CHAPITRE
II. LA RESPONSABILITE PENALE INDIVIDUELLE POUR
CRIME D'AGRESSION
Dans la catégorie des crimes qui relèvent de la
compétence de la CPI, l'agression s'identifie comme un crime à
part. En effet, l'agression se distingue des autres crimes internationaux
à trois égards.
D'abord, il doit être le fait d'un dirigeant,
c'est-à-dire d'une personne qui est en position de «
contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un Etat »
(art. 8 bis, §1 du Statut de Rome).
Ensuite, un acte internationalement illicite de l'Etat doit
avoir été constaté par le Conseil de
sécurité des Nations Unies (art. 39 CNU), c'est-à-dire un
emploi illégal de la force en violation de l'article 2-4 de la Charte
des Nations Unies.
Enfin, l'article 8 bis précise que l'acte doit
« par sa nature, sa gravité, et son ampleur constituer une
violation manifeste de la Charte des Nations Unies ».
Le présent chapitre se propose d'étudier les
éléments constitutifs du crime d'agression (Section 1) tels
qu'arrêtés à Kampala, avant d'aborder la question de la
responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression
(Section 2) qui vise les hauts dirigeants étatiques et les
supérieurs hiérarchiques. Le point sera fait sur les
immunités des dirigeants comme obstacle à l'action
répressive du crime d'agression et proposer enfin certaines pistes de
solution (Section 3).
Section I. LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU CRIME
D'AGRESSION
La mission de la répression du crime d'agression
assignée à la CPI passe nécessairement par la
détermination de ses éléments, car ces derniers aident la
Cour à interpréter et appliquer l'article 8
bis160.
Il semble alors important de consacrer le développement
de cette section à l'étude des éléments
constitutifs du crime d'agression à savoir l'élément
matériel (§1), l'élément personnel (§2) et
l'élément moral (§3), outre l'élément
légal qui, bien entendu, ressort de l'article 8 bis du Statut
de Rome.
160Lire en ce sens l'Article 9 du Statut de Rome.
Déjà cité.
43
§1. Elément matériel du crime
d'agression
L'élément matériel c'est le fait
extérieur par lequel le crime se révèle ou prend
corps161. On l'appelle aussi corpus delicti. Pour exister
le crime doit être matérialisé par un acte. Le plus
souvent, il s'agit d'un acte interdit par la loi (infraction de commission),
mais il peut aussi s'agir de l'omission d'accomplir un acte prescrit par la loi
(l'infraction d'omission) ou alors l'hypothèse de la commission par
omission qui est un crime de commission d'après sa définition
légale, mais qui, concrètement, se réalise par
omission162.
Les Statuts des TMI de Nuremberg et de Tokyo supposaient comme
éléments constitutifs du crime contre la paix: la guerre
d'agression et l'acte d'agression163, mais sans expliquer ces
termes.
Dans la Résolution 3314 (XXIX), les concepts de guerre
d'agression sont utilisés une seule fois, sans qu'il ne soit
expliqué si la guerre d'agression est envisagée là comme
un élément matériel du crime d'agression. Aux termes de
cette Résolution, « une guerre d'agression est un crime contre la
paix internationale »164. N'est-ce pas là une simple
qualification qui n'implique pas définition ?
Lors de la Conférence de l'AEP tenue à Kampala
en juin 2010, l'on n'avait pas pu déterminer ce qu'est une guerre
d'agression, et à partir de quels critères il pouvait être
décidé qu'une guerre était une guerre d'agression. Devant
la difficulté de faire un bon usage de cette notion, l'on avait
estimé sage de la mettre de côté165 pour ne
considérer que comme constitutif du crime d'agression « l'acte
d'agression ».
L'acte d'agression
Nombreux sont ceux qui ont estimé, lors des sessions de
l'AEP, que le crime d'agression était indissolublement lié
à la commission d'un acte d'agression166. Ce qui a
suscité la question de savoir si les dispositions contenues dans la
résolution 3314 pourraient-
161 N. Mwene SONGA, Droit Pénal General
Congolais, Kinshasa, Ed. DES, 2007, p. 144.
162Idem, p. 145.
163 V.M. METANGMO, Op. cit., p. 300.
164Article 5 point 2 de la Résolution 3314
(XXIX).Déjà citée.
165 V. WILMSHURST (E.) , « Definition of the Crime of
Aggression: State Responsibility or Individual
Criminal Responsibilty ? », cité par V.M.
METANGMO, Op. cit., p. 313.
166ICC-ASP/4/SWGCA/INF.1 29 juin 2005, p. 10, AEP,
quatrième session, Note du Secrétaire. Disponible en
ligne sur
https://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/library/asp/ICC-ASP-4-SWGCA-INF1_French.pdf.
Visité le
26 avril 2016.
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elles cependant être reprises sans difficultés
dans le cadre de la détermination des éléments
matériels constitutifs du crime d'agression, cette fois-ci crime
individuel ?
La réponse à cette question semble positive et
tirant argument du fait qu'on disposait d'un élément
matériel précis du crime d'agression déjà bien
spécifié dans la résolution 3314, élément
qui, contrairement à la guerre d'agression, était défini
dans la résolution et qu'il était donc judicieux de s'en servir
comme point de départ, et qui a également été
utilisé comme point de référence dans les travaux de la
CDI sur le Projet de code des crimes contre la paix et la
sécurité de l'humanité167.
Par définition, l'acte d'agression s'entend comme
l'emploi par un État de la force armée contre la
souveraineté, l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un autre État, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des Nations Unies168. En
plus de la violation des droits fondamentaux d'un Etat, la définition
ci-haut ajoute un autre élément qui serait la violation de la
Charte de Nations-Unies, se justifiant par la volonté d'« exclure
l'emploi de la force en application de l'Article 51 de la Charte, à
savoir au nom de la légitime défense, ou en application du
Chapitre VII de la Charte »169, cas dans lesquels il y a bien
utilisation de la force sans violation de la Charte.
Un acte, pour être qualifié d'acte d'agression,
doit posséder un certain degré de gravité170.
En effet, le critère de gravité est considéré par
la jurisprudence et de nombreux auteurs comme un élément objectif
permettant de classer ou non l'acte dans la catégorie des actes
d'agression.
Pour la CIJ, l'envoi par un État de bandes
armées sur le territoire d'un autre État peut constituer une
agression armée, s'il s'agit d'une opération de grande ampleur,
et non d'une simple assistance apportée aux rebelles, tout comme des
manoeuvres militaires ou l'envoi de fonds ou d'armements à des
rebelles171.
On peut s'accorder de croire que le juge pénal prendra
en compte la gravité et l'ampleur de l'acte, qui sont des
considérations de droit et non des considérations politiques
pour
167 ICC-ASP/5SWGCA/INF.1, 5 septembre 2005, p.5. Réunion
informelle intersession du Groupe de travail
spécial sur le crime d'agression. Disponible en ligne
https://www.icc- cpi.int/iccdocs/asp_docs/library/asp/ICC-ASP-5-INF1_French.pdf.
visité le 28 avril 2016.
168 Article 8 bis point 2 du Statut de Rome, dans
Résolution RC/Res.6. Précitée
169 ICC-ASP/6/SWGCA/2, 14 mai 2008, p.3. Document de travail
sur le crime d'agression proposé par le Président
(révision de juin 2008). Disponible en ligne sur
https://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/library/asp/ICC-ASP-6-SWGCA-2_French.pdf.
visité le 26 février 2016.
170 V. M. METANGMO, Op.cit., p. 327.
171 CIJ, arrêt Nicaragua, précité, §195,
p. 103.
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déterminer la nature de l'acte, c'est-à-dire
pour déterminer si on est ou non face à un acte
d'agression172.
Dans l'Affaire des activités armées sur le
territoire congolais, l'intervention militaire illicite de l'Ouganda a
été d'une ampleur et d'une durée telles que la Cour la
considère comme une violation grave de l'interdiction de l'emploi de la
force énoncée au paragraphe 4 de l'article 2 de la Charte des
Nations Unies173.
En effet, dans le texte finalement adopté à
Kampala en juin 2010 (art. 8 bis, alinéa 1), il est bien
noté que l'acte d'agression constitue, du fait de sa nature, de sa
gravité et de son ampleur, une violation « manifeste » de la
Charte des NU174.
Qu'il y ait ou non déclaration de guerre, les actes
suivants sont des actes d'agression au regard de la résolution 3314
(XXIX) de l'Assemblée générale des Nations Unies en date
du 14 décembre 1974 :
L'invasion ou l'attaque par les forces armées d'un
État du territoire d'un autre État ou l'occupation militaire,
même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle
attaque, ou l'annexion par la force de la totalité ou d'une partie du
territoire d'un autre État ;
Le bombardement par les forces armées d'un État
du territoire d'un autre État, ou l'utilisation d'une arme quelconque
par un État contre le territoire d'un autre État ;
Le blocus des ports ou des côtes d'un État par
les forces armées d'un autre État ; L'attaque par les forces
armées d'un État des forces terrestres, maritimes ou
aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d'un autre
État ;
L'emploi des forces armées d'un État qui se
trouvent dans le territoire d'un autre État avec l'agrément de
celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l'accord
pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce
territoire après l'échéance de l'accord pertinent ;
Le fait pour un État de permettre que son territoire,
qu'il a mis à la disposition d'un autre État, serve à la
commission par cet autre État d'un acte d'agression contre un
État tiers ;
L'envoi par un État ou au nom d'un État de
bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés
qui exécutent contre un autre État des actes assimilables
à ceux de forces
172 Opinion individuelle du juge Simma dans l'arrêt RDC c.
Ouganda, p. 1, § 2 et 3. In KRESS (C.) et Von HOLTZENDORFF L., « The
Kampala Compromise on the Crime of Aggression » cité par V. M.
METANGMO, Op.cit., p. 335.
173 CIJ, Arrêt RDC c. Ouganda, précité,
§ 165.
174Article 8 bis point 1 du Statut de Rome, in
Résolution RC/Res.6., Amendements au Statut de Rome de la Cour
pénale internationale relatifs au crime d'agression, Kampala, 11 juin
2010. Déjà cité.
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armées d'une gravité égale à celle
des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours
substantiel à de tels actes175.
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