ANNEE ACADEMIQUE 2015-2016
UNIVERSITE CATHOLIQUE DE BUKAVU
U.C.B.
B.P. 285 BUKAVU
FACULTE DE DROIT
Le crime d'agression en droit international
pénal : Portée et enjeux
de la révision de Kampala
Mémoire présenté en vue de
l'obtention du diplôme de licencié en Droit
Option Droit Public
Par LUNGWE FATAKI Olivier
Directeur : Prof. Dr. Moïse CIFENDE
Rapporteur : CC. LWANGO Thomas
I. Epigraphe
« Le véritable agresseur est celui qui rend la
guerre inévitable. »
Taine, Lettre à John Durand,
7 septembre 1870
II
II. Dédicace
A tous ceux qui nous aiment bien.
III
III. Remerciements
Le présent travail certes fruit de nos recherches
scientifiques, n'a été mené à bon port que
grâce aux contributions de diverses personnes que nous tenons à
remercier dans les lignes qui suivent.
C'est ici l'occasion pour nous de remercier notre directeur,
le Professeur Moïse CIFENDE dont l'encadrement et la bienveillance nous
ont été satisfaisants.
Nos remerciements s'adressent également au
Chargé des Cours LWANGO Thomas et à l'Assistant MULONDA BWAMI
Faustin pour leur disponibilité et pour l'ensemble des conseils
prodigués au cours de la rédaction de ce mémoire.
Nous remercions particulièrement nos chers père
et mère pour tant de sacrifices supportés durant notre parcours
scolaire et académique.
Nos gratitudes s'adressent de manière solennelle
à notre Oncle maternel, NGANYA Jean-Jacques De Christ, pour le soutien
tant matériel que moral. Que ce travail soit pour lui la prime
exceptionnelle de sa générosité.
A vous tous frères et soeurs BALEKE FATAKI, NDOBORO
FATAKI Pelé, BYAMASU FATAKI, KIPENDAROHO FATAKI Elisabeth, NAMALENDE
FATAKI, ANUARITE FATAKI, NEMAN KAPOKA, MWENEBINGI ALEPEMBWE Doddy, KAPOKA
NAKALIMA Fanuel, Joseline KAPOKA et IMANI AIME, nous disons merci pour vos
encouragements.
A nos chers camarades et amis ALLY RAMAZANI, Anne-Marie SIMBI,
PASSY KITABAZI, Trésor MWAMBA, Salomon ZIGASHANE, LUMONA IKYENGELO Ley,
DEBABA LUFIRA Patient, Blaise ZIRIMWABAGABO, Blaise NAKISHUKA, SHUKURU
KYALONDAWA Théophile, Benjamin MUJINJI, CIZA MAKUNGU Christian,
MULANGALIRO Patrice et ECA NEMBA Marie Claire, merci pour tout.
A tous ceux dont la contribution a été de
près ou de loin pour ce travail, nous disons infiniment merci.
LUNGWE FATAKI Olivier
IV
IV. Sigles et abréviations
AEP AFDI AGNU
Al.
Art.
C.
CC CDI CIJ CPI CPJI CSNU
DIP
Ed.
: Assemblée des Etats Parties
: Annuaire Français de Droit International
: Assemblée Générale des Nations-Unies
: Alinéa
: Article
: Contre
: Chargé des Cours
: Commission de Droit International
: Cour Internationale de Justice
: Cour Pénale Internationale
: Cour Permanente de Justice Internationale
: Conseil de Sécurité des Nations-Unies
: Droit International Public
: Editions
Fac. : Faculté
GTSCA ICC IRSEM Jug. N-U L2 MLC
: Groupe de Travail Spécial sur le Crime d'Agression
: International Criminel Court
: Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole
Militaire
: Jugement
: Nations Unies
: Deuxième année de Licence
: Mouvement de Libération du Congo
Nur. : Nuremberg
RDC / R.D. Congo : République Démocratique du
Congo
ONU : Organisation des Nations-Unies
Op. cit. : Opere citato
p.
PUF RCA RCADI RGDIP RPP
: Page
: Presses Universitaires Françaises
: République Centrafricaine
: Recueil des Cours de l'Académie de Droit
International
: Revue Générale de Droit International Public
: Règlement de Procédure et de Preuve
V
Sect. : Section
TMI TPI TPIR TPIY UCB ULB Vol.
SdN : Société des Nations
: Tribunal Militaire International
: Tribunal Pénal International
: Tribunal Pénal International pour le Rwanda
: Tribunal Pénal International pour l'ex Yougoslavie
: Université Catholique de Bukavu
: Université Libre de Bruxelles
: Volume
- 1 -
INTRODUCTION
I.1. Problématique
Le crime d'agression est l'un de quatre crimes internationaux
relevant de la compétence ratione materiae de la Cour
Pénale internationale qui, aux termes de son Statut, n'est
compétente, ratione personae, qu'à l'égard des
personnes physiques1. Pourtant, à en croire Maurice Kamto,
l'agression fait partie de ces actes de violation grave du droit commis par les
individus au nom de l'Etat2.
Il est indiqué de noter que, dans l'ordre
international, la violence entre Etats, en particulier le
recours à la force armée, constitue une interdiction
formelle3.
Ceci dit, est-il encore nécessaire de souligner
qu'avant la première guerre mondiale comme sous l'empire du
Traité de Versailles de 1919, la licéité de la
guerre4 était considérée comme le corollaire de
la souveraineté des Etats (...), qui, pour les plus grands et les plus
puissants, ont été souvent assez réticents à
accepter toute limitation de leur droit de recours à la
guerre5, débouchant notamment à des guerres
d'agression.
Au regard de l'article 10 du Pacte de la Société
des Nations6, l'ambition était de punir les actes d'agression
et les Etats agresseurs ; cependant, aucune définition de l'agression
1Voir l'article 25, par. 1 du Statut de la Cour
Pénale Internationale. Disponible en ligne sur
http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/6A7E88C1-8A44-42F2-896F-D68BB3B2D54F/0/Rome_Statute_French.pdf
Visité le 20 novembre 2015.
2 M. KAMTO, l'agression en droit
international, Paris, Ed. A. Pedone, 2010, p. 278.
3 Au sens de l'article 2 point 4 de la Charte des
Nations-unies, « les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs
relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi
de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
4 P. REUTER, Institutions internationales,
Paris, PUF-THEMIS, 1962, p. 148.
5V. M. METANGMO, Le crime d'agression :
recherches sur l'originalité d'un crime à la croisée du
droit international pénal et du droit international du maintien de la
paix, Law. Université du Droit et de la Santé - Lille II,
2012. P. 22. V. M. METANGMO, Le crime d'agression : recherches sur
l'originalité d'un crime à la croisée du droit
international pénal et du droit international du maintien de la
paix, Thèse, Law. Université du Droit et de la Santé
- Lille II, 2012. Disponible en ligne sur
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00790864/document
Visité le 1er décembre 2015.
6 Cet article dispose que « les membres de la
SdN s'engagent à respecter et à garantir contre toute agression
extérieure l'intégrité territoriale et
l'indépendance politique présentes de tous les Etats membres de
la Société ».
- 2 -
n'était unanimement acceptée7.
Partant, les Etats étaient restés réticents à
qualifier une situation d'agression ou alors à réprimer le crime
d'agression.
En effet, la Charte des Nations unies confie au Conseil de
sécurité le pouvoir de constater l'existence d'une menace contre
la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression ...8.
Néanmoins, la Charte ne précise pas ce qu'il faut entendre par le
terme « agression ». C'est pourquoi une définition juridique
s'est révélée non seulement souhaitable, mais aussi
nécessaire.
Comme acte de l'Etat et engageant la responsabilité de
celui-ci9, une définition de l'agression sera, en 1974,
coulée dans la résolution 3314 (XXIX)10. A ce propos,
il appert cependant que la détermination de l'auteur d'un tel acte ne va
pas sans difficulté, d'autant plus que l'Etat agresseur n'agit pas
toujours directement par lui-même.
En revanche, outre l'incrimination du crime contre la paix,
imputable à l'individu, par l'Accord de Londres du 8 août
194511, la question de l'agression comme crime individuel s'est
posée avec une particulière acuité à la
Conférence de Rome de juillet 1998 sur le Statut de la CPI12.
Les Etats n'étaient pas parvenus à se mettre d'accord sur une
définition de l'agression en tant que crime particulier ; partant, la
CPI ne pouvait donc pas poursuivre ce crime bien que prévu dans son
Statut entré en vigueur le 1er juillet 2002.
Pour W. Bourdon et E. Duverger, les contours exacts de cette
qualification juridique demeurait alors à préciser pour la simple
raison qu'il s'agit bien évidement du crime international par nature le
plus politique, si bien que les Etats ont toujours eu la préoccupation
obstinée de n'être jamais liés par une quelconque
définition afin de conserver les mains libres,
(...)13.
De son coté, S. Zappala opine que les
difficultés concernant la définition du crime d'agression
continuaient d'exister pour une double raison : d'une part, à cause de
l'incertitude
7 T. FURAHA, Notes de Cours de Droit de la
Sécurité internationale, Université Catholique de
Bukavu, Fac Droit, L2, 2014-2015, inédit, p. 9.
8 Article 39 de la Charte de l'ONU, Dans M. CIFENDE
KACIKO et S. SMIS, Code du droit international africain, Bruxelles, de
Boeck et Larcier, 2011, pp. 5-24.
9 M. KAMTO, Op. cit., p. 275.
10Aux termes de l'article premier de cette
Résolution, l'agression est comprise comme « l'emploi de la force
armée par un Etat contre la souveraineté,
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un
autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des
Nations Unies ».
11 L'article 6 point a définit le Crime contre la paix
comme « la direction, la préparation, le déclenchement ou la
poursuite d'une guerre d'agression ou d'une guerre en violation des
traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation
à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement
de l'un quelconque des actes qui précèdent ».
12 M. KAMTO, Op. cit, p. 274.
13W. Bourdon et E. Duverger, Cour pénale
internationale, le Statut de Rome, Paris, Ed. du Seuil, 2000, p. 37.
- 3 -
sur l'admissibilité de la légitime
défense préventive, et d'autre part, à cause des
problèmes concernant le rôle que doit jouer le Conseil de
sécurité de l'ONU afin d'établir qu'un acte d'agression a
eu lieu14.
Qui plus est, Eric David lui renseigne que la vraie raison est
claire : l'agression est une infraction trop grave pour que sa poursuite soit
laissée à l'appréciation discrétionnaire d'un
« simple » procureur, (...) les grandes puissances n'avaient pas
voulu instituer un procureur en forme d'« électron libre »
pour des faits qui relèvent de leurs choix politiques les plus
fondamentaux15.
Pour en finir, après de longues discussions techniques
et négociations politiques qui ont duré une dizaine
d'année, renseigne Maurice Kamto, le Groupe de travail spécial
sur le crime d'agression proposa à l'Assemblée des Etats parties
(AEP) au Statut de Rome une définition du crime d'agression. C'est ainsi
que l'AEP l'adopta enfin lors de la Conférence de révision du
Statut de la CPI qui a eu lieu à Kampala du 31 mai au 11 juin 2010.
Aux termes de la Résolution de Kampala16, le
crime d'agression est entendu comme « la planification, la
préparation, le lancement ou l'exécution par une personne
effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou
militaire d'un État, d'un acte d'agression qui, par sa nature, sa
gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte
des Nations Unies17». Dans ce sens, l'«acte
d'agression» est entendu ici comme l'emploi par un État de la force
armée contre la souveraineté, l'intégrité
territoriale ou l'indépendance politique d'un autre État, ou de
toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations
Unies18.
Il n'en demeure pas moins qu'en observant la définition
ci-dessus, l'on remarque que d'une part le crime d'agression est défini
par allusion au crime contre la paix dans le Statut du TMI de
Nuremberg19, et d'autre part l'acte d'agression s'inspire de la
Résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale de
Nations-Unies20. Force est alors de se poser la question
14S. ZAPPALA, La justice internationale,
Paris, Ed. Montchrestien, 2007, p. 49. 15 E. David, La Cour
Pénale Internationale, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 371.
16Résolution RC/Res.6, treizième séance
plénière, 11 juin 2010.Disponible en ligne sur
https://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/Resolutions/RC-Res.6-FRA.pdf.
Visité le 02 mars.
17 Article 8 bis point 1 du Statut de
Rome. Disponible en ligne sur
http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/6A7E88C1-8A44-42F2-896F-D68BB3B2D54F/0/Rome_Statute_French.pdf
18 Article 8 bis point 2 du Statut de Rome.
Déjà cité.
19 Voir Article 6 par 1. a et par 2 du Statut du
TMI de Nuremberg. Dans Telford TAYLOR, Les procès de Nuremberg :
Crimes de guerre et droit international, Paris, Bulletin de conciliation
international N0 450, Avril 1949, p. 150.
20 Voir Article 1er de la
résolution 3314. Dans M. CIFENDE KACIKO et S. SMIS, Code du droit
international africain, Bruxelles, de Boeck et Larcier, 2011, p. 89.
- 4 -
de savoir quel est l'apport de l'Assemblée des Etats
parties au Statut de Rome dans la réforme de la définition du
crime d'agression ?
En d'autres termes :
Existe-t-il une différence de fond entre le concept
d'agression contenu dans la Résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée
Générale des NU et l'Article 8 bis du Statut de Rome
?
Si l'agression est le crime d'Etat par excellence, comment
établir la responsabilité pénale individuelle ?
I.2. Hypothèses
Au vu des questions ci-dessus posées, nous proposons
des hypothèses suivantes susceptibles d'être nuancées,
confirmées ou infirmées :
- La définition du concept d'agression
arrêtée dans la Résolution 3314, considère le crime
d'agression comme imputable à l'Etat, supposant la responsabilité
de celui-ci ; tandis que celle donnée par l'article 8 bis du
Statut de Rome de la CPI, prend pour responsable du crime d'agression une
personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action
politique ou militaire d'un Etat.
- L'incrimination individuelle de l'agression reste en effet
strictement reliée à l'acte de l'État dans la mesure
où il vise à réprimer un phénomène
étatique, le recours à la guerre, directement ordonné et
planifié par les hautes autorités politiques et militaires de
l'État. Ce raisonnement parait conforter les prescrits de l'article 25
par 3.b du Statut de Rome qui veulent que soit pénalement responsable la
personne qui aurait ordonné, sollicité ou encouragé la
commission d'un tel crime, dès lors qu'il y a commission ou tentative de
commission de ce crime.
I.3. Méthodologie
Pour mener à bien cette étude, nous allons
utiliser une méthodologie incarnant les méthodes qui seront
soutenues par une technique.
- Les méthodes : Dans ce travail, nous
allons faire usage de la méthode juridique qui nous permettra d'analyser
la Résolution 3314 ainsi que le Statut de Rome tel que
révisé à Kampala en vue d'étudier la
définition de l'agression dans ces instruments. En utilisant cette
méthode, nous recourrons à ses approches historique et
comparative.
- 5 -
L'approche historique nous servira dans la mesure où un
passage en revue de l'histoire de la considération de l'agression sur le
plan international s'impose afin de bien comprendre son incrimination dans le
Statut de Rome.
L'approche comparative nous permettra de rechercher les
différences et les ressemblances entre la Résolution 3314 (XXIX)
et le Statut de Rome révisée en rapport avec le crime
d'agression.
- Les techniques :
En application de la méthode ci-haut indiquée,
nous recourrons à la technique documentaire par laquelle nous
consulterons des oeuvres doctrinales et autres documents nécessaires au
traitement adéquat de cette thématique.
I.4. Choix et intérêt du sujet
La réforme du crime d'agression arrêtée
à Kampala en 2010, a suscité en nous un intérêt
d'étudier sa portée et ses enjeux.
Notre travail présente un triple intérêt
à la fois scientifique, social et pédagogique :
Sur le plan scientifique, nous comptons, à l'occasion
cette étude, apporter notre modeste contribution sur la question de la
répression de l'individu pour un crime, réputé crime
d'Etat par excellence.
Sur le plan social, ce travail traite en soi d'une
problématique historique et juridique préoccupante pour les
sociétés humaines face à la guerre. Dans ce sens, il
permet au lecteur de comprendre la conséquence pénale de
l'agression étatique sur la personne des hauts dirigeants politiques et
militaires.
Sur le plan pédagogique, ce travail nous permettra
d'approfondir les leçons apprises dans les cours de droit international
public, droit international humanitaire et droit international pénal.
21G. BALLEYGUIER, cité par A. BASHIZI,
La compétence de la CPI dans la poursuite des personnes jouissant de
qualité officielle, Mémoire, UCB, Fac. Droit, L2, 2006-2007,
Inédit, p.6.
- 6 -
I.5. Délimitation
Tout chercheur étant forcément
limité21, nous n'allons pas aborder cette étude dans
le sens d'une responsabilité de la personne morale de l'Etat où,
à défaut de la condamnation pénale, on soumettait celui-ci
à la réparation ou à la garantie de non
répétition. Nous allons circonscrire cette étude sur le
plan matériel, spatial et temporel.
Sur le plan matériel, cette étude se penchera
sur les notions de l'agression consacrées par la Résolution 3314
(XXIX) et le Statut de Rome révisée en rapport avec le crime
d'agression.
Le cadre spatial de cette étude se limite sur Kampala,
où a été adoptée la définition du crime
d'agression dans le cadre du Statut de Rome. Ceci ne voudrait nullement dire
que nous ne pourrons nous référer à d'autres cas pratiques
d'ailleurs pour enrichir ce travail.
Sur le plan temporel, outre les récits sommairement
historiques des instruments juridiques réglementant l'agression mis en
place depuis 1919 (Traité de Versailles) pour les guerres d'agression ou
le crime contre la paix (Statut des TMI : 1945), ce travail prendra en compte
la date d'entrée en vigueur du Statut de Rome, le 01 juillet 2002,
jusqu'à nos jours où il a été décidé
depuis juin 2010 à Kampala de l'incrimination individuelle de
l'agression.
I.6. Esquisse du plan
Le présent travail connait deux chapitres, outre
l'introduction et la conclusion qui en constituent des éléments
intégrants.
Le premier chapitre est consacré à
l'étude comparative de la résolution 3314 (XXIX) et du Statut de
Rome révisé. Pour cerner la définition de l'agression
qu'il y a dans ces instruments juridiques, ce chapitre commencera par donner un
aperçu historique de la démarche tendant à incriminer
l'agression (Section I), puis étudiera le crime d'agression dans la
résolution 3314 (XXIX) (Section II) et dans le Statut de Rome
révisé (Section III).
Le second chapitre se propose d'analyser la
responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression. Pour y
arriver, les éléments constitutifs du crime d'agression seront
donnés (Section I) avant d'aborder la responsabilité
pénale individuelle pour crime d'agression, (Section II). Ici, nous
terminerons en parlant des immunités des dirigeants comme obstacle
à la répression du crime d'agression et en proposant certaines
pistes pour la répression efficace du crime d'agression par la CPI
(Section III).
- 7 -
CHAPITRE 1. LE CRIME D'AGRESSION : ETUDE COMPARATIVE DE
LA RESOLUTION 3314 (XXIX) ET DU STATUT DE ROME REVISE
La méthode comparative doit, pour être valide,
fournir des renseignements qui portent sur des phénomènes ou des
situations comparables22. Dans le cas d'espèce, il s'agit de
comparer deux instruments juridiques, en vigueur en droit international,
à savoir la Résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée
générale de l'ONU (Section 2) et le Statut de Rome
révisé (Section 3) qui, tous, consacrent une définition du
crime d'agression,
Cependant, est-il utile, dans le cadre de ce chapitre, de
donner sommairement l'historique et l'évolution de la tendance vers
l'incrimination de l'agression pour l'appréhension de la
définition de l'agression consacrée dans ces deux instruments
(Section 1).
Section 1. APERÇU HISTORIQUE DE LA DEMARCHE
TENDANT A
INCRIMINER L'AGRESSION
Le Pacte de la SdN se contentait d'interdire les guerres
d'agression et celles déclarées à un Etat se conformant
à une décision arbitrale ou juridictionnelle ou encore à
une recommandation figurant dans un rapport du Conseil de la SdN23.
Le recours à la guerre ne faisait pas objet d'une interdiction totale
dans le système de la Société des Nations (§1).
Néanmoins, le traité de Versailles de 1919 comme, plus tard,
l'Accord de Londres de 1945 ont marqué une démarche tendant
à incriminer l'agression (§2).
§1. L'agression dans le système de la
Société des Nations
Lors de la fondation de la Société des Nations,
en 1919, l'agression était une conception juridique nouvelle. Ceci est
vrai dans la mesure où l'acception de l'agression en soi
échappait à la réalité juridique de cette
période. Néanmoins, plusieurs tentatives d'établir une
définition d'agression ont eu lieu, malheureusement handicapées
par le rejet du Traité de Versailles par certaines grandes
puissances24, dont les Etats-Unis d'Amérique.
Les lignes qui suivent montreront la manière dont le
système de sécurité collective était conçu
dans le Pacte de la SdN (a) et dans le Pacte Briand-Kellog (b).
22 A. NYALUMA, Notes de Cours d'Initiation
à la recherche scientifique, UCB, Fac. Droit, G2, 2013-2014,
inédit, p. 36.
23 V. M. METANGMO, Op. cit., p. 22.
24T. FURAHA, Op. cit., p. 2.
- 8 -
a. L'agression dans le Pacte de la
Société des Nations
Nonobstant sa condamnation ferme de la guerre d'agression, le
Pacte de la SdN25 (1919) ne prohibait pas radicalement le recours
à la force armée26.
Aux termes de l'article 10 du Pacte, « les membres de
la SdN s'engagent à respecter et à garantir contre toute
agression extérieure l'intégrité territoriale et
l'indépendance politique présentes de tous les Etats membres de
la Société. En cas d'agression, de menace ou de danger
d'agression, le Conseil avise aux moyens d'assurer l'exécution de cette
obligation ».
A en croire Marcel Sibert, le Pacte de la
Société des Nations supposait que serait agresseur, tout membre
de la Société qui, à l'occasion d'un conflit avec un autre
membre, aurait employé la force des armes sans recourir au
préalable aux moyens de solution pacifique prévus et
organisés par les convenants27.
A la lumière de l'article 10 du Pacte de la SdN, il
ressort un double engagement du respect de l'intégrité
territoriale et de l'indépendance politique des Etats, qui constitue le
fondement de la sécurité collective. La SdN privilégiait
un système de sécurité de tous les Etats contre
l'agression28. L'article 11 du Pacte dispose à ce sujet que
« toute guerre ou menace de guerre, qu'elle affecte directement ou non
un des membres de la SdN, intéresse la Société tout
entière et celle-ci doit prendre les mesures propres à
sauvegarder efficacement la paix des Nations ».
L'on remarquera que le Pacte tentait de prévenir les
différends par des méthodes de règlement pacifique, telles
l'arbitrage, la décision judiciaire, l'intervention du Conseil ou de
l'Assemblée de la SdN. L'article 16 prévoyait le recours aux
mesures coercitives qui pouvaient prendre la forme des sanctions
économiques, politiques et militaires contre un Etat agresseur.
En date du 2 Octobre 1924, renseigne Bengt Broms,
l'Assemblée de la Société des Nations avait adopté
un Protocole qui régissait le règlement pacifique des
différends internationaux29. A l'article 8, paragraphe 1 de
ce protocole, les signataires s'étaient engagés
25Voir les articles 10 et 12 du Traité de
Paix de Versailles entre les Puissances alliées et associées et
l'Allemagne, du 28 juin 1919.Dans E. DAVID et alii, Code de droit
international humanitaire, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 366.
26 M. CIFENDE, Notes du Cours de Droit
international Public, UCB, Fac Droit, G3, 2013-2014, inédit, p.
196.
27 M. SIBERT, Traité de Droit international
public : Le Droit de la paix, Tome I, Paris, Dalloz, 1950, p. 373
28 T. FURAHA, Op. cit., p. 8.
29B. BROMS, The definition of agression,
RCADI, Tome 1, 1977, p. 307.
- 9 -
«à s'abstenir de toute acte qui pourrait
constituer une menace d'agression contre un autre Etat ». L'article 10 du
Protocole qualifiait d'agresseur tout Etat qui aurait recours à la
guerre en violation du Pacte ou du Protocole. Dans l'hypothèse des
hostilités, selon ce protocole, tout État participant
était présumé agresseur, sauf décision contraire du
Conseil de la Société des Nations. Si un agresseur venait
à être déterminé par le Conseil, celui-ci lui
appliquait en premier des sanctions, puis tous les membres signataires
pouvaient exercer des droits de belligérance contre lui. Lors des
débats à l'Assemblée de la Société des
Nations sur le Protocole de Genève, celui-ci a été
critiqué pour n'avoir pas fait de la prise de décision du Conseil
une véritable puissance en créant un procédé trop
automatique d'application30.
Bien que le retrait des grandes puissances du Pacte de la SdN
aient privé à la Société la capacité de mise
en oeuvre de ses directives, l'on peut noter de ce qui précède
que la première guerre mondiale aura été le moment
à partir duquel s'était mis en place le mécanisme qui a
conduit à considérer la guerre d'agression comme
illicite31.
Cette prise de conscience s'inscrit dans le mouvement
général qui va mener à l'adoption le 27 août 1928 du
Pacte Briand-Kellog.
b. L'agression et le Pacte Briand-Kellog
En date du 6 avril 1927, Aristide Briand, ministre
français des Affaires étrangères et
délégué de la France à la SdN de 1924 à
1932, avait proposé à son homologue américain Frank B.
Kellogg un pacte bilatéral par lequel les deux pays s'engageaient
à renoncer à la guerre comme moyen politique. Ainsi, le
Secrétaire d'État américain aux affaires
étrangères suggéra d'élargir ce pacte à
toutes les nations qui souhaiteraient y adhérer32.
Le Pacte de renonciation à la guerre, signé
à Paris, le 27 Août 1928, également connu sous
l'appellation de Briand-Kellog33, était conçu avec la
volonté de mettre définitivement la guerre hors la loi pour le
règlement des différends internationaux ...34. Son
objectif,
30 H. WEHBERG, Le Protocole de Genève,
Académie de Droit International, Recueil des cours, Vol. II, 1925, p.
45.
31T. NTAWIHA, la problématique de la
répression du crime d'agression par la CPI, Université libre
de Kigali, Fac. Droit, Mémoire, 2011. Disponible en ligne sur
www.memoireonline.com/12/13/8156/m_la-problématique-de-la-répression-d-u-crime-d-agression-par-la-Cour-Penal-international4.htlm.
Visité le 28 novembre 2015. 32 M. SIBERT, Op. cit,
p. 351.
33Disponible en ligne sur
https://www.uni-marburg.de/icwc/dateien/briandkelloggpact.pdf.
Visité le 1er décembre 2015.
34 P. D'ARGENT, Les réparations de guerre en droit
international public, Bruxelles/Paris,Bruylant/LGDJ, 2002, p.
433.
- 10 -
renseigne Robert Kolb, était de boucher les fissures du
Pacte de la Société des Nations qui n'interdisait pas la guerre
de manière générale35.
Ainsi, l'article premier du Pacte de Paris dispose que «
les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom de
leurs peuples respectifs qu'elles condamnent le recours à la guerre pour
le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant
qu'instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ».
Le Pacte de Briand-Kellog est, avant la deuxième guerre
mondiale, le texte qui marque le pas le plus décisif sur la voie de
l'interdiction de la guerre d'agression. Selon Maurice Kamto, le Pacte a, sur
ce point, seulement consacré une règle de droit coutumier au
reste étayée par quelques éléments d'une pratique
internationale qui s'est imposée progressivement36. Mais il a
également préparé l'étape suivante : celle de la
condamnation du recours à la guerre pour résoudre les
différends internationaux et l'obligation de régler tout
différend ou conflit par des moyens pacifiques.
Néanmoins, Le Pacte de 1928 contient certes encore
diverses lacunes. Par exemple, il n'interdit que la guerre, mais non pas
l'utilisation de la force en général : dès lors, il est
incertain si des opérations utilisant la force armée mais ne
tombant pas sous la qualification formelle de guerre ; parmi de telles
opérations, on peut citer des représailles armées, des
interventions armées, etc. Au rang de ces lacunes, Robert Kolb ajoute
que même la portée de l'épithète « comme
instrument de politique nationale » a donné lieu à diverses
interprétations, dont certaines ont tenté d'élargir
l'espace laissé à l'utilisation légale de la
violence37.
Certains Etats, dont Bolivie, El Salvador, Uruguay et
Argentine, n'étaient pas parties38 au pacte de Paris, mais,
reconnaissaient tout de même l'obligation de ne pas recourir à la
guerre et ont adhéré d'ailleurs à d'autres instruments
qu'on qualifiera d'analogue au Pacte de Paris.
Cette multiplication des pactes de non-agression conduira
à une situation d'accords bilatéraux et multilatéraux
entre Etats pour se protéger contre les agressions mutuelles. C'est le
cas notamment du Pacte Saavedra-Lamas de 1933 et du Pacte de non-agression
entre la
35 R. KOLB, Considérations générales
sur la violence et le droit international, In RGDIP, 2009, p. 36.
Disponible en ligne sur
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/2_27-44.pdf.
Visité le 23 janvier 2016.
36 M. KAMTO, Op., cit., p. 8.
37 R. KOLB, Op., cit., p. 37.
38Idem., p. 36.
- 11 -
France et l'Union soviétique, conclu le 29 Novembre
1932, a parlé de « l'agression terrestre, maritime ou
aérienne »39.
En dépit de l'absence de définition du crime
d'agression, le Traité de Versailles marquait déjà une
tendance vers les poursuites des individus pour guerre d'agression.
§2. Tendance vers l'incrimination individuelle de
l'agression
Le Traité de Versailles prévoyait des
dispositions envisageant les poursuites contre Guillaume II (a), ex-Empereur
allemand. Plus tard, l'issue de la deuxième Guerre Mondiale sera
l'occasion de renforcer les acquis au moment de juger les grands criminels de
guerre Nazis par le Tribunal militaire international de Nuremberg (b).
a. Tentative de poursuite contre Guillaume II
L'établissement du nouvel ordre international issu de
la première guerre mondiale a fait que le droit à la guerre, en
tant que prérogative souveraine de l'Etat, soit remis en
cause40.
Le Traité de Versailles du 28 juin 191941
fixait à son article 231, le principe de la responsabilité de
l'Allemagne et de ses alliés pour avoir poursuivi une guerre d'agression
et prévoyait, à son article 227, la mise en accusation devant un
Tribunal international de Guillaume II, ex-Empereur allemand. Il était
accusé, d'une part, d'avoir déclenché une guerre injuste,
violant ainsi les traités établissant la neutralité de la
Belgique et du Luxembourg, d'autre part, de violations du droit de la guerre
issu de la coutume internationale et des conventions de la Haye.
L'article 227 de ce Traité disposait : « les
Puissances alliées et associées mettent en accusation publique
Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d'Allemagne, pour offense
suprême contre la morale internationale et l'autorité
sacrée des traités. Un Tribunal spécial sera
constitué pour juger l'accusé en lui assurant les garanties
essentielles du droit de la défense. Il sera composé de cinq
juges, nommés par les cinq Puissances suivantes : les États-Unis
d'Amérique, la Grande Bretagne, la France, l'Italie et le Japon. Le
Tribunal jugera sur motifs inspirés des principes les plus
élevés de la politique entre les nations avec le souci d'assurer
le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi
que la
39 B. BROMS, Op. cit., p. 332.
40M. DUMEE, Le crime d'agression, in H.
ASCENSIO, E. DECAUX et A. PELLET, droit international pénal,
Paris, Ed. A. PEDONE, 2000, p. 254.
41Traité de Paix de Versailles. Dans E. DAVID
et alii, Op.cit., pp. 366-373.
- 12 -
morale internationale. Il lui appartiendra de
déterminer la peine qu'il estimera devoir être appliquée...
».
Néanmoins, les dispositions du Traité de
Versailles qui signalaient l'agression commise par l'Allemagne et qui rendaient
Guillaume II responsable, ne précisaient pas en quoi l'agression a
consisté, ni quels sont les actes constitutifs de cette agression qui
avaient permis de conclure à l'existence de l'infraction et à la
culpabilité et la responsabilité de Guillaume II. Ainsi,
qualifierait-on, la constatation de l'agression dans le traité de
Versailles d'un acte discrétionnaire d'un pouvoir politique, celui des
Alliés.
En réalité, le procès n'eut jamais lieu,
car le gouvernement des Pays-Bas, où s'était
réfugié entre temps Guillaume II, avait manifesté sa
détermination à ne pas l'extrader et, de fait, les Etats
vainqueurs n'avaient pas réclamé son extradition de
manière particulièrement pressante42. Ce qui a fait
que l'article 227 soit resté lettre morte43 mais, avec le
mérite d'être considéré comme le point de
départ de la mise en accusation d'un dirigeant ou responsable politique
pour une agression commise vis à vis d'autres États.
b. Les Antécédents des TM de Nuremberg et
de Tokyo
S'il n'a trouvé aucune application, l'article 227 du
Traité de Versailles constitue cependant une source féconde pour
d'intenses travaux de réflexion (...)44. La deuxième
Guerre Mondiale avait fait l'occasion des multiples violations humanitaires
dont les auteurs ne sauraient rester impunis.
Au cours de cette guerre, et en particulier avec les
déclarations de Moscou de 1943 et de Potsdam de 1945, les Alliées
(la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l'Union Soviétique)
avaient affirmé que les criminels de guerre des puissances de l'Axe
seraient punis de manière exemplaire à la fin du
conflit45.
Avec l'Accord de Londres du 8 aout 194546, les
Alliés formalisèrent la décision d'instituer un Tribunal
militaire, siégeant en Allemagne (Nuremberg), qui aurait comme tache de
juger les plus grands criminels de guerre Nazis. C'est ainsi qu'il a
été institué le Tribunal
42W. Bourdon et E. Duverger, Op. cit., p.
14.
43 Ibidem.
44 J.P. BAZELAIRE et T. CRETIN, La justice
pénale internationale, Paris, PUF, 2000, p. 16.
45S. ZAPPALA, La justice internationale,
Paris, Ed. Montchrestien, 2007, p. 55.
46Accord de Londres du 08/08/1945. Dans Telford
TAYLOR, Les procès de Nuremberg : Crimes de guerre et droit
international, Paris, Bulletin de conciliation international N0
450, Avril 1949, pp. 335-349.
- 13 -
militaire international (TMI) de Nuremberg en exécution
de l'Accord de Londres47. Un autre Tribunal militaire international,
plus connu sous la dénomination, de Tribunal de Tokyo, fut
constitué pour connaître des crimes commis en
Extrême-Orient. C'est un Décret, pris par le Général
Mac Arthur (Commandant suprême des Puissances Alliées en
Extrême-Orient) en date du 19 janvier 1946 et conformément
à la Conférence de Potsdam, qui avait institué le Tribunal
de Tokyo48.
A cet effet, la guerre d'agression est, pour la
première fois, qualifiée de crime « contre la paix » et
sanctionnée pénalement ; elle constitue, selon le Statut du
T.M.I. de Nuremberg, une infraction internationale à part
entière, et un fondement d'une responsabilité pénale
individuelle49.
L'Accord établissait la compétence
matérielle du tribunal en lui conférant pour mission de juger les
crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre
l'humanité. Se référant au paragraphe a de l'article 6 du
statut du tribunal militaire International, « il est soumis à la
juridiction du tribunal militaire international les crimes contre la paix :
c'est-à-dire la direction, la préparation, le
déclanchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre
en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la
participation à un plan concerté ou à un complot pour
l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui
précèdent50 ».
Au sens de cet article, le crime contre la paix était
envisagé de trois façons distinctes : - La direction, la
préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre
d'agression ;
- La guerre en violation des traités, assurances ou
accords internationaux ;
- La participation à un plan concerté ou
à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des cas
susvisés51.
Ayant tracé la voie de la responsabilité
pénale des chefs en tant que tels, l'Accord de Londres précisait
que les dirigeants, les organisateurs, les provocateurs ou les complices qui
auraient pris part à l'élaboration ou à l'exécution
d'un plan concerté ou d'un complot pour
47 Article 1 du Statut du Tribunal militaire international,
annexé à l'Accord de Londres du 08/08/1945. Dans Telford
TAYLOR, Op. cit., pp. 335-349.
48 L. CONDORELLI, cité par V. M.METANGMO,
Op. cit., p. 52.
49 H. ASCENSIO, E. DECAUX et A. PELLET, Op. cit.,
p. 251.
50 Article 6.a du Statut du Tribunal militaire
international. Dans Telford TAYLOR, Op. cit., p. 339.
51 J.P. BAZELAIRE et T. CRETIN, Op. cit.,p.
21.
- 14 -
commettre l'un quelconque des crimes ainsi
définis52 sont responsables de tous les actes accomplis par
toute personne en exécution de ce plan53.
L'article 7 insistait et excluait formellement que le fait
d'avoir été chef d'Etat ou d'avoir assumé des
responsabilités au niveau gouvernemental puisse être une excuse ou
une source d'atténuation des sanctions. Enfin, l'article 8 dispose que
le fait d'avoir agi conformément aux instructions de son gouvernement ou
d'un supérieur hiérarchique ne dégagera pas l'auteur de sa
responsabilité, mais pourra être considéré comme un
motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice
l'exige.
Sur le modèle du Statut du TMI de Nuremberg, le crime
contre la paix se décomposait en quatre phases distinctes qui
correspondaient à quatre incriminations autonomes. La participation
à elle seule suffisait pour engager la responsabilité
pénale de l'individu.
Deux critères prévalaient à la
détermination des auteurs de l'acte d'agression :
· le fait matériel de participer à un acte
d'agression, et
· le fait que cette participation ait été
intentionnelle et exécutée en connaissance de cause, dans le
cadre d'un plan ou politique d'agression54.
La définition du crime contre la paix ci-haut
donnée se rapportait à l'agression commise par des individus et
s'inscrivait dans une perspective du droit pénal international dont les
textes constitutifs de TMI furent les premières pierres importantes.
L'accord de Londres aura alors été un acquis
dans les suivants travaux sur la définition de l'agression qu'on
considérera d'une part comme crime de l'Etat dans la Résolution
3314(XXIX) et d'autre part comme crime de l'individu dans le Statut de Rome
révisé.
Section II. LE CRIME D'AGRESSION DANS LA RESOLUTION
3314 (XXIX)
Déjà au temps de la Société des
Nations, on avait tenté de définir l'agression.
À la Conférence des Nations Unies sur
l'Organisation internationale qui s'était tenue à San Francisco
du 25 avril au 26 juin 1945, plusieurs délégations avaient
proposé que le terme « agression », figurant au titre B du
chapitre VIII des propositions de Dumbarton Oaks (devenu par la suite le
Chapitre VII de la Charte), soit défini ou
expliqué55.
52En ce compris le crime contre la paix, le crime de
guerre et le crime contre l'humanité.
53Article 6 du Statut du TMI de Nuremberg.
Déjà cité.
54 H. ASCENSIO, E. DECAUX et A. PELLET, Op. cit.,
p. 259.
55United Nations Audiovisual Library of International
Law,Définition de l'agression: Résolution 3314 (XXIX)
de
l'assemblée générale, 2008, p. 1.
Disponible en ligne sur
www.un.org/law/avl.
Visité le 20 novembre 2015.
- 15 -
C'est ainsi que la résolution 378 (V) adoptée le
17 novembre 1950 décidera de charger la Commission du Droit
International (CDI) de l'ONU d'examiner le crime d'agression56 aux
fins d'en établir une définition. Cette commission
s'attèlera à l'élaboration d'une telle oeuvre à
partir de 1967 et y parviendra Sept ans plus tard, lorsque l'Assemblée
Générale des Nations-Unies adopta, en 1974, une définition
de l'agression. C'est l'avènement de la Résolution 3314
(XXIX)57.
Ceci dit, nous allons, en trois paragraphes, étudier la
portée de la Résolution 3314 (XXIX) (§1) qui donne une
définition de l'agression comme crime international de l'Etat (§2)
avant de considérer l'agression comme un fait internationalement
illicite de l'Etat (§3).
§1. Portée juridique de la Résolution
3314 (XXIX)
C'est près de trente ans après l'entrée
en vigueur de la Charte des Nations-Unies que l'Assemblée
Générale a adopté, le 14 décembre 1974, la
résolution 3314 (XXIX) à laquelle est jointe la définition
de l'agression. Cette technique de la formation de normes juridiques par des
méthodes parlementaires a été empruntée aux
systèmes démocratiques nationaux58. La
résolution 3314 (XXIX) a été adoptée
conformément à l'article 18 point 2 de la Charte des
Nations-Unies59.
De manière générale, les
résolutions de l'Assemblée générale des Nations
Unies n'ont pas comme telles force obligatoire60, car
considérées comme des recommandations. Néanmoins, Hubert
Thierry soutient qu'en vertu de la Charte, certaines résolutions ont
valeur de décision. Ce sont celles, par exemple, qui ont trait à
l'admission des membres ou à leur suspension ou à leur exclusion,
à l'élection du secrétaire général ou des
juges, à la désignation des membres non permanents du Conseil de
sécurité, etc.61
56M. BOKA, La Cour Pénale Internationale
entre droit et relations internationales, les faiblesses de la Cour à
l'épreuve de la politique des Etats, Thèse, Law,
Université Paris -Est, 2013, p. 35. Disponible en ligne sur
https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01022596/document.
Consulté le 03 février 2016.
57Résolution 3314 (XXIX) de 1974. Dans M.
CIFENDE KACIKO et S. SMIS, Op. cit., pp. 89-93.
58 H. Thierry, Cours général de
Droit international public: l'évolution du Droit international,
Académie de droit international, Recueil des cours, Tome 167, 1995, p.
43.
59 Cet article dispose que « les
décisions de l'Assemblée générale sur les questions
importantes sont prises à la majorité des deux tiers des membres
présents et votants. Sont considérées comme questions
importantes : les recommandations relatives au maintien de la paix et de la
sécurité internationales, l'élection des membres non
permanents du Conseil de sécurité, ... ».
60 M. CIFENDE, Op. cit., p. 200.
61 H. Thierry, Op. cit., p. 71.
- 16 -
Il est indiqué de noter que les Résolutions de
l'AG de l'ONU produisent par elles-mêmes un effet de droit. M. Virally
soutient cette thèse en arguant que les Etats ont eux-mêmes, en
signant le traité constitutif, en l'occurrence la Charte de l'ONU,
donné compétence à un organe international pour leur
proposer les moyens de remplir leurs obligations. La recommandation
formulée par cet organe, surtout si elle a été
adoptée à une forte majorité, doit être
réputée avoir donné une exacte interprétation de ce
qui est dû62.
In specie, l'on peut considérer la
Résolution 3314 (XXIX) comme relevant de ce que l'on qualifierait de
la soft law du fait de son absence de force juridique obligatoire pour
les États. L'Assemblée générale avait d'ailleurs
recommandé au Conseil de sécurité, lors de son adoption,
de s'y référer comme une sorte de « guide » pour
déterminer, conformément à la Charte, l'existence d'un
acte d'agression63.
Quoique dépourvue de force obligatoire
spécifique, la Résolution 3314 (XXIX) est
généralement tenue pour déclarative de droit
coutumier64, comme la CIJ ne l'a pas contesté dans l'affaire
des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua65.
§2. L'agression, Crime international de l'Etat
D'amblée, il y a lieu de signaler que la
Résolution 3314 (XXIX) a été adoptée en 1974, soit
29 après l'entrée en vigueur de la Charte des NU et tire son
fondement dans les lacunes de celle-ci qui parle de l'agression sans la
définir. C'est pourquoi, dans le cadre de ce paragraphe, la logique
voudrait que nous commencions par présenter comment la Charte de l'ONU
considère l'agression (a) avant de parler de la définition de
l'agression dans la Résolution 3314 (XXIX) (b).
a. Notions d'agression dans la Charte des Nations
Unies
La Charte des Nations Unies est l'acte constitutif de
l'Organisation des Nations Unies. A son article premier, alinéa 1, il
est noté que le but l'ONU est de maintenir la paix et la
sécurité internationales et à cette fin : prendre des
mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les
menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre
rupture
62 M. VIRALLY, La valeur juridique des
recommandations des organisations Internationales : le droit international en
devenir, Paris, PUF, 1990, p. 198
63 United Nations Audiovisual Library of International
Law, Op. cit., p. 5
64 M. CIFENDE, op. cit., p. 200.
65 CIJ, Affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci : Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique, In Recueil des arrêts, 1986, §195, p.
103. Disponible en ligne sur
http://www.icj-cij.org/docket/files/70/6502.pdf
Visité le 02 novembre 2015.
- 17 -
de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques,
conformément aux principes de la justice et du droit international,
l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de
caractère international, susceptibles de mener à une rupture de
la paix66.
Il est interdit aux Etats, dans leurs relations
internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la
force (armée) contre l'indépendance politique et
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de
tout Etat soit de toute autre manière incompatible avec les buts des
Nations Unies. En formulant cette règle fondamentale en son article 2
point 6, la Charte des Nations Unies, à la suite du Pacte Brilland -
Kellog, met la guerre hors la loi67.
Maurice Kamto soutient que la validité du principe de
prohibition de l'emploi de la force est établie même en droit
coutumier68, ce qui lui imprime un fondement irréfutable tant
en droit conventionnel qu'en droit coutumier et lui donne la valeur d'une
règle de droit impératif.
Toutefois, l'interdiction de la menace et de l'emploi de la
force dans les relations internationales rencontre deux exceptions
incontestées en droit positif :
- La légitime défense individuelle ou collective
et
- La sécurité collective (article 51 de la
Charte).
En effet, en cas d'agression armée et dans des
conditions de nécessité, l'Etat victime de l'agression est
autorisé, dans l'exercice de la légitime défense
individuelle, à recourir provisoirement, de manière
proportionnée, à la force pour repousser l'agression en attendant
que le Conseil de Sécurité prenne les mesures nécessaires
pour rétablir la paix et la sécurité internationales. En
plus, à la demande de l'Etat agressé, tout autre Etat membre de
la communauté internationale a aussi le droit d'exercer la
légitime défense collective, c'est-à-dire de faire la
guerre à l'agresseur aux mêmes conditions que la légitime
défense individuelle au moins. Lorsque l'usage de la force est
autorisé ou décidé par le Conseil de
sécurité ou par un organisme régional de
sécurité collective, avec l'assentiment du Conseil de
sécurité, les Etats peuvent licitement faire la
guerre69.
Cependant, en droit international tant pénal que
public, la question de savoir si l'institution de la légitime
défense peut valablement être invoquée pour justifier un
recours à la force visant à répondre à des actes de
terrorisme s'avère discutable.
66 Article premier, §1 de la Charte des
Nations-Unies. Dans M. CIFENDE et S. SMIS, Op., cit., p. 5.
67 M. CIFENDE, op. cit., p. 9.
68Idem, p. 15. 69Idem, p.
9.
- 18 -
Qu'il suffise, à cet effet, de n'invoquer que le cas
des attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats Unis.
Dès le lendemain des attentats du 11 septembre 2001, en
effet, la Résolution par laquelle le Conseil de sécurité
condamne ces actes porte la mention, dans son préambule, de la
reconnaissance, par le Conseil, du « droit inhérent à la
légitime défense individuelle et collective »70.
A peu près au même moment, le président américain
proclame que son pays est confronté à une guerre, et qu'il
répliquera à ces actes en lançant une « guerre contre
le terrorisme ». L'idée de la légitime défense est
très clairement présente dans cette argumentation
également et c'est sur cette base que seront menées les
opérations militaires contre l'Afghanistan à partir du mois
d'octobre 2001.
Pourtant, la légitime défense pour qu'elle soit
juridiquement fondée doit remplir les conditions suivantes :
- L'Etat intéressé doit avoir été
victime d'une agression armée ;
- La nécessité et la proportionnalité ;
- L'information du Conseil de sécurité.
Les lignes suivent parleront seulement de la première
condition dans le cas des attentats
du 11 septembre 2001 aux Etats-unis. Pour ces derniers, le
soutien apporté par le régime Taliban à l'organisation
Al-Qaida reviendrait à une véritable implication de l'Afghanistan
dans ces attaques, qui deviendraient dès lors imputables à cet
Etat et le rendraient responsable d'un acte d'agression à l'encontre des
Etats-Unis. Et encore, rien dans la Charte des Nations Unies ne limitait la
notion d'agression armée à l'acte d'un Etat, et qu'un recours
à la force en réaction à un acte hostile d'une certaine
gravité commis par un groupe privé était parfaitement
envisageable au titre de la légitime défense71.
En revanche, s'il est vrai que l'article 51 de la Charte ne
précise pas qu'une agression doit émaner d'un Etat pour ouvrir le
droit à la légitime défense, cette exigence ressort par
contre très clairement des termes mêmes de la résolution
3314 (XXIX) portant définition de l'agression, comme on l'a
souligné plus haut. Prétendre qu'un acte d'agression pourrait
être le fait d'un groupe privé, et justifier sur cette seule base
un recours à la force à l'encontre de ce groupe sur le territoire
d'un Etat72 où il est, par hypothèse, situé,
s'avère dès lors manifestement en porte à faux par rapport
aux règles existantes73.
70 Résolution 1368 (2001) du 28 septembre
2001 sur les Attentats du 11 septembre 2001. Disponible en ligne sur
www.nato.int/isaf/topics/mandate/unscr/resolution_1386_f.pdf.
Visité le 20 janvier 2016.
71P. KLEIN, Le Droit international à
l'épreuve du terrorisme, ULB, Recueil des cours, tome 215, 2012, p.
387. 72 E. GROSS, Democracy in the War against Terrorism: The
Israel Experience, Loyola of Los Angeles LR, 2002, p. 1196. Cité
par P. KLEIN, Op. cit., p. 389.
73P. KLEIN, Op. cit, p. 388.
- 19 -
Pour faire face à un acte d'agression, la Charte donne
pouvoir au Conseil de sécurité de constater « l'existence
d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression
» et de faire des recommandations ou de décider quelles mesures
seront prises conformément aux dispositions des articles 41 et 42 pour
maintenir ou rétablir la paix et la sécurité
internationales (art. 39 Charte de l'ONU).
Mais la Charte est muette sur ce qu'il faut entendre par
« acte d'agression » et ce qui pourrait distinguer pareil acte d'une
« menace contre la paix » ou d'une « rupture de la paix ».
D'où la nécessité de la définition donnée
par la résolution 3314 (XXIX) dans le but, selon Maurice Kamto, de
donner, aux instances compétentes pour constater une telle situation,
l'outil conceptuel leur permettant d'identifier l'agression74.
b. Définition de l'agression dans la
Résolution 3314 (XXIX)
La Résolution 3314 (XXIX) est en effet
intégralement consacrée à la définition de
l'agression, elle comprend une annexe intitulée « Définition
de l'agression » comportant 8 articles précédés d'un
long préambule en 10 points.
En son article 1er, la Résolution
énonce que : « l'agression est l'emploi de la force
armée par un Etat contre la souveraineté,
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un
autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des
Nations Unies, ainsi qu'il ressort de la présente définition
75».
Dans cette définition, le terme « Etat » est
employé sans préjuger la question de la reconnaissance ou le
point de savoir si un Etat est Membre de l'Organisation des Nations Unies, il y
est inclus, le cas échéant, le concept de « groupe d'Etats
».
L'on aura remarqué que l'agression est ici entendue
comme un acte commis par un État à l'encontre d'un autre
État contre sa souveraineté, son intégrité
territoriale ou l'indépendance politique de cet État.
En ce qui concerne la preuve de l'existence d'un acte
d'agression internationale la Résolution énonce en son article 2
l'idée complémentaire que : « l'emploi de la force
armée en violation de la Charte par un État agissant le premier
constitue la preuve suffisante, à première vue, d'un acte
d'agression ».
74 M. KAMTO, op. cit., p. 16.
75 Article 1er de la Résolution 3314
(XXIX). Dans M. CIFENDE KACIKO et S. SMIS, Op. cit.,p. 89.
- 20 -
La CIJ avait précisé à ce propos que
l'agression implique la volonté précise d'un Etat d'attaquer un
autre Etat76. Egalement, la Cour avait dit, dans une autre
espèce, qu'en droit international coutumier, la fourniture d'armes
à l'opposition dans un autre Etat n'équivaut pas à une
agression armée contre celui-ci77.
Lors des discussions sur l'adoption de cette
résolution, les Etats-Unis avaient soutenu la considération de
l'intention dans la qualification d'agression en arguant que l'intention est ce
qui permet de distinguer l'agression (qui sera considérée comme
un crime) et une simple rupture ou menace contre la paix78. Ils
avaient ainsi estimé que « le Conseil de sécurité
doit prendre en considération les intentions et les raisons apparentes
et latentes motivant le comportement de l'Etat ou des Etats en cause
»79. Le Canada s'était prononcé dans le
même sens80. L'Italie avait précisé aussi que
l'intention sert à distinguer l'agression d'une simple rupture de la
paix, même si celle-ci constitue également un acte
illicite81.
Cette résolution comporte une liste de Sept actes
constituant une agression, mais elle n'est nullement exhaustive, car la
résolution laisse le soin au Conseil de sécurité de la
compléter82. Constituent ainsi des actes d'agression
internationale :
a. L'invasion ou l'attaque du territoire d'un Etat par les
forces armées d'un autre Etat, ou toute occupation militaire, même
temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle attaque, ou
toute annexion par l'emploi de la force du territoire d'un autre Etat;
b. Le bombardement, par les forces armées d'un Etat,
du territoire d'un autre Etat, ou l'emploi de toutes armes par un Etat contre
le territoire d'un autre Etat;
c. Le blocus des ports ou des côtes d'un Etat par les
forces armées d'un autre Etat;
d. L'attaque par les forces armées d'un Etat contre
les forces armées terrestres, navales ou aériennes, la marine ou
l'aviation civiles d'un autre Etat83;
76 CIJ, 6 novembre 2003, arrêt,
Plates-formes pétrolières, Rec. 2003, § 64.
77 CIJ, 27 juin 1986, arrêt,
Activités militaires au Nicaragua, Rec. 1986, p.
119
78 A/AC.134/SR.59, 22 Juillet 1970 in
A/AC.134/SR.52-66, p. 69. Disponible en ligne sur
http://legal.un.org/UNJuridicalYearbook/pdfs/english/ByChapter/bibliography/1969/chpIX-X.pdf
Visité le 05 mars 2016.
79 A/C.6/SR.1203, 20 octobre 1970, p. 157, par. 3.
Disponible en ligne sur
http://legal.un.org/UNJuridicalYearbook/pdfs/english/ByChapter/bibliography/1969/chpIX-X.pdfVisité
le 05 mars 2016.
80 A/AC.134/SR.56, 17 Juillet 1970 in
A/AC.134/SR.52-66, p. 27. Disponible en ligne sur
http://legal.un.org/UNJuridicalYearbook/pdfs/english/ByChapter/bibliography/1969/chpIX-X.pdf
Visité le 05 mars 2016.
81 A/AC.134/SR.69, 3 Aout 1970 in
A/AC.134/SR.67-78, p. 38. Disponible en ligne sur
http://legal.un.org/UNJuridicalYearbook/pdfs/english/ByChapter/bibliography/1969/chpIX-X.pdfVisité
le 05 mars 2016.
82 Article 4 de la Résolution 3314 (XXIX). Dans
M. CIFENDE et S. SMIS, Op. cit., p. 89.
- 21 -
e. L'utilisation des forces armées d'un Etat qui sont
stationnées sur le territoire d'un autre Etat avec l'accord de l'Etat
d'accueil, contrairement aux conditions prévues dans l'accord ou toute
prolongation de leur présence sur le territoire en question
au-delà de la terminaison de l'accord;
f. Le fait pour un Etat d'admettre que son territoire,
qu.il a mis à la disposition d'un
autre Etat, soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte
d'agression;
g. L'envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes
armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se
livrent à des actes de force armée contre un autre Etat d'une
gravité telle qu'ils équivalent aux actes
énumérés ci-dessus, ou le fait de s'engager d'une
manière substantielle dans une telle action84.
Au sens de la jurisprudence de la CIJ, cette description peut
être considérée comme l'expression du droit coutumier. La
Cour avait relevé qu'elle ne recouvre cependant pas l'action de bandes
armées dans le cas où cette action revêt une ampleur
particulière, ou consiste en une assistance à des rebelles
prenant la forme de fourniture d'armements ou d'assistance logistique ou
autre85. Elle a poursuivi en disant qu'on peut voir dans une telle
assistance une menace ou un emploi de la force, ou l'équivalent d'une
intervention dans les affaires intérieures et extérieures
d'autres Etats mais non une agression86.
Dans l'Affaire des activités armées sur le
territoire de la RDC, la Cour avait précisé que des attaques de
forces irrégulières non imputables à un Etat ne sont pas
une agression au sens de l'article 3, g87.
Si, d'une part, la liste d'actes d'agression
expressément énumérés à l'article 3 de
Résolution 3314 (XXIX) est qualifiée de définition de
l'agression directe88, d'autre part, la latitude donnée au
Conseil de Sécurité de l'ONU (Article 4) de déterminer
d'autres actes d'agression, formule ce qu'on a appelé une
définition de l'agression indirecte. Celle-ci a été, en
effet, dans le contexte de la guerre froide, une modalité très
fréquente de l'emploi de la force89.
83 L'on peut signaler que dans l'Affaire des
plates-formes pétrolières, la Cour avait dit que « le minage
d'un seul navire de guerre peut, éventuellement suffire à
justifier qu'il soit fait usage du droit naturel de légitime
défense (CIJ, 6 nov. 2003, arrêt, Plates-formes
pétrolières, Rec. 2003, § 72).
84 Article 3 de la Résolution 3314 (XXIX). Dans
M. CIFENDE et S. SMIS, Op. cit. p. 89.
85 CIJ, 27 juin 1986, arrêt,
Activités militaires au Nicaragua, Rec. 1986, 103.
86Ibidem.
87 CIJ, 19 décembre 2005, Activités
armées au Congo, Rec. 2005, § 146.
88 H. Thierry, Op., cit., p. 22.
89Ibidem.
- 22 -
En ce qui concerne l'agression directe, l'illustration en est
l'arrêt rendu par la CIJ le 27 juin 1986 sur l'affaire des
activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. États-Unis d'Amérique). La CIJ a eu l'occasion d'y
préciser que le fait pour un État de fournir des armes à
des rebelles agissant dans un autre État, ne constituait pas une
agression armée contre ce dernier, selon le droit international
coutumier. Elle s'est contentée d'y voir et d'y qualifier en
l'espèce un acte d'ingérence. Elle s'est également
refusée, dans la même affaire, à qualifier d'agression de
la part des États-Unis le fait de poser des mines à
l'entrée des ports du Nicaragua, de même que de bombarder des
installations pétrolières et une base navale. Cet emploi de la
force n'a été considéré que comme un manquement
à l'obligation internationale de non intervention sur un territoire
étranger.
L'agression indirecte quant à elle, est : «
l'envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de
forces irrégulières, qui se livrent à des actes de force
armée contre un autre Etat d'une gravité telle qu'ils
équivalent aux actes énumérés ci-dessus,
c'est-à-dire aux actes mentionnés comme étant constitutifs
de l'agression directe, ou le fait de s'engager substantiellement dans une
telle action90 ».
Pour illustration, dans l'Affaire du Nicaragua, les Etats-Unis
soutenaient, en effet, que leurs activités militaires au Nicaragua
étaient justifiées par l'exercice de la légitime
défense collective en réponse à l'agression indirecte
commise par le Nicaragua contre l'Etat voisin, El Salvador, en aidant les
forces engagées dans des actions armées contre le gouvernement de
cet Etat. La Cour a déclaré à ce sujet ne pas penser que
la notion d' «agression armée» puisse recouvrir une assistance
à des rebelles prenant la forme de fournitures d'armements ou
d'assistance logistique91.
L'opinion de la Cour sur ce point a été
fortement critiquée par le juge Schwebel, qui s'est appuyé
particulièrement sur le dernier membre de phrase cité de la
définition de l'agression indirecte : « ou de s'engager
substantiellement dans une telle action », pour montrer au contraire que
les faits de la cause manifestaient l'existence d'une agression indirecte
commise par le Nicaragua92.
La Cour avait cité des exemples des emplois illicites
non constitutifs de l'agression en s'appuyant sur les termes de la
résolution 2625 (XXV), comme par exemple les représailles
armées93. De même, si l'exercice de la légitime
défense ou des actes d'intervention autorisés par le droit (comme
par exemple dans certaines limites l'intervention pour la protection de la
90 M. CIFENDE, Op. Cit., p. 200.
91 CIJ, 27 juin 1986, arrêt,
Activités militaires au Nicaragua, §195, In CIJ,
Recueil des arrêts, 1986,p. 104
92 Ibidem. 93Ibidem.
- 23 -
vie des nationaux en péril) comportent des
modalités outrepassant ce qui est permis, ils deviennent illicites sans
être nécessairement constitutifs de l'agression94.
Dans l'arrêt du Nicaragua, en effet, la Cour a dit que
les Etats-Unis ont violé l'obligation de ne pas recourir à la
force mais non pas qu'ils aient commis une agression95. Il est
généralement admis que la légitime défense ne peut
être mise en oeuvre qu'en présence d'une agression
réalisée, ce qui exclut son exercice
préventif96.
L'article 5 alinéa 2 de la résolution 3314
(XXIX) considère l'agression comme « un crime contre la paix
internationale » commis par un État et qui « donne lieu
à la responsabilité internationale ».
Selon A. Pellet, à travers cette qualification
d'agression comme crime international de l'État, l'accent est mis sur
une dimension qualitative qui comprend deux éléments :
- l'importance de l'obligation violée, et
- le caractère essentiel de celle-ci pour la sauvegarde
d'intérêts fondamentaux de la communauté internationale et
une réprobation de cette communauté97.
Ainsi donc, commettre une agression reviendrait à
violer une obligation erga omnes98 ou une obligation envers
la communauté internationale dans son ensemble. L'agression est
considérée comme un crime international parce que ce n'est pas
l'État victime de l'agression qui est seul concerné, mais
l'ensemble des Etats99.
Cela étant, voyons alors dans les lignes qui suivent,
que l'agression peut également constituer un fait internationalement
illicite d'un Etat.
§2. L'Agression comme fait internationalement illicite
d'un Etat
Le fait internationalement illicite d'un État fait que
celui-ci engage sa responsabilité internationale devant la CIJ ou un
tribunal arbitral100.
94 H. Thierry, Op. Cit., p. 139.
95H. Thierry, Op. Cit., p. 139.
96 M. CIFENDE, Op. cit., p. 201.
97 A. PELLET, Remarques sur une
révolution inachevée du projet d'articles de la CDI sur la
responsabilité des États, AFDI, XLII, 1996, p.
23.
98CIJ, Arrêt Barcelona Traction,
Light and power Company, Limited, fond, arrêt, CIJ, Rec. 1970, p. 32,
§§ 33 et 34.
99 P.M. DUPUY, Le fait générateur de
la responsabilité internationale des États, RCADI,
1984, V, p. 56.
100 J.-P. PANCACRIO, Un mutant juridique : l'Agression
internationale, IRSEM, 2012. p. 47. Disponible en
ligne sur
www.defense.gouv.fr/content/download/.../Cahier%20n°7%20Mutant%20Juridique.pdf
. Visité le 20 janvier 2016.
- 24 -
Pour que l'agression soit considérée comme un
fait internationalement illicite, en vertu de l'article 2 du Projet d'articles
de la CDI sur la responsabilité de l'Etat101, il faudrait
qu'elle soit attribuable à un État.
Ceci dit, ce paragraphe abordera la notion et
l'imputabilité à l'Etat du fait internationalement illicite (a),
avant de revenir sur la responsabilité de l'Etat pour fait
internationalement illicite (b).
a. Notion et Imputabilité à l'Etat du
fait internationalement illicite
1. Notions
Par fait internationalement illicite il faut entendre toute
violation du droit international ou tout manquement à une obligation
internationale attribuable à un Etat ou à une organisation
internationale102. Parmi les faits juridiques au sens large, le fait
illicite est l'acte juridique constituant l'infraction d'une interdiction
établie par l'ordre normatif auquel on se réfère, qui
engendre en vertu de ce même ordre des conséquences juridiques
particulières (...)103. La CDI, lors de sa rédaction
du Projet d'article sur la responsabilité de l'Etat, a
préféré le concept « fait » à celui d'
« acte » pour souligner qu'un manquement au droit international peut
être réalisé non seulement par action (le fait) mais aussi
par omission ou abstention104.
Bref, tout manquement au droit international par action, par
omission ou abstention commis par un sujet du droit international
entraîne la responsabilité105.
La CIJ a eu à mettre en lumière ce double aspect
de la responsabilité (par action et par omission) dans l'affaire du
Détroit de Corfou où il a été
considéré que la responsabilité de l'Albanie était
engagée parce qu'elle n'avait pas notifié la présence de
mines dans les eaux de ce détroit international, tandis que celle du
Royaume-Uni l'était parce qu'il avait procédé de
101 Projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat
pour fait internationalement illicite, annexé à la
Résolution de l'AG de l'ONU A/RES/56/83 du 12 décembre 2001. Dans
M. CIFENDE KACIKO et S. SMIS, Op. cit, pp. 686696.
102 M. CIFENDE, Op.cit., p. 187.
103L. CONDORELI, L'imputation à l'Etat
d'un fait internationalement illicite : Solutions classiques et nouvelles
tendances, R.C.A.D.I., 1984, p. 26.
104 M. CIFENDE, Op.cit., p. 187.
105Article 1er du projet d'articles sur la
responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite,
annexé à la Résolution de l'AG de l'ONU A/RES/56/83 du 12
décembre 2001. Dans M. CIFENDE KACIKO et S. SMIS, Op., cit.,
pp. 686-696.
- 25 -
son propre chef au déminage dans les eaux territoriales
albanaises (en violation du principe de l'exclusivité des
compétences territoriales de l'Albanie)106.
Il y a fait internationalement illicite de l'Etat lorsqu'un
comportement consistant en une action ou une omission :
· Est attribuable à l'Etat en vertu du droit
international; et
· Constitue une violation d'une obligation internationale
de l'Etat107.
2. L'agression, fait attribuable à un
Etat
L'attribution d'une agression à l'Etat constitue une
condition pour qu'elle soit considérée comme un fait
internationalement illicite.
Il s'avère, on le verra plus tard, que les actes de
personnes ou de groupes privés peuvent être
considérés comme le fait d'un Etat et comme un acte d'agression
attribuable à cet Etat si certaines conditions sont réunies en
l'occurrence, l'envoi par un Etat de ces personnes ou groupes ou la
participation substantielle de ce même Etat à leur action.
La solution retenue sur ce point dans la résolution
3314 (XXIX) en ce qui concerne spécifiquement l'agression a d'ailleurs
été confirmée en termes plus généraux pour
ce qui est de l'attribution de tout type d'acte d'agents « de fait »
à un Etat108. Le critère du contrôle
spécifique exercé par un Etat sur les actes de particuliers a
ainsi été clairement posé par la CIJ dans l'affaire des
activités militaires et paramilitaires au Nicaragua. Il s'agit
d'une condition essentielle pour que de tels actes puissent être
attribués à l'Etat en cause et soient, finalement, susceptibles
d'engager sa responsabilité internationale109.
Les critères d'attribution d'actes d'agents ou
d'organes de facto dégagés dans l'affaire des
activités militaires et paramilitaires au Nicaragua ont
néanmoins été remis en cause dans la décision
rendue en 1999 par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
dans l'affaire Tadi'c, en degré d'appel. Appelée
à se prononcer sur le caractère international, ou non, du conflit
qui déchirait la Bosnie Herzégovine au début des
années quatre-vingt-dix, la Chambre d'appel du Tribunal a jugé
que le contrôle « global » exercé par les
autorités de la République fédérale de Yougoslavie
sur les forces serbes présentes en Bosnie suffisait à faire de
ces dernières des agents de fait de l'Etat yougoslave et, partant,
à internationaliser le
106 CIJ, Affaire du Détroit de Corfou,
Arrêt du 9 avril 1949. Dans M. CIFENDE, Op. cit., p. 259.
107 Article 2 du projet d'articles de la CDI sur la
responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite,
annexé à la Résolution de l'AG de l'ONU A/RES/56/83 du 12
décembre 2001. Déjà cité.
108P. KLEIN, Op., cit., p. 388.
109Ibidem.
- 26 -
conflit110. Afin d'atteindre cette conclusion, la
Chambre a explicitement répudié le critère des
instructions et du contrôle « spécifiques» qui avait
été énoncé auparavant par la CIJ dans l'affaire des
activités militaires et paramilitaires au Nicaragua.
Le Projet d'articles de la CDI mentionne à ce sujet que
le comportement d'une personne ou d'un groupe de personnes est
considéré comme un fait de l'Etat d'après le droit
international si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce
comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le
contrôle de cet Etat111.
La détermination de l'imputabilité à
l'État se fait également à partir du rôle qu'ont
joué les organes de l'État dans la commission de l'agression
déjà établie. Ainsi, dans l'affaire opposant la
République Démocratique du Congo (RDC) à l'Ouganda, la CIJ
va vérifier si l'organe à l'origine de l'agression que disait
avoir subie et y avoir répondu dans le cadre d'une légitime
défense, l'Ouganda, était ou non un organe de l'État
congolais. La Cour, après différentes analyses, est parvenue
à la conclusion que les actes reprochés « ne sont pas
attribuables à la RDC »112 dans le sens de l'article 4
du Projet d'articles de la CDI sur la responsabilité de l'État
pour fait internationalement illicite, car « il n'existe pas de preuve
satisfaisante d'une implication directe ou indirecte du Gouvernement de la RDC
dans ces attaques »113. Pour la Cour, il n'y a aucune preuve
que le gouvernement congolais soit impliqué directement ou indirectement
dans cette agression armée. Ces attaques, sont pour la CIJ, le fait des
Forces démocratiques alliées114.
b. La responsabilité de l'Etat pour agression,
fait internationalement illicite
Tout fait (acte ou omission) internationalement illicite d'un
sujet de droit international engage sa responsabilité
internationale115. Celle-ci peut se définir comme l'ensemble
des obligations qui naissent à la charge d'un sujet de droit
international en raison d'une violation du droit international qui lui est
imputable ou d'un manquement (par action ou par omission)
110TPIY, Affaire Procureur contre Tadi'c, 1999.
Disponible en ligne sur
http://www.icty.org/x/cases/tadic/acjug/fr/tad-991507f.pdf
Visité le 04 janvier 2016.
111 Article 8 du projet d'articles de la CDI sur la
responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite,
annexé à la Résolution de l'AG de l'ONU A/RES/56/83 du 12
décembre 2001. Déjà cité.
112CIJ, arrêt RDC c. Ouganda, § 146, p.
53. Disponible en ligne sur
http://www.icj-
cij.org/docket/files/116/8315.pdf
Visité le 02 novembre 2016.
113Ibidem.
114 V. M. METANGMO, Op. cit., p. 109.
115 C.P.J.I., Affaire de l'Usine de Chorzow, arrêt
du 13 septembre 1928. Dans M. CIFENDE, Op., cit., p. 442.
- 27 -
à ses obligations découlant de ce
droit116. C'est donc une obligation secondaire qui naît de la
violation d'une règle primaire ou du manquement à une obligation
primaire.
La mutation profonde introduite par Ago117 dans
l'appréhension de la responsabilité des Etats ne tient pas
seulement à l'approche retenue, au glissement de l'étude des
règles primaires vers celle des règles secondaires (...), elle
s'est également traduite par une «réconceptualisation»
de la notion même de responsabilité en droit international, qui,
par l'élimination du préjudice comme condition de sa survenance,
s'est trouvée « objectivisée » en ce sens que, d'une
approche purement interétatique, on est passé à une vision
plus communautaire, ou sociétale: la responsabilité existe «
en soi », indépendamment de ses effets118. Alain Pellet
soutient que la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement
illicite ne se limite pas seulement à la seule obligation de
réparer, (...) ce qui fait que la responsabilité internationale
de l'État « ne soit ni civile, ni pénale, mais sui
generis, propre au droit international »119.
L'agression, fait internationalement illicite, va engager la
responsabilité de l'État à qui est attribué le fait
agressif en l'obligeant à la restitution des territoires annexés
ou de tous les biens volés ou spoliés pendant l'agression.
L'État coupable d'agression doit aussi réparer tous les dommages
découlant de son acte agressif, s'engager à mettre fin à
l'agression à ne pas la répéter.
Le Projet de la CDI de 2001 sur la responsabilité des
États pour fait internationalement illicite impose trois obligations
principales à l'État responsable du fait internationalement
illicite : «- le devoir de l'État responsable d'exécuter
l'obligation violée (article 29); - l'obligation de mettre fin au fait
internationalement illicite et d'offrir des assurances et des garanties de
non-répétition appropriées si les circonstances l'exigent
(article 30) ; et - celle de réparer intégralement le
préjudice causé par le fait internationalement illicite (article
31) ». Est ajoutée à ces obligations la réparation
qui comprend l'indemnisation (article 36) qui peut faire l'objet d'une
évaluation financière, la restitution (article 35) et la
satisfaction (article 37).
Cependant, l'agression constitue non seulement un fait
internationalement illicite qui engage la responsabilité de
l'État selon les modalités indiquées ci-dessus, mais cette
responsabilité peut aussi être engagée sur la base du
Chapitre VII de la Charte selon des
116 M. CIFENDE, Op. cit, p. 186.
117 Il s'appelle Roberto Ago, à qui revenait la
tâche de définir la structure et les orientations de base du
projet d'articles de la CDI sur la responsabilité des Etats.
118 A. PELLET, Remarques sur une révolution
inachevée le projet d'articles de la CDI sur la responsabilité
des Etats, Paris, Editions du CNRS, Annuaire français de Droit
international XLII - 1996, p. 5.
119Idem, p. 7.
- 28 -
moyens retenus par le Conseil de sécurité
à qui revient le droit, en vertu de l'article 39 de la Charte, de
constater et de prendre les mesures nécessaires en cas d'agression.
Il faut ainsi distinguer la responsabilité, qui peut
découler de l'agression en tant que fait internationalement illicite en
vertu du Projet de la CDI sur la responsabilité des États de
2001, qui envisage la responsabilité comme une relation
juridique120, de la responsabilité pour actes d'agression,
actes prohibés par la Charte, et, pour lesquels, le Conseil, sur la base
du Chapitre VII, peut engager la responsabilité des États.
Sommes toutes, en considérant l'agression comme crime
international de l'État ou fait internationalement illicite de l'Etat,
il y a lieu de craindre qu'en condamnant l'État pour agression, on
oublie de réprimer et de punir les individus, alors que « les
personnes morales sont des abstractions juridiques dont les politiques et
activités sont conçues et exécutées par des
individus »121.
C'est dans cette logique que s'inscrit la notion du crime
d'agression dans le Statut de Rome de la CPI que nous allons voir
ci-dessous.
Section III. LE CRIME D'AGRESSION DANS LE STATUT DE
ROME
REVISE
Depuis 1945, tel que dit plus haut, l'Accord de Londres avait
marqué une démarche tendant à incriminer l'agression comme
imputable à l'individu.
Initialement, le crime d'agression était prévu
à l'article 5 du Statut de Rome de la CPI sans définition aucune.
La définition du crime d'agression dans le Statut de Rome s'est
révélée le résultat d'un processus qui est parti de
la mission de définir ce crime confiée au Groupe de Travail
Spécial sur le Crime d'Agression depuis 1999 et qui a chuté
à la Conférence de Révision du Statut de Rome tenue
à Kampala du 31 mai au 11 juin 2010.
Cette section a ceci de particulier qu'elle analysera la
portée du Statut de Rome (§1) qui consacre une définition du
crime d'agression comme crime individuel (§2), avant de faire le point sur
la répression du crime d'agression et le rôle du Conseil de
sécurité (§3) en matière d'agression.
§1. Portée juridique du Statut de Rome de la
CPI
Le Statut de Rome du 17 juillet 1998 est un instrument
juridique complexe, car il est tout à la fois un traité de
codification du droit international pénal et un traité instituant
une
120 M. FORTEAU, Le droit de la sécurité
collective. Cité par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 118.
121 M. KAMTO, op. cit., p. 32.
- 29 -
juridiction internationale pénale à vocation
universelle permanente, en l'occurrence, la Cour Pénale Internationale.
Il est par ailleurs complété d'instruments inédits en
droit international, tels que le Règlement de procédure et de
preuve (RPP)122 et les Éléments des
crimes123.
En tant qu'un Traité international, le Statut de Rome
peut être entendu comme un accord multilatéral de volontés
par lequel plusieurs Etats124, ici qualifiés Etats parties,
entendent créer entre eux un rapport juridique à savoir, la
répression des crimes internationaux sur la base de la
responsabilité pénale individuelle à titre
complémentaire.
De ce fait, les règles de la Convention de Vienne sur
le droit des traités lui sont applicables. Comme tout traité, le
Statut de Rome produit des effets juridiques entre les Etats Parties en
créant des obligations et des droits dans leurs rapports mutuels. Tel
est le cas de l'obligation pour les Etats parties de coopérer avec la
Cour prévue à l'article 86 du statut de Rome.
Le Statut de Rome présente, entre Etats parties, un
caractère obligatoire d'autant plus que « tout traité lie
les parties et doit être exécuté par elles de bonne
foi125 », c'est la traduction française de l'adage latin
« Pacta sunt servanda ». Il revêt néanmoins un
caractère relatif à l'égard des Etats tiers parce qu'un
traité, n'ayant en principe d'effets qu'à l'égard des
Etats contractants, ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers
sans son consentements126. Ce Statut n'admet aucune réserve
quant aux dispositions qu'il contient. L'on peut noter en guise du
tempérament à la relativité du Statut de Rome que celui-ci
pourrait s'appliquer à un Etat non partie si ce dernier reconnait la
compétence de la CPI.
Par rapport à sa révision, le Statut de Rome,
entré en vigueur le premier juillet 2002, dispose à son article
123 point 1 que « sept ans après son entrée en vigueur, le
Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies
convoquera une conférence de révision pour examiner tout
amendement. L'examen pourra porter notamment, mais pas exclusivement, sur la
liste des crimes figurant à l'article 5. La conférence sera
ouverte aux participants à l'Assemblée des États Parties,
selon les mêmes conditions ».
Pour l'histoire, l'insertion du crime d'agression dans le
Statut de Rome parmi les crimes relevant de la compétence de la Cour
Pénale internationale a été acceptée, sans pour
autant que cette compétence soit effective. L'article 5 paragraphe 2
disposait, en effet, que «
122 Disponible en ligne sur
http://www.icc-
cpi.int/library/about/officialjournal/Rules_of_procedure_and_Evidence_French.pdf
Visité le 13 mars 2015.
123
http://www.icc-cpi.int/library/about/officialjournal/
Element_of_Crimes_French.pdf Visité le 13 mars 2015.
124 M. CIFENDE, Op., cit., p. 239.
125 Article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités de 1969. Dans M. CIFENDE et S. SMIS, Op., cit., pp.
64-74.
126 Article 34 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités. Déjà citée.
- 30 -
la Cour exercera sa compétence à l'égard
du crime d'agression quand une disposition aura été
adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira
ce terme et fixera les conditions dans lesquelles s'exercera la
compétence de la Cour à son égard »127.
La définition du crime d'agression devrait alors
être incorporée au Statut sous la forme d'un amendement, qui
n'entrera en vigueur qu'à l'égard des Etats l'ayant
ratifié. C'était donc resté, depuis 2002, une
compétence de principe, dont l'aboutissement a été
conditionné aux résultats à obtenir d'une commission
préparatoire qui allait être désignée aux fins de
dégager une définition viable de l'agression128.
L'on ne manquera pas de s'étonner du fait qu'a
été gelée l'incrimination d'un fait dont le Tribunal
militaire international de Nuremberg avait dit que c'était « le
crime international suprême, ne différant des autres crimes de
guerre que du fait qu'il les contient tous »129. Il est
également curieux qu'on ait semblé considérer que ni le
concept défini dans les Statuts des Tribunaux militaires internationaux
et appliqué par ceux-ci, ni la définition arrêtée
par l'Assemblée générale des Nations Unies le 14
décembre 1974, dans sa résolution 3314 (XXIX), après plus
de vingt ans de discussions, n'étaient d'une quelconque utilité
pour la définition de l'infraction portée par le
Statut130.
Depuis longtemps, les avis des Etats divergeaient quant
à savoir si l'on devrait citer, dans la future définition du
crime d'agression, toute la résolution 3314 (XXIX) ou seulement certains
articles de la résolution131. Certains Etats estimaient que
la résolution 3314 ne s'applique pas à la Cour et donc ne devrait
pas être citée dans la définition de l'acte d'agression
d'un Etat, étant donné qu'elle devait servir comme recommandation
pour le Conseil de sécurité132.
Finalement, la Conférence de juin 2010 à Kampala
a opté pour une définition qui chevauche la résolution
3314 (XXIX) des NU et le Statut du TMI de Nuremberg en rapport avec le crime
contre la paix.
§2. L'agression dans le Statut de Rome, crime de
l'individu
Dans ce paragraphe, nous parlerons essentiellement de deux
points à savoir, la définition du crime d'agression dans le
Statut de Rome (a) et ses éléments constitutifs (b).
127 Art. 5 par 2 du Statut de Rome de la CPI dans sa version (non
révisée) d'avant 11 juin 2010. Déjà cité.
128 H. ASCENSIO et Alii, Op., cit., p. 262.
129 Telford TAYLOR, Op., cit., p. 65.
130 E. David, Op. cit., p. 371.
131 Coalition pour la Cour Pénale Internationale,
La CPI et le Crime d'agression, Fiche d'information, 1 mai 2007, p. 2.
Disponible en ligne sur
http://www.iccnow.org/?mod=aggression&lang=fr
. Visité le 13 mars 2016.
132 J.-P. PANCACRIO, Op. cit., p. 21.
- 31 -
a. Définition du crime d'agression dans le
Statut de Rome
Le texte de l'article 8 bis133 du Statut
de Rome adopté à Kampala définit le crime d'agression
comme « la planification, la préparation, le lancement ou
l'exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler
ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État, d'un acte
d'agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une
violation manifeste de la Charte des Nations Unies ».
Au sens de cette définition, il appert clairement que
seul un individu peut être tenu pour responsable du crime d'agression. La
répression individuelle de ce crime voudrait que l'auteur de l'acte
d'agression soit une personne effectivement en mesure de contrôler ou de
diriger l'action politique ou militaire d'un État. D'où la
qualification de crime des dirigeants.
Cette définition est assez proche de celle contenue
dans le Rapport de la Commission préparatoire, émanée du
GSTCA, qui suppose que le crime d'agression est la préparation, la
planification, l'instigation ou l'exécution d'un acte
d'agression134.
Egalement, la définition donnée par l'article 8
bis du Statut de Rome n'est pas loin différent de celle
contenue dans le Statut du TMI qui définit le Crime contre la paix comme
étant « la direction, la préparation, le
déclanchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre
en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la
participation à un plan concerté ou à complot pour
l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui
précèdent135 ».
b. Actes d'agression
Le paragraphe 2 de l'article 8 bis du statut de Rome
dispose :
« Aux fins du paragraphe 1, on entend par acte
d'agression l'emploi par un État de la force armée contre la
souveraineté, l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un autre État, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des Nations Unies ».
Cet article reprend les actes constitutifs de l'agression
donnés par la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée
générale des Nations Unies en date du 14 décembre 1974
:
133 Ajout conformément à la Résolution
RC/Res.6 du 11 juin 2010. Disponible en ligne sur
https://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/Resolutions/RC-Res.6-FRA.pdf.
Visité le 02 mars 2016.
134 ICC-ASP/6/SWGCA/2, 14 mai 2008, document de travail sur le
crime d'agression proposé par le Président (Révision de
juin 2008), p. 3.Disponible en ligne sur
https://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/library/asp/ICC-ASP-6-SWGCA-2_French.pdf.
Visité le 26 février 2016.
135 Article 6.a du Statut du Tribunal militaire international.
Dans T. TAYLOR, Op.,cit., p. 150.
- 32 -
a. L'invasion ou l'attaque par les forces armées d'un
État du territoire d'un autre État ou l'occupation militaire,
même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle
attaque, ou l'annexion par la force de la totalité ou d'une partie du
territoire d'un autre État ;
b. Le bombardement par les forces armées d'un
État du territoire d'un autre État, ou l'utilisation d'une arme
quelconque par un État contre le territoire d'un autre État ;
c. Le blocus des ports ou des côtes d'un État
par les forces armées d'un autre État ;
d. L'attaque par les forces armées d'un État
des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes
aériennes et maritimes d'un autre État ;
e. L'emploi des forces armées d'un État qui se
trouvent dans le territoire d'un autre État avec l'agrément de
celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l'accord
pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce
territoire après l'échéance de l'accord pertinent ;
f. Le fait pour un État de permettre que son
territoire, qu'il a mis à la disposition d'un autre État, serve
à la commission par cet autre État d'un acte d'agression contre
un État tiers ;
g. L'envoi par un État ou au nom d'un État de
bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés
qui exécutent contre un autre État des actes assimilables
à ceux de forces armées d'une gravité égale
à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui
apportent un concours substantiel à de tels actes ».
Cependant, il convient de remarquer que le texte de la
Résolution 3314 (XXIX) qui donne une liste détaillée mais
non exhaustive des actes d'agression a été élaboré
dans un but qui n'était pas celui de la responsabilité
pénale individuelle136, mais plutôt dans le cadre de la
responsabilité étatique pour servir de guide au Conseil de
sécurité de l'ONU137. L'opinion majoritaire lors de la
Conférence de Kampala s'était favorablement prononcée pour
l'intégration tout de même de ces actes d'agression dans la
définition du crime d'agression138, tant il est vrai qu'au vu
de l'article 39 de la Charte des N-U et l'article 5 paragraphe 2 à son
deuxième alinéa du Statut de Rome dans sa version d'avant 11 juin
2010, l'on ne devait pas défaire le Conseil de sécurité de
l'ONU du pouvoir lui reconnu en cas d'agression.
136 V. M. METANGMO, Op. cit., p. 315.
137 United Nations Audiovisual Library of International Law,
Op. cit., p. 5.
138 V. M. METANGMO, Op. cit., p. 315.
L'initiative de déclencher des poursuites pour crime
d'agression est soumise aux conditions qui tiennent sur le mode de saisine de
la Cour.
- 33 -
En revanche, l'on doit alors s'interroger sur le rôle
que jouerait le Conseil de sécurité, organe politique de l'ONU,
dans la mission de la répression du crime d'agression par la CPI, organe
judiciaire indépendant.
§3. Des poursuites pour Crime d'agression et du
rôle du Conseil de sécurité
Nous allons ici aborder la question des poursuites par la CPI
pour crime d'agression (a) et aussi le rôle du Conseil de
sécurité de l'ONU dans les poursuites pour crime d'agression par
la même Cour (b).
a. Des poursuites par la CPI pour Crime d'agression
La mise en mouvement des poursuites par la CPI pour crime
d'agression suppose le déclanchement des poursuites (1) qui est soumis
à des conditions (2) prévues par le Statut de Rome.
1. Déclenchement des poursuites
Se fondant sur l'article 13 du Statut de Rome, La CPI peut
exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé
à l'article 5, conformément aux dispositions du Statut de Rome
:
· Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces
crimes paraissent avoir été commis est
déférée au Procureur par un État Partie, comme
prévu à l'article 14;
· Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces
crimes paraissent avoir été commis est
déférée au Procureur par le Conseil de
sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies; ou
· Si le Procureur a ouvert une enquête sur le
crime en question en vertu de l'article 15.
Cependant, l'initiative de déclanchement des
poursuites pour crime d'agression est soumise aux conditions.
2. Conditions de déclenchement des
poursuites
- 34 -
1. En cas du renvoi par un État139ou
l'ouverture d'une enquête par le Procureur140,
l'action de la CPI doit respecter les conditions suivantes :
· La Cour peut exercer sa compétence uniquement
à l'égard de crimes d'agression commis un an après la
ratification ou l'acceptation des amendements par trente États
Parties.
· La Cour exerce sa compétence à
l'égard du crime d'agression conformément à l'article 15
bis, sous réserve d'une décision qui sera prise
après le 1er janvier 2017 par la même majorité
d'États Parties que celle requise pour l'adoption d'un amendement au
Statut.
· La Cour peut, conformément à l'article
12, exercer sa compétence à l'égard d'un crime d'agression
résultant d'un acte d'agression commis par un État Partie
à moins que cet État Partie n'ait préalablement
déclaré qu'il n'acceptait pas une telle compétence en
déposant une déclaration auprès du Greffier. Le retrait
d'une telle déclaration peut être effectué à tout
moment et sera envisagé par l'État Partie dans un délai de
trois ans.
· En ce qui concerne un État qui n'est pas Partie
au Statut de Rome, la Cour n'exerce pas sa compétence à
l'égard du crime d'agression quand celui-ci est commis par des
ressortissants de cet État ou sur son territoire.
· Lorsque le Procureur conclut qu'il y a une base
raisonnable pour mener une enquête pour crime d'agression, il s'assure
d'abord que le Conseil de sécurité a constaté qu'un acte
d'agression avait été commis par l'État en cause. Il avise
le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies
de la situation portée devant la Cour et lui communique toute
information et tout document utiles.
· Lorsque le Conseil de sécurité a
constaté un acte d'agression, le Procureur peut mener l'enquête
sur ce crime.
· Lorsqu'un tel constat n'est pas fait dans les six mois
suivant la date de l'avis, le Procureur peut mener une enquête pour crime
d'agression, à condition que la Section préliminaire ait
autorisé l'ouverture d'une enquête pour crime d'agression selon la
procédure fixée à l'article 15, et que le Conseil de
sécurité n'en ait pas décidé autrement,
conformément à l'article 16.
· Le constat d'un acte d'agression par un organe
extérieur à la Cour est sans préjudice des constatations
que fait la Cour elle-même en vertu du présent
Statut141.
139 Hypothèse de l'article 13 point a du Statut de Rome.
Déjà cité.
140 Hypothèse de l'article 13 point c du Statut de Rome.
Déjà cité.
141 Article 15 bis du statut de Rome.
Déjà cité.
- 35 -
Les amendements ont été diffusés par le
Secrétaire général de l'ONU par la notification
dépositaire C.N.651.2010.TREATIES-8 du 29 novembre 2010. En
l'état actuel, 28 Etats dont un seul africain, le Botswana, ont
déjà ratifié ces amendements. Les autres Etats sont :
l'Allemagne, l'Andorre, l'Autriche, la Belgique, le Chypre, le Costa Rica, la
Croatie, l'El Salvador, l'Espagne, l'Estonie, l'Ex-République yougoslave
de Macédoine, la Finlande, la Géorgie, la Lettonie, le
Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, le Malte, la Pologne, la
République tchèque, le Saint-Marin, le Samoa, la Slovaquie, la
Slovénie, la Suisse, la Trinité-et-Tobago et
l'Uruguay142.
2. En cas de saisine par le Conseil de sécurité
des Nations-Unies143, l'action de la
Cour doit obéir aux conditions suivantes :
· La Cour peut exercer sa compétence uniquement
à l'égard de crimes d'agression commis un an après la
ratification ou l'acceptation des amendements par trente États
Parties.
· La Cour exerce sa compétence à
l'égard du crime d'agression conformément à l'article 15
ter du Statut de Rome, sous réserve d'une décision qui
sera prise après le 1er janvier 2017 par la même majorité
d'États Parties que celle requise pour l'adoption d'un amendement au
Statut.
· Le constat d'un acte d'agression par un organe
extérieur à la Cour est sans préjudice des constatations
que fait la Cour elle-même en vertu du présent
Statut144.
De toutes ces conditions, la question la plus épineuse
est posée par le rôle du Conseil de sécurité dans le
cadre d'une enquête pour crime d'agression entamée par le
Procureur motu proprio ou renvoyée par un État. Il
parait alors impérieux de s'y attarder un moment, dans les lignes qui
suivent.
142Liste disponible en ligne sur
https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XVIII-10
b&chapter=18&lang=fr#top Visité le 18 avril 2016.
143 Hypothèse de l'article 13 point b du Statut de Rome.
Déjà cité.
144 Article 15 ter du Statut de Rome. Déjà
cité.
- 36 -
b. Rôle du Conseil de sécurité de
l'ONU dans la poursuite pour crime d'agression par
la CPI
D'une part, l'on peut affirmer que l'intervention du Conseil
de Sécurité dans le fonctionnement de la CPI permettrait
d'imposer la compétence de celle-ci aux Etats non parties145
au Statut de Rome146 en vertu de l'article 13 point b du Statut de
Rome, et surtout d'obtenir la coopération des Etats sur base de la
Charte des Nations Unies particulièrement en ses articles
25147 et 103148.
D'autre part cependant, cette intervention ne rassure pas
pleinement sur l'indépendance de la CPI dès lors que l'article 15
bis point 6 du Statut de Rome subordonne la compétence de la
CPI au constat préalable de l'acte d'agression par le Conseil de
Sécurité (1) avec possibilité pour ce dernier de geler
l'activité de la Cour pendant un an renouvelable149. Ce
constat préalable semble être légèrement
tempéré par le Statut de Rome (2).
1. Constat préalable de l'acte d'agression par
le Conseil de sécurité de l'ONU
Le Conseil de sécurité puise sa
légitimité150 dans la Charte des Nations unies qui lui
attribue la responsabilité principale du « maintien de la paix et
de la sécurité internationales » par le truchement de son
article 39 ainsi rédigé : « le Conseil de
sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une
rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou
décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41
et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité
internationales ». Cet article de la Charte constitue le pivot du
système normatif du Chapitre VII qui fonde la capacité
d'intervention, d'agissement et de « législation » du Conseil
de sécurité.
145 C. KAKULE, Le Conseil de sécurité des
Nations-Unies et la Cour Pénale internationale : Dépendance
ou
indépendance ?, Mémoire, UCB, Fac Droit,
L2, 2011-2012. p. 4. Disponible en ligne sur
http://www.memoireonline.com/12/12/6553/m_Le-Conseil-de-Securite-des-Nations-Unies-et-la-Cour-Penale-Internationale-dependance-ou-indepe0.html
. Visité le 03 mars 2016.
146 Nous donnons ici l'exemple du Soudan avec les mandats
d'arrêt décernés par le Procureur contre Omar
El-Béchir, pour tant ce pays n'est pas partie au Statut de Rome.
147 Selon cet article, les Membres de l'ONU conviennent
d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de
sécurité conformément à la Charte des
Nations-Unies.
148 Cet article dispose qu'en cas de conflit entre les
obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la Charte des Nations
Unies et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les
premières prévaudront.
149 Article 16 du Statut de Rome. Déjà
cité.
150 S. Alpha NDIAYE, Le conseil de sécurité
et les juridictions pénales internationales, Law, Thèse,
Université d'Orléans, 2011, p. 58. Disponible en ligne sur
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00705886/document.Visité
le 05 avril 2016.
- 37 -
La formulation de l'alinéa 2 de l'article 5 du Statut
de Rome dans sa version non révisée voulait que les dispositions
concernant le crime d'agression soient compatibles avec la Charte de
Nations-Unies, en l'occurrence, son article 39 précité.
Voilà que l'article 15 bis point 6 du Statut dispose à
ce sujet que « lorsque le Procureur conclut qu'il y a une base raisonnable
pour mener une enquête pour crime d'agression, il s'assure d'abord
que le Conseil de sécurité a constaté qu'un acte
d'agression avait été commis par l'État en cause. Il
avise le Secrétaire général de l'Organisation des Nations
Unies de la situation portée devant la Cour et lui communique toute
information et tout document utile ». Le point 7 de cet article
renchérit que « lorsque le Conseil de sécurité a
constaté un acte d'agression, le Procureur peut mener l'enquête
sur ce crime ».
Il faut souligner qu'il n'est pas demandé au Conseil de
sécurité de constater l'existence d'un crime d'agression, mais
seulement d'un acte d'agression. La constatation par Conseil de
sécurité ne représente qu'une condamnation politique
visant un État151. Elle constitue, néanmoins, une
condition préalable permettant l'ouverture immédiate d'une
procédure de justice devant la CPI.
L'un des avantages de cette option est de permettre au
Procureur de se présenter devant la CPI avec l'affirmation
irréfutable de la commission de l'agression, ce qui devrait contribuer
à alléger considérablement sa tâche en ce qui
concerne la question de la preuve152 et fait de ce constat
l'exigence d'une décision préjudicielle153 du Conseil
de sécurité.
Ce rôle accordé au Conseil s'organise autour de
deux dispositions du Statut de Rome : l'article 13 point b relatif au pouvoir
de saisine du Conseil de sécurité et l'article 16
prévoyant un pouvoir de suspension des activités de la Cour pour
une période de 12 mois renouvelables.
Certes, en matière de poursuite pour crime d'agression
le principe demeure le constat préalable de l'acte d'agression par le
Conseil de sécurité. Cependant, l'article 15 bis point 8
du Statut de Rome semble limiter légèrement cette condition.
2. Légère exception au constat
préalable de l'acte d'agression par le Conseil de sécurité
de l'ONU
Pour relativiser le rôle du Conseil de
sécurité de constater préalablement l'acte d'acte
d'agression, l'article 15 bis point 8 du Statut de Rome dispose que
« lorsque le constat de
151M. LUISA CESOLI et D. SCALIA, Juridictions
pénales internationales et conseil de sécurité : une
justice politisée, in Revue québécoise de Droit
international, 2012, p. 63. Disponible en ligne sur
http://www.sqdi.org/wp-content/uploads/RQDI_25-2_2_Cesoni-Scalia.pdfVisité
le 05 juin 2016.
152Idem., p. 8.
153V. M. METANGMO, Op. cit., p. 491.
- 38 -
l'acte d'agression par le Conseil de sécurité
n'est pas fait dans les six mois suivant la date de l'avis, le Procureur peut
mener une enquête pour crime d'agression, à condition que la
Chambre préliminaire ait autorisé l'ouverture d'une enquête
pour crime d'agression selon la procédure fixée à
l'article 15, et que le Conseil de sécurité n'en ait pas
décidé autrement, conformément à l'article 16
»154.
La formulation retenue ci haut donne subsidiairement à
la Chambre préliminaire de la CPI le pouvoir d'autoriser le Procureur
à mener une enquête, lorsqu'un constat d'agression n'est pas fait
par le Conseil de sécurité dans les six mois suivant l'avis
donné par le Procureur au Secrétaire général des
Nations-Unies.
Si le Conseil ne fait aucun constat et reste silencieux, il
est certain que le Procureur pourra se tourner vers la Chambre
préliminaire, afin de demander l'autorisation de mener une
enquête.
Mais, si le Conseil de sécurité venait à
affirmer, voire à adopter une résolution mentionnant qu'il
n'existe pas d'acte d'agression, serait-il encore possible pour le Procureur de
se retourner vers la Chambre préliminaire pour obtenir l'autorisation de
mener une enquête?
La résolution adoptée en 2010155 par
l'Assemblée des États Parties reste muette à ce propos.
Pour répondre à cette interrogation, l'on ferait
soi la position de M. Luisa Cesoli et D. Scalia. Selon ces auteurs, le silence
de cette résolution peut, dès lors, être
interprété de manière contrastée156:
soit on assimile ce cas à l'absence de déclaration d'agression et
le Procureur pourra, alors, se retourner vers la Chambre préliminaire;
soit il faut l'interpréter comme un obstacle aux
poursuites157.
Cette dernière interprétation paraît
raisonnable, à défaut de laquelle les autres
éléments de l'article 15 bis ne seraient pas pertinents,
car la volonté du Conseil de sécurité serait toujours
subordonnée à celle du Procureur, dès lors que ce dernier
pourrait se retourner vers la Chambre préliminaire pour avoir son accord
et passer outre la position du Conseil.
Plusieurs variantes possibles ont cependant été
mises en avant par ceux qui militaient pour que l'Assemblée
générale puisse jouer un rôle de « filtre de
compétence » en matière de crime
d'agression158. C'est notamment le raisonnement selon lequel, en
cas
154Article 15 bis point 8 du Statut de Rome.
Déjà cité.
155Résolution RC/Res.6,
treizième séance plénière, 11 juin 2010.Disponible
en ligne sur
https://www.icc-
cpi.int/iccdocs/asp_docs/Resolutions/RC-Res.6-FRA.pdf.
Visité le 02 mars 2016.
156M. LUISA CESOLI et D. SCALIA, Op., cit.,
p. 64.
157Ibidem.
158S. A. NDIAYE, Op. cit, p. 62.
- 39 -
d'échec du Conseil de sécurité, la
constatation préalable de l'acte d'agression pourrait être faite
par l'Assemblée générale de l'ONU ou carrément, on
pourrait envisager l'hypothèse de l'action autonome de
l'Assemblée générale de l'ONU159 en
matière de constat préalable de l'acte d'agression.
Il demeure alors curieux de savoir comment établir la
responsabilité pénale individuelle pour un crime
réputé d'Etat par excellence.
159V. M. METANGMO, Op. cit., p. 486.
40
Conclusion du chapitre I
Le chapitre premier qui vient de s'achever a porté
essentiellement sur la définition du crime d'agression consacrée
dans la Résolution 3314 (XXIX) et dans le Statut de Rome
révisé. Pour cerner la définition qu'il y a dans chacun de
ces instruments juridiques, il s'est avéré important de parler de
l'évolution vers l'incrimination de l'agression. Ainsi avons-nous
subdivisee ce Chapitre en trois Sections.
A ce propos, dans la première Section, il a
été montré que depuis 1919, le Pacte de la SdN interdisait
la guerre d'agression mais pas radicalement le recours à la force
armée. Plus tard, en 1928, le Pacte Brilland-Kellog est venu mettre hors
la loi le recours à la guerre en tant qu'instrument politique des Etats
mais sans définir l'agression. Cependant, le Traité de Versailles
prévoyait sans succès des dispositions envisageant les poursuites
contre Guillaume II, ex-Empereur allemand pour guerre injuste qu'on qualifiait
d'agression. L'issue de la deuxième Guerre Mondiale a été
l'occasion d'incriminer la guerre injuste sous la forme du crime contre la paix
par le TMI de Nuremberg. C'est le jalon de l'incrimination individuelle de
l'agression.
La deuxième Section a montré que
l'avènement de l'ONU en 1945 a été l'occasion d'interdire
fermement la guerre dans les rapports entre les Etats. Mais encore une fois, la
Charte de l'ONU utilise le concept d'agression sans le définir.
D'où l'importance de définir l'agression en 1974 dans la
résolution 3314 de l'AGNU dans le cadre du maintien de la paix entre les
Etats. Le droit international pénal, par le biais de la CPI, est
allé jusqu'à se forger une définition du crime d'agression
qui cadre avec l'imputation de ce crime à l'individu et ce, en 2010.
Pour différencier ces deux textes, ce chapitre a
montré d'une part que, la résolution 3314 de l'AGNU
définit l'acte d'agression à son article 1er dans le
sens de la responsabilité de l'Etat. Il a été aussi
montré que cette responsabilité peut être engagée
pour agression, fait internationalement illicite, dès lors que la
condition de l'imputabilité à l'Etat est satisfaite. S'agissant
de la valeur juridique, il a été montré que la
résolution 3314 revêt de la force non contraignante, sauf
caractère coutumier des normes qu'elle comporte.
D'autre part cependant, ce chapitre a montré dans sa
troisième Section que le Statut de Rome, en tant que traité,
revêt une valeur juridique contraignante aux Etats membres et
définit à son article 8 bis le crime d'agression en
prenant pour responsable seuls les personnes
41
effectivement en mesure de contrôler l'action politique
ou militaire d'un Etat. Cependant, dans ce Statut, l'acte d'agression est
défini textuellement comme dans la résolution 3314 et un
rôle important est attribué au CSNU pour constater
préalablement l'acte d'agression.
Comme il en est ainsi, il demeure alors curieux de savoir
comment établir la responsabilité pénale individuelle pour
un crime réputé d'Etat par excellence. C'est l'objet du chapitre
second.
42
CHAPITRE
II. LA RESPONSABILITE PENALE INDIVIDUELLE POUR
CRIME D'AGRESSION
Dans la catégorie des crimes qui relèvent de la
compétence de la CPI, l'agression s'identifie comme un crime à
part. En effet, l'agression se distingue des autres crimes internationaux
à trois égards.
D'abord, il doit être le fait d'un dirigeant,
c'est-à-dire d'une personne qui est en position de «
contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un Etat »
(art. 8 bis, §1 du Statut de Rome).
Ensuite, un acte internationalement illicite de l'Etat doit
avoir été constaté par le Conseil de
sécurité des Nations Unies (art. 39 CNU), c'est-à-dire un
emploi illégal de la force en violation de l'article 2-4 de la Charte
des Nations Unies.
Enfin, l'article 8 bis précise que l'acte doit
« par sa nature, sa gravité, et son ampleur constituer une
violation manifeste de la Charte des Nations Unies ».
Le présent chapitre se propose d'étudier les
éléments constitutifs du crime d'agression (Section 1) tels
qu'arrêtés à Kampala, avant d'aborder la question de la
responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression
(Section 2) qui vise les hauts dirigeants étatiques et les
supérieurs hiérarchiques. Le point sera fait sur les
immunités des dirigeants comme obstacle à l'action
répressive du crime d'agression et proposer enfin certaines pistes de
solution (Section 3).
Section I. LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU CRIME
D'AGRESSION
La mission de la répression du crime d'agression
assignée à la CPI passe nécessairement par la
détermination de ses éléments, car ces derniers aident la
Cour à interpréter et appliquer l'article 8
bis160.
Il semble alors important de consacrer le développement
de cette section à l'étude des éléments
constitutifs du crime d'agression à savoir l'élément
matériel (§1), l'élément personnel (§2) et
l'élément moral (§3), outre l'élément
légal qui, bien entendu, ressort de l'article 8 bis du Statut
de Rome.
160Lire en ce sens l'Article 9 du Statut de Rome.
Déjà cité.
43
§1. Elément matériel du crime
d'agression
L'élément matériel c'est le fait
extérieur par lequel le crime se révèle ou prend
corps161. On l'appelle aussi corpus delicti. Pour exister
le crime doit être matérialisé par un acte. Le plus
souvent, il s'agit d'un acte interdit par la loi (infraction de commission),
mais il peut aussi s'agir de l'omission d'accomplir un acte prescrit par la loi
(l'infraction d'omission) ou alors l'hypothèse de la commission par
omission qui est un crime de commission d'après sa définition
légale, mais qui, concrètement, se réalise par
omission162.
Les Statuts des TMI de Nuremberg et de Tokyo supposaient comme
éléments constitutifs du crime contre la paix: la guerre
d'agression et l'acte d'agression163, mais sans expliquer ces
termes.
Dans la Résolution 3314 (XXIX), les concepts de guerre
d'agression sont utilisés une seule fois, sans qu'il ne soit
expliqué si la guerre d'agression est envisagée là comme
un élément matériel du crime d'agression. Aux termes de
cette Résolution, « une guerre d'agression est un crime contre la
paix internationale »164. N'est-ce pas là une simple
qualification qui n'implique pas définition ?
Lors de la Conférence de l'AEP tenue à Kampala
en juin 2010, l'on n'avait pas pu déterminer ce qu'est une guerre
d'agression, et à partir de quels critères il pouvait être
décidé qu'une guerre était une guerre d'agression. Devant
la difficulté de faire un bon usage de cette notion, l'on avait
estimé sage de la mettre de côté165 pour ne
considérer que comme constitutif du crime d'agression « l'acte
d'agression ».
L'acte d'agression
Nombreux sont ceux qui ont estimé, lors des sessions de
l'AEP, que le crime d'agression était indissolublement lié
à la commission d'un acte d'agression166. Ce qui a
suscité la question de savoir si les dispositions contenues dans la
résolution 3314 pourraient-
161 N. Mwene SONGA, Droit Pénal General
Congolais, Kinshasa, Ed. DES, 2007, p. 144.
162Idem, p. 145.
163 V.M. METANGMO, Op. cit., p. 300.
164Article 5 point 2 de la Résolution 3314
(XXIX).Déjà citée.
165 V. WILMSHURST (E.) , « Definition of the Crime of
Aggression: State Responsibility or Individual
Criminal Responsibilty ? », cité par V.M.
METANGMO, Op. cit., p. 313.
166ICC-ASP/4/SWGCA/INF.1 29 juin 2005, p. 10, AEP,
quatrième session, Note du Secrétaire. Disponible en
ligne sur
https://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/library/asp/ICC-ASP-4-SWGCA-INF1_French.pdf.
Visité le
26 avril 2016.
44
elles cependant être reprises sans difficultés
dans le cadre de la détermination des éléments
matériels constitutifs du crime d'agression, cette fois-ci crime
individuel ?
La réponse à cette question semble positive et
tirant argument du fait qu'on disposait d'un élément
matériel précis du crime d'agression déjà bien
spécifié dans la résolution 3314, élément
qui, contrairement à la guerre d'agression, était défini
dans la résolution et qu'il était donc judicieux de s'en servir
comme point de départ, et qui a également été
utilisé comme point de référence dans les travaux de la
CDI sur le Projet de code des crimes contre la paix et la
sécurité de l'humanité167.
Par définition, l'acte d'agression s'entend comme
l'emploi par un État de la force armée contre la
souveraineté, l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un autre État, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des Nations Unies168. En
plus de la violation des droits fondamentaux d'un Etat, la définition
ci-haut ajoute un autre élément qui serait la violation de la
Charte de Nations-Unies, se justifiant par la volonté d'« exclure
l'emploi de la force en application de l'Article 51 de la Charte, à
savoir au nom de la légitime défense, ou en application du
Chapitre VII de la Charte »169, cas dans lesquels il y a bien
utilisation de la force sans violation de la Charte.
Un acte, pour être qualifié d'acte d'agression,
doit posséder un certain degré de gravité170.
En effet, le critère de gravité est considéré par
la jurisprudence et de nombreux auteurs comme un élément objectif
permettant de classer ou non l'acte dans la catégorie des actes
d'agression.
Pour la CIJ, l'envoi par un État de bandes
armées sur le territoire d'un autre État peut constituer une
agression armée, s'il s'agit d'une opération de grande ampleur,
et non d'une simple assistance apportée aux rebelles, tout comme des
manoeuvres militaires ou l'envoi de fonds ou d'armements à des
rebelles171.
On peut s'accorder de croire que le juge pénal prendra
en compte la gravité et l'ampleur de l'acte, qui sont des
considérations de droit et non des considérations politiques
pour
167 ICC-ASP/5SWGCA/INF.1, 5 septembre 2005, p.5. Réunion
informelle intersession du Groupe de travail
spécial sur le crime d'agression. Disponible en ligne
https://www.icc- cpi.int/iccdocs/asp_docs/library/asp/ICC-ASP-5-INF1_French.pdf.
visité le 28 avril 2016.
168 Article 8 bis point 2 du Statut de Rome, dans
Résolution RC/Res.6. Précitée
169 ICC-ASP/6/SWGCA/2, 14 mai 2008, p.3. Document de travail
sur le crime d'agression proposé par le Président
(révision de juin 2008). Disponible en ligne sur
https://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/library/asp/ICC-ASP-6-SWGCA-2_French.pdf.
visité le 26 février 2016.
170 V. M. METANGMO, Op.cit., p. 327.
171 CIJ, arrêt Nicaragua, précité, §195,
p. 103.
45
déterminer la nature de l'acte, c'est-à-dire
pour déterminer si on est ou non face à un acte
d'agression172.
Dans l'Affaire des activités armées sur le
territoire congolais, l'intervention militaire illicite de l'Ouganda a
été d'une ampleur et d'une durée telles que la Cour la
considère comme une violation grave de l'interdiction de l'emploi de la
force énoncée au paragraphe 4 de l'article 2 de la Charte des
Nations Unies173.
En effet, dans le texte finalement adopté à
Kampala en juin 2010 (art. 8 bis, alinéa 1), il est bien
noté que l'acte d'agression constitue, du fait de sa nature, de sa
gravité et de son ampleur, une violation « manifeste » de la
Charte des NU174.
Qu'il y ait ou non déclaration de guerre, les actes
suivants sont des actes d'agression au regard de la résolution 3314
(XXIX) de l'Assemblée générale des Nations Unies en date
du 14 décembre 1974 :
L'invasion ou l'attaque par les forces armées d'un
État du territoire d'un autre État ou l'occupation militaire,
même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle
attaque, ou l'annexion par la force de la totalité ou d'une partie du
territoire d'un autre État ;
Le bombardement par les forces armées d'un État
du territoire d'un autre État, ou l'utilisation d'une arme quelconque
par un État contre le territoire d'un autre État ;
Le blocus des ports ou des côtes d'un État par
les forces armées d'un autre État ; L'attaque par les forces
armées d'un État des forces terrestres, maritimes ou
aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d'un autre
État ;
L'emploi des forces armées d'un État qui se
trouvent dans le territoire d'un autre État avec l'agrément de
celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l'accord
pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce
territoire après l'échéance de l'accord pertinent ;
Le fait pour un État de permettre que son territoire,
qu'il a mis à la disposition d'un autre État, serve à la
commission par cet autre État d'un acte d'agression contre un
État tiers ;
L'envoi par un État ou au nom d'un État de
bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés
qui exécutent contre un autre État des actes assimilables
à ceux de forces
172 Opinion individuelle du juge Simma dans l'arrêt RDC c.
Ouganda, p. 1, § 2 et 3. In KRESS (C.) et Von HOLTZENDORFF L., « The
Kampala Compromise on the Crime of Aggression » cité par V. M.
METANGMO, Op.cit., p. 335.
173 CIJ, Arrêt RDC c. Ouganda, précité,
§ 165.
174Article 8 bis point 1 du Statut de Rome, in
Résolution RC/Res.6., Amendements au Statut de Rome de la Cour
pénale internationale relatifs au crime d'agression, Kampala, 11 juin
2010. Déjà cité.
46
armées d'une gravité égale à celle
des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours
substantiel à de tels actes175.
§2. Elément moral du Crime d'agression
Pour qu'un crime soit constitué, il ne suffit pas
d'établir l'élément légal et matériel,
encore faut-il que l'acte provienne de la volonté de l'auteur, qu'il
s'agisse d'une faute intentionnelle ou non-intentionnelle176. La
volonté détermine l'infraction alors que le mobile tente d'en
justifier la commission, d'y apporter une raison, un motif.
L'élément moral cherche donc à prouver l'état
d'âme, la tournure d'esprit socialement et même moralement
répréhensible, qui aura accompagné et
caractérisé son activité
délictueuse177.
S'agissant du crime d'agression, il est possible d'envisager
l'exigence d'un élément moral à travers « l'intention
et la connaissance », mais il faut, du fait de la nature
particulière du crime d'agression, envisager que celui-ci puisse exister
sans que soit forcément apporté la preuve de la présence
de l'élément intentionnel178 dans la mesure où
l'agression est un crime dont la planification, la préparation et
l'exécution se décident au sommet de l'État et peut
être constatée sans qu'il soit nécessaire de prouver
l'existence d'un élément moral.
L'article 30 du Statut de Rome, intitulé
Éléments psychologiques, dispose « sauf disposition
contraire, nul n'est pénalement responsable et ne peut être puni
à raison d'un crime relevant de la compétence de la Cour que si
l'élément matériel du crime est commis avec intention et
connaissance »179. Bien que défini après
l'entrée en vigueur du Statut de Rome, le crime d'agression ne saurait
faire exception à cette disposition dans la mesure où il rentre
dans la catégorie des crimes relevant de la compétence de la CPI
au vu de l'article 5 du Statut de Rome.
175 Article 8 bis point 2 du Statut de Rome, in Résolution
RC/Res.6., Amendements au Statut de Rome de la
Cour pénale internationale relatifs au crime d'agression,
Kampala, 11 juin 2010.
176http ://
fr.wikipedia.org/wiki%c3%89l%c3%A9ment_moral.
Consulté le 05 avril 2016.
177N. Mwene SONGA, Op. cit., p. 238.
178Lire en ce sens V. M. METANGMO, Op.cit.,
pp. 357-362.
179Article 30.1 du Statut de Rome. Déjà
cité.
47
a. Intention
L'on entend par « intention », la résolution
intime d'agir dans un certain sens. Elle est aussi une donnée
psychologique qui, en fonction du but qui la qualifie, est souvent constitutif
d'un acte ou d'un fait juridique180.
Au sens de l'article 30 précité, il y a intention
lorsque :
a. Relativement à un comportement, une personne entend
adopter ce comportement;
b. Relativement à une conséquence, une personne
entend causer cette conséquence ou est consciente que celle-ci adviendra
dans le cours normal des événements181.
Pour la répression du crime d'agression, le procureur
doit prouver que l'Auteur a agi intentionnellement et consciemment. Cette
disposition prolonge celle de l'article 25 qui exige, pour poursuivre et punir,
un élément intentionnel renforcé, dans la tradition
juridique, française notamment, dol spécial182.
b. Connaissance
De manière générale, par connaissance, on
entend le fait d'être ou de se mettre personnellement au
courant183.
Il y a connaissance, au sens de l'article 30
précité, lorsqu'une personne est consciente qu'une circonstance
existe ou qu'une conséquence adviendra dans le cours normal des
événements184. Cet article ajoute in fine que
« connaître » et « en connaissance de cause »
s'interprètent en conséquence.
La connaissance peut, dans le cadre du crime d'agression,
s'articuler autour de deux facettes : une connaissance des faits ou une
connaissance du droit. La connaissance des faits repose sur l'idée que
l'auteur du crime d'agression sache, ait pu savoir, ou ait été au
courant des faits ou des éléments factuels ayant
entraîné ou causé le crime d'agression185, lors
que la connaissance du droit repose sur l'idée que l'accusé doit
avoir eu connaissance des règles juridiques proscrivant son
acte186.
180G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris,
PUF, Association H. Capitant, 2011.
181Article 30.2 du Statut de Rome. Déjà
cité.
182W. BURDON et E. DUVERGER, Op. cit., p.
126.
183G. CORNU, Op. cit., p. 235.
184Article 30.3 du Statut de Rome. Déjà
cité.
185V. M. METANGMO, Op.cit., p. 343.
186J. ROULOT, Le crime contre
l'humanité, cité par V. M. METANGMO, Op.cit., p.
347.
48
§3. Elément personnel du crime d'agression
L'élément personnel du crime d'agression, tel
qu'on le verra plus tard, est lié à la qualité de son
auteur. Le crime d'agression doit être le fait d'un dirigeant,
c'est-à-dire d'une personne qui est en position de «
contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un
Etat187 ayant commis l'acte d'agression ».
Dans ce sens, il va de soi que le crime d'agression
relève non pas du comportement dans la guerre mais du droit relatif
à la planification, la préparation, le déclenchement et la
commission de l'acte d'agression188.
Pour les personnes ici visées, la criminalisation
individuelle de l'agression entre États est d'autant plus dangereuse que
dans le Statut de Rome de la CPI figure la notion de « complicité
passive ». Notion aux contours incertains189, mais elle a
d'utilité pour combattre les actes constitutifs des crimes contre
l'humanité ou de crimes de guerre : le fait par exemple d'avoir su,
d'avoir vu, et de n'avoir pas empêché la commission d'actes
entrant dans ces catégories juridiques.
Ainsi, dans l'Affaire du Procureur contre Jean Pierre Bemba,
la Chambre préliminaire III a conclu, au-delà de tout doute
raisonnable, que (...) des soldats du MLC avaient commis, sur le territoire de
la RCA, des crimes relevant de la compétence de la CPI, en l'occurrence
les crimes de guerre et crimes contre l'humanité par meurtre, par viol
et pillages (§ 694)190. Pour la Cour, la commission de ces
crimes résultait du fait que, bien qu'ayant exercé une
autorité et un contrôle effectifs sur ses troupes
déployées en RCA, Jean-Pierre Bemba n'a pas pris toutes les
mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir
pour empêcher ou réprimer l'exécution des crimes commis par
ses troupes, ni pour en référer aux autorités
compétentes aux fins d'enquête et de poursuites (§
735)191.
Cependant, outre la responsabilité du supérieur
hiérarchique fondée sur les raisons de savoir, pourrait aussi
passer pour une complicité passive d'agression le fait, qui est le
propre des chefs militaires, de concevoir, à la demande, des plans
d'engagement des forces, sans en
187 Article 8 bis du Statut de Rome. Déjà
cité. 188Ibidem.
189J.-P. PANCACRIO, Op. cit., p. 52.
190G. MABANGA, Affaire Bemba : La CPI fixe les
critèresd'appréciation de la responsabilitépénale
du chef militaire et du supérieur hiérarchique, La Revue des
droits de l'homme, actualité droit-liberté, Mars 2016, p. 5. En
ligne sur
http://revdh.revues.org/2072.
Visité le 24 mai 2016.
191Idem, p. 6.
49
assumer forcément la décision. Il en est de
même de la notion de « coaction » qui se situe au-delà
de la simple complicité et qui peut être par exemple accomplie,
s'agissant de l'agression, par le fait de laisser passer dans son espace
aérien des avions étrangers allant attaquer un pays
tiers192.
Somme toute, il ressort du document annexé à la
Résolution de Kampala que, parmi les éléments constitutifs
du Crime d'agression, hormis le fait que l'auteur soit une personne
effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou
militaire de l'État ayant commis l'acte d'agression, l'on peut tenir
compte du fait qu'il ait eu également connaissance des circonstances de
fait qui avaient établi l'incompatibilité d'un tel recours
à la force armée avec la Charte des Nations Unies et de fait
ayant établi une telle violation manifeste de la Charte des Nations
Unies193.
Section
II. LA RESPONSABILITE PENALE INDIVIDUELLE POUR
CRIME D'AGRESSION
Au sens pénal du terme, la responsabilité est
l'obligation pour l'agent de répondre de ses actes délictueux et
de subir une peine. Elle suppose que l'agent est imputable et
coupable194. La mise en oeuvre de la responsabilité
pénale d'une personne peut avoir pour objet de l'amener à
réparer les conséquences de ses actes fautifs. C'est la
responsabilité morale en ce qu'elle implique un jugement de valeur sur
l'acte dont la personne doit répondre195. Il y a
responsabilité pénale internationale de l'individu lorsque le
droit international détermine lui-même les faits gravement
illicites comme des infractions au droit international pénal et dont la
répression pénale relève, si possible, d'une juridiction
internationale196. Ainsi, le crime d'agression constitue une
infraction au droit international pénal dont la répression
relève de la CPI. L'article 25 point 1 du Statut de Rome instituant la
CPI dispose que la Cour n'est compétente qu'à l'égard des
personnes physiques.
Dans le cadre de cette section l'analyse portera sur la
responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression d'abord
au regard de quelques principes généraux du droit pénal
prévus par le Statut de Rome (§1) ensuite déterminer les
personnes visées par
192G. MABANGA, Op., cit., p. 6.
193Résolution RC/Res.6., Déjà
cité. Annexe II: Amendements relatifs aux éléments des
crimes.
194N. Mwene SONGA, Op. cit., p. 222.
195G. LOPEZ et S. TZITZIS, Dictionnaire des
sciences criminelles, Paris, Dalloz, 2004, p. 832.
196Y. KASHOSI CIRHUZA, La mise en oeuvre de la
responsabilité pénale du chef de l'Etat en Droit
congolais,
Droit français et Droit international,
Mémoire, UCB, Fac. Droit, L2, 2010-2011, inédit, p. 7.
50
l'incrimination de l'agression (§2) et enfin, parler des
immunités des dirigeants comme obstacle à la mission judiciaire
de la CPI (§3).
§1. Des principes généraux du droit
pénal
Les principes généraux de droit sont une source
du droit international pénal.
Ils sont composés des principes, des règles
d'allure générale ou universelle qui permettent à un
système juridique déterminé de combler les lacunes ou les
insuffisances des sources principales du droit197.
C'est ainsi qu'en absence des règles conventionnelles
ou coutumières, la CPI est autorisée à appliquer les
principes généraux de droit198, d'où le
caractère subsidiaire199 de cette source.
Le droit international pénal est le corpus normatif qui
interdit certaines catégories de conduite pouvant être
considérées comme des infractions graves ; il règlemente
les procédures régissant les enquêtes, les poursuites et la
répression de ces catégories de conduite, et tient les auteurs de
ces infractions pour individuellement responsables. Ce Droit repose sur
plusieurs principes fondamentaux en ce sens que les crimes internationaux
incluent toujours plus d'éléments extraterritoriaux qui
nécessitent une interaction plus grande entre les États, et il
est capital de coordonner le respect de ces principes.
Ceci dit, il convient alors, dans les lignes qui suivent,
d'étudier quelques principes généraux de Droit
pénal qui ont ainsi été codifiés dans le Statut de
Rome en l'occurrence Nullum crimen, nulla poena sine lege (1), Non
rétroactivité ratione personae (2),
imprescriptibilité (3), Défaut de pertinence de la qualité
officielle (4) et Responsabilité pénale individuelle (5).
a. Nullum crimen, nullapoena sine lege
Ce principe général de droit pénal
inscrit dans le Statut de Rome traduit le principe de la légalité
criminelle qui est sans doute le principe le plus important du droit
pénal en ce que seuls peuvent faire objet d'une condamnation
pénale les faits déjà définis et sanctionnés
par
197 M. DELMAS-MARTY et Alii, Les sources du Droit
international pénal : l'expérience des TPI et le Statut de la
CPI, Unité Mixte de recherche de droit comparé,
Université de Paris I, Vol. 7, 2004, p.75.
198 Article 21 du Statut de Rome. Déjà cité.
199M. DELMAS-MARTY et Alii, Op. cit. p.75.
51
le législateur au moment où l'accusé a
commis son acte, et seules peuvent leur être appliquées les peines
édictées à ce moment déjà par le
législateur.
Selon le Statut de Rome, une personne n'est responsable
pénalement que si son comportement constitue, au moment où il se
produit, un crime relevant de la compétence de la Cour. La
définition d'un crime est d'interprétation stricte et ne peut
être étendue par analogie. En cas d'ambiguïté, elle
est interprétée en faveur de la personne qui fait l'objet d'une
enquête, de poursuites ou d'une condamnation200. Une personne
qui a été condamnée par la Cour Pénale
Internationale ne peut être punie que conformément aux
dispositions du Statut de Rome.
De ce qui précède, l'on retiendra que le crime
d'agression n'est pas à confondre avec d'autres crimes relevant de la
compétence de la CPI qui avaient déjà été
définis depuis l'entrée en vigueur du Statut de Rome, le premier
Juillet 2002.
Aux termes des paragraphes 2 des articles 15 bis et
15 ter, la CPI ne pourra exercer sa compétence qu'à
l'égard des crimes d'agression commis un an après la ratification
ou l'acceptation des amendements par au moins trente Etats parties. Les
paragraphes 3 des articles 15 bis et 15 ter prévoient
par ailleurs que l'exercice effectif de la compétence de la Cour
à l'égard du crime d'agression dépendra d'une
décision à prendre après le 1er janvier 2017 par une
majorité de trente Etats.
b. Non-rétroactivité ratione personae
Ce principe veut que le juge répressif ne puisse pas
appliquer à des faits passés une loi nouvelle d'incrimination ou
de pénalité, sauf si elle est moins sévère que la
loi ancienne.
La Cour Pénale Internationale n'a pas une
compétence rétroactive, elle n'a compétence qu'à
l'égard des crimes relevant de sa compétence commis après
l'entrée en vigueur du Statut de Rome, précise l'article 11 du
même Statut. A la lumière de l'article 24 du Statut, nul n'est
pénalement responsable pour un comportement antérieur à
l'entrée en vigueur du Statut. Si le droit applicable à une
affaire est modifié avant le jugement définitif, c'est le droit
le plus favorable à la personne faisant l'objet d'une enquête, des
poursuites ou d'une condamnation qui s'applique201.
200Article 22 du Statut de Rome. Déjà
cité. 201Article 24 du Statut de Rome. Déjà
cité.
52
Plus particulièrement, le crime d'agression ne pourra
être réprimé par la Cour Pénale Internationale
qu'à la satisfaction de deux conditions prévues aux articles 15
bis et 15 ter qui suivent :
- Que le crime d'agression soit commis un an après la
ratification ou l'acceptation des amendements par au moins trente Etats
parties202 ;
- Qu'il y ait une décision prise après le 1er
janvier 2017 par une majorité de trente Etats.
c. Imprescriptibilité
Les crimes qui relèvent de la compétence de la
CPI ne sont pas prescriptibles, précise l'article 29 du Statut de Rome.
Ceci veut dire que la CPI reste fondée à poursuivre un tel crime
relevant de sa compétence nonobstant la longueur du temps qui se sera
passé depuis le moment de sa commission si seulement elle en a
connaissance et preuve, et si le crime a été commis après
l'entrée en vigueur du Statut de Rome.
Pour ce qui est du crime d'agression,
l'imprescriptibilité opèrera au moment où le crime aura
été commis dans l'hypothèse de deux conditions ci-haut
marquées.
Le fondement de cette imprescriptibilité repose sur le
fait que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la
communauté internationale ne sauraient rester impunis, et que
l'extinction du droit de poursuite de ces crimes inquièterait
profondément l'opinion publique mondiale car elle empêcherait que
les personnes responsables de ces crimes ne soient poursuivies et
châtiées203.
d. Défaut de pertinence de la qualité
officielle
Ce principe veut que les immunités ou les règles
de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la
qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit
international, n'empêchent pas la Cour Pénale Internationale
d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne.
Selon l'article 27 du Statut de Rome, celui-ci s'applique
à tous de manière égale, sans aucune distinction
fondée sur la qualité officielle. En particulier, la
qualité officielle de
202L'on a souligné
précédemment que jusqu'à la date du 18 avril 2016, 28
Etats dont un seul africain, le Botswana, avaient déjà
ratifié ces amendements.
203W. BOURDON et E. DUVERGER, Op. cit., p.
124.
53
chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un
gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent
d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité
pénale au regard du Statut de Rome, pas plus qu'elle ne constitue en
tant que telle un motif de réduction de la peine204.
Dans l'Affaire Pinochet, la chambre des Lords, dans
sa décision du 24 mars 1999, a posé deux principes fondamentaux
en matière de droit international pénal.
D'une part les Law lords ont écarté de
toute référence à une immunité du Chef de l'Etat en
tant que telle, qu'il s'agisse d'un ancien Chef d'Etat ou d'un Chef d'Etat en
exercice.
D'autre part, les Law lords ont solennellement
accepté le principe de la « compétence universelle » en
admettant la possibilité d'une extradition du général
Pinochet en Espagne205.
Pour la première fois, ce ne serait pas la juridiction
de son propre Etat, en l'occurrence une justice chilienne qui reste
paralysée par « l'autoamnistie » que se sont octroyée
les responsables de la dictature militaire avant d'abdiquer le pouvoir, ou
devant une juridiction internationale que pourrait être jugé un
ancien Chef d'Etat, mais bien devant une juridiction nationale «
étrangère »206.
Sous l'inspiration de l'Affaire Pinochet, en février
2000, un juge sénégalais a inculpé Hissène
Habré, l'ancien dictateur du Tchad en exil à Dakar, pour actes de
torture et crimes contre l'humanité et l'a placé en
résidence surveillée. Pour la première fois
réussie, un ancien chef d'Etat était poursuivi par la justice du
pays où il avait trouvé refuge, pour les atrocités
commises dans son pays, du temps où il exerçait le pouvoir. Mais
le 20 mars 2001, la Cour de cassation du Sénégal se
déclara incompétente pour juger de crimes perpétrés
à l'étranger par un étranger. Déçues sans
être résignées, les victimes de l'ancien dictateur ont
décidé de continuer à se battre pour que justice soit
rendue. Dès le mois de novembre 2000, plusieurs plaintes avaient
déjà été déposées en Belgique et un
juge d'instruction avait procédé à des investigations
actives. Au Tchad même, de nouvelles voies pour la justice se sont
ouvertes. Les victimes ont également porté plainte contre le
Sénégal devant le Comité des Nations
204 Article 27 du Statut de Rome. Déjà
cité.
205Affaire PINOCHET. House of Lords, 24 mars 1999.
Disponible en ligne sur
http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/hei/fichiers/bulletin40.pdf
. Visité le 05 juin 2016.
206H. ASCENSIO, E. DECAUX, A. PELLET, Op.
cit., p. 199.
207 R. BRODY, Les poursuites contre
Hissène Habré : Un Pinochet africain, p. 1. Disponible en
ligne sur Disponible en ligne sur
http://www.sos-attentats.org/publications/brody.pdf
. Visité le 06 juin 2016.
54
Unies contre la Torture qui a demandé officiellement de
ne pas laisser Hissène Habré quitter ce pays, sauf dans le cadre
d'une procédure d'extradition207.
Cependant, se référant au Statut de Rome,
l'interprétation conjointe de l'article 25, de l'article 27 sur le
défaut de pertinence de la qualité officielle, et de l'article 28
sur la responsabilité des Chefs militaires et autres supérieurs
hiérarchiques, permet de déduire que l'individu est justiciable
de la CPI, quelle que soit la qualité d'après laquelle il a
agi.
e. La responsabilité pénale
individuelle
Ce principe postule que chacun est responsable
pénalement de son propre fait. Dans le sens du Statut de Rome, cette
responsabilité n'est envisagée qu'à l'égard des
personnes physiques.
A en croire les articles 25, 27 et 28 de son Statut, la CPI
est compétente pour connaître des actions mues soit par le Conseil
de Sécurité agissant dans le cadre du chapitre VII de la Charte
des Nations-Unies, soit par un Etat membre ou non, ou enfin soit par le
Procureur contre les personnes ci-après : les gouvernants, les
supérieurs hiérarchiques, les exécutants et les individus
en tant que personne privée.
Il importe cependant, d'apporter une précision sur la
question de la responsabilité pénale individuelle devant la CPI
qui est traitée à l'article 25 du Statut de Rome. Aux termes de
cet article, deux types de responsabilité pénale sont
prévus :
- Le premier est celui des auteurs principaux qui peuvent
agir, soit par commission individuelle, soit par commission conjointe, soit par
commission par intermédiaire (art. 25-3-a).
- Le second est la participation criminelle par
complicité, qui peut avoir lieu, soit par ordre, sollicitation ou
encouragement (art. 25-3-b), soit par aide, concours ou assistance (art.
253-c), soit de toute autre manière (art. 25-3-d), soit, enfin, par
incitation directe et publique à commettre le crime de génocide
(art. 25-3-e).
Qu'il agisse en tant qu'auteur principal ou complice, l'agent
engage sa responsabilité pénale personnelle pour les crimes qu'il
a lui-même commis ou aidé à commettre, ou dont il a
facilité la commission.
55
En revanche, la responsabilité pénale
prévue à l'article 28 permet de poursuivre, sous certaines
conditions, les chefs militaires et supérieurs hiérarchiques pour
les crimes commis, non par eux-mêmes, mais bien par les troupes
placées sous leur contrôle.
C'est à ce dernier type de responsabilité
pénale que s'est penché le jugement du 21 mars 2016 de la Cour
pénale internationale dans l'Affaire du Procureur contre Jean-Pierre
Bemba Gombo.
En effet, la rédaction de l'article 25 est
générale et (...) elle atteint les individus personnes
privées, lorsqu'ils se retrouveront auteurs des crimes
prévus208. Cependant, la résolution de Kampala a
apporté une précision s'agissant du crime d'agression et ce, par
l'ajout de l'article 25 point 3 bis qui précise que les
dispositions de l'article 8 bis ne s'appliquent qu'aux «
personnes effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action
politique ou militaire d'un État ».
§2. Personnes visées par l'incrimination de
l'agression
Depuis les précédents de la deuxième
Guerre Mondiale, il avait existé une célèbre formule du
Tribunal de Nuremberg selon laquelle « les infractions en droit
international sont commises par des hommes et non par des entités
abstraites»209. De surcroit, le tribunal soutenait
aussitôt que « ce n'est qu'en punissant les auteurs de ces
infractions que l'on peut donner effet aux dispositions du droit international
»210.
Le texte adopté à Kampala en juin 2010 est venu
confirmer cette tendance qui s'était déjà imposée.
La responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression,
selon les articles 8 bis et 25 paragraphe 3 bis du Statut de
Rome, n'incombe qu'aux personnes effectivement en mesure de contrôler ou
de diriger l'action politique ou militaire d'un État.
Quid alors de l'agent d'exécution de l'agression qui
est tenu, selon la loi interne de plusieurs Etats, au devoir de ne pas
exécuter un ordre manifestement illégale ? Est-ce là une
consécration du système de l'obéissance passive, encore
appelée baïonnette aveugle, qui demeure favorable aux
exécutants en ce qu'ils ne font qu'obéir aux ordres du
supérieur hiérarchique ?
208 H. ASCENSIO, E. DECAUX, A. PELLET, Op. cit., p.
237.
209Jug. de Nuremberg du
1er octobre 1946. Cité par P. TSHITEYA D., Op., cit.,
p. 67. 210Ibidem.
56
Il semblerait que la réponse à cette
dernière question demeure positive dans la mesure où le crime
d'agression est lié à l'acte de l'Etat et ne prend en compte que,
selon les articles 8 bis et 25 paragraphe 3 bis211
du Statut de Rome, seule la responsabilité des dirigeants (1) ou hautes
personnalités de l'État, et particulièrement la
responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs
hiérarchiques (2).
a. Les dirigeants
Se référant aux documents des travaux du Groupe
de Travail Spécial sur le Crime d'Agression (GTSCA), les notions de
« dirigeant ou organisateur » sont utilisées pour
désigner la catégorie des personnes dans laquelle il faut
rechercher les auteurs du crime d'agression ; on n'y trouve cependant aucune
définition de ces termes212.
Le texte adopté à Kampala qui porte
définition du crime d'agression laisse clairement entendre que le crime
d'agression ne peut être planifié, préparé,
lancé ou exécuté que par « une personne effectivement
en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un
État »213. Ces dispositions laissent bien
évidemment penser une fois encore qu'il s'agit bien de « dirigeant
».
Que faut-il entendre cependant par « dirigeant »
?
Le Statut du TMI de Nuremberg utilisait l'expression de «
dirigeant » sans la définir. C'est tout de même à
travers les jugements de Nuremberg qu'on peut dégager le sens de ce
terme. Dans ces jugements, les organisateurs ou dirigeants étaient
perçus comme ceux qui, appartenant au milieu politique, militaire ou des
affaires, y détenaient une « haute fonction » et «
jouaient un rôle particulièrement important » dans la
préparation et la commission du crime contre la paix214.
Ce faisant, par dirigeant, serait désignée toute
personne qui détient une part importante de pouvoir, une haute position
ou un niveau élevé dans les milieux (politique, militaire ou
financier), position qui leur permet d'organiser et de commettre un crime
d'agression215.
211Cet article empêche qu'une personne puisse
être poursuivie pour incitation, complicité ou autre forme de
participation en vertu des dispositions générales de l'article 25
si elle n'était pas «effectivement en mesure de contrôler ou
de diriger l'action politique ou militaire d'un Etat».
212 Voir sur ce sujet ICC-ASP/6/SWGCA/2, précité,
p. 3.
213 Article 8 bis du Statut de Rome in Résolution
RC/Res.6., Amendements au Statut de Rome de la Cour pénale
internationale relatifs au crime d'agression, Kampala, 11 juin 2010.
Déjà cité. 214Jug. Nur. 1er octobre
1946. Cité par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 377. 215 V. M.
METANGMO, Op. cit., p. 378.
57
Mais alors, la résolution de Kampala se limite à
la direction de l'action politique ou militaire d'un Etat.
A en croire A. Borghi, par dirigeants politiques, il est
couramment fait référence aux personnalités telles : le
chef de l'État, le chef de gouvernement, les ministres et, dans une
certaine mesure, les diplomates216. Dans la pratique, poursuit cet
auteur, lorsqu'on parle des dirigeants politiques d'un État, on pense
communément aux chefs d'État, chefs de gouvernement, ministres
des affaires étrangères et toutes autres personnalités de
rang élevé. Par personnalités de rang élevé,
on entend par exemple la plupart des ministres, des secrétaires
d'État, des présidents des hautes assemblées
(Assemblée nationale et Sénat), des
ambassadeurs217.
S'agissant du fondement de la responsabilité des
dirigeants pour crime d'agression, les TMI affirmaient déjà que
« le droit international condamne ceux qui, par leur pouvoir réel
d'élaborer et d'influencer la politique de leur nation, préparent
leur pays et l'entraînent vers une guerre
d'agression»218. Le crime individuel d'agression reste en
effet, nous l'avons dit, strictement relié à l'acte de
l'État dans la mesure où il vise à réprimer un
phénomène étatique, le recours à la guerre,
directement ordonné et planifié par les hautes autorités
politiques et militaires de l'État.
b. Les chefs militaires et autres supérieurs
hiérarchiques
L'on ne peut pas exclure la responsabilité des
dirigeants militaires de la commission du crime d'agression sous le simple
motif que c'est le dirigeant politique qui prend la décision finale
d'aller en guerre. Les dirigeants militaires doivent être au même
titre que les dirigeants politiques interpellés quand ce crime est
commis219 car ils veillent à la préparation des forces
armées et conçoivent les opérations
militaires220.
Exclusivement, il est question ici de ceux qui occupent dans
l'armée des hautes positions et un rôle de commandement ; ceux qui
ont le pouvoir de décision et qui, de ce fait, prennent une part active
dans la planification, la préparation et l'exécution du crime
d'agression. L'application de ces critères permet d'éviter de
punir « le simple soldat » ou le « simple militaire
» pour crime d'agression. En effet, ce dernier ne peut pas jouer le
même rôle
216 A. BORGHI, L'immunité des dirigeants,
Cité par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 378.
217V. M. METANGMO, Op. cit., p. 378.
218Jug. Nur. 1er octobre 1946. Cité
par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 342.
219 Voir Article 8 bis in ICCASP/6/SWGCA/2,
précité, p. 3.
220Jug. Nur. 1er octobre 1946. Cité
par P. TSHITEYA D., Op. cit., p. 69.
58
dans la décision d'engager et de mener une guerre
d'agression qu'un général ou un chef
d'état-major221.
C'est cette démarche qu'ont adopté les TMI au
lendemain de la seconde guerre mondiale ; ils ont estimé à propos
du crime contre la paix que : « c'est quelque part entre le Dictateur et
Commandant suprême des Forces militaires d'un côté et le
simple soldat de l'autre que se situe la frontière entre la
participation criminelle et la participation excusable »222.
De surcroit, dans l'affaire Akayesu, la Ière
Chambre de la première instance du TPIR avait affirmé qu'il n'est
pas exigé (au sens de l'article 6 point 3 du Statut du TPIR)
nécessairement que le supérieur ait su, pour que sa
responsabilité pénale soit engagée, il suffit seulement
qu'il ait eu des raisons de savoir que ses subordonnés étaient
sur le point de commettre un crime ou l'avaient commis et qu'il n'ait pas pris
les mesures nécessaires ou raisonnables pour empêcher que le dit
acte ne soit commis ou pour en punir les auteurs. C'est une sorte de
responsabilité par omission ou par abstention223.
La notion de responsabilité des chefs militaires et
autres supérieurs hiérarchiques est consacrée par
l'article 28 du Statut de Rome. Sur pied dudit article, outre les autres motifs
de responsabilité pénale au regard du Statut de Rome pour des
crimes relevant de la compétence de la CPI :
a. Un chef militaire ou une personne faisant effectivement
fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes
relevant de la compétence de la Cour commis par des forces
placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous
son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'il ou
elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces dans
les cas où :
- Ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des
circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient
commettre ces crimes; et
- Ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les
mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir
pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en
référer aux autorités compétentes aux fins
d'enquête et de poursuites ;
221 C. BASSIOUNI, Introduction au Droit Pénal
International, Bruxelles, Bruylant , 2002, p. 38.
222 V. Affaire du Haut Commandement, pp. 486 et 489. Cité
par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 383.
223TPIR, Affaire Procureur contre Jean-Paul
Akayesu, 2 septembre 1998, ICTR-96-4, Jugement Ch. II, paragraphe 479.
59
b. En ce qui concerne les relations entre supérieur
hiérarchique et subordonnés
non décrites au paragraphe a) de l'article 28, le
supérieur hiérarchique est pénalement responsable des
crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des
subordonnés placés sous son autorité et son contrôle
effectifs, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui
convenait sur ces subordonnés dans les cas où :
- Le supérieur hiérarchique savait que ces
subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a
délibérément négligé de tenir compte
d'informations qui l'indiquaient clairement ;
- Ces crimes étaient liés à des
activités relevant de sa responsabilité et de son
contrôle effectifs ; et
- Le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes
les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son
pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour
en référer aux autorités compétentes aux fins
d'enquête et de poursuites224.
Il faut cependant noter que le supérieur
hiérarchique encourt une responsabilité pour cause d'omission ou
d'infraction commise par une personne placée sous son contrôle.
Tel est le cas avec Monsieur Jean-Pierre Bemba qui a été attrait
devant la CPI pour répondre des actes et faits infractionnels au regard
du Statut de Rome commis par les soldats du Mouvement pour la Libération
du Congo (MLC) en République Centrafricaine (RCA) dont il est et fut
président et conséquemment, supérieur hiérarchique
et/ou chef militaire225.
Dans son jugement du 21 mars 2016, la Chambre de
première instance III, en application de l'article 74 du Statut, dans
l'affaire Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, a
déclaré celui-ci « coupable », en tant que personne
faisant effectivement fonction de chef militaire, au sens de l'article 28-a du
Statut226.
De cette Affaire, l'on peut retenir Trois
éléments qui fondent la responsabilité du supérieur
hiérarchique : La qualification du supérieur hiérarchique,
la connaissance ou les
224 Article 28 du Statut de Rome. Déjà
cité.
225Y. KATSHUNG J., L'Affaire JEAN PIERRE BEMBA :
Un Pot Pourri de la Question de la Responsabilité du Supérieur
Hiérarchique et des Méandres de la Justice Pénale
Internationale ? p. 7. Disponible en ligne sur
http://www.yavassociates.com/upload/La%20question%20du%20fondement%20de%20la%20responsabilit%C3
%A9%20du%20sup%C3%A9rieur%20hi%C3%A9rarchique%20dans%20l%E2%80%99affaire%20JEAN%20
PIERRE%20BEMBA%%A0.pdfVisité le 06 avril 2016.
226 CPI, Affaire Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, in
Résumé du jugement rendu par la Chambre de première
instance III le 21 mars 2016, p. 22. Disponible en ligne sur
https://www.icc-cpi.int/iccdocs/PIDS/publications/2016.03.21_Summary_of_the_Judgment-Fra.pdf
Visité le 05 juin 2016.
60
informations qui peuvent y conduire et l'obligation de prendre
les mesures pour empêcher ou réprimer l'infraction.
La cour a conclu que Jean-Pierre Bemba faisait effectivement
fonction de chef militaire et exerçait une autorité et un
contrôle effectifs sur les forces du MLC qui ont commis les crimes ; il
savait que les forces du MLC commettaient ou allaient commettre les crimes ; il
n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour
empêcher ou réprimer l'exécution des crimes ou pour en
référer aux autorités compétentes aux fins
d'enquête et de poursuites227.
Cet arrêt de la Chambre de première instance III
de la CPI aura le mérite d'avoir fixé en jurisprudence de la CPI
les critères de la responsabilité du supérieur
hiérarchique. Ce qui pourra être un acquis pour la
détermination de la responsabilité des dirigeants ou
supérieurs hiérarchiques pour crime d'agression. Cependant, dans
la pratique, les poursuites des individus du genre de ceux visés par le
crime d'agression ne vont toujours pas sans être handicapées par
les immunités dont ils jouissent ou par une certaine pesanteur
politique.
§3. Les immunités des dirigeants feraient-elles
obstacle à la répression du crime
d'agression ?
Plus haut, a-t-on montré qu'avec la consécration
dans le Statut de Rome du « défaut de pertinence de la
qualité officielle », l'on ne peut plus se prévaloir de sa
qualité de dirigeant à n'importe quel titre pour se soustraire
des poursuites mues par la CPI.
Cependant, l'on ne doit pas également perdre de vue que
cette Cour fonctionne selon le principe de complémentarité, qui
veut que la CPI agisse complémentairement, sous réserve du
principe de non bis in idem, aux juridictions nationales qui sont
censées connaitre en premier les crimes internationaux commis sur leur
territoire.
En effet, bien que les crimes inscrits dans le Statut de Rome
soient considérés comme les plus graves et touchant l'ensemble de
la communauté internationale, force est de constater que contrairement
à la CPI, devant laquelle les immunités n'ont aucune valeur et
ainsi ne constituent pas un obstacle aux poursuites et à la
répression de toute personne coupable, la justice pénale
nationale peut encore buter très souvent sur le mur infranchissable des
immunités, tant il est vrai que le crime d'agression est un crime des
dirigeants.
227CPI, Affaire Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo.
Déjà cité.
61
L'intérêt de cette question réside dans le
fait que le crime d'agression, selon le Statut de Rome, ne peut être
commis que par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de
diriger l'action politique ou militaire d'un État qui peut s'agir des
dirigeants ou hautes personnalités de l'État, et des chefs
militaires et autres supérieurs hiérarchiques. Lorsqu'il faut
poursuivre ces personnes, surtout les dirigeants, devant les juridictions
pénales internes comme étrangères, leurs immunités
ne vont pas sans entraver l'action de la justice.
Encore plus, sur le plan international pénal, le
succès de l'action de la CPI dépend beaucoup plus de la
coopération des Etats parties au Statut de Rome avec la Cour. Mais, la
pratique surtout en Afrique, ne semble toujours pas s'inscrire dans cette
logique. Il sied alors de revenir sur le cas des immunités en droit
interne (a) et sur la réalité au vu de l'obligation de
coopérer avec la CPI en droit international pénal (b).
a. Les immunités pénales en droit
interne
Le droit interne de beaucoup d'Etats consacre encore des
immunités les plus étendues à la fois au profit du
Président de la République, des membres du Gouvernement et des
parlementaires228.
A titre d'exemple, donnons le cas de la RDC en ce qui concerne
le Président de la République ; il ne peut répondre des
actes commis dans le cadre ou à l'occasion de l'exercice de ses
fonctions qu'en cas de haute trahison, d'atteinte à l'honneur ou
à la probité et des délits d'initiés229
punis notamment de la déchéance de ses fonctions230.
Le quorum requis pour la décision des poursuites à sa charge et
sa mise en accusation devant la Cour constitutionnelle est de deux tiers des
membres de l'Assemblée nationale et du Sénat composant le
Congrès231. En ce qui concerne les infractions commises en
dehors de l'exercice de ses fonctions, les poursuites sont suspendues
jusqu'à l'expiration de son mandat232. Ces dispositions
constitutionnelles s'appliquent également au Premier ministre, à
cette seule différence qu'aux
228D. FATAKI et Alii, RDC : Un Etat de droit en
pointillé, Essai d'évaluation des efforts en vue de
l'instauration de l'Etat de droit et perspectives d'avenir, Une
étude d'AfriMAP et de l'Open Society Initiative
for SouthernAfrica, juillet 2013, p. 47. Disponible en ligne
sur
http://www.osisa.org/sites/default/files/rdc_justice_et_etat_de_droit_19jun0930.pdf
Visité le 20 mai 2016.
229 Article 164 de la Constitution de la RDC du 18
février 2006 telle que révisée à ce jour. in JORDC,
Numéro spécial, Kinshasa, le 5 février 2011.
230 Article 167, alinéa 1 de la Constitution de la RDC.
Déjà citée.
231 Article 166, alinéa 1 de la Constitution de la RDC.
Déjà citée.
232 Article 167, alinéa 2 de la Constitution de la RDC.
Déjà citée.
62
infractions commises à l'occasion ou dans l'exercice de
ses fonctions dont celui-ci peut être appelé à
répondre s'ajoute l'outrage au Parlement233.
De manière générale, la règle de
l'immunité de juridiction pénale des chefs d'État, des
dirigeants et autres hautes personnalités, sur le terrain des
immunités ratione personae, a été
réaffirmée par la CIJ dans l'affaire ayant opposé la RDC
à la Belgique à l'occasion de laquelle, il a été
fixé l'état du droit international sur la question de
l'immunité pénale et de l'inviolabilité d'un ministre des
affaires étrangères.
Dans cette affaire, les autorités judiciaires belges
avaient émis en avril 2000, un mandat d'arrêt international pour
crimes de guerre et crimes contre l'humanité à l'encontre de
Monsieur Yerodia Ndombasi, à l'époque ministre des affaires
étrangères de la RDC. C'est ainsi que cette dernière va
s'adresser à la CIJ en la priant de juger qu'en émettant un
mandat d'arrêt international contre son ministre des affaires
étrangères, la Belgique a violé le droit international,
l'immunité pénale et l'inviolabilité de son ministre des
affaires étrangères234.
Se prononçant sur la question, la Cour avait dit «
... qu'il est clairement établi en droit international que, de
même que les agents diplomatiques et consulaires, certaines personnes
occupant un rang élevé dans l'État, telles que le chef de
l'État, le chef du gouvernement ou le ministre des affaires
étrangères, jouissent dans les autres États
d'immunités de juridiction, tant civiles que pénales...
»235.
Par conséquent, a noté la Cour in casu,
les immunités résultant du droit international coutumier sont
opposables devant les tribunaux d'un État étranger, même
lorsque ces tribunaux exercent une telle compétence sur la base des
conventions internationales tendant à la prévention et à
la répression de certains crimes graves qui mettent à la charge
des États des obligations de poursuite ou d'extradition et leur font
obligation d'étendre leur compétence
juridictionnelle236.
Cette limitation du droit à la répression des
hauts dirigeants en droit interne peut s`étendre sur le plan
international, aux actions initiées par la CPI contre la personne des
dirigeants étatiques suite au refus des Etats de coopérer avec
cette Cour.
233 Article 165 de la Constitution de la RDC. Déjà
citée. 234M. CIFENDE, Op., cit., p. 153.
235 CIJ, RDC c. Belgique, § 51. Déjà
cité.
236Idem., § 59.
63
b. La difficile coopération avec la CPI en Droit
international pénal
L'activité de la CPI est largement tributaire de la
coopération des États.
Il convient à ce propos d'invoquer l'article 86 du
Statut de la CPI qui énonce une obligation générale de
coopérer de la part des États Parties en ces termes: «
Conformément aux dispositions du présent Statut, les États
Parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et
poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence
»237.
Cependant, les dispositions de l'article 86 du Statut de Rome
sont tempérées par celles de l'article 98 du même Statut.
Aux termes de ce dernier article :
1. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une
demande de remise ou d'assistance qui contraindrait l'État requis
à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui
incombent en droit international en matière d'immunité des
États ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un
État tiers, à moins d'obtenir au préalable la
coopération de cet État tiers en vue de la levée de
l'immunité.
2. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une
demande de remise qui contraindrait l'État requis à agir de
façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en vertu
d'accords internationaux selon lesquels le consentement de l'État
d'envoi est nécessaire pour que soit remise à la Cour une
personne relevant de cet État, à moins que la Cour ne puisse au
préalable obtenir la coopération de l'État d'envoi pour
qu'il consente à la remise »238.
Il est donc difficile, dans la pratique, pour la CPI de
pouvoir exercer sa compétence en l'absence de la coopération
d'États tiers et notamment en ce qui concerne la levée des
immunités que les États appliquent dans le cadre des obligations
qui leur incombent en droit international.
Qu'il suffise, à ce propos, de n'invoquer que le cas
des infructueux mandats d'arrêt décernés à deux
reprises par la CPI contre le président soudanais Omar El-Béchir
depuis mars 2009 pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre
à l'encontre des populations civiles du Darfour. Pourtant
recherché sous le coup des mandats d'arrêt de 2009 et 2010, Omar
El-Béchir ne cesse de circuler librement dans pas mal d'Etats sans
éprouver une moindre inquiétude. Au nombre de ces Etats, nous
pouvons citer :
- Le KENYA : alors que le président
Mwai Kibaki venait de signer la nouvelle constitution de son pays en date du 27
aout 2010, une cérémonie fastueuse était organisée,
à laquelle étaient invités, entre autres, les chefs
d'État des pays voisins dont Omar El-Béchir.
237 Article 86 du Statut de Rome. Déjà
cité. 238Article 98 du Statut de Rome. Déjà
cité.
64
Le Kenya, en tant qu'État partie au Statut de Rome
depuis 2005, était dans l'obligation d'arrêter El-Béchir et
de le traduire devant la CPI. Toutefois le gouvernement kenyan avait
refusé de reconnaître cette obligation juridique et avait
préféré se conformer à une résolution de
l'Union africaine (UA) demandant à ses pays membres de ne pas
coopérer avec la CPI au nom du parti-pris anti africain qui la
caractériserait239.
- La République Sud-africaine : En
date du 13 Juin 2015, le président soudanais Omar El-Béchir
était arrivé en Afrique du Sud pour participer au 25ème
sommet de l'Union africaine (UA) à Johannesburg alors qu'il est
visé par des mandats d'arrêt de la CPI. En tant qu'Etat partie au
Statut de Rome, et en vertu de son droit national, le gouvernement Sud-africain
avait l'obligation légale d'arrêter El-Béchir dès
son arrivée sur son territoire, ce qu'il n'a pas fait en dépit
d'une décision provisoire rendue par la Haute Cour l'obligeant à
s'assurer qu'El-Béchir ne quitte pas sa juridiction le temps qu'une
décision sur le fond de la requête soit rendue. Pour l'Afrique du
sud, El-Béchir bénéficiait en effet d'une immunité
accordée à tous les participants au sommet de l'Union africaine
(UA), ce qui rendait très improbable son arrestation. Le
président soudanais était, en outre, assuré du soutien de
l'Union africaine, qui bataille contre une CPI à qui elle dénie
le droit de poursuivre des chefs d'Etat en exercice et qui lui reproche de ne
cibler que des Africains240.
- L'Ouganda : Alors qu'il venait d'être
élu pour un cinquième mandat, le président Yoweri Museveni
a été investi à Kampala le 12 mai 2016. Parmi le nombre
des invités à l'occasion de cette cérémonie,
figurait le Président Soudanais Omar El-Béchir, recherché
par la CPI depuis 2009. Lors des présentations de ses invités, le
Chef d'Etat ougandais en a profité pour glisser un mot sur la CPI :
« Nous avons perdu tout intérêt pour la CPI. La CPI n'est
plus notre affaire. C'est un corps inutile. Initialement nous avons
supporté la CPI en pensant qu'ils étaient sérieux, mais ce
n'est qu'une poignée de personnes inutiles ». Pour Owfono
Opondo, le porte-parole du gouvernement, il était normal que le
président soudanais soit invité : « Le président
Bechir est le président légitime de la République du
Soudan. Donc, nous ne voyons aucune raison pour qu'il ne soit pas
invité. Un engagement constructif avec monsieur Béchir
représente une meilleure voie plutôt que de l'isoler. La CPI
initialement a
239S. Brown, Justice pénale internationale
et violences électorales : les enjeux de la CPI au Kenya, Revue
Tiers Monde, n° 205, mars 2011, p. 88. 240
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/06/15/omar-al-bachir-est-parvenu-a-quitter-l-afrique-du-sud_4654451_3212.html
. Visité le 10 juin 2016.
65
été créée pour de bonnes
raisons, mais malheureusement il y a eu des abus. De plus, l'Union africaine a
pris la décision de ne pas coopérer avec la Cour pénale
internationale parce qu'elle est superficielle, vindicative et, pour utiliser
les mots du président, inutile ». Pas question donc
d'arrêter Omar El-Béchir, a souligné le porte-parole du
gouvernement, tout en insistant sur le fait que l'Ouganda garantirait son
retour en toute sécurité à Khartoum241.
- Le Rwanda : Alors que ce pays organisait le
27ème sommet de l'Union africaine, sa ministre des affaires
étrangères, Madame Louise Mushikiwabo, a tenu un point de presse
où elle a déclaré que Le Rwanda n'a pas ratifié le
Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, et n'a donc "aucune
obligation", ni "aucun droit" d'arrêter Béchir, ce qui s'est
réalisé le 17 juillet 2016. Elle a qualifié de
"distraction" la demande adressée, il y a deux jours du sommet à
son gouvernement par la CPI, lui demandant de l'aider à arrêter M.
Béchir. Selon Madame Louise Mushikiwabo, la question d'un
éventuel retrait des pays africains membres de la CPI est au menu des
discussions du sommet de l'UA. L'organisation accuse la Cour de viser
injustement ses dirigeants car l'écrasante majorité de ses
enquêtes concernent des pays africains242.
Face à l'attitude des Etats ci haut illustrés,
il convient de s'interroger sur les mesures prévues face au non-respect
de l'obligation de Coopérer avec la CPI.
A cet effet, le Statut de Rome tout comme l'Accord de
coopération entre la CPI et les NU n'ont pas énoncé des
règles précises en cas de manquement à cette obligation de
coopérer.
Aux termes de l'Accord de coopération entre la CPI et
les NU, « lorsque, ayant été saisie par le Conseil de
sécurité, la CPI constate, conformément à l'article
87, paragraphe 5. b) ou paragraphe 7, du Statut de Rome, qu'un État se
refuse à coopérer avec elle, elle en informe le Conseil de
sécurité ou lui défère la question, selon le cas,
et le Greffier communique au Conseil de sécurité, par l'entremise
du Secrétaire général, la décision de la Cour et
des informations pertinentes sur l'affaire. Le Conseil de
sécurité, par l'entremise du Secrétaire
général, porte à la connaissance de la Cour, par
l'entremise du Greffier, toute mesure qu'il prend en l'espèce
243».
Saisi en cas de manquement à cette obligation, le
Conseil de sécurité peut, en vertu de l'article 17 alinéa
3 de l'accord de Coopération entre la CPI et les NU, prendre «
toute
241
http://www.rfi.fr/afrique/20160513-ouganda-le-president-museveni-qualifie-da-cpi-corps-inutile-omar-el-bechir
Visité le 10 juin 2016.
242
http://www.voaafrique.com/a/bechir-recherche-par-la-cpi-bienvenu-invite-au-sommet-de-l-ua-a- kigali/3417917.html
Visité le 22 juillet 2016.
243Article 17 alinéa 3 de l'Accord
négocié régissant les relations entre la CPI et l'ONU, 4
octobre 2004.
66
mesure» en l'espèce244. On peut donc
penser que le Conseil peut adopter une résolution dans le cadre du
Chapitre VII imposant à nouveau une obligation de coopérer et
énonçant des sanctions en cas de manquement à
l'obligation.
L'obligation de coopérer, si elle est rappelée
par une résolution du CS prise dans le cadre du Chapitre VII de la
Charte, est contraignante et s'impose à tous les États et non
plus seulement aux États parties au Statut de la CPI245.
Cependant, le Conseil de sécurité, bien que
saisi à plusieurs reprises sur les manquements des États parties
au Statut de Rome quant à leur obligation générale de
coopérer246, n'a jusque-là pris aucune
résolution dans le cadre du Chapitre VII enjoignant à un
État explicitement nommé ou à tous les États
d'exécuter le mandat d'arrêt délivré par la CPI ou
imposant des sanctions du fait des manquements à cette
obligation247.
A ce niveau, il y a lieu d'imaginer que le Conseil de
sécurité, organe politique, est certainement soumis à des
influences ou des considérations politiques qui jusqu'à
présent le conduisent à ne pas réagir ; surtout que
certains de ses membres permanents, détenteurs du droit de veto comme la
Chine et les Etats-Unis ne sont pas parties au Statut de Rome de la CPI.
Section III. PERSPECTIVES POUR UNE REPRESSION EFFICACE
DU CRIME D'AGRESSION PAR LA CPI
S'il y a un remède qui peut être
préconisé, dans le cadre de ce travail, et qui semble utile afin
que l'action judiciaire de la CPI en matière de crime d'agression soit
menée à bien, ce serait de permettre une parfaite collaboration
entre la CPI et les Etats, parties ou non au Statut de Rome, ainsi que l'ONU et
abandonner toute tendance politique dans telle action.
Ainsi, pour y arriver, recommandons-nous :
244V. M. METANGMO, Op., cit., p. 402.
245Ce qui a été le cas pour les TPI
où par la résolution 827 du 25 mai 1993 par exemple, le CS a
contraint tous les États à coopérer avec le TPIY.
246V. M. METANGMO, Op., cit., p. 403.
247Pourtant, dans la résolution 1593 par
laquelle le CS a déferré la situation du Soudan à la CPI,
le CS « 2. Décide que le Gouvernement soudanais et toutes les
autres partiesau conflit du Darfour doivent coopérer pleinement avec la
Cour et le Procureur et leur apporter toute l'assistancenécessaire
conformément à la présente résolution et, tout en
reconnaissant que le Statut de Rome n'impose aucune obligation aux États
qui n'y sont pas parties, demande instamment à tous les États et
à toutes les organisations régionales et internationales
concernées de coopérer pleinement ».
67
Aux Etats parties au Statut de Rome:
- De ratifier les amendements du Statut de Rome issus de la
Résolution de Kampala sur la définition du Crime d'agression afin
de lui donner effet positif, tant il est vrai que les articles 15 bis
point 2 et 15 ter point 2 soumettent parmi entre autres
conditions d'entrée en vigueur de ces amendements, la ratification ou
l'acceptation par au moins trente Etats.
Nous encourageons, de ce fait, l'état de 28
ratifications enregistrées par le Secrétaire
général de l'ONU jusqu'à la date du 18 avril 2016,
néanmoins, déplorons tout de même l'absence des Etats
africains, excepté le Botswana, parmi le nombre d'Etats ayant
ratifié ces amendements, et doutons en même temps de la
réticence des autres Etats, à voir le nombre de 28 Etats
seulement dans une période de 6 ans à peu près.
- De s'acquitter de bonne foi de leurs obligations
vis-à-vis du Statut de la CPI.
- De se doter dans leur droit interne des textes juridiques
servant de mise en oeuvre de ces amendements dans la mesure de permettre une
intervention complémentaire de la CPI en matière du crime
d'agression.
A la Cour Pénale Internationale :
- De revoir les dispositions de l'article 98 du Statut de Rome
au vu du défaut de pertinence de la qualité officielle
consacré à l'article 27 du même Statut, tant il est vrai
que beaucoup d'Etats y trouveraient un alibi pour ne pas arrêter et
déférer à la CPI les dirigeants ou autres personnes
effectivement en mesure de contrôler l'action politique ou militaire d'un
Etat, visés pour Crime d'agression.
- De préciser des sanctions pour des Etats qui
manqueraient délibérément à l'obligation de
coopérer avec elle.
- D'agir de sorte que le juge pénal adopte une attitude
impartiale et ne prenne pas en compte des considérations de nature
politique ou autres qui ne seraient pas juridiques.
Au Conseil de sécurité de l'ONU :
- De s'acquitter objectivement et diligemment de son
rôle de constat préalable de l'acte d'agression tel que le veut
l'article 39 de la Charte des Nations-Unies, à défaut de quoi,
nous aurions recommandé que l'Assemblée générale de
l'ONU se saisisse de la question en vertu
68
de la Résolution 377 (V), dite « Union pour le
maintien de la paix » ou résolution Dean Acheson248.
Ceci est vrai dans la mesure d'empêcher au Conseil de
sécurité de geler, sur base de l'article 16 du Statut de Rome,
l'action de la Cour durant 12 mois renouvelable.
- D'agir, par son pouvoir normatif contraignant, dans le sens
d'enjoindre à un ou plusieurs États explicitement nommés
l'obligation de coopérer avec la CPI dans le cas où ils la
violeraient et imposer des sanctions du fait des manquements à cette
obligation.
Conclusion du Chapitre II
Ce chapitre a porté sur l'étude de la
responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression qui, du
reste, est réputé crime d'Etat par excellence. Il est
subdivisé en trois sections.
Dans la première section, pour examiner la
responsabilité de l'individu pour ce crime, ce chapitre s'est
proposé de faire le point sur les éléments constitutifs
afin d'apprécier l'implication de l'individu dans sa commission. De ce
fait, trois éléments ont été donnés comme
constitutifs du crime d'agression outre l'élément légal
qui ressort de l'article 8 bis du Statut de Rome. Au rang de ces
éléments figurent: l'élément matériel qui
consiste en l'acte d'agression commis par des individus au nom de l'Etat ;
l'élément moral qui consiste, au regard de l'article 30 du Statut
de Rome, en l'intention ou en la connaissance de commettre l'acte d'agression ;
et l'élément personnel qui consiste en une personne effectivement
en mesure de contrôler l'action politique ou militaire d'un Etat.
Dans la deuxième section, ce chapitre a montré
que dans le Statut de Rome de la CPI, il est prévu certains principes
généraux de droit qui guident responsabilité individuelle
devant la CPI. Tel est le cas du principe de non-rétroactivité
ratione personae qui veut le Statut de Rome ne rétroagisse sur
des personnes ayant commis un tel crime de la compétence la CPI avant
son entrée en vigueur, en l'occurrence avant 2017 pour le crime
d'agression ; le principe de la responsabilité pénale
individuelle qui suppose que chacun soit pénale
248Dans cette Résolution, l'Assemblée
générale avait décidé que « dans tous les
cas où parait exister une menace contre la paix, une rupture de la paix
ou un acte d'agression et où, du fait que l'unanimité n'a pu se
réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de
sécurité manque à s'acquitter de sa responsabilité
principale dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales, l'Assemblée générale examinera
immédiatement la question afin de faire aux membres les recommandations
appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris,
s'il s'agit d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression, l'emploi de la
force armée en cas de besoin pour maintenir ou rétablir la paix
et la sécurité internationales ».
69
responsable de ses propres faits ; et ; le principe de
défaut de pertinence de la qualité officielle qui permet à
la CPI, lors des poursuites, de se passer de toute qualité officielle
attaché à l'individu en vertu du droit tant national
qu'international. Particulièrement pour le crime d'agression, seuls les
dirigeants, les chefs militaires et autres supérieurs
hiérarchiques sont susceptibles d'engager leur responsabilité
devant la CPI.
Il a été cependant relevé que l'action
judiciaire pour crime d'agression pourrait être handicapée au
niveau interne des Etats par le jeu des immunités pénales dont
jouissent les personnes visées, et au niveau international par le refus
de la part des Etats de coopérer avec la CPI. Pour illustrer ce refus,
il a été invoqué le cas du président soudanais,
El-Béchir, qui, malgré les deux mandats d'arrêt de la CPI
le visant, circule librement au Kenya, en Afrique du Sud, en Ouganda et
récemment au Rwanda sans être arrêté et sans
qu'aucune mesure contraignant les Etats de l'arrêter ne soit prise par le
CSNU en vertu de l'Accord de coopération entre l'ONU et la CPI.
Dans la troisième section enfin, pour permettre
à la CPI de bien exécuter sa mission, quelques pistes de solution
ont été proposé, dont notamment aux Etats membres de
s'acquitter de bonne foi des obligations leur incombant en vertu du Statut de
Rome ; au Conseil de sécurité de l'ONU d'agir, par son pouvoir
normatif contraignant, dans le sens d'enjoindre à un ou plusieurs
États explicitement nommés l'obligation de coopérer avec
la CPI dans le cas où ils la violeraient et imposer des sanctions du
fait des manquements à cette obligation ; et enfin à la CPI
d'agir de sorte que le juge pénal adopte une attitude impartiale et ne
prenne pas en compte des considérations de nature politique ou autres
qui ne seraient pas juridiques.
70
CONCLUSION GENERALE
Depuis le temps des âges, l'agression internationale
était strictement un acte entre États supposant la guerre
d'agression, sans que ne soit donné une définition juridique de
ces concepts. Il a fallu attendre l'avènement de la Résolution
3314 (XXIX) de l'assemblée générale de l'ONU en
l'année 1974 pour avoir une définition de l'agression, mais cette
fois encore comme acte de l'Etat.
Outre les antécédents de Nuremberg en rapport
avec la répression du crime contre la paix, en droit international
pénal, la question de l'agression comme crime de l'individu s'est
posée avec une particulière acuité à la
conférence de Rome de juillet 1998 sur le Statut de la CPI, mais sans
compromis aucun sur ce crime. Plus tard, la conférence des Etats parties
au Statut de Rome, tenue à Kampala du 31 mai au 11 juin 2010, va aboutir
à une résolution comportant la définition et les
éléments constitutifs du crime d'agression.
Ce faisant, le présent travail s'est proposé de
parler du crime d'agression en droit international pénal dans la
perspective de la portée et des enjeux de la révision de Kampala.
Pour y arriver, deux questions ont été posées, à
savoir :
Existe-t-il une différence de fond entre le concept
d'agression contenu dans la résolution 3314 (XXIX) de l'AG de l'ONU et
dans le Statut de Rome révisé ?
Si l'agression est le crime d'Etat par excellence, comment
établir la responsabilité pénale individuelle ?
En guise d'hypothèses, il a été
avancé en premier lieu que la définition du concept d'agression
arrêtée dans la Résolution 3314, considère le crime
d'agression comme imputable à l'Etat, supposant la responsabilité
de celui-ci ; tandis que celle donnée par l'article 8 bis du
Statut de Rome de la CPI, prend pour responsable du crime d'agression une
personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action
politique ou militaire d'un Etat.
En second lieu, nous avons avancé que l'incrimination
individuelle de l'agression reste strictement reliée à l'acte de
l'État, dans la mesure où il vise à réprimer un
phénomène étatique, le recours à la guerre,
directement ordonné et planifié par les hautes autorités
politiques et militaires de l'État. Ce raisonnement parait conforter les
prescrits de l'article 25 par 3.b du Statut de Rome qui veulent que soit
pénalement responsable la personne qui aurait ordonné,
sollicité ou encouragé la commission d'un tel crime, dès
lors qu'il y a commission ou tentative de commission de ce crime.
71
Pour développer ces hypothèses, il a
été fait usage d'une méthode, à savoir la
méthode juridique qui nous a permis d'analyser la Résolution 3314
ainsi que le statut de Rome tel que révisé à Kampala en
vue d'étudier la définition de l'agression dans ces instruments.
En usage de cette méthode, il a été fait recours à
ses deux approches, l'une historique qui nous a servi dans la mesure où
un passage en revue de l'histoire de la considération de l'agression sur
le plan international s'est avéré utile pour comprendre son
incrimination dans le Statut de Rome ; et l'autre comparative qui nous a permis
de rechercher les différences et les ressemblances entre la
Résolution 3314 (XXIX) et le Statut de Rome révisée en
rapport avec le crime d'agression. En application de la méthode
juridique, nous avons recouru à la technique documentaire par laquelle
nous avons consulté des oeuvres doctrinales et autres documents
nécessaires au traitement adéquat de cette thématique.
Ainsi, avions-nous subdivisé ce travail en deux
chapitres outre l'introduction et la conclusion.
Le premier chapitre a été consacré
à l'étude comparative de la Résolution 3314 (XXIX) et du
Statut de Rome révisé par rapport au crime d'agression. Pour
cerner la définition de l'agression qu'il y a dans ces instruments
juridiques, ce chapitre a commencé par donner un aperçu
historique de la démarche tendant à incriminer l'agression depuis
le Traité de Versailles de 1919, passant par le Pacte Briand-Kellog,
jusqu'à l'accord de Londres de 1945 ayant qualifié la guerre
d'agression comme crime contre la paix. S'agissant de la comparaison, ce
chapitre a donné la portée juridique d'une part de la
Résolution 3314 (XXIX) qui n'est pas contraignante et d'autre part du
Statut de Rome qui est contraignant à l'égard des Etats parties
avec possibilité pour le Conseil de sécurité des NU d'en
élargir le champ d'application aux Etats non parties, au nom de sa
mission de maintien de la paix et la sécurité internationales.
Egalement, la notion du crime envisagée dans la Résolution 3314
(XXIX) s'inscrit dans le cadre de la responsabilité de l'Etat alors que
le Statut de Rome considère pour auteur du crime d'agression,
l'individu.
Le deuxième chapitre a abordé la question de la
responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression. Ce
chapitre a donné les éléments constitutifs du crime
d'agression tels qu'arrêtés à Kampala, avant de revenir sur
la responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression. Il
a été cependant relevé que l'action judiciaire pour crime
d'agression pourrait être handicapée au niveau interne des Etats
par le jeu des immunités pénales dont jouissent les personnes
visées, et au niveau international par le refus de la part des Etats de
coopérer avec la CPI. Pour illustrer ce refus, il a été
invoqué le cas du président soudanais, El-Béchir, qui,
malgré les deux mandats d'arrêt de la CPI le visant, circule
librement au
72
Kenya, en Afrique du Sud, en Ouganda et récemment au
Rwanda sans être arrêté et sans qu'aucune mesure
contraignant les Etats de l'arrêter ne soit prise par le CSNU en vertu de
l'Accord de coopération entre l'ONU et la CPI.
Au regard des analyses faites dans le cadre de ce travail, il
s'est dégagé donc que la définition du crime d'agression
par le Statut de Rome, quoique reprenant les mêmes actes d'agression
prévus par la Résolution 3314 (XXIX) diffère de celle
donnée par cette dernière en ce que le Statut de Rome s'inscrit
entièrement dans le cadre d'un traité prescrivant la
répression des crimes internationaux qui supposent la
responsabilité de l'individu, c'est le champ du droit international
pénal ; alors que la Résolution 3314 (XXIX) s'inscrit dans le
cadre du droit maintien de la paix avec comme acteur les Etats qui y engagent
leur responsabilité internationale.
Quant à la responsabilité individuelle pour
crime d'agression, nous avons réalisé que les personnes
effectivement en mesure de contrôler l'action politique ou militaire d'un
Etat peuvent être des dirigeants ou hautes personnalités de
l'État, et particulièrement des chefs militaires et autres
supérieurs hiérarchiques. Ces personnes
bénéficient, au regard de leur statut, d'un pouvoir réel
d'influencer l'action politique ou militaire d'un Etat.
Ainsi, nos hypothèses ont été
confirmées.
Cependant, nous avons mis en lumière le fait que la CPI
se veut complémentaire aux juridictions nationales qui ont vocation
à connaitre en premier des crimes internationaux commis sous leurs
juridictions. Or, les personnes visées par l'incrimination de
l'agression, en l'occurrence les dirigeants, jouissent dans bien des Etats des
immunités qui les mettent à l'abri des poursuites pénales.
Nonobstant le défaut de pertinence de la qualité officielle,
option consacrée par l'article 27 du Statut de Rome et
tempéré par l'article 98 du même Statut, nous avons
remarqué dans ce travail que les actions mues par la CPI contre les
Chefs d'Etat en exercice n'obtiennent toujours pas de succès faute de la
volonté de la part des Etats parties au Statut de Rome et du Conseil de
sécurité de l'ONU de coopérer avec la CPI, pourtant ils en
ont l'obligation. Ce qui se vérifie encore une par le cas du
Président soudanais, Omar El-Béchir, invoqué
précédemment.
N'est-ce pas là un signal éloquent de la
qualification de lettre morte des dispositions du Statut de Rome relatives au
crime d'agression?
Eu égard à cette inquiétude, avons-nous
suggéré ce qui suit pour que l'action judiciaire de la CPI en
matière de crime d'agression soit menée à bien :
- Les Etats Parties au Statut de Rome devraient ratifier les
amendements du Statut de Rome issus de la Résolution de Kampala,
étant entendu que seuls 28 Etats l'ont déjà fait
73
jusqu'à la date du 18 avril 2016, pourtant le nombre de
30 est requis pour qu'elle entre en vigueur. Egalement, ces Etats devraient
s'acquitter de bonne foi de leurs obligations vis-à-vis du Statut de la
CPI.
- La CPI devrait revoir les dispositions de l'article 98 du
Statut de Rome au vu du défaut de pertinence de la qualité
officielle consacré à l'article 27 du même Statut, tant il
est vrai que beaucoup d'Etats y trouveraient un alibi pour ne pas arrêter
et déférer à la CPI les dirigeants ou autres personnes
effectivement en mesure de contrôler l'action politique ou militaire d'un
Etat, visés pour Crime d'agression. Cette Cour devrait également
agir de sorte que le juge pénal adopte une attitude impartiale et ne
prenne pas en compte des considérations de nature politique ou autres
qui ne seraient pas juridiques.
- Le CS de l'ONU devrait agir, par son pouvoir normatif
contraignant, dans le sens d'enjoindre à un ou plusieurs États
explicitement nommés l'obligation de coopérer avec la CPI dans le
cas où ils la violeraient et imposer des sanctions du fait des
manquements à cette obligation. Le CS devrait s'acquitter objectivement
et diligemment de son rôle de constat préalable d'un acte
d'agression tel que le veut l'article 39 de la Charte des Nations-Unies,
à défaut de quoi, nous aurions recommandé que
l'Assemblée générale de l'ONU se saisisse de la question
en vertu de la Résolution Acheson.
Dans le présent Travail, nous n'avons analysé
que le crime d'agression dans son aspect de la responsabilité
pénale individuelle. De ce fait, nous ne prétendons pas avoir
tout cerné sur la question, en droit international pénal, des
poursuites et de la répression des individus pour le crime dont
question. Nous émettons ici le voeu de nous laisser compléter par
d'autres chercheurs avisés et intéressés par le sujet.
74
BIBLIOGRAPHIE
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internationaux
1. Constitution de la RDC du 18 février 2006,
modifiée et complétée par la loi n° 11/002 du 20
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KACIKO et S. SMIS, Code du droit international africain, Bruxelles, de
Boeck et Larcier, 2011, pp. 89-93.
8. Résolution 56/83 du 12 décembre 2001 sur la
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Dans M. CIFENDE KACIKO et S. SMIS, Code du droit international
africain, Bruxelles, de Boeck et Larcier, 2011, pp. 686-696.
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conciliation international N0 450, Avril 1949, pp. 335-349.
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http://www.diplomatiejudiciaire.com
. Visité le 20 novembre 2015.
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VI. Travaux préparatoires
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6. TPIR, Affaire Procureur contre Jean-Paul Akayesu, 2
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7. CIJ, Arrêt Barcelona Traction, Light and power
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Belgique. 14 février 2002. Disponible en ligne sur
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Visité le 15 novembre 2016.
2.
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3. http ://
fr.wikipedia.org/wiki%c3%89l%c3%A9ment_moral
. Visité le 05 avril 2016.
4.
https://www.icc-
cpi.int/iccdocs/PIDS/publications/2016.03.21 Summary of the
Judgment-Fra.pdf . Visité le 06 avril 2016.
5.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/06/15/omar-al-bachir-est-parvenu-a-quitter-l-afrique-du-sud_4654451_3212.html
. Visité le 10 juin 2016.
6.
http://www.rfi.fr/afrique/20160513-ouganda-le-president-museveni-qualifie-da-cpi-corps-inutile-omar-el-bechir
Visité le 10 juin 2016.
7.
http://www.voaafrique.com/a/bechir-recherche-par-la-cpi-bienvenu-invite-au-
sommet-de-l-ua-a-kigali/3417917.html Visité le 22
juillet 2016.
Section
II. LA RESPONSABILITE PENALE INDIVIDUELLE
POUR CRIME D'AGRESSION 49
82
TABLE DES MATIERES
I. Epigraphe I
II. Dédicace II
III. Remerciements III
IV. Sigles et abréviations IV
INTRODUCTION - 1 -
I.1. Problématique - 1 -
I.2. Hypothèses - 4 -
I.3. Méthodologie - 4 -
I.4. Choix et intérêt du sujet - 5 -
I.5. Délimitation - 6 -
I.6. Esquisse du plan - 6 - CHAPITRE 1. LE CRIME
D'AGRESSION : ETUDE COMPARATIVE DE LA
RESOLUTION 3314 (XXIX) ET DU STATUT DE ROME REVISE - 7
-
Section 1. APERÇU HISTORIQUE DE LA DEMARCHE TENDANT A
INCRIMINER
L'AGRESSION - 7 -
|
§1. L'agression dans le système de la
Société des Nations
|
- 7 -
|
§2. Tendance vers l'incrimination individuelle de
l'agression
|
- 11 -
|
|
Section II. LE CRIME D'AGRESSION DANS LA RESOLUTION 3314 (XXIX)
|
- 14 -
|
§1. Portée juridique de la Résolution
3314 (XXIX)
|
- 15 -
|
§2. L'agression, Crime international de l'Etat
|
- 16 -
|
§2. L'Agression comme fait internationalement
illicite d'un Etat
|
- 23 -
|
Section III. LE CRIME D'AGRESSION DANS LE STATUT DE ROME REVISE
|
- 28 -
|
§1. Portée juridique du Statut de Rome de la
CPI
|
- 28 -
|
§2. L'agression dans le Statut de Rome, crime de
l'individu
|
- 30 -
|
§3. Des poursuites pour Crime d'agression et du
rôle du Conseil de sécurité
|
- 33 -
|
|
Conclusion du chapitre I
|
40
|
CHAPITRE
II. LA
RESPONSABILITE PENALE INDIVIDUELLE POUR CRIME
|
|
D'AGRESSION
|
42
|
Section I. LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU CRIME D'AGRESSION
|
42
|
§1. Elément matériel du crime
d'agression
|
43
|
§2. Elément moral du Crime d'agression
|
46
|
§3. Elément personnel du crime d'agression
|
48
|
|
83
§1. Des principes généraux du
droit pénal 50
§2. Personnes visées par l'incrimination
de l'agression 55
§3. Les immunités des dirigeants
feraient-elles obstacle à la répression du crime
d'agression ? 60
Section III. PERSPECTIVES POUR UNE REPRESSION EFFICACE DU
CRIME
D'AGRESSION PAR LA CPI 66
§1. Aux Etats parties au Statut de Rome:
67
§2. A la Cour Pénale Internationale :
67
§3. Au Conseil de sécurité de l'ONU :
67
Conclusion du Chapitre II 68
CONCLUSION GENERALE 70
BIBLIOGRAPHIE 74
I. Instrument(s) juridique(s) national et internationaux
74
II. Ouvrages 75
III. Rapports et articles 76
IV. Notes syllabaires 77
V. Thèses et Mémoires 78
VI. Travaux préparatoires 79
· Documents de l'Assemblée des États
Parties et du Groupe de travail spécial sur le crime
d'agression 79
· Documents de l'Assemblée
générale des Nations-Unies 79
VII. Jurisprudence 80
VIII. Webographie 81
TABLE DES MATIERES 82
|