Cour pénale internationale face au défi de la coopération des états dans la répression des crimes de guerre et crimes contre l'humanité: cas ntaganda et cas nkunda( Télécharger le fichier original )par Mussa Arsène Mbenge Luliba Université de Goma "UNIGOM" - Licence 2015 |
a. L'interprétation du statut de Rome à la lumière de la convention sur le droit des traitésLe statut de Rome est un traité international. Il convient donc de l'interpréter selon les règles de la convention de vienne sur le droit des traités de 1969. C'est d'ailleurs ce qu'a fait la cour dès ses premières décisions, la chambre d'appel soulignant le rôle de guide des règles de la convention de vienne. Ces règles, de caractère largement coutumier, ont été codifiées aux articles 31 à 33 de ladite convention. Ainsi, « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et son but » (article 31 (1)). Cette interprétation de bonne foi est le principe cardinal en la matière. Le texte du statut est indispensable de son contexte et à ses annexes, ainsi qu'à tout instrument ayant rapport au traité (article 31 (20)). Parallèlement au contexte, l'interprète doit également tenir compte de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions, de toute pratique ultérieurement suivi dans l'application du traité par laquelle est établie l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité, et de toutes règles pertinentes de droit international applicables dans les relations entre les parties (article 31 (3))37(*). b. L'interprétation des règles du droit international pénalLe statut de Rome n'est définitivement pas un traité international comme les autres. Tout d'abord, il est un texte de codification complexe d'une branche nouvelle du droit international. Ensuite, il convient de toujours garder à l'esprit le caractère particulier des normes pénales tout au long de son processus d'interprétation. Enfin, il requiert d'appliquer certaines règles particulières posées par le statut de Rome lui-même. Pour ce faire, la jurisprudence des TPIY et TPIR sera intéressante, même si la nature juridique de leurs instruments fondateurs est très différente de celle d'un traité international. Son analyse sera utile à la détermination d'une pratique de l'interprétation du droit international pénal en général, plus qu'à des règles directement applicables à l'interprétation du statut de Rome. §1. STATUT DE ROME ARTICLE 8 APPROCHE INTEGREE ET COMPLEMENTARITEL'élaboration puis l'adoption du statut de Rome, et de son article 8 en particulier, doivent être considérées comme une avancée très importante dans la mise en oeuvre d'un système efficace de prévention et de répression des violations graves du droit international humanitaire (DIH) et autres normes connexes. Tout d'abord, l'article 8 du statut de Rome, qui reprend la plupart des dispositions des conventions de Genève et du protocole additionnel relatives aux « infractions graves », dresse la liste de crimes de guerre la plus exhaustive qui soit ; en outre, les définitions des crimes sont suffisamment claires et détaillées pour être utilisées telles quelles sont par une cour de justice nationale ou internationale, sans modifications ni amendements majeurs. Comme indiqué plus haut, cette caractéristique fait que les crimes visés par le statut sont relativement simples à « incorporer » dans les législations nationales38(*). A ce propos, les dispositions relatives aux conflits armés non internationaux méritent d'être saluées tout particulièrement. Jusqu'à un passé récent, le droit international ne prévoyait pas de responsabilité pénale individuelle pour les violations graves du DIH commises lors de conflits à caractère non international. Elles étaient parfois sanctionnées en application des dispositions prévues par les codes pénaux nationaux pour réprimer les crimes de droit commun (meurtre, viol, torture, notamment), avec les inconvénients déjà relevés, ou sur la base de définitions ad hoc de crimes de guerre adoptées par tout simplement impunies. Bien que l'article 8 du statut de Rome ne soit pas la première disposition de droit international à s'appliquer aussi aux conflits armés non internationaux, c'est indiscutablement la première à le faire de manière aussi détaillée. De plus, il faut garder à l'esprit qu'à la conférence de Rome, l'article 8 a fait l'objet d'importantes négociations entre plus de 120 Etats39(*). Ceux-ci sont convenus de n'inclure dans la liste des crimes que les actes susceptibles d'être considérés comme illicites au titre du droit coutumier, et dont la commission entrainait déjà la responsabilité pénale de leurs auteurs. L'article 8 présente toutefois un certain nombre de limitations. Au-delà de ses aspects positifs, il ne reflète pas de manière exhaustive le DIH applicable aux violations graves de ce droit. Il comporte en effet d'importantes lacunes, dont certaines sont la conséquence inévitable des abondantes négociations et des compromis politiques dont a été le théâtre, la conférence de Rome, alors que d'autres sont des omissions dues à l'objet même du traité, qui se veut un texte à l'usage d'un tribunal pénal international. S'agissant des dispositions qui régissent les conflits armés internationaux, la première omission qu'il convient de relever a trait à certaines infractions graves qui n'ont pas été incorporées dans le statut, bien qu'elles figurent dans le protocole additionnel I et que l'on puisse affirmer qu'elles font déjà partie du droit coutumier. Il s'agit notamment des attaques délibérées contre des ouvrages ou des installations contenant des forces dangereuses40(*), du retard délibéré et injustifié dans le rapatriement des prisonniers de guerre ou des civils, et des pratiques de l'apartheid et autres pratiques inhumaines et dégradantes fondées sur la discrimination raciale41(*). La deuxième omission importante concerne les méthodes et moyens de guerre, en particulier l'annexe dont il est fait mention à l'article 8(2) (b), sous-alinéa xx), qui était censée contenir une liste des armes interdites mais n'a finalement pas vu le jour, que ce soit pendant la conférence ou par la suite. Il avait été convenu que deux conditions étaient nécessaires pour que des armes figurent dans cette annexe, comme mentionné dans le sous-alinéa concerné : premièrement, que les armes, projectiles, matières et méthodes de guerre soient de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles, ou à frapper sans discrimination, et deuxièmement, qu'ils fassent l'objet d'une « interdiction générale ». Aujourd'hui, seul l'emploi de position, d'armes empoisonnées, de gaz toxiques et de balles dum-dum est interdit au titre du statut. Il n'a pas été tenu compte du tout d'autres armes reconnues comme absolument interdites par le droit coutumier, telles que les balles explosives, les éclats non localisables et les armes à laser spécifiquement conçues pour provoquer une cécité permanente, ni d'armes dont l'usage est interdit en certaines circonstances, telles que les pièges, les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions. S'agissant des dispositions qui régissent les conflits armés non internationaux, bien que l'article 8 énumère un nombre considérable de crimes dont il convient de saluer la reconnaissance du caractère répréhensible dans un instrument aussi important que le statut de Rome, les omissions sont également importantes. Deux paragraphes dressent une liste des crimes de guerre relevant de cette catégorie de conflits : le premier fait référence aux violations graves de l'article 3 communs aux quatre conventions de Genève42(*), tandis que le second donne une liste d' « autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, dans le cadre établi du droit international », les sous-alinéas qui suivent, cependant, n'incluent que partiellement, lorsqu'ils ne les omettent pas totalement, les crimes figurant déjà dans plusieurs traités de DIH applicables aux conflits armés non internationaux et déjà considérés également comme relevant du droit international coutumier. Le fait que certains crimes de guerre soient spécifiés à l'article 8 (2) (b) concernant les contextes de conflit armé international et soient passés sous silence dans les alinéas concernant les conflits armés non internationaux a soulevé la question de savoir pourquoi les Etats devraient se plier à ces interdictions lorsqu'ils combattent des troupes étrangères, mais pas lorsqu'ils sont en conflit avec leurs propres citoyens, les victimes devraient pouvoir jouir du même niveau de protection et d'assistance dans tous les conflits, car ce qui est inhumain et par conséquent, interdit dans les conflits internationaux, ne peut pas être considéré comme humain et admissible dans les conflits civils. En outre, les dispositions relatives à la conduite des hostilités ont été limitées au minimum. Beaucoup de méthodes et moyens de guerre déjà considérés comme interdits dans les conflits armés, telles sont les attaques menées sans discrimination, il y a la famine qui se présente comme moyen de guerre contre des civils ou les attaques contre des biens civils, ont eux aussi été omis. Enfin, jusqu'à la première conférence de révision du statut de Rome de la CPI, celui-ci ne comportait pas de dispositions concernant les armes dont l'interdiction avait été admise comme s'appliquant à tous les conflits. Il faut se réjouir du choix fait par les Etats à Kampala d'amender le statut pour ajouter aux dispositions relatives aux conflits armés internes l'interdiction de l'emploi de balles qui s'épanouissent ou s'aplatissent facilement dans le corps humain. Autres limitations. Pour ce qui est des autres limitations du statut dans l'optique d'un système efficace de prévention et de répression des violations graves du DIH, la première est qu'il n'impose pas expressément aux Etats parties d'inclure dans leur système juridique interne les crimes figurant dans ses dispositions. Certains Etats se sont certes dotés d'une législation sur les crimes de guerre ou ont modifié leur code pénal depuis l'adoption du statut, mais ils l'ont fait avant tout dans l'esprit du principe de complémentarité, de manière à éviter que la cour pénale internationale (CPI) ne se saisisse d'affaires relevant de leur compétence nationale43(*). Une deuxième limitation du rôle de l'article 8 en tant que base de mise en oeuvre du DIH (aspects répressifs) tient au fait que cet article ne comporte pas de référence spécifique aux principes de compétence pertinents pour réprimer les crimes de guerre, principes établis aujourd'hui en droit international. Si ces principes ne concernent pas le fonctionnement de la cour (qui a son propre régime juridictionnel), leur omission prend une dimension considérable lorsque les Etats décident de mettre en oeuvre le DIH en important dans l'ordre juridique interne uniquement les dispositions du statut sans faire le lien avec leurs autres obligations découlant du DIH conventionnel et coutumier44(*). * 37PHILIPPE.C., op.cit, p.141 * 38La Rosa Anne-Marie., prévenir et réprimer les crimes internationaux vers une approche « intégrée » fondée sur la pratique nationale, rapport de la troisième réunion universelle des commissions nationales de mise en oeuvre du droit international humanitaire. Volume I, CICR, juin 2013, pp 94-99. * 39 Ibid. * 40Protocole additionnel I article 85(3)(c). * 41 Protocole additionnel I, article (4) (c). A noter que cette infraction figure dans le statut en tant que crime contre l'humanité. Voir article 7(1) (j) du statut de Rome de la CPI. * 42 Statut de Rome, op.cit, article 8(2) (c). * 43 Statut de Rome, op.cit, article 17 et 19 * 44 La Rosa Anne-Marie., op.cit, p.101 |
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