L'apport du droit de l'union européenne en droit des contrats internationaux de cloud computing( Télécharger le fichier original )par Yoann MUNARI Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 2 droit européen des affaires 2015 |
B - Les règles de conflit delois applicables aux contrats internationaux de cloud computingEn ce qui concerne la désignation du droit applicable aux contrats internationaux de cloud computing, il faut se référer au règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles (1). Néanmoins, en ce qui concerne les services de la société de l'information,la question s'est posée de savoir si la directive relative au commerce électronique ne dispose pas, elle-même d'une règle de conflit de loi spéciale(2). 1-Le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles À l'instar des règles de conflit de juridictions, les règles de conflit de lois applicables aux obligations contractuelles ont fait l'objet d'une uniformisation par la voie conventionnelle dès 1980182(*). Cet acquis a ensuite été intégré en droit de l'Union européenne avec le règlement n°593/2008183(*) dit règlement « Rome I ». Ce règlement est applicable aux contratsayant pour objet la matière civile et commerciale184(*) conclus postérieurement au 17 décembre 2009, il est également d'application universelle en ce sens qu'il s'applique même si la loi désignée n'est pas celle d'un État membre de l'Union185(*). Il permettrait ausside choisir un droit non étatique, international ou européen186(*). Ce règlements'appliqueradonc inéluctablement aux contrats internationaux de cloud computing. Comme le règlement Bruxelles 1 bis, le règlement Rome I fait une distinction entre la situation où les parties ont elles-mêmes choisies le droit applicable au contrat et celle où un tel choix n'a pas été effectué. D'une part, le principe en matière contractuelle est celui de la loi d'autonomie, conférant une liberté de choix aux contractants. Ce choix doit être exprès et peut concerner tout ou partie d'un contrat187(*), ce qui admet donc que les contractantsdésignentplusieurs lois applicablesà différentes parties du contrat. L'autonomie des parties au contrat est néanmoins susceptible de se heurter à des dispositions d'intérêt public188(*) auxquelles on ne saurait déroger. Il convient de différencier deux situations : celle où le contrat de cloud conclu entre professionnels ne présente pas d'élément d'extranéité mais désigne une loi étrangère, et celle où le contrat est international. Dans le premier cas, il est prévu que la loi désignée par les parties ne pourra pas permettre de déroger àl'ordre public de l'État avec lequel le contrat a des liens étroits189(*). Dans le second cas, le choix de loi ne pourra pas déroger aux lois de police du for190(*). Une telle liberté de choix est également limitée par des rattachements spéciaux destinés à la protection des parties faibles que sont le consommateur191(*), la personne transportée192(*), l'assuré193(*) et le salarié194(*). Les dispositions visant les consommateurs s'appliqueraient dans un contrat de cloud où l'une des parties est une personne physique agissant hors de ses activités professionnelles. Dans ce cas, le choix du droit applicable est limité à la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle. Cette disposition protectrice des consommateurs est soumise à des limites pratiques : le consommateur peut en effet accepter l'application d'un droit étranger - a fortiori celui choisi par le prestataire - s'il démarche activement un professionnel qui n'exerce pas habituellement son activité de l'État de résidence du consommateur, ou ne dirige pas son activité vers celui-ci. Or, l'application de ce critère aux activités par internet a pu donner lieu à des difficultés d'interprétation.On s'est interrogé sur le fait de savoir si la seule accessibilité du site internet d'un commerçant dans plusieurs États impliquait que celui-ci ait entendu diriger son activité vers chacun d'entre eux195(*). La Cour a considéré que cela n'était pas systématique196(*) mais qu'un faisceau d'indices permettait de le déterminer. Le commerçant actif sur internet sera donc considéré comme ayant manifesté la volonté de dirigerson activité vers l'État d'un consommateur s'il est possible d'établir une expression manifeste de démarchage, un engagement de dépense dans un service de référencement à l'attention du marché de cet État, mais également en fonction du nom de domaine et de la possibilité de choisir plusieurs langues ou monnaies197(*). Or, même dans un tel cas, le choix de loi ne peut porter atteinte aux dispositions impératives du droit de l'État sur lequel le consommateur a sa résidence habituelle198(*). D'autre part, en l'absence de choix des parties, le règlement Rome I prévoit huit options dans son article 4. Le contrat de prestation de service est régi par la seconde qui désigne la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle. Dans le cadre de contrats complexes, ce même article renvoi alors à la loi du pays de résidence habituelle de la partie fournissant la prestation caractéristique199(*)et, à défaut, la loi de l'État avec lequel « le contrat présente des liens manifestement plus étroits »200(*). Le principe, à défaut de choix des parties,est donc que le contrat de cloud conclu entre professionnels est régi par la loi de l'État de résidence habituelle du prestataire. Bien qu'étant défini à l'article 19 du règlement, la détermination du lieu de la résidence habituelle du prestataire pourra cependant donner lieu à des difficultés d'interprétation201(*). Au-delà du règlement Rome I, la question s'est posée de savoir si la directive relative au commerce électronique comportait, elle aussi une règle spéciale de conflit de lois. 2 - La clause « marché intérieur » de la directive relative au commerce électronique Le premier paragraphe de l'article 3 de la directive relative au commerce électronique, appelé « clause marché intérieur », dispose que « chaque État membre veille à ce que les services de la société de l'information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné »202(*). Une telle mesure met un point d'honneur à ce que les règles de droit international privé des États membres ne s'opposent pas aux libertés de circulation en soumettant le prestataire aux lois des États d'origine de chacun de ses clients203(*). La question pourrait donc se poser dans ce cas de savoir si une telle clause aurait pour effet de déroger à la loi d'autonomie des contrats de la société de l'information pour soumettre ipso facto l'activité des professionnels de cloud à la loi de leur pays d'origine204(*). En principe cette directive ne devrait pas influencer les règles de droit international privé comme l'établit explicitement son article 1§4205(*). Néanmoins la lecture de l'article 3 précité peut étonner et aurait pour effet de soumettre l'application d'une loi autre que celle du lieu de résidence habituelle du prestataire à « un test de compatibilité avec l'exercice des libertés extérieures »206(*). Compte tenu des doutes qui peuvent exister sur l'interprétation de cet article, la Cour de Justice a eu l'occasion de se prononcer à l'occasion des affaires jointes eDateet Martinez207(*). Dans ces affaires, la Cour de Justice de l'Union a été saisie de questions préjudicielles posées par le Bundesgerichtshof et le Tribunal de Grande Instance de Paris à l'occasion d'une action en responsabilité du fait de la publication illicite d'informations et de photos sur internet. eDate était une société autrichienne opposée à un demandeur allemand, M.X.. La question se posait de savoir si les deux premiers paragraphes de l'article 3 de la directive sur le commerce électronique devaient être interprétés comme une règle de conflit écartant l'application des règles nationales contraires. Si la Cour conclut rapidement qu'une telle mesurene dispose pas d'une règle de conflit de lois208(*), elle rappelle ensuite que « les États membres d'accueil sont en principe libres de désigner, en vertu de leur droit international privé, les règles matérielles applicables pour autant qu'il n'en résulte pas une restriction de la libre prestation des services du commerce électronique »209(*). À cela, la Cour ajoute que dans tous les cas on ne doit pas imposer au prestataire de service « des exigences plus strictes que celles prévues par le droit matériel applicable dans l'État membre d'établissement »210(*), ce qui, pour J.Sénéchal, a pour effet de considérer la clause marché intérieur comme un correctif a porteriori211(*), permettant de contrôler si le choix du droit applicable effectué par les parties n'impose pas au prestataire technique des obligations plus strictes que celles prévues dans le droit de son État d'origine. De la sorte, le droit européen participe à la promotion des activités numériques en permettant aux prestataires de se conformer à leur seule loi nationale. Cela leur évitede devoir s'adapter nécessairement aux lois de leurs différents clients, en présumantde l'équivalence desexigences des législations des États membres. On remarque donc que les règles de conflit de lois applicables aux contrats internationaux laissent aux parties le soin de désigner le droit applicable à leur relation contractuelle mais qu'à défaut, ce sera la loi du pays du lieu de résidence habituelle du prestataire qui sera applicable. Si des questions se posent pour savoir si la directive relative au commerce électronique pourrait être à l'origine d'une règle de conflit de lois qui permettrait aux prestataires de bénéficier d'une application impérative du droit de leur État d'origine, la Cour de Justice répond par la négative mais renvoie à la libre capacité des États membres d'interpréter ladite directive. C'est ainsi que les contrats internationaux de cloud computing sont soumis à l'influence d'une pluralité de règles juridiques éparses. Si le droit de l'Union européenne pose un cadre général destiné à promouvoir la fourniture transfrontière de ces services, c'est plus précisément les droits nationaux qui régiront le droit des contrats qui y est applicable. Au sein-même des droits nationaux, des questions se posent sur le fait de savoir quelles dispositions seront réellement appliquées aux contrats de cloud. L'absence de décision de justice de référence et de législation spécifiquement dédiées à ce service de la société de l'information en témoignent. Néanmoins, une des particularités de la conclusion transfrontière de contrats de cloud réside surtout dans la nécessité de désigner une loi qui leur est applicable parmi la multitude de choix que l'internationalité de cette technique permettrait de réaliser. Sur ce point, le droit international privé de source européenne a déjà participé à l'harmonisationdes règles de conflit entre États membres. Malgré tout, ces caractéristiques du droit actuellement applicable aux contrats de cloud sont sujettes à critiques. En effet, alors qu'en principe rien ne s'oppose juridiquement à ce que les opérateurs et les utilisateurs professionnels de services de cloud puissent contracter librement entre eux sur le marché européen, la Commission observe tout de même en pratique le « morcellement du marché unique numérique »212(*). Une étude des défauts du droit des contrats applicable aux contrats internationaux de cloud est donc nécessaire afin de révéler l'origine de la fragmentation du marché et, par extension, comprendre quel pourrait être l'apport du droit de l'Union européenne en la matière. * 182Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, JO n° C 027 du 26/01/1998. * 183 Règlement n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I »), JO L 177 du 04/07/2008. * 184 Comme cela a été vu précédemment pour le règlement Bruxelles 1bis, cela exclue les contrats en matière fiscale, administrative ou douanière. * 185 Règlement Rome I, op. cit. note 182, art. 2. * 186Idem, considérants n°13 et 14 : « (13) Le présent règlement n'interdit pas aux parties d'intégrer par référence dans leur contrat un droit non étatique ou une convention internationale. (14) Si la Communauté adopte dans un instrument juridique spécifique des règles matérielles de droit des contrats, y compris des conditions générales et clauses types, cet instrument peut prévoir que les parties peuvent choisir d'appliquer ces règles. ». * 187Idem, art. 3§1. * 188 Idem, considérant n°37 : « Des considérations d'intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l'exception d'ordre public et les lois de police. La notion de « lois de police » devrait être distinguée de celle de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » et devrait être interprétée de façon plus restrictive » . * 189Idem, art. 3§3: « Lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le choix des parties ne porte pas atteinte à l'application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne permet pas de déroger par accord. ». * 190Idem, art. 9: « Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique ». * 191Idem, art. 6. * 192Idem, art. 5§2. * 193Idem, art. 7§3. * 194Idem, art. 8. * 195 CJUE, Peter Pammer, 7 déc.2010, Affaires jointes C-585/08 et C-144/09. * 196Idem, pt 72. * 197Idem, pts 80, 81, 83, 84. * 198 Règlement Rome I, op. cit. note 182, art. 6§2. * 199Idem,art. 4§2. * 200Idem, art. 4§3. * 201 Cf. Chapitre I, Section 2, §2, A., 2., p.63 et s. * 202 L'article 2 g) définit le domaine coordonnée comme suit : « les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l'information ou aux services de la société de l'information, qu'elles revêtent un caractère général ou qu'elles aient été spécifiquement conçues pour eux. ». * 203 G. BUSSEUIL, « Le choix de la loi applicable au contrat électronique, in Le règlement communautaire « Rome I » et le choix de loi dans les contrats internationaux », Lexis Nexis, Litec, 2011, Vol.35 p. 397 et s. * 204 Cela ne valant que dans les rapports entre professionnels, l'annexe 3 de la directive disposant que l'article 3 n'est pas applicable aux « obligations contractuelles concernant les contrats conclus par les consommateurs ». * 205 Directive 2000/31/CE, op.cit., art. 1§4 : « La présente directive n'établit pas de règles additionnelles de droit international privé et ne traite pas de la compétence des juridictions ». * 206 G. BUSSEUIL, « Le choix de la loi applicable au contrat électronique », in.Le règlement communautaire « Rome I » et le choix de loi dans les contrats internationaux, op. cit. note 202, p. 413. * 207 CJUE, 25 oct. 2011, eDate et Martinez, affaires jointes C?509/09, C?161/10. * 208Idem, pt. 61. * 209Idem, pt. 62. * 210Idem, pt. 68. * 211J. SÉNÉCHAL,« Les règles applicables au contrat international de cloud computing : des règles bien imparfaites pour un contrat d'avenir »,RLDI nov. 2013, n° 3269, p. 100. * 212 Communication, « Exploiter le potentiel de l'informatique en nuage en Europe », op. cit. note 26, p.6. |
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