Université Lumière Lyon 2
La publicité au Mexique, vecteur d'exclusion
sociale. Analyse communicationnelle d'un fragment publicitaire.
Mémoire de Master 1 en « Sciences de la
communication » à
l'Institut de la Communication (ICOM),
par Michael Spanu,
dirigé par Juliette Rennes.
Année universitaire 2009/2010
SOMMAIRE
Introduction
PARTIE I : Culture de l'image et image de la culture
1. Culture des images et société contemporaine:
un phénomène publicitaire
1.1. Des effets de la publicité à son
rôle légitimé dans la société
1.2. La publicité mexicaine, un quatrième
pouvoir?
2. Une image de la culture au Mexique
2.1. Notes sur le multiculturalisme
2.2. Discrimination, racisme et idéologie dominante
dans un système global
PARTIE II : Un discours publicitaire vecteur d'exclusion
sociale
1. Télévision et publicité
1.1. La télévision-publicité, un couple
conceptuel
1.2. Une approche sémio-pragmatique de la
publicité télévisuelle
2. Discours et visuel d'un fragment publicitaire
2.1. Description du corpus
2.2. Vendre du « rêve » et exclure
le réel
3. Consommations et réceptions du discours
publicitaire: l'entretien
3.1. En quête de compréhension: production
discursive face au discours publicitaire
3.2. Opacité du processus d'exclusion et
réalité sociale
Conclusion
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier tout particulièrement
Carlos Alabat Bernal qui a été attentif à toutes les
avancées de mon travail, toujours prêt à partager une
anecdote sur le Mexique qui pouvait m'aider dans ma compréhension du
monde social mexicain. De même Fabian Bonilla Lopez, pour les livres
prêtés et les bons conseils. Je remercie également tous mes
amis mexicains qui m'ont écouté et m'ont ainsi aidé
à formuler ma pensée, cette écoute a été
précieuse. Patricia, pour son entretien, sa bonne humeur, sa
présence. Sans oublier mes parents et ma soeur qui ont eu
l'amabilité de m'envoyer des livres de France, Maïwenn et Pierre
pour avoir fait l'effort de scanner des chapitres dont j'avais besoin.
Plus généralement je remercie la UNAM pour
m'avoir accueillie tout au long de cet échange universitaire, de m'avoir
tant appris et enrichi. Je serai éternellement reconnaissant à
cette université qui occupe un vrai rôle de service public, qui
malgré sa lourdeur administrative reste un des garde-fous de la
pensée et de la culture authentique du Mexique et d'Amérique
Latine.
Je tiens enfin à dire merci à ma directrice de
mémoire, Juliette Rennes, pour m'avoir accompagné dans ce
travail, de même que Jean-Claude Soulages pour ses articles et sa
pensée si riche. Merci à l'université Lyon 2 pour avoir
permis tout cela.
INTRODUCTION
Le Mexique est un pays empli de contradictions. Les pyramides
de Teotihuacan, vestiges des cultures préhispaniques situées
à une demi-heure de la ville de Mexico, font partie des attractions
touristiques les plus visitées du pays. De manière plus
générale, les sites archéologiques comme celui de
Chichen-Itza ou de Palenque suscitent un engouement certain chez les touristes,
autant étrangers que mexicains. Le gouvernement investit dans ces lieux,
finance parfois même les restaurations, il y organise des
évènements et affiche fièrement la grandeur de ce glorieux
passé. D'un autre côté, les héritiers autochtones de
ces peuples préhispaniques, qu'ils soient mayas, nahuas, ou de l'une des
52 autres ethnies indigènes du Mexique, font partie de la tranche de la
population la plus pauvre du pays. Plus que cela, ils sont les plus
démunis, les plus marginalisés, les plus stigmatisés.
Les différentes formes de pouvoir qui se sont
succédées au Mexique ne semblent pas avoir su prendre en compte
le caractère multiculturel de la nation, ni à mettre en place une
politique efficace pour que les individus puissent vivre en harmonie, dans le
respect de leurs cultures respectives, alors même que le Mexique est
réputé pour son laxisme frontalier, se posant comme terre
d'accueil pour les gens du monde entier. Peut-être trop
préoccupés a former une grande nation économiquement
homogène, un état progressiste calqué sur le modèle
capitaliste des Etats-Unis, les pouvoirs publics mexicains ont clairement
laissé de côté les questions de
« multiculturalisme », abandonnant chacun à son
propre sort. L'aspiration à un modèle économique
capitaliste rend la vie facile aux européens et américains. Du
côté autochtone et traditionnel, lorsque les protestations
sociales se sont faites entendre, (révolte paysanne de 1910,
insurrection des autochtones à Chiapas en 1994, Atenco en 2007, etc.) la
seule réponse a été la répression militaire.
L'opportunisme politique étant un sport de compétition au
Mexique, on voit régulièrement des programmes d'aide dans
certaines communautés, des terrains généreusement
donnés, des services ponctuels d'attention médicale, mais qui
malheureusement ne résolvent pas le problème de
l'inégalité.
Par ailleurs, la ville de Mexico connait un mélange
culturel extrêmement aigu, fruit de l'immigration massive de tout le pays
mais aussi du monde entier. On trouve donc de nombreux européens et
américains attirés par la facilité des affaires, des
mexicains de tous les états de la république, des rescapés
politiques, une grande communauté juive aisée, des libanais, des
chinois et japonais, sans compter la descendance des dizaines d'esclaves
africains qui débarquaient avec chaque conquistador et qui se sont
aujourd'hui fondus dans le paysage. Dans la capitale, la population est
passée d'environ 1 500 000 habitants en 1940 à plus de 20 000 000
aujourd'hui. Ainsi, ceux que l'on appelle les « chilangos »
sont les fils de cette incroyable vague d'immigrants qui vivent dans la
capitale, produits d'un choc culturel d'une rare intensité.
Pourtant, au regard des images publicitaires qui jonchent les
stations de métro, ou des réclames de la télévision
mexicaine, on ne retrouve que difficilement cette pluralité des
cultures. En effet, ces images mettent en scène des visages et des corps
lisses et apatrides que l'on ne rencontre que difficilement dans les rues de la
capitale. Evidemment, ces images n'ont pas comme finalité de rendre
compte du formidable multiculturalisme du Mexique, mais par leur
omniprésence elles m'ont semblé un bon support pour m'interroger
sur les manières de représenter le monde qui courent dans ce
pays. Ces représentations sont à première vue plastiques
et souvent forcées, touchant à un imaginaire collectif
déformé et déformant qui réchauffe des
stéréotypes. Mais plus on s'interroge et plus l'idée que
la publicité véhicule un imaginaire inégalitaire et
parfois discriminant se fait claire. La publicité mexicaine serait
donc un vecteur d'exclusion sociale, car elle la représente et la
véhicule par le biais de la magie médiatique, s'inscrivant ainsi
dans un système politico-médiatique global et
discriminant.
En me confrontant à cet imaginaire biaisé de la
publicité au Mexique, les questions qui m'intéressaient au
début étaient celles du rapport à l'autre et aux autres
cultures, du rapport du « chilango » à sa propre
identité, alors même que celle-ci n'est pas clairement
définie, dans un contexte de mélange culturel extraordinaire. Je
comptais étudier l'image des cultures à travers la culture de
l'image.
C'est donc ce que j'ai tenté de faire dans un premier
temps, en donnant un panorama de la culture des images, et notamment de son
agent le plus vivace au Mexique, la publicité. Celle-ci est
omniprésente, championne de l'affichage hors-norme sur des
façades d'édifices et capable d'interrompre jusqu'à dix
fois un film. Mais l'objectif ici n'est pas de chercher à voir les
soi-disant effets qu'elle produit sur la population, sinon la place qu'elle
occupe dans l'imaginaire et le discours de la société moderne.
Puis, dans un cadre plus institutionnel, je tenterai d'examiner la machine qui
produit ces images au Mexique, comment elle s'insère dans un jeu de
pouvoir qui la rend presque intouchable. Par le manque de régulation et
son importance dans la survie des médias, la publicité fait de sa
voix un des discours dominants du Mexique.
Dans un second temps, je me suis attelé à
dessiner une image de la culture au Mexique. En effet, l'enjeu était ici
de mieux comprendre le contexte culturel et surtout multiculturel dans lequel
s'inscrivent les messages publicitaires, car c'est là l'origine de
l'exclusion sociale. Pour saisir ce processus d'exclusion opérée
par la publicité, il fallait avant tout savoir comment celle-ci existe
dans le quotidien de la société mexicaine, c'est pourquoi j'ai
ensuite développé ma réflexion sur la notion de
discrimination.
Ces deux temps formaient alors une parfaite entrée en
matière à une sémiopragmatique de la publicité, car
ils étaient les deux points nécessaires à la
compréhension des lignes de lecture d'un message publicitaire au
Mexique. D'un côté le contexte de production avec la culture de
l'image et l'industrie publicitaire mexicaine, de l'autre le contexte de
réception avec l'image de la culture et la discrimination.
J'ai alors pu entrer dans un travail plus concret que j'ai
orienté vers l'analyse d'un fragment publicitaire de la
télévision mexicaine. Pour cela il m'a fallu faire un
détour par la télévision au Mexique et les
éléments techniques qui la lient à la publicité,
pour ensuite préciser comment j'allais travailler ce fragment
publicitaire. Ma méthode allait reprendre des éléments
propres à la sémiotique et à l'analyse d'image, qui me
seraient utiles par la suite pour interpréter le fragment publicitaire.
Enfin, j'ai partagé le rôle de chercheur en faisant participer
deux personnes par le biais d'entretien. Cette dernière étape a
été cruciale dans l'affinage et l'aboutissement de ma
réflexion sur l'exclusion sociale, car ce n'est pas un
phénomène si clair qu'il me paraissait au départ, bien
qu'il reste très présent dans la publicité.
Les principales difficultés que j'ai
rencontrées au cours de ce travail ont avant tout été
d'ordre bibliographique. Bien qu'ayant à ma disposition la
bibliothèque de la plus grande université du Mexique, je me ne
suis rendu compte que tardivement des lacunes qu'elle présentait. Je me
suis confronté à de nombreux ouvrages qui manquaient cruellement
d'actualité. Alors que les universités françaises font
beaucoup d'efforts pour rester à la page et obtenir les ouvrages les
plus récents, notamment dans le champ des sciences de la communication,
je n'avais à ma disposition que des travaux vieillis sur des
thèmes pas toujours en rapport avec ma recherche. La bibliothèque
de la faculté de sciences politiques et sociales dont dépend la
licence en sciences de la communication s'est révélée pire
encore, où j'étais incapable de mettre la main sur des classiques
de la communication. Des ouvrages sur le contexte médiatique ou
publicitaire au Mexique étaient très peu nombreux et souvent
très vieux, rendant le croisement des sources relativement difficile.
J'ai donc dû faire avec le peu de sources à ma
disposition. J'ai cependant pu compter sur l'aide de quelques professeurs qui
disposaient de livres à me prêter. C'est alors que j'ai compris
qu'au Mexique il est courant d'aller acheter soi-même des livres parfois
très pointus sur un sujet car aucune bibliothèque ne l'aura
à disposition. Je me suis également arrangé pour que l'on
m'envoie certains livres plus théoriques en Français, dont je
pensais avoir besoin pour ma réflexion et mon travail d'analyse. Cette
contrainte bibliographique m'a par ailleurs permis d'épuiser les
ressources bibliographiques mises à disposition par l'université
Lyon 2. Je ne compte le nombre d'articles scientifiques auxquels j'ai eu
accès sur Cairn, Persée ou Jstor et qui ont été
tout à fait décisif dans l'avancée de mon travail.
En outre, mon université d'accueil comptait avec un
grand nombre d'ouvrage sur le thème du multiculturalisme. Les questions
d'identité et de culture en Amérique Latine sont ses grandes
préoccupations académiques, j'ai eu l'occasion de participer
à un programme nommé « México nación
multicultural » qui m'a complètement ouvert les yeux sur le
thème du multiculturalisme au Mexique. Ce programme m'a également
permis d'accéder à un grand nombre de sources d'information,
m'évitant ainsi de me perdre dans la marée d'ouvrages sur la
culture.
L'autre difficulté à laquelle je me suis
confronté a justement été d'être au Mexique. Bien
que cela m'aie ouvert l'espace à un champ d'investigation que mes
collègues en France n'avaient pas, la distance a rendu difficile le
contact avec ma directrice de mémoire. Cette distance conjuguée
à une absence de cours sur la méthodologie du mémoire m'a
souvent amené à improviser pour pouvoir avancer. Je ne
considère pas cette distance comme un réel obstacle,
néanmoins il est évident que sans un intérêt profond
pour mon sujet et une bonne motivation, j'aurais rapidement
décroché. De plus, le fait d'être à
l'étranger et d'avoir de nombreuses choses à découvrir ne
facilitent pas l'affaire, car le mémoire m'a demandé beaucoup de
rigueur au quotidien. J'ai pu heureusement compter sur l'aide de mes proches au
Mexique, qui m'ont donné de précieuses informations sur des
affaires médiatiques passés ou des détails de la culture
que je ne pouvais connaître. De même, j'ai pu
bénéficier des conseils avisés de ma directrice, parfois
quelques mots pour orienter ma recherche suffisaient pour me remettre au
travail, ainsi que d'autres professeurs de Lyon 2 qui ont été
à ma disposition pour m'envoyer leurs articles ou des
références bibliographiques.
En tant que jeune étudiant en sciences sociales, j'ai
été très marqué par le climat d'injustice qui
règne au Mexique. C'est ce qui m'a conduit à orienter mon travail
vers la notion d'exclusion sociale. Partant au Mexique sans en connaître
vraiment la culture ni l'histoire, j'ai été fasciné de me
trouver face à une telle diversité culturelle. Et pendant que le
débat sur l'identité nationale faisait rage en France,
j'étais de mon côté en plein apprentissage d'une autre
forme de vivre ensemble dans laquelle on pouvait retrouver les mêmes
éléments de discrimination. J'ai pu assister à l'ouvrage
d'un capitalisme cruel qui tend à faire des traditions mexicaines une
sorte de voile identitaire purement artificiel. Un système
profondément inégalitaire que le rapprochement des Etats-Unis ne
fait qu'amplifier, un système où règne l'impunité
pour ceux qui ont de l'argent.
PARTIE I : Culture de l'image et image de la culture
« Ce livre a donc pour objet les codes invisibles
du visible, qui définissent très naïvement et pour chaque
époque un certain état du monde, c'est-à-dire une culture.
Ou comment le monde se donne à voir à ceux qui le regardent sans
y penser. »
Régis Debray
On se réfère communément
à la culture pour une chose qui requiert l'intervention humaine, par
création ou dérivation: la culture, c'est du cultivé.
Ainsi, on fera souvent référence à des choses
raffinées, c'est-à-dire hautement
« cultivées » (dans le sens de
« travaillées »), d'où toute
l'ambigüité entre culture au sens général et
« haute culture ».
Par la culture, on ne parle pas seulement de
« choses » sinon de comportements, raffinés ou non,
mais toujours produits d'une construction humaine. En combinant choses et
comportements, on obtient une définition comme celle-ci: « La
culture est une série floue d'attitudes et de croyances, de normes
comportementales, de préjugés et valeurs
élémentaires que partagent un groupe de personnes, et qui, sur
chaque membre, exerce une influence sur le comportement et sur
l'interprétation du sens du comportement des autres
personnes. »1(*)
Dans notre culture moderne et globalisée,
l'image est l'objet manipulé et consommé
« naturellement » par excellence: la
télévision le matin pour ne pas être seul au
petit-déjeuner, ou le soir pour s'endormir en couleur ; les flyers qui
nous font aller à un concert et la photographie qui nous fait regarder
ce concert à travers un écran numérique, pour ensuite
montrer aux amis qu'on y était ; les peintures qui font notre histoire
dans les manuels scolaires et le cinéma qui profite aux couples pour se
réunir les jours de pluie. On fait de l'image des usages aussi divers
que variés, on la manipule à notre aise sans vraiment y penser,
comme si elle avait toujours été là. Et en quelque sorte,
elle a toujours été là, puisque que l'on a grandi dans les
images, celles des encyclopédies illustrées ou celles des dessins
animés, et que l'on vieilli devant « Des chiffres et des
lettres », avec quelques portraits accrochés aux murs
où se côtoient anciens et nouveau-nés. Mais elle reste un
pur produit de notre culture, de cette agglomération de comportements et
d'attitudes que l'on partage face au monde. Un produit culturel
façonné peu à peu au cours des siècles.
Par l'usage du temps, l'image s'est incorporée
à la vie sociale contemporaine de telle sorte que: « on ne la
voit plus à force de la voir »2(*). Tellement naturelle à nos yeux que l'on ne se
demande pas comment ni pourquoi elle est arrivée là. Il y a
pourtant bien des préjugés qui courent sur elle, le
préjugé de la manipulation ou celui du caractère trompeur
de nos images quotidiennes, mais cela ne nous empêche pas de vivre dans
une société totalement inondée par les images, dont les
usages ont été largement appropriés par la
« culture » occidentale, comme le montre l'essor de la
photographie amateur de la fin du XXe siècle3(*). Aujourd'hui, qui songerait
à partir en vacances sans son compact numérique? Comment
pourrait-on organiser une campagne électorale sans image? N'est-il pas
indispensable de présenter un produit sous une belle lumière
publicitaire pour avoir une chance de le vendre? L'image s'est affirmée
comme un outil dominant de la communication contemporaine et il nous revient de
la considérer comme tel, de la remettre en question, et ainsi tenter de
voir ce qu'elle implique dans notre société. C'est en ces termes
que l'on peut parler d'une réelle « culture de
l'image ».
Alors que l'on discute aisément d'accès
à la technologie ou au langage, on parle moins d'accès à
l'image. Notre rapport à cette dernière n'a pourtant pas toujours
été aussi simple et ce serait rater la première marche que
de voir ce rapport comme universel, naturel ou transparent. En effet, la
relation de l'homme occidental au concept d'image est le fruit d'une longue
histoire où les religions (en tant qu'institution et croyance,
c'est-à-dire en tant que culture) ont joué un rôle
particulièrement important. Régis Debray identifie l'image comme
une « présence/absence »4(*) dont l'origine profonde serait
la contemplation de la mort. La vision d'un corps sans vie qui nous
ramène à l'idée de l'individu mais qui n'est pas
l'individu serait la première expérience esthétique de
l'homme. L'image aurait ainsi une histoire bien plus ancienne que celle de
l'écriture, bien que son invasion dans le quotidien soit beaucoup plus
récente. Quoiqu'il en soit, c'est bien par une approche historique que
l'on peu comprendre comment s'est formée notre culture de l'image, de la
prohibition religieuse des idoles à la sacralisation de celles
d'Hollywood. Bien que cela puisse paraître naïf, il est
indispensable de garder à l'esprit que la profusion d'images au
quotidien n'est pas un phénomène qui a toujours été
là, établi tel que nous le percevons, et qu'il va en changeant
chaque jour, de par l'image qui modifie notre regard et notre regard qui
modifie l'image.
Si l'image fait partie intégrante de la culture
occidentale contemporaine, je m'intéresserai ici plus
particulièrement aux formes médiatiques que revêt
cette « culture de l'image ». Ces forment ont en effet de
l'intérêt dans ce qu'elles nous disent de la réalité
contemporaine des rapports sociaux propre à un contexte donné. Il
s'agirait donc de « déplier les avatars
médiatiques »5(*), c'est-à-dire analyser des objets d'expression
de la réalité qui serait plié à cette même
réalité et observer comment les représentations
imaginaires sont également constitutives du réel. Un travail que
je résume vulgairement par cette forme rhétorique:
« une image de la culture par la culture de l'image ». Si
j'emploie les termes « culture » et
« image » dans leur sens le plus large et approximatif, ce
n'est que pour esquisser une introduction à un travail qui englobe des
concepts complexes, dont les définitions et usages font l'objet de
nombreuses divergences. Il me semble en effet inutile de remuer toute la masse
scientifique qui traite de ces concepts que je n'utilise qu'à des fins
didactiques. J'entends concrètement par « image de la
culture » une représentation des représentations
culturelles et sociales d'un contexte mexicain à travers ce que
véhicule sa « médiaculture »6(*). C'est une de ces
représentations que j'aurai l'occasion d'analyser plus en profondeur
dans ma deuxième partie, après avoir esquissé le contexte
culturel de ces représentations dans le deuxième point de cette
partie.
Toujours selon Régis Debray, notre manière de
regarder les images a profondément changé avec l'arrivée
de la télévision. J'y reviendrai plus tard, mais il me semble
d'ores et déjà pertinent de justifier le choix de la
télévision comme forme médiatique puissante en termes
d'analyse de représentations. Aujourd'hui, l'image fait foi, il faut
voir pour croire. Les discours d'accord, mais on veut voir les
résultats, et quoi de mieux qu'un média comme la
télévision pour nous montrer (et non nous
démontrer par la logique ou le raisonnement) la
réalité. La politique doit se faire spectacle pour attirer
l'attention, l'autre versant, écrit celui-là (lois, textes,
circulaires) est réservé à une bande d'individus obscurs
que l'on imagine comme la légion d'hommes pressés dans le film
Brazil. L'image de la télévision est donc
démocratique car soit disant à la portée de tous. En cela
elle est un formidable moteur à représentations, car c'est un
fourre-tout idéologique et instantané orchestré par de
grands capitaux (la télé ça coute cher et ça
rapporte beaucoup). Pour gouverner, il faut faire croire, et la
télévision est première de la classe, car solidement
armé (le fameux marketing et beaucoup d'argent) pour parler au
citoyen-consommateur comme il se doit. Le schéma est simpliste mais
efficace: les riches fabriquent l'information que les pauvres reçoivent.
Dans sa composition même, l'image moderne est véhicule
d'inégalité, et nous irons plus loin dans l'analyse de cette
culture (ou « ère ») de l'inégalité
qui se définie elle-même comme démocratique, par
l'observation de son fer de lance: la publicité.
1. Culture des images et société
contemporaine: un phénomène publicitaire
Il est intéressant de voir à quel point la
propagande a toujours quelque chose à voir avec l'image. Les espagnols
s'en sont allègrement servis lors de la « otra
conquista», la conquête des esprits, remarquablement illustré
dans le film du même nom7(*). On y voit un indigène aztèque vouer une
fascination sans borne à l'image de la Vierge, qui donnera lieu plus
tard au fameux culte de la Vierge de Guadalupe, symbole du syncrétisme
mexicain. L'image n'est donc pas seulement regardée, elle est
vécue, parfois de manière intense. Elle a également fait
le bonheur des régimes totalitaires du XXème siècle qui en
ont développé les techniques « persuasives »,
et par dessus tout l'idée « d'image persuasive ». Et
c'est encore aujourd'hui de l'image dont se sert Greenpeace par exemple pour
faire réagir le monde face à la destruction de la nature.
Mais la propagande, comme système producteur de
discours dans un seul but de persuasion idéologique (et non de vente
commerciale), n'est pas publicité. L'inverse est néanmoins
discutable. On dira que la pub ne poursuit qu'un objectif commercial. Oui,
certes, c'est ce qu'elle poursuit. J'ajouterai cependant que de la sorte elle
tente de nous faire consommer, non de manière ponctuelle, mais sans
relâche, pour le bien de l'économie et de la croissance. Il est
par exemple intéressant de noter que l'on ne trouve pas de traces de la
kleptomanie avant l'apparition de la publicité,8(*) ce qui pourrait nous amener
à penser la publicité, mais pas seulement elle, comme une
éventuelle créatrice de comportements déviants. Ainsi, par
sa répétition, sa présence et son discours, elle
véhicule de manière évidente une idéologie
consumériste sur laquelle repose entièrement notre
société. Parti pris, donc: la publicité est une
forme de propagande.
Il existe toutefois une étrange contradiction dans le
fait qu''une société hautement technologique coexiste avec un
système magique d'acquisition d'objet comme la publicité.
C'est-à-dire que, dans la publicité, l'objet ne s'acquiert pas en
lui-même. Tout comme les sociétés primitives, nous
attribuons des sens parfois profonds aux objets qui, dans le cas de notre
société moderne, sont utilisés par la publicité
pour être vendus. Et aujourd'hui, même les plus vieilles
institutions ont recourt à cette symbolisation excessive qu'est la
publicité: l'Église, l'État, les organisations
charitables, etc. Pourtant la croyance en la publicité n'est pas
aveugle, on sait qu'elle ne peut redonner la foi ou la flamme patriotique, elle
n'est qu'un agent idéologique auquel on fait plus ou moins confiance car
il a réussi à se glisser dans tout le paysage médiatique.
Mais cette activité idéologique tendrait presque à nous
faire oublier que la publicité est avant tout une industrie,
c'est-à-dire un agent économique très lourd, qu'il me
faudra visualiser dans le contexte mexicain pour mieux comprendre sa production
de message.
Ce rapprochement autour du phénomène
publicitaire, vu comme élément décisif de notre culture de
l'image, se fera en deux temps. Il s'agira tout d'abord de rejeter la croyance
dans les « effets » de la publicité pour
s'intéresser plus précisément à la manière
dont elle trouve sa place dans notre société, pour ensuite tenter
de voir en quoi l'industrie publicitaire au Mexique constitue un réel
pouvoir.
1.1. Des effets de la publicité à son
rôle légitimé dans la société
La question des effets présupposés de la
publicité9(*) a
entrainé une longue série d'études de
« réception », engageant souvent un rapport exclusif
avec le récepteur du message, alors que les études plus
récentes penche vers une vision plus large, prenant plus en compte ce
qui entoure la réception, c'est-à-dire la socialisation de
l'individu (et son contact à des leaders d'opinions par exemple10(*)). Considérant alors le
consommateur comme relativement actif et critique, la question que l'on doit se
poser est: pourquoi celui-ci, conscient des règles du jeu publicitaire
(création d'un désir fictif pour pousser à un achat
souvent non nécessaire), continue-t-il à céder face
à ces images falsifiées? La publicité doit trouver, d'une
manière ou d'une autre, une place particulière dans notre
société, qui la rend acceptable, acceptée, et largement
consommée.
Les traces et formes antiques de publicité que les
professionnels énoncent fièrement pour légitimer leur
action, sous couvert du « ça a toujours
existé », ne seront pas abordées ici, car je
considère la publicité comme un système
organisé de reproduction en masse de message à but uniquement
commercial, en d'autres termes, « une communication de masse,
uniquement conçue pour l'échange économique, ayant
donné lieu à la constitution d'un corps de technique et à
une activité délimitée »11(*). Une définition qui ne
correspond donc qu'à la forme moderne de la publicité
(c'est-à-dire « indispensable » et
« persuasive ») et que l'on retrouve sous une forme
globalisée dans le monde entier. Ainsi, la publicité ne se serait
formée qu'au cours du XXe siècle, c'est-à-dire de longues
années après l'apparition du capitalisme et de la production de
masse qui aujourd'hui ne peuvent s'en passer.
Il y a là une contradiction qui nous renvoie du XVIIe
siècle, en France, lorsque la bourgeoisie fonde la Société
Civile pour se protéger de l'Etat. La publicité est
alors, dans son sens politique, une forme de diffusion (par le biais de la
publication) d'information relevant de l'intérêt
général.12(*) Ce sont là les traits d'une communication qui
s'instituera rapidement au sein de la société, afin de
gérer et organiser les rapports sociaux. En ce sens, elle jouera un
rôle important dans la création de l'espace public et, par le
biais de l'opinion public, dans l'instauration de la démocratie. En
termes économiques, la publicité trouve, en France, ses racines
dans la gazette de Renaudot, qui elle-même reprend l'idée de
Montaigne « d'un service public capable d'avertir des besoins des uns
et des offres des autres »13(*). La Gazette de France, qui se contente de
relater les affaires du roi et de la cour (« affaires
publiques »), contient un espace permettant aux particuliers
d'insérer des annonces. L'objectif publicitaire devient rapidement
d'englober l'intérêt à la fois du pauvre et du riche, de
trouver un compromis qui touchera le plus grand nombre pour ainsi atteindre un
certain succès.
L'idée serait donc que la publicité soit un
outil de mise en relation de l'offre et de la demande, nécessaire
à l'expansion du monde industriel, ce qui aurait entrainé la
création des premières agences de pub. En principe, c'est un
outil qui se devrait de ne pas tricher, ni masquer ou transformer par
quelconque manière l'information économique qu'elle fait passer.
La publicité devrait tendre à l'objectivité. Et
au-delà de son activité informative, la publicité serait,
selon Émile de Girardin, le moyen décisif pour accéder
à la liberté de la presse et à la démocratisation
du journal. Le concept de publicité est donc perçu à
l'époque comme un système communicationnel d'intérêt
public permettant de faciliter les échanges économiques
entre individus, là où dans d'autres pays comme l'Angleterre et
les États-Unis, la publicité est déjà une arme
mercantile en quête de légitimité qui vise principalement
à accélérer les ventes, ou qui, du moins, en donne
l'impression.14(*)
La question de la légitimité du travail
publicitaire est d'autant plus intéressante que l'efficacité
marchande d'un investissement publicitaire n'a toujours pas été
clairement prouvé par les études universitaires d'aujourd'hui.
Par exemple, dans les études de marketing, les modèles
utilisés pour étudier le comportement du consommateur face
à la publicité se heurtent à de nombreux paramètres
que l'on peut difficilement réunir, ainsi on ne pourrait parler de
publicité qu'en terme de « prescription marchande
distribuée »15(*). Tout comme la croyance dans le pouvoir de
guérison du médecin a été indispensable dans la
construction du corps médical, il y a un réel enjeu pour le
publicitaire à faire croire en son
« indispensabilité ».16(*) Ce processus qui rend le
métier de publicitaire nécessaire aux yeux du monde industriel me
paraît donc de première importance pour envisager la place
qu'occupe la publicité dans la société.
Bourdieu a longuement abordé le thème de la
« production de la croyance »17(*), mettant en avant les logiques
de désintéressement économique dans le monde de l'art, par
le biais du capital symbolique. Ces logiques se retrouvent d'une certaine
manière dans le champ publicitaire, grâce a la marque, qui est
l'équivalent du « nom connu et reconnu » qui
« détient le pouvoir de consacrer des objets », qui
lui « donne de la valeur » et en « tire des
profits ». Bien évidemment, la publicité, dont un des
buts premiers est de faire vendre, ne renie pas ouvertement l'aspect
économique de son action. Cependant, derrière le visage du
créateur, le publicitaire tente de faire oublier l'acte d'achat, passant
sous silence le prix du produit sous peine de rompre l'esthétique.
Bourdieu attribue le pouvoir de consacrer les objets à une puissance
charismatique qui serait l'apanage des « grands »,
« découvreurs inspirés », dont
l'autorité n'aurait d'existence que dans le champ de production. Les
publicités des grandes marques ont toujours été
considérées les plus novatrices et créatives, comme en
témoignent la compétition de spots aux allures
cinématographiques diffusés chaque année lors du
super-bowl américain, avec cette année la présence en
force des « géants » comme Coca-Cola et
Budweiser18(*).
Dans le cadre d'une « approche
socio-historique »19(*), on identifierait les premiers publicitaires encore
une fois comme des intermédiaires (nommés
« courtiers » à l'époque). Ils
achètent en gros des espaces dans les journaux pour ensuite les revendre
à des annonceurs qui rédigent eux-mêmes leurs annonces. Ces
courtiers, ou régisseurs, trouvent avant tout leur place grâce aux
profits qu'ils réalisent. L'agence de presse Havas en fera d'ailleurs
une branche essentielle de sa réussite commerciale20(*). Ces agents
intermédiaires de spécifieront avec l'arrivée de nouvelles
technologies comme le cinéma et la radiophonie. Par exemple, Les
Antennes de Publicis (plus tard Publicis) sont formées en 1927 par
Marcel Bleustein-Blanchet, assurant la régie d'un large réseau de
stations de radio, concomitant à l'intérêt grandissant des
annonceurs pour le média radio. Les frais publicitaires de
l'époque sont majoritairement consacrés à l'achat d'espace
médiatique. Les agences comme Publicis et Havas remplaceront rapidement
les courtiers pour former des entités médiatiques quasi
hégémoniques, contrôlant à la fois la production de
contenu, la commercialisation d'espace, et les réseaux de diffusion. On
entrevoit déjà ici comment la publicité peut
épouser le média pour lequel elle travaille. Ce lien sera
différent pour chaque média et je décrirai plus loin le
couple publicité/télévision qui m'intéressera
particulièrement ici.
Apparaissent également au début du XXe
siècle les agents de publicité. Ils conseillent les annonceurs en
terme d'insertion dans les médias et se chargent de la
rédaction-conception d'annonces. Encore une fois, le publicitaire
trouve sa place dans le rôle d'intermédiaire ; c'est ce rôle
qui le définit, qui est l'axe principal du métier,
c'est-à-dire qui le place à équidistance du producteur et
du consommateur dans une relation de communication et de médiation
à but marchand.
L'entre-deux guerre fait figure de moment décisif pour
la légitimation du monde publicitaire en France. Les pionniers de la
pub, souvent de retour de voyage aux Etats-Unis, commencent a éditer
leurs propres manuels professionnels21(*), ils créent des revues
spécialisées (La Publicité, Réussir, Vendre) ainsi
que des « organes corporatifs » comme la Corporation des
Techniciens de la Publicité dont la vocation est de
« défendre une nouvelle catégorie de fournisseurs de
services, les chefs de publicité »22(*). Par cela ils formalisent et
diffusent des méthodes de travail, qui sont deux éléments
importants de la crédibilité, et donc de la légitimation.
Le « groupe » publicitaire n'est pas fermé sur
lui-même, l'accès y est justement encouragé par la
diffusion de ces méthodes de travail et la création de formations
professionnelles.
En France, le changement réel surgit donc dans les
années 60 et 70 avec l'implantation des méthodes et du travail
rationalisé anglo-saxon dans les agences françaises. La
« réflexion stratégique » devient un
élément décisif du travail publicitaire: étude de
marché, le public se transforme en cible, aligné dans un cahier
des charges précis. On fait désormais appel au « team
créatif » pour procéder à la réalisation
de l'annonce. Cette part « créative » sera à
l'origine d'une forte valorisation du métier de publicitaire car elle
suivra la tradition des affichistes du XIXe siècle. Ces derniers avaient
été nombreux a recevoir les honneurs officiels, élevant
leur pratique au statut d'art populaire encore reconnu aujourd'hui, comme en
témoigne la popularité des peintures de Toulouse-Lautrec. Cette
tradition porte en elle l'idée de démocratiser l'art par les arts
appliqués, et redonne une image positive à la publicité
que l'on condamnait pour son caractère commercial.
Les créatifs du monde publicitaire se revendiquent
comme « concepteurs d'idées »23(*) dont l'objectif est
d'être, entre autres, originaux. Leur
« créativité » est reconnu par des instances
professionnelles de consécration comme le Festival du film publicitaire
de Cannes, le Musée de la publicité ou encore le Club des
Directeurs Artistiques. Cette valeur créative n'exclue en aucun cas la
valeur marchande, bien au contraire. Tout comme l'on croit au pouvoir magique
de l'artiste qui touche un objet et en fait de l'art, la
créativité du publicitaire est perçue comme un gage
d'efficacité économique.24(*) Cela fait donc du créatif un
élément majeur dans le processus de légitimation
économique de la publicité.
L'apparition du modèle américain occupera
également une place importante dans le travail de légitimation.
Ce modèle consiste en un système de collecte et de traitement de
données particulier. C'est ce que l'on appelle le sondage d'opinion et
l'étude de motivation. Dans leurs instruments d'études, les
publicitaires prendront vite avantage des théories sémiologiques
qui affirment que l'on consomme plus du symbolique que du
matériel25(*),
mettant ainsi en avant un certain statut social que l'on atteindrait
grâce au produit annoncé.
Ces outils, et notamment le sondage d'opinion, ont largement
été dénoncés par la sociologie critique.26(*) Par ailleurs, les
études de motivation n'offrent que des résultats dont la valeur
est approximative de par leur non prise en compte de facteurs socioculturels.
Malgré tout, ces méthodes, qui s'appuient sur une base
théorique psychologique, ajoutées à une rationalisation du
travail, font durement croire aux publicitaires en leur propre
efficacité.
En outre, les organes corporatifs prennent une ampleur
nouvelle à la suite de la seconde guerre mondiale. Les grandes agences
françaises fondent, en 1957, la Compagnie des agences de
publicité (plus tard AACC), afin de défendre l'industrie
publicitaire face aux nombreuses agences américaines qui s'implantent en
France. L'Union Des Annonceurs (UDA) fait figure de voix représentative
lorsque qu'il faut parlementer avec les législateurs européens
durant les années 70. Au cours des années 80, les publicitaires
s'opposent à la restriction de leurs recettes et de certaines formes
d'expression commerciale, arguant des principes de liberté d'expression
et de libre choix du consommateur. L'AACC milite encore aujourd'hui pour
véhiculer une image positive du métier de publicitaire27(*), chargeant des commissions de
réaliser des études et de participer aux débats
publics.
La publicité en France s'autorégule grâce
a un organisme nommé Autorité de Régulation
Professionnelle de la Publicité (anciennement Bureau de
Vérification de la Publicité). Les adhérents à cet
organisme privé s'engagent à respecter des
« recommandations », qui n'entrent dans aucun cadre
législatif, mais qui servent à garder une certaine
déontologie « en faveur d'une publicité loyale,
véridique et saine dans l'intérêt des consommateurs, du
public et des professionnels de la publicité28(*)». Cette
« éthique » publicitaire cache surtout la crainte de
voir le champ publicitaire perdre toute crédibilité à
cause de quelques annonceurs qui « abuseraient » de leur
activité. Un tel organisme de régulation s'inscrit lui aussi de
manière significative dans le processus d'autolégitimation de la
profession de publicitaire.
Grâce a ces différentes instances, un
marché de service a pu se mettre en place en toute
légitimité, justifiant la valeur ajoutée de ce service par
un aspect créatif prononcé et une méthodologie
rationalisée. La société de consommation de masse n'a fait
que propulser en avant cette autolégitimation, l'accompagnant de fortes
retombées financières. Le statut économique étant
signe de réussite sociale, les grands profits engrangés par les
entreprises publicitaires ont suffit a lui donné un rayonnement
professionnel légitime et propice à sa reproduction
idéologique (travailler dans la pub c'est
« tendance ») et matérielle (on paie cher et on se
bat pour entrer dans une école de pub).
Si j'ai fait ce détour français pour expliquer
comment la publicité à réussi à s'insinuer dans la
société, c'est évidemment par commodité
bibliographique, mais surtout parce que le cas français est tout
à fait pertinent pour observer le phénomène publicitaire
depuis ses origines profondes, pour ensuite mieux comprendre les
spécificités du modèle mexicain. Ce dernier suit en effet
le modèle des États-Unis, c'est-à-dire qu'il
apparaît déjà sous sa forme moderne, légitimé
par l'ampleur économique américaine. Mais il m'intéresse
en cela qu'il met en scène des acteurs dont le rôle dépasse
largement ce que notre expérience française pourrait nous faire
croire.
Avant de plonger plus concrètement dans une
étude du paysage publicitaire mexicain, j'aimerais pousser un peu plus
loin cette recherche sur la légitimité de la publicité.
La publicité laisse à penser que
derrière l'acte de consommation, il y a un progrès social, un
accès à un rang plus élevé dans la
société. Mais là où les critiques marxistes
voyaient uniquement une source d'aliénation dans la consommation d'objet
à travers la publicité, il y a ce que Tisseron nomme un
« prolongement de l'esprit »29(*). En effet, l'objet serait
indispensable à l'existence sociale, car formant partie d'un
« processus de symbolisation » propre à la
constitution identitaire. A partir de là, la publicité
chargée de la promotion de ces objets, met en scène le
désir (sexuel, narcissique, de différenciation, etc.) et serait
pour les individus une forme de présence symbolisante à
portée de main (bien que parfois non désirée, interrompant
sans cesse nos programmes). Le caractère aliénant ou manipulateur
de la publicité serait dépassé par la croyance
inavouée en la libération sociale et identitaire, non celle que
nous apporterait la publicité en elle-même, mais celle qu'elle met
en scène comme un flash prophétique que l'on regarde comme
épris d'une rêverie soudaine et semi-passive. Le spot publicitaire
parvient à graver une inversion bourdieusienne en nous faisant croire
que c'est l'objet qui nous permettra d'accéder à tel rang social,
alors que la sociologie critique nous montre que « ce n'est pas
l'objet possédé qui fonde le rang, c'est le rang, en quelque
manière, qui détermine la possession des
objets ».30(*)
Du même auteur:
« dans la société moderne,
pyramidale, les objets sont à la fois marque de bien-être, et
marque de « par-être ». La quotidienneté devient la mise
en spectacle de soi par soi et la richesse est signe de l'importance de mon
être. La publicité, quant à elle, fait et défait les
modes en prenant appui sur les modèles de la bourgeoisie et de son
idéologie pour mieux attiser envies et jalousies. »31(*)
La classe moyenne, au centre de cette pyramide, reçoit
les modèles socioculturels de la publicité qui s'appuie
désormais sur l'imaginaire de cette même classe,
« n'offrant plus à consommer des objets-signes de statut
ostentatoire mais des objets-modes de vie qui différencient l'individu
moins économiquement que culturellement ».32(*) Face à
l'aliénation si souvent décriée, la société
de consommation se donnerait plus à comprendre comme une entité
qui, par des objets et un discours particulier (publicitaire), répond au
malaise identitaire propre à chaque société/culture.
1.2. La publicité mexicaine, un quatrième
pouvoir?
L'industrie publicitaire mexicaine conjugue des
éléments de la publicité globalisée et des
caractéristiques propres à la société mexicaine.
Cette publicité se dirige dans sa grande majorité à la
télévision, qui est de loin le média le plus
consommé au Mexique33(*). Plus que cela, la télévision est, dans
de nombreux cas, l'unique source d'information disponible. Un grand nombre de
zones du pays ne reçoivent pas de journaux ni d'accès à
Internet. Les journaux ne sont lus que par 10 millions de personnes,
c'est-à-dire 10% de la population. Relativement cher pour la population,
ils sont les moins lus dans le monde. Les radios, si elles ne sont pas la
propriété des grands groupes télévisuels, sont
locales et n'ont que peu de moyens d'information. Il reste donc la
télévision, seule et hégémonique, qui dispose d'une
couverture nationale, dont il nous faudra visualiser l'ampleur pour comprendre
le « pouvoir » de la publicité.
Le terme information ne sera pas entendu ici comme simple
nouvelle ou fait annoncé au JT, mais dans son sens le plus large et
médiatique, c'est-à-dire de tout ce qui est dit et
montré à tout moment et la manière dont cela est
transmis. La publicité est donc information à partir du
moment où elle nous dit quelque chose sur le monde et qu'elle nous le
dit d'une manière et non pas d'une autre. Elle est même, de par
son omniprésence et sa redondance, une des informations principales du
média télévision, occupant chaque recoins, chaque espace
de repos d'un programme, s'insérant même à
l'intérieur des programmes sous sa capuche de sponsor. De plus, on
considèrera également ce qui n'est pas officiellement
publicité, c'est-à-dire les jeux télévisés,
les séries ou encore les « telenovelas » comme
information choisie et déterminée par la chaîne, lui
donnant une politique télévisuelle précise. Il n'y a pas
de hasard dans la programmation télévisuelle, contrairement
à ce que ce bloc ininterrompu d'images pourrait nous faire croire,
l'information n'est pas donnée naturellement ou aléatoirement,
elle répond à des objectifs précis.
La résistance sociale au Mexique a souvent pris un
tournant médiatique, justement à cause du manque de
diversité et de justice informationnelle. C'est en réaction au
« pouvoir » établi des médias dominants
(qu'incarne la publicité) que les mouvements sociaux ont
manifesté leur besoin de faire leur propre information, en créant
leurs médias alternatifs, comme ça a été le cas en
1994 avec le EZLN34(*) ou
en 2006 a Oaxaca avec Radio Planton. La Constitution mexicaine nous apprend que
« la manifestation des idées ne fera l'objet d'aucune
enquête judiciaire ou administrative, (...) le droit à
l'information sera garanti par l'État ». De même,
l'article 58 de la Loi Fédérale de Radio et
Télévision (1960) indique que « le droit à
l'information, d'expression et de réception, par le biais de la radio et
la télévision, est libre et par conséquence ne fera
l'objet d'aucune enquête judiciaire ou administrative, ni de limitation
ou censure, et s'exercera dans les termes de la Constitution et des
lois ». En d'autres termes, les mouvements populaires
réclament quelque chose qui est déjà inscrit dans les lois
mexicaines: la libre détermination médiatique et
informationnelle. Ce qu'ils dénoncent pourtant, c'est avant tout
l'emprise de l'empire Televisa-Tv Azteca, et le rôle passif de
l'État. On notera d'ailleurs que dans les exemples de médias
alternatifs cités plus haut, les deux ont subi des attaques, parfois
très violentes, de la part de groupes paramilitaires ou policiers en
raison de leur opposition à l'ordre médiatico-économique
établi. De la loi à la réalité, il y a encore un
grand pas à franchir lorsque le droit à l'information s'oppose
aux intérêts économiques des dominants.
L'histoire des peuples mexicains nous rappellent que les
outils traditionnels d'information et de communication verbale reposaient sur
une base principalement orale: les conseils des anciens, les orateurs, les
sacerdoces et les membres de la famille. Ainsi l'on enseignait l'histoire et
les aspects importants de la vie sociale (politique, médecine,
botanique, religion, etc.). Une culture de l'oral dont on a encore l'occasion
d'observer les vestiges dans les espaces urbains, par l'utilisation notable de
crieurs de rue, mais qui est surtout très vivace dans les
communautés autochtones. Or la télévision ne peut se
substituer à cette culture orale, comme l'aimeraient certains politiques
progressistes, car elle en élude la fonction informative pour se
consacrer au divertissement et aux faits divers. C'est le conflit
engendré entre l'information demandée et celle reçue qui
est à l'origine de nombreuses revendications sociales au sein des
communautés.
On peut voir dans le programme national de
développement des peuples autochtones (2001-2006)35(*) une charmante initiative pour
réduire l'isolement médiatique de nombreuses communautés,
un effort a été fait pour que les villages les plus
reculés reçoivent plus d'information. Cela dit, ce ne sont pas
des journaux que l'on a vu arriver aux villages, sinon des antennes de
télévision capables de capter le signal des plus grandes
chaînes privées. Par exemple, le mandat du président
conservateur Fox (2000-2006)36(*), ex-impresario, était
précisément reposé sur la volonté de faire parvenir
la télévision, et plus particulièrement celle de ses amis
du groupe Televisa, à tout le pays (en plus de la machine à
laver). Ainsi s'explique la présence du « canal 2 »
de Televisa même dans les villages les plus démunis du pays, leur
donnant l'occasion de regarder les « telenovelas » et le JT
comme le font les habitants de la capitale, bien qu'ils n'aient pas beaucoup
d'autre choix dans la programmation.
Le discours télévisuel suscite alors le
débat sur sa légitimité, car il a depuis toujours exclu la
parole du peuple pour imposer une idéologie dominante incarnée
par les deux groupes médiatiques les plus puissants du Mexique, Televisa
et Tv Azteca. L'information est certes un élément essentiel
à l'émancipation, mais lorsqu'elle est contrôlée par
des groupes qui ne recherchent que le profit (en plus d'être très
orientés politiquement et moralement), et qu'elle est
hégémonique dans de nombreuses zones (c'est-à-dire que
l'on n'y reçoit aucun autre signal que celui de ces deux groupes, le
choix de programme y est donc très limité), elle devient
dangereuse. En réalité, la télévision est une des
rares voix informationnelles qui arrive à certains villages, outre les
voix à l'intérieur de ce même village, qui se font
plutôt échos du savoir des générations
antérieures. Elle est la voix du pays et du monde, celle qui vient de
l'extérieur pour en dévoiler les faits et gestes, et la
publicité est son arme commerciale et idéologique. Les groupes
Televisa et Tv Azteca, qui possèdent 97% des concessions du
pays37(*), se
caractérisent précisément par l'abondance de
publicité dans leurs médias, et donc de leur
dépendance à cette publicité. En cela nous
verrons plus loin comment celle-ci se constitue comme
« pouvoir ». Mais il me faut encore approfondir ce tour
d'horizon médiatique mexicain pour visualiser le rôle des membres
clés, et le rapport qu'ils entretiendront avec la publicité.
Comme c'est le cas dans tous les pays capitalistes, on
observe au Mexique un fort lobbying de la part des grandes entreprises, souvent
accusées de copinage (pour ne pas dire corruption) avec les politiques,
pour parvenir à conserver leurs avantages fiscaux et économiques.
Le groupe Televisa est notamment connu pour ce genre
d'activités, ayant toujours été plus ou moins lié
au parti au pouvoir (le PRI), surtout dans les périodes les plus
autoritaires, se convertissant en réel outil de propagande.38(*) C'est un
phénomène très accentué dans les pays
émergents qui disposent d'institutions faibles et de ressources
économiques fortes comme le Mexique. L'impression d'impunité
règne à l'intérieur du pays pour ceux qui possèdent
beaucoup d'argent, d'où la lutte acharnée et sanglante pour le
pouvoir39(*). Le groupe
Televisa, longtemps seul à dominer le marché
télévisuel, avant de se faire légèrement rattraper
par la naissance de Tv Azteca en 1993, a toujours entretenu des liens
étroits avec le pouvoir. Alors même que la loi mexicaine interdit
les monopoles, on constate que l'histoire du groupe se résume à
une alliance avec le pouvoir afin de conserver son monopole. Une histoire qui
ressemble étrangement à celle de ce fameux parti, le PRI,
resté à la tête du pays pendant plus de 70 ans.
La télévision se fait complice d'un
gouvernement oppresseur, elle maquille la réalité du Mexique pour
lui donner l'image propre de l'État démocratique. Les exemples
d'alliances entre télévision et État sont nombreux. Lors
des mouvements sociaux de 1968, on camoufle le massacre de 400 étudiants
à Tlatelolco par l'armée, à quelques jours de l'ouverture
des Jeux Olympiques40(*).
Pendant l'époque de la « guerre sale » des
années 70, on visait à éliminer tous les opposants au
pouvoir, et les nouvelles ne parlaient que de délinquance pour justifier
des morts et des disparus politiques41(*). Les révolutionnaires autochtones de l'EZLN
étaient encore qualifiés de délinquants hors-la-loi par
les médias en 199442(*). Et en 2007, lors des mouvements sociaux qui ont
secoué la ville d'Atenco, on diffusait en boucle une vidéo
d'habitants qui frappent un policier, que les présentateurs (ou
plutôt commentateurs) se plaisaient à qualifier de
« honte du pays », alors que ces mêmes policiers ont
plus tard été accusés de viols et violences sur les civils
en question43(*). La
coutume des médias dominants, tout au long de l'histoire des mouvements
sociaux, a été de qualifier ces mouvements de délinquance
ou terrorisme, et de justifier d'une manière ou d'une autre les
pratiques violentes et les machinations politiques. Televisa ira même
jusqu'à se faire historien de la démocratie au Mexique par la
diffusion de documentaires embellis, faisant fi des revendications sociales et
des fortes oppositions qui ont eu lieu tout au long de l'histoire du
pays.44(*)
D'autre part, on a pu assister à l'invention d'un
nouveau genre journalistique: images en direct avec dramatisation musicale,
inaugurée lors de l'assassinat de l'humoriste Paco Stanley. L'emphase
largement utilisé par Tv Azteca et Televisa, pour mettre en avant la
violence et l'insécurité dans la capitale, servait en fait des
intérêts politiques qui allaient contre le gouverneur de gauche de
la capitale. Ce spectacle de la terreur et de l'hystérie collective,
l'usage de l'hélicoptère, étaient une tentative de prise
de pouvoir, les commentateurs affichant ouvertement leur ras-le-bol face aux
autorités, appelant le gouverneur à renoncer. Ce même
groupe « d'activistes du pouvoir » a fait usage de fausses
caméras cachés pour discréditer les politiques (de gauche)
qui gênent.45(*)
Tout un arsenal de tactiques médiatiques qui avaient pour but de
discréditer la candidature à la présidence d'André
Manuel Lopez Obrador en 2006, qui était alors annoncé comme
favori et bénéficiait d'une opinion populaire favorable. Le parti
au pouvoir, le PAN (Parti Action Nationale, conservateur), sous le joug des
impresarios préoccupés de l'éventualité d'un
président de gauche, a finalement organisé une fraude gigantesque
pour remporter l'élection46(*) en s'assurant l'appui des médias pour
reconnaître la légitimité du président
« élu », Felipe Calderón.
Depuis les années 90, les grandes chaînes se
sont converties en de véritables armes électorales pour les
partis politiques. Ils sont le principal client publicitaire de la
télévision et certaines chaînes n'hésitent pas
à s'affranchir des lois pour afficher leur sympathie pour tel ou tel
candidat, lui offrant une visibilité privilégiée. Ces
manoeuvres restent impunis, sous le couvert d'une liberté d'expression
que s'autoproclament les chaînes concernées47(*). Ces spots politiques
occultent le vrai message et les programmes politiques par une formule
publicitaire générale et racoleuse. La pauvreté importent
moins aux politiques que leur apparition dans les médias, comme le
montre la répartition des financements publics de certains états.
L'exemple du Canal 40 est tout à fait
révélateur du pouvoir de la publicité et de l'acharnement
avec lequel Televisa et Tv Azteca tentent de conserver leur emprise. La
chaîne qui cherchait à faire un nouveau genre d'information,
s'opposant ainsi aux chaînes dominantes, a été prise par un
groupe armé de Tv Azteca à l'aube du 27 décembre 2002,
sans qu'il n'y ait aucune poursuite légale. C'est lorsque les
informations diffusées par le Canal 40 ont commencé à
chatouiller des personnes influentes, notamment le Père Maciel
accusé de pédophilie, que les problèmes ont
commencé. Lorsque l'on connait la principale source de financement de la
télévision, il facile d'en venir à bout s'il on a les
moyens d'atteindre cette source. Les grands annonceurs du pays ont ainsi
commencé à refuser que leur publicité soit diffusée
sur une chaîne qui leur faisait préjudice (à eux ou
à leurs proches) dans les informations qu'elle révélait.
Le Canal 40 a rapidement perdu de l'argent, jusqu'à ne plus engranger
suffisamment de recettes publicitaires pour survivre en tant que chaîne
indépendante. La chaîne est aujourd'hui rachetée par Tv
Azteca, n'ayant plus rien à voir avec la programmation d'antan.
Voilà un exemple de l'usage qui peut être fait de la
publicité afin d'éliminer un adversaire médiatique et
politique.
Les impresarios contrôlent littéralement la
classe politique mexicaine, ils font même parfois partie de celle-ci le
système des portes tournantes (« revolving
doors »). Ils utilisent les concessions médiatiques pour
« travailler » avec la classe politique et imposer leurs
règles du jeu. Televisa représente 66% des concessions
télévisuelles du pays, Tv Azteca 31%. Deux familles
médiatiques contrôlent l'information, ce que doit voir la
population, les thèmes que l'on doit aborder, la publicité. Tout
ce qui apparaît à l'écran: une dictature
médiatique.
À travers l'énorme capital culturel acquis le
long de ces nombreuses années de domination, Televisa, dirigé par
la maison Azcárraga, s'est forgé un réel pouvoir
d'influence sur les formules de consommation et sur la production de
goûts médiatiques.48(*) Son emprise financière sur le paysage
médiatique lui a permis d'atteindre la première place mondiale en
terme de publication de magazines en langue espagnole (31 titres, dont la
presse à scandale et les magazines de telenovelas, les plus vendus au
Mexique), assurant entre autre la traduction de grands classiques
internationaux comme Cosmopolitan, Elle ou Quo.
Le fameux Canal 2 de Televisa que reçoivent
toutes les chaumières mexicaines et qui dispose de l'audience la plus
large du pays, est surtout connu pour ses « telenovelas »
(le « somnifère populaire »), et son JT qui propose
une sorte d'agenda informationnel dont le but est de parler d'autre chose que
des problèmes réels, de détourner l'attention. Il
relève plus du spectacle que du journalisme, abusant du sensationnalisme
avec la « nota roja »49(*), mettant en scène le présentateur
grâce a un ensemble de procédés techniques dignes du
« Juste Prix ». C'est un « one man
show » qui commente l'actualité à une heure de grande
écoute et qui créé la confusion entre opinion et
information. Par ailleurs, on y présente les acteurs de
« telenovelas » comme une information
d'intérêt général lors du JT, ce qui s'apparente
à une forme d'autopromotion des programmes de la chaîne. On
invente de l'information pour rendre le show plus attractif50(*). On fait des faux
micros-trottoirs pour appuyer les projets du gouvernement.
Télévision forte et État faible, une
combinaison qui fait le bonheur des intérêts privés. Le
chaos national se convertit en télé-réalité:
insertion dans la vie privée, exaltation de l'égoïsme, du
mensonge, de la trahison, et transformation de l'insignifiance en spectacle.
Tout ce show alors qu'au même moment, dans la société
réelle, on privatise l'eau, on liquide les services publics, on accentue
les inégalités en prenant aux pauvres pour donner aux riches.
Dans son ouvrage El poder de la publicidad en
México en los inicios del siglo XXI51(*), Carola García Calderón insiste
sur l'usage du mot pouvoir (« poder » en espagnol), en lui
quittant sa connotation magique et idéologique de persuasion, pour le
ramener à son sens élémentaire, c'est-à-dire
capacité d'agir. En effet, selon l'auteure, l'économie
publicitaire manipule de gros capitaux et possède l'envergure
nécessaire pour s'opposer à certaines règlementations qui
lui seraient défavorables.
Ce « pouvoir » de la publicité
mexicaine s'étendrait jusqu'à son discours
d'autolégitimation qui prône la liberté d'expression
commerciale, mais qui n'est en fait rien d'autre que sa propre liberté,
ou plutôt son pouvoir d'annoncer sans aucune restriction. Tout
l'appareil discursif du dominant économique tend à cacher le fait
qu'il dit ce qu'il dit parce qu'il a un intérêt spécifique
à le dire, et tend à faire croire qu'il fait ce qu'il fait car il
est dans son plein droit de citoyen (capitaliste), et que tout le monde est
dépositaire de ce même droit.
Au Mexique, les études de marché se sont
amplement développées au cours de la fin du XXe siècle,
tendant à se focaliser, de manière évidente, sur la
branche de population qui a le plus accès aux produits. Cependant, si
l'on envisage le fait publicitaire comme un média qui joue un rôle
clé dans le processus économique, un décalage relativement
important se creuse au sein de la société. Malgré tous les
modes de communication et commercialisation qui existent au Mexique, dont la
publicité est un des principaux acteurs, ceux-ci n'atteignent pas 85% de
la population qui réalise leurs achats via le commerce informel ou de
contrebande52(*).
Il est aisé d'observer l'importance du
phénomène publicitaire dans son ensemble au Mexique, de par la
quantité de spots publicitaires qui entrecoupent les émissions
télévisuels, qui est la plus élevée au
monde53(*), mais aussi par
la profusion d'affiches géantes dans les rues de la capitale, par les
panneaux de bienvenue dans les villages encadrés de Coca-Cola, et par
les noms de marques qui sont devenus des noms propres (le pain Bimbo,
les Kleenex, etc.).
La publicité est un pouvoir économique qui
réunit les intérêts des annonceurs, qui pour la plupart
sont les grandes entreprises qui produisent des services au niveau global et
qui, particulièrement au Mexique, financent grandement des médias
jusqu'à détenir le pouvoir d'en influencer le contenu. En 2005,
environ 60% des investissements publicitaires étaient destinées
aux deux principaux groupes médiatiques publicitaires: Televisa et TV
Azteca54(*).
Le pouvoir économique de la publicité l'a
mené à se convertir en force politique capable d'incidence sur
l'activité gouvernementale. Ce pouvoir s'est construit à partir
de mécanismes de défense et de cohésion qui regroupent les
trois acteurs principaux: annonceurs, agences publicitaires et médias de
communication. Ces mécanismes ont permis à l'industrie
publicitaire de dialoguer et de s'imposer face à un État qui ne
s'est intéressé à la régulation que très
tardivement, en se limitant simplement à la publicité en relation
avec la santé, aux temps et horaires de transmissions, et à la
publicité mensongère, avec peu de moyens de surveillance pour
mettre en place cette réglementation.
D'un point de vue historique, les grandes agences ne se
développent que dans les années 50. À l'époque, la
quasi totalité des investissements est faite dans les médias de
masses, alors que seulement 5% se destinent a des médias de moindre
envergure (feuillets, affiches, etc.). Pour devenir de réelles
industries publicitaires, comme dans le reste du monde, les agences ont
nécessité trois conditions: un large panel de producteurs
compétitifs équipés des outils de distribution,
l'existence de médias de communication qui couvrent une grande partie du
pays, un marché étendu de consommateurs au niveau de vie
suffisant et disposant d'un certain temps libre.
L'ampleur de la publicité au Mexique reflète
une réalité que l'on retrouve dans d'autres pays
d'Amérique Latine: la profonde inégalité qu'il existe dans
la répartition des richesses. En effet, selon les chiffres de l'Institut
National de Géographie et d'Informatique55(*), environ 15% de la population active touche 8 a 14
fois le salaire minimum alors que plus de 60% de la population reçoit
moins de 4 fois le salaire minimum. Pour rendre ces chiffres plus parlants, il
est nécessaire d'envisager le salaire minimum mexicain comme symbolique,
car il est de 1400 pesos par mois (environ 80 euros), c'est-à-dire
très insuffisant pour survivre lorsqu'on le compare au prix de la vie.
Le salaire minimum est plus symbolique qu'autre chose, il existe de fait
très peu d'emplois payés au salaire minimum, si ce n'est aucun,
car il est plus facile de gagner sa vie en montant un stand informel de
nourriture dans la rue, ou en vendant de la musique piratée dans le
métro.
Le marché publicitaire mexicain est
caractérisé par la présence de grandes agences, notamment
étrangères, qu'a permis la politique économique mexicaine
depuis les années 50. En 1973 par exemple, les dépenses
publicitaires s'élevait à 4 500 000 000 de pesos, dont 44% se
destinaient à la télévision. Ce chiffre est
supérieur au financement de l'époque de toutes les
universités publiques du pays56(*). En 2004, ces dépensent atteignaient 5 250 000
000 de pesos. Durant l'année 1992, sur les 250 agences qui existaient,
20 d'entre elles étaient responsables de 81,5% des dépenses
publicitaires. De ces agences, citons entre autre Walter Thompson, Noble
DMB&B, McCann Erickson Stanton, D'Arcy, Leo Burnett, toutes
apparentées aux groupes publicitaires des Etats-unis. Et à titre
d'exemple, le groupe McCann compte parmi ses clients Coca-Cola, l'Oreal,
Nestlé, Bacardí, Colgate, Good Year et American Airlines ; alors
que le groupe Ogilvy est présent dans 89 pays et offre ses services
à Motorola, Kodak ou encore American Express. Ces agences font tout
simplement partie des plus grandes agences au monde.
En outre, l'investissement publicitaire au Mexique est en
lien avec les plus grands annonceurs internationaux. En 1995, on comptait 15
annonceurs responsables de 40% de l'investissement publicitaire total, parmi
eux, Colgate, FEMSA (Coca-Cola), Telmex, Walmart et Visa. Selon la
l'Association des Agences de Médias (AAM), 76% des dépenses
publicitaires engagées par les annonceurs sont destinées à
la télévision. Jusqu'en 1993, le groupe Televisa attirait 80% des
investissements publicitaires destinés à la
télévision et 50% des investissements destinés aux
magazines et à l'affichage extérieur.
La télévision est le média qui attire le
plus d'investissement publicitaire au Mexique, loin devant les journaux et
magazines, un écart moins prononcé que dans des pays comme la
France, l'Allemagne ou le Japon.57(*) Il faut ici souligner le lien très fort, pour
ne pas dire hégémonique, qui unit la l'industrie publicitaire et
la télévision, car c'est ce lien qui a orienté mon choix
de corpus. C'est entre ces deux acteurs que se constitue tout le
« pouvoir » de la publicité, par leur poids
économique et médiatique.
Dans les années 90, sous le mandat de Salinas
Goriatri, le Mexique a connu une vague de déréglementation et de
dérégulation dont la publicité a beaucoup profité.
Outre le tabac et l'alcool, il n'existe plus de produits dont l'annonce est
soumise à un quelconque contrôle. Les publicités d'aliments
à faible valeur nutritive, de boissons énergétiques, de
produits d'hygiène, etc., qui étaient auparavant
gérés par le Secrétariat à la Santé, ne font
plus l'objet d'aucune réglementation. C'est, en d'autres termes,
l'idée du « réguler moins pour réguler
mieux ».
Dans le cadre de sa légitimité au Mexique, le
discours publicitaire est souvent ambigüe. Il utilise certaines
études de consommateurs pour avancer que diminuer ou supprimer la
publicité de boissons alcoolisées ne réduit pas la
consommation, et que c'est donc un manque d'information pour le consommateur.
De même, en ce qui concerne les cigarettes, le président de
l'agence McCann Erickson défendait l'idée que si un produit est
réellement considéré comme dangereux pour la santé,
ce n'est pas à la publicité qu'il faut s'en prendre mais à
la production. Si ce produit existe, si sa production industrielle est
autorisée, il devrait y avoir une liberté totale à le
promouvoir. Bien évidemment, on imagine rapidement que le poids
économique du marché du tabac et de l'alcool limite toute
régulation de la production, c'est donc la publicité qui en fait
les (petits) frais.
Le Mexique est un des rares pays dans le monde à
incorporer un message de modération au message publicitaire des boissons
alcoolisées, pour ainsi leur permettre une diffusion
télévisuelle ou radiophonique: « Avec classe et sans
excès, sentez sa saveur » ou « La qualité est
la responsabilité de Bacardi, la quantité est votre
responsabilité ». C'est une sorte de publicité hybride
qui tente de se donner une image responsable, mais qui n'est en fait que de
business moralement esthétisé.
Avec l'Accord de Libre Échange Nord-Américain
(ALENA, 1994) surgissent de nouveaux produits et investissements sur le sol
mexicain. L'article 5 de l'accord prévoit que la publicité pourra
être réalisée a l'intérieur du territoire ou en
dehors. Vision d'une publicité globale dont le message serait identique
pour tous les pays, seulement traduit. Au final, l'accord ne fait que renforcer
une situation qui existait déjà, c'est-à-dire le
contrôle du marché par des agences et annonceurs
étrangers.
Les membres de l'IAA (International Advertising Agency)
représentent 97% des dépenses publicitaires mondiales. Ils
constituent un groupe de pression qui fait valoir son droit à
l'expression commerciale. Par exemple, en 1992, le président de la IAA,
Roger Neill, proposait une campagne de publicité en faveur de la
publicité, se dotant d'un slogan de type: « La
publicité: le droit de choisir », recyclant l'idée qui
veut que la publicité ne soit qu'un appareil économique et
informatif comme un autre, dont l'usage (même intensif et abusif) est
essentiel au bon fonctionnement du processus de consommation et à la
stabilité de la société. Cette organisation a pu avoir un
rôle important au Mexique, notamment durant les années 90, en
s'opposant à certaines restrictions publicitaires, via des commentaires
adressés au Secrétariat à la Santé58(*), appelant encore une fois
à plus de liberté d'expression commerciale.
L'inexistence d'associations de protection du consommateur
démontre du peu de participation de la part des citoyens et de la main
mise de l'industrie publicitaire sur sa propre activité. Le seul
dialogue qui existe, c'est celui entre le gouvernement et le monde
publicitaire. Un gouvernement souvent accusé de corruption, dont les
institutions manquent de moyen face aux géants internationaux du monde
publicitaire, qui nous laissent imaginer un dialogue à sens unique. Le
poids économique de la publicité, adjoint à l'emprise des
grands impresarios sur la classe politique, ne permettent pas l'entrée
en action d'une société civile contestataire souvent
effrayée par les représailles. Cette société civile
est pourtant la première à souffrir de l'invasion publicitaire et
de ce que j'identifierai plus loin comme l'exclusion sociale. Nous verrons dans
le point qui suit en quoi cette société, culturellement
très diverse, est sujette à de nombreuses discriminations au
quotidien ; et dans la deuxième partie, comment la publicité
s'inscrit dans ce processus d'exclusion sociale.
2. Une image de la culture au Mexique
Ce titre vague n'ignore pas les difficultés de
l'entreprise. Parler de culture est toujours synonyme d'approximation et de
conflits de définition. Pour conserver le fil de mon raisonnement, je
n'évoquerai ici que deux modèles de classification de la culture,
celui de Hall et celui de Hofstede, pour que le lecteur puisse avoir une
idée de ce à quoi peut globalement ressembler la
« culture » au Mexique. Ces modèles ne sont pas
exempts de défauts, mais ils ont le mérite de permettre de
classifier une culture selon des critères simples, sans se perdre dans
le détail ni dans des considérations trop abstraites59(*). La culture étant un
thème trop vaste pour être étudié dans un travail
comme celui-ci, je ne m'attarderai ensuite que sur deux aspects de la culture
mexicaine, qui ont directement à voir avec la discrimination et
l'exclusion sociale que l'on retrouve dans la publicité.
Hall distingue deux grands types de cultures pour les
différencier entre elles, les cultures à contexte riche
et celles à contexte pauvre60(*). Les concepts « riche » et
« pauvre » renvoient principalement la manière dont
l'information (sous toutes ses formes) est transmise (ou communiquée) au
sein d'une culture. Selon l'auteur, toute « transaction
d'information » se place à l'intérieur d'un contexte
plus ou moins riche/pauvre. Dans un contexte riche, l'information est
« préprogrammée » dans le cadre de
l'échange et dans les interlocuteurs eux-mêmes, avec un minimum
d'information dans le message. Dans le contexte pauvre, c'est l'inverse, on
concentre toute l'information dans le message pour compenser l'absence
d'information dans le contexte de communication. La deuxième pair de
concepts que détache Hall est la polychronie/monochronie, qui fait
référence à la manière dont les cultures structures
le temps. Autrement dit, la monochronie suit le principe « d'une
seule chose à la fois » alors que la polychronie repose sur la
superposition des tâches. Ces deux oppositions qui paraissent très
générales nous permettent en fait de différencier et
« identifier » grossièrement des cultures.
D'une part, de par son héritage d'une culture orale
antérieure à l'arrivée des espagnols, le Mexique dispose
d'une culture à contexte relativement riche, bien qu'il tende à
s'appauvrir avec le « progrès » et
l'occidentalisation. Concrètement, cela se manifeste par une acquisition
de l'information et du savoir quotidien de manière implicite (peu de
signalisation, peu d'explication écrite en général), on
juge souvent qu'il n'est pas nécessaire d'être très
précis dans ce que l'on dit, la compréhension va de soi, et les
frontières entre les groupes sociaux sont d'autant plus fortes que le
savoir informel est important au sein d'un groupe de personnes. D'autre part,
la culture mexicaine se situerait plutôt dans la monochronie, donnant
lieu à une certaine lenteur dans le travail, mais aussi à des
relations interpersonnelles à plus long terme. Sans rentrer plus dans le
détail, j'insiste sur le fait que ceci n'est qu'une approximation visant
à aider le lecteur à mieux comprendre la
« culture » mexicaine.
De manière similaire, le modèle du hollandais
Hofstede61(*) est
particulièrement utile pour réduire la complexité d'une
culture à quelques éléments. Ce dernier identifie cinq
dimensions constitutives d'une culture: 1) la distance de pouvoir (qui examine
dans quelle mesure les membres d'une culture au plus bas de l'échelle
reçoivent et acceptent l'autorité), 2) l'individualisme ou le
collectivisme, 3) la masculinité/féminité
(répartition des rôles en fonction du sexe), 4) la fuite de
l'incertitude, qui équivaut à la peur des membres d'un groupe
face à une situation inconnue, et 5) l'orientation à court ou
long terme.
Au Mexique, l'inégalité est très forte
depuis toujours, et bien que l'on ne puisse plus parler d'esclavage, on
remarque encore de nombreuses traces (langagières par exemple) d'une
histoire marquée par la servitude. La profonde acceptation du pouvoir
en place est sensible, que ce soit à l'école ou en entreprise,
par un grand respect de l'autorité même lorsqu'elle est injuste,
et l'on remarque une très forte attente de directives (et par
conséquent peu d'initiatives personnelles). C'est par ailleurs une
culture qui se distingue par son collectivisme aigüe, la vie en
communauté est très répandue et contrairement à des
pays comme la France ou le Canada, la vie en famille se poursuit jusqu'à
très tard. La distinction homme/femme est encore très
présente au sein de la société mexicaine. On peut en effet
la qualifier de traditionnelle bien que la capitale tend à s'en
détacher peu à peu. Les femmes sont présupposées
au logis, beaucoup n'ont pas de travail et s'occupent des enfants. Un grand
nombre de tâches sont uniquement effectuées par les femmes, de
même pour l'homme, et tout changement serait perçu comme
complètement anormal (on imagine tout simplement pas un homme s'occuper
des galettes de maïs car ce sont les femmes s'en sont chargées
pendant des centaines d'années). La peur face à une situation
inconnue est assez répandu, on ne prend que peu de risques, on s'expose
peu, l'attachement aux traditions et à la famille est sûrement
lié d'une certaine manière à ce phénomène.
Enfin, l'orientation au Mexique est plutôt vue sur le court terme,
caractérisée par la stabilité personnelle, le respect des
traditions et de la réciprocité (faveurs, cadeaux, remerciements,
etc.), la recherche constante du « sauver la face ».
2.1. Notes sur le multiculturalisme
Le caractère multiculturel du Mexique est au coeur de
la question de l'exclusion sociale. Il me revient donc de tenter ici une
approche de la question de la diversité culturelle mexicaine.
Premièrement, j'aimerai aborder le thème de la
terminologie. Le mot « multiculturalisme » a tellement
été employé au Mexique qu'il a pratiquement perdu sa
capacité à désigner un corpus analytique et
idéologique concret. De manière générale, il fait
référence à une posture morale et politiquement favorable
au pluralisme culturel et aux modèles d'intégration
sociales62(*). Les
principes de tolérance et de respect seraient donc à la base du
multiculturalisme, propre à une nation qui se veut républicaine.
Mais le canadien Charles Taylor, un des premiers à appeler à une
« politique de reconnaissance »63(*), nous rappelle toutes les
difficultés qu'il peut y avoir à poursuivre une tel objectif dans
un pays capitaliste. En effet, la pluralité culturelle s'oppose
régulièrement aux intérêts de grandes
multinationales qui cherchent, entre autres, à exploiter des territoires
occupés par des autochtones.
Par ailleurs, j'utiliserai le terme
« autochtone » dans son acceptation la plus commune,
c'est-à-dire « originaire du lieu (pays, contrée,
région, par affaiblissement ville, village) où il habite
et que ses ancêtres ont également
habité »64(*). Je pourrai employer le mot
« indigène » mais l'éviterai pour cause de la
connotation péjorative du « non civilisé ».
Cette distinction existe également en Espagnol et peut rendre la chose
confuse, car c'est le mot « indio » qui signifie
« indien » qui porte la connotation péjorative. Le
mot est évidemment hérité de la colonisation espagnole et
sera largement employé par les anthropologues durant de nombreuses
années. Aujourd'hui, les associations de défense de ces peuples
privilégient l'emploi de « indigena » qui signifie
« indigène » en Français, terme plus
respectueux selon eux, moins chargé du poids de l'oppression coloniale
et plus relatif à l'époque où les revendications
autochtones ont fortement commencé à se faire entendre. De la
part de ces mêmes associations, on retrouvera souvent des appellations du
type « peuples originaires » pour signifier de leur
présence millénaire et de leur volonté à
perdurer.
L'organisation multiculturelle
Durant les quatre dernières décennies, les
principales institutions nationales et internationales dédiées
à la recherche en sciences sociales ont produit un vaste socle
d'information concernant les différents groupes culturels du Mexique.
Les peuples autochtones ont été le centre d'attention des
spécialistes, universités et groupes de recherche, bien qu'il
revienne de mentionner les études existantes sur l'héritage
culturel des peuples africains, arabes et asiatiques au Mexique.
Indubitablement, ces nombreuses études nous offrent une vision
pluriethnique et multiculturelle du pays, qui se caractérise non
seulement par la quantité de langues et de groupes socioculturels
différents, mais aussi par la mobilité de ces groupes humains,
autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Par
exemple, on estime à un million le nombre de personnes qui, chaque
année, sont allées chercher des conditions de vie meilleures aux
États-Unis, au Canada et en Alaska.65(*)
La mosaïque de peuples autochtones mexicains forme
aujourd'hui la plus grande richesse culturelle du pays. Et y faire allusion
c'est reconnaître une vérité que beaucoup de mexicains ont
encore du mal à admettre: l'existence d'une nation mexicaine autochtone
plurielle. En effet, on compte officiellement dans le pays presque dix millions
d'autochtones66(*) (pour
100 millions d'habitants, environ 10% de la population), qui parlent 85 langues
différentes67(*),
preuve de l'extrême complexité culturelle du pays. La magnitude
des groupes autochtones au Mexique est telle que c'est le pays qui occupe la
première position en termes de diversité culturelle du continent
américain. Néanmoins, ces chiffres varient fortement selon la
manière de compter la population. Le recensement général
de la population et de l'habitat est en vigueur depuis 1895 et effectué
tous les dix ans, c'est une référence mais il a longtemps fait
prévaloir la langue comme seul caractère autochtone, en excluant
par ailleurs la population de 0 à 5 ans. Depuis les années 90,
les enfants de moins de 5 dont le chef de famille est de langue indigène
sont pris en considération. Et en 2000, ce n'est plus seulement la
langue mais l'auto-assignation d'une personne à un groupe autochtone qui
est en question. À partir de cette même année, le Conseil
National de la Population (CONAPO) et l'Institut National Indigéniste
(INI) ont proposé une nouvelle manière de recenser, prenant plus
en compte la notion d'appartenance sous la forme où l'entendent les
autochtones. Celle-ci part de l'idée qu'un foyer est
considéré comme autochtone si le chef de famille, sa conjointe,
ou un de ses parents parle une langue autochtone en plus de ceux qui se disent
appartenir à un groupe autochtone, prenant ainsi en compte les familles
entières dans toute leur complexité. Grâce à la
nouvelle estimation de l'INI, la population autochtone atteint plus de 12
millions de personnes au Mexique, c'est-à-dire deux millions de plus que
le chiffre officiel du recensement de la population.
Bien que ces groupes occupaient traditionnellement les zones
centre et sud du pays, les déplacements de population dû aux flux
migratoires ont fini par les répartir sur tout le territoire national:
de la violente frontière nord (Ciudad Juarez, Tijuana) jusqu'au sud
ultra-touristique (Cancún). Il est ainsi devenu courant de rencontrer
des groupes de presque toutes les ethnies dans des zones aussi diverses que les
villes industrielles, les champs agricoles ou les parcs touristiques. Et si la
redistribution géographique qu'expérimentent actuellement les
peuples autochtones a pu modifier profondément l'aspect
sociodémographique du pays, leur situation socio-économique n'a
en revanche pas connu d'amélioration notable.
La population autochtone est la plus marginalisée du
pays. En accord avec les résultats de la « première
enquête nationale sur les discriminations au Mexique »68(*), 209 des 386 villages
considérés comme hautement marginalisés sont de population
autochtone.
Ces villages sont organisés sous forme de
« communauté », terme largement utilisé par
les anthropologues69(*)
pour définir la structure sociale de base de ces peuples. De fait, le
concept de communauté a peu à peu réussi à
s'envisager non seulement comme unité spatiale, sociale et culturelle
appropriée pour étudier les peuples autochtones, sinon comme
l'unité capable de les définir70(*). L'organisation communautaire existait bien avant
l'arrivée des espagnols, mais sous leur règne, cette forme
sociale s'est converti en noyau de préservation de leur identité
et mode de vie. De par la réorganisation social et géographique
engendrée par la domination espagnole, les peuples et villages
autochtones ont dû s'organiser et se déplacer.71(*) On ne peut donc voir dans la
communauté telle qu'elle est aujourd'hui une réminiscence claire
du passé préhispanique. Cependant, les communautés
autochtones constituent bel et bien des formes d'organisation alternatives
à l'intérieur d'un système qui se veut entièrement
institutionnalisé, elles sont des sanctuaires d'identités
ethniques toujours vivaces dans lesquels elles se déploient et font
exister des millions de gens.
La communauté autochtone est composée d'une
base biologique et territoriale qui est maintenue dans une relation
indissoluble par des instruments que fournie la culture.72(*) Les plus petites unités
de cette base sont la famille et la parcelle de terrain que dispose chaque
famille, regroupées au sein d'une autre « famille »,
plus grande, jusqu'à former l'ensemble de la communauté qui garde
cette dualité famille/territoire. L'unité ou « noyau
familial » est considérée comme fonctionnelle car
reposée sur une division du travail quotidien, une coopération
économique, une dépendance mutuelle et un partage de principes et
croyances religieuses qui le rendent stable et cohérent. La
« famille étendue » regroupe plusieurs noyaux
composés des membres de la famille mais également les
« affiliés » comme les beaux-frères ou les
belles-mères, mais aussi parfois des individus comme des orphelins ou
invalides sans relation avec la famille. Cette famille étendue
possède souvent un aspect cérémoniel tout aussi important
que son aspect économique. Le « lignage » est
constitué par l'union d'un certain nombre de familles étendues
qui partagent des ancêtres communs. Cet union se manifeste par
l'utilisation d'un même nom autochtone. Les membres d'un même
lignage résident sur un territoire plus ou moins étendu dont ils
se considèrent comme strictement
« propriétaire » (les guillemets pour marquer la
différence avec la notion de propriété, bien souvent
privée, qui domine dans nos sociétés) pour l'avoir
occupé durant des siècles (les chemins en seraient l'expression
concrète).
À mesure que se dilatent et se combinent les
groupements sociaux dans la structure de la communauté indigène,
les relations de parenté perdent leur caractère proéminent
et laisse place à la relation étroite que conserve l'homme avec
la terre qui le sustente. Ainsi se forment des « clans » ou
« quartier », qui regroupent un nombre variable de
lignages, et dont les fonctions principales sont l'organisation politique (sous
forme de municipalité), l'organisation religieuse (paroisse), et
l'organisation du travail sous une forme coopérative.
Le « pueblo » a pour double signification
« peuple » et « village ». Il est
l'ultime forme d'organisation autochtone dans laquelle s'intègre la
communauté. Il est dénué d'une stratification sociale
très marqué, c'est une unité coopérative de
production autosuffisante qui constitue également une entité
culturelle autonome, disposant de sa propre langue ou dialecte pour se
différencier des autres « pueblos ». C'est aussi une
entité politique indépendante qui fonctionne sur le modèle
de la constitution nationale, avec ses règles et normes qui
régulent la vie sociale. Le contrôle social est orchestré
grâce aux instruments d'intégration qui administrent les pratiques
« magico-religieuses », afin de satisfaire les besoins
d'expression collective et d'extériorisation à travers le culte
d'un « dieu-saint » local.
La cohésion sociale de la communauté repose sur
deux éléments fondamentaux selon Aguirre Beltrán. D'une
part, la communauté se dote d'un système de
sécurité sociale créé par le lien des familles, la
coopération économique et l'assistance mutuelle, constitué
grâce aux sentiments collectifs de solidarité,
d'honnêteté et de sacrifice pour le bien de la communauté.
D'autre part, elle stimule des sentiments antagoniques et une conduite plus ou
moins hostile envers les communautés voisines, ceci à travers de
l'exaltation du sentiment d'appartenance et le rejet de l'étranger,
phénomène connu comme ethnocentrisme qui a donné lieu
à de nombreuses rivalités entre communautés, parfois
allant jusqu'à des luttes sanglantes et interminables73(*). Ces conflits vont de pairs
avec des différences dans le culte religieux, mais sont plus souvent le
résultat d'intérêts et machinations politiques locales,
pouvant aller jusqu'à la formation de groupes paramilitaires comme
l'Armée de Dieu (« Ejercito de Dios »)
affilié à l'ancien parti au pouvoir (PRI), qui menace certaines
communautés au Chiapas74(*).
Enfin, pour se reproduire et perpétuer ces traits
particuliers, la communauté dispose d'un système éducatif
qui conduit quasi inexorablement à développer chez le futur
membre de la communauté une personnalité particulière,
encline à la survie biologique, à la continuité et
à la persévérance des formes de vie communautaire.
La plupart des autochtones mexicains cristallise son
identité ethnique dans la communauté. Cette dernière est
alors considérée comme une communauté humaine avant
d'être une localité géographique. Elle porte un nom propre,
presque toujours celui d'un saint patron suivi d'un toponyme autochtone.
On parle beaucoup aujourd'hui de sauver les langues et
coutumes, l'artisanat et les idées des ethnies indigènes,
constitutives d'un patrimoine culturel à préserver, mais il n'est
pas souvent accepté que l'organisation communautaire est justement le
patrimoine à considérer75(*).Pour terminer sur la communauté et rependre
quelques éléments, je citerai la synthèse du penseur
autochtone Diáz Gómez:
« N'importe quelle communauté indigène
possède les caractéristiques suivantes: 1) un espace territorial,
démarqué et défini par la possession ; 2) une histoire
commune, qui circule de bouche en bouche et d'une génération
à l'autre ; 3) une variante de la langue du
« pueblo » a partir de laquelle on identifie notre langue
commune ; 4) une organisation qui définit le politique, le culturel, le
social, le civil, l'économique et le religieux ; et 5) un système
communautaire de procuration et d'administration de la justice. N'importe quel
anthropologue sait parfaitement que d'une perspective théorique
spécialisée, il s'agit des caractéristiques d'un
État-nation dans son acceptation occidentale. Mais nous les autochtones
ne sommes pas intéressés par construire des États-nations
en termes modernes. (...) C'est-à-dire que l'on ne peut envisager la
communauté comme un ensemble de maisons avec des personnes à
l'intérieur, sinon comme un ensemble de personnes avec une histoire
passée, présente et future, qui ne peut seulement se
définir concrètement et physiquement, mais aussi spirituellement
en relation avec la Nature entière. »76(*)
La propriété, le travail et l'usufruit de la
terre sont les points les plus importants de la vie des peuples autochtones.
Leurs revendications sociales se résument souvent à une lutte
pour la terre et pour le respect de leurs traditions. À la
lumière de la littérature existante, on se rend compte de
l'extrême complexité du sujet, de par la concurrence de facteurs
historiques (différentes formes de propriété entre
l'époque préhispanique, coloniale et indépendante),
régionaux (nord, centre-sud et sud-est présentent des
particularités significatives), politiques (qui résultent de
processus d'aliénation, mais aussi de pactes entre autochtones et
institutions gouvernementales ou propriétaires privés),
idéologiques (signification de la terre comme espace de reproduction
matérielle et culturelle des peuples autochtones), et aussi
linguistiques (qui s'expriment dans les formes de dénomination de la
propriété autochtone, par exemple « communauté
agricole », « terres communales », etc.)
Il existe au Mexique trois types de propriété:
publique, privée et sociale. La sociale est celle qui attire
particulièrement mon attention car elle est la marque de la
pluralité culturelle au Mexique. Elle regroupe deux formes originales de
disposer d'un territoire: communautaire et communale. Sans rentrer dans les
détails, ces propriétés ont la particularité
d'appartenir non pas à une mais à plusieurs personnes. En ce
sens, de nombreuses communautés autochtones, mais pas seulement,
administrent collectivement leurs terres. C'est une remise en cause totale d'un
des fondements de notre société et de notre culture occidentale:
la propriété privée. Dans le cas d'un
« ejido » comme ils l'appellent au Mexique, une seule
personne ne peut décider de vendre un terrain, il faut l'accord de la
communauté entière, qui prend généralement sa
décision après un conseil réunissant les concernés.
Cette forme de propriété est décisive pour comprendre les
luttes pour la terre qui ont souvent opposé de grandes entreprises
à des communautés, et qui est souvent la marque de
l'incompatibilité entre le capitalisme et la diversité
culturelle.
On peut faire ici un détour par les
évènements qui se sont déroulés à San
Salvador Atenco en 2001, lorsque le gouvernement de Vicente Fox a
prétendu construire un nouvel aéroport international pour la
ville de Mexico dans cette municipalité qui dispose d'un grand nombre de
terrains communautaires. L'expropriation de nombreux habitants étaient
supposée se faire en échange d'une somme infime pour chaque
mètre carré de terrain. Les habitants ont alors commencé
un mouvement de résistance civile qui a
dégénéré en de violents affrontements avec les
forces l'ordre. Malgré la guerre médiatique entamée par le
gouvernement pour diaboliser ces paysans équipés de machettes
(leur instrument de travail)77(*), l'opinion reste en faveur des habitants, obligeant
le gouvernement à renoncer à son projet. Les habitants d'Atenco,
soudés par leurs propriétés communes, se sont
organisés face à l'oppression pour rester maîtres de leur
terrain, allant jusqu'à se déclarer comme communauté
autonome sympathisante du mouvement révolutionnaire zapatiste (EZLN). Le
mouvement a connu une fin malheureuse en 2006, lorsqu'un cercle de la
« police-militaire » s'est formé autour de la ville,
résultant de nombreuses arrestations violentes, la violation des droits
de l'homme, des viols de femmes détenues, et la mort de deux jeunes
personnes (respectivement âgés de 14 et 20 ans). Cet exemple nous
montre à quel point une forme d'organisation du territoire,
résultant d'une culture plurielle, peut constituer une force civile
décisive dans le cadre de revendications sociales. Ce point est d'autant
plus important lorsque l'on sait que la plupart des autochtones vivent dans des
espaces naturels qui disposent de nombreuses ressources. Ils sont en quelque
sorte les gardiens de cette nature, car ils la considèrent
véritablement comme vivante, ils lui vouent un culte qui ne permet pas
son exploitation en tant que simple marchandise.
Dans la discussion à propos des relations qui doivent
s'établir entre l'État et les peuples autochtones, la question de
l'autonomie et de la libre détermination a occupé une place
privilégiée, à tel point qu'elle s'est convertie en
demande centrale des mouvements et organisations indigènes. Ce fait ne
peut être occulté car la construction d'un État
multiethnique et démocratique dépend justement de
l'établissement du dialogue en faveur de régimes
autonomes78(*). Cette
question, bien que relativement ancienne, a pris une ampleur nationale lors du
soulèvement armé autochtone de l'EZLN en 1994, dont une des
principales revendications était précisément la libre
détermination et la non-reconnaissance du pouvoir en place (car il
refusait le dialogue).
Bien que jusqu'à aujourd'hui il n'y ait pas de
consensus sur ce que l'on entend par autonomie, on accepte
généralement l'idée qu'elle suppose non seulement un
transfert d'une série de compétences de l'État vers les
régions ethniques, mais aussi l'acceptation de la différence
culturelle dans l'organisation de ce même État79(*). Le fait d'unir les concepts
d'autonomie et de libre détermination n'est pas fortuit, car l'un ne va
pas sans l'autre, référence à la reconnaissance des
peuples autochtones comme sujets collectifs de droit public, mais aussi des
terres sur lesquelles ils vivent. Ces concepts ne sont, au final, pas autre
chose que la capacité à décider des aspects fondamentaux
de leur vie sociale, en accord avec leur propre culture et avec les engagements
pris avec l'État. La proposition de l'EZLN, incluse dans les accords de
San Andrés qui ont suivi les affrontements, était de
reconnaître l'autonomie comme garantie constitutionnelle pour les peuples
autochtones, avec pour objectif de les doter de droits spécifiques en
rapport aux aspects substantifs qui constituent leur raison d'être comme
peuple (par exemple les formes d'organisation sociale et politique, le
développement de leur culture et tradition, l'accès à ses
ressources, etc.)80(*).
La problématique de l'autonomie résume toute
l'ambigüité du multiculturalisme, car si d'un côté
elle est paraît essentielle au respect total de la diversité
culturelle et des traditions, de l'autre côté, elle est
appréhendée avec scepticisme par ceux qui y voient une menace
pour l'unité nationale et un germe de séparatisme. Il existe par
ailleurs un risque de déviance vers un modèle de
« réserves indiennes » qui conduiraient les
autochtones à une plus forte exclusion de la vie nationale.
Dans de nombreux secteurs du pays, l'opinion veut,
conformément aux plans d'aide et d'assistance, que les peuples
autochtones, miséreux et marginaux, n'aient pas grand chose à
apporter à la nation. On ignore pourtant que, comme le signale le
Programme National pour le Développement des Peuples Autochtones
2001-2006:
« au Mexique l'exploitation du pétrole est
une des activités économique les plus rentables. On en extrait
70% dans le tropique mexicain. Les site les plus importants correspondent aux
états de Campeche, Tabasco et Chiapas, dans des municipalités
à forte présence autochtone. La richesse
générée à sans aucun doute profité à
la nation, mais les communautés autochtones, dans leur majorité,
ont vu leurs terres affectées. L'exploitation de minéraux en
zones autochtone est importante: dans l'état de Chihuahua, les
municipalités autochtones de Guazapares et Urique apporte le
dixième de la production nationale en or. La municipalité de
Huajicori, dans l'état de Nayarit, apporte 89% de la production de
plomb, 97% de cuivre et 68% d'or. Les principales entreprises
d'hydroélectricité se sont construites en régions
autochtones. »81(*)
Du même rapport, on apprend que ces terrains
communautaires occupent 60% de la superficie forestière du pays. Les
communautés autochtones fonctionnent en effet comme un garde-fou de la
biodiversité mexicaine. Des 127 parcs naturels du pays, 51 se situe en
zone fortement peuplée par les autochtones. On comprend ici tout l'enjeu
de la diversité culturelle et du respect des communautés, car
elles sont un rempart face à l'impact de la globalisation sur
l'environnement. Une politique de préservation de l'environnement ne
pourrait faire abstraction de l'aspect social lié à celui-ci, en
passant notamment par la reconnaissance de ces peuples comme acteurs
environnementaux.
Cherchant à améliorer leurs conditions de vie,
un nombre important d'organisations autochtones ont développé
certaines modalités productives (agriculture bio, prise en charge de
réserves naturelles, écotourisme, pêche, etc.), allant
parfois jusqu'à s'insérer sur les marchés internationaux,
comme c'est le cas pour les producteurs mixes de café de Oaxaca ou les
vanilliers de Papantla dans l'état de Veracruz. Ces initiatives marquent
un tournant dans les processus de développement, appropriation et
adaptation technologique, dans les formes associatives des peuples autochtones,
recherchant la mise en valeur des ressources, l'usage adéquat de
l'environnement et la croissance économique.
Outre les ressources naturelles, on observe un
phénomène qui prend de l'ampleur chaque année et qui reste
souvent ignoré des études économiques: l'importance des
investissements des mexicains émigrés aux États-Unis ou
au Canada. La Banque Interaméricaine du Développement (BID) a
informé que lors de l'année 2001, ces exilés mexicains
représentaient 40% des investissements étrangers. Une grande
partie de ces migrants étant d'origine autochtone, les ressources
financières envoyées parviennent parfois à dynamiser
l'économie de zones rurales.
En revanche, les ressources dont disposent le moins les
peuples autochtones sont l'éducation formelle et la santé. Selon
le recensement de l'année 200082(*), 10,9% de la population mexicaine est
analphabète, dont 34% sont autochtones. Les plus touchées sont
les femmes indigènes, atteignant dans certains états 60%
d'analphabétisme. La moitié d'entre elles n'ont pas
terminé l'école primaire. En 1995, les populations autochtones
dans leur ensemble avaient deux fois plus de retard concernant le passage de
l'école primaire à l'école secondaire83(*). Ce retard s'explique par la
grande pauvreté de ces populations, et par un système
éducatif mal adapté aux communautés. Les
inégalités en matière de santé s'expriment surtout
à travers le taux de mortalité infantile 40% plus
élevé dans les zones rurales et autochtones que dans la capitale.
Plus globalement, les communautés autochtones affichent les pires
résultats en matière de santé84(*). Elles sont les plus
touchées par le SIDA et de nombreuses maladies curables comme la
tuberculose, la diarrhée ou la pneumonie. L'absence de docteur dans de
nombreuses municipalités, les distances gigantesques qui séparent
certaines communautés des villes et l'inefficacité du service
public de santé (hôpitaux et assurances) sont au coeur du
problème. La médecine traditionnelle, encore largement
répandue à travers les communautés indigènes, a
prouvé son efficacité grâce à l'usage de nombreuses
plantes aux vertus thérapeutiques (reconnues par la science moderne),
mais elle reste impuissante face à certaines maladies comme le cancer et
le SIDA.
En outre, les communautés sont largement
touchées par l'alcoolisme, dégradant fortement l'image des
autochtones, qu'on associe souvent à des ivrognes. C'est bien connu et
cela remonte à l'époque coloniale, lorsque les espagnols
faisaient usage des alcools forts comme le mezcal ou la tequila pour tromper et
pervertir les autochtones (la distillation n'existait pas avant
l'arrivée des espagnols, on consommait seulement le
« pulque », une boisson fermentée a base d'agave,
faiblement alcoolisée, encore populaire aujourd'hui mais relativement
difficile à trouver, qui a longtemps souffert d'une mauvaise
réputation de par son aspect laiteux et son odeur âcre). Dans les
communautés autonomes zapatistes, la consommation de drogues et d'alcool
est formellement interdite, les habitants se sont organisés de
manière radicale pour lutter contre ce fléau qui ronge de
nombreuses communautés. Les écrits en langue nahuatl montre
d'ailleurs la fermeté qu'employaient les mexicas à l'encontre de
l'état d'ébriété, considéré comme
cause de « toute discorde et dissension ». Seuls les
malades et les personnes âgées étaient autorisé
à se « souler », le pulque étaient et est
encore connu pour ses effets bénéfiques sur la digestion, en plus
d'autres croyances (aphrodisiaque, régénération,
réduction du stress, diurétique, etc.).
Multiculturalisme et globalisation
Le multiculturalisme embarque certains aspects qui
révèlent toute sa complexité. La violence du contexte
globalisant que l'on retrouve dans un pays émergent comme le Mexique
(politiques économiques de dérégulation, catastrophe
environnementale, corruption, crime organisé) est d'autant plus
prégnante sur la problématique de la diversité culturelle,
car elle la délaisse et l'instrumentalise à son gré.
La globalisation peut-être vue sous deux angles, celui
de l'ouverture nationale exigée par le modèle
néolibéral qui désintègre socialement et
politiquement le national, et celui de l'intégration régionale
par lequel un pays cherche à s'insérer au marché mondial
avec compétitivité.85(*) Les règles du jeu global placent le
marché, et non l'État, au coeur du principe organisateur de la
société, faisant des inégalités un passage
obligé à l'avancée de cette même
société. La croissance de la pauvreté, qui va de pair avec
la croissance de la richesse au Mexique, détériore les
mécanismes de cohésion sociale et culturelle. On aurait
d'ailleurs tort d'imaginer le Mexique comme un pays
« pauvre » alors que l'homme le plus riche du monde est
justement mexicain86(*).
De plus, on retrouve la détérioration sociale dans un champ
important de toute l'Amérique Latine, celui de la production
audiovisuelle. Elle n'obéit souvent qu'à des
intérêts privés et entraine ainsi un effacement des signes
nationaux, notamment à travers les fameuses
« telenovelas » qui, se convertissant en un terrain
stratégique de la production d'images que se font les pays
d'eux-mêmes et avec lesquelles ils se font reconnaître par les
autres, se réduit à « une recette rentable de formules
narratives et de stéréotypes folkloriques ».87(*) Alors que dans les
années populistes (1930-1950), les médias ont contribué
à la naissance d'un puissant imaginaire mexicain dont on tire tous nos
clichés (le mariachi, le sombrero, le désert et les bandes
armées à cheval), ces dernières années les
industries culturelles ont voulu s'étendre et passer les
frontières, au prix d'une relative désintégration
culturelle. Face à un public toujours plus neutre et
indifférencié, la production dissout la différence
culturelle et l'originalité folklorique, plus rentable et moins
chère. Nos relations avec les autres cultures sont ainsi marquées
par « le schéma structurel de différence »
que propose l'idéologie dominante de l'hémisphère nord,
rendant l'opposition Nord-producteur-de-sens et
Sud-consommateur-syncrétique plus forte.
Les cultures hybrides
Il n'y a encore pas si longtemps, l'organisation culturelle
répondait seulement au modèle de communautés rurales
fortement homogénéisées mais isolées les unes des
autres. Cette dispersion géographique a connu un retournement brutal
avec l'exode rural de la seconde moitié du XXe siècle. De cette
migration nait la rencontre des cultures, la
« multiculturalidad » en espagnol, la coexistence de
groupes ethniques dans les espaces urbains, hétérogène
dans la forme de vivre et de penser, et qui laissera place à cette
manière de penser qu'est le multiculturalisme. Cette rencontre
des cultures mexicaines dépasse notre notion de culture, de nation et de
ville ; elle rend flou le concept d'identité et les limites entre les
peuples. Un « vivre ensemble » changé et changeant,
une expérimentation identitaire et territoriale dont la ville de Mexico
est l'exemple le plus criant. C'est dans ces espaces urbains, et non dans la
figure de l'État, que se cristallisent aujourd'hui les nouvelles
identités faites d'imaginaires nationaux, de traditions locales et de
flux d'informations transnationaux, et où se construisent de nouveaux
modes de représentation et participation politique, c'est-à-dire
de nouvelles formes de vivre sa citoyenneté.88(*)
On imagine alors toute la complexité qu'il peut y
avoir à prendre en compte le phénomène multiculturel dans
un travail en science sociale. On est confronté à des objets
d'études nomades dont les contours sont flous. Car voir l'exclusion
sociale c'est voir la différence et se heurter à la
complexité des mécanismes que mettent en oeuvre les
« différents » dans leur lutte contre
l'universalité. La tâche est ardue et mérite pourtant que
l'on s'y attarde. Elle nous ouvre les portes de l'expansion des industries
culturelles, de la conformation d'un marché culturel dont les sources ne
sont pas communautaires mais industrielles, c'est-à-dire qu'elles
substituent les formes traditionnelles de vie à des styles de vie
conforme à la publicité et à la consommation. Le monde
symbolique est internationalisé, le peuple est quant à lui
segmenté en publics-cibles sur un marché.
L'autonomie culturelle se produit lorsque l'État ne
peut plus mobiliser et ordonner le champs culturel, il se contente alors de
limiter et réguler dans une certaine mesure, assurant la liberté
des acteurs et l'opportunité d'accès à tous, et laisse au
marché le rôle de catalyseur. L'autonomie se produit
également lorsque les expériences culturelles ne correspondent
plus au répertoire des groupes sociaux présents. La
modernité culturelle rend de nombreux groupes prisonniers de
modèles qui ne sont pas les leurs et auxquels ils doivent se
« disloquer » socialement pour s'y adapter. L'apparition de
« cultures hybrides »89(*) résulte d'un ordre symbolique nouveau, celui
du marché globalisé, où s'entassent et se bousculent les
cultures dans la cacophonie, se donnant en spectacle aux médias de
masse.
Les médias de masse tendent à nous faire croire
que notre modèle économique est le seul et unique possible,
laissant voir le jour à une « culture globale »,
face à laquelle on ne doit pourtant pas laisser s'effacer les cultures
qui survivent et coexistent, et dont le
« multiculturalisme » tente de se porter garant. C'est
trouver le compromis entre une dynamique économique mondialisée
doté d'une société homogène et la volonté
croissante de beaucoup de peuples de maintenir leur identité propre
(comme c'est le cas en Espagne par exemple). Le multiculturalisme peut alors se
poser comme alternative à la ligne unique de
« progrès » technologique pour
l'humanité90(*). On
peut y voir une recherche d'harmonie culturelle comme but à atteindre
plutôt qu'une lutte constante pour plus de technologie, plus de pouvoir.
Cette utopie « multiculturaliste » s'oppose à la
rationalité unique des êtres humains, elle est non-absolue et
non-universelle. L'adoption d'une position relativiste à travers mon
travail est aussi une manière de voir la globalisation comme porteuse de
valeurs qui se veulent justement absolues et universelles, et ainsi de lui
résister intellectuellement.
« C'est la position relativiste que
sustente un certain type de multiculturalisme, à savoir, une
conception selon laquelle la compréhension et le jugement des actions et
des croyances des membres de chaque culture doit se faire pour
référence les critères acceptables seulement par les
membres de cette culture »91(*)
En revanche, il ne faut pas voir dans cette position une
espèce d'intégrisme culturel. Au contraire, l'idée est que
l'interaction et la communication entre cultures est possible sans
forcément générer une lutte de pouvoir. Je me servirai
néanmoins de cette « manière de voir les
choses », cette idée, pour examiner les luttes réelles
qui ont eu lieu et qui sont encore d'actualité. Le Mexique est
traversé par la confrontation entre l'idéal alimenté par
les groupes dominants vers lequel devraient converger les autres, et la
position qui penche pour la reconnaissance d'une diversité culturelle
(qui existe de fait) et qui va dans le sens de la préservation et
l'avancée de cette diversité, au lieu d'une assimilation au
modèle occidental moderne.
En aucun cas, en dépit de ce que l'on vient de voir,
les occidentaux ont réussi à éliminer les cultures
autochtones du Mexique, de même que dans toute l'Amérique Latine
(pour contraster avec ce qu'il reste des autochtones aux États-Unis par
exemple). Il voir le processus de l'autre coté, celui des protestations
sociales, et l'ardeur avec laquelle les peuples se sont accrochés
à leurs traditions. Le capitalisme, à travers le travail à
la chaîne, allait briser une forme antique du travail, mais
également une manière de vivre qui y était
associée. C'est justement cette confrontation qui allait donner
naissance aux premiers mouvements de protestations, qui se sont vus
mélanger des formes de lutte aux cultures populaires, démontrant
la présence toujours vivace des traditions comme rempart au capitalisme.
La culture populaire, menacée par la modernité, devient alors
encore plus traditionnelle et rebelle, et c'est ce qui fait sa force. Comme le
disent fièrement certains mixtèques de la région de
Oaxaca: « Nous avons résisté 8000 ans car nous sommes
la montagne-même », phrase-symbole de la résistance
à l'envahisseur mexica, espagnol, puis métis. On comprend mieux
toute l'absurdité que trouvent ces peuples à fêter le
bicentenaire de l'indépendance mexicaine, quand on pense que la lutte
pour la terre n'a peut-être jamais été aussi rude que
maintenant.
2.2. Discrimination, racisme et idéologie dominante
dans un système global
La mise en relation, le contact avec une autre personne, est
un processus compliqué qui ne cesse de préoccuper les sciences
sociales, car déterminant dans l'histoire des peuples et dans notre
actualité si « internationalisante ». Qu'est-ce qui
nous pousse à adopter tel ou tel comportement face à autrui? Une
question que l'on ne peut envisager dans une seule dimension. Pour rendre
compte des différences qu'il existe dans la réalité du
rapport à l'autre, Todorov92(*) distingue premièrement un axe axiologique qui
est le jugement de valeur sur l'autre: je l'apprécie ou non, j'y suis
supérieur ou non. Deuxièmement, vient un axe plus pratique
d'éloignement ou de rapprochement de cet autre: adoption de valeurs,
identification, soumission à lui ou de lui. Et troisièmement, il
y aurait un axe concernant la connaissance ou l'ignorance de cet autre.
Utilisant ces trois axes, l'auteur refait une passionnante histoire de la
conquête de l'Amérique et de ses principaux acteurs sous l'angle
du rapport à l'autre. L'exemple est intéressant car il est l'un
des plus grands chocs culturels de l'histoire de l'humanité et nous
permet de faire un bond jusqu'à la relation actuelle aux peuples
autochtones et étrangers du Mexique.
Les racismes latino-américains d'aujourd'hui sont des
systèmes de domination ethnique et raciale dont les racines se
retrouvent justement dans cette conquête des Amériques, autrement
dit dans le colonialisme européen, qui a légitimée
l'exploitation massive des peuples indigènes et l'esclavagisme de
populations africaines (pour chaque espagnol qui débarquait, on comptait
environ dix esclaves noirs). On peut positionner le discours dominant au
Mexique sur le schéma de Todorov en ces termes-là:
j'apprécie formellement les peuples autochtones mais je leur suis
implicitement supérieur, je m'approche publiquement d'eux pour qu'ils
adoptent mes valeurs mais je les éloignent subtilement du pouvoir, je
cherche à les connaitre suffisamment pour les contrôler mais
j'ignore réellement ce qu'ils pensent et ce qu'ils sont.
Je verrai plus en avant comment se matérialise ce
discours dans les faits, mais j'entamerai d'abord mon propos par quelques
généralités sur le thème du racisme.
Un racisme que l'on partage
Le racisme que l'on observe au Mexique, et plus globalement
en Amérique Latine, possède de nombreuses caractéristiques
en commun avec celui que l'on observe en Europe, notamment car il est
« pratiqué » par ces mêmes européens,
ou leurs descendants, et qu'ils partage une même idéologie sur les
non-européens.
En Europe, le racisme a l'habitude de se diriger vers les
peuples « étrangers » et
« différents », alors qu'en Amérique Latine
ce sont les étrangers eux-mêmes, immigrants, qui discriminent les
peuples autochtones. Dû aux nombreux mélanges ethniques, les
structures de domination ne se limitent pas à une dualité blancs
et non-blancs. Il existe tout un panel de mélanges qui ont, au cours de
l'histoire, été classés comme plus ou moins acceptables,
pour attribuer un rang plus ou moins important aux individus selon le
mélange dont ils sont issus.
Parmi tous les préjugés, racismes et
discriminations qui existent en Amérique Latine, on observe une ligne
directrice sur tout le continent: la population de plus grande apparence
européenne discrimine à la population de moindre apparence
européenne.93(*)
Tous les postes importants et a gros revenus sont occupés par des
individus à la peau claire ; la tranche de la population la plus pauvre,
bien souvent celle qui travaille la terre ou qui mendie, est celle qui a la
peau la plus foncée.
En dépit d'une promotion officielle du
métissage dans certains pays comme le Mexique, et, dans un contexte plus
international, de la fierté d'une certaine culture
« latino », l'idéologie raciste
euro-américaine a tendance à associer le fait d'être blanc
à des valeurs plus positives comme l'intelligence, l'éducation,
la beauté, l'honnêteté. À l'inverse, une peau mate
serait plus associée à la paresse, l'irresponsabilité, la
délinquance, etc.
Dans ce contexte, la réussite économique et
sociale d'une personne de moindre aspect européen est perçue
comme la preuve de la possible mobilité sociale, sous couvert du
« quand on veut, on peut » hérité du
capitalisme américain, légitimant le discours qui veut que les
autochtones ont toujours vécu dans la misère parce qu'ils ne
veulent pas vraiment s'en sortir. Les politiques, pensant de la sorte, ne
laissent alors que peu de place à l'initiative sociale pour permettre
aux plus démunis de vivre dans de meilleurs conditions,
préférant une posture plus paternaliste. Ce système
discriminatoire se combine structurellement avec le sexisme et la domination
masculine. Toutes les positions importantes sont occupées par des
hommes, et dans une société qui conserve de nombreux traits
traditionnels, la femme est encore largement écartée des prises
de décision.
La réalité économique d'Amérique
Latine est la base de nombreuses formes de discrimination comme la
subordination, l'exclusion ou la marginalisation, qui dérivent vers une
distribution inégale des ressources du pouvoir matériel comme du
pouvoir symbolique.
Là où il y a racisme et discrimination, il est
commun de voir surgir des mouvements antiracistes, et l'Amérique Latine
ne fait pas exception. Les victimes de discrimination adopte une position
active et s'organise pour échapper ou résister aux formes de
domination. Dans l'actualité, autant les groupes autochtones
qu'afro-américains se regroupent en association pour lutter contre le
racisme et consolider leur propre identité94(*). De même, dans les
élites blanches, on peut observer des organisations qui luttent
activement contre le racisme et qui sont, parfois, celles qui permettent aux
autres organisations d'exister financièrement. Ainsi, dans certains
pays, et c'est le cas du Mexique, des changements aux niveaux législatif
et constitutionnel ont été possibles. Bien que, dans les faits,
ces avancés soient lentes ou non appliquées, il faut reconnaitre
un changement dans les attitudes qui rend le racisme moins évident, plus
subtil, donc plus difficile à combattre, comme c'est le cas en France.
Il existe cependant de nombreuses particularités qui
distinguent les pays d'Amérique Latine et les régions à
l'intérieur de ces mêmes pays, où interviennent des
facteurs historiques, économiques et culturels. Au Mexique, on
distinguera entre autres l'état de Chiapas qui a connu le
soulèvement armé de l'EZLN en 199495(*), qui fait figure de symbole de
la résistance parmi les peuples autochtones et leurs défenseurs.
Un racisme qui s'acquiert
Ici, ma thèse est que le racisme n'est pas un
mécanisme inné qui surgit spontanément d'on ne sait
où. Bien au contraire, le racisme s'apprend, et surtout, il s'enseigne.
La société nécessite des catégories sociales
différenciées, et pour cela, il lui faut un système de
légitimation. Les médias et discours politiques sont les sources
principales de communication discriminante et de reproduction du racisme.
Cependant, il nous faut garder à l'esprit que le
« discours » en tant que tel n'est pas la seule
manifestation quotidienne de la discrimination, mais qu'il sera pour moi,
étudiant en communication et citoyen de « l'ère
médiatique », le point de départ à la mise en
évidence concrète de l'exclusion sociale comme
phénomène plus global.
Avant tout, la discrimination au Mexique se
matérialise par un manque de ressources élémentaire
à certaines populations, par la pauvreté ; et le discours
dominant n'a pas l'air, à première vue, d'un discours raciste.
C'est dans ses interstices, ses recoins sombres, derrière la face claire
et souriante de ce discours que l'on trouvera matière à le
discuter. Il est d'autant plus intéressant qu'il est constitutif du
phénomène d'exclusion sociale, car il le légitime, non pas
en disant « exclure c'est bien », mais en disant justement
le contraire. En cela il forme un objet d'analyse formidable pour voir non
seulement comment le racisme se manifeste discursivement au quotidien, mais
surtout pour comprendre les mécanismes idéologiques de son
exercice et de sa reproduction.
Un racisme méconnu
La prédominante négation du racisme en
Amérique Latine est à mettre en relation avec le peu
d'études sur le sujet.96(*) En effet, outre des thèses par-ci
par-là, il est relativement difficile d'obtenir de la littérature
scientifique, ce qui est intriguant au regard de l'ampleur de la
discrimination. Ce qui est d'autant plus étrange, c'est que dans une
partie du monde ou l'étude du langage et des discours est très
répandue, on ne trouve que difficilement un traitement des formes
communicationnelles du racisme et des discriminations. Ainsi parmi les
principales sources d'information, on retrouvera surtout les associations de
lutte pour les droits des peuples autochtones et les médias alternatifs.
Cela montre encore une fois à quel point ce phénomène est
ancré dans les schémas de pensée, on l'accepte car il a
toujours été là, et ce n'est que lorsqu'il dépasse
les limites que l'on s'indigne et que l'on agit.
Les études anthropologiques sur les communautés
indigènes du Mexique sont nombreuses à nous apprendre tout sur
leur art, littérature ou langage ; elles abondent dans de nombreuses
langues, sauf bien sûr dans les langues des concernés, preuve
encore de leur marginalité. Bien que certaines études
sociologiques se focalisent justement sur cette marginalité et ses
répercussions sociales au sein des communautés, il me semble
d'une importance primordiale de jeter un oeil plus approfondi sur les discours
qui maintiennent d'une certaine manière cette situation. En ce sens, mon
travail est donc plus consacré à la production de discours
discriminant de la part de l'élite communicationnelle qu'aux
populations victimes d'exclusion sociale.
Un racisme du politique
Avant de m'engager dans l'analyse plus profonde du discours
publicitaire, j'aimerais faire un détour par le discours politique.
Comme en Europe, ce discours tend à être officiel et public au
Mexique. Cependant, par peur de perdre des votes, mais aussi de par
l'idéologie propre à la démocratie et la retenue qui
incombe aux hommes politiques, ce discours officiel cache souvent une
vérité toute autre. Le mépris est d'usage et finement
employé au Mexique. Publiquement, on observe donc une attitude
respectueuse à l'égard des peuples autochtones, qui sont
d'ailleurs largement mis en avant pour attester de la richesse culturelle du
pays. Ils sont tellement aimé lorsqu'il s'agit de faire un musée
à la gloire de l'indépendance que l'on monte une exposition
grandiose sur la plus grande place de la capitale, juste au dessous de
l'immense drapeau national, alors que des membres de ces mêmes
communautés mendient au même moment à la station de
étro la plus proche.
Il y a eu au Mexique trois grands moments de débat
parlementaire au sujet des peuples autochtones, la création du DECRI en
1921, le DAI en 1935 et le INI en 1948.97(*) Mais chacun de ces évènements dans la
prise de décision politique s'est passé de la présence des
concernés. L'objectif de ces discussions étant
« d'améliorer » la situation des peuples autochtones
en favorisant l'intégration à la société. Plus
simplement, cela signifiait rendre ces peuples un peu moins autochtones, et un
peu plus civilisés, car les deux ne sont pas compatibles. Le
préjugé concernant le soi-disant « retard »
des autochtones prime et reste vivace de nos jours. En dépit de la
constante existence d'appels à « l'aide des pauvres
indiens », la réalité est qu'on leur a à peine
octroyé de manière significative une ressource comme la terre ou
le pouvoir politique98(*).
Pour cette raison, le 1er janvier 1994, les zapatistes (EZLN) se sont
soulevés au Chiapas contre l'Etat mexicain.
La question de la participation des autochtones à la
vie politique et plus particulièrement à la prise de
décision se retrouve tout au long de l'histoire du Mexique
indépendant. La détermination du paysan révolutionnaire
Zapata au début du XXe siècle avait suscité l'indignation
des parlementaires qui y voyait une espèce de folie indigène ;
tout comme la longue marche pacifique de l'EZLN vers la capitale 80 ans plus
tard, largement suivie par la population, n'avait pas réussi à
faire entrer ces autochtones au Parlement. À ce moment précis, en
2001, il est intéressant de voir comment le parti politique au pouvoir
utilise une rhétorique pro-autochtone pour justifier de la
non-négociation avec les « rebelles hors-la-loi »
zapatistes.99(*) Cette
rhétorique se caractérise par la réappropriation des
problématiques identitaires des autochtones sous couvert du partage de
valeurs républicaines et de légalité.
La notion de la
« légalité » a été au centre du
débat avec l'EZLN, car selon la loi il n'est pas permis de recevoir des
intervenants extérieurs au Parlement. De la sorte, le gouvernement se
disait prêt à recevoir dans la légalité le membre de
l'EZLN, ce qui signifiait ne pas les laisser entre au Parlement et nier leur
pouvoir politique symbolique, alors même qu'il était
fréquent d'accueillir « en toute
illégalité » des chefs d'Etats à ce même
Parlement pour qu'ils s'expriment devant les députés. On voit
encore une fois que le fait de nier la voix de l'EZLN n'est pas explicite, le
gouvernement se cache derrière un semblant de légalité
pour prouver sa soi-disant bonne foi démocratique.
On observe ici clairement toute l'ambigüité et le
cynisme du discours politique qui prédomine au Mexique. D'un
côté, la reconnaissance formelle des droits, de la culture et des
aspirations des peuples autochtones. De l'autre, un maintien pratique de ces
populations en marge du pouvoir politique et de la vie en
société. Un abime sépare les beaux discours officiels
parlementaires des conditions de vie des autochtones. Changer ces conditions
entrainerait une rupture des relations de pouvoir et une reconnaissance du
rôle du gouvernement. Il y a une tendance générale des
pouvoirs publics à voir dans l'état misérable dans lequel
se trouve les peuples indigènes un phénomène naturel qui a
toujours existé, sans que le gouvernement n'y soit pour quoi que ce
soit. Cette auto-déresponsabilisation entre dans un exercice discursif
du type « ce n'est pas notre faute », accompagné du
stéréotype de l'autochtone qui a toujours vécu dans la
misère.
Un racisme de longue date
Pour terminer en nuançant mon propos, je reviendrai
sur les écrits de langue nahuatl collectés par
León-Portilla100(*). Comme je l'ai dit au début de ce chapitre,
le racisme d'aujourd'hui trouve ses formes modernes dans la conquête de
l'Amérique. Mais le racisme en tant que mécanisme engagé
par le groupe dominant pour légitimer sa domination est bien plus ancien
qui ne parait. Il ne faudrait pas voir dans la
« conquista » un phénomène d'un nouveau
genre. Dans son texte « Images des autres en
Mésoamérique avant la rencontre », León-Portilla
met en lumière la manière dont le peuple dominant (Mexica) voyait
ses voisins. On peut ainsi lire que les otomies sont
« imbéciles » et « paresseux »
et les huaxtèques des « ivrognes ». Des
préjugés du peuple dominant sur le peuple dominé qui lui
donnent une bonne raison d'exercer son pouvoir. C'est ici la différence
qui prime, car ces voisins forment déjà une autre culture, parle
une langue complètement différente. On les voit donc
différents et étranges. L'autre est vu comme le barbare, celui
que l'on ne comprend pas, celui qui n'est pas civilisé. Du
préjugé à la discrimination il n'y a qu'un pas, car la
discrimination est toujours fondée sur la base d'un
préjugé. C'est un leitmotiv que l'on retrouve chez grands peuples
qui ont dominé l'Europe.
Un racisme double
Dans un pays aussi culturellement diversifié que le
Mexique, on peut comprendre la tendance dominante à vouloir unifier les
peuples sous une même bannière, quitte à leur faire perdre
leurs traditions et bien que ce soit à l'encontre de certaines valeurs
démocratiques. On peut observer un phénomène similaire
lors de la Révolution française avec l'idée du Jacobinisme
et l'abolition des langues régionales pour créer une nation
souveraine et indivisible. La référence est intéressante
en cela que le modèle politique mexicain est largement inspiré
par la constitution française.
On pourrait pousser l'idée encore plus loin en voyant
dans le modèle français une sorte de référence
absolue à l'origine du conflit social mexicain. Le monde rural n'est
plus accepté par la nation car différent et contre le
progrès. Mais cette nation, d'inspiration républicaine, ne peut
convertir les peuples autochtones par la force. Elle les isole donc, et les
stigmatise. D'un autre coté, ces peuples sont la richesse culturelle du
pays, ils en sont la mémoire et les descendants, mais non les
héritiers. On les affiche en grand et en couleurs alors qu'ils vivent en
bas et dans la boue. Voilà toute la contradiction, ils sont aimés
et détestés en même temps. Une situation inextricable
régie par la « double contrainte », envisagée
« non dans les termes d'un « bourreau » et de sa
victime mais en termes de personnes prises dans un système permanent qui
produit des définitions conflictuelles de la
relation ».101(*) Le conflit est complexe et ne peut donc se
résumer à une simple lutte de pouvoir unidimensionnelle où
le dominant exerce sa force sur le dominé. Les peuples autochtones,
malgré les nombreuses revendications et critiques du pouvoir, n'ont
jamais cherché l'indépendance, il se sentent mexicains plus que
n'importe qui. Au paroxysme des revendications du l'EZLN, c'est la
réfutation du gouvernement délinquant qui faisait discours, et la
fondation des communautés autonomes en sont l'oeuvre pratique. Mais
c'est ici un conflit identitaire qui est jeu, une quête de reconnaissance
similaire à celle de l'enfant auprès de ces parents, non une
séparation formelle. La « double contrainte » de
Bateson qui se conjugue parfois à la « double
absence » d'Abdelmayek Sayad102(*), car la pression est parfois si forte sur les
groupes autochtones qu'elle les oblige à se déplacer,
espérant rencontrer de meilleurs conditions de vie ailleurs, au
États-Unis par exemple, où l'on connait bien les problèmes
de racisme. Ils seront stigmatisés car vu comme étrangers, et au
même moment accusés de trahison pour avoir fuit la
communauté, entrainant une paupérisation à laquelle
participe le discours publicitaire par son univers tronqué.
PARTIE II : Un discours publicitaire vecteur
d'exclusion sociale
La publicité, comme le commerce d'art:
« appartient à la classe des pratiques
où survit la logique de l'économie précapitaliste et qui,
fonctionnant comme des dénégations pratiques, ne peuvent
faire ce qu'elles font qu'en faisant comme si elles ne le faisaient
pas »103(*).
En ce sens la publicité occulte tout un pan de ce qui
la constitue comme telle, pour se laisser voir comme lisse et diaphane. Elle
est néanmoins beaucoup plus compliquée à partir du moment
où elle fait partie de la famille des actes de communication.
C'est-à-dire qu'elle dépend de la régulation des normes
dictées par l'instance sociale qui la produit. De ce fait, la
publicité ne produit pas l'imaginaire socio-discursif du groupe social,
mais en est le reflet, ou plutôt la « caisse de
résonance »104(*), dont l'instance sociale décide de la
« diciblité ». La publicité s'immisce dans
les prétendues pauses médiatiques et offre un recyclage
idéologique équipé d'un packaging stylisé. Elle est
« l'enveloppe bavarde des médias »105(*), popularisée,
imprécise et figurée, qui séduit sous couvert d'informer.
Elle fait du quotidien un rêve dont sont exclus tous ceux qui pourrait en
ternir l'image. Elle fait l'éloge de la blancheur et de la jeunesse, du
sourire et de la consommation. Elle est l'anti-encyclopédie.
Celui qui produit la publicité, être social bien
particulier aux intérêts propres à son champs, met en
oeuvre des « stratégies de discours » par
« l'activation de contenus sémantiques et interdiscursifs tout
à fait précis (univers, valeurs, représentations
supposées partagées) »106(*). Cette dynamique de contenus
s'insère dans un flux discursif concurrentiel où seule une
poignée de voix se fait entendre. L'exclusion sociale dans la
publicité est alors avant tout substantielle, elle appartient à
la publicité dans son ensemble, elle en fait partie intimement. Car la
publicité est le discours dominant, elle le conduit à sa guise
sans même en être entièrement consciente, et reproduit ainsi
un processus d'exclusion préexistant. La publicité n'est pas
l'auteure de la discrimination, mais le vecteur.
La publicité ne s'adresse pas seulement à un
consommateur de supermarché sinon à un sujet-interprétant.
Ce dernier ne voit pas l'annonceur en tant que tel, c'est-à-dire comme
entreprise aux intérêts économiques propres, mais
plutôt comme « le narrateur d'une histoire ou la figure anonyme
d'un sujet montrant »107(*). On déguise ainsi un discours
spécifique en récit qui appelle l'imaginaire et l'identification
du public (et non sa critique ou son opinion). Un masque publicitaire qui
exclue, car d'un discours idéologiquement orienté aux personnages
identifiés on fait un récit qui se veut universel.
« l'énonciateur-publicitaire multiplie les
syntagmes figés, pseudo-proverbes, pseudo-syllogismes, pseudo-postulats
qui font l'ellipse sur la plupart des moments argumentatifs
intermédiaires qui sont à reconstruire par le destinataire. Ces
configurations délocutives y adoptent l'apparence de simulacres
d'assertions véridictoires qui contribuent à naturaliser
(«doxaliser») la parole publicitaire. »108(*)
L'enjeu ici sera d'entrer dans le discours
télévisuel publicitaire, d'en décortiquer un fragment pour
en dessiner les traits inégalitaires. L'institution publicitaire exclue,
et son discours télévisuel sera mon champ d'investigation.
J'entamerai mon propos par une approche des
spécificités du couple télévision-publicité,
comment ces deux concepts se rejoignent et se différencient, et en quoi
ils forment un instrument idéologique redoutable. Ensuite, j'expliquerai
comment travailler ce fragment publicitaire de la télévision,
quels seront mes outils et les éventuelles limites de mon approche.
1. Télévision et publicité
Dotée de moyens exceptionnels, la publicité a
converti la télévision en un terrain d'expérimentations
commerciales et idéologiques. En l'espace d'un demi-siècle, elle
a peu à peu atteint le position dominante en termes de discours
télévisuel. Son esthétique particulière est devenue
une référence et performance artistique dont certains sont
très friands (comme nous le montre la désormais
célèbre et tendance « nuit des publivores», une
occasion pour nous de « goûter pendant 6 heures aux ambiances
russes, asiatiques, africaines, sud-américaines, de découvrir des
spots Mongols, Irakiens, ou même en Indien Guarani
! »109(*)).
Ce sont justement les contraintes du genre
télévisuel qui ont forgé tout le style de la
publicité à la télévision et qui la rendent
reconnaissable. Un spot se doit d'être court,
« informatif », convaincant et éventuellement
émouvant/drôle. Ce style a connu un tel succès qu'il a
permis à la publicité de se payer le luxe de créer de
vrais « patterns » de langage sur lesquels les gens
pouvaient ensuite discuter ou plaisanter (« T'as craché dans
ton Yop » ou « Tu pousses le bouchon un peu loin
Maurice! »). Si le décodage du message publicitaire est
volontairement facilité, ce n'est pas en raison de l'innocence du
spectateur, mais plutôt pour qu'il saisisse plus facilement et se sente
à l'aise avec le média, comme s'il le dominait et le connaissait.
La publicité recherche plus la connivence avec le spectateur que son
allégeance.
Umberto Eco a réussi à résumer d'une
très belle manière ce que nous dit concrètement la
publicité: « Je suis là, je suis moi et je suis
toi »110(*).
Elle suscite l'attention du spectateur, elle cherche à interagir avec
lui, elle ne le laisse pas être passif. Elle dépasse ainsi la
seule volonté de montrer et informer pour faire acheter, mais elle ne
l'avoue pas formellement pour ne pas effrayer le spectateur. Elle est
passée de la simple réclame au spectacle professionnel à
l'imaginaire puissant.
Elle s'est immunisée des critiques en créant
une certaine complicité avec le téléspectateur. Lorsque
celui-ci est devenu plus conscient des réalités
médiatiques, de la douce tricherie publicitaire, des produits et des
personnages plus esthétiques que réels, la publicité a
commencé à jouer sur ces aspects. Elle s'est faite ironique et
exagérante, usant de « l'autodérision
consentie »111(*) avec le spectateur. Elle emploie ainsi une arme
redoutable, l'humour, grâce auquel on peut (presque) tout justifier. Un
message commercial passe beaucoup mieux s'il est drôle, car rire ne fait
de mal à personne, « par le rire on baisse sa garde, on
accepte plus facilement ». Que peut-on reprocher à quelqu'un
qui nous fait rire, même s'il cherche à nous vendre quelque chose?
La publicité a ainsi réussi à se mettre à l'abri
des attaques, se voulant légère et bon enfant, inoffensive.
Toutefois, comme nous l'avons vu, elle conserve un pouvoir
trop important au Mexique pour être considérée de la sorte.
Mais c'est surtout par sa conjugaison à la télévision
qu'elle créé une forme discursive ultra perfectionnée,
« une réalité partagée
recréée »112(*) qui se révèle parfois plus intense que
la réalité personnelle vécue au quotidien. La
transposition à l'écran la rend non seulement témoin ultra
subjectif du réel, mais surtout catalyseur discursif d'une soi-disant
vérité quotidienne.
1.1. La télévision-publicité, un
couple conceptuel
La télévision occupe une place
hégémonique dans la création de l'univers visuel qui nous
entoure, dans les représentations que nous avons du monde et de
nous-mêmes. Elle est, comme nous l'avons vu, une source d'information
majeure pour beaucoup de gens au Mexique. La manière dont elle se lie
à la publicité est tout à fait spécifique et
mérite une attention particulière pour mieux comprendre comment
se fige le discours publicitaire en son sein.
Les caractéristiques essentielles de la
télévision (coexistence d'image et de son) servent un message
multiple et abondamment répété au quotidien, dont la
publicité constitue le plus pur exemple. Les critiques s'attaquent
fortement à cette abondance de messages en mettant en avant
l'altération des habitudes de perception qu'elle entraine113(*). La perte de sens, de
valeurs, et la culture mosaïque engendrée par l'insurrection des
« mass media », sont ce qui effrayait ces critiques qui
croyaient en l'idée d'une masse de spectateurs passive incapable de
décider librement.114(*)
Par ailleurs, il ne semblerait pas exagéré de
considérer la télévision comme un média
essentiellement publicitaire. L'annonce commerciale est en effet un
phénomène central qui tend à s'infiltrer dans les marges
de tous les espaces télévisuels (elle annonce à travers
les produits utilisés par les acteurs dans les films, le sponsoring des
jeux télévisés, des matchs de foot, etc.), jusqu'à
s'introduire dans d'autres modes d'expression (du langage
cinématographique jusqu'à la grande littérature
française115(*))
qui reprennent des techniques publicitaires (phrases courtes, formulations
efficaces). La publicité télévisuelle forme un genre
à elle seule, disposant de ses propres codes et normes de langage,
tendant à déteindre sur d'autres contenus.
Si l'on peut considérer la publicité
télévisuelle comme un genre discursif, la
télévision seule, au contraire, ne peut jouir du même
statut. Pour reprendre la formule de Eco, la télévision est un
« service »116(*), c'est-à-dire un média technique de
communication a travers lequel s'expriment différents genres à
des publics distincts, marquant une différence relative entre
publicité et télévision. Quoiqu'il en soit, la
télévision, d'une manière ou d'une autre, cherche souvent
à nous vendre quelque chose, que ce soit par le biais du
télé-achat, des SMS à envoyer pour gagner des cadeaux, ou
des spots des séries « à ne pas manquer » en
soirée. Plus globalement, à travers les idéologies,
valeurs et modèles de comportement présents dans chaque
programme, la télévision nous pousse à reproduire et
maintenir le système économique, social et culturel au sein
duquel elle s'est elle-même construite.117(*) De plus, si l'on suit Moles, la publicité
est:
« un système de communication par diffusion
qui fait usage de tous les canaux des médias de masse et qui emploie un
ensemble de techniques de la psychologie et de la sociologie en vue d'un
objectif utilitaire (généralement la vente), contribuant à
l'accélération du circuit économique
production-consommation »118(*)
Cette définition nous incite alors à voir de la
publicité dans tous les fragments télévisuels. La
télévision est littéralement envahie par la pratique de
ces techniques à but commercial, du matin au soir, des programmes pour
enfant à ceux pour adultes, jamais le processus publicitaire ne
s'interrompt réellement.
Pourtant, pour des raisons d'usage, je me focaliserai dans
mon travail sur la publicité qui se reconnaît comme telle,
c'est-à-dire comme annonce ou coupure commerciale entre plusieurs
programmes ou a l'intérieur d'un seul. Martine Joly nous rappelle
d'ailleurs que « la télévision est un médium, la
publicité est un contenu »119(*), et un contenu particulier qui, à force
d'être répété, tend certes à effacer
certaines limites avec d'autres contenus ou avec le médium
lui-même, mais qui nous engage donc à redoubler d'effort pour
garder cette distinction à l'esprit. Il me semblait néanmoins
pertinent de rappeler que la publicité télévisuelle ne se
résume pas seulement à ces coupures, mais que c'est un
phénomène bel et bien global, envahissant souvent très
discrètement le paysage audiovisuel.120(*)
La télévision possède une
caractéristique propre et significative: la redondance. Par cela elle se
renforce face au réel, use de la répétition comme outil de
consolidation et d'expansion121(*). À la différence d'un message que l'on
entend une fois, qui nécessite de l'écoute et de la
concentration, la redondance télévisuelle ininterrompue permet
une baisse d'attention qui a fortement joué sur l'idée de
passivité du téléspectateur. La publicité en est
l'exemple le plus parlant, vu que l'on assiste à un véritable
matraquage des spots télévisuels. On ne songerait pas à
prêter une attention poussée à une annonce que l'on est
sûr de revoir de nombreuses fois dans les heures, jours et semaines qui
suivent. C'est également en cela que la publicité est un objet
d'étude tout à fait intéressant, elle est tellement
présente et redondante qu'on a l'impression que personne ne la regarde
attentivement, que l'on zappe sans vraiment y jeter un regard attentif. Mais
elle est pourtant bel et bien là, prolixe et redoublant d'effort pour se
renouveler.
Cet aspect redondant de la
télévision-publicité s'inscrit cependant dans un processus
bien plus large qui est celui de la production en série, de l'habitude
de voir et d'être confronté aux mêmes choses qui s'est peu
à peu développée dans les sociétés
contemporaines. De là on peut supposer l'origine de la course
effrénée à la nouveauté du champ médiatique.
Une course pour oublier la constante et pesante répétition
inhérente à la production industrielle de pratiquement tous nos
biens de consommation.
Lorsque l'on parle de la publicité, celle qui se
reconnaît comme telle, il faut souligner le rapport qu'il existe entre
elle et le programme qui l'entoure. Autrement dit, on ne voit pas de
publicité de jouet pour enfant à 23h après un film
à suspense. Ainsi, d'une certaine manière, la publicité
contextualise les fragments télévisuels par une
systématique interruption, profitant de cet brèche à
l'intérieur d'un programme pour annoncer des produits plus ou moins en
rapport avec celui-ci et avec le public qui le regarde. Ce sont des mises en
avant idéologiques qui se croisent, s'entrecoupent et se superposent
à travers des intervalles télévisuels dont la forme suit
un schéma binaire (programme/publicité).
Il me faut à présent détacher le couple
télévision/publicité de celui qui unie la publicité
aux médias à images fixes. Premièrement, la
télévision seule est un média que l'on pourrait qualifier
de physiquement actif: une fois allumée, la lumière
dégagée par l'écran donne un dynamisme à l'image
que l'on ne peut comparer à une page de magazine par exemple (bien que
les graphistes parviennent à des prouesses pour attirer notre oeil). Par
ailleurs, le fait de ne pouvoir réellement contrôler l'image
télévisuelle (par un retour en arrière par exemple) oblige
le message publicitaire à être d'une clarté plus
prononcée que pour d'autres médias. Il faut convaincre un public
hétérogène en un laps de temps très court,
contourner un exposé long et objectif du produit, rendre le message
précis et concentré en jouant plutôt sur la
subjectivité. De plus, l'image en mouvement permet des mises en
situation plus concrètes qui favorisent grandement la
crédibilité du produit. La double attraction de l'audiovisuel,
perceptive et narrative, renforce deux éléments: en premier lieu
la relative fixation du spectateur à l'écran qui augmenterait,
selon l'opinion publicitaire, « l'efficacité » du
message ; et secondement, la création d'habitudes de perception à
un certain type d'images pouvant susciter une forme de dépendance
à un schéma de « densification
iconographique »122(*). Ces mises en scène densifiées sont
portées par une autre caractéristique majeure de la
publicité à la télévision: la rapidité.
La notion de rapidité si chère à la
publicité a directement à voir avec le rapport au temps dans les
sociétés modernes. Je ne reprendrai pas ici tous les discours
existants sur le profond changement socioculturel qu'a entrainé la
réduction des distances et la course contre la montre en laquelle s'est
transformée la vie occidentale. Les remarques qui suivent resteront
volontairement généralisantes et issues de la pensée
intellectuelle qui rode. Voici le point de vue: la culture occidentale est
extrêmement marquée par une urgence quotidienne. Tout arrive
très vite, on peut télécharger une discographie
complète en quelques clicks, voir un grand nombre de films en ligne sans
attendre, parler en « live » avec quelqu'un à
l'autre bout du monde sans grande difficulté, voir les informations en
direct, manger un hamburger moins d'une minute après l'avoir
commandé. La jeunesse est devenue un idéal absolu, la vieillesse
est occultée. L'imaginaire publicitaire de la vieillesse
représente des personnes âgées en maison de retraite qui
ont besoin d'une couverture sociale pour les accompagner jusqu'au cercueil, ou
encore les « papi-mamie » rigolos et un peu niais face
à l'ordinateur, loin de l'idée de sagesse et de savoir
accumulée le long d'une vie riche en expériences encore
très présente dans les sociétés traditionnelles. La
jeunesse, au contraire, fait rêver et vendre. C'est l'argument majeur de
la publicité. Il faut rester jeune, paraître jeune, vivre et ivre
de jeunesse. Il faut bouger, rencontrer, s'amuser, ou la vie n'en vaut pas la
peine. Pour cela le temps est compté, précieux et pouvoir. La
télévision comme média incarne ce nouvel âge
temporel et visuel. Régis Debray la situe comme à l'origine d'une
nouvelle ère, la « vidéosphère »:
« La télé catéchise. Elle
marche au devoir plus qu'au voir, se fait un devoir de nous faire voir tout ce
qui compte. Elle incarne le Jugement de la Société,
l'équivalent pour nous du jugement de Dieu. (...) La
vidéosphère, qui bannit la durée, ne s'effraie pas de voir
une image, une émission, se chasser l'une l'autre, car l'instant seul
est réel (à ses yeux). Mais cet instant insaisissable n'a de
cesse de nous devancer, comme un feu follet, mirage excitant et
décevant, titillement sans fin pour nous autres, pauvres spectateurs
éternellement en retard d'une image-seconde, d'une mode, d'un sujet,
d'un scandale, d'un génocide, sur notre présent
télévisuel qui court toujours plus vite que nous. (...) Pourquoi
et à qui faut-il « rendre l'antenne » dans une
minute, ce mystère ne sera jamais éclairci et tant mieux. Cette
énigme donne à la règle de l'interruption, de
l'exclamation ou du borborygme, un halo à la fois pathétique et
fataliste qui transforme l'étranglement des parleurs en une sorte de
sacrifice rituel à une divinité des ténèbres aux
arrêts implacables: l'Heure. »123(*)
Ainsi, la publicité achète moins de l'espace
que du temps à la télévision. Le prix payé par les
annonceurs est à la seconde près, et plus l'annonce se situe dans
un moment de grande écoute, c'est-à-dire de la large
disponibilité d'un temps donné par un public, plus le prix est
élevé. Patrick Le Lay, PDG de TF1 nous a d'ailleurs offert une
magistrale citation illustrant ce propos:
« Or pour qu'un message publicitaire soit
perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit
disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre
disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre
pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à
Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. »124(*)
Ce temps accordé par la télévision
à la publicité se manifeste donc sous la forme bien
particulière du spot. Pour mieux analyser cette forme narrative et
discursive et ce qu'elle a de discriminatoire, j'aurai besoin d'une
méthode affinée. C'est en effet derrière la
première couche de sens qu'il me faudra aller débusquer ce que la
publicité véhicule d'exclusion sociale, et pour cela j'aurai
besoin d'outils scientifique qu'une méthode sémio-pragmatique me
fournira.
1.2. Une approche sémio-pragmatique de la
publicité télévisuelle
L'analyse du phénomène publicitaire à la
télévision a été expérimentée de
différentes manières, sous des angles scientifiques
variés. Le but de mon étude ne sera pas d'opérer une
classification systématisante et relativement subjective propre à
l'approche de type motivationiste. Celle-ci, héritée de la
psychanalyse, dont sont friands les publicitaires, cherche souvent à
pénétrer la partie occulte ou inconsciente du spectateur à
laquelle se dirigerait le message.125(*)
J'aborderai le phénomène publicitaire
plutôt sous un angle sémiotique, considérant avant tout son
« mode de production de sens »126(*), c'est-à-dire comment
il génère des significations et des interprétations. Dans
le cas étudié, j'avance l'hypothèse que le sens produit
est vecteur d'inégalités sociales: il exclue
significativement tout un pan de la réalité sociale et
s'incruste dans un système médiatique et politique global
discriminatoire.
On pourrait considérer la publicité en dehors
du support qui l'utilise, comme un discours unifié et dynamique. Ce
serait alors un « paquet de sens » relativement autonome
qui ferait son office (vendre) sur des médias
indifférenciés. Cette position se justifierait par l'apparente
immédiateté compréhensive que l'on éprouve face
à la publicité: d'une langue à l'autre, on reconnaît
toujours très rapidement la publicité, son discours typé
au-delà des mots, sa texture lisse, elle se démarque des discours
qui l'entourent. Pourtant, cette immédiateté est trompeuse et
peut, au final, rendre le message plus compliqué, plus tendancieux, et
nous devons trouver une manière de le décortiquer. Pour cela je
ne peux exclure le média qui supporte la publicité, car la
publicité porte en elle les limites de ce média, elle en est
déterminée techniquement. Elle vole les formes d'autres discours
diffusés sur ce média, se fait caméléon, tente de
passer pour autre chose, enfouir son aspect commercial. Elle veut divertir et
plaire, empruntant la figure des autres, créature hybride que d'autres
copient à leur tour.
J'utiliserai premièrement la classification sobre mais
effective de Péninou127(*), qui me paraît tout à fait
adaptée au spot publicitaire, car elle regroupe trois
possibilités dans la relation entre message et spectateur: discours,
récit et discours-récit.
Le discours appelle directement au destinataire, il s'adresse
à lui à travers une relation de l'ordre du Moi-et-Toi. Le message
est alors structuré de telle manière qu'il met en évidence
ce locuteur, sa présence est interpellante et force le dialogue par
lequel le message peut-être compris. C'est un message à la
première personne dirigé franchement au destinataire qui tend
à l'affirmation et à l'implication comme acteur invisible.
Par le récit, le message se forme en un ordre
fermé, il n'interpelle pas le spectateur, il feint son absence. Il n'y a
pas de persuasion directe, la troisième personne est employée. Le
sujet énonciateur est souvent de profil et dirige son regard vers
l'objet, excluant ainsi de manière indirecte le dialogue avec le
destinataire. Se met alors en place une histoire, de forme anecdotique, dans
lequel le destinataire devient concrètement spectateur.
Le discours-récit est, finalement, un mélange
simple des deux. De fait, la versatilité de l'image entraine
régulièrement un chevauchement du récit par le discours.
Une anecdote termine par un discours au spectateur, ou l'inverse. La
publicité joue alors sur l'ambigüité de sa situation.
L'image publicitaire est par nature
hétérogène, elle conjugue des signes iconiques, plastiques
(couleurs, formes, etc.) et linguistiques qui produisent le sens et qu'il
faudra passer à la loupe. Les structuralistes ont vu dans
l'hétérogénéité de la publicité un
renouveau de la rhétorique128(*), c'est-à-dire de l'art ou technique de bien
parler selon les grecs, où la vraisemblance passe devant la
vérité, pour mieux persuader. La publicité joue en effet
sur la vraisemblance, car la vraisemblance ne correspond pas au réel
mais à l'idée que l'on se fait du réel et aux attentes qui
y sont liées. En l'occurrence, la publicité utilise des
préjugés discriminants, parfois inconsciemment, pour faire passer
un message commercial. Pour mieux analyser ces images, j'aurais donc recours
aux notions de rhétorique, car l'image dit toujours plus que ce qu'elle
représente au premier degré, plus que ce qu'elle dénote,
et elle le fait grâce à la rhétorique.
Le « principe de permutation »,
emprunté à Martine Joly129(*), est un outil efficace car il laisse voir les
éléments constitutifs de l'image pour ce qu'ils sont, mais
également pour ce qu'ils ne sont pas. Par exemple, je vois une femme et
pas un homme, du vert et pas du bleu. Ce principe met en avant l'importance du
choix des éléments pour la constitution du sens visuel.
Sans revenir en détail dessus, je m'appuierai
également de manière relative sur les fonctions du langage de
Jakobson130(*), comme le
fait Péninou (bien qu'il les ramène au nombre de trois), comme
cadre pour analyser certains messages. Mais avant d'identifier ces fonctions,
Jakobson distingue six facteurs essentiels à la situation de
communication: un contexte, un émetteur, un destinataire, un contact, un
code commun et un message. Dans le cadre de mon étude, c'est surtout le
message qui m'intéresse. Suivant Jakobson, la problématique
serait de voir comment le message publicitaire, dans le contexte mexicain,
produit par des groupes publicitaires hégémoniques et dominants,
reçu par une population diverse et très inégale, transmis
par le biais de la télévision et qui utilise un code
ultra-perfectionné, peut être vecteur d'exclusion social.
Il faut par ailleurs voir la relation qu'il peut y avoir
entre le mot et l'image dans la publicité. Différents rapports
existent entre le texte et l'image, que Péninou identifient comme ceci:
soutien (argumentation, redondance, paraphrase),
complémentarité (informations autonomes dans leur
expression, mais convergentes dans leur contenu), amplification
(métaphorisation, hyperbolisation, supradimensionnalisation,
etc.).131(*)
Dans l'article « Rhétorique de
l'image »132(*), Roland Barthes identifie trois types de messages
dans son analyse de l'image publicitaire des pâtes Panzani : le message
linguistique, le message iconique codifié (symbolique, qui fait usage de
la connotation), et le message iconique non-codifié (littéral,
qui dénote). Trois messages qui se conjuguent et se soutiennent pour
donner un sens global à l'annonce, pour rendre celle-ci recevable et
effective.
La notion de genre me sera quant à elle utile dans le
sens où elle représente un mode de communication culturellement
admis et reconnaissable au sein de certains groupes sociaux. Cette notion peut
s'identifier par les éléments qui constituent la situation
spatio-temporelle dans laquelle se réalise la communication, par la
détermination des rôles des participants et par la forme des
énoncés discursifs.133(*) Elle est une boite à discours qui constitue
peu à peu des régularités interprétatives
précieuses pour l'analyse. Elle fonctionne selon des codes qu'elle
reproduit systématiquement.
Car pour comprendre un message il faut avant tout comprendre
pour qui il a été produit et dans quel but/fonction. Pour cela le
message se doit d'être régulier et de faire appel à du
déjà connu. C'est par une approche sémiopragmatique qui
« examine le contexte institutionnel de production et de
réception de l'oeuvre, pour y déceler les consignes de lecture
qui y sont liées »134(*) que je parviendrai à entrevoir comment le
message publicitaire participe à tout un mécanisme d'exclusion
social. Une approche que j'ai introduite dans ma première partie, et qui
va désormais se consacrer plus particulièrement au message. De
plus, je soulignerai l'importance de la notion « d'horizon
d'attente », c'est-à-dire « le contexte
d'expérience antérieur dans lequel s'inscrit la perception
esthétique »135(*), qui sera un concept clé pour comprendre
comment la publicité s'inscrit dans un contexte de discrimination
globale.
Les personnages présents à l'écran
occupent une place importante, l'idée ne sera pas de les classifier mais
de voir en quoi leur quantité et leur type forment un discours
supplémentaire à celui officiellement proposé. La couleur
participe également au discours visuel. Il ne s'agira alors point
d'attribuer des significations mystifiantes à l'emploi de certaines
couleurs, mais plutôt d'étudier les relations entre elles et le
réel.
J'ai beaucoup parlé d'image, à croire que la
publicité est uniquement constituée de
« visuel », mais c'est sans compter sur le son qui
accompagne chaque spot et qui joue un rôle tout à fait
conséquent sur les sensations du spectateur, il me faudra donc consacrer
une attention particulière au registre sonore: parole, musique, effets
sonores et silences.
Savoir ce qu'il se vend à travers la publicité
ne suffit pas. Le message appelle chez le spectateur certaines valeurs à
travers l'attribution d'idéaux à l'objet annoncé, et ce
sont souvent ces idéaux qui excluent et forment un imaginaire
socialement épuré, que l'on cherchera dans le corpus qui suit.
2. Discours et visuel d'un fragment publicitaire
Le prix de la publicité est bien connu pour varier en
fonction de l'horaire et du taux d'audience du programme au sein duquel elle
s'insère. On détermine ainsi la valeur d'un moment
télévisuel et on en profite pour vendre cher chaque petit
« entre-acte » publicitaire. Le corpus
présenté ici a en parti été choisi en fonction de
ces deux facteurs.
Premièrement, l'idée était de
sélectionner une heure et un canal de grande écoute pour penser
ce fragment publicitaire comme reçu par un grand nombre de personnes, et
faire de l'exclusion un phénomène global. Évidemment, le
choix n'a pas été fait au hasard. Le segment nocturne, de 19h
à 22h, est sans nul doute l'horaire phare de la télévision
mexicaine. Le taux d'audience est le plus haut (67,4% des
téléspectateurs possibles)136(*) et les tarifs publicitaires sont
généralement les plus élevés. Cette tranche horaire
se caractérise pour ses programmes de divertissement (81% des
programmes) et ses informations. Les programmes éducatifs ne disposent
d'aucun espace durant cet horaire. Parmi les genres de divertissement que l'on
voit à l'écran à ces heures-ci, les
« telenovelas » occupent la place principale.
Les chaînes de la télévision nationale
proposent une offre de programmes diverse qui a pour but de capter le plus
grand nombre de téléspectateurs. J'ai décidé de me
focaliser sur la chaîne numéro 2 du groupe Televisa car c'est elle
qui dispose de la plus large couverture du territoire national137(*), considérée
comme le premier distributeur de « culture »
mexicaine.138(*) Elle se
nomme également « El Canal de las Estrellas »
(« La chaîne des Étoiles »). Elle est la plus
regardée du pays139(*) et la plus importante du groupe Televisa, la
majorité des programmes produite par le géant Televisa,
spécialement les « telenovelas », y sont
diffusées avant d'être vendues aux télévisions du
monde entier.
Le Canal 2 est réputé pour sa formule de
« telenovelas », mis en place depuis les années 70,
qui consiste en un bloc de séries qui commence à 16h et termine
à 22h30, l'heure à laquelle le JT prend le relai. Son public
serait majoritairement constitué de femmes, sans grandes
différences socio-économique entre elles.140(*) Les hommes sont plus
répartis en fonction de leur moyens économiques, ceux qui ont un
revenu élevé préfèrent le Canal 7 de Tv Azteca
alors que ceux dont le niveau socio-économique est faible semblent
préférer le Canal 2.141(*) Globalement, l'étude qui fournit les
données précédentes nous montre également que le
public de cette chaîne parait éprouver une difficulté
à prendre de la distance par rapport à ses programmes favoris,
nuançant ce que montraient les travaux de Hall et Morley à la fin
des années 70. En effet, selon l'étude, de nombreux
interrogés ferait preuve d'une certaine indifférence dans leur
choix de programme, rien ne leur déplait, mais il n'y aurait pas de
volonté clairement affichée de regarder cette chaîne
à tout prix. On ne peut cependant parler d'une manipulation à
leur égard, qui les obligerait à regarder cette chaîne et
non pas une autre, mais on peut émettre quelques doutes concernant la
motivation réelle qui pousse les gens à regarder autant le Canal
2, lui faisant atteindre des taux d'audience records.142(*)
Quoiqu'il en soit, les spécificités de genre
(féminin/masculin) seront intimement liées aux publicités
diffusées lors de cette tranche horaire: shampoings, produits
ménagers, cosmétiques, alimentaire. Une image bien
particulière que se fait la publicité de la femme, de ce que l'on
doit et peut lui vendre, et de la manière dont elle doit être
présentée à l'écran. Il est non seulement possible
de distinguer la représentation de la femme à travers sa mise en
scène dans les spots, mais aussi par ce que la publicité annonce
en cherchant à l'atteindre. De même lorsqu'elle s'adresse à
des enfants, on voit l'idée qu'elle se fait d'eux par le rôle
qu'ils jouent dans les publicités, mais aussi par ce que l'on cherche
à leur attribuer (tel ou tel jouet).
2.1. Description du corpus
Mon corpus était initialement composé de spots
publicitaires de boissons sucrées, mais je me suis heurté
à un obstacle technique qui a rendu très difficile la collecte de
ces spots (irrégularité, impossibilité de savoir quand va
sortir la publicité du produit en question). De plus, en
privilégiant les facteurs horaires et de contenus mentionnés
ci-dessus dans la détermination de mon corpus, j'ai
réalisé que les spots de sodas étaient finalement peu
nombreux en comparaison des publicités pour des cosmétiques ou
des médicaments. J'ai ainsi décidé de changer mon approche
pour rendre la collecte réalisable et l'analyse plus pertinente. Cela a
supposé un remaniement de mes idées, dans le sens où il ne
s'agissait plus de voir l'imaginaire véhiculé par la promotion
d'un type de produit (la boisson gazeuse de telle ou telle marque), sinon
l'imaginaire construit sur un fragment publicitaire bien spécifique, qui
mélange différents produits, mais dont le caractère
unificateur reste le moment télévisuel (heure de grande
écoute de la « telenovela » du Canal 2).
Après avoir visualisé plusieurs coupures
publicitaires du Canal 2, on remarque que les spots se répètent
excessivement, jusqu'à deux fois à l'intérieur de la
même coupure. C'est-à-dire que l'on n'observe pas de
différence notable ou de rupture idéologique d'une pause
publicitaire à l'autre. Les mêmes thèmes sont
utilisés et réutilisés. J'ai donc
sélectionné deux de ces coupures, l'une aux environs de 19h45 et
l'autre à 20h30, qui séparent les
« telenovelas » Mar De Amor, Llena De Amor (deux
productions mexicaines du groupe Televisa) et Hasta Que El Dinero Nos
Separe (production colombienne reproduite par le groupe Televisa) dont la
diffusion est quotidienne.
De ces deux coupures, j'ai choisi d'extraire quatre spots. La
rigueur aurait exigée une analyse de la coupure dans son ensemble, du
premier spot au dernier. Cependant, la longueur de chaque coupure aurait rendu
l'analyse fastidieuse, avec le risque de moins pénétrer
significativement chaque annonce. Le but de ce travail est de reconstruire
l'imaginaire d'un fragment publicitaire pour y débusquer les traces
d'inégalité sociale, le choix de ces quatre annonces a donc
été orienté par ma volonté de respecter cet
imaginaire. J'ai repris les publicités qui m'ont semblé les plus
représentatives, les plus fréquemment vues, plutôt que
celles qui auraient pu éventuellement servir mon propos plus que
d'autres.
Le premier spot promeut un dentifrice de la marque Colgate,
il est d'une durée de 20 secondes. Il met en scène un jeune homme
seul dans sa salle de bain, face au miroir, faisant la grimace pour observer
ses dents. Une sorte d'équipe de télévision menée
par une jeune femme fait irruption et lui demande de manière très
directe si son sourire lui fait peur. Le jeune homme marmonne et sans attendre
sa réponse on lui demande s'il utilise le bain de bouche. Il demande si
c'est pour blanchir les dents, ce qui montre qu'il connait ce type de produit,
puis la jeune femme lui explique avec quelle facilité on l'utilise, et
que ce dont il a besoin c'est le dernier produit Colgate Plax Whitening.
Tout au long de cette première séquence, une
phrase figure au bas de l'écran: « Consulte
régulièrement ton dentiste », puis lorsque la jeune
femme mentionne le produit, la phrase change et devient « à
utiliser tous les jours avant et après le brossage des
dents », qui vient en soutien à l'image. Une animation 3D avec
voix-off est ensuite utilisée pour montrer comment agit le produit sur
les dents. On y voit un liquide bleu ciel sous forme de vagues qui passe sur
des dents, avec un texte en dessous qui stipule
« dramatización », que l'on comprend comme
« reconstruction » ou
« symbolisation », pour ainsi compléter et soutenir
cette séquence. On revient ensuite au jeune homme qui tient alors le
produit dans ses mains, il prononce le nom du produit sur un air interrogateur,
la jeune femme confirme en souriant: « pour un sourire d'une telle
blancheur », et sort aussi rapidement qu'elle est entrée. On
voit un plan plus large de la salle de bain avec le jeune homme seul,
désemparé, le produit à la main. L'annonce se termine sur
une présentation seule du produit, le « pour des dents plus
blanches » vient compléter cette présentation, avec le
retour de la voix-off, puis du logo de la marque « numéro 1
recommandée par les dentistes », d'une durée de deux
secondes, avec l'adresse du site officiel de Colgate.
Toute la scène avec les personnages est
présentée sous forme de récit. C'est une sorte de mise en
situation où les personnages interagissent les uns avec les autres, ils
suivent une trame qui a pour fin de mettre en avant le produit Colgate,
feignant la présence du spectateur. Cependant, le dernier plan ainsi que
l'animation 3D et le texte relèvent de la fonction conative du langage,
ils font directement appel au spectateur, ils s'adressent à lui pour lui
donner de l'information, pour lui expliquer comment ça fonctionne, et
ainsi mieux le convaincre pour qu'il achète.
L'action baigne dans des couleurs claires, notamment le blanc
et le bleu clair. La salle de bain du jeune homme est d'une propreté
éclatante, lui même est vêtu de blanc, à l'image de
sa couleur de peau. L'équipe menée par la jeune femme se
caractérise également par le blanc et la clarté plus vraie
que nature. Ils portent tous une blouse de type médecin (blanche) et
sont de type européen (bruns à la peau claire). Le produit
présenté sous forme de bouteille plate est blanc lui aussi, avec
des teintes bleutées pour signifier la fraicheur. Tous les personnages,
du peu que l'on puisse voir, ont des dents relativement blanches, ils ne
« souffrent » pas d'un sourire aux dents jaunies ou
abimées. L'éclairage participe fortement à cette mise en
exergue du blanc. Il est puissant et rend ainsi le blanc d'une clarté
éblouissante. Le bleu est utilisé lors de l'animation 3D pour
représenter le liquide, c'est un bleu clair presque fluorescent,
très similaire à celui utilisé pour les dentifrices.
Seul le logo de la marque Colgate diffère,
écrit en blanc sur fond rouge, mais il n'occupe qu'un petit espace du
produit. De même, lors du plan large de la salle de bain, on
s'aperçoit qu'outre la forte présence du blanc dans les teintes
de couleurs, quelques éléments de la pièce (tapis,
pèse-personne, étagère) sont d'un rouge identique à
celui du logo Colgate. On remarque qu'à partir de la séquence 3D,
le logo de la marque et du produit est présent en bas à droite de
l'écran jusqu'à la fin.
Le produit s'appelle « Colgate Plax
Whitening », il est nommé par la jeune femme
premièrement, puis par le jeune homme, et enfin par la voix-off. Un nom
en anglais, prononcé avec l'accent espagnol, alors que tout le spot est
en espagnol mexicain sans accent particulier. Le logo Colgate, en gros plan
à la fin de la publicité, se caractérise pour ses couleurs
rouge et blanc, mais aussi par la présence d'un montage photo de deux
personnages qui sourient, dont on ne voit que la moitié du corps, et qui
semblent faire partie d'un certain corps médical, car ils portent une
blouse blanche. Ces deux personnages ajoutés au logo sont, encore une
fois, de type européen ou nord-américain.
En termes techniques, la publicité est
découpée en 15 plans différents, c'est-à-dire
autant de changements de caméra, pour une durée de 20 secondes.
Un montage très dynamique que l'on retrouve généralement
en pub. Ces plans de caméras varient grossièrement entre deux
types, le plan d'ensemble et le plan rapproché. Le plan d'ensemble
montre le jeune homme et l'équipe de la jeune fille, tous dans la salle
de bain. Il permet de bien visualiser l'action et la position de chaque
personnage, bien qu'il soit extrêmement court. En revanche, les plans
rapprochés s'enchaînent en plus grand nombre, servant le dialogue
rapide, laissant peu de place au décor. Ils mettent en avant les
personnages, leur visage et leurs vêtements, sans pour autant laisser
l'espace et le temps suffisant pour entrer dans l'intimité de ceux-ci.
Les personnages apparaissent environ sur la moitié des 20 secondes que
dure le spot, les dix autres secondes sont occupées par l'animation 3D
et la présentation finale du produit et du logo.
Le produit apparaît une première fois aux
alentours de la septième seconde, dans la main de la jeune fille. Il
occupe tout d'abord une petite place à l'écran, mais par l'effet
d'un zoom contrôlé, le plan se rapproche et place ainsi le produit
sur tout un quart de l'écran, avec le visage de la jeune fille souriante
en arrière-plan. Puis on revoit furtivement le produit après
l'animation, dans les mains du jeune homme qui le pointe en direction de la
jeune fille et de la caméra. Enfin, le produit est
présenté une dernière fois à la fin du spot, sur
fond bleu, dans un plan qui dure deux secondes et dans lequel il occupe un
quart de l'écran.
Le spot est entièrement dénué de
musique. On pourrait penser que cela créé un certain vide, mais
le dialogue ultra rapide le comble aisément et ne laisse aucune place au
silence. En effet, il n'y a que lorsque l'équipe entre et sort de la
salle de bain que l'on assiste à une absence de voix, tout le reste de
l'annonce est occupé par le dialogue ou la voix-off. Par ailleurs, il
n'y a pratiquement aucun effet sonore tout au long du spot. Même
l'animation 3D ne dispose pas de rajouts sonores pour la rendre plus mordante.
Outre les bruits de pas et de la porte de la salle de bain qui s'ouvre, le seul
effet sonore utilisé est presque indétectable, c'est un mini son
de cloche qui retentit lorsque la fille sourit, après la
présentation 3D. Elle prononce une de ses dernières phrases:
« pour un sourire d'une telle blancheur » et l'effet sonore
est censé signifier la brillance de son sourire.
Le deuxième spot est de la marque de liquide-vaisselle
Axion. Il est d'une durée de 20 secondes. La scène commence dans
une cuisine où s'amoncelle de la vaisselle sale. Une mère
s'adresse à sa fille en lui disant qu'elle va utiliser sa
« fameuse recette » pour laver: du citron, du chlore...
Mais la jeune fille l'interrompt pour lui dire que ce dont elle a besoin, c'est
du produit Axion concentré avec triple-action. Elle débarrasse
alors la table des autres produits pour laisser place au produit Axion en
question. On la voit expliquer à sa mère la triple-action du
produit en se multipliant elle-même par trois. Puis s'enchaînent
les animations de plats sales qui deviennent magiquement propres grâce au
produit, avec la voix-off de la fille qui en précise les
spécificités. On revient à la cuisine, où la jeune
fille porte un plat parfaitement propre, et la mère avec le produit
entre les mains, elles se sourient l'une l'autre, pour terminer en disant que
cela leur laisse plus de temps à elles, et on les voit sortir de la
maison en souriant encore une fois. L'ultime plan du spot se fait sur une
présentation du produit en gros plan.
C'est encore à un récit que l'on a à
faire ici, on met en scène deux personnages qui jouent une situation
reconstruite sur une base quotidienne, dont le but est de préparer le
discours final ouvertement destiné au spectateur. Mais ce récit
est tellement forcé pour feindre la présence du spectateur, on
lui présente un produit sans le regarder dans les yeux (ou
l'écran), qu'il revêt tous les traits d'un discours. On pourrait
imaginer le spectateur à la place de la mère, qui écoute
attentivement sa fille lui expliquer tous les bienfaits que possède le
produit en question.
La cuisine dans laquelle se déroule l'action
nécessite une description plus détaillée. Elle est de type
américain, c'est-à-dire spacieuse avec de nombreux
éléments en aluminium, héritage de la fameuse cuisine de
Francfort. Elle dispose de beaucoup de meubles et de rangements, un
réfrigérateur de grande taille, et une table au milieu pour la
préparation. Elle est agencée en forme de U pour optimiser
l'espace, laissant un espace informel permettant de
« grignoter » sans avoir besoin d'utiliser la salle
à manger.
La quantité de vaisselle sale est volontairement
exagérée, empilée de telle manière qu'elle
paraît tenir en équilibre comme par magie. On y voit des plats et
tout un arsenal d'ustensiles de cuisine qui débordent du lavabo, et qui
ont tout l'air d'avoir été disposés avec
précaution.
Les deux personnages sont habillés de manière
simple mais décontractée, au style contemporain, occidental, sans
aucune extravagance. La mère est vêtue de blanc avec un tablier de
couleur saumon. La fille porte un haut rouge avec une jupe à fleur qui
lui couvre les genoux. Les deux ont la peau blanche, les cheveux bruns et les
yeux foncés. Elles sont grandes et minces, de type européen ou
nord-américain, et correspondent ainsi aux canons de la beauté
occidentale. Elles sont maquillées de telle manière qu'elles
paraissent jeunes et pimpantes. Elles montrent une complicité certaine,
comme deux amies, elles sourient et rient avec allégresse. C'est la
jeune fille qui enseigne à la maman comment laver la vaisselle, preuve
de l'actualité et modernité dans laquelle vivent les jeunes.
Contrairement au premier spot, celui-ci n'effectue que 10
changements de caméra sur la durée de 20 secondes. On note
d'ailleurs la différence de vitesse, car il paraît plus
« relax », moins « sous pression ».
L'annonce commence avec un plan américain qui laisse voir la
mère, bien que le lavabo rempli de vaisselle la coupe au niveau du
bassin, avec la cuisine à l'arrière et la jeune fille qui
s'approche. Il est efficace car il laisse une vue d'ensemble malgré la
mise en avant de la mère et de la vaisselle, accentué par un
léger travelling avant. On passe ensuite à un plan poitrine
où la jeune fille présente le produit entre ses mains en
souriant. Ce plan nous permet de mieux observer le produit, le visage de la
jeune fille, et de prêter attention à ce qu'elle dit. Son texte
est purement argumentatif, l'image ne vient que compléter ce texte
Le produit est présenté en gros plan sur la
table, il occupe un tiers de l'écran avec le le haut rouge de la jeune
fille en arrière-plan. Puis on voit les deux personnages dans un plan de
demi-ensemble, lorsque la jeune fille se démultiplie, le produit
à la main, sans que l'on puisse le distinguer en détail. Avant de
passer à la partie animation, on voit le produit en très gros
plan sur une durée d'une seconde, il occupe tout l'écran. On le
revoit dans les mains de la mère qui paraît comblée de
bonheur, alors que sa fille tient un plat propre à ses
côtés. Le produit n'occupe alors qu'une petite partie de
l'écran en bas à droite, mais il se distingue suffisamment et se
place entre les deux personnages accompagné du plat propre, comme si
c'était ce qui les unissait. D'une durée de 3 secondes, la
dernière prise montre le produit au centre de l'image. Il se
démultiplie en trois comme la jeune fille, pour illustrer la
triple-action, avec de la vaisselle propre et rangée en
arrière-plan.
Cette publicité n'affiche que très peu de
texte. On voit tout d'abord les produits traditionnels de la mère qui
portent leurs propres noms (chlore et poudre pour laver la vaisselle), puis le
nom du produit Axion Tri-Cloro. Durant la séquence animée
où défilent les plats sales, on peut lire en gros ce
qu'élimine le produit: tâches, odeur et 99,9% des
bactéries. Au même moment, en bas de l'écran, la mention
« ne gaspille pas l'eau » est inscrite. Seule la fin du
spot nous propose un dernier élément à lire, en dessous du
produit en gros plan, est inscrit « le
vrai dégraissant » pour appuyer une bonne fois pour toute le
propos de la pub.
La musique est plus présente dans cette
publicité que dans l'antérieure. Elle commence lorsque la jeune
fille intervient pour montrer le produit à sa mère. C'est une
musique légère et discrète qui s'apparente aux musiques
utilisées dans les télé-achats, avec de la flute et du
xylophone. Les effets sonores se font également discrets, seulement
utilisés lors de la démultiplication de la jeune fille et du
produit, et lors de l'animation qui met en scène la disparition des
taches, odeurs et bactéries, pour attirer l'attention auditive du public
(fonction phatique) et donner de la consistance à ces effets visuels.
La troisième annonce, pour un médicament contre
le mal de tête, démarre avec le plan d'un couple qui dort
paisiblement, lorsque les enfants entrent en courant dans la chambre. Une
voix-off féminine accompagne cette scène en disant que
« se sentir bien, c'est savoir que l'on peut compter sur
quelqu'un », l'image lui offre la métaphore. Le plan change et
l'on voit le père de famille rentrer à la maison en se frottant
la tête, la voix continue: « lorsqu'il rentre fatigué
avec mal de tête, donnez-lui Tylemol pour qu'il se sente
mieux », on voit alors un gros plan de la boite de cachets, et une
main qui la saisit, « parce qu'il travail en accord avec le corps, il
élimine la douleur sans irrité l'estomac ». Le plan
revient à la femme qui offre la boite à l'homme, puis on le voit
en train de courir avec ses enfants à la mer alors que la femme reste
assise à les regarder. Cette publicité s'achève comme les
autres sur un plan du produit seul, où apparaît le slogan qui
appuie fortement sur la fonction conative: « sentez-vous
bien ».
Cette publicité est un pur récit visuel, il ne
s'adresse jamais directement au spectateur par le biais d'un personnage. Proche
du feuilleton, qui met en scène l'histoire d'une famille dont le
père souffre de migraine. Mais heureusement sa conjointe est là,
attentive et attentionnée, lui procurant la solution à ce
problème, par le biais d'un médicament, pour qu'il puisse ensuite
profiter de sa petite famille, partir à la mer et jouer avec ses
enfants. Mais ce récit-feuilleton n'est qu'une métaphore du
discours en voix-off qui lui, s'adresse franchement au
téléspectateur. Il simule une situation quotidienne qu'il
« vous » attribue, il en pointe le problème et
« vous » explique comment le résoudre. Sans dialogue
préfabriqué pour promouvoir le produit, c'est la voix-off qui
donne toute l'information. C'est une voix féminine, calme et
maitrisée, qui raconte une histoire publicitaire et met l'accent sur la
fonction conative du langage, pour que le destinataire agisse sur lui
même et modifie son comportement en utilisant ce produit. L'emploi du
« vous » accompagné de l'image familiale affiche
cette courte histoire comme un synecdoque, c'est-à-dire qu'elle emploie
la partie pour le tout, et de cette situation elle fait un cas
généralisé.
Encore une fois, le spot est d'une durée de 20
secondes. Il est séparé en 8 plans de caméra
différents, ce qui lui donne une allure plus apaisée, plus calme,
qui s'accorde avec le propos publicitaire de lutte contre le mal de tête.
Le premier plan du couple est relativement rapproché, donnant sur
l'intimité même du couple, dans le lit conjugal. Puis l'on passe
à un plan plus large, au ralenti, lorsque les enfants entrent en
scène. C'est un plan d'ensemble de la pièce avec le lit, la table
de nuit, et quelques meubles de rangement. À ce moment apparaît
une phrase au bas de l'écran: « consultez votre
médecin » en lettres majuscules. Le plan se rapproche alors,
donnant cette fois sur toute la famille dans le lit.
On voit ensuite l'homme qui se tient la tête de douleur
dans un plan taille, encore dans un plan au ralenti, avec la tête de la
femme dirigée vers lui en premier plan flou. Puis un gros plan sur le
produit qui occupe tout l'écran, sur un fond blanc, et qui dure environ
trois secondes. On revient sur les deux personnages avec un plan de
semi-ensemble dans la cuisine. La phrase du bas de l'écran change et
devient « consultez nos spécialistes au... » (avec
un numéro de téléphone), et vient rajoute de la
présence. Le dernier plan des personnages, celui de la plage, est
général et permet de voir toute l'action de loin, au ralenti.
Tout cet enchaînement de plans donne une impression d'immixtion dans la
vie de ce couple, de visualisation du problème de la migraine, de sa
résolution, pour enfin s'éloigner avec un regard bienveillant. Le
dernier plan est un plan rapproché du produit, qui occupe cette fois la
partie centre-droit de l'image, sur fond blanc, accompagné du slogan.
Les personnages sont à nouveau bruns à la peau
blanche. Une clarté de peau qui s'insère parfaitement dans le
décor dominé par des couleurs clairs. L'homme représente
le parfait travailleur moderne, qui rentre du travail fatigué, en
cravate-chemise, son veston à la main. La femme, bonne épouse,
est présente quand celui-ci rentre du travail. Attentionnée, elle
s'occupe de sa migraine. Elle est complice avec les enfants, elle sourit
lorsqu'ils envahissent le lit, alors que lui paraît un peu plus en
retrait. Puis on la voit habillée simplement, un haut gris
passe-partout, pour accueillir l'homme et lui donner son médicament.
L'appartement dans lequel se déroule l'action est
moderne et spacieux. La chambre, tout d'abord, bénéficie d'un lit
de type « king size », c'est-à-dire d'environ 2 x
2m. Les draps et les murs sont parfaitement blancs. On peut voir une sorte
d'étagère avec des cadres de photos et des bibelots. D'un
côté du lit, une petite table de nuit avec lampe de chevet et
quelques objets, de l'autre une table un peu plus haute avec la même
lampe et d'autres objets. L'appartement dans lequel entre l'homme dispose
également de murs blancs, et d'une plante. Du peu que l'on distingue la
cuisine, elle est également de style moderne avec de nombreux
rangements, ustensiles de cuisine et pots en verre.
Enfin, le dernier spot est de la marque Nescafé, il
ouvre sur un paysage onirique présenté comme la région de
Soconusco dans l'état de Chiapas, au Mexique. Puis apparaît la
journaliste Paola Rojas, présentatrice du journal de 15h du Canal 4
(Televisa), dans un champ avec sa tasse de café à la main, elle
vante les effets bénéfiques du café, ses
propriétés d'antioxydant qui proviendraient de la
« cerise » du café. On la voit alors entourée
de gens locaux et agriculteurs, elle savoure le café et dit qu'elle en
boit plusieurs tasses par jour, prenant tout autant de plaisir grâce
à son arôme et à sa saveur. Différents plan se
suivent, présentant les cultures de café et quelques personnes
qui y travaillent. L'annonce prend fin sur le plan d'un journal sur une table
qui porte en gros l'inscription: « une autre bonne raison de boire du
café », avec une tasse Nescafé juste à
côté.
C'est sous forme de discours, et non de récit, que se
présente cette dernière publicité. La jeune journaliste
regarde la caméra, elle interpelle le spectateur. De cette
manière, elle tente de le sensibiliser aux vertus du café,
d'engager sa propre personne et son droit à la parole pour lui montrer
l'exemple à suivre. Si c'est un discours, l'échange avec le
public est direct, le regard domine cet échange, et c'est sa personne
qui donne la force au discours, plus que n'importe quelle voix-off anonyme. La
protagoniste introduit alors une sorte d'intimité avec le
téléspectateur, elle lui sourit, lui parle de ses gouts et de son
quotidien, elle le regarde dans les yeux. Elle noue une certaine relation avec
celui-ci, elle se met à son niveau, ou plutôt elle rend son niveau
accessible.
Cette intimité créée par le discours
redouble d'intensité lorsque la jeune femme s'affiche aux
côtés des travailleurs, des gens qui lui sont entièrement
différents. Elle se mêle à eux et fait mine de discuter et
partager avec eux. Son discours s'appuie donc sur un visuel de
cordialité avec l'autre Mexique, celui qui se situe à plus de
1000 km de la capitale, qui vit d'agriculture et qui a la peau d'une autre
couleur.
Par ce discours, la fonction phatique est jointe à la
fonction conative pour donner toute la force au message. Le regard de la
journaliste, son sourire et sa manière de parler sont autant
d'éléments qui participent à l'établissement et la
maintenance de la relation avec le téléspectateur. Il s'agit
alors de rendre la communication plus efficace, préparer le terrain
d'une transmission d'information, comme celle sur le café, ou celle de
la marque par exemple. Le seul nom de la journaliste est une tentative
d'attirer l'attention, de nouer une relation particulière avec le
récepteur du message, de le mettre en confiance, pour ensuite faciliter
la transmission du message commercial.
D'une durée de 20 secondes, le spot est
constitué de 13 plans qui s'enchaînent de manière
très régulière, donnant une impression de grande
fluidité. Le montage est tout sauf agressif. L'utilisation de plusieurs
travellings rend l'action presque onirique, et le plan de paysage qui
débute cette publicité nous envoie dans un lieu idyllique, un peu
sauvage, aux couleurs surprenantes (turquoise, jaune-orange).
Ce plan est suivi d'un gros plan en travelling-avant sur la
jeune journaliste, le nez dans sa tasse. Il met en emphase la jeune femme qui
paraît savourer son café, les cheveux bercés par une brise
légère, tenant sa tasse a deux mains, comme pour les
réchauffer, laissant apparaître seulement quelques lettres de la
marque Nescafé inscrite sur la tasse. On passe ensuite à un
très gros plan sur des cerises de café, faisant office de rupture
et introduction au discours de la jeune femme, qui apparait dans le plan qui
suit. Ce plan taille nous laisse apprécier comment est vêtue la
jeune femme, sa chemise blanche et son pantalon gris qui lui donnent un petit
air d'aventurière. Son nom et sa profession s'affichent au bas de
l'écran et viennent compléter sa présence à
l'écran. Ce plan nous permet de distinguer également les
éléments en arrière-plan, les travailleurs qui
récoltent les cerises en chemise blanche.
Dans le plan suivant, on voit justement un de ces
travailleurs accompagné de la journaliste en train d'observer et de
toucher une branche de cerises. Ce plan poitrine met en avant la
proximité de l'homme et de la jeune femme, bien que l'on ne puisse
parler réellement d'intimité ou de complicité. L'homme
répond plus au stéréotype mexicain, il a la peau un peu
plus foncée que la jeune femme, il porte la moustache ainsi qu'un
chapeau blanc.
On enchaîne alors sur un autre plan poitrine en
travelling avant, qui montre une jeune fille qui palpe des cerises de
café. Celle-ci répond également plus au
stéréotype mexicain: visage rond, peau brune, nez large. Elle
porte un vêtement de type traditionnel en coton
(« manta » en espagnol), avec quelques motifs de fleurs
typiques du sud-est du Mexique. Elle semble faire partie des travailleurs
locaux. Au même moment et très furtivement, au bas de
l'écran, on apprend qu'une tasse de café équivaut entre
150 et 500 mg d'antioxydants.
La caméra nous offre ensuite une vue plongeante sur
des plats de cerises que travaillent des femmes assises et habillées en
blanc. Cette prise de vue nous montre en quelque sorte la tradition de la
récolte, tout y paraît très artisanal. La jeune journaliste
s'approche avec sa tasse pour prendre une poignée de cerises. Gros plan
sur ses mains qui plongent dans les cerises qui se transforment alors en grains
de café. Autre gros plan sur la jeune journaliste qui sent les grains de
café dans ses mains en souriant. Suit un travelling avant sur les champs
verdoyants où déambulent des personnes, des travailleurs
peut-être. Retour en gros plan sur la journaliste, les yeux
fermés, qui déguste son café dans la tasse Nescafé
dont le nom est cette fois entièrement découvert et qui, bien
qu'il ne recouvre pas une grande partie de l'image, se note sans
difficulté. On poursuit dans la même direction avec le dernier
plan où la jeune femme pose la tasse de café à
côté d'un journal, la marque inscrite sur la tasse n'occupe qu'une
petite partie de l'écran mais se lit aisément sur les trois
secondes que durent ces deux derniers plans. Elle reste cependant
discrète pour un message de type publicitaire.
Cette publicité se différencie ainsi des autres
dans le sens où elle ne fait qu'une allusion légère
à la marque, nous invitant plutôt à visiter une page
internet intitulée « otrabuenarazon.com.mx ».
À première vue elle ne fait que parler du café, comme une
sorte de campagne publique qui encouragerait la population à boire du
café : on fait appel à une personne connue, on vante les
bienfaits du produit, la réalisation est sobre, on utilise des
éléments de l'identité nationale. Néanmoins, bien
que cette publicité se présente comme une apologie du
café, les deux plans finaux ne font pas de doutes sur la marque qui y
trouve son compte.
2.2. Vendre du « rêve » et
exclure le réel
Je reprendrai ici la chronologie utilisée lors de la
description du corpus. Je tenterai d'entrer plus profondément dans
chaque annonce, d'analyser les éléments décrits, puis de
synthétiser pour ensuite extraire l'imaginaire global du fragment
publicitaire.
Commençons par Colgate et son White Plax Whitening. En
plus du fait que le produit blanchit les dents, qu'est-ce que nous apprend et
nous montre cette publicité?
Le premier élément qui frappe est la vitesse
avec laquelle se déroule l'action. Que ce soit le message textuel
(écrit ou oral) ou visuel, l'enchaînement des différents
éléments qui constituent leur sens est d'une rapidité
fulgurante. Les phrases affichées au bas de l'écran son
discrètes et n'affichent rien qui puisse attirer l'oeil. Seule une
visualisation répétée du spot pourrait permettre de
repérer ce genre de détails. C'est un rythme auquel il faut
s'habituer, il requiert une bonne maitrise de la langue et ne manque pas de
pousser notre capacité de compréhension à ses limites. En
effet, la vitesse est si élevée que l'action mérite une
attention certaine, ce sont 20 secondes très denses auxquelles on
assiste. On joue ici sur la vitesse vertigineuse pour capter l'attention
(fonction phatique) et laisser de côté l'information. Les
dialogues ne laissent place à aucune respiration, comme si les
personnages étaient capables de se répondre sans
réfléchir. De plus, cet enchaînement et les plans de
caméras empêchent tout rapprochement des personnages, on ne les
voit que de manière furtive et à une distance impersonnelle.
Cette impression d'éloignement renforce la coupure qu'il peut y avoir
entre le public et la situation mise en scène.
La vitesse, élément principal que je
détache ici, est un tout qui englobe cette publicité: la
démarche de la jeune femme lorsqu'elle entre dans la salle de bain, les
réactions des deux personnages, leurs expressions de visage, le
dialogue, la voix-off, l'animation 3D, le montage, le slogan final. On a donc
choisi, du début à la fin, de mettre en scène cette
annonce commerciale de manière rapide et non pas autrement. La
vitesse est en soi un signe, car elle vaut pour autre chose que ce qu'elle
est dans cette action. Elle est le résultat discursif d'un processus
d'expansion de l'urgence dans la vie moderne et citadine. Elle parle du
quotidien marqué au fer rouge par la rapidité, le dialogue au
tac-au-tac, les rencontres rapides et impromptues comme cette jeune fille qui
entre sans prévenir. C'est une vitesse qui ne laisse place ni à
la réflexion ni à l'information, un flux incontrôlé
et incontrôlable à l'image de la télévision.
La rupture de linéarité opérée
par l'entrée en scène de la jeune fille et de son équipe
n'est pas vraiment justifiée. On coupe la bande du sens comme une
« breaking news », le jeune homme est
désemparé mais reste à l'écoute. C'est une mise en
abîme médiatique, du recyclé pour la construction d'une
action publicitaire. On reprend des teintes du discours
télévisuel pour les insérer dans la publicité, mais
pour cela on les modifie, on les « publicitise ».
L'omniprésence des médias dans la vie moderne est
signifiée par cette équipe de télévision
qui suit la jeune femme, par sa manière de s'imposer pour la soi-disant
« information » qu'elle apporte au jeune homme, ne lui
laissant pas le choix et guère le temps de la réplique. Un droit
à l'information imposé qui surgit dans l'intimité, un
remake de l'émission « Les Infiltrés » dans
la salle de bain. Ce que l'on voit ici, c'est la télévision dans
son ampleur générale, celle que l'on voit tous les jours, celle
qui coupe la parole et formule des questions dont elle n'attend pas la
réponse.
Lorsqu'elle s'impose, la jeune femme et son équipe
interviennent, comme on le fait à la suite d'une catastrophe,
pour venir en aide à ceux qui en ont besoin. On donne des remèdes
miracles à des problèmes que l'on estime justes, au nom de la
solidarité internationale. Ce spot s'affiche alors comme une
métaphore interventionniste, on y viole les frontières
symboliques, on offre son aide sous couvert de l'entraide. Mais c'est bel est
bien pour en tirer bénéfice ensuite, pour s'installer et faire
des affaires. Le jeune homme ne termine pas le spot avec les mains vides, on
lui laisse le produit Colgate, tout comme les pays industrialisés ne
partent pas comme ils sont revenus lorsqu'ils prêtent main forte aux pays
en difficulté.
Dans ce récit publicitaire, tout est blanc. On se
parle entre blancs, habillés en blanc, à l'intérieur d'un
environnement blanc. On vend du blanc pour du déjà-blanc. Une
surabondance de clarté qui fait évidemment appel à
plusieurs références, comme la sainteté chrétienne
ou les anges, toujours représentés d'un blanc aveuglant et
irréel, et jamais avec des dents jaunies ou de travers. Mais c'est
aussi, plus simplement, un des éléments considérés
comme primordial dans la poursuite de la beauté occidentale: le sourire
éclatant, les dents alignées sur un fond de peau claire. Cela
peut sembler anodin ou banal, mais si j'ai choisi une pub de dentifrice dans
mon corpus, c'est bien parce que c'est un produit très présent
dans la gamme publicitaire depuis des dizaines d'années, qui
présente toujours les mêmes caractéristiques. On vend ici
un produit censé blanchir les dents, on comprend facilement cette
quête de blancheur dans l'action, qui sert un propos commercial. Mais le
seul fait de chercher à vendre un produit pour blanchir les dents peut
être considéré comme un signe, car il produit un sens
particulier, il marque la canonisation du blanc dans l'imaginaire collectif. Il
est signe car il retranscrit également ce que l'on voit au jour le jour,
c'est-à-dire un favoritisme pour le blanc. Ainsi, comme la vitesse, le
blanc est dans ce spot un tout signifiant, du produit aux personnages, de leurs
sourires au décor, dont les variantes se superposent et s'entrecoupent.
Le signe blancheur est d'un côté couleur (ou plutôt
non-couleur) décorative, et de l'autre il est sainteté,
pureté, beauté.
Les acteurs sont donc clairs de peau. Le choix a
été fait de ne pas présenter des personnages à la
peau foncée, qui sont bien évidemment majoritaires au Mexique. De
même, l'environnement choisi est moderne: une salle de bain toute
équipée, spacieuse, que l'on imagine dans un appartement tout
aussi ample. Par ces différents choix, on élimine de nombreux
éléments qui pourraient nous indiquer où l'on se trouve.
Mis à part la langue, avec ses tonalités particulières, on
ne peut réellement identifier le Mexique à travers cette
réclame. Les personnages et le lieu nous informe très peu, et si
l'on coupait le son, ce serait plutôt à l'Amérique du Nord
ou à l'Europe Occidentale que l'on pourrait les attribuer. Dans ce
processus, la fonction référentielle joue un rôle
déterminant, car elle porte le contexte du message et feint de le
neutraliser en lui donnant un air publicitaire. Or, ce contexte est au
contraire terriblement révélateur d'un choix que l'on fait par
défaut: une salle de bain dans un spot se doit de remplir certains
critères, c'est-à-dire d'être moderne, dans la ligne de ce
qui se fait de nos jours.
Ainsi cette mise en scène se fait allégorie de
la modernité et de la beauté à l'occidentale. Pour cela il
faut exclure les éléments constitutifs de l'identité
mexicaine et ses caractéristiques réels. On fait
référence à ce qui paraît meilleur, au
progrès à l'occidentale. Ce récit publicitaire paraphrase
le discours dominant qui veut voir le Mexique entrer dans le
« premier monde », celui des blancs et riches. Dans ce
monde encore imaginaire au Mexique, les médias sont partout, ils ont les
dents blanches et montrent des gens aux dents blanches, on y parle vite et tout
s'y déroule avec grande simplicité et rapidité.
Dans l'annonce du liquide vaisselle, on retrouve quelques
éléments de la publicité antérieure.
Premièrement, l'alliance de personnages blancs dans un lieu moderne. La
cuisine, comme nous l'avons vu dans la description, fait figure d'exemple de
magazine de décoration. Sa grandeur contraste avec
l'exigüité dans laquelle vit une majorité de mexicains. La
mère et la fille, minces et blanches de peau, ne répondent pas au
stéréotype de la femme mexicaine, de petite taille et à la
peau foncée. Encore une fois, il suffirait de couper le son pour ne plus
pouvoir distinguer où se déroule la scène. On voit une
« belle » cuisine avec deux « belles »
personnes féminines typiques de l'imaginaire du beau à
l'occidentale que poursuivent les médias mexicains.
Cette beauté apparente pourrait en quelque sorte
entrer dans la fonction phatique du message publicitaire, car les deux femmes
sont utilisées, instrumentalisées, pour attirer l'attention du
téléspectateur. En effet, par principe de permutation, on
n'utilise pas ici des filles quelconques, en surpoids ou trop petites, pour
illustrer et vendre un produit. On les veut jeunes et attirantes, mais simples
en même temps, pour ne pas entrer dans l'exagération flagrante du
quotidien. Ces deux femmes existent pour de vrai et elles sont surement
amenées à vivre ce genre d'expérience quotidienne, on peut
les imaginer facilement, mais elle ne sont qu'une minorité
sur-représentée à la télévision qui
déforme l'imaginaire collectif. En outre, ce sont des femmes et non des
hommes que l'on emploie pour représenter cette situation, on sous-entend
donc que l'homme n'y est pas confronté.
La situation préfabriquée de la réclame
se fait écho d'une relation type entre mère et fille. C'est la
complicité rêvée de la famille moderne que l'on retrouve
dans l'imaginaire collectif des pays émergents. La jeune fille, à
la page sur les derniers produits de consommation, se transforme en une sorte
de présentatrice de télé-achat, ou en gourou de la
vaisselle propre. La mère, qui vit encore à l'âge de
pierre, doit oublier ses anciennes méthodes pour laisser entrer la
technologie. La nouvelle génération sur-connectée enseigne
à l'ancienne génération comment résoudre les petits
problèmes pratiques du quotidien. La jeune fille est ainsi
emblématique, car fraiche et souriante, son dynamisme est ce que l'on
attend aujourd'hui de la jeunesse. Une jeunesse à l'image de
l'environnement dans lequel elle se développe, moderne et
aseptisé. Même la vaisselle sale paraît fausse, la cuisine
est parfaitement propre et rangée, seul endroit adéquat pour que
des personnes s'accomplissent dans de bonnes conditions. On laisse de
côté le « comal » typique de la cuisine
mexicaine traditionnelle, encore largement utilisé dans la plupart des
chaumières, restaurants et points de vente ambulants. Ce fameux
« comal » est originairement un disque de céramique
que l'on utilise pour faire cuire les tortillas de maïs, qui peut prendre
beaucoup d'espace et que l'on apprécie d'autant plus s'il est
chauffé au feu de bois. On imagine mal un tel appareil dans cette
publicité. Il nous ramène en effet au passé, aux cultures
anciennes et traditionnelles, totalement à l'encontre de la
modernité et des fours micro-ondes que vendent d'autres
publicités.
L'importance de la cuisine mexicaine dans l'identité
nationale justifie la remarque, car on supprime ici tout ce qui pourrait
« mexicaniser » ce décor. Si Barthes pointait
l'italianité utilisée dans la pub Panzani comme processus
rhétorique pour attirer l'attention du consommateur, ici c'est le
contraire, on assiste à l'omission systématique d'une
mexicanité potentielle qui ferait tâche dans la publicité.
C'est-à-dire que la cuisine traditionnelle qui pourrait faire office de
décor n'est pas considérée comme propre à la
publicité et à la vente. De même, la couleur de peau et les
traits de visage des deux personnages sont arrangés, on ne
sélectionne que des « güeros » (terme mexicain
pour désigner poliment ou affectueusement les blancs de peau) qui
répondent plus aux critères de beauté occidentaux et qui
font par ailleurs référence à la tranche de population
mexicaine au niveau de vie le plus élevé.
Dans le troisième exemple, c'est l'usage de
slow-motion, c'est-à-dire du plan au ralenti que je vais détacher
dans un premier temps. En effet, ces plans mettent en emphase la famille, les
relations chaleureuses qu'entretiennent les différents membres. On
utilise ainsi le cliché du couple qui dort paisiblement lorsque les
enfants entrent avec fracas pour sauter sur le lit. On imagine un dimanche
matin ensoleillé, ou un jour de vacance. Mais les parents, loin de se
mettre en colère face à cette intrusion, accueillent
chaleureusement les enfants avec des grands sourires. C'est ici une vision de
la famille bien spécifique qui est utilisée. On reprend un
classique du cinéma américain avec l'entrée des enfants
dans la chambre des parents, on lui donne un air épique avec le ralenti,
et c'est une famille parfaite et heureuse qui apparaît à
l'écran.
Cette première scène cristallise une image de
la famille qui, une fois de plus, contraste fortement avec ce qui pourrait
être une famille mexicaine. On a là deux parents blancs de peau,
bruns, et deux enfants dont un garçon blond et une fille châtaine.
Le choix a été le même que pour les publicités
précédentes, c'est-à-dire qu'on a cherché à
effacé ce qui pouvait afficher le caractère mexicain de cette
scène, ou que l'on n'a pas jugé pertinent de reprendre des
éléments de la culture nationale pour illustrer le produit. Le
plan rapproché tend à représenter encore une fois le
rapprochement toujours plus intense des médias et de l'intimité,
de la vie privée. On n'hésite pas à montrer un couple dans
le lit conjugal, alors que c'est une des situations des plus intimes de la vie
quotidienne.
L'environnement, comme décrit antérieurement,
se veut moderne et assez spacieux. La décoration, d'un blanc
éclatant, nous ramène à tout l'imaginaire de clarté
et de sainteté que j'ai déjà abordé. Mais c'est
plus une référence à la décoration de type
occidentale, stérilisée, épurée. Sans extravagance,
l'environnement se doit d'être neutre, car la publicité est
internationale et globale. Il ne s'agit pas de faire appel a des
éléments spécifiques adaptés à chaque
région du monde, mais plutôt de trouver un compromis pour une
stratégie de marketing globale.
On fait alors ressortir ici une vision globalisée de
la famille, celle que l'on cherche à voir partout dans le monde pour
répondre aux objectifs du grand capital. Cette vision est une sorte de
nourriture idéologique, sous forme de modèle de vie, que l'on
donne en pâture aux consommateurs du Mexique et du monde entier. Ce
modèle est figé sur l'image d'une famille blanche et souriante
qui vit dans un espace large et clair, quand chaque année la population
mexicaine s'entasse de plus en plus dans les environs de la ville de Mexico. On
fait de la publicité une sorte de rêve habitable que l'on atteint
par la consommation, car la publicité part du produit pour aller au
consommateur et donne ainsi l'impression qu'en prenant le même chemin, du
consommateur au produit, c'est dans ce lit « king size »
que l'on se réveillera demain, avec cette même petite famille
autour de nous, et sans mal de tête.
Cette publicité use et abuse de la fonction conative.
Tout son récit est basé sur le « vous »
auquel s'adresse la voix-off. Mais, dans un premier temps, c'est par un poncif
que cette voix tente de nous attirer l'attention: « se sentir bien,
c'est savoir que vous pouvez comptez sur quelqu'un », jumelé
aux images, dans une sorte d'apologie à la famille soudée. On
crée un simulacre de solidarité, comme une sorte de contrepoids
à l'individualisme qui domine dans la société
contemporaine.
C'est « lorsque vous rentrez du travail
fatigué » qu'il faut prendre ce médicament, se relaxer
et oublier les problèmes, comme le fait le « soma »
de Huxley dans Le Meilleur des mondes. C'est l'ultime rempart que
« vous » avez contre le rythme effréné de la
société, et ce médicament est à
« votre » portée. Mais c'est par la famille que ce
médicament est introduit. Qui est mieux placé pour
« vous » vouloir du bien? C'est donc
« votre » femme qui vous offre le médicament, parce
qu'elle est attentive à « vos » ennuis. Non un
docteur anonyme ou un remède de grand-mère. Ici, c'est la
pastille directement, elle résout tous les problèmes pour
« vous » laisser vivre heureux, débarrassé
des petites douleurs quotidiennes.
On ne vend évidemment pas de la médecine
traditionnelle, malgré le savoir important qui existe sur les plantes,
qui sont encore largement utilisées au Mexique. Mais de nos jours, dans
les grandes métropoles, qui se soignent avec des plantes? Un
médicament sous vide c'est plus pratique, la science a fait des
progrès. Les plantes, c'est du passé. Ce serait encore faire
référence à d'autres cultures traditionnelles que l'on
cherche justement à exclure dans la publicité, lorsqu'il s'agit
de vendre de la modernité, en l'occurrence, un médicament
supposé soigner le mal du siècle: la migraine.
Le « vous » employé par la
voix-off fait justement référence à ce consommateur
rêvé du grand capital, qui rentre du bureau après une
longue journée de travail, fatigué. C'est l'apologie du travail.
Il faut fonder une famille et l'entretenir. La famille, c'est l'avenir, c'est
la croissance et la stabilité économique. C'est aussi
l'endettement pour vivre dans un bel appartement moderne et sûr, pour
payer la bonne l'éducation des enfants, la voiture pour se
déplacer. La joie des banques. On espère les congés et les
jours libres pour pouvoir profiter de sa famille, partir à la plage sans
le souci du travail, faire du tourisme, dépenser le peu d'argent qu'il
reste, évacuer le stress. Une image que l'on
« vous » colle, car la publicité est le meilleur
agent idéologique du capitalisme. Et cette courte réclame
symbolise à elle seule le système économique dans lequel
nous vivons et que l'on tente de justifier. C'est une nouvelle fois une mise en
abîme de la vie moderne qui reproduit sans cesse le modèle unique
offert par la publicité
En outre, la voix qui s'adresse à ce
« vous », comme mentionné auparavant, est une voix
féminine. Cette voix, calme et suave, laisse glisser les mots avec la
douceur d'une mère. Elle « vous » met en
scène et « vous » aide à résoudre les
petits problèmes du quotidien. Elle se veut donc bienveillante, comme
une mère qui se préoccupe de ses enfants. Elle
« vous » dit comment réagir et comment vivre dans
cet environnement social.
La dernière annonce, celle du café, va
contraster avec les précédentes. Premièrement parce que
comme je l'ai déjà mentionné, elle s'affiche comme un
discours franc dirigé au spectateur. Mais tout l'intérêt de
ce discours est qu'il ne concerne pas directement la marque Nescafé ou
un de ses produits en particulier. La ruse ici est de faire l'apologie du
café, avec toutes les techniques décrites
précédemment (accent sur le côté artisanal,
utilisation d'une figure connue et reconnue, etc.), en jouant sur
l'ambigüité du « qui donne réellement
l'information? ». En effet, la publicité n'est jamais
gratuite. Si on diffuse ce spot, ce ne peut être pour les seules vertus
du café, il y a forcément un acteur qui se cache derrière
et qui en tire un intérêt.
Cette courte présentation aux airs de faux-semblants
opère une sorte d'ellipse sémantique où du café on
passerait tout naturellement au produit Nescafé, comme si les deux ne
formaient qu'une seule et même chose. On ne laisse pas voir au
téléspectateur le processus réel et entier qui part des
grains de café pour terminer dans une tasse Nescafé, on
suggère que le café est le Nescafé, excluant de
ce fait tout ce qui n'est pas Nescafé. On cherche ainsi à faire
associer la notion de café à celle de Nescafé à
travers une relation unique et privilégiée, un raccourci mental
qui amènerait le consommateur à chercher la marque Nescafé
au rayon café.
Ce serait donc le café, et plus
particulièrement le Nescafé (une proximité
sémantique qui n'est pas anodine), qui nous apporterait tous les
bienfaits dont parle la jeune journaliste. Celle-ci s'érige en figure
emblématique des médias connus par un grand nombre de mexicain,
une figure familière qui est à même de parler aux gens, de
leur faire comprendre ce qu'il y a à comprendre dans le café. De
plus, c'est une « belle » figure, blanche et avenante, une
figure que l'on écoute. Si l'on regarde son programme et que l'on est
attentif à ce qu'elle y dit, pourquoi ne pas prêter attention
à ce qu'elle nous apprend dans la publicité? Encore une fois on
tente ici d'effacer certaines frontières télévisuelles.
On voit alors toute la contradiction qu'il y a entre
séduction et information dont parle Soulages143(*), car même lorsque la
publicité tente de se rendre informative, comme c'est le cas ici avec le
café, elle le fait de manière vague et symbolique. Elle utilise
une mise en scène onirique de cette région reculée de
l'état de Chiapas et de ses habitants, alors que c'est un des
états les plus pauvres et sujets aux discriminations raciales du
pays.144(*) Les
différentes techniques mises en oeuvre montrent les habitants sous un
jour éclatant, affables et souriants envers la journaliste, loin du
travail harassant et mal payé des cultures de café
dirigées par les grandes entreprises.
Le Chiapas est souvent utilisé pour marquer la
fierté nationale en terme de biodiversité et de cultures
autochtones, en totale contradiction avec la signature d'accords pour
l'exploitation sauvage des ressources naturelles par des entreprises
étrangères. On fait de cette région un lieu idyllique et
mystérieux, qui cache de nombreuses ressources. On l'idéalise
pour le transformer en décor de publicité, lisse et
coloré.
Du fragment publicitaire, cette réclame est la seule
à présenter des individus qui ne sont pas seulement des blancs de
type européen ou nord américain. Mais ces individus, plutôt
que d'être de vrais acteurs, ne sont que des figurants censés
représenter ceux qui travaillent le café. Ce ne sont pas eux non
plus que l'on interroge sur le café. On a en effet jugé que la
jeune journaliste, populaire et médiatique, étaient plus à
même de parler du café que ceux qui le travaillent au jour le
jour.
L'idée est donc de présenter ces gens qui
travaillent dans les champs, plus foncés de peau et vêtus d'habits
traditionnels. Ceux-ci travaillent mais ne disent rien. Peut-être ne
parlent-ils pas espagnol? Ils font parti de ce décor de la
publicité dont je parlais, lisse et coloré, il n'en sont pas
vraiment protagoniste. Leur présentation est à nouveau
idéalisée: l'emphase sur le sourire de la jeune fille, les
paniers de cerises parfaitement en ordre, les travailleurs avec leur chemise
éclatante de blancheur, etc.
Ce que l'on pourrait donc considérer comme une
représentation plus juste de la culture mexicaine n'est en fait qu'un
leurre. Seule la journaliste dispose d'un vrai droit à la parole, les
autres travaillent et font de la figuration. Parce qu'elle est journaliste,
mais aussi blanche et attractive, on la met en avant, elle donne son avis et se
met en scène. Les travailleurs restent derrière, attachés
à leur labeur. C'est toute une contradiction qui est
représentée ici, car celle qui fait réellement de
la figuration, c'est la journaliste, avec son discours trivial et superficiel
sur le café. Les authentiques acteurs du café seraient alors les
travailleurs, ceux qui se courbent pour travailler, qui y mettent la main, et
non ceux qui parcourent langoureusement les champs avec leur tasse à la
main.
Le processus publicitaire tend généralement
à inverser les choses, à donner de l'importance à un
élément qui n'en requiert pas autant en terme d'information, et
à reléguer d'autres éléments qui mériterait
plus d'attention. Par exemple, les propriétés antioxidantes du
café sont à peine suggérées, avec des chiffres
précis mais presque indétectables au cours de l'action
publicitaire. On met volontairement ces éléments de
côté pour laisser plus de place à l'emphase des plans de
caméra. Le visuel très soigné de ce spot tend à
nous emporter dans un Chiapas imaginaire et rêvé, nous faisant
oublier ainsi de quoi on parle exactement, et les personnages autochtones ou
locaux paraissent irréels dans leurs vêtements traditionnels
accommodés à la perfection.
Si l'on prend désormais tous ces
éléments et qu'on les met dans la perspective d'une approche
sémio-pragmatique, c'est-à-dire en prenant en compte le contexte
de production et de réception de ces messages publicitaire (que j'ai
décrit dans la première partie), on observe que le sens produit
reflète une vision du monde globale et indifférenciée, et
qui dit indifférencié dit exclusion de ceux que l'on
considère comme différents au modèle prescrit. On
élimine donc les représentants de la tranche pauvre de la
population, les autochtones et ceux qui en auraient l'air. Si ceux-ci
apparaissent à l'écran, ce n'est que pour occuper une place
déjà définie dans le système-modèle: celle
des figurants, ceux que l'on n'écoute pas, mais qui font joli lorsqu'il
s'agit de reprendre les grandes valeurs démocratiques de
diversité culturelle, d'égalité des chances, etc. Tout
repose sur cette opposition.
Les producteurs du sens publicitaire de ce fragment ont fait
preuve d'une certaine solidarité en ne mettant en avant que des
personnages qui, dans le cadre d'une société ethniquement
plurielle, sont estimés comme les plus à même de faire
acheter les gens, c'est-à-dire à même de les séduire
et de leur inspirer confiance. On pourrait émettre l'hypothèse du
« malinchismo », qui signifie la préférence
qu'ont de nombreux mexicains pour ce qui vient de l'étranger (produits
ou personnes), supposant une meilleure qualité ou fiabilité.
C'est l'histoire d'un peuple qui ne se fait pas réellement confiance,
qui depuis la conquête espagnole a toujours vécu avec la
présence active d'étrangers, sous une tutelle informelle, alors
même que sa population affiche un nationalisme parfois exubérant.
Les acteurs de ce fragment publicitaire sont pourtant bel et
bien mexicains, car il est vrai que les mexicains ne sont pas tous petits
à la peau mate. Pour autant, la surreprésentation du type
européen ou nord-américain (bien qu'il puisse être
mexicain) traduit une préférence esthétique criante
d'inégalité. Le Beau de ce fragment est moderne, blanc et
souriant. Dans l'imaginaire publicitaire, tout un pan de la population n'a pas
accès à la modernité, ni même à la
beauté. Ce sont des situations qui ne laissent pas la place à la
diversité: on construit la réalité du monde sur un axe
socialement restreint.
Ces quatre publicités sont ainsi une sorte
d'échantillon idéologique que l'on offre aux
téléspectateurs sous forme d'information commerciale. Mais cette
« information » prend une place conséquente
lorsqu'elle est martelée par le média le plus consommé du
pays, et chuchote à l'oreille du public dans l'intimité du foyer.
La publicité rend l'information séduisante en lui quittant tout
ce qui pourrait déranger. Elle est vicieuse car elle se fait souvent
passer pour ce qu'elle n'est pas, tentant, comme je l'ai déjà
signalé, d'effacer les frontières avec d'autres contenus visuels.
Elle sème la confusion et lorsqu'elle parle au public, c'est pour lui
dire qu'il faut avoir les dents blanches, qu'il faut abandonner les vieilles
méthodes et vivre dans le présent, qu'il faut prendre tel
médicament en rentrant du travail, qu'il faut boire du café, et
plus particulièrement le café de telle marque. Ce fragment nous
dit que la vraie vie quotidienne est celle qui se réveille dans un lit
« king size », que ce qui est blanc est beau, que les
parents ne sont pas à la page, et que dans les champs on travaille avec
le sourire. C'est un univers enchanté qui laisse voir le monde comme
propice à un tel virage social.
Ce fragment publicitaire est vecteur d'exclusion sociale
lorsqu'il imagine un monde où seuls les blancs et beaux ont la parole.
Ils sont ceux qui décident et ceux que l'on voit, alors qu'il suffit de
détourner le regard pour se rendre compte que le monde se compose de
plus que ces gens-là. Cette exclusion est d'autant plus flagrante
lorsque la pub s'assume comme information commerciale, mais que cette
information est erronée pour des raisons de marketing. Tous ses
procédés techniques n'ont pour fin que de mettre en avant un
monde imaginé comme il convient au système capitaliste global, et
non une vraie information citoyenne qui conviendrait à un système
avant tout démocratique.
On peut ainsi voir dans ce fragment publicitaire un autre
fragment, identitaire celui-ci, d'une société en plein
développement économique. Ces quatre spots se font écho
des aspirations d'une classe moyenne embrigadée par le travail à
l'occidentale. La publicité, ici, n'est pas tellement le
prédicateur de cette classe moyenne, sinon l'expression d'un mode de vie
qu'elle poursuit, encrée dans une boucle idéologique
reproductrice.
On a, d'un côté, ce fragment qui ne sort pas de
nulle part, c'est-à-dire qu'il fait référence à
quelque chose qui existe déjà dans l'imaginaire collectif. Il
reprend des éléments typiques du quotidien pour en faire des
contenus « publicitilisables ». Ce phénomène,
on le retrouve ici dans l'idée de l'homme qui rentre fatigué du
travail, dans la jeune fille qui met sa mère au courant de l'existence
d'un nouveau lave-vaisselle, dans le fait de vouloir se blanchir les dents,
etc.
D'un autre côté, il y a l'imaginaire discursif
dominant, qui reprend des éléments publicitaires. En France, cela
a pu se caractériser par la reprise d'expressions utilisées en
publicité. Mais plus concrètement, avec ce fragment, cela
pourrait se caractériser par un intérêt plus accru pour le
café. Par exemple, le discours dominant se verrait en quelque sorte
modelé par ce que dit la journaliste, ou par ce que l'on voit, comment
et où se cultive le café. Ou encore, ce serait de prendre
l'habitude de recommander un cachet à quelqu'un qui rentre
fatigué du travail plutôt que de lui dire de se reposer un peu. On
pourrait également assister à une discussion sur la
nécessité d'avoir les dents blanches pour aller à un
entretien d'embauche.
En ce sens on peut voir ce schéma comme une boucle
idéologique, dans laquelle la publicité véhicule
l'inégalité sociale (sans pour autant la créer). La
publicité impulse une vision qui exclue et trompe dans ce schéma
à sens unique. Elle réutilise les préjugés et leur
donne même un coup de pouce, elle est le tremplin aux idéologies
de ce circuit qui va et vient entre la sphère publique et
médiatique. Elle n'est pas éthique et peu régulée
au Mexique, cherchant toujours à aller plus loin dans la
séduction. C'est donc pour cela que l'iconicité de ce fragment
publicitaire met autant l'accent sur la modernité, la famille, le
travail, la blancheur, etc. Car la publicité sait que ce sont des
éléments qui parlent à cette classe moyenne qui lui est si
chère. Elle fait fi de l'éthique et réutilise à
outrance des thèmes qui véhiculent l'inégalité
sociale, alors qu'elle pourrait se proposer comme rempart idéologique en
ne laissant pas trainer les préjugés déjà
présents dans l'imaginaire du discours dominant.
Ce processus d'exclusion sociale apparaît dès
lors clairement, il fait des généralisations sur le une gamme
sociale réduite au bon vouloir économique. Mais s'il
apparaît de manière si évidente au chercheur, il reste un
processus compliqué pour ceux qui ne font pas que le voir à la
télévision, mais qui le vivent réellement, sans même
s'en rendre compte parfois. Ces personnes, j'ai donc choisi de leur faire
partager cette antenne académique, à travers des entretiens, afin
d'approfondir mon travail et voir comment l'exclusion publicitaire peut se
répercuter sur un sujet social particulier.
3. Consommations et réceptions du discours
publicitaire: l'entretien
La sociologie a fait de l'entretien un outil efficace et
économique pour mieux comprendre les acteurs et les
phénomènes sociaux. Le jeu du terrain est devenue monnaie
courante dans les sciences sociales. Clair et valorisant, il casse le mythe de
l'intellectuel sans cesse plongé dans la lecture de gros ouvrages au
fond d'une bibliothèque mal éclairée. L'entretien est donc
l'arme parfaite pour justifier un travail plus pragmatique qui fait aujourd'hui
la valeur de nombreux travaux de recherche. S'il est pertinent et
approprié dans de nombreuses situations, il ne faut pas oublier qu'il
n'est qu'un des outils à la disposition du chercheur, et que l'on ne
saurait le prendre comme technique seule à un travail sérieux.
L'entretien me sera précieux dans le sens où il
me remettra à niveau. Grâce à lui je me confronte à
un quotidien qui n'est pas le mien (celui du téléspectateur de la
télévision au Mexique). Quitte à mettre parfois dans des
situations embarrassantes, il oblige à dialoguer avec celui qui vit mon
sujet de recherche. C'est une ouverture discursive sur ce qui structure le
quotidien de du téléspectateur mexicain et ce qui le fait agir.
L'entreprise est périlleuse car elle met souvent l'interviewé
face à des questionnements inédits sur ce qui l'anime au
quotidien, dont il doit plus ou moins improviser la réponse. On se
demande en effet rarement pourquoi on regarde tel ou tel programme, telle ou
telle chaîne, ce que l'on pense de la publicité, ce qu'elle nous
évoque ou quelle rôle elle peut jouer dans notre consommation des
médias, j'ai donc tenté d'être délicat dans mes
entretiens et de venir peu à peu à ces questions. Quoiqu'il en
soit, la richesse, parfois la simplicité discursive et le
caractère direct des interviewés ont été un
complément extraordinaire à la littérature scientifique
formelle que j'ai eu sous la main dans le cadre de ce travail.
Pourquoi l'entretien
J'ai donc choisi la technique de l'entretien qui, dans le cas
d'une problématique en relation avec l'exclusion sociale, me semblait un
bon moyen d'entrevoir de quelle manière une personne peut se
sentir exclue ou discriminé, alors que moi, qui ne le suis pas,
je ne peux que voir cette exclusion. L'interviewé, de sa
position distincte de la mienne, peut m'apprendre quelque chose sur le fragment
publicitaire. Concrètement, ces entretiens m'auront aidé à
reconstituer l'imaginaire publicitaire, comme un complément à
l'analyse de mon corpus.
Ainsi, par ces entretiens, je ne cherche pas à
identifier qui est le public des spots publicitaires du Canal 2 en heure de
pointe. La relation entre mon corpus et mon terrain d'enquête n'est pas
de type analogique, mais plutôt compréhensive. C'est-à-dire
que j'aimerais confronter différents acteurs (aux profils distincts),
avec toute leur expérience médiatique et sociale au Mexique,
à un fragment publicitaire particulier (mon corpus), pour ensuite tenter
d'en tirer de l'information sur comment ce fragment peut être vecteur
d'inégalités.
Préalablement j'ai essayé de mieux comprendre
leur relation à la télévision et à la
publicité en générale, de faire sortir quelques unes de
leurs réflexions sur le thème. Puis j'ai procédé au
visionnement de mon corpus avec l'interviewé pour ensuite faire germer
une discussion autour de ce fragment publicitaire. L'enjeu est d'encourager
l'interviewé à reconstruire à sa manière
l'imaginaire de ces spots publicitaires.
En terme de méthode, je suis la métaphore de
« la glisse » de Jean-Baptiste Legavre145(*) lors des entretiens,
c'est-à-dire prendre la vague au bon moment, quitte à
m'éloigner d'un guide écrit à l'avance, pour ainsi me
laisser la chance de suivre l'interviewé dans des recoins que je
n'aurais pu imaginer.
Le texte recueilli au cours de l'entretien ne me semble pas
l'unique source d'information utilisable dans le cadre de mon travail. Ma
relation avec l'interviewé, son attitude, le lieu de l'entretien et les
conditions dans lesquelles il se déroule sont des détails qui
méritent d'être mentionné et analysé. Les personnes
et les cadres d'entretiens ne seront pas choisies au hasard. Je ne chercherai
pas à « neutraliser les effets de
contexte »146(*), mais plutôt à comprendre comment il
font partie de mon travail interprétatif.
Plus que cela, je penserai l'entretien comme un terrain
d'enquête propre, c'est-à-dire qu'il fera l'objet d'une
observation de type ethnographique, justement parce qu'il ne prend
réellement son sens que dans un contexte particulier. Un simple
enregistrement audio de l'entretien retranscrit en texte, comme c'est le cas
dans de nombreux travaux, me paraît trop peu pour exploiter le vrai
potentiel scientifique de l'entretien. C'est peut-être pour cette raison
qu'il a longtemps été considéré comme un outil
inférieur à la statistique, alors qu'il était simplement
utilisé de manière trop restrictive.
Avant chaque entretien, je me questionne sur qui est la
personne que j'ai en face de moi, afin de prendre en compte tout son
passé social et sa prise de position, et d'adapter mes questions et mon
analyse. J'accepte donc la liberté au sein de l'entretien qu'à la
seule condition de bien connaître mon interlocuteur en tant qu'acteur
social. L'objectif est de trouver un équilibre entre empathie,
neutralité et le rapport de force inhérent à toute
conversation, sans jamais chercher à extorquer l'intimité de la
personne. Bien au contraire, il me semble qu'un terrain délicat que mon
interlocuteur ne voudrait pas aborder en dirait plus qu'un discours
forcé.
Le but de ces entretiens est de faire partager en quelques
sortes le rôle de chercheur, de laisser l'interviewé
explorer147(*)
le thème par un discours qui se veut libre et réfléchi.
Par cela j'assume également les limites de mon travail et de mes
possibilités d'analyse. En effet, bien que bénéficiant
d'un regard extérieur et différent, je ne peux nier le fait de ne
pas tout savoir sur le Mexique et ses minuscules détails qui en font la
spécificité. L'idée est donc de voir comment les personnes
interrogées peuvent être aptes à s'adonner à un
travail de réflexion et de production de discours sur un problème
qui leur est posé, en fonction de ce qu'elles pensent et ressentent. Il
me faut alors accepter la personne pour tout ce qu'elle est, essayer
également de la comprendre pour comprendre ce qu'elle dit et faciliter
ce travail.
Pour finir, j'emprunterai la formule de Hughes de
« sociabilité sociologique »148(*) pour justifier mon emploi de
cette technique. Cette sociabilité dépasse le cadre de
l'entretien, car elle est inhérente à toute recherche. On engage
la conversation, l'autre nous apporte des éléments nouveaux, des
idées originales, des pistes de recherches ou des auteurs que l'on ne
connaissait pas. De l'informel, la sociabilité passe au formel, à
travers l'entretien.
Le travail en sciences sociales requiert du tact et une
certaine expérience sociale, c'est-à-dire savoir se fondre dans
une situation, s'adapter face à un acteur, jouer d'une certaine
manière comme on le fait chaque jour dans le cadre de nos interactions
quotidiennes. Ici au Mexique j'ai souvent été dans une situation
de ce type, en règle générale les gens ont la parole
facile et l'on peut vite tomber dans un échange tout à fait
intéressant. Les récits de vie qui m'ont été
donnés d'écouter sont tout aussi précieux pour saisir
l'ampleur du processus d'exclusion sociale qui a lieu au Mexique, et c'est
ainsi que j'ai peu à peu développé mes capacités
à faire sortir de mon interlocuteur quelque chose qui m'aide à
mieux le comprendre. C'est dans cette dynamique que j'ai choisi mes
interlocuteurs. Durant un an passé au Mexique, j'ai eu la chance de
rencontrer et converser avec de nombreuses personnes différentes. Les
liens tissés au cours de ces échanges ont été pour
moi l'occasion de voir comment certaines personnes pouvaient m'être d'une
aide précieuse dans la compréhension des phénomènes
sociaux. Ce que l'on peut voir comme une limite des entretiens qualitatifs
(leur petit nombre), peut vite se révéler comme un avantage par
rapport à des questionnaires qui ne nous laissent pas entrer en
profondeur dans ce qui anime les acteurs sociaux (si on les considère
comme révélateurs de certaines régularités dans
l'expression populaire). Ces quelques voix peuvent en représenter
beaucoup d'autres qui ne sauraient comment se formuler clairement, d'autant
plus face à un inconnu.
En l'occurrence, mon choix s'est porté sur deux
personnes qui me semblent dotées d'un profil capable de
révéler beaucoup de choses sur l'imaginaire social mis en forme
dans la publicité. La première est d'ascendance autochtone mais
ne parle que l'espagnol ; la seconde est d'ascendance métisse mais parle
le nahuatl en plus de l'espagnol. Je les ai choisi car je connais leur aisance
à partager, mais aussi parce qu'ils sont des acteurs sociaux attentifs
et curieux qui savent formuler leur pensée.
Le guide d'entretien
Arme à double tranchant, le guide d'entretien peut
être utile dans certains cas, gênant dans d'autres. Certains
interviewés auront besoin de cette marque de sérieux pour voir
que l'entretien fait bien partie d'un travail, que l'on n'est pas là
pour rien. D'autres en revanche seront déstabilisés par celui-ci
et le prendront comme prétexte pour répondre succinctement aux
questions, nous privant toute possibilité d'atteindre une conversation
à « bâtons rompues », avec l'intimité
caractéristique d'un bon entretien.
Le guide d'entretien est aussi un bon outil pour
éviter de se perdre au cours de l'entretien, ou d'être à
court d'idées. Il permet à l'enquêteur de rebondir et de
faire avancer l'enquêté dans son récit. En ce qui me
concerne, j'ai décidé de rédiger un guide simple qui me
servira de base, sans pour autant se convertir en bible à suivre contre
vents et marées. Comme signalé plus haut, je laisserai place
à l'improvisation si l'occasion m'en est donnée, pour que
l'entretien puisse couler de lui-même.
Je commencerai donc chaque entretien par quelques questions
personnelles (situation socioprofessionnelle, lieu de résidence, etc.),
sans trop entrer dans le détail pour ne pas effrayer mon interlocuteur.
Puis je tenterai de voir quel type de relation chaque personne entretient avec
la télévision, et plus particulièrement la
publicité:
- « regardez-vous les publicités à la
télévision? »
- « pouvez-vous me parler de publicités qui
vous ont marquées (positivement et négativement)? »
- « font-elles référence à
votre quotidien, vous sentez-vous concerné? »
- « sont-elles nécessaires à vos yeux,
est-ce que vous les utilisez comme référence pour vos
achats? »
Je proposerai, lors de chaque entretien, de visionner les
quatre publicités qui constituent mon corpus, et de laisser les
enquêtés réfléchir pour revenir sur ces questions de
manière plus précise. Ce sera alors l'occasion pour moi de
repérer des éléments que j'aurais manqué, mais
aussi de collecter leurs impressions, de les mettre en perspective grâce
à ce qu'ils m'auront raconté auparavant, mais aussi grâce
à leur profil social.
3.1. En quête de compréhension: production
discursive face au discours publicitaire
Mon premier entretien a eu lieu avec Fabian, 31 ans,
enseignant-chercheur en sciences de la communication à la
l'université. Je l'ai choisi pour la relation amicale que j'entretiens
avec lui, mais surtout pour son profil original. En effet, Fabian est d'origine
mixtèque (« Ñuu Savi », le peuple de la
pluie), autochtone de la région d'Oaxaca. Il m'a paru intéressant
de me diriger vers lui car il dispose de deux éléments clé
dans la recherche de compréhension de l'inégalité sociale
au Mexique. Premièrement, il fait partie d'un peuple marginalisé,
souvent privé de ressources économiques, mais très riche
culturellement pour son passé. De cette appartenance, il porte les
traits de visage: lèvres épaisses, nez large, yeux bridés,
peau foncée. Bien que lui-même ne parle pas la langue
traditionnelle, il dispose, secondement, de tout un savoir académique
qu'il a pu conjuguer au savoir traditionnel de ses ancêtres. Il est donc
un fin observateur des phénomènes médiatiques au
même temps qu'il vit et étudie les phénomènes
sociaux relatifs à l'identité et à l'exclusion sociale.
Pour sa tendance à analyser ce qui se passe autour de lui, son
investissement universitaire sur le thème qui nous unie, il pourrait se
révéler comme un faux-acteur social. Conscient de ce
détail, j'ai tenté d'orienter l'entrevue vers sa perception
personnelle et non sur ses recherches.
Dans un premier temps, il m'a fait part de sa relation avec
la télévision. Il en était un consommateur assidu pendant
de longues années, le poussant d'ailleurs à s'engager dans
l'étude des médias, jusqu'à s'en détacher de
manière brutale pendant ses années universitaires, pour y revenir
ensuite avec plus de raison. Sa consommation se résume aujourd'hui au
dimanche, qu'il consacre entièrement à regarder la
télévision, des vieux films mexicains comme la série du
« Santo » dans la matinée, des
évènements sportifs qu'il affectionne beaucoup, des documentaires
et un film en soirée.
La plupart des chaînes qu'il regarde sont des
chaînes du câble qui diffusent beaucoup de publicités. Il
m'a confié ne pas vraiment regarder les publicités, ne pas leur
prêter beaucoup d'attention, profitant plutôt de l'occasion pour
voir ce que diffusent les autres chaînes, feignant le
désintéressement. En réalité, les
téléspectateurs me semblent très nombreux à
effectuer la même manoeuvre. Quand bien même on tente de
l'éviter, on ne peut ne pas voir de publicité à la
télévision. Cela s'est manifesté dans l'entretien tout de
suite après, lorsque je lui ai demandé de me parler de quelques
publicités qu'il connaissait.
Fabian a reconnu deux types de publicité auxquels il
accorde une attention particulière, celles qui le marquent
négativement, qui le choquent pour l'utilisation de
stéréotypes exagérés, et celles qui
l'impressionnent par leur efficacité. Il m'a fait part de son
désarroi face au propos publicitaire en générale, qui se
destine en grande partie à la classe moyenne et haute, et qui laisse
complètement de côté toute la population commune. Il s'est
alors posé la question de savoir si l'on cherche un impact commercial
réel ou si l'on veut seulement montrer, mettre en emphase un style de
vie particulier.
De la même manière, il reconnaît deux
types de publicités auxquels il peut se reconnaître ou
s'identifier. Premièrement, les publicités relatives au sport,
pour son goût ce genre d'activité, ont tendance à attirer
son attention et à entrainer ce processus d'identification que recherche
tant la publicité. Par exemple, pour vendre des baskets, on va mettre en
scène des situations extrêmes qui font le bonheur des amateurs de
sport, ne serait-ce que dans l'esthétique, sans pour autant qu'il se
précipite ensuite au supermarché pour acheter les baskets en
question. Deuxièmement, viennent les pubs concernant les produits qu'il
consomme en abondance, comme le déodorant. Fabian me confesse alors son
goût pour les produits déodorants et leurs publicités,
d'autant plus que le discours utilisé dans ces publicités, celui
de la séduction masculine, a un impact fort sur une
génération qui cherche à tout prix à plaire. Il
reconnaît être touché par ce discours, et bien qu'il soit
conscient que cela ne fonctionne pas exactement comme ça dans la
réalité, la seule impression de pouvoir accéder à
n'importe quelle femme grâce au déodorant lui plait, car c'est en
quelque sorte le rêve de l'adolescent matérialisé dans un
produit, une idée qui aujourd'hui lui paraît divertissante quand
il repense à sa jeunesse.
Il a ensuite mis en relation la publicité avec notre
manière de voir la télévision, c'est-à-dire dans un
but de relaxation et de divertissement. Cet aspect est tout à fait
pertinent dans le sens où, comme il le souligne, on ne cherche pas une
information pour comprendre la complexité du monde. Par son aspect
ludique et amusant, la publicité parviendrait à entrer plus
facilement dans la consommation télévisuelle, sans être vue
comme un parasite discursif. C'est aussi pour ça qu'elle tente d'effacer
les limites avec d'autres genres télévisuels et qu'elle en copie
les caractéristiques. En cela la publicité tente de faire oublier
qu'elle nous vend quelque chose, elle détourne l'attention avec ses
mises en scènes très stylisées.
Fabian est ensuite revenu sur les publicités de
déodorant, avouant sa fidélité à ce genre de
produits, et l'influence que peut avoir la publicité dans son achat. En
effet, c'est lorsqu'il voit le dernier spot à la
télévision qu'il se dit « je veux
celui-là! ». C'est en quelque sorte son produit
fétiche, celui auquel il accorde de l'attention, celui qui le fait
entrer dans le jeu publicitaire, alors que pour d'autres produits il n'y aura
pas du tout ce type de relation. Les produits qu'il consomme le plus, à
part le déodorant, ne sont pas diffusés en
télévision, car ce sont des produits culturels comme les livres
par exemple.
Après avoir visionné mon corpus, Fabian a tout
de suite voulu détacher un élément: la distinction ou
l'opposition qu'il y a entre le blanc et le foncé. Pour avoir souvent
discuté avec lui, je sais que c'est un thème qui lui tient
particulièrement à coeur. Il voit donc ici le blanc comme le
positif, comme ce que l'on recherche, et à l'inverse, l'obscure et le
foncé, « ce qui n'est pas bien », ce que l'on
évite de montrer. Il voit dans la blancheur quelque chose de
superficiel, qu'il place sous l'angle de la diversité culturelle au
Mexique. Par exemple, dans de nombreuses communautés, si la population a
quelque chose de très sain, c'est la dentition, pour la haute
consommation de maïs et du calcium qu'il contient. On voit alors
l'opposition à la publicité, qui nous dit qu'il faut se brosser
les dents absolument, utiliser du dentifrice (et bien l'étaler sur toute
la brosse à dent), pour avoir de belles dents blanches et saines. En
l'occurrence, le produit Colgate de mon corpus propose seulement de blanchir
les dents et non pas d'avoir une bonne dentition, mais Fabian imagine bien le
conflit que cela peut produire dans l'imaginaire d'une communauté qui a
toujours utilisé le maïs comme soin dentaire.
C'est, par ailleurs, l'annonce de la marque Nescafé
qui l'a particulièrement marqué. Bien qu'il soit né dans
la capitale, il a souvent eu l'occasion de visiter la communauté de sa
mère dans l'état d'Oaxaca. La production agricole majeure de
cette communauté est justement le café. C'est donc un peuple
habitué à consommer une grande quantité de café
depuis toujours. Mais, selon lui, l'existence de publicités comme
celle-ci tend à déformer complètement la
réalité et à embellir un processus globalisant qui se
développe au Mexique depuis plusieurs dizaines d'années. En
effet, Fabian a insisté sur le fait que les grandes entreprises ont
littéralement tué la culture artisanale du café de ces
communautés, forçant leurs membres à travailler pour ces
grandes entreprises sans pour autant recevoir un salaire digne. Une main
d'oeuvre peu chère qui fait le bonheur des marchands de café, et
notamment des groupes internationaux comme Nescafé.
En outre, ce qui frappe Fabian, c'est la manière dont
les produits comme Nescafé, leur commercialisation mais aussi leur
représentation publicitaire, est parvenue à changer les habitudes
de consommation dans les communautés. Selon lui, par exemple, on ne
consomme pas de café en grain dans les villages, mais justement du
Nescafé, car il est rendu moins cher et plus facile d'utilisation. J'ai
moi même eu l'occasion de constater le même
phénomène, des personnes qui voient le Nescafé comme plus
propre ou plus sain que le café local. Cette représentation
publicitaire du café bon pour la santé, cultivé de
manière artisanale dans un lieu magnifique, rentre donc dans un
processus global de promotion et d'imposition du grand capital, qui dans sa
course laisse un grand nombre de mexicains de côté.
Mon second entretien était avec Patricia, jeune
mexicaine de 22 ans en recherche d'emploi. Son profil m'a plu car n'ayant pas
de relation particulière avec une communauté autochtone, elle a
cherché à en savoir plus sur les racines de son pays en
étudiant la langue nahuatl, la seconde langue du pays. De manière
plus générale, c'est une personne très concernée
par les problèmes d'injustice et d'inégalité sociale.
Issue d'une famille de syndicalistes de Pemex (le service public
pétrolier du Mexique), elle fait partie de la classe moyenne mexicaine.
Sa couleur de peau est relativement foncée, sa taille est petite, et ses
traits de visage sont plus « mexicains » que ce que l'on
peut voir dans mon corpus, c'est-à-dire qu'elle a le nez large, les yeux
très légèrement bridés et les lèvres
épaisses.
Elle estime sa consommation télévisuelle
à une heure ou deux par jour en moyenne, concentrée sur la fin de
semaine. Ces programmes favoris sont les séries et les films qui passent
en soirée. Elle se refuse de voir les informations à la
télévision, n'en regardant que les titres pour savoir de quoi on
parle, rien de plus. Dépendant des chaînes qu'elle regarde, la
quantité de publicité varie d'un extrême à l'autre.
Des chaînes ouvertes comme le canal 11 ou 24, on peut voir un film sans
aucune coupure publicitaire, aux chaînes américaines comme la
Warner ou la Fox qui atteignent parfois dix coupures publicitaire à
l'intérieur d'un même film. Patricia profite de la
publicité pour chercher ce qu'il y a sur d'autres chaînes, pour
faire un peu « d'exercice de zapping ». Néanmoins,
tout comme Fabian, elle reconnaît voir des publicités, car c'est
inévitable à la télévision.
Elle dit être choquée par l'utilisation de
bébés dans un spot pour une boisson hydratante. Ces
bébés sont présentés avec une bouche et une voix
d'homme virtuellement rajoutées pour les faire dire par exemple:
« Je bois cette boisson quand je me lève avec la gueule de
bois », ou sur la plage, avec une voix de femme: « Je bois
cette boisson pour me réhydrater lorsque je m'expose au
soleil ».
À l'inverse, elle se dit généralement
séduite par les publicités de parfum, pouvant la pousser parfois
à acheter le produit en question. Ce qui lui plait réellement,
c'est l'esthétique très travaillée et très
soignée de ces spots. Elle aime l'univers et l'attitude des personnages,
sans pour autant s'identifier à eux. En vérité, elle
confie regarder ces publicités plus dans une optique d'exercice
esthétique que dans celle d'une information commerciale.
Elle a ensuite fait référence à deux
types de publicité que je n'avais pas identifiés auparavant. Sur
les chaînes payantes, elle note la présence de nombreux
« infomerciales » qui sont des sortes de pubs
télé-achat, où l'on cherche à vendre une paire de
chaussures qui font perdre du poids, à travers des témoignages et
des petites mises en situation, avec le prix du produit qui apparaît
à la fin. Sur les chaînes ouvertes, ce sont des mini-reportages
sur un thème particulier, comme le mal de tête qui peut entrainer
des problèmes familiaux, qui s'affichent comme une information,
lorsqu'à la fin apparaît une personne disant comment
résoudre le problème du mal de tête avec tel ou tel
médicament. Cette forme publicitaire se rapproche de celle
utilisée par Nescafé dans mon corpus, avec une forme identique de
reportage sur le café.
Patricia ne voit pas dans la publicité une source
d'information, car si elle regarde la télévision, ce n'est
justement pas dans cet objectif. Il serait intéressant de savoir si une
personne qui prend la télévision comme une vraie source
d'information voit la publicité également comme cela. La
publicité donne des « envies » à Patricia,
non de l'information. Elle va voir un spot, comme celui du café par
exemple, qui lui donnera envie d'un café, car toute l'ambiance de la pub
la fait se sentir bien, tout y est beau et propice à une bonne tasse de
café, alors même qu'elle n'aime pas beaucoup le café et
encore moins le café de la marque Nescafé. En cela elle voit dans
la publicité un pur message « aspirationnel » sans
aucun rapport avec son quotidien. Lorsqu'elle voit une de ces pubs de parfum,
elle sent qu'avec ce parfum elle pourrait accéder à un petit bout
de ce monde. Un souhait semi-avoué envers ces productions très
stylisées, qui la font rentrer dans le jeu publicitaire ambigüe du
« je te promets ça si tu m'achètes », en
faisant justement exprès de réfuter tout ce qui est constitutif
du quotidien pour parvenir à cette force-là.
3.2. Opacité du processus d'exclusion et
réalité sociale
Chez Fabian, on sent bien toute la réflexion qu'il y a
en amont de cet entretien. Pour lui tout est clair dans la publicité,
avec cette opposition blanc-obscure que j'avais également mise en avant
lors de l'analyse de mon corpus. De même, Fabian a personnellement
été touché par des discriminations de type racial, ce qui
le rend plus sensible au sujet. Il m'avait un jour raconté une anecdote
de son enfance, sa tante lui disait d'aller se laver les mains et le visage,
l'accusant d'être sale. Il est allé se laver, mais en revenant sa
tante insistait encore pour qu'il se lave, qu'il frotte réellement,
comme si c'était sa couleur de peau qu'il fallait
« nettoyer ». C'était l'occasion pour moi de
réaliser que le problème ethnique au Mexique porte bien, entre
autres, les marques d'un racisme à l'américaine (blancs contre
noirs). Il faut évidemment relativiser ce fait, cependant il ne faudrait
pas l'omettre en ayant peur de tomber dans un schéma grossier, car ce
racisme est bel et bien présent. Il est d'autant plus difficile à
accepter lorsqu'on sait qu'une très grande majorité de mexicains
a la peau mate voire très mate, et que seule une poignée de
personnes a la peau claire. Ce déséquilibre montre à quel
point l'inégalité peut être forte dans d'autres champs, et
encore plus si ce déséquilibre a su s'insérer dans un des
imaginaires les plus prégnants au Mexique, celui de la publicité.
À l'inverse, Patricia, qui est pourtant tout aussi
concernée par ce type de problématique, ne semble pas
choquée par l'exclusion sociale dans l'imaginaire publicitaire. C'est
comme si c'était un fait, que la publicité s'inscrivait par
nature dans un processus d'exclusion sociale. On ne se pose plus la
question du pourquoi la publicité nous présente les choses de
cette manière et pas d'une autre. Elle s'est auto-naturalisée de
la sorte, faisant de son discours un genre social épuré.
C'est pour cela que j'emploie l'expression
« opacité » du processus d'exclusion, car il ne se
fait pas toujours voir comme tel aux yeux de celui qui regarde la
publicité au jour le jour. Seul un oeil déconnecté de cet
imaginaire peut voir dans la publicité quelque chose d'anormal, quelque
chose qui cloche ou qui manque, une partie que l'on cherche à occulter,
et qui rend la publicité si singulière. Car au final, c'est
peut-être cela qui nous fait reconnaître la publicité avec
autant de rapidité: la suppression significative de
l'élément social gênant. Sa présentation en
modèle parfait lui donne une couleur universelle qui n'est en fait qu'un
reflet global et opaque.
On imagine que le téléspectateur lambda n'est
pas choqué par l'exclusion sociale de la publicité, car elle
repose sur une ambigüité réelle et subtile. La
publicité est, d'une part, quelque chose que l'on ne prend pas trop au
sérieux, que l'on ne regarde pas avec attention, mais qui est
plutôt une occasion de voir ce que proposent les autres chaînes, de
se détendre avant la reprise des programmes. On se demande alors comment
elle peut revêtir une importance si grande dans le média
télévisuel, et comment elle rapporte de telles sommes d'argent.
Or la publicité est justement, d'autre part, le programme
télévisuel par excellence. Ce programme qu'on croit attendre,
film, série ou documentaire, n'est en fait que la pause au réel
contenu de la télévision: la publicité, proposition
commerciale stylisée que l'on ne peut éviter. Tout le monde
connait quelques réclames et peut en citer quelques unes. On peut
difficilement y rester insensible, étant donné que son travail
est justement d'atteindre notre corde sensible. Elle s'efforce, par tous les
moyens, de nous toucher, d'attirer notre attention en nous faisant rire ou en
nous choquant.
Cette inversion télévisuelle, qui voudrait nous
faire croire que la publicité est une chose à laquelle on ne
prête pas beaucoup d'attention, cache donc une réalité qui
est celle du débordement discursif de l'imaginaire publicitaire, qui
à son tour cache, ou plutôt masque la réalité avec
un voile qui exclue ceux qui gênent socialement la publicité et
ses intérêts commerciaux (qu'elle partage avec le grand capital).
Ce montage peut paraître biscornu mais il est à l'image de la
complexité du processus publicitaire dans son entreprise de
conquête idéologique, réalisé par le biais d'une
fausse demi-présence télévisuelle. On résumera donc
la publicité en disant qu'elle est le contenu principal de la
télévision, bien qu'elle tente de s'en cacher pour ne pas
s'exposer, donnant ainsi l'impression au téléspectateur que ce
qu'il voit n'est qu'un entre-acte sans grande importance. Si on la pense comme
le contenu télévisuel majeure, on peut réellement
s'intéresser à l'imaginaire qu'elle produit, et voir dans quelle
mesure il exclue socialement, sans donner l'impression d'une quelconque
importance dans ce processus d'exclusion.
Pour revenir sur les propos de Fabian, on a un exemple
flagrant de discrimination dans une publicité qui date de 2005.
Celle-ci, une image dans le métro, annonçait un déodorant
de la marque Rexona et disait « Para que el metro no huela a Indios
Verdes ». Cette phrase, qui signifie « Pour que le
métro ne sente pas comme les indiens verts » est un jeu de
mot, car « Indios Verdes » est une station de métro
de la capitale, réputée pour son désordre et donnant
accès à la zone pauvre qui l'entoure. Le slogan publicitaire fait
bien évidemment référence à la station de
métro, de par l'usage des majuscules et du mot
« metro », mais il est également offensant pour les
« indiens » du Mexique qui pouvaient y voir un sous-entendu
sur leur prétendue mauvaise odeur. En effet, la station Indios Verdes
porte son nom en référence à deux gigantesques statues qui
représentent deux indigènes, anciens empereurs aztèques.
Elles se situent non loin et marquent la sortie de la ville, elles sont faites
de bronze et ont peu à peu verdi avec le temps, d'où le nom du
métro. C'est suite aux plaintes d'associations en faveur des peuples
autochtones que la publicité a été retirée, un mois
après son affichage. L'agence publicitaire à l'origine de cette
image s'est bien défendue en clamant qu'elle ne visait en aucun cas un
groupe de personnes particulier, et que toute l'histoire provenait d'un
malentendu, le mal était fait, car ce malentendu reposait sur un
stéréotype qui remonte aux temps des espagnols et qui veut que
l'autochtone soit sale et malodorant. Un stéréotype qui est
encore largement partagé et duquel les autochtones tentent de se
dégager, non pas en utilisant du déodorant, mais justement en
affrontant ce genre de propos dégradants qui ne reposent que sur un
préjugé ancien.
Ainsi, le problème de discrimination au Mexique est
coercitif car il n'est pas reconnu comme tel par ses acteurs ni parfois
même par ses victimes. L'exclusion sociale est à double niveau,
autant dans les médias que dans n'importe quelle situation sociale. Si
la publicité ne se juge pas discriminatoire, elle n'aura jamais
conscience de ce qu'elle représente réellement. Il faudrait
qu'elle avoue, contre son propre point de vue, qu'elle exclue et conforme des
stéréotypes discriminants, comme c'était le cas de Rexona,
pour pouvoir effectuer un changement sémantique réel.
Comme je l'ai dit, ni même les victimes de cette
discrimination sont toujours conscientes du phénomène, et si
elles le sont, elles ne pensent pas que le jeu en vaille la chandelle. La
publicité est ainsi, pourquoi vouloir la changer? J'ajouterai ici que la
discrimination au Mexique est tellement enracinée dans son histoire
qu'elle semble passer sous les yeux du grand nombre sans provoquer de
réaction. En effet, sans vouloir m'appuyer avec trop d'insistance sur
cette idée, l'injustice et la discrimination au Mexique sont si fortes
pour quelqu'un qui débarque, et si floue pour quelqu'un qui la vit ou
l'exerce depuis des années, qu'on ne sait plus vraiment où
trouver la justesse du propos. Quoi qu'il en soit, la publicité
s'inscrit évidemment dans le clan de ceux qui exercent l'exclusion
sociale sans même sans rendre compte, arrivant à se
défendre de cette idée par différents stratagèmes
discursifs, comme la présence de figures variées dans la pub
Nescafé qui témoignerait d'une sorte de sympathie pour la
diversité, alors que cela ne fait que renforcer la position des
dominés.
Cette ignorance du thème est effrayante, car on se
demande alors si les choses ont une chance de changer un jour. Les institutions
du gouvernement ne laissent pas vraiment entrer la lumière sur cette
discrimination profondément ancrée dans le développement
du Mexique, depuis la domination du peuple mexica jusqu'à l'oligarchie
actuelle des grands patrons. De plus, la lenteur des actions juridiques, la
corruption et le manque d'autorité des institutions ralentissent
lourdement ce qui pourrait être vu comme le début d'une prise de
conscience de l'exclusion sociale, c'est-à-dire l'action des
organisations non gouvernementales qui luttent pour les droits de l'homme.
L'exclusion sociale au Mexique peut être
considérée comme une véritable coutume qui ne choque plus
personne, ce qui la rend difficile d'appréhension dans de nombreux cas,
car les mexicains la voient plus comme un état de fait. Mais les
mentalités bougent, calquées sur les avancées et luttes
à travers le monde en faveur des droits de l'homme. En juin 2004, le
gouvernement mexicain approuvait une loi contre la discrimination, qui allait
donner naissance au Conseil National pour prévenir la discrimination
(CONAPRED). Bien qu'ayant des moyens plus que limités, cette
organisation dépendante du gouvernement constitue un premier pas vers la
prise de conscience des problèmes de discrimination et d'exclusion
sociale
La CONAPRED a d'ailleurs récemment lancé une
sorte de concours visant à décerner des anti-prix aux messages
médiatiques (TV, radio, Internet, cinéma, affiches, etc.)
« qui expriment de manière évidente des concepts
discriminants, qu'ils soient intentionnels ou non ».149(*) Il suffit donc d'envoyer le
document en question par internet, qu'un « jury » examinera
afin de décerner ces fameux anti-prix. On voit là à quel
genre de farce se livre l'institution, ce qui nous amène à douter
de son efficacité réelle, car comme toute institution au Mexique,
son poids est faible face à celui des grandes entreprises qui dominent
le marché médiatique. De plus, la discrimination
« évidente » n'est sûrement pas la plus
à dénoncer. On a vu ici dans un fragment publicitaire comment ce
sont des choix et des propositions indirectes qui rendent le message
publicitaire discriminatoire. On ne peut concevoir un autochtone qui annonce un
produit Colgate, tout comme on ne choisit pas une typique famille mexicaine
pour représenter une mère et une fille qui discute autour d'un
produit-vaisselle. C'est pourtant là qu'il faudrait travailler, sur
chaque fragment publicitaire, et provoquer un changement global dans la
manière de représenter le monde. Et ce que l'on a vu ici pour la
télévision, on pourrait l'observer dans les affiches qui jonchent
le périphérique de la ville de Mexico, sur Internet, à la
radio, ou dans les « telenovelas ». La discrimination, et
plus loin l'exclusion sociale, ne sont pas des phénomènes
évidents que l'on peut délivrer lors d'une remise de prix.
CONCLUSION
Ce premier travail de recherche a été
marqué du début à la fin par les questions d'exclusion
sociale liées au foisonnement des cultures au Mexique. Il reste
cependant clair que ce thème n'est qu'effleuré ici, ce travail
n'aurait la prétention de faire le tour du problème de
discrimination sociale au Mexique. Il a pourtant été pour moi le
déclencheur d'une prise de conscience progressive des mécanismes
sociaux et médiatiques qui conduisent à la discrimination. Comme
je l'ai déjà mentionné, l'inégalité est si
forte lorsqu'on la découvre que j'ai décidé de me
dédier à l'étude de ce phénomène, à
savoir comment il se reproduit et se légitime.
Par ailleurs, me mettant à la place du lecteur qui n'a
pas vécu l'expérience mexicaine, j'ai tenté de conserver
une certaine clarté dans ma recherche afin de ne pas rendre la lecture
confuse et fastidieuse. Tout l'enjeu était de trouver le compromis entre
une base d'information bien précise sur les spécificités
du Mexique et une rédaction compréhensible pour n'importe quel
lecteur étranger à cette culture.
Dans le cadre d'une recherche en sciences de la
communication, il m'a fallu trouver une expression médiatique de ce
phénomène d'exclusion sociale, et c'est vers la publicité
que je me suis tourné. Il m'a été donné de
l'étudier en profondeur alors même que j'éprouvais, sinon
une aversion, une grande indifférence à son égard. Et
c'est alors que j'ai réalisé que l'on étudie la
publicité lorsqu'on l'aime, lorsque l'on veut travailler dans ce
domaine, et que l'on passe alors à côté des aspects plus
sombres, comme l'exclusion sociale par exemple. Peu nombreux sont ceux qui
s'intéressent à la publicité pour la critiquer, bien
qu'elle soit souvent dénoncée par quelques figures
intellectuelles, et j'ai pu me rendre compte du peu de recul qu'ont ceux qui
s'engagent dans la voie publicitaire. Cela revient à mon propos, car
c'est justement ce manque de recul qui fait que la publicité n'admettra
pas qu'elle est un vecteur d'exclusion sociale. J'admets, en ce qui me
concerne, ne pas voir la publicité comme une manifestation
médiatique très positive, mais le regard sans haine que je porte
sur le monde m'engage néanmoins à m'y intéresser sans
impliquer trop de sentiments, pour mieux la comprendre et peut-être
tenter de la rendre meilleur (ou moins pire). Il m'aura en effet fallu me
défaire de quelques préjugés et reprendre la
publicité depuis le début, puisque je n'avais pas
été un farouche passionné de publicité.
Ce travail aura aussi été une première
tentative dans l'approche scientifique d'un thème qui me tient à
coeur: les relations interculturelles. Je me suis évidemment
confronté aux limites inhérentes à un tel sujet,
c'est-à-dire l'ampleur du champ d'investigation et des notions
théoriques, mais c'est un thème qui, selon moi, sera de plus en
plus d'actualité dans un monde toujours plus global. Il faut peu
à peu rendre les études en sciences sociales abordables, car
elles nous concernent tous, et il serait dommage de s'en priver à cause
d'un séparatisme entre politiques, citoyens et chercheurs. Je ne
révolutionne rien en affirmant que les sciences sociales
mériteraient une plus grande implication citoyenne et politique,
plutôt que de rester dans le cercle très fermé des
universitaires, mais c'est une réalité cruelle que je
réalise à travers ce travail. Sans prétendre changer le
monde publicitaire, un travail sur « la publicité comme
vecteur d'exclusion sociale » aurait peut-être le mérite
de faire réfléchir des professionnels, de voir en quoi leur
manière de travailler automatisée est discriminante. J'imagine
parfois la publicité, avec tout son capital, prendre de l'audace et
faire de son discours quelque chose de complètement
décalé, qu'elle cesse de réchauffer des
stéréotype pour se placer à la pointe de la
représentation sociale, avec une vraie éthique.
Malheureusement, au regard de l'actualité publicitaire
et de son développement dans la société, on l'imagine plus
devenir un méga-sponsor, que le cinéma commercial devienne
réellement commercial, un « Fast and Furious » qui
serait en fait un évident film publicitaire d'1h30 pour telle ou telle
marque de voiture. Peut-être même que l'on ne paierait pas pour
voir ce film, car c'est la publicité qui paye pour qu'on la voie. De
même j'imagine une entrée progressive de la publicité dans
les secteurs publics comme l'éducation, et particulièrement les
universités qui tendent désormais à fonctionner sur un
mode privé. On voit déjà comment les techniques
publicitaires font partie de la vie politique, pourquoi pas l'éducation?
C'est hélas le triste bilan auquel j'arrive à la fin de cette
étude, un bilan qui m'amène toutefois à penser que dans ce
contexte, ce type de travail sera de plus en plus valeureux pour remettre en
question l'invasion publicitaire. Il ne faut pas laisser la publicité
à ceux qui oeuvrent pour elle, et encore moins lorsqu'elle s'en prend
à la diversité culturelle.
Au cours de ce mémoire, je me serai consacré
entièrement au message publicitaire, à son contexte de production
et de réception, ce que j'ai appelé
« sémio-pragmatique », ou plus globalement une
analyse communicationnelle. Toutefois, chacun de ces contextes
mériterait une investigation plus profonde, afin de savoir comment
fonctionne réellement le champ publicitaire au Mexique. De même,
on attendrait une approche plus profonde des publics et non-publics de la
télévision mexicaine, afin de mieux saisir leurs attentes, leurs
consommations. Le contexte mexicain est d'une richesse incroyable, car il a un
pied dans des traditions totalement étrangères au système
occidental, et l'autre pied dans l'industrialisation et la modernisation
inéluctable. Il confronte des cultures et des modes de vie totalement
différents, des espaces naturels uniques et des zones urbaines qui sont
dans les plus grandes au monde. Il un terrain de recherche absolument
démesuré pour les sciences sociales. Le Mexique est une
expérience humaine incomparable pour le chercheur en herbe, le faisant
réfléchir sur sa propre culture, lui laissant voir les
phénomènes sociaux avec plus d'acuité. Cette
expérience hors-France me paraît cruciale dans le
développement intellectuel de l'étudiant, elle devrait être
une quasi-obligation dans le parcours académique de celui qui s'engage
à l'université.
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http://www.nuitdespublivores.com/
Site officiel de l'Autorité de Régulation
Professionnelle de la Publicité (ARPP),
http://www.arpp-pub.org/
Site officiel du CONAPRED,
http://www.conapred.org.mx/
TABLE DES MATIÈRES
Page de garde 1
Sommaire 2
Remerciements 3
Introduction 4
PARTIE I : Culture de l'image et image de la culture
8
1. Culture des images et société
contemporaine: un phénomène publicitaire 11
1.1. Des effets de la publicité à son rôle
légitimé dans la société 12
1.2. La publicité mexicaine, un quatrième
pouvoir? 18
2. Une image de la culture au Mexique 28
2.1. Notes sur le multiculturalisme 30
2.2. Discrimination, racisme et idéologie dominante
dans un système global 43
PARTIE II : Un discours publicitaire vecteur d'exclusion
sociale 51
1. Télévision et publicité
52
1.1. La télévision-publicité, un couple
conceptuel 54
1.2. Une approche sémio-pragmatique de la
publicité télévisuelle 58
2. Discours et visuel d'un fragment publicitaire
62
2.1. Description du corpus 63
2.2. Vendre du « rêve » et exclure
le réel 73
3. Consommations et réceptions du discours
publicitaire: l'entretien 83
3.1 En quête de compréhension: production
discursive face au discours publicitaire 87
3.2. Opacité du processus d'exclusion et
réalité sociale 92
Conclusion 96
Bibliographie 99
Indexes 103
* 1 Helen Spencer-Oatey, Culturally
speaking : managing rapport through talk across cultures. London,
Continuum, 2000, p. 4 (traduction personnelle)
* 2 Gisèle Freund, Photographie
et société, Paris, Points Seuil, 1974, p. 6
* 3 Il convient de préciser que cela
ne s'est pas fait par enchantement, mais qu'il y avait une logique
économique derrière, notamment celle de Kodak qui a
été la première marque à en profiter et à
impulser ces pratiques amateurs: « Pressez sur le bouton, nous
faisons le reste » disait le slogan.
* 4 Régis Debray, Vie et mort de
l'image, Paris, Gallimard, 1995, p. 37
* 5 Éric Macé, Les
Imaginaires médiatiques, Paris, Amsterdam, 2006, p. 28
* 6 Ibid.
* 7 Salvador Carrasco, La otra
conquista, 1998.
* 8 Raymond Williams,
« Publicité: le système magique »,
Réseaux, 1990, Vol. 8, n° 42, pp. 73-95.
* 9 Serge Tchakhotine, Le viol des
foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952.
* 10 Elihu Katz et Paul L. Lazarsfeld,
Influence personnelle: ce que font les gens des médias, Paris,
Armand Colin, 2008.
* 11 Valérie Sacriste,
« Sociologie de la communication publicitaire »,
L'Année sociologique 2001/2, Vol. 51, p. 487-498.
* 12 Jürgen Habermas, L'espace
public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive
de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978.
* 13 Montaigne, Les Essais, I,
Paris, Le Livre de Poche, 1972. cité par Valérie Sacriste et
Armand Mattelart.
* 14 La France développe, à
contre courant, une idéologie anti-publicité: le tapage
publicitaire signifie la mauvaise qualité du produit. La
publicité joue sur le côté égoïste des gens, le
superficiel. Ainsi le marché publicitaire français reste
sous-développé jusque dans les années 70, lorsque la
publicité se transforme réellement en outil d'incitation à
la consommation au profit de l'entreprise capitaliste. La recherche d'un aspect
artistique dans la publicité sera un des éléments
clé pour qu'elle soit tolérée et largement
acceptée. Marc Martin, Trois siècles de publicité en
France, Paris, Odile Jacob, 1992.
* 15 Franck Cochoy, La captation des
publics: c'est pour mieux te séduire mon client, Presses
Universitaires du Mirail, Toulouse, 2004.
* 16 Laure Gaertner, « Que
produisent les publicitaires ? Retour socio-historique sur la formation d'une
expertise », Revue management et avenir, 2008/1, n° 15,
p. 140-155.
* 17 Pierre Bourdieu, « La
production de la croyance », Actes de la recherche en sciences
sociales, 1977, Volume 13, n° 1, pp. 3-43.
* 18 Le Monde, 8 février 2010
* 19 Laure Gaertner, art.cit, l'auteure
projette un regard socio-historique sur le monde publicitaire. A travers une
enquête historique et plus de 80 entretiens conduits avec des
publicitaires d'âge différents, dont 15 nés avant 1950, son
objectif est justement d'aborder la formation de la légitimation du
métier de publicitaire.
* 20 Antoine Lefebure, Havas, les
arcanes du pouvoir, Paris, Grasset, 1992
* 21 Marie-Emmanuelle Chessel, La
Publicité: naissance d'une profession, 1900-1940, Paris, CNRS
éditions, 1998.
* 22 Marc Martin, Trois siècles
de publicité en France, Paris, Odile Jacob, 1992.
* 23 Laure Gaertner, art.cit.
* 24 Ibid.
* 25 Roland Barthes,
« Rhétorique de l'image », Communications,
1964, Vol. 4, p. 40-51.
* 26 Pierre Bourdieu,
« L'opinion publique n'existe pas », Les temps
modernes, n° 318, Janvier 1973, pp. 1292-1309.
* 27 Le Monde, 9 avril 2004.
* 28 Source: site officiel de l'ARPP.
* 29 Serge Tisseron, Comment l'esprit
vient aux objets, Paris, Aubier, 1999, p. 216
* 30 Valérie Sacriste, art.cit.
* 31 Ibid.
* 32 Ibid.
* 33 Source: IPSOS-BIMSA, personnes de 6
à 64 ans. Mexico, Guadalajara et Monterrey. Avril 2006 à mars
2007.
* 34 Javier Esteinou Madrid, El
derecho a la información de los pueblos indios: el caso de
México. http://www.inisoc.org/jest0108.htm, 23 novembre 2003.
* 35 Comisión Nacional para el
Desarrollo de los Pueblos Indígenas, document officiel disponible
en ligne.
* 36 Le président Fox s'est
notamment fait remarquer pour son son affiliation à des groupes
religieux très conservateurs, pour son opposition aux intellectuels,
pour sa misogynie (lorsqu'il parlait des « machines à laver
à deux pattes »), et plus généralement pour son
manque d'éducation.
* 37 Source: IBOPE AGB México,
Anuario media performance 2008.
* 38 Andrew Paxman et Alex M. Saragoza,
Globalization and Latin Media Powers: The Case of Mexico's Televisa,
in Vincent Mosco et Dan Schiller, Continental order?: integrating North
America for cybercapitalism, Boston, Rowman & Littlefield, 2001.
* 39 Le cas de Luis Donaldo Colosio,
assassiné en pleine campagne électorale, fait figure
d'exemple-type de cette lutte pour le pouvoir. Voir Martha Riofrío,
Nación, Democracia y Sepultura, Mexico, Trigueres, 1997.
* 40 Elena Poniatowska, La Noche de
Tlatelolco, Mexico, Era, 1993.
* 41 Laura Castellanos. México
armado 1943-1981. México, Era, 2007,
* 42 Carlos Montemayor, La
Rébellion indigène du Mexique. Violence, autonomie et
humanisme, Mexico, Syllepse, 2001.
* 43 Nicolás Défossé,
Romper el cerco, 2007. (documentaire)
* 44 Carlos Mendoza,
Teletiranía: la Dictadura de la Televisión en México,
2005. (documentaire)
* 45 Miguel Ángel Granados Chapa,
« Desafueros (procesos contra René Bejarano y Andrés
Manuel López Obrador) », Proceso, 7 novembre 2004.
* 46 Luís Mandoki, Fraude:
México 2006, 2007. (documentaire)
* 47 La Jornada, 8 février
2010.
* 48 Carlos Monsiváis, En torno
a la cultura nacional, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1982.
* 49 « Note rouge » en
Français, cette expression a servi au Mexique pour désigner un
genre journalistique en relation avec les thèmes de
sécurité publique et de justice pénale, autrement dit les
histoires de morts et de disgracies sociales. Souvent qualifiée de
mauvais journalisme, on l'attribue à la fascination pour la mort que
semble manifester les mexicains. Voir Marco Lara Klahr et Francesc Barata,
Nota(n) roja, Mexico, Debate, 2009.
* 50 Référence à
l'agression simulée dans la capitale, diffusée au JT pour mettre
en avant l'insécurité qui règne dans la ville, ecore une
fois afin de discréditer les politiques de gauches aux mains de la
capitale. La Jornada, 22 août 2000.
* 51 Carola García Calderón,
El poder de la publicidad en México en los inicios del siglo XXI,
Mexico, Plaza y Valdes, 2007. Les remarques qui suivent sont pour la
plupart tirées de cet ouvrage, de même que les chiffres qui ne
disposent pas de référence.
* 52 Source: Consulta Mitofsky,
« El comercio informal en tiempos de crisis », 2009.
* 53 Il est courant qu'un long
métrage comporte jusqu'à dix coupures publicitaires qui,
accumulées les unes aux autres, peuvent représenter une
durée supérieure à celle du programme.
* 54 El Universal, 27 juin 2007.
* 55 Censo General de la
Población y Vivienda, Estados Unidos Mexicanos, 2000.
* 56 Victor M. Bernal Sahagún,
Anatomía de la publicidad en México. Mexico, Nuestro
Tiempo, 1988.
* 57 Carola García Calderón,
op.cit.
* 58 « Comentarios de la IAA a
las modificaciones del Reglamento de Salud », Apertura,
avril 1992, p. 64-68.
* 59 Stephan Dahl,
« Intercultural Research: The Current State of Knowledge »,
Middlesex University Discussion Paper, n° 26, janvier 2004.
* 60 Edward T. Hall, Au-delà de
la culture, Paris, Seuil, 1987.
* 61 Geert Hofstede, Cultures and
organizations : software of the mind : intercultural. London,
HarperCollins, 1994.
* 62 Francisco Colom, Razones de
identidad. Pluralismo cultural e integración política,
Barcelone, Anthropos, 1998.
* 63 Charles Taylor, et al., El
multiculturalismo y la «política del reconocimiento»,
Mexico, FCE, 1993.
* 64 Source: dictionnaire Larousse.
* 65 Source: programme universitaire
México Nación Multicultural de l'Université
Nationale Autonome du Mexique (UNAM), http://www.nacionmulticultural.unam.mx
* 66 Source: recensement de la population,
2000: www.census.gov/prod/2000pubs/cbr003sp.pdf
* 67 Source: recensement de population et
habitat de l'année 2000.
* 68 Réalisée par le Conseil
National pour Prévenir la Discrimination (CONAPRED), 2005.
* 69 Une étude de
« communauté » célèbre est celle de
Robert Redfield, Tepoztlan, a Mexican village: A study in folk life,
Chicago, University of Chicago Press, 1930, car elle l'une des premières
d'une longue vague anthropologiqueq à planter la problématique
communautaire au coeur du travail de recherche.
* 70 Gonzalo Aguirre Beltrán,
Crítica antropológica, México,
FCE-INI-UV-Gobierno del Estado de Veracruz, 1990, p. 290.
* 71 Hectór Diáz-Polanco,
Autonomía, territorialidad y comunidad indígena. La nueva
legislación agraria en México, in Victoria Chenaut et
María Teresa Sierra, Pueblos indígenas ante el derecho,
México, CEMCA-CIESAS, 1995, p. 231.
* 72 Les remarques qui suivent sont
largement emprunté à l'ouvrage référence en
matière d'organisation communautaire des peuples autochtones,
publié en 1954: Gonzalo Aguirre Beltrán y Ricardo Pozas
Arciniega, La política indigenista en México. Métodos
y resultados, Instituciones indígenas del México actual,
Mexico, INI-SEP, 1981.
* 73 Comme c'est le cas dans la zone
Triqui, dans l'état de Oaxaca, voir Pedro Lewin Fischer et Fausto
Sandoval Cruz, Triquis: Pueblos Indígenas del México
Contemporáneo, México, CDI, 2007.
* 74 La Jornada, 11 fevrier
2010.
* 75 Hectór Diáz-Polanco,
op.cit.
* 76 Floriberto Diáz Gómez,
« Derechos humanos y derechos fundamentales de los pueblos
indígenas », La Jornada Semanal, Mexico, 11 mars 2001
* 77 Nicolas Défossé, Mario
Viveros, Romper el cerco, 2007 (documentaire).
* 78 Héctor Diáz-Polanco,
La rebelión zapatista y la autonomía, Mexico, Siglo XXI,
1997.
* 79 Miguel A. Bartolomé,
Autononomías étnicas y estados nacionales, Mexico, INAH,
1998.
* 80 Magdalena Gómez Rivera,
«El debate mexicano sobre derecho indígena y las propuestas para su
constitucionalidad», in INI, Estado del desarrollo económico y
social de los pueblos indígenas de México. Primer informe,
México, INI-PNUD, 2000.
* 81 ORDPI-INI, Pueblos
indígenas, políticas públicas y reforma
institucional, Mexico, 2002.
* 82 Source: recensement de la population,
2000.
* 83 Ibid.
* 84 Eduardo L. Menéndez,
Poblaciones abiertas, seguras y privadas: cambios, reorientaciones y
permanencias en el Sector Salud mexicano, Mexico, CIESAS, 2004.
* 85 Jesús Martín-Barbero,
Globalización y multiculturalidad: notas para una agenda de
investigación, in Mabel Moraña, Nuevas perspectivas
desde/sobre América Latina, Mexico, Instituto Internacional de
Literatura Iberoamericana, 2000.
* 86 « Carlos Slim: The world's
wealthiest man », Paul Harris, The Guardian, 14 mars
2010.
* 87 Jesús Martín-Barbero,
op.cit. p. 18
* 88 Ibid, p. 20
* 89 Néstor García Canclini,
Culturas híbridas. Estrategías para entrar y salir de la
modernidad, Mexico, Grijalbo, 1990.
* 90 León Olivé,
Multiculturalismo y Pluralismo, Mexico, Paidós-UNAM, 1999.
* 91 Ibid, p. 33.
* 92 Tzvetan Todorov, La
Conquête de l'Amérique, la question de l'autre, Paris, Seuil,
1982.
* 93 Teun A. Van Dijk,
Dominación étnica y racismo discursivo en España y
América Latina, Barcelone, Gedosa, 2003.
* 94 Rien que dans la ville de Mexico, on
compte au moins 37 de ces organismes selon le répertoire des ONG
orientées vers la défense des droits des peuples indigènes
publié par la CODHEM (Commission des droits de l'homme de l'état
de Mexico)
* 95 Carlos Montemayor, La
Rébellion indigène du Mexique. Violence, autonomie et
humanisme, Mexico, Syllepse, 2001.
* 96 Teun A. Van Dijk, op.cit.
* 97 Teresa Carbó, El discurso
parlamentario mexicano entre 1920 y 1950. Un estudio de caso en
metodología de análisis de discurso, Mexico, CIESAS et
Collège de Mexico, 1995.
* 98 Norberto Valdez, Ethnicity,
class, and the indigenous struggle for land in Guerrero, Mexico, New York,
Garland, 1998.
* 99 Armando Salinas Torre, Diario de
los Debates, 15 mars 2001.
* 100 Miguel León-Portilla,
De palabra y obra en el nuevo mundo, Madrid, Siglo XXI, 1993.
* 101 Gregory Bateson, Don D. Jackson,
Jay Haley, John J. Weakland, « A note on the Double bind -
1962 », Family Process, 2, 1963. cité par Yves
Winkin, La Nouvelle communication, Paris, Seuil, 1981.
* 102 Abdelmalek Sayad, La double
absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de
l'immigré, Paris, Seuil, 1999.
* 103 Pierre Bourdieu, « La
production de la croyance », Actes de la recherche en sciences
sociales, n° 1, 1977, pp. 3-43.
* 104 Jean-Claude Soulages,
« Les avatars de la publicité télévisée
ou la vie rêvées des femmes », Le Temps des
Médias, n° 12, 2009, pp. 114-124.
* 105 Jean-Claude Soulages,
« Quand la pub parle de pub »
Médiamorphoses, n° 20, Médias en miroir, Ina/Armand
colin, pp 99-105.
* 106 Jean-Claude Soulages,
« Le tiers interdiscursif dans le discours publicitaire »,
in Patrick Charaudeau et Rosa Montes (dir.), La voix cachée du
Tiers. Des non-dits du discours, Paris, L'Harmattan, 2004.
* 107 Ibid.
* 108 Ibid.
* 109 Source: site officiel de La Nuit
des Publivores, http://www.nuitdespublivores.com/
* 110 Umberto Eco, La guerre du
faux, Paris, Grasset, 1985, p. 197.
* 111 Carmen Compte, qui utilise cette
expression, donne l'exemple de la publicité où Gérard
Depardieu intervient avec son paquet de pâtes dans une situation
conflictuelle, prétendant résoudre tous les problèmes de
la famille. Le spectateur n'est pas dupe, il sait qu'en réalité
cela ne fonctionne pas. La publicité cherche plutôt à
provoquer le sourire et laisser une impression conviviale et rigolote de cette
marque de pâte. De cette manière, elle
« joue » en quelques sortes avec le spectateur. Carmen
Compte, « Les publicités : narcisses
télévisuels », La télévision au
miroir, n° 9, mars 1998, pp. 110-124.
* 112 Ibid.
* 113 Walter Benjamin,
« L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité
technique », L'Homme, le langage et la culture, Paris,
Denoël, 1971.
* 114 Pour autant que l'on puisse parler
d'une certaine fascination face à l'image télévisuelle, il
semble plus juste de sortir le public télévisuel de ce
schéma passif et homogénéisant comme l'on fait les
« cultural studies ». Bien que réduite, une marge
de manoeuvre est offerte au téléspectateur, à travers le
choix de chaîne (« zapping ») et le contrôle du
son et des couleurs. Le « feed-back »,
matérialisé par les sondages d'audience, est une notion
clé dans ce que l'on pourrait nommer le « choix du
spectateur », jugeant ainsi du succès ou non d'un programme.
Mais ce phénomène de « feed-back » serait
également la cause d'une réelle dictature de l'audience, il
engendrerait une course à la création de programmes de plus en
plus racoleurs, justement pour attirer les annonceurs publicitaires et leur
vendre l'espace toujours plus cher, ce qui constituerait, au final, la
réelle critique que l'on pourrait adresser à la production
télévisuelle.
* 115 Ignacio Ramonet, Le
Chewing-gum pour les yeux, Paris, Alain Moreau, 1980.
* 116 Umberto Eco,
Apocalípticos e integrados, Barcelone, Lumen, 1984, p. 346.
* 117 José Saborit, La
Imágen publicitaria en televisión, Madrid, Cátedra,
1988, p. 21.
* 118 Abraham Moles, La
Comunicación y los mass media, Bilbao, Mensajero, 1975, p. 582.
(traduction personnelle)
* 119 Martine Joly, Introduction
à l'analyse de l'image, Paris, Armand Colin, 2009, p. 12.
* 120 Il serait d'ailleurs
intéressant de mener une étude sur la publicité non
formelle, celle qui jonche les programmes de divertissement et les matchs de
football, afin d'observer comment elle s'insère dans la réception
du message télévisuel.
* 121 José Saborit,
op.cit., p. 26.
* 122 José Saborit,
op.cit., p. 33.
* 123 Régis Debray,
op.cit. p. 436.
* 124 Les associés d'EIM, Les
Dirigeants français et le Changement : Baromètre 2004,
Paris, Huitième jour, 2004.
* 125 Vance Packard, The Hidden
Persuaders, New York, Washington Square Press, 1957, et Gillian Dyer,
Advertising as Communication, New York, Methuen, 1982, p. 92.
* 126 Martine Joly, op.cit., p.
23.
* 127 Georges Péninou,
Intelligence de la publicité. Étude sémiotique,
Paris, Robert Laffont, 1972.
* 128 Jacques Durand,
« Rhétorique et image publicitaire »,
Communications, n° 15, 1970, pp. 70-95
* 129 Martine Joly, op.cit.,
* 130 Roman Jakobson, Essais de
linguistique générale, Paris, Minuit, 1963.
* 131 Georges Péninou,
« Langage et image en publicité », in Claude
Vielfaure (dir.), La publicité de A à Z, Paris,
Retz-CEPL, 1975.
* 132 Roland Barthes,
« Rhétorique de l'image », Communications,
Volume 4, n° 1, 1964, pp. 40-51.
* 133 Mauro Wolf,
« Géneros y televisión »,
Análisis, n° 9, mai 1984, p. 190.
* 134 Martine Joly, op.cit. p.
47.
* 135 Ibid.
* 136 Francisco de Jesús Aceves
Gonzalez, « La televisión y los tapatíos. Un atisbo al
entreveramiento horario de transmisión, menú programático
y patrones de exposición », Comunicación y
Sociedad, 1er septembre 2001.
* 137 Fernando Mejía Barquera,
« Historia mínima de la televisión mexicana
(1928-1996), Escenarios y Convergencias, Mars-Mai 2007.
* 138 Gisela Rabinowicz et Jorge
Volonté, « Grupo Televisa S.A. », in
Boletín de Políticas de Comunicación, Universidad
de Buenos Aires, n° 2, juillet 2003.
* 139 Source: IBOPE AGB México,
Anuario media performance 2008.
* 140 José Carlos Lozano,
« Distanciamiento crítico frente a la TV nacional
mexicana », in Zer, n° 14, mai 2003. Étude
réalisée sur 2800 personnes dans les villes de Monterrey,
Guadalajara et Mexico, dont 180 ont été interviewées.
* 141 José Carlos Lozano,
art.cit
* 142 Source: IBOPE AGB México,
Anuario media performance 2008.
* 143 Jean-Claude Soulages,
« Quand la pub parle de pub »
Médiamorphoses, n° 20, Médias en miroir, Ina/Armand
colin, pp 99-105.
* 144 Carlos Montemayor, Chiapas: la
rebelión indígena de México, Mexico, Debolsillo,
2009.
* 145 Jean-Baptiste Legavre,
L'entretien, une technique et quelques unes de ces
« ficelles », p. 35-55, in Stéphane
Olivesi, et al., Introduction à la recherche en SIC, Grenoble,
PUG, 2007.
* 146 Stéphane Beaud,
« L'usage de l'entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour
l' « entretien ethnographique » », in
Politix, Vol. 9, N° 35, troisième trimestre 1996, pp.
226-257.
* 147 Guy Michelat, « Sur
l'utilisation de l'entretien non directif en sociologie », in
Revue française de sociologie, Vol. 16, n° 2, avril-juin,
1975, pp. 229-247.
* 148 Everett C. Hughes, « La
sociologie et l'entretien », in Le regard sociologique,
Paris, Mark Benney, EHESS, 1996.
* 149 Source:
http://www.conapred.org.mx/
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