Impact de l'economie informelle dans la survie de la population kinoise( Télécharger le fichier original )par Fiston BOLA IWULA Université de Kinshasa - Graduat 2010 |
PREMIER CHAPITRE: CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUECe chapitre s'efforce de clarifier les concepts de base utilisés dans ce travail et trace le cadre théorique de référence relatif à l'économie informel et au secteur informel. Le flou et les ambiguïtés qui subsistent dans l'usage conceptuel de certains termes peuvent constituer un obstacle majeur dans la compréhension d'une étude scientifique. C'est pourquoi, il nous est impérieux de baliser le chemin en démystifiant le sens des mots mis en exergue dans ce travail. Le concept « d'informel » a été utilisé pour la première fois par K. HART dans sa communication présentée en septembre 1971. Il a été ensuite lancé et vulgarisé par un rapport du Bureau International du Travail sur le Kenya. Son application dans la théorie économique du développement avec les premiers travaux du programme mondial de l'emploi entrepris par le Bureau International du Travail à l'aube des années 1970. Ce programme fut lancé par la Conférence Internationale du Travail lors de sa session de 1969 et avait comme objectif particulier l'étude des causes de l'essor du chômage dans le pays en développement et l'examen des politiques pouvant y remédier. Les premières études effectuées en Afrique ont eu lieu au Kenya, sous la direction de H. SINGER et ce rapport a été publié en 1972. L'expression « économie informelle » est une invention des institutions internationales (Banque mondiale, BIT...) pour désigner des réalités très diverses (commerce de rue, trafic de drogue, emploi non déclaré dans de grandes firmes et emploi des domestiques...) (4(*)). Avant 1985, les institutions internationales voyaient surtout dans l'économie informelle le lieu de développement de stratégie de survie. Mais depuis lors, la paupérisation urbaine, le sous-emploi massif et catastrophe sociale qui accompagnent les politiques d' « ajustement structurel » dans les pays du tiers monde ont eu tendance à faire de l'économie informelle la solution à tous les problèmes sociaux (5(*)). Elle se définit par rapport à l'économie officielle et moderne qui assure aujourd'hui, dans les pays économiquement développés, l'essentiel de la production des biens et de services (6(*)). Elle est comprise comme « un agrégat de système de production à l'échelle relativement modeste fournissant des biens et services destinés à l'échange, mais qui sont basés moins sur l'investissement de capital que sur l'investissement d'effort et sur la création d'organisation à travers l'autonomie (7(*)). La vision du B.I.T (8(*)) s'accorde à reconnaître que cette expression recouvre une diversité considérable des travailleurs, d'entreprises et d'entrepreneurs qui sont dotés des caractéristiques identifiables et connaissent des désavantages et des problèmes dont l'intensité varie suivant le contexte national, urbain et rural. C'est pourquoi, l'expression « économie informelle » est préférable à celle de « secteur informel » par ce que les travailleurs et les entreprises dont il est question ne relèvent pas d'un secteur unique d'activité économique mais de plusieurs. Avec J.V. KABAMBI NTANDA (9(*)), elle est « un segment d'économie nationale qui génère les biens et services destinés aussi bien à l'échange qu'à la consommation. Elle comprend différents secteurs ayant des emplois de nature différente et des activités variées ». En dépit de nombreux travaux et enquêtes réalisées, le secteur informel est et demeure encore une notion complexe. Les chercheurs n'ont pas réussi à donner une définition théorique universelle car son entendement, ne fait pas l'unanimité de tous. Elle varie selon les chercheurs et selon le point de vue considéré. De ce fait, il paraît par essence difficile d'adopter une définition unique du secteur informel adaptée à toutes les perspectives de recherches et à toutes les situations locales. Quoi qu'il en soit, sur le plan étymologique, le terme vient de l'anglais « informal » qui signifie officieux, non officiel, ce qui est en dehors des règles ou des statuts. En général, on le définit comme l'ensemble des activités économiques qui se réalisent en marge de la législation pénale, sociale et fiscale; ou comme l'ensemble des activités qui échappent à toute politique économique et sociale, et donc à toute régulation de l'Etat (10(*)). Le secteur informel peut se définir également comme un ensemble d'unités économiques produisant des biens et des services en vue de créer principalement des emplois et des revenus travaillant à petite échelle, avec un faible niveau d'organisation et une faible division entre travail et capital, des relations de travail recouvrant des relations de parenté, des relations personnelles, souvent occasionnées et garanties (11(*)). Il se définit de façon formelle comme l'ensemble des activités économiques légales qui échappent à toute législation en vigueur. Il regroupe les petites activités et entreprises rémunératrices, souvent individuelles ou familiales, et se caractérise par l'inobéissance au cadre fiscal et juridique étatique, l'absence d'une comptabilité légalement tenue, des salaires non déclarés (12(*)). La Conférence Internationale des Statisticiens du Travail le définit comme « un ensemble d'unités produisant des biens et des services en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour des personnes concernées. C'est un ensemble d'unités de production qui constituent un élément, au sein du Système de Comptabilité Nationale (SCN), du secteur institutionnel des ménages en tant qu'entreprises individuelles » (13(*)). Le secteur informel est ainsi défini, quels que soient le lieu de travail, l'importance des immobilisations, la durée de l'activité et son exercice à titre principal ou secondaire, comme comprenant (14(*)) :
Cependant, les termes de la nouvelle définition aident aussi à comprendre pourquoi le secteur informel ne peut être assimilé au sous emploi : il dépasse les situations individuelles et permet la compréhension d'un autre phénomène, différent. Le secteur informel tel que défini couvre tous les secteurs économiques, primaire, secondaire et tertiaire. Il comprend les marchands ambulants, les marchands sur étalages, les artisans tels que les réparateurs d'outils ménagers, les menuisiers, les mâcons, les mécaniciens, forgerons, soudeurs, tisserands, cultivateurs, nettoyeurs, employés de maison, etc. Selon Gauthier de VILLERS « les activités du secteur informel seraient donc des activités pratiquées généralement par des pauvres, exercées plus ou moins en marge des lois et des institutions officielles et relevant des normes spécifiques par rapport à celles de la modernité (15(*)) ». Ces définitions nous paraissent très limitatives car mettre seulement en exergue l'aspect pratique de l'activité par les pauvres et manque du contrôle par l'Etat. Selon OUMAN CISSE, l'informel est composé des petites unités de production et de distribution des biens et services dont la finalité essentielle est la création d'emploi et de ressources qui sont limitées sur le plan capital, matériel ou humain, et sur celui du savoir faire. Les critères retenus s'inspire généralement de la théorie classique de la concurrence (16(*)). OPANGA EKANGA définit le secteur informel comme toute activité économique spontanée qui, eu réponse à l'expansion des besoins et de la demande sociale des acteurs, se base sur les potentialités de la communauté et la rationalité des acteurs pour développer des stratégies d'actions qui échappent en grande partie au contrôle de l'administration et fonctionnant souvent en marge des obligations légales, bénéficient rarement des activités promotionnelles de l'Etat (17(*)). Compte tenu de la multiplicité des définitions de ce concept et de son caractère pluridisciplinaire, nous utilisons, dans le présent travail, le terme secteur informel comme celui regroupant en son sein toutes les activités économiques qui échappent aux circuits officiels dont les propriétaires ne disposent pas de numéro d'identification nationale, de registre de commerce, ne tiennent pas une comptabilité régulière et dont les activités ne sont pas saisies par les statistiques officielles. La difficulté de définir le secteur informel vient d'être relevée. Il est utile de noter que plusieurs scientifiques pensent, de nos jours, que la méthode la plus facile de définir ce secteur est celle d'en donner les caractéristiques. De toutes ces définitions, deux nous paraissent pertinentes. Primo, le secteur informel est l'ensemble des activités économiques qui se réalisent en marge de législation pénale, sociale et fiscale ou qui échappent à la Comptabilité Nationale. Secundo, c'est l'ensemble des activités qui échappent à la politique économique et sociale, et donc a toute régulation de l'Etat. Dans tous les cas, les deux définitions se recoupent puisqu'elles soulignent l'idée de fraude. Paradoxalement, ce secteur censé se soustraire au contrôle de l'Etat fonctionne allègrement au vu et au su de tous. Du point de vue des statisticiens du Travail, les critères retenus ne sont pas seulement les plus opérationnels. Ils sont aussi en cohérence avec les caractéristiques structurelles et fonctionnelles du secteur informel et ils aident à identifier les tendances d'un segment spécifique de la population active en relation avec la capacité (ou l'incapacité) de l'Etat à faire appliquer les lois et règlements qu'il édicte. Ils permettent également de distinguer diverses composantes du secteur informel, qui se caractérisent par des comportements différenciés. On distingue ainsi le travail indépendant (constitué par les personnes qui travaillent à leur propre compte sans employer de salariés permanents, mais en employant éventuellement des aides familiaux et des salariés occasionnels), l'auto-emploi (qui est constitué de la catégorie précédente mais en y incluant les aides familiaux), et les micro-entreprises (constituées par les entreprises informelles employant des salariés permanents en dessous d'un certain seuil de taille que le groupe de Delhi de la Commission statistique des Nations Unies a fixé récemment à 5 salariés). Plusieurs critères ont été retenus pour caractériser le travail dans le secteur informel (18(*)) :
Après une étude réalisée sur les activités informelles au Kenya en 1971, le B.I.T. en donne les caractéristiques suivantes, susceptibles d'appartenir à l'ensemble de celle-ci. Ceci étant les caractéristiques pouvant êtres résumées de la manière suivante (19(*)): - La facilité d'accès aux métiers ; - Le recours aux ressources locales ; - La propriété familiale de l'entreprise ; - L'échelle restreinte d'opérations ; - L'utilisation des techniques à forte intensité de main d'oeuvre et d'adaptation du milieu ; - L'acquisition des qualifications en dehors du système scolaire officiel ; - La facilité d'opérer sur des marchés non réglementés mais ouverts et compétitifs. Sur base de la complexité des activités de ce secteur et d'autres études à travers le monde, d'autres caractéristiques et critères se sont ajoutés. Signalons ici ceux proposés par M. ILENDA (20(*)). - Ne pas bénéficier d'un crédit bancaire ; - Présenter un caractère provisoire ou ambulant ; - Se contenter des investissements faibles ; - Ne pas tenir de comptabilité ; - Ne pas inscrire le personnel à la caisse de la sécurité sociale ; - Avoir un horaire de travail irrégulier ; - Ne pas avoir de statut juridique etc. De toute évidence, ces caractéristiques consistantes de la réalité ont aidé à identifier et à catégoriser les différentes activités informelles. 1.4. CAUSES DE LA PROLIFERATION DU SECTEUR INFORMELLes causes qui sont à l'origine de la prolifération du secteur informel sont nombreuses et différentes selon les pays concernés. Dans le cadre de cette étude, nous nous limitons avec GACHURUZI B. SHALLY (21(*)) à l'exode rural, à l'explosion démographique et du programme d'ajustement structurel en Afrique. 1. Exode rural Le départ massif vers les villes doit être interprété comme l'expression de la crise que traversent les pays africains. Plusieurs travaux, notamment ceux de J.M ELA et D'ADBOU TOURE, attribuent le retard de la campagne par rapport à la ville à la défectuosité des infrastructures de transport et notamment des routes de dessertes agricoles. Ce qui rend le métier de l'agriculture ingrat parce que non payant. Outre la défectuosité des infrastructures de transport, la modernisation fait aussi ses victimes et condamne les paysans à l'exode. C'est cet exode, associé au taux de natalité élevé, qui explique l'explosion démographique qui conduit à l'urbanisation anarchique que connaissent les villes africaines. 2. Explosions démographiques P. METTELIN fait remarque que les pays en voie de développement ont connu de changements considérables au 20e siècle. Cette marée de population qui afflue vers les centres urbains ainsi que les exclus du secteur moderne donnent du fil à retordre à l'Etat qui ne parvient pas à leur fournir de travail rémunéré. Pour survivre, les nouveaux venus ainsi que les milliers de chômeurs citadins doivent s'adonner à une multitude de petits métiers et services insolites : petit cireur de souliers en passant par les vendeuses à la tresseuse de coin jusqu'au menuisier équipé de quelques machines. Ces activités et services fortement hétérogène constituent ce qu'on appelle couramment « le secteur informel ». La prolifération du secteur informel a été aussi encouragée par les politiques d'ajustement structurel, qui par leurs mesures d'austérité poussent un grand nombre d'individus exclus du secteur formel à trouver refuge ailleurs. 3. Programme et conséquences d'ajustement structurel La crise des années 1980 remit en cause les politiques interventionnistes de l'Etat et obligea beaucoup de pays du Tiers- monde à solliciter la mise en place des programmes d'aide à leur balance de paiement. C'est ainsi qu'apparurent les programmes d'ajustement structurel. P. JACQUEMOT souligne que « les mesures d'ajustement structurel consistent toujours à rationaliser ce système de prix, à réduire le volume des subventions, à dégraisser la fonction publique, à réduire le taux de protection, à libéraliser les circuits commerciaux et dans les cas des pays hors zone franc, à ajuster ce taux de change ». a. Privatisation A la suppression des emplois et aux restrictions à l'embauche mises en place par les programmes d'ajustement structurel qui contribuent à l'amplification du secteur informel, il convient d'ajuster la privatisation progressive de l'économie Les facteurs qui motivent le gouvernement à adopter ce type de mesure sont variés, mais ces aspects économiques semblent peser plus fortement sur la balance que les aspects socio politiques. Ceci est dû au fait que la privatisation est une réponse à la crise fisc. A ces répercussions socio-économiques causées par les politiques d'ajustement structurel, il convient d'ajuster la diminution de la fiscalité et les remous sociaux. b. Crise de fiscalité La crise de l'Etat provoqué par le programme d'ajustement structurel est caractérisée par son impuissance à répondre à toutes les doléances de groupes sociaux ayant perdu leurs racines sociales et ne trouvant pas dans les programmes intermédiaires les structures capables de couvrir leurs besoins. Ceci pousse les victimes des programmes d'austérité à s'engager dans les activités hautement spéculatives et dans toutes les transactions qui échappent à l'enregistrement et à l'imposition tels que les marchés parallèles, la contrebande, les opérations illégales au détriment de la fiscalité. L'expansion de l'économie parallèle est donc la résultante de la défaillance de l'économie officielle. On peut donc déduire que l'Etat a lui-même contribuer à saper les bases économiques qui devraient normalement assurer le renforcement de son assisse sociale, institutionnelle et politique en faisant la prolifération du secteur informel. c. Remous sociaux La suppression des emplois et la diminution des salaires, conséquences des politiques d'ajustement structurelle, entraînent souvent des protestations, des résignations, des révoltes brèves des remous sociaux. * 4 http://www.collectionreperes.com/catalogue/index-L_economie_informelle_ dans_le_tiers_monde-9782707136466.html * 5 http://www.collectionreperes.com/catalogue/index-L_economie_informelle_ dans_le_tiers_monde-9782707136466 . html * 6 http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_informelle * 7 MALDONADO C., Entre l'illusion de la normalisation et le laisser faire, vers la légalisation, du secteur informel, In Revue International du Travail, Vol.134, n°6, 1995, P.78. * 8 DEROMANA A, Une alternative en émergence : l'économie autonome, inter-culture, Vol. XXII, n°3, P. 42. * 9 KABAMBI NTANDA, J.V., L'UNTC face au défi de l'économie informelle : Etats des lieux, Contraintes et Perspectives, Kinshasa, UNTC, 2004, P. 14. * 10 http://ortcoop.free.fr/benin/beninformel/12.html * 11 http://ortcoop.free.fr/benin/beninformel/12.html * 12 KABASSIMA. D., La problématique du secteur informel. Naissance et ampleur. Un secteur en plein essor. www.togoforum.com/ap/ap03/ap050603.htm 6 mai 2003 * 13 B.I.T. Conférence internationale des statisticiens du travail, B.I.T., in bul of, vol. lxxvi, 1993, série a, n°3, pp 184-195. * 14 Charmes J., Centre d'Economie et d'Ethique pour l'Environnement et le Développement. C3ED UMR IRD/UVSQ Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, P.2. * 15 GAUTHIER DE VILLERS, Le pauvre, le hors-la-loi, le noter. La question de l'économie informelle en Afrique, Bruxelles, Cedaf, 1995, P.1. * 16 OUMAN CISSE, l'argent des déchets ; l'économie informel à Dakar, Karthala et Crepos, Dakar, 2007, p.2 * 17 OPANGA EKANGA cité par MBAYA MUDIMBA ET FRIEDHELAM STREIFFELER, secteur informel au Congo/Kinshasa, Edition Universitaire Africaines, 1972, p.29 * 18 http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_informelle * 19 B.I.T, rapport sur les stratégies pour accroître l'emploi productif au Kenya, Genève, B.I.T, 1974, p.42 * 20 ILENDA, M. Le secteur informel. Un aperçu des aspects méthodologiques et conceptuels, Québec, Université Laval, 1989, p.1 * 21 GACHURUZI B. SHALLY L'entrepreneur ship en Afrique noire, Edition l'Harmattan, Paris et Montréal, 1998, p.15 |
|