3. OSWIECIM, AUTOPERCEPTION ET
PERCEPTION EXTERIEURE
3.1. Perception personnelle de la ville
d'Ooewiêcim
Samedi, 12 heures. Après deux heures de voiture, depuis
Cracovie, nous arrivons enfin à Ooewiêcim par le Bonie
District57 où nous tombons sur un énorme centre
commercial. H&M, MacDo, Carrefour, etc... pour le moment, cela ne nous
dépayse pas trop de la France. Nous continuons notre chemin en longeant
la Soa58. La vision de cette rivière fait remonter dans ma
mémoire le texte de Didier POBEL :
«La Sola est une agréable petite
rivière comme tant d'autres. Actuellement, elle doit être en crue.
Certains jours, il y a longtemps de cela, elle devenait toute noire. La Sola
coule dans une région de marécages. Ici, elle borde une
forêt. Plus loin, elle traverse une bourgade. La Sola a tout vu, tout
entendu de ce qui se passait à côté. Là-bas, dans
les baraquements où résonnaient à l'infini les
crépitements des fusillades et le cri dantesque des
suppliciés.
Aujourd'hui, la Sola coule à Oswiecim, en terre
polonaise. Hier, la Sola coulait à Auschwitz en enfer nazi. Auschwitz,
un nom qui se prononce comme un serpent qui siffle. Auschwitz où
l'Armée russe entra le 27 janvier 1945 - soixante-treize ans pile
aujourdhui - en découvrant, dans une épouvantable puanteur de
charniers, quelque 7000 survivants sans noms et sans corps.
La Sola n'a rien oublié. Ni les relents de
caoutchouc synthétique s'échappant de l'usine IG Farben voisine,
ni le scintillement vert des cristaux de Zyklon B, ni l'odeur de chair
brûlée montant des cheminées, juste avant que les cendres
ne soient déversées dans son lit qui devenait alors tout
noir.
Près de la Sola, il y avait une maison cossue
où vivait, insouciante derrière un haut mur, une petite fille
nommée Ingebrigitt Höss. Elle avait de la chance Ingebrigitt.
Rudolph, son papa, était gentil. Avec elle. Il l'appelait "Püppi".
Peut-être la poupée venait-elle, parfois, jouer au bord de la
rivière... Une rivière qui déborde
57 Anton Friedrich BÜSCHING, Géographie
Universelle, Tome 2, Partie 2, Imprimé chez Jean Henri HEITZ,
Imprimerie de l'Université, 1786, Page 200. La Ville d'Ooewiêcim
est divisée en sept districts soit l'équivalent des
arrondissements que l'on peut voir dans les grandes villes
françaises.
58 Soa, Wikipédia, [En ligne],
https://en.wikipedia.org/wiki/So%C5%82a,
(page consultée le 28/11/2019). La Soa est une rivière du sud de
la Pologne. Elle traverse Ooewiêcim dans sa longueur, elle est
également un affluent de la Vistule, plus grand fleuve de Pologne.
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d'effroyables souvenirs. Une rivière dont le nom,
à quelques lettres près, s'écrit
comme Shoah».59
Au détour d'un carrefour, nous apercevons au loin, la
flèche de l'église paroissiale de l'Assomption de Sainte Marie,
point central de la vieille ville. Nous prenons cette direction et arrivons sur
la Place du Marché.
La place est calme, seul le balai des nettoyeuses qui marque
la fin du marché, vient troubler le silence. L'heure du déjeuner
étant là, nous décidons de nous installer à
l'intérieur d'un petit restaurant donnant sur la place. Des habitants
déjeunent en famille ou entre amis, j'en profite pour faire remplir mes
questionnaires. Je m'approche de deux personnes âgées, je leur
tends le questionnaire, la barrière de la langue est compliquée
mais elles me font comprendre qu'elles ont connu cette époque.
L'époque des camps, l'époque de la Guerre. Dehors, des jeunes
enfants jouent innocemment, plus loin une bande d'ados font des tours à
vélo. Je remarque des plaques de verre sur le sol de la place.
14 heures. Mon déjeuner fini, je m'avance,
intriguée, vers ces plaques. Là, un petit écriteau
explique rapidement que nous nous trouvons sur le site de l'ancienne place du
marché moyenâgeuse, que la ville a subi plusieurs incendies, ou
encore que le tracé de l'ancien rempart date du XIVe ou XVe
siècle et qu'il est inscrit au « Programme national de protection
et d'entretien des monuments ».60
L'aspect actuel de la place a un caractère plutôt
moderne tout en affichant des restes du passé comme la silhouette de
l'ancien hôtel de ville du XVIe siècle, d'un ancien abri
anti-aérien de la Seconde Guerre mondiale ainsi qu'une réplique
d'un puits datant du XIXe siècle. Nous nous baladons dans la vieille
ville une petite heure, c'est calme, très calme. Les magasins sont
fermés le samedi, seuls quelques cafés restent ouverts. Je
décide donc d'aller voir le quartier aryen, le « Siedlung
».61 Nous
59 La Sola, une rivière qui déborde...,
OverBlog, [En ligne],
http://dpobel.over-blog.com/2018/01/la-sola-une-riviere-qui-deborde-de-souvenirs.html,
(page consultée le 28/11/2019). Didier POBEL est un poète,
romancier et critique français né en1952 dans l'Ain. Il
écrit tout d'abord pour la revue « Esprit » puis pour «
La nouvelle revue
française ». Il enseigne, également quelques
temps puis se consacre au journalisme et à la critique
littéraire.
60 Pologne, Conseil de l'Europe, [En ligne],
https://www.coe.int/en/web/herein-system/poland,
(Page consultée le 29/11/2019). Équivalence polonaise des
Monuments Historique.
61 Emil WEISS, Auschwitz Projekt, France, Arte et MW
Productions, 2017, 56min, [En ligne]
https://www.dailymotion.com/video/x6gpeo0
. Construit à partir de 1942 par les SS pour leur famille afin de
transformer Ooewiêcim en cité-idéale. Ce quartier est une
des parties du projet urbain, imaginé par les nazis, qui a pu être
réalisée. Le nouveau plan de la ville est constitué sur un
tramage hippodeméen telles les cités antiques. Les fronts de rues
bâtis imposent un ordre bien dicté à contrario des coeurs
d'îlots, qui eux, sont très ouverts et laissent la place pour de
larges espaces verts.
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marchons le long d'une route très
fréquentée, il y a beaucoup de bruit, difficile pour nous de
pouvoir communiquer. Nous faisons un détour par le cimetière
Juif. Fermé. Nous continuons notre chemin jusqu'à arriver au
centre du quartier « Siedlung ». Les bâtiments sont, pour
certains, restaurés. Les façades sont peintes de
différentes couleurs ce qui rend le quartier gai, comme joyeux. Des gens
se promènent, quelques épiceries sont ouvertes. Les espaces
verts, plus ou moins grands, à l'arrière des façades
imposantes de la rue principale, sont agréables. Des enfants s'amusent,
des femmes étendent leur linge, dans les espaces communautaires
prévus à cet effet, une vieille dame promène son chien.
Pensive, je me demande si les habitants de ce quartier savent à quoi,
à qui il était destiné au départ.
16 heures. La nuit tombe tôt, ici, à
Ooewiêcim. Nous prenons le chemin du retour vers la vieille ville. Nous
nous engageons dans un chemin de terre, au milieu d'un terrain vague, il
paraît que c'est un raccourci. Nous marchons au milieu de hautes herbes,
les bruits d'animaux prennent le dessus sur les bruits de la ville, qui
s'éloigne petit à petit. Nous croisons un homme, assis sur un
tronc d'arbre, un SDF, je pense. Nous rentrons à l'appartement que nous
louons dans un bloc soviétique des années 50/60, typique. Demain,
nous allons visiter l'autre partie de la ville, de l'autre coté de la
Soa. Demain, sera une journée plus sombre, marquée par ce que
nous allons voir. Demain, nous allons visiter Auschwitz.
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