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Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud.

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par Anne-Gaël JOUANNIC
IRIS - Master 2 Relations internationales 2016
  

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et

    institutionnelle en Afrique du Sud

    Par Anne-Gaël JOUANNIC

    Étudiante en Master 2 Relations Internationales

    Sous la direction de Carole GOMEZ, chercheuse à l'IRIS et spécialiste de
    l'impact du sport sur les relations internationales

    Octobre 2016

    2

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    AVANT-PROPOS

    La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes auxquelles je souhaite exprimer ma gratitude.

    J'adresse mes remerciements en premier lieu à la directrice de ce mémoire, Carole GOMEZ, pour sa confiance, sa disponibilité et sa bienveillance tout au long de cette démarche et de ma scolarité à l'IRIS.

    Je voudrais témoigner de ma reconnaissance à mes maitres de stage à la CEIS, Hugo SADA et Éric SCHMIDT, qui m'offrent l'estimable opportunité de participer à la troisième édition du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique.

    Je tiens également à remercier Charl SNYMAN pour son expertise pratique du rugby sud-africain et sa pour sa réactivité.

    J'adresse mes sincères remerciements à Grégoire et Patrick COUDERC pour leurs explications rugbystiques, leur contagieuse passion et leur intérêt pour mon travail.

    Enfin, je remercie mon père, Yves-Marie JOUANNIC, pour ses patientes et curieuses relectures et pour l'indéfectible soutien paternel.

    3

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Table des matières

    AVANT-PROPOS 2

    INTRODUCTION 4

    I - LE SPORT, VECTEUR DU CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET DE LA RECONSTRUCTION

    SOCIALE EN AFRIQUE DU SUD 7

    A - Le boycott sportif international comme levier du changement institutionnel et social en

    Afrique du Sud 7

    Le contexte politique et social, les raisons de la colère 7

    L'opposition internationale à l'apartheid, l'isolement sportif de l'Afrique du Sud 10

    La passivité du comité international olympique et les premiers succès du mouvement de

    contestation africain 13
    L'affaire Arthur Ashe et le renforcement croissant des mesures d'isolement de l'afrique du sud 16

    L'insatisfaisant « compromis » de john vorster et l'inflexibilité du régime d'apartheid 18
    Le soulèvement anti-apartheid des membres du commonwealth et l'opportuniste « effort

    d'intégration raciale » 21
    Le massacre de Sowteo et la contestation de la participation néo-zélandaise aux jeux

    olympiques de montréal 23
    Le Glenagles Agreement, l'opposition formelle du common wealth et sa tardive application

    réelle 26
    Du changement cosmétique des années 1980 « a normal sport in an abnormal society » à

    l'humiliation des tournois « mercenaires » 27

    La réintégration aux jeux de barcelone et la montée au pouvoir de l'anc 30

    Le rugby et la reconstruction identitaire, la symbolique world rugby cup de 1995 32

    B - Un changement institutionnel et social inabouti : l'injustice raciale persistante en Afrique du

    Sud 35
    L'Afrique du Sud postapartheid toujours inégalitaire, après l'apartheid politique vers

    l'apartheid social 36
    Les choix hésitants et contradictoires de l'ANC : l'abandon du programme de reconstruction et

    de développement et l'échec de l'économie libérale 40

    Le déclin politique de l'ANC 44

    II - LE SPORT AU DÉFI DES INÉGALITÉS DANS LA SOCIÉTÉ SUD-AFRICAINE POST-APARTHEID

    47

    A - Le rugby, sport historique de la communauté Blanche et terrain de la transformation 47

    L'illusion d'un rugby sud-africain « post-racial » 47

    L'actuelle problématique des quotas raciaux dans le sport sud-africain 49

    Les défis sociaux contemporains du rugby 52

    Les ambivalentes politiques de développement et de transformation 53

    Le cas des Southernking, un processus de redistribution géographique controversé et freiné 55

    B - Le football, outil de la cohésion sociale postapartheid 59

    La vocation historique du football dans la reconstruction sociale 59

    Le cas du football dans le township de Kayamandi, l'affirmation sociale et culturelle par le

    football 63

    La Coupe du monde sud-africaine de 2010, entre espoir et controverse 66

    Les perspectives de l'unité sud-africaine autour du football 70

    CONCLUSION 73

    BIBLIOGRAPHIE 75

    ANNEXES 76

    4

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    INTRODUCTION

    Depuis la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Londres en 1908, lorsque l'équipe étasunienne refuse de remettre le drapeau américain au roi Édouard VII, la politique apparaît fréquemment liée au sport international. Les terrains de sport du monde servent de lieu de compétitions individuelles, mais également de banc d'essai à la force des systèmes politiques.

    Aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, Hitler entend prouver au monde la supériorité du système nazi par le succès sportif. Après la seconde guerre mondiale, les Jeux Olympiques servent de vitrine à la guerre froide entre les deux blocs. À la défaite des États-Unis aux Jeux de 1964, le vice-président américain Hubert Humphrey estime que les États-Unis sont humiliés en tant que grande nation par l'Union Soviétique et qu'il s'agit de prouver au monde la supériorité d'un système démocratique occidental sur le système communiste soviétique. Les illustrations historiques de la relation entre le sport international et la politique sont nombreuses et le cas sud-africain en est un exemple récent et éloquent.

    En effet, le sport en Afrique du Sud constitue une illustration emblématique de l'impact du sport dans la politique internationale. Pour citer un journal sud-africain du régime apartheid « chaque victoire internationale de l'Afrique du Sud est un coup porté à nos ennemis sportifs et politiques »1. Pour l'Afrique du Sud sous l'apartheid (1948-1992), le sport est un vecteur de soft power, un outil de rayonnement et d'attractivité mondiale mais surtout un outil pour permettre l'acceptation de son idéologie de ségrégation.

    Le corps sportif sud-africain s'est formé selon les divisons raciales d'abord factuelles puis juridiques, le sport est ainsi devenu profondément divisé et identitaire. Selon cette logique, le le rugby est le sport des communautés Blanches et afrikaner, le cricket celui de l'establishment britannique et le football considéré comme culturellement inférieur est approprié par la communauté Noire. Le sport est donc le terrain sur lequel des versions rivales de la nation sud-africaines se construisent et s'opposent. L'histoire du sport sud-africain apparaît indissociable de la condition nationale sud-africaine fondée sur l'artificielle dichotomie entre l'Afrique du Sud Blanche et l'Afrique du Sud Noire.

    1 « Every international sports success of South Africa is a blow against our sports and political enemies » .

    5

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    À partir des années 1960, le refus catégorique du gouvernement sud-africain d'autoriser l'intégration d'équipes Noires pour représenter le pays, par application de la politique d'apartheid au domaine sportif, conduit à d'intenses pressions internes et globales et à des protestations de la communauté internationale.

    Malgré ces oppositions, l'Afrique du Sud poursuit les compétitions internationales jusqu'en 1970, lorsqu'elle est finalement exclue de quasiment tous les évènements sportifs internationaux et particulièrement des Jeux Olympiques.

    Sous cette contrainte, l'Afrique du Sud mise au ban va progressivement assouplir sa politique, d'abord extérieure puis intérieure, jusqu'à la chute institutionnellement consacrée du système de ségrégation raciale.

    En effet, grâce au boycott international, le sport a permis la transformation institutionnelle en Afrique du Sud et, depuis le début de la période postapartheid, il est un outil d'unification nationale et de reconstruction sociale. Le sport en Afrique du Sud occupe donc deux fonctions sociales et politiques. D'une part il exprime l'indignation de la communauté internationale et de l'African National Congress (ANC) et constitue un moyen de pression contre le régime de l'apartheid. D'autre part, le sport permet l'affrontement puis le rapprochement de deux identités culturelles opposées.

    Pour bien appréhender ces fonctions du sport en Afrique du Sud, il faut comprendre qu'il occupe un rôle crucial dans la vie du pays. L'importance culturelle et politique du sport sud-africain est inscrite dans la société. Depuis son importation par les colons britanniques au XIXème siècle, le sport est sacralisé par les élites Blanches du pays qui entretiennent depuis un lien passionnel voire quasi-religieux avec le sport, et particulièrement avec le rugby. Le rugby est le sport élu par la communauté afrikaner pour expier sa frustration face à l'oppression britannique. Il permet un rapport de force et de contestation de la domination politique. Depuis, le rugby est, par définition, la discipline sacrée de la culture afrikaner. Ce sport est devenu le symbole de leur domination et de leur « supériorité » culturelle. Le sport est donc rapidement ethnicisé en Afrique du Sud et les mesures de domination de l'apartheid y sont appliquées pour que les Blancs en conservent le monopole. Le sport sud-africain est profondément culturel, identitaire et symbolique. En outre, pendant l'apartheid, l'Afrique du Sud forme avec la Nouvelle-Zélande l'une des deux nations les plus puissantes du rugby mondial. Le rugby est donc un vecteur de rayonnement de l'hégémonie afrikaner. C'est donc logiquement que la communauté internationale et l'African National Congress (ANC) qui cherchent à dénoncer le régime de ségrégation raciale utilisent le boycott sportif pour se faire

    6

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    entendre. L'exclusion de l'Afrique du Sud de la compétition internationale à partir des années 1970 est douloureusement ressentie pour ce pays qui divinise le sport. Pour gagner leur réintégration dans la compétition internationale, le gouvernement conservateur sud-africain est progressivement contraint d'assouplir les politiques de discrimination raciale. Le sport, élément identitaire et conservateur devient paradoxalement le vecteur d'effondrement de l'apartheid. C'est donc un puissant instrument de pression et un terrain très propice à l'expression de l'identité des différentes communautés raciales.

    Le sport qui est historiquement le terrain privilégié pour la consolidation des différences raciales, des inégalités sociales est aujourd'hui l'outil du rapprochement dans l'Afrique du Sud postapartheid. Depuis leur arrivée au pouvoir en 1994, les dirigeants de l'African National Congress (ANC) utilisent le sport pour fédérer leur nation autour de grands évènements et pour permettre l'émergence d'une identité nationale commune. Le sport permet de transcender les clivages raciaux et culturels. Ce faisant, l'évolution du sport rend compte des changements dans la société sud-africaine. Le phénomène sportif est un indicateur pertinent de l'intégration nationale sud-africaine.

    Il apparaît donc judicieux de déterminer dans quelle mesure le sport a permis le changement institutionnel et la reconstruction sociale en Afrique du Sud ?

    Dans un premier temps, nous verrons que le sport est l'outil de changement institutionnel et de la réconciliation sociale en Afrique du Sud (I), dans un second temps, nous constaterons que la portée réelle de ce changement apparaît toutefois limitée et que le sport sud-africain est toujours au défi des inégalités raciales héritées de l'apartheid (II).

    7

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    I - LE SPORT, VECTEUR DU CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET DE LA RECONSTRUCTION SOCIALE EN AFRIQUE DU SUD

    A - Le boycott sportif international comme levier du changement institutionnel et social en Afrique du Sud

    L'Afrique du Sud, dans les années 1950, est un pays dirigé par ses « colons fondateurs » à travers un régime politique de ségrégation raciale. Cette ségrégation s'exerce à tous les niveaux : social, économique, politique, administratif et jusque dans les loisirs et dans le sport. Parce que le sport a une vocation quasi religieuse pour l'Afrique du Sud, souvent qualifiée de rugby mad, et qu'il représente un outil de rayonnement international, il constitue un enjeu sacré. Ainsi, lorsque la communauté internationale dénonce le traitement discriminatoire de la communauté Noire, elle utilise le boycott sportif pour acculer le gouvernement sud-africain. Les relations sportives avec l'Afrique du Sud ont constitué un puissant outil de pression extérieure. Ce boycott sportif est l'outil du changement institutionnel contraint.

    LE CONTEXTE POLITIQUE ET SOCIAL, LES RAISONS DE LA COLÈRE

    Le système de ségrégation racial appelé Apartheid est officiellement entré en vigueur après la victoire du National Party en 1948. Bien que l'apartheid ait un fondement juridique depuis 1948, le système social a évolué de manière informelle depuis la formation de l'Union en 1910. La nouvelle donne politique réside sur le principe de la pureté raciale, de la ségrégation et de la domination blanche. Les données démographiques sud-africaines (13.000.000 Noirs, 1.912.000 « colorés » ou métisses, 575.000 asiatiques et 3.600.000 blancs) ont convaincu les sud-africains qu'ils devaient dominer pour ne pas être dominés.

    L'apartheid fait partie intégrante du « South Africain way of life » et représente alors pour le gouvernement et la nation un « monolithe inamovible et implacable »2.

    Les colons sud-africains sont des calvinistes fondamentalistes, convaincus d'être investis d'une mission divine de préservation de la civilisation blanche, du puritanisme et du nationalisme. Cette idéologie a abouti à l'instauration d'un système juridique et politique par le National Party qui entérine un système de ségrégation et de domination : les non-blancs

    2 Hendrik Verwoerd, homme politique, universitaire un éditorialiste sud-africain, membre du Parti national.

    8

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    (Noirs, couloured et asiatiques) se sont vus dépourvus de leurs droits politiques, de leur liberté de circulation, de leur droit de propriété et de choix de résidence et de leur droit au mariage. Ainsi le Group Areas Act (GAA) impose une stricte ségrégation spatiale et les Reservation of Separate Amenities Acts (RSAA) impose une ségrégation dans l'accès aux services et aux infrastructures. Le sport permet le contrôle social de la communauté Noire et sa subordination aux colons. En effet, toutes ces interdictions légales oeuvrent à empêcher la communauté « non-blanche » de constituer un contre-pouvoir compétitif.

    Les lois instituant l'apartheid sont entrées en vigueur graduellement et n'ont fait que légaliser un état de fait : le système social ségrégationniste qui a évolué depuis la formation du National Party en 1910. Le sport en Afrique du Sud s'est racialisé depuis le début du XIXème siècle. Les résidents Blancs d'Afrique du Sud se revendiquent « anglais » ou « afrikaners » selon leur langue, religion, localisation, leur race, leurs sports et leur idéologie. Les auto-proclamés « afrikaners » sont un amalgame d'hollandais, de français, d'allemands, de portugais et d'autres nations européennes. Cette diversité généalogique rend la culture pratiquée par les afrikaners aussi déterminante que leur couleur de peau.

    Ainsi, la plupart des afrikaners rejettent le cricket car associé à l'impérialisme anglais. Les afrikaners sont religieusement passionnés de rugby et le football est historiquement joué et suivi par la communauté Noire3.

    Avant l'élection de 1948, les organisations sportives elles-mêmes maintenaient ce système social dans le sport, depuis les élections, le gouvernement a progressivement pris le contrôle de la politique sportive.

    Au lendemain de l'élection du National Party, pour entretenir l'idéal idéologique d'identification du « peuple élu », le rugby devient le symbole de la domination Blanche dans une Afrique du Sud majoritairement Noire. Le rugby permet également d'entretenir le mythe de la supériorité anthropologique des européens sur les africains. Ainsi est initié le processus d'ethnicisation et de politisation du rugby.

    En juin 1956, le ministre de l'intérieur indique que le sport en Afrique du Sud ne serait pas mixte : les Noirs qui souhaitent une carrière internationale devront intégrer des organisations raciales spécifiques subordonnées à des organisations officielles blanches. Cette règle reflète la vision paternaliste et réductrice des relations entre la communauté originelle et les colons. La logique d'affiliation entend en réalité réduire l'autonomie de la communauté Noire et donner au monde l'illusion du progrès social en Afrique du Sud.

    3 Nous reviendrons plus en détails sur le cas du football en Afrique au sein de cette étude (au sein du II) B)).

    9

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Dès la fin des années 1950, le gouvernement se montre menaçant et souligne le danger du sport mixte en évoquant les traditions et coutumes de leur peuple en Afrique du Sud et le risque pour la paix sociale. Émerge alors l'opposition non-raciale à l'hégémonie Blanche.

    En 1958, la politisation du rugby est exacerbée lors du discours du Premier ministre Hendrik Verwoerd qui proclame: « vos prestations dans les arènes sportives nationales et internationales doivent en permanence témoigner de combativité et de la bravoure légendaire des afrikaners, et refléter la nécessaire suprématie de la race Blanche sur les Cafres et les croisés (...) je compte sur vous pour faire du rugby l'étendard qui ravive notre flamme patriotique ».

    Les Noirs sont privés des infrastructures matérielles et diminués dans l'accès au sport afin que la communauté Blanche puisse conserver l'ascendant politique.

    En réaction à ce dénuement, l'Association Sportive Sud-Africaine (SASA)4 fondée en 1959 demande le droit pour tous les sud-africains d'intégrer des équipes sportives mixtes au niveau national, avec ce slogan : « du pain et non des miettes ».5

    Dès le début des années 1960, les politiques sportives émanent du sommet du gouvernement, en la personne du premier ministre lui-même. En 1966, un ministère du sport est institué pour gérer les problèmes liés au sport, lesquels tendent à se complexifier et à devenir fréquents. Lorsque le nouveau premier ministre John Vorster suggère qu'une équipe mixte (ou intégrée) néo-zélandaise pourrait être autorisée à jouer en Afrique du Sud au titre de la politique extérieure, une élection nationale doit être organisée avant le terme de la mandature législative, tant le problème est névralgique en Afrique du Sud. En dépit des fortes

    contestations sur la scène régionale et internationale, les organisations sportives
    internationales menées par le Comité International Olympique décident de laisser l'Afrique du Sud poursuivre la compétition.

    Cette décision par l'organisation et les individus et nations qui les composent est davantage motivée par des critères économiques et politiques que par des facteurs sportifs. Le sport joue un rôle croissant dans la politique, tant dans l'avenir de la compétitivité et du rayonnement international de l'Afrique du Sud que dans les relations diplomatiques des nations impliquées.

    4 The South African Sports Association

    5 « Bread, not crumbs »

    10

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    L'OPPOSITION INTERNATIONALE À L'APARTHEID, L'ISOLEMENT SPORTIF DE L'AFRIQUE DU SUD

    Le boycott sportif contre l'Afrique du Sud ségrégationniste est à ce jour le plus important mouvement antiraciste de l'histoire du sport. Aucune intervention depuis celle de Jesse Owens aux Jeux Olympiques de Berlin n'a eu de telles répercussions politiques.

    Le boycott sportif de l'apartheid révèle le degré d'enchevêtrement de la revendication politique initialement locale puis de la sanction internationale. En effet, le boycott a donné une dimension internationale à un phénomène qui aurait pu rester un problème local, circonscrit à l'Afrique du Sud. Les activistes ont mis en évidence la corrélation entre le système de l'apartheid et l'héritage colonial raciste du multi nationalisme dans la majorité des nations à majorité Blanche : le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, la France et l'Irlande, principaux rivaux sportifs. Le sport apparaît comme une inextricable ressource politique. L'Afrique du Sud fait l'objet d'une condamnation croissante par la communauté internationale en raison de sa politique d'apartheid. Ce faisant, l'acceptation dans la communauté sportive internationale devient un enjeu croissant pour ce pays fanatique de sport.

    Après que l'Inde a déposé une plainte contre les discriminations subies par les populations indiennes en Afrique du Sud, le comité spécial contre l'apartheid des Nations Unies adopte en 1962 la résolution 1761 contre l'apartheid. La résolution déclare le régime sud-africain contraire à la charte des Nations Unies et constitutif d'une menace à la Paix et à la sécurité internationale. De surcroît, la résolution invite ses États membres au boycott en cessant toute relation diplomatique avec l'Afrique du Sud.

    Dès 1968, l'Assemblée Générale des Nations Unies demande à tous les États et organisations de « suspendre tous les échanges à caractère culturel, éducatif ou sportif avec le régime raciste sud-africain ».

    Dans sa résolution XXVI de novembre 1971, les Nations Unies appellent à un boycott des équipes sportives sélectionnées en violation du principe olympique de non-discrimination.

    Le pays est présent dans la compétition olympique depuis 1908 lors de la quatrième olympiade de Londres et représente le premier pays du continent à y participer. De 1908 à 1960 les athlètes Blancs sud-africains, seuls autorisés à participer aux Jeux, enlèvent 54 médailles : 16 en or, 17 en argent et 21 en bronze. Toutefois, L'Afrique du Sud compromet sa participation aux Jeux Olympiques.

    11

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    En 1964, 23 pays africains sont invités à rejoindre les Jeux Olympiques de Tokyo et contestent la politique raciale sud-africaine.

    L'Afrique du Sud qui refuse de dénoncer sa politique d'apartheid est bannie des Jeux Olympiques de Tokyo sur décision du CIO le 18 aout 1964, en vertu de l'article 3 de la charte qui interdit « toute discrimination raciale, politique ou religieuse ». C'est historiquement la première fois qu'un membre du CIO sort du mouvement olympique, à l'exception de l'Allemagne et du Japon, perdants de la Seconde guerre mondiale et absents à Londres en 1948. Le gouvernement de John Vorster est soucieux de contenir les mouvements de protestation. Dans les années 1960, il existe alors deux mouvements de protestation non-raciaux : l'Association Sportive Sud-Africaine (SASA)6, formée en 1959 et son successeur, le Comité Olympique Non-Racial Sud-Africain (SAN-ROC)7.

    Puisque les non-blancs n'étaient pas autorisés dans les associations de sports « blancs », tous les joueurs non-blancs étaient membres du SAN-ROC lorsque l'Afrique du Sud est finalement bannie des Jeux de 1964, le gouvernement réalise qu'il doit diviser les mouvements sportifs non-raciaux.

    Pour ce faire, le gouvernement initie la formation d'une association « non-blanche » affiliée à une association Blanche, cette affiliation signifiant en réalité subordination (les organisations « non blanches » ne détenaient jamais plus de 10% des droits de vote).

    Les quelques joueurs non-blancs qui rejoignent volontairement l'organisation le font sur la promesse du gouvernement qu'ils pourront participer aux compétitions internationales et accéder aux formations et aux infrastructures sportives. Toutefois, cette concession est strictement limitée à l'Afrique du Sud dans le cadre des politiques de l'apartheid. Soulignons que les sud-africains non-blancs qui se sont affiliés à ces associations n'avaient, pour certains, pas d'autre choix et l'opposition contre le système d'apartheid engendrait de lourdes représailles. Certains athlètes meneurs des mouvements anti-raciaux ont été exclus, emprisonnés, exilés (c'est notamment le cas de Deniis Brutus, Wilfred Brutus, John Harris, Omar Cassem, Chris de Broglio et Reg Hlongwane).

    Aucun « non blanc » ne pouvait contester l'apartheid sans encourir de répercussions personnelles ou collectives. Cette menace suffit à réfuter le discours du gouvernement arguant devant la communauté internationale que les non-blancs qui coopèrent avec le système sont représentatifs de la communauté « non-blanche » sud-africaine, sous couvert donc d'une apparente réconciliation raciale. Le gouvernement sud-africain affiche donc une

    6 The South African Sports Association

    7 The South African Non-Racial Olympic Committee

    12

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    volonté de réconciliation devant la communauté internationale mais se montre inflexible en interne.

    Ainsi, en avril 1967, le premier ministre John Vorster explique les concessions au Parlement en précisant clairement qu'aucun sport mixte entre Blancs et non-blancs ne serait pratiqué localement, peu important le degré de compétence sportive et de mérite.

    Il explique également qu'aucune concession ne serait transigée quant à la politique raciale de sélection sportive, peu important que cette politique d'apartheid sportive nuise aux relations sportives et diplomatiques internationales de l'Afrique du Sud.8 L'exclusion interne des compétitions mixtes est ainsi entérinée. Elle signe, entre autres, la fin de la carrière de l'emblématique joueur de golf indien Sewsunker "Papwa" Sewgolum qui avait été le seul non blanc autorisé à concourir aux compétitions blanche. Figure emblématique du mouvement de boycott sportif, Papwa est au centre de l'attention internationale lorsqu'il gagne le Natal Open contre 113 joueurs Blancs et est contraint de recevoir son trophée dehors sous la pluie alors que les 113 autres participants prennent le cocktail dans le clubhouse.

    Cet événement, qui atteint le paroxysme du pathétique de l'apartheid, recevra de fortes critiques internationales. Ce discours de John Vorster sonne également le glas des jeunes athlètes espoirs non-blancs. À la lumière de ce discours, il apparaît que l'apartheid est renforcée en interne. Toutefois, grâce aux concessions à l'extérieur du pays, principalement la participation aux Jeux d'une équipe mixte, la communauté internationale est temporairement leurrée. Localement, le premier ministre John Vorster est contesté par les membres de son parti de droite et par l'opposition, estimant qu'il a fait des concessions trop radicales.

    Quatre mois après son discours, le ministre du sport, Frank Waring, remet en question la participation d'une équipe mixte aux Jeux Olympiques de 1968 jugeant que la politique sud-africaine doit être tenue séparée du sport et qu'une demande fondée sur un motif politique de mixité raciale ne peut pas être accueillie par le pays, il est donc désormais question d'envoyer une équipe Noire et une équipe blanches, distinctes.

    8 Discours du premier ministre John Vorster au Parlement, le 11 avril 1967 : « I want to make it quite clear that from South Africa's point of view no mixed sport between whites and non-whites will be practiced locally, irrespective of proficiency of the participants (...) no matter how important those sports relations are in my view, I am not prepare to pay that price (...) we are not prepared to compromise, negotiate or make any concessions ».

    13

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    LA PASSIVITÉ DU COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE ET LES PREMIERS SUCCÈS DU MOUVEMENT DE CONTESTATION AFRICAIN

    Le Comité Olympique International ignore le fait qu'absolument rien n'a changé pour les non-blancs dans le sport sud-africain et la réadmission de l'Afrique du Sud est temporairement considérée aux Jeux Olympique de Mexico en 1968.

    Le gouvernement se sert de cette illusion pour laisser entendre aux sud-africains que la communauté internationale les accepte en dépit de la contestation idéologique globale et en dépit de la résolution des Nations Unies.

    Frank Braun, le directeur du comité olympique sud-africain implore ses alliés dans la communauté internationale d'entendre leur position et de réaliser que la condition Noire en Afrique du sud n'est pas aussi dégradée qu'elle le paraît dans la presse internationale.

    Le National Party propose des concessions pour les Jeux Olympiques de Mexico en 1968, acceptant d'envoyer une équipe d'athlètes mixtes, ceux-ci porteraient le même drapeau et les mêmes couleurs ; les sud-africains et d'autres groupes raciaux pourraient s'affronter ; un comité olympique « non-blanc » et un comité de liaison entre Blancs et non-blancs seraient formés.

    À cette occasion le Times (London)9 et le New York Times ont souligné10 l'importance que le sport avait pris en tant que levier de la diplomatie, le sport apparaît comme l'arme du monde extérieur pour vaincre l'apartheid.

    Les concessions du gouvernement sont jugées « révolutionnaires » par la presse occidentale. Mais les journalistes locaux questionnent le sens de l'influence et se demandent si c'est l'opinion mondiale qui change l'attitude de l'Afrique du Sud ou bien si c'est l'Afrique du Sud qui change progressivement l'opinion mondiale sur l'apartheid.

    Un éditorial d'un journal local résume ainsi le rôle du sport dans la politique extérieure sud-africaine : « chaque victoire internationale de l'Afrique du Sud est un coup porté contre nos ennemis sportifs et politiques »11.

    Confronté à son déclin sportif et politique, le gouvernement sud-africain se soucie de l'image que renvoie le sport sud-africain aux autres États. D'ailleurs, lorsque les sud-africains envoient leur équipe de rugby au Royaume-Uni en 1969, un autre journal local estime que

    9 Editorial, The Times (London), 17 février 1968

    10 Editorial, New York Times, 22 février 1968

    11 Editorial, Die Volksblad (Bloemfontein), 13 mars 1969 : « Every international sport success is a blow against our sports and political enemies ».

    14

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    l'équipe de rugby a la lourde responsabilité d'influencer l'opinion publique britannique en faveur de l'Afrique du Sud.12

    Il est primordial pour l'Afrique du Sud d'améliorer l'image du sport sud-africain tant au niveau international qu'au niveau de local parmi sa communauté « non-blanche ».

    En effet, si le gouvernement parvient à présenter des athlètes et des représentants sportifs qui adhèrent à la politique d'apartheid dans le sport, alors la légitimité des contestations internationales serait sérieusement entachée.

    Cependant, et alors que le gouvernement de John Vorster a abrogé la législation d'apartheid interdisant les équipes sportives multi-raciales, le CIO est contraint par les menaces de boycott des pays africains de retirer l'invitation faite à l'Afrique du Sud.

    En effet, l'invitation du CIO à l'Afrique du Sud provoque l'indignation de la communauté africaine et de toutes les nations « non blanches ». La communauté africaine comprend que les relations internationales sportives sont devenues le talon d'Achille de l'Afrique du Sud13. Les nations africaines ont formé en décembre 1966 le Conseil Suprême du Sport en Afrique (SCSA) 14 et l'une de ses premières résolutions a été d'appeler au boycott des Jeux Olympiques de 1968 si l'Afrique du Sud devait y participer. La veille du verdict du Comité Olympique International à Grenoble, le Congrès National Africain (ANC) diffuse un appel sur Radio Tanzania pour les Jeux et soutient qu'il appartient au domaine du sport, des arts et de la culture de faire ressentir à l'Afrique du Sud le poids de l'indignation morale internationale contre l'apartheid15. Par le boycott aux Jeux Olympiques, les nations africaines ont fait le sacrifice de leur temps et de l'investissement de leurs athlètes ainsi que du prestige international qui accompagne les victoires médiatisées, mais c'est au profit d'une plus grande victoire.

    Malgré la pression, le Comité Olympique Internationale décide dans un premier temps d'autoriser l'Afrique du Sud à participer aux Jeux de Mexico.

    Toutefois, le Comité a sous-estimé la portée de la menace, s'il savait que les jeux seraient boycottés par les 32 pays membres du SCSA, il n'a pas réalisé à quel point le débat politique et racial avait pénétré le sport.

    12 Die Burger (Cape Town), 15 décembre 1969 : « The eugby teal has the extraordinary responsibility to influence British public opinion in favor of South Africa »

    13 Editorial in the Uganda Government Newspaper, The People (Kampala) : « Here is a field in which Africa does not need to plead, cajole or threaten other powers to take action against apartheid, we can act decisively ourselves (...) the South Afrcains do not consider it minor », 1er avril 1967

    14 Supreme Council for Sport in Africa

    15 ANC, discours sur Radio Tanzania, 30 janvier 1968 : « It is in the sphere of sports, arts and culture that South Africa can be made to feel the full weight of interntional moral indignation against apartheid ».

    15

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    En effet, un mois seulement après la décision de Grenoble, le New York Times16 rapporte que seules dix nations, toutes blanches, maintiennent leur participation aux Jeux de Mexico. Lorsque le Comité réalise la portée du boycott, il est contraint de renverser sa décision, le vote est éloquent : 47 votent pour l'exclusion de l'Afrique du Sud, 16 pour son maintien et 8 s'abstiennent. Consciente de son influence, la communauté africaine maintient la pression et parvient à faire annuler le tournoi de cricket britannique en Afrique du Sud de 1970, notamment grâce au soutien des manifestants britanniques mobilisés à Londres.

    C'est le gouvernement britannique lui-même, en la personne du premier ministre Harold Wilson, qui annule le tournoi par crainte de voir se dégrader les relations du Common Wealth. Le tournoi de cricket est alors devenu un problème politique majeure entre le premier ministre Wilson et le leader de l'opposition du parti conservateur, Edward Heath.

    La population britannique « non-blanche » suit le débat très attentivement. Opposé à l'intégration proposée par le Royaume-Uni, le premier ministre sud-africain John Vorster réaffirme sa position et refuse d'intégrer une équipe mixte au tournoi de cricket. Il déplore que l'objectif poursuivit par l'Angleterre ne soit par sportif mais purement politique, il déplore l'influence du mouvement anti-apartheid17. Le gouvernement britannique annule donc le tournoi. L'annulation par l'entité gouvernementale britannique du tournoi de 1970 illustre à nouveau à quel point la politique et le sport sont liés.

    16 New York Times, 10 mars 1968

    17John Vorster, 18 septembre 1968, « We are not prepared to accept a team thrust upon us by people whose interests are not the game but to gain political objectives which they do not even attempt to hide, the team as constituted now is not the team of the MCC but the team of Anti-Apartheid movement ».

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    L'AFFAIRE ARTHUR ASHE ET LE RENFORCEMENT CROISSANT DES MESURES D'ISOLEMENT DE L'AFRIQUE DU SUD

    Cette même année 1970, « l'affaire Arthur Ashe » envenime les relations diplomatiques entre les États-Unis et l'Afrique du Sud et renforce son isolement par la communauté internationale.

    En 1969, le joueur de tennis Arthur Ashe dépose une demande de visa à l'Afrique du Sud pour participer l'Open sud-africain le 15 décembre 1969.

    Le secrétaire d'État William P. Rogers s'arrange pour que la représentation soit faite directement devant l'ambassadeur américain à Washington et auprès du ministre des affaires étrangère Hilgard Muller à Pretoria.

    Le premier ministre John Vorster et le ministre des affaires étrangères refuseront d'accorder un visa au joueur Arthur Ashe au motif qu'il dissimulerait un dessein politique à son voyage. Devant les Nations Unies, Arthure Ashe estimera pour sa part qu'il a été rejeté par ce qu'il « n`était pas Blanc »18.

    L'humiliation est vivement ressentie, non seulement par Arthur Ashe mais également par les responsables du Département d'État américain.

    En représailles, les États-Unis suspendent l'Afrique du Sud de la Coupe Davis.

    Le retentissement de l'affaire est tel que les alliés traditionnels de l'Afrique du Sud (l'Australie et la Nouvelle-Zélande) votent eux-aussi contre la participation de l'Afrique du Sud à la Coupe Davis. L'affaire Arthur Ashe agit comme un catalyseur qui attire davantage encore l'attention des États étrangers sur l'injustice du système d'apartheid sud-africain. Ainsi, le pouvoir du Comité Suprême Africain est renforcé par le soutien croissant de la communauté internationale. Le Comité triomphe à la réunion d'Amsterdam du Comité International Olympique. Il était attendu que le Comité exclue l'Afrique du Sud des Jeux de 1972, mais la communauté africaine demande davantage et finit par obtenir l'exclusion définitive de l'Afrique du Sud du mouvement Olympique lui-même par un vote de 35 à 28 avec 3 abstentions. La presse internationale est interpellée par la force acquise par la communauté africaine. La dernière participation de l'Afrique du Sud aux Jeux date donc de ceux de Rome en 1960 et ce jusqu'au 25 juillet 1991, date ou est engagé le processus de démocratisation et la libération de Nelson Mandela.

    Le monde du sport international des années 1970 est assez éloigné de la vision de Pierre de Coubertin qui voyait dans le mouvement Olympique un organe pacificateur.

    18 UN Unit on Apartheid Papers, 23 avril 1970, audition d'Arthur Ashe, P. 3

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    La réalité se rapproche davantage de la vision de George Orwell qui dépeint le sport comme un lieu de haine, de jalousie, de mépris et de violence lorsqu'il écrit que « le sport c'est la guerre, les fusils en moins ».19

    Trois facteurs principaux ont permis le tournant des années 1970 : l'opposition militante internationale et notamment au Royaume-Uni, l'appui des États-Unis et le rôle des nations africaines soutenues par la communauté internationale.

    La compétition internationale participait au succès de l'Afrique du Sud et le rejet de la compétition internationale implique donc son déclin.

    En 1970, l'isolement de l'Afrique du Sud est quasiment complet et les appels aux changements politiques sont pressants. Le Sunday Times de Johannesburg explique d'ailleurs que « les critiques de l'Afrique du Sud ont simplement découvert que le sport est l'arme la plus utile pour nous battre et alors que ce sont les sportifs qui sont les victimes de ce sacrifice, ils sont exclus et privés de leur droit de participer aux compétions internationales, la principale cible de cette attaque est la politique raciale du National Party »20.

    Le cas sud-africain est devenue une préoccupation mondiale et l'année 1971 est proclamée « année internationale de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale » par les Nations Unies. Le 29 novembre 1971 l'Assemblée plénière rappelle les demandes qu'elle a faites (dès 1968) aux États et aux organisations sportives de suspendre toutes les événements sportifs avec les équipes sud-africaines sélectionnées en application de la politique d'apartheid. L'Assemblée générale des Nations Unies demande à tous les sportifs de refuser de participer à toute activité sportive dans les pays appliquant officiellement une politique de discrimination raciale ou d'apartheid dans le domaine des sports.

    De surcroît, l'Assemblée déplore que certaines organisations sportives nationales et internationales aient continué à organiser des rencontres sportives avec l'Afrique du Sud et elle invite tous les États à agir conformément à la résolution.

    Cependant, l'exclusion des Jeux et la résolution des Nations Unies ne suffisent pas à interrompre l'ensemble des confrontations sportives internationales avec l'Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande poursuit un grand nombres de rencontres sportives avec l'Afrique du Sud en dépit du consensus international et de la résolution.

    19 Tribune Newspaper, décembre 1945, George Orwell, « Sport is war minus shooting ».

    20 Sunday Times Johannesburg, 31 mai 1970 : « South Africa's critics have simply discovered that sport is the most powerful weapon they have found with which to beat us while it is the sportsmen who are the sacrificial victims - they are being ostracized and deprived of their right to participate in world sport - the main target is the racial policiy of South Africa, or precisely of the National Party ».

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    L'INSATISFAISANT « COMPROMIS » DE JOHN VORSTER ET L'INFLEXIBILITÉ DU RÉGIME D'APARTHEID

    Le 22 avril 1972, le premier ministre John Vorster annonce ce qui se revendique être une nouvelle donne politique en matière de ségrégation sportive.

    Ce discours tend à convaincre les organisations internationales que la politique sud-africaine a effectivement changée. Cependant, un examen attentif semble indiquer que le changement est purement sémantique. En effet, alors que la politique précédente impliquait une ségrégation stricte dans tous les événements sportifs au niveau local, national et international, la nouvelle politique de « sport multinational » autorise l'intégration d'équipes sud-africaines mais exclusivement pour certains évènements tels que la Coupe Davis et les Jeux Olympiques. La politique du « sport multinational » s'avère être la réflexion du programme national de « développement séparé » avec la création des Bantoustans21.

    Ce programme est largement condamné par la communauté internationale et la conférence des Nations Unies à la Havane a permis de statuer que « toute tentative par les Bantoustans d'établir des liens sportifs avec le monde extérieur doit être condamnée ». En 1974, le ministre du sport, Pier Koornhof, a déclaré que les organisations sportives suspendues par les organisations internationales pouvaient instaurer des évènements multinationaux mixtes même lorsqu'aucune équipe étrangère ne participait à l'évènement. Ainsi, une nation sud-africaine pouvait affronter une autre nation sud-africaine. Toutefois, il est important de souligner que cette règle ne s'appliquait qu'aux organisations sportives sud-africaines qui avaient été suspendues, il s'agit donc d'une stratégie pour convaincre les organisations internationales qu'un réel effort vers l'intégration raciale était initié.

    Un autre volet de cette politique permettait aux pays entretenant des liens traditionnels avec l'Afrique du sud (Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande et Australie) d'envoyer des équipes multiraciales affronter des équipes séparant les blancs et les non-blancs au sein de stades pratiquant la ségrégation raciale. Au terme de cette politique, aucun blanc n'était autorisé à assister à un match auquel une équipe étrangère rencontrait une équipe non-blanche. Par conséquent, l'équipe de Rugby anglaise a affronté séparément l'équipe « blanche » et l'équipe couloured au tournoi sud-africain de 1972.

    En définitive, l'Afrique du sud envoie des équipes « intégrées » à l'international pour quatre évènements seulement : les Jeux Olympiques, La Coupe Davis, La fédération de la Coupe et

    21 En Afrique du Sud, au temps de l'apartheid, territoire délimité, « foyer national » attribué à un peuple ou à un groupe de peuples Noirs (bantous)., dictionnaire Larousse, éd. 2015.

    19

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    le Tournoi de Golf Canadien. Hormis ces quatre exceptions, c'est toujours l'apartheid qui régit le sport à domicile : aucun comité sélection mixte n'est institué.

    Comme le rappelle Dennis Brutus, le leader sud-africain du Comité Olympique Non-Racial sud-Africain (SANROC), le multi-nationalisme « n'est qu'un nouveau nom pour un jeu inchangé »22.

    Par ailleurs, bien que le gouvernement assure qu'il est équitable et juste envers la communauté sportive non-blanche, les sommes octroyées aux Blancs et aux non-blancs entre 1965 et 1972 attestent du contraire.

    En effet, alors que les Blancs représentent moins de 25% de la population, 2 708 900R (environ 175 880 EUR) sont dépensés dans les sports de la communauté Blanche, contre seulement 102 150R (environ 6 633 EUR) pour la communauté « non-blanche » pour la même période. Le compromis annoncé par John Vorster et la réalité inchangée en Afrique du Sud insurgent les activistes et des sportifs anti-apartheid. Tous les leaders du mouvement non-racial poursuivent le même objectif : la fin de l'apartheid sportif. Cet objectif constitue la seule façon de garantir l'accès équitable aux installations sportives et aux opportunités de formation. L'enjeu est également d'assurer la sélection d'une équipe nationale selon le degré de mérite, par un comité de sélection mixte et de permettre un accès libre aux tribunes spectateurs.

    La première résolution des Nations Unies à la Havane salue « le courage des sportifs en Afrique du Sud qui soutiennent la fin de la ségrégation sportive ». Traversée par les contestations internes et isolée, la société sud-africaine semble s'ouvrir au changement. Un signe éloquent de ce climat d'ouverture est observable à travers deux sondages conduits en 1971. Dans le premier, sur 925 sud-africains interviewés, 79% d'entre eux se sont prononcés favorables à l'intégration sportive. Dans le deuxième sondage, 276 sur 292 joueurs de crickets Blancs se sont estimés prêts à jouer avec ou contre une équipe « non-blanche » au niveau de la ligue. Rappelons qu'en décembre 1969, seules 3 ou 4 figures blanches se prononçaient en faveur de l'intégration sportive. L'isolement a donc influé l'opinion publique et a poussé le gouvernement à adopter de nouvelles politiques sportives plus tolérantes.

    Nonobstant l'embryon d'évolution des mentalités sud-africaines, le gouvernement de John Vorster ne montre aucun signe de progrès. Depuis son bannissement des Jeux Olympiques de 1964, l'Afrique du Sud a essayé d'organiser des « Mini Olympiques » dans le pays. La liste des pays participants à ces Jeux est similaire à la liste des pays favorables au maintien de la

    22 « It's a new name for the old game »

    20

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    participation de l'Afrique du sud dans les évènements sportifs internationaux : L'Allemagne de l'Ouest, le Royaume-Uni, l'Australie, l'Irlande, la Rhodésie et le Malawi, seul pays du contiennent africain à soutenir le système de l'apartheid sportif au niveau international.

    En 1973, les Jeux Olympiques sud-africains ont été largement médiatisés et dénoncés par la communauté internationale. D'ailleurs, la conférence des Nations-Unies à la Havane a fermement condamné les États et les sportifs participants aux évènements sportifs sud-africains.

    Au début des années 1970, l'Afrique du Sud a davantage régressé qu'elle n'a fait d'efforts pour mettre véritablement terme à l'isolement diplomatique et l'apartheid sportif s'est en réalité intensifié.

    21

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    LE SOULÈVEMENT ANTI-APARTHEID DES MEMBRES DU COMMONWEALTH ET L'OPPORTUNISTE « EFFORT D'INTÉGRATION RACIALE »

    Au début des années 1970, les alliés historiques de l'Afrique du Sud - traditionnellement réticents au boycott diplomatique avec l'Afrique du Sud - commencent à s'indigner à leur tour du régime d'apartheid.

    En 1971, l'Australie est semblable au Royaume-Uni en 1969 lorsque le pays est bouleversé après l'annulation du tournoi de rugby en Afrique du Sud et du tournoi de cricket en Angleterre par le parti travailliste après que 50.000 citoyens ont protesté dans les rues. Le tournoi de rugby de l'Australie en Afrique du Sud en 1971 a engendré de nombreuses violences, entre 500 et 700 arrestations, 18 jours d'état d'urgence dans l'état du Queensland, la grève de 125 000 employés et le coût des services de police s'élevant à 11 600 000R.

    Le tournoi de rugby australien de 1971 est finalement mené à terme mais à un lourd tribu et l'opinion publique réclame l'annulation du tournoi de cricket devant avoir lieu cette même année. Ce tournoi de cricket est contesté par le Conseil oecuménique des églises23, le conseil des syndicats 24 , la majorité des journaux australiens, la majorité des citoyens et le gouvernement d'Australie du Sud et de l'Ouest. Le comité australien de contrôle du cricket, contraint, annule donc le tournoi.

    Le tournoi de rugby néo-zélandais en 1973 fait l'objet de véhémentes contestations des organisations HART (Halt All Racist Tours) et CARE (Citizens Association for Racial Equality). Les deux organisations s'engagent à ne pas interrompre le tournoi si l'Afrique du Sud sélectionne ses équipes selon le critère du mérite et non de l'appartenance raciale. Lorsque l'Afrique du Sud refuse ce compromis, CARE et HART passent à l'action et mobilisent forces anti-apartheid. Le premier ministre néo-zélandais, Norman Kirk, refuse d'annuler le tournoi mais retire, parallèlement, le soutien financier du gouvernement accordé pour son organisation.

    Plus de la moitié des nations du Common Wealth, mené par le Comité Suprême du Sport en Afrique (SCSA)25 menacent le tournoi. Par conséquent, le premier ministre Norman Kirk est contraint d'annuler le tournoi.

    Il maintiendra cette position en annonçant le 1er novembre 1973 qu'il n'autoriserait pas le tournoi de tennis de la Coupe de la fédération, l'équivalent féminin de la Coupe Davis, qui

    23 Council of Churches

    24 Council of Trade Unions

    25 Council for sport in Africa

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    devait se tenir en Nouvelle Zélande et à laquelle devait participer l'Afrique du Sud, en dépit de la politique d'Apartheid appliquée au tennis.

    Toutefois, sous le premier ministre Robert Muldoon, les tournois de rugby avec l'Afrique du Sud reprennent. Les relations sportives avec l'Afrique du Sud firent d'ailleurs débat pendant la campagne électorale de 1975 avec la le slogan de campagne de Robert Muldoon : « Pas d'interférence du gouvernement dans le sport » 26, autorisant donc la compétition avec l'Afrique du Sud.

    Au Royaume-Uni, les protestations se poursuivent, une nouvelle organisation appelée Stop the Apartheid Rugby Tour (SART) est formée par les anciens de la coalition SANROC parmi lesquels le leader Dennis Brutus, dans le but d'empêcher la tenue le tournoi de rugby sud-africain des British Lions de 1975.

    Le tournoi aura tout de même lieu mais aura pour conséquence de faire réfléchir le cabinet sur l'opportunité d'étendre les couleurs du Springbok aux non-blancs.

    En effet, le tournoi s'achève sur la défaite des sud-africains. Les sud-africains sortent du tournoi vaincus et humiliés par l'équipe britannique en raison de leur interdiction d'employer leurs joueurs vedettes Noirs.

    C'est la raison pour laquelle le cabinet accepte d'étudier la question de leur intégration.

    Cette ouverture est politiquement récupérée par le premier ministre sud-africain John Vorster dans son discours d'octobre 1974 lorsqu'il promet de mettre fin à la discrimination raciale, il souligne la démarche vers la réintégration dans la communauté internationale.

    Toutefois, bien que le cabinet sud-africain décide d'autoriser les joueurs non-blancs à porter les couleurs des Springbok dans les matchs tels que ceux des tournois contre le Royaume-Uni, le pourcentage de joueurs échappant à la politique d'apartheid est insignifiant (de l'ordre de 6% des joueurs non-blancs).

    Cette décision s'inscrit davantage dans une politique d'assouplissement des sanctions internationales que d'une véritable intégration raciale.

    L'importance du sport et du changement en Afrique du Sud apparaît d'autant plus crucial si l'on appréhende le sport comme le reflet de la société globale en Afrique du Sud.

    En effet, pour les Blancs sud-africains, le sport a une connotation sacrée et religieuse. Alors qu'avant l'isolement sportif 79% des Blancs sud-africains jugeaient inconcevable l'intégration sociale des non-blancs, 79% se positionnaient pour après la mise au ban par la communauté internationale.

    26 « No government interference in sports »

    23

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Il aura fallu l'isolement pour que les joueurs osent parler de sport multiracial puisque les joueurs n'ont aucune autre alternative : s'ils veulent reprendre les compétitions internationales, c'est au prix de l'éradication de l'apartheid dans le sport.

    L'année 1976 est l'année de la reprise des compétitions internationales.

    Le premier espoir pour les sud-africains Blancs est en tennis : la Coupe Davis et la Coupe de la Fédération, traditionnellement soutenus par de puissantes structures dirigées par des occidentaux.

    L'Afrique du Sud concourt fréquemment dans ces deux tournois bien que de nombreuses nations refusent de l'affronter. Le paroxysme de l'absurdité est atteint à la victoire de la Coupe Davis par l'Afrique du Sud en 1974 lorsque l'Inde préfère déclarer forfait plutôt que d'affronter une équipe issue de l'apartheid.

    Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont ensuite annoncé leur retrait définitif de la Coupe Davis, puis, s'apercevant que la Coupe Davis continuerait sans eux, sont revenus sur leur décision.

    LE MASSACRE DE SOWTEO ET LA CONTESTATION DE LA PARTICIPATION NÉO-ZÉLANDAISE AUX JEUX OLYMPIQUES DE MONTRÉAL

    Le mercredi 16 juin 1976 débute la révolte des écoliers et des étudiants de Soweto, townships de la banlieue de Johannesburg. Ces étudiants Noirs s'opposent à l'obligation qui leur est imposée de suivre des cours d'Afrikaans comme seconde langue d'enseignement.

    Pour les étudiants sud-africains, l'afrikaans est la langue « du colon et de l'oppresseur ». Durant la manifestation, les policiers utilisent des gaz lacrymogènes et tirent pour disperser la foule.

    La première victime de ces tirs incontrôlés est un jeune garçon de 13 ans, Hector Paterson. La photo de son corps dans les bras d'un homme accolé à sa soeur en pleurs a fait le tour du monde et a « éveillé la conscience publique sur la politique d'apartheid27 ». Plus de 600 personnes décèdent dans les émeutes de Soweto, principalement des manifestants Noirs. Des dizaines de milliers de manifestants Noirs sont emprisonnés, des milliers traversent la frontière pour trouver refuge à l'étranger et d'autres organisent une lutte clandestine contre l'oppression blanche.

    Pour les Noirs sud-africains, Hector Paterson devient le martyr de la lutte anti-apartheid et ces émeutes meurtrières émeuvent l'opinion publique.

    27 http://archives.radio-Canada.ca/IDC-0-9-2279-10/index_souvenirs/guerres_conflits/emeute-soweto

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Les pays membres de l'Organisation de l'Union Africaine exigent l'application immédiate des résolutions prises par les Nations Unies contre le régime d'apartheid. Ils dénoncent la participation néo-zélandaise aux tournois de rugby en Afrique du Sud.

    Pour l'Organisation de l'Union Africaine l'attitude la Nouvelle-Zélande constitue une violation des résolutions des Nations Unies. Elle réclame à titre de sanction l'exclusion de la Nouvelle-Zélande des Jeux Olympiques de Montréal.

    À trois jours de l'ouverture des Jeux Olympiques de Montréal et en pleine indignation contre le massacre de Soweto, une équipe néo-zélandaise est en tournée en Afrique du Sud.

    Le 15 juillet 1976, deux jours seulement avant la cérémonie d'ouverture, 16 pays africains adressent une lettre au président du Comité International Olympique, lord Killanin, pour dénoncer la tournée des joueurs de rugby néo-zélandais en Afrique du Sud.

    Les signataires demandent ainsi l'exclusion de Jeux de la Nouvelle-Zélande. Sir Cecil Lance Cross, membre du Comité International Olympique depuis 1969 déclare que « le rugby n'est pas un sport olympique et que ni le CNO ni les membres de l'équipe olympique de Montréal n'ont eu de contact avec l'Afrique du Sud ». Il rappelle que « le gouvernement néo-zélandais est opposé à l'apartheid mais respecte le droit de chacun de faire du sport ou il l'entend. Qu'il n'existe donc aucune raison en faveur de l'exclusion de la Nouvelle-Zélande ».

    Après avoir consulté les autres membres du Comité International Olympique, lord Killanin adresse sa réponse au 16 pays africains exigeant l'exclusion de la Nouvelle-Zélande : « Le rugby est un sport qui échappe entièrement à l'emprise du Comité International Olympique. Comité qui a déjà pris des mesures en retirant l'Afrique du Sud des Jeux en 1972. Nous convenons à l'unanimité que cette question dépasse la compétence du Comité et la Nouvelle-Zélande n'a enfreint aucune règle ».

    Constatant cette fin de non-recevoir, les équipes nationales des pays signataires sont rapatriées le jour même, à l'exclusion du Sénégal et de la Côte d'Ivoire qui décident de rester. Au total, 22 comités olympiques se retirent des Jeux Olympiques28. Du 13 au 17 octobre 1976, la Commission exécutive du Comité Internationale Olympique de Barcelone est dédiée prioritairement au boycott des Comités nationaux olympiques africains.

    Le Comité relève que la grande majorité des motifs concernant la non-participation aux Jeux de Montréal sont liés à la volonté de protester contre les relations sportives entre la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud.

    28 Algérie, Cameroun, Éthiopie, Égypte, Ghana, Guyane, Haute-Volta, Irak, Kenya, Libye, Mali, Maroc, Niger, Nigeria, Ouganda, République Populaire du Congo, Soudan, Swaziland, Tchad, Togo, Tunisie et Zambie.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Lord Killanin et les membres du Comité décident de ne pas sanctionner les athlètes et les comités nationaux olympiques africains ayant décide de leur tardif et engagé retrait, estimant que ceux-ci avaient déjà payé un lourd tribu en sacrifiant « toute une génération d'athlètes ». Le 23 décembre 1976, lord Killanin rappelle que la charte olympique doit être respectée et que le mouvement olympique doit être autonome et non dicté par des ingérences extra-sportives ou gouvernementales et donc de la politique purement politicienne.

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    LE GLENAGLES AGREEMENT, L'OPPOSITION FORMELLE DU COMMON WEALTH ET SA TARDIVE APPLICATION RÉELLE

    En 1977, les nations du Commonwealth signent le Commonwealth Gleneagles Agreement et décident de soutenir la campagne anti-apartheid pour décourager les relations et les compétitions entre les athlètes et les organisations sportives, les équipes ou individus d'Afrique du Sud.

    Le Commonwealth est un organe compétent pour imposer un boycott à l'Afrique du Sud puisque plusieurs sports populaires et typiquement coloniaux en Afrique du Sud sont dominés par le Commonwealth, à l'exemple du cricket et du rugby de l'Union. Les membres du Commonwealth embrassent des nations de diverses races, cultures, langages et confessions ont depuis longtemps perçu le danger de la discrimination raciale et se sont donc engagés dans la lutte contre la ségrégation.

    Au sommet de Londres, les représentants des gouvernements ont réaffirmé que l'apartheid sportif était une abomination contraire aux principes de la Déclaration du Commonwealth prévus par la Déclaration de Singapore le 22 janvier 1971. Le Commonwealth est conscient que les relations sportives entre leurs pays et les pays pratiquant l'apartheid tend à laisse penser qu'ils encouragent et partagent une politique de discrimination raciale prohibée par la Déclaration de Singapore. Toutefois, malgré cette volonté politique de façade, en pratique le rugby de l'Union et le cricket ont continué à être joués au niveau international entre l'Afrique du Sud et le Commonwealth malgré le Gleneagles Agreement. Le dernier tournoi de rugby britannique en Afrique du Sud a lieu en 1985 et une équipe australienne visite l'Afrique du Sud en 1986 et en 1987.

    En réalité, le boycott sportif du Commonwealth commence véritablement à la fin des année 1980 lorsque la pression internationale est telle que les relations entre les pays membres et l'Afrique du Sud relatives au rugby et au cricket sont suspendues et que l'Afrique du Sud se voit refuser le droit de faire participer leurs équipes régionales et internationales pour une saison entière et non seulement quelques matchs. Le South African Financial Mail affirme alors que « le boycott sportif est probablement l'arme la plus puissante dans la lutte contre l'apartheid. Et ce parce que en affectant leurs loisirs, il a forcé les blancs apolitiques à se positionner et à questionner l'iniquité et l'absurdité de l'apartheid »29.

    29 The South African Financial Mail, 28 septembre 1990 : « The sports boycott has perhaps been the most successful weapon in the struggle against apartheid. This is because, by directly affecting their recreation, it forced apolitical whites to consider the inquity and absurdity of apartheid ».

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    DU CHANGEMENT COSMÉTIQUE DES ANNÉES 1980 « A NORMAL SPORT IN AN ABNORMAL SOCIETY » À L'HUMILIATION DES TOURNOIS « MERCENAIRES »

    Au début des années 1980, le sport est exempté de la politique d'Apartheid, mais en réalité l'Apartheid est toujours pratiquée. Ce faisant, la réadmission de l'Afrique du Sud dans la compétition sportive internationale devra attendre le débanissement du Congrès National Africain (ANC) en 1990. Sous le poids de la croissante pression internationale et fragilisée par son isolement de la communauté sportive internationale, l'Afrique du Sud tente de distinguer le sport de sa politique raciale.

    En 1979, le Département du Sport des Loisirs30 devient un service accessible à toutes les communautés. Toutefois, sa mission est strictement encadrée par le Liquor Act et les Reservation of Separate Amenities Acts (RSAA) et le gouvernement continue d'insister sur la nécessité de leur application pour maintenir l'ordre et la loi et éviter les tensions. Le sport est finalement dissocié du Group Areas Act (GAA) en octobre 1979 : les billets des matchs joués sur des zones Noires peuvent être achetés par des Blancs et inversement, selon un système de permis.

    Les institutions sportives revendiquent cette séparation entre le sport et la politique sociale sur la scène internationale. Toutefois, cette distinction entre le sport et la politique ne fera que renforcer le diction du South African Congress of Sport (SACOS)31 selon lequel « il ne peut y avoir de sport normal au sein d'une société anormale »32.

    Le Conseil de Recherche en Sciences Humaines33 (HSCRC) recommande dans un rapport de 1980 que le sport soit dépolitisé, libéré des restrictions légales et fasse l'objet d'un financement équitable. Cette même année, la délégation du Conseil des Sports Britanniques34 menée par Richard Jeep visite l'Afrique du Sud.

    Le rapport de la commission se montre plutôt favorable à l'Afrique du Sud mais ne met pas fin à l'isolement internationale parce que la réforme consentie dans le domaine du sport n'est pas acceptable si elle se tient isolée du changement politique.

    Le sport en Afrique du Sud est alors dépolitisé, certes. Toutefois, un grand nombre de lois et de pratiques d'apartheid demeurent.

    30 Department of Sport and Recreation

    31 L'organisation interne anti-apartheid dans le sport fondée en 1973.

    32 « No normal sport in abnormal society ».

    33 The Human Sciences Research Council

    34 British Sports Council

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    D'après la Constitution de 1983, le sport au sein des écoles devient la responsabilité d'un département de l'éducation racialement constitué selon et une structure tricamérale (blancs, indiens et couloured).

    À la fin des années 1980, le gouvernement encourage prudemment des tournois entre écoles mixtes et se fait attaqué tant par la droite que par la gauche qui le jugent toutes deux trop progressiste.

    Des études montrent que 70% des infrastructures sportives sont contrôlées par les Blancs et que les dépenses par habitant sont 7 fois plus élevées pour les Blancs que pour les Noirs en dehors du bantoustan. Les groupes politiques de droite émergent à travers les municipalités conservatrices et des écoles financées par l'État. Le gouvernement sud-africain contre l'opposition de gauche en diabolisant la SACOS et en retenant arbitrairement, sans procès préalable, les passeports de ses leaders au motif que l'organisation fait parie d'un « complot » contre le pays. La SACOS dénonce la situation aux médias internationaux en précisant que si les joueurs Noirs sont traités équitablement sur le terrain c'est ensuite pour mieux regagner une société d'apartheid plus légitimé et trompeuse.

    Pour assurer la sécurité publique, le Joint Management Center (JMC) mène campagne contre la SACOS. À la fin des années 1980, celle-ci a perdu de son influence au profit du Conseil du Sport National (NSC)35et du Congre National Africain (ANC), grâce au boycott international et à une stratégie pratique plus avisée. Selon l'ANC, le boycott doit être ciblé et non plus systématique pour être plus efficace et crédible. Alors que la SACOS était devenu trop rigoriste et doctrinale.

    L'Afrique du Sud réplique au boycott en organisant des tournois de cricket, de rugby et de football « mercenaires » formés de joueurs pour la plupart en disgrâce ou en fin de carrière que certains qualifient de « parias ».

    Ces tournois clandestins sont dénoncés unanimement et même par certains représentants de partis eux-mêmes très conservateurs, tels que Margaret Thatcher qui dénoncent ces tournois au nom du Gleneagles Agreement, lequel acte, nous l'avons vu, contraint le Commonwealth à l'isolement de l'Afrique du Sud ségrégationniste.

    Ces tournois sont qualifiés par certains universitaires de « rencontre illicite d'arrière-cour avec l'Apartheid sud-africaine»36.

    35 National Sport Council

    36 H.M Beckles, The development of West Indian Cricket, The Age of Nationalism, London, Pluto, 1998, P.20 : « A backstreet illicit encounter with South Africa Apartheid ».

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    La communauté internationale y voit donc un renforcement de l'apartheid sportif et un triomphe du nationalisme, bien que ces compétitions ne reçoivent que peu de soutien.

    Au moment où le monde du cricket est instable, l'Afrique du Sud menace de séparer le sport selon une logique raciale. En 1985, lorsque les « mercenaires » australiens arrivent en 1985, il apparaît évident que cette visite est motivée par les avantages fiscaux consentis aux sponsors. Ces subventions sont en fait des subventions gouvernementales dissimulées.

    Assez ironiquement, les sponsors impliqués souhaitaient préserver leur anonymat par crainte d'être rejetés par une partie de la société sud-africaine.

    Le dernier tournoi « mercenaire » de cricket coïncide avec la levée du ban et la libération de Nelson Mandela en février 1990. Ces tournois auront attiré la désapprobation internationale, un faible intérêt sportif et auront surtout permis l'ascension de l'ANC. L'ANC détient un rôle crucial dans le retour de l'Afrique du Sud à la compétition internationale, grâce à son stratagème pour permettre un changement, cette fois politique. Si le sport dans l'Afrique du Sud Apartheid a longtemps permis aux Blancs sud-africains de distinguer leur identité de celle des autres communautés raciales, il participe finalement à la vulnérabilité puis à l'effondrement du système.

    La législation apartheid n'a pas réussi à régir durablement le sport et les loisirs. La communauté internationale s'est saisie du sport pour exprimer son aversion pour l'apartheid et le boycott sportif a constitué un formidable instrument de condamnation. Comme nous l'avons expliqué, pour les Blancs sud-africains, le sport a une vocation quasi divine et chaque victoire sur le terrain leur permettait d'établir la pertinence et la légitimité tant de leur mode de vie que de leur structure sociale et politique.

    Paradoxalement, le sport s'avère être le talon d'Achille de l'Afrique du Sud. Pendant toute la période que nous venons d'étudier, la relation entre le gouvernement et les organisations sportives internes est symbiotique : les organisations sportives n'étant que des entités supportrices d'une politique gouvernementale qui les dépassent. Ces organisations n'ont aucune vision globale de leur rôle dans la société et n'ont fait qu'appliquer la politique du National Party. Finalement, la nécessité de présenter un visage de l'apartheid plus acceptable puis, sous la pression de la communauté internationale, d'y mettre un terme absolu a précipité un changement d'abord cosmétique puis profond.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud LA RÉINTÉGRATION AUX JEUX DE BARCELONE ET LA MONTÉE AU POUVOIR DE L'ANC

    À la fin des années 1980, les organisations sportives sont donc contraintes de se réorganiser selon une politique non-raciale pour réintégrer la compétition internationale. Les organisations sportives précédemment distinctes telles que l'organisation pour le « White Cricket », l'organisation pour le « Black Cricket » et l'organisation pour le « Coloured Cricket » ont du s'amalgamer en une seule organisation avec des représentants de diverses races.

    Les organisations sont également contraintes d'adopter une Constitution qui soutient la non-ségrégation et prévoit un plan de développement prouvant que les ressources financières de l'État seront allouées à la majorité Noire historiquement désavantagée.

    Ces changements sont en partie déterminés par la volonté de l'Afrique du Sud de réintégrer les Jeux Olympiques de Barcelone de 1992.

    Le SACOS se montre très critique de ces opportuns changements et voit dans cette réorganisation un leurre. Le fait que les anciennes organisations sportives Blanches soient désormais des comités « intégrés » ne permet selon le SACOS aucun véritable changement des conditions sportives dans la pratique. Les représentants du SACOS, à travers plusieurs entretiens à la presse internationale, expriment également que les plans de développement resteront lettre morte faute de financement publique. En outre, une fois que l'Afrique du Sud sera réadmise aux Jeux, l'attention internationale se focalisera sur la compétition sportive au détriment de l'insuffisance du changement social. Malgré ces critiques, la communauté internationale constate la démocratisation et l'ouverture de l'Afrique du Sud, les sanctions bilatérales ainsi que celles des Nations Unies sont progressivement levées.

    En 1992, l'Afrique du Sud est réadmise aux Jeux de Barcelone, les sportifs Noirs concourent sous les couleurs olympiques et non plus sous les couleurs de l'apartheid, ce qui est une première historique. C'est la première fois depuis 1960 que l'Afrique du Sud est autorisée à participer aux Jeux Olympiques et Nelson Mandela, alors leader de l'ANC, y assiste. L'Afrique du Sud se réclame « rainbow nation » et multiculturaliste. Cette même année, et pour la première fois depuis 10 ans, une équipe de rugby étrangère est autorisée à visiter l'Afrique du Sud mais selon les strictes conditions posées par l'ANC : aucun hymne national n'est chanté, le drapeau sud-africain n'apparaît pas et une minute de silence est observée en hommage aux victimes de l'apartheid.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Le premier match-test contre la Nouvelle-Zélande à Ellis Park, Johannesburg, est un échec puisque aucune des conditions imposées par l'ANC n'est respectée. L'ANC menace donc à nouveau d'appeler à de nouvelles sanctions internationales contre le sport sud-africain.

    En 1993, l'ANC et le gouvernement adoptent conjointement un nouveau drapeau aux couleurs combinant les couleurs de l'ANC (Noir, vert et jaune) à celles des républiques blanches (rouge, blanc et bleu), un nouvel hymne est adopté réunissant l'hymne de l'ANC37 et celui de l'Afrique du Sud38.

    En 1994 sont organisées les premières élections législatives multiraciales au suffrage universel, l'ANC présidée par Nelson Mandela conquière le pouvoir.

    C'est l'aboutissement de la lutte anti-apartheid. Une cinquantaine de chefs d'État et le secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros-Ghali, sont présents à l'investiture présidentielle de Nelson Mandela. Un nouveau modèle pour le sport en Afrique du Sud est proposé selon lequel un ministère du sport distinct régit la politique sportive. La première priorité de cette politique sportive étant d'améliorer les infrastructures sportives dans les communautés Noires précédemment marginalisées par l'apartheid. L'ANC vise le développement et la réconciliation nationale à travers le sport et institue le Programme de Développement et de Reconstruction39. Sont donc formées des « delivery units » chargées d'apporter l'éducation sportive, l'entraînement, les infrastructures et l'équipement aux masses des communautés désavantagées.

    En réalité, l'accès au sport pour ces communautés souffrant de l'apartheid est une illusion. Les écarts entre les Noirs et les Blancs concernant les besoins primaires sont trop primordiaux pour imaginer que le sport soit une priorité réaliste à moyen terme.

    Par exemple, entre 1989 et 1990, la dépense par habitant pour l'éducation primaire et secondaire était de 930R pour les Noirs et de 3739R pour les Blancs.

    En 1991, 83% des Noirs économiquement actifs gagnent moins de 10 000R par an ce qui n'est le cas que de 15% des actifs Blancs. En outre, 0,6% des Noirs gagnent plus 50 000R par an alors que ce salaire est atteint par 87% des actifs blancs.

    L'espérance de vie à la naissance est de 59 pour les Noirs et de 71 ans pour les Blancs, le taux de mortalité infantile sur 1000 naissance viables est de 61 pour les Noirs et 9 chez les Blancs. Une population estimée à 7 000000 Noirs vit dans des townships insalubres,

    37 Nkosi Sikelel' iAfrika

    38 Die Stem Van Suid-Afrika

    39 Reconstruction and Development Programme

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    23.000.000 n'ont pas accès à l'électricité, 10.000.000 n'ont pas accès à l'au potable et 15.000.000 aux sanitaires.

    Par conséquent, les « delivery units » ne peuvent être effectives dans une société où le sport n'est pas la priorité puisque le pays dénombre de sérieuses carences en matière de logement, de santé, d'emploi et d'éducation.

    Ainsi, le sport a été l'instrument du changement en Afrique du Sud et le terrain historique des inégalités raciales. Logiquement, l'ANC fait du sport sud-africain un priorité politique parce que le sport est étroitement lié à l'intégration et au développement, mais le sport n'est pas la priorité sociale réelle en Afrique du Sud et les moyens limités du pays ne permettent pas les changements et améliorations structurels promis par l'ANC.

    LE RUGBY ET LA RECONSTRUCTION IDENTITAIRE, LA SYMBOLIQUE WORLD RUGBY CUP DE 1995

    La Coupe du monde de rugby de 1995 est le premier événement sportif à avoir lieu en Afrique du Sud après la fin de l'apartheid, il s'agit de la première compétition internationale à honorer la réintégration de l'Afrique du Sud au sport international. Le 24 juin 1995, à Ellis Park, Johannesburg, les Springboks sud-africains vainquent les All Blacks néo-zélandais. Parmi l'équipe sud-africaine, Chester Williams, le seul joueur Noir des Springboks, souvent qualifié par la presse de « black pearl », devient une icône du « nouveau » sport sud-africain, l'emblème de la réconciliation nationale.

    La scène est culte, historique et hautement symbolique (la photo de cette scène se trouve d'ailleurs au Muséum de l'apartheid), Nelson Mandela, récemment élu Président, habillé d'un jersey aux couleurs des Springboks, remet le trophée au Capitaine Pienaar, symbole de la réconciliation et de la victoire : l'ascension et la réunification de l'Afrique du Sud. Le rugby est perçu, nous l'avons vu, comme un sport traditionnellement Blanc et issu de l'idéologie afrikaner. C'est le sport par excellence du nationalisme afrikaner et de l'impérialisme. Le symbolisme de la poignée de main entre le leader de la révolution Noire et le capitaine du bastion de la « suprématie blanche » est très forte. Interrogé sur les événements politiques marquants de l'année 1995, le politologue et ambassadeur Dennis Worral répond « c'est lorsque l'Afrique du Sud a battu la Nouvelle-Zélande pendant la Coupe du Monde, en portant le jersey numéro 6 du capitaine François Pienaar Mandela est le symbole de l'unité dans une société profondément divisée... L'impact émotionnel et le

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    symbole politique de cet événement a éclipsé tout ce qui passe en Afrique du Sud cette même année »40.

    Cette importance politique ne s'entend que si l'on resitue cette victoire dans le contexte du gouvernement de Nelson Mandela qui tente de promouvoir une vision de l'Afrique du Sud qui transcende la vision divisionnaire de l'identité ethnique longtemps entretenue par l'idéologie apartheid. Réunir et fédérer tous les sud-africains derrière une équipe de rugby est un symbole manifeste qui donne une impulsion à la création de l'identité unitaire sud-africaine malgré les différences raciales : la « rainbow nation ».

    Comme l'a exprimé Nelson Mandela au cours du banquet officiel concluant la fin du tournoi « lorsque le sifflet final a retenti, les fondations pour la réconciliation et la construction nationale ont été renforcées »41. Le message émis par la Coupe du monde de 1995 est un message de réconciliation, les participants et les spectateurs sont invités à s'unir et à enfin dépasser les clivages raciaux.

    Les Springboks ne sont plus l'équipe de l'hégémonie afrikaner mais l'incarnation sportive de la « rainbow nation »42 grâce à la participation de Chester Williams.

    Pour le sociologue Wilmot James, l'équipe de rugby sud-africaine a excellé et dépassé les attentes de la nation et ce faisant a élevé le concept d'unité nationale à un niveau non atteignable par les discours politiques ou les ateliers communautaires. Ainsi, le sport est un standard infaillible qui implique des millions de personnes dans une logique collective et de célébration, c'est un exemple puissant d'idéologie spontanée43.

    Ce tournoi incarne l'entrée de l'Afrique du Sud dans la démocratie. Lorsque Nelson Mandela se tient debout au milieu de l'Afrikanerdom, lieu sacré du rugby sud-africain, sport du confinement de la communauté Noire pendant l'apartheid, il symbolise la réconciliation.

    40 Cape Times, 29 décembre 1995 « This was when South Africa defeated new-Zealand for the World Rugby Cup and Nelson Mandela wearing South African captain Francois Pienaar's numer six jersey, symbol of unity in a deeply divided society... The emotional impact ans political symbolism of this event eclipsed everything else that happened in South Africa in 1996 ».

    41 Eastern Province Herald, 17 aout 1995 « When the final whistle blew... the foundations for reconciliation and nation-building had been truly strengthened »

    42 Après la victoire des Spingboks, ce terme est récurrent dans les titres des journaux : « How rugby scored a try for new South Arica » Mail and Guardian, « Rugby World Cup - All Blacks v the rainbow nation » Mail and Guadian, « Reign-Bow Boks » Sunday Tribune, « Our Guts and glory boys... and the rainbow nation rejoices » Sunday Times, « Rugby helped to heal the nation » Eastern Province Herald

    43 Wilmot James, Democracy in action, mars 1996 p. 3. « South African sport teams have excelled beyond expectations and in doing so have elevated the concept of national unity in a way that 1000 lectures and community workshops could not have begun to achieve. President Nelson Mandela, too is a major party to the lifting of the national spirit ... Some people wonder aloud how deeply athletic excellence can penetrate the spirit. However, it is a mistake of the intelligence to think that prowess on the sports field evokes merely a momentary sentimentality for the masses. It sets an unmistakable example, involves millions of people in collective forms and celebrations, and is in fact a powerful example of spontaneous ideology. »

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    À ce sujet, Nelson Mandela confiera en 2001 : « Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d'inspirer et d'unir un peuple comme peu d'autres évènements peuvent le faire (...) Il est pus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales »44.

    L'événement transcende les anciens clivages et permet l'émergence d'une nation unifiée selon le slogan « one team, one nation » par l'exaltation d'un succès partagé.

    La Coupe du Monde de 1995 signe la réintégration à la communauté sportive internationale et la reconnaissance au sein du monde occidental après un long isolement.

    Sur le plan économique, la fuite des sponsors et la non-participation aux tournois principaux pendant ces années d'isolement apartheid ont engendré un manque à gagner entre 460 à 690 millions de Rand à (soit environ 30 à 45 millions d'euros) et ont diminué la compétitivité des équipes sud-africaines.

    Au lendemain du mondial de 1995, l'Afrique du Sud apparaît réconciliée et l'espoir d'un rapprochement durable entre les différentes et divisées communautés nationales est permis.

    44 Playing the Enemy : Nelson Mandela and the game that made the nation, John Carlin, 2009, « Sport has the power to change the world. It has the power to inspire, the power to unite people that little else has (...)It is more powerful than governments in breaking down racial barriers. »

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    B - Un changement institutionnel et social inabouti : l'injustice raciale persistante en Afrique du Sud

    À l'abolition de l'apartheid, l'Afrique du Sud ségrégationniste est devenue, selon les propres termes de sa Constitution, une « démocratie multiraciale non discriminatoire et non sexiste ». La rainbow nation se présente comme un pays soucieux de s'affranchir de la période colonialiste et raciste.

    Les chercheurs internationaux emploient fréquemment l'expression de miracle sud-africain pour caractériser le changement de régime de l'Afrique du Sud. En effet, le régime sud-africain est l'un des plus libéraux au monde, sa devise unity in diversity et les réformes institutionnelles de correction des inégalités policy of redress laissent envisager un réel progrès démocratique.

    Nonobstant, le cas sud-africain est injustement mythifié par la communauté internationale. Dans Invictus, Clint Eastwood dépeint de manière très consensuelle la construction d'une nouvelle Afrique du Sud, incarnée par la Coupe du monde de rugby de 1995, grâce à l'instrumentalisation du sport à des fins politiques. Le scène finale montre des Noirs jouant au rugby, illustrant une Afrique du Sud apaisée, unifiée et victorieuse.

    Or, ce happy ending idéalisé qui habite l'imaginaire collectif relève du mythe. Les deux défis qui survivent à la chute de l'apartheid - endiguer le racisme et les inégalités sociales - ne sont actuellement pas atteints. Des récents faits-divers et constats d'inégalité sociale, moins médiatisés que les compétions internationales à symboles et que les productions hollywoodiennes, attestent de la fragilité persistante de la division sud-africaine.

    Pour reprendre les termes du joueur de rugby sud-africain Morné du Plessis « il aurait été naïf de penser que ce titre mondial changerait notre société et notre rugby, qu'il aurait été un acte fondateur. Il a juste été un moment important. Il a fait évoluer la perception qu'avaient les Blancs de Nelson Mandela et la perception qu'avaient les Noirs et les Métis du rugby. C'était déjà beaucoup. Ce fut un grand et beau moment mais il ne doit pas être pris pour ce qu'il n'a jamais été en fait. Le chemin est encore long. »

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    L'AFRIQUE DU SUD POSTAPARTHEID TOUJOURS INÉGALITAIRE, APRÈS L'APARTHEID POLITIQUE VERS L'APARTHEID SOCIAL

    Lorsque l'ANC arrive au pouvoir, il lui appartient de démontrer qu'elle est apte à assurer la transition depuis la libération vers la constitution d'un gouvernement responsable qui se consacre à la réconciliation sociale. Mais l'ANC doit également prouver aux économies capitalistes qu'elle est un partenaire commercial fiable. Le tiraillement entre ces préoccupations antagonistes ne semble pas permettre le changement économique et social par une stratégie politique cohérente et suivie.

    L'échec de la transformation sociale apparaît premièrement comme un paradoxe. En effet, l'économie sud-africaine est la première du continent africain duquel elle représente 18,6% du PIB. Elle est classée 29ème au niveau mondial. L'Afrique du Sud en tant que puissance émergente fait partie des BRICS et possède des ressources naturelles exceptionnelles et stratégiques : or, manganèse, chrome, uranium, cuivre, argent, titane fer, plomb, platine (près de 80% des réserves mondiales), diamants (15 millions de carats) et charbon (6ème rang mondial). Malgré son relatif développement économique et l'abolition juridique de l'apartheid, l'Afrique du Sud demeure un pays profondément inégalitaire et l'accès aux fruits du développement est toujours régi selon une implacable logique raciale.

    L'abolition de l'apartheid et l'arrivée au pouvoir du premier gouvernement démocratiquement élu et mixte ont suscité de grands espoirs de réformes sociales. Toutefois, plus de 20 ans après la fin de l'apartheid, le bilan social est contrasté. Le régime de ségrégation raciale a profondément marqué la société africaine et la fracture raciale persiste. En 2013, Jeune Afrique relaye les études de Goldman Sachs qui indiquent que si l'Afrique du Sud a progressé depuis la fin de l'apartheid, la société reste plombée par des inégalités accablantes, un chômage massif et une faible productivité. Goldman Sachs note que 85% des Noirs sont pauvres alors que 87% des Blancs disposent de revenus moyens ou élevés.

    Les statistiques issues du recensement de 2014 attestent de l'incapacité de l'Afrique du Sud à atténuer les inégalités raciales.

    Paradoxalement, alors que l'Afrique du Sud est le pays le plus riche du continent africain, 27% de la population connaît la malnutrition, 52% de la population vit sous le seuil de pauvreté, près de 2 millions d'habitants sont concentrés dans des bidonvilles, le taux de

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    chômage officiel atteint 25,2% des actifs (35% en réalité) et plus 6,5 millions de séropositifs déclarés45.

    La population Noire est plus exposée à la pauvreté que la communauté blanche. Ainsi, d'après l'Observatoire des inégalités, la communauté Noire représente 79,6% de la population sud-africaine et la communauté blanche 8,9%, la communauté Noire ne perçoit que 41 % des revenus nationaux. Toutefois, un foyer blanc perçoit des revenus en moyenne 6 fois plus élevés qu'un foyer Noir (48 200R contre 8000R). Le fossé racial est toujours très creusé puisque 29% de la population Noire est au chômage contre seulement 4% de la population blanche. Lorsque 62% de la population Noire vit sous le seuil de pauvreté, seul 1% de la population blanche est concernée. En outre, seuls 8,3% de la communauté Noire poursuit des études supérieures post-baccalauréat contre 37% de la communauté blanche. .

    Si d'après l'Institut des Relations Raciales (SAIRR)46, la classe moyenne Noire est désormais équivalente à la classe moyenne blanche, il s'agit davantage de l'expansion d'une élite (« happy few ones ») que de l'essor d'une majorité prospère. En 2011, le coefficient de Gini (0,58), en hausse depuis 2000 s'élevait à 0, 64 ce qui classe l'Afrique du Sud pays le deuxième plus inégalitaire au monde derrière la Namibie.

    La « rainbow nation » semble toujours payé le tribu de l'apartheid. Sous l'apartheid, nous l'avons vu, l'éducation était ségréguée, les Noirs sont exclus des écoles et des postes à compétence. Aujourd'hui, l'éducation est théoriquement équitable mais les enfants de familles Noires les plus pauvres ne peuvent s'offrir les frais d'inscription exigés par les bonnes écoles. La qualité de l'éducation publique gratuite proposée aux populations Noires démunies est classée comme l'une des plus médiocres au niveau mondial selon le Forum économique mondial.47

    Ainsi, les inégalités se sont accrues et polarisées entre les catégories raciales. Les Blancs voient les inégalités au sein de leur communauté régresser de 8% depuis 2000. En revanche, pour toutes les autres catégories raciales, les inégalités continuent de se creuser.

    Si l'abolition de l'apartheid a permis à des populations anciennement exploitées de profiter de l'expansion économique, les salaires augmentent seulement pour la poignée des « happy few ones » au détriment d'une majorité vivant dans des conditions misérables et amassée dans des townships.

    45 L'Afrique du Sud détient aujourd'hui l'un des plus élevés taux de prévalence du VIH selon la Banque Mondiale (avec la République du Congo, Botswana, Ouganda, Mali et Cameroun).

    46 South African Institut of Race Relations

    47 http://reports.weforum.org/global-competitiveness-report-2012-2013/

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Pour Kevin Lebone (SAIRR), l'un des chercheurs à l'origine de ces statistiques « un pays aux fortes inégalités est inévitablement instable et devient indésirable pour ses citoyens tout comme pour les investisseurs étrangers ». Mais les inégalités au sein des "groupes raciaux" sont aussi un problème selon lui. Il estime que « ces fortes inégalités sociales entre les Noirs en général, et entre les Africains en particulier, sont un motif d'inquiétude et pourraient être la conséquence inattendue de la politique de discrimination positive à l'égard des Noirs ». Comme nous le verrons ultérieurement à travers la question des quotas raciaux, cette politique de discrimination positive stigmatise une communauté qui a revendiqué dans la lutte contre l'apartheid l'abolition de la distinction raciale et du traitement différencié.

    Afrique Relance, département d'information de l'ONU, a étudié l'éloquent parallèle entre le township « Mandela Village » et Johannesburg. « Mandela village », dont la référence devient tristement ironique, est un bidonville de 7000 habitants, exclusivement Noirs, délabré construit en 1990 à partir de matériaux récupérés dans une gare désaffectée non loin de Soweto.

    Parmi les habitants interrogés par les enquêteurs ONU, beaucoup doutent de la capacité du gouvernement ANC à améliorer leurs conditions de vie dans les prochaines années. Le rapport de l'ONU décrit le village comme un assemblage de « baraques minuscules, séparées par d'étroits passages et bordées de rigoles ». Le village n'est pas alimenté en électricité et ne dispose que de 5 points d'eau. Parce que la communauté est organisée et représentée par des militants de l'ANC, la municipalité leur a accordé le relatif confort de 90 toilettes portatives. En 2000, la quasi-totalité des habitants sont au chômage et les revenus qu'ils perçoivent proviennent d'activités illicites.

    À l'exact opposé, à quelques kilomètre seulement, les habitants de Johannesburg, capitale commerciale d'Afrique du Sud, sont majoritairement Blancs et fortunés. Le quartier résidentiel gardé de Sandton offre de spacieuses maisons, des parcs, des centres commerciaux, des sièges d'entreprises et des hôtels. Les habitants blancs sont regroupés et protégés par des murs, des clôtures électriques et des services de gardiennage privés48.

    Pour reprendre les termes du sociologue Roger Southall, dans l'Afrique du Sud postapartheid, la ségrégation socialo-spatiale a remplacé la ségrégation politique livrant le pays à une tacite « apartheid des murs »49. Certes, le système légal et politique ne pratique plus la ségrégation et encourage même à la discrimination positive (« affirmative action ») en

    48 http://www.un.org/fr/africarenewal/vol14no4/sudafr.htm

    49 Roger Southall, Unions and parties in South Africa : Cosatu and the ANC in the wake of Polokwane, Southall R & Webster E, 2010

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    faveur des Noirs mais de nombreuses inégalités sociales subsistent et entretiennent les frustrations héritées de l'apartheid.

    En effet, si les actes de violences liées aux revendications politiques ont diminué et que la violence globale est historiquement élevée en Afrique du Sud, on observe une hausse de la criminalité et de la violence sur fond de conflit social.

    Et certains troubles ne sont pas sans rappeler ceux de l'apartheid. En août 2012, la grève des mineurs de Marikana dégénère et 34 manifestants travailleurs de la mine de platine sont tués par la forces de l'ordre sud-africaines. Cet épisode est comparé par la presse internationale aux massacres de Sharpeville en 1960 et de Soweto en 1976. Le gouvernement semble incapable de panser les plaies de son histoire coloniale. En réaction, les contestations ont ensuite gagné les ouvriers d'or, de minerai, de fer, de chrome et enfin de charbon. Les grèves de mineurs ont causé la perte d'1 milliard de dollars en 2013, faisant chuter la croissance sud-africaine de 2 points. Le Rand atteint alors son taux le plus bas depuis la crise économique. Déjà affectée par la chute des matières premières en 2015, l'Afrique du Sud traverse depuis une crise économique déstabilisante.

    La chute du système de l'apartheid et l'établissement de l'ANC, parti démocratique et progressiste, laissait espérer le passage d'un système d'exclusion et d'inégalités à un système inclusif et égalitaire. Néanmoins, l'Afrique du Sud est en crise économique, politique et sociale. Toujours profondément inégalitaire. Selon le géographe Philippe Gervais-Lambony, si le système d'apartheid est aboli, on n'assiste pas pour autant à une mixité raciale, laquelle reste marginale50.

    Pour l'ancien Ministre du Développement et actuel membre du comité exécutif national de l'ANC Zola Skweyiya la société sud-africaine est une « bombe à retardement »51.

    Les pouvoirs publics se défendent et attribuent la faiblesse des progrès réalisés à l'héritage de l'apartheid : le pays n'a pas encore dépassé la médiocrité des soins de santé et de l'éducation résultants des politiques discriminatoires menées sous l'apartheid.

    Engluée dans ses incapacités et frustrations, l'Afrique du Sud actuelle est en situation d'échec face à ses objectifs fondamentaux de 1994.

    50 Les formes de la démocratie locale dans les villes sud-africaines, Introduction, Revue Tiers Monde, 2008/4, n°196 et

    51 « South Africa is experiencing a deep social crisis, we are sitting on a time-bomb of poverty and social disintegration. » Zola Skweyiya

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    LES CHOIX HÉSITANTS ET CONTRADICTOIRES DE L'ANC : L'ABANDON DU PROGRAMME DE RECONSTRUCTION ET DE DÉVELOPPEMENT ET L'ÉCHEC DE L'ÉCONOMIE LIBÉRALE

    Les choix stratégiques de l'ANC ont aggravé la situation socio-économique du pays.

    En effet, dans l'euphorie des élections de 1994, l'ANC s'engage auprès de la communauté Noire à des changements sociaux qu'elle s'avère incapable d'atteindre. Comme l'explique Afrique Relance, cette euphorie postapartheid s'est désormais dissipée et le taux de participation aux élections nationales est en baisse depuis les élections de 1999. En outre, l'ANC, originellement marxiste, a fait le choix de s'orienter vers une économie libérale internationalisée en ouvrant les marchés et réalisant des compressions budgétaires. Cette soudaine libéralisation de l'économie sud-africaine est dénoncée comme trop brutale et inadaptée à une économie fragile et une société en reconstruction à fortes disparités sociales. Ainsi, plus de 20 ans après son arrivée au pouvoir et la concrétisation de ses objectifs à travers la Reconstruction and Development (PRD) le gouvernement de l'ANC dresse un bilan insatisfaisant de son action.

    Le PRD était initialement, en 1992, le programme socio-économique électoral de l'ANC puis est devenu le principal axe de réforme du nouveau gouvernement. En réalité, dès son élection, l'ANC renonce à ses principaux projets en matière économique : la nationalisation des grands secteurs d'activité et la redistribution des gains excédentaires Blancs au profit des Noirs. En 1994, comme nous l'avons étudié, l'Afrique du Sud sort contrainte d'un système de divisions internes basé sur la ségrégation raciale. La situation économique est impactée par l'apartheid et depuis 1974, le PIB per capita décline de 0,6% par an. Par conséquent, L'ANC hérite d'une situation économique et sociale très précaire. L'objectif de l'ANC est de reconstruire et de transformer l'économie après des années d'apartheid, d'isolation économique et de sanctions financières par la communauté internationale.

    Le PRD doit donc construire une Afrique du Sud démocratique, unie et non-raciale et réduire la pauvreté, principalement subie par la population Noire. Il s'agit donc d'atténuer les inégalités sociales héritées du colonialisme. Par ses ambitions, le programme suscite de vifs espoirs à ses débuts.

    Lorsqu'il est défini par Nelson Mandela, le PRD comprend des programmes socioéconomiques pour remédier aux inégalités sociales, des mesures de réformes institutionnelles, des programmes éducatifs et culturels et d'accès au marché du travail. Sous la présidence de Nelson Mandela, l'allocation des fonds publics a été repensée et le budget de la défense est réduit pour créditer le budget affecté à l'éducation, à la santé et au logement.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Le PRD constitue également un fonds spécial crédité tous les ans de plusieurs milliards de rand pour financer les projets présidentiels comme les soins médicaux, les infrastructures scolaires et l'emploi. L'axe principal du PRD est de nationaliser les secteurs clé de l'économie, de redistribuer 30% des terres agricoles et de bâtir 1 million de logements neufs pour accueillir la population accumulée dans les townships. La mise en oeuvre du programme est entravée par plusieurs obstacles tels que la délocalisation des sièges sociaux de multinationales sud-africaines, l'augmentation du chômage suite à la restructuration de la Fonction Publique et la baisse de productivité agricole en raison de la baisse des investissements des détenteurs de capitaux. Certes, le PRD est concluant dans certains domaines tels que l'instauration d'un système de sécurité sociale pour les plus démunis. Toutefois, le programme ne permet pas la croissance économique, son objectif premier. Après seulement une année de mise en oeuvre, la stagnation de la situation économique discrédite le PRD auprès des sud-africains et des investisseurs internationaux.

    En 1995, l'ANC est confrontée à la faiblesse de la croissance économique de l'Afrique du Sud et cède à la pression exercée par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire Internationale (FMI). Elle entame ses premières mesures de privatisation. Graduellement, les pouvoirs publics éradiquent les mesures protectionnistes et libéralisent les échanges commerciaux pour se conformer aux exigences de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

    Ce faisant, l'ANC décide en 1996 de changer ses objectifs pour rassurer les investisseurs et adopte un nouveau plan stratégique macroéconomique : la Growth Employment Redistribution (GEAR). La GEAR oeuvre à instaurer une économie concurrentielle à croissance rapide pour permettre au gouvernement d'investir dans des programmes sociaux. La GEAR a pour objectif de réduire les déficits fiscaux, baisser l'inflation, contenir l'instabilité le taux de change, déréguler les barrières commerciales et libéraliser les échanges. Cette politique a été vivement critiquée notamment par le congrès des syndicats sud-africains (COSATU). Le COSATU lui reproche d'être trop néo-libéral et d'avoir sacrifié ses priorités sociales. Le gouvernement défend sa politique en précisant qu'il est nécessaire de promouvoir une forte croissance économique pour créer des emplois et des revenus pour redistribuer les richesses ainsi engendrées aux communautés Noires.

    En 1999, l'ANC décide la loi sur l'équité puis en 2003 le Broad Based Black Economic empowerment Act qui obligent les entreprises sud-africaines à réserver des actions et emplois aux Noirs sud-africains. Ces mesures ont permis l'émergence d'une classe moyenne Noire

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    appelée « buppies »52 représentant seulement 11% de la population Noire sud-africaine. En revanche, le plan GEAR a été très néfaste pour la main d'oeuvre Noire peu qualifiée. Les privatisations ont nécessité la mise en oeuvre de plans de restructuration qui ont détruit 500 000 emplois peu qualifiés en seulement 3 ans. Le bilan socio-économique de la GEAR est assez médiocre. La croissance économique est faible et l'investissement privé insuffisant à permettre la réduction du chômage, de surcroît, la redistribution de la richesse des Blancs aisés vers les Noirs défavorisés n'a été que faible. L'enjeu social de réduction de la pauvreté et de la création de l'emploi n'a donc pas été atteint.

    La GEAR est remplacée en 2005 par l'Accelerated and Shared Growth Initiative for South Africa (ASGISA) qui a pour objectif de réduire la pauvreté en relançant l'emploi et reprend également les principaux objectifs du GNP : construction nationale, démocratisation, fin de la disparité raciale. Le succès du programme est incertain parce que le gouvernement n'en a pas publiquement fait le bilan. Cependant, les résultats obtenus sont décevants, le PIB réel sud-africain n'a progressé que de 2,1% par an de 1996 à 1999, plus lentement donc que l'accroissement de la population. La faible croissance n'a pas permis de relancer l'emploi et a au contraire aggraver la pauvreté en milieu urbain.

    En 2008, l'exclusion du président Thabo Mbeki, l'ASGISA est remplacée par le New Growth Path (GNP). Lorsque Jacob Zuma annonce la stratégie du GNP, il reconnaît la faiblesse des résultats atteints jusqu'alors : le chômage structurel, la pauvreté et les inégalités sociales. À cet égard, le GNP est envisagé comme un outil pour accélérer la croissance et réduire le chômage et les inégalités. En juin 2011, un premier Rapport de Diagnostic sur la politique ANC est publié, le rapport reconnaît que « les conditions socioéconomiques qui ont caractérisé le système de l'apartheid et du colonialisme définissent encore largement notre réalité sociale ». La pauvreté endémique et les inégalités socioéconomiques persistantes laisse l'Afrique du Sud deuxième pays le plus inégalitaire au monde après le Lesotho. Le rapport estime que la transformation ne s'est produite que marginalement laissant la majorité des sud-africains pauvres et toujours victimes d'inégalités53.

    À son retrait de la vie politique en 2014, Trévor Manuel déclare qu'il faut cesser de « blâmer l'apartheid pour les défaillances de l'État, depuis 20 ans, la nation a été patiente face à la

    52 Black Urban Professionnals

    53 « Transformation has occurred marginally, as many South Africans are still not free from tyrannies of poverty

    and inequality », Nation Comission Diagnostic Report, 2011, publication intégrale :
    http://www.education.gov.za/Portals/0/Documents/Publications/National%20Planning%20Commission%20Dia gnostics%20Overview%20of%20the%20country.pdf?ver=2015-03-19-134928-000

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    médiocrité des services publics (...) »54. Le rapport reconnaît également que l'ANC n'a pas atteint les objectifs fixés à l'élection de Nelson Mandela : la réduction de la pauvreté et des inégalités raciales. Cet échec est attribué, par les auteurs du rapport, à deux causes : la première, une confiance disproportionnée dans l'aptitude de l'État à transformer à lui seul la réalité socio-économique du pays ; ensuite, une mauvaise coordination entre l'État, le secteur privé et la nation. Parmi les grandes défaillances désignées par le rapport : le chômage dans la communauté Noire, la faiblesse des standards d'éducation pour les élèves Noirs, l'aménagement spatial qui exclut les plus pauvres de la vie économique et la division raciale.

    En 2013, le gouvernement introduit le National Development Plan (NDP) - 2030 qui est annoncé comme le document stratégique du développement socioéconomiques à long terme (de 2013 à 2030). Il entend remédier aux défaillances des précédents programmes en instaurant un développement économique inclusif des programmes sociaux.

    À ce jour, l'ANC n'est pas parvenue à dépasser la fracture raciale.

    54 « We cannot continue to blame apartheid for our failings as a state, for almost two decades, the public has been patient in the face of mediocre services. The time for change, for a ruthless focus on implementation has come. » 11 mars 2014, Johannesburg

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    LE DÉCLIN POLITIQUE DE L'ANC

    Après l'abolition de l'apartheid, en 1996, la presse sud-africaine se montre sceptique du changement annoncé. Lorsque l'Afrique du Sud se revendique comme « One Nation », il s'agit davantage d'une aspiration que du constat d'un accomplissement55. L'Afrique du Sud actuelle, passée l'euphorie de la victoire et du changement de la fin des années 1990 est moins optimiste. La frustration de la communauté Noire s'est amplifiée face aux limites de la transformation sociale et de l'égalité économique promis par l'ANC. L'euphorie s'est dissipée et laisse apparaître un « massive post-liberation hangover and a painful case of depressed spirits »56. Nelson Mandela a perdu son « auréole de sainteté » et l'incompétence et la corruption de l'ANC sont de notoriété publique.

    Dans les années 2000, Jacob Zuma, alors vice-président de l'ANC, est fréquemment l'objet d'accusations infâmantes pour le parti. Il est entendu dans le cadre de plusieurs affaires de corruption, de fraude et d'abus de pouvoir. En 2005, il est accusé du viol d'une jeune femme qu'il sait séropositive, il tiendra à la barre des contre-vérités « scientifiques » affligeantes sur les modes de transmission du VIH. Ces positions soulèvent l'indignation de la communauté internationale quand l'Afrique du Sud compte 6,5 millions de séropositifs déclarés et que l'épidémie augmente chaque année. Lorsqu'il remporte la présidence de l'ANC en 2007, il est de nouveau inculpé de corruption, fraude, blanchiment d'argent, racket et évasion fiscale dans le cadre de l'enquête impliquant le groupe d'armement Thales, alors qu'il vient de remporter la présidence de l'ANC. Jacob Zuma est finalement relaxé et l'ANC décide de lui restituer son poste de vice-président du parti.

    Après la victoire nationale de l'ANC du 20 avril 2009, Jacob Zuma est élu président de la République sud-africaine. En 2013, la popularité du président est à nouveau entachée dans le cadre de l'affaire Nkandla qui révèle l'utilisation par le président de fonds publics pour entretenir son patrimoine privé. Une majorité de sympathisants de son propre parti considère qu'il doit démissionner pour blanchir le parti et il sera publiquement hué lors de la cérémonie

    55 Weekly Mail and Guardian, 16 et 22 août 1996 : « When South Africa characterises itself as `one nation' it is less, a statement of fact than the expression of an aspiration. Only a fool would imagine that ours is a united country. It was, in fact, the recognition of the fractured nature of our society -- and the violently destructive consequences if we did nothing about it - that led us to the constitutional settlement. Some foreign observers do understand the real Sout Africa society, priding themselves on their perspicacity in seeing through our delusions. There are also fools for failing to understand the desperate game we play ».

    56 Patti Waldmeir, Anatomy of a Miracle, p. 287

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    d'hommage à Nelson Mandela du 10 décembre 2013 au FNB Stadium, devant une centaine de chefs d'États étrangers.

    Néanmoins, en 2014, il remporte les élections législatives du 7 mai et l'Assemblée nationale ne s'oppose pas à sa reconduction et Jacob Zuma est à nouveau investi le 24 mai. La nation sud-africaine qui le réélit semble désabusée et en perte de confiance dans les institutions et le choix politiques, envisageant Jacob Zuma comme un pis-aller.

    Le 31 mars 2016, la Cour Constitutionnel reconnaît Jacob Zuma coupable de violation de la Constitution pour avoir refusé de restituer, en partie, l'argent public qu'il a personnellement utilisé pour la rénovation de sa résidence privée 6 810 630R (soit environ 451 000 €). Le principal parti d'opposition, l'Alliance Démocratique initie alors une procédure de destitution contre le chef de l'État mais Jacob Zuma refuse de démissionner et est finalement maintenu dans ses fonctions. Le président est, de surcroît, actuellement entendu dans le cadre d'une affaire de contrat d'armement. Il lui est également reproché, régulièrement, de constituer des réseaux d'obligés, en plaçant ses proches aux plus hautes fonctions des entreprises publiques. Face à la litanie des accusations qui pèsent sur leur représentant, l'ANC est divisée en deux courants. D'un côté les loyalistes qui soutiennent inconditionnellement Jaco Zuma ouverts et, d'autre part, les réformistes soulevés par le ministre des Finances Pravin Gordhan. Ce dernier est placé au pouvoir en 2015 par Jacob Zuma, contraint de le nommer pour rassurer les investisseurs. Ces derniers sont en effet sceptiques du choix initial du Président de placer à ce poste un jeune député inexpérimenté. Etonnamment, peu de temps après sa nomination, Pravin Gordhan est inquiété de corruption et d'espionnage. Pour l'opposition à l'ANC, l'Alliance Démocratique, il s'agit d'une autre manoeuvre de Jacob Zuma pour maintenir son pouvoir au sein de l'ANC. Le parti apparaît donc très fracturé. Selon Mari Harris, analyste politique et directrice de l'institut de sondage Ipsos South Africa, « le timing de cette enquête ne peut être une coïncidence. Le président Zuma éprouve probablement du ressentiment car il a été contraint de nommer Gordhan comme ministre et il ne prend pas ses décisions dans l'intérêt du pays ». Les dissidences ne se cantonnent pas à l'ANC et à l'opposition mais gagnent également ses alliés traditionnels : le Parti Communiste Sud-Africain (SACP) qui exige des corrections exemplaires pour éviter l'aggravation du déclin.

    Pour la première fois depuis son élection, et après plus de 20 ans de domination politique, l'ANC est menacée de perdre sa majorité absolue aux élections générales de 2019. Bien que l'ANC demeure aujourd'hui le premier parti au niveau national et domine le Parlement, l'alerte est sérieuse.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    La vague de défaites électorales de l'ANC questionne l'avenir du parti historique de Nelson Mandela. L'ANC conserve 54% des voix au niveau national et demeure donc la première force politique du pays. Mais c'est une force politique désormais sérieusement concurrencée avec la perte symbolique de Johannesburg, de Pretoria et de Port Elizabeth lors des municipales du mois d'août 2016. À Nelson Mandela Bay, la métropole qui comprend la ville industrielle de Port Elizabeth, l'ANC est vaincu à seulement 40% contre 46,7% pour l'Alliance Démocratique. Cette défaite est d'autant plus symbolique que Port Elizabeth est un bastion historique de la lutte contre l'apartheid. À Johannesburg, l'ANC assure 41,5% des voix contre 38,5 % pour l'Alliance Démocratique. Mais, pour la première fois depuis la fin de l'apartheid et l'arrivée démocratique au pouvoir de l'ANC, c'est Herman Mashaba membre de l'Alliance Démocratique (et enfant des townships) qui est élu maire de Johannesburg. Pour Somadoda Fikeni, spécialiste de l'Afrique du Sud, il s'agit là d'un « déclin dramatique dans des proportions jamais vues auparavant » 57 . L'Alliance Démocratique est un parti réformateur anciennement dirigé par les Blancs mais désormais représenté par Maimane Mmusi, un homme politique Noir de 36 ans et originaire de Soweto. Le dirigeant de l'Alliance Démocratique fait d'ailleurs campagne en citant Nelson Mandela et en accusant l'ANC d'avoir bradé ses valeurs et son histoire.

    L'ANC choisira fin 2017 un nouveau leader qui sera candidat à la magistrature suprême aux élections générales de 2019. Toutefois, le maintien de Jacob Zuma ne fait pas l'unanimité et les manifestations « anti-Zuma » se multiplient. Le 15 août 2016, à Johannesburg, une manifestation portée par des militants de l'ANC exigeait la démission de Jacob Zuma et menaçait d'envahir le siège du parti. Pour Ronald Lamola, figure de l'opposition au Président au sein du parti (et ancien leader de la Youth League), « le président Jacob Zuma incarne tout ce qui va mal au sein de l'ANC »58. Pour le co-auteur de l'ouvrage La chute de l'ANC, et après ?59 , Prince Mashele, « l'ANC est dévorée par trois démons: la corruption, les divisions et une direction sans crédibilité »60. Ainsi, pour reprendre l'idée de Prince Mashele, l'ANC, initialement mouvement de la démocratie et de l'ouverture, suit tristement les pas de ces mouvements de libérations qui ont fini par disparaître comme au Ghana ou en Zambie.

    57« The fall in support has been dramatic, in levels never seen before » Somadoda Fikeni, AFP, 6 août 2016

    58 « President Jacob Zuma is an embodiment of all (the) wrong things in (the) ANC. Let's not be intimidated », Johannesburg, 15 août 2016.

    59 The Fall of the ANC: What Next? Prince Mashele et Mzukisi Qobo, éd. Picador Africa, 2013.

    60 « The ANC is being consumed by three demons -- corruption, fractionalism and a leadership without credibility », Prince Mashele, Johannesburg, 15 août 2016.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    II - LE SPORT AU DÉFI DES INÉGALITÉS DANS LA SOCIÉTÉ SUD-

    AFRICAINE POST-APARTHEID

    A - Le rugby, sport historique de la communauté Blanche et terrain de la transformation

    Le rugby, nous l'avons vu, est le sport vecteur de l'hégémonie sud-africaine. Rappelons également que la domination sportive des Blancs pendant l'apartheid relève d'une stratégie de monopolisation à travers le gel idéologique des infrastructures sportives. Le rugby incarne le sport colonial et Blanc par excellence et a participé aux divisions nationales, c'est donc symboliquement à travers lui que le changement sociale est attendu.

    Néanmoins, le rugby postapartheid n'est toujours pas le reflet d'une rainbow nation égalitaire telle qu'idéalisée par Nelson Mandela. Le rugby, miroir de la société sud-africaine, apparaît toujours inégalitaire et divisé selon le critère racial.

    L'ILLUSION D'UN RUGBY SUD-AFRICAIN « POST-RACIAL »

    L'Afrique du Sud sous l'apartheid est la ville des Blancs, par les Blancs et pour les Blancs et est donc inaccessible aux Noirs. D'ailleurs, l'enseignement du sport dans les écoles Noires est interdit puisque, pour citer le ministre des sports de 1950 « le sport de haut niveau doit rester une activité blanche par excellence. Il se pervertirait autrement en se noyant dans un cosmopolitisme qui nous ferait perdre notre âme et dans lequel ne saurions nous reconnaître ». Alors que tous les espoirs de réconciliation entre les différentes communautés nationales sont permis au lendemain du mondial de 1995, le bilan actuel de la diversité au sein du rugby et de sa capacité à transcender les clivages est décevant. Pour assurer la réunification et la cohésion sociale, le rugby doit aujourd'hui encore se restructurer en profondeur.

    Certains progrès ont été réalisés. Ainsi, les deux fédérations de rugby Noire et Blanche ont été réunifiées dans la South African Rugby (SARFU) le 23 mars 1992. En outre, les cadres de couleurs sont promus au sein de la fédération et la charte de transformation est adoptée en 2006. Cette charte a pour objectif de diffuser le rugby dans toutes les communautés, de permettre la nomination d'entraîneurs Noirs pour les Springboks et d'intégrer davantage de joueurs couleurs.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Malgré ces quelques apparentes avancées, pour l'auteur Patti Waldmeir, « les afrikaners ont troqué l'apartheid contre le rugby et tout indique qu'ils y ont trouvé leur compte »61. La communion des différentes communautés raciales pendant la Coupe du monde de 1995 s'avère être un phénomène éphémère qui s'est dissipé face à la frustration de la communauté Noire confrontée à la lenteur du changement. Le sport apparaît alors comme une « ceinture de sécurité culturelle » pour la communauté Blanche qui appréhende le renversement de l'ordre politique et social et se réfugie donc dans ses traditions. Parmi ces traditions, le rugby, sport, qui, nous l'avons vu, est traditionnellement lié à l'identité afrikaner.

    Après 1995, les Blancs conservent l'accès aux meilleures infrastructures et perpétuent des pratiques culturelles de distinction raciale sous couvert de participer à la « rainbow nation ». Aujourd'hui, le rugby sud-africain ne semble pas parvenir à dépasser les historiques fractures raciales. Dans sa fonction symbolique, le rugby doit permettre le ralliement de toutes les communautés raciales à une équipe nationale puisque c'est le symbole du vecteur d'unification du pays et de la démocratisation du sport pour les communautés historiquement désavantagées.

    Toutefois, la politique de gestion des Springboks apparaît toujours conservatrice. En effet, depuis l'abolition de l'apartheid, les Noirs ont accès aux postes administratifs mais les Blancs « survivants » de l'abolition ne sont pas favorables aux réformes et absolument pas investis dans les programmes d'intégration et de correctif des inégalités par le sport. Certains d'entre eux revendiquent même ouvertement le maintien d'une politique de domination raciale, c'est notamment le cas de Louis Luyt, président de la fédération sud-aficaine de rugby (SARU)62 jusqu'en 1998 qui poursuit une politique de « laager rugbystique »63 . Cette ligne de conduite n'est pas dénoncée ni même contestée parce que ce qui importe alors c'est l'excellence sportive du pays et les profits économiques engendrés par le rugby sud-africain. Si les discours insistent sur les efforts engagés par l'Afrique du Sud pour leurrer la communauté internationale, les enjeux de transformation par et dans le sport restent distants et théoriques. Sous la présidence du couloured Oregan Hoskins - qui a donné sa démission en août 2016 et dont la succession est toujours incertaine (en septembre 2016) - la SARU a pour credo « de devenir la nation de rugby la plus victorieuse au monde en partageant avec

    61 Patti Waldmeir, Anatomy of a Miracle: The End of Apartheid and the Birth of the New

    South Africa, Middlesex, 1997, p.269 : « Afrikaners had swapped apartheid for rugby, and there was every sign they thought it a fair deal ».

    62 South African Rugby Union

    63 Laager : terme afrikaner qui désigne la formation en cercle adoptée par les chariots des pionniers afrikaners pour se protéger des raids ennemis.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    la nation la fierté et la joie apportées par le jeu64 » dans la continuité de l'ANC et de l'idéologie de Nelson Mandela. Le rugby doit donc atteindre l'excellence pour émouvoir et rassembler toutes les communautés sud-africaines. La préoccupation centrale de la SARU et de l'ANC est de constituer une équipe représentative de la « rainbow nation ». Le gouvernement cherche à panser les plaies de son histoire par du symbole. L'ANC, nous l'avons vu, a exigé la suppression du drapeau afrikaner et a fait modifié l'hymne national désormais chanté en 5 langues et incluant l'hymne anti-apartheid Nkosi Sikelel'i Afrika. Le 21 novembre 2009, lorsque cet hymne est hué pendant le match entre la France et l'Afrique du Sud, l'incident diplomatique est frôlé entre les deux pays. Organ Hoskins proposa même d'instaurer avant le match une danse tribale pour permettre l'identification de certaines ethnies sud-africaines. La portée symbolique de la formation des équipes et des dirigeants suit cette même logique de « rattrapage ». La nomination du premier dirigeant du XV de rugby « couloured » Peter de Villiers en 2008 puis de Allister Coetzee le 12 avril 2016 correspond à une stratégie d' « affirmative action coach » qui consiste à favoriser l'aspect symbolique et identitaire plutôt que les critères objectifs du mérite (même logique que celle qui a présidé à l'instauration des quotas pour la constitution des équipes de rugby sud-africaines). Le rugby est pensé comme un sport unificateur mais factuellement il demeure un sport profondément inégalitaire.

    L'ACTUELLE PROBLÉMATIQUE DES QUOTAS RACIAUX DANS LE SPORT SUD-AFRICAIN

    Pour l'universitaire Bernard Cros, les clivages raciaux sont difficiles à dépasser en Afrique du Sud puisque « la plupart des sports reste marqué par le sceau de la race »65 . En effet, 90% des joueurs de haut niveau dans le rugby sud-africains sont blancs.

    Lors de la Coupe du monde de rugby de 1995, seul un joueur est Noir, puisqu'aucun autre joueur Noir n'est jugé au niveau. En 2007, lorsque l'Afrique du Sud remporte la Coupe du monde en France, seuls deux joueurs n'appartiennent pas à la communauté Blanche. Actuellement, au sein des Springboks, sur 33 joueurs effectifs et sélectionnables, seuls 8 joueurs non-blancs sont à dénombrer. Notons également qu'au sein même de la composition même des équipes, le rugby est toujours très porteur de stéréotypes raciaux. Ainsi, les joueurs

    64 « Becoming the most successful rugby nation in the world, sharing with the nation the pride and joy the game bring ».

    65 Le springbok et la mouette : rugby, race et construction nationale en Afrique du Sud, in Cécile Perrot, Michel Prum et Thierry Vircoulon, L'Afrique du Sud à l'heure de Jacob Zuma--La fin de la nation arc-en- ciel ?, Paris : L'Harmattan, 2009.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Noirs sont davantage disposés à l'instinct et à la rapidité. Leur place est donc dans les lignes arrières, à l'aile, a contrario, les joueurs blancs, estimés plus organisés et capables physiquement, se voient attribuer les postes avant.

    Certains acteurs locaux et médias estiment que l'apartheid tant sportif que social est resté intact en Afrique du Sud. Ces inégalités ne sont pas cantonnées au rugby mais sont observables dans d'autres sports, tels que le cricket, la natation ou le cyclisme.

    Pour aboutir à une représentation démographique plus juste dans le sport, le programme du « sport unity » a instauré des quotas raciaux. Ce programme de quotas appliqué par la fédération oblige la présence de joueurs Noirs et coloured sur la feuille de matchs dans les compétitions amateurs et professionnels. L'objectif du programme est de permettre l'émergence de joueurs issus des communautés historiquement désavantagées. Certains quotas sont formels, d'autres informels. Les quotas formels sont simples : un nombre de joueurs d'une équipe doit appartenir à une communauté non-blanche. Les quotas informels sont plus difficiles à appréhender : déterminés par la demande générale et les pressions politiques. Les pressions politiques décidant des quotas informels sont devenues courantes, particulièrement dans le rugby national. En effet, il n'existe pas de nombre de joueurs Noirs requis dans l'équipe nationale mais les responsables politiques « attendent » un nombre indéfini de joueurs non-blancs (traditionnellement entre 4 et 6 sur 22 joueurs). L'enjeu de ces quotas est illustré par le fait que l'équipe de hockey sud-africaine qualifiée pour les Jeux Olympiques de 2000 a été interdite parce que l'équipe était à domination blanche.

    L'existence de ces quotas fait débat dans l'Afrique du Sud actuelle, accusés de stigmatiser la communauté Noire au lieu de l'intégrer. Les détracteurs du système des quotas gagent davantage sur les libertés fondamentales et la sélection au mérite. Avec cette politique de quotas, le gouvernement sud-africain s'est éloigné du standard de la SACOS du « true merit selection ». La politique des quotas de la fédération sud-africaine a pour objectif d'intégrer 50% de joueurs non-blancs d'ici 2019 en équipe nationale. Le 25 avril 2016, le ministre des sports sud-africain, Fikile Mbalula a suspendu quatre fédérations sportives (rugby, cricket, athlétisme et netball)66 de l'organisation de compétitions internationales sur le territoire pour un an, le gouvernement a estimé que des fédérations n'intégraient pas suffisamment de joueurs coloured dans leurs équipes nationales. D'après le ministre « même s'il y a des progrès en termes de transformation des équipes, il y a encore beaucoup à faire au sein de ces fédérations».

    66 Seule l'association sud-africaine de football échappe à cette suspension.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Pour Allister Coetze, sélectionneur des Springboks (deuxième coach non-blanc à être nommé après Peter de Villiers) le défi est de taille puisque lors de sa nomination (qualifiée d'historique par le ministre des sports) seuls trois joueurs Noirs sont sélectionnés pour le Mondial. L'enjeu est davantage politique que sportif et s'annonce difficile puisque « le défi attendu est celui d'une transformation. Mais aussi admirable soit ce projet de la fédération, il paraît complètement surréaliste de faire jouer 50 % de joueurs coloured, dont 60 % d'entre eux Noirs, d'ici 2019 »67. Tant la nécessité des quotas que l'incapacité des dirigeants sportifs à les atteindre attestent du fait qu'aucun changement structurel n'est intervenu dans le traitement de la question ethnique en Afrique du Sud.

    La domination blanche dans le sport sud-africain est encore très marquée et est attribuée aux inégalités de ressources, d'accès aux infrastructures et à la compétition internationale. Ces disparités questionnent la portée réelle de la chute de l'apartheid. Avec le recours à une politique de quotas, l'institution permet effectivement de lutter contre le monopole historique de l'establishement Blanc mais elle renforce paradoxalement le système conservateur qui implique que la présence d'un joueur coloured est foncièrement le résultat d'une contrainte légale et administrative. Le fait que les joueurs Noirs ne soient sélectionnés que pour représenter les quotas « d'affirmative action players » renforce la différenciation entre la communauté Blanche et la communauté Noire au lieu de participer à la construction d'une identité nationale commune jugée de manière indifférenciée selon leur mérite. Tant pour la SARU que pour le ministère des ports, la représentativité dans la composition des équipes est hautement symbolique dans le rugby, sport du clivage racial. Paradoxalement, cette politique consolide les divisions qu'elle vise à abolir. Néanmoins, pour les partisans de la discrimination positive, cette politique est justifiée parce qu'elle représente la seule opportunité pour les joueurs Noirs toujours victimes de ségrégation raciale héritée de l'apartheid d'atteindre un niveau d'élite dans le sport.

    67 Daily Maverick, 12 avril 2016 : « Coetzee's most difficult challenge will be that of transformation. Admirable as the Strategic Transformation Plan might be, it seems increasingly unrealistic that by 2019, 50 percent of the team will be made up of players of colour, with 60 percent of those black African ».

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    LES DÉFIS SOCIAUX CONTEMPORAINS DU RUGBY

    Parce que le rugby est intrinsèquement lié au passé colonial de l'Afrique du Sud, il est un terrain de prédilection d'application des politiques de transformation et de développement. L'Afrique du Sud, pays très inégalitaire dans l'accès aux ressources a toujours de grands enjeux dans le rugby. La problématique de l'inégalité dans l'accès au sport a été le premier enjeu politique de l'ANC, comme nous l'avons vu. Toutefois, il apparaît difficile de parvenir à rattraper 40 années d'apartheid, d'exclusion et de disparités. En effet, le rugby sous l'apartheid était un sport approprié par les Blancs et les infrastructures actuelles, héritées de l'apartheid, sont majoritairement concentrées des zones historiquement habitées par la communauté Blanche. En raison de leurs faibles moyens et du manque d'accès au réseau de transports, la communauté Noire n'a pas ou peu accès à ces infrastructures.

    Comme nous l'avons vu, l'apartheid politique a laissé place à un apartheid social qui laisse perdurer de profondes inégalités socio-spatiales. Pour que le rugby sud-africain soit égalitairement accessible à toutes les communautés, il s'agit d'investir dans de nouvelles infrastructures : terrains, centres de formation, équipements. La question est donc financière. Or, l'Afrique du Sud a profité d'une manne financière importante après la Coupe du monde de 1995, aidée par des contrats de diffusion télévisuelle, elle s'était engagée à l'époque à en faire profiter les communautés historiquement désavantagées en redistribuant les profits.

    En réalité, les retombées économiques de cette médiatisation n'ont que peu été affectées à des programmes de développement régionaux et de correctif des inégalités. En effet, les fédérations provinciales étaient toujours conservatrices et donc peu disposées à redistribuer les profits pour faciliter le développement. Désormais, les fédérations provinciales, rappelées à l'ordre par la SARU et la Commission parlementaire des Sports est financièrement inapte et sollicite l'aide financière de la fédération nationale et du ministère. Ces-derniers n'ont pas les fonds suffisant et sollicitent à leur tour les municipalités locales. Des programmes sont donc menés en coordination avec les municipalités, les fédérations nationales et provinciales, notamment dans les écoles pour permettre le transport entre le domicile et l'école et le terrain de rugby et pour offrir repas et équipement aux élèves. Ces programmes restent toutefois insuffisants et financièrement limités.

    Les meilleurs établissements d'Afrique du Sud ne mettent pas en place de tels programmes et les enfants les plus pauvres n'ont ni accès au sport ni même à l'éducation. Certains tournois de rugby cadet sont payants, refusant ipso facto l'accès aux plus démunis, c'est notamment le

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    cas dans les provinces les plus avantagées comme la Free State, une province agricole et conservatrice.

    Pour remédier à ces inégalités, le Soweto rugby club a mis en place « The Soweto Warriors Project ». Ce programme mandaté pour les 5 prochaines années oeuvre à éradiquer la pauvreté via l'éducation et le sport. Il permet à 10000 étudiants appartenant à 100 différentes écoles de participer aux matchs de rugby en prenant en charge le transport longue distance et en organisant des événements et des campagne d'information sanitaires et sociales (prévention sur le VIH notamment).

    Le rugby a certes besoin de fonds, mais c'est un sport phare qui rapporte beaucoup au gouvernement. L'Afrique du Sud gage sur le rugby international pour promouvoir le tourisme et développer l'économie nationale. Pour autant, seule une faible partie de ces fonds est investie au développement et à l'intégration nationale.

    LES AMBIVALENTES POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT ET DE TRANSFORMATION

    En 2008, Bantu Holomisa, leader du United Democratic Front et membre de la commission parlementaire des sports a sollicité en 2008 une commission indépendante pour enquêter sur les processus de transformation du rugby confrontés à la non-coopération de certaines provinces. Le fait géographique sud-africain telle que légué par le système d'apartheid freine l'intégration nationale et la situation attire l'attention des politiques et journalistes internationaux, lesquels, 20 ans après la fin de l'apartheid, évaluent l'avancée de la démocratisation du sport.

    Toutefois, si le rugby, nous l'avons vu, est envisagé comme un moteur de la transformation sud-africaine, la transformation suppose la participation des acteurs locaux et régionaux.

    Or, nous l'avons vu également, la donne actuelle, notamment en matière d'accès aux infrastructures, est insatisfaisante. En outre, la SARU apparaît hésitante entre deux processus de développement antagonistes.

    En effet, d'un côté, aux termes de la Charte de Transformation de 2006 et de l'Employment Equity Act, la fédération est censée suivre les règles du Broad Based Black Economic Empowerment, c'est à dire contribuer à l'affirmative action et participer à la correction des inégalités sur le terrain et dans le secteur de l'emploi (dans la composition de la fédération donc). La logique ici retenue est donc une politique de redressement et de correctif.

    D'un autre côté, la SARU, envisagée comme une entreprise et donc par définition animée par l'esprit de lucre, tend à s'inspirer de l'économie sportive américaine. Elle reste donc

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    soucieuse d'assurer ses objectifs financiers et commerciaux en sacrifiant ipso facto les impératifs sociaux.

    La ligne de conduite de la SARU est donc ambivalente, dictée par ces deux considérations opposées. Deux exemples illustratifs : la SARU a fait le choix de céder ses droits télévisés à Supersport, une chaîne privée payante et donc non accessible à la majorité des sud-africains, plutôt qu'à la chaîne nationale publique la South African Broadcasting Corporation. On voit bien comment le processus de transformation et de démocratisation est entravé.

    Autre exemple illustratif, celui du club des jaguars qui se situe à Durban en territoire coloured et qui incarne l'ambivalence actuelle des politiques de développement et les critiques adressées au rugby post unification. Le club des jaguars est sous pression et en pénurie de moyens, bien loin de l'idéal de la réunification et du développement. Le club est fondé en 1987 de la fusion de quatre couloured clubs et appartient au KwaZulu-Natal Rugby Union. La situation des jaguars est emplie de paradoxes : après une excellente saison en 2005 les jaguars sont « victimes de leur succès » et ne sont pas parvenus à gagner la league en 2007, ils se battent depuis pour ne pas la quitter. Cette régression s'explique par les carences financières du club. Les moyens du club sont extrêmement limités : il ne possède qu'un seul terrain de jeu que se partagent les équipes séniors, les équipes juniors et les équipes féminines. Qui plus est, la pression exercée sur les clubs de rugby Blancs pour déracialiser leurs équipes pousse ces clubs à voir dans les clubs provinciaux Noirs à potentiel, comme les Jaguars, un vivier à produits finis Noirs. Le club a en effet formé des joueurs de haut niveau qui ont grossi les rangs des Springboks comme J.P Pietersen et Waylon Murray. Ainsi, être la seule équipe Noire de première league implique que le programme de transformation se fait à leur détriment. En effet, pour satisfaire à la politique des quotas de joueurs Noirs, les clubs à plus importants moyens et à gouvernance Blanche viennent recruter chez les jaguars l'excellent Noire. Les Jaguars ne peuvent pas rivaliser avec ces clubs et perdent leurs jeunes talents.

    Pour pouvoir continuer à se développer, le club a besoin de fournir le transport, l'équipement et des projecteurs à des joueurs Noirs défavorisés qui ne peuvent pas participer à leurs propres frais et encore moins à ceux du club. La question du financement de ces clubs est donc vitale et est l'objectif principal de la politique de développement. La fédération provinciale chargée du développement cite souvent le club comme réussite de son programme tout en octroyant qu'une faible aide financière, rendant impossible leur progrès. Malheureusement, le système d'allocation financière de la province de KwaZulu-Natal dépend du nombre d'équipes constituées par le club. Plus un club a d'équipes, plus il se voit

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    octroyé de ressources financières. Le club des jaguars, petit club Noir provincial est donc faiblement financé. Le programme de développement et de transformation a amalgamé le non-racisme avec le déni de race en ne tenant pas compte du désavantage historique des clubs Noirs et de la distance accumulée par les clubs Blancs au fil des années apartheid. Les petits clubs Noirs provinciaux sont négligés par le mode de financement du programme.

    Ainsi, bien qu'étiqueté development club, le club des jaguars perd constamment ses meilleurs éléments - ceux qui sont capables d'assurer son réel développement - au profit de club plus conséquents et riches. Pour François Louis, représentant du club, « les clubs Blancs ne veulent que le produit fini, ils ne veulent pas investir de l'argent ou des ressources dans le développement des joueurs Noirs. C'est pour ça qu'il leur est facile de nous les débaucher »68, c'est la technique du poaching69. L'équipe des jaguars est ainsi affaiblie par le programme qui est censé permettre son développement.

    Le programme de développement et de transformation profite aux clubs Blancs qui bénéficient de la manne provinciale pour acheter les produits finis et démunir des clubs Noirs tels que les Jaguars. Vingt ans après l'unification, la politique actuelle semble vouloir favoriser l'émergence d'une classe élite et l'objectif d'équité de la distribution des ressources semble obsolète. Pour les chercheurs sud-africains Ashwin Desai et Zain Nabbi70, la situation actuelle dans le rugby sud-africain prend la forme de la métaphore du truck and trailer. Truck représentant le rugby professionnel élite et trailer les clubs rugby amateur en communauté Noire.

    Ainsi, la représentation raciale par des joueurs Noirs au plus haut niveau du jeu (truck) travestit une situation très inégalitaire aux niveaux inférieurs (trailer). Alors que la transformation ne doit pas être concentrée au niveau élite mais bien par un engagement auprès des écoles de townships et des petits clubs de rugby à potentiel mais à faibles moyens comme les jaguars.

    LE CAS DES SOUTHERNKING, UN PROCESSUS DE REDISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE CONTROVERSÉ ET FREINÉ

    68 Interview de François Louis, The race to transform : sport in post-apartheid Africa, Ashwin Desai et Zayn Nabbi

    69 Débauchage.

    70 The race to transform : sport in post-apartheid Africa, Ashwin Desai et Zayn Nabbi

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    En 2006, dans les débats de transformation et de développement, est envisagée la création d'une nouvelle franchise basée à Port Elizabeth et rayonnant jusqu'au Western Cape et au Lesotho pour le super 14. Le Super 14 est une compétition internationale qui comprend alors 14 franchises d'Afrique du Sud, d'Australie et de Nouvelle-Zélande et dont les joueurs sont sélectionnés parmi les quatorze sélections régionales ou provinciales concourant à la Currie Cup. Les franchises attirent joueurs et sponsors et configurent ainsi la répartition de l'espace national. La géolocalisation des équipes de rugby est stratégique puisqu'elle hiérarchise les villes : selon qu'une ville accueille les fédérations provinciales ou bien la compétition du super 14 et autres rencontres internationales. La création d'une nouvelle franchise a donc pour effet de modifier tant la géographie que l'économie sud-africaine. L'initiative est vivement débattue entre le ministère sud-africain des sports, la direction des franchises de super 14 et la SARU.

    La nécessité de créer une nouvelle franchise est justifiée par l'hétérogénéité de la répartition en 2006 : le super 14 est une compétition internationale hautement rémunératrice et une partie importante du territoire sud-africain depuis le Western Cape jusqu'à l'Eastern Cape est ignorée de la compétition. La situation est dommageable et paradoxale parce que cette région qui correspond aux anciens bantoustans grouille de jeunes talents Noirs et est historiquement liée au rugby Noir.

    La création d'une franchise dans cette région permettrait d'assurer le développement d'une communauté Noire négligée par l'histoire et de valoriser la culture du rugby Noir. Cette nouvelle franchise permettrait également d'harmoniser la répartition géographique des franchises au niveau national.

    Le développement d'un vivier d'élites Noires au sein d'une structure financièrement capable permet de tarir le recours au poaching par les Clubs Blancs des provinces plus riches. Comme nous l'avons vu avec les jaguars. Dans la région du Western Cape ou de l'Eastern Cape, les provinces et franchises Blanches afrikaners ou anglophones qui ont la tradition historique du rugby comme les Natals ou les Bulls dérobent les meilleurs éléments Noirs aux clubs qui n'ont pas les moyens financiers de s'aligner. Ces grands clubs Blancs se conforment aux exigences des quotas de la SARU et du ministère des Sports en sélectionnant le produit fini. Cette tactique du poaching, nous l'avons vu, freine les petits clubs Noirs dans leur développement. L'enjeu est de doter la région d'une véritable structure rugbystique pour contrecarrer le monopole Blanc.

    Pour les autres fédérations et franchises provinciales, les Southern Kings représentent donc une menace à leur hégémonie et à leur mainmise sur la manne financière du Super 14. La

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    SARU est hésitante face à l'inclusion de cette équipe dans la compétition internationale, incertaine de sa viabilité économique, elle ne privilégie pas la nécessité du développement du rugby Noir dans la région. En outre, la création d'une franchise supplémentaire n'emporte pas automatiquement création d'une place supplémentaire pour une nouvelle équipe au sein du Super 14. Les franchises auraient donc dû se partager les cinq places, ce à quoi les franchises existantes sont évidemment opposées.

    En 2009, lorsque le super 14 devient le super 15, l'espoir renaît de voir la nouvelle franchise sud-africaine rejoindre la compétition en 2011, mais c'est finalement la franchise australienne de Melbourne (les Melbourne Rebels) qui est sélectionnée le 12 novembre 2009, jugée plus sûre économiquement. Il s'agit du second échec de création d'une franchise dans la province du cap oriental, après celui Southern Spears en 2005 trop controversé par l'establishment sud-africain.

    Le 27 janvier 2012, la SARU annonce que les Southern Kings participent à la saison de super rugby 2013. Les Kings accèdent à la compétition pour remplacer les Lions. La fédération sud-africaine instaure alors un système de promotion relégation entre la franchise classée dernière et celle qui ne participe pas à la compétition. En 2016, les Southern King forment donc l'une des dix-huit franchises de la compétition et représentent l'Eastern Province.

    La répartition géographique sud-africaine évolue finalement et tente de poursuivre l'objectif de transformation et de développement. Toutefois, ce processus est enrayé par le conservatisme et les enjeux financiers. L'évolution est donc lente et débattue parce qu'elle implique un changement plus profond de la société : la correction des inégalités économiques et sociales. La transformation dans le rugby suppose une nouvelle répartition des espaces et du pouvoir en Afrique du Sud. Il est aujourd'hui reproché à la SARU d'avoir « procrastiné » ses décisions au détriment de la transformation, dans un interview de 2013, Cheeky Watson, le président des Southern Kings estime que c'était un « un combat de chiens dans les tranchées »71 d'apporter le Super Rugby à l'Eastern Cape. Il reproche également à la SARU d'avoir annoncé la participation des Kings au tournoi de Super Rugby 2013 en août 2012, ne laissant que cinq mois à la franchise pour s'organiser et pour recruter d'autres talents. En effet, toujours selon le président de la franchise, la non-réactivité de la SARU leur a couté cinq grand joueurs qui, non assurés de la participation au super rugby, ont finalement signé ailleurs, ce qui a affaibli l'équipe. En outre, les Kings ne se voient offrir qu'une seule saison pour faire leurs preuves et non pas trois ans comme c'est habituellement le cas.

    71 SA Rugby, entretien de Cheeky Watson, juillet 2013 : « A dogfight in the trenches »,

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    La franchise des Kings incarne particulièrement l'enjeu de transformation parce que leur fan base est multi-raciale et très engagée dans le soutien de la récente franchise. Toujours selon Cheeky Watson, « ce qui est unique dans cette région c'est que nous avons un support équitable entre la communauté Noire, coloured et les Blanche, et c'est la raison pour laquelle c'est un enjeu vital dans la transformation du rugby national »72.

    Le cas des Souther Kings est donc un indicateur pertinent du degré d'accomplissement de la politique de la SARU, tiraillée entre l'objectif de développement et des considérations plus commerciales.

    72 SA Rugby, entretien de Cheeky Watson, juillet 2013 : « What's unique in this region is that we have equal support over the black, coloured, and white communities, and that's why it's such a vital cog in the transformation of rugby in this country»

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud B - Le football, outil de la cohésion sociale postapartheid

    Le football est le sport le plus joué par la communauté Noire, il sert d'exutoire face aux frustrations persistantes héritées du système d'apartheid. Le football permet à cette communauté Noire, dont la jeunesse est souvent désoeuvrée et sans espoir, d'aspirer à une place dans une société à domination Blanche toujours hostile et inhospitalière.

    De surcroît, le football est l'antithèse du rugby, sport de la domination Blanche, il est donc devenu au fil de l'histoire sud-africaine le moyen d'affirmation du talent Noir et une source de fierté et de rayonnement des townships. Le football joue donc un rôle fondamental dans le processus de rapprochement et de cohésion sociale en Afrique du Sud. Toutefois, il apparaît qu'il est aujourd'hui en relatif déclin dans la compétition internationale et peine à emporter l'intérêt et la passion nationale. Comme la Coupe du monde de rugby de 1995, le mondial de football sud-africain de 2010 est chargé de symboles et vecteur d'espoir d'intégration. Pourtant, six années après le mondial, les retombées économiques n'ont par permis une plus profonde intégration et égalité sociales. Le football postapartheid est toujours au défi des inégalités et de la stigmatisation.

    LA VOCATION HISTORIQUE DU FOOTBALL DANS LA RECONSTRUCTION SOCIALE

    Pour comprendre pourquoi le football est aujourd'hui un outil fondamental de la reconstruction sociale en Afrique du Sud, il faut rappeler son histoire nationale.

    Le football sud-africain est historiquement lié à la communauté Noire et est un sport particulièrement lié à la question de l'apartheid.

    Initialement, à la fin du XIXème siècle, ce sont les soldats, navigateurs et missionnaires britanniques qui ont importé le football en Afrique du Sud, observés par les locaux. Le football Noir est ensuite institutionnalisé dans les années 30, toujours en vertu du principe de ségrégation raciale. Le football est rapidement approprié par la communauté Noire. Probablement parce qu'il s'agit d'un sport peu couteux et aux règles claires et accessibles. La création du Bantu Sports Club en 1931 ouvre un espace culturel pour les Noirs, un espace de communauté où se rencontrent des milliers de joueurs. Entre les années 30 et les années 50, le football se démocratise et se racialise même puisqu'il devient le sport le plus pratiqué par la communauté Noire. Dans cette même période pré-apartheid, en 1944, à l'initiative du président de l'ANC A. B. Xuma, un match de football entre équipes sud-africaines est

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    organisé pour célébrer le 31ème anniversaire de l'ANC. Ce match est décrit comme « le signe réjouissant de la prise de conscience de l'envergure et de poids de l'Afrique du Sud ». Il s'agit du premier événement documenté qui fait état des liens entre le mouvement de libération Noir et le football avant l'apartheid. En 1948, à l'élection du National Party, le rugby incarne le sport de la domination Blanche et le football le sport Noir de l'insoumission. Dans les années 50, le football est une pratique tant culturelle que physique, joué par toutes les classes de la communauté Noire depuis les centres urbains jusque dans les villages ruraux excentrés.

    Pour l'historien Peter Alegi, le football a cette « remarquable propriété de pénétrer les groupes les plus pauvres et exploités de la société »73.

    Le football permet aux sud-africains de se forger une identité collective et d'établir une alternative aux institutions coloniales et à la ségrégation sociale. Il permet aux sud-africains Noirs politiquement impuissants de créer un espace de loisirs et d'interactions qui leur est propre et dont ils décident les codes.

    En 1961, la FIFA prononce un ban contre l'Afrique du Sud, ban confirmé en 1976 aux jeux de Montréal. Comme nous l'avons vu, le CIO s'alignera sur cette décision en 1964 en excluant l'Afrique du Sud des jeux de Tokyo. L'association sud-africaine de football (FASA) comprend un certain nombre de joueurs Noirs sous l'apartheid mais pratique les règles de discrimination raciale.

    En 1958, lorsque la FASA refuse de composer une équipe multiraciale à l'occasion de la Coupe d'Afrique des nations, l'association africaine de football (CAF) annule son affiliation à la FASA. La revendication anti-apartheid est très précoce dans le football.

    Le football a, plus que tout autre sport, joué un rôle pionnier et décisif dans le mouvement social.

    Soulignons également l'influence des Orlando Boys, aujourd'hui Orlando Pirates Football Club, dans la construction de l'identité des townships Noirs et l'intégration nationale de cette communauté par les succès sportifs du club. Au début des années 1930, le club est fondé dans le quartier d'Orlando, près de l'historique banlieue de Soweto. Orlando est un est un bidonville poussiéreux, sans eau ni électricité mais qui dispose tout de même de terrains de football, symbole de l'importance de ce sport pour les résidents. Les habitants considèrent le football à Orlando, non pas comme un simple divertissement, mais comme une institution sociale qui renforce les liens communautaires et permet de réduire l'écart social avec la

    73 Peter C. Alegi, Playing to the gallery ? Sport, cultural performance and social identity in South Africa 19201945, « A remarkable ability to penetrate among the poorest and most exploited group in society ».

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    communauté Blanche avoisinante. Notamment grâce aux victoires du club et au sentiment de fierté qui en découle, également grâce au développement d'une économie souterraine par la vente de produits dérivés du club. Les Orlando Pirates Football Club ne sont pas restés dans la misère et l'anonymat des townships Noirs.

    Leur président, Mogkosinyane développe le principe du pray-and-play qui fédère autour du jeu une communauté solidaire. Le club est une structure qui véhicule des valeurs morales et religieuses et qui donne une alternative sur les gangs de rue et de la déviance sociale. Ce faisant, les Pirates dépasse la sphère purement sportive et organise une coopération interne très organique. Le club organise également des évènements qui améliorent les relations entre le club et l'habitant. Les Pirates stimulent l'intérêt sportif pour développer la communauté. Ce qui est particulièrement intéressant, c'est qu'en développant la communauté autour du football, les Pirates s'implantent nationalement et gravissent les étapes des ligues de football racialement ségréguées. En 1960, l'organisation est le meilleur club de football Noir et leurs succès sportifs leur permettent de prouver l'efficacité du système culturel et social de communautés Noires défavoriseés et stigmatisées.

    Le développement spectaculaire du football et la réaction politique croissante de ségrégation raciale et de l'indigence des infrastructures dans les quartiers Noirs mises à disposition par le gouvernement rappelle que sport et politique sont indissociables. Les défis liés à l'apartheid souligne l'importance du rôle du football Noir, sport le plus controversé dans la période pré-apartheid en Afrique du Sud. Le football Noir est un terrain de combat et d'affirmation politique.

    Le risque lié à l'adhésion à des organisations politiques interdites pousse les Noirs sud-africains à adhérer à des clubs sportifs. Ainsi, la participation à une organisation sportive de township dans les années 1960-1970 dénote une forte implication politique. Citons par exemple l'existence du Mandela United Club, gang organisé qui sous couvert d'être une simple organisation sportive regroupe en fait des leaders politiques et syndicaux de l'ANC. En 1994, à l'abolition de l'apartheid, l'équipe des Bafana-Bafana est constituée. L'universitaire Charles Korr souligne d'ailleurs le rôle prépondérant du football dans la lutte contre l'apartheid. En examinant les archives de Robben Island (île sur laquelle se située la prison qui a enfermé Nelson Mandela et plus de 3000 autre prisonniers politiques), Chares Korr découvre l'organisation de championnats de résistance civile sur l'île :

    la Makana Football Association qui organisait ces tournois de 1960 à 1991. Au total, 1400 hommes participent à ces tournois et se chargent intégralement de l'organisation préférant entamer une grève de la faim plutôt que de céder du terrain à l'administration pénitentiaire.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Pour Charles Korr, « ils se servirent du football comme une tactique et comme symbole de résistance contre l'apartheid Blanc, grâce à eux, le football fût plus que simplement un jeu ». Nelson Mandela est strictement surveillé et ne peut pas participer à ces matchs mais il comprend alors le rôle déterminant du football et il se servira de cet argument dans sa campagne d'attribution du Mondial de 2010.

    Pour l'universitaire Denis Müller, le football sud-africain est un outil mental et éducatif de résilience, de désobéissance civile et de lutte politico-juridique : « affirmer l'autonomie et l'universalité des règles du jeu, c'était signifier le caractère ethniquement hors-la-loi de l'apartheid et anticiper la révolution non-violente »74.

    Au Cap, l'ONG Children's Resource, fondée par Marcus Salomon un coloured ancien de Robben Island, oeuvre à permettre la reconstruction sociale par la pratique sportive chez les enfants. Pour le fondateur, les enfants sont des agents potentiels de changement et forment le groupe le plus vulnérable de la société sud-africaine. Il souligne en outre que le football détient une grande importance éducative pour la construction de l'identité sociale des nouvelles générations.

    Ainsi, le football, plus que le rugby sport Blanc et aliénant, participe au mouvement de protestation sociale parce qu'il exprime l'opinion des Noirs et du monde ouvrier.

    Les représentants politiques ont pris conscience du rôle émancipateur du football se sont appropriés le sport par des relations très étroites avec le club et l'équipe nationale.

    74 Denis Müller, Pulsions de victoire et passion de justice. Un petit coup de projecteur 3 ans avant les championnats du monde de football en Afrique du Sud (2010), Revue d'éthique et de théologie morale 2007/4 (N°247) p. 53-64

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    LE CAS DU FOOTBALL DANS LE TOWNSHIP DE KAYAMANDI, L'AFFIRMATION SOCIALE ET CULTURELLE PAR LE FOOTBALL

    L'engouement pour le football permet de développer une économie dans les townships, par la vente de produits commerciaux liés aux équipes, et il permet également de développer la cohésion sociale autour de rencontres et d'un enthousiasme commun et identitaire.

    Deux chercheurs, Pascal Duret et Sylvain Cubizolles75, ont enquêté sur la réalité de l'impact attendu du sport sur la cohésion sociale et l'intégration identitaire. Les recherches de terrain ont été effectuées dans le township de Kayamandi, situé à la périphérie de Stellenbosch (Cap Occidental). Stellenbosch est une ville emblématique de la communauté Blanche afrikaner et est encore très marquée par le régime ségrégationniste de l'apartheid. En effet, la réalité territoriale est encore au confinement spatial et la fin de l'apartheid n'a pas permis un flux massif depuis les townships vers les centres urbains. Kayamandi est ainsi l'un des quartiers les plus pauvres de Stellenbosch et est fortement peuplé avec 31000 habitants et des revenus mensuels très bas avec 612R mensuels (60 euros) et dont seulement 1% de la population fréquente l'université.

    Les quelques associations sportives de Kayamandi (boxe, cricket, rugby, netball et football) ne dépendent pas de la municipalité et seuls quelques clubs de football du quartier sont affiliés à la SAFA. Ainsi, 15 clubs de football de Kayamandi jouent dans le championnat réglementaire ouvert par la SAFA en 2006, 4 d'entre eux sont en division régionale et les 11 restants sont en division municipale. Le township compte trois clubs phares se retrouvant dans les équipes victorieuses de la compétition chaque année : le Mighty 5 Star FC, le Hotspurs FC et le Mighty Peace FC.

    Ces équipes participent à des championnats multiethniques et sont la fierté sportive du township et de sa communauté. Les habitants du township sont pour la plupart de fervents supporters des compétitions de leurs clubs de football stars. Il existe une véritable culture du football qui permet la cohésion du township et le divertissement de ses habitants.

    Les chercheurs insistent sur la nécessité de prendre en compte le contexte et les relations spécifiques qu'entretiennent les townships Noirs avec la communauté Blanche avoisinante pour appréhender les fonctions du football. Dans le cas du township de Kayamandi, La communauté Noire est considérée comme la dernière arrivée et donc moins légitime. En

    75 Sport and social cohesion in a provincial town in South Africa : The case of a tourism project and social development trhough football, Sylvain Cubiziolles, Review for sociology of sport, 2015 et Sport, rivalité et solidarité dans les ghettos : le cas du football dans le township de Kayamandi, Pascal Duret, Sylvain Cubizolles, Presse universitaire de France, 2010.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    effet, son installation est tardive puisque elle est arrivée en 1955 dans une ville de culture Blanche fondée très précocement en 1679, au début de la colonisation. Ensuite, la communauté Noire de Kayamandi connaît une forte croissance au rythme de 9,3% par an. Les Blancs craignent ainsi que Stellenbosch, par extension démographique, devienne une ville à majorité Noire. Par conséquent, les habitants du township, conscient de l'hostilité des Blancs, sortent le moins possible de leurs limites spatiales. On est toujours loin de l'idéal de « rainbow nation » de Nelson Mandela.

    Les valeurs véhiculées par les trois principaux clubs sont différentes (discipline communautaire chez les Mighty 5 Star, virilité chez les Hotspurs et développement des amitiés chez les Mighty Peace) et distinguent les membres du township. Toutefois, le football apparaît comme un sport unificateur qui transcende ces appartenances respectives. En effet, pendant les matchs, il n'y pas d'engagement partisan mais le soutien global du quartier dans son ensemble. Il est ainsi fréquent que, parmi les spectateurs, les supporters d'autres clubs de Kayamandi finissent par encourager l'équipe maison contre un adversaire commun et extérieur.

    Pour le chercheur Christian Bomberger, être supporteur permet au spectateur de s'envisager comme acteur du drame à l'issue incertaine qui se joue devant eux et ce malgré les clivages ethniques. Le match de football permet de vivre collectivement les émotions et d'exprimer des oppositions à la vie quotidienne.

    En outre, même lorsque les clubs du township s'affrontent entre eux en interne, il n'y pas de surenchère démonstrative et la rivalité reste contenue pour ne pas altérer la dignité collective du township. Les matchs de football ne suivent aucun rituel, pas de chant d'encouragement ou de victoire, ces matchs ne sont d'ailleurs encadrés par aucun service d'ordre et aucun débordement n'est jamais déploré. Le football dans les communautés Noire sud-africaine est un vecteur de respect qui dépasse les passions et les attachements partisans. La cohésion sociale est particulièrement forte et balaie les divisions internes : ce qui importe par-dessus tout c'est l'attachement au township et l'unité de ses résidents.

    En revanche, lors des rencontres extérieures du township, les supporters renouent avec un comportement partisan. Lorsque l'une des trois principales équipes de Kayamandi affronte un adversaire Blanc ou couloured, alors elle est encouragée avec véhémence pour atténuer la crainte liée à l'hostilité de la communauté dominante liée à leur présence. Lors des affrontements sportifs contre les Blancs ou les couloured, les résidents du township réaffirment leur identité africaine en utilisant leur langue bien que l'ensemble des joueurs maitrise l'afrikaans. Les chants traditionnels apparaissent comme une revendication de leur

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    culture originelle et de leur indépendance. Les équipes Noires sont toujours largement stigmatisées par la communauté Blanche et les matchs de football leur permettent de contester sur le terrain cette stigmatisation raciale.

    Ainsi, au sein des townships, le football permet une intégration des joueurs et des supporters sur la base commune de la fierté ethnique et de la réussite. La compétition de football sert à bâtir l'honneur de l'ensemble de la communauté. Le football permet aux communautés Noires la cohésion sociale et la revendication culturelle et une certaine stratégie de reconnaissance. Bien que le football puissent être appréhendé comme entretenant la distinction voire la division préexistantes entre la communauté Blanche et la communauté Noire, le football permet toutefois d'assurer la coexistence pacifique et l'interaction de ces groupes sur un terrain et dans le respect de tous les acteurs.

    Cette fonction régulatrice du football sud-africain est observable dans l'ensemble des townships disposant de clubs, tels que (non limitativement) : Inanda et Umlazi près de Durban, Tembisa dans la province du Gauteng, Kilptuit et Moroka près de Soweto et Khayelitsha près du Cap.

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    LA COUPE DU MONDE SUD-AFRICAINE DE 2010, ENTRE ESPOIR ET CONTROVERSE

    « Le vainqueur est l'Afrique. Le vainqueur est le football ». Ce sont les paroles du président de la FIFA, Joseph Sepp Blatter, prononcées au World Trade Center de Zurich, le 15 mai 2004. Il annoncera peu après que c'est que l'Afrique du Sud qui héberge la Coupe du monde de 2010.

    L'opportunité est immense puisque la Coupe représente la compétition la plus importante et médiatisée avec les Jeu Olympiques et intervient en pleine crise du miracle sud-africain. Il s'agit donc d'une opportunité plus politique que sportive.

    Sur le plan politique donc, c'est l'occasion pour l'Afrique du Sud d'être une vitrine de ses progrès sociaux et politiques pour la communauté internationale et de jouer dans la cour des puissances émergentes. Il appartient alors à l'Afrique du Sud de prouver qu'elle peut prétendre à être traitée sur un pied d'égalité avec le Brésil et l'Inde.

    En outre, la nation hôte, nous l'avons vu, n'est toujours pas en paix avec elle-même et le mondial est un exercice de catharsis nationale76.

    Pour reprendre la belle formule d'Eric Worby, universitaire sud-africain, le mondial sud-africain est « une manière pragmatique de transformer chaque match et la volonté de changement social en une politique et une philosophie de l'espoir »77.

    La Coupe du monde de 2010 en Afrique du Sud est annoncée comme un tournant symbolique pour le pays hôte et, plus largement, pour l'ensemble du continent africain stigmatisé par l'afro-pessimisme. L'Afrique est, à cette occasion, au centre de la scène internationale.

    Sur le plan économique, il s'agit pour le gouvernement sud-africain de démontrer la légitimité de se modèle de développement économique. L'Afrique du Sud doit parvenir à relever le défi en transformant cet événement sportif en gains économiques et sociaux de long terme pour la nation.

    À nouveau, les liens entre le football et la fin de l'apartheid sont très forts. Danny Jordaan, le directeur du comité organisateur sud-africain rappelle que la mascotte mondiale, Zakumi (un léopard jaune et vert), est née en 1994, « la même année que la démocratie sud-africaine ». Pour que l'Afrique du Sud accueille la Coupe du monde, Danny Jordaan a comparé la

    76 Selon l'expression de Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'IFRI, La Coupe du monde 2010 ou l'Afrique du Sud dans un miroir, Géoéconomie, été 2010.

    77 Eric Worby, The Play of race in a field of urban desire, soccer and spontaneity in post-apartheid Johannesburg, « To invoke in a way of pragmatically translating everyday play into social aspiration and elevation into a politics and philosophy of hope ».

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    « lutte » pour la candidature sud-africaine à la lutte de l'Afrique du Sud contre le gouvernement de l'apartheid78.

    La candidature de l'Afrique du Sud au mondial de 2006 n'aboutit pas puisque, et cette décision est controversée, c'est l'Allemagne qui est finalement désignée. Le gouvernement sud-africain interprète cet échec comme le refus de la FIFA de soutenir le football africain. Le président de l'époque, Thabo Mbeki, annonce dès la publication du refus « nous gagnerons la prochaine fois », il précise également sur la Coupe du monde invite à un « voyage d'espoir pour l'Afrique du Sud, l'Afrique et le monde »79. La Coupe du monde est donc perçue comme le moyen de permettre la renaissance sud-africaine.

    Quatre années plus tard, la FIFA sélectionne l'Afrique du Sud pour héberger la Coupe du monde de 2010. Tant la FIFA que les dirigeants politiques ont conscience des sentiments nationaux suscités par le football. Lors de son discours du nouvel an 2010 le président Jacob Zuma annonce que 2010 sera l'année la plus importante de l'histoire sud-africaine depuis 1994 puisqu'elle permettra de réitérer l'engagement pour l'unité et la construction nationale : l'année pendant laquelle les sud-africains s'unissent pour accueillir la Coupe du monde et assurer la promotion internationale de leur pays80.

    En outre, la FIFA annonce en 2008 que l'édition 2010 de la Coupe serait encore plus profitable que les précédentes. Toutefois, l'opinion publique est divisée quant à l'opportunité réelle de la Coupe.

    Toutefois, certains observateurs doutent des bénéfices économiques et des retombées sociales notamment sur l'emploi de l'événement, en raison des lourds investissements touristiques et de la construction et adaptation des infrastructures au détriment des programmes sociaux.

    Le journaliste Christophe Merrett, spécialiste de la politique du sport en Afrique du Sud, qualifie la politique de la FIFA de « nouvelle forme de colonialisme » 81 qui fait de l'Afrique du Sud une scène sur laquelle se joue un événement hautement médiatique et lucratif. Il estime que les médias se servent de l'événement pour participer au mythe de l'intégration nationale par le sport mais qu'en réalité seuls les Blancs et les élites politico-économiques profiteront des retombées économiques et des nouvelles infrastructures.

    78 Danny Jordan, « Couloured footballer to world cup main team », The Guardian, 4 mars 2010

    79 Thabo Mbeki, Presentation of the President of South Africa to the FIFA executive committee « it is a tragic day that their message and ours did not succeed to convince the majority on the Fifa executive that Africa's time has come, next time we will win (...)it is an African journey of hope, for South Africa, Africa and the world».

    80 « 2010 New Year's message to the nation by President JG Zuma » 31 décembre 2009

    81 Chritsopher Merrett, « The world cup : we don't need it », APDUSA Views, 11 novembre 2009 « A new shape of neocolnialism ».

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    Pour d'autres, la dimension symbolique est plus forte que la controverse : pour l'universitaire de Western Cape Ciraj Rassol, jouer au Green Point Common du Cap permet de rendre justice à l'histoire puisque ce terrain était, sous l'apartheid, réservé aux équipes Noires jusqu'à leur expulsion en 196082. Rappelons également que le Soccer City où est donné le coup d'envoi est situé juste à côté de Soweto, c'est donc un grand symbole pour l'Afrique du Sud.

    Toutefois, si la symbolique est effectivement forte, les conséquences économiques et sociales réelles du mondial à moyen terme semble donner raison à ses détracteurs.

    Tant par la FIFA que par le gouvernement sud-africain, la Coupe de football est annoncée comme un catalyseur de progrès social et de construction nationale autour « d'un langage universel » mais le bilan social et politique est moins enthousiasmant.

    L'Afrique du Sud a accueilli 309000 touristes à l'occasion de la Coupe du monde et ceux-ci ont dépensé près de 400 millions de dollars. Les études de l'impact de la compétition arrivent à un consensus : l'effet positif de la Coupe de 2010 a eu des effets positifs de court terme et limités.

    À l'issue de la compétition, l'Afrique du Sud chiffre 2,1 millions d'euros de pertes Le gouvernement a annoncé un surplus de croissance de 0,4 point de la croissance du PIB mais cette croissance est contredite par d'autres études. Les retombées économiques sont limitées alors que le coût de l'organisation et de l'amélioration et construction d'infrastructures a coûté 4,4 milliards de dollars dont près d'1 milliard pour les stades du Cap et de Durban, ce qui charge au contribuable 100 dollar de participation.

    La FIFA a fait pression sur le gouvernement pour investir. En effet, alors qu'il était initialement prévu de rénover le stade de Newlands au Cap pour 25 millions de dollars, la FIFA a insisté pour la construction du stade de Green Point dont la réalisation s'est élevée à 400 millions de dollars.

    Après déduction des recettes touristiques, le stade a couté 300 millions de dollars au contribuable sud-africain. À Durban, le dossier de candidature prévoyait de rénover le stade de rugby pour 7 millions de dollars, la FIFA a insisté et obtenu la construction d'un state pour 300 millions de dollars.

    Ces faramineuses constructions sont d'autant plus dénoncées et problématiques que le gouvernement de Thabo Mbeki est fréquemment condamné pour corruption pour passations

    82 « Das ist ein Akt historicher Gerechtigkeit », entretien avec Ciraj Rassool par Adrien reymond, Basler Zeitung, 28 janvier 2010.

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    de marchés publics. Le coût final réel de la construction et de la rénovation des stades a été multiplié par huit depuis les estimations initiales.

    Dans le film « Farenheit 2010 », censuré par les trois principaux diffuseurs d'Afrique du Sud, le documentariste Craig Tanner questionne la légitimité de la construction de ces nouveaux stades alors que les équipements étaient adéquats pour accueillir la Coupe du monde rugby en 1995 et que les programmes sociaux ont un urgent besoin de financement. Rappelons qu'en 2010, 12 millions de sud-africains vivent dans la rue. Pour le documentariste, il s'agit là d'un énième détournement de fonds publics par le gouvernement sud-africain.

    D'ailleurs, en 2008, Jimmy Mohlala, vice-président de la Fédération sud-africaine de football, lance l'alerte et révèle de sérieuses irrégularités dans l'appel d'offre pour la construction du stade MBondela. Il est assassiné en 2009.

    Le mondial terminé, le bénéfice des cinq principales entreprises de construction a augmenté de 1300%. Les nouveaux stades, disproportionnés et trop couteux à l'entretien, ne peuvent plus être utilisés. Pour exemple, l'entretien du Soccer City Stadium est estimé à 2 millions d'euros par an.

    Concernant l'emploi, la Coupe n'a pas durablement crée de postes et à la fin de juillet 2010, le nombre d'emploi a diminué de 4,7% par rapport à juillet 2009. Les quelques emplois crées sont des emplois précaires et mal rémunérés, les conditions de travail sont d'ailleurs dénoncées.

    Quant aux commerces locaux, l'événement ne semble pas leur avoir profité non plus puisque la FIFA et ses sponsors ont conclu des contrats d'exclusivité commerciale portant sur les zones avoisinant les stades. En vertu de ces contrats, dans un rayon de 1 km autour des stades, seuls les partenaires officiels sont autorisés à vendre. Les petits vendeurs sont lésés par ces contrats d'exclusivité commerciale et ne peuvent pas bénéficier de l'attractivité du mondial.

    Enfin, en terme de progrès démocratique, le bilan est également déplorable. La FIFA, très soucieuse de son image, a posé de sévères restrictions aux journalistes locaux et donc des atteintes aux libertés fondamentales. Les trois principaux groupes de média ont dénoncé la violation de la liberté de la presse commise par la FIFA.

    Le travail des journalistes doit être consensuel : promouvoir la Coupe du monde et ne pas diffuser de message négatif. Selon Pierre de Vos, professeur de droit constitutionnel à l'université du Western Cape, « les conditions (posées par la Fifa en matière de couverture

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    médiatique) sont plus que probablement anticonstitutionnelles »83. Cette atteinte est d'autant plus grave que la démocratie en Afrique du Sud est récente et fragile, le respect des droits fondamentaux devrait y être une priorité.

    En outre, comme lors des jeux de Pékin et la campagne de « nettoyage sociale » qui les a accompagnés, au Cap, plus de 6000 personnes ont été déplacées de force et 3000 habitations de rues détruites pour éloigner les démunis de la vue des touristes et des médias internationaux.

    Rappelons également que seuls 11 300 billets ont été vendus à des habitants locaux, soit 77% de moins que ce qui été annoncé. Les contribuables sud-africains doivent donc assumer, aujourd'hui encore, la lourde dette d'une compétition à la quelle la plupart n'a même pas pu assister.

    Le bilan de la Coupe du monde de 2010 en terme de développement économique, de construction nationale et de progrès social est accablant. Malgré la politique volontariste du gouvernement, l'événement ne dépasse par les fractures sociales et les tensions politiques. La récente période post Coupe du monde indique que, passé l'effet de symbolique et de catharsis nationale, l'Afrique du Sud est poursuivie par ses vieux démons : le racisme, l'inégalité sociale, le scandale politique et la crise économique.

    LES PERSPECTIVES DE L'UNITÉ SUD-AFRICAINE AUTOUR DU FOOTBALL

    Aujourd'hui, l'équipe nationale des Bafana Bafana est majoritairement composée de joueurs issus de trois équipes sowetanes : les Moroka Swallows, les Orlando Pirates et les Kaizer Chiefs. Le football sud-africain, nous l'avons vu, s'est construit autour de l'identité urbaine Noire sud-africaine. Les Bafana Bafana remportent à domicile la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) en 1996. L'équipe des Orlando Pirates devient alors championne d'Afrique et est la fierté des sud-africains issus des townships.

    Toutefois, les footballers sud-africains peinent à évoluer au sein des premières divisions des grands championnats : seule une trentaine de joueurs joue à haut niveau en Europe, et seulement en première division et habituée au banc de touche.

    C'est une faible proportion en comparaison du nombre de joueurs issus de l'Afrique de l'Ouest et évoluant dans des clubs européens (une centaine de joueurs par pays,

    83 Constitutionnally speaking, Pierre de Vos, 17 June 2010, site internet consulté le 12 septembre 2016 ( http://constitutionallyspeaking.co.za/on-the-fifa-world-cup-by-laws/)

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    majoritairement du Cameroun, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire et une cinquantaine du Congo et de la Guinée).

    Ce qui est reproché aux joueurs sud-africains c'est leur style de jeu hérité des townships, leur jeu est jugé trop « personnel, sensationnaliste et pas assez scorant ». En outre, les experts européens estiment que les championnats sud-africains font l'objet d'une médiatisation exagérée et discréditante et qu'ils ne sont pas suffisamment accessibles depuis l'étranger. Force est de constater que les quelques succès footballistiques depuis les années 1990 jusqu'à aujourd'hui n'emporte que faiblement l'intérêt de la communauté Blanche. La situation est donc assez éloignée de l'idéal de réconciliation nationale affiché par les responsables politiques. Comme nous l'avons vu, le football porte de fortes barrières identitaires.

    Le football sud-africain apparaît aujourd'hui encore comme un sport Noir.

    Lors des matches de football, on dénombre très peu voire aucun supporteur Blanc, aucun joueur Blanc non plus. Seule exception, lors de la rencontre avec le club de Manchester United contre les deux équipes sowetanes en 2008 à Ellis Park, de nombreux sud-africains font alors le déplacement. Interrogé sur le faible engouement des Blancs pour le football, le porte-paroles de la South African Football Association, Maryo Senyane déplore « je ne sais pas pourquoi la majorité des sud-africains Blancs ne vont pas soutenir les équipes locales »84.

    Les préjugés raciaux sont encore bien ancrés chez les afrikaners, un responsable de la sécurité du chantier du Mabhida Stadium de Durban, lui aussi interrogé explique « je n'aime pas ce sport, je n'ai jamais vu un match et je n'en connais même pas les règles. Au football, il n'y a que les Noirs sur le terrain, le niveau est faible, notre équipe nationale est sans intérêt »85.

    Le déclin sportif du football sud-africain explique aussi sa perte de soutien national. Le football sud-africain connaît le succès dans les années 1990. En 1996 l'Afrique du Sud est alors classée 19ème au niveau mondial selon le classement de la FIFA. Depuis 2002, l'équipe est sur le déclin, elle chute dans le classement pour atteindre aujourd'hui la 62ème place86. Les Bafana Bafana n'ont pas atteint la finale depuis la Coupe des Nations Africaines (CAN) de 1998 au Burkina Faso. En 2016, les Bafana Bafana ne parviennent même pas à se qualifier pour la CAN de 2017.

    L'équipe sud-africaine participera dès le 8 octobre aux matchs de qualification pour la Coupe du monde de Russie en 2018. L'équipe nationale entend rassembler et fidéliser les sud-

    84 Le Monde, Paris, site internet consulté le 07/06/2009 ( www.lemonde.fr)

    85 Le Monde, Paris, site internet consulté le 11/05/2009 ( www.lemonde.fr)

    86 Classement de la FIFA, site internet consulté le 28/09/2016 ( www.fr.fifa.com/fifa-world-ranking/associations/association=rsa/men/index.html)

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    africains et se qualifier pour le mondial et surtout convaincre et toucher la communauté Blanche, jusqu'à présent relativement indifférente au football sud-africain.

    Cet objectif semble compromis au regard des dernières performances sportives de l'équipe et de l'identité des townships qui leur est indissociable et qui est très éloignée de la réalité et des préoccupations des suburbs Blancs. Au-delà de la réussite sportive, c'est le succès de l'organisation Noire et les progrès de l'Afrique du Sud dans son ensemble dont le monde se fait l'arbitre. Il s'agit donc dans un objectif primaire pour l'équipe qui doit encore prouver sa légitimité tant sportive qu'identitaire sur les terrains. L'unité nationale reste à jouer en Afrique du Sud.

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    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    CONCLUSION

    Au terme de cette étude, il apparaît que le sport est un domaine sacré en Afrique du Sud, parce qu'il est inextricablement lié à la constitution de sa nation et qu'il permet son rayonnement international. Le sport est l'instrument du changement politique en Afrique du Sud. Par l'exclusion sportive de l'Afrique du Sud apartheid, la communauté internationale et l'African National Congress ont acculé le pays jusqu'à ce que ses dirigeants soient contraints de céder. Ainsi, le sport, outil de pression, a permis de passer du régime politique de l'apartheid, régime colonialiste de ségrégation raciale, à un régime démocratique égalitaire.

    Le sport joue donc indéniablement un rôle puissant et salvateur en Afrique du Sud. Le gouvernement de l'African National Congress porté au pouvoir à la chute de l'apartheid appréhende donc le sport comme un outil d'inclusion et d'intégration de la communauté Noire.

    Le sport, de manière symbolique, permet de rassembler la nation pour les grands évènements sportifs du pays et reflète l'image d'une rainbow nation unifiée et pacifiée. C'est le cas lors de la Coupe du Monde de rugby de 1995 et lors de la Coupe du Monde de football de 2010. Mais il s'agit d'une unité ponctuelle et de façade, au détriment d'une réelle et pérenne transformation sociale. L'Afrique du Sud est toujours profondément inégalitaire et divisée entre les différentes communautés raciales qui la composent. Par extension, le sport sud-africain est toujours très identitaire et stigmatisant.

    Le gouvernement de l'African National Congress qui est au pouvoir de manière ininterrompue depuis la fin de l'apartheid n'a pas su s'affranchir des vestiges de l'apartheid et a orienté sa politique vers un modèle économique incompatible avec son objectif social. La libéralisation de l'économie sud-africaine, peu réaliste, est un échec économique et une entrave supplémentaire au développement social. Le président sud-africain actuel, Jacob Zuma, et son gouvernement, sont en perte de sens et de crédibilité. Avec eux, c'est le parti historique de la transformation tout entier qui est sur le déclin.

    Gardons espoir, le sport peut continuer à assurer le changement politique et social en Afrique du Sud, mais c'est à la condition que les dirigeants sud-africains adoptent des politiques claires, univoques et fermes en ce sens. L'abandon de l'affirmative action qui continue de stigmatiser la communauté sportive Noire et qui fait de leur présence sur le terrain l'objet

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    d'une contrainte légale devrait être envisagé. Il serait judicieux de valoriser le mérite et l'égalité de traitement des joueurs. En outre, les retombées économiques des grands évènements sportifs et de la compétition internationale devraient être partagés efficacement à travers un système de redistribution sociale. L'État sud-africain devrait profiter de cette manne financière pour améliorer les infrastructures sportives et les écoles des townships, pour ainsi lutter contre la ségrégation spatiale et permettre le développement des communautés défavorisées. Il s'agit également de fournir des moyens aux clubs des townships pour qu'ils puissent fédérer leur communauté, assurer la formation voire la professionnalisation de leurs joueurs et, à leur tour, profiter du succès sportifs des joueurs par-eux formés.

    Les clubs tant de provinces que de townships jouent un rôle crucial dans la cohésion sociale et le développement économique.

    Cette logique de redistribution équitable implique que le gouvernement sud-africain rompe avec son approche commerciale et vénale du sport. L'approche actuellement retenue est opposée à l'objectif de développement. Il s'agit donc de renouer avec l'idéal sud-africain de Nelson Mandela, d'égalité, de tolérance et de mixité raciale en se recentrant sur des objectifs stratégiques de développement et d'intégration.

    Pour reprendre un auteur sud-africain engagé dans lutte contre l'apartheid « the importance of sport and change in South Africa becomes apparent only with the realization than sport is a reflection of the total society in South Africa ».87 La transformation sportive est toujours attendue et souhaitée en Afrique du Sud, parce que par et à travers lui c'est la société toute entière qui se mue.

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    87 Richard E. Lapchick, Apartheid and the Politics of Sport, 1976

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    BIBLIOGRAPHIE

    Le sport, vecteur de mutation sociale et institutionnelle en Afrique du Sud

    Annexe 1 - Photographie d'un stade sud-africain sous l'apartheid

    Annexe 2 - Terrain de cricket pour Blancs dans les années 1960

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    ANNEXES

    Annexe 3 - « Terrain de football » dans un township Noir dans les années 1960

    Annexe 4 - Photographie de l'équipe rugby lors de la Coupe du Monde de rugby de 1995

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    Annexe 5 - Photographie de Nelson Mandela et de François Pienaar à Coupe du Monde

    de rugby en 1995

    Annexe 6 - Photographie de l'équipe de rugby jugée « trop Blanche » par le ministre sud-africain des sports en avril 2016

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    Annexe 7 - Photographie d'un match de football de rue dans le township de Soweto quelques mois avant le mondial de 2010

    Annexe 8 - Photographie de l'équipe de football sud-africaine en 2016

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