Presse congolaise et son financement( Télécharger le fichier original )par PASSI BIBENE Senghor dà¢â‚¬â„¢Alexandrie - Master 2013 |
ConclusionDans le paysage médiatique national congolais, les médias n'existent pas en dehors de la sphère politique, détentrice, directement ou indirectement, à la fois du pouvoir économique et administratif/judiciaire. L'appartenance des médias aux hommes politiques ou leur proximité avec ceux-ci ainsi que leurs lignes éditoriales rapprochent le système politique de communication de la République du Congo à celui des États où les médias fonctionnent dans un vaste mécanisme politique au sien duquel la liberté de presse ne possède aucune pertinence. Dans la pratique, c'est la classe politique qui se sert des médias en vue de rallier l'opinion publique à sa cause. Se faisant, la pratique journalistique au Congo place ce pays en marge de la norme internationale, beaucoup plus libérale, qui voudrait que tous les faits en rapport avec la gestion de la chose publique soient rapportés et que toutes les opinions soient placées sur le « marché des idées ». Les médias restent ainsi malheureusement beaucoup plus des supports d'orientation que d'information. Ainsi, dans un contexte de crise sociopolitique et économique, les années 1990 avaient laissé espérer l'émergence d'une presse « indépendante » en République du Congo. Malheureusement, les conjonctures économico-politiques ont vite douché l'espoir de cette indépendance adoubée par l'ouverture politique. Les médias nés sans autre ambition que la propagande disparaissent aussi rapidement qu'ils sont apparus, faute de moyens (humain, financier, logistique) et de modèle économique construit et réfléchi sur la base d'une étude de marché avant leur lancement. Sur le marché des médias congolais on note une inégalité dans la diffusion et la réception des contenus médiatiques. Ce qui creuse ou approfondit le déséquilibre entre différentes catégories sociales : analphabètes et alphabètes, citadins et ruraux, riches et pauvres. C'est ce que Fouad Benhalla entend par "inégalité socioculturelle". Au regard de ce qui précède, il n'est pas hasardeux d'affirmer que le mode de financement, le statut social du journaliste voire aussi la forte appartenance des médias aux acteurs politiques peuvent contribuer (s'ils ne le font pas déjà) au musellement, ou déboucher sur le contrôle des médias. Certes, la démocratie peut souffrir de la mort d'une presse d'opinion, mais l'information nuancée et moins passionnée de la part des médias d'une société civile non militante serait un produit de substitution idéale. Dynamiques et pléthoriques, les médias congolais permettent la construction et l'affirmation de l'existence d'un État de droit démocratique grâce par exemple à des titres au ton polémique, revendicateur et contestataire. Des titres qui, pour certains, ne se conforment pas à la législation, c'est-à-dire, ne respectent pas le dépôt légal, le cahier de charges et sont publiés sans autorisation officielle, mais surtout fonctionnent avec des moyens rudimentaires dont l'origine reste floue et difficile à établir. Ce qui rend délicate la clarification des sources de financement de la presse congolaise, confirmant ainsi l'hypothèse selon laquelle cette presse a recours aux financements occultes. Ainsi, au terme de cette étude, il faut retenir comme principaux modes de financement des médias : le financement dans l'ombre, le modèle du communiqué final (le phénomène du coupage en RDC, le gombo au Burkina Faso ou la camorra à Brazzaville) et les ventes (des imprimés et de l'espace publicitaire). Cependant, qu'il s'agisse des rentes publicitaires, des recettes de vente au numéro et d'autres sources de financement, l'opacité dans laquelle opèrent les médias nous autorise à penser que malgré tous les écueils auxquels les acteurs des médias doivent faire face et malgré l'exiguïté du marché de la publicité, il existe des possibilités d'affaires dans ce secteur présenté peu ou pas rentable. Dans ces conditions, peut-on parler d'indépendance de la presse en République du Congo ? De toute évidence, il s'agit plus clairement d'une indépendance dans la multidépendance. Or, il est évident qu'on ne peut parler d'indépendance sans autonomie financière dans quelques domaines que ce soit. Dès lors, le financement des médias congolais étant une nébuleuse, leur implantation en ville semble être dictée par des facteurs sociodémographiques, économiques, politiques et infrastructurels. En campagnes, bien que présents, les médias chauds peinent à s'imposer faute de productions conséquentes et attrayantes, mais aussi de desserte en électricité souvent cantonnée dans les grands centres urbains. Au demeurant, l'intérêt et l'enjeu des médias sur toute l'étendue du territoire national vont de cesse grandissant. L'on doit simplement retenir que l'entreprise médiatique au Congo-Brazzaville est malade. Les difficultés de ces entreprises de presse sont d'ordre conjoncturel et organisationnel (ou financier). D'où une presse de qualité douteuse et incapable de s'ériger en groupe de pression. Par manque de moyens pour encourager les journalistes à enquêter, croiser et vérifier les sources d'information, les journaux se transforment en « de véritables lieux de faire-valoir et de promotion... » (Sarah Finger & Michel Moatti ; 2010). Ainsi, la qualité doit également être recherchée en amont, c'est-à-dire à travers une rigueur dans la formation initiale des journalistes dans une société qui attend beaucoup des médias. Autrement, le tort des médias congolais est imputable, d'une part, à un déficit organisationnel qui se traduit par le mode de fonctionnement de plus d'un organe de presse où le personnel et/ou le propriétaire est polyvalent. Ce qui affecte la qualité du travail. Car, la répartition des tâches devrait l'emporter sur la personnalisation ou la concentration des pouvoirs. L'absence d'organigrammes constitue également, de ce point de vue, un des axes sur lesquels des efforts d'amélioration doivent être envisagés. Parce que cette absence d'organigrammes est une composante non négligeable d'une triste réalité renforcée par un statut flou (pour la plupart des organes de presse écrite) généralement synonyme d'amateurisme. Par ailleurs, le fait que depuis l'indépendance jusqu'à ce jour, la majorité des médias parus au Congo est née dans une ambition partisane et propagandiste, sans réel projet éditorial n'a pas changé la perception du mode de financement des médias souvent sujet à caution. Ces derniers accordent presque exclusivement la parole à ceux qui ont un pouvoir économique important, des couches sociales dépourvues de moyens pour acheter l'espace dans les colonnes d'un journal ou sur la voix des ondes demeurent sans voix. Autrement dit, l'action sociale de la presse profite à la classe politique et/ou aisée. Le pluralisme de l'information se trouve ainsi mis à mal. L'arrivée de la société civile comme acteur médiatique est peut-être un signe salutaire. Mais, encore faut-il que la qualité et/ou la quantité des journalistes devant produire une information de grande facture, la capacité de distribution, l'équipement technique et logistique ainsi que les fonds de fonctionnement mis à la disposition d'une équipe donnée soient à la hauteur de la mission des médias. C'est dire que, dans le contexte qui est celui des médias congolais le financement est une des clés du succès, voire de l'indépendance des médias. Sans nier l'importance de l'aide publique à la presse, on peut observer qu'elle n'est pas la panacée pour le salut des médias... Il reste que son effectivité au même titre que la distribution de la redevance audiovisuelle et la mise en place d'un fonds pour la production audiovisuelle devraient participer au renforcement d'un objectif difficile d'indépendance. De plus, en tant que levier pour l'emploi, l'intervention des pouvoirs publics dans ce secteur aura également l'avantage de contribuer à la diversification de l'économie. Car, les médias sont des gisements inépuisables au même titre que les industries culturelles/créatives. Aussi, le souci d'une information pluraliste, indépendante et honnête impose une modification des dispositions légales afin que soit substituée à l'idée que l'État peut financer les médias l'impératif pour l'État de financer les médias. Sinon, la pénurie ou rareté des finances conduira toujours à des dérives aux conséquences parfois fâcheuses. C'est le cas pour la plupart des périodiques ayant une parution sporadique tributaire de la recherche des moyens financiers adéquats pour supporter la facture de l'impression. Ce qui génère, dans la presse congolaise, des journalistes vivants et travaillant dans la précarité et des publicistes au détriment des journalistes capables de jouer les rôles de garant et de régulateur de la démocratie. Cela à cause du recours aux financements peu orthodoxes pour pallier les difficultés... Pour prévenir ces dérives, l'implication des pouvoirs publics est fortement sollicitée en vue de sauver et sauvegarder la liberté de presse et surtout le pluralisme de l'information et des opinions. Au niveau des questions éthiques et déontologiques, la réponse idoine réside dans la formation (initiale et continue) et non dans la répression. Car, un pluralisme imparfait est toujours préférable à une presse conformiste et alignée120(*). À la vérité, la crise (éthique ou déontologique et économique ou financière) qui frappe les médias n'est pas propre au Congo. Elle est internationale, du moins sur son aspect économique, et n'augure pas de solutions miracles depuis que le géant Google se taille la part du lion des annonces publicitaires. La réalité est inquiétante dans le contexte congolais, mais la solution n'est pas à portée de mains. Trouver un nouveau modèle économique - capable d'assurer à un média les moyens de ses missions pour garantir sa place dans le paysage médiatique - devrait être un défi pour les entreprises médiatiques qui désirent rester présentes et compétitives. Si, comme l'annoncent certaines études121(*), le journal papier dans les pays du nord n'a plus de longs jours, l'Afrique en général et le Congo en particulier peuvent par exemple encore se réjouir de la longévité avérée des imprimés en attendant que le tout numérique s'y répande largement. * 120 Hervé Bourges in Géopolitique africaine n°37 de juillet-septembre 2010; P.340 * 121Newspaper extinction time line www.futureexploration.net |
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