BUKAVU
B.P. 162
MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT
SUPERIEUR ET UNIVERSITAIRE
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
LA RATIONALITE COMME FONDEMENT DUBONHEUR
CHEZ ARISTOTE
Dans Ethique à Nicomaque
Travail de fin de cycle présenté en vue de
l'obtention du diplôme de graduat
en philosophie et sciences humaines
Par MUGISHO BISIMWA Pasteur
Dirigé par RWAKABUBA MUKA Jean
ANNEE ACADEMIQUE 2014-2015
EPIGRAPHES
« N'attends pas que les événements
arrivent comme tu le souhaites ;
décide de vouloir ce qui arrive et tu seras
heureux »
(Epictète)
« Bienheureux l'homme que tu as instruit
Seigneur » Psaume 94,12.
« Sous la conduite de la raison, nous cherchons de
deux biens, le plus grand,... »
(SPINOZA)
DEDICACE
A mes frères et soeurs
MULAGIZI Toussain, MWANDIKO Clovis, NABINTU Prudence et BINJA
Marie Rose,
A mes oncles paternels et maternels,
Au père José MINAKU s.j.,
A tous mes amis et amies,
A vous tous qui cherchez le bonheur par la vertu et la raison
droite,
Je dédie ce travail.
REMERCIEMENTS
Nous remercions le Seigneur Dieu Tout Puissant, maître
de temps et de l'histoire, père de toute perfection, qui nous a
crée et n'a pas cessé de nous assister depuis notre vie sur la
terre et spécialement pendant ce travail.
Que trouve ici l'expression de notre gratitude nos parents
BISIMWA MATWALI Vincent et M'MWEZE Joséphine que Dieu a choisi pour nous
donner la vie. C'est avec eux et nos frères et soeurs que nous avons
expérimenté, en premier lieu, le bonheur du vivre-ensemble.
Nous sommes redevables au père RWAKABUBA MUKA Jean
c.r.s.p., directeur de ce travail, pour sa compétence et son
génie qui ont guidé nos premiers balbutiements philosophiques
vers une pensée cohérente.
Nos remerciements sont également adressés aux
supérieurs, aux formateurs et aux membres de la congrégation des
missionnaires Xavériens ( Région du Congo). Ils nous ont
enrichi d'expériences pastorale, missionnaire, culturelle, communautaire
et formative. Nous parlons ici du P. TURCO, P. GERARDO, P. MUSAFIRI, P.
ROLANDO, P. FRANCO, P. PEDROTI, P. PASTOR, P. CARMELO, P. DOVIGO, P.
TINAJERA.
Nous ne saurions rien rendre sinon dire sincèrement
merci à toutes les familles, amis et connaissances qui nous ont
accompagné jusqu'ici, de près ou de loin, par leur soutien tant
moral, spirituel que matériel. Nous pensons ici à toute la
famille MWEZE, à toute la famille MATWALI, à la famille BIGABWA,
à la famille BAFUNYEMBAKA, à LUBALA, à MIGABO, à
BADOSANYE, à MULOLO, à GREGOIRE, à CIBANGALA Serge et
toutes leurs familles. Merci particulièrement à mes cousins et
cousines : BASHIGE Arsène et NZIGIRE Pascaline et toutes leurs
familles également.
A tous les étudiants Xavériens de Panzi et de
Vamaro, spécialement à vous chers compagnons de lutte :
Augustin, Bienvenu, Clovis, Désiré, Gilbert et Willy pour les
efforts, les joies et les peines consentis ; à Christophe,
Dieudonné et Patient pour la précorrection partielle du
présent travail ; à tous les condisciples du Philosophat
Isidore Bakanja et à tous ceux là qui n'ont pas pu être
cités, pourtant utiles, nous disons grand merci. Que Dieu vous
bénisse !
MUGISHO BISIMWA Pasteur
IN MEMORIAM
Mes regrettés grands pères
MWEZE Patrice
MATWALI Marcel
Mes chers enseignants
LUKONGE Alphonse
M'KAHENDWA Astride
Mon oncle Paul et le p. Manzotti
D'heureuse mémoire
INTRODUCTION GENERALE
Notre travail a pour titre :
« La rationalité comme fondement du bonheur chez
Aristote ». Le choix de ce sujet est motivé par le
souci des hommes de notre temps. En effet, la question du bonheur est l'une des
questions fondamentales qui talonnent l'esprit humain. Tout homme veux vivre
heureux. Comment y arriver ? A travers l'histoire, il y a un certain
nombre de tentatives visant à donner une réponse efficace
à cette interrogation combien profonde. Pour certains, le bonheur est
dans l'accumulation des richesses, dans les plaisirs, dans les honneurs et la
gloire ou même dans le pouvoir. Pour d'autres, le bonheur consiste
à vivre selon la vertu. Telle est la compréhension d'Aristote.
Notre souci est d'interroger ce sage grec, dont l'esprit scientifique et la
morale nous ont marqué, sur ce que serait, d'après lui, le
principe fondamental sur lequel reposerait tout bonheur vrai.
Aristote qui va guider notre recherche est un penseur grec
qui, approximativement est né en 384 av. J.C. à Stagire
(aujourd'hui Stavros), sur les bords de la mer Egée1(*). Il est l'un des quatre enfants
de Nicomaque, médecin célèbre de Phaétis, issu
d'une grande famille de Chalcis. En 336, alors âgé de 18 ans, le
jeune Aristote arrive à Athènes ; il entre à
l'Académie et y reste pendant vingt ans, jusqu'à la mort de
Platon son maître. Il collabore à l'enseignement du maître
qui l'appelle « le cerveau de l'école ». De 343
à 340 il est précepteur du jeune Alexandre (fils du roi Philipe
de Macédoine), qui était né en 356. En 336, Aristote ouvre
son école, le Lycée, en rivalité avec Xénocrate,
qui dirigeait alors l'Académie. Un an après la mort d'Alexandre
le Grand (323), Aristote meurt, âgé de soixante-deux ans.
Un bon nombre de ses écrits sont perdus. Ce qui est
connu est un assemblage de notes de cours qui font montre du génie
scientifique, métaphysique et morale de ce grand maître. On
reconnait comme oeuvre d'Aristote : Histoire des animaux, Organon, De
l'âme, De la génération et de la corruption, Ethique
à Nicomaque, Ethique à Eudème, Philosophie
première, La grande morale, Physiques, Politiques,
Météorologies et beaucoup des dialogues comme Sur la
justice, Sur l'éducation, Sur l'amitié etc.
Appelé à accompagner les fidèles dans
leurs questionnements les plus sublimes, tout futur missionnaire devrait se
sentir interpellé par cette quête du bonheur. En effet, plus les
hommes cherchent leur bonheur, compris comme la satisfaction complète
qui remplit toute la conscience humaine, plus nous lisons sur le visage
d'aucun, une angoisse existentielle dont la source serait à chercher
dans une certaine insatisfaction. Alors, cette situation nous presse à
nous demander si le bonheur qui procurerait le grand contentement ne serait pas
à situer ailleurs plutôt que dans la possession ou la jouissance
des biens matériels.
En effet, la question du bonheur a toujours
préoccupé l'esprit humain depuis la nuit des temps. L'homme,
depuis toujours, s'est posé la question de sa fin ultime avant de se
poser celle de l'origine du monde. Les réponses apportées ont
été diversifiées selon les tendances, les courants de
pensées et pourquoi pas les milieux géographiques et culturelles
où l'on vit.
Pour le commun de mortel, par exemple, le bonheur est compris
comme l'accumulation des biens, une vie facile,... Pour d'autres, le bonheur
consiste à avoir le plus des plaisirs possibles. Face à cette
diversité des réponses notre problématique se fonde comme
suit : le bonheur serait-il vraiment dans l'accumulation des biens, dans
les plaisirs ou bien il est à chercher ailleurs ? Cet ailleurs
serait où ? En d'autres termes : qu'est ce que le
bonheur ? Quels sont ses principes fondateurs ? Pour que le bonheur
soit permanent, sur quoi doit-il se fonder ?
L'hypothèse que ce travail va vérifier se
formule de la manière suivante : si le bonheur est le bien
suprême et parfait, d'autres biens comme la joie, le plaisir,... si
éphémères soient-ils, n'auraient plus de place dans
l'ordre naturel des biens ; l'homme ne s'occuperait uniquement que du seul
bien se suffisant à lui-même. En plus, si les principes de
l'activité de l'intellect conduisent directement au bonheur, il
suffirait de les appliquer pour vivre immédiatement heureux. Et si en
fin, la rationalité est le vrai fondement du bonheur chez Aristote,
aucun être rationnel ne serrait malheureux car chaque homme a en lui ce
principe fondamental qui semble une prédisposition au bonheur.
Les questions philosophiques sur le bonheur, ont toujours
existé depuis que la morale fait partie des disciplines philosophiques.
Aujourd'hui la question ne devrait plus être posée uniquement pour
la fin de la vie sur la terre mais particulièrement pour chaque acte
posé par l'homme étant donné que nous voulons affirmer
avec l'auteur que la somme des plusieurs meilleures fins constitue, de quelques
manières, le bonheur de l'homme à condition que ces fins ne
soient pas entravées par quelques inclinations ou déviations qui
vont contre la vertu. Cela suscite l'une des questions principales de la
morale : que dois-je faire pour être heureux? L'agir humain mis en
question ici, doit être guidé par quelques principes rationnels
et rationnalisant. Ainsi l'agir humain étant devenu rationnel et
rationalisé, peut alors devenir ce sur quoi repose le bonheur
c'est-à-dire son fondement. C'est ce qui fait de notre
préoccupation un travail philosophique.
Pour vérifier toutes ces hypothèses, nous
allons nous servir de la méthode déductive. Elle consiste
à relier des propositions dites prémisses à une
proposition dite conclusion et préserve la
vérité.
Prémisses et conclusion qui sont ainsi reliées par une
règle
de déduction assurent que si la règle est
valide et si les
prémisses sont
vraies, la
conclusion est, elle aussi, vraie. On dit alors que la conclusion est une
conséquence des prémisses, ou parfois que la conclusion vient des
prémisses. Il s'agit donc de partir de ces deux prémisses :
le bonheur est la fin de tout acte humain ; or, tout acte
humain doit être fondé (selon Aristote) sur la
rationalité ; et déduire logiquement que : la
rationalité est le fondement du bonheur.
Hormis l'introduction et la conclusion
générales, notre travail comportera trois chapitres. Le premier
chapitre traitera de l'ordre naturel des biens. Son objectif sera d'analyser
les évidences qui obscurcissent la vision béatifique du bien.
Ainsi nous démontrerons que le bonheur se distingue de la jouissance
matérielle et des tous les biens de la vie active qui sont
éphémères. Le deuxième chapitre, quant à
lui, se penche sur la question des principes de la rationalité en tant
qu'elle ouvre sur le bonheur. Nous envisagerons démontrer, enfin, dans
le troisième chapitre, que la voie rationnelle est le moyen par
excellence pour aboutir à un bonheur intégral.
Honnêteté scientifique oblige. Notre travail
s'est heurté à certaines difficultés comme
l'impossibilité d'atteindre l'original de notre livre de base lequel on
ne saurait même pas exploiter à cause de la langue. Il y a
également la pluralité de traductions des livres d'Aristote dont
on ne sait laquelle choisir. En plus, on constate une certaine
popularité de notre préoccupation primordiale qui est le bonheur.
Il est traité à la fois par la culture du bon sens et par
l'esprit scientifique. C'est ainsi que nous avons utilisé comme livre de
base Ethique à Nicomaque et non Ethique nicomacéenne
ou Ethique de Nicomaque. Ce premier étant le plus ancien
comme traduction et un peu plus conforme à la réalité. En
ce qui concerne la popularité du thème, nous avons choisit
l'esprit scientifique pour orienter le bon sens qui, quelques fois, est
erroné.
Voilà pourquoi ce travail n'a aucune prétention
d'être exhaustif. Mais il aura atteint son objectif si ceux qui nous
liront comprendront que le vrai bonheur n'est pas à chercher dans les
biens transitoires de la terre comme non plus dans les plaisirs mais dans la
contemplation. Pour l'atteindre, il faut emprunter le seul chemin
possible : la rationalité. C'est dans la mesure où l'homme
se fonde sur la raison qu'il peut tenir un discours logique et vrai sur le
bonheur.
CHAPITRE PREMIER : DE
L'ORDRE NATUREL DES BIENS
Le bien ne peut être saisi, de manière
immédiate et totale, que par intuition.
George Edward MOORE*
Préambule
Depuis Socrate, la morale est définie comme
une science permettant à l'homme de savoir distinguer le bien du mal.
Dès lors, l'homme connaissant le bien ne peut que le faire. De
même, connaissant le mal, il ne peut que l'éviter. En plus, dans
le déroulement de l'histoire de l'humanité, l'agir de l'homme est
porté soit vers le bien soit vers le mal. Et l'homme rassemble bien et
mal dans son sac de l'histoire pour que lors de la révision, il fasse
triompher le bien sur le mal. Ceci est valable pour le sens commun et l'esprit
scientifique. Mais la spécificité de l'esprit scientifique,
soutenue par Aristote et sur laquelle nous allons insister dans ce chapitre,
est de permettre à l'homme, par l'usage de la raison, de distinguer bien
et bien suprême dans la hiérarchie qui rapproche l'un et l'autre
au Bonheur. Pour ce faire, notre préoccupation dans ce chapitre, est de
chercher à savoir ce que peut être ce « bien »
qui fonde toute une science de la conduite des hommes. Nous voulons savoir s'il
existe un seul ou plusieurs biens dont l'homme aurait besoin pour sa morale et
s'il existerait plusieurs, lequel serait le bien par excellence
c'est-à-dire le souverain bien pour l'homme.
Avant d'aller plus avant, faisons une mise au
point. Le bien dont il est question est, selon André Lalande,
« tout ce qui est objet de satisfaction ou d'approbation dans
n'importe quel ordre de finalité : parfait à son genre,
favorable, réussi, utile à quelque fin »2(*). Il poursuit en disant que ce
bien doit posséder une valeur morale à l'égard des actes
accomplis. Ce bien doit être approuvé par les hommes dans leur
interaction. C'est-à-dire que le bien n'est pas bien pour une seule
personne ni pour sa logique propre ; il doit être approuvé
par tout homme dans les mêmes conditions. Pour savoir s'il existe un bien
unique ou plusieurs et lequel de ces plusieurs serait le bien suprême,
analysons maintenant la notion du bien chez Aristote et l'ordre des biens selon
les genres de vies.
I. 1. LA NOTION DU BIEN CHEZ
ARISTOTE
Dans les premières phrases du premier livre de
l'Ethique à Nicomaque, Aristote affirme que toute connaissance,
toute décision réfléchie et tout choix
délibéré porte l'intention d'un bien quelconque3(*). Et parmi les biens que l'homme
peut poursuivre dans sa vie, il y a la bonne gestion de la cité ou la
politique. L'homme en tant qu'être singulier peut poursuivre le bien
comme la fin de tous ses actes. Mais le bien que poursuit la communauté
a plus de valeur que celui recherché par un individu. Ce bien a encore
plus de valeur s'il est recherché à la fois, par un individu
pour lui et pour la cité et recherché par la cité pour
chacun de ses membres.
Etant donné que le bien est la fin de toute
résolution de l'esprit humain et que chaque être humain a envie
d'agir pour le bien, les biens poursuivis se diversifient par rapport aux arts,
aux actions et aux sciences qui les produisent. Le bien recherché en
médecine, par exemple, n'est jamais le même que celui
recherché en stratégie (c'est-à-dire l'art de la guerre)
ou en architecture4(*).
Ainsi la santé est le bien de la médecine, la victoire celui de
la guerre et la maison pour l'art de l'architecture.
A ce sujet, Saint Thomas d'Aquin, soutenant Aristote
reconnaît que ces biens sont hiérarchisés et la
hiérarchie, elle-même, est proportionnelle :
c'est-à-dire que tous les biens sont voulus d'une manière
subordonnée. Ainsi donc la santé dont nous venions de parler est
en vue de la possibilité d'un épanouissement social,
l'acquisition du maniement du pinceau est en vue du beau et l'acquisition
d'autres techniques pour d'autres fins ultimes. Ces biens sont donc relatifs
les uns aux autres, et cela parce qu'il y a une fin suprême, qui est
voulue d'une manière absolue. Si le médecin poursuit la bonne
santé des citoyens, ces derniers ne peuvent être épanouis
que lorsque la paix ou la sécurité leur sont garanties par la
force de l'ordre ; une fois en paix et en bonne santé, les citoyens
auront encore besoin de la protection contre les intempéries et/ou
même de contempler le beau (ce qui relève des travaux de
l'architecte, du peintre et du sculpteur). Tout cela c'est en vue d'une fin
suprême qui est, pour St. Thomas, le Bonheur ou la Béatitude. Sans
cette fin nul de ces biens ne serait subordonné à l'autre et tous
auraient la même valeur. Il faudrait, insiste St.
Thomas « que tout ce que l'homme veut et désire , soit
nécessairement pour sa fin ultime »5(*). C'est pourquoi il condamne les
passe-temps, les temps-morts, l'oisiveté qui n'ont aucun désir,
ni nécessité, ni finalité dans la vie de l'homme. La norme
reste celle de faire du bien l'unique motivation d'agir.
Nous venons de voir plus haut qu' avec Aristote, autant les
sciences et les résolutions de l'esprit humain sont diverses, autant les
biens recherchés sont multiples. Il reste alors, par souci d'harmonie et
de logique, de classer ces biens par ordre. Mais pourquoi un ordre ? Saint
Thomas nous aide encore une fois à répondre. Nous ordonnons parce
que :
« le bonheur qui est la fin dernière de
l'homme est au sommet des biens, et plus une chose[un bien] est proche de cette
fin, plus élevé est son rang parmi les biens humains. Mais le
bien le plus voisin de cette fin est la vertu et toute autre chose qui favorise
chez l'homme le bon agir grâce auquel il atteint la béatitude;
puis c'est le bon comportement de la raison et des activités qui lui
sont soumises; après cela, c'est la santé du corps,
nécessaire pour la facilité de l'agir; enfin, ce sont les biens
extérieurs dont nous usons, comme de modestes auxiliaires pour la
pratique de la vertu.»6(*)
Dire que le Bonheur est la fin dernière des tous les
biens, on l'a vu plus haut, c'est par relativité et subordination de
tous ces biens. Car, comme nous l'avons vu, la médecine étant en
vue d'avoir une bonne santé, cela permet l'épanouissement qui,
lui-même, permet d'être heureux. De même, la connaissance est
en vue de la perfection de l'intelligence qui, elle aussi, permet de jouir de
ce qui est connu et cette jouissance rend heureux. Ces exemples peuvent
s'étendre à tous les biens et cela nous permet de déduire
que les biens prennent leurs valeurs selon leur proximité avec le
Bonheur. D'où un désir d'ordre clair, précis et
hiérarchisé de ces biens. L'ordre que nous propose
Aristote est un ordre naturel car il se fait remarquer toujours ainsi dans
toute société selon les genres de vie. Au bas de
l'échelle, il y a les plaisirs sensibles ou volupté, qui
correspondent au premier genre de vie : la vie de jouissance
matérielle. Vient ensuite la gloire et les honneurs recherchés
dans le deuxième genre de vie qui est la vie politique et active. Au
sommet de l'échelle se trouve la contemplation qui est le bien par
excellence et correspond au troisième genre de vie : la vie
contemplative ou théorétique.
I.1. 1. La jouissance
matérielle
Le bien comme désignant la fin de toute
détermination morale est unanimement accepté par tout le monde.
De même, l'opinion commune approuve que « vivre bien, agir bien
est synonyme d'être heureux »7(*). Ce qui partage les opinions c'est la nature ou
l'essence du souverain bien c'est-à-dire du bonheur. A ce sujet, le sage
n'est pas d'accord avec le vulgaire : ce qui veut dire que l'idée
du bien et celle du bonheur sont conçues selon les genres de vie que
l'on mène dans la société.
Le premier genre est la vie de jouissance matérielle.
Cette vie est conforme à l'utilitarisme de Jérémy Bentham
car elle voit en tout acte le plaisir comme fin dernière car
« l'humanité est gouvernée » d'après
lui, « par la douleur et le plaisir »8(*). L'alternance heureuse ou
malheureuse dépend de l'abondance des plaisirs ou des peines. Ce qui
fait que pour Bentham et ceux qui sont à l'aise avec ses idées,
la valeur morale d'un acte dépend de la quantité des plaisirs
qu'il procure. C'est-à-dire qu'autant un acte produit plus de plaisirs
autant il est moral.9(*) Est
bien dans ce cas, l'objet qui satisfait l'homme entier, c'est-à-dire
l'homme dans sa rationalité et dans sa sensibilité.
Une lecture sérieuse d'Aristote nous montre qu'il
n'approuve pas que le plaisir soit la détermination du bien. N'est-ce
pas pour cette raison qu'il appelle l'homme des plaisirs un vulgaire ? Et
qualifie leur sentiment de servile ? En ses propres termes, il
dit :
« le vulgaire et les hommes les plus
grossiers l'ont placé [le bien] dans la volupté :
aussi préfèrent-ils à tout la vie qui n'offre que des
jouissances. On peut regarder comme tout à fait servile ce sentiment du
vulgaire, qui donne la préférence à la vie purement
animale ; et il ne peut guère mériter qu'on en fasse mention
qu'à cause de cette foule d'hommes qui, élevés à la
puissance et aux dignités, se montrent asservis aux mêmes passions
que Sardanapale* »10(*).
Avant Aristote, Platon s'est insurgé contre la vie des
plaisirs. Il en indexe clairement les limites. La plus grande limite
étant celle de ne pas permettre à l'homme d'atteindre les
plaisirs supérieurs, solides et purs11(*). Identique aux passions, selon l'expression
de David Hume, les plaisirs immergent le passionné dans le monde du
sensible. L'homme ainsi emporté ne parviendra plus à percevoir la
différence entre la réalité et l'apparence, entre la
vérité et l'illusion, entre la satisfaction de ses
appétits et le sens de sa vie comme l'homme de la caverne dont parle
Platon. « Ainsi la passion est le nom même de ce qu'il faut
dépasser, comme elle est ce qui retient les hommes dans le monde
sensible et les empêche de voir au-delà »12(*). Donc les passions
étant une illusion, elles sont un obstacle à vaincre, un
défi à relever, une chaîne qu'il faut briser. La raison
pensante est la possibilité de dépasser les passions. Il faut que
cette raison soit réellement contre les passions et qu'on soit
au-delà d'elles, précise M. MEYER, car elles aveuglent celui qui
s'y abandonne.13(*)
Plaisirs et passions ne peuvent être réfléchis, par la
personne même, que par prévention pour ne pas être
aveuglé une fois immergé et, à la limite, par confession
lorsqu'on a eu la grâce de s'en sortir. Pour Platon, celui qui peut
encore sauver l'homme ainsi aveuglé est le philosophe. C'est le
rôle du philosophe maintenant de descendre dans la caverne des passions,
car il connaît et celui qui connaît doit agir, « pour
éclairer et guider les hommes. Le philosophe, libéré de
l'opinion, créatrice de tyrannie, est seul capable de diriger les
hommes, de leur montrer le bien, de les détourner de ce qu'ils
croient faussement être le bonheur et n'en est que
l'apparence »14(*). Etant donné que la possibilité de se
libérer soi-même, parmi tant des plaisirs, est mise en doute,
l'action du philosophe devient plus qu'urgente.
Mais il faut savoir que la vie de plaisir, comme fin, est
celle qui est blâmable. Les plaisirs comme moyen et besoin des fonctions
vitales sont en quelques sorte nécessaires, nous dit Aristote. Un met
délicieux, par exemple, est une nécessité vitale dans le
domaine de l'alimentation. Et il est bon. Il se retire de l'ordre des biens
suprêmes lorsqu'il est recherché par tous les moyens et est pris
comme unique but de tout l'activité de l'homme. On comprend que les
plaisirs du corps trouvent leur place juste dans l'accomplissement des
fonctions naturelles vitales, pourtant existantes aussi chez les animaux. Ces
plaisirs deviennent pires dans l'excès et dangereux lorsqu'ils privent
à l'homme les plaisirs spécifiques à son humanité
comme l'activité de la raison droite.
I. 1.2. La gloire et les
honneurs
La jouissance matérielle dont nous venions de parler
est consommation. C'est-à-dire qu'on sent, on goûte le plaisir et
on conclut que c'est un bien. C'est l'expérience sensible du bien dans
une vie passive. Au dessus d'un tel bien se trouve un autre qui est plus grand.
Il s'agit de la gloire et des honneurs. Aristote montre que ce sont les hommes
en politique ou dans la vie active qui recherchent les honneurs et la gloire
comme biens suprêmes.
Au fait, la vie politique est une vie active et se distingue
nettement de la vie pleine de jouissance matérielle. Elle est active car
elle comporte différentes actions nécessaires mais qui ne sont
que des moyens pour atteindre le souverain bien. Ces actions sont les
suivantes : la justice, le droit, la liberté,
l'égalité etc. Justice et droit, liberté et
égalité ; voilà les biens qui méritent
l'estime publique et qui devraient être poursuivis, recherchés par
les politiciens car désirés au moins par les sages si pas par
tous. Mais on remarque avec Aristote que ces biens sont négligés
en politique et même dans la vie active pour ne chercher que les
honneurs, les vaines gloires et les puissances hégémoniques.
Pourtant pour Saint Thomas : ni les richesses, ni les honneurs, ni la
renommée, ni la gloire, ni la puissance, ni quelque bien du corps, ni
quelque bien créé ne peut fonder la béatitude15(*).
Supérieurs aux plaisirs charnels, sans doute, la
gloire, la puissance (hégémonie) et l'honneur sont des biens que
l'homme désire, cherche et peut obtenir dans la vie politique et active.
Rechercher et jouir de ces biens est facile car il suffit d'en avoir les moyens
pour se les procurer quand et comme l'on veut, mais ils ne peuvent être
des souverains biens pour deux raisons. D'une part, ils sont, même en les
obtenant et en en jouissant avec succès, des déviations de
l'idéal d'une vie politique proprement dite. Ce dernier devrait
être la lutte pour la justice et le droit, pour la liberté et
l'égalité. C'est-à-dire la gestion de la cité et la
promotion du bien-être de tous. Mais l'inclination de l'esprit
fléchit cet idéal dans une recherche des intérêts
personnels. D'autre part, ces biens ainsi recherchés, ne sont que des
moyens pour atteindre des biens supérieurs quelconques et jamais des
fins en soi. Qu'on le sache ou pas, qu'on le veule ou pas, gloire et honneur,
puissance et hégémonie et tous les biens liés à la
vie politique ou active sont en vue d'un résultat extérieur. Le
plus souvent c'est en vue du bonheur.
Mais peut-on traiter ce deuxième genre de vie
d'irrationnel comme celui des plaisirs et des passions ? Disons
immédiatement avec Aristote que ce n'est pas possible parce qu'on ne
peut s'imaginer un homme à la conduite de la cité qui soit
totalement irrationnel. Le fait même qu'il soit homme et d'un rang social
quelconque prouve l'usage et la capacité quelconque d'une certaine
rationalité. Seulement que le bien poursuivi n'étant pas
totalement conforme à la vertu, cela crée la possibilité
d'une entrave de la raison droite. Ceci car, pour Aristote, la partie
rationnelle de l'âme est double : « on y distinguera la
partie qui possède la raison en propre et par elle-même, et la
partie qui entend la raison comme on entend la voix d'un père
bienveillant »16(*). Ce qui veut dire que l'âme est source à
la fois des activités (comme la contemplation) qui se rattachent plus
directement à la partie qui possède la raison en soi et d'autres
activités (comme le travail manuel) qui trouvent leur base dans la
partie qui obéit à la raison proprement dite. En plus, de ces
activités, celles qui se fondent sur la raison en soi sont plus
préférables à celles qui n'ont que la possibilité
d'obéir à la raison car dans ce processus d'obéissance, on
peut se heurter à un empêchement, une entrave liés à
l'inclination et à la faiblesse humaine. Les activités de la vie
politique et active que nous avions traitées comme deuxième genre
de vie font partie de ces activités qui obéissent à la
raison. Cela étant, les biens produits de ce genre de vie, bien qu'ils
ne soient pas irrationnels, manque la suffisance à soi qu'on trouve dans
les activités de la raison propre. Par conséquent ces biens ne
sont pas des biens supérieurs dont il est question dans le point
suivant.
I.1.3. La contemplation
Dans la hiérarchie des biens existe en dernier lieu,
le bien suprême ou souverain bien. Comme pour tous les autres biens dont
nous avons déjà parlé, ce bien est aussi lié
à un genre de vie : la vie contemplative. Ce genre de vie vient
parfaire, à la fois, celui de la jouissance matérielle et celui
de la vie politique et active dévaluées, pour donner place
à un bien plus noble et qui, pratiquement, mérite ou du moins
mériterait l'estime de tous. Mais qu'est-ce que le souverain
bien ?
Sans penser à une confusion des termes, nous utilisons
souverain bien, bien suprême, bien (comme fin) en soi, l'un à la
place de l'autre comme ne cesse de le faire Aristote dans ses ouvrages
d'éthique. Tandis que le kantisme place le sens du souverain bien dans
« l'objet qui satisferait toute faculté de
désirer d'êtres raisonnables finis »17(*) ; Aristote pense que le
bien suprême s'entend en plusieurs sens mais tous renvoient à la
même chose, comme nous venons de le dire au début de ce point. De
tous les sens, nous retenons que le souverain bien est celui qui est conforme
à la vie contemplative. D'autres propositions comme celle de
l'idée du bien ne sont pas à rejeter, mais on doit
prendre une certaine distance à leur égard.
Les propositions de l'idée du bien traduisent le sens
du souverain bien de cette manière : « Le souverain
bien est le bien en soi. Le bien en soi est : a) le premier des biens, b)
la cause finale et efficiente des biens. Le bien en soi est donc identique
à l'idée du bien, le souverain bien est donc l'idée du
bien18(*) ».
C'est pourquoi Aristote critique, quelque peu, les termes
idées du bien qui proviennent de Platon et selon lui,
l'idée du bien comme toutes les autres idées, est
séparée des hommes participants à ce bien. Pour
dire que pour lui, le bien en soi doit être une activité de
l'homme, ce dernier étant le participant direct à ce bien. Le
bien suprême n'est pas une idée comme toutes les autres
idées de la doctrine platonicienne car dans ces dernières,
l'action de l'homme est absente. Ayant lu Aristote, Saint Thomas a
établi de sa manière la hiérarchie des biens, en
considérant qu'il existe les biens utiles (bonum utile) qui
sont cherchés et utilisés toujours comme des moyens, les biens
agréables (bonum delectabile) qui sont recherchés pour
les plaisirs et l'agrément qu'ils procurent et enfin, les biens
honnêtes (bonum honestum) qui sont recherchés, voulus et
aimés pour eux-mêmes ; le jugement y reconnaît une
vraie perfection pour l'homme, ce sont ces biens qui sont aimés par la
raison. C'est la fin de la recherche morale de tout être humain et donc
le Souverain Bien19(*).
Cette activité propre à l'homme [et un bien en soi] est
l'activité théorétique ou contemplative comme l'appelle
Aristote lui-même. Si le souverain bien est le bien par excellence,
d'où trouve- t-il sa source ? C'est à cette question que
nous voulons répondre dans le point suivant.
I.2. LA VERTU COMME SOURCE DU
BIEN EN SOI
De prime à bord, commençons par comprendre ce
que dit Aristote des vertus en général. Dans son deuxième
livre de Ethique à Nicomaque, Aristote distingue les vertus
intellectuels des vertus morales. Les premières naissent de
l'intelligence ou de la pensée et les secondes de l'habitude ou du
caractère20(*).
Parmi les vertus intellectuelles, on trouve la philosophie comme vertu de
l'intellect spéculatif et la sagesse comme vertu de l'intellect
pratique. Philosophie et sagesse que nous englobons dans le terme contemplation
sont donc des activités de l'intellect bien distinguées et qui
peuvent être subdivisées en deux : d'une part, les
activités servant à produire des résultats
extérieurs à elles-mêmes et d'autre part, les
activités immanentes c'est-à-dire qui ne sont faites que pour
elles-mêmes, trouvent leur fin et leur achèvement en
elles-mêmes. On comprend que le bien en soi, étant une des
activités immanentes, trouve sa source dans les vertus intellectuelles
et forme le troisième genre de vie qui est la vie contemplative.
Revêtue d'un sens laudatif chez Platon et d'un
éloge particulier chez Aristote, l'activité contemplative est non
seulement un acte mais aussi une vie. Elle participe et donne sens aux autres
genres de vie cités plus haut. « La contemplation, ici
évoquée par Aristote, n'est pas une méditation pure comme
l'indique la connotation religieuse mais une activité de recherche
rationnelle des principes premiers ».21(*) En effet, Aristote affirme
que « l'activité de l'intellect qui s'enquiert des
principes suppose une application plus sérieuse ; il n'a pas
d'autre but que lui seul, et il porte avec lui son plaisir qui lui est
exclusivement propre, et qui augmente encore l'intensité de
l'activité »22(*).
L'activité de l'intellect est donc le bien parfait
car, la raison droite est pleinement en action et ne se heurte à aucune
entrave. En plus, elle est une activité immanente c'est-à-dire
contient sa fin et se suffit à elle-même. Enfin, elle est une
activité conforme à la vertu la plus haute.
C'est-à-dire l'activité de la faculté par laquelle l'homme
participe au divin. Cette faculté est l'usage de l'intellect qui est
propre à l'homme. Ainsi l'homme, par l'usage de la raison, participe
à la vie divine. Selon Aristote, c'est de cette manière que
l'homme s'immortalise en faisant tout pour vivre selon la raison droite. Cette
partie la plus noble qui existe en lui fait que « la vie selon
l'intellect, [(vie contemplative ou théorétique)] est aussi la
vie la plus heureuse que l'homme puisse mener »23(*). Elle est le souverain bien,
le bien suprême, le bien en soi, la source des autres biens car il est
supérieur au reste.
Conclusion partielle
Dans cette première partie de notre
travail, nous avions voulu chercher ce que les hommes appellent bien. Aristote,
tout au départ, nous montre qu'il existe plusieurs biens selon les
genres de vie qu'on mène dans la société. Nous les avions
classé dans un ordre hiérarchique selon leurs valeurs pour
permettre à tout le monde de distinguer ces biens pour en faire bon
usage. Nous avons découvert, par nos recherches, qu'Aristote souligne
l'indignité du premier type des biens, l'insuffisance du second et fait
l'éloge du troisième type comme souverain bien.
Le bien dans la vie de jouissance matérielle se
rapporte aux plaisirs du corps. Etant, naturellement, des besoins du corps,
tout homme y est porté instinctivement à l'instar de l'animal.
Ce bien est donc indigne. Dans la vie politique et active, ce sont les honneurs
et la gloire qui sont considérés comme des biens. Mais ces biens
servent des moyens pour un bien supérieur et sont des déviations
de l'idéal d'une vie politique et active vraies. Ces deux types de biens
sont de valeurs différentes car le bien de la vie active est
supérieur à celui des jouissances matérielles. La
contemplation est le troisième bien. Elle est une activité
conforme à la vertu la plus haute qu'on identifie au souverain bien, au
bien par excellence.
Si, d'après Aristote, la contemplation est
l'activité qui permet d'atteindre le bonheur, comment pouvons-nous
déterminer cette activité ? Nous voulons en d'autres termes
nous interroger sur les principes qui régissent cette activité
intellectuelle. La réponse à cette interrogation constitue le
chapitre qui suit.
CHAPITRE DEUXIEME :
LES PRINCIPES DE L'ACTIVITE RATIONNELLE
Ce qui distingue la culture intellectuelle du sens commun c'est
la faculté d'élever une question posée au niveau d'un
principe... W. Heisenberg*
Préambule
En philosophie morale l'étude de l'activité
humaine consiste à chercher les causes, les caractéristiques et
la finalité des actions. Chercher les causes c'est aller à la
source d'une ou de toutes les actions que pose l'homme et découvrir le
moteur intérieur ou extérieur de l'agent. Dans physique
III et V, Aristote montre que les actions sont principalement des
processus. Or tout processus implique un début, une pleine
réalisation et une fin. Connues comme telles, les actions humaines ont
une fin, celle de passer d'un état inférieur à un
état supérieur supposé meilleur. Ce passage peut
être quantitatif ou qualitatif c'est-à-dire un avoir plus, un
savoir plus, un valoir plus, un pouvoir plus, un être plus, un devenir
d'avantage soi-même en rapport avec son milieu de vie et son
époque. Tout cela, c'est autant de biens qui sont l'idéal d'une
activité humaine bien menée. Cet idéal, fin ultime de
toute action humaine, nous l'avons précédemment nommé
bonheur dans le sens qu'il est supérieur à tous les autres biens
dans l'ordre naturel des biens.
Les caractéristiques des actions humaines, quant
à elles, nous permettent de distinguer, parmi ces actions, les bonnes
des mauvaises. Elles sont des conditions de possibilité et de
nécessité de ces actions. Elles déterminent les
manières concrètes par lesquelles ces actions se
réalisent. Aristote appelle ces caractéristiques : principes
éthiques. Et ce qui est principe des biens recherchés doit
être, selon lui, quelque chose de profondément respectable et de
divin24(*). Ces principes
peuvent être psychologiques, physiques ou éthiques et permettent
d'identifier et de distinguer non seulement les bonnes actions des mauvaises
mais aussi les rationnelles des non rationnelles. Distinguer les actions bonnes
des mauvaises n'est pas une recherche assez formelle et pour cela nous laissons
cette tâche au bon sens de chacun. Ce qui nous reste c'est de distinguer
l'activité rationnelle de ce qui ne l'est pas en se basant sur les
principes éthiques qui la fondent. Pour réaliser cette
tâche, nous devons passer à l'étude des principes :
seuls et simples moyens de classifier et de déterminer ce que sont les
actes humains rationnels en tant qu'ils ouvrent sur le bonheur. Le bonheur en
tant que tel n'est pas aussi recherché par des actions isolées
mais par un ensemble d'actes humains coordonnés appelés
activité. Cette activité doit être non seulement humaine
mais aussi rationnelle.
La principale question de ce chapitre cherche à savoir
ce que sont les principes de l'activité rationnelle. L'hypothèse
la plus évidente nous présente la volonté et la
liberté comme principes fondamentaux qui régissent l'agir
rationnel. Dans ce chapitre, il ne s'agit pas seulement de citer ces principes
mais aussi d'analyser ce qu'ils sont réellement et de chercher d'autres
qui leur sont secondaires dans la détermination de l'agir rationnel.
II.1. LA VOLONTE
Elle est, selon André Lalande, la
« forme de l'activité personnelle qui comporte, sous sa forme
complète, la représentation de l'acte à produire, un
arrêt de la tendance à cet acte, la conception des raisons pour
l'accomplir ou ne pas l'accomplir, le sentiment de la valeur de ces raisons, la
décision d'agir comme elles l'indiquent et l'aboutissement à
l'exécution ou à l'abstention
définitive ».25(*) Nous en déduisons simplement qu'elle est une
faculté de se déterminer librement par une décision
conforme à son intention et se manifestant dans l'agir.
Dans ses traités de morale, Aristote aborde le
principe de volonté dans les actions humaines en différenciant le
volontaire de l'involontaire26(*). « On peut regarder comme involontaires,
dit-il, toutes les choses qui se font ou par force majeure ou par
ignorance »27(*). Sont faites par force majeure, les actions dont la
cause est extérieure de telle sorte que l'être qui agit ou celui
qui subit l'action ne contribue en rien à cette cause. On accepte de
faire ou de subir des telles actions uniquement par nécessité.
Les actions faites par ignorance sont celles qui causent de la peine soit
à l'agent soit celui qui subit l'action et entrainent correction ou
repentir lors de la reconnaissance28(*). Quant à l'acte volontaire, il est, selon
Aristote, « l'acte dont le principe est dans l'agent lui-même, qui
sait en détail toutes les conditions que son action
renferme ». C'est agir avec plein droit, exprès, avec un bon
coeur et en assumant ses responsabilités29(*). Pour Aristote l'agir volontaire comme principe
d'une activité rationnelle implique la coordination des trois moments
qui se succèdent temporellement : le souhait, la
délibération et le choix définitif.
A l'origine de toute action il y a un souhait de ce que l'on
voudrait réaliser : c'est le premier moment de cette
activité. Le souhait porte sur le but ou le télos. Le
souhait raisonné a pour objet le but envisagé. Mais quel
but ? Selon les analyses d'Aristote, on peut souhaiter aussi bien
l'impossible que le possible. Ainsi, on peut souhaiter, par exemple, ne jamais
mourir comme on peut souhaiter être en bonne santé. Aristote
ajoute que le but qu'envisage l'individu dans l'exécution volontaire,
s'il est toujours axé sur le bien, peut, néanmoins, être
soit un bien réel soit un bien illusoire.30(*) Pour ce qui concerne l'agent,
l'activité rationnelle n'est souhaitée que par celui qui
l'admire. L'agent souhaite autant de choses mais délibère
seulement sur ce dont il a le pouvoir de réaliser.
Le deuxième moment est celui de la
délibération sur les moyens utilisables et la possibilité
de réaliser le but envisagé. C'est le moment de l'examen des
conditions de possibilité de la réussite ou de l'échec de
l'activité. D'une part, on délibère sur ce qui
dépend de nous et que nous pouvons réaliser ; d'autre part,
on ne délibère pas sur les fins elles-mêmes mais seulement
sur les moyens d'atteindre ces fins. La délibération consiste
à chercher les moyens convenables de réaliser une fin
préalablement posée par le souhait. L'embarras qui surgit souvent
lors de la délibération est la pluralité des voies qui
s'ouvrent mais dont aucune ne nous assure une issue parfaite. La
délibération consistera, dans ce cas, à combiner les
moyens les plus efficaces possibles en vue des fins réellement
réalisables.
Le choix décisif est, enfin, le troisième
moment de l'action volontaire. Le choix n'est pas la
délibération. Le choix vient seconder la
délibération lorsqu'elle se heurte à la pluralité
des voies ou des moyens à utiliser. Le choix décisif est encore
appelé décision réfléchie. La décision
réfléchie est certainement quelque chose de volontaire mais elle
n'est pas la volonté elle-même. La décision
réfléchie n'est pas non plus appétit, ni emportement par
ce qu'on aime ; elle est plutôt le contraire de tout cela31(*). C'est pourquoi, en
paraphrasant Aristote, nous pouvons la définir comme : une
résolution préméditée et accompagnée des
raisons d'agir et des pensées discursives qui indiquent le choix
porté sur certaines choses préférables à certaines
autres32(*). La
décision réfléchie est celle qui détermine les
actions mêmes de l'agent, permet d'apprécier les qualités
morales et d'attribuer à l'agent la responsabilité de ses actes.
Pour Aristote, elle ne peut être que le propre de l'homme vertueux et
tempérants et non des êtres sans raison. Ce qui fait que l'homme
qui s'adonne à l'activité rationnelle doit nécessairement
être vertueux et tempérant pour la mener à bonne fin.
Sous l'inspiration apparente d'Aristote, Gilbert MURY et
Timmy ORIOL [philosophe et professeur de philosophie] présentent
l'activité rationnelle comme une structure assez complexe dans le cas
où elle est soumise à la volonté. L'activité
rationnelle doit donc obéir à un processus détaillé
de l'acte volontaire. Ce processus part de la conception d'un plan d'action
à la délibération, de la délibération
à la décision et de la décision à
l'exécution. Ce processus ainsi détaillé semble être
une actualisation de celui élaboré par Aristote comprenant
seulement le souhait, la délibération et le choix. En
considérant que l'activité de l'homme peut avoir des causes
externes et internes, ces philosophes proposent avant tout une
définition plus reformulée de la volonté et la
considèrent comme « une forme supérieure de
l'activité intentionnelle qui utilise les forces, les mécanismes
et les savoirs de la personne pour promouvoir, soit par l'exécution d'un
acte, soit par la résistance à l'impulsion, une fin librement
choisie dont elle a reconnu la valeur 33(*)».
Cette définition est complexe. Il vaut mieux
l'analyser pour comprendre l'impact de la faculté de la volonté
sur l'activité rationnelle. Une double fonction de la volonté se
remarque d'emblée dans cette définition : celle de permettre
l'exécution d'un acte et celle de résister à une
impulsion. C'est en ceci que consiste toute l'activité de la
volonté : d'une part, ouvrir la route aux mécanismes
physiques, psychiques et intellectuels pour agir et d'autre part, leur barrer
la route en cas de nécessité. Cet exercice implique donc un
processus qui comprend les étapes suivantes : la conception d'un
plan d'action, la délibération, la décision et
l'exécution.
II.1.1. La conception du plan
d'une activité rationnelle
Concevoir un plan d'une activité rationnelle c'est
poser les conditions de possibilité de cette activité et sa
nécessité tant sur le plan personnel que collectif, sur le plan
subjectif tout comme sur le plan objectif. A cette étape on met en place
le(s) but(s), les motifs ainsi que toutes les conséquences possibles
envers soi, envers l'autre et envers la nature.34(*) Sur le plan moral, c'est la prise de conscience du
but à atteindre et les moyens à utiliser. Ainsi pour
l'activité intellectuelle le but devra être réellement
réalisable avec des résultats effectifs ou non. Les moyens
resterons humains ou spirituels et pas automatiques35(*). La connaissance du but et des
moyens préalables suppose déjà une certaine
réalisation du processus mais cela ne suffit pas, il faut, en plus, un
effort de délibération.
II.1.2. La
délibération
C'est un examen approfondi du pour et du contre sur ce qui
concerne le plan déjà conçu. La
délibération complète la conception du plan
d'activité et sépare les fins réalisables des non
réalisables : il y a ainsi résistance de la volonté
pour les non réalisables et approbation favorable pour ceux qui ont plus
de possibilité d'être réalisés. L'effort à
fournir dans le déclanchement de cette activité consiste à
résister ou du moins, à éviter tout empêchement dans
le processus de réalisation de l'activité.36(*) Pour Aristote, cet effort
consiste aussi dans le fait d'éviter tout excès et tout
défaut en se maintenant dans le juste milieu car l'excès et le
défaut sont contraire à la perfection. Par rapport aux actions,
l'excès est une erreur et le défaut est sujet de
blâme ; au contraire, le juste milieu obtient des éloges et
le succès s'y trouve. L'excès et le défaut sont les
caractères du vice tandis que le juste milieu est le caractère
de la vertu.37(*)
Voilà ce sur quoi la délibération porte en ce qui concerne
l'activité rationnelle.
II.1.3. La décision
Une activité intellectuelle se
réalise volontiers quand elle est faite sur décision personnelle
et libre. La décision est l'achèvement non de l'action mais de
l'étape de conception. C'est après analyse et comparaison des
motifs, de proportions entre les valeurs des faits, qu'on se résout de
choisir les seuls faits réalisables. A partir de la décision
(finale), on peut déjà tracer un calendrier ou programme d'action
qui peut s'étendre soit sur une partie de la durée
d'exécution soit sur toute la durée de l'exécution d'une
activité38(*). Nous
avons déjà parlé assez longuement de la décision
réfléchie chez Aristote tout comme chez certains autres
philosophes, mais elle n'est pas la fin du processus.
II.1.4. L'exécution de
l'activité rationnelle
L'exécution reste toujours oeuvre de
la volonté. C'est l'engagement des énergies,
des moyens, des mécanismes préconçus pour réaliser
la décision prise. L'exécution est d'une importance capitale car
on ne sait que quelqu'un a voulu réellement quelque chose que lorsqu'il
la réalise39(*). Le
désir de réaliser la satisfaction attendue doit être
permanant. Ce désir reste en éveil de façon à
revivifier les efforts fournis et stimuler de les redoubler si c'est
nécessaire. Il est aussi important qu'intervienne concrètement la
faculté de l'intellect avec le rôle de proportionner les moyens
utilisés à la valeur supérieure accordée à
la fin visée. La faculté de l'intellect permet aussi d'identifier
les fins secondaires qui s'attachent à la fin dernière et celles
qui s'y opposent et par conséquent les sacrifier pour l'unique fin
suprême. Sacrifier certains objectifs pour d'autres plus meilleurs permet
d'éviter l'encombrement et libère l'esprit dans la
réalisation de toute activité. Une spécificité pour
l'activité de l'intellect ou activité contemplative (telle que
l'appelle Aristote), ce qu'elle est, elle-même sa satisfaction, elle n'a
pas d'autre fin que son exécution, ce qui fait d'elle l'activité
la plus parfaite des toutes les activités de l'homme40(*).
On peut noter que ces phases ou étapes sont ainsi
découpées et chronologiquement arrangées pour une
activité rationnelle spécifiée car pour des simples
activités quotidiennes, bien qu'ils nécessitent l'usage de la
raison soumise à la volonté, ces phases se confondent, se
combinent mais ils ne sont pas dépassées. L'écart
chronologique et distinctif devient minime et difficile à
repérer. Cela s'observe par exemple lorsqu'il s'agit d'une
réaction contre ou en faveur d'une autre action. La réaction est
souvent simultanée, prompte et dépend des habitudes, des
circonstances et des expériences personnelles. Il est donc difficile de
repérer dans la réaction la phase de conception ou celle de
délibération,... car il y a eu synthèse.
II.1.5. La volonté et
l'idée du bien
Dans l'introduction de notre premier chapitre portant sur
l'ordre naturel des biens, nous avons montré qu'avec Aristote l'homme
moral est celui qui tend toujours vers le bien et évite le mal.
C'est-à-dire que « l'acte volontaire est un acte
éclairé par l'idée du bien »41(*). L'acte mauvais, lui,
résulte de la confusion et de l'ignorance. C'est pour cela que Socrate
dit « Nul n'est méchant volontairement ». Descartes
soutient une thèse identique à celle de Socrate en disant
que : notre volonté ne se portant à suivre ni à
fuir aucune chose que selon que notre entendement la lui représente
bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire. Mais on peut se
poser la question : la volonté est-elle toujours bonne ? Nous
avons vu dans le chapitre précédent que les biens
dépendent des genres de vie que l'on mène dans la
société. Le bien peut s'identifier soit à la jouissance
matérielle, soit aux gloires et aux honneurs, ou à la
contemplation42(*). Cela
fait que la volonté peut se pencher vers un bien illusoire, de moindre
valeur ou carrément vers un vice selon l'extrême diversité
des tendances des genres de vie. Aristote l'a bien précisé
lorsqu'il dit qu'on ne peut pas dire que le vice n'est pas volontaire,
c'est oublier que ce que nous avons fait par un choix libre et raisonné,
il dépendait de nous de ne pas le faire ; c'est méconnaitre
l'homme comme principe et père de ses oeuvres.43(*)
La volonté est naturellement tournée vers le
bien mais souvent elle rencontre des empêchements de réaliser
fidèlement sa tâche. Le grand génie malin contre la
volonté c'est la force des sentiments, des tendances et des passions.
Cette force s'en prend surtout aux raisons d'agir les plus évidentes. Il
est évident par exemple que fumer c'est préjudiciable à la
santé et tout fumeur est souvent persuadé du danger que
présente le tabac. Il dit souvent qu'il voudrait cesser de fumer mais
sans jamais y arriver.
Baruch Spinoza montre que sur le terrain de la lutte
contre le désir, terrain de vérité pour la volonté
humaine, l'intelligence seule est impuissante44(*). Les sentiments doivent être combattus, s'il
le faut, non par des pures abstractions mais par d'autres sentiments contraires
et plus intenses. L'intelligence reste avec le rôle d'éclairer,
convaincre car elle est incapable de contraindre et de vaincre les sentiments
et les tendances.
La faiblesse de la volonté ainsi prouvée ne
concerne que la volonté et non l'activité rationnelle en
général. La volonté trouve d'entrave devant les
évidences sentimentales et est obligée d'en créer d'autres
plus intenses et plus vertueux pour s'en sortir mais pour l'activité
rationnelle et le processus par lequel elle se réalise, la
volonté est maîtresse. Bien qu'elle soit maîtresse, la
volonté comme principe de l'activité de l'intellect a besoin d'un
second principe qui lui est presque semblable : la liberté.
II.2. LA LIBERTE MORALE
La liberté morale ou liberté
intérieure reçoit souvent des définitions variées
selon les doctrines éthiques. On peut généralement la
comprendre comme le « fondement ontologique de la conscience
individuelle en tant qu'elle se connait par l'action », ou par des
mots plus simples, « possibilité de choisir effectivement
entre plusieurs actions conformément à leur nature et à
leur suite »45(*). En ce sens, l'esprit subjectif est libre
indéfiniment. C'est-à-dire que l'homme libre est dans ce cas
celui qui a simplement la capacité de faire ou de ne pas faire quelque
chose sans autre intervention que seule de sa propre volonté. La
liberté se confond donc au libre arbitre, mais au risque de se nier
elle-même, car dans ce cas très général, elle reste
suspendue, toute décision extérieure devenant une atteinte
à elle. Or, même selon le sens commun la liberté n'est pas
toujours totale ou neutre, elle peut parfois accepter une prédestination
ou un déterminisme. C'est le même cas pour l'activité
rationnelle lorsqu'elle souscrit à la liberté comme principe.
Parlons maintenant de la liberté comme principe de
l'activité rationnelle chez Aristote. La liberté a, chez
Aristote, un accent à la fois morale et politique. Elle se
présente comme un défis à relever par l'homme vertueux
tout comme par l'homme vulgaire. C'est le libre-arbitre où chacun est
libre de faire ou de ne pas faire le bien ou le mal. C'est là que la
liberté est un défis car pour le stagirite « si faire
le bien ou le mal dépend de nous seuls, ne pas faire le bien ou le mal
en dépend tout aussi complètement » et c'est là
qu'on entend également par être bons ou mauvais en parlant des
hommes.46(*) Le risque le
plus périlleux lors de la confrontation de ce défis, ce que
chacun agit souvent en croyant qu'il fait du bien. Pourtant Aristote nous
averti déjà de distinguer le vertueux du vicieux par leurs
actes : l'homme vertueux voit le vrai dans toutes les choses
« parce qu'il en est comme la règle et la mesure »
et c'est là « sa plus grande supériorité. Mais pour
le vulgaire, l'erreur en général vient du plaisir, qui parait
être le bien sans l'être réellement. Le vulgaire
choisit le plaisir qu'il prend pour le bien ; et il fuit la peine, qu'il
prend pour mal »47(*). Etre vertueux alors est un acte de
vérité fait en liberté mais surtout qui nous rend plus
libre. Ne disons-nous pas souvent que « la vérité nous
rendra libre » ? En abordant un autre aspect, nous pouvons voir
que la liberté est attachée au " faire ", à l'agir humain.
Lorsque les hommes interagissent, la liberté dont il s'agit n'est plus
seulement intérieure, elle revêt encore le caractère moral
mais s'y ajoute l'aspect politique. Dans ce cas la liberté se
définit comme : un pouvoir ou possibilité d'agir dans
une société organisée selon sa propre
détermination, dans la limite des règles. L'activité
rationnelle de l'homme dans son interaction avec l'autre, avec la nature ou
avec le transcendant devra donc tenir compte de cet autre principe qu'est la
liberté vue sous différentes acceptions.
Mais qu'il s'agisse de la liberté au sens moral ou au
sens politique, au niveau individuel ou collectif, elle n'est jamais totale ou
définitive. Nous l'avons dit précédemment en passant,
qu'elle accepte parfois une certaine prédestination ou un certain
déterminisme naturel ou social. Lorsqu'elle est morale et ne concerne
qu'un seul individu, la liberté suit par exemple la voix de la
conscience qui appelle souvent à la responsabilité, à
accomplir son devoir et surtout à être vertueux. Quand elle
concerne une collectivité, la liberté va de paire avec la loi, la
norme ou la contrainte sociales.
II.2.1. La liberté et la
norme morale
La liberté humaine est
nécessaire pour la réalisation de l'activité rationnelle
et de la personne elle-même. C'est pour cela d'ailleurs qu'Aristote dit
clairement qu'un homme qui n'est pas libre ne peut devenir ni vertueux ni
heureux48(*) et pour cela
aussi nous avons classé la liberté parmi les principes de
l'activité rationnelle qui est elle-même presqu'identique à
la vie heureuse. La liberté est également la condition sine
qua non d'un fait moral car s'il n'y pas de liberté, il n'y a pas
non plus de responsabilité. C'est grâce à la liberté
que l'homme échappe, en partie, au déterminisme cosmique et
émerge du monde de la nécessité pour devenir protagoniste
de créativité et de nouveauté humaine dans la nature et
dans l'histoire. C'est dans cette liberté créatrice et inventive
qu'on découvre que certaines personnes ont une liberté
penchée spontanément vers le bien et d'autres vers le
mal49(*).
Comme nous parlons de l'activité rationnelle, nous
pouvons ajouter que la liberté ainsi appréhendée, tend
souvent à conduire la raison vers l'excès. L'homme par sa raison
(libre) cherche à créer du nouveau, d'où l'essor de la
nouvelle technologie, de la science moderne, jusqu'à essayer des
expériences interdites (comme le clonage). A la suite de ce constat,
évoqué aussi par Aristote de manière particulière,
surgit le désir d'établir l'équilibre par la contrainte
qui arrache à la liberté sa toute puissance, sa
souveraineté absolue et lui suggère un certain équilibre.
Par la présence de la norme, la personne humaine bien qu'il soit
toujours libre est désormais interpellée, du dehors comme du
dedans d'elle-même, par une pluralité de devoirs, de valeurs,
d'obligations, de préceptes, de dispositions, de règlements,...
qui l'encadrent, la délimitent et la conditionnent. La norme, si elle
est morale, ne doit pas être contradictoire à la liberté
mais doit la compléter et le fruit de leur rapport est harmonie dans la
société. La liberté fleurit, s'épanouit et se
renforce en répondant positivement aux sollicitations de la norme.
Dans la norme morale Emmanuel Kant distingue
l'impératif catégorique et l'impératif
hypothétique. L'impératif catégorique est un commandement
de la moralité tandis que l'impératif hypothétique est un
ensemble de règles de l'habilité ou de conseils de la prudence.
Pour Kant, l'homme, par sa raison, doit parvenir à se donner de maxime
valant en même temps comme principe d'une législation universelle
et sa volonté pure de tout penchant sensible, ne peut qu'obéir
à cette maxime50(*). Il y a donc distinction entre la norme interne ou
individuelle et la norme externe ou loi positive. Mais toutes deux doivent
être morales. Pour qu'une norme soit morale, elle doit se
présenter comme une interpellation intérieure qui s'adresse
à la liberté pour la solliciter à assumer des
responsabilités vis-à-vis de l'existence individuelle et de la
vie sociale en lui laissant la possibilité de donner une réponse
libre sans la forcer ou se substituer en elle.
Tandis que le rôle du politique est de rendre les
citoyens vertueux et dociles aux lois51(*), souvent on rencontre le contraire car les lois
semblent peser. La pluralité des contraintes sociales, des lois
positives, des interdits et surtout la force obligatoire de la loi positive
perd souvent le sens du rapport entre liberté et norme morale. Cette
force de la loi positive est souvent à l'origine des attitudes
éthiquement erronées et inadéquates comme le
légalisme, le fanatisme, le laxisme, l'opportunisme qui corrompent la
personnalité humaine. L'unique attitude morale positive en face de
l'inadéquation des lois positives reste l'obéissance responsable.
Elle consiste à chercher à atteindre, au dessus du
revêtement légal, les valeurs morales qui appellent à
être assumées et vécues, en vue d'une ultérieure
croissance humaine, personnelle et communautaire. Mais à dire vrai,
cette obéissance n'est possible que sous l'influence d'une conscience
personnelle droite et bien formée.
II.2.2.Liberté et
conscience personnelle
Au sens le plus populaire, la conscience est une voix
intérieure qui règle, mesure d'en haut ou du dedans nos
pensées, nos intentions, nos actions et toute notre conduite. Elle se
trouve, dans ce sens, suspendue entre la liberté individuelle et la
détermination naturelle humaine. La conscience comme faculté de
juger, réalise sa tâche en trois moments de l'activité
humaine. Avant l'activité, la conscience fournit une morale
intérieure spontanée ou critique qui s'apprête à
assumer librement toutes les attentes et les éventuels résultats
de l'activité. Elle analyse, reconnaît le devoir à
accomplir sans oublier la vertu à vivre constamment. Pendant
l'activité rationnelle, la conscience semble être au degrés
le plus élevé de son travail. Elle fait une analyse progressive
de l'action et de toute situation qui permet de dégager les valeurs.
Elle stimule l'engagement et l'éventuelle responsabilité. Une
fois que l'activité est accomplie, la conscience exprime la satisfaction
du devoir accompli et se responsabilise l'acte52(*).
Mais il faut indiquer que la conscience est une
faculté de porter des jugements de valeurs morales sur ses propres
actes. Ce qui fait que lorsque le jugement a été spontané
ou moins critique ou encore s'il y a eu erreur dans le jugement et que les
résultats de l'action soient mauvais ou du moins contraires à ce
qui était attendu, la conscience suscite naturellement une certaine
condamnation rétrospective qui se transforme soit en regrets, soit en
remords et peut conduire, si besoin il y a, au repentir53(*). C'est pourquoi il est
nécessaire de suivre toujours et à tout prix, la voix de sa
conscience - si elle n'est pas erronée - car elle est la faculté
innée qui nous donnerait le moyen de reconnaitre, sans risque d'erreur,
le bien et le mal. Une autre suggestion est de pouvoir contrôler sans
cesse l'état de sa propre conscience et ses inclinations et voir si elle
est vraiment au service permanent du bien.
Conclusion partielle
La recherche faite aura satisfait quelque
peu au dessein que nous nous sommes proposé dans ce chapitre :
celui de chercher les principes de l'activité rationnelle. Les
présupposés de cette recherche étaient de prendre comme
principes de base la volonté et la liberté et chercher à y
joindre d'autres principes complémentaires pour fonder solidement
l'activité rationnelle. En définissant la volonté sous
plusieurs approches, nous avons découvert qu'elle est, quelle que soit
l'approche, un processus qui comprend plusieurs étapes qui sont à
la fois des fonctions de la volonté au cours de l'activité
rationnelle. Ces étapes sont les suivantes : la conception du plan,
la délibération, la décision réfléchie,
l'exécution du projet d'activité. La volonté sert, en
plus, à éclairer l'homme sur l'idée du bien (en parlant du
bien et du mal).
Le deuxième principe fondamental de l'activité
rationnelle est la liberté, sans laquelle l'action de l'homme ne peux
être dit vertueux ni revêtir une autre valeur morale. Dans
l'excès ou dans le défaut de la liberté, intervient un
troisième principe mais qui est secondaire : la contrainte qui peut
être soit individuelle (norme morale), soit sociale (loi positive).
L'autre principe secondaire est la conscience morale. Elle sert à
suppléer aux incohérences entre liberté et
pluralité des normes pour responsabiliser la personne sur l'idéal
qui doit l'attirer, le devoir à accomplir et le bonheur attendu d'une
vie vertueuse. L'activité rationnelle ainsi fondée sur des
principes à la fois moraux et rationnels est l'activité humaine
la plus parfaite et par conséquent ouvre sur le bonheur. Il reste
à déterminer, et c'est la tâche principale du chapitre
suivant, les principales voies qui mènent directement au bonheur tel que
présenté par Aristote.
CHAPITRE TROISIEME :
LA VOIE RATIONNELLE DU BONHEUR
« Assurer son bonheur est un devoir ; car le
fait de ne pas être content de son état, de vivre pressé de
nombreux soucis et au milieu de besoins non satisfaits pourrait devenir
aisément une grande tentation d'enfreiner ses
devoirs »54(*).
Préambule
Après deux pas gigantesques de notre démarche,
celui d'identifier le souverain bien dans l'ordre naturel des biens et celui de
chercher le fondement de l'activité rationnelle, respectivement premier
et deuxième chapitre, le troisième pas veut, enfin, nous rassurer
sur la voie rationnelle du bonheur. Ce chapitre est un aboutissement de ces
deux premiers esquisses car logiquement, il ne suffit pas de savoir le bien
suprême et de pratiquer l'activité la plus parfaite mais il faut
aussi et surtout atteindre le bonheur comme fin suprême et
conséquence logique de ce savoir et de cette pratique.
La vie de l'homme de tous les temps est pleine
d'inquiétudes portant sur son existence. Chacun se pose et se repose des
questions sur le sens de la vie, le sens de l'existence, le sens du mal et sur
le sens de l'au-delà etc. Toutes ces questions font que l'homme
désire vraiment une vie meilleure. Mais, ce qui est étonnant
c'est que ce désir du bonheur fait naître encore d'autres
inquiétudes . Ce sont ces inquiétudes au sujet de la vie
heureuse qui font que l'homme ne sait pas au juste quelle voie pourrait le
conduire convenablement au bonheur.
Pour ne pas embrasser un sujet trop large qui porterait sur
l'ensemble de la vie et ses inquiétudes, nous avons choisi seulement
d'élaborer, à partir d'un support aristotélicien, les
luminaires sur le désir du bonheur et sur l'inquiétude
existentielle liée à ce désir avant de proposer la voie
jugée convenable pour atteindre le bonheur. Cette voie est celle de la
raison que nous, en lisant à fond Aristote, avons abordé en deux
aspects : l'aspect pratique et l'aspect théorétique. Cette
même lecture nous conduit à considérer le bonheur
aristotélicien comme étant un bonheur intégral.
III.1. Le désir du
bonheur et l'inquiétude existentielle
On s'est avisé de dire au début de notre
travail, comme au début de l'Ethique à Nicomaque, que la
poursuite du bonheur est une fin universelle à la nature humaine. Tous
les hommes, on le constate dans leurs actions, recherchent d'être
heureux. Cela parait comme un désir inné qu'on ne peut assouvir,
ni par la souffrance ni par la jouissance heureuse car étant sans
bonheur on désire être heureux, devenu heureux on désir le
rester pour toujours.
Aspirer au bonheur implique la connaissance de ce bonheur.
Car, comme le pense Thomas d'Aquin, «l'homme à qui il
appartient d'agir pour une fin, n'agit jamais pour une fin qu'il
ignore » 55(*).
Agir pour une fin donnée, c'est diriger son action vers cette fin et
cela est l'oeuvre de raison à tel point qu'on ne peut l'attribuer aux
êtres sans raison.
Mais, du fait que cette fin peut être confondue, nous
nous sommes fait cette peine dans le premier chapitre d'orienter ceux qui se
tromperaient sur ce sujet et nous avons montré que les plaisirs, les
richesses, les honneurs, et les gloires sont des pseudo-biens, ils ne suffisent
pas à eux-mêmes et sont extérieurs à la nature
humaine spécifique. Le seul bien susceptible de nous satisfaire restait
le « souverain bien » qui est une activité
conforme à la raison. C'est l'activité de l'intellect qui est ce
bien inaliénable car, contrairement aux pseudo-biens, elle se suffit
à elle et est spécifique à la nature de l'homme
raisonnable. Il y a donc un lien vécu entre la poursuite du bien et la
quête du bonheur surtout car de tous les biens, le plus parfait se nomme
bonheur56(*).
Il faudrait aussi nuancer cette approche de la quête du
bonheur en évitant tout eudémonisme pur et strict et s'approcher
du côté du coeur de la morale : celui de remplir correctement
son devoir et attendre sa fin ultime qui est la béatitude ou le
bonheur accomplissant l'homme dans toutes ses dimensions.57(*) Même si nous avions dit
que tout homme désire le bonheur, qu'il le connait en le distinguant des
biens éphémères ; il y a lieu de se demander si
l'homme peut obtenir le bonheur. N'est-il pas un bien utopique ? C'est la
première inquiétude de l'homme en ce qui concerne le bonheur. La
réponse est chez Saint Thomas d'Aquin pour qui, « quiconque
est capable du bien parfait peut donc parvenir à la béatitude.
Or, que l'homme soit capable du bien parfait, on le voit à ce que son
intellect peut embrasser le bien universel et parfait, et sa volonté le
désirer, c'est pourquoi l'homme peut obtenir la
béatitude. »58(*)
L'autre inquiétude est de savoir si l'homme peut
être heureux en cette vie ou bien l'atteindre pour une autre vie
après la mort. Ici, comme pour toutes les inquiétudes
existentielles, les tendances philosophiques sont divergentes et s'opposent
surtout aux tendances religieuses. Aristote a, pour sa part, confirmé la
considération selon laquelle le bonheur est aussi possible dans les
limites de l'horizon de la vie terrestre. Mais du fait qu'il doit être
permanent, le bonheur doit s'étendre jusqu' à la vie
divine : c'est-à-dire dans l'au-delà59(*). Saint Thomas d'Aquin n'est
pas de cet avis. Pour lui, l'homme ne peut que participer à la vie
heureuse soit par la jouissance ou par l'espoir qu'il a d'acquérir la
béatitude dans la vie future et pas de l'atteindre en cette vie60(*).
Cette approche ne devrait pas décourager car le futur
se prépare dans le présent. L'inquiétude existentielle ne
concerne pas seulement le bonheur mais englobe aussi toutes les questions de
toujours sur le sens de la vie. Notamment celles qui portent sur l'origine et
la fin dernière de l'homme et de l'univers. Cette inquiétude
engendre une certaine « lutte pour la vie » que la morale,
la religion et la philosophie doivent orienter pour éviter toute
déviation. Avec ces préliminaires sur le désir du bonheur
et l'inquiétude existentielle, on comprend que l'homme veut le bonheur
mais il ignore les moyens d'y arriver. C'est ce moyen qui fait l'objet du point
suivant.
III.2. La voie rationnelle pour
un bonheur intégral
Avec la considération aristotélicienne selon
laquelle le bonheur culmine dans la libre activité de l'intellect
conforme à la vertu, en y ajoutant que le bonheur demeure
dépendant des contingences extérieures ( santé,
prospérité etc.) et en distinguant parmi les vertus, celles
humaines et celles qui sont intellectuelles, nous pouvons dire que le bonheur
est, ou du moins, doit être intégral. Dire que le bonheur est
intégral n'est pas une facilité dans la recherche des voies pour
l'acquérir. Mais cela nous permet de faire appel à la raison
comme tenant ces moyens, et en tant qu'elle est cette faculté humaine
qui gère la conduite de l'homme par la vertu et le fait participer
à la vie de Dieu par la contemplation. Ainsi, nous pouvons maintenant
forger une voie rationnelle du bonheur qui d'abord le reconnaît comme
étant intégral ( c'est-à-dire concernant la vie de ce
monde et culminant dans la vie de l'au-delà) et ensuite se subdivise en
deux dimensions : la dimension purement pratique et de la dimension
théorétique.
III.2.1. La voie rationnelle
dans sa dimension pratique
Conformément à la dimension
pratique ou morale, la voie rationnelle peut être empruntée de
quatre manières intimement liées et se rapportant aux
différentes relations fondamentales que l'homme effectuent dans son
existence.
a) Par la connaissance de soi qu'a le sujet du bonheur
(l'homme). Cette connaissance est une forme apparente de la subjectivité
humaine qui doit être possédée et contrôler tout ce
qui nous échappe de nous-mêmes. Pour être pleinement
heureux, selon André Léonard, « le sujet devrait
pouvoir jouir de sa propre perfection spirituelle en exerçant un retour
conscient sur sa propre essence 61(*)». Cette approche est aussi soutenue par certains
philosophes à tendance psychologique et par certaines doctrines
religieuses qui pensent que la maîtrise de soi, de son essence pourrait
être une clef d'ouverture à la transcendance et à la
perfection individuelle. Pour Aristote, l'homme devrait être le
"maître de lui-même" pour plusieurs raisons et dans plusieurs
circonstances de la vie mais d'une part, pour éviter de tomber dans le
vice et d'autre part, maîtriser à premier abord le naturel qui est
en lui sans quoi il lui est difficile d'accéder à l'universel et
au surnaturel où demeure la perfection de la connaissance62(*). Or, pour nous, la perfection
de la connaissance participe à celle de l'être entier
c'est-à-dire au bonheur. Toutefois, le bonheur ne peut se
réduire uniquement à l'auto possession du sujet individuel, car
aussi achevé qu'il soit, l'individu ne peut égaler ni
dépasser l'infinité de l'être en tant qu'être au sens
le plus universel.
b)Par la possession spirituelle de l'univers : ceci
implique que le bonheur qui doit être intégral ne peut pas
concerner seulement la perfection du corps mais aussi il doit s'enraciner dans
la façon du sujet de gérer, par sa raison, le donné
cosmique afin de combler l'homme dans toutes ses dimensions. Dans son
Traité du monde, Aristote soutient que parmi les perfections,
les hommes devraient aussi contempler les réalités les plus
hautes qui sont, pour lui, le monde et tout ce qu'il y a de plus grand dans le
monde car « s'ils les avaient véritablement connues, ils
n'auraient admiré rien d'autre, mais tout le reste leur aurait paru
petit et sans valeur, comparé à l'excellence de ces
réalités »63(*).
Pour Ntima Nkanza s.j., le travail sur le donné
naturel parait comme une évidence mais il est aussi nécessaire
car il conditionne l'homme dans la recherche du bonheur. Une partie de l'effort
de l'homme consistera donc à vouloir exercer la raison en vue de se
soumettre le naturel, de dépasser l'ordre de la nature, de sortir de la
nature domptée pour une culture plus affinée. C'est,
d'après les philosophes, dit Ntima Nkanza, cette capacité de
transformer le naturel en culturel, grâce à la capacité de
rationalisation et de symbolisation qui fonde l'humanité de tout homme,
en tant qu'être dans le monde64(*). Ceci dit, on comprend que le bonheur qui se veut
plénier, concerne aussi, sans s'y limiter, les rapports harmonieux entre
l'homme et la nature par une approche rationnelle.
c)Par l'ouverture à l'autre dans le sens où la
raison s'ouvre à l'universel et ouvre le sujet à la
société de toutes les personnes humaines. C'est en ceci que
consiste toute l'éthique rationnelle de l'altérité. A
part le fait qu'Aristote considère l'homme comme un "animal politique",
il reconnait aussi que "le semblable recherche le semblable"65(*). L'ouverture à l'autre
est nécessité surtout dans la pratique des vertus car, comme le
montre Aristote, « l'homme juste a encore besoin de trouver des
personnes envers qui et avec qui il puisse pratiquer la justice, et il en sera
de même de celui qui est tempérant ou courageux, ou qui
possède telle ou telle autre vertu particulière66(*). Ceci montre l'importance de
l'ouverture à l'autre mais aussi l'insuffisance des vertus morales car
il ne suffit pas d'être juste pour être intégralement
heureux.
En effet, l'homme ne peut pas vivre seul. Avant tout, l'homme
naît et se retrouve déjà dans une communauté
naturelle (la famille, le village). Il n'a pas à la choisir,
à l'affirmer ou à la nier. En plus, il a, toujours en lui, une
tendance naturelle à s'unir à la communauté de ses
semblables, de ses égaux et des fois même à celle de ses
contraires. Qu'il s'agisse de la famille ou de la communauté où
l'homme a choisi de vivre, son rôle est d'y apporter la bienveillance et
la concorde par l'amitié pour un bien commun67(*). Cette relation que l'homme
entretient avec les autres se matérialise dans la prise au
sérieux de la "chose publique", dans l'éthique et dans
l'organisation concrète et commune de la cité comme lieu de notre
"vivre-ensemble". Mais, disons-le à nouveau, le bonheur qui se veux
intégral ne peut se limiter à l'ouverture à l'autre car la
corrélation, l'amitié (comme le dit Aristote), parfaites qu'elles
soient, n'épuisent pas le sens du vrai bonheur, faut-il encore s'ouvrir
à la transcendance.
c)Par la communion spirituelle avec l'Etre Transcendant ou
Dieu. Ici Aristote parle, dans ses propres mots, de la
« participation à la vie des Dieux »68(*). L'homme, pour autant qu'il
rentre en lui-même, expérimente une grandeur qui le
dépasse, l'englobe et devant lequel il prend conscience de sa petitesse
et de sa finitude. Dans cette intériorité, la découverte
est d'une part celle d'un Etre plus grand, infini, englobant, tout puissant,...
et d'autre part celle de la finitude, de la petitesse et des limites
liées à la nature humaine mais avec comme grande richesse, non
seulement de s'ouvrir à cet Etre plus grand mais aussi communier avec
Lui. Communier avec Lui, en cette vie, c'est déjà du domaine de
"la vision des principes"69(*) (du domaine contemplatif). Nous y reviendrons dans un
autre point.
Certains lecteurs d'Aristote considèrent ce dernier
aspect comme le seul moyen de parvenir au bonheur vrai. Aussi faut-il que
ça soit dans la vie de l'au-delà. Pour eux les trois autres
aspects sont moins importants car procurant seulement une simple joie
éphémère et en plus, l'homme ne peut gouter le bonheur en
ce monde à cause des calamités, des maux, ... de la vie
présente. Saint Thomas formule cette objection de deux
manières : il considère en premier lieu le bonheur qu'il
appelle béatitude, comme étant un bien parfait qui se suffit
à lui-même, exclut tout mal et tout désir secondaire. Or,
dit-il, il est impossible de s'écarter de tous les maux de la vie
actuelle. La vie au monde est soumise à beaucoup de maux
inévitables et le désir du bien ne peut être
rassasié en ce monde, car l'homme naturellement, voudrait qu'il
possède un bien toujours permanent. Pourtant les biens de cette vie sont
transitoires tout comme la vie elle-même : ce qui fait
l'impossibilité de la vie heureuse au monde70(*). Il considère, en
second lieu, que la conclusion serait la même si l'on retient que le
bonheur ultime et parfait consiste dans l'unique vision de l'essence divine car
selon lui, aucun homme ne peut atteindre cette vison en ce monde71(*).
Par rapport à cette objection de Saint Thomas,
l'idée d'Aristote est claire : ne peut participer à la
communion spirituelle avec "les Dieux" que l'homme sage. Or, l'homme sage est
celui qui « vit et agit par son intellect et qui le cultive avec
soi » et par voie de conséquence, il est « le mieux
organisé des hommes et le plus cher aux Dieux »72(*). L'homme sage (pratiquant la
vertu) est celui qui est capable de posséder son moi, de s'ouvrir avec
concorde et bienveillance à la communauté de ses semblables, de
conditionner le donné naturel dans l'harmonie de l'univers et enfin,
communier à la vie "des Dieux" comme le sommet, la plénitude et
l'aboutissement de sa vie précédente.
Tandis que Saint Thomas restreint les moyens proposés
par Aristote en un seul : la vision de l'essence divine ; Pierre
Teilhard de Chardin dans ses Réflexions sur le bonheur,
transforme ces moyens et en formule trois règles fondamentales pour
atteindre la vie heureuse. Il s'agit de la centration, de la
décentration et de la surcentration73(*). Ces trois règles
font participer l'homme aux trois degrés superposés du bonheur
parfait, entre autre le bonheur de grandir (être soi-même), le
bonheur d'aimer (s'ouvrir à l'autre) et le bonheur d'adorer (se
dépasser pour un bien plus grand, universel et infini).
Dans sa dimension morale, la voie rationnelle se heurte
à un défis. Celui de l'ambigüité des moyens mis en
oeuvre pour atteindre le bonheur. En utilisant les vertus morales pour devenir
vertueux ou sage et par voie de conséquence arriver au bonheur, l'homme
qui doit emprunter cette voie se heurte souvent à des problèmes
liés aux contingences de la vie terrestre. Cette ambigüité
s'explique, en bref, par le fait qu'on rencontre souvent, dans la vie, un sage
qui, ayant mené correctement sa vie, ayant usé correctement de
son intellect, se heurte à des grandes calamités qui ne soient
pas la conséquence logique de ses actes comme une forte maladie,
l'injustice des vulgaires, etc. Et que, par contre, le vulgaire avec toutes ses
inclinations que nous ne voulons plus décliner ici, se gave de tant de
biens et de plaisirs, de bonne santé, d'une forte fortune, ... qui ne
sont pas, non plus, la conséquence logique de ses actes blâmables.
C'est en ceci que l'argument de ceux qui disent que le bonheur est impossible
dans cette vie, trouve sa force. Mais Aristote trouve une réponse juste
à cette confusion et réaffirme que dans le cas d'une telle
ambigüité, où le sage n'est qu'à son épreuve
le plus dur, « il prendra la vertu pour guide de sa conduite et sa
vie sera toujours heureuse »74(*).
Choisir la vertu comme guide, c'est vivre avec
tempérance, courage et sagesse même quand on est dépourvu
des biens extérieurs comme la fortune, la justice ou même quand on
n'est pas en bonne santé physique75(*). Au contraire, le vulgaire, lui, se satisfaisant de
la jouissance éphémère et des fortunes qui ne sont pas
fruit de l'agir vrai, se perd dans cette multiplicité ; il se
dissipe et devient incapable de participer à la vision et à la
communion spirituelle avec Dieu. Après avoir parlé largement de
la voie rationnelle du bonheur dans sa dimension pratique (portant sur les
vertus morales), parlons maintenant de la voie rationnelle dans sa dimension
théorétique.
III.2.2. La voie rationnelle
dans sa dimension théorétique
Nous venons de montrer dans le point
précédent que la partie pratique de la vie rationnelle est
complexe, et si nous nous en tenons à Aristote seulement, aucune partie
de cette complexité ne se suffit à soi-même, ni ne suffit
elle-même à procurer un bonheur parfait. Et, c'est pour cela que
la dimension pratique doit aussi être complétée par la
dimension théorétique ou contemplative (champs de
prédilection d'Aristote lorsqu'il parle du bonheur). Ayant
déjà parlé de la contemplation partiellement dans le
premier chapitre, en la situant par rapport aux biens que recherche l'homme, il
reste seulement d'indiquer certaines manières concrètes
d'appliquer cette voie, c'est-à-dire la manière de l'utiliser
comme voie du bonheur.
La contemplation étant une activité
théorétique, il importe avant tout de faire le choix de la raison
comme directrice en mettant, bien sûr, en jeu les principes d'une telle
activité tels que relevés dans notre deuxième
chapitre76(*). Bien que
l'exercice de la raison est présenté par Aristote et beaucoup
d'autres philosophes comme la condition de la satisfaction et de la
plénitude77(*), il
reste que l'homme est cet animal raisonnable, dont la rationalité est
précisément de l'ordre de la tâche, de la conquête et
non du fait de la donnée immédiate. L'homme n'est pas tant
raisonnable mais doit le devenir par un choix décisif. C'est dans sa
partie d'irrationalité qu'il arrive à s'égarer. Disons, en
bref, que la raison est bien la voie du bonheur, et sa condition de
possibilité, mais encore faut-il que l'homme fasse choix de la raison
pour accéder au bonheur.
Un tel choix fait au préalable, ouvre le champ de
l'esprit et emporte l'homme dans son intellection la plus pure, lui permettant
« d'avoir l'intelligence des choses vraiment belles et
divines »78(*).
L'objet d'une telle activité est de découvrir "ce qu'est" la
chose désirée c'est-à-dire son essence. C'est ce que Saint
Thomas appelle la vision de l'essence des choses79(*). Cette activité,
étant la plus parfaite des activités de l'homme, elle vise aussi
la vision de l'essence la plus haute : celle de Dieu, car permanente, et
ramène à la perfection les essences individuelles80(*).
L'importance de l'activité contemplative s'observe
dans le fait que l'homme qui s'y donne devient de plus en plus sage, et de
mieux à mieux encore il s'y consacre et s'y abandonne comme étant
le lieu de son être profond81(*). C'est l'essence parfaite ou l'"essence divine" qui
perfectionne l'essence individuelle et la réalise. C'est là, s'il
faut se répéter, la communion spirituelle avec Dieu. Car il ne
s'agit pas d'une possession inopinée du sujet mais la participation
libre à la vie divine pour que ce qu'il y a de plus divin en l'homme
puisse être perfectionné82(*).
Un autre aspect de l'activité
théorétique est la permanence. L'exercice de l'activité
théorétique est celle qui produit les plaisirs les plus
charmants, qui plaisent à l'esprit à cause de leur pureté
et de leur certitude, nous dit Aristote. Ce qui fait que l'admiration de tels
plaisirs doit être permanente. Sans cette permanence, ils perdraient leur
estime des plaisirs supérieurs. Aristote insiste sur la permanence dans
cette activité comme dernière condition de possibilité
car, selon lui, toutes les autres conditions83(*) qu'on attribue d'ordinaire au bonheur se trouvent
déjà dans cette activité. Ce qui fera d'elle un bonheur
réellement parfait, c'est cette dernière condition :
« qu'elle remplisse l'étendue entière de la vie de
l'homme ; car aucune des conditions qui se rattachent au bonheur ne peut
être incomplète »84(*). Ces conditions du bonheur dans la vie contemplative
nous ramène à dire encore, comme nous l'avons dit dans le point
précédent, que le bonheur aristotélicien est
intégral car il n'obéit à aucune structure
incomplète.
Mais la contemplation, telle que décrite par Aristote,
est-elle réellement possible dans les limites des forces et des
capacités humaines ? Justement, Aristote répond
lui-même à cette inquiétude. L'homme, dit-il, est capable
d'une telle activité « non seulement en tant qu'il est homme
mais surtout en tant qu'il a en lui quelque chose de divin »85(*). Ce "quelque chose de divin"
est l'intellect ; il donne à l'homme sa nature en le distinguant
des animaux mais aussi il porte l'homme à une puissance
supérieure à son humanité. Ainsi donc, pour Aristote,
« si l'intellect est quelque chose de divin par rapport au reste de
l'homme, la vie selon l'intellect est une vie divine par rapport à la
vie ordinaire de l'humanité »86(*).
L'autre réponse à cette inquiétude est
une invitation à lever toute naïveté, toute peur, tout
pessimisme qui ferait croire que l'homme ne peut songer qu'à des choses
humaines, que l'être mortel ne peut songer qu'à des choses
mortelles comme lui. Il faut plutôt que « l'homme s'immortalise
autant que possible ; il faut qu'il fasse tout pour vivre selon le
principe le plus noble de tous ceux qui le composent »87(*) c'est-à-dire
l'intellect. La vie la plus heureuse que l'homme puisse mener reste donc la vie
contemplative.
Conclusion partielle
Ce chapitre nous a aidé à
comprendre que les inquiétudes nées du désir du bonheur,
ne doivent pas nous étouffer. Les réponses d'Aristote à
ces inquiétudes nous assurent que le bonheur est possible, il n'est pas
du tout utopique. En plus, l'homme peut être heureux en cette vie pourvu
que ce bonheur soit permanent, qu'il s'étende sur toute la durée
de la vie humaine et celle de l'au-delà.
En ce qui concerne la voie qui mène au bonheur, point
central de ce chapitre, nous avons découvert qu'elle est, sans doute,
rationnelle. La voie rationnelle permet d'atteindre un bonheur intégral
car touchant toutes les dimensions de la vie humaine. Pour l'appliquer, il
faut au préalable faire le choix de la raison. Ensuite, dans l'aspect
pratique ou moral de cette voie, l'homme peut arriver au bonheur, à la
fois, par la connaissance de soi, par la possession spirituelle de l'univers,
par l'ouverture à l'autre avec bienveillance et concorde et par la
communion spirituelle avec Dieu c'est-à-dire la participation à
la vie divine.
Dans sa dimension théorétique ou contemplative,
la voie rationnelle permet de découvrir l'essence divine et cette
dernière étant parfaite perfectionne l'essence individuelle.
Cette voie fait participer l'homme à la vie divine à travers
l'intellect que Aristote considère comme la chose la plus noble et la
plus divine qui soit dans la nature humaine et par conséquent la vie
selon l'intellect est la plus heureuse.
CONLUSION GENERALE
Notre travail, comme on le voit dans son
aboutissement, a consisté à montrer que le bonheur humain, selon
Aristote, trouve son fondement dans la rationalité. Le bonheur, en tant
qu'il concerne tout l'homme et tout homme, suscite beaucoup de questions. Mais,
dès la conception de notre sujet, notre questionnement s'est
articulé autour de trois inquiétudes : le bonheur est-il le
bien suprême ? Quels sont les principes qui régissent
l'activité rationnelle ? Quelle est la voie efficace pour atteindre
le bonheur ?
Ces questions englobent tout notre travail et pour y
répondre nous avions fait recourt à la méthode
déductive. Cette déduction nous a permit d'aborder notre travail
à partir de deux prémisses. La première prémisse
considère que le bonheur est la fin de tout acte humain. Ici, le bonheur
est pris comme un bien ; pas n'importe quel bien mais un bien
suprême. C'est cette possibilité de classer le bonheur parmi les
multiples biens que recherchent les hommes qui prête à confusion
dans l'identification du vrai bonheur. C'est pourquoi, pour dissiper toute
évidence qui aveugle la vision de la morale humaine, nous avons
classé les biens dans un ordre hiérarchique dit naturel. Il
semble que cet ordre se retrouve toujours dans toute société.
Dans toute société, comme nous l'a
montré Aristote, la valeur du bien est perçue, conçue, et
appréciée selon les genres de vie qu'on mène. Aristote
distingue trois genres de vie : la vie de jouissance matérielle, la
vie politique et active et la vie théorétique ou contemplative.
Le bien dans la vie de jouissance matérielle se rapporte aux plaisirs du
corps. Ces plaisirs sont des besoins du corps humain et animal. Les honneurs et
la gloire semblent être les biens de la vie politique et active. Mais
ces biens sont utiles pour un bien supérieur et sont des
déviations de l'idéal d'une vie politique et active vraies. Ces
deux types de biens, nous l'avons vu, sont de valeurs différentes car
le bien de la vie active est supérieur à celui des jouissances
matérielles mais ne sont pas le bien par excellence. Le souverain bien,
c'est l'activité contemplative qui, différemment de deux autres
types des biens, se suffit à lui-même et est conforme à la
vertu la plus haute. Nous comprenons par là que le premier bien est
indigne à la nature humaine et le second est insuffisant qu'il faut
atteindre le troisième comme bien par excellence.
La deuxième prémisse veut justement nous
éclairer sur les principes de l'activité rationnelle. Pour
déterminer une activité rationnelle, nous avons découvert
qu'elle est fondée sur deux principes fondamentaux associés
à deux autres secondaires permettant de fonder solidement une telle
activité. La volonté comme premier principe fondamental de
l'activité rationnelle est un processus qui regorge plusieurs fonctions
au cours de cette activité. Il s'agit de la conception du plan, de la
délibération, de la décision réfléchie et de
l'exécution totale du projet. La volonté sert, en plus, à
éclairer l'homme sur l'idée du bien (en parlant du bien et du
mal). Le deuxième principe fondamental de l'activité rationnelle
est la liberté. Elle est la condition sine qua non pour que
toute action humaine soit dite vertueuse et revête une autre valeur
morale. La norme morale et la conscience morale sont les deux autres principes
de l'activité rationnelle. Comme principes, ils sont secondaires mais
importants dans toute vie morale collective ou individuelle.
Déduire de ces deux prémisses que le fondement
du bonheur c'est la rationalité nous a conduit à démontrer
dans le troisième chapitre, en quoi la voie rationnelle peut conduire
efficacement à ce bonheur. Reconnaître en cette partie que le
bonheur n'est pas utopique est un atout par rapport à
l'inquiétude existentielle qui est de toujours chez l'homme. La voie
rationnelle permet d'atteindre un bonheur qui est, selon notre entendement,
intégral parce qu'il concerne toutes les dimensions de la vie humaine.
Il faut, au préalable, pour appliquer cette voie, faire le choix de la
raison. C'est ainsi que dans sa dimension pratique, la voie rationnelle
permet d'atteindre le bonheur par la connaissance de soi, par la possession
spirituelle de l'univers, par l'ouverture à l'autre et par la communion
spirituelle avec Dieu. En plus, la voie rationnelle permet, dans sa dimension
purement contemplative, de découvrir l'essence divine qui, par ce fait
même, perfectionne l'essence individuelle du contemplatif.
Avec ces résultats, nous pensons avoir répondu
à notre problématique et démontré les
éventuelles hypothèses soulevées au début de notre
travail. Toutefois, il est possible que notre langage soit incapable d'exprimer
parfaitement ce que nous pensons avoir compris de l'auteur. En outre, notre
réflexion, exprimée dans ce travail, ne peut se réclamer
d'aucune exhaustivité ; elle n'est pas non plus unique. Nous
apercevons de loin d'autres champs de travail qui élargiraient notre
sujet comme parler du bonheur selon la morale chrétienne.
BIBLIOGRAPHIE
I. Ouvrages de l'auteur
V ARISTOTE, Ethique à Nicomaque. Trad. J.
Barthélemy st Hilaire, Librairie générale
française, Paris, 1992.
v --------------, Traité du ciel. Suivi du
traité pseudo-aristotélicien du monde. Trad. J. Tricot, J.
vrin, Paris, 1998.
v --------------, Ethique à Eudème, trad. E.
Lavielle, Pocket, Paris, 1999.
II. Ouvrages sur l'auteur
v THURIOT Jean-Françoist, Le bonheur avec Aristote.
Ethique à Nicomaque livre I, II et X, Ed. Equateurs, Paris,
2011.
III. Ouvrages divers
v BENTHAM Jeremy, Introduction aux principes de morale et de
législation, J. Vrin, Paris, 2011.
v D'AQUIN Thomas, Somme théologique, Cerf, Paris,
1997.
v DE CHARDIN Pierre Teilhard, Réflexions sur le
bonheur. Inédits et témoignages, Seuil, Paris, 1960.
v KANT Emmanuel, Fondement de la métaphysique des
moeurs, trad. V. Deblos, J. vrin, paris, 2004.
v GUERIN Pierre, Platon ou l'action
différée, Publications de l'Ecole Moderne Française,
Paris, 1989.
v HEISENBERG Werner, La nature dans la physique
contemporaine, traduit de l'allemand par Ugné Karvelis, Gallimard,
Paris, 1962.
v HUME David, Réflexions sur les passions, trad.
Michel MEYER, Librairie générale française, Paris,
1990.
v LEONARD André, Fondement de la morale.
Essai d'éthique philosophique générale, cerf,
Paris, 1991.
v MURY Gilbert et ORIOL Timmy, L'action. Traité de
philosophie, Librairie Marcel Didier, Paris, 1964.
v PLATON, La République, trad. par R.
BACCON , Flammarion, Paris, 1996.
v SPINOZA Baruch, L'Ethique, trad. par Roland Caillois,
Gallimard, Paris, 1954.
v VAYSSE Jean-Marie, Le vocabulaire de Kant, collection
vocabulaire de..., dir. Jean Pierre Zarader, Ellipses, Paris, 1998.
IV. Dictionnaires et Encyclopédies
v CANTO-SPERBER Monique (dir.), Dictionnaire d'Ethique et
de Philosophie morale, T1, Quadrige, Paris, 2004.
v LALANDE André, Vocabulaire technique et critique
de la philosophie, vol. 2, N-Z, Quadrige, Paris, 1999.
v LE GRAND Gérard, Dictionnaire de Philosophie,
Bordas, Paris, 1983.
V. Articles et Revues
v Ntima Nkanza s.j., « La quête du divin en
Afrique : autopsie d'une crise et grille de lecture », in
Journal Philosophique Canisius, Du 28 au 31 mars 2007.
VI. webographie
v Thomas d'Aquin, Somme contre les gentils,(
III, CXLI), consulté sur : http://www. livres-
mystiques.com le 06 janvier 2015 à 20h15'.
v
http://julien.dutant.free.fr/L6PH001U_2005/L6PH001U_TD_2_cours.pdf
v http://www.keepschool.com/cours-fiche
aristote_le_bonheur_et_la_vertu.
TABLE DE MATIERE
EPIGRAPHES
2
DEDICACE
3
REMERCIEMENTS
4
IN MEMORIAM
5
INTRODUCTION GENERALE
6
CHAPITRE PREMIER : DE L'ORDRE NATUREL DES
BIENS
10
Préambule
10
I. 1. LA NOTION DU BIEN CHEZ ARISTOTE
11
I.1. 1. La jouissance matérielle
13
I. 1.2. La gloire et les honneurs
15
I.1.3. La contemplation
17
I.2. LA VERTU COMME SOURCE DU BIEN EN SOI
19
Conclusion partielle
20
CHAPITRE DEUXIEME : LES PRINCIPES DE
L'ACTIVITE RATIONNELLE
21
Préambule
21
II.1. LA VOLONTE
22
II.1.1. La conception du plan d'une activité
rationnelle
25
II.1.2. La délibération
25
II.1.3. La décision
26
II.1.4. L'exécution de l'activité
rationnelle
26
II.1.5. La volonté et l'idée du
bien
27
II.2. LA LIBERTE MORALE
29
II.2.1. La liberté et la norme morale
30
II.2.2.Liberté et conscience personnelle
32
Conclusion partielle
33
CHAPITRE TROISIEME : LA VOIE RATIONNELLE DU
BONHEUR
35
Préambule
35
III.1. Le désir du bonheur et
l'inquiétude existentielle
36
III.2. La voie rationnelle pour un bonheur
intégral
38
III.2.1. La voie rationnelle dans sa dimension
pratique
38
III.2.2. La voie rationnelle dans sa dimension
théorétique
43
Conclusion partielle
46
CONLUSION GENERALE
47
BIBLIOGRAPHIE
50
TABLE DE MATIERE
52
* 1 Nous trouvons la biographie
d'Aristote sous plusieurs formes avec certaines dates approximatives. Nous
avons pris en compte la biographie qui nous est donnée par J.
Barthélemy SAINT-HILAIRE à la fin de Ethique à
Nicomaque qu'il a traduit dans l'édition de 1992.
* *George Edward MOORE est un philosophe
anglais (1873-1958) qui, dans son principia éthica, montre que
le bien a un caractère indéfinissable au sens classique, on ne
sait exprimer sa définition dans des mots mais il est toujours pris
comme une propriété, une valeur ou un caractère des
faits.
2 A. Lalande, Vocabulaire technique et critique
de la philosophie, PUF, Paris, 1999, p. 112.
* 3 Aristote, Ethique
à Nicomaque. Trad. J. Barthélemy st Hilaire, Librairie
Générale Française, Paris, 1992, p.34.
* 4 Aristote, op.
cit.,p. 36.
* 5 Thomas d'Aquin, Somme
théologique,( Ia, IIae, Q1, art. 6, réponse), Cerf,
Paris, 1997, p.21.
* 6 Thomas d'Aquin, Somme
contre les gentils,( III, CXLI), consulté sur :
http://www.livres- mystiques.com le 06 janvier 2015 à
20h15'.
* 7 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.40.
* 8 Jeremy BENTHAM,
Introduction aux principes de morale et de législation, J.
Vrin, Paris, 2011, p.25.
* 9 Monique CANTO-SPERBER
(dir.), Dictionnaire d'Ethique et de Philosophie morale, T1, Quadrige,
Paris, 2004, p.205.
* 10 Jean-François
Thuriot, Le bonheur avec Aristote. Ethique à Nicomaque livre I,
II et X, Ed. Equateurs, Paris, 2011, pp. 18-19. *Sardanapale est un roi
légendaire d'Assyrie qui incarnait, dans l'imaginaire grec, le style de
vie fondé sur la passion et les plaisirs des sens. Note donnée
par Alfredo GOMEZ-MULLER dans Ethique à Nicomaque. Trad. J.
Barthélemy st Hilaire, LGF, Paris, 1999, p. 42.
* 11 Pour Platon
« ceux qui n'ont point l'expérience de la sagesse et de la
vertu, qui sont toujours dans les festins et les plaisirs semblables, sont
portés, ce semble, dans la basse région, puis dans la moyenne, et
errent de la sorte toute leur vie durant ; ils ne montent point plus
haut ; jamais ils n'ont vu les hauteurs véritables, jamais ils n'y
ont été portés, jamais ils n'ont été
réellement remplis de l'être et n'ont goûté de
plaisir solide et pur. A la façon des bêtes, les yeux
tournés vers le bas, la tête penchée vers la terre et vers
la table, ils paissent à l'engrais et s'accouplent ; et, pour avoir
la plus grosse portion de ces jouissances, ils rient, se battent à coups
de cornes et de sabots de fer, et s'entre-tuent dans la fureur de leur
appétit insatiable, parce qu'ils n'ont point rempli de choses
réelles la partie réelle et étanche
d'eux-mêmes » cfr. La République, IX, 586
a.
* 12 David HUME,
Réflexions sur les passions, trad. Michel MEYER, Librairie
générale française, Paris, 1990, p.33.
* 13David HUME, op.cit.,
p.34. Sur la page suivante, M. MEYER montre que « la passion nous
empêche de voir jusqu'à la passion elle-même, il
s'avère impossible de la surmonter, puisqu'on en a même pas
conscience. ... Elle [la passion] a ceci de particulier qu'elle se rend
elle-même inconsciente en ce qu'elle est le lieu où la conscience,
paradoxalement, s'absorbe dans les objets extérieurs et sensibles, pour
s'oublier, en quelque sorte », ce qui veut dire que la
passion anesthésie la conscience.
* 14 Pierre GUERIN,
Platon ou l'action différée, Publications de l'Ecole
Moderne Française, Paris, 1989, p.20.
* 15 Thomas d'Aquin,
somme Théologique, op.cit.,( Ia, IIae, Q2, art. 1-8),
pp.24-32.
* 16 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op. cit. p. 74.
* 17 André
LALANDE, op.cit., pp. 112-113.
* 18 Aristote, Ethique
à Eudème, trad. E. Lavielle, Pocket, Paris, 1999, p.
36.
* 19 Thomas d'Aquin,
Somme contre les gentils, op. cit. (I, LXXII).
* 20 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op. cit. p. 77.
* 21 Idem p.21.
* 22 Aristote, Ethique
à Eudème, op.cit., pp.418-419.
* 23 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op. cit. p.420.
* *Werner Heisenberg, La nature
dans la physique contemporaine, traduit de l'allemand par Ugné
Karvelis, Gallimard, Paris, 19962, p.172.
24 Aristote, Ethique à Nicomaque.
Op.cit. p.70.
* 25 A. Lalande,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, vol. 2, N-Z,
Quadrige, Paris, 1999, p. 1218.
* 26 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.106. Les mots volontaire et involontaire
avec Aristote, ne sont pas encore des mots techniques comme ils
véhiculent toute une philosophie aujourd'hui (celle de la
volonté). Ils ont plutôt des sens précis et
limités : « agir de son plein droit, faire ou ne pas
faire exprès, agir ou ne pas agir de bon coeur, être ou ne pas
être responsable de son acte ».
* 27 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.106.
* 28 Idem, p.
112.
* 29Idem, p. 106 et
p. 112.
* 30 Idem,
p.117.
* 31 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit p.113.
* 32 Idem, pp.
116-117.
* 33 Gilbert MURY et Timmy
ORIOL, L'action. Traité de philosophie, Librairie Marcel
Didier, Paris, 1964, p.176.
* 34Idem, p.176.
* 35 Ibidem.
* 36 Gilbert MURY et Timmy
ORIOL, op.cit. p. 176.
* 37 Jean-François
Thuriot, op.cit., p.67.
* 38 Gilbert MURY et Timmy
ORIOL, op. cit. p. 176.
* 39 Idem,
p.177.
* 40 Jean-François
Thuriot, op.cit., p. 105.
* 41 Gilbert MURY et Timmy
ORIOL, op. cit. p.183.
* 42 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op. cit., pp.42-43.
* 43 Idem,
p.124.
* 44 Baruch SPINOZA,
L'Ethique, traduit par Roland Caillois, Gallimard, Paris, 1954,
p.272.
* 45 Gérard le Grand,
Dictionnaire de Philosophie, Bordas, Paris, 1983, p.158.
* 46 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op. cit. p. 123.
* 47Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.122.
* 48 Jean-François
Thuriot, op.cit., p. 106.
* 49 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op. cit., p.122.
* 50 Jean-Marie VAYSSE,
Le vocabulaire de Kant, collection vocabulaire de..., dir. Jean Pierre
Zarader, Ellipses, Paris, 1998, p.33.
* 51 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit. p.70.
* 52 Gilbert MURY et Timmy
ORIOL, op.cit. p.412.
* 53 Gilbert MURY et Timmy
ORIOL, op.cit. pp.413-414.
* 54 E. Kant, Fondement
de la métaphysique des moeurs, trad. V. Deblos, J. Vrin, paris,
2004, p.90.
* 55 Saint Thomas d'Aquin,
Somme théologique, op.cit.( Ia, IIae, Q1, art. 2,
objection), p.17.
* 56 André
Léonard, Fondement de la morale. Essai d'éthique
philosophique générale, cerf, Paris, 1991, p. 332.
* 57 Idem,
p.334.
* 58 Saint Thomas d'Aquin,
Somme théologique, op.cit., ( Ia, IIae, Q5,
art. 1, réponse), p.51.
* 59 J. F. Thuriot,
op.cit., p.1O9.
* 60 Saint Thomas
d'Aquin, Somme théologique, op.cit., ( Ia, IIae,Q5,
art.3, réponse), pp.52-53.
* 61 André
Léonard, op. cit, p.349.
* 62 Aristote, Ethique
à Eudème, op.cit., pp.259-260.
* 63 Aristote,
Traité du ciel. Suivi du traité pseudo-aristotélicien
du monde. Trad. J. Tricot, J. vrin, Paris, 1998, p. 180. Aristote ajoute
à ce sujet que, se préoccuper du caractère divin des
grands dons de notre entourage, leur nature, leur position et leur mouvement
n'a rien de vil dans la réflexion humaine.
* 64Ntima Nkanza s.j.,
« La quête du divin en Afrique : autopsie d'une crise et grille
de lecture », in Journal Philosophique Canisius,
Du 28 au 31 mars 2007, p.134.
* 65 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.320.
* 66 Jean-François
THURIOT, op. cit., p.108.
* 67 Aristote, Ethique
à Eudème, op. cit., p.133.
* 68 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.424.
* 69Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.424.
* 70 Saint Thomas d'Aquin,
Somme théologique, op.cit. ( Ia, IIae, Q5, art. 3,
réponse), p.53.
* 71 Idem. A cette
deuxième considération, Saint Thomas présente le Christ
comme une exception de la règle. Pour le Christ, l'humanité
subsiste en la personne du Verbe : car il a possédé la
vision de l'essence divine de manière constante tout en menant une vie
pleinement humaine.
* 72 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op. cit., p.426.
* 73 La première
règle est l'effort de centration. Elle est un effort d'unification de
soi-même, au coeur de soi-même. Le bonheur étant un effet de
croissance, l'homme pour être heureux, doit parvenir, avant tout,
à réagir contre le moindre effort qui le porterait à la
paresse ou à se dissiper dans les agitations extérieures en
quête du renouvellement de la vie. Bien qu'il y ait des
réalités tangibles qui entourent la vie de l'homme et le
bousculent, il faut pousser encore ses racines dans le fond de soi-même.
C'est de tout un travail de perfection intérieure permanent et lucide
que le bonheur provient.
Ensuite, la deuxième règle du bonheur consiste
à fournir un certain effort de décentration. Effort qui consiste
à réagir contre tout égoïsme qui renferme sur soi et
pousse à réduire les autres à la domination. C'est la
lutte constante contre cet amour mauvais et stérile, (cherchant à
posséder l'autre au lieu de se donner), qui permettra une bonne
décentration. C'est donc un grand effort à fournir pour
sortir de soi, s'unir à la communauté des semblables et des
opposés, pour un surcroit du bonheur du "vivre-ensemble".
La troisième règle, enfin, est la subordination
de la vie individuelle à une vie plus grande. Cette règle est,
selon Teilhard, un effort de surcentration qui consiste à
transporter l'intérêt final de l'existence humaine individuelle
dans la marche et le succès du monde plus grand (c'est-à-dire
dans la tendance vers le Transcendant). Cette règle boucle le mouvement
ascensionnel de la vie et dans leur ensemble, ces trois règles font
participer l'homme aux trois degrés superposés du bonheur
parfait, entre autre le bonheur de grandir (être soi-même), le
bonheur d'aimer (s'ouvrir à l'autre) et le bonheur d'adorer (se
dépasser pour un bien plus grand, universel et infini). Cfr. Pierre
Teilhard de Chardin, Réflexions sur le bonheur. Inédits
et témoignages, Seuil, Paris, 1960, pp.66-70.
* 74 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op. cit., p.425.
* 75Idem, p.426.
* 76 Il s'agit des principes
fondamentaux de l'activité rationnelle qui sont la volonté, la
liberté, la norme morale et la conscience personnelle.
* 77 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.57. Nous considérons ici, la
définition selon laquelle le bonheur est l'activité de
l'âme conforme à la raison.
* 78 Idem,
p.146.
* 79 Saint Thomas, Somme
théologique, op. cit., ( Ia, IIae, Q3, art. 8,
réponse), p.41.
* 80 Idem.
* 81 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.417.
* 82Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p. 146. Le bonheur ainsi accessible,
peut être par analogie la béatitude absolument parfaite dont nous
savons, par la révélation, qu'elle est notre seule vocation
première. Car le Christianisme, nous expliquant l'histoire du salut,
nous présente l'homme comme ayant un désir naturel de Dieu, mais
ce dernier se révèle à lui et le réalise.
* 83 Les deux
premières conditions des du bonheur sont : la suffisance à
soi et la production d'un plaisir supérieur.
* 84 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.419.
* 85 Idem.
* 86Ibidem.
* 87 Aristote, Ethique
à Nicomaque, op.cit., p.420.
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