CHAPITRE 1. LE CRIME D'AGRESSION : ETUDE COMPARATIVE DE
LA RESOLUTION 3314 (XXIX) ET DU STATUT DE ROME REVISE
La méthode comparative doit, pour être valide,
fournir des renseignements qui portent sur des phénomènes ou des
situations comparables22. Dans le cas d'espèce, il s'agit de
comparer deux instruments juridiques, en vigueur en droit international,
à savoir la Résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée
générale de l'ONU (Section 2) et le Statut de Rome
révisé (Section 3) qui, tous, consacrent une définition du
crime d'agression,
Cependant, est-il utile, dans le cadre de ce chapitre, de
donner sommairement l'historique et l'évolution de la tendance vers
l'incrimination de l'agression pour l'appréhension de la
définition de l'agression consacrée dans ces deux instruments
(Section 1).
Section 1. APERÇU HISTORIQUE DE LA DEMARCHE
TENDANT A
INCRIMINER L'AGRESSION
Le Pacte de la SdN se contentait d'interdire les guerres
d'agression et celles déclarées à un Etat se conformant
à une décision arbitrale ou juridictionnelle ou encore à
une recommandation figurant dans un rapport du Conseil de la SdN23.
Le recours à la guerre ne faisait pas objet d'une interdiction totale
dans le système de la Société des Nations (§1).
Néanmoins, le traité de Versailles de 1919 comme, plus tard,
l'Accord de Londres de 1945 ont marqué une démarche tendant
à incriminer l'agression (§2).
§1. L'agression dans le système de la
Société des Nations
Lors de la fondation de la Société des Nations,
en 1919, l'agression était une conception juridique nouvelle. Ceci est
vrai dans la mesure où l'acception de l'agression en soi
échappait à la réalité juridique de cette
période. Néanmoins, plusieurs tentatives d'établir une
définition d'agression ont eu lieu, malheureusement handicapées
par le rejet du Traité de Versailles par certaines grandes
puissances24, dont les Etats-Unis d'Amérique.
Les lignes qui suivent montreront la manière dont le
système de sécurité collective était conçu
dans le Pacte de la SdN (a) et dans le Pacte Briand-Kellog (b).
22 A. NYALUMA, Notes de Cours d'Initiation
à la recherche scientifique, UCB, Fac. Droit, G2, 2013-2014,
inédit, p. 36.
23 V. M. METANGMO, Op. cit., p. 22.
24T. FURAHA, Op. cit., p. 2.
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a. L'agression dans le Pacte de la
Société des Nations
Nonobstant sa condamnation ferme de la guerre d'agression, le
Pacte de la SdN25 (1919) ne prohibait pas radicalement le recours
à la force armée26.
Aux termes de l'article 10 du Pacte, « les membres de
la SdN s'engagent à respecter et à garantir contre toute
agression extérieure l'intégrité territoriale et
l'indépendance politique présentes de tous les Etats membres de
la Société. En cas d'agression, de menace ou de danger
d'agression, le Conseil avise aux moyens d'assurer l'exécution de cette
obligation ».
A en croire Marcel Sibert, le Pacte de la
Société des Nations supposait que serait agresseur, tout membre
de la Société qui, à l'occasion d'un conflit avec un autre
membre, aurait employé la force des armes sans recourir au
préalable aux moyens de solution pacifique prévus et
organisés par les convenants27.
A la lumière de l'article 10 du Pacte de la SdN, il
ressort un double engagement du respect de l'intégrité
territoriale et de l'indépendance politique des Etats, qui constitue le
fondement de la sécurité collective. La SdN privilégiait
un système de sécurité de tous les Etats contre
l'agression28. L'article 11 du Pacte dispose à ce sujet que
« toute guerre ou menace de guerre, qu'elle affecte directement ou non
un des membres de la SdN, intéresse la Société tout
entière et celle-ci doit prendre les mesures propres à
sauvegarder efficacement la paix des Nations ».
L'on remarquera que le Pacte tentait de prévenir les
différends par des méthodes de règlement pacifique, telles
l'arbitrage, la décision judiciaire, l'intervention du Conseil ou de
l'Assemblée de la SdN. L'article 16 prévoyait le recours aux
mesures coercitives qui pouvaient prendre la forme des sanctions
économiques, politiques et militaires contre un Etat agresseur.
En date du 2 Octobre 1924, renseigne Bengt Broms,
l'Assemblée de la Société des Nations avait adopté
un Protocole qui régissait le règlement pacifique des
différends internationaux29. A l'article 8, paragraphe 1 de
ce protocole, les signataires s'étaient engagés
25Voir les articles 10 et 12 du Traité de
Paix de Versailles entre les Puissances alliées et associées et
l'Allemagne, du 28 juin 1919.Dans E. DAVID et alii, Code de droit
international humanitaire, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 366.
26 M. CIFENDE, Notes du Cours de Droit
international Public, UCB, Fac Droit, G3, 2013-2014, inédit, p.
196.
27 M. SIBERT, Traité de Droit international
public : Le Droit de la paix, Tome I, Paris, Dalloz, 1950, p. 373
28 T. FURAHA, Op. cit., p. 8.
29B. BROMS, The definition of agression,
RCADI, Tome 1, 1977, p. 307.
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«à s'abstenir de toute acte qui pourrait
constituer une menace d'agression contre un autre Etat ». L'article 10 du
Protocole qualifiait d'agresseur tout Etat qui aurait recours à la
guerre en violation du Pacte ou du Protocole. Dans l'hypothèse des
hostilités, selon ce protocole, tout État participant
était présumé agresseur, sauf décision contraire du
Conseil de la Société des Nations. Si un agresseur venait
à être déterminé par le Conseil, celui-ci lui
appliquait en premier des sanctions, puis tous les membres signataires
pouvaient exercer des droits de belligérance contre lui. Lors des
débats à l'Assemblée de la Société des
Nations sur le Protocole de Genève, celui-ci a été
critiqué pour n'avoir pas fait de la prise de décision du Conseil
une véritable puissance en créant un procédé trop
automatique d'application30.
Bien que le retrait des grandes puissances du Pacte de la SdN
aient privé à la Société la capacité de mise
en oeuvre de ses directives, l'on peut noter de ce qui précède
que la première guerre mondiale aura été le moment
à partir duquel s'était mis en place le mécanisme qui a
conduit à considérer la guerre d'agression comme
illicite31.
Cette prise de conscience s'inscrit dans le mouvement
général qui va mener à l'adoption le 27 août 1928 du
Pacte Briand-Kellog.
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