genres de divertissement que l'on voit à l'écran à ces heures-ci, les « telenovelas » occupent la place principale.

Les chaînes de la télévision nationale proposent une offre de programmes diverse qui a pour but de capter le plus grand nombre de téléspectateurs. J'ai décidé de me focaliser sur la chaîne numéro 2 du groupe Televisa car c'est elle qui dispose de la plus large couverture du territoire national137(*), considérée comme le premier distributeur de « culture » mexicaine.138(*) Elle se nomme également « El Canal de las Estrellas » (« La chaîne des Étoiles »). Elle est la plus regardée du pays139(*) et la plus importante du groupe Televisa, la majorité des programmes produite par le géant Televisa, spécialement les « telenovelas », y sont diffusées avant d'être vendues aux télévisions du monde entier.

Le Canal 2 est réputé pour sa formule de « telenovelas », mis en place depuis les années 70, qui consiste en un bloc de séries qui commence à 16h et termine à 22h30, l'heure à laquelle le JT prend le relai. Son public serait majoritairement constitué de femmes, sans grandes différences socio-économique entre elles.140(*) Les hommes sont plus répartis en fonction de leur moyens économiques, ceux qui ont un revenu élevé préfèrent le Canal 7 de Tv Azteca alors que ceux dont le niveau socio-économique est faible semblent préférer le Canal 2.141(*) Globalement, l'étude qui fournit les données précédentes nous montre également que le public de cette chaîne parait éprouver une difficulté à prendre de la distance par rapport à ses programmes favoris, nuançant ce que montraient les travaux de Hall et Morley à la fin des années 70. En effet, selon l'étude, de nombreux interrogés ferait preuve d'une certaine indifférence dans leur choix de programme, rien ne leur déplait, mais il n'y aurait pas de volonté clairement affichée de regarder cette chaîne à tout prix. On ne peut cependant parler d'une manipulation à leur égard, qui les obligerait à regarder cette chaîne et non pas une autre, mais on peut émettre quelques doutes concernant la motivation réelle qui pousse les gens à regarder autant le Canal 2, lui faisant atteindre des taux d'audience records.142(*)

Quoiqu'il en soit, les spécificités de genre (féminin/masculin) seront intimement liées aux publicités diffusées lors de cette tranche horaire: shampoings, produits ménagers, cosmétiques, alimentaire. Une image bien particulière que se fait la publicité de la femme, de ce que l'on doit et peut lui vendre, et de la manière dont elle doit être présentée à l'écran. Il est non seulement possible de distinguer la représentation de la femme à travers sa mise en scène dans les spots, mais aussi par ce que la publicité annonce en cherchant à l'atteindre. De même lorsqu'elle s'adresse à des enfants, on voit l'idée qu'elle se fait d'eux par le rôle qu'ils jouent dans les publicités, mais aussi par ce que l'on cherche à leur attribuer (tel ou tel jouet).

2.1. Description du corpus

Mon corpus était initialement composé de spots publicitaires de boissons sucrées, mais je me suis heurté à un obstacle technique qui a rendu très difficile la collecte de ces spots (irrégularité, impossibilité de savoir quand va sortir la publicité du produit en question). De plus, en privilégiant les facteurs horaires et de contenus mentionnés ci-dessus dans la détermination de mon corpus, j'ai réalisé que les spots de sodas étaient finalement peu nombreux en comparaison des publicités pour des cosmétiques ou des médicaments. J'ai ainsi décidé de changer mon approche pour rendre la collecte réalisable et l'analyse plus pertinente. Cela a supposé un remaniement de mes idées, dans le sens où il ne s'agissait plus de voir l'imaginaire véhiculé par la promotion d'un type de produit (la boisson gazeuse de telle ou telle marque), sinon l'imaginaire construit sur un fragment publicitaire bien spécifique, qui mélange différents produits, mais dont le caractère unificateur reste le moment télévisuel (heure de grande écoute de la « telenovela » du Canal 2).

Après avoir visualisé plusieurs coupures publicitaires du Canal 2, on remarque que les spots se répètent excessivement, jusqu'à deux fois à l'intérieur de la même coupure. C'est-à-dire que l'on n'observe pas de différence notable ou de rupture idéologique d'une pause publicitaire à l'autre. Les mêmes thèmes sont utilisés et réutilisés. J'ai donc sélectionné deux de ces coupures, l'une aux environs de 19h45 et l'autre à 20h30, qui séparent les « telenovelas » Mar De Amor, Llena De Amor (deux productions mexicaines du groupe Televisa) et Hasta Que El Dinero Nos Separe (production colombienne reproduite par le groupe Televisa) dont la diffusion est quotidienne.

De ces deux coupures, j'ai choisi d'extraire quatre spots. La rigueur aurait exigée une analyse de la coupure dans son ensemble, du premier spot au dernier. Cependant, la longueur de chaque coupure aurait rendu l'analyse fastidieuse, avec le risque de moins pénétrer significativement chaque annonce. Le but de ce travail est de reconstruire l'imaginaire d'un fragment publicitaire pour y débusquer les traces d'inégalité sociale, le choix de ces quatre annonces a donc été orienté par ma volonté de respecter cet imaginaire. J'ai repris les publicités qui m'ont semblé les plus représentatives, les plus fréquemment vues, plutôt que celles qui auraient pu éventuellement servir mon propos plus que d'autres.

Le premier spot promeut un dentifrice de la marque Colgate, il est d'une durée de 20 secondes. Il met en scène un jeune homme seul dans sa salle de bain, face au miroir, faisant la grimace pour observer ses dents. Une sorte d'équipe de télévision menée par une jeune femme fait irruption et lui demande de manière très directe si son sourire lui fait peur. Le jeune homme marmonne et sans attendre sa réponse on lui demande s'il utilise le bain de bouche. Il demande si c'est pour blanchir les dents, ce qui montre qu'il connait ce type de produit, puis la jeune femme lui explique avec quelle facilité on l'utilise, et que ce dont il a besoin c'est le dernier produit Colgate Plax Whitening.

Tout au long de cette première séquence, une phrase figure au bas de l'écran: « Consulte régulièrement ton dentiste », puis lorsque la jeune femme mentionne le produit, la phrase change et devient « à utiliser tous les jours avant et après le brossage des dents », qui vient en soutien à l'image. Une animation 3D avec voix-off est ensuite utilisée pour montrer comment agit le produit sur les dents. On y voit un liquide bleu ciel sous forme de vagues qui passe sur des dents, avec un texte en dessous qui stipule « dramatización », que l'on comprend comme « reconstruction » ou « symbolisation », pour ainsi compléter et soutenir cette séquence. On revient ensuite au jeune homme qui tient alors le produit dans ses mains, il prononce le nom du produit sur un air interrogateur, la jeune femme confirme en souriant: « pour un sourire d'une telle blancheur », et sort aussi rapidement qu'elle est entrée. On voit un plan plus large de la salle de bain avec le jeune homme seul, désemparé, le produit à la main. L'annonce se termine sur une présentation seule du produit, le « pour des dents plus blanches » vient compléter cette présentation, avec le retour de la voix-off, puis du logo de la marque « numéro 1 recommandée par les dentistes », d'une durée de deux secondes, avec l'adresse du site officiel de Colgate.

Toute la scène avec les personnages est présentée sous forme de récit. C'est une sorte de mise en situation où les personnages interagissent les uns avec les autres, ils suivent une trame qui a pour fin de mettre en avant le produit Colgate, feignant la présence du spectateur. Cependant, le dernier plan ainsi que l'animation 3D et le texte relèvent de la fonction conative du langage, ils font directement appel au spectateur, ils s'adressent à lui pour lui donner de l'information, pour lui expliquer comment ça fonctionne, et ainsi mieux le convaincre pour qu'il achète.

L'action baigne dans des couleurs claires, notamment le blanc et le bleu clair. La salle de bain du jeune homme est d'une propreté éclatante, lui même est vêtu de blanc, à l'image de sa couleur de peau. L'équipe menée par la jeune femme se caractérise également par le blanc et la clarté plus vraie que nature. Ils portent tous une blouse de type médecin (blanche) et sont de type européen (bruns à la peau claire). Le produit présenté sous forme de bouteille plate est blanc lui aussi, avec des teintes bleutées pour signifier la fraicheur. Tous les personnages, du peu que l'on puisse voir, ont des dents relativement blanches, ils ne « souffrent » pas d'un sourire aux dents jaunies ou abimées. L'éclairage participe fortement à cette mise en exergue du blanc. Il est puissant et rend ainsi le blanc d'une clarté éblouissante. Le bleu est utilisé lors de l'animation 3D pour représenter le liquide, c'est un bleu clair presque fluorescent, très similaire à celui utilisé pour les dentifrices.

Seul le logo de la marque Colgate diffère, écrit en blanc sur fond rouge, mais il n'occupe qu'un petit espace du produit. De même, lors du plan large de la salle de bain, on s'aperçoit qu'outre la forte présence du blanc dans les teintes de couleurs, quelques éléments de la pièce (tapis, pèse-personne, étagère) sont d'un rouge identique à celui du logo Colgate. On remarque qu'à partir de la séquence 3D, le logo de la marque et du produit est présent en bas à droite de l'écran jusqu'à la fin.

Le produit s'appelle « Colgate Plax Whitening », il est nommé par la jeune femme premièrement, puis par le jeune homme, et enfin par la voix-off. Un nom en anglais, prononcé avec l'accent espagnol, alors que tout le spot est en espagnol mexicain sans accent particulier. Le logo Colgate, en gros plan à la fin de la publicité, se caractérise pour ses couleurs rouge et blanc, mais aussi par la présence d'un montage photo de deux personnages qui sourient, dont on ne voit que la moitié du corps, et qui semblent faire partie d'un certain corps médical, car ils portent une blouse blanche. Ces deux personnages ajoutés au logo sont, encore une fois, de type européen ou nord-américain.

En termes techniques, la publicité est découpée en 15 plans différents, c'est-à-dire autant de changements de caméra, pour une durée de 20 secondes. Un montage très dynamique que l'on retrouve généralement en pub. Ces plans de caméras varient grossièrement entre deux types, le plan d'ensemble et le plan rapproché. Le plan d'ensemble montre le jeune homme et l'équipe de la jeune fille, tous dans la salle de bain. Il permet de bien visualiser l'action et la position de chaque personnage, bien qu'il soit extrêmement court. En revanche, les plans rapprochés s'enchaînent en plus grand nombre, servant le dialogue rapide, laissant peu de place au décor. Ils mettent en avant les personnages, leur visage et leurs vêtements, sans pour autant laisser l'espace et le temps suffisant pour entrer dans l'intimité de ceux-ci. Les personnages apparaissent environ sur la moitié des 20 secondes que dure le spot, les dix autres secondes sont occupées par l'animation 3D et la présentation finale du produit et du logo.

Le produit apparaît une première fois aux alentours de la septième seconde, dans la main de la jeune fille. Il occupe tout d'abord une petite place à l'écran, mais par l'effet d'un zoom contrôlé, le plan se rapproche et place ainsi le produit sur tout un quart de l'écran, avec le visage de la jeune fille souriante en arrière-plan. Puis on revoit furtivement le produit après l'animation, dans les mains du jeune homme qui le pointe en direction de la jeune fille et de la caméra. Enfin, le produit est présenté une dernière fois à la fin du spot, sur fond bleu, dans un plan qui dure deux secondes et dans lequel il occupe un quart de l'écran.

Le spot est entièrement dénué de musique. On pourrait penser que cela créé un certain vide, mais le dialogue ultra rapide le comble aisément et ne laisse aucune place au silence. En effet, il n'y a que lorsque l'équipe entre et sort de la salle de bain que l'on assiste à une absence de voix, tout le reste de l'annonce est occupé par le dialogue ou la voix-off. Par ailleurs, il n'y a pratiquement aucun effet sonore tout au long du spot. Même l'animation 3D ne dispose pas de rajouts sonores pour la rendre plus mordante. Outre les bruits de pas et de la porte de la salle de bain qui s'ouvre, le seul effet sonore utilisé est presque indétectable, c'est un mini son de cloche qui retentit lorsque la fille sourit, après la présentation 3D. Elle prononce une de ses dernières phrases: « pour un sourire d'une telle blancheur » et l'effet sonore est censé signifier la brillance de son sourire.

Le deuxième spot est de la marque de liquide-vaisselle Axion. Il est d'une durée de 20 secondes. La scène commence dans une cuisine où s'amoncelle de la vaisselle sale. Une mère s'adresse à sa fille en lui disant qu'elle va utiliser sa « fameuse recette » pour laver: du citron, du chlore... Mais la jeune fille l'interrompt pour lui dire que ce dont elle a besoin, c'est du produit Axion concentré avec triple-action. Elle débarrasse alors la table des autres produits pour laisser place au produit Axion en question. On la voit expliquer à sa mère la triple-action du produit en se multipliant elle-même par trois. Puis s'enchaînent les animations de plats sales qui deviennent magiquement propres grâce au produit, avec la voix-off de la fille qui en précise les spécificités. On revient à la cuisine, où la jeune fille porte un plat parfaitement propre, et la mère avec le produit entre les mains, elles se sourient l'une l'autre, pour terminer en disant que cela leur laisse plus de temps à elles, et on les voit sortir de la maison en souriant encore une fois. L'ultime plan du spot se fait sur une présentation du produit en gros plan.

C'est encore à un récit que l'on a à faire ici, on met en scène deux personnages qui jouent une situation reconstruite sur une base quotidienne, dont le but est de préparer le discours final ouvertement destiné au spectateur. Mais ce récit est tellement forcé pour feindre la présence du spectateur, on lui présente un produit sans le regarder dans les yeux (ou l'écran), qu'il revêt tous les traits d'un discours. On pourrait imaginer le spectateur à la place de la mère, qui écoute attentivement sa fille lui expliquer tous les bienfaits que possède le produit en question.

La cuisine dans laquelle se déroule l'action nécessite une description plus détaillée. Elle est de type américain, c'est-à-dire spacieuse avec de nombreux éléments en aluminium, héritage de la fameuse cuisine de Francfort. Elle dispose de beaucoup de meubles et de rangements, un réfrigérateur de grande taille, et une table au milieu pour la préparation. Elle est agencée en forme de U pour optimiser l'espace, laissant un espace informel permettant de « grignoter » sans avoir besoin d'utiliser la salle à manger.

La quantité de vaisselle sale est volontairement exagérée, empilée de telle manière qu'elle paraît tenir en équilibre comme par magie. On y voit des plats et tout un arsenal d'ustensiles de cuisine qui débordent du lavabo, et qui ont tout l'air d'avoir été disposés avec précaution.

Les deux personnages sont habillés de manière simple mais décontractée, au style contemporain, occidental, sans aucune extravagance. La mère est vêtue de blanc avec un tablier de couleur saumon. La fille porte un haut rouge avec une jupe à fleur qui lui couvre les genoux. Les deux ont la peau blanche, les cheveux bruns et les yeux foncés. Elles sont grandes et minces, de type européen ou nord-américain, et correspondent ainsi aux canons de la beauté occidentale. Elles sont maquillées de telle manière qu'elles paraissent jeunes et pimpantes. Elles montrent une complicité certaine, comme deux amies, elles sourient et rient avec allégresse. C'est la jeune fille qui enseigne à la maman comment laver la vaisselle, preuve de l'actualité et modernité dans laquelle vivent les jeunes.

Contrairement au premier spot, celui-ci n'effectue que 10 changements de caméra sur la durée de 20 secondes. On note d'ailleurs la différence de vitesse, car il paraît plus « relax », moins « sous pression ». L'annonce commence avec un plan américain qui laisse voir la mère, bien que le lavabo rempli de vaisselle la coupe au niveau du bassin, avec la cuisine à l'arrière et la jeune fille qui s'approche. Il est efficace car il laisse une vue d'ensemble malgré la mise en avant de la mère et de la vaisselle, accentué par un léger travelling avant. On passe ensuite à un plan poitrine où la jeune fille présente le produit entre ses mains en souriant. Ce plan nous permet de mieux observer le produit, le visage de la jeune fille, et de prêter attention à ce qu'elle dit. Son texte est purement argumentatif, l'image ne vient que compléter ce texte

Le produit est présenté en gros plan sur la table, il occupe un tiers de l'écran avec le le haut rouge de la jeune fille en arrière-plan. Puis on voit les deux personnages dans un plan de demi-ensemble, lorsque la jeune fille se démultiplie, le produit à la main, sans que l'on puisse le distinguer en détail. Avant de passer à la partie animation, on voit le produit en très gros plan sur une durée d'une seconde, il occupe tout l'écran. On le revoit dans les mains de la mère qui paraît comblée de bonheur, alors que sa fille tient un plat propre à ses côtés. Le produit n'occupe alors qu'une petite partie de l'écran en bas à droite, mais il se distingue suffisamment et se place entre les deux personnages accompagné du plat propre, comme si c'était ce qui les unissait. D'une durée de 3 secondes, la dernière prise montre le produit au centre de l'image. Il se démultiplie en trois comme la jeune fille, pour illustrer la triple-action, avec de la vaisselle propre et rangée en arrière-plan.

Cette publicité n'affiche que très peu de texte. On voit tout d'abord les produits traditionnels de la mère qui portent leurs propres noms (chlore et poudre pour laver la vaisselle), puis le nom du produit Axion Tri-Cloro. Durant la séquence animée où défilent les plats sales, on peut lire en gros ce qu'élimine le produit: tâches, odeur et 99,9% des bactéries. Au même moment, en bas de l'écran, la mention « ne gaspille pas l'eau » est inscrite. Seule la fin du spot nous propose un dernier élément à lire, en dessous du produit en gros plan, est inscrit « le vrai dégraissant » pour appuyer une bonne fois pour toute le propos de la pub.

La musique est plus présente dans cette publicité que dans l'antérieure. Elle commence lorsque la jeune fille intervient pour montrer le produit à sa mère. C'est une musique légère et discrète qui s'apparente aux musiques utilisées dans les télé-achats, avec de la flute et du xylophone. Les effets sonores se font également discrets, seulement utilisés lors de la démultiplication de la jeune fille et du produit, et lors de l'animation qui met en scène la disparition des taches, odeurs et bactéries, pour attirer l'attention auditive du public (fonction phatique) et donner de la consistance à ces effets visuels.

La troisième annonce, pour un médicament contre le mal de tête, démarre avec le plan d'un couple qui dort paisiblement, lorsque les enfants entrent en courant dans la chambre. Une voix-off féminine accompagne cette scène en disant que « se sentir bien, c'est savoir que l'on peut compter sur quelqu'un », l'image lui offre la métaphore. Le plan change et l'on voit le père de famille rentrer à la maison en se frottant la tête, la voix continue: « lorsqu'il rentre fatigué avec mal de tête, donnez-lui Tylemol pour qu'il se sente mieux », on voit alors un gros plan de la boite de cachets, et une main qui la saisit, « parce qu'il travail en accord avec le corps, il élimine la douleur sans irrité l'estomac ». Le plan revient à la femme qui offre la boite à l'homme, puis on le voit en train de courir avec ses enfants à la mer alors que la femme reste assise à les regarder. Cette publicité s'achève comme les autres sur un plan du produit seul, où apparaît le slogan qui appuie fortement sur la fonction conative: « sentez-vous bien ».

Cette publicité est un pur récit visuel, il ne s'adresse jamais directement au spectateur par le biais d'un personnage. Proche du feuilleton, qui met en scène l'histoire d'une famille dont le père souffre de migraine. Mais heureusement sa conjointe est là, attentive et attentionnée, lui procurant la solution à ce problème, par le biais d'un médicament, pour qu'il puisse ensuite profiter de sa petite famille, partir à la mer et jouer avec ses enfants. Mais ce récit-feuilleton n'est qu'une métaphore du discours en voix-off qui lui, s'adresse franchement au téléspectateur. Il simule une situation quotidienne qu'il « vous » attribue, il en pointe le problème et « vous » explique comment le résoudre. Sans dialogue préfabriqué pour promouvoir le produit, c'est la voix-off qui donne toute l'information. C'est une voix féminine, calme et maitrisée, qui raconte une histoire publicitaire et met l'accent sur la fonction conative du langage, pour que le destinataire agisse sur lui même et modifie son comportement en utilisant ce produit. L'emploi du « vous » accompagné de l'image familiale affiche cette courte histoire comme un synecdoque, c'est-à-dire qu'elle emploie la partie pour le tout, et de cette situation elle fait un cas généralisé.

Encore une fois, le spot est d'une durée de 20 secondes. Il est séparé en 8 plans de caméra différents, ce qui lui donne une allure plus apaisée, plus calme, qui s'accorde avec le propos publicitaire de lutte contre le mal de tête. Le premier plan du couple est relativement rapproché, donnant sur l'intimité même du couple, dans le lit conjugal. Puis l'on passe à un plan plus large, au ralenti, lorsque les enfants entrent en scène. C'est un plan d'ensemble de la pièce avec le lit, la table de nuit, et quelques meubles de rangement. À ce moment apparaît une phrase au bas de l'écran: « consultez votre médecin » en lettres majuscules. Le plan se rapproche alors, donnant cette fois sur toute la famille dans le lit.

On voit ensuite l'homme qui se tient la tête de douleur dans un plan taille, encore dans un plan au ralenti, avec la tête de la femme dirigée vers lui en premier plan flou. Puis un gros plan sur le produit qui occupe tout l'écran, sur un fond blanc, et qui dure environ trois secondes. On revient sur les deux personnages avec un plan de semi-ensemble dans la cuisine. La phrase du bas de l'écran change et devient « consultez nos spécialistes au... » (avec un numéro de téléphone), et vient rajoute de la présence. Le dernier plan des personnages, celui de la plage, est général et permet de voir toute l'action de loin, au ralenti. Tout cet enchaînement de plans donne une impression d'immixtion dans la vie de ce couple, de visualisation du problème de la migraine, de sa résolution, pour enfin s'éloigner avec un regard bienveillant. Le dernier plan est un plan rapproché du produit, qui occupe cette fois la partie centre-droit de l'image, sur fond blanc, accompagné du slogan.

Les personnages sont à nouveau bruns à la peau blanche. Une clarté de peau qui s'insère parfaitement dans le décor dominé par des couleurs clairs. L'homme représente le parfait travailleur moderne, qui rentre du travail fatigué, en cravate-chemise, son veston à la main. La femme, bonne épouse, est présente quand celui-ci rentre du travail. Attentionnée, elle s'occupe de sa migraine. Elle est complice avec les enfants, elle sourit lorsqu'ils envahissent le lit, alors que lui paraît un peu plus en retrait. Puis on la voit habillée simplement, un haut gris passe-partout, pour accueillir l'homme et lui donner son médicament.

L'appartement dans lequel se déroule l'action est moderne et spacieux. La chambre, tout d'abord, bénéficie d'un lit de type « king size », c'est-à-dire d'environ 2 x 2m. Les draps et les murs sont parfaitement blancs. On peut voir une sorte d'étagère avec des cadres de photos et des bibelots. D'un côté du lit, une petite table de nuit avec lampe de chevet et quelques objets, de l'autre une table un peu plus haute avec la même lampe et d'autres objets. L'appartement dans lequel entre l'homme dispose également de murs blancs, et d'une plante. Du peu que l'on distingue la cuisine, elle est également de style moderne avec de nombreux rangements, ustensiles de cuisine et pots en verre.

Enfin, le dernier spot est de la marque Nescafé, il ouvre sur un paysage onirique présenté comme la région de Soconusco dans l'état de Chiapas, au Mexique. Puis apparaît la journaliste Paola Rojas, présentatrice du journal de 15h du Canal 4 (Televisa), dans un champ avec sa tasse de café à la main, elle vante les effets bénéfiques du café, ses propriétés d'antioxydant qui proviendraient de la « cerise » du café. On la voit alors entourée de gens locaux et agriculteurs, elle savoure le café et dit qu'elle en boit plusieurs tasses par jour, prenant tout autant de plaisir grâce à son arôme et à sa saveur. Différents plan se suivent, présentant les cultures de café et quelques personnes qui y travaillent. L'annonce prend fin sur le plan d'un journal sur une table qui porte en gros l'inscription: « une autre bonne raison de boire du café », avec une tasse Nescafé juste à côté.

C'est sous forme de discours, et non de récit, que se présente cette dernière publicité. La jeune journaliste regarde la caméra, elle interpelle le spectateur. De cette manière, elle tente de le sensibiliser aux vertus du café, d'engager sa propre personne et son droit à la parole pour lui montrer l'exemple à suivre. Si c'est un discours, l'échange avec le public est direct, le regard domine cet échange, et c'est sa personne qui donne la force au discours, plus que n'importe quelle voix-off anonyme. La protagoniste introduit alors une sorte d'intimité avec le téléspectateur, elle lui sourit, lui parle de ses gouts et de son quotidien, elle le regarde dans les yeux. Elle noue une certaine relation avec celui-ci, elle se met à son niveau, ou plutôt elle rend son niveau accessible.

Cette intimité créée par le discours redouble d'intensité lorsque la jeune femme s'affiche aux côtés des travailleurs, des gens qui lui sont entièrement différents. Elle se mêle à eux et fait mine de discuter et partager avec eux. Son discours s'appuie donc sur un visuel de cordialité avec l'autre Mexique, celui qui se situe à plus de 1000 km de la capitale, qui vit d'agriculture et qui a la peau d'une autre couleur.

Par ce discours, la fonction phatique est jointe à la fonction conative pour donner toute la force au message. Le regard de la journaliste, son sourire et sa manière de parler sont autant d'éléments qui participent à l'établissement et la maintenance de la relation avec le téléspectateur. Il s'agit alors de rendre la communication plus efficace, préparer le terrain d'une transmission d'information, comme celle sur le café, ou celle de la marque par exemple. Le seul nom de la journaliste est une tentative d'attirer l'attention, de nouer une relation particulière avec le récepteur du message, de le mettre en confiance, pour ensuite faciliter la transmission du message commercial.

D'une durée de 20 secondes, le spot est constitué de 13 plans qui s'enchaînent de manière très régulière, donnant une impression de grande fluidité. Le montage est tout sauf agressif. L'utilisation de plusieurs travellings rend l'action presque onirique, et le plan de paysage qui débute cette publicité nous envoie dans un lieu idyllique, un peu sauvage, aux couleurs surprenantes (turquoise, jaune-orange).

Ce plan est suivi d'un gros plan en travelling-avant sur la jeune journaliste, le nez dans sa tasse. Il met en emphase la jeune femme qui paraît savourer son café, les cheveux bercés par une brise légère, tenant sa tasse a deux mains, comme pour les réchauffer, laissant apparaître seulement quelques lettres de la marque Nescafé inscrite sur la tasse. On passe ensuite à un très gros plan sur des cerises de café, faisant office de rupture et introduction au discours de la jeune femme, qui apparait dans le plan qui suit. Ce plan taille nous laisse apprécier comment est vêtue la jeune femme, sa chemise blanche et son pantalon gris qui lui donnent un petit air d'aventurière. Son nom et sa profession s'affichent au bas de l'écran et viennent compléter sa présence à l'écran. Ce plan nous permet de distinguer également les éléments en arrière-plan, les travailleurs qui récoltent les cerises en chemise blanche.

Dans le plan suivant, on voit justement un de ces travailleurs accompagné de la journaliste en train d'observer et de toucher une branche de cerises. Ce plan poitrine met en avant la proximité de l'homme et de la jeune femme, bien que l'on ne puisse parler réellement d'intimité ou de complicité. L'homme répond plus au stéréotype mexicain, il a la peau un peu plus foncée que la jeune femme, il porte la moustache ainsi qu'un chapeau blanc.

On enchaîne alors sur un autre plan poitrine en travelling avant, qui montre une jeune fille qui palpe des cerises de café. Celle-ci répond également plus au stéréotype mexicain: visage rond, peau brune, nez large. Elle porte un vêtement de type traditionnel en coton (« manta » en espagnol), avec quelques motifs de fleurs typiques du sud-est du Mexique. Elle semble faire partie des travailleurs locaux. Au même moment et très furtivement, au bas de l'écran, on apprend qu'une tasse de café équivaut entre 150 et 500 mg d'antioxydants.

La caméra nous offre ensuite une vue plongeante sur des plats de cerises que travaillent des femmes assises et habillées en blanc. Cette prise de vue nous montre en quelque sorte la tradition de la récolte, tout y paraît très artisanal. La jeune journaliste s'approche avec sa tasse pour prendre une poignée de cerises. Gros plan sur ses mains qui plongent dans les cerises qui se transforment alors en grains de café. Autre gros plan sur la jeune journaliste qui sent les grains de café dans ses mains en souriant. Suit un travelling avant sur les champs verdoyants où déambulent des personnes, des travailleurs peut-être. Retour en gros plan sur la journaliste, les yeux fermés, qui déguste son café dans la tasse Nescafé dont le nom est cette fois entièrement découvert et qui, bien qu'il ne recouvre pas une grande partie de l'image, se note sans difficulté. On poursuit dans la même direction avec le dernier plan où la jeune femme pose la tasse de café à côté d'un journal, la marque inscrite sur la tasse n'occupe qu'une petite partie de l'écran mais se lit aisément sur les trois secondes que durent ces deux derniers plans. Elle reste cependant discrète pour un message de type publicitaire.

Cette publicité se différencie ainsi des autres dans le sens où elle ne fait qu'une allusion légère à la marque, nous invitant plutôt à visiter une page internet intitulée « otrabuenarazon.com.mx ». À première vue elle ne fait que parler du café, comme une sorte de campagne publique qui encouragerait la population à boire du café : on fait appel à une personne connue, on vante les bienfaits du produit, la réalisation est sobre, on utilise des éléments de l'identité nationale. Néanmoins, bien que cette publicité se présente comme une apologie du café, les deux plans finaux ne font pas de doutes sur la marque qui y trouve son compte.

2.2. Vendre du « rêve » et exclure le réel

Je reprendrai ici la chronologie utilisée lors de la description du corpus. Je tenterai d'entrer plus profondément dans chaque annonce, d'analyser les éléments décrits, puis de synthétiser pour ensuite extraire l'imaginaire global du fragment publicitaire.

Commençons par Colgate et son White Plax Whitening. En plus du fait que le produit blanchit les dents, qu'est-ce que nous apprend et nous montre cette publicité?

Le premier élément qui frappe est la vitesse avec laquelle se déroule l'action. Que ce soit le message textuel (écrit ou oral) ou visuel, l'enchaînement des différents éléments qui constituent leur sens est d'une rapidité fulgurante. Les phrases affichées au bas de l'écran son discrètes et n'affichent rien qui puisse attirer l'oeil. Seule une visualisation répétée du spot pourrait permettre de repérer ce genre de détails. C'est un rythme auquel il faut s'habituer, il requiert une bonne maitrise de la langue et ne manque pas de pousser notre capacité de compréhension à ses limites. En effet, la vitesse est si élevée que l'action mérite une attention certaine, ce sont 20 secondes très denses auxquelles on assiste. On joue ici sur la vitesse vertigineuse pour capter l'attention (fonction phatique) et laisser de côté l'information. Les dialogues ne laissent place à aucune respiration, comme si les personnages étaient capables de se répondre sans réfléchir. De plus, cet enchaînement et les plans de caméras empêchent tout rapprochement des personnages, on ne les voit que de manière furtive et à une distance impersonnelle. Cette impression d'éloignement renforce la coupure qu'il peut y avoir entre le public et la situation mise en scène.

La vitesse, élément principal que je détache ici, est un tout qui englobe cette publicité: la démarche de la jeune femme lorsqu'elle entre dans la salle de bain, les réactions des deux personnages, leurs expressions de visage, le dialogue, la voix-off, l'animation 3D, le montage, le slogan final. On a donc choisi, du début à la fin, de mettre en scène cette annonce commerciale de manière rapide et non pas autrement. La vitesse est en soi un signe, car elle vaut pour autre chose que ce qu'elle est dans cette action. Elle est le résultat discursif d'un processus d'expansion de l'urgence dans la vie moderne et citadine. Elle parle du quotidien marqué au fer rouge par la rapidité, le dialogue au tac-au-tac, les rencontres rapides et impromptues comme cette jeune fille qui entre sans prévenir. C'est une vitesse qui ne laisse place ni à la réflexion ni à l'information, un flux incontrôlé et incontrôlable à l'image de la télévision.

La rupture de linéarité opérée par l'entrée en scène de la jeune fille et de son équipe n'est pas vraiment justifiée. On coupe la bande du sens comme une « breaking news », le jeune homme est désemparé mais reste à l'écoute. C'est une mise en abîme médiatique, du recyclé pour la construction d'une action publicitaire. On reprend des teintes du discours télévisuel pour les insérer dans la publicité, mais pour cela on les modifie, on les « publicitise ». L'omniprésence des médias dans la vie moderne est signifiée par cette équipe de télévision qui suit la jeune femme, par sa manière de s'imposer pour la soi-disant « information » qu'elle apporte au jeune homme, ne lui laissant pas le choix et guère le temps de la réplique. Un droit à l'information imposé qui surgit dans l'intimité, un remake de l'émission « Les Infiltrés » dans la salle de bain. Ce que l'on voit ici, c'est la télévision dans son ampleur générale, celle que l'on voit tous les jours, celle qui coupe la parole et formule des questions dont elle n'attend pas la réponse.

Lorsqu'elle s'impose, la jeune femme et son équipe interviennent, comme on le fait à la suite d'une catastrophe, pour venir en aide à ceux qui en ont besoin. On donne des remèdes miracles à des problèmes que l'on estime justes, au nom de la solidarité internationale. Ce spot s'affiche alors comme une métaphore interventionniste, on y viole les frontières symboliques, on offre son aide sous couvert de l'entraide. Mais c'est bel est bien pour en tirer bénéfice ensuite, pour s'installer et faire des affaires. Le jeune homme ne termine pas le spot avec les mains vides, on lui laisse le produit Colgate, tout comme les pays industrialisés ne partent pas comme ils sont revenus lorsqu'ils prêtent main forte aux pays en difficulté.

Dans ce récit publicitaire, tout est blanc. On se parle entre blancs, habillés en blanc, à l'intérieur d'un environnement blanc. On vend du blanc pour du déjà-blanc. Une surabondance de clarté qui fait évidemment appel à plusieurs références, comme la sainteté chrétienne ou les anges, toujours représentés d'un blanc aveuglant et irréel, et jamais avec des dents jaunies ou de travers. Mais c'est aussi, plus simplement, un des éléments considérés comme primordial dans la poursuite de la beauté occidentale: le sourire éclatant, les dents alignées sur un fond de peau claire. Cela peut sembler anodin ou banal, mais si j'ai choisi une pub de dentifrice dans mon corpus, c'est bien parce que c'est un produit très présent dans la gamme publicitaire depuis des dizaines d'années, qui présente toujours les mêmes caractéristiques. On vend ici un produit censé blanchir les dents, on comprend facilement cette quête de blancheur dans l'action, qui sert un propos commercial. Mais le seul fait de chercher à vendre un produit pour blanchir les dents peut être considéré comme un signe, car il produit un sens particulier, il marque la canonisation du blanc dans l'imaginaire collectif. Il est signe car il retranscrit également ce que l'on voit au jour le jour, c'est-à-dire un favoritisme pour le blanc. Ainsi, comme la vitesse, le blanc est dans ce spot un tout signifiant, du produit aux personnages, de leurs sourires au décor, dont les variantes se superposent et s'entrecoupent. Le signe blancheur est d'un côté couleur (ou plutôt non-couleur) décorative, et de l'autre il est sainteté, pureté, beauté.

Les acteurs sont donc clairs de peau. Le choix a été fait de ne pas présenter des personnages à la peau foncée, qui sont bien évidemment majoritaires au Mexique. De même, l'environnement choisi est moderne: une salle de bain toute équipée, spacieuse, que l'on imagine dans un appartement tout aussi ample. Par ces différents choix, on élimine de nombreux éléments qui pourraient nous indiquer où l'on se trouve. Mis à part la langue, avec ses tonalités particulières, on ne peut réellement identifier le Mexique à travers cette réclame. Les personnages et le lieu nous informe très peu, et si l'on coupait le son, ce serait plutôt à l'Amérique du Nord ou à l'Europe Occidentale que l'on pourrait les attribuer. Dans ce processus, la fonction référentielle joue un rôle déterminant, car elle porte le contexte du message et feint de le neutraliser en lui donnant un air publicitaire. Or, ce contexte est au contraire terriblement révélateur d'un choix que l'on fait par défaut: une salle de bain dans un spot se doit de remplir certains critères, c'est-à-dire d'être moderne, dans la ligne de ce qui se fait de nos jours.

Ainsi cette mise en scène se fait allégorie de la modernité et de la beauté à l'occidentale. Pour cela il faut exclure les éléments constitutifs de l'identité mexicaine et ses caractéristiques réels. On fait référence à ce qui paraît meilleur, au progrès à l'occidentale. Ce récit publicitaire paraphrase le discours dominant qui veut voir le Mexique entrer dans le « premier monde », celui des blancs et riches. Dans ce monde encore imaginaire au Mexique, les médias sont partout, ils ont les dents blanches et montrent des gens aux dents blanches, on y parle vite et tout s'y déroule avec grande simplicité et rapidité.

Dans l'annonce du liquide vaisselle, on retrouve quelques éléments de la publicité antérieure. Premièrement, l'alliance de personnages blancs dans un lieu moderne. La cuisine, comme nous l'avons vu dans la description, fait figure d'exemple de magazine de décoration. Sa grandeur contraste avec l'exigüité dans laquelle vit une majorité de mexicains. La mère et la fille, minces et blanches de peau, ne répondent pas au stéréotype de la femme mexicaine, de petite taille et à la peau foncée. Encore une fois, il suffirait de couper le son pour ne plus pouvoir distinguer où se déroule la scène. On voit une « belle » cuisine avec deux « belles » personnes féminines typiques de l'imaginaire du beau à l'occidentale que poursuivent les médias mexicains.

Cette beauté apparente pourrait en quelque sorte entrer dans la fonction phatique du message publicitaire, car les deux femmes sont utilisées, instrumentalisées, pour attirer l'attention du téléspectateur. En effet, par principe de permutation, on n'utilise pas ici des filles quelconques, en surpoids ou trop petites, pour illustrer et vendre un produit. On les veut jeunes et attirantes, mais simples en même temps, pour ne pas entrer dans l'exagération flagrante du quotidien. Ces deux femmes existent pour de vrai et elles sont surement amenées à vivre ce genre d'expérience quotidienne, on peut les imaginer facilement, mais elle ne sont qu'une minorité sur-représentée à la télévision qui déforme l'imaginaire collectif. En outre, ce sont des femmes et non des hommes que l'on emploie pour représenter cette situation, on sous-entend donc que l'homme n'y est pas confronté.

La situation préfabriquée de la réclame se fait écho d'une relation type entre mère et fille. C'est la complicité rêvée de la famille moderne que l'on retrouve dans l'imaginaire collectif des pays émergents. La jeune fille, à la page sur les derniers produits de consommation, se transforme en une sorte de présentatrice de télé-achat, ou en gourou de la vaisselle propre. La mère, qui vit encore à l'âge de pierre, doit oublier ses anciennes méthodes pour laisser entrer la technologie. La nouvelle génération sur-connectée enseigne à l'ancienne génération comment résoudre les petits problèmes pratiques du quotidien. La jeune fille est ainsi emblématique, car fraiche et souriante, son dynamisme est ce que l'on attend aujourd'hui de la jeunesse. Une jeunesse à l'image de l'environnement dans lequel elle se développe, moderne et aseptisé. Même la vaisselle sale paraît fausse, la cuisine est parfaitement propre et rangée, seul endroit adéquat pour que des personnes s'accomplissent dans de bonnes conditions. On laisse de côté le « comal » typique de la cuisine mexicaine traditionnelle, encore largement utilisé dans la plupart des chaumières, restaurants et points de vente ambulants. Ce fameux « comal » est originairement un disque de céramique que l'on utilise pour faire cuire les tortillas de maïs, qui peut prendre beaucoup d'espace et que l'on apprécie d'autant plus s'il est chauffé au feu de bois. On imagine mal un tel appareil dans cette publicité. Il nous ramène en effet au passé, aux cultures anciennes et traditionnelles, totalement à l'encontre de la modernité et des fours micro-ondes que vendent d'autres publicités.

L'importance de la cuisine mexicaine dans l'identité nationale justifie la remarque, car on supprime ici tout ce qui pourrait « mexicaniser » ce décor. Si Barthes pointait l'italianité utilisée dans la pub Panzani comme processus rhétorique pour attirer l'attention du consommateur, ici c'est le contraire, on assiste à l'omission systématique d'une mexicanité potentielle qui ferait tâche dans la publicité. C'est-à-dire que la cuisine traditionnelle qui pourrait faire office de décor n'est pas considérée comme propre à la publicité et à la vente. De même, la couleur de peau et les traits de visage des deux personnages sont arrangés, on ne sélectionne que des « güeros » (terme mexicain pour désigner poliment ou affectueusement les blancs de peau) qui répondent plus aux critères de beauté occidentaux et qui font par ailleurs référence à la tranche de population mexicaine au niveau de vie le plus élevé.

Dans le troisième exemple, c'est l'usage de slow-motion, c'est-à-dire du plan au ralenti que je vais détacher dans un premier temps. En effet, ces plans mettent en emphase la famille, les relations chaleureuses qu'entretiennent les différents membres. On utilise ainsi le cliché du couple qui dort paisiblement lorsque les enfants entrent avec fracas pour sauter sur le lit. On imagine un dimanche matin ensoleillé, ou un jour de vacance. Mais les parents, loin de se mettre en colère face à cette intrusion, accueillent chaleureusement les enfants avec des grands sourires. C'est ici une vision de la famille bien spécifique qui est utilisée. On reprend un classique du cinéma américain avec l'entrée des enfants dans la chambre des parents, on lui donne un air épique avec le ralenti, et c'est une famille parfaite et heureuse qui apparaît à l'écran.

Cette première scène cristallise une image de la famille qui, une fois de plus, contraste fortement avec ce qui pourrait être une famille mexicaine. On a là deux parents blancs de peau, bruns, et deux enfants dont un garçon blond et une fille châtaine. Le choix a été le même que pour les publicités précédentes, c'est-à-dire qu'on a cherché à effacé ce qui pouvait afficher le caractère mexicain de cette scène, ou que l'on n'a pas jugé pertinent de reprendre des éléments de la culture nationale pour illustrer le produit. Le plan rapproché tend à représenter encore une fois le rapprochement toujours plus intense des médias et de l'intimité, de la vie privée. On n'hésite pas à montrer un couple dans le lit conjugal, alors que c'est une des situations des plus intimes de la vie quotidienne.

L'environnement, comme décrit antérieurement, se veut moderne et assez spacieux. La décoration, d'un blanc éclatant, nous ramène à tout l'imaginaire de clarté et de sainteté que j'ai déjà abordé. Mais c'est plus une référence à la décoration de type occidentale, stérilisée, épurée. Sans extravagance, l'environnement se doit d'être neutre, car la publicité est internationale et globale. Il ne s'agit pas de faire appel a des éléments spécifiques adaptés à chaque région du monde, mais plutôt de trouver un compromis pour une stratégie de marketing globale.

On fait alors ressortir ici une vision globalisée de la famille, celle que l'on cherche à voir partout dans le monde pour répondre aux objectifs du grand capital. Cette vision est une sorte de nourriture idéologique, sous forme de modèle de vie, que l'on donne en pâture aux consommateurs du Mexique et du monde entier. Ce modèle est figé sur l'image d'une famille blanche et souriante qui vit dans un espace large et clair, quand chaque année la population mexicaine s'entasse de plus en plus dans les environs de la ville de Mexico. On fait de la publicité une sorte de rêve habitable que l'on atteint par la consommation, car la publicité part du produit pour aller au consommateur et donne ainsi l'impression qu'en prenant le même chemin, du consommateur au produit, c'est dans ce lit « king size » que l'on se réveillera demain, avec cette même petite famille autour de nous, et sans mal de tête.

Cette publicité use et abuse de la fonction conative. Tout son récit est basé sur le « vous » auquel s'adresse la voix-off. Mais, dans un premier temps, c'est par un poncif que cette voix tente de nous attirer l'attention: « se sentir bien, c'est savoir que vous pouvez comptez sur quelqu'un », jumelé aux images, dans une sorte d'apologie à la famille soudée. On crée un simulacre de solidarité, comme une sorte de contrepoids à l'individualisme qui domine dans la société contemporaine.

C'est « lorsque vous rentrez du travail fatigué » qu'il faut prendre ce médicament, se relaxer et oublier les problèmes, comme le fait le « soma » de Huxley dans Le Meilleur des mondes. C'est l'ultime rempart que « vous » avez contre le rythme effréné de la société, et ce médicament est à « votre » portée. Mais c'est par la famille que ce médicament est introduit. Qui est mieux placé pour « vous » vouloir du bien? C'est donc « votre » femme qui vous offre le médicament, parce qu'elle est attentive à « vos » ennuis. Non un docteur anonyme ou un remède de grand-mère. Ici, c'est la pastille directement, elle résout tous les problèmes pour « vous » laisser vivre heureux, débarrassé des petites douleurs quotidiennes.

On ne vend évidemment pas de la médecine traditionnelle, malgré le savoir important qui existe sur les plantes, qui sont encore largement utilisées au Mexique. Mais de nos jours, dans les grandes métropoles, qui se soignent avec des plantes? Un médicament sous vide c'est plus pratique, la science a fait des progrès. Les plantes, c'est du passé. Ce serait encore faire référence à d'autres cultures traditionnelles que l'on cherche justement à exclure dans la publicité, lorsqu'il s'agit de vendre de la modernité, en l'occurrence, un médicament supposé soigner le mal du siècle: la migraine.

Le « vous » employé par la voix-off fait justement référence à ce consommateur rêvé du grand capital, qui rentre du bureau après une longue journée de travail, fatigué. C'est l'apologie du travail. Il faut fonder une famille et l'entretenir. La famille, c'est l'avenir, c'est la croissance et la stabilité économique. C'est aussi l'endettement pour vivre dans un bel appartement moderne et sûr, pour payer la bonne l'éducation des enfants, la voiture pour se déplacer. La joie des banques. On espère les congés et les jours libres pour pouvoir profiter de sa famille, partir à la plage sans le souci du travail, faire du tourisme, dépenser le peu d'argent qu'il reste, évacuer le stress. Une image que l'on « vous » colle, car la publicité est le meilleur agent idéologique du capitalisme. Et cette courte réclame symbolise à elle seule le système économique dans lequel nous vivons et que l'on tente de justifier. C'est une nouvelle fois une mise en abîme de la vie moderne qui reproduit sans cesse le modèle unique offert par la publicité

En outre, la voix qui s'adresse à ce « vous », comme mentionné auparavant, est une voix féminine. Cette voix, calme et suave, laisse glisser les mots avec la douceur d'une mère. Elle « vous » met en scène et « vous » aide à résoudre les petits problèmes du quotidien. Elle se veut donc bienveillante, comme une mère qui se préoccupe de ses enfants. Elle « vous » dit comment réagir et comment vivre dans cet environnement social.

La dernière annonce, celle du café, va contraster avec les précédentes. Premièrement parce que comme je l'ai déjà mentionné, elle s'affiche comme un discours franc dirigé au spectateur. Mais tout l'intérêt de ce discours est qu'il ne concerne pas directement la marque Nescafé ou un de ses produits en particulier. La ruse ici est de faire l'apologie du café, avec toutes les techniques décrites précédemment (accent sur le côté artisanal, utilisation d'une figure connue et reconnue, etc.), en jouant sur l'ambigüité du « qui donne réellement l'information? ». En effet, la publicité n'est jamais gratuite. Si on diffuse ce spot, ce ne peut être pour les seules vertus du café, il y a forcément un acteur qui se cache derrière et qui en tire un intérêt.

Cette courte présentation aux airs de faux-semblants opère une sorte d'ellipse sémantique où du café on passerait tout naturellement au produit Nescafé, comme si les deux ne formaient qu'une seule et même chose. On ne laisse pas voir au téléspectateur le processus réel et entier qui part des grains de café pour terminer dans une tasse Nescafé, on suggère que le café est le Nescafé, excluant de ce fait tout ce qui n'est pas Nescafé. On cherche ainsi à faire associer la notion de café à celle de Nescafé à travers une relation unique et privilégiée, un raccourci mental qui amènerait le consommateur à chercher la marque Nescafé au rayon café.

Ce serait donc le café, et plus particulièrement le Nescafé (une proximité sémantique qui n'est pas anodine), qui nous apporterait tous les bienfaits dont parle la jeune journaliste. Celle-ci s'érige en figure emblématique des médias connus par un grand nombre de mexicain, une figure familière qui est à même de parler aux gens, de leur faire comprendre ce qu'il y a à comprendre dans le café. De plus, c'est une « belle » figure, blanche et avenante, une figure que l'on écoute. Si l'on regarde son programme et que l'on est attentif à ce qu'elle y dit, pourquoi ne pas prêter attention à ce qu'elle nous apprend dans la publicité? Encore une fois on tente ici d'effacer certaines frontières télévisuelles.

On voit alors toute la contradiction qu'il y a entre séduction et information dont parle Soulages143(*), car même lorsque la publicité tente de se rendre informative, comme c'est le cas ici avec le café, elle le fait de manière vague et symbolique. Elle utilise une mise en scène onirique de cette région reculée de l'état de Chiapas et de ses habitants, alors que c'est un des états les plus pauvres et sujets aux discriminations raciales du pays.144(*) Les différentes techniques mises en oeuvre montrent les habitants sous un jour éclatant, affables et souriants envers la journaliste, loin du travail harassant et mal payé des cultures de café dirigées par les grandes entreprises.

Le Chiapas est souvent utilisé pour marquer la fierté nationale en terme de biodiversité et de cultures autochtones, en totale contradiction avec la signature d'accords pour l'exploitation sauvage des ressources naturelles par des entreprises étrangères. On fait de cette région un lieu idyllique et mystérieux, qui cache de nombreuses ressources. On l'idéalise pour le transformer en décor de publicité, lisse et coloré.

Du fragment publicitaire, cette réclame est la seule à présenter des individus qui ne sont pas seulement des blancs de type européen ou nord américain. Mais ces individus, plutôt que d'être de vrais acteurs, ne sont que des figurants censés représenter ceux qui travaillent le café. Ce ne sont pas eux non plus que l'on interroge sur le café. On a en effet jugé que la jeune journaliste, populaire et médiatique, étaient plus à même de parler du café que ceux qui le travaillent au jour le jour.

L'idée est donc de présenter ces gens qui travaillent dans les champs, plus foncés de peau et vêtus d'habits traditionnels. Ceux-ci travaillent mais ne disent rien. Peut-être ne parlent-ils pas espagnol? Ils font parti de ce décor de la publicité dont je parlais, lisse et coloré, il n'en sont pas vraiment protagoniste. Leur présentation est à nouveau idéalisée: l'emphase sur le sourire de la jeune fille, les paniers de cerises parfaitement en ordre, les travailleurs avec leur chemise éclatante de blancheur, etc.

Ce que l'on pourrait donc considérer comme une représentation plus juste de la culture mexicaine n'est en fait qu'un leurre. Seule la journaliste dispose d'un vrai droit à la parole, les autres travaillent et font de la figuration. Parce qu'elle est journaliste, mais aussi blanche et attractive, on la met en avant, elle donne son avis et se met en scène. Les travailleurs restent derrière, attachés à leur labeur. C'est toute une contradiction qui est représentée ici, car celle qui fait réellement de la figuration, c'est la journaliste, avec son discours trivial et superficiel sur le café. Les authentiques acteurs du café seraient alors les travailleurs, ceux qui se courbent pour travailler, qui y mettent la main, et non ceux qui parcourent langoureusement les champs avec leur tasse à la main.

Le processus publicitaire tend généralement à inverser les choses, à donner de l'importance à un élément qui n'en requiert pas autant en terme d'information, et à reléguer d'autres éléments qui mériterait plus d'attention. Par exemple, les propriétés antioxidantes du café sont à peine suggérées, avec des chiffres précis mais presque indétectables au cours de l'action publicitaire. On met volontairement ces éléments de côté pour laisser plus de place à l'emphase des plans de caméra. Le visuel très soigné de ce spot tend à nous emporter dans un Chiapas imaginaire et rêvé, nous faisant oublier ainsi de quoi on parle exactement, et les personnages autochtones ou locaux paraissent irréels dans leurs vêtements traditionnels accommodés à la perfection.

Si l'on prend désormais tous ces éléments et qu'on les met dans la perspective d'une approche sémio-pragmatique, c'est-à-dire en prenant en compte le contexte de production et de réception de ces messages publicitaire (que j'ai décrit dans la première partie), on observe que le sens produit reflète une vision du monde globale et indifférenciée, et qui dit indifférencié dit exclusion de ceux que l'on considère comme différents au modèle prescrit. On élimine donc les représentants de la tranche pauvre de la population, les autochtones et ceux qui en auraient l'air. Si ceux-ci apparaissent à l'écran, ce n'est que pour occuper une place déjà définie dans le système-modèle: celle des figurants, ceux que l'on n'écoute pas, mais qui font joli lorsqu'il s'agit de reprendre les grandes valeurs démocratiques de diversité culturelle, d'égalité des chances, etc. Tout repose sur cette opposition.

Les producteurs du sens publicitaire de ce fragment ont fait preuve d'une certaine solidarité en ne mettant en avant que des personnages qui, dans le cadre d'une société ethniquement plurielle, sont estimés comme les plus à même de faire acheter les gens, c'est-à-dire à même de les séduire et de leur inspirer confiance. On pourrait émettre l'hypothèse du « malinchismo », qui signifie la préférence qu'ont de nombreux mexicains pour ce qui vient de l'étranger (produits ou personnes), supposant une meilleure qualité ou fiabilité. C'est l'histoire d'un peuple qui ne se fait pas réellement confiance, qui depuis la conquête espagnole a toujours vécu avec la présence active d'étrangers, sous une tutelle informelle, alors même que sa population affiche un nationalisme parfois exubérant.

Les acteurs de ce fragment publicitaire sont pourtant bel et bien mexicains, car il est vrai que les mexicains ne sont pas tous petits à la peau mate. Pour autant, la surreprésentation du type européen ou nord-américain (bien qu'il puisse être mexicain) traduit une préférence esthétique criante d'inégalité. Le Beau de ce fragment est moderne, blanc et souriant. Dans l'imaginaire publicitaire, tout un pan de la population n'a pas accès à la modernité, ni même à la beauté. Ce sont des situations qui ne laissent pas la place à la diversité: on construit la réalité du monde sur un axe socialement restreint.

Ces quatre publicités sont ainsi une sorte d'échantillon idéologique que l'on offre aux téléspectateurs sous forme d'information commerciale. Mais cette « information » prend une place conséquente lorsqu'elle est martelée par le média le plus consommé du pays, et chuchote à l'oreille du public dans l'intimité du foyer. La publicité rend l'information séduisante en lui quittant tout ce qui pourrait déranger. Elle est vicieuse car elle se fait souvent passer pour ce qu'elle n'est pas, tentant, comme je l'ai déjà signalé, d'effacer les frontières avec d'autres contenus visuels. Elle sème la confusion et lorsqu'elle parle au public, c'est pour lui dire qu'il faut avoir les dents blanches, qu'il faut abandonner les vieilles méthodes et vivre dans le présent, qu'il faut prendre tel médicament en rentrant du travail, qu'il faut boire du café, et plus particulièrement le café de telle marque. Ce fragment nous dit que la vraie vie quotidienne est celle qui se réveille dans un lit « king size », que ce qui est blanc est beau, que les parents ne sont pas à la page, et que dans les champs on travaille avec le sourire. C'est un univers enchanté qui laisse voir le monde comme propice à un tel virage social.

Ce fragment publicitaire est vecteur d'exclusion sociale lorsqu'il imagine un monde où seuls les blancs et beaux ont la parole. Ils sont ceux qui décident et ceux que l'on voit, alors qu'il suffit de détourner le regard pour se rendre compte que le monde se compose de plus que ces gens-là. Cette exclusion est d'autant plus flagrante lorsque la pub s'assume comme information commerciale, mais que cette information est erronée pour des raisons de marketing. Tous ses procédés techniques n'ont pour fin que de mettre en avant un monde imaginé comme il convient au système capitaliste global, et non une vraie information citoyenne qui conviendrait à un système avant tout démocratique.

On peut ainsi voir dans ce fragment publicitaire un autre fragment, identitaire celui-ci, d'une société en plein développement économique. Ces quatre spots se font écho des aspirations d'une classe moyenne embrigadée par le travail à l'occidentale. La publicité, ici, n'est pas tellement le prédicateur de cette classe moyenne, sinon l'expression d'un mode de vie qu'elle poursuit, encrée dans une boucle idéologique reproductrice.

On a, d'un côté, ce fragment qui ne sort pas de nulle part, c'est-à-dire qu'il fait référence à quelque chose qui existe déjà dans l'imaginaire collectif. Il reprend des éléments typiques du quotidien pour en faire des contenus « publicitilisables ». Ce phénomène, on le retrouve ici dans l'idée de l'homme qui rentre fatigué du travail, dans la jeune fille qui met sa mère au courant de l'existence d'un nouveau lave-vaisselle, dans le fait de vouloir se blanchir les dents, etc.

D'un autre côté, il y a l'imaginaire discursif dominant, qui reprend des éléments publicitaires. En France, cela a pu se caractériser par la reprise d'expressions utilisées en publicité. Mais plus concrètement, avec ce fragment, cela pourrait se caractériser par un intérêt plus accru pour le café. Par exemple, le discours dominant se verrait en quelque sorte modelé par ce que dit la journaliste, ou par ce que l'on voit, comment et où se cultive le café. Ou encore, ce serait de prendre l'habitude de recommander un cachet à quelqu'un qui rentre fatigué du travail plutôt que de lui dire de se reposer un peu. On pourrait également assister à une discussion sur la nécessité d'avoir les dents blanches pour aller à un entretien d'embauche.

En ce sens on peut voir ce schéma comme une boucle idéologique, dans laquelle la publicité véhicule l'inégalité sociale (sans pour autant la créer). La publicité impulse une vision qui exclue et trompe dans ce schéma à sens unique. Elle réutilise les préjugés et leur donne même un coup de pouce, elle est le tremplin aux idéologies de ce circuit qui va et vient entre la sphère publique et médiatique. Elle n'est pas éthique et peu régulée au Mexique, cherchant toujours à aller plus loin dans la séduction. C'est donc pour cela que l'iconicité de ce fragment publicitaire met autant l'accent sur la modernité, la famille, le travail, la blancheur, etc. Car la publicité sait que ce sont des éléments qui parlent à cette classe moyenne qui lui est si chère. Elle fait fi de l'éthique et réutilise à outrance des thèmes qui véhiculent l'inégalité sociale, alors qu'elle pourrait se proposer comme rempart idéologique en ne laissant pas trainer les préjugés déjà présents dans l'imaginaire du discours dominant.

Ce processus d'exclusion sociale apparaît dès lors clairement, il fait des généralisations sur le une gamme sociale réduite au bon vouloir économique. Mais s'il apparaît de manière si évidente au chercheur, il reste un processus compliqué pour ceux qui ne font pas que le voir à la télévision, mais qui le vivent réellement, sans même s'en rendre compte parfois. Ces personnes, j'ai donc choisi de leur faire partager cette antenne académique, à travers des entretiens, afin d'approfondir mon travail et voir comment l'exclusion publicitaire peut se répercuter sur un sujet social particulier.

3. Consommations et réceptions du discours publicitaire: l'entretien

La sociologie a fait de l'entretien un outil efficace et économique pour mieux comprendre les acteurs et les phénomènes sociaux. Le jeu du terrain est devenue monnaie courante dans les sciences sociales. Clair et valorisant, il casse le mythe de l'intellectuel sans cesse plongé dans la lecture de gros ouvrages au fond d'une bibliothèque mal éclairée. L'entretien est donc l'arme parfaite pour justifier un travail plus pragmatique qui fait aujourd'hui la valeur de nombreux travaux de recherche. S'il est pertinent et approprié dans de nombreuses situations, il ne faut pas oublier qu'il n'est qu'un des outils à la disposition du chercheur, et que l'on ne saurait le prendre comme technique seule à un travail sérieux.

L'entretien me sera précieux dans le sens où il me remettra à niveau. Grâce à lui je me confronte à un quotidien qui n'est pas le mien (celui du téléspectateur de la télévision au Mexique). Quitte à mettre parfois dans des situations embarrassantes, il oblige à dialoguer avec celui qui vit mon sujet de recherche. C'est une ouverture discursive sur ce qui structure le quotidien de du téléspectateur mexicain et ce qui le fait agir. L'entreprise est périlleuse car elle met souvent l'interviewé face à des questionnements inédits sur ce qui l'anime au quotidien, dont il doit plus ou moins improviser la réponse. On se demande en effet rarement pourquoi on regarde tel ou tel programme, telle ou telle chaîne, ce que l'on pense de la publicité, ce qu'elle nous évoque ou quelle rôle elle peut jouer dans notre consommation des médias, j'ai donc tenté d'être délicat dans mes entretiens et de venir peu à peu à ces questions. Quoiqu'il en soit, la richesse, parfois la simplicité discursive et le caractère direct des interviewés ont été un complément extraordinaire à la littérature scientifique formelle que j'ai eu sous la main dans le cadre de ce travail.

Pourquoi l'entretien

J'ai donc choisi la technique de l'entretien qui, dans le cas d'une problématique en relation avec l'exclusion sociale, me semblait un bon moyen d'entrevoir de quelle manière une personne peut se sentir exclue ou discriminé, alors que moi, qui ne le suis pas, je ne peux que voir cette exclusion. L'interviewé, de sa position distincte de la mienne, peut m'apprendre quelque chose sur le fragment publicitaire. Concrètement, ces entretiens m'auront aidé à reconstituer l'imaginaire publicitaire, comme un complément à l'analyse de mon corpus.

Ainsi, par ces entretiens, je ne cherche pas à identifier qui est le public des spots publicitaires du Canal 2 en heure de pointe. La relation entre mon corpus et mon terrain d'enquête n'est pas de type analogique, mais plutôt compréhensive. C'est-à-dire que j'aimerais confronter différents acteurs (aux profils distincts), avec toute leur expérience médiatique et sociale au Mexique, à un fragment publicitaire particulier (mon corpus), pour ensuite tenter d'en tirer de l'information sur comment ce fragment peut être vecteur d'inégalités.

Préalablement j'ai essayé de mieux comprendre leur relation à la télévision et à la publicité en générale, de faire sortir quelques unes de leurs réflexions sur le thème. Puis j'ai procédé au visionnement de mon corpus avec l'interviewé pour ensuite faire germer une discussion autour de ce fragment publicitaire. L'enjeu est d'encourager l'interviewé à reconstruire à sa manière l'imaginaire de ces spots publicitaires.

En terme de méthode, je suis la métaphore de « la glisse » de Jean-Baptiste Legavre145(*) lors des entretiens, c'est-à-dire prendre la vague au bon moment, quitte à m'éloigner d'un guide écrit à l'avance, pour ainsi me laisser la chance de suivre l'interviewé dans des recoins que je n'aurais pu imaginer.

Le texte recueilli au cours de l'entretien ne me semble pas l'unique source d'information utilisable dans le cadre de mon travail. Ma relation avec l'interviewé, son attitude, le lieu de l'entretien et les conditions dans lesquelles il se déroule sont des détails qui méritent d'être mentionné et analysé. Les personnes et les cadres d'entretiens ne seront pas choisies au hasard. Je ne chercherai pas à « neutraliser les effets de contexte »146(*), mais plutôt à comprendre comment il font partie de mon travail interprétatif.

Plus que cela, je penserai l'entretien comme un terrain d'enquête propre, c'est-à-dire qu'il fera l'objet d'une observation de type ethnographique, justement parce qu'il ne prend réellement son sens que dans un contexte particulier. Un simple enregistrement audio de l'entretien retranscrit en texte, comme c'est le cas dans de nombreux travaux, me paraît trop peu pour exploiter le vrai potentiel scientifique de l'entretien. C'est peut-être pour cette raison qu'il a longtemps été considéré comme un outil inférieur à la statistique, alors qu'il était simplement utilisé de manière trop restrictive.

Avant chaque entretien, je me questionne sur qui est la personne que j'ai en face de moi, afin de prendre en compte tout son passé social et sa prise de position, et d'adapter mes questions et mon analyse. J'accepte donc la liberté au sein de l'entretien qu'à la seule condition de bien connaître mon interlocuteur en tant qu'acteur social. L'objectif est de trouver un équilibre entre empathie, neutralité et le rapport de force inhérent à toute conversation, sans jamais chercher à extorquer l'intimité de la personne. Bien au contraire, il me semble qu'un terrain délicat que mon interlocuteur ne voudrait pas aborder en dirait plus qu'un discours forcé.

Le but de ces entretiens est de faire partager en quelques sortes le rôle de chercheur, de laisser l'interviewé explorer147(*) le thème par un discours qui se veut libre et réfléchi. Par cela j'assume également les limites de mon travail et de mes possibilités d'analyse. En effet, bien que bénéficiant d'un regard extérieur et différent, je ne peux nier le fait de ne pas tout savoir sur le Mexique et ses minuscules détails qui en font la spécificité. L'idée est donc de voir comment les personnes interrogées peuvent être aptes à s'adonner à un travail de réflexion et de production de discours sur un problème qui leur est posé, en fonction de ce qu'elles pensent et ressentent. Il me faut alors accepter la personne pour tout ce qu'elle est, essayer également de la comprendre pour comprendre ce qu'elle dit et faciliter ce travail.

Pour finir, j'emprunterai la formule de Hughes de « sociabilité sociologique »148(*) pour justifier mon emploi de cette technique. Cette sociabilité dépasse le cadre de l'entretien, car elle est inhérente à toute recherche. On engage la conversation, l'autre nous apporte des éléments nouveaux, des idées originales, des pistes de recherches ou des auteurs que l'on ne connaissait pas. De l'informel, la sociabilité passe au formel, à travers l'entretien.

Le travail en sciences sociales requiert du tact et une certaine expérience sociale, c'est-à-dire savoir se fondre dans une situation, s'adapter face à un acteur, jouer d'une certaine manière comme on le fait chaque jour dans le cadre de nos interactions quotidiennes. Ici au Mexique j'ai souvent été dans une situation de ce type, en règle générale les gens ont la parole facile et l'on peut vite tomber dans un échange tout à fait intéressant. Les récits de vie qui m'ont été donnés d'écouter sont tout aussi précieux pour saisir l'ampleur du processus d'exclusion sociale qui a lieu au Mexique, et c'est ainsi que j'ai peu à peu développé mes capacités à faire sortir de mon interlocuteur quelque chose qui m'aide à mieux le comprendre. C'est dans cette dynamique que j'ai choisi mes interlocuteurs. Durant un an passé au Mexique, j'ai eu la chance de rencontrer et converser avec de nombreuses personnes différentes. Les liens tissés au cours de ces échanges ont été pour moi l'occasion de voir comment certaines personnes pouvaient m'être d'une aide précieuse dans la compréhension des phénomènes sociaux. Ce que l'on peut voir comme une limite des entretiens qualitatifs (leur petit nombre), peut vite se révéler comme un avantage par rapport à des questionnaires qui ne nous laissent pas entrer en profondeur dans ce qui anime les acteurs sociaux (si on les considère comme révélateurs de certaines régularités dans l'expression populaire). Ces quelques voix peuvent en représenter beaucoup d'autres qui ne sauraient comment se formuler clairement, d'autant plus face à un inconnu.

En l'occurrence, mon choix s'est porté sur deux personnes qui me semblent dotées d'un profil capable de révéler beaucoup de choses sur l'imaginaire social mis en forme dans la publicité. La première est d'ascendance autochtone mais ne parle que l'espagnol ; la seconde est d'ascendance métisse mais parle le nahuatl en plus de l'espagnol. Je les ai choisi car je connais leur aisance à partager, mais aussi parce qu'ils sont des acteurs sociaux attentifs et curieux qui savent formuler leur pensée.

Le guide d'entretien

Arme à double tranchant, le guide d'entretien peut être utile dans certains cas, gênant dans d'autres. Certains interviewés auront besoin de cette marque de sérieux pour voir que l'entretien fait bien partie d'un travail, que l'on n'est pas là pour rien. D'autres en revanche seront déstabilisés par celui-ci et le prendront comme prétexte pour répondre succinctement aux questions, nous privant toute possibilité d'atteindre une conversation à « bâtons rompues », avec l'intimité caractéristique d'un bon entretien.

Le guide d'entretien est aussi un bon outil pour éviter de se perdre au cours de l'entretien, ou d'être à court d'idées. Il permet à l'enquêteur de rebondir et de faire avancer l'enquêté dans son récit. En ce qui me concerne, j'ai décidé de rédiger un guide simple qui me servira de base, sans pour autant se convertir en bible à suivre contre vents et marées. Comme signalé plus haut, je laisserai place à l'improvisation si l'occasion m'en est donnée, pour que l'entretien puisse couler de lui-même.

Je commencerai donc chaque entretien par quelques questions personnelles (situation socioprofessionnelle, lieu de résidence, etc.), sans trop entrer dans le détail pour ne pas effrayer mon interlocuteur. Puis je tenterai de voir quel type de relation chaque personne entretient avec la télévision, et plus particulièrement la publicité:

- « regardez-vous les publicités à la télévision? »

- « pouvez-vous me parler de publicités qui vous ont marquées (positivement et négativement)? »

- « font-elles référence à votre quotidien, vous sentez-vous concerné? »

- « sont-elles nécessaires à vos yeux, est-ce que vous les utilisez comme référence pour vos achats? »

Je proposerai, lors de chaque entretien, de visionner les quatre publicités qui constituent mon corpus, et de laisser les enquêtés réfléchir pour revenir sur ces questions de manière plus précise. Ce sera alors l'occasion pour moi de repérer des éléments que j'aurais manqué, mais aussi de collecter leurs impressions, de les mettre en perspective grâce à ce qu'ils m'auront raconté auparavant, mais aussi grâce à leur profil social.

3.1. En quête de compréhension: production discursive face au discours publicitaire

Mon premier entretien a eu lieu avec Fabian, 31 ans, enseignant-chercheur en sciences de la communication à la l'université. Je l'ai choisi pour la relation amicale que j'entretiens avec lui, mais surtout pour son profil original. En effet, Fabian est d'origine mixtèque (« Ñuu Savi », le peuple de la pluie), autochtone de la région d'Oaxaca. Il m'a paru intéressant de me diriger vers lui car il dispose de deux éléments clé dans la recherche de compréhension de l'inégalité sociale au Mexique. Premièrement, il fait partie d'un peuple marginalisé, souvent privé de ressources économiques, mais très riche culturellement pour son passé. De cette appartenance, il porte les traits de visage: lèvres épaisses, nez large, yeux bridés, peau foncée. Bien que lui-même ne parle pas la langue traditionnelle, il dispose, secondement, de tout un savoir académique qu'il a pu conjuguer au savoir traditionnel de ses ancêtres. Il est donc un fin observateur des phénomènes médiatiques au même temps qu'il vit et étudie les phénomènes sociaux relatifs à l'identité et à l'exclusion sociale. Pour sa tendance à analyser ce qui se passe autour de lui, son investissement universitaire sur le thème qui nous unie, il pourrait se révéler comme un faux-acteur social. Conscient de ce détail, j'ai tenté d'orienter l'entrevue vers sa perception personnelle et non sur ses recherches.

Dans un premier temps, il m'a fait part de sa relation avec la télévision. Il en était un consommateur assidu pendant de longues années, le poussant d'ailleurs à s'engager dans l'étude des médias, jusqu'à s'en détacher de manière brutale pendant ses années universitaires, pour y revenir ensuite avec plus de raison. Sa consommation se résume aujourd'hui au dimanche, qu'il consacre entièrement à regarder la télévision, des vieux films mexicains comme la série du « Santo » dans la matinée, des évènements sportifs qu'il affectionne beaucoup, des documentaires et un film en soirée.

La plupart des chaînes qu'il regarde sont des chaînes du câble qui diffusent beaucoup de publicités. Il m'a confié ne pas vraiment regarder les publicités, ne pas leur prêter beaucoup d'attention, profitant plutôt de l'occasion pour voir ce que diffusent les autres chaînes, feignant le désintéressement. En réalité, les téléspectateurs me semblent très nombreux à effectuer la même manoeuvre. Quand bien même on tente de l'éviter, on ne peut ne pas voir de publicité à la télévision. Cela s'est manifesté dans l'entretien tout de suite après, lorsque je lui ai demandé de me parler de quelques publicités qu'il connaissait.

Fabian a reconnu deux types de publicité auxquels il accorde une attention particulière, celles qui le marquent négativement, qui le choquent pour l'utilisation de stéréotypes exagérés, et celles qui l'impressionnent par leur efficacité. Il m'a fait part de son désarroi face au propos publicitaire en générale, qui se destine en grande partie à la classe moyenne et haute, et qui laisse complètement de côté toute la population commune. Il s'est alors posé la question de savoir si l'on cherche un impact commercial réel ou si l'on veut seulement montrer, mettre en emphase un style de vie particulier.

De la même manière, il reconnaît deux types de publicités auxquels il peut se reconnaître ou s'identifier. Premièrement, les publicités relatives au sport, pour son goût ce genre d'activité, ont tendance à attirer son attention et à entrainer ce processus d'identification que recherche tant la publicité. Par exemple, pour vendre des baskets, on va mettre en scène des situations extrêmes qui font le bonheur des amateurs de sport, ne serait-ce que dans l'esthétique, sans pour autant qu'il se précipite ensuite au supermarché pour acheter les baskets en question. Deuxièmement, viennent les pubs concernant les produits qu'il consomme en abondance, comme le déodorant. Fabian me confesse alors son goût pour les produits déodorants et leurs publicités, d'autant plus que le discours utilisé dans ces publicités, celui de la séduction masculine, a un impact fort sur une génération qui cherche à tout prix à plaire. Il reconnaît être touché par ce discours, et bien qu'il soit conscient que cela ne fonctionne pas exactement comme ça dans la réalité, la seule impression de pouvoir accéder à n'importe quelle femme grâce au déodorant lui plait, car c'est en quelque sorte le rêve de l'adolescent matérialisé dans un produit, une idée qui aujourd'hui lui paraît divertissante quand il repense à sa jeunesse.

Il a ensuite mis en relation la publicité avec notre manière de voir la télévision, c'est-à-dire dans un but de relaxation et de divertissement. Cet aspect est tout à fait pertinent dans le sens où, comme il le souligne, on ne cherche pas une information pour comprendre la complexité du monde. Par son aspect ludique et amusant, la publicité parviendrait à entrer plus facilement dans la consommation télévisuelle, sans être vue comme un parasite discursif. C'est aussi pour ça qu'elle tente d'effacer les limites avec d'autres genres télévisuels et qu'elle en copie les caractéristiques. En cela la publicité tente de faire oublier qu'elle nous vend quelque chose, elle détourne l'attention avec ses mises en scènes très stylisées.

Fabian est ensuite revenu sur les publicités de déodorant, avouant sa fidélité à ce genre de produits, et l'influence que peut avoir la publicité dans son achat. En effet, c'est lorsqu'il voit le dernier spot à la télévision qu'il se dit « je veux celui-là! ». C'est en quelque sorte son produit fétiche, celui auquel il accorde de l'attention, celui qui le fait entrer dans le jeu publicitaire, alors que pour d'autres produits il n'y aura pas du tout ce type de relation. Les produits qu'il consomme le plus, à part le déodorant, ne sont pas diffusés en télévision, car ce sont des produits culturels comme les livres par exemple.

Après avoir visionné mon corpus, Fabian a tout de suite voulu détacher un élément: la distinction ou l'opposition qu'il y a entre le blanc et le foncé. Pour avoir souvent discuté avec lui, je sais que c'est un thème qui lui tient particulièrement à coeur. Il voit donc ici le blanc comme le positif, comme ce que l'on recherche, et à l'inverse, l'obscure et le foncé, « ce qui n'est pas bien », ce que l'on évite de montrer. Il voit dans la blancheur quelque chose de superficiel, qu'il place sous l'angle de la diversité culturelle au Mexique. Par exemple, dans de nombreuses communautés, si la population a quelque chose de très sain, c'est la dentition, pour la haute consommation de maïs et du calcium qu'il contient. On voit alors l'opposition à la publicité, qui nous dit qu'il faut se brosser les dents absolument, utiliser du dentifrice (et bien l'étaler sur toute la brosse à dent), pour avoir de belles dents blanches et saines. En l'occurrence, le produit Colgate de mon corpus propose seulement de blanchir les dents et non pas d'avoir une bonne dentition, mais Fabian imagine bien le conflit que cela peut produire dans l'imaginaire d'une communauté qui a toujours utilisé le maïs comme soin dentaire.

C'est, par ailleurs, l'annonce de la marque Nescafé qui l'a particulièrement marqué. Bien qu'il soit né dans la capitale, il a souvent eu l'occasion de visiter la communauté de sa mère dans l'état d'Oaxaca. La production agricole majeure de cette communauté est justement le café. C'est donc un peuple habitué à consommer une grande quantité de café depuis toujours. Mais, selon lui, l'existence de publicités comme celle-ci tend à déformer complètement la réalité et à embellir un processus globalisant qui se développe au Mexique depuis plusieurs dizaines d'années. En effet, Fabian a insisté sur le fait que les grandes entreprises ont littéralement tué la culture artisanale du café de ces communautés, forçant leurs membres à travailler pour ces grandes entreprises sans pour autant recevoir un salaire digne. Une main d'oeuvre peu chère qui fait le bonheur des marchands de café, et notamment des groupes internationaux comme Nescafé.

En outre, ce qui frappe Fabian, c'est la manière dont les produits comme Nescafé, leur commercialisation mais aussi leur représentation publicitaire, est parvenue à changer les habitudes de consommation dans les communautés. Selon lui, par exemple, on ne consomme pas de café en grain dans les villages, mais justement du Nescafé, car il est rendu moins cher et plus facile d'utilisation. J'ai moi même eu l'occasion de constater le même phénomène, des personnes qui voient le Nescafé comme plus propre ou plus sain que le café local. Cette représentation publicitaire du café bon pour la santé, cultivé de manière artisanale dans un lieu magnifique, rentre donc dans un processus global de promotion et d'imposition du grand capital, qui dans sa course laisse un grand nombre de mexicains de côté.

Mon second entretien était avec Patricia, jeune mexicaine de 22 ans en recherche d'emploi. Son profil m'a plu car n'ayant pas de relation particulière avec une communauté autochtone, elle a cherché à en savoir plus sur les racines de son pays en étudiant la langue nahuatl, la seconde langue du pays. De manière plus générale, c'est une personne très concernée par les problèmes d'injustice et d'inégalité sociale. Issue d'une famille de syndicalistes de Pemex (le service public pétrolier du Mexique), elle fait partie de la classe moyenne mexicaine. Sa couleur de peau est relativement foncée, sa taille est petite, et ses traits de visage sont plus « mexicains » que ce que l'on peut voir dans mon corpus, c'est-à-dire qu'elle a le nez large, les yeux très légèrement bridés et les lèvres épaisses.

Elle estime sa consommation télévisuelle à une heure ou deux par jour en moyenne, concentrée sur la fin de semaine. Ces programmes favoris sont les séries et les films qui passent en soirée. Elle se refuse de voir les informations à la télévision, n'en regardant que les titres pour savoir de quoi on parle, rien de plus. Dépendant des chaînes qu'elle regarde, la quantité de publicité varie d'un extrême à l'autre. Des chaînes ouvertes comme le canal 11 ou 24, on peut voir un film sans aucune coupure publicitaire, aux chaînes américaines comme la Warner ou la Fox qui atteignent parfois dix coupures publicitaire à l'intérieur d'un même film. Patricia profite de la publicité pour chercher ce qu'il y a sur d'autres chaînes, pour faire un peu « d'exercice de zapping ». Néanmoins, tout comme Fabian, elle reconnaît voir des publicités, car c'est inévitable à la télévision.

Elle dit être choquée par l'utilisation de bébés dans un spot pour une boisson hydratante. Ces bébés sont présentés avec une bouche et une voix d'homme virtuellement rajoutées pour les faire dire par exemple: « Je bois cette boisson quand je me lève avec la gueule de bois », ou sur la plage, avec une voix de femme: « Je bois cette boisson pour me réhydrater lorsque je m'expose au soleil ».

À l'inverse, elle se dit généralement séduite par les publicités de parfum, pouvant la pousser parfois à acheter le produit en question. Ce qui lui plait réellement, c'est l'esthétique très travaillée et très soignée de ces spots. Elle aime l'univers et l'attitude des personnages, sans pour autant s'identifier à eux. En vérité, elle confie regarder ces publicités plus dans une optique d'exercice esthétique que dans celle d'une information commerciale.

Elle a ensuite fait référence à deux types de publicité que je n'avais pas identifiés auparavant. Sur les chaînes payantes, elle note la présence de nombreux « infomerciales » qui sont des sortes de pubs télé-achat, où l'on cherche à vendre une paire de chaussures qui font perdre du poids, à travers des témoignages et des petites mises en situation, avec le prix du produit qui apparaît à la fin. Sur les chaînes ouvertes, ce sont des mini-reportages sur un thème particulier, comme le mal de tête qui peut entrainer des problèmes familiaux, qui s'affichent comme une information, lorsqu'à la fin apparaît une personne disant comment résoudre le problème du mal de tête avec tel ou tel médicament. Cette forme publicitaire se rapproche de celle utilisée par Nescafé dans mon corpus, avec une forme identique de reportage sur le café.

Patricia ne voit pas dans la publicité une source d'information, car si elle regarde la télévision, ce n'est justement pas dans cet objectif. Il serait intéressant de savoir si une personne qui prend la télévision comme une vraie source d'information voit la publicité également comme cela. La publicité donne des « envies » à Patricia, non de l'information. Elle va voir un spot, comme celui du café par exemple, qui lui donnera envie d'un café, car toute l'ambiance de la pub la fait se sentir bien, tout y est beau et propice à une bonne tasse de café, alors même qu'elle n'aime pas beaucoup le café et encore moins le café de la marque Nescafé. En cela elle voit dans la publicité un pur message « aspirationnel » sans aucun rapport avec son quotidien. Lorsqu'elle voit une de ces pubs de parfum, elle sent qu'avec ce parfum elle pourrait accéder à un petit bout de ce monde. Un souhait semi-avoué envers ces productions très stylisées, qui la font rentrer dans le jeu publicitaire ambigüe du « je te promets ça si tu m'achètes », en faisant justement exprès de réfuter tout ce qui est constitutif du quotidien pour parvenir à cette force-là.

3.2. Opacité du processus d'exclusion et réalité sociale

Chez Fabian, on sent bien toute la réflexion qu'il y a en amont de cet entretien. Pour lui tout est clair dans la publicité, avec cette opposition blanc-obscure que j'avais également mise en avant lors de l'analyse de mon corpus. De même, Fabian a personnellement été touché par des discriminations de type racial, ce qui le rend plus sensible au sujet. Il m'avait un jour raconté une anecdote de son enfance, sa tante lui disait d'aller se laver les mains et le visage, l'accusant d'être sale. Il est allé se laver, mais en revenant sa tante insistait encore pour qu'il se lave, qu'il frotte réellement, comme si c'était sa couleur de peau qu'il fallait « nettoyer ». C'était l'occasion pour moi de réaliser que le problème ethnique au Mexique porte bien, entre autres, les marques d'un racisme à l'américaine (blancs contre noirs). Il faut évidemment relativiser ce fait, cependant il ne faudrait pas l'omettre en ayant peur de tomber dans un schéma grossier, car ce racisme est bel et bien présent. Il est d'autant plus difficile à accepter lorsqu'on sait qu'une très grande majorité de mexicains a la peau mate voire très mate, et que seule une poignée de personnes a la peau claire. Ce déséquilibre montre à quel point l'inégalité peut être forte dans d'autres champs, et encore plus si ce déséquilibre a su s'insérer dans un des imaginaires les plus prégnants au Mexique, celui de la publicité.

À l'inverse, Patricia, qui est pourtant tout aussi concernée par ce type de problématique, ne semble pas choquée par l'exclusion sociale dans l'imaginaire publicitaire. C'est comme si c'était un fait, que la publicité s'inscrivait par nature dans un processus d'exclusion sociale. On ne se pose plus la question du pourquoi la publicité nous présente les choses de cette manière et pas d'une autre. Elle s'est auto-naturalisée de la sorte, faisant de son discours un genre social épuré.

C'est pour cela que j'emploie l'expression « opacité » du processus d'exclusion, car il ne se fait pas toujours voir comme tel aux yeux de celui qui regarde la publicité au jour le jour. Seul un oeil déconnecté de cet imaginaire peut voir dans la publicité quelque chose d'anormal, quelque chose qui cloche ou qui manque, une partie que l'on cherche à occulter, et qui rend la publicité si singulière. Car au final, c'est peut-être cela qui nous fait reconnaître la publicité avec autant de rapidité: la suppression significative de l'élément social gênant. Sa présentation en modèle parfait lui donne une couleur universelle qui n'est en fait qu'un reflet global et opaque.

On imagine que le téléspectateur lambda n'est pas choqué par l'exclusion sociale de la publicité, car elle repose sur une ambigüité réelle et subtile. La publicité est, d'une part, quelque chose que l'on ne prend pas trop au sérieux, que l'on ne regarde pas avec attention, mais qui est plutôt une occasion de voir ce que proposent les autres chaînes, de se détendre avant la reprise des programmes. On se demande alors comment elle peut revêtir une importance si grande dans le média télévisuel, et comment elle rapporte de telles sommes d'argent. Or la publicité est justement, d'autre part, le programme télévisuel par excellence. Ce programme qu'on croit attendre, film, série ou documentaire, n'est en fait que la pause au réel contenu de la télévision: la publicité, proposition commerciale stylisée que l'on ne peut éviter. Tout le monde connait quelques réclames et peut en citer quelques unes. On peut difficilement y rester insensible, étant donné que son travail est justement d'atteindre notre corde sensible. Elle s'efforce, par tous les moyens, de nous toucher, d'attirer notre attention en nous faisant rire ou en nous choquant.

Cette inversion télévisuelle, qui voudrait nous faire croire que la publicité est une chose à laquelle on ne prête pas beaucoup d'attention, cache donc une réalité qui est celle du débordement discursif de l'imaginaire publicitaire, qui à son tour cache, ou plutôt masque la réalité avec un voile qui exclue ceux qui gênent socialement la publicité et ses intérêts commerciaux (qu'elle partage avec le grand capital). Ce montage peut paraître biscornu mais il est à l'image de la complexité du processus publicitaire dans son entreprise de conquête idéologique, réalisé par le biais d'une fausse demi-présence télévisuelle. On résumera donc la publicité en disant qu'elle est le contenu principal de la télévision, bien qu'elle tente de s'en cacher pour ne pas s'exposer, donnant ainsi l'impression au téléspectateur que ce qu'il voit n'est qu'un entre-acte sans grande importance. Si on la pense comme le contenu télévisuel majeure, on peut réellement s'intéresser à l'imaginaire qu'elle produit, et voir dans quelle mesure il exclue socialement, sans donner l'impression d'une quelconque importance dans ce processus d'exclusion.

Pour revenir sur les propos de Fabian, on a un exemple flagrant de discrimination dans une publicité qui date de 2005. Celle-ci, une image dans le métro, annonçait un déodorant de la marque Rexona et disait « Para que el metro no huela a Indios Verdes ». Cette phrase, qui signifie « Pour que le métro ne sente pas comme les indiens verts » est un jeu de mot, car « Indios Verdes » est une station de métro de la capitale, réputée pour son désordre et donnant accès à la zone pauvre qui l'entoure. Le slogan publicitaire fait bien évidemment référence à la station de métro, de par l'usage des majuscules et du mot « metro », mais il est également offensant pour les « indiens » du Mexique qui pouvaient y voir un sous-entendu sur leur prétendue mauvaise odeur. En effet, la station Indios Verdes porte son nom en référence à deux gigantesques statues qui représentent deux indigènes, anciens empereurs aztèques. Elles se situent non loin et marquent la sortie de la ville, elles sont faites de bronze et ont peu à peu verdi avec le temps, d'où le nom du métro. C'est suite aux plaintes d'associations en faveur des peuples autochtones que la publicité a été retirée, un mois après son affichage. L'agence publicitaire à l'origine de cette image s'est bien défendue en clamant qu'elle ne visait en aucun cas un groupe de personnes particulier, et que toute l'histoire provenait d'un malentendu, le mal était fait, car ce malentendu reposait sur un stéréotype qui remonte aux temps des espagnols et qui veut que l'autochtone soit sale et malodorant. Un stéréotype qui est encore largement partagé et duquel les autochtones tentent de se dégager, non pas en utilisant du déodorant, mais justement en affrontant ce genre de propos dégradants qui ne reposent que sur un préjugé ancien.

Ainsi, le problème de discrimination au Mexique est coercitif car il n'est pas reconnu comme tel par ses acteurs ni parfois même par ses victimes. L'exclusion sociale est à double niveau, autant dans les médias que dans n'importe quelle situation sociale. Si la publicité ne se juge pas discriminatoire, elle n'aura jamais conscience de ce qu'elle représente réellement. Il faudrait qu'elle avoue, contre son propre point de vue, qu'elle exclue et conforme des stéréotypes discriminants, comme c'était le cas de Rexona, pour pouvoir effectuer un changement sémantique réel.

Comme je l'ai dit, ni même les victimes de cette discrimination sont toujours conscientes du phénomène, et si elles le sont, elles ne pensent pas que le jeu en vaille la chandelle. La publicité est ainsi, pourquoi vouloir la changer? J'ajouterai ici que la discrimination au Mexique est tellement enracinée dans son histoire qu'elle semble passer sous les yeux du grand nombre sans provoquer de réaction. En effet, sans vouloir m'appuyer avec trop d'insistance sur cette idée, l'injustice et la discrimination au Mexique sont si fortes pour quelqu'un qui débarque, et si floue pour quelqu'un qui la vit ou l'exerce depuis des années, qu'on ne sait plus vraiment où trouver la justesse du propos. Quoi qu'il en soit, la publicité s'inscrit évidemment dans le clan de ceux qui exercent l'exclusion sociale sans même sans rendre compte, arrivant à se défendre de cette idée par différents stratagèmes discursifs, comme la présence de figures variées dans la pub Nescafé qui témoignerait d'une sorte de sympathie pour la diversité, alors que cela ne fait que renforcer la position des dominés.

Cette ignorance du thème est effrayante, car on se demande alors si les choses ont une chance de changer un jour. Les institutions du gouvernement ne laissent pas vraiment entrer la lumière sur cette discrimination profondément ancrée dans le développement du Mexique, depuis la domination du peuple mexica jusqu'à l'oligarchie actuelle des grands patrons. De plus, la lenteur des actions juridiques, la corruption et le manque d'autorité des institutions ralentissent lourdement ce qui pourrait être vu comme le début d'une prise de conscience de l'exclusion sociale, c'est-à-dire l'action des organisations non gouvernementales qui luttent pour les droits de l'homme.

L'exclusion sociale au Mexique peut être considérée comme une véritable coutume qui ne choque plus personne, ce qui la rend difficile d'appréhension dans de nombreux cas, car les mexicains la voient plus comme un état de fait. Mais les mentalités bougent, calquées sur les avancées et luttes à travers le monde en faveur des droits de l'homme. En juin 2004, le gouvernement mexicain approuvait une loi contre la discrimination, qui allait donner naissance au Conseil National pour prévenir la discrimination (CONAPRED). Bien qu'ayant des moyens plus que limités, cette organisation dépendante du gouvernement constitue un premier pas vers la prise de conscience des problèmes de discrimination et d'exclusion sociale

La CONAPRED a d'ailleurs récemment lancé une sorte de concours visant à décerner des anti-prix aux messages médiatiques (TV, radio, Internet, cinéma, affiches, etc.) « qui expriment de manière évidente des concepts discriminants, qu'ils soient intentionnels ou non ».149(*) Il suffit donc d'envoyer le document en question par internet, qu'un « jury » examinera afin de décerner ces fameux anti-prix. On voit là à quel genre de farce se livre l'institution, ce qui nous amène à douter de son efficacité réelle, car comme toute institution au Mexique, son poids est faible face à celui des grandes entreprises qui dominent le marché médiatique. De plus, la discrimination « évidente » n'est sûrement pas la plus à dénoncer. On a vu ici dans un fragment publicitaire comment ce sont des choix et des propositions indirectes qui rendent le message publicitaire discriminatoire. On ne peut concevoir un autochtone qui annonce un produit Colgate, tout comme on ne choisit pas une typique famille mexicaine pour représenter une mère et une fille qui discute autour d'un produit-vaisselle. C'est pourtant là qu'il faudrait travailler, sur chaque fragment publicitaire, et provoquer un changement global dans la manière de représenter le monde. Et ce que l'on a vu ici pour la télévision, on pourrait l'observer dans les affiches qui jonchent le périphérique de la ville de Mexico, sur Internet, à la radio, ou dans les « telenovelas ». La discrimination, et plus loin l'exclusion sociale, ne sont pas des phénomènes évidents que l'on peut délivrer lors d'une remise de prix.

CONCLUSION

Ce premier travail de recherche a été marqué du début à la fin par les questions d'exclusion sociale liées au foisonnement des cultures au Mexique. Il reste cependant clair que ce thème n'est qu'effleuré ici, ce travail n'aurait la prétention de faire le tour du problème de discrimination sociale au Mexique. Il a pourtant été pour moi le déclencheur d'une prise de conscience progressive des mécanismes sociaux et médiatiques qui conduisent à la discrimination. Comme je l'ai déjà mentionné, l'inégalité est si forte lorsqu'on la découvre que j'ai décidé de me dédier à l'étude de ce phénomène, à savoir comment il se reproduit et se légitime.

Par ailleurs, me mettant à la place du lecteur qui n'a pas vécu l'expérience mexicaine, j'ai tenté de conserver une certaine clarté dans ma recherche afin de ne pas rendre la lecture confuse et fastidieuse. Tout l'enjeu était de trouver le compromis entre une base d'information bien précise sur les spécificités du Mexique et une rédaction compréhensible pour n'importe quel lecteur étranger à cette culture.

Dans le cadre d'une recherche en sciences de la communication, il m'a fallu trouver une expression médiatique de ce phénomène d'exclusion sociale, et c'est vers la publicité que je me suis tourné. Il m'a été donné de l'étudier en profondeur alors même que j'éprouvais, sinon une aversion, une grande indifférence à son égard. Et c'est alors que j'ai réalisé que l'on étudie la publicité lorsqu'on l'aime, lorsque l'on veut travailler dans ce domaine, et que l'on passe alors à côté des aspects plus sombres, comme l'exclusion sociale par exemple. Peu nombreux sont ceux qui s'intéressent à la publicité pour la critiquer, bien qu'elle soit souvent dénoncée par quelques figures intellectuelles, et j'ai pu me rendre compte du peu de recul qu'ont ceux qui s'engagent dans la voie publicitaire. Cela revient à mon propos, car c'est justement ce manque de recul qui fait que la publicité n'admettra pas qu'elle est un vecteur d'exclusion sociale. J'admets, en ce qui me concerne, ne pas voir la publicité comme une manifestation médiatique très positive, mais le regard sans haine que je porte sur le monde m'engage néanmoins à m'y intéresser sans impliquer trop de sentiments, pour mieux la comprendre et peut-être tenter de la rendre meilleur (ou moins pire). Il m'aura en effet fallu me défaire de quelques préjugés et reprendre la publicité depuis le début, puisque je n'avais pas été un farouche passionné de publicité.

Ce travail aura aussi été une première tentative dans l'approche scientifique d'un thème qui me tient à coeur: les relations interculturelles. Je me suis évidemment confronté aux limites inhérentes à un tel sujet, c'est-à-dire l'ampleur du champ d'investigation et des notions théoriques, mais c'est un thème qui, selon moi, sera de plus en plus d'actualité dans un monde toujours plus global. Il faut peu à peu rendre les études en sciences sociales abordables, car elles nous concernent tous, et il serait dommage de s'en priver à cause d'un séparatisme entre politiques, citoyens et chercheurs. Je ne révolutionne rien en affirmant que les sciences sociales mériteraient une plus grande implication citoyenne et politique, plutôt que de rester dans le cercle très fermé des universitaires, mais c'est une réalité cruelle que je réalise à travers ce travail. Sans prétendre changer le monde publicitaire, un travail sur « la publicité comme vecteur d'exclusion sociale » aurait peut-être le mérite de faire réfléchir des professionnels, de voir en quoi leur manière de travailler automatisée est discriminante. J'imagine parfois la publicité, avec tout son capital, prendre de l'audace et faire de son discours quelque chose de complètement décalé, qu'elle cesse de réchauffer des stéréotype pour se placer à la pointe de la représentation sociale, avec une vraie éthique.

Malheureusement, au regard de l'actualité publicitaire et de son développement dans la société, on l'imagine plus devenir un méga-sponsor, que le cinéma commercial devienne réellement commercial, un « Fast and Furious » qui serait en fait un évident film publicitaire d'1h30 pour telle ou telle marque de voiture. Peut-être même que l'on ne paierait pas pour voir ce film, car c'est la publicité qui paye pour qu'on la voie. De même j'imagine une entrée progressive de la publicité dans les secteurs publics comme l'éducation, et particulièrement les universités qui tendent désormais à fonctionner sur un mode privé. On voit déjà comment les techniques publicitaires font partie de la vie politique, pourquoi pas l'éducation? C'est hélas le triste bilan auquel j'arrive à la fin de cette étude, un bilan qui m'amène toutefois à penser que dans ce contexte, ce type de travail sera de plus en plus valeureux pour remettre en question l'invasion publicitaire. Il ne faut pas laisser la publicité à ceux qui oeuvrent pour elle, et encore moins lorsqu'elle s'en prend à la diversité culturelle.

Au cours de ce mémoire, je me serai consacré entièrement au message publicitaire, à son contexte de production et de réception, ce que j'ai appelé « sémio-pragmatique », ou plus globalement une analyse communicationnelle. Toutefois, chacun de ces contextes mériterait une investigation plus profonde, afin de savoir comment fonctionne réellement le champ publicitaire au Mexique. De même, on attendrait une approche plus profonde des publics et non-publics de la télévision mexicaine, afin de mieux saisir leurs attentes, leurs consommations. Le contexte mexicain est d'une richesse incroyable, car il a un pied dans des traditions totalement étrangères au système occidental, et l'autre pied dans l'industrialisation et la modernisation inéluctable. Il confronte des cultures et des modes de vie totalement différents, des espaces naturels uniques et des zones urbaines qui sont dans les plus grandes au monde. Il un terrain de recherche absolument démesuré pour les sciences sociales. Le Mexique est une expérience humaine incomparable pour le chercheur en herbe, le faisant réfléchir sur sa propre culture, lui laissant voir les phénomènes sociaux avec plus d'acuité. Cette expérience hors-France me paraît cruciale dans le développement intellectuel de l'étudiant, elle devrait être une quasi-obligation dans le parcours académique de celui qui s'engage à l'université.

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ANNEXES

Films et documentaires

DEFOSSÉ Nicolás et VIVEROS Mario, Romper el cerco, 2007

GILLIAM Terry, Brazil, 1985.

MANDOKI Luís, Fraude: México 2006, 2007.

MENDOZA Carlos, Teletiranía: la Dictadura de la Televisión en México, 2005.

Articles de presse

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Internet

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Site officiel de La Nuit des Publivores, http://www.nuitdespublivores.com/

Site officiel de l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP),

http://www.arpp-pub.org/

Site officiel du CONAPRED, http://www.conapred.org.mx/

TABLE DES MATIÈRES

Page de garde 1

Sommaire 2

Remerciements 3

Introduction 4

PARTIE I : Culture de l'image et image de la culture 8

1. Culture des images et société contemporaine: un phénomène publicitaire 11

1.1. Des effets de la publicité à son rôle légitimé dans la société 12

1.2. La publicité mexicaine, un quatrième pouvoir? 18

2. Une image de la culture au Mexique 28

2.1. Notes sur le multiculturalisme 30

2.2. Discrimination, racisme et idéologie dominante dans un système global 43

PARTIE II : Un discours publicitaire vecteur d'exclusion sociale 51

1. Télévision et publicité 52

1.1. La télévision-publicité, un couple conceptuel 54

1.2. Une approche sémio-pragmatique de la publicité télévisuelle 58

2. Discours et visuel d'un fragment publicitaire 62

2.1. Description du corpus 63

2.2. Vendre du « rêve » et exclure le réel 73

3. Consommations et réceptions du discours publicitaire: l'entretien 83

3.1 En quête de compréhension: production discursive face au discours publicitaire 87

3.2. Opacité du processus d'exclusion et réalité sociale 92

Conclusion 96

Bibliographie 99

Indexes 103

* 1 Helen Spencer-Oatey, Culturally speaking : managing rapport through talk across cultures. London, Continuum, 2000, p. 4 (traduction personnelle)

* 2 Gisèle Freund, Photographie et société, Paris, Points Seuil, 1974, p. 6

* 3 Il convient de préciser que cela ne s'est pas fait par enchantement, mais qu'il y avait une logique économique derrière, notamment celle de Kodak qui a été la première marque à en profiter et à impulser ces pratiques amateurs: « Pressez sur le bouton, nous faisons le reste » disait le slogan.

* 4 Régis Debray, Vie et mort de l'image, Paris, Gallimard, 1995, p. 37

* 5 Éric Macé, Les Imaginaires médiatiques, Paris, Amsterdam, 2006, p. 28

* 6 Ibid.

* 7 Salvador Carrasco, La otra conquista, 1998.

* 8 Raymond Williams, « Publicité: le système magique », Réseaux, 1990, Vol. 8, n° 42, pp. 73-95.

* 9 Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952.

* 10 Elihu Katz et Paul L. Lazarsfeld, Influence personnelle: ce que font les gens des médias, Paris, Armand Colin, 2008.

* 11 Valérie Sacriste, « Sociologie de la communication publicitaire », L'Année sociologique 2001/2, Vol. 51, p. 487-498.

* 12 Jürgen Habermas, L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978.

* 13 Montaigne, Les Essais, I, Paris, Le Livre de Poche, 1972. cité par Valérie Sacriste et Armand Mattelart.

* 14 La France développe, à contre courant, une idéologie anti-publicité: le tapage publicitaire signifie la mauvaise qualité du produit. La publicité joue sur le côté égoïste des gens, le superficiel. Ainsi le marché publicitaire français reste sous-développé jusque dans les années 70, lorsque la publicité se transforme réellement en outil d'incitation à la consommation au profit de l'entreprise capitaliste. La recherche d'un aspect artistique dans la publicité sera un des éléments clé pour qu'elle soit tolérée et largement acceptée. Marc Martin, Trois siècles de publicité en France, Paris, Odile Jacob, 1992.

* 15 Franck Cochoy, La captation des publics: c'est pour mieux te séduire mon client, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2004.

* 16 Laure Gaertner, « Que produisent les publicitaires ? Retour socio-historique sur la formation d'une expertise », Revue management et avenir, 2008/1, n° 15, p. 140-155.

* 17 Pierre Bourdieu, « La production de la croyance », Actes de la recherche en sciences sociales, 1977, Volume 13, n° 1, pp. 3-43.

* 18 Le Monde, 8 février 2010

* 19 Laure Gaertner, art.cit, l'auteure projette un regard socio-historique sur le monde publicitaire. A travers une enquête historique et plus de 80 entretiens conduits avec des publicitaires d'âge différents, dont 15 nés avant 1950, son objectif est justement d'aborder la formation de la légitimation du métier de publicitaire.

* 20 Antoine Lefebure, Havas, les arcanes du pouvoir, Paris, Grasset, 1992

* 21 Marie-Emmanuelle Chessel, La Publicité: naissance d'une profession, 1900-1940, Paris, CNRS éditions, 1998.

* 22 Marc Martin, Trois siècles de publicité en France, Paris, Odile Jacob, 1992.

* 23 Laure Gaertner, art.cit.

* 24 Ibid.

* 25 Roland Barthes, « Rhétorique de l'image », Communications, 1964, Vol. 4, p. 40-51.

* 26 Pierre Bourdieu, « L'opinion publique n'existe pas », Les temps modernes, n° 318, Janvier 1973, pp. 1292-1309.

* 27 Le Monde, 9 avril 2004.

* 28 Source: site officiel de l'ARPP.

* 29 Serge Tisseron, Comment l'esprit vient aux objets, Paris, Aubier, 1999, p. 216

* 30 Valérie Sacriste, art.cit.

* 31 Ibid.

* 32 Ibid.

* 33 Source: IPSOS-BIMSA, personnes de 6 à 64 ans. Mexico, Guadalajara et Monterrey. Avril 2006 à mars 2007.

* 34 Javier Esteinou Madrid, El derecho a la información de los pueblos indios: el caso de México. http://www.inisoc.org/jest0108.htm, 23 novembre 2003.

* 35 Comisión Nacional para el Desarrollo de los Pueblos Indígenas, document officiel disponible en ligne.

* 36 Le président Fox s'est notamment fait remarquer pour son son affiliation à des groupes religieux très conservateurs, pour son opposition aux intellectuels, pour sa misogynie (lorsqu'il parlait des « machines à laver à deux pattes »), et plus généralement pour son manque d'éducation.

* 37 Source: IBOPE AGB México, Anuario media performance 2008.

* 38 Andrew Paxman et Alex M. Saragoza, Globalization and Latin Media Powers: The Case of Mexico's Televisa, in Vincent Mosco et Dan Schiller, Continental order?: integrating North America for cybercapitalism, Boston, Rowman & Littlefield, 2001.

* 39 Le cas de Luis Donaldo Colosio, assassiné en pleine campagne électorale, fait figure d'exemple-type de cette lutte pour le pouvoir. Voir Martha Riofrío, Nación, Democracia y Sepultura, Mexico, Trigueres, 1997.

* 40 Elena Poniatowska, La Noche de Tlatelolco, Mexico, Era, 1993.

* 41 Laura Castellanos. México armado 1943-1981. México, Era, 2007,

* 42 Carlos Montemayor, La Rébellion indigène du Mexique. Violence, autonomie et humanisme, Mexico, Syllepse, 2001.

* 43 Nicolás Défossé, Romper el cerco, 2007. (documentaire)

* 44 Carlos Mendoza, Teletiranía: la Dictadura de la Televisión en México, 2005. (documentaire)

* 45 Miguel Ángel Granados Chapa, « Desafueros (procesos contra René Bejarano y Andrés Manuel López Obrador) », Proceso, 7 novembre 2004.

* 46 Luís Mandoki, Fraude: México 2006, 2007. (documentaire)

* 47 La Jornada, 8 février 2010.

* 48 Carlos Monsiváis, En torno a la cultura nacional, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1982.

* 49 « Note rouge » en Français, cette expression a servi au Mexique pour désigner un genre journalistique en relation avec les thèmes de sécurité publique et de justice pénale, autrement dit les histoires de morts et de disgracies sociales. Souvent qualifiée de mauvais journalisme, on l'attribue à la fascination pour la mort que semble manifester les mexicains. Voir Marco Lara Klahr et Francesc Barata, Nota(n) roja, Mexico, Debate, 2009.

* 50 Référence à l'agression simulée dans la capitale, diffusée au JT pour mettre en avant l'insécurité qui règne dans la ville, ecore une fois afin de discréditer les politiques de gauches aux mains de la capitale. La Jornada, 22 août 2000.

* 51 Carola García Calderón, El poder de la publicidad en México en los inicios del siglo XXI, Mexico, Plaza y Valdes, 2007. Les remarques qui suivent sont pour la plupart tirées de cet ouvrage, de même que les chiffres qui ne disposent pas de référence.

* 52 Source: Consulta Mitofsky, « El comercio informal en tiempos de crisis », 2009.

* 53 Il est courant qu'un long métrage comporte jusqu'à dix coupures publicitaires qui, accumulées les unes aux autres, peuvent représenter une durée supérieure à celle du programme.

* 54 El Universal, 27 juin 2007.

* 55 Censo General de la Población y Vivienda, Estados Unidos Mexicanos, 2000.

* 56 Victor M. Bernal Sahagún, Anatomía de la publicidad en México. Mexico, Nuestro Tiempo, 1988.

* 57 Carola García Calderón, op.cit.

* 58 « Comentarios de la IAA a las modificaciones del Reglamento de Salud », Apertura, avril 1992, p. 64-68.

* 59 Stephan Dahl, « Intercultural Research: The Current State of Knowledge », Middlesex University Discussion Paper, n° 26, janvier 2004.

* 60 Edward T. Hall, Au-delà de la culture, Paris, Seuil, 1987.

* 61 Geert Hofstede, Cultures and organizations : software of the mind : intercultural. London, HarperCollins, 1994.

* 62 Francisco Colom, Razones de identidad. Pluralismo cultural e integración política, Barcelone, Anthropos, 1998.

* 63 Charles Taylor, et al., El multiculturalismo y la «política del reconocimiento», Mexico, FCE, 1993.

* 64 Source: dictionnaire Larousse.

* 65 Source: programme universitaire México Nación Multicultural de l'Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM), http://www.nacionmulticultural.unam.mx

* 66 Source: recensement de la population, 2000: www.census.gov/prod/2000pubs/cbr003sp.pdf

* 67 Source: recensement de population et habitat de l'année 2000.

* 68 Réalisée par le Conseil National pour Prévenir la Discrimination (CONAPRED), 2005.

* 69 Une étude de « communauté » célèbre est celle de Robert Redfield, Tepoztlan, a Mexican village: A study in folk life, Chicago, University of Chicago Press, 1930, car elle l'une des premières d'une longue vague anthropologiqueq à planter la problématique communautaire au coeur du travail de recherche.

* 70 Gonzalo Aguirre Beltrán, Crítica antropológica, México, FCE-INI-UV-Gobierno del Estado de Veracruz, 1990, p. 290.

* 71 Hectór Diáz-Polanco, Autonomía, territorialidad y comunidad indígena. La nueva legislación agraria en México, in Victoria Chenaut et María Teresa Sierra, Pueblos indígenas ante el derecho, México, CEMCA-CIESAS, 1995, p. 231.

* 72 Les remarques qui suivent sont largement emprunté à l'ouvrage référence en matière d'organisation communautaire des peuples autochtones, publié en 1954: Gonzalo Aguirre Beltrán y Ricardo Pozas Arciniega, La política indigenista en México. Métodos y resultados, Instituciones indígenas del México actual, Mexico, INI-SEP, 1981.

* 73 Comme c'est le cas dans la zone Triqui, dans l'état de Oaxaca, voir Pedro Lewin Fischer et Fausto Sandoval Cruz, Triquis: Pueblos Indígenas del México Contemporáneo, México, CDI, 2007.

* 74 La Jornada, 11 fevrier 2010.

* 75 Hectór Diáz-Polanco, op.cit.

* 76 Floriberto Diáz Gómez, « Derechos humanos y derechos fundamentales de los pueblos indígenas », La Jornada Semanal, Mexico, 11 mars 2001

* 77 Nicolas Défossé, Mario Viveros, Romper el cerco, 2007 (documentaire).

* 78 Héctor Diáz-Polanco, La rebelión zapatista y la autonomía, Mexico, Siglo XXI, 1997.

* 79 Miguel A. Bartolomé, Autononomías étnicas y estados nacionales, Mexico, INAH, 1998.

* 80 Magdalena Gómez Rivera, «El debate mexicano sobre derecho indígena y las propuestas para su constitucionalidad», in INI, Estado del desarrollo económico y social de los pueblos indígenas de México. Primer informe, México, INI-PNUD, 2000.

* 81 ORDPI-INI, Pueblos indígenas, políticas públicas y reforma institucional, Mexico, 2002.

* 82 Source: recensement de la population, 2000.

* 83 Ibid.

* 84 Eduardo L. Menéndez, Poblaciones abiertas, seguras y privadas: cambios, reorientaciones y permanencias en el Sector Salud mexicano, Mexico, CIESAS, 2004.

* 85 Jesús Martín-Barbero, Globalización y multiculturalidad: notas para una agenda de investigación, in Mabel Moraña, Nuevas perspectivas desde/sobre América Latina, Mexico, Instituto Internacional de Literatura Iberoamericana, 2000.

* 86 « Carlos Slim: The world's wealthiest man », Paul Harris, The Guardian, 14 mars 2010.

* 87 Jesús Martín-Barbero, op.cit. p. 18

* 88 Ibid, p. 20

* 89 Néstor García Canclini, Culturas híbridas. Estrategías para entrar y salir de la modernidad, Mexico, Grijalbo, 1990.

* 90 León Olivé, Multiculturalismo y Pluralismo, Mexico, Paidós-UNAM, 1999.

* 91 Ibid, p. 33.

* 92 Tzvetan Todorov, La Conquête de l'Amérique, la question de l'autre, Paris, Seuil, 1982.

* 93 Teun A. Van Dijk, Dominación étnica y racismo discursivo en España y América Latina, Barcelone, Gedosa, 2003.

* 94 Rien que dans la ville de Mexico, on compte au moins 37 de ces organismes selon le répertoire des ONG orientées vers la défense des droits des peuples indigènes publié par la CODHEM (Commission des droits de l'homme de l'état de Mexico)

* 95 Carlos Montemayor, La Rébellion indigène du Mexique. Violence, autonomie et humanisme, Mexico, Syllepse, 2001.

* 96 Teun A. Van Dijk, op.cit.

* 97 Teresa Carbó, El discurso parlamentario mexicano entre 1920 y 1950. Un estudio de caso en metodología de análisis de discurso, Mexico, CIESAS et Collège de Mexico, 1995.

* 98 Norberto Valdez, Ethnicity, class, and the indigenous struggle for land in Guerrero, Mexico, New York, Garland, 1998.

* 99 Armando Salinas Torre, Diario de los Debates, 15 mars 2001.

* 100 Miguel León-Portilla, De palabra y obra en el nuevo mundo, Madrid, Siglo XXI, 1993.

* 101 Gregory Bateson, Don D. Jackson, Jay Haley, John J. Weakland, « A note on the Double bind - 1962 », Family Process, 2, 1963. cité par Yves Winkin, La Nouvelle communication, Paris, Seuil, 1981.

* 102 Abdelmalek Sayad, La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré, Paris, Seuil, 1999.

* 103 Pierre Bourdieu, « La production de la croyance », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 1, 1977, pp. 3-43.

* 104 Jean-Claude Soulages, « Les avatars de la publicité télévisée ou la vie rêvées des femmes », Le Temps des Médias, n° 12, 2009, pp. 114-124.

* 105 Jean-Claude Soulages, « Quand la pub parle de pub » Médiamorphoses, n° 20, Médias en miroir, Ina/Armand colin, pp 99-105.

* 106 Jean-Claude Soulages, « Le tiers interdiscursif dans le discours publicitaire », in Patrick Charaudeau et Rosa Montes (dir.), La voix cachée du Tiers. Des non-dits du discours, Paris, L'Harmattan, 2004.

* 107 Ibid.

* 108 Ibid.

* 109 Source: site officiel de La Nuit des Publivores, http://www.nuitdespublivores.com/

* 110 Umberto Eco, La guerre du faux, Paris, Grasset, 1985, p. 197.

* 111 Carmen Compte, qui utilise cette expression, donne l'exemple de la publicité où Gérard Depardieu intervient avec son paquet de pâtes dans une situation conflictuelle, prétendant résoudre tous les problèmes de la famille. Le spectateur n'est pas dupe, il sait qu'en réalité cela ne fonctionne pas. La publicité cherche plutôt à provoquer le sourire et laisser une impression conviviale et rigolote de cette marque de pâte. De cette manière, elle « joue » en quelques sortes avec le spectateur. Carmen Compte, « Les publicités : narcisses télévisuels », La télévision au miroir, n° 9, mars 1998, pp. 110-124.

* 112 Ibid.

* 113 Walter Benjamin, « L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique », L'Homme, le langage et la culture, Paris, Denoël, 1971.

* 114 Pour autant que l'on puisse parler d'une certaine fascination face à l'image télévisuelle, il semble plus juste de sortir le public télévisuel de ce schéma passif et homogénéisant comme l'on fait les « cultural studies ». Bien que réduite, une marge de manoeuvre est offerte au téléspectateur, à travers le choix de chaîne (« zapping ») et le contrôle du son et des couleurs. Le « feed-back », matérialisé par les sondages d'audience, est une notion clé dans ce que l'on pourrait nommer le « choix du spectateur », jugeant ainsi du succès ou non d'un programme. Mais ce phénomène de « feed-back » serait également la cause d'une réelle dictature de l'audience, il engendrerait une course à la création de programmes de plus en plus racoleurs, justement pour attirer les annonceurs publicitaires et leur vendre l'espace toujours plus cher, ce qui constituerait, au final, la réelle critique que l'on pourrait adresser à la production télévisuelle.

* 115 Ignacio Ramonet, Le Chewing-gum pour les yeux, Paris, Alain Moreau, 1980.

* 116 Umberto Eco, Apocalípticos e integrados, Barcelone, Lumen, 1984, p. 346.

* 117 José Saborit, La Imágen publicitaria en televisión, Madrid, Cátedra, 1988, p. 21.

* 118 Abraham Moles, La Comunicación y los mass media, Bilbao, Mensajero, 1975, p. 582. (traduction personnelle)

* 119 Martine Joly, Introduction à l'analyse de l'image, Paris, Armand Colin, 2009, p. 12.

* 120 Il serait d'ailleurs intéressant de mener une étude sur la publicité non formelle, celle qui jonche les programmes de divertissement et les matchs de football, afin d'observer comment elle s'insère dans la réception du message télévisuel.

* 121 José Saborit, op.cit., p. 26.

* 122 José Saborit, op.cit., p. 33.

* 123 Régis Debray, op.cit. p. 436.

* 124 Les associés d'EIM, Les Dirigeants français et le Changement : Baromètre 2004, Paris, Huitième jour, 2004.

* 125 Vance Packard, The Hidden Persuaders, New York, Washington Square Press, 1957, et Gillian Dyer, Advertising as Communication, New York, Methuen, 1982, p. 92.

* 126 Martine Joly, op.cit., p. 23.

* 127 Georges Péninou, Intelligence de la publicité. Étude sémiotique, Paris, Robert Laffont, 1972.

* 128 Jacques Durand, « Rhétorique et image publicitaire », Communications, n° 15, 1970, pp. 70-95

* 129 Martine Joly, op.cit.,

* 130 Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, 1963.

* 131 Georges Péninou, « Langage et image en publicité », in Claude Vielfaure (dir.), La publicité de A à Z, Paris, Retz-CEPL, 1975.

* 132 Roland Barthes, « Rhétorique de l'image », Communications, Volume 4, n° 1, 1964, pp. 40-51.

* 133 Mauro Wolf, « Géneros y televisión », Análisis, n° 9, mai 1984, p. 190.

* 134 Martine Joly, op.cit. p. 47.

* 135 Ibid.

* 136 Francisco de Jesús Aceves Gonzalez, « La televisión y los tapatíos. Un atisbo al entreveramiento horario de transmisión, menú programático y patrones de exposición », Comunicación y Sociedad, 1er septembre 2001.

* 137 Fernando Mejía Barquera, « Historia mínima de la televisión mexicana (1928-1996), Escenarios y Convergencias, Mars-Mai 2007.

* 138 Gisela Rabinowicz et Jorge Volonté, « Grupo Televisa S.A. », in Boletín de Políticas de Comunicación, Universidad de Buenos Aires, n° 2, juillet 2003.

* 139 Source: IBOPE AGB México, Anuario media performance 2008.

* 140 José Carlos Lozano, « Distanciamiento crítico frente a la TV nacional mexicana », in Zer, n° 14, mai 2003. Étude réalisée sur 2800 personnes dans les villes de Monterrey, Guadalajara et Mexico, dont 180 ont été interviewées.

* 141 José Carlos Lozano, art.cit

* 142 Source: IBOPE AGB México, Anuario media performance 2008.

* 143 Jean-Claude Soulages, « Quand la pub parle de pub » Médiamorphoses, n° 20, Médias en miroir, Ina/Armand colin, pp 99-105.

* 144 Carlos Montemayor, Chiapas: la rebelión indígena de México, Mexico, Debolsillo, 2009.

* 145 Jean-Baptiste Legavre, L'entretien, une technique et quelques unes de ces « ficelles », p. 35-55, in Stéphane Olivesi, et al., Introduction à la recherche en SIC, Grenoble, PUG, 2007.

* 146 Stéphane Beaud, « L'usage de l'entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l' « entretien ethnographique » », in Politix, Vol. 9, N° 35, troisième trimestre 1996, pp. 226-257.

* 147 Guy Michelat, « Sur l'utilisation de l'entretien non directif en sociologie », in Revue française de sociologie, Vol. 16, n° 2, avril-juin, 1975, pp. 229-247.

* 148 Everett C. Hughes, « La sociologie et l'entretien », in Le regard sociologique, Paris, Mark Benney, EHESS, 1996.

* 149 Source: http://www.conapred.org.mx/






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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard