Master professionnel
Mention : information et communication Spécialité :
Médias et Communication Option : Communication et Technologie
Numérique
Crowdsourcing
Le graphisme peut-il se faire uberiser
?
Responsable de la mention information et
communication Professeure Karine Berthelot-Guiet
Tuteur universitaire : Françoise Armand
Rapporteur professionnel : Antoine Ducrocq Président du
Jury : Yves Jeanneret
Nom, prénom : Henry Damien
Promotion : 2014-2015
Soutenu le : 10 novembre 2015
Note du mémoire : 15/20 (mention Bien) Contact :
damien.henry@mines-ales.org
Linkedin :
https://fr.linkedin.com/in/damienhenry
Ce travail a reçu le prix du mémoire digital
2016 d'Arctus
École des hautes études en sciences de
l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77, rue
de Villiers 92200 Neuilly tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47
45 66 04
www.celsa.fr
Ecole des mines d'Alès -Site de Nîmes, Parc
scientifique Georges Besse - 30035 Nîmes cedex 1 Tél : +33 (0)4
66 38 70 52 -
www.mines-ales.fr
2
À propos de l'auteur de ce mémoire...
Extrait ajouté au texte initial faisant suite à
l'interview réalisé par Yannig Roth en février 2016
:
À 34 ans je viens de terminer une seconde fois mes
études ! Designer en agence pendant 10 ans, je suis tout d'abord ce que
l'on appelle : un créatif. Après des études de design
à l'ésad d'Amiens, j'ai commencé par un projet de
court-métrage d'animation (stop-motion et mapping vidéo)
intitulé « Passe-Muraille ». Ce film est
véritablement une carte de visite pour démarcher mes
premiers clients en freelance ou effectuer des missions en agence. Après
un bref passage par Marseille, je suis pendant 8 ans
graphiste-couteau-suisse dans une petite agence de Cavaillon
(avec de gros projets). J'accumule une expérience très large en
touchant aussi bien au film d'entreprise, à l'identité, au web ou
au motion-design (dominante sur ce poste). Je peux alors partir en tournage en
Allemagne pour un fabriquant de sel de déneigement le lundi et
boucler un stand de 100m2 pour un salon de l'habitat le vendredi...
des missions très variées qui m'ont aussi permis de voir que l'on
pouvait combiner le motion, l'impression 3D, l'identité et l'espace au
sein d'un même projet.
Un parcours de designer est forcément lié aux
évolutions technologiques, les métiers de la communication
évoluent et il est parfois utile d'effectuer une mise à jour
de ses compétences pour apporter toujours de l'innovation dans son
travail.
Les nouveaux usages numériques permettent aujourd'hui
d'obtenir une approche de la communication avec beaucoup plus de connexions
entre les supports. Lorsque l'on est graphiste en agence, on répond
à des commandes. Mais je trouve parfois que ça ne va pas
assez loin, que les concepts manquent un peu de fond ou d'astuce.
Malgré un rendu très pro, il faut de l'intelligence
en design. Je veux donc intervenir au niveau de la réflexion sur le
projet : sur le fond et pas uniquement sur la couche
esthétique.
Avec cette remise en question sur ma pratique, je choisi en
2013 de reprendre des études en communication digitale. Une
démarche qui demande du temps, car il faut accepter de quitter un
poste
3
confortable pour se lancer dans une aventure qui demande,
beaucoup d'investissement et une nouvelle logistique familiale.
J'intègre donc en septembre 2014 le master pro communication et
technologie numérique du CELSA et des Mines D'Alès.
Je conseille cette expérience à tout le
monde, on devrait pouvoir se former plusieurs fois dans une vie. Cela remet en
perspective ce que l'on a appris et donne un regain de motivation pour un
métier qui est au départ une passion.
Diplômé en Octobre, à la suite de ma
soutenance. Je viens de boucler une mission de chargé de communication
dans un centre de R&D de Saint-Gobain. Une expérience très
enrichissante qui m'a permis de découvrir les rouages d'une
(très) grosse organisation. J'envisage désormais de travailler au
niveau d'une grande entreprise ou dans une agence spécialisée
dans la transformation digitale : à partir du moment où la
structure véhicule des valeurs humaines et n'a pas peur d'innover en
tentant parfois des choses inédites ça me va. Avec le recul, on
sait un peu plus ce que l'on attend d'un cadre de travail. Les valeurs
véhiculées par l'entreprise sont aussi importantes que la
mission. L'enseignement peut être complémentaire car c'est aussi
une manière de se former en apportant à de futurs professionnels
une part de son expertise.
4
Remerciements
Un grand Merci à mes rapporteurs universitaires qui
m'ont accompagné et soutenu lorsque la force n'était plus
avec moi. Françoise Armand et Antoine Ducrocq qui ont réussi
à lire (plusieurs fois) mes pavés de texte parfois
truffés de fautes.
Merci à l'équipe pédagogique du CTN, Annie
Liothin, Pierre Jean et Isabelle Maurin en particulier.
Merci également aux différents contacts qui m'ont
permis d'avancer dans mes recherches :
Éric Favreau et Yannig Roth (Eyeka), François
Caspar (AFD), Baptiste Fluzin (Tank), Geoffrey Dorne (Design&human,
graphism.fr), Sophie Renault
(Université d'Orléans), Sébastien Drouin (Aether Concept),
les 43 gagnants Creads qui ont bien voulu répondre (@Mistizouk et
Fabienne Chabus notamment), Pierrick Vieux-Crumière (DRH Saint-Gobain
CREE).
Je tiens enfin à remercier particulièrement les
personnes qui ont été présentes tout au long de ce cursus
et qui m'ont permis de réaliser cette parenthèse professionnelle
:
Celles qui m'ont appuyé pour le CIF : Mes anciens
employeurs Corinne et Éric Vidal (Kariba Productions), Anne Laure
Stretti Bouscarle (initiative Cavare-Sorgue), Monsieur le
Député-Maire de Cavaillon Jean-Claude Bouchet.
Mes amis, Élodie Cavel pour son éclairage de
free-lance, Augustin Derigny pour son hospitalité et Chantal Millet pour
son aide logistique précieuse.
Enfin, ma femme Adeline, mes deux filles Agathe et Louison qui
ne m'auront pas beaucoup vu et qui auront su me soutenir dans cette
étape importante.
5
Table des matières
À propos de l'auteur de ce mémoire 2
Remerciements 4
Table des matières 5
I. Introduction Générale 7
La genèse du mémoire 7
Connaissez-vous le design ? 7
Les pratiques amateur 10
Émergence de nouvelles pratiques 11
Problématisation du sujet 15
Hypothèses 16
Méthodologie et corpus 18
II. Les Recettes du crowdsourcing 23
1) Introduction 23
2) Des positionnements différents 24
Creads et la production 24
Eyeka et les grandes marques 26
3) Ce que veulent les marques 29
Diversité, innovation et coût 29
Le consommacteur 31
4) Discours 33
Bienvenue chez nous, vous faites partie de l'agence 33
Profil de performances 35
5) Les mécanismes du concours 38
Les phases des concours 38
Les règles et les différents types de concours
39
Démarche de création 42
La phase des délibérations 44
Les gains 46
Les droits d'auteurs 52
6) De nouvelles façons de travailler 56
Se libérer des contraintes de salarié en agence
56
Un moyen de débuter une activité ? 58
7) La montée des inquiétudes (Conclusion) 60
III. Le crowdsourcing au coeur des
préoccupations 63
1) Introduction 63
2) L'outsourcing pour comprendre les dérives possibles
65
Les forçats du cybermonde 65
Certains modèles bien moches 66
3) Perverted--crowdsourcing 68
Les craintes des professionnels face au
perverted-crowdsourcing 68
Apparition du terme spec-work 69
À quel moment cela devient du travail
spéculatif ? 69
La Saga Creads 70
4) Contexte difficile pour les professionnels du design 72
Les Gratuistes et la méconnaissance du métier
72
Dévalorisation de l'image que l'on a du design et du
designer 74
5) Les appels d'offres et leurs dérives 75
Deux cadres d'appels d'offres 75
La charte de l'AFD 75
L'ère du Pitch : le crowdsourcing CS, sans plate-forme.
76
6
Du temps perdu pour tout le monde 77
Un système qui devient la norme 77
Dérives au niveau des écoles 78
6) Le statut complexe du designer free-lance 79
Essoufflement du système actuel 79
Le CS par simplicité : Paypal et la vision court-terme
80
Peut-on contrôler les gains ? 80
Volonté d'un statut pour tous 81
7) Une prestation incomplète: Impact sur la
qualité des productions 81
Le logo du neveu du patron 82
Le brief figé / autodiagnostic 82
Le manque de pratique discursive 83
8) Uniformisation du paysage graphique 83
Rentabilité et recyclage 84
Plagiat 84
9) Un impact à échelle variable 85
Pour les grandes marques 85
Pour les PME 85
Le risque de grogne de la part de la communauté 86
Un impact en terme de réputation pour les marques 86
10) Un bon exemple d'identité : Charleroi 87
11) Conclusion seconde partie 89
IV. Les pistes d'ouverture 92
1) Les pistes pour le design 93
Graphisme à deux vitesses ? 93
Refuser les idées gratuites : Élaborer une
stratégie 94
Les clients à éduquer 95
Les initiatives politiques 96
Reconnaître la valeur du travail 96
2) Vers un collaboratif vertueux 97
Quelques formes intéressantes 97
Le Co working équitable 98
L'exception des concours à caractère
humanitaire 98
Les concours aux enjeux sociétaux 99
3) Vers un statut qui protège les créatifs sur
les plates-formes 101
Donner un cadre légal à ces pratiques 101
Travail ou pas ? 102
Faut-il encadrer davantage le crowdsourcing ? 103
4) Conclusion générale 105
V. Bibliographie 106
VI. Annexes 113
1) Entretiens 113
Yannig Roth (entretien N°1) 113
Éric Favreau (entretien n°2) 123
Baptiste Fluzin (entretien n°3) 130
François Caspar (entretien n°4) 141
Geoffrey Dorne (entretien n°5) 149
2) Sources et références Creads 160
3) Sources et références Eyeka 182
4) Références citations (hors plates-formes)
189
5) La zone de confort et la prise de risque 192
RESUMÉ 195
7
I. Introduction Générale
La genèse du mémoire
Professionnel de la création depuis 10 ans, je constate
au quotidien qu'il faut souvent expliquer son travail et même
défendre un savoir-faire face à certains clients, pour qui nous
sommes de simples techniciens maîtrisant les outils de création :
des infographistes. Partant de cette constatation, j'ai
découvert récemment des plates-formes sur le web (Creads
notamment) permettant aussi bien aux amateurs qu'aux professionnels de
répondre à des briefs par l'intermédiaire d'un concours.
Comme en agence, l'internaute répond à une commande de logo ou
d'affiche destinés à la communication d'une marque ou d'une
entreprise. Cette nouvelle pratique appelée crowdsourcing (CS) a d'abord
éveillé ma curiosité. Je me suis ensuite demandé en
quoi cela pouvait changer d'une véritable commande et si les
professionnels devaient y voir une nouvelle forme de concurrence. Le sujet de
mémoire est devenu évident.
Je souhaite trouver des pistes qui permettraient de voir
comment le CS peut s'intégrer à l'économie du design, sa
place au niveau de la qualité et son positionnement vis à vis des
professionnels. Je vais essayer de rester dans une démarche de recherche
en me détachant de mon statut de graphiste, ce qui ne va pas être
facile. Le principe est de faire un constat pour dire aux graphistes : «
regarder où vous mettez les pieds » et aux marques «
voilà ce que vous pouvez espérer de cette pratique ».
À première vue, le CS présente de nombreux avantages pour
tout le monde. Pourtant, les graphistes étant majoritairement contre
cette nouvelle pratique il est indispensable de comprendre ce qui peut faire
débat sans tomber dans une opposition catégorique afin de
définir où se situent les « zones grises ». L'objectif
est de dégager des pistes pour les professionnels du design permettant
de trouver un terrain d'entente et des ouvertures sur ce que peut devenir la
commande (graphique en particulier) dans un contexte où
l'uberisation au coeur des débats est susceptible aussi toucher
les designers graphiques.
Afin de comprendre comment le CS vient s'inscrire comme acteur
de la création de design, je suis convaincu qu'il est indispensable
d'avoir une vue d'ensemble du phénomène. Quitte à parfois
m'égarer un peu...
Le point de vue des marques et des plates-formes, celui des
participants et des professionnels du design mais aussi de la
législation : à partir de ces observations très larges, il
est possible de cerner à la fois les grandes tendances du CS
créatif ainsi que les principaux points de tensions qui viennent
alimenter les débats souvent passionnés et difficiles à
nuancer. Dans cette introduction, nous allons présenter tout d'abord le
métier de designer qui sera évoqué tout au long de ce
mémoire. Puis nous donnerons une rapide définition de l'amateur
en design afin de comprendre comment ces deux mondes cohabitent sur ces
plates-formes. Nous définirons enfin les grandes formes de CS afin de
cadrer notre étude et de définir une problématique.
Connaissez--vous le design?
Lorsque l'on parle de design, on imagine toujours le
concept car, voir le presse-citron de Philippe Starck (pour les
connaisseurs). Pourtant le design, est bien plus vaste. Un designer aujourd'hui
peut exercer des domaines très variés souvent transverses :
design d'intérieur ou industriel (les plus connus),
graphisme, typographie, webdesign, vidéo, culinaire,
sonore... En général, un designer reste spécialisé
et expert sur un périmètre : un motion-designer sera
plus sensible au son et appréhende le graphisme de manière
animée. Même les meilleurs, comme Mathias Persini (studio
Mattrunks1) ne maîtriseront pas autant la typographie ou la
signalétique comme le font Stefan Sagmeister2 ou Ruedi Baur
(studio Intégral3). Un typographe, connait chaque
subtilité des polices de caractère alors qu'un webdesigner va
savoir adapter visuellement les besoins d'utilisateurs aux contraintes
techniques du web.
« La forme, c'est le fond qui remonte à la
surface. » (Victor Hugo)
Bien plus qu'un simple adjectif désignant ce qui peut
être beau, la notion de design est souvent mal interprétée
pas le grand public. La surface sensible et émotionnelle d'un bon
produit de design représente en fait une petite part du travail du
designer. Le design est comparable à la géologie du globe :
composé de strates représentant chaque étape de la
démarche du designer. Le noyau, pourrait être la recherche de
sens une notion mobile, invisible et inaccessible, c'est l'âme qui
va faire vivre l'idée, une volonté d'imaginer de nouvelles
façons de voir les choses, la quête de facilité et
d'amélioration de l'usage (on parle désormais d'UX design)
pourrait être le manteau inférieur, la partie
structurelle et solide d'un projet, ce qui fait qu'un concept « tient la
route ». Ensuite on trouve le manteau qui va représenter la partie
technique d'un projet : toujours consistante et plus ou moins «
épaisse », cette partie technique existera toujours. Enfin, la
croûte qui contrairement au terme employé pour
désigner un tableau banal et amateur, représente en
géologie une très mince pellicule de terre, ce que les gens
désignent comme « beau ».
La face cachée du travail de design (source
aetherconcept.fr)
1 http://studio.mattrunks.com/
2 http://www.sagmeisterwalsh.com/
2 sagmeisterwalsh.com/
3
http://www.irb-paris.eu/4
Luton E. D.I.Y.: Design It Yourself. 1 edition. New York : Princeton
Architectural Press, 2006. 176 p.ISBN :
3
http://www.irb-paris.eu/9781568985527.
5 « Celui qui réalise et celui qui apprécie
» (P. Flichy, 2010)
6 Flichy P. Le Sacre de l'amateur (2010) - Patrice Flichy [En
ligne]. 2010. 112 p. (Seuil-La République des idées).
9
Alors qu'un artiste choisi seul la direction de son travail,
en fixant les frontières de son univers. Pour le designer, c'est le
principe de commande et des contraintes qui domine. Celui-ci aura du mal
à travailler sans un cadre défini par un brief. On peut
considérer une problématique comme un boîte à
chaussure, possédant un couvercle par lequel on ne peut rentrer. Un
ingénieur, fonctionnera plutôt avec méthode, en trouvant
même d'ingénieux systèmes pour ouvrir le couvercle,
quelqu'un du marketing pourra par son analyse nous dire en combien de temps
ouvrir le couvercle et si c'est rentable de le faire. Le designer aborde une
problématique de manière différente à la jonction
des trois univers. Il le fera en pensant out of the box (en dehors de
la boîte), en regardant où se trouve la boîte. En voyant les
choses de manière globale et intuitive, cela permet d'avoir un point de
vue particulier sur le monde et les objets qui nous entourent. C'est pour cette
raison qu'un designer doit travailler en étroite collaboration avec son
client, afin de cerner parfaitement la demande.
Un graphiste communique pour les autres, il sait
interpréter une demande et la traduire visuellement, faire passer des
émotions. Il fait jusqu'à cinq années d'études pour
apprendre à répondre de manière pertinente à une
commande en utilisant un savoir-faire technique basé sur des
règles de mise en page et de typographie. Les graphistes sont des
artistes qui répondent à des commandes. C'est d'ailleurs ce qui
les distingue des plasticiens. Chaque graphiste a sa propre approche du
métier, basée sur une expérience enrichie par une
succession de projets. Vous ne trouverez pas deux professionnels qui ont la
même réponse à une problématique client car chacun
possède sa propre sensibilité et développe son propre
cheminement dans le processus de création.
« Je mets surtout l'accent sur le fait que le design
est une pratique vivante, non un débat théorique mais un travail
concret dans un studio. J'insiste sur la valeur de communication au public du
design plus que sur sa dimension d'expression personnelle. » (Ellen
Lupton, 2006)4
Le typographe Ruedi Baur, fondateur du studio Intégral
étudie avec attention un lieu et ses spécificités pour y
associer la création d'une signalétique qui réponde aux
particularités de l'espace. Ce travail, long et précis est
l'excellence même de ce que l'on peut trouver dans une démarche de
création graphique. Il exprime très bien ce propos qui peut
donner une première approche du métier de designer (ici en
signalétique) :
« La qualité, l'originalité, la
non-reproductivité, la justesse par rapport au contexte pourront
contribuer à transformer ces territoires en de véritables lieux,
c'est à dire en espaces où l'on désire se rendre pour le
fait même de sa qualité. » (Baur, 2005)
Les graphistes, depuis les affichistes du début XXe
siècle jusqu'à Savignac ont souvent marqué de leur style
l'univers visuel d'une époque. Aujourd'hui encore certains graphistes
travaillent toujours à la main ou avec un style et une approche
typographique de puriste. Étienne Robial (Canal+) porte en
horreur les ordinateurs. Le graphisme minimaliste d'Apeloig semble avoir
été simplement finalisé dans un format informatique.
Pourtant les typographes n'ont pas disparu comme les peintres en lettres.
Certains graphistes comme Serroussi ou Batory sont des orfèvres de
Photoshop. John Maeda détourne
4 Lupton E. D.I.Y.: Design It Yourself. 1 edition. New York :
Princeton Architectural Press, 2006. 176 p.ISBN : 9781568985527.
10
l'outil informatique pour produire des visuels à la
limite de la recherche scientifique. Les outils sont simplement plus
accessibles, les talents s'adaptent.
Les pratiques amateur
La notion d'amateur existe depuis longtemps, et ne n'est pas
uniquement liée à notre société contemporaine.
L'accroissement du niveau moyen de l'instruction et les nouveaux outils offerts
par Internet permettent de définir de nouvelles formes de pratiques. La
figure de l'amateur prend différentes formes : celui qui
réalise, l'artisan et celui qui
apprécie5, le connaisseur. Ils ne prétendent pas
rivaliser avec les experts mais développent une expertise ordinaire
:
« Nous vivons une révolution silencieuse : la
montée en puissance des amateurs, ces passionnés qui ne sont ni
des novices, ni des professionnels, mais de brillants
touche-à-tout6. » (P. Flichy, 2010).
Patrice Flichy, fait un constat sur les pratiques actuelles
des amateurs. Au travers plusieurs exemples concrets, on découvre ces
«amateurs » dans leurs différents domaines d'activité
tels que la politique ou les sciences. Il existe différents types
d'amateurs sur les plates-formes de Crowdsourcing, chacun ayant sa propre
façon d'agir en fonction de ses objectifs. L'amateur s'impose comme la
figure emblématique d'une nouvelle forme d'expertise basée sur
l'expérience et le partage, il se situe dans un entre-deux
facilité par un accès aux outils lui permettant de
développer de nouvelles compétences qu'il peut ensuite mettre en
pratique par le biais de concours de création, un mélange entre
l'ignorant et le professionnel :
« L'amateur se tient à mi-chemin de l'homme
ordinaire et du professionnel, entre le profane et le virtuose, l'ignorant et
le savant, le citoyen et l'homme politique » (P. Flichy, 2010).
Cette zone grise jusqu'alors assez identifiable en graphisme
est occupée par ce que Flichy désigne comme les Pro-Am
(concept été proposé par Alvin Toffler en
1980)7 :
« Un nouveau règne s'annonce, qui brouille
toutes les frontières : celui du pro-am (professionnel-amateur),
citoyen-acteur, expert autodidacte, créateur à part
entière. » (P. Flichy, 2010)
En design, il est souvent difficile de distinguer le pro
de l'amateur... Il y a de très bons techniciens qui pratiquent
l'infographie, qui font de belles choses de manière passionnée
sans pour autant exercer l'activité de designer professionnel. À
l'inverse, on trouve des free-lances qui devraient peut-être penser
à une reconversion. Le web participatif, permet non seulement de
rivaliser avec les experts, mais de se réapproprier tous les aspects de
la culture contemporaine. Certains sont de brillants touches-à-tout
ayant appris le métier de manière autodidacte avant de
devenir professionnels.
« Le design est un art que les gens utilisent » (E.
Lupton, 2006, à propos du DIY)
5 « Celui qui réalise et celui qui apprécie
» (P. Flichy, 2010)
6 Flichy P. Le Sacre de l'amateur (2010) - Patrice Flichy [En
ligne]. 2010. 112 p. (Seuil-La République des idées). Disponible
sur : <
http://Www.seuil.com/livre-9782021031447.htm
> (consulté le 16 janvier 2015)
7 Toffler A. (1980), The third wave, New York, Bantam
Books.:
La notion du concepteur, ayant besoin d'une formation
classique, est remplacée par celle du DIY (do it yourself), ce
qui peut démocratiser un métier jusque là
considéré comme nombriliste et même prétentieux. La
communauté des designers-bricoleurs, est de plus en plus
complexe et remet en question la pratique professionnelle, ses normes et
usages.
Les amateurs-graphistes ont toujours existé, et
s'expriment sur des forums spécialisés ou à travers la
communication associative. Il s'agit de la secrétaire de direction qui
va occuper malgré elle un poste de "chargé de com" ou le
président d'un club de voile qui va mettre en ligne son site web et les
affiches annonçant la régate à venir...
En 2009, Yoann Bertrandy, dans son mémoire de fin
d'étude intitulé Tout le monde est graphiste, a
interrogé ces amateurs-graphistes en partant du principe que les
professionnels auront forcément un avis très tranché sur
la question. Il voulait comprendre leur démarche et leur point de vue
sur le graphisme en étudiant comment ces personnes abordent un sujet de
communication. Une citation célèbre de Sabo Tercero
précise bien cette pensée :
« We are all designers, the difference is that only a
few of us do it full-time. » Sabo
Tercero8
Jusqu'à présent ces amateurs
n'inquiétaient pas les professionnels, chacun travaillant dans son
périmètre. On commence à voir apparaître depuis
quelques années une forme de commande proche du bénévolat
et l'on constate des dérives au niveau des appels d'offres où de
véritables graphistes sont assez facilement mis en compétition
par un simple pitch sans espoir d'être
rémunéré pour le travail effectué. Le sujet
concerne plutôt les indépendants débutants, qui doivent
eux-mêmes trouver leur clientèle lorsqu'ils n'interviennent pas en
agence, mais celles-ci sont également confrontées à des
clients de plus en plus interventionnistes qui n'hésitent pas à
brandir la menace de la concurrence pour faire baisser les prix. Le contexte
est donc très compliqué car le métier est aussi mal
identifié. Le paysage de la commande graphique se complexifie de plus en
plus avec l'arrivée de nouveaux acteurs où se côtoient de
véritables professionnels, venus chercher une forme
d'épanouissement, et des amateurs. La démocratisation des outils
et l'apparition de templates sur le web permettent aujourd'hui
à n'importe qui de devenir graphiste, de concevoir un site web
sans parti pris créatif ou de vendre sa création sur des
plates-formes comme Fiverr qui proposent de faire des logos ou des
chartes pour 5$ (prix unique).
Les lignes entre amateurs et experts sont floues et sont en
train de changer certains domaines jusque là réservés aux
professionnels. Pour comprendre comment les amateurs ont progressivement
été en position de concurrencer les professionnels, il est
indispensable d'associer ce mouvement aux technologies numériques.
Émergence de nouvelles pratiques
De nouveaux mastodontes du web aux capitalisations
équivalentes au PIB de certains pays ont récemment
bousculé les acteurs traditionnels de nombreux secteurs aux
réglementations parfois lourdes ou désuètes. Ces NATU
(Netflix, AirB&B, Tesla, Uber), sont les exemples les plus couramment
utilisés pour désigner cette nouvelle économie «
collaborative ». Il vous suffit aujourd'hui
11
8 « Nous sommes tous des
créateurs, la différence est que seulement quelques-uns d'entre
nous le font à temps plein. »
de sortir votre Smartphone pour décrocher un
rendez-vous avec un coiffeur à domicile (Popmyday)9,
trouver un avocat, un notaire (Testamento)10, un moyen de
financer votre projet (kisskissbankbank) 11, un agent
immobilier, un transport de colis (Goshipster)12, un
co-voiturage(Blablacar), une chambre chez l'habitant, un taxi conduit
par un particulier, ou un graphiste amateur pour réaliser votre logo
(Fiverr)13... Uber, la société
lancée par Travis Kalanick a réussi en six mois à mettre
à mal le secteur pourtant très protégé des taxis
partout dans le monde. Maurice Lévy, patron de Publicis parle
pour la première fois d'uberisation14pour désigner
l'inquiétude grandissante des acteurs de la vieille
économie, ces professions qui n'ont pas su se moderniser à
temps :
« Tout le monde commence à craindre de se
faire Uberiser. C'est l'idée qu'on se réveille soudainement en
découvrant que son activité historique a disparu... Les clients
n'ont jamais été aussi désorientés ou inquiets au
sujet de leur marque et de leur modèle économique » (Maurice
Levy, 2014)
Autrefois Napsterisées, Youtubisées
puis enfin netflixisées, ce sont les industries
culturelles qui ont d'abord vécues les premières vagues de ce
tsunami numérique15(B. Teboul, 2015)16,
cause des bouleversements pour tous les secteurs, à commencer par la
publicité : Google ou Facebook ont largement changé la
manière de consommer l'information. Il faut désormais compter sur
des data-scientist17 des community manager pour
communiquer...Des emplois très qualifiés. Uber devient un
thème central de la campagne présidentielle américaine,
car cette start-up représente une remise en cause des pratiques et
usages. Désormais l'association d'un logiciel (la plateforme) et des
données utilisateurs (big-data), permet de mettre en relation par le
biais d'une application un client avec des collaborateurs de toute la
planète en mesure de fournir un service dans les meilleurs délais
et surtout au meilleur tarif. Les avantages sont évidents pour les
consommateurs qui voient surtout une face sublimée par le marketing
puissant du service. Mais ce phénomène ne fait que créer
de la valeur et le revers de la médaille est qu'il y a plus de
destruction que de création. Cette révolution silencieuse (P.
Flichy, 2010) se développe avec l'apparition du web 2.0 dont nous
allons à présent définir le terme.
Le web 2.0, naissance du crowdsourcing
La genèse du CS remonte à 2001, après
l'explosion de la bulle Internet où de nombreuses start-up ont
fermé leurs portes aussi rapidement qu'elles les avaient ouvertes. Cet
événement a remis en question
9 https://www.popmyday.com/ permet de décrocher un
rendez-vous avec un coiffeur à domicile 7 jours sur 7.
10
https://testamento.fr/fr/ permet
en quelques clics de rédiger un testament juridiquement fiable pour
quelques dizaines d'euros. https://captaincontrat.com/ commence quant à
lui à inquiéter les avocats.
11 http://www.kisskissbankbank.com/ et sa filiale Lendopolis est
une plate-forme de crowdfunding qui joue un rôle de mécène
auprès des porteurs de projets, elle connait un succès
grandissant auprès des PME qui ne trouvent plus le soutien financier des
banques.
12 http://goshipster.com/ va devenir probablement un acteur
majeur du transport de colis, au point d'inquiéter les géants du
secteur.
13 Nous étudierons cette plate-forme par la suite en page
67
14 Thomson A. « Maurice Lévy tries to pick up
Publicis after failed deal with Omnicom ». Financial Times [En ligne]. 14
décembre 2014. Disponible sur : <
http://www.ft.com/intl/cms/s/0/377f7054-81ef-11e4-b9d0-00144feabdc0.html#axzz3M8s3UwVa
> (consulté le 1 août 2015)
15 Teboul B. « L'ubérisation, ce tsunami qui va
déchirer notre économie ».
Capital.fr [En ligne].
Aout 2015. Disponible sur : <
http://www.capital.fr/bourse/actualites/l-uberisation-ce-tsunami-qui-va-dechirer-notre-economie-1061678
> (consulté le 1 août 2015)
16 Teboul B., Picard T. « Uberisation - Économie
déchirée ? » | Editions Kawa [En ligne]. , 2015.
Disponible sur : <
http://www.editions-kawa.com/home/113-uberisation-economie-dechiree-.html
> (consulté le 1 août 2015) ISBN : 978-236778-050-4.
17 Associés à l'analyse des BIG DATA ou aux
algorithmes
12
13
de nombreux modèles économiques. Avec le recul,
et l'explosion des utilisateurs à travers le monde on voit alors le
web 2.0 comme une rupture avec l'ancien modèle.
Tim O'reilly, considéré comme un des pionniers
de l'open source, définit le web 2.0 avec l'apparition des interactions
entre les utilisateurs du web. Cette évolution rendant la navigation
plus fluide permet à l'internaute de passer de l'état de visiteur
à celui d'acteur. Ce concept a permis, grâce aux techniques et aux
connexions plus performantes, de développer de nouveaux services.
L'open source est propre à l'informatique. Il se
développe à partir des années 90 en permettant aux
développeurs d'accéder à un code informatique ouvert pour
se l'approprier ou l'améliorer de manière continue. Le parfait
exemple est celui du système d'exploitation Linux. Le web permet une
interaction perpétuelle entre les internautes qui collaborent autour de
projets communs. L'open content est différent, il s'agit d'un
contenu enrichi par les internautes. L'exemple couramment cité est celui
de l'encyclopédie gratuite Wikipédia qui s'affine quotidiennement
grâce aux contributions de milliers de bénévoles à
travers le monde. On parle alors de CGU18 (Contenu
Généré par les Utilisateurs).
On voit alors apparaître de nouveaux mots pour illustrer
ces concepts. Le mot crowdsourcing dont la traduction
littéraire est approvisionnement par la foule, est alors
mentionné pour la première fois en 2006 par Jeff Howe dans un
article de la revue Wired intitulé The rise of
crowdsourcing. L'auteur utilise l'exemple du site IstockPhoto, une place
de marché (Renault, 2014) dont le but est de sourcer (terme
utilisé par Creads) des photographes, sans distinction de
savoir-faire, afin de revendre leurs clichés à moindre
coût. Jeff Howe définit ce concept comme :
«The act of taking a job traditionally performed by a
designated agent (usually an employee) and outsourcing it to an undefined,
generally large group of people in the form of an open call » (J. Howe,
2006)19
Flichy définit lui-aussi le terme de CS comme une
sous-traitance de tâches effectuées par les internautes. Il
compare cette pratique à de la recherche « en plein air ».
Cette « collecte d'informations réunies par de nombreuses personnes
dispersées dans des espaces multiples où l'amateur trouve
facilement sa place ». 20 Sophie Renault parle d'une logique
d'open innovation : une création de valeur au-delà des
frontières des organisations, où matière grise,
créativité, argent et données personnelles sont autant de
ressources et compétences détenues par la foule dont les
organisations souhaitent s'emparer.21 Le CS se distingue donc de la
plupart des principes de type Open source car il s'inscrit dans une
logique entrepreunariale. Il permet aux entreprises d'accéder à
une grande diversité de contenus provenant du monde entier et peut aussi
raccourcir considérablement l'obtention d'un résultat pour une
problématique donnée.
18 UGC en anglais : User Generated Content, à
différencier des conditions générales d'utilisation des
concours.
19 Traduction : Le fait de prendre un travail habituellement
réalisé par un agent désigné
(généralement un employé) et de l'externaliser à un
groupe important de personnes sous la forme d'un appel ouvert à
contribution.
20 Flichy P. Le Sacre de l'amateur (2010) - Patrice Flichy [En
ligne]. , 2010. 112 p. (Seuil-La République des idées).
Disponible sur : <
http://www.seuil.com/livre-9782021031447.htm
> (consulté le 16 janvier 2015)
21 Renault, Sophie. « Comment orchestrer la participation de
la foule à une activité de crowdsourcing ? La taxonomie des 4 C
». Systèmes d'information & management 19, no 1 (16 juin 2014):
77?105. doi:10.3917/sim.141.0077
14
Ainsi, on voit se développer de nombreuses entreprises
dont le fonctionnement est basé sur la production de contenu des
utilisateurs. Facebook est certainement le plus représentatif,
mais de nombreux services en ligne naissent également à cette
époque. En remplissant un formulaire reCAPTCHA, par exemple,
l'internaute, participe sans le savoir à une forme de CS qui lui est
présenté comme une sécurité. Ce programme
de reconnaissance de caractère sert à la numérisation des
livres. Les exemples sont nombreux à commencer par la recherche
Google... l'internaute n'a pas l'impression de travailler ni d'être
rétribué pour ces micro-tâches. Pourtant, il aide
les organisations dans leur fonctionnement en apportant de la valeur. Il s'agit
d'une relation tripartite où La foule (ressource) n'entre pas en contact
direct avec le client final (crowdsourcer) mais passe par un
intermédiaire : la plate-forme.
« A l'initiative d'une organisation, le crowdsourcing
constitue l'externalisation vers la foule d'activités
réalisées classiquement en interne ou par un prestataire
identifié. » (S. Renault)
Un large éventail de modèles
Tout comme les définitions, il existe de nombreuses
classifications et un large éventail de modèles de CS
définies par la recherche. Lebraty et Lobre (2013) définissent 10
types de CS : Crowdjobbing (tâches routinières),
Crowdwisdom (avis de la foule), Crowdfunding (financement par
la foule), Forecasting (prévisions de la foule), Innovation
(la foule répond à des problématiques R&D,
techniques ou conceptuelles), Authenticity (lien de proximité
entre la foule et le crowdsourcer), Crowddauting (permet de
sélectionner du contenu), Crowdcontrol (la
sécurité est assurée par la foule), Crowdcuration
(la foule peut classer des données), Crowdcare (la foule
participe à un programme de santé).
Nous étudierons particulièrement les formes de
CS où la foule effectue des tâches créatives (Pénin
& al., 2013) également appelé : crowdsourcing
d'activité créatives22 (CAI) ou Crowdcreation
(Howe, 2008). Il s'agit aussi de CS d'Authencicity (Lebraty &
Lobre, 2013) qui permet de créer un lien de proximité entre la
foule et le crowdsourcer (la marque ou l'organisation). Les
principales plates-formes étudiées organisent des concours de
création. L'aspect sélectif ou compétitif (Guitare &
Schenk, 2011, Renault, 2014) est souvent très présent, tout comme
la notion de gains financiers.
Sophie Renault (2014) propose un recoupement des
différentes classifications en quatre grandes familles qu'elle nomme les
4C : Collaboratif, Coopétitif, Compétitif, Cumulatif. Son travail
nous permet de positionner les plates-formes étudiées en fonction
du niveau de coordination, de compétition, d'interaction et de
proposition. Eyeka et Creads sont compétitifs :
l'esprit de compétition est fort et le besoin de coordonner les
participants entre eux est faible, ils fournissent moins de propositions et le
niveau d'interaction avec la plate-forme est limité. Sur Fotolia nous
serons dans un CS Cumulatif : il y a moins de compétition, mais le
nombre de propositions est potentiellement plus élevé. Sur
Fiverr, que nous évoquerons à plusieurs reprises, nous
serons à mis chemin entre ces deux positionnements.
22 Sawhney et Prandelli, 2000 ; Sawhney et al. 2005 ; Nambisan et
Sawhney, 2007 ; Ågerfalk et Fitzgerald, 2008 ; Pisano et Verganti, 2008;
Trompette et al., 2008 ; Schenk et Guittard, 2011 ; Burger-Helmchen et
Pénin, 2011
15
Nous ferons également un parallèle avec
l'outsourcing (crowdjobbing) qui est souvent associé à
l'externalisation de micro-tâches pour nous concentrer sur l'étude
des sites de CS liés à la création de contenu graphique ou
d'idées.
Problématisation du sujet
Face à la montée en puissance du crowdsourcing
créatif et un réel manque de reconnaissance du métier de
designer, les professionnels de la création se sentent
désarmés et associent parfois ce phénomène à
la mort du métier.
Le contexte économique est difficile, de nombreuses
agences ferment23 et les free-lances peinent à être
rémunérés correctement. Les clients de plus en plus
interventionnistes, n'hésitent plus à mettre en concurrence
plusieurs graphistes sans pour autant rémunérer tous les
participants. Faut-il éduquer le client comme le propose
certains collectifs ou la récente publication du centre national des
arts plastiques24 destinée aux entreprises désireuses
de faire appel à une agence ou un indépendant ?
Cependant ces sites ne permettent-ils pas aux débutants
de faire leurs armes sur des petits projets ? On sait qu'un étudiant
sorti d'une école de design passe par une série de stages et un
certain nombre de petits projets afin de constituer un book créatif lui
permettant d'intégrer une agence et, avec de la chance de
décrocher un CDI. Ces nouvelles formes d'appel d'offres proposées
par les plates-formes ouvrent également de nombreuses perspectives aux
marques désirant à la fois impliquer leurs consommateurs et
obtenir un regard plus frais pour leur communication.
Pour légitimer son statut de professionnel dans cette
nouvelle économie 2.0 de la création, le designer doit trouver
des pistes lui permettant de se démarquer des tarifs compétitifs
pratiqués sur les plates-formes. Au-delà de l'aspect
économique, la chaîne de création classique pourrait
être transformée par ce nouvel acteur. Cette communauté
de créateurs en compétition est constituée d'amateurs
éclairés (pro-am), d'étudiants en graphisme et de
professionnels. Mais qui sont vraiment les gagnants ? Un professionnel va-t-il
modifier sa pratique en participant à ces concours ? Nous allons
orienter cette recherche en tentant de comprendre ce que ces plates-formes
modifient à la fois au niveau des pratiques professionnelles mais aussi
ce qu'elles véhiculent au niveau du design.
Ces plates-formes peuvent-elles évoluer vers des formes
plus équitables pour tous ? Peut-on trouver des solutions durables afin
que ces deux mondes cohabitent ? Pour le moment les différents articles
liées au CS s'attachent surtout à donner un cadre juridique au
travail en définissant les différentes formes d'implications de
la foule par des classifications (Lebraty, Lobre, Renault, Roth, Favreau,
Massanari, Burger-Helmchen). Nous utiliserons ces travaux pour comprendre
pourquoi le CS est aussi considéré comme du
perverted-crowdsourcing. Sophie Renault se demande à la fin de
son article
23 à l'heure où je termine ce mémoire, je
viens d'apprendre mon licenciement économique, l'agence dans laquelle je
travaille depuis 8 ans doit fermer son service « infographie ».
24 Adebiaye F. Guide : « La commande de design graphique
» [En ligne]. Centre national des arts plastiques, 2014. Disponible sur :
<
http://www.graphismeenfrance.fr/article/guide-commande-design-graphique
> (consulté le 19 janvier 2015) ISBN : ISSN : 2267-3075.
16
Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières
de l'organisation et du travail25 si un terrain d'entente entre
créatifs et CS peut être envisagé et s'il existe une
manière de fidéliser la foule sur un modèle de
plate-forme transparente et éthique. Adrienne Massanarri évoque
les licences Creative Common26 (CC), qui permettent
à l'auteur de conserver ses droits d'exploitation. II faudra
probablement considérer le CS comme une facette à part
entière du petit monde de la création visuelle.
La Problématique suivante se pose :
En quoi les plates-formes de crowdsourcing font-elles
évoluer le paysage de la création graphique et définissent
de nouvelles règles aux professionnels de la création
?
Hypothèses
En introduisant de manière détaillée
notre sujet d'étude, nous avons évoqué des pistes
possibles de recherche. Pour répondre à cette question, trois
axes ont semblé pouvoir orienter la réflexion à mener.
Nous formulerons deux hypothèses principales qui constitueront le corps
de ce mémoire puis procéderons à une ouverture dans une
dernière partie.
Hypothèse 1
Comme de nombreuses start-up, les plates-formes de CS
créatif affichent une croissance à deux chiffres. Leur discours
bien rodé attire aussi bien les marques (annonceurs) que les
participants qui trouvent de nombreux avantages à travers ce
modèle.
Cette communication efficace basée sur la promesse
d'une grande quantité de réponses ne garantit pas pour autant un
résultat de qualité. S'il existe des points de ressemblance, le
processus de création semble toutefois éloigné du travail
habituel d'un free-lance ou d'une agence. Il s'agit d'une nouvelle approche de
la communication pour les marques. Celles-ci voient au travers des
plates-formes une façon d'interagir avec leurs consommateurs en les
impliquant de manière ponctuelle. Cependant les résultats obtenus
à la suite de concours répondent à des objectifs
différents pour les organisations. Le CS propose une forme attractive
d'organisation de la chaîne graphique pour les entreprises qui font appel
à leurs communautés de créatifs. Il permet de
définir rapidement une idée, comme une première
réponse à un brief ensuite être revisitée
par les agences pour produire un résultat plus abouti. Le signe n'est
pas mis en circulation. Il s'agit juste d'un visuel. Il n'y plus
d'argumentation de la part du créatif. Le Jugement du commanditaire
est-il uniquement basé sur le j'aime-j'aime pas avec un
professionnel qui ne peut expliquer son travail et argumenter se
démarche de création ? En interprétant le travail
graphique et se permettant d'y retoucher parfois avant de livrer le rendu au
client, ces plates-formes semblent modifier la nature des échanges entre
le créatif et le client. L'accompagnement et la relation client semblent
secondaires au profit d'un résultat uniquement quantitatif. Cette
dépossession du travail où les droits d'auteur (droits
d'exploitation) sont entièrement cédés nous
amènerons à nous demander quelle est la place du créatif
sur ces communautés en concurrence.
25 Renault Sophie, « Crowdsourcing : La nébuleuse des
frontières de l'organisation et du travail », RIMHE : Revue
Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise, 1 mars 2014, vol. 11,
no 2, p. 23?40.
26 Les licences CC sont une solution alternative aux cessions
de droits d'auteurs classiques et parfois trop restrictifs. Elles permettent
d'utiliser la création de manière plus ou moins large et
protègent toujours l'auteur de l'oeuvre, à l'inverse d'une
complète cession de droit.
17
En jouant sur les codes professionnels des agences, les
plates-formes de crowdsourcing attirent les créatifs cherchant à
s'insérer professionnellement ou souhaitant débuter une
activité. Les participants y voient une opportunité pour
consolider leurs books de références avec des marques de renom.
D'autres y trouvent une autonomie permettant de créer plus librement et
d'avoir un rapport à la création plus personnel qu'en agence.
Nous formulerons donc cette première hypothèse :
Le crowdsourcing représente de nombreux
avantages pour les marques. Il est en train de modifier la manière dont
celles-ci envisagent la création graphique et propose également
aux créatifs de nouvelles façon de travailler.
Hypothèse 2
L'accès aux outils permet à l'amateur de
pratiquer une activité proche du professionnel dont les nuances sont
parfois subtiles. Une limite parfois infime entre le professionnel et l'amateur
éclairé, le
«pro-am
|
» (P. Flichy) permet à n'importe quel individu de
pratiquer sur le web une activité jusque là
|
réservée aux professionnels. Le CS
créatif s'inscrit dans un contexte économique difficile pour les
professionnels de la création. Leur métier manque de
reconnaissance et leur expertise semble se fragiliser davantage avec
l'apparition des plates-formes.
Le paysage graphique tend vers une uniformisation au
détriment de la réflexion et des échanges
créatifs-client. La mise en concurrence semble devenir la norme de
l'appel d'offre classique, devient le modèle sur le web. Le
professionnel se retrouve directement en compétition avec les amateurs.
Au delà de cet aspect concurrentiel, ces nouvelles pratiques
soulèvent la question de la valeur de l'expertise du designer.
L'uniformisation et l'appauvrissement du paysage visuel lié à la
simplification du processus créatif semblent constituer
l'inquiétude principale des professionnels du design. Pour les
professionnels de la création : le CS est une menace et favorise un
appauvrissement des contenus. Le CS s'inscrit-il dans cette mouvance de
méconnaissance du métier ? Qui peut être mis à mal
par ces pratiques : indépendants ? Agences ? Si ces plates-formes ont pu
modifier la nature des échanges entre le créatif et le client, la
pertinence des réponses semble amoindrie. L'Alliance Française
des Designers (AFD) dénonce de manière virulente cette pratique
et la petite communauté des designers sur le web cherche
à s'organiser pour trouver à la fois une manière de
valoriser leur métier et de se défendre face à ces
plates-formes.
À partir de ce constat, nous formulerons cette seconde
hypothèse :
Le crowdsourcing s'inscrit dans un contexte
économique fragile de l'économie du design. Il brouille
d'avantage les frontières entre les amateurs et les professionnels et ne
fait qu'augmenter la méconnaissance de ce métier.
Des pistes d'ouverture
N'ayant pu vérifier l'hypothèse d'un
modèle vertueux à part entière nous allons dans cette
dernière partie étudier, en deux séquences, des pistes
d'ouverture. Nous verrons tout d'abord qu'il est urgent de proposer un statut
du créatif équilibré. Il existe également des
nuances permettant d'affirmer que certaines formes de CS sont vertueuses et
peuvent dans certains cas être en accord avec un processus de design de
qualité. Peut-on trouver des points sur lesquels le CS, ce nouvel acteur
de la place graphique pourrait être bien perçu ?
18
Dans un second temps, nous évoquerons des pistes
permettant aux professionnels de valoriser cette expertise et de se positionner
dans une bulle d'excellence sélective à haute valeur
ajoutée : un design à deux vitesses. On voit depuis une
décennie (peut-être plus) apparaître un marché
saturé de graphistes en tout genre. Avec des formations de
graphiste-express, on devient en 5 mois un infographiste
prêt à servir, capable d'utiliser des outils. Il est
alors souvent difficile de déterminer qui est réellement
professionnel et qui ne l'est pas. Nous l'avons évoqué en
introduction et nous le verrons tout au long de ce mémoire : un
graphiste possède bien plus qu'une expertise technique. Nous verrons
qu'il existe plusieurs formes de réponses : un accompagnement
pédagogique du client et une stratégie commerciale
adaptée.
Méthodologie et corpus
Pour nos recherches, un corpus large a été
utilisé. Les principales sources sont :
· Une étude de la littérature liée au
sujet
· Une veille active de l'actualité liée au CS
et au concept d'uberisation.
· Une étude approfondie des plates-formes
(Creads, Eyeka et Fiverr) et des participants (analyse
quantitative et questionnaires ciblés)
· Cinq entretiens semi-directifs réalisés
auprès de professionnels du design ou de responsables de plates-formes
(Eyeka et Creads)
· Des échanges par mail avec certains
créatifs des plates-formes, des blogueurs ou des échanges sur les
réseaux sociaux au sujet du CS (Twitter et
Linkedin)
· Une participation à plusieurs concours en tant
que créatif
· Mon expérience de designer
Étude des articles de référence sur le
crowdsourcing
Quelques auteurs reviennent régulièrement,
certains seront cités pour leurs travaux autour du CS. Les travaux de
Sophie Renault (2013, 2014) serviront à cerner les différentes
catégories de CS et nous permettrons de définir les
mécanismes des concours. Adrienne Massanari (2012) nous permet
d'entrevoir les limites possibles du CS créatif, nous utiliserons sa
méthode pour calculer les probabilités des concours.
Des travaux généralistes sur les CS permettent
également d'appuyer nos propos : Brabham et Daren (2013), Cédric
Pelissier (2011), Burger-Helmchen (2011), Divard (2010, 2014)
Les travaux d'Éric Favreau & Yannig Roth (2014) et
de Charlotte Lucien (2012) nous orienterons sur les notions de droits d'auteurs
et de travail liées au CS.
La notion d'amateur traitée en introduction et
évoquée à plusieurs reprises est fondée sur les
écrits de Patrice Flichy (2008, 2010) et d'Andrew Keen (2008).
Les écrits sur le graphisme permettent
d'appréhender la notion de design. Le travail de Blair Enns (2014,
traduit par François Capsar que nous avons également
interrogé en entretien) ainsi que le guide de la commande graphique
(2014) serviront à alimenter ce mémoire et à entrevoir des
solutions durables pour les professionnels.
19
Quelques vidéos
Les dérives possibles liées à
l'outsourcing (externalisation) ou au travail gratuit sont
traitées essentiellement à partir du documentaire de Vanina
Kanban (2007) et la vidéo de Topic Simple27. D'autres
vidéos documentaires servent aussi à recueillir des
témoignages de marques ayant eu recours au CS.
Analyse des articles de blog, de Twitter et suivi de
l'actualité
Loi Macron, l'affaire Creads, Uber, les
polémiques autour des logos, concours ou affiches, des refontes de
plates-formes... l'actualité pendant la période de recherche fut
ponctuée de plusieurs événements en lien avec ce sujet
vivant. Au-delà du CS, c'est l'économie numérique de
façon plus large qui est en train de bouleverser nos façons de
communiquer. Comprendre ce qui se passe pour certaines professions (pour les
taxis ou les hôteliers par exemple) nous donne des pistes pour mieux
comprendre les enjeux du CS créatif.
Du côté des professionnels du design
En étudiant l'actualité du graphisme et les
différents débats animés par la communauté des
graphistes professionnels, il est facile de prendre la mesure du
phénomène, la moindre discussion autour du CS
générant de nombreux commentaires. Voici les principaux sites
ayant permis de recueillir des informations :
Graphisteries (Ludivine Vinot, Julien Moya), le
forum kob one, le groupe graphistes et créatifs sur
Linkedin, Étapes graphiques (actualités du design),
graphism.fr (le blog
de Geoffrey Dorne), Manufacture créative Aether Concept
(Sébastien Drouin) et les flux Twitter liés au
CS.
Nous avons étudié en particulier la
démarche de création du studio Pam&Jenny qui a
refait l'identité de la commune Belge de Charleroi28,
différents travaux de designers viendront compléter cette notion
de qualité de design.
Une analyse sémiologique des plates-formes
Un premier comparatif très général a
servi à définir les 3 principales plates-formes servant à
l'étude Creads, Eyeka et Fiverr. Nous
étudierons la plate-forme Creads et Eyeka de
manière plus poussée. La plate-forme Fiverr sera
analysée par une étude issue de retour d'expériences
existantes.
Creads est spécialisée principalement
en concours de design et de logo ou création de nom (naming) dont la
particularité est de livrer rapidement une production au client.
Eyeka propose à l'inverse des concours qui serviront ensuite
aux marques à travailler sur de plus gros projets, il s'agit d'une forme
de « brainstorming » à grande échelle :
l'idéation. Nous ferons la distinction de ces concepts en
première partie. Pour chaque site une même approche, en essayant
de dégager par l'observation :
· Les résultats des concours, la moyenne des
participants, les fourchettes de prix pour les lauréats, le type de
concours, la communauté.
· Le discours et la promesse pour les marques ou les
communautés créatives.
· Le discours en rapport crowdsourcing / travail / la
transparence du service.
27 Qu'est-ce que le travail spéculatif ? [En ligne],
2012. Disponible sur : <
https://www.youtube.com/watch?v=gemQQ0-RSyQ&feature=youtube_gdata_player
> (consulté le 15 novembre 2014)
28 Etapes Graphiques. Charleroi : le logo aspire
à la couronne [En ligne]. mars 2015. Disponible sur : <
http://etapes.com/charleroi-le-logo-aspire-a-la-couronne
> (consulté le 21 mars 2015)
·
20
Pratiques d'écritures, idéologies sous-jacentes
d'un espace hypercollaboratif et démédiatisation sur ces
plates-formes : raccourcissement de la chaîne.
· Le déroulement d'un concours.
Identification des créatifs sur les différentes
plates-formes
Les chiffres qui entourent les participants sur les
plates-formes sont assez flous. Il est possible d'obtenir de grandes tendances,
mais ces données sont communiquées par les plates-formes à
des fins de communications. Pour obtenir des statistiques intéressantes
sur les profils des créatifs, nous avons choisi de cibler les gagnants,
et se focaliser sur des créatifs mis en avant sur la plate-forme. Nous
avons utilisé plusieurs sources :
· Les données fournies par le site, visibles
· Les données fournies par le site suite à
une analyse.
· Les études chiffrées sur le sujet (S.
Renault, Massanari)
· Les blogs des plates-formes, les profils Linkedin des
créatifs, leurs portfolios, les profils sur les plates-formes
Pour chaque profil, nous avons cherché à obtenir
:
· Le statut (amateurs/pro/étudiants)
· S'ils ont fait des études en lien avec la
création
· La nationalité des lauréats
· Si cette activité est ponctuelle ou
représente une réelle façon de travailler
· S'ils cherchent un emploi
· Les taux de réussite au concours (selon pertinence
des informations)
· Les gains moyens des lauréats
Sur Creads, nous avons tout d'abord recensé
24250 membres, uniquement français (les autres ne sont pas
visibles). Sur les 50000 annoncés par le site, il y a donc des membres
fantômes. Seuls 544 profils ont remporté au moins un des
1814 concours référencés. À partir de cette analyse
nous avons pu obtenir un classement statistique des taux de réussite.
Nous avons ensuite effectué un questionnaire à
questions fermées pour obtenir plus de détails concernant le
rendement de production, les objectifs des participants et les profils
(amateurs, professionnels ou pro-am). Vous trouverez en annexe en page 177
l'ensemble des résultats pour les 43 créatifs interrogés
(qui cumulent 16,8% des 1814 victoires possibles)
Sur Eyeka, nous ne pouvions effectuer la même
étude, car les profils sont affichés de manière
aléatoire. Nous avons donc étudié les créatifs de
manière plus ciblée en étudiant la façon dont ils
se présentaient sur les plates-formes ou à travers les
témoignages de blogs (Holly Mac Alister en particulier). Nous avons
observé la manière dont ils se présentaient sur leur
portfolio. Des statistiques affichées sur la plate-forme ont ensuite
été confirmées par les responsables d'Eyeka.
Des entretiens semi-directifs
Un entretien d'embauche et cinq entretiens semi-directifs
constituent la base principale de ce mémoire (disponibles en
intégralité en annexe en page 113). Nous pouvons scinder en deux
catégories ces échanges : les professionnels du design et les
professionnels des plates-formes. Ces entretiens me permettent de comprendre la
démarche créative, le rapport au client ou les attentes face
à un brief : à
21
chacun sa vision du marché de la création
graphique. Tous ces entretiens sont complétés par des
échanges mails.
Un premier entretien, qui n'a pas été
retranscrit est en fait une expérience vécue lors d'un entretien
d'embauche au sein de Creads (pour un stage de responsable de projet).
J'ai été reçu comme candidat par le responsable de la
stratégie (Monsieur Minh Loïc Hoang-Xuan). De nombreuses
informations ont permis de compléter l'étude du site, j'ai
découvert « l'envers du décor » et quelques aspects de
l'agence concernant l'externalisation du concept et l'organisation du travail.
Cependant, mon attitude très dubitative lorsque j'ai découvert la
manière de concevoir les mockups de site web (maquettes
ergonomiques) et mon manque de conviction ont sans surprise
débouché vers une fin de non-recevoir. Les deux entretiens dans
les locaux d'Eyeka servent à approfondir les observations
effectuées sur la plate-forme. Nous nous sommes rapprochés de
Yannig Roth et Éric Favreau à la lecture de leurs travaux
présentés aux journées MTO de l'école des Mines
d'Ales en octobre 2014. Yannig Roth est responsable Marketing d'Eyeka,
il intervient auprès des marques et connaît parfaitement les
statistiques liées aux concours. Nous avons surtout abordé les
mécanismes des concours, la question du perverted crowdsourcing et le
concept d'idéation. Éric Favreau a donné un
éclairage concernant l'implication du créatif sur la plate-forme,
nous avons évoqué le statut du créatif, à mi-chemin
entre le professionnel et l'amateur. Les deux participants ont insisté
sur le fait que le CS d'idéation était complémentaire au
travail effectué par les agences.
Les entretiens avec les professionnels du design sont
complémentaires, les points de vues sont plus ou moins engagés et
tous ont été choisis pour leur notoriété et leur
expérience reconnue par leurs pairs. Tous ont également
été invités en Juillet 2014 au ministère de
l'économie par Axelle Lemaire, Secrétaire d'État
chargée du Numérique afin de rencontrer autour d'une table les
responsables de Creads. Ils nous ont été
conseillé par le graphiste et bloggeur Sébastien Drouin (par
téléphone) qui a écrit plusieurs articles au sujet de ces
rencontres.
Nous avons tout d'abord rencontré Baptiste Fluzin,
directeur de création de l'agence Spintank qui héberge
également des créatifs sous la forme de co-working au sein du
TANK. Nous avons évoqué le travail du designer et celui d'un
créatif sur une plate-forme de CS.
Puis nous nous sommes entretenus avec François Caspar
(Skype), président de l'AFD (Alliance Française des designers),
LE syndicat des designers. Également traducteur de l'ouvrage de Blair
Enns (2014), Nous avons principalement évoqué les pistes
permettant aux designers de « gagner sans idées gratuites ».
L'entretien a abordé aussi des questions de droits d'auteurs, d'appels
d'offres et d'expertise du design.
Enfin, nous avons échangé avec Geoffrey Dorne
(téléphone). Multicasquette, il est Fondateur de Design &
Human, (une agence de design éthique, sociale et radicale), responsable
pédagogique au sein de la Webschool Factory, dispense également
des cours et des workshops dans plusieurs écoles en France (la Sorbonne,
l'Ensci, les Gobelins, l'école des Arènes de Toulouse, la
Webschool Factory...). Enfin Blogger sur
graphism.fr, il est suivi par 19,5K
followers sur Twitter (@GeoffreyDorne). Nous avons évoqué les
process de création sur les plates-formes, et les pistes possibles pour
valoriser l'expertise des créatifs et les clés de l'enseignement.
Le concept du graphisme à deux vitesses et certaines dérives
liées au CS.
L'observation participante
Pour avoir accès à une information plus
complète, il est indispensable de créer un compte utilisateur sur
ces plates-formes. Participer à un concours permet également
d'avoir accès à l'ensemble des éléments du brief.
Ainsi il est possible de comprendre comment fonctionne une communauté
créative et ce qu'est l'expérience d'un créatif sur une
plate-forme. Il s'agit également, en tant que professionnel de la
création de comprendre si en appliquant une démarche classique,
il est possible de répondre dans les temps et avec sérieux
à un brief sans tomber dans la facilité ou une réponse
précise. En tant que graphiste, je me positionnerai comme créatif
et non comme auteur lors de cette étape. Nous emploierons donc le
« je » lorsqu'il s'agira d'une expérience personnelle
et le nous en tant qu'auteur de ce mémoire. Deux concours ont
donc été testés :
Le premier sur Creads, pour une refonte de logo. Le
client SEGASEL, est un garage de poids lourds souhaitant moderniser
son identité. Ce concours s'est déroulé entre juillet et
aout 2015. Ce concours répond à une demande de produit fini
où la production est utilisée rapidement en l'état
par le client.
Le second concours sur Eyeka est plus proche de
l'élaboration de concept (idéation). Il s'agit de mettre en place
un concept. Nous avons demandé à une personne tierce de
répondre afin d'avoir le point de vue d'un non-professionnel ayant
cependant suivi des études de design. Cette personne pratique
également le Do it yourself (DIY)29 au quotidien.
Ces observations permettent surtout de compléter les témoignages
des responsables Eyeka rencontrés en entretien.
22
29 Le DIY « fais-le toi-même » désigne
une activité de création, artistique ou non, souvent liée
aux travaux manuels (Scrapbooking, bricolage, couture, graphisme amateur,
encadrement...)
23
II. Les Recettes du crowdsourcing
Hypothèse 01 :
Le crowdsourcing représente de nombreux avantages pour
les marques. Il est en train de modifier la manière dont celles-ci
envisagent la création graphique et propose également de
nouvelles façons de travailler aux créatifs.
1) Introduction
Comme nous venons de le voir, il existe de nombreux
modèles de CS. Creads, Eyeka ou Fiverr n'ont
pas du tout la même approche de la création et n'interviennent pas
de la même manière dans le projet. Le crowdsourcing
d'activités inventives (CAI) définies par Burger-Helmchen et
Pénin30 (2011) consiste à « externaliser
à une foule des activités de recherche, des tâches
complexes ou créatives». Ce qui les différencie du
crowdsourcing de micro tâches (S. Renault).
En pratique, les frontières qui séparent les
différentes catégories de CS sont difficiles à cerner
(Burger-Helmchen et Pénin, 2011)31. Malgré
des positionnements différents (qui évoluent) on retrouve de
nombreuses recettes communes dans leur fonctionnement et leur discours
: elles sont toutes des intermédiaires. D'un côté des
commanditaires (qui peuvent être des marques ou des particuliers)
émettent un appel à création32 sous la forme
d'un concours. De l'autre, une foule de créatifs répond
à cette commande. La notion d'intermédiaire se retrouve aussi en
agence, lorsque celle-ci travaille avec un réseau de free-lances ou si
celui-ci fait appel à un agent artistique (métier
réglementé qui permet aux free-lances de trouver de nouveaux
clients et qui aide le créatif dans ses démarches commerciales.).
Ce que les plates-formes ne mettent pas en avant : c'est la marge allant
parfois jusqu'à 50% sur l'ensemble d'une commande. Énorme pour un
intermédiaire...
En crowdsourcing, la principale différence avec les
agences se retrouve au niveau des échanges limités entre les
marques et les contributeurs (Notons que sur une place de marché
comme Fiverr les échanges toutefois limités
s'opèrent entre un client et un créatif.). Agissant comme un
filtre par l'intermédiaire de son community manager, la
plate-forme va répondre aux questions des créatifs en passant par
un mur communautaire ouvert ou en les orientant individuellement afin
qu'ils puissent soumettre une création qui respecte le brief
créatif. En aucun cas, la plate-forme ne les conseillera sur
l'idée. Cepdendant une arméee de community manager (12 chez Eyeka
par exemple) viendra conseiller le créatif afin qu'il puisse
présenter une idée qui respecte le brief (guidelines).
Pour vérifier cette première hypothèse,
nous concentrerons notre étude sur les plates-formes Creads et
Eyeka en étudiant tout d'abord leur positionnement. Nous
définirons ainsi la logique de contenu de celle
d'idéation. Nous verrons ainsi en quoi cette valeur
apportée par la foule pousse les marques à se tourner vers ces
plates-formes alternatives au réseau classique des agences. Nous verrons
ensuite
30 Burger-Helmchen T, Pénin J. «
Crowdsourcing d'activités inventives et frontières des
organisations », 2011. Disponible sur: <
http://www.academia.edu/1905797/Crowdsourcing_d_activit%C3%A9s_inventives_et_fronti%C3%A8res_des_organisation
s > (consulté le 17 janvier 2015)
31 La frontière entre ces différentes
catégories de crowdsourcing est souvent délicate à
déterminer en pratique
32 Demander un Gig sur Fiverr
24
comment le CS brouille les pistes en jouant avec les codes et
les méthodes des agences de création par un discours rassurant
pour les marques et attractif aussi bien les créatifs amateurs que
professionnels.
Nous analyserons ensuite par étapes le
déroulement d'un concours. Dans cette section nous allons
détailler ce qui caractérise les grandes lignes d'un projet de CS
en nous appuyant sur un exemple concret de création de logo (SEGASEL
sur Creads). Nous verrons alors en quoi le processus de création
diffère d'un travail de design classique et où se situe le
créatif au niveau des échanges. Enfin, au delà de l'aspect
pécuniaire, nous verrons ce qui pousse ces clickworkers (S.
Renault, 2014) à oeuvrer sur ces plates-formes.
Outre l'analyse poussée des deux plates-formes, ce
travail de recherche sera alimenté par des entretiens semi-directifs
réalisés dans le cadre de ce mémoire et différents
échanges réalisés par mail ou sur les plates-formes. Cette
première analyse sera complétée d'une étude
approfondie des profils des créatifs sur les blogs et d'un questionnaire
adressé aux gagnants (Creads en particulier).
2) Des positionnements différents
Depuis leur création, les plates-formes
créatives ont subi de nombreuses mutations, procédé
à la refonte de leur habillage ou leur approche ergonomique. Les
modèles de CAI évoluent rapidement et s'adaptent au
marché.
Un concours de CS créatif peut se décliner de
multiples façons : Vidéos, naming33, logo,
idées, design, packaging, storytelling, applications mobiles, jingle
publicitaire, slogans... Bien que Creads et Eyeka
fonctionnent sur les mêmes principes de concours et sur des
thématiques similaires, les objectifs recherchés par les marques
qui font appel à ces deux plates-formes sont très
différents. On peut distinguer deux axes permettant aux entreprises de
choisir la manière dont elles vont ensuite utiliser le contenu produit
par l'énorme communauté créative : un produit fini
ou une idéation.
Creads et la production
Creads se positionne clairement comme une agence de
communication (participative). Ce qui fait également sa
particularité. Sur Creads, on ne parle plus de « projets
» mais de « concours ». Au départ « agence
participative », ils sont aujourd'hui une « plate-forme de
création participative ». Ils ne révèlent plus des
« graphistes » mais de « jeunes artistes ».
Cette translation de langage est intéressante car il ne s'agit plus
de s'adresser uniquement à des professionnels mais à un ensemble
bien plus vaste : « tout le monde devient alors
créatif34 ».
La plate-forme affiche fièrement 50000 Créatifs
libres - les meilleurs du monde35- et propose de
répondre à tous les besoins en communication. Elle
réalise à bas prix essentiellement du naming, du «
logo-design » et du « webdesign ». Ses cibles : les
petites entreprises (PME-PMI) et les start-up. La raison principale est
économique : pourquoi payer une deux ou trois propositions de logo
800€ alors que pour le même prix36 il est possible
d'obtenir 45 propositions dans un laps de temps très court ?
33 Concours qui consiste à trouver nom de
marque
34 Remarque confirmée par G. Dorne
également en entretien.
35 « Creads réunit les meilleurs créatifs du
monde pour répondre à tous les besoins en communication (nom de
marque, logo, webdesign...) We are a design tribe ! »
36 Certainement un peu plus car il y a la commission de 50%
25
« Wilogo37 est donc une place de
marché qui met en relation des PME-PMI qui n'ont pas souvent les moyens
d'investir dans une recherche traditionnelle de logo, avec une
communauté de graphistes (professionnels, amateurs, débutants,
étudiants, etc.). » (Pelissier, 2011)38
Bien sûr, l'agence indique aussi travailler avec de
grandes marques, mais en étudiant de plus près ces concours on
remarque qu'il s'agit de projets très secondaires. Une grande marque ne
confiera pas la refonte de son identité à ces créatifs.
Par contre de manière ponctuelle, elle va utiliser la plate-forme pour
l'habillage d'un site événementiel ou d'un packaging.
Creads est plus qu'une simple agence de CS : elle aide les
marques à organiser leur propre concours, de manière autonome.
Creads propose de vendre sa technologie en la dupliquant de manière
ponctuelle pour des opérations marketing39
(Digiprize40 par exemple).
Suite à la grogne des graphistes et aux
demandes clients, Creads ajuste son modèle. Autre particularité
de la plate-forme : Creads partners et ses projets élites
ou solo. Ces concours représentent respectivement 17% et 9% des
projets pour Creads41. Réservés à la
crème de la crème de la communauté, chaque
participant est rémunéré (notons que le site communique
peu sur ce sujet). La plate-forme fait d'abord signer un ticket
d'entrée pour avoir les X propositions, puis tente de
pérenniser la relation client en proposant des déclinaisons. Ces
déclinaisons sur divers supports, servent à faire vivre
l'identité : c'est l'implémentation.
Réalisées en interne ou avec des créatifs
soigneusement sélectionnés sur la plate-forme. L'agence
possède son propre studio graphique en interne qui intervient parfois
pour améliorer le travail réalisé par la
communauté, ce que confirme de façon discrète la
communication de l'agence.
Le site web est présenté à la
manière d'une agence, on nous présente les chefs de projet, les
graphistes ou responsables marketing ainsi qu'un « book » des
meilleures réalisations.
Sur ses réseaux sociaux (Facebook, Instagram et
Pinterest), Creads joue énormément sur « la vie
de l'agence » en présentant par des photos en immersion son
côté fun et décontracté (anniversaires,
babyfoot, cuisine). Ils organisent aussi des événements «
in real life » avec des petits déjeuners et les Creads
Awards. On ne sait plus vraiment si on se trouve dans une véritable
agence ou une plate-forme. Cette ambiguïté peut conduire un jeune
créatif à idéaliser la plate-forme en espérant un
jour faire partie des murs.
Tout comme le positionnement, le vocabulaire peut lui aussi
évoluer. Chez Creads, on utilise celui d'un recruteur. Lors de
l'inscription, le community manager Aurélien nous souhaite la
bienvenue à grand renfort de points d'exclamations (Il sera d'ailleurs
difficile à joindre). On serait presque étonné
37 Wilogo est un site de CS qui fonctionne sur le
même principe que Fiverr (en page 67)
38 Pelissier C. « Les plates-formes web comme nouvel
intermédiaire de marché : L'exemple du crowdsourcing, un
dispositif de médiation entre communautés et marché.
» In : Association Francophone Pour Le Savoir Q (ACFAS), ÉD. 79e
congrès international ACFAS Université Bishop's et
Université de Sherbrooke [En ligne]. Sherbrooke, Canada :
Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du
Québec, 2011, 2011. p. 80. Disponible sur : <
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00652113
> (consulté le 17 janvier 2015)
39 Aspect découvert à la suite à d'un
entretien, pour un stage de chef de projet, avec le responsable de la
stratégie Creads.
40 « Digiprize 2ème édition » Le
concours qui récompense les innovations digitales des jeunes entre 17 et
25 ans. Vous avez une idée ? Un concept ? Une start-up toute
fraîche ? Disponible sur : <
http://digiprize.essca.fr >
(consulté le 20 août 2015)
41 Part des projets en 2014 : élites : 17%,
solo : 9%, classic 74% (source Creads)
26
de ne pas être tutoyé, comme en agence. Il faut
se démarquer, « Challengez » sa
créativité (!), se faire repérer par les chefs de projets
afin de participer aux concours confidentiels, plus sélectifs
proposés par la plate-forme : les projets « élites ».
La promesse est de rentrer dans le cercle fermé de l'agence, c'est
l'illusion de devenir « pro ». Comme s'il fallait passer par cette
étape pour faire ses preuves.
Comme une agence, Creads se positionne donc
directement dans une logique de production de contenu, les logos produits lors
des concours sont parfois retouchés mais finissent rapidement entre les
mains du client. L'exemple de la refonte SEGASEL que nous verrons par
la suite illustrant parfaitement ce type de concours.
Eyeka et les grandes marques
Eyeka vient d'effectuer sa 5eme refonte
début juillet 2015. Depuis 2007, celle-ci a même
considérablement changé de stratégie utilisateur. Au
départ, la plate-forme ressemblerait à l'iStockphoto
ou le Shutterstock que nous connaissons aujourd'hui. Sur ces deux
plates-formes des photographes (sans distinction de niveau), déposent
des clichés qui sont ensuite exposés par thèmes ou
mots-clés et vendus à l'unité au titre d'une session de
droit. Eyeka proposait ainsi de la vidéo et quelques concours
sous forme non-brandé (qui n'est pas assimilé à
une marque) sur un thème comme « la meilleure photo de Paris
»... Les marques sont ensuite venues, ou ont été
démarchées, pour proposer des concours par thématiques. La
maturité est arrivée un peu plus tard sous sa forme actuelle en
proposant des concours de manière régulière.
« Au passage, Eyeka a été
créé en 2006 et a réellement vu le jour en 2007, en se
positionnant un peu différemment. Le « pivot » a eu lieu vers
2008/2009 quand l'entreprise s'est centrée sur l'organisation de
concours » 42(Y. Roth, 2015)
Cette plate-forme de concours se définissait
elle-même comme une plate-forme de co-création il y a encore 2 ou
3 ans. Désormais, par souci d'objectivité et de transparence,
elle parle de crowdsourcing :
« La co-création est une grande idée
sur laquelle on ne peut pas mettre grand chose derrière... » (Y.
Roth, 2015)
La première particularité de la plate-forme
visible dès la méta-description du site43 est celle de
fonctionner uniquement avec de grandes marques car elles représentent un
intérêt stratégique :
« Non pas par snobisme ou par facilité - parce
que ce n'est pas forcément plus simple - mais tout simplement parce que
stratégiquement, c'est quelque chose de plus intéressant »
(Y. Roth, 2015).
Plutôt que d'entrer dans une logique quantitative,
Eyeka se concentre sur une trentaine de marques. La plate-forme
choisit ainsi de prolonger l'accompagnement de ses clients qui ont un fort
besoin de créativité pour leur marketing. Travailler
avec cette plate-forme représente donc un certain coût. On
remarque que certaines de ces entreprises font plusieurs concours par an (ex :
Unilever, P&G). Le
42 Échange avec Yannig Roth obtenu par mail
43 « En tant que société innovante de
crowdsourcing, nous permettons à notre communauté de
créateurs de maîtriser leurs compétences, travailler aux
côtés de grandes marques ou agences internationales, et être
récompensés pour avoir créé des contenus et
idées de grande qualité. » (Eyeka) > Meta
version 2014
27
contenu produit par les créatifs n'est donc pas
directement utilisé par le client. Nous verrons qu'il s'agit là
d'une approche marketing pour les marques qui voient plus la communauté
comme des consommateurs que des créatifs possédant un
savoir-faire.
Ce qui différencie ensuite Eyeka des autres
plates-formes, plus spécialisées (comme Creads), c'est
tout d'abord le fait d'être la seule à couvrir l'ensemble du
« continuum marketing » de l'idée au contenu : design, pack,
graphisme, inspiration créative pour des études de marché
ou production vidéo par étapes. Le chiffre d'affaire et les
revenus d'Eyeka viennent presque exclusivement des concours de
création ou plus marginalement de workshops. Des concours «
d'innovation » articulés autour de « print44
», la vidéo et plus largement d'idéation, au
service du marketing.
Une forme de collaboration pour les agences ?
Le principe d'Eyeka est de sourcer des
idées puis les réintégrer au circuit classique de la
commande. Les marques transmettent aux agences habituelles et à leurs
designers le travail effectué en amont sur les plates-formes. La
sélection45 est ensuite faite par des free-lances ou les
DC46 de ces agences.
Le crowdsourcing de contenu est une logique de production,
à bas coût et souvent d'une qualité inférieure
à ce que peuvent proposer les professionnels du secteur. Eyeka
refuse de répondre à cette logique de production en
concurrence directe avec les agences créatives. La plate-forme ne
s'occupe pas d'implémenter ensuite le travail fourni comme peut le faire
une agence. Laissant ainsi la marque travailler avec son partenaire
habituel.
« Ce que l'on fait ici sur certains projets, ce n'est
pas Publicis, Marcel ou Buzzman - on fait un métier différent
[...] Les agences conseils on a un autre boulot qu'eux, on ne va pas les
concurrencer directement pour des raisons évidentes. » (Y. Roth,
2015)
Dans un documentaire de 200847, une question porte
sur le fameux plombier polonais pour savoir si ce
phénomène pouvait nuire aux agences. Gilles Babinet, le fondateur
d'Eyeka, précise qu'il s'agit d'un véritable outil pour
les agences et se positionne comme partenaire vis à vis de
celles-ci :
« Les agences ne sont pas uniquement des lieux de
création mais une capacité de ré-exprimer à travers
un brief les attentes d'une marque. » (G Babinet, 2008)
Il arrive cependant, en certaines occasions, d'entrer en
concurrence. Par exemple, en Asie, quand aucune agence n'est capable de fournir
un contenu de qualité équivalente à ce que peut proposer
la communauté.
44 Design, packaging, affiches
45 cf. phase du vote en page 44
46 Directeur de création : la personne en
charge des choix artistiques dans une agence. Parfois assimilé au
directeur artistique mais souvent avec un rôle plus important au niveau
managérial.
47 Pouy Grégory et Babinet Gilles, 2008,
BuzzCast FR#78 / Gilles Babinet / Eyeka,
http://www.dailymotion.com/video/x6sjw2_buzzcast-fr-78-gilles-babinet-Eyeka_webcam,
12 septembre 2008, consulté le 17 février 2015
28
« Depuis quelques temps on lance pas mal de concours
avec (nom de marque)48 qui viennent de d'Asie. Une des raisons pour
lesquelles on fait ces projets avec eux, c'est qu'ils n'ont pas d'agence de
qualité ou bien meilleure que ce nous pourrions donner. » (Y.
Roth)
L'idéation au service du marketing
L'idéation apporte à la marque quelque chose
qui n'existait pas auparavant dans sa stratégie de
communication. Si l'une d'elle souhaite lancer une nouvelle gamme de
produit, elle obtient des idées créatives et fraîches du
monde entier venant directement de consommateurs. À la
différence des professionnels, qui peuvent avoir un
regard particulier sur la façon de communiquer pour une
marque49.
« Une bonne partie de la valeur d'Eyeka aujourd'hui
pour les marques est donc d'ajouter un gros shot de créativité
où avant ce n'était pas vraiment possible... où on avait
un brainstorming50 ou un benchmark51. »
L'idéation permet aux marketers et aux agences
d'être plus créatifs en amont des projets. Face au CS de
contenus, l'idéation est en forte augmentation : avec
uniquement 11% des campagnes de CS en 2013, il représente 27%
en 2014. Selon Yannig Roth, responsable marketing d'Eyeka,
c'est sous cette forme qu'est l'avenir du CS52.
La plate-forme propose aux marques d'aller « puiser
» dans un réservoir à idées auquel elles
n'avaient pas accès auparavant. C'est là
qu'aujourd'hui la plate-forme voit le plus de potentiel, et non
dans la production ou le remplacement de ce que font très
bien les professionnels du design. Les budgets dédiés
à cette collecte sont nouveaux et complémentaires aux
études de marché existantes, ce qui rend
l'opération souvent plus chère pour la marque.
On comprend alors pourquoi seules les grandes enseignes peuvent
se permettre de travailler de cette manière.
« En terme d'étude de marché c'est
comme avoir un méga-brainstorming créatif au début d'un
processus exploratoire où les idées sont ensuite validées
par différentes méthodologies existantes (Nielsen53).
» (Y. Roth)
Il est intéressant de voir aujourd'hui que
la plate-forme est devenue une hybridation entre l'agence et un cabinet
d'audit. L'Idéation constitue une étape dans le Process
créatif qui n'existait pas réellement. Les
créatifs ont un rôle de consultants dont les travaux
servent de recommandations aux marques pour
48 Ici une marque de cosmétique, dont nous ne
divulguerons pas le nom.
http://www.pg.com/en_US/brands/global_beauty/skii.shtml
49 « avec un petit c : un groupe de gens de manière
générale, qui n'agit pas en tant que professionnel mais en tant
que consommateur, c'est comme ça que je définirai ici ce terme de
consommateur - d'avoir des idées de leur part de manière globale,
très rapide et non-biaisée. »
50 Terme utilisé couramment pour
désigner un processus collectif de recherche d'idée.
51 Le benchmark est un terme marketing pour
désigner une démarche d'observation et d'analyse des performances
atteintes et des pratiques utilisées par la concurrence ou par des
secteurs d'activité pouvant avoir des modes de fonctionnement
réutilisables par l'entreprise commanditaire du benchmark. «Une
pêche aux bonnes idées»
http://www.definitions-marketing.com/Definition-Benchmark
52
http://Eyeka.pr.co/99215-Eyeka-releases-the-state-of-crowdsourcing-in-2015-trend-report
53
http://www.nielsen.com/fr/fr/about-us.html
est un important cabinet d'audit de consommateurs
29
affiner leurs identité, pack ou vidéo. Ainsi,
Holly McAllister, une créative star de la plate-forme, se
présente comme «Consulting & free-lance visual artist
designer» :
« Many clients pay for the top design results from
such a contest and then use those ideas to jumpstart the rest of the creative
process with their own advertising agency or in-house design department.»
(Holly McAllister, 2015)
3) Ce que veulent les marques
Diversité, innovation et coût
La littérature distingue plusieurs raisons pour une
organisation de recourir au CAI54. Pour Alec Ross, conseiller
d'Hillary Clinton, « Parfois, la sagesse de la foule peut-être plus
grande que celle d'un expert. ». Les internautes apportent une forme
d'expertise aux entreprises, pour concevoir de nouveaux produits ou
résoudre des problèmes complexes qui ne peuvent être
résolus en interne. Cette expertise de la foule est
mathématique : si un très grand nombre de personnes sans
relations entre elles évaluent une situation, la moyenne de leurs
opinions est souvent meilleure que celles des experts les plus
compétents. Le recours au CAI, permet alors d'accroître dans
certains cas la productivité lorsqu'il stimule des équipes
internes en les mettant en concurrence avec un réservoir mondial
d'autres chercheurs (Sur IBM JAM par exemple). Avec pot-pourri
d'idées, la marque recherche en premier lieu un moyen
d'expérimenter de nombreuses situations différentes.
(Burger-Helmchen et Pénin, 2011).
« La qualité a dépassé de loin
nos attentes. Ce qui a fait évoluer notre organisation sur la
façon de faire les choses, d'accéder à des concepts
créatifs et à des idées innovantes. » (Leonardo
O'Grady Directeur IMC chez Coca-Cola)
La mondialisation impose aujourd'hui aux entreprises de
proposer des solutions innovantes et adaptées aux besoins
identifiés dans leur domaine. Elles doivent trouver d'autres
façons de pérenniser leur activité pour rester
compétitives et surmonter les résistances au
changement55. Cette créativité nouvelle et externe
permet à la marque de sortir du piège incrémental
(Burger-Helmchen et Pénin, 2011). Les créateurs,
par souci de reconnaissance ou simplement par attrait pour la marque vont
répondre à ces concours sans pour autant rechercher de retour
financier. Le CS propose alors un coût de l'innovation bien
inférieur à celui d'une tâche réalisée en
interne.
« Grâce à Eyeka, nous obtenons 80% de
l'impact pour 20% des coûts. » (Laura Ashton
Directeur Marketing de l'Eclairage chez Philips.56)
Par ailleurs, la marque ne paye que ce qu'elle souhaite
utiliser et réduit considérablement le risque d'échec au
sein de ses équipes ou prestataires habituels.
54 Sawhney et Prandelli, 2000; Sawhney et al. 2005;
Nambisan et Sawhney, 2007; Ågerfalk et Fitzgerald, 2008; Pisano et
Verganti, 2008; Trompette et al. 2008; Schenk et Guittard, 2011 ;
Burger-Helmchen et Pénin, 2011
55 Consulter la partie disruption océan bleu /
océan rouge en 5)192La zone de confort et la prise de risque.
56 Témoignage affiché en page
d'accueil Eyeka, version 2014, permettant de valoriser l'intérêt
financier de passer par une plate-forme de CS
30
Une pratique en forte croissance
Jusqu'à présent il était difficile
d'évaluer le recours systématique au crowdsourcing
d'activités inventives (Burger-Helmchen et Pénin,
201157), ni même d'étude permettant de savoir si cette
pratique entre ou non en concurrence avec les agences (Y. Roth). State of
crowdsourcing in 201558dresse cependant pour la première
fois un état des lieux sur cette pratique au niveau des grandes
marques.
85% des plus grandes marques59 ont fait appel au CS
ces dix dernières années : Coca-cola, Pepsi, Danone, Samsung,
GE... tous les secteurs sont représentés, majoritairement des
marques de Produits de Grande Consommation. Utilisant au départ les
réseaux sociaux, celles-ci ont commencé à faire appel
à des plates-formes spécialisées dès leur
apparition autour de 2005 et préfèrent aujourd'hui
majoritairement60 utiliser ces intermédiaires pour alimenter
leurs campagnes marketing de nouvelles idées. Au cours de la
dernière décennie, les marques ont surtout utilisé le CS
pour organiser des concours de vidéos (45%) et d'idées (23%).
Les marques ne passent en effet pas toujours par les
plates-formes. Elles lancent elles-mêmes des initiatives fortes visant
à impliquer leurs clients dans des opérations de CAI :
Un site dédié comme celui de
Décathlon-Open Oxylane61 fait appel aux pratiquants
pour concevoir les produits sportifs du futur et invite ensuite les
gagnants dans l'entreprise pour participer avec les designers-maison
à élaborer le concept avant de passer en production.
Avec McDonald's MyBurger 62vous pouvez
créer votre propre hamburger de A à Z, les 12 sandwiches
plébiscités par le web seront ensuite réalisés en
cuisine. Un jury décidera ensuite de commercialiser les 5 burgers
gagnants.
Sur My Starbucks Idea63, 75 000
idées ont été déposées dès la
première année, et plus d'une centaine d'entre elles ont
déjà été concrétisées par
l'entreprise. "Qui mieux que vous sait ce que vous attendez de Starbucks
?"
On peut donc se demander, ce que ces marques viennent chercher
de différent par rapport à une agence classique. Selon Divard
(2014), deux questions fondamentales se posent aux entreprises :
pourquoi s'engager dans une opération publicitaire participative ? Et
comment le faire de manière efficace ?64
57 En dehors d'exemples emblématiques
(Procter & Gamble) et d'anecdotes originales, nous n'avons pas connaissance
d'étude empirique mettant en évidence la pratique
systématique et à grande échelle de stratégies de
CAI.
58 Présenté sur la nouvelle page
dédiée au CS d'Eyeka, Roth Y., Petavy F., Céré J.
The state of Crowdsourcing in 2015 [En ligne]. avril 2015. Disponible
sur : <
https://fr.Eyeka.com/resources/analyst-reports#CSreport2015
>
59 Identifiées par Best Global Brands Rankin
comme les plus valorisées au monde sur
www.bestglobalbrands.com
60 75% des opérations de CAI
61 Open Oxylane - Sports co-creation platform,
https://www.openoxylane.com,
(consulté le 19 novembre 2014).
62 « McDonald's MyBurger /Meet the People's Champion!
». Disponible sur :
https://myburger.mcdonalds.co.uk/top5home
(consulté le 16 janvier 2015)
63 « My Starbucks Idea | Share, Vote, Discuss, See |
Starbucks Coffee Company ». Disponible sur :
http://mystarbucksidea.force.com
(consulté le 16 mars 2015)
64 Divard R. « La participation des
consommateurs aux campagnes publicitaires : ses formes, ses avantages et ses
limites ». Gestion [En ligne]. 17 janvier 2014. Vol. 38,
n°4, p. 61?73. Disponible sur : <
http://dx.doi.org/10.3917/riges.384.0061
> (consulté le 17 janvier 2015)
31
Le consommacteur
Avec le web 2.0, le marketing participatif est en forte
progression. Les consommateurs ne sont plus de simples lecteurs de contenu. Ils
en deviennent les acteurs et participent à l'élaboration de
nouvelles formes de campagnes publicitaires dans lesquelles ils se retrouvent
directement impliqués. Ayant acquis une certaine maturité
grâce aux réseaux sociaux, ils élaborent une nouvelle forme
de dialogue direct avec les marques.
Pour les grandes marques, cela représente bien plus
qu'une économie. Divard (2014) identifie les avantages
potentiels65 pour lesquelles une organisation souhaite avoir
recours au crowdsourcing : connaissance du consommateur permettant d'enrichir
une base de données, renforcement de la relation avec la marque et de
son image, amélioration du trafic sur les réseaux sociaux,
réalisation d'économies et amélioration des ventes.
Pour les marques, l'idéation constitue alors une source
d'accès direct à ces lectacteurs ou consommacteurs
(Rebillard, 2007 ; Divard, 2014 ; Pelissier, 2011) où les managers
auraient simplement « à se baisser pour ramasser ces idées
et cela, de plus, gratuitement » (Bernard Cova, 2006)66. Les
créateurs vont permettre à la marque de faire parler d'elle tout
en lui donnant de nombreuses informations sur la manière dont ces
créatifs la perçoivent. Il n'y a plus de « push » ou de
mail lié à une transaction précédente, aucune
plainte ou question de service après-vente : la contribution est
spontanée. La marque priorise ainsi les idées en fonction des
consommateurs. Cette relation lui permet de réaliser à la fois un
audit marketing (rapide) et une publicité qui n'en a pas la forme.
Le sentiment d'implication
Cette « dépublicitarisation67 »
(Aubrun, Patrin-Leclère, Marti de Montety, et Berthelot-Guiet, 2014)
où l'aspect promotionnel passe au second plan est fortement liée
au sentiment d'appartenance de la part des créatifs.
« Ils ont envie d'être reconnus pour ce qu'ils
pensent, de parler aux marques à travers une ligne directe et que les
paroles se transforment en actes pour faire avancer le monde qui les
entoure.68 » (Livescault J., 2014)
Cette reconnaissance se retrouve également au niveau
des témoignages affichés sur les blogs des plates-formes :
65 Mieux connaître le consommateur /
Bénéficier de la créativité des consommateurs /
Créer du mouvement sur son site et sa page Facebook et développer
sa base de données / Renforcer la relation avec la marque /
Bénéficier de retombées positives sur la
notoriété et l'image
Améliorer les ventes / Réaliser des
économies
66 (Cité par Divard R en fin d'ouvrage, Le marketing
participatif) : Cova B. Innover en marketing. Paris; New York : Tec & Doc
Lavoisier, 2006. 232 p.ISBN : 978-2-7430-0870-3.
67 Aubrun F., Patrin-Leclère V., Marti De
Montety C., Berthelot-Guiet K. Valérie Patrin-Leclère, Caroline
Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours
et contours de la dépublicitarisation [En ligne]. , 2014. Disponible sur
: <
http://lectures.revues.org/15111
> (consulté le 7 octobre 2014)
68 Livescault J. Le crowdsourcing d'idées,
la nouvelle révolution B2C [En ligne]. Webmarketing & co'm.
10 novembre 2014. Disponible sur : <
http://www.webmarketing-com.com/2014/11/10/33461-crowdsourcing-didees-nouvelle-revolution-b2c
> (consulté le 16 mars 2015)
32
« C'est en 2011 que ça s'est
débloqué, je n'ai pourtant pas l'impression d'avoir changé
de style ou de m'être calibrée pour gagner. J'ai donc
découvert le plaisir de la reconnaissance des clients qui
adhèrent à ce que l'on fait et propose.
»(@Freestylo)69
L'implication du client dans la vie de la marque et la
reconnaissance de son savoir-faire, permettent de renforcer un sentiment
d'identification. La marque devient une valeur sûre aux yeux du
consommacteur qui n'hésitera pas à en parler à
son entourage, surtout si son idée est sélectionnée. Le
sentiment de faire partie d'une communauté de privilégiés
est ainsi très présent.
« la seule rétribution que retire chaque
contributeur étant alors le plaisir de participer à
l'amélioration de quelque chose qui est important à ses yeux (la
foule prend de ce fait certaines propriétés des
communautés, ce qui modifie les conditions de recrutement et
d'interaction avec l'entreprise » (Burger-Helmchen et Pénin,
2011)
Sur les plates-formes : Le produit c'est votre production
et vous
C'est sans doute dans le domaine de la santé que l'on
trouve le plus d'initiatives de crowdsourcing, et aussi le plus grand
écart en terme de positionnement éthique avec l'utilisation des
données personnelles où l'utilisateur devient finalement le
produit à vendre. Les mutuelles utilisent ensuite ces data
pour nous proposer des tarifs ajustés en fonction de nos
performances de santé70.
n'
Quel rapport avec le graphisme ? A priori pas grand chose,
pourtant en fournissant des données marketing par le biais de
plates-formes de création, le consommateur va donner aux marques un
pouvoir de séduction plus précis, plus ciblé. Avec le web
social dominé par Facebook et sa foule d'utilisateurs, Andrew
Keen71 estime que la Privacy72 est sans doute un
des grands enjeux éthiques et économiques à venir
où les nouveaux business s'organisent autour de cette question. Le
produit sur ces plates-formes : c'est le créatif. Les données
personnelles qu'il va fournir aux plates-formes sont essentielles en marketing.
Les marques vont pouvoir savoir votre âge, ce que vous aimez, comment
vous les percevez ou les imaginez évoluer. L'offre de valeur
apportée par les contributeurs aux marques est pas uniquement la
production retenue à la fin, c'est aussi un audit marketing permettant
de
savoir comment celles-ci sont perçues par des dizaines
ou centaines de personnes qu'une organisation ne trouvera jamais au sein d'un
simple focus group.
« Ce qu'achètent les clients c'est cette valeur
lié à la masse. » (B. Fluzin, entretien 2015)
Propriété intellectuelle, compétences,
anonymat, seule la plate-forme de CS connait tout le monde et possède
ces données, qui constituent son trésor. Jusqu'où
faut-il légiférer dès lors qu'une action orchestrée
par la foule génère du profit pour une plate-forme. ? Bruno
Téboul se demande même si la question doit être
soulevée pour un faible niveau d'investissement de la part de
l'internaute :
69 Paroles de Créa - Découvrez
l'interview de @Freestylo ! [En ligne]. We are a design tribe -
Creads. Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-freestylo
> (consulté le 25 juillet 2015)
70 Apple a négocié un énorme contrat avec
les mutuelles américaines peu de temps avant de lancer son bracelet
connecté
71 Keen A. Rsln Andrew Keen : « J'ai fait du
chemin, depuis Le culte de l'amateur ... » [En ligne]. 27 octobre
2010. Disponible sur : <
http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx
> (consulté le 22 mars 2015)
72 Les Data qui incluent des données
personnelles
33
« La Data et les algorithmes. Il est indispensable
que des géants comme Google, Facebook et autres, soient contraints de
rémunérer chacun d'entre nous en échange des informations
qu'ils ont récoltées et archivées sur nos propres vies.
» (B Teboul, 2015)73
4) Discours
Bienvenue chez nous, vous faites partie de
l'agence
En arrivant sur la page d'accueil d'une plate-forme, on
découvre qu'elle se définit comme une grande
communauté de créateurs en ligne qu'il faut
rejoindre. Ces sites se focalisent surtout sur cette valeur, et cherchent
à attirer de nouveaux clients avec une mise en avant «
chiffrée » de leur vivier de créatifs. Les sites de CS ne
portent guère d'attention aux créatifs de manière
individuelle. Ils sont présentés comme une ressource et un
potentiel quantitatif de réponses.
« Eyeka est une communauté mondiale de
créateurs talentueux qui aiment résoudre les défis de
marques grâce à des idées créatives et du contenu de
qualité. » (Eyeka, 2015)
Qu'il s'agisse de la meta description74 ou
du header75, on retrouve toujours cette Sainte
trinité : communauté, (grandes) marques, gains et
reconnaissance :
1. Devenez un membre de la plus grande communauté de
créateurs au monde !
2. Participez à des concours stimulants lancés
par de grandes marques.
3. Remportez des Prix, soyez diffusé et reconnu
(Eyeka, 2014)
La promesse communautaire est très présente (sur
la version Eyeka 2014), jusqu'au Y du logo Eyeka qui
s'apparente à un personnage les bras en l'air76. Les
créateurs sont présentés sous forme de
mosaïque77 et mis en avant comme de vrais créatifs
sur la page d'accueil. Sur un ton très proche de l'utilisateur,
vous êtes invité à rejoindre cette communauté :
Rejoignez-nous ! Ce dialogue est destiné à interpeler le
futur membre, qu'il soit amateur ou professionnel.
Les blogs
Outil de communication à part entière, les blogs
des plates-formes permettent de faire une promotion complémentaire. Les
témoignages sont un moyen de provoquer l'adhésion de nouveaux
membres et participent à l'émulation de la communauté (la
tribu). Ils jouent toujours sur l'aspect communautaire avec des articles
très variés.
73 Teboul B. « L'ubérisation, ce tsunami qui va
déchirer notre économie. »
Capital.fr [En ligne]. Aout 2015.
Disponible sur: <
http://www.capital.fr/bourse/actualites/l-uberisation-ce-tsunami-qui-va-dechirer-notre-economie-1061678
> (consulté le 1 août 2015)
74 Ici Eyeka, version 2015, plus compacte,
sans doute pour répondre aux besoins de Google de 160
caractères
75 Le header est le terme utilisé pour
désigner la partie haute d'un site web, c'est avant tout un terme HTML5
qui est aussi utilisé par les designers.
76 On peut imaginer qu'il symbolise l'esprit positif
des défis proposés aux créateurs : Members of our
community express themselves in a visual way. This is the «eYe» part.
As to the «Ka», it is an ancient Egyptian word meaning the
«spirit» - part of the human soul. By asking our community to express
their ideas visually, we can better unlock what they mean. Hence:
«Eyeka».
77 Voir capture écran Creads en annexe
en page 171 et Eyeka en page 187 .
« Faites-vous interviewer et présentez votre
travail / Devenez notre prochain Créateur du mois et partagez votre
histoire avec le monde créatif ! » (Eyeka)
Sur Eyeka, les témoignages sont réunis
sur une page dédiée « histoire de créateurs »,
un storytelling initié avec le blog par les témoignages
réguliers des créateurs du mois78. La
rubrique CREAS de Creads permet de découvrir les paroles de
créas. Ces portraits de graphistes, gamers, copywriters,
graffers côtoient des articles sur la typographie ou des astuces sur
le webdesign.
« Paroles de créa est une rubrique qui permet
à la communauté Creads de s'exprimer. C'est très
enrichissant puisque nous avons tous des parcours différents »
(Justine, créative chez Creads)
En mettant en avant un créateur de la communauté
(renouvelé régulièrement), cela participe au
positionnement humain de la plate-forme en matière de communication. Le
fait d'intégrer la plate-forme, permet de faire partie d'une
famille. Une caste comme dans le cinéma ou le « monde
de la pub ». Le site joue d'un ton bienveillant qui permet à
chacun de tenter sa chance. On sait que l'on sera suivi et
épaulé.
« L'équipe d'Eyeka est toujours très
attentive, telle une petite famille de l'audiovisuel. » (Marcs 2nd prix
Vidéo du concours Coca-Cola - Premières fois.)
Les créatifs sont sensibles, ils mettent un peu
d'eux-mêmes dans une création, ils ont parfois peur de
l'échec et un refus n'est jamais facile à accepter. Eyeka
sait que le temps passé et investi n'est pas toujours rentable,
puisque 3 propositions sur une moyenne de 60 seront primées. Il faut
donc transformer les échecs en expérience positive.
« Le plus important dans une compétition, c'est
de vous remettre en question. » (Marinapambou Membre de la
Communauté d'Eyeka.)
La promesse du gain est toutefois toujours présente.
Certains témoignages permettent de créer une projection pour les
créatifs. On peut les comparer à ceux des gagnants du loto :
c'est possible, pourquoi pas vous ?
« En consultant ma messagerie, il y avait un email
d'Eyeka m'annonçant que j'avais gagné le premier prix ! Pour
nous, c'était bien plus qu'un simple prix. C'était la
réponse à nos prières. Grâce à Eyeka, nous
avons pu payer une partie de notre mariage. »
(Ranggaimmanuel 1er prix (Design) du concours Vivre l'instant
Présent.)
Tout commence par un compte
Outre la volonté de « vous »
présenter le concept, et la marche à suivre par étapes
pour participer et « devenir célèbre » sur le
« plus grand terrain de jeu créatif du monde ! »
(page d'accueil Eyeka), l'objectif des pages d'accueil est
limpide : « créer un compte » ou « demander une
présentation » (si on est sur la page dédiée aux
marques). Le site s'adresse toujours à sa communauté et lance un
défi : « Créez le buzz », « Mettez l'eau
à la bouche ».
34
78 Ils sont à présent plus faciles
à trouver que sur le blog.
35
Pour parcourir la page en détail, lire l'ensemble du
brief ou empocher de futurs gains : il faut s'inscrire. Lors de cette
étape, il est possible d'indiquer sur son profil si l'on est amateur,
professionnel et même auto-entrepreneur. L'agence sera toujours
à votre écoute, le community manager se fera un
plaisir d'y répondre personnellement. Une fois inscrit, il vous
sera possible d'échanger avec la communauté internationale.
En découvrant le mur vous ne pourrez échanger
qu'avec des francophones (En ce qui concerne Creads)...
Profil de performances
S'il est possible d'indiquer de nombreuses informations sur
son profil (qui serviront aux marques), il est rare de trouver un
créatif qui se présente sous son nom propre. Sur Eyeka,
la plupart des membres utilisent leurs identités et des photos de
profil. L'affichage se fait de manière aléatoire sur une
mosaïque d'avatars79sans cesse renouvelée. On peut ainsi
consulter chaque profil sans pour autant avoir la possibilité de les
trier par région ou palmarès80. A l'inverse, sur
Creads, les avatars sont des logos (souvent les initiales du
pseudo81). Le site se focalise sur un classement page à
page, un peu comme le tableau des médailles des JO. Chaque
membre de la communauté possède un mur qui est rempli
automatiquement lorsque l'on gagne un trophée, les autres membres
viennent alors féliciter le lauréat ou simplement
échanger avec lui. Les échanges sont peu nombreux et le mur ne
vit que par l'activité que génère la plate-forme, ce qui
donne une illusion d'activité.
À peine inscrit, la compétition commence pour
faire partie de l'élite créative de la
communauté. Vous figurez alors dans les bas-fonds du classement
autour de la page 458...(il y a même des scores négatifs !?). Pour
remonter, il faudra uploader, échanger ou gagner des « badges
». Si vous gagnez une victoire communautaire, vous pourrez
figurer environ à la 7000e place (autour de la page
100)82. Votre score créatif83
détermine votre stature : si vous êtes visible en première
page, vous avez probablement décroché la timbale
à plusieurs reprises. Sur Eyeka, un petit picto jaune
situé en bas à droite de l'avatar permet au créatif de
faire partie des 1% les plus actifs de la plate-forme.
Les informations principales visibles sont focalisées
sur votre rendement. Eyeka indique d'ailleurs très bien le
nombre de contributions soumises générant un classement en
pourcentage. Ainsi, La « page profil » fonctionne plus comme
un tableau de bord des performances qu'une fiche d'identité.
Ces chiffres sont là pour attirer les clients mais
aussi pour renforcer cet esprit de communauté
omniprésent dans le discours. C'est aussi un moyen d'attirer les
créatifs par un sentiment d'appartenance à cette
communauté, qui paradoxalement regroupe des personnes en situation de
79 Cette mosaïque n'et pas filtrable, le créatif est
« perdu » dans la foule. Capture en annexe en page 187
80 Eyeka vient d'introduire cet outil : vient d'introduire un
leaderboard :
https://fr.eyeka.com/leaderboard.
En savoir plus sur :
https://blogfr.eyeka.com/2015/10/19/le-leaderboard-d-eyeka-nouvelle-r-f-rence-cr-ative
81 Voir en annexe quelques exemples d'avatar en annexe en page
170
82 Le premier point situe le membre à la 12947e
place, (234e page), les premières victoires apparaissent pour
les 7425e, avoir 2 victoires vous place en 1065e
position, mais à ce stade, encore de nombreux membres accumulent des
points grâce aux autres critères. À partir de la
600e position, la tendance s'inverse, il y a plus de victoires que
de scores nuls.
83 Calculé sur plusieurs critères : Nombre des
victoires, Les votes de la communauté (étoiles jaune, argent,
bronze, autre place), niveau de remplissage du profil, les
contributions...
36
concurrence ! Ce dernier élément de discours
est-il une usurpation du terme ? Est-ce bien là l'esprit communautaire
et co-créatif pourtant sans cesse martelé ?
Tous amis, tous concurrents
Avec internet, la communauté a changé de
visage84, les liens se font à distance, devant un
écran qui devient l'espace où se déroulent les
échanges. Un des aspects fondamentaux du CS créatif est la
dimension communautaire. Les termes communauté,
collaboratif ou encore co-création sont utilisés de
manière récurrente. Les utilisateurs, au coeur de la
stratégie, ont un intérêt commun : les concours (ou vivre
leur passion). Pourtant, chacun reste dans son périmètre et les
échanges sont parfois loin de ce que l'on peut attendre d'une
communauté créative que l'on trouve sur un forum comme
Kobone85. Si l'on prend l'exemple de Wikipédia,
qui est du CS, cette communauté n'est pas forcément visible,
mais pourtant bien présente. La frontière est donc assez floue et
semble difficile à définir.
« Pour moi c'est une usurpation du terme ! Là
ce n'est pas une communauté ! C'est du poulailler ! De l'élevage
en batterie ! [...] J'ai commencé à bosser il y a 10 ans, et
à faire du design en autodidacte il y a plus ou moins 15 ans...
J'étais au collège, j'y connaissais rien, et j'allais sur des
communautés, sur des forums où les gens m'aidaient mais n'avaient
aucun intérêt à le faire, ils le faisaient par amusement,
on se donnaient des avis sur nos créas et puis ensuite, lorsque
toi-même tu avais appris des choses, tu aidais les plus jeunes qui
débutaient... ça c'était une communauté ! »
(B. Fluzin)
Sur Eyeka les interactions se déroulent en
« circuit fermé », uniquement pour les
créatifs ayant soumis et validé une création. Bien que
Creads soit plus proche d'un forum avec des fils de discussions
visibles de tous, le CS est une logique de production individuelle de
savoir (Burger-Helmchen et Pénin, 2011). Présentées
tous ensemble comme une grande famille - we are design tribe -(Devise
Creads), tous les utilisateurs sont paradoxalement concurrents :
« De surcroît, faire appel à la foule,
c'est avant tout faire appel à des individus ou à des
équipes qui entrent en compétition les unes par rapport aux
autres. Contrairement aux autres formes de crowdsourcing, dans le cas du CAI il
n'existe le plus souvent qu'un seul gagnant, qu'une seule meilleure solution.
» (Burger-Helmchen et Pénin, 2011)
Pour Baptiste Fluzin, les commentaires reflètent
même cette notion de compétition, où rien de constructif
n'alimente les échanges. Simplement un « bravo ton logo est
très chouette » qui sous-entend un « j'aurai bien
gagné à ta place ». L'ancienne version du site
Eyeka proposait d'ailleurs plus d'options d'interactions,
supprimées depuis, car jugées peu rentables, inutiles et
générant plus de bashing que de réels
échanges constructifs sur les projets soumis.
« Depuis le début, Eyeka a toujours
parlé de communauté, et je ne vois pas trop quel autre terme on
pourrait utiliser. Foule ? Je trouve ça réducteur, je n'aime pas
trop ce terme [...] Les médias, les clients, et même les gens de
la communauté souvent prennent pour argent comptant ce terme : 300 000
Créatifs : c'est une communauté. » (Y. Roth)
84 S. Proulx (2006) Communautés
virtuelles : ce qui fait lien in S. Proulx, L. Poissant, M.
Sénécal, éds, Communautés virtuelles :
penser et agir en réseau, Presses de l'Université Laval,
Québec, p. 13-26
85 Forum qui
fédère une grosse communauté de designers, professionnels
ou amateurs et qui échangent autour du design
essentiellement.
37
Les plates-formes n'aiment pas parler de foule mais
c'est bien de ça qu'il s'agit lorsque l'on traduit crowd de
l'anglais. Elles admettent que le terme est galvaudé mais utilisent les
codes communautaires. Il s'agit de marketing. Cette communauté ne
bénéficie qu'au gérant de celle-ci. La plate-forme a pour
objectif de proposer aux marques une communauté adéquate
à la demande (Pelissier, 2011). Pour Yannig Roth, la
communauté Eyeka est aujourd'hui plutôt
coordonnée et activée. Ce qui fait la
différence avec une communauté de marque sur Facebook (bien que
les données des "membres" représentent toutefois une mine
d'informations à revendre aux marques) c'est la capacité des
plates-formes à transformer cette foule en valeur.
« Si l'on prend ce terme au niveau sociologique comme
un ensemble d'individus qui partagent des lieux, des initiatives, des moments
d'échanges ou un objectif commun : alors Eyeka n'est pas une
communauté. En effet ils sont en concurrence, il n'y a pas de
possibilité d'interaction, sauf par les réseaux sociaux »
(Y. Roth)
Il faudrait sans doute un autre mémoire pour
débattre de la question, mais c'est sans doute au niveau sociologique
qu'il serait intéressant de regarder. Le mot est utilisé et
compris par tous. À partir du moment où l'on a affaire à
un ensemble de personnes qui partagent une pratique (Blablacar, AirB&B), le
fait est acquis qu'il s'agit d'une communauté, même pour un mur de
créatifs en concurrence. La logique est la même pour la
co-création qui joue sur la tendance des espaces de co-working et des
studios.
Des plates-formes orientées utilisateurs
« Pour cette nouvelle version, nous avons voulu
réfléchir à la fois du point de vue des créateurs
qui nous suivent depuis si longtemps et qui connaissent déjà
toutes les règles de notre « aire de jeux », mais
également du point de vue de ceux qui voient Eyeka pour la
première fois et essayent de comprendre ce que veut dire toute cette
histoire de crowdsourcing86. » (Eyeka, 2015)
Malgré un positionnement différent, les
plates-formes ont un mode de fonctionnement qui reste le même et jouent
sur des recettes similaires. Grandes marques, discours au champ lexical ambigu,
message toujours positif et enthousiaste, interfaces proches de celles des
agences (Creads) ou des startup (Eyeka) sont des appeaux
à créatifs. Le CS semble en effet modifier la manière
dont les marques utilisent les consomm-acteurs. Elles utilisent à la
fois leur travail mais aussi les données marketing qu'ils
représentent. Pour clore cette partie, soulignons le fait qu'un site de
CS s'adapte clairement en fonction de l'utilisateur. Une fois celui-ci
connecté, le menu principal est simplifié et dépend du
statut de l'usager : contributeur-créatif ou client
(marque-crowdsoucer). L'espace commun est celui du concours (ou projets) que
nous allons à présent étudier par phases en nous
plaçant essentiellement du point de vue du créatif.
86 Nouveau site Eyeka | Blog Eyeka - the Co-Creation
Community [En ligne]. juillet 2015. Disponible sur : <
http://blogfr.Eyeka.com/2015/07/08/nouveau-site-Eyeka/
> (consulté le 11 juillet 2015)
38
5) Les mécanismes du concours
Les concours, regroupés sous la rubrique « projets
» des plates-formes, sont toujours encadrés par un règlement
que chaque plate-forme élabore en fonction de l'objectif souhaité
par le client et de son positionnement. Les créatifs découvrent
les concours par un petit résumé et une image
générique. Le gain et le type de concours sont les infos
principales visibles. L'ordre d'affichage est défini par la deadline
(Date butoir) du dépôt (upload) : il vous reste X jours
pour uploader votre création !
Nous allons étudier le déroulement en phases
d'un appel à création proposé par la plate-forme
Creads en nous appuyant sur un projet de refonte de logo pour un
garage spécialisé en poids lourds (SEGASEL). Nous verrons tout
d'abord les différentes formes et les règles qui entourent ces
concours. Puis nous étudierons le Brief et les échanges qui
s'opèrent durant la phase de création et nous verrons enfin ce
qu'il advient des créations et des gagnants une fois le concours
terminé en étudiant la manière dont les
rétributions sont orchestrées.
Les phases des concours
Un concours se déroule sur de plus nombreuses phases
souvent indiquées par une timeline. Sophie Renault
(2014)87 distingue six phases qui sont sensiblement les mêmes
selon les plates-formes. Nous en ajouterons une septième : la phase
préparatoire de définition des règles (Brief et
CGU88) :
Phase 01 : Définition des règles et
élaboration du brief créatif Phase 02 : Le lancement du
concours
Les participants découvrent le nom, la dotation et
l'échéance du concours auquel ils peuvent choisir ou non de
répondre. Ils suivront alors le brief créatif et les
guideline,
Phase 03 : La création
Pendant cette phase dont la durée varie de 2 semaines
à 2 mois selon la complexité des projets, les créatifs
peuvent poser des questions au Community manager en charge du projet.
Ils peuvent uploader leurs productions jusqu'à la date de
clôture du concours.
Phase 04 : Les délibérations (votes)
Dans un esprit d'émulation, le premier vote est
communautaire. Les participants peuvent juger les créations des autres
participants en attribuant une à plusieurs voix. Ce qui permet
d'augmenter un score créatif ou de gagner des « badges
». Puis une période, dont la date n'est pas précisée,
permet au client d'affiner ses choix souvent avec l'aide de la plate-forme qui
effectue un premier tri (Eyeka) selon la pertinence des
réalisations.
Phase 05 : La décision du client
Le site annonce le ou les vrais gagnants.
87 Renault Sophie, 2014, « Crowdsourcing : La
nébuleuse des frontières de l'organisation et du travail »,
RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise, 1 mars
2014, vol. 11, no 2, p. 23?40
88 Conditions générales d'utilisation,
séparé ou faisant partie du brief créatif. Elles sont
aussi rappelées lors de l'inscription sur la plate-forme.
39
Phase 06 : La fin du concours
Une fois le concours terminé, il est possible d'obtenir
des informations permettant de situer le contexte du concours, de lire le brief
au complet. On découvre alors les statistiques clés du concours :
les montants des gains selon les gagnants ; les Favoris de la
Communauté désignés comme les plus créatifs ou
les plus originaux ; l'ensemble des contributeurs89, leur pays
d'origine sous la forme d'une mosaïque des profils (Eyeka) ou une
galerie (Creads). Les médias acceptés peuvent être
visibles ou non. Le témoignage du client accompagne parfois le travail
effectué permettant de justifier son choix et de valoriser la
création retenue.
Phase 07 : Le paiement des gains
La rétribution s'effectue ensuite au titre d'une
session de droits d'auteurs. Le(s) gagnant(s) est gratifié de points et
fait monter ses statistiques.
Les règles et les différents types de concours
Du brief initial au brief créatif
Les règles, uniques pour chaque concours, sont
définies en amont avec la marque et peuvent prendre différentes
formes. Les conditions de succès d'une opération de
publicité participative90 (Divard, 2014) sont
définies en plusieurs étapes : Objectifs, cible, nature et
philosophie de l'opération, nombre de lauréats et
récompenses, procédure de collecte et de sélection des
propositions, calendrier, suivi, accompagnement médiatique, coût
et bilan de l'opération.
Le brief initial définit les objectifs du
client. La plate-forme aide alors celui-ci à transformer la
stratégie marketing en un brief créatif destiné
à la communauté. Ce travail exploratoire rejoint celui d'une
agence classique91, qui reformule la demande pour la soumettre
à ses créatifs. La relation client est essentielle dans cette
phase et la qualité du brief permettra d'obtenir une réponse plus
juste. La première question que pose la plate-forme au client est de
savoir s'il est possible d'externaliser la demande :
« Il y a des choses que l'on ne peut pas externaliser
; par exemple des clients demandent une stratégie 360° digitale
» (Y. Roth92)
En général, un concours se concentre sur une
tâche. Il est rarement demandé aux créatifs de concevoir
plusieurs produits dans une campagne ou pour une charte graphique. Cela permet
d'assurer l'adhésion de la communauté qui peut identifier plus
facilement la tâche.
89 Participants avec au moins une contribution, (upload)
validée au concours
90 Divard R. « La participation des consommateurs aux
campagnes publicitaires : ses formes, ses avantages et ses limites ».
Gestion [En ligne]. 17 janvier 2014. Vol. 38, n°4, p. 61?73.
Disponible sur : <
http://dx.doi.org/10.3917/riges.384.0061
> (consulté le 17 janvier 2015)
91 Un free-lance effectue aussi ce travail pour étudier
l'univers du client et affiner la demande
92 En marketing, une stratégie 360° consiste à
traiter toutes les facettes d'une problématique, elle combine une large
palette de médias Activation, site web, street marketing, pub tv,
expérience retail.
40
Les conditions du concours
La participation est tout d'abord conditionnée par la
création d'un compte utilisateur sur la plate-forme. Pour qu'une
participation soit validée, le créatif devra alors respecter les
contraintes du brief, liées au fond, format ou guidelines
imposés par la marque. Nous pouvons alors classer ces concours
selon deux axes qui peuvent se recouper, dans les deux cas il peut y avoir des
restrictions :
Le premier un axe concerne les participants. L'ouverture sans
restriction est souvent la forme la plus répandue des appels à la
création. Tout le monde peut alors répondre au concours mis en
ligne par la plate-forme. Ce qui est évident si le client souhaite
obtenir un maximum de participations.
Il y a cependant des restrictions liées à
l'âge qui peuvent s'appliquer : dans le cas de concours liés
à l'alcool ou tabac (plus rare) où les participants doivent
être majeurs ou encore si le créateur est mineur, celui-ci
s'engage à fournir une autorisation parentale. Sur la plate-forme
Creads, il est également possible de participer aux concours
confidentiels pour lesquels il faut fournir une copie de la carte
d'identité.
Pour des plates-formes comme Eyeka, qui
déclinent parfois les concours en 12 langues, il peut aussi y avoir
aussi des restrictions géographiques. Lorsqu'une marque a l'habitude de
ne contracter qu'avec un public originaire d'un pays en particulier ou
d'exclure certains pays :
« On le voit souvent avec les clients
américains, qui ont pour habitude dans les opérations en ligne
d'exclure de la participation des ressortissants de pays avec lesquels il n'est
pas possible de contracter librement, comme Cuba... » (É. Favreau -
Eyeka)
Le second axe concerne la diffusion des contributions. Il est
fortement lié à la notion de droits d'auteurs. L'approche est
totalement différente selon les plates-formes et permet de comprendre le
positionnement stratégique de celles-ci. Dans une vidéo
explicative, Éric Favreau, responsable juridique d'Eyeka
explique qu'il y a trois types de concours93 : Confidentiel (la
marque n'est pas dévoilée), participations confidentielles (on ne
voit pas les productions) et ouvert (on peut voir les productions et la
marque). Les clients, pour des raisons stratégiques, ne souhaitent pas
toujours divulguer les créations une fois le concours effectué.
Le mode confidentiel de Creads empêche la diffusion du
concours via Google. Ceux qui n'y ont pas participé ne peuvent pas
découvrir les créations (comme sur Eyeka).
Nous verrons que les participants n'intègrent pas
toujours ces aspects de confidentialité lorsqu'ils acceptent les termes
définis par les CGU, focalisés sur la demande tels des zombis
du brief, ils réalisent ensuite qu'ils ne pourront pas toujours
alimenter leur book de leur création.
Le brief créatif
Une fois la phase préparatoire effectuée, le
brief créatif est diffusé à la communauté.
C'est le lancement du concours (phase 2) et le démarrage de la
conception pour les créatifs.
93 Éric Favreau, [Webinar] Creative Crowdsourcing From A
Legal Perspective. 2014.
https://www.youtube.com/watch?v=7cMVfY-j7lE&feature=youtube_gdata_player
41
Aujourd'hui en agence, les échanges avec le client se
font en phases de travail, il y a des allers-retours, souvent à distance
lors de conf-call94sur skype. Des outils
collaboratifs comme permettent au client d'annoter en direct ses remarques.
Google drive, evernote, dropbox sont ainsi des outils très
pratiques. Les échanges courts et réguliers ont pour but de faire
évoluer le brief plus précisément. Cet ajustement est
essentiel car il permet au créatif de s'approcher au plus près de
la demande :
« Cette proposition de l'ajustement désigne un
régime d'interaction au cours duquel, l'acteur s'engage dans un
corps-à-corps avec un dispositif de communication et interprète
la situation (c'est-à-dire qu'il la comprend et la juge) en mobilisant
des représentations de cette situation et en déployant un travail
réflexif sur sa posture de visiteur » (Jutant,
2011)95
Sur une plate-forme de CS, l'acte de production reste le
même mais le seul interlocuteur du créatif reste le Brief, et la
possibilité de dialoguer avec le Chef de projet par
l'intermédiaire d'un formulaire de contact semble limitée. Le
designer peut ainsi manquer de recul. L'évolution du Brief peut
toutefois s'opérer pendant la phase de concours, le client ajuste sa
demande à mesure que les propositions sont déposées sur la
plate-forme, mais il y a toujours cette notion d'échange à sens
unique, où le créatif reçoit le fruit des discussions
entre la plate-forme et son client :
« Pour un projet de logotype, le brief n'a
cessé d'évoluer avec le client : il exprimait ses souhaits au fur
et à mesure de nos propositions. Le client est toujours
décisionnaire au final. » (@Elie-X96)
Sur le concours SEGASEL de Creads, Aurélien le
chef de projet, s'adresse directement au créatif. Il nous
présente son brief créatif affiché en page du
projet. Il faut que l'on sache que l'on a affaire à un interlocuteur
réel. Simple guide sémantique, les grandes lignes sont
ici présentées de manière très synthétiques
et l'on peut découvrir les guidelines souvent très
générales (format, couleurs, concept, mots-clés,
intentions client) permettant de moderniser avec dynamisme
l'identité de l'organisation97. Il est alors possible de
récupérer des éléments qui peuvent aider le
créatif dans sa démarche, comme l'ancien logo98, on
découvre que le client a en effet un
logo-totem-clé-à-molette-vendéen :
Et qu'il souhaite un logo qui ressemble à ça :
|
|
|
|
94 Terme utilisé pour désigner une réunion
téléphonique.
95 Jeannin H., Sarre-Charrier M. « Injonction de
créativité et création sous contrainte : parallèles
entre secteur culturel et monde du travail à l'épreuve du
numérique. » In : 82ème Congrès de l'ACFAS
Université Concordia, Montréal, Canada. Montréal : 2014.
p.107-116. Disponible sur : <
http://creanum2014.sciencesconf.org/conference/creanum2014/eda_fr.pdf
> (consulté le 16 février 2015)
96 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux
[En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste
> (consulté le 25 juillet 2015)
97 Brief complet, annexes en page 164
98 Suivant les concours les éléments peuvent aussi
être des motifs, tempêtes, maquettes wireframe de sites web ou
gabarits
42
Ou ça :
On apprend aussi que le F de Facebook ne le
fait pas rêver... Au travail et Bonne créa :)
nous souhaite Aurélien.
Démarche de création
Passons à la mise en pratique. Me99
voilà seul avec mon brief. J'ai eu à refaire en agence
l'identité d'un garage spécialisé de ce type (pour IVECO)
et je possède encore la bonne base de recherche pour arriver à
créer un camion qui ressemble à ce que demandait le
client à l'époque. Je vais donc, pour ce concours tester la
repompe100 et fournir deux propositions en moins d'une
heure « montre en main ». Commençons par visiter le site du
client101 pour cerner son univers : un webdesign pas vraiment dans
la finesse et un logo provisoire en têtière fait à partir
de la police Eurostile, et souligné par un arc de cercle rouge
(de toute beauté). Pour rester dans la charte, il faudrait utiliser le
bleu électrique en effet... Pourquoi le bleu ? Évidement
rien n'est précisé. En étudiant le secteur on pourra
découvrir qu'il s'agit d'une couleur identifiable pour les camions mais
qu'il ne s'agit pas d'une règle non plus. (Scania,
Volvo, Iveco, Daf, Michelin et l'univers
des poids lourds possèdent cette dominante).
Le brief manque souvent de précision. Suite au
questionnaire adressé aux gagnants de la plate-forme (dont nous avons
donné les grandes lignes dans notre corpus), 51% des personnes
interrogées102 estiment qu'il manque parfois des
éléments pour avancer tandis que 18,6% trouvent souvent
compliqué de cerner la demande. Seuls 30,2% trouvent que le brief
est toujours précis, en étudiant de plus près
leur profil on s'aperçoit qu'il s'agit surtout d'employés
dans un autre secteur puis de free-lances en recherche
d'opportunité. Fabienne Chabus, une conceptrice-rédactrice
faisant partie du top 5 des meilleurs créatifs qualifie ces
briefs de stéréotypés, ils ne permettent pas sans
une expérience solide en agence ou en free-lance de savoir quel axe de
travail et quel ton adopter. Elle précise qu'un entretien en direct
avec le client sera toujours le meilleur moyen de viser
juste103.
À chacun sa recette pour répondre.
@Jonk, un créatif interrogé sur le blog de Creads
indique la sienne, il
s'
|
agit surtout de technique et de forme, c'est la couche sensible
de la création :
|
« En général je vais prendre un bloc de
feuilles à côté de moi en mettant en avant les mots qui me
semblent importants, puis les idées et formes qui me viennent. Tout
ça sur une ou deux pages avec mes idées et les mots clés.
De là viennent des dessins qui se mélangent aux mots.
Après deux ou trois pages de rough je retiens les idées les plus
intéressantes et c'est là que je me lance sur mon ordi. Je ne
commence jamais rien sur Illustrator ou Photoshop tant que je n'ai pas mon
idée définitive. Je préfère avoir une
99 Je préfère utiliser la première personne,
car je me positionne ici comme graphiste et non l'auteur de ce
mémoire.
100 Concept détaillé en partie 2, Plagiat en page
84
101
http://www.segasel.fr/fr/
capture, annexe en page 166
102 Sur la base 305 concours : 51% totalisent 54% des concours
remportés - 18,6% totalisent 28% concours remportés - 30,2%
totalisent 18% concours remportés. (Source : questionnaire
réalisé pour cette étude)
103 Voir référence le témoignages de
Fabienne Chabus, annexes en page 160
43
idée du rendu avant en petit, griffonné au
crayon en noir. Je me sens beaucoup plus libre sur le papier qu'en utilisant
les techniques disponibles sur Illustrator104. » (@Jonk
!)
Étienne Robial, qui pendant 25 ans a accompagné
Canal+ en façonnant son identité graphique est
considéré comme un précurseur en terme d'identité
audiovisuelle, il décrit à sa manière le rôle d'un
graphiste dans le cadre d'un projet d'identité105 :
« Il doit aussi clarifier, hiérarchiser et
distinguer, dans le sens bourdieusien du terme, sans forcément d'ordre
hiérarchique. Je prends un exemple : si un mec présente son
émission en noeud papillon tous les jours de l'année, le 31
décembre il ne sait plus comment s'habiller. Et enfin, l'habillage doit
valoriser et promouvoir. Là encore, nous sommes dans le "faire joli",
notion que je mets volontairement entre guillemets car pour moi c'est quelque
chose qui se fait naturellement mais on n'est pas là pour ça.
L'habillage n'est pas qu'une histoire d'esthétique et de charte
graphique mais d'identité : quand on arrive sur l'antenne, on doit
savoir exactement où l'on est. » (Robial, 2014)
Le graphiste doit avant tout faire appel à son sens de
l'analyse pour comprendre une demande et la traduire afin de faire passer
des émotions à travers un travail visuel. (Gaborit, 2013). Il
peut intervenir dans de nombreux secteurs et peut avoir de nombreuses
facettes ou compétences techniques. Ces profils souvent atypiques
restent en veille à la fois au niveau technique et visuel. Ils scrutent
les tendances, et se révèlent indispensables au sein des
stratégies de communication :
« C'est le ciment qui relie toutes les variables
stratégiques d'une communication. Le métier de graphiste est un
métier qui se doit d'être remis en question chaque jour. Il se
plie aux tendances, aux évolutions du marché, de l'histoire et
des secteurs. » (Gaborit, 2013)
Voilà enfin mes propositions de logo terminées !
Une fois l'upload effectué, la plate-forme propose au créatif un
formulaire limité à 500 caractères pour défendre le
travail et expliquer la démarche créative... La
possibilité de fournir un argumentaire est restreinte. L'absence de
médiation discursive qui caractérise le CS où est sans
doute la principale rupture avec une commande classique. C'est un des points
qui soulève le plus de critiques de la part des professionnels du
design. Ils estiment que cette prestation incomplète dévalorise
la valeur du designer et conduit à une uniformisation du paysage
graphique (nous aborderons ce point en seconde partie de ce mémoire).
Etudions à présent le déroulement des dernières
phase du concours : la phase des votes et des rétributions.
104 Paroles de Créa - Découvrez l'interview de
@Jonk ! [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible
sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-jonk
> (consulté le 25 juillet 2015)
105 Il est possible de transposer cette démarche à
une identité ou un logo.
44
Ci-dessus les deux propositions, réalisées
chacune en 20 minutes, plaçant le travail de gauche à la
21e place sur 94 (3 votes).
La phase des délibérations
À la date limite définie par la plate-forme pour
déposer les fichiers, le concours entre dans sa phase de vote (phase 4).
Les créations validées sont alors visibles par les
créatifs mais aussi par les visiteurs nonparticipants suivant le type
d'appel à la création. Les participants peuvent alors
désigner les Favoris de la Communauté qui seront
affichés sur la page des résultats, aux côtés des
vrais gagnants. Offrant une visibilité à ceux qui
auraient été désignés par la communauté sans
pour autant avoir été choisis par la marque.
Les échanges entre créatifs
Les deux plates-formes étudiées sont
résolument tournées vers leurs Communautés qu'elles
utilisent comme un argument de vente auprès des marques. Dans un
processus de création, il est toujours important d'échanger ou de
voir ce que les autres ont produit, surtout lorsqu'une problématique est
donnée.
Sur Creads, les interactions sont très
présentes et visibles sous la forme d'un fil de discussion que
l'on trouve sur la page de la création soumise. Certains membres
semblent toutefois regretter l'ancien forum106, cette phase de
partage très appréciée semble aussi importante que la
compétition pour les créatifs, et peut même donner lieu
à des collaborations futures entre un créatif et un
rédacteur107. La disparition de ces échanges a
généré une certaine frustration.
Sur Eyeka, une nouvelle fonction a vu alors le jour
sur la page du concours au sein d'un club des contributeurs (Feedback
Circle sur la version anglaise). Espace ouvert uniquement aux
participants. Ce qui fait la différence avec d'autres plates-formes
comme wilogo ou Creads qui permettent au public de consulter
les créations alors que le concours est en cours de
délibération du côté client.
Aider à améliorer les compétences
Ces espaces ont été conçus pour permettre
aux participants d'échanger des astuces positives (Eyeka), des
conseils et des commentaires sur leur travail dans l'optique de les aider
à améliorer leurs compétences. Sur Eyeka, les
créations peuvent être notées par les créateurs
selon des critères de qualité, d'originalité de
l'idée, de singularité (ce qui la rend unique) et de pertinence
narrative. Sur Creads, un participant attribue un certain nombre de
voix pour désigner ses créations
préférées, jugement simplement fondé sur le
j'aime, j'aime pas qui peut aussi relever d'une stratégie si
celui-ci se bat pour le podium, les créations recevant le plus de votes
sont affichées en premier dans la galerie et les gagnants sont
106 Voir témoignage de @sifflodoc annexes, en page
161
107 Voir les témoignages autour des discussions,
annexes en page 161
45
désignés à l'issue de la période
de vote. Quelle que soit la plate-forme, la note des créateurs n'a aucun
impact sur le résultat final. Chaque action prise sur la plate-forme ou
vote remporté permettra au membre d'augmenter son score créatif,
permettant au profil de remonter dans le classement communautaire et de faire
même partie des meilleurs 1% (Eyeka). Sur Creads, une
autre forme de récompense permet de créer une émulation :
à la manière de trophées, de nombreux badges,
servant à illustrer différents paliers de progression,
permettent de cumuler des points supplémentaires et d'avancer dans le
classement général. Dans la veine des écussons de scouts,
le créatif affiche fièrement sur son mur ces petites
illustrations, en travaillant par exemple jusqu'à 2 heures du matin,
vous pouvez gagner celui de noctambule !
Le vote du client
Le recours au CS permet aux marques d'avoir virtuellement
accès à des ressources gigantesques (Burger-Helmchen et
Pénin, 2011). L'entreprise n'a cependant pas toujours les
capacités de traiter et d'absorber les réponses. Les
plates-formes permettent aux marques d'effectuer un tri des meilleures
propositions. Dans le cadre d'une production de contenu, elles fournissent un
produit « fini » ou une matière première aux
marques.
La fin d'un projet...
Chez Creads, le projet est terminé : l'Agence
sélectionne les meilleures propositions puis aide le client à
affiner son choix. Face à cette foule de propositions, il est sans doute
peu probable de trouver un travail de qualité qui soit vraiment
adapté à la demande. Bien qu'il puisse être
retravaillé par l'agence, nous verrons alors que ce process de travail
soulève de vives inquiétudes du côté des
professionnels. La création choisie n'est effectivement pas toujours
la plus professionnelle précise Geoffrey Dorne, mais celle
qui plaira le plus au commanditaire, qui décide. :
« Il n'y aura pas de grille de lecture basée sur
le design, mais plus sur le "j'aime, j'aime pas" » (G. Dorne) ...Et
le démarrage d'un nouveau
Concernant l'idéation pratiquée chez
Eyeka, la logique est sensiblement différente. L'analyse est
faite en externe (Parfois en interne) par des sémiologues,
sémioticiens, directeurs créatifs ou planners en free-lance. Ces
personnes ont une expérience de stratégie de marque et font une
analyse des entrées pour donner des grandes tendances, des concepts :
« Par exemple, McCann-Chine, qui lançait un
concours pour Coca-cola, son client, cherchait de nouvelles idées pour
communiquer le goût de la boisson. Ils ont eu, je ne sais pas combien,
mais des centaines d'idées qu'ils ont clusterisées en grandes
tendances. Ils ont choisi ensuite ce qui, d'après la marque et les
personnes qui travaillent sur ce compte au sein de l'agence, leur paraît
le plus prometteur. Évidement c'est aussi testé avec des
instituts d'études en parallèle. » (Y. Roth)
Cette méthode va relativement vite : « on a
des idées : et on choisit la bonne » (Y. Roth). Ce
qui n'arrive pas systématiquement. Parfois les marques ne trouvent pas
leur bonheur « Ce qui fait partie du jeu. » Et que la
plate-forme ne peut garantir.
Eyeka admet que la qualité des
réalisations est loin d'être professionnelle :
« On ne demande pas aux personnes de venir avec des
contributions parfaites, qui peuvent être utilisées dès le
lendemain par le client. » (É. Favreau). Dans une recherche
d'idée ouverte, les
46
exigences techniques, créatives et professionnelles
sont moindres que sur un appel d'offre s'adressant uniquement à des
professionnels. L'idéation peut cependant révéler des
concepts très intéressants.
« Alors c'est sûr : cette
créativité n'est pas toujours exprimée de manière
professionnelle. Mais ça on le sait ; et nos marques aussi. D'où
une étape ultérieure de redéfinition et re-travail
peut-être. » (É. Favreau)
Un des problèmes fondamentaux du marketing lors de ce
passage de relais est le fameux syndrome not invented here. Il arrive
en effet que l'idée puisse « se perdre » au sein des agences
ou entreprises ayant initié le projet. Les personnes évoluent au
sein des grandes marques, les validations peuvent demander du temps, et le
projet peut même finir par être oublié.
« C'est un gâchis d'argent pour la marque si
elle ne continue pas - à nuancer bien sûr - puisque c'est une
expérience et qu'il y a eu du travail en amont, de l'apprentissage et
des idées...» (Y. Roth)
qu'
C'est une des difficultés du crowdsourcing
d'idéation pour laquelle « Il n'y a pas encore beaucoup de
solutions aujourd'hui ». En adoptant cette posture, la plate-forme ne
contrôle pas la mise en place et l'implémentation. À
l'entreprise de choisir in fine, ce qu'il advient de ces idées ou de ces
créations. La vision d'idéation selon Eyeka est
de permettre aux marketers et aux agences d'être plus créatives.
Plutôt que de se situer dans la production, en remplaçant des
personnes existantes par du low-cost. C'est là aujourd'hui les marques
voient le plus de valeur et non dans la production ou le remplacement de
ce que font très bien les professionnels du design. Par
ailleurs, les marques souhaitent conserver un certain contrôle et le fait
de confier intégralement à la plate-forme son identité
représente un risque qu'elle ne souhaite pas prendre.
Les gains
Une fois cette période passée, qui sert de
mise en appétit, arrive la phase de décision client tant
attendue par les participants. Les gagnants peuvent exprimer leur joie et dire
:
« Quand tu gagnes, c'est comment dire, noël
avant noël ! Tu as l'impression d'être Di Caprio à l'avant du
Titanic en train de crier, je suis le roi du monde. Gagner face à des
centaines d'autres candidats cela te rebooste forcément et te pousse
à croire que tu as bien fait d'aller dans cette voie ! » Mistizouk
(Créatif sur Creads, France)
La « passion pour la création », est à
80% la motivation principale des gagnants. Pourtant 5% ne sont pas
intéressés par les gains... Pour un jeune professionnel, un
étudiant en design en passe de le devenir ou un designer qui travaille
déjà en agence ou à son compte, le premier critère
de motivation, « c'est tout simplement l'argent » selon G
Dorne. Lorsqu'il en discute avec ses étudiants pour savoir s'ils ont
déjà entendu parlé de cette pratique et pourquoi ils
seraient tentés :
« Potentiellement ils peuvent gagner 300-400€ en
une soirée en faisant un logo sur photoshop. C'est cet aspect financier
qui motive ceux qui savent un minimum faire ce métier : de l'agent
facile, vite fait bien fait. » (G. Dorne)
Cette motivation est entretenue pas un affichage des gains
sous forme de prix. Le créatif sait combien il va toucher suivant son
classement. L'argent est un facteur important de motivation pour les
47
concepteurs allant sur ces sites (étude de Daren
Brabham, 2008). Pour un stagiaire payé 588€ par mois en
Agence108 le raisonnement est simple : un logo = un mois de stage.
Nous allons voir qu'il est cependant assez difficile de sortir du lot sur ces
plates-formes et encore plus d'en faire une activité à part
entière.
Un faible taux de réussite
On peut comprendre la joie des gagnants lorsque l'on constate
qu'ils représentent moins de 2,3%109 de la communauté
Creads110. Sur les 24250 "membres" qu'il est possible de
recenser sur cette communauté111, seuls 544 ont
remporté au moins un concours. Parmi ces élus, 59% ont
emporté une unique victoire (soit seulement 18% des victoires). Les
victoires sont réparties un peu comme les richesses du monde : une
minorité parvient à gagner la plupart des concours. 20% des
gagnants, soit 0,44% de la communauté, trustent ainsi ainsi 67%
des victoires112.
Ces quelques designers font donc figure d'exception, et bien
sûr, mis en avant pas les plates-formes. Sur Creads @creagaz,
cumule 127 victoires113, suivi de @magik avec 58 trophées. Le
site Eyeka présente Holly McAlister114, designer de
San Diego ayant perdu son emploi en agence en 2005. Elle explique dans une
interview comment le CS est devenu une activité à part
entière lui permettant même de dépasser ses anciens revenus
en agence. Avec 22 concours remportés et plus de 60000$ gagnés,
elle fait partie des top-sourcers d'Eyeka (Les concours sur Eyeka
sont dotés jusqu'à 15000€).
« This past year I have surpassed my old salary and I
don't sit in rush hour. And that's beautiful.» Elle estime avoir
trouvé un équilibre entre sa vie familiale et ses aspirations
professionnelles. Elle peut choisir son type de concours, effectue une
recherche avant de travailler et élaborer ses concepts.
Les taux de réussite, même chez les meilleurs est
souvent très bas. À la suite d'une enquête
réalisée auprès d'un panel de 43 des meilleurs
créatifs de Creads, on constate un taux de réussite de
3,3%. Soit une moyenne de 69 créations proposées pour une
victoire115. Bien que ces données soient à nuancer,
faute d'un panel plus large116. Le retour est évocateur et
permet de dégager des tendances : cet échantillon ciblé
représente 7,9% des gagnants (sur 544) et 16,8% des victoires sur le
site (sur les 1814 identifiables) pour une moyenne de 7 concours gagnés.
Soit au dessus de la moyenne globale du site117. Il serait
intéressant de connaître à présent la proportion de
lauréats en fonction des statuts. Sur Eyeka, il n'est pas
possible de trier les gagnants. Nous avons donc effectué cette
étude sur Creads.
108 Les agences sont des « usines à stagiaires »
et payent un minimum légal.
109 1% si on se réfère aux 53666 membres visibles
et indiqués par le site encore en 2014.
110 Voir étude chiffrée des gagnants Creads ,
annexes en page 177.
111 Sur le site on ne voit que les Français
semble-t-il.
112 19,66% des gagnants (soit 107 sur 544) se partagent 67,4 %
des victoires (soit 1224 sur 1814 possibles.).
113 Premier au classement général toutes
catégories.
114 Huffman Jennifer, 2015, Local designer becomes top
creative « crowdsourcer »,
http://napavalleyregister.com/news/local/local-designer-becomes-top-creative-crowdsourcer/article_48e9bb70-90e6-58a5-9307-71a8a9527163.html,
12 février 2015, consulté le 17 février 2015.
115 19143 upload pour 305 victoires.
116 Creads a clôturé mon compte à
la suite des messages envoyés aux gagnants, considérant
l'étude comme du « spam », le seul moyen de contacter les
gagnants qui n'avaient pas indiqué de book étant de passer par la
messagerie privée de la plate-forme.
117 3,3 victoires pour l'ensemble des 544 gagnants.
48
Qui sont les gagnants ?
À première vue, en parcourant les portraits
créateurs du mois sur le blog de Creads on se rend
compte que la plupart des gagnants sont des créatifs ou possèdent
déjà une activité. Lorsque l'on consulte la fiche du
profil, il est possible d'accéder à leur page Linkedin ou leur
portfolio118. C'est en étudiant de plus près les
parcours que l'on se rend compte que la plupart sont de vrais
professionnels.
Gilles Babinet indique en 2008 que plus de 50% de la
communauté est professionnelle.
On découvre sur un article du blog que les
créateurs en janvier 2015 étaient sur 300 000
(50% d'amateurs et 50% de professionnels et
semi-pro, terme qui reste à définir sans doute le
pro-am de Patrice Flichy). L'illustration ci-dessous présente
selon Eyeka la répartition des profils des créateurs
de la communauté selon leur statut.
Parmi les profils sondés sur Creads on trouve
: 56% professionnels et 9% pro-am, en recherche d'emploi. Parmi les 28
pro et semi-pro sondés, 46% sont des autodidactes, 14%
ont suivi une formation technique en infographie et 40% ont suivi des
études d'art119. Les créatifs free-lances sont
fortement représentés, la plupart sont des autodidactes ou ont
suivi une formation technique mais quelques uns ont suivi des
études de design, une minorité vient de l'agence ou de services
communication.
Si on recoupe avec tous les gagnants du site qui se
déclarent free-lance sur leur profils ou possèdent un
book, on obtient 41 personnes et 13,6 victoires de moyenne. Bien au dessus de
la moyenne pour l'ensemble des gagnants.
Ensuite, on trouve 35 % d'amateurs120, qui
ont une autre activité que le graphisme mais les données sont
insuffisantes pour savoir dégager une tendance précise. Les
autodidactes sont très fortement représentés dans le panel
des gagnants (54%).
Les gagnants sont donc en majorité des professionnels
autodidactes, ils cumulent le plus de victoires. Mais cela ne signifie pas
qu'ils soient meilleurs que les autres. Ils font certainement plus de concours
que les pros occasionnels et possèdent un savoir-faire
probablement supérieur aux amateurs. On pourrait également
supposer qu'ils se tournent vers les plates-formes faute de clients. C'est donc
une
118 Le questionnaire et l'étude des profils Creads
permet également d'accéder aux portfolios en ligne, parmi
les meilleurs, seul 1 sur 3 en possède un (annexes en page 181)
119 28 pro (4,45% de réussite / 7 victoires) 4
pro-am (9% / 1% de réussite / 3,5 victoires). 28 pro
et semi-pro (13 autodidactes = 46% / 8,6% de réussite), 4
formation infographie (14% / 3,8% de réussite) et 11
études d'art (40% / 16% de réussite.)
120 Pour 3,5 victoires en moyenne pour les pro-am et 6,8 pour les
amateurs.
49
tendance logique, mais non-vérifiable en ce qui
concerne la précision des statuts. Seules les plates-formes savent
exactement qui sont les créatifs et ne préfèrent pas le
révéler. Certainement pour éviter d'être
accusées de faire du travail dissimulé.
Cette étude est cependant très
intéressante, car il a été possible de dégager de
grandes tendances sur les taux de réussite. Les données
précises de rendement permettent d'effectuer une comparaison avec les
tarifs pratiqués habituellement (qui ne sont pas forfaitaires).
Des tarifs en dessous du marché
En 2013121, il était déjà
possible de visualiser la somme globale attribuée depuis la
création de la plate-forme sur Creads. 658 727€ avait
été attribués pour 284 554 créations
déposées sur l'ensemble des 1512 concours. Après un rapide
calcul, on peut estimer à 188 propositions pour 436€ de gains par
concours (2€ le gain moyen par création). De quoi avoir envie de se
lever le matin. En 2015, les chiffres sont plus attrayants pour Eyeka
: 5 814 600€ pour 864 concours et 96 798 idées soumises : soit
6730€ par concours et 60€ par idée. Ce type de
déduction, utilisé par les opposants au CS ont d'ailleurs conduit
la plate-forme Creads à supprimer le montant des gains globaux
attribués (Eyeka le fait toujours). Celle-ci
préfère aujourd'hui valoriser le nombre de projets et de
propositions soumises.
Adrienne Massanari122, professeur adjoint au
Département de la communication à l'Université de
l'Illinois à Chicago, utilise une méthode similaire pour comparer
les tarifs de Wilogo Threadless ou DesignCrowd avec ceux
pratiqués par les professionnels. Elle constate qu'ils sont en effet
bien inférieurs à ceux pratiqués par les professionnels.
Avant de pouvoir effectuer une comparaison réaliste, il s'agit de
comprendre comment fonctionne le paiement d'une prestation de design (en temps
normal).
La tarification des designers
« La valeur d'une connaissance est ainsi
extrêmement difficile à évaluer avec précision.
Cette incertitude ouvre la porte aux comportements opportunistes de toute
sorte. »
(Burger-Helmchen et Pénin,
2011).123
La question de la tarification du design est délicate,
un designer doit expliquer à son client le temps passé sur une
commande selon de nombreux critères basés à la fois sur
son expérience, sa notoriété et l'importance du client
(cadre de diffusion). Les graphistes de la grande époque (90's)
ont connu la grille très complète éditée par
le Syndicat National des Graphistes (aujourd'hui AFD : Alliance
Française Des Designers) ou celle parue dans Création
Numérique (annexes en page 191). Ces barèmes sont
121 En analysant les commentaires de illusion1986 / 11
octobre 2013 at 16 h 31 min sur YATUU. Le crowdsourcing c'est le mal !
[En ligne]. YATUU - blog BD. 11 octobre 2013. Disponible sur:
<
http://yatuu.fr/crowdsourcing-cest-mal/
> (consulté le 28 février 2015)
122 Massanari A. L. « DIY design: How crowdsourcing sites
are challenging traditional graphic design practice ». First Monday [En
ligne]. 22 septembre 2012. Vol. 17, n°10, Disponible sur : <
http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/4171/3331
> (consulté le 17 janvier 2015)
123 Pénin J., Burger-Helmchen T. « Crowdsourcing
d'activités inventives et frontières des organisations ».
2011. Disponible sur : <
http://www.academia.edu/1905797/Crowdsourcing_d_activit%C3%A9s_inventives_et_fronti%C3%A8res_des_organisations
> (consulté le 17 janvier 2015)
50
cependant incohérents, incomplets ou obsolètes.
Ils ne prennent pas en compte l'ensemble des paramètres indispensables
pour évaluer une prestation124.
« Ces grilles racontaient n'importe quoi, soit des prix
ridicules soit des prix exorbitants, et surtout sans indiquer un quelconque
périmètre ni méthodologie pour sortir ces chiffres. Bref,
si ça pouvait quelquefois être utile aux free
expérimentés, ça ne faisait que semer la confusion pour un
débutant, qui faisait sa salade interne là dessus jusqu'à
ce que ça ne veuille plus rien dire. »
(Marie&Julien)125
Ces grilles étaient également peu accessibles
par les commanditaires. Aujourd'hui encore, il a un flou qui
entretient le mystère autour de la tarification. L'ADF a
édité une application (payante sur abonnement) au doux nom de
CalKulator126. Bien qu'elle soit très précise, pour
une petite collectivité qui souhaite de manière ponctuelle
estimer une tarification, cela peut être un frein (frein relatif car
75€ ne représente pas une grosse somme pour une
collectivité). La tarification est donc une fourchette de prix pouvant
aller du simple au double : jusqu'à 600€/jour pour un bon
free-lance ou une agence (bien au delà pour les « designers stars
»). Un sondage réalisé par l'agence Graphéine
auprès de 5000 professionnels du secteur est pour le moment la
représentation la plus complète disponible
gratuitement127. À l'inverse des plates-formes de CS, un bon
professionnel ne travaille jamais au forfait. Comme un boulanger ou un
électricien : tout dépend du temps passé et de la
complexité du projet.
« S'il vous demande «quel est votre forfait pour
un site web». Fuyez ! Il sait très bien qu'il va vous sortir des
fonctionnalités au dernier moment et faire des modifs à n'en plus
finir. » (Marie&Julien, 2012)
Le tarif journalier est la clef de voute du tarif de la
prestation. Il est donc indispensable de savoir à combien
s'élève le savoir-faire et l'expérience d'un designer.
Pour être rentable, un designer doit prendre en compte ses
dépenses, charges et la marge qu'il souhaite dégager (pour
vivre). Sur les 22 jours travaillés (comme tout le monde), il va ensuite
prendre en compte le temps passé à démarcher pour
développer son activité « la partie invisible »
(Compatibilité, prospection, rencontrer le client, se former).
Marie&Julien estime qu'un free-lance « qui roule »
travaille 10 à 15 jours par mois sur ses projets.
124 Druaux C. Design graphique et tarifs -
Ouinon.net [En ligne].
Ouinon.net. 2008. Disponible
sur: <
http://www.ouinon.net/index.php?2008/05/27/342-design-graphique-et-tarifs-ou-qu-est-ce-que-le-design-graphique
> (consulté le 23 août 2015)
125 Grille tarifaire 2009, 2010, 2011 et 2012 pour les
graphistes, infographistes et webdesigners freelance recherchant un ordre de
prix pour un site web, flyer, brochure, catalogue, logo, carte de visite,
affiche ou autre prestation graphique [En ligne]. Marie&Julien. 2012.
Disponible sur: <
http://www.mariejulien.com/?post/2009/09/27/Grille-tarifaire-2009-2010-2011-et-2012-pour-les-graphistes-infographistes-et-webdesigners-freelance-recherchant-un-ordre-de-prix-pour-un-site-web-flyer-brochure-catalogue-logo-carte-de-visite-affiche-ou-autre-prestation-graphique
> (consulté le 22 août 2015)
126 Taux horaire, droits d'utilisation, 12 disciplines du design
et 85 domaines :
« Tarifs designers / Prix du design > Guide pour
calculer honoraires de création et droits d'utilisation de projets de
design ». Disponible sur: < http://www.calkulator.com/ >
(consulté le 16 janvier 2015)
127 Sondage tarif graphiste agence de communication [En
ligne]. Agence de Communication Paris Lyon. Disponible sur: <
http://www.grapheine.com/tarif-graphiste
> (consulté le 22 août 2015)
51
Il doit ensuite estimer le temps que prendra sa prestation
selon les contraintes du projet. La formule très simple souvent
utilisée est : (Tarif jour x Nombre de jours) + cession de droits =
Tarif de la prestation (Marie&Julien, 2012).
La comparaison
Pour effectuer une comparaison réaliste avec les
plates-formes, nous utiliserons la base du tarif d'un super-débutant
de 250€/j. Les débutants prennent parfois en dessous, mais ce
n'est pas viable. Pour le logo Segasel, doté de 600€, un
designer aurait forcément proposé plusieurs axes créatifs,
puis travaillé celui retenu par le client et réalisé a
minima la papèterie (Un modèle de carte de visite, papier
à entête, signature mail). Ce travail représente environ 4
à 5 jours de travail s'il est effectué sérieusement. Un
logo basique devrait donc coûter entre 1000€ et 1500€.
Ce que confirme le sondage Grapheine.
Sur Creads, un logo est doté entre 400 et
600€. Si l'on prend en compte le taux de réussite aux concours :
soit un designer effectue le travail à la chaîne (comme
moi), soit il prend le risque de perdre vraiment du temps.
Poussons le raisonnement à l'extrême. Pour
être rentable et dégager un salaire de super-débutant,
un créatif comme @magik (Le second de Creads) a
produit 10560 propositions pour 58 concours, soit 182 uploads pour une
victoire. Il devra ainsi remporter 4 à 5 concours par mois, à
raison de 14h par jour de travail. Soit un logo toutes les 11 minutes pour
arriver au tarif de 250€/j128
Le concours sous-payé
Sur les espaces d'échanges (Creads), les
discussions tournent surtout autour des concours. Se limitant à quelques
mots de félicitations ou de réconfort, un débat peut
être lancé autour d'une dotation qui ne serait pas assez
payée. Il est intéressant de découvrir qu'un sein
même des plates-formes, les membres « refusent de travailler
» sous un certain seuil, il évoquent des
précédents payés en « bons Leclerc » et se
demandent surtout s'il y aura des participants. Le sentiment d'être
exploité ressort même parfois dans les discussions :
« L'occasion m'est offerte de redire, espérant
peut-être que faire des émules fera changer les choses, que je ne
participe pas aux concours dotés de moins de 200 euros. [...] La notion
de plaisir est nettement amoindrie lorsque j'ai le sentiment d'être
exploité ! » (@garal 17 juin 2015 - 22:50)
C'est alors que l'on découvre que la motivation est
souvent liée au montant du premier prix, à moins que le sujet ne
soit vraiment très intéressant. Les membres aimeraient savoir qui
« serait prêt à briller pour si peu129
» et à accepter cette nouvelle grille tarifaire dégressive.
Ce qui fait naître des inquiétudes chez les
meilleurs130 qui considèrent comme « une marche de plus
» vers du recyclage de création. Bien
128 Si l'on considère les charges liées au paiement
de la Maison des artistes : 1 jour de travail acharné de 14h
équivaut à 840 minutes, sans pause. 250€ correspondent
à 840 minutes de travail (soit 17,85€/h), soit 1€ toutes les
3,36 minutes. Si un logo est doté de 600€, il faut 2016 minutes
pour être rentable. Si pour 1 victoire il faut 182 propositions, alors il
faut produire un logo toutes les 11 minutes.
129 @loursin91 18 juin 2015, « Le hic si on veut en
savoir plus sur les participants prêts à tout pour briller, c'est
qu'il faudrait poster un nom pour voir ce que ça va donner, sinon,
impossible d'accéder au concours... »
130 Ceux qui gagnent les concours sont plus actifs aussi sur les
forums.
52
conscient du fait que la qualité se mesure aussi
à la dotation : « à dotation discount...création
discount », cela oblige les participants à produire des
inventions minutes.
« De toute façon, chacun fait comme il veut
suivant son propre schéma de ce que doit être cette plate-forme.
» (@sofi 18 juin 2015 - 14:08)
Notons toutefois qu'Eyeka valorise bien plus ses
concours. Pour une vidéo, la dotation peut monter jusqu'à
15000€ (en moyenne 6000€), une idéation est
rétribuée environ 800 à 1200€. De quoi motiver bien
plus de monde. La dotation est souvent proportionnelle à
l'investissement demandé. Pour une vidéo, le lauréat va
fournir une réalisation qui va servir de maquette à un
futur clip publicitaire : un story-board amélioré
servant ensuite de base de discussion. On peut imaginer qu'il ne va pas faire
du Scorcèse. Le vidéaste seul, est à la fois
réalisateur-technicien-chef op... Le travail fourni est assez
conséquent dans le cas d'une vidéo. Le risque de perdre pour le
contributeur est aussi important, il faut donc le motiver pour qu'il participe
car l'expertise nécessaire est plus pointue.
La perte de motivation des Oompas lompas ?
Sophie Renault étudie la plate-forme Eyeka
pour comprendre les motivations des « clickworkers ».
Elle confronte les participants à la recherche d'une satisfaction,
financière ou créative, également en quête de
reconnaissance avec les opposants de cette pratique qualifiée comme peu
gratifiante et dont les contreparties sont insuffisantes. Ces créatifs
travaillent sans avoir l'assurance d'un retour à la hauteur de leur
investissement. Ils sont tout à fait comparables à des «
Oompa-Loompas du Web ». En référence Charlie et
la chocolaterie de Roal Dahl (1964), ces petits lutins n'attendent rien
d'autre que des fèves de cacao de la part de Willy Wonka. Dans
un documentaire131, on découvre un
innovateur132 de la plate-forme suisse Atizo qui
se demande comment continuer à être intéressé de
donner ses idées pour si peu de retombées financières. La
concurrence est vorace et bien que les prestations soient payées
à prix d'amis. La plate-forme risque une dispersion de la
foule. Pourtant, les créatifs continuent à s'affronter sur
ces sites, nous verrons que l'argent n'est pas l'unique facteur de
motivation.
Les droits d'auteurs
Les gagnants ont été désignés, il
est temps de passer au tiroir-caisse. Le CS créatif suppose
l'existence de créations intellectuelles sous forme de fichiers
dématérialisées déposés en ligne par les
participants aux concours. Cela implique une oeuvre de l'esprit sur laquelle
des droits d'auteurs vont être cédés. En France, cette
rémunération se fait au profit de l'auteur soit de manière
proportionnelle, soit sur une base forfaitaire133.
Si la société qui intervient dans le processus
de CS est à but lucratif, il y a deux possibilités : soit
celle-ci externalise ses recherches (R&D) en direction d'une
communauté, soit elle intervient comme intermédiaire en mettant
en relation une communauté et des bénéficiaires (ses
clients) par le biais d'un concours. Juridiquement le CS se définit
comme :
131 Nouvo. Le crowdsourcing: les bonnes idées sont
dans la foule [En ligne]. 2012. Disponible sur : <
https://www.youtube.com/watch?v=nZSJWT4HVxA&feature=youtube_gdata_player
> (consulté le 21 janvier 2015)
132 Le terme désigné pour un contributeur sur
Nouvo.
133 Code de la propriété intellectuelle, art. L.
131-4.
53
« L'action qui consiste, pour une
société à but lucratif, à recourir à une
communauté de partage sur le web, directement ou par le biais d'une
plate-forme spécialisée, afin que cette communauté
réalise, contre rémunération, des créations
immatérielles. » (C. Lucien, 2012)134
Les droits d'auteurs (intellectuels) sont
transférés à la marque. Les créateurs perdent ainsi
les droits en cas de sélection. Le droit moral est lui toujours
imprescriptible, inaliénable et incessible on ne peut y renoncer par
contrat. Le montant indiqué pour chaque concours correspond à une
session de droit, c'est ce que paye le client. Il n'y a donc pas de
rémunération au titre du travail effectué.
« Les gagnants qui sont sélectionnés
cèdent leurs droits. La récompense qu'ils
récupèrent est la contrepartie de la cession des droits. »
(É. Favreau)
Agissant comme un intermédiaire, la plate-forme ne vend
pas de contenus comme peut le faire une véritable agence mais en
organise la production. Dans cette logique d'intermédiation
(É. Favreau), le transfert de droits s'effectue uniquement entre le
client et le créatif135qui est lui-même garant de
l'exploitation des idées et certifie l'authenticité des
médias soumis s'engageant à ne pas fournir
d'éléments contrefaisants (terme utilisé par É.
Favreau). Nous allons désormais étudier pourquoi certaines
plates-formes, comme nous l'avons précisé plus haut ne souhaitent
pas toujours divulguer les créations.
Divulguer ou non les créations
Les créateurs doivent fournir un travail qui leur
appartient. Le risque de dérive vient du fait que le créateur
peut lui même faire appel à l'outsourcing pour sous-traiter sa
création (un logo sur une plate-forme comme Fiverr par
exemple136). Le créateur s'engage donc à fournir les
documents prouvant qu'il possède les droits sur les images ou musiques
utilisées lorsqu'il n'en est pas le créateur. S'il s'agit de
vidéos ou photos, il s'engage aussi à fournir les autorisations
de cession de droit à l'image des figurants. Si par exemple une
vidéo se retrouve en ligne sans que les droits sonores aient
été payés, à la différence d'un
hébergeur comme You tube, la plate-forme est responsable de ce
qu'elle affiche sur son site. Le risque de plagiat constitue l'une des raisons
pour lesquelles l'ensemble des contenus n'est plus visible sur Eyeka
(il était visible auparavant) alors que l'approche est très
différente de Creads puisqu'il est possible de visualiser les
créations soumises. Bien sûr, ayant accès en amont à
l'ensemble des contributions, le contrôle peut être effectué
par la plate-forme qui peut supprimer les contenus manifestement illicites.
Mais il ne sera pas possible de garantir cette authenticité au
client, vue la quantité de propositions soumises. Cette
différence de positionnement nous donne de nombreuses indications quant
à l'objectif d'un concours et ce que devient la contribution. Eyeka
fournit à ses clients un maximum d'informations en précisant
le contexte de création lui permettant de savoir ce qu'il peut utiliser
ou non.
En choisissant de ne pas divulguer les contenus, le client
souhaite conserver une forme de fraîcheur et de
confidentialité (É. Favreau) car il ne va pas utiliser la
création telle qu'elle a été soumise, soit parce qu'elle
n'est pas toujours pertinente, soit parce qu'il souhaite s'inspirer de la
création et affiner le
134 Lucien C. « Crowdsourcing et gestion des droits d'auteur
». 2012. p. 70?71.
135 Entretien en annexes Éric Favreau en page 123
136 Voir la partie sur la « repompe » /
Plagiat en partie III en page 84
54
travail avec son agence habituelle (idéation).
Recherchant surtout une démarche créative, celui-ci va
plutôt l'utiliser comme base de travail à la manière d'un
benchmark créatif, une mise en ligne de la création peut donc
être dommageable d'un point de vue marketing pour la marque qui souhaite
garder une certaine confidentialité autour du projet.
À cela s'ajoute un caractère
d'exclusivité, les personnes sélectionnées amenées
à transférer directement leurs droits d'exploitation au profit du
client peuvent le faire de manière exclusive, comme lors d'une vente.
Les gagnants ne pourront donc plus céder ces droits à quelqu'un
ou à une autre organisation.
Les questions soulevées par cette pratique
Dans le cadre d'un projet d'agence, un créatif peut
choisir d'utiliser pour son book (portfolio de réalisations) un
projet qui lui semble pertinent. Il le fait en général en
utilisant la création dans sa globalité. En école, la
logique est similaire, cependant les projets sont fictifs, avec des cas
concrets et de véritables marques. Les étudiants mettent alors
ces travaux dans leurs books, faute de références. Cependant, ils
sont de qualité professionnelle et restent porteur de leur
réflexion.
Après avoir constaté que des non-gagnants
mettaient en ligne sans mention (Disclaimer) des contenus qui pouvaient
être assimilés à des publicités officielles pour des
marques, la plate-forme Eyeka insiste pour qu'aucune
référence à la marque ne soit visible (comme le logo ou le
nom du produit). Si l'on enlève la marque (notamment dans des projets de
packaging), le travail ne présente plus aucun intérêt pour
le créatif qui souhaite justement briller.
La plupart des sites de crowdsourcing choisissent de ne pas
permettre aux concepteurs de conserver certains droits liés à la
propriété intellectuelle. Ce qui est très surprenant car
il s'agit d'une pratique normale au sein des professions du design. Leur
approche en terme de droit d'auteur n'aide pas non plus le monde du design
à les porter dans son coeur.
Une autre question soulevée par ces pratiques concerne
le droit à l'image. Sur Fotolia, qui fonctionne comme une place de
marché, des photographes déposent des clichés sur la
plate-forme. Les clients (entreprises ou particuliers) achètent alors
ces clichés en payant des tarifs variables suivant les utilisations
(droits d'exploitation). Le contrat avec l'acheteur selon Fotolia
permet de limiter l'usage dans certains cas des clichés, notamment
lorsqu'il s'agit de politique, de tabac ou de religion. Prenons le cas d'un
père de famille mettant en scène ses enfants pour
compléter ses revenus sur Fotolia137. Les images
sont diffusées, mais on ne sait pas ce qu'elles deviennent. Il faut
obligatoirement que le nom du photographe apparaisse. Ce « droit
à la personnalité »138 n'est pas toujours
respecté par les agences qui mentionnent Fotolia, mais pas
l'auteur. Rien ne garantit non plus que ces enfants se retrouvent pas sur une
publication qui déplaise au photographe.
Il est en effet difficile de protéger les concepteurs
qui cèdent intégralement leurs droits d'exploitation à des
clients qui peuvent ensuite réutiliser comme ils le veulent la
création, en détourner le concept ou retoucher le design
original. On parle souvent de Carolyn Davidson qui a touché 35$ pour
concevoir le logo NIKE, sans toucher aucun droit d'auteur (type royalties).
Celle-ci travailla ensuite avec la firme
137 Voir le reportage les forçats du cybermonde de Vanina
Kanban
138 Le nom de l'auteur doit figurer sur le projet quelle que soit
son utilisation : article 6 de la loi du 11 mars 1957 sur la
propriété littéraire et artistique
pour la déclinaison de la charte et reçu ensuite
un pack d'actions de la société (et une bague en or
marquée du logo !). Les entreprises travaillant avec les plates-formes
remercient rarement les créatifs ayant conçu leur
identité139. Ils sont une foule d'anonymes dont le seul
intérêt est de répondre sans sourciller à des
briefs. Le processus de création est radicalement
modifié si l'on se réfère à une pratique
professionnelle du design. Nous allons à présent voir ce que
cette pratique peut apporter à des créatifs, à
défaut de les rétribuer correctement et de façon
transparente.
55
139 Voir étude sur les gagnants, annexes en page 181
56
6) De nouvelles façons de travailler
Se libérer des contraintes de salarié en agence
L'agence de com' est idéalisée par les
plates-formes, pourtant elle est parfois génératrice de stress ou
de frustration pour les professionnels qui y travaillent. En parcourant les
témoignages et après quelques échanges de mail, on
comprend que les motivations sont différentes suivant les personnes.
Au-delà du simple enjeu financier, c'est la volonté de gagner qui
anime certains graphistes, d'autres cherchent un moyen de « lâcher
prise » et trouvent la valorisation qu'ils n'ont pas dans leur
activité principale. Ils pratiquent un design, sans contraintes...
Le rythme parfois difficile de l'agence
En agence, la richesse c'est le temps, on facture à la
demi-journée de travail, on est confronté aux Dead-line,
il peut arriver que l'urgence du matin à faire pour hier
soit reléguée en P2 voir P4 (jardon
d'agence : priorité 2). Un délai trop court peut laisser un
arrière goût d'inachevé au designer, qui est souvent
exigeant et perfectionniste, une sensation de ne pas être allé
assez loin dans l'élaboration de son travail.
Illustration Deadline de Don motta (dit Insidemotta),
très largement diffusée sur internet. Visible sur
http://www.designbyhumans.com/shop/insidemotta/
Un moyen de remédier à ce stress consiste
à laisser le designer dans sa bulle. Le temps de la conception,
sans pour autant l'isoler de l'entreprise. En design ce sont les
émotions qui alimentent aussi le travail et la créativité
(Amabile, et al. 1996)140. La procrastination semble
parfois inévitable lorsque l'inspiration ne vient pas, il est souvent
plus facile de créer lorsque l'on vient de faire un tour de vélo
pour se changer les idées plutôt que d'enchainer les cafés
assis sur la chaise de son bureau. C'est peut-être la grande
différence de liberté que peuvent avoir les free-lances.
Ils ont probablement
140 Jeannin H., Sarre-Charrier M. « Injonction de
créativité et création sous contrainte : parallèles
entre secteur culturel et monde du travail à l'épreuve du
numérique. » In : 82ème Congrès de l'ACFAS
Université Concordia, Montréal, Canada. Montréal : 2014.
p. 107-116. Disponible sur : <
http://creanum2014.sciencesconf.org/conference/creanum2014/eda_fr.pdf
> (consulté le 16 février 2015) d'après Amabile, T.M.,
et al. (1996) « Assessing the work environment for creativity ».
Academy of Management Journal. Vol. 39, 5. 1154-1184
57
moins de pression qu'avec un employeur ou un chef de projet
qui attend quelque chose afin d'alimenter le client. Cette plus grande
liberté les oblige cependant à assumer leur choix face au client
à qui ils sont directement confrontés.
Ce qui fait la particularité de ce métier, c'est
qu'il est difficile d'être efficace en restant devant un écran. Si
les agences comprennent cet aspect essentiel du métier qui se pratique
sur un écran, mais se nourrit d'influences extérieures et
d'échanges, alors elles pourront continuer à proposer des
idées neuves et du bon design. Le télétravail est aussi
une façon de rapprocher le designer-employé du free-lance,
le lien doit cependant être maintenu pour ne pas isoler le
créatif dans sa démarche, alterner les moments de brainstorming
puis de concentration est essentiel. L'agence est souvent
considérée comme un cadre de travail exigeant, les burn-out
sont fréquents et les effectifs souvent renouvelés. Les
nuits blanches et les périodes de charrettes ne sont pas une
légende et il est fréquent que les heures supplémentaires
ne soient pas du tout payées.
Trouver l'inspiration ailleurs
Répondre à un concours sur une plate-forme de
crowdsourcing pour un professionnel, c'est un peu comme un grand chef qui fait
de la purée-saucisses : il se libère de manière
simple et radicale de son cadre habituel de travail141. Un designer
se nourrit de l'extérieur, de l'expérience, de ce qui l'entoure.
Expositions, architecture, motifs de la vie urbaine, une scène de la vie
quotidienne ou une tache de café laissée sur une
feuille142... Tous les moyens sont bons pour changer d'air
ou trouver l'inspiration, y compris une expérience de CS. Cette
pratique sans pression, se nourrit des créations des autres.
Un designer choisira donc cette pratique de manière
occasionnelle, par curiosité ou pour changer de typologie des clients.
Pour un graphiste, c'est aussi sortir de la routine de l'agence qui peut
parfois être limitée à quelques clients ou des projets
moins glorieux'43. Bien que les chefs de projet choisissent
leurs créatifs en fonction de leurs champs de compétences ou de
leur expérience sur un type de client, pour un créatif en agence,
il faut travailler sur un sujet imposé. Il est parfois difficile de
trouver la motivation avec un sujet peu passionnant ou un client «
difficile » (qu'il faut convaincre avec diplomatie car ce qu'il souhaite
est peut-être incompatible avec sa stratégie de communication). La
plate-forme offre la possibilité de travailler pour de grands comptes
comme Coca-cola ou Nestlé, le créatif peut alors
choisir son sujet en fonction de ses envies.
« Aujourd'hui, je réponds surtout si le projet
m'inspire. » (@Elie-X'44)
Un autre avantage avancé par Holly Mac Allister est le
fait de travailler avec des projets variés pour de nombreuses marques de
renom (elle cite McDonald's ou Coca-cola) alors qu'elle ne travaillait que pour
cinq ou six clients en agence. La diversité est un argument à
tempérer, il arrive qu'en agence, et
141 Voir témoignage Mistizouk (Créative sur
Creads, France), annexes en page 161
142 Il n'est pas possible d'utiliser internet comme source unique
d'inspiration. Pinterest,
www.thefwa.com ou les blogs
spécialisés sont indispensables mais on ne peut se passer des
influences extérieures.
143 Témoignage Holly Mac Allister : Huffman J. «
Local designer becomes top creative «crowdsourcer». » In :
Napa Valley Register [En ligne]. 2015. Disponible sur : <
http://napavalleyregister.com/news/local/local-designer-becomes-top-creative-crowdsourcer/article_48e9bb70-90e6-58a5-9307-71a8a9527163.html
> (consulté le 17 février 2015)
144 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux
[En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste
> (consulté le 25 juillet 2015)
c'est ce qui fait la différence avec l'annonceur, on
soit amené à travailler pour des clients très
variés, suivant la taille de la structure, les comptes sont plus ou
moins importants. Certains graphistes, au contraire, préfèrent
travailler sur du long terme et développer un dialogue avec un client
qui permet de conserver une ligne cohérente de communication et de
consolider une identité pour la marque. La diversité est un
facteur de créativité, qui permet de développer de
nouvelles idées, mais les contraintes liées à la routine
obligent les créatifs à aller plus loin dans la réflexion,
à trouver une manière de faire vivre un design dans le temps.
Un moyen de débuter une activité? De belles
références ?
Les plates-formes mettent toujours en avant la présence
de leurs clients « célèbres ». Un jeune professionnel y
verra une opportunité de consolider un book de références
avec des clients de prestige qui lui semblent inaccessibles. Le book
est essentiel lors d'un recrutement, surtout lorsque l'on débute.
Il démontre la qualité et la valeur de l'expertise du designer et
met en avant ses réalisations les plus significatives. Il doit donner au
client qui cherche un graphiste, ou à l'agence qui recrute, suffisamment
d'informations permettant d'identifier l'étendue du savoir-faire ou un
style qui corresponde à ses attentes. C'est le même principe que
pour la vitrine d'un boulanger :
« T'as plein de boulangeries, il y en a une où
tu vois qu'ils ont l'air de faire de la meilleure pâtisserie, tu rentres,
tu ne demandes pas à goûter... tu rentres parce que ce qu'ils
montrent te laisse penser que c'est ce que tu cherches. Tu leur fais confiance,
et tu pars avec eux. » (B. Fluzin)
Un free-lance n'achète pas d'encart publicitaire. Ce
n'est que la qualité de son travail qui lui apporte des affaires.
Effecter un travail de qualité est la seule manière d'en toucher
de nouveaux.
« On n'a pas de 4 par 3, les grosses agences
achètent peut-être des encarts dans la presse
spécialisée, mais pas les petites et encore moins les
free-lance145. Le portfolio est l'engagement à faire du bon
taff, c'est une évidence qui est parfois oubliée. » (B.
Fluzin)
Pourtant cet aspect a progressivement disparu des pratiques.
Certaines agences demandent même de faire des tests lors de
candidatures. Avec un portfolio, « on ne perd pas de temps »
indique Baptiste Fluzin, inutile de faire travailler quelqu'un
gratuitement si le style recherché ne correspond pas à la
demande, même si le travail est de qualité. En montrant ce qu'il
aime faire, un graphiste va attirer des clients qui viennent chercher son
style. Cette relation est saine et vertueuse. Un professionnel devra donc
nécessairement fournir un travail de qualité pour assurer un
minimum de réputation.
Sur un concours de crowdsourcing, les professionnels
réaliseront une proposition passe-partout impersonnelle, bien
qu'ils possèdent une expertise suffisante. Bien sûr il sera
parfois le seul à voir les petits détails, et les clients ne
remarqueront pas la typo bancale ou l'interlettrage maladroit. Ce sont
les autres créatifs et les agences qui vont lui rappeler. Il y a peu de
chance pour qu'il décide de l'inclure par souci de
notoriété vis à vis de la profession souvent critique.
58
145 Dans les années 2000, l'illustrateur Denis Truchi
avait cependant son encart dans Étapes.
59
« Good design is all about making other designers feel
like idiots because that idea wasn't theirs. » (Frank
Chimero)146
Ce détail échappe surement aux amateurs, pour
qui effectuer la commande relève de l'objectif principal. Pour les
clients, cela représente un risque : se retrouver avec du boulot
d'amateur. S'il s'en satisfait, tant mieux pour lui. Mais quels sont les
recours si le travail fourni ne convient pas ?
« Le pro, il a sa réputation à tenir !
Le bouche à oreille joue beaucoup pour ou contre lui. Avec une
communauté de graphistes qui est tout de même relativement
restreinte, et une cible de clients comme les PME : le mec qui en plante une
n'a plus qu'à changer de région. » (B. Fluzin)
Pas de différence de statut
Le designer-novice, partant du principe que ses «
concurrents » sont tous amateurs, fait confiance à son expertise
pour gagner. La faible récompense potentielle compte moins que la
promesse de toucher un gros client pour démarrer une possible
collaboration. Les plates-formes sont bien conscientes de la difficulté
que peuvent avoir certains professionnels du graphisme à débuter
une activité. On parle bien de designers sur le site
Creads147, une façon de montrer que ce sont des
professionnels, mais aussi un moyen d'attirer les aspirants du monde entier qui
souhaitent le devenir :
« Devenez membre de notre tribu créative mondiale
» (Creads)
Les autodidactes ou les professionnels sont confrontés
à des talents. Sur ces sites, c'est le design ou l'idée qui
compte, la formation ou le diplôme importe peu. Comme le souligne une des
fondateurs de crowdSpring :
« La beauté de notre site, c'est qu'il ne fait
pas de différence entre un diplômé de l'école de
Rhode Island ou une mamie du Tennesee qui passe son temps libre sur Adobe
illustrator » (Steiner, 2009)148
La concurrence entre les créatifs de la
communauté est également stimulante pour certains et la
présence de professionnels est une source de motivation
supplémentaire pour les aspirants. Un défi pour ces
créatifs.
« Je me suis très vite rendu compte,
dès mon inscription, qu'il allait y avoir une sérieuse
concurrence sur tous les concours, au vu des nombreux talents présents
sur Creads. » (@Ezpeletar !)149
Cette concurrence est aussi une base d'entrainement et un
moyen de progresser où l'amateur s'inspire de l'expert pour
améliorer sa pratique (le fan de P. Flichy)150. Ce
mélange soulève cependant de vives tensions, car la
majorité des prix sont attribués aux professionnels (Pelissier,
2011). La plate-forme
146 Un bon design fera dire aux autres designers qu'ils sont
idiots de ne pas y avoir eux-mêmes pensé.
147 50000+ designers inscrits
148 « The beauty of our site is that it doesn't matter if
you have a degree from the Rhode Island School of Design or if you're a grandma
in Tennessee with a bunch of free time and Adobe ... Illustrator' »,
(d'après MASSANARI A. L. 2012)
149 Paroles de Créa - Découvrez l'interview
de @Ezpeletar ! [En ligne]. We are a design tribe - Creads.
Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-ezpeletar
> (consulté le 25 juillet 2015)
150 Voir le Témoignage @RDCom en annexe en page 162
trouve alors des solutions pour permettre à tout le
monde d'améliorer son score créatif. Il est d'ailleurs
intéressant de constater qu'Eyeka a même permis de
créer une catégorie non-professionnelle au Festival
international de la créativité à Cannes Lions
cette année151. S'il gagnent, c'est aussi leur
compétence qui sera reconnue par les marques, une opportunité de
briller individuellement pour prétendre au graal : l'agence de com', la
vraie. La plate-forme devient alors une pré-agence, l'antichambre
d'une future réussite professionnelle.
7) La montée des inquiétudes
(Conclusion)
Les mécanismes et le discours des plates-formes de CS
fonctionnent sur les mêmes recettes. La notion
d'intermédiaire que l'on retrouve aussi en agence diffère, mais
le processus de création est radicalement modifié si l'on se
réfère à une pratique professionnelle du design. Selon les
modèles, les entreprises vont utiliser le contenu produit par la
foule selon deux axes : un produit fini (Creads) ou une
idéation (Eyeka). L'implémentation ne s'effectue pas au
même niveau. Le CS de contenu est une logique de production, à bas
coût et souvent d'une qualité inférieure à ce que
peuvent proposer les professionnels du secteur. La plate-forme tente de
pérenniser la relation client en proposant ensuite des
déclinaisons réalisées en interne sur divers supports.
Dans une logique d'idéation, les internautes
apportent une forme d'expertise aux entreprises pour concevoir de
nouveaux produits ou résoudre des problèmes complexes qui ne
peuvent être résolus en interne. En adoptant cette posture, la
plate-forme ne contrôle pas la mise en place et
l'implémentation laissant ainsi la marque travailler avec son
partenaire habituel plutôt qu'en remplaçant des personnes
existantes par du low-cost. Elle ne vend pas de contenus finis comme
peut le faire une véritable agence mais en organise la production. La
mondialisation impose aujourd'hui aux entreprises de proposer des solutions
innovantes et adaptées aux besoins identifiés dans leur domaine.
Ce modèle permet aux marketers et aux agences d'être plus
créatifs en amont des projets. L'offre de valeur apportée par les
contributeurs aux marques est un audit marketing permettant de savoir comment
celles-ci sont perçues par des dizaines ou centaines de personnes.
Intégrer le client dans une opération marketing afin de tester un
produit ou un design n'est pas nouveau. Ce qu'une organisation ne trouvera
jamais au sein d'un simple focus group est une source d'accès
direct et à grande échelle à des consommacteurs.
Ce qui n'existait pas auparavant dans une stratégie de
communication. Bien que le manque de suivi constitue l'une des
difficultés du crowdsourcing d'idéation, c'est là
qu'aujourd'hui les marques voient le plus de valeur et non dans la production
ou le remplacement de ce que font très bien les professionnels du
design. La plate-forme est alors une hybridation entre l'agence et un
cabinet d'audit. Le créatif doit cependant réfléchir
à son niveau d'implication. Il donne à ces entreprises qui
génèrent des profits une partie de son expertise. Il est
le produit. En faisant ce choix, il devra faire la part entre ses
potentiels bénéfices et ce qu'il est prêt à
fournir.
L'agence est un lieu de fantasme pour ceux qui n'y ont pas
encore mis les pieds. Si les professionnels viennent trouver du
réconfort en répondant de temps à autre à un
concours et en travaillant sans pression. Pour les autodidactes ou les jeunes
étudiants en recherche d'opportunité, la promesse est de
rentrer dans le cercle fermé de l'agence. Les frontières
entre la plate-forme et une véritable agence sont fines. Les
plates-formes jouent sur les codes des professionnels avec des concours qui
ressemblent à de véritables commandes. Le vocabulaire
utilisé est celui d'un recruteur. Cette ambiguïté peut
conduire
60
151 Après avoir lancé une pétition
sur Facebook ayant recueilli +12000 soutiens
www.facebook.com/rolcannes
61
un jeune créatif à idéaliser la
plate-forme qui lui donne illusion de devenir pro. Comme s'il fallait
passer par cette étape pour faire ses preuves. Celui-ci y verra une
manière de briller en alimentant son portfolio de belles
références ou en se faisant repérer par une marque. Il
s'agit d'un mirage où la relation client est limitée.
Seuls 23% des gagnants interrogés ont échangé avec le
commanditaire (et ils totalisent 7 victoires en moyenne !). La
communauté est coordonnée et activée (Eyeka)
: c'est la plate-forme qui définit les règles. L'acte de
création est le même mais le seul interlocuteur du créatif
reste un simple guide sémantique manquant de précision. La
plate-forme propose ensuite un formulaire limité pour défendre la
réalisation et expliquer la démarche créative. Le travail
sera alors probablement en dessous des exigences demandées par les
agences.
L'activité que génère la plate-forme
donne une illusion d'activité mais les échanges sensés
améliorer les compétences sont limités entre les membres.
La différence de statut, la formation ou le diplôme importent peu
: les créatifs sont présentés comme une grande
famille. La communauté représente une ressource et un
potentiel quantitatif de réponses. Les marques peuvent aller puiser
dans un réservoir à idées auquel elles
n'avaient pas accès auparavant. Tous les utilisateurs sont
paradoxalement concurrents. Le rendement et les performances du
créatif constituent les principales informations visibles du profil sur
la plate-forme.
L'argent est un facteur important de motivation pour les
concepteurs allant sur ces sites. Il est cependant très difficile de
sortir du lot sur ces plates-formes et encore plus d'en faire une
activité à part entière. Quelques designers font figure
d'exception mais les chances de gagner sont très minces. Le taux de
réussite, même chez les meilleurs est souvent très bas.
Bien que les tarifs des designers soient fixés sur une base
journalière et non au forfait comme pour les concours de CS, on
peut rapidement constater que les tarifs pratiqués sur les plates-formes
se situent bien en dessous du marché. Le rendement que doit fournir un
créatif pour espérer remporter un concours n'est pas tenable pour
assurer un minimum de rentabilité. Le risque principal pour les
plates-formes est donc une dispersion de la foule liée à
la perte de motivation.
Par ailleurs, la plupart des sites de crowdsourcing ne
permettent pas aux concepteurs de conserver certains droits liés
à la propriété intellectuelle comme cela se fait
habituellement dans une relation classique avec un commanditaire.
Attirés par un statut en apparence simple et sans contrainte, un gagnant
devra quoiqu'il arrive déclarer ses gains à la Maison des
artistes et céder ses droits d'exploitation de manière
exclusive à la marque. Souhaitant s'inspirer de la création et
affiner le travail avec son agence habituelle, la marque souhaite alors rester
discrète sur son opération marketing. Focalisés sur la
demande tels des zombis du brief, les créatifs réalisent
ensuite qu'ils ne pourront pas toujours alimenter leur book s'ils doivent
supprimer le logo de la grande marque à l'origine du concours.
Il est alors possible de vérifier notre
hypothèse selon laquelle le CS propose une nouvelle pratique du design
et de nombreux avantages pour les marques. Tout est là : brief, clients,
grandes marques, concurrence, agent artistique (la plate-forme), gains, droits
d'auteurs... mais les équilibres semblent différents. Il manque
en effet le principal ingrédient : la relation créatif-client.
Les plates-formes cherchent à démystifier la création en
donnant la possibilité aux entreprises d'externaliser de manière
rentable la conception d'un logo ou d'un site web. Ces sites
génèrent des revenus énormes et travaillent ainsi avec des
clients potentiels pour les graphistes en encourageant amateurs ou
étudiants à répondre à des concours de
création dont l'issue ne garantit pas une rémunération ou
des droits
62
d'auteurs. L'idéation semble
représenter une forme plus équilibrée de CS, dans
le sens où il ne s'agit pas d'une production livrée et
implémentée. Ce qui ne semble pas dévaloriser le design ni
jouer sur le même terrain que les agences qui collaborent avec les
marques. Pourtant le ton monte du côté des designers. Adrienne
Massanari152 analyse dans son article le débat qui s'est
intensifié ces dernières années autour des pratiques
amateurs face aux professionnels de la création153. Son
approche permet de mettre en valeur les failles et les dérives de ces
plates-formes. Elle indique que les recherches en ce sens sont encore trop peu
nombreuses pour répondre aux hypothèses liées à
l'éthique du CS à but lucratif et en particulier les sites qui
finissent par contester la pratique créative du design tel qu'il est
pratiqué par les professionnels. Étudions à présent
ce qui fait débat...
152 Massanari A. L. « DIY design: How crowdsourcing sites
are challenging traditional graphic design practice ». First Monday [En
ligne]. 22 septembre 2012. Vol. 17, n°10, Disponible sur : <
http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/4171/3331
> (consulté le 17 janvier 2015)
153 Elle étudie cinq des plates-formes principales de
crowdsourcing anglo-saxones : 99 designs, Crowdspring, Designcrowd, Threadless
et DesignByHumans
63
III. Le crowdsourcing au coeur des
préoccupations
Hypothèse 02 :
La création graphique dans un contexte
économique fragile est mise à mal par le crowdsourcing qui
brouille davantage les frontières entre les amateurs et les
professionnels et ne fait qu'augmenter la méconnaissance de ce
métier.
1) Introduction
Notre étude nous a permis de constater que les gagnants
qui cumulent le plus de victoires sur ces plates-formes sont de vrais
professionnels, souvent autodidactes venus parfois chercher une forme
d'échappatoire à leur activité d'agence. Ils se retrouvent
en concurrence avec des amateurs et des pro-am qui tentent de percer
et d'en faire une activité à part entière. Comment
définir un professionnel d'un amateur en design ? Il y aurait donc deux
approches possibles : celle qui définit le professionnel par le fait
qu'il paye des cotisations et génère un revenu de son travail
d'auteur et celle qui consiste à dire que l'expertise, sa qualification,
suffit pour faire de lui un professionnel. Flichy souligne que la zone grise
qui sépare les pros des amateurs est en effet plus difficile à
situer et à défendre (Face à la contre-expertise
scientifique de Wikipédia, par exemple). Cela demande un
changement de positionnement de la part du professionnel pour expliquer ce qui
définit son expertise de celle d'un amateur. Nous verrons dans cette
seconde partie que le designer est bien plus qu'un technicien, il
possède une démarche qui va, au delà de son statut
juridique le qualifier de professionnel.
« La montée en puissance des amateurs peut
[...] être profondément déstabilisante pour les
experts-spécialistes. Il est difficile pour l'enseignant d'avoir en face
de lui des élèves qui contestent son savoir au nom d'informations
recueillies dans des encyclopédies en ligne. [...] Ces nouveaux rapports
sociaux obligent le spécialiste à changer de position et de ton :
ne pouvant plus imposer son savoir par des arguments d'autorité, il doit
s'inscrire dans une relation plus égalitaire où il faut
expliquer, dialoguer, convaincre, tenir compte des objections de ses
interlocuteurs. » (P. Flichy, 2010)
Prenons un peu de recul pour comprendre le contexte dans
lequel cette nouvelle économie du crowdsourcing est en train de
s'inscrire. La vitesse d'expansion de ces nouvelles économies
numériques est frappante : Creads est passé par exemple
en 5 ans de 2 à 50 employés, sa communauté créative
de 9500 à 60000154, avec plusieurs levées de
fond155. Assimilés à de Nouveaux barbares
fondant sur Rome (Dedieu, Mathieu, 2015) 156, Netflix
est par exemple valorisé autant que Saint-Gobain, soit
25,2 Milliards de dollars alors que la plate-forme de streaming totalise 75
fois moins de salariés157. Des effectifs modestes liés
au modèle d'externalisation. Profitant du climat économique
morose et du chômage de masse, ces usages permettent aux particuliers,
aux amateurs d'améliorer leur pouvoir d'achat au point d'en faire leur
activité principale.
154 Creads. « Dossier de presse-web -
folder-kit-web-fr.pdf » [En ligne]. 2014. Disponible sur: <
http://www.creads.fr/media/press/folder-kit-web-fr.pdf
> (consulté le 1 août 2015)
155 2008, 2009 et dernière en date 2014 via le fond CM
CIC, filiale du réseau Crédit mutuel et CIC.
156 Dedieu F., Mathieu B. « Liber, Airbnb, BlaBlaCar...
L'invasion des barbares ». juin 2015. Disponible sur: <
http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/uber-airbnb-blablacar-l-invasion-des-barbares_1683952.html
> (consulté le 11 juillet 2015)
157 2500 employés pour Netflix contre 187000 pour
Saint-Gobain
64
Ces entreprises championnes de la
disruption158 emploient peu de monde et leurs coûts
de fonctionnement sont bas. Elles peuvent ainsi pratiquer des prix très
compétitifs. Cependant, des emplois précaires voient le jour
autour de ces nouveaux marchés de l'internet. Les Auto-entrepreneurs,
limités à un plafond de chiffre d'affaire, deviennent concurrents
alors qu'ils font partie de la même communauté. Le terme
même du travail est remis en cause par ces occupations au statut
flou qui brouillent davantage la perception du travail tel que l'on pouvait le
concevoir il y a encore quelques années. Cette « destruction
créatrice » (J. Shumpeter, 1943)159 entamée par
la désindustrialisation massive des années 80160
touche désormais le tertiaire et les services jusqu'alors
épargnés. Les cols-blancs sont touchés de plein
fouet par la paupérisation de leurs métiers assurés
désormais par une foule établie dans des pays où le niveau
de vie est moins élevé. Alors qu'il était possible de
faire sa carrière au sein de la même structure, les entreprises
dirigées à l'ancienne, avec une hiérarchie
pyramidale et une organisation par cellules perdent du terrain. Les
carrières sont ponctuées de trous et les contrats de
travail deviennent flexibles (ou précaires selon les points de
vue).
Dans le secteur du design, le free-lance constitue le
réseau informel des start-up et des agences. Ces travailleurs
indépendants nomades et mobilisables à la demande selon les
besoins interviennent de manière ponctuelle. Il n'y a plus de
visibilité à long terme pour ces travailleurs ne
bénéficiant parfois d'aucune couverture sociale. Le statut
d'auto-entrepreneur161représente à lui seul ce courant
de pensée individualisée qui pousse à considérer le
travail comme un coût et non comme une ressource. L'identité du
travailleur se perd au milieu des nouvelles pratiques numériques. En
travaillant de manière décentralisée, le
créatif invisible, repousse les frontières entre travail
et emploi, il doit lui-même trouver ses clients, fournir de la valeur.
Derrière une idée de liberté et d'indépendance
véhiculée par la perte de hiérarchie, tout repose sur les
épaules du free-lance, il y a une perte de sens de la valeur-travail. Le
salariat semble devenir obsolète et notre modèle de
sécurité sociale basé sur l'emploi162,
menacé par ces nouveaux acteurs qui accentuent encore cette
précarité.
« Il faut se demander ce que l'atomisation du travail va
impliquer pour notre modèle social » (Gauthey,
2015)163
Comme nous venons de l'évoquer en première
partie, l'absence de pratiques discursives sur les plates-formes et le manque
d'accompagnement préparatoire pendant la phase de conception pourraient
remettre en cause la place du designer dans un processus créatif. Ces
lacunes ne font qu'accentuer le malaise au sein des professions du design. Le
CS tel qu'il est pratiqué par ces plates-formes devient alors
spéculatif et rencontre une forte opposition de la part des
designers.
158 La disruption consiste pour une organisation à sortir
de sa zone de confort et des idées reçues pour changer
l'ordre établi et les conventions afin d'occuper un océan bleu
où le potentiel de développement est plus important. Il sera plus
facile pour la marque ensuite de faire naviguer son produit, sa communication.
Voir complement en annexes : p192, 5) La zone de confort et la prise de
risque.
159 Joseph Schumpeter, 1943 Traduction française 1951
Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, p.106 et 107.
160 L'industrie représentait environ 4,5 millions
d'emplois en 1980 contre 2,4 en 2008 (INSEE)
161 Créé en 2008 avec la loi de modernisation de
l'économie (LME)
162 Les charges payent la sécurité sociale et
les retraites, elle diminuent fortement avec le statut de freelance : environ
20% contre 60% pour les salariés.
163 Gauthey M.-A. « L' uberisation , nouvelle mythologie
française ». Les Echos Business [En ligne]. 17 mars 2015.
Disponible sur : <
http://business.lesechos.fr/directions-generales/0204227707880-l-uberisation-nouvelle-mythologie-francaise-109163.php
> (consulté le 1 août 2015)
65
Pour répondre à notre seconde hypothèse,
nous partirons d'observations plus larges liées à
l'externalisation du travail sur le web (outsourcing). Nous verrons tout
d'abord qu'il existe des modèles de CS qui permettent aux professionnels
de la création de se demander si leur métier peut lui aussi se
précariser de manière extrême. Pour illustrer ces
dérives du travail sur le web, nous allons nous appuyer sur
l'édifiant documentaire Les Forçats du Cybermonde (2007)
de Vanina Kanban164 et étudier une expérience du
journaliste Yann Guégan165 sur
Fiverr166.
Après avoir défini plus
précisément la notion perverted-crowdsourcing et ses
origines, nous tenterons de comprendre dans cette seconde partie si la crainte
des professionnels est un réflexe d'auto-défense
corporatiste ou si elle se justifie par le fait que les droits des
créatifs sont réellement diminués. En élargissant
l'observation au-delà du CS nous verrons que l'expertise de designer
perd en crédibilité de manière générale.
Nous évoquerons les nombreuses dérives autour des appels d'offres
et le manque réel de reconnaissance du métier auquel s'ajoute un
statut du graphiste au bord de l'essoufflement. Nous ferons nos analyses
à partir du débat occasionné par l'affaire Creads et
du travail gratuit en nous appuyant principalement sur les entretiens
réalisés dans le cadre de cette étude et les articles de
blogs parus sur le sujet. Nous utiliserons également les informations
fournies par l'Alliance Française des Designers pour alimenter cette
recherche.
Dans un second temps nous vérifierons si cette pratique
a un impact sur la qualité des productions et ce qui est mis en jeu pour
les marques. Pour clore cette partie, nous verrons par l'exemple de la refonte
du logo de Charleroi en quoi consiste un design de qualité.
2) L'outsourcing pour comprendre les dérives
possibles Les forçats du cybermonde
Les industries créatives sont naturellement
touchées par ce phénomène, on peut distinguer deux niveaux
de pratique du CS : les concours et l'externalisation directe (outsourcing). Au
regard de certaines pratiques extrêmes nous pourrons aussi comprendre
pourquoi les professionnels du design sont si méfiants envers les
plates-formes de crowdsourcing.
- vous accepteriez de travailler pour 3$ de l'heure ?
- moi probablement pas, mais je suis certain que l'on peut
trouver un étudiant qui serait d'accord, des gens qui accepteraient de
travailler chez eux pour ce prix.
Des gens qui ont décidé que c'est ce qu'ils
voulaient faire. Personne ne les force, il n'y a aucune pression, aucune
torture. Ils font ce travail parce qu'ils le veulent.
(Jeff Barr, responsable marketing Amazon)167
164 Vanina Kanban, « Les Forçats du Cybermonde
», 2007. À propos de la plate-forme Amazon Mechanical
Turk.
165 Guégan Y. J'ai fait faire mon logo au Bangladesh
pour 5 euros [En ligne]. Dans mon labo. Disponible sur : <
http://dansmonlabo.com/2015/07/05/comment-jai-fait-faire-mon-logo-au-bangladesh-pour-5-euros-837/
> (consulté le 18 juillet 2015)
166 « Fiverr : Dessins, marketing, amusement et bien plus de
services pour $5 » Disponible sur : < https://fr.fiverr.com/ >
(consulté le 8 octobre 2014)
167 Vanina Kanban, « Les Forçats du Cybermonde
», 2007. À propos de la plate-forme Amazon Mechanical
Turk.
66
Jusqu'où une plate-forme peut-elle globaliser et
finalement créer une nouvelle forme d'esclave ? Pas de grille de salaire
ni de contrat, ni de sécurité sociale. Un jeu qui passe
parfois au-delà des lois. Les nouveaux travailleurs du web, par
centaines, n'ont aucune certitude en terme de sécurité
d'emploi.
La sous-traitance avec ses petites mains de l'internet
est sans doute la forme la plus extrême de ce que l'on peut trouver
en terme d'activité liée au web 2.0. Les champs de sourcing
se sont élargis et même complexifiées depuis 2007. Les
questions soulevées par le film très engagé de Vanina
Kanban montrent une facette obscure du 2.0168. La face cachée
de l'internet ressemble aux temps modernes de Chaplin et on comprend
vite que les nouvelles technologies ont remis au goût du jour de
manière globalisée, un monde du travail digne du
19ème siècle.
Certains modèles bien moches
Il est intéressant d'explorer 3 exemples
représentatifs de ce que l'on peut qualifier d'outsourcing : Le
gaming
En 2007, les jeux en réseau battent leur plein, des
jeunes chinois jouent pour le compte d'occidentaux afin d'améliorer les
personnages. Ces joueurs-esclaves gagnent à peine 90€/mois
pour 12 heures par jour passées devant les écrans. Eux ils
paient, nous on bosse glisse l'un deux. Le patron quant à lui se
préoccupe plus du faible rendement de ces jeunes employés que de
la loi qui interdit l'embauche des mineurs169. Les tarifs sont au
départ très élevés au niveau la
société mère et des clients, mais une suite de
sous-traitants distille les revenus des employés en bout de
chaîne. Dans une scène surréaliste, un sous-traitant
débarque au siège chinois de la société
américaine. Il prend alors une employée en otage et menace avec
une arme afin de toucher son salaire. Un acte désespéré
que cherche à minimiser la société américaine...
Amazon Mechanical Turk
Mechanical turk170 est un site de
micro-tâches au nom barbare proposé par Amazon : un échange
de service, souvent lié à internet (recherche, test, ontologie).
Jeff Barr, responsable marketing Amazon estime qu'il s'agit d'un bon moyen de
sous-traitance pour les entreprises débordées. Elles n'ont plus
à investir de ressources internes pour des tâches
répétitives. Selon lui, l'avantage est de permettre à tous
et partout dans le monde de participer. Agnès Laurent, une travailleuse
française du site interrogée dans ce documentaire gagne 9$ pour
450 tâches et environ 15 heures de travail (non déclarées).
Randy Foreman, a gagné environ 175$ en 6 mois, en répondant
à des questions d'internautes. Il fait ça pour le plaisir, pour
utiliser son ordinateur et pour aider... on peut donc se poser la question de
la motivation qui pousse ses personnes à oeuvrer pour
rien171 mais qui permettent, sans toujours le savoir,
d'enrichir de grosses entreprises comme Amazon. Pour les clients, aucune
garantie de résultat et pas d'explication à donner en cas de
refus. En France il n'est pas possible d'être payé par la
plate-forme, sauf en bons cadeaux ce qui doit certainement dissuader
quelques internautes.
168 Étant pourtant informé et sensible à
l'éthique des entreprises sur le web, je suis resté
sidéré par ce que j'ai découvert
169 La majorité est de 18 ans en Chine
170 « Amazon Mechanical Turk - Welcome ». Disponible
sur : <
https://www.mturk.com/mturk/welcome
> (consulté le 16 janvier 2015)
171 Cf La perte de motivation des Oompas lompas, partie
II, en page 52
67
Fiverr
Le dernier exemple Fiverr, le Mechanik turk
d'activités créatives, concerne directement les graphistes.
Cette plate-forme d'outsourcing permet de trouver des free-lances en
graphisme, traduction, programmation web, composition musicale...pour un prix
plancher de 5$ la création. On entend souvent dire qu'un logo
coûte cher et il est facile de trouver des témoignages
d'entrepreneurs qui disent avoir trouvé la formule gagnante en
faisant réaliser un logo à moindre coût via un site de
sous-traitance (outsourcing).
« J'utilise Fiverr depuis plus d'un an pour tous mes
designs. Logo, ebook cover, bannières, cartes postales, flyers, intro
vidéo etc... Je n'ai jamais été déçu. C'est
incroyable de penser que l'on peut trouver des gens très pro pour $5. Ce
que j'aime en plus c'est que la plupart du temps tout est livré en 4 a 5
jours. Donc pas cher plus rapide- It's a steal. » (Biba de Networking et
réseaux, 2014)
Plusieurs expériences (Sasha Grief172, 2015
; Weiler J, 2014173) ont été tentées pour
comparer les offres de création de logo discount. Dans son
article J'ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros, le
journaliste Yann Guégan, part du constat autour d'Uberpop, et
se demande si les graphistes peuvent aussi se faire du souci. Il passe
commande à partir d'un brief très simple pour refaire son logo en
présentant rapidement son entreprise et reçoit 27
offres174. 70% sont au prix minimum proposé par le site :
5€. Les autres offres allant de 5€ à 55€, il choisit,
« perdu dans cette liste » de « talents les plus
créatifs au monde » (Fiverr) trois graphistes avec
pour seules indications les commentaires et évaluations des acheteurs,
un petite bio du créatif et son temps moyen de réalisation. Sur
le même principe qu'eBay, les créatifs sont
présentés comme des produits de consommation où chacun
tente de se démarquer par une Baseline digne d'un
marché aux puces175.
À renforts de smileys, les échanges sont
rudimentaires, sans avoir le temps d'approfondir le brief, les retours sont
très rapides. Les fichiers sont livrés dans des formats plus ou
moins exploitables. Inutile de s'attendre à une valise de logo
permettant différents types d'utilisation ni même une charte
d'utilisation176 : débrouillez-vous ! Au delà du
manque d'originalité, le plus inquiétant concerne les droits
autour de la création : les visuels sont souvent repris d'autres logos
ou proviennent directement de banques vectorielles. Un algorithme tel
que Vistaprint ferait presque mieux. Après avoir reçu 3
propositions et des fichiers exploitables d'Israël (55$), du Pakistan
(15$) et du Bangladesh (5$), le journaliste finit par conclure :
172 « What Kind of Logo Do You Get for $5? ». In :
Medium [En ligne]. Disponible sur : <
https://medium.com/@sachagreif/in-the-past-couple-years-startups-have-started-realizing-that-good-design-can-make-the-difference-2fdeb90d390a
> (consulté le 18 juillet 2015)
173 Source > Weiler J. « Entrepreneurs, j'ai testé
la création de logo à prix discount ! ». 2014. Disponible
sur : <
http://businessinternational.fr/creation-logo-prix-discount/
> (consulté le 4 novembre 2014)
174 Capture d'écran permettant de constater la
répartition des propositions en fonction des tarifs de prestations.
Guégan Y. J'ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros
[En ligne]. Dans mon labo. Disponible sur : <
http://dansmonlabo.com/2015/07/05/comment-jai-fait-faire-mon-logo-au-bangladesh-pour-5-euros-837/
> (consulté le 18 juillet 2015)
175 La traduction automatique du site n'arrange pas les
choses.
176 Une valise de logo permet ensuite d'utiliser celui-ci dans
différents cas d'utilisation, en général, elle est
accompagnée d'une charte graphique qui indique par des règles
comment décliner la création selon les supports.
Différents formats sont fournis : Eps, RVB, CMJN, couleur, NB...
« Au final, le graphisme me semble une profession
difficile à « uberiser », en tout cas d'une façon aussi
radicale que celle proposée par Fiverr - même si ce secteur, comme
bien d'autres, compte son lot de précaires qu'on cherche à payer
toujours moins cher. » (Yann Guégan, 2015).
68
Ci-dessus : Capture du site Fiverr, sur la page permettant de
choisir son créatif, ici pour créer une « Amazing
infographie »
Cette pratique managériale d'externalisation permet aux
organisations d'accéder à des connaissances externes très
variées, souvent à faible valeur ajoutée car il s'agit de
micro-tâches répétitives. Les frontières entre
crowdsourcing compétitif et outsourcing sont souvent très minces.
Bien entendu, les concours de création sont loin de
générer des situations de cette ampleur, mais les récents
événements autour d'Uberpop par exemple
génèrent un climat de méfiance envers les nouvelles formes
d'externalisation du travail par la foule. Cela peut encourager des
métiers en apparence protégés à voir
rapidement le mal à travers ces nouveaux usages.
3) Perverted--crowdsourcing
Les craintes des professionnels face au
perverted--crowdsourcing
Comme pour l'outsourcing, le crowdsourcing voit naturellement
apparaître son lot de critiques, et peut vite devenir du «
perverted crowdsourcing » ou également du «
travail spéculatif 177». Ce qui est
reproché avant tout est le manque de garantie d'indemnisation, qui
aurait un impact négatif sur le métier et l'industrie du design
dans son ensemble. L'autre aspect souvent évoqué est le manque
de
177 Qu'est-ce que le travail spéculatif ? [En
ligne], 2012. Disponible sur : <
https://www.youtube.com/watch?v=gemQQ0-RSyQ&feature=youtube_gdata_player
> (consulté le 15 novembre 2014)
69
pertinence dans le processus de création (concept,
recherches, maquettes et rough178), qui vise à
affiner la demande d'un client et à trouver des solutions
personnalisées par des échanges avec celui-ci.
Apparition du terme spec--work
Internet est sans frontière. Les plates-formes sont
également critiquées par les professionnels des pays dans
lesquels elles se développent. Le terme spec-work179
est même plus employé que celui de perverted
crowdsourcing.
« Ce n'est pas nous
franco-français-râleurs qui sommes les seuls à nous
élever contre ce type de pratique. » (B. Fluzin)
La plupart des sites de CS sont anglo-saxons. Les critiques
apparaissent donc en France, avec un léger décalage. Les premiers
à tirer la sonnette d'alarme sont des blogueurs ou acteurs du secteur
qui cherchent à sensibiliser sur ces compétitions
bénévoles. Métiers Graphiques, le forum
Kob-One, le blog de Marie&Julien émettent de vives
critiques concernant les dérives possibles du système. Au
delà des questions éthiques liées au travail, elles
portent surtout sur la vision erronée du design véhiculés
par ces concours. Laissant croire qu'il est possible d'obtenir un travail de
qualité à bas coût.
Les puissants syndicats d'architectes ont su peu à peu
se prémunir contre ces dérives. Les designers ont
forcément moins de responsabilités qu'un architecte s'ils font du
mauvais travail. Les tables rondes et autres colloques ayant tenté de
réglementer ces compétitions n'ont fait que renforcer
juridiquement les plates-formes de crowdsourcing.
« Je ne sais pas si ils nous ont "renforcé",
mais en y participant, je considère qu'au moins on prend part au
débat et on essaye de trouver des solutions là où il y en
a besoin. Par rapport à "disparaître", c'est sûr que
"participer au débat" c'est certainement être renforcé!
Mais notre objectif n'est pas de devenir plus forts à tout prix. C'est
un effort de transparence et d'éducation... et de compréhension
mutuelle. » (Précision de Yannig Roth par mail, 2015)
L'association "union des photographes
créateurs180, estime que les banques d'images ont
cassé le marché. Il y a selon eux un nivellement par le
bas. Ces photographes du tiers-monde et les agences qui participent font
fonctionner ce marché. Ils ont ouvert une boîte de
pandore. Le métier semble désormais à la merci du
libéralisme et de la mondialisation. On se retrouve dans une suite
d'exploitation en palier... avec en bout de chaîne le travailleur.
À quel moment cela devient du travail
spéculatif?
Du côté des graphistes cela crée une
grogne particulière au delà des considérations juridiques.
Il n'est donc pas étonnant d'entendre parler de travail
spéculatif.
Le CS repose sur « une belle idée au
départ » (F. Caspar, Alliance Française des Designers :
AFD). Le partage de compétences peut apporter des solutions aux ONG ou
associations dans un but qui peut
178 Ébauche, esquisse, travail préparatoire.
179 Speculative work ou travail spéculatif
180 Depuis : L'Union des Photographes Professionnels
70
être humanitaire par exemple. Pour Alec Ross, conseiller
d'Hillary Clinton en innovation, l'Intelligence collective où la sagesse
de la foule est parfois plus pertinente que celle d'un expert. Il constitue un
outil de développement qui permet d'identifier des enjeux
sociétaux qui n'auraient pas pu être résolus au sein d'un
gouvernement181. Il donne l'exemple d'une application nommée
Icow182, réalisée à la suite d'une
campagne de CS en Afrique, permettant de rendre la traite des vaches
laitière plus efficace. À quel moment s'opère la bascule
entre le crowdsourcing et une plate-forme qui fait du perverted CS ?
« On bascule là dedans quand on en fait une
plate-forme justement. Une plate-forme qui ne fait que ça.» (G.
Dorne)
Pour Geoffrey Dorne, il arrive que des marques fassent des
concours qui ressemblent à des appels d'offres déguisées
où les droits de Propriété intellectuelle sont «
réquisitionnés » après une faible
rémunération183. Si le concours est un acte gratuit,
qui n'est pas indispensable à l'entreprise : c'est en
général assez sain. Lorsqu'une entreprise souhaite
réaliser le meilleur logo, ou la meilleure interface pour
son futur logiciel : il s'agit d'un travail déguisé sous
forme de concours. Cela remet en cause le métier d'agent artistique
réglementé qui protège les auteurs selon François
Caspar, président de l'AFD, qui ajoute : « Les auteurs ne sont
pas forcément businessman : il s'agit d'une population plutôt
fragile. »
Pour des graphistes salariés à mi-temps ou des
amateurs, cela peut apparaître comme une source de revenus
complémentaires. Lorsque le CS est utilisé comme une formule
rapide pour trouver des missions ou des clients en attirant
énormément de personnes fragiles, c'est différent. Le
problème ne vient pas du fait qu'il y ait un intermédiaire selon
les opposants, mais plutôt du fait que ces plates-formes fournissent un
travail incomplet et se récupérent sur le nombre. Contrairement
à un agent qui travaille au pourcentage. Le graphiste, lui n'est
rémunéré que s'il obtient la commande. Un exemple revient
souvent dans la bouche des opposants du «perverted crowdsourcing»
: plusieurs cuisiniers proposent chacun un plat à un client.
Celui-ci les goutera tous mais n'en choisira qu'un. Laissant les autres
repartir sans avoir été payés pour le travail
effectué.
La Saga Creads
Le mot d'Axelle Lemaire
La question est d'autant plus d'actualité qu'en mai
2014, une déclaration d'Axelle Lemaire, Secrétaire d'État
chargée au numérique, met le feu aux poudres. Dans la
lignée des labels FrenchTech mis en place par Fleur Pellegrin,
celle-ci se déplace au sein de « l'agence participative »
Creads :
« Les politiques ont besoin d'être davantage
à l'écoute des startups. Il est plus que nécessaire de
lutter contre la morosité ambiante. Creads a un rôle
d'exemplarité à jouer. Vous êtes la France qui gagne.
Il
181 Kirpalani A. « Alec Ross, conseiller d'Hillary Clinton:
«le crowdsourcing, un outil de développement». » In :
Youphil [En ligne]. , 2012. Disponible sur : <
/fr/article/04917-alec-ross-hillary-clinton-crowdsourcing-developpement-facebook-twitter?ypcli=ano
> (consulté le 19 août 2015)
182 « The Best African Mobile Apps: iCow ». In :
Forbes [En ligne]. Disponible sur : <
http://www.forbes.com/sites/mfonobongnsehe/2011/08/02/the-best-african-mobile-apps-icow/
> (consulté le 19 août 2015)
183 L'AFD veille d'ailleurs sur cette question. Voir en partie I,
partie consacrée aux droits d'auteurs en page 52
71
faut le faire savoir ! Je suis très sensible
à l'univers de Creads. Il y a une excellente énergie positive
ici. Je comprends que 50000 créatifs vous aient rejoint ! » (Axelle
Lemaire)
#Travail Gratuit
La communauté graphique, un public plus sensible, se
réveille et lance une pétition d'ampleur nationale184
pour s'opposer au travail spéculatif, sous le terme de travail
gratuit (#TravailGratuit sur Twitter). Certains avancent des solutions,
d'autres veulent simplement interdire ces pratiques déloyales. Tous ont
un avis passionné, car c'est le métier même qui selon eux
est en jeu. Cette pétition et les débats virulents sur Twitter
vont permettre de prolonger un dialogue déjà entamé deux
ans plus tôt. Des designers reconnus comme Ruedi Baur ou Jean-Louis
Fréchin ont en effet déjà soulevé cette question du
CS spéculatif dès 2012 (articles de presse, billets de blog,
conférences).
Les rencontres au ministère
Au-delà de la bourde en terme de communication
de la part d'Axelle Lemaire (qu'elle a reconnu en OFF), ces rencontres ont
permis d'expliquer à la secrétaire d'État la raison de la
grogne des professionnels : un rapport rédigé par cette
communauté a été remis ce soir là. Ce qui
intéresse le ministère c'est l'aspect juridique : que le travail
soit gratuit, c'est là qu'il faut légiférer.
Une crainte sous-jacente pendant toute la discussion
était de savoir si en interdisant ce type de plates-formes en France, on
allait assister à une migration des utilisateurs vers les sites
étrangers ; ce qui freinerait l'innovation de la FrenchTech.
Dans cette affaire, on pense « numérique » et on pense
peu à « économie » (B. Fluzin). Insertion
professionnelle, création d'emploi, exode des talents à
l'étranger... La vision du ministère est centrée sur ces
aspects. Ce positionnement économique, qui est également celui du
gouvernement de manière plus large, a marqué certains
participants. Si Uber était issu de la FrenchTech, le
gouvernement aurait-il pris aussi vite la décision de sa fermeture ?
Contrairement aux taxis qui dénoncent une concurrence déloyale,
la difficulté pour la délégation de designers est donc de
faire comprendre qu'ils ne sont pas des « affreux coco » (B. Fluzin)
contre le salariat ou la concurrence, ils estiment qu'il s'agit surtout de
travail dissimulé :
« Quand on est free-lance, la concurrence : on vit
avec, on l'embrasse parce qu'elle est stimulante. Lorsque l'on voit un voisin
qui fait un truc mieux que nous, on a envie de faire encore mieux. Mais
que
dans cette situation185, il s'agit vraiment de
travail dissimulé - de notre point de vue » (B. Fluzin)
Pas de jurisprudence
Se posent alors des questions légales avec les experts
de la commission légale de Bercy présents. Ils apportent un
éclairage concernant la possibilité d'une concurrence
déloyale ou d'un travail dissimulé. L'essentiel de la discussion
portait sur ce point : « Comment qualifier cet acte de faire
travailler un très grand nombre de personnes en n'en
rémunérant qu'un petit nombre ? »
Leur réponse est alors de dire qu'il n'y a pas de
jurisprudence. Un responsable politique ne peut affirmer publiquement
l'illégalité de la pratique s'il n'y a pas de
précédent. En effet nous verrons que
184 7000 signatures de professionnels du graphisme
185 En parlant de l'affaire Creads et du CS.
72
ces plates-formes sont très prudentes quant aux termes
employés dans les contrats des concours, d'ailleurs très
rapidement corrigés au moindre doute : c'est une question de survie pour
elles.
L'AFD186très impliquée sur les
questions des droits du designer, a une approche différente des
intervenants sans véritable structure venus en simples professionnels et
plutôt issus de Twitter ou de la blogosphère (B. Fluzin par
exemple) ce qui a généré des petites tensions.
Le débat jugé globalement très
intéressant avec une discussion franche et riche (B. Fluzin)
était pourtant, selon Geoffrey Dorne, peu constructif car «
trustée par deux ou trois personnes monopolisant la parole autour de la
table. Uniquement là pour dire : « le CS c'est mal et nous on fait
des trucs bien et c'est tout ». Par manque de connaissance de la
plate-forme dans les détails, certains intervenants, ont tenu des propos
parfois provocateurs vis à vis d'Axelle Lemaire :
« J'aimerais sortir de cette réunion en ayant
une réponse de votre part à la question : Est-ce que demain, j'ai
le droit ou pas de faire travailler des gens gratuitement pour mon compte ? En
tant que jeune chef d'entreprise, si vous me dites oui, cela change beaucoup de
choses. » (B. Fluzin reprenant les mots d'un intervenant virulent)
Une chose est sûre : il faut un dialogue plus riche car le
CS risque d'exister encore longtemps.
4) Contexte difficile pour les professionnels du
design
La colère des professionnels du design est
accentuée en toile de fond par un contexte économique difficile,
des méthodes parfois à la limite de la légalité en
ce qui concerne les appels d'offres liés à la création et
une méconnaissance générale d'un métier aux statuts
précaires. On constate une certaine dévalorisation de l'oeuvre de
l'esprit qui consiste uniquement à considérer un travail de
design pour ce qu'il devient sans se demander d'où il vient. Pourquoi
c'est cher une idée ?
« Difficulté de reconnaissance comme
professionnel, préjugés sur le métier, multiplication des
graphistes de tous niveaux, aidés par facilités d'accès
aux outils et aux ressources gratuites. Statut facilité par
l'auto-entreprenariat.187 » (Thomas Pascaud)
Les Gratuistes et la méconnaissance du métier
Il y a un nombre très important de demandeurs d'emploi
dans le métier de la communication visuelle. Pôle emploi
conseille même aux graphistes qui s'inscrivent d'envisager une
reconversion. Les postes sont moins nombreux que les demandes, les agences ne
peuvent absorber tous les jeunes diplômés et le marché non
plus. Les salaires sont revus à la baisse et un étudiant qui
vient d'effectuer cinq années d'études commence en agence souvent
en CDD à moins de 1500€ net par mois, voir encore moins en
province.
Les formations express proposées par des
organismes comme Pyramid188 viennent par ailleurs alimenter ce
marché saturé de personnes qui deviennent, après une
session dans Indesign ou Photoshop, des
186 AFD : L'alliance Française des designers dont est
président François Capsar.
187 « Un graphiste, pourquoi c'est cher | Thomas Pascaud
». Consulté le 4 novembre 2014.
http://thomaspascaud.com/un-graphiste-pourquoi-cest-cher/.
73
graphistes. Le spectre du designer est d'avantage
brouillé car il peut être difficile, pour un recruteur de
trouver les compétences qu'il recherche.
On se trouve aussi aujourd'hui dans une situation avec un bon
enseignement généraliste dans la plupart des écoles, mais
on manque de spécialités. Les jeunes étudiants se
retrouvent plus facilement en difficulté car ils n'ont pas eu
suffisamment de préparation pour valoriser leur savoir-faire et s'armer
contre les clients abusifs lorsqu'ils débutent en free-lance.
Pôle emploi et certains sites
spécialisés189 relaient même des offres
d'emploi bénévoles pour des
gratuistes190 à la limite de la
légalité, il existe d'ailleurs des sites qui recensent toutes ces
offres souvent mises en ligne par des associations. On trouve cependant des PME
ou start-up qui n'hésitent pas, sous prétexte qu'il s'agit d'un
métier créatif - une passion donc - à évoquer une
rémunération potentielle en cas de réussite du projet,
avec le graal à la clé : une promesse d'embauche. Bien
entendu, les exigences sont les mêmes que pour une mission classique :
« Il devra avoir du talent et toutes les compétences d'un
professionnel (Pôle Emploi)»191
Le graphiste en recherche
d'opportunité192 devra alors justifier avoir
répondu à une offre mais ne pas toucher de salaire. La
difficulté sera donc, dans ces métiers de déceler l'emploi
dissimulé du bénévolat et bien différencier une
activité à but non-lucratif d'un objet commercial.
La méconnaissance du métier de la part
du grand public est une des difficultés que peut rencontrer un graphiste
dans sa recherche d'emploi, le cliché voudrait qu'un créatif
travaille « pour la gloire » (S. Drouin).
« Le graphiste... Cette créature à
mi-chemin entre le professionnel et l'artiste, que les gens ne savent pas trop
où caser, pour finalement lui coller quand même l'étiquette
« artiste » sur le front. » (S. Drouin)193
Comme nous l'avons évoqué en introduction, un
graphiste est polyvalent avec les outils, la facette artistique est un des
aspects qui caractérisent un designer. Il doit trouver un juste
compromis entre le besoin du client et ses propres envies. La
sensibilité doit servir de facette émotionnelle finale et ne
servir que le fond, qui est bien plus structuré. Un graphiste communique
pour les autres, il sait interpréter une demande et la traduire
visuellement. Il a parfois fait jusqu'à 5 ans d'études pour
apprendre certaines règles de mise en page, de typographies et une
façon de répondre de manière pertinente à une
commande.
188 « Pyramyd / Centre de formation / Paris / PAO, Web,
Mobile, Vidéo » Disponible sur : < http://pyramyd-formation.com/
> (consulté le 9 août 2015).
189 Graphicjob, regionJob ou monster par exemple.
190 Marenati M. Quand Pôle Emploi propose du travail sans
salaire aux graphistes - Manufacture créative Aether Concept [En ligne].
Manufacture créative Aether Concept : Graphisme print, conception web et
formation à Saint-Brieuc et Rennes. décembre 2014. Disponible sur
: <
http://www.aetherconcept.fr/pole-emploi-travail-gratuit-graphiste/
> (consulté le 21 décembre 2014)
191 (Extrait offre n°1018510 parue le 10/12/2014 sur le site
de Pole emploi)
192 Ce terme est utilisé pour éviter de prononcer
le terme « emploi » par des plates-formes comme Linkedin ou Viadeo
193 Drouin S. « Cherche graphiste bénévole :
Va te faire voire, ça ira ? » - Manufacture créative Aether
Concept [En ligne]. Manufacture créative Aether Concept : Graphisme
print, conception web et formation à Saint-Brieuc et Rennes. 7 mai 2013.
Disponible sur : <
http://www.aetherconcept.fr/cherche-graphiste-benevole/
> (consulté le 17 février 2015)
Les arguments utilisés par les clients en contrepartie
d'un travail gratuit sont nombreux : une publicité gratuite
avec le privilège d'indiquer votre nom d'artiste sur
la réalisation, ce qui est en fait obligatoire194 ou un book
alimenté par une référence de poids, argument
léger que s'amuse à transposer dans une autre
profession195les illustrations de « mon maçon
était illustrateur ». En inversant simplement la situation, cela
peut rapidement devenir ridicule :
« Hey ! Tu m'installes une salle de bain toute neuve
gratos ? Tu pourras toujours dire que tu as fait une installation chez un super
graphiste ! » (S. Drouin, 2013)
Ce dernier argument est souvent utilisé pour
dénoncer le CS, il s'agit du concept d'être payé si le
résultat convient. Le client de mauvaise foi dira aussi qu'il a toujours
fonctionné comme ça. Lui dire de continuer ainsi et passer
son chemin serait l'attitude à adopter face à ce type de
client. C'est souvent l'inexpérience des jeunes designers qui les pousse
à accepter ce type de commandes... On retrouve hélas ce principe
au niveau des appels d'offres.
Dévalorisation de l'image que l'on a du design et du
designer
n'
Résumer le métier de designer à
l'exécution graphique revient à amoindrir l'expertise
(G. Dorne). Le savoir-faire dévalorisé est alors au coeur de
la réflexion autour du CS. Toutes les étapes de travail existent
plus pour le client qui pense acheter uniquement un résultat visuel. La
préoccupation des
professionnels ne tourne donc pas uniquement autour du statut,
mais de la valeur du travail ou l'idée ne vaut pas grand-chose en
comparaison avec l'expertise de départ. (F. Caspar). Cette
démarche produit du dumping social et habitue des clients potentiels
à avoir une grande quantité de réponses pour un faible
coût. Cela revient encore à donner l'impression que les graphistes
exercent un métier-passion (Plus passion que travail selon Baptiste
Fluzin) et peut aussi fausser l'idée que les clients peuvent avoir du
design.
« Ça dévalorise le travail, pas
uniquement au niveau des professionnels, mais aussi du grand public ou
entrepreneurial, ça dévalorise l'image que l'on a du design,
l'image que l'on a du designer, son savoir-faire, son sérieux la
qualité et le prix que ça coûte aussi. C'est cet aspect le
plus gênant, j'essaie de me battre contre ça justement en disant
que le design n'est pas juste la couche visible de l'iceberg mais tout ce qui
se trouve en dessous aussi. » (F. Caspar)
Il est urgent de sensibiliser davantage sur ce secteur
d'activité dans un pays comme la France où la
75
culture visuelle est moins forte qu'ailleurs en
Europe196 précise François Caspar de L'AFD.
5) Les appels d'offres et leurs
dérives
Cette méconnaissance du métier très bien
décrite par les travaux de Marion Phelebon197 (2014), Manon
Verbeke198 ou Yohann Bertrandy199 (2009) se traduit
surtout par une incompréhension concernant les tarifs des prestations et
le travail de recherche effectué en amont. Cela se répercute
notamment sur les appels d'offres et les mises en concurrence pratiquées
par les organisations.
Deux cadres d'appels d'offres
Les appels d'offres publics sont des concours dépassant
15k€200 encadrés de manière très stricte
par le Code des marchés publics (CMP) exigeant une mise en concurrence.
En deçà, les règles sont moins strictes et n'exigent pas
cette mise en concurrence201. Certains maîtres d'ouvrages
s'arrangent parfois pour saucissonner des commandes en plusieurs petits
fragments de commandes afin qu'elles ne dépassent pas les fameux
15K€ (B. Fluzin).
La charte de l'AFD
L'AFD dénonce dans une liste
noire202 les appels d'offres douteux (publics essentiellement),
où les droits des designers ne sont pas respectés. S'appuyant sur
de nombreux principes déontologiques ou professionnels203, ce
syndicat de designers définit à travers une charte204,
les bonnes pratiques des concours de création en ce qui concerne leur
mise en place (le jury, le règlement, l'attribution des indemnisations
et des prix).
Comme pour le CS, dans les domaines des arts graphiques, un
concours est une compétition ouverte à un nombre
non-limité de participants qui doivent répondre à une
commande définie par un règlement, un jury205 effectue
la sélection et attribue une récompense à l'auteur ou aux
auteurs. Tous sont informés lors de la sélection sur le nombre et
l'identité des participants. Un concours doit avoir
196 Benelux, Suisse en particulier possèdent une
très forte culture visuelle et un respect du « bon design
».
197 Phelebon M. « La relation entre le client & le
designer graphique » [En ligne]. Mémoire : Université
de Paris-Est Marne-la-Vallée, 2014. Disponible sur : <
http://fr.slideshare.net/geoffreydorne/la-relationentreleclientetledesignergraphiquemarionphelebon
>
198 Verbeke M. « Un Graphisme Public - Manon Verbeke
» [En ligne]. 2013. Disponible sur : <
http://issuu.com/manontringaverbeke/docs/graphisme_public_memoire_manon
> (consulté le 9 novembre 2014)
199 Bertrandy Y. « Tout le monde est graphiste - le
livre. » [En ligne]. , 2009. Disponible sur : <
http://issuu.com/yoannbertrandy/docs/ttlmonde-est-graphiste
> (consulté le 29 octobre 2014)
200 Ces dispositions du décret n° 2004-15 du 7
janvier 2004 s'appliquent aux marchés d'un montant compris entre 15000
€ HT et 193000 € HT. Au delà de ce montant, il un avis
d'attribution au Bulletin officiel des annonces des marchés publics et
au Journal officiel des communautés européennes après
signature des contrats (source AFD : Règles du jeu équitables des
appels d'offres de la commande artistique et du design, 2010)
201 Les marchés inférieurs à 15 000 €
HT (art. 28 du CMP) peuvent être passés sans publicité ni
mise en concurrence. (Source AFD)
202 « AFD | Liste noire des appels d'offres de design
». Disponible sur : <
http://www.alliance-francaise-des-designers.org/blog/2010/12/15/liste-noire-des-appels-d-offres-de-design-et-de-communication-1.html
> (consulté le 7 décembre 2014)
203 Les règles professionnelles sont fondées sur
les dispositions de la loi du 11 mars 1957.
204 « AFD | Charte des concours des arts visuels ».
Disponible sur : <
http://www.alliance-francaise-des-designers.org/charte-des-concours.html
> (consulté le 15 janvier 2015)
205 Connu des participants et sous contrôle d'huissier.
76
un « cout élevé pour les organisateurs
». La première différence avec le CS se situe alors
dans la cession des droits, aucune renonciation ne peut être
exigée, et la distinction doit être faite entre le prix et une
cession de droits :
« Le montant des récompenses ne peut inclure
la cession des droits moraux et patrimoniaux des auteurs, droits
protégés par la loi du 11 mars 1957. »
Tous les participants doivent être indemnisés
à hauteur du travail à fournir, et en fonction de l'importance du
concours, sur la base des tarifs pratiqués206. Aucune
modification ne pourra par la suite être apportée à
l'oeuvre sans accord de l'auteur, qui sera rétribué de
manière complémentaire en cas de retouches. Les auteurs restent
propriétaires de l'oeuvre.
Des règles strictes ou des chartes encadrent donc ces
appels d'offres mais souvent les limites sont franchies. Au niveau de la
commande publique, on constate déjà de nombreux abus :
délais souvent irréalistes fixés en fonction d'une
deadline et non d'une charge de travail définie par la
complexité de la commande ; pénalités de retard sous la
forme de sanctions financières, parfois démesurées,
prévues en cas de non-réalisation des travaux. Pourtant les
retours clients souvent longs ne permettent pas toujours d'avancer, surtout si
le brief (cahier des charges) est incomplet. Enfin, dans certaines commandes
publiques par exemple il est exigé « des références
similaires ». Comment répondre à un premier concours ?
Se demande le studio Graphicstyle207. On retrouve
également au niveau de la commande publique des principes sur le
fonctionnement d'un appel d'offre :
« Quel que soit le montant du marché, le
pouvoir adjudicateur peut exiger que les offres soient accompagnées
d'échantillons, de maquettes ou de prototypes
concernant l'objet du marché ainsi que d'un devis descriptif et
estimatif détaillé comportant toutes indications permettant
d'apprécier les propositions de prix. Ce devis n'a pas de valeur
contractuelle, sauf disposition contraire insérée dans le
marché. Lorsque ces demandes impliquent un investissement
significatif pour les candidats, elles donnent lieu au versement d'une
prime. » (CMP, art 49)208
L'échantillon dont parle le texte de loi est
souvent une « simple esquisse » demandée par les maîtres
d'ouvrages. Ce n'est pas légalement un « investissement
significatif ». Cela demande cependant un temps conséquent de
recherche et de réflexion pour aboutir à cette idée ou ce
concept. Ce temps de la réflexion n'est pas pris en
considération, bien qu'il soit obligatoire.
L'ère du Pitch : le crowdsourcing CS, sans
plate--forme.
Dans le cadre d'une consultation privée, bien moins
normalisée, le client peut fixer lui-même les règles.
L'indemnisation n'est pas systématique et le devient de moins en moins
depuis quelques années. Même si le travail est
significatif, le commanditaire peut consulter un nombre
illimité d'agences ou free-lances, qui doivent fournir un travail
conséquent. Le pitch gratuit (B Enns) est probablement un souci
majeur de la profession, car il s'agit de professionnels que l'on
rémunère
206 Il existe des grilles de tarifs sur le site de l'AFD, ou des
logiciels comme http://www.calkulator.com/
207 Graphicstyle. « Le scandale des appels d'offres. »,
2015. Disponible sur : <
http://blog.graphicstyle.fr/le-scandale-des-appels-doffres/
> (consulté le 14 juin 2015)
208 Article 49 du code des marchés publics
77
uniquement si un ensemble de facteurs convient au
commanditaire. Les professionnels s'indignent car ce fonctionnement
dévalorise la profession. Il existe alors un risque pour les
participants non retenus de se voir plagiés par le détenteur
final du marché. En outre les appels d'offres pipés sont
souvent évoqués (et fantasmés) au sein des agences,
souvent lorsque les amis du commanditaire remportent le marché.
Se pose alors la question de la rentabilité : est-ce encore valable de
répondre à un appel d'offre ?
Du temps perdu pour tout le monde
Comme pour le crowdsourcing, la norme tend à mettre en
compétition de nombreux graphistes avant même de consulter leur
portfolio. Une amie free-lance209 m'a donné l'exemple de 15
graphistes appelés à refaire l'identité d'un
théâtre associatif. Dans cette situation, le risque de travailler
pour rien est important et le client ne sait peut-être pas vraiment ce
qu'il veut. Parfois les idées sont bonnes mais le devis est trop
élevé... Alors pourquoi est-ce du temps perdu pour tout le monde
? Comme nous l'avons évoqué en étudiant les
mécanismes des concours pour le CS, il y a une notion de
rendement210. Il est impossible selon Baptiste Fluzin de trouver 15
styles qui correspondent à ce que recherche la structure. La
démarche habituelle consiste en général à faire une
première sélection sur book, pour trouver un style qui convienne
et de demander ensuite un devis et une proposition qui sera
rémunérée. Tous les perdants touchent un petit cachet,
souvent inférieur au temps passé mais qui montre un certain
sérieux du commanditaire. En indemnisant l'ensemble des participants, un
client choisira avec soin ses prestataires, il pourra aller plus loin dans
l'échange avec eux.
« Ces appels d'offres, qui a les reins pour y
répondre ? » (B. Fluzin)
Seules les très grosses agences qui ont des pôles
dédiés à ce type d'offres, ces usines de stagiaires
dont le temps-homme dédié par concours ne
représente pas une grosse masse salariale peuvent se permettre d'y
répondre. Pour une agence plus petite, la réponse à un
appel d'offre représente du temps passé à l'échelle
de la structure, c'est parfois 100% du temps qui est joué s'il
s'agit d'un free-lance (B. Fluzin). L'agence Spintank211
demande systématiquement le nombre de participants mis en
concurrence.
« Il nous arrive de refuser quand on nous dit : -On
sollicite 8 agences, on fait un premier round et on en
garde plus que 4 et à la fin on n'en garde plus que
2... Là désolé, c'est pas pour nous. » (B.
Fluzin)
Un système qui devient la norme
Cette notion de consultation gratuite en agence est
révélatrice des dérives autour des appels d'offres. L'AFD
dénonce ce système entretenu par les professionnels
eux-mêmes :
« Paradoxalement, il est vrai que si ce genre de
pratiques existe, c'est que les agences et graphistes y répondent les
bras ouverts ! Nous pensons que ces agences se tirent elles-mêmes une
balle dans le pied car elles dévalorisent le métier de
créatif en fournissant des prestations gratuites. »
(Graphicstyle)
209 Élodie Cavel : je vous invite à
découvrir son travail sur
http://www.elodiecavel.fr/portfolio/
210 Voir : Qui sont les gagnants ? Partie I en page 48
211 http://spintank.fr/
78
Partant de ce constat, les créatifs peuvent l'assimiler
à la norme. La plate-forme Creads semble relayer cette
idée en diffusant sur son blog le témoignage d'un créatif
qui ne voit pas forcément la différence :
« L'aspect participatif revient à des projets
de même type que les concours d'affiche : il y a toujours cette notion
d'engagement sans garantie de gain au final. Il en est de même en agence
pour une consultation ou de la prospection. Creads me pousse à essayer
d'être le plus créatif. Les créations des autres
participants me servent aussi comme elles servent à inspirer le client.
» (@Elie-X)212
Pourtant il y a une nuance à apporter. L'agence ou un
free-lance prend parfois le risque de répondre à un appel d'offre
mais peut compter sur un panel de commandes classiques pour assurer ses charges
ou salaires. Lorsque la norme est uniquement basée sur un système
d'appel d'offre comme sur une plate-forme : Il y a un moment où on
met la clé sous la porte parce qu'il y a un mois où on perd tout.
(B. Fluzin). Des agences213 ont même indiqué
qu'elles arrêtaient de faire des appels d'offres, considérant
qu'elles avaient suffisamment de clients. Elles invitent les commanditaires
intéressés par leur approche créative à simplement
entrer en contact avec eux.
Dérives au niveau des écoles
Il est possible que certaines personnes au niveau
pédagogique ne réalisent pas les enjeux qui se cachent
derrière le CS. Certaines écoles incitent leurs étudiants
à aller sur Creads. Si cette pratique peut sembler
récente, la mise en concurrence des étudiants au sein
des écoles ne date pas d'hier.
Des entreprises font parfois appel aux écoles, pour des
projets déjà réalisés par une agence ou un studio
et donnent juste un exercice en conditions réelles.
Il arrive qu'il y ait un arrangement entre l'école et
l'entreprise pour un projet à court terme214 qui serait un
besoin réel pour l'organisation : un mini appel d'offre à
l'échelle d'une classe où les étudiants travaillent
gracieusement pour le compte de l'école payée a contrario
très cher par l'entreprise, si les étudiants peuvent avoir une
réelle relation client avec le commanditaire, alors il y a un
intérêt pédagogique, mais cela reste discutable d'un point
de vue déontologique. Certaines écoles privées demandent
aux étudiants des frais d'inscription annuels autour de 6-7K/€, on
peut constater une certaine forme d'abus dans ce système. Cela ne fait
qu'entretenir cette notion de travail gratuit. À l'Ésad
d'Amiens, (mon école de 2000 à 2005) le système
était plus proche des appels d'offres classiques, on parlait de
concours externes : trois ou quatre étudiants toutes promo
confondues rencontrent le commanditaire. L'ensemble des participants
échangent et parfois certains collaborent si le projet demande un
certain investissement. J'ai ainsi réalisé de nombreux projets
qui ont alimenté mon portfolio, et permis de tisser un premier
réseau professionnel local. Bien sûr, l'école touche sa
part215 mais l'étudiant perçoit un prix,
même s'il est modeste.216
Geoffrey Dorne parle d'une zone grise située
entre les deux, où l'entreprise va interagir avec
l'école sur des projets à long terme et visionnaires «
comme sur les transports à Paris en 2030 ».
Encadrés par les
212 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux
[En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste
> (consulté le 25 juillet 2015)
213 Agence LEG selon Baptiste Fluzin
214 Un projet de logo, livre, site web...
215 Pas de réponse de l'Esad, mais cela doit être
bien en dessous des 50% de commission d'une plate-forme.
216 Divisé en outre par le nombre de participants. J'ai
ainsi gagné 250€ pour réaliser une partie de la
signalétique du Zoo d'Amiens, ce qui peut sembler ridicule.
79
enseignants, les étudiants travaillent et utilisent les
contraintes de l'entreprise avec une vision pédagogique moins
court-termiste qu'un projet qui serait financé directement.
Geoffrey Dorne, également responsable pédagogique, fait
très attention et informe les entreprises sur le fait que les
étudiants ne travaillent pas "pour elles" mais plutôt
l'inverse en donnant aux étudiants un maximum d'informations et de
contexte afin qu'ils puissent « imaginer les choses, créer,
concevoir et qu'il y ait une relation inversée de ce que l'on pourrait
croire habituellement. ». Le master CTN du Celsa et de l'école
des Mines d'Alès intègre également dans son cursus un
projet pédagogique sur un projet de conception de site web. Par petits
groupes, les étudiants sont en relation directe avec le commanditaire,
dans les conditions réelles d'une commande. L'équipe
pédagogique accompagne ainsi tout au long du projet les Equipes
jusqu'à la livraison d'une maquette fonctionnelle. Cette démarche
est valorisante pour les étudiants. Le client joue le jeu et
participe au process, souvent plus long qu'en agence. Geoffrey Dorne,
toujours face à ses étudiants, indique qu'en expliquant les
dérives possibles que représente une pratique de CS, ceux-ci
comprennent un peu mieux la mécanique et changent de discours. Ainsi,
ils pensent à plus long terme :
« Je leur dis : dans 3 ans vous êtes
diplômés, et vous ne pourrez plus faire ça, si vous le
faites maintenant, vous tuez votre propre boulot à la sortie de
l'école ».
6) Le statut complexe du designer free--lance
Essoufflement du système actuel
On constate depuis quelques temps une certaine remise en cause
du statut d'indépendant tel qu'il est géré par la
Maison des Artistes (MDA). Sur le papier, les avantages sont
intéressants, et les charges attractives. Un court passage par la
case MDA, donne suffisamment envie de devenir salarié. Ce qui
n'évite pas d'être encore hanté par cette
administration quelques années pour justifier des choses qui
n'
ont pas été correctement payées par un
commanditaire. Sur certaines périodes, si le free-lance
oublie
une étape il peut se retrouver à cotiser plus
que ce qu'il aurait réellement gagné. Le designer est perdu au
point d'avoir besoin d'un guide du graphiste
indépendant217, outil salvateur dans ce système
anti-commercial aussi compliqué que celui des intermittents, où
il faut souvent expliquer les démarches au client devant parfois signer
3 chèques distincts pour une même commande (Prestation,
précompte, 1% diffuseur...).
Autre problème soulevé par l'AFD : La maison
des artistes refuse de plus en plus les designers au sein de leurs
cotisants. Il serait illégal de sélectionner des designers selon
le type de design qu'ils produisent. Devant cotiser à la fois à
l'Agessa218 et à la Maison des artistes
pour un même métier. Aujourd'hui, un designer peut exercer
des activités très variées souvent transverses et ne se
contente pas d'intervenir sur un seul type de design.
Cette mauvaise gestion pousse des free-lances à changer
de statut malgré les contraintes ou les charges plus lourdes. Ce qui est
même vécu comme un soulagement :
217 « Le nouveau guide du graphiste indépendant
» de Christelle Capo-Chichi [En ligne]. Disponible sur : <
http://pyramyd-editions.com/le-nouveau-guide-du-graphiste-independant-100-mis-a-jour
> (consulté le 11 août 2015)
218 L'AGESSA est un organisme visant à assurer la
protection sociale des écrivains, traducteurs, illustrateurs du livre,
dramaturges, photographes, auteurs compositeurs, scénaristes,
adaptateurs, auteurs de l'audiovisuel, auteurs du multimédia.
80
« Ça fait donc aussi partie des raisons pour
lesquelles j'ai décidé de créer mon entreprise, pour
sortir de ça, avec d'autres contraintes qui ne sont pas non plus
évidentes mais c'est une autre aventure ! [...] J'ai été
ravi le jour où j'ai pu quitter la MDA pour créer une
société, je gagne bien moins avec les charges, mais je cotise
pour ma retraite, j'ai un interlocuteur fiable, un comptable : c'est bien plus
carré, et c'est plus solide que d'être à la MDA avec toutes
les surprises qui vont avec. » (G. Dorne)
Il y donc la volonté de la part des professions
indépendantes de trouver une nouvelle forme de gestion des cotisations,
plus simple dans son fonctionnement, comme en Belgique ou en Suède.
Malgré de bons modèles chez nos voisins Européens, la
France est encore à la traine à ce niveau. Créer
une sorte de maison des graphistes ou des designers... mais sans
appeler ça maison « qui rappellerait trop de mauvais souvenirs.
» (G. Dorne). Pour aller plus loin, l'AFD lance une pétition
afin que les pouvoirs publics puissent repenser le régime de
sécurité sociale des artistes auteurs et son
fonctionnement219, et renforcer le statut du designer.
Le CS par simplicité : Paypal et la vision
court-terme
Mauvaise gestion, sous-effectifs, parfois même des
interlocuteurs peu compétents qui manquent de connaissances sur les
métiers de la création(G. Dorne) ; par facilité ou
peut-être aussi un peu effrayés, les étudiants ou
jeunes graphistes vont donc se tourner vers des plates-formes qui proposent un
gain simple. Rien ne contrôle le devenir des gains qui peuvent être
payés via Paypal220. Il y a alors le risque que cela
reste en circuit fermé, il n'y a pas de déclaration... Le
créatif se dit qu'il est tranquille. « C'est une vision
très court-termiste et un peu infantile » (G. Dorne).
« Étant donné qu'Eyeka ouvre les portes
de la créativité au monde entier, nous utilisons PayPal pour
transférer vos récompenses directement sur votre compte »
(Eyeka)
Peut-on contrôler les gains ?
S'ils décident toutefois de déclarer leurs gains
(obligation en France), de nombreux gagnants de concours découvrent
alors les arcanes de la MDA... Ce qui est déjà compliqué
pour un graphiste indépendant, doit sembler invraisemblable pour un
amateur qui ne connaît pas l'existence même de cet organisme.
Aiguiller et informer les créatifs amateurs à faire leurs
premiers pas vers ces organismes est important, mais pas obligatoire... Les
plates-formes ne font pas toujours ce service après vente. Eyeka
indique dans les grandes lignes les démarches à
suivre221 mais ne peut contrôler ce qu'il advient des
gains.
Il y a deux statuts possibles : les auteurs et les diffuseurs.
La plate-forme se situe entre les deux en jouant un rôle
d'intermédiaire, ils ne sont ni l'un ni l'autre. C'est donc au
commanditaire, qui acquiert les droits, de s'acquitter du paiement et non
à la plate-forme222.
219 Réforme Du Régime De Sécurité
Sociale Des Artistes Auteurs Illustration: Erick Duhamel,
http://petitions.upp-auteurs.fr/appel.php?petition=445,
consulté le 6 juillet 2015.
220 Sur Eyeka par exemple il s'agit d'un argument de vente
pour susciter l'adhésion de nouveaux membres. « Eyeka pour les
créateurs ». In : eYeka [En ligne]. Disponible sur: <
https://fr.eyeka.com/creators
> (consulté le 11 août 2015)
221 « Dois-je acquitter des cotisations sociales sur le prix
que j'ai perçu? - Support communautaire eYeka ». Disponible sur:
<
http://support.fr.eyeka.com/knowledgebase/articles/339545-dois-je-acquitter-des-cotisations-sociales-sur-le
> (consulté le 11 août 2015)
222 Voir annexes p123 Éric Favreau (entretien n°2)
81
« On a donc rencontré les Agessa et on a
validé le fait que l'on était ni un diffuseur, ni un auteur bien
évidemment. [...] On ne peut donc, en tant qu'intermédiaire,
qu'informer nos parties. » (É. Favreau, Eyeka)
À l'issue du concours, que le lauréat
possède un statut ou non, cela ne change rien car le travail a
déjà été produit et la plate-forme ne s'en soucie
guère. Sur ce point les opposants au Perverted Crowdsourcing
dénoncent le manque de contrôle et suggèrent un
meilleur accompagnement des lauréats, car il est question alors de
travail au noir. Le manque de communication et de transparence de la
part des plates-formes laisse ainsi imaginer de nombreux scénario et
peut alimenter la méfiance des opposants :
« Ça dans la pratique, je ne sais même
pas comment ils font. Quelqu'un qui gagne un concours, mais qui n'a pas de
statut... Qu'est-ce qu'ils font ? Ils payent au black ? Ils délaient le
paiement ? Ils ne paient pas et c'est tout bénéf pour eux ? Ils
disent à la personne "il faut mieux lire les conditions
d'utilisation..." ? Je ne sais pas. » (B. Fluzin)
Volonté d'un statut pour tous
Parmi les revendications des professionnels, il y a
l'obligation pour les plates-formes de s'assurer que tous les participants
aient un statut, pas uniquement les gagnants. Étant donné la
valeur globale qu'ils apportent à la marque, pourrait-on envisager un
accès aux concours uniquement aux créatifs qui ont un statut ?
Ces plates-formes fonctionnent justement pour leur ouverture et attirent par
leur offre de foisonnement (B. Fluzin). Cette solution limiterait
d'emblée l'accès au plus grand nombre. Ce qui va à
l'encontre la stratégie actuelle. Il n'y aurait alors que des pros
avec un statut :
« S'ils font ça, ils se tirent une balle dans le
pied [...] Si tu les obliges à s'assurer du statut de chacun des
participants, ces chiffres fondraient comme neige au soleil ! » (B.
Fluzin)
Un statut plus équilibré du designer pourrait
sans doute éviter cette migration facile des créatifs vers les
plates-formes. Il est difficile de répondre à cette
hypothèse, mais les difficultés que rencontrent les designers
pour expliquer leur métier au quotidien jouent aussi en faveur du CS.
7) Une prestation incomplète: Impact sur la
qualité des productions
« C'est surtout la qualité de ce qui sort de
ce type de plate-forme qui est pitoyable. Ça m'ennuie
profondément, je suis un peu utopiste, j'ai tendance à croire
qu'on peut tirer les choses vers le haut, sortir des meilleurs designs... Mais
en fait ce genre de plate-forme arrive à prouver que des gens font
l'inverse en tirant la qualité vers les bas. C'est vraiment dommage car
ce n'est l'intérêt de personne. C'est chercher au moins cher, au
moins intéressant, et donc : au moins qualitatif. » (G.
Dorne)
Si le CS s'inscrit dans un contexte déjà
compliqué pour le designer, comme on le voit déjà avec les
banques d'images, le paysage graphique pourrait être lui aussi
appauvri par la présence de ces nouveaux acteurs de la scène
graphique. La généralisation des productions
réalisées sans véritable travail de design aura
surtout un impact sur la qualité. C'est la valeur du designer qui semble
remise en cause. Ce qui peut aussi se répercuter sur les clients, qui
jouent avec leur image.
82
Le logo du neveu du patron
Le neveu du patron qui connaît bien Photoshop
pose quelquefois des soucis. L'exemple fréquent d'une
communauté de communes qui refait son logo en interne et ensuite demande
à une agence de la rendre exploitable ne fait qu'appuyer ce
sentiment d'impuissance223. Andrew Keen anticipe un monde
numérique dominé par les amateurs où la
médiocrité l'emporte sur la qualité. Mais appelle
cependant à la nuance en précisant que les technologies ne
détruiront pas les cultures, les nouveaux médias ne sont pas les
seuls à proposer des contenus où l'amateur tient une place de
choix224. Cette parole de l'amateur ne coûte pas cher à
produire, et vient de ce fait bousculer la qualité, qui elle, se
paye.
« L'idée que des technologies pourraient
détruire, à elles seules, des cultures, n'est pas vraie. Ces deux
pôles entretiennent entre eux une relation de cause à effet
beaucoup plus subtile. Leurs effets réciproques, leurs
interpénétrations doivent être regardés avec
beaucoup plus de nuance. » (A. Keen)225
Il y a une très mauvaise pédagogie du graphisme,
les entreprises, bien qu'elles commencent peu à peu à comprendre
les enjeux d'une communication de qualité, n'ont pas encore compris
pourquoi un logo pouvait coûter cher. Un coach en
e-réputation pour PME et entrepreneur disait après avoir
passé commande sur Fiverr :
« Bien sûr ce n'est pas un logo de haut-vol.
C'est une bonne solution si vous devez rapidement lancer votre affaire ou ne
pouvez pas faire de grands investissements initiaux. Mon logo à prix
discount ne m'a coûté que. 4 euros ! Je suis plutôt content
du résultat pour le prix payé. »
Le brief figé / autodiagnostic
Dans une relation classique, le regard du client évolue
à mesure que le projet avance. Le diagnostic initial se précise.
Dans un projet de CS, le brief reste figé et ne peut évoluer dans
le temps. Le client se trouve alors dans une situation où il sera
« auto-satisfait par l'autodiagnostic » (F. Caspar). La
prestation du designer est incomplète. Il ne réalise qu'une
partie de son travail : la partie émergée de l'iceberg,
l'aspect visuel que l'on voit au premier abord. Bien sûr cela peut
être réussi visuellement, mais l'ensemble des signes, des
déclinaisons, la manière dont un logo va vivre sur tel ou tel
support ou être véhiculé ne pourront être
traités. Il y a une vie après le logo : la
réflexion va au delà de la simple conception. C'est une
projection dans la continuité de la création, il doit
s'intégrer au paysage de manière cohérente. Le travail du
designer consiste aussi à faciliter le passage de relais pour que les
graphistes suivants puissent s'approprier la création sans la
dénaturer. Il est donc important de définir une stratégie
de déploiement de l'identité.
« On ne peut pas tout prévoir dans une charte,
il faut parfois réadapter certains points qui n'étaient pas
prévus au départ, et il est important, surtout au début,
de bien rester dans les lignes prescrites, sinon on déforme tout avant
même d'avoir commencé. Cette étape de démarrage (1
à 3 ans suivant les cas) est
223 Un logo ou une identité doit être
décliné dans différents formats d'utilisation, vectoriels
notamment, et ne peut être un simple jpeg rvb 72dpi (basse
définition)...
224 Keen A. « Le culte de l'amateur : Comment
Internet tue notre culture. » Paris : Scali, 2008. 302 p.ISBN :
9782350122281.
225 Keen A. RSLN | Andrew Keen : « J'ai fait du chemin,
depuis Le culte de l'amateur ... » [En ligne]. 27 octobre 2010. Disponible
sur : <
http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx
> (consulté le 22 mars 2015)
83
souvent oubliée dans les appels d'offres, elle
devrait y être automatiquement incluse. » (Nathalie Pollet,
2015)
Le manque de pratique discursive
Un client d'une agence de crowdsourcing, n'est pas
impliqué dans le mécanisme de production. Il est orienté
à travers un questionnaire qui n'est qu'un guide sémantique
servant à exprimer ses intentions et à formuler son brief
créatif. Il cite des logos qu'il trouve sympas... une aide
précieuse pour le graphiste. Le dialogue que l'on peut trouver entre une
agence (ou un free-lance) et son client est rompu. Ayant directement affaire
avec la plate-forme, le client ne connaît pas son créatif. Il se
retrouve devant 50 propositions impersonnelles avec pour seuls indications le
petit résumé concernant la démarche créative.
En dehors du brief très simple, toute la
démarche de conseil d'accompagnement qui permet de faire évoluer
une piste initiale en réponse pertinente semblent invisibles. Les
plates-formes proposent un espace d'échange avec le client, mais il
s'agit d'un échange public, que tous les concurrents peuvent voir sur un
simili-forum (B. Fluzin). Ce qui est différent d'une rencontre
chez le client permettant de comprendre comment il fonctionne, son univers, ce
qu'il apprécie... Toutes ces informations sont précieuses pour un
designer qui effectue un travail de collecte visuelle et d'ambiance. Souvent
lors de cette étape, murissent les idées et meurent les
premières intentions. Sans la moindre source, un designer va produire un
truc générique (B. Fluzin), qui peut être
visuellement réussi mais qui ne conviendra pas au client. Le graphiste,
passionné par son métier aime faire du sur-mesure. Il
doit pouvoir se dire qu'un logo ou une identité est unique et ne
conviendra qu'à son client. Pas à son concurrent pourtant du
même secteur. Chaque commanditaire possède son propre message et
sa propre histoire, le dialogue permet d'en cerner les contours.
« J'affirmais que les « nouveaux médias
» étaient ceux où le culte de l'amateur jouait à
plein, mais il suffit d'allumer une télévision et de tomber sur
une émission de télé-réalité pour voir que
ce n'est pas le cas. Et cette sacralisation de la parole de l'amateur, de
l'homme de la rue, dans les « vieux médias » est
également encouragée car elle ne coûte pas très cher
à produire. » (A. Keen)226
Le public se satisfait alors d'un mauvais design. Paul Rand
estime même qu'il est conditionné à aimer ça. Il le
reconnaît et se trouve rassuré227. Si le designer
souhaite faire correctement son métier, il doit habituer à
produire de la qualité.
8) Uniformisation du paysage graphique
Produire du bon design semble vraiment préoccuper les
graphistes tout comme la volonté d'être au plus proche de la bonne
réponse. Mais la question d'uniformité est souvent
évoquée lorsqu'il s'agit de CS.
226 Keen A. RSLN | Andrew Keen : « J'ai fait du chemin,
depuis Le culte de l'amateur ... » [En ligne]. 27 octobre 2010. Disponible
sur : <
http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx
> (consulté le 22 mars 2015)
227 Paul Rand : « The public is more familiar with bad
design than good design. It is, in effect, conditioned to prefer bad design,
because that is what it lives with. The new becomes threatening, the old
reassuring. »
84
Il est important de comprendre que ces sites sont
potentiellement en train de modifier le paysage graphique. Certains sites comme
Fotolia qui ne font qu'uniformiser le paysage iconographique de la
communication, véhiculant parfois la même image pour des
annonceurs concurrents. Il n'y a plus de spécificité. Seules les
grandes agences, font encore appel aux photographes professionnels pour des
campagnes publicitaires.
Bien conscient de la loi du marché qui sévit sur
le site Fotolia, un photographe Serbe explique228 que le
but de ses séances de shooting est de réaliser un
maximum de photos avec une qualité la plus élevée possible
afin d'avoir une chance de vendre un cliché. Sur cette place de
marché, il n'est plus dans la commande, mais dans une espérance
de vente, comme un commerçant. Le travail s'oriente donc vers une
réponse à une attente du plus grand nombre. La
créativité est forcément laissée de
côté et on tombe vite, sans mauvais jeu de mot dans le
cliché avec un lissage des cadrages et des sujets.
Rentabilité et recyclage
Un créatif qui compte vivre de son travail doit
forcément augmenter son volume de production dès lors qu'il
s'agit d'un projet non-rémunéré. En crowdsourcing, nous
avons étudié le principe de rendement lié à la
rémunération incertaine lorsqu'un faible pourcentage de la
production est rétribué. Le graphiste sera forcément
obligé de recycler son travail pour obtenir un meilleur
rendement.
« Y'a deux mois j'avais proposé un truc pour
une agence de voyage, mais là c'est une chaîne aérienne
«low-cost», c'est à peu près la même
thématique, je recase le même boulot... » (B. Fluzin)
Le travail produit existe : conçu au départ pour
un client, il sera ajusté pour un autre. Transposer à une autre
profession suffit là encore pour comprendre l'absurdité de la
démarche :
« Je vais voir un boulanger, et je lui demande un
gâteau d'anniversaire personnalisé. Si ça ne me plaît
pas, je ne l'utilise pas. Vous pourrez le vendre à quelqu'un d'autre.
Mais il y aura écrit - joyeux 30 ans Baptiste » (B. Fluzin)
Pour espérer avoir un retour sur investissement, le
graphiste doit revendre son gâteau-logo à quelqu'un
d'autre. Il sera forcé de produire dès le départ un
travail impersonnel passe-partout. Ce qui reste une situation qui
n'affecte que le résultat. L'autre scénario consiste à
voler des travaux existants.
Plagiat
La Repompe229est un vrai risque du
métier qui est souvent plus lié au rendement qu'au manque
d'idée. Ce risque est aussi pour le client qui utilise la
création plagiée. Les plates-formes se désengagent de
toute responsabilité en demandant aux contributeurs de certifier
l'originalité de leurs productions, elles ne fournissent pas non plus de
garantie d'authenticité quant à l'origine du travail.
Malgré un contrôle systématique effectué par
certaines plates-formes (comme Eyeka), le risque existe toujours. Une
agence, qui en théorie fait du sur-mesure, est responsable si elle
n'effectue pas ce travail de contrôle et
228 Vanina Kanban. « Les Forçats du Cybermonde »
[En ligne]. 2007. (Jeudi Investigation Canal+). Disponible sur : <
https://www.youtube.com/watch?v=Q73kccapzW4&feature=youtube_gdata_player
> (consulté le 15 janvier 2015)
229 Joe La Pompe. « Joe La Pompe advertising,
publicité - Packaging ». [En ligne]. Disponible sur : <
http://www.joelapompe.net/category/design-digital/packaging/
> (consulté le 11 août 2015)
85
prévient son client lorsqu'elle utilise une source sur
une Bank230. Le CS propose au contraire d'obtenir un nombre
de propositions proportionnel au tarif payé au départ. Il suffit
de consulter la grille de tarifs de Creads pour se rendre compte :
plus le client paye, plus il aura de propositions231. Peu importe
d'où viennent ces créations.
« Un logo à 5 $ qui peut revenir beaucoup plus
cher si les droits d'auteurs ne sont pas respectés, car le premier
à trinquer sera le client qui utilise une image ou plusieurs images sans
autorisation et sans savoir qu'il est dans l'illégalité. »
(Cédric Pavot)
9) Un impact à échelle variable
Pour les grandes marques
On ne peut mettre sur un pied d'égalité toutes
les problématiques de design. Une identité visuelle, d'une petite
structure ou d'un commerçant n'a pas les mêmes enjeux que
l'identité d'une société du CAC40. Les clients d'Eyeka
cherchent une idéation plutôt qu'un résultat
fini. La plate-forme est bien consciente que l'expertise du designer
est indispensable pour obtenir une production de qualité :
« On peut considérer que ça va
satisfaire un certain nombre de clients qui recherchent avant tout un prix,
mais les clients qui sont à la recherche d'une qualité
d'expertise, ne peuvent pas être satisfaits par ce système
là. » (É. Favreau)
Le budget marketing annuel d'une grande marque est
énorme. Même si travailler avec Eyeka coûte cher
(Y. Roth), un concours est un investissement relatif au regard du budget
global du projet. Il s'agit d'une opération marketing d'une nature
différente, une nouvelle corde à leur arc de communication
(B. Fluzin), qui peut conduire à des résultats
complémentaires d'une étude réalisée par un gros
cabinet d'audit sur un panel de consommateur. Dans cette situation, le
résultat produit par les contributeurs
n'
|
est pas diffusé, il n'y a pas d'impact direct sur la
qualité232.
|
Pour les PME
Outre le fait d'acheter à bas coût une partie
d'un travail233 et de risquer d'utiliser une création
plagiée234, le risque est plus élevé pour les
petites entreprises. Elles allouent tout d'abord un budget qui
représente une part plus importante de leur chiffre d'affaire. Mais
surtout, elles prennent le risque d'obtenir la fameuse solution
passe-partout-générique (le gâteau-logo).
Lorsqu'elles cherchent à (re) faire leur identité, ce
travail ne se démarquera pas. Il véhiculera probablement une
image faussée de l'entreprise. Il est aussi probable qu'une PME soit
confrontée à un ensemble de propositions qui ne l'enchantent pas.
Elle prend donc le risque de ne rien avoir, ou de choisir par défaut
la moins mauvaise des pistes.
230 Il existe des banques pour tout: vidéo,
picto, images, typo, avec différents types de licence.
231 Creads. « Les tarifs de création d'un logo.
». Disponible sur : <
http://www.creads.fr/commande-creation-logo
> (consulté le 2 septembre 2015)
232 Voir partie I sur l'idéation et les grandes marques,
en page 28
233 Voir partie prestation incomplète en page 81
234 Voir partie plagiat / repompe en page 84
86
Seule la quantité semble garantie : c'est l'argument de
vente principal. Dans une démarche de CS, il y a cette notion de
one-shot (B. Fluzin) à sens unique, sans possibilité de
retour pour le client qui revient à se bander les yeux et
désigner une proposition au hasard ! Il est bien sûr possible
de soulever par chance le bon caillou en se demandant ce qu'est venu faire
ce créatif talentueux ici (B. Fluzin) mais le client n'aura pas
cette possibilité de retour que l'on peut trouver dans un échange
classique. L'agence Creads intervient ensuite pour ajuster «
le travail du neveu »235 mais cela reste une
rustine où le créatif de départ
n'
est souvent plus impliqué dans le
processus236. Parmi les meilleurs créatifs de Creads,
que l'on a
évoqué dans la première partie, seuls 27%
ont déjà échangé ensuite avec le
client237. C'est à la fois une déception pour le
créatif, mais aussi un manque de professionnalisme. L'agence
participative effectue le travail d'accompagnement post-concours, mais
semble oublier le créatif à l'origine du travail. Celui-ci est
dépossédé de la création qu'il n'a même pas
pu défendre.
Le risque de grogne de la part de la communauté
Faute de trouver un résultat à la hauteur de ses
attentes, il arrive au client d'annuler un concours, ou de refuser tout
simplement d'aller plus loin. Il n'y aura donc pas de résultat visible.
Cela arrive parfois précise Yannig Roth d'Eyeka. Les
grandes marques le savent et la plate-forme fait au mieux pour éviter
cette situation en limitant le brief à une simple idée. Lorsqu'il
y a production de contenu, la marque prend un risque si le concours n'aboutit
pas : celui de recevoir un retour négatif de la part de la
communauté des graphistes ou des consommateurs de manière plus
large. Ces marques qui bottent en touche, vont décevoir les
participants en prétextant que le projet sera ensuite
re-travaillé en interne par exemple238. Si le produit est mis
sur le marché, il est souvent loin de ressembler à la proposition
faite lors du concours. De manière plus extrême, la marque peut
aussi faire travailler directement de vraies agences si les propositions de
départ sont vraiment mauvaises (« trop pourries »
selon B. Fluzin).
« Pour la marque c'est pas du win-win : c'est du
loose-loose ! » (B. Fluzin)
Un impact en terme de réputation pour les marques
La possibilité d'un mécontentement se retrouve
bien au-delà de la sphère du CS. Comme pour les appels d'offres,
c'est une tendance qui se généralise pour les marques. Les
exemples de bad buzz de concours sont nombreux (B. Fluzin) et
reflètent là encore la distance entre la pratique du design et la
manière dont cette activité est perçue du grand public.
Ces marques pensent à tort qu'un concours va donner la
possibilité aux artistes-créatifs de briller et de
sortir enfin de l'ombre. Il s'agit presque d'un cas d'école : avec des
discussions entre créatifs outrés et des billets de blog qui
tentent d'expliquer pourquoi il s'agit d'une mauvaise idée. Mais les
marques continuent à véhiculer l'idée que l'on peut faire
travailler des personnes gratuitement en n'en rémunérant qu'un
petit nombre. Elles ne font pas la différence entre un concours qui
s'apparente à une commande et un concours dont elles pourraient se
passer. Une marque n'apprend pas des erreurs des autres et répète
un scénario déjà usé jusqu'à la corde.
On peut citer la commune de Tours239 qui demande au Public,
dans un contexte économique contraint,
235 Voir plus haut p82, Le logo du neveu du patron
236 Sauf exception pour Eyeka qui est parfois amené
à travailler avec le créatif de manière à prolonger
le projet.
237 Ces 10 personnes totalisent 69 victoires soit 3% des 1814
qu'il est possible de recenser sur le site en parcourant les profils.
étude en annexes en page 180
238 Eyeka fonctionne ainsi mais prévient dès le
départ qu'il s'agit d'un benchmark.
239 Etapes Graphiques. « Aux graphistes, les élus
jouent des Tours ». février 2015. Disponible sur : <
http://etapes.com/aux-graphistes-les-elus-jouent-des-tours
> (consulté le 13 avril 2015)
87
de choisir parmi quatre logos réalisés en
interne. Si l'objectif est d'impliquer les citoyens dans la vie locale
: c'est une mauvaise idée en terme d'image. Un logo doit s'inscrire dans
la durée. Il y a de fortes chances pour qu'un travail non-professionnel
vieillisse mal. Si le but de l'opération est économique : c'est
un mauvais diagnostic. Une collectivité ignore-t-elle qu'un logo coutera
bien plus cher à implémenter qu'à réaliser de
manière professionnelle240?
Valérie Pécresse a provoqué sur
Twitter une réaction virulente de la part des professionnels en
proposant la création d'un logo de région auprès des
habitants pour qu'il ne coûte rien au contribuable :
« Bonne idée! "@Vincent___B: Je l'ai toujours
défendu : 0€ d'argent public pour un logo de Région. Faites
un concours auprès des habitants ! » (@vpecresse, 2014)
Les réactions sont intéressantes :
« @vpecresse @Vincent___B Bonne idée ! Faisons
la même chose avec les rémunérations des élus !
» ( @JulienMoya Jan 31)
« Mais bien-sûr, bonne idée @vpecresse
et @Vincent___B ! Nions la valeur ajoutée des professions du design,
n'importe qui peut le faire ! \o/ »
L'image de la marque est donc ternie par ces
concours-polémiques qui jouent au départ sur une promesse de
visibilité, en attirant surtout les jeunes graphistes qui souhaitent se
voir exposé « partout en France ». L'organisation fait parfois
« machine arrière » en annulant le concours comme ce fut le
cas avec l'affiche « de la fête de l'humanité241
» mais le mal est fait et la marque perd en
crédibilité, surtout si au départ elle porte un message de
respect et d'éthique.
10) Un bon exemple d'identité :
Charleroi
Si les appels d'offres, les concours organisés par les
marques sont parfois limite au niveau déontologique, il ne faut pas
cependant voir le mal partout, et penser que le graphisme est en train
de mourir à petit feu ou que les graphistes vont disparaître. Il
existe en effet de bonnes pratiques qui démontrent le contraire. La
culture du design est plus présente au Benelux et l'approche de la
commande publique plus sérieuse qu'en France, on a bien conscience des
problématiques liées à la conception d'un logo. Nous
pourrions citer l'exemple de White studio242avec
l'identité de Porto ou celui de la commune de Charleroi, en Belgique,
qui a fait appel au studio Pam&Jenny pour refaire son
identité.243J'ai choisi ce très bon travail pour
illustrer un travail sérieux de logo-design, avant d'évoquer les
pistes possibles qui se présentent à la fois aux designers mais
aussi aux marques qui souhaitent passer par des plates-formes de CS.
240 Cela peut facilement dépasser les 100K€ si la
collectivité fait évoluer tous ses supports de communication.
241 Etapes Graphiques. « Concours : la fête de
L'Humanité perd de sa superbe », 2015. Disponible sur : <
http://etapes.com/concours-la-fete-de-l-humanite-perd-de-sa-superbe
> (consulté le 26 février 2015)
242 White Studio. « New identity for the city of Porto
». In : Behance [En ligne]. Disponible sur : <
https://www.behance.net/gallery/20315389/New-identity-for-the-city-of-Porto
> (consulté le 13 août 2015)
243 Etapes Graphiques. « Charleroi : le logo aspire
à la couronne » [En ligne]. mars 2015. Disponible sur : <
http://etapes.com/charleroi-le-logo-aspire-a-la-couronne
> (consulté le 21 mars 2015)
88
Nathalie Pollet, fondatrice du studio, explique sa
démarche exemplaire, ses inspirations et le sens donné à
sa création. Ce discours tranche avec les exemples récents de
logo crowdsourcés par les collectivités :
« Créer l'image d'une ville, c'est d'abord
prendre en compte le fait que l'on va s'adresser à un public
immensément large, mais cela ne veut pas dire qu'il faille, par souci de
plaire au plus grand nombre, oublier d'être audacieux. » (N. Pollet,
2015)
La réussite du projet vient du fait que le
commanditaire est conscient de la démarche de design et comprend les
enjeux de création :
« Je travaille donc principalement avec des personnes
ayant une vraie culture de l'image, et en même temps connaissant
très bien le contexte de l'intérieur. Même si nous sommes
contraints par un environnement parfois complexe (politique, administratif,
budgétaire, etc.), le dynamisme, l'ouverture, la quête de
qualité et de pertinence sont présents à chaque
étape du travail. Cette situation est un grand avantage pour le projet,
et pourrait être - à mon avis - un exemple à suivre. »
(N. Pollet, 2015)
La typographie est en lien direct avec ce territoire
industriel. En citant le concepteur du caractère (Michael Mishler), le
studio marque un respect pour ce travail souvent méconnu.
Derrière une simple lettre on retrouve l'histoire d'un lieu, la forme
esthétique ("douce et technique") est aussi pensée pour
occuper un espace réduit. Il y a un souci de lecture, de positionnement
stratégique futur du logo, qui prend en compte les coûts des
déclinaisons sur les différents supports. :
Le designer doit savoir proposer une réponse qui prenne
en compte son public mais sans oublier d'aller plus loin. Le positionnement
stratégique doit se faire ressentir, il doit transmettre avec force le
caractère du territoire. Selon Nathalie Pollet, les collectivités
sont frileuses, et par excès de démocratie
89
manquent de pertinence en balayant trop large. La
communication reste plate et pourrait être utilisée par d'autres
collectivités sans que cela ne choque. Il est important de proposer des
réponses intelligentes, sans avoir peur d'être parfois trop
radical, il faut faire confiance au public, pour que le logo perdure
et s'impose dans le temps.
Un logo réalisé par une agence coûte
effectivement plus cher qu'un logo à 5$ sur Fiverr, voir un
projet élite de Creads à 3500€ (et encore...). Pour
un travail comme celui-ci, on peut estimer qu'il sera facturé entre 10
et 20k€. Certes, c'est plus cher qu'un feu d'artifice du 14 juillet. Mais
une collectivité doit y voir un investissement à long terme. Un
studio de renom comme celui de Ruedi Baur a réalisé celui des
archives nationales pour 45K€ : les tarifs sont très
hétérogènes.
11) Conclusion seconde partie
Dans son ouvrage sur le web collaboratif, le culte de
l'amateur244, Andrew Keen, à travers ses
réflexions sur l'univers sauvage du web 2.0 explique de manière
critique que la parole de l'amateur deviendrait avec les UGC245 une
forme dominante de la culture, il relativise aujourd'hui ses propos et
préconise l'arrivée de nouveaux spécialistes,
considérés pour leurs compétences et non leur statut :
« Dans « l'ancien monde » - celui du XXe
siècle, on va dire - vous pouviez être un universitaire
perché dans votre tour d'ivoire, réfugié dans le douillet
cocon de votre « chapelle », et professant votre savoir à des
étudiants respectant totalement votre parole. Je ne sais pas si c'est
une bonne ou une mauvaise chose, je ne me situe pas sur ce terrain là,
mais une chose est sûre : aujourd'hui, cette attitude n'est plus tenable,
vous devez apporter votre autorité par la preuve plus que par le statut.
La hiérarchie ne fait plus l'expertise, c'est la compétence qui
la révèle. » (Keen, 2008)
Manon Verbeke246 (2013) se demande si le
métier de graphiste peut être mis au même plan qu'un artisan
ou un petit commerçant. Sa démarche intéressante met en
pratique une expérience consistant à positionner le graphiste
comme un petit commerce. Elle propose ses services de graphiste aux
professionnels aux petits budgets en apportant une réponse simple sans
pour autant être impersonnelle. Elle constate que l'on peut
répondre intelligemment à une commande tout en restant abordable.
Sur internet on retrouve les amateurs dans de nombreux secteurs, telles que la
vidéo (Youtube), la musique (Soundcloud), la
photographie (Instagram), les écritures numériques, la
cuisine... Laure Blanchard247 étudie comment, à
travers les blogs, les émissions de
télé-réalité ou les portails de recettes, la
pratique amateur en cuisine permet de redonner une stature d'expert aux
professionnels de la gastronomie. Le graphisme d'auteur profite
également de la pratique amateur : sur les blogs des plates-formes, les
créatifs interrogés avouent être inspirés par de
grands noms du design, des blogueurs influents, des agences... ces fans
décrit par Flichy s'approprient et consomment l'oeuvre en la
244 Keen A., Olivennes D., Laberge J.-G. Le culte de l'amateur :
Comment Internet tue notre culture. Paris : Scali, 2008. p.ISBN :
9782350122281.
245 User generated content défini en introduction
en page 12
246 Verbeke M. Un Graphisme Public - Manon Verbeke [En ligne],
2013. Disponible sur : <
http://issuu.com/manontringaverbeke/docs/graphisme_public_memoire_manon
> (consulté le 9 novembre 2014)
247 Blanchard Laure. « Triomphe de l'amateurisme en cuisine
? De la relation entre les imaginaires du web social e de la gastronomie au
service de l'expression du désir amateur. » . Mémoire Pro,
CTN, EMA-Celsa, 2011. (consulté le 21 janvier 2015)
90
remaniant à leur convenance (braconnage). Le
numérique remet en cause la définition classique du fan
qui met en relation un public dominé par une culture de masse. La
pratique amateur prolonge la production artistique sur le web et bouleverse le
rapport traditionnel à la culture populaire industrielle jusqu'à
présent instauré. Il y a un brouillage des catégories
qu'opèrent les pratiques des amateurs.
« L'ère numérique remet en cause le
fonctionnement de la culture populaire industrielle, qui imposait que l'oeuvre
soit consommée sous la forme choisie par l'éditeur. Les fans
retrouvent, au contraire, les pratiques de la culture préindustrielle
où les contes pouvaient être réappropriés en
permanence par les auditeurs et les lectures. Ainsi, le Remix n'appartient plus
à l'éditeur, mais au fan. Celui-ci ne prend pas seulement plaisir
à consommer, mais à lire, écouter ou regarder comme bon
lui semble. » (P. Flichy, 2010)
Désormais, le design possède ses fans,
dont la pratique génère des univers inspirés des
productions professionnelles. Ces modes suivent les tendances du graphisme,
parfois avec un léger décalage pouvant donner une impression
has-been (la mode des logos flat-design par exemple).
Internet est un espace étendu de la réception
créatrice (P. Flichy, 2010), cette pratique proche de celles que
l'on peut rencontrer dans les cultures préindustrielles, où les
contes, par exemple sont réappropriés en permanence par les
auditeurs et lecteurs. Aujourd'hui, les contenus sont ainsi vulgarisés
par des amateurs s'engageant plus par conviction que par obligation
professionnelle. Les observations in situ des amateurs sont précieuses
dans les domaines de l'informatique, de la botanique ou de l'astronomie :
« Ce que le savoir local perd en universalité,
il peut le gagner en précision et en capacité de description
» (P. Flichy, 2010)
Flichy précise que l'amateur reste toujours moins
pertinent lorsqu'il s'agit du domaine de la connaissance : celle d'une
expertise acquise par l'expérience ne remplacera jamais
l'expert-spécialiste. Les amateurs s'intéressent avec
passion aux règles typographiques, au logo-design ou à la simple
pratique des outils. Il est fréquent pour un professionnel de trouver
une réponse technique sur un forum d'entraide ou dédié
à la stop-motion (Sur le repaire248 par exemple)
où se côtoient des experts et des débutants. Bien qu'ils
soient standardisés, les habillages des sites web ont gagné en
qualité avec la démocratisation des thèmes proposés
par les CMS (wordpress, Drupal), nous évitant ainsi les sites
web entièrement conçus à partir de gif
animés249. Globalement le web permet de véhiculer un
design de meilleure qualité, que l'on ne trouvait qu'en se
déplaçant à Chaumont (Festival de l'affiche) ou aux
rencontres de Lures250 (semaine de la culture graphique, le
festival de Cannes des typographes).
La notoriété par le biais de l'audience (Like,
nombres de vues, followers) positionne également l'amateur d'un
état de fan à celui de star, ce qui n'en fait pas encore
un professionnel mais qui lui laisse le champ et les espérances pour le
devenir. On peut citer l'exemple des Youtubeurs comme Norman qui
après avoir obtenu l'audience suffisante a fait de cette activité
une marque de fabrique qui s'exporte au delà du média internet.
Après avoir gagné plusieurs concours, quelques graphistes ayant
débuté sur
248
http://www.repaire.net/forums/adobe-after-effects.html
249 Un très bel exemple de Fanfan F. « La
boncourtoise - graphisme ». Disponible sur : <
http://laboncourtoise.e-monsite.com/contact/contact.html
> (consulté le 20 novembre 2014)
250 http://delure.org/
91
Creads ont prolongé ensuite leur
activité en free-lance ou en agence, mais il y a peu d'élus si
l'on souhaite démarrer une carrière par ce chemin.
Flichy ne prend pas part au débat amateurs versus
professionnels. Selon lui, ils se complètent et il lui parait impossible
que les amateurs détrônent les experts (P. Flichy,
2010).
Sur la base d'une description de la pratique, Flichy met en
avant le fait que les compétences des amateurs se développent de
manière indépendante de celles des experts, il n'y a pas
d'opposition entre les partisans d'une victoire de l'intelligence
collective sur les experts et le discours selon lequel les amateurs et la
médiocrité peut se substituer au professionnel qui possède
le talent. Internet, principal vecteur de ces nouvelles pratiques d'amateurs,
ne signifie ni la disparition des experts (médecins, scientifiques,
etc.) ni celle des médiateurs (documentalistes, journalistes,
enseignants, etc.). Patrice Flichy résume en quelques mots, dans sa
conclusion, la thèse sur laquelle son étude des nouvelles
pratiques des amateurs débouche :
« Dans les domaines où il s'est forgé
des compétences, l'amateur peut exceptionnellement remplacer l'expert,
mais il lui importe surtout de constituer sa propre opinion et de la
défendre. Il peut accéder à une masse d'informations qui
lui étaient inconnues auparavant : grâce à elles, il est
capable de tenir un discours critique, d'évaluer la position de
l'expert-spécialiste par rapport à son expérience ou
à ses propres pratiques. Il acquiert ainsi les ressources et la
confiance qui lui permettent de se positionner par rapport au professionnel, de
l'interroger, de le surveiller, voire de le contester en lui tenant un discours
argumenté sur ses opinions. L'amateur fait descendre
l'expert-spécialiste de son piédestal, refuse qu'il monopolise
les débats publics, utilise son talent ou sa compétence comme un
instrument de pouvoir » (P. Flichy, 2010).
Réaction corporatiste ou craintes justifiées ?
Le CS présente de nombreux points discutables au niveau éthique
en véhiculant l'idée qu'il est possible d'obtenir un design de
qualité à un prix défiant toute concurrence. La pratique
peut être nuisible pour la marque, qui joue avec son identité ou
risque de ternir son image. Mais le CS s'inscrit dans un contexte
déjà complexe pour le designer où les dérives qui
entourent son métier sont nombreuses. L'idée d'une concurrence
déloyale est donc relative en ce qui concerne le CS créatif. Si
effectivement nous pouvons constater que le CS brouille davantage les
frontières entre amateurs et professionnels, il est peut-être
utile de constater que cette pratique amateur peut au contraire faire sortir de
la clandestinité le beau design, aidant espérons-le, le
graphisme à retrouver progressivement ses lettres de noblesses au sein
du grand public. Le crowdsourcing ce n'est pas grave précise de
manière un peu provocatrice François Caspar (En faisant
référence à Blair Enns). Un designer doit être en
mesure de comprendre cet aspect pour mettre en oeuvre une stratégie lui
permettant de légitimer son expertise.
92
IV. Les pistes d'ouverture
L'émergence d'un nouveau modèle éthique
et transparent permettra aux professionnels et au crowdsourcing de cohabiter,
voir de collaborer. Alors que le CS s'autoproclame gagnant-gagnant, il
existe certainement un modèle éthique et transparent qui
soit à la fois profitable aux entreprises et aux créateurs de
contenus. Cette hypothèse a déjà été
formulée par Sophie Renault. À la fin de l'article «
Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l'organisation et
du travail » elle pose la question suivante :
« Quels sont les mécanismes permettant
d'atténuer la défiance de la foule envers le crowdsourcing ? Sous
quelles conditions, les plates-formes peuvent-elles insuffler un esprit
gagnant-gagnant ? Comment fidéliser la foule ? Quelles sont les attentes
et motivations de la foule auxquelles les plates-formes doivent apporter une
réponse ? Comment développer des modes de crowdsourcing empreints
de transparence et d'éthique ?... » (S. Renault, 2014)
Il est encore difficile de répondre à cette
question. L'apparition récente des plates-formes de crowdsourcing
créatif représente une composante qui vient s'ajouter aux autres.
Il est probable que le modèle soit encore en cours de positionnement.
Il existe cependant des initiatives plus optimistes. Tout type
de client, pas uniquement ceux qui ont un budget considérable, peut
accéder à un graphisme de qualité respectueux du statut du
graphiste. Les plates-formes sont un mirage à la fois pour les marques
et pour les designers. Il y a des formes plus vertueuses que d'autres, mais
nous n'avons malheureusement pas pu trouver de modèle équitable
en dehors des initiatives organisées autour de concours à
caractère humanitaire ou de l'open-data. On trouve
également quelques exemples impliquant les consommateurs de
manière vertueuse, mais rien du côté de la production de
design.
Les sociétés Creads ou Eyeka sont-elles
si malveillantes que ce que le prétendent les puristes du design ?
Geoffrey Dorme (DesignandHumans) en a fait les frais (sur Twitter) en
évoquant simplement l'idée qu'il y avait peut-être des
bonnes pratiques envisageables. Adrienne Massarani avance quelques ouvertures
dans son article. La piste serait de procéder à une étude
sur le long terme visant à encourager une approche plus raisonnée
du droit d'auteur en utilisant un système de licence de type «
Creative Common » et d'aller plus loin dans la démarche
éthique de ces sites. Comment le graphiste va pouvoir trouver sa place
dans cette économie numérique en perpétuel mouvement et
vers quelle forme sa pratique peut-elle évoluer ?
Un graphiste qui souhaite exercer son métier dans les
prochaines années doit s'adapter constamment. Les outils évoluent
rapidement et il doit également rester à l'écoute des
tendances pour en jouer et se démarquer (s'il ne veut pas tomber dans
l'effet mode).
« Photoshop que j'utilise aujourd'hui n'a rien à
voir avec le Photoshop d'il y a 10 ans. Je faisais du flash quand j'ai
débuté et plus du tout aujourd'hui. Un graphiste, qui fait du
digital de surcroît, s'il n'évolue pas, dans 5 ans : il est mort.
» (B. Fluzin)
Comme pour Uberpop avec les taxis, on ne peut
réagir sans comprendre ce qui nous permet de tirer notre épingle
du jeu.
93
« Apparemment, on ne peut interdire ces plates-formes,
une fois qu'elles existent... qu'est-ce qu'on fait ? Une fois qu'on
déconstruit leur mécanique, comment on agit pour transformer
ça à notre avantage ? » (G. Dorne)
À défaut de définir un modèle, nous
allons à présent voir qu'il existe des pistes à la fois
pour les professionnels du design mais aussi pour les plates-formes.
1) Les pistes pour le design Graphisme à
deux vitesses?
n'
On voit clairement que le CS oriente un certain nombre de
personnes vers ces sites. Des designers qui ont soit pas une bonne expertise,
soit ne savent pas la communiquer. Il y a également un certain
nombre de mauvais clients. Dans ce cas là :
« tant mieux » précise François Caspar.
Pendant qu'ils vont sur ces plates-formes, cela permet d'aller chercher les
bons clients. Il s'agit de la notion de sélectivité
décrite par Blair Enns251. En refusant les idées
gratuites, le « non » devient un gage de
crédibilité pour le designer.
Certains accusent la plate-forme de tuer le métier,
nous nuancerons cette notion en suggérant plutôt un tri du
métier. Tout comme les clients, il paraît plus probable de
voir le métier de graphiste se scinder en deux pratiques. Celle
où l'outil devient le critère principal, et celle où la
réflexion, le conseil et la singularité priment sur l'outil.
Comme on le voit en haute-couture, on se dirige progressivement vers du
«prêt-à-porter» en graphisme contre une approche
haut-de-gamme qui va finir comme dans le cinéma par engendrer un
réseau perméable de professionnels autour duquel les amateurs
gravitent en espérant un jour en faire partie. Il faut l'admettre : dans
l'immense population des designers, tous ne sont pas au même niveau. Ce
qui est valable pour toutes les professions. Il y a des bons boulangers et des
mauvais boulangers...
« Le niveau de formation n'est pas le même, le
niveau d'expertise n'est pas non plus le même. » (F. Caspar)
Au delà du crowdsourcing, le contexte difficile va
toucher une partie de la profession qui n'a pas toujours les armes pour avancer
sereinement dans ce métier. Il ne faut pas se faire de soucis pour ceux
qui ont déjà une place, les stars ou les free-lances
très talentueux et qui ont compris ce qu'étaient les bases du
métier. Ces personnes ont des réseaux étendus. Sur du
court terme il y aura toujours du travail pour eux. Cependant les salaires sont
aussi à deux vitesses. Et ceux qui démarrent hors des
réseaux parisiens, avec des petits boulots pour des associations, pour
des petites boutiques, etc. seront probablement les premiers atteints.
« Les plus faibles seront touchés en premier.
» (G. Dorne)
251Selon B. Enns, être sélectif : il
s'agit de pousser la démarche d'adéquation, de trouver les
clients pour lesquels nous pouvons trouver des solutions et savoir dire non aux
clients qui seraient mieux servis par d'autres. "En disant non nous gardons
la crédibilité de notre oui " Blair Enns et Caspar
François, 2014, Gagner sans idées gratuites, Money
design.org.
94
Pour un jeune professionnel, il est possible de se passer du
CS, il ne s'agit pas d'une fatalité. Il suffit d'élaborer une
stratégie.
Refuser les idées gratuites: Élaborer une
stratégie
En sortant d'une école, même très bonne,
on part la fleur au fusil en se disant « c'est bon je sais
faire du graphisme : je vais m'en sortir ». On se retrouve dans une
situation où a besoin d'être bon dans ce que l'on produit, mais il
faut savoir le dire. Un designer doit pouvoir se vendre tout en restant
armé pour affronter les situations difficiles avec certains clients dont
l'attitude est contestable. Ce métier compliqué, la notion
d'argent est souvent la dernière roue du carrosse. Il y a
presque une certaine pudeur que l'on retrouve dans ce milieu, qui empêche
le designer d'aborder le sujet. Cette attitude très nuisible pour le
chiffre d'affaire est un peu « le mal du designer ».
Être bon peut suffire pour trouver un travail dans une entreprise :
il faut être opiniâtre et chercher, on finira pas trouver...
Mais comment faire si l'on se retrouve dans un désert
économique252 ? Le précepte de l'AFD et de B. Enns est
de s'occuper d'abord de son positionnement de designer. Cela commence par
refuser les idées gratuites et adopter une réelle
stratégie commerciale.
« À un moment on comprend qu'il faut
échafauder une stratégie » (F. Caspar)
Il s'agit d'une stratégie de défense juridique
qui consiste à « blinder juridiquement sa stratégie
commerciale » (F. Caspar). Un ensemble de pièces juridiques
que B.Enns appelle « le contrat ».
Une fois le premier dialogue effectué avec le client,
qui est essentiel. Vient la rédaction d'un cahier des charges permettant
au designer d'être en position de faire valoir son droit. Sans ce
document, il est souvent difficile de s'engager dans une procédure
couteuse pour le designer. À moins que le client ait fait de
grossières erreurs, cela n'a pas d'intérêt pour des petits
budgets253. En France les droits sont très forts et
protecteurs (le droit de la PI par exemple). Mais ils restent difficiles
à appliquer. L'application est « beaucoup moins romantique que
l'énoncé de la loi » (F. Caspar). Il est important de
se préparer en amont avec une stratégie de la relation
professionnelle. Un syndicat comme l'AFD propose donc un accompagnement
sur ces questions de forme. Il s'agit de choses qui ne sont pas
enseignées, souvent apprises hélas « en se faisant avoir
». En faisant le choix d'une activité indépendante, ce
complément de formation est indispensable.
Un enseignement de ces notions dès l'école
serait-il une piste pour que ce métier soit moins précaire ?
Certainement, mais peu d'étudiants enregistrent les choses et restent
focalisés sur la réussite de leur cursus. Ce que nous confirme
Barbara Dennys254, directrice de l'École Supérieure
d'Art et de Design d'Amiens (ESAD) :
« Nous ne parlons pas de l'aspect commercial à
l'Esad. Il y a toujours un grand hyatus sur cet aspect là. Il est
très difficile pour une tête en train d'apprendre de se confronter
simultanément à la réalité d'un
252 François Caspar, explique qu'en étudiant
l'annuaire des designers en France, apparaissent des zones où c'est le
désert total.
253 Qui sont en dessous de 5K€, Ça commence à
avoir un intérêt autour de 8-10K€.
254 Retour par mail de Barbara Dennys, annexes en page 189. Pour
aller plus loin il existe une étude sur l'insertion des étudiants
de design : Durand Jean-Pierre et Sebag, 2012, Métiers du graphisme.
Ministère de la Culture et de la Communication (coll. «
Département des Etudes de la Prospective et des Statistiques (DEPS)
Ministère de la Culture et de la Communication »).
95
marché et au développement de ses
capacités créatives. L'intervention de François Caspar est
déjà une exception en école d'art, et je l'ai pratiquement
imposée. » (B. Dennys)
La perte d'information est importante, « c'est
peut-être un peu tôt finalement » précise
François Caspar255. Les graphistes talentueux n'ont pas tous
un sens inné du commerce. Un designer peut vite apprendre mais il doit
prendre conscience qu'il n'y arrivera pas seul. Comme un chef d'entreprise, il
doit être aidé par des spécialistes dont c'est le travail.
Un comptable, un fiscaliste, un syndicat pourront proposer une méthode,
par des retours d'expériences.
« Il n'y a que de mauvaises rencontres [...].
être indépendant, c'est comprendre certaines règles du
commerce. Si on monte un commerce d'achat-vente on a affaire à des
personnes qui ont un profil commercial, mais quand on monte un business dans le
design, on a affaire à des créatifs et qui sont les moins
préparés à cette vie là. »
L'AFD, constate aujourd'hui que ces rencontres se font trop
tard. Beaucoup de graphistes adhèrent uniquement s'ils sont
déjà en litige. Il est alors plus difficile pour le syndicat de
les aider.
Les clients à éduquer
Les créatifs sur Creads constatent
eux-mêmes que le métier n'est pas suffisamment compris. Ils sont
d'autant plus confrontés à ce problème car ils ne peuvent
argumenter face au client et sont tributaires de la plate-forme qui les
présente comme des créatifs, sans distinction de
niveau256. Le blog « client suivant257
» ou « Les Graphisteries258 » illustrent
parfaitement cette méconnaissance du métier que nous avons
déjà plusieurs fois évoqué tout au long du
mémoire. Il est donc primordial de casser les idées reçues
qui entourent ce métier. Celles qui consistent à dire qu'il
s'agit uniquement de temps passé derrière un écran
(Pascaud, 2014)259.
Sans aller jusque dire comme David Carson que le design
sauvera le monde260. Un monde de communication ne peut
avancer sans design261. Cela passe avant tout par de la
pédagogie. Il est vital de sensibiliser et d'accompagner les
commanditaires dans leur démarche de commande graphique si l'on souhaite
des échanges sains ou un minimum de respect autour des appels d'offre.
Il s'agit d'un combat permanent (B. Fluzin), mais tout graphiste vous
dira que la moitié du succès final d'un projet vient de la
pédagogie-client.
Pourquoi telle typographie ? Pourquoi telle structure ?
Pourquoi ne pas avoir peur du blanc ? Pourquoi ne pas limiter le contenu ? Il
s'agit d'un aspect que le graphiste doit apprendre, sur le terrain,
255 F. Caspar intervient également dans plusieurs
écoles
256 Voir témoignage de @Wiliko en annexe en page 162
257 « Client suivant » qui reprend les citations de
clients type : Client suivant [En ligne]. Disponible sur : <
http://clientsuivant.blogspot.fr/ > (consulté le 25 juillet 2015)
258 Vinot L., Gélas P., Sesmat A., Birkel N., Moya J.
« Les Graphisteries | Actualités, Découvertes, Débats
et Conseils. Pour les Graphistes et autres métiers de la communication.
» Disponible sur : <
http://www.lesgraphisteries.com/lequipe-du-blog/
> (consulté le 15 janvier 2015)
259 Pascaud T. Vraies et fausses idées reçues
sur les graphistes indépendants [En ligne]. 16 octobre 2014.
Disponible sur : <
http://thomaspascaud.com/vraies-et-fausses-idees-recues-sur-les-graphistes-independants/
> (consulté le 12 novembre 2014)
260 «Graphic design will save the world right after rock and
roll does.» David Carson
261 Voir explication disruption / océan / bleu, annexes en
page 192
96
devant le client. Pas sur une plate-forme...où l'on
fait croire que la production graphique n'est qu'une exécution. Le
graphisme, n'est pas comparable à un micro-onde ! Il ne s'agit pas
d'attendre 2 minutes pour voir sortir du four 50 propositions toutes chaudes.
Faire ça, c'est « amputer » 50% de ce qui fait
l'intérêt du travail d'un designer (B. Fluzin). Il y a d'autres
pistes permettant également d'améliorer la perception du
métier de graphiste : au niveau politique et par un design de
qualité.
Les initiatives politiques
Nous avons évoqué en seconde partie le statut de
free-lance. Il doit être débattu autour d'une table ronde de
manière à rendre la pratique plus sereine. Au delà de
cette question, les politiques semblent sensibilisés depuis peu à
ce manque de perception à propos du rôle du graphiste. Le 13
janvier 2015, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la
Communication, prononce un discours très novateur face à des
professionnels enthousiastes d'être enfin entendus.
« Nous avons récemment pu prendre toute la
mesure du poids économique et de la vitalité de la culturelle
visuelle grâce à l'étude sur l'impact économique de
la culture qui m'a été remise. [...] Cette étude a permis
de faire la lumière sur le rôle majeur des arts visuels qui
produisent une valeur ajoutée de 5,7 Mds d'euros, soit 10% du total des
activités culturelles. C'est considérable et je suis convaincue
que le redressement créatif de notre pays passe par la vitalité
de notre culture visuelle. C'est d'ailleurs tout le sens de la politique
nationale en faveur du design que nous menons avec Arnaud Montebourg depuis
2013. » (Filippeti, 2013)
Cette prise de position en faveur des créatifs en
France était en effet très attendue. Ils ont le sentiment d'une
évolution du discours. La ministre préconise la création
d'une Charte Haute Qualité Design, l'édition d'un guide de la
commande de design graphique et la diffusion d'une « circulaire aux
dirigeants des établissements » pour que les bonnes pratiques
puissent « s'étendre à l'ensemble des commanditaires
publics. »
Édité par le Centre national des arts plastiques
(CNAP) et diffusé à 20 000 exemplaires auprès des
collectivités territoriales et locales. Ce guide de la commande de
design graphique262 (Adebiaye, 2014) peut être une forme de
première réponse éducative à destination des
organisations. Soulignons également certains collectifs et associations
comme l'ANEC qui proposent cette forme de pédagogie en
développant le concept de slow-design263.
Reconnaître la valeur du travail
Nous avons abordé la question de la commande publique.
Mais surtout celle de la qualité et de la valeur du travail. Il est
important que cette valeur soit reconnue. Le bon design français
doit être valorisé pour rayonner à l'étranger.
Éduquer le public à voir de belles choses, différentes
:
262 Adebiaye F. Guide : « La commande de design
graphique » [En ligne]. [s.l.] : Centre national des arts plastiques,
2014. Disponible sur : <
http://www.graphismeenfrance.fr/article/guide-commande-design-graphique
> (consulté le 19 janvier 2015) ISBN : ISSN : 2267-3075.
263 Anec T., Faure A. Vers « l'uberisation » de nos
entreprises | Association pour un Nouvel Élan Créatif [En
ligne]. février 2015. Disponible sur : <
http://www.anec-asso.fr/uberisation-entreprises-crowdsourcing/
> (consulté le 17 février 2015)
97
« Quand on voit les affiches de la fête de la
musique des années précédentes : c'est un désastre
! C'est triste qu'un truc aussi populaire et vu pas autant de monde soit aussi
moche ! Alors - bonheur ! - cette année, l'affiche est faite par un
studio parisien, composé de graphistes de métier, qui s'appelle
Building Paris264. » (B. Fluzin)
Nous avons souligné l'importance du travail de
qualité pour le book du designer, qui attire de manière vertueuse
les bons clients265. Jean-Louis Fréchin266 lors
des réunions au ministère portait ce discours justement :
« C'est par la qualité que l'on arrivera à
combattre ces plates-formes. » (Propos rapportés par B.
Fluzin)
En effectuant un travail de qualité, la logique
voudrait que l'on se fasse repérer et solliciter par des clients
sérieux qui rémunèrent correctement... Avec
l'expérience, le designer finit par refuser du travail parce qu'il
en a trop (B. Fluzin). Une position qui n'est pas partagée par tous
les professionnels :
« Si en effet il faut porter un discours de
qualité, je ne suis pas d'accord pour le laisser-faire. On peut faire
les deux en même temps : taper sur les plates-formes de CS et les
encadrer, tout en cherchant à promouvoir un design de qualité
français. » (B. Fluzin)
2) Vers un collaboratif vertueux Quelques formes
intéressantes
Il existe des formes de collaboratif vertueux qui
stimulent le graphiste à faire et tester des choses. On le retrouve avec
les Templates WordPress mis en ligne sur des banques de thèmes
à des tarifs intéressants pour la plate-forme comme pour le
designer.
« J'avais un collègue qui avait
développé sur flash un script pour générer de la
neige... Il a vendu sa neige à Hermès et aux galeries Lafayette
et il se faisait en moyenne 1000$/mois en vendant son petit script qui faisait
de la neige. » (B. Fluzin)
Le graphiste est à l'initiative de la démarche,
la notion d'intermédiaire disparaît, comme celle de l'incertitude
du paiement (à condition que le travail soit intéressant). Ce qui
est très différent du crowdsourcing spéculatif. Sur
nounproject267 il est possible de trouver des icônes
en domaine public ou licence CC. Rien n'oblige un graphiste à envoyer
des icônes sur la plate-forme qui seront vendues à 1$
l'unité. Malgré la présence d'icônes gratuites, il
est tout à fait possible de dire au client qu'il faudra payer l'une
d'elles pour obtenir quelque chose de plus personnalisé.
264 http://www.buildingparis.fr/
265 Le « cercle vertueux » de François Caspar
266 Propos rapportés par Baptiste Fluzin. JL Féchin
est un pionnier du design numérique en France, il dirige l'agence
multi-primée Nodesign et enseigne notamment à l'Ensci.
267 https://thenounproject.com/
98
Le Co working équitable
La co-création attire, les plates-formes jouent sur la
tendance des espaces de co-working et des studios. Les free-lances et les
auto-entrepreneurs deviennent la norme. Ce nouvel écosystème de
l'emploi268, frôlant parfois
l'illégalité269 conduit aussi à la
création de nouveaux espaces de travail de co-working dont le but est de
mettre en commun des compétences et de s'entraider. Certaines
coopératives, comme Coopaname270, permettent de
lutter contre cet éparpillement des ressources. Elles servent
d'interface administrative entre les clients et les free-lances qui
perçoivent un salaire, mais sans la commission parfois
élevée liée au portage salarial classique. Comme une forme
de résistance cherchant plutôt à s'adapter qu'aller
à l'encontre des nouvelles pratiques : une agence
participative.
L'agence Spintank271 héberge
également des créatifs sous la forme de co-working au sein du
TANK. C'est une forme très intéressante de ce que peut
être la pratique du design graphique : à la fois solitaire et
collective. 35 personnes travaillent pour l'agence. À côté,
de nombreux espaces accueillent272 à plus ou moins long terme
des créatifs cherchant à la fois un cadre épanouissant et
stimulant. Plus qu'un simple bureau, il s'agit là d'un lieu
d'échange pour recevoir les clients. En arrivant dans cette petite
ruche où chacun butine à sa façon, en groupe, assis
dans un canapé, sur une chaise au bar... tous les ingrédients
semblent là pour stimuler la créativité et encourager le
graphiste dans son travail.
« La co-création est un processus actif,
créatif et social, basé sur la collaboration entre les
producteurs et les utilisateurs, initié par l'entreprise pour
générer de la valeur pour les clients »
(C.K. Prahalad, Distinguished Professor, University of
Michigan)
L'exception des concours à caractère humanitaire
Pour une ONG comme WWF273, qui n'a d'ailleurs plus
vraiment besoin d'être valorisée, un concours de crowdsourcing
peut être considéré comme « éthique ». Il
y a un jury sérieux, avec des intervenants crédibles et surtout :
il n'y a pas de relation financière avec le consommateur. La
mécanique du concours n'est pas pervertie par l'aspect mercantile. Un
concours de dessin ou d'affiche reste intéressant s'il respecte
certaines valeurs. Un designer peut alors choisir de donner un peu de son temps
de travail pour la bonne cause. Creads propose ce type de concours,
mais cela attire bien moins de monde. Surtout s'il s'agit de
bénévolat. C'est louable, mais la démarche de la
plate-forme reste marginale.
« Pour ma part, les jobs gratuits que j'accepte sont
à but associatifs et citoyens uniquement [...] Si vous vous sentez
attiré par un projet particulier, souhaitez aider un ami, ou qu'une
réelle opportunité s'offre à vous et réclame un
sacrifice de temps au début, foncez ! » (S. Drouin)
268 On retrouve des free-lances partout : journalisme, conseil,
formation, informatique, électricité, plomberie...
269 L'externalisation est devenue une norme jusque dans les
grandes entreprises qui utilisent ce statut pour gérer leur
main-d'oeuvre souvent bon marché et s'affranchissent des charges.
270 http://www.coopaname.coop/
271 Dont Baptiste Fluzin est le Directeur de Création.
http://spintank.fr/
272 Pour un loyer modéré et flexible (Paris)
compris entre 140€ /mois (1/4 temps) et 430€ (illimité)
273 Creative Awards by Saxoprint,
http://www.saxoprint.fr/creativeawards,
consulté le 6 juillet 2015.
99
Les concours aux enjeux sociétaux
On trouve aussi du côté des marques quelques
exemples de plates-formes impliquant le consommateur de manière
vertueuse. Étant donné les profits générés
par les organisations qui mettent en place ces concours, on peut aussi avoir
des doutes sur la démarche. La technologie et le crowdsourcing sont
très puissants, appliqués à de bonnes stratégies,
les marques peuvent aussi profiter de leurs énormes ressources pour
mettre en place des initiatives qui ne serviront pas uniquement leurs
intérêts. Nous avons en effet souligné le fait que les
consommateurs pouvaient être impliqués dans une opération
marketing. Nous choisirons cependant de qualifier les trois exemples suivants
comme « vertueux » en considérant que les enjeux
sociétaux sont plus importants que ceux de la marque.
Orange propose d'imaginer des services
numériques innovants274 et part du principe qu'une
initiative locale peut avoir une portée globale. Les
créateurs des idées les plus appréciées
sont invités 5 fois par an pour prendre part à un workshop
au sein même de la société : « Vos idées
font le tour du monde ».
Sur le Jam, les salariés d'IBM
proposent une problématique d'ordre sociétale ou
managériale. Les internautes par centaines interagissent de
manière bénévole sous forme d'un brainstorming à
grande échelle à durée limitée, permettant
également à la marque de repérer des talents
(Renault et Boutigny, 2013).
Google Science Fair275est un concours
international ouvert aux jeunes de 13 à 18 ans. Sur cet incubateur
d'idées, les innovations scientifiques sont à l'honneur. Un
jury composé de personnalités de l'industrie, scientifiques,
journalistes, designers, politiques et même astronautes
présélectionne 20 lauréats qui auront peut-être la
chance de se voir décerner le Grand prix ou les différentes
récompenses attribuées par thèmes ou par partenaires
(National Geographic, Virgin galactique, Lego, Scientific American...) sous
forme de bourse ou d'une implication directe avec la marque dans la mise
en oeuvre du projet sélectionné. Les projets sont très
différents, et la marque Google cherche à
dénicher les talents de demain. Une opération de recrutement.
Google est une entreprise qui est loin du modèle
éthique
274 Imagine by Orange,
http://imagine.orange.com/fr
ou
http://www.dailymotion.com/ImagineWithOrange
275 « Accueil - Google Science Fair 2015 ». 2015.
Disponible sur : <
https://www.googlesciencefair.com/fr/
>
qu'elle défend, pourquoi est-ce tout de même sain
? Les projets sont très bons et innovants, à portée
humanitaire pour la plupart. Qui en dehors de la firme américaine aurait
pu trouver de telles pépites ? Le jury est hautement qualifié, et
tous ces jeunes designers-ingénieurs-artistes n'auraient probablement
pas eu la possibilité de faire aboutir leurs idées (parfois
géniales) si la puissance de frappe de la firme américaine
n'avait pas été là. Lorsqu'un adolescent de 13 ans
développe un outil de diagnostic automatisé de la maladie
d'Alzheimer, c'est simplement impressionnant.
Certes, il ne s'agit pas de design, mais le travail d'un
designer n'est-il pas aussi d'imaginer de nouveaux services ? Ici sont mis en
application à la fois un savoir-faire technique mais surtout des
idées. L'idéation est en effet la forme qui semble la plus
prometteuse, même si les enjeux marketing viennent parfois ternir la
belle idée de façade. Il y a une notion d'équilibre
à trouver entre l'émotion et le fonctionnel lorsque l'on exerce
le métier de designer : trouver à la fois ce que les usagers
attendent d'un produit, mais aussi réussir à trouver la technique
qui permettra de le concevoir. Alors, il sera possible d'obtenir un design
durable et viable. La désidérabilité du produit, est une
notion essentielle, l'innovation sans prise en compte de l'usager est inutile :
les entreprises aujourd'hui tentent de resserrer leur politique RSE
(Responsabilité Sociétale des Entreprises) vers l'humain ou des
défis de société. C'est peut-être une bonne chose
à l'heure de la consommation dématérialisée de
« remettre les besoins des pauvres au premier plan276 »
(Lisicki. O, 2012). Le designer envisage les choses de manière globale
et intuitive, cela permet d'avoir un point de vue particulier sur le monde et
les objets qui nous entourent. Il sera probablement un des piliers des
entreprises du futur.
« Et il n'est plus possible aujourd'hui de concevoir
de nouveaux services et de nouveaux objets sans une prise de conscience et un
engagement responsable devant les difficultés actuelles. Les grandes
questions sociétales, environnementales, économiques et
culturelles du monde doivent permettre de penser de nouveaux usages et de
nouveaux services pour de nouveaux contextes. » (Larivière,
2013)277
100
276 Vergier Lisicki Olivia, 2012, BOP: « Les entreprises
doivent remettre au premier plan les besoins des pauvres »,
http://www.lexpress.fr/emploi/business-et-sens/bop-les-entreprises-doivent-remettre-au-premier-plan-les-besoins-des-pauvres_1196003.html
, 2012, consulté le 10 juillet 2015.
277 Larivière Maurille, 2013, « Le design ou
l'innovation pensée par et pour tous! »
http://www.lexpress.fr/emploi/business-et-sens/le-design-ou-l-innovation-pensee-par-et-pour-tous_1223165.html
, 2013, consulté le 10 juillet 2015.
101
3) Vers un statut qui protège les créatifs
sur les plates--formes Donner un cadre légal à ces
pratiques
S'il n'est pas possible d'avoir « Uber et l'argent
d'Uber » (Marc-Arthur Gauthey), il est urgent de donner un cadre
légal à ces pratiques. Une sorte de loi « Macron 2.0 »
qui irait dans le sens d'un « Small business act » à
la française. Le phénomène de colère des taxis
bruyants ne fait qu'illustrer au grand jour l'immobilisme
déjà constaté lors de la déconstruction de la
culture. Il faudrait se demander si nous ne deviendrons pas tous des «
intermittents du travail ». Pour le moment la force de notre
système social fait qu'il y a une forme de résistance de
l'emploi. Les taxis professionnels bénéficient d'un sursis,
depuis l'auto-fermeture en France d'Uberpop par la maison-mère
début juillet 2015, les négociations se déroulent
désormais au niveau Européen278 où ces
plates-formes refusent d'être assimilées à des entreprises
de transport ou de logement (AirB&B), mais plus comme des acteurs
de l'économie numérique. Les politiques cherchent à
encadrer par des lois ces nouveaux services numériques, le choix du
positionnement et du statut de ces plates-formes va directement définir
leur liberté d'action et le cadre législatif, l'enjeu est donc de
taille. Si l'idée est surtout de fixer des règles de bases, il
faut aller plus loin car cela exonère tout de même les
plates-formes de leurs responsabilités dès lors qu'il n'y a plus
de chauffeurs (en ce qui concerne Uber) ou de
graphistes-designers en ce qui concerne les plates-formes de
création.
Le 16 Juin, la commission de travail de San Francisco a
reconnu le statut d'employée à une conductrice d'Uber,
Robin Prudent sur Rue 89 se demande alors si l'entreprise compte 1000
ou 1 Millions d'employés279. Pour une plate-forme de CS, qui
deviendrait par la législation un intermédiaire neutre, quel
serait le statut du graphiste qui génère suffisamment de revenus
pour que cela soit assimilable à une activité à part
entière ? En associant Creads ou Eyeka à une
entreprise technologique et non un acteur de l'industrie de la création
(ou du marketing), cela revient définitivement à faire une croix
sur le modèle social. La fin du salariat ne devrait pas être un
tabou, mais il est urgent de moderniser notre législation
dépassée afin de « donner aux technologies la place qui leur
est due »280car les grosses plates-formes vont progressivement
être en situation de monopole281, absorbant cette fois les
« pépites » de la FrenchTech dont le capital risque
annuel de 200 Millions d'euros représente de l'argent de poche
pour les start-up américaines ayant levé 1,75Milliards en
avril et juin 2014.
« L'économie française risque
d'être ubérisée avec la fin de notre souveraineté
numérique » (Bruno Teboul)
278 Et part conséquent, ce sont 28 législations qui
sont directement concernées.
279 Prudent R. « L'appli Uber a-t-elle 1 000 ou 1 million
d'employés ? ». Rue89 [En ligne]. Juin 2015. Disponible
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281 On voit des acteurs comme Blablacar racheter un
à un leurs concurrents et c'est la sélection naturelle qui prime
souvent dans l'économie numérique
102
Travail ou pas?
Au delà des dimensions éthiques du travail
spéculatif ou liées à la qualité du design se
posent des questions juridiques et contractuelles. Je ne possède pas les
compétences sur ce point, mais la question est toutefois
inévitable, nous allons en décrire les grandes lignes.
La proximité entre l'activité professionnelle,
le temps passé à répondre aux concours et la cession des
droits semblent brouiller la perception que l'on a du CS compétitif. Les
frontières entre le travail et un concours sur une plate-forme de
crowdsourcing sont fines. Sophie Renault (2014) parle de nébuleuses
où la tentation de qualifier cela en contrat de travail augmente en
fonction de la nature de la plate-forme ou du type d'appel à la
création.
Creads a vécu de plein fouet cette
problématique : comment récompenser cet acte de création,
ce travail, à l'issue duquel seule une ou deux personnes seront
récompensées ? Il y a donc un constat de
déséquilibre entre un travail effectué et une
récompense. « Quel statut pourrait être donné
à ceux qui participent souvent dans l'ombre à la création
de valeur d'une organisation ? » Se demande Sophie Renault282
(2014), sur le plan légal, la réponse se situe pour le
moment au niveau de l'implication du Créatif.
Co-auteur de l'article "Travail ou pas ?...283"
Éric Favreau définit les différents cadres d'autonomie et
les types d'interaction pouvant s'inscrire dans un cadre de contrat de
travail.
Sur le site Eyeka, le discours assez transparent.
Cette plate-forme a le mérite de bien informer les utilisateurs et
l'information reste facile à trouver. Ils insistent sur la
liberté de création dans une logique d'appel à la
création ouvert. La plate-forme sert d'intermédiaire entre les
marques et les créateurs qui sont dans une totale autonomie durant le
processus de création. Il n'y a pas de contrôle imposé par
la plate-forme en dehors des règles définies par le brief. Aucune
garantie de résultat n'est également demandée au
contributeur qui choisit la manière et l'énergie qu'il souhaite
investir sur un projet :
« Nous n'intervenons absolument pas en ce qui
concerne le processus d'élaboration de la création, et on ne veut
pas intervenir pour bénéficier de cette créativité
diffuse. » (É. Favreau)
Le seul contrôle concerne l'upload (la mise en
ligne du fichier par le contributeur) qui doit répondre à des
impératifs techniques là encore définis par le brief. Rien
ne permet donc d'assimiler ces échanges à une relation de travail
en terme de contrôle, sanction, de discipline ou de temps de travail.
Lorsque la plate-forme échange avec certains contributeurs pour affiner
une création afin qu'elle corresponde plus aux attentes du client, Il
s'agit d'un travail dirigé qui peut être comparé à
une relation entre un prestataire et une entreprise. Il y a une distinction
à faire entre un consultant payé pour une prestation externe et
un contrat de travail :
282 Renault S. « Crowdsourcing : La nébuleuse des
frontières de l'organisation et du travail ». RIMHE : Revue
Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise [En ligne]. 1
mars 2014. Vol. 11, n°2, p. 23?40. Disponible sur : <
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RIMHE_011_0023
> (consulté le 17 janvier 2015)
283 Favreau Eric, Lemoine Jean-François et Roth Yannig,
« Travail ou pas? L'autonomie des participants au crowdsourcing et ses
implications juridiques ». 2014
« Il ne faut pas fantasmer sur la notion de
re-qualification en contrat de travail, c'est un risque qui existe pour toute
entreprise qui fait appel à des consultants extérieurs, quel que
soit la nature de la prestation.»(É. Favreau)
Dans cette situation, l'entreprise sera confrontée
à un grand nombre de consultants mais qui n'auront pas de garantie de
paiement. Ce qui n'était pas envisageable pour une entreprise il y a 15
ans. Éric Favreau précise que la plate-forme prend le risque, pas
le client :
« Le risque de contrat de travail est, à mon
avis très limité. Par contre celui d'avoir une grogne est plus
grand dès lors que l'on part du principe qui est de dire : je travaille
donc je suis payé »
Les gagnants sélectionnés cèdent leurs
droits, la récompense qu'ils récupèrent est la
contrepartie de la cession des droits. Dans une étape ultérieure,
le client souhaitant retravailler une proposition pourrait demander au
créatif de s'investir d'avantage. Si la plate-forme souhaite
également travailler dans la durée parce qu'elle estime qu'une
prestation doit être rémunérée à ce moment
là, un contrat de travail classique de type Free-lance-client ou
auto-entrepreneurs peut être mis en place. Il ne s'agit pas non plus d'un
contrat de travail à condition que l'intervention du prestataire soit
ponctuelle et non systématique.
Faut--il encadrer davantage le crowdsourcing ?
C'est une question qui revient souvent, elle doit encore
être débattue. Juridiquement le CS créatif se situe dans
les règles. Les plates-formes utilisent très bien les aspects
juridiques en vigueur pour contrer les arguments des professionnels, car il n'y
a pas d'implication. Le CS créatif se situe cependant dans une zone
grise où ce qui est demandé aux participants est une
véritable commande maquillée sous la forme d'un
concours, et qu'il n'est pas toujours contrôlé par un
huissier284. On est loin de l'application qui permet aux
automobilistes de signaler un « nid de poule ». Mais on est loin
aussi d'Uber.
Et si ces plates-formes pouvaient évoluer vers des
formes plus équitables pour tous ? Pour le moment ces plates-formes sont
jeunes, on manque de recul, certaines n'ont d'ailleurs pas encore fini de
trouver leur modèle et pourraient encore évoluer vers plus de
transparence.
Il est certain qu'il faudra considérer le crowdsourcing
comme une facette à part entière du petit monde de la
création visuelle. Lorsque l'on voit le nombre de nouvelles structures
qui voient le jour depuis 2011, la manière exponentielle dont elles
évoluent et procèdent à des levées de fonds
dépassant le chiffre d'affaires décennal de petites agences de
communication. On peut se demander en effet si elles ne vont pas « tuer le
métier ». Le CS est associé à une forme de
dumping social. Les professionnels sont inquiets pour leur profession.
Il n'y a cependant aucune étude qui prouve actuellement que le
crowdsourcing soit un danger pour la filière du design, d'un point de
vue économique en tout cas :
« Aujourd'hui, il n'y a pas de travaux parus sur les
dommages. J'aimerais beaucoup avoir ce genre de retours chiffrés de
l'influence du CS sur une profession créative par exemple ou sur la
société, notamment le manque à gagner en terme de taxe,
etc.... Aujourd'hui rien n'est prouvé, tout simplement
103
284 Information qui demande toutefois à être
vérifiée, car elle provient surtout des opposants au CS.
104
aussi parce que c'est peut-être un trop petit
problème pour la société et qu'il n'y a pas encore de gros
cabinets ou de gros ministère qui s'est penché sur la question.
» (Y. Roth)
Dire que les entrepreneurs comme Creads participent
à la dynamique économique en créant des emplois est
partiellement vrai. Certes, l'agence a considérablement augmenté
ses effectifs interne et embauche des stagiaires, mais elle joue en
parallèle sur une promesse de réussite envers des créatifs
qui se réfugient par défaut sur la plate-forme en attendant des
jours meilleurs ou en espérant être repérés.
Fermer les plates-formes ne règlera pas le conflit, qui
est mondial. Il ne faut pas oublier que personne
n'
est obligé de participer. Cela ne fait de mal à
personne, ne force personne. Et même un moyen de changer de l'agence
pour certains designers. À condition que la plate-forme informe
correctement au départ.
« J'ai des difficultés à voir ce que
gagnent les personnes qui veulent faire interdire activement le crowdsourcing.
Je ne pense pas qu'ils se rendent compte qu'en interdisant les plates-formes
cela généra bien plus de déception du côté
des créatifs, que cela faisait bien marrer ou qui gagnaient des concours
- ou même des profs ou des étudiants - qui trouveraient ça
dommage, que de personne qui diraient - ha enfin on a enlevé ça
». (Y. Roth)
Il ne faut pas toutefois accepter le CS comme une
fatalité et laisser faire. Ce type de plate-forme véhicule une
mauvaise vision du design. Cette proposition de valeur gratuite reste
individuellement positive pour certains créatifs mais peut devenir
négative pour la profession si elle devient systématique.
« Si une part significative devient
crowdsourcée dans les concours, c'est certainement néfaste pour
une profession ou peut-être même pour une société.
» (Y. Roth)
105
4) Conclusion générale
Une pratique amateur peut toutefois favoriser les
professionnels. Cela mène les personnes créatives à se
poser une question sur le vrai rôle du designer et valorise leur travail
d'accompagnement. Il existe toujours dans l'industrie graphique une forme de
snobisme, qui consiste à critiquer le mauvais design, et d'encenser le
vrai design. Comme quelque chose de sacré que les autres, les
clients, les non-designers, ne peuvent comprendre. Mais si l'on souhaite
affirmer son expertise, il serait peut-être temps d'accepter que les
amateurs puissent aussi pratiquer et s'améliorer, s'ils veulent
continuer d'aller sur les plates-formes : alors laissons-les ! Bien entendu
cela n'enlève pas les possibles dérives du système, ni
l'idée selon laquelle on peut obtenir « du sur-mesure pour le
prix d'une barquette surgelée » (B. Fluzin). On se plaint
suffisamment du mauvais goût des clients, qui s'attachent souvent
à la simple enveloppe visuelle, sans considérer les aspects de
sens. Accepter que les amateurs puissent apprécier le bon design,
en comprenant le travail sérieux qui est effectué en amont
serait une bonne chose pour tout le monde. Le professionnel ira toujours
au-delà de l'enveloppe esthétique. Son expertise associée
à une véritable stratégie commerciale lui permettra de
s'armer contre certains clients.
« Le CS, non pas qu'il s'agisse d'un faux
problème. Sous l'angle de la déontologie, c'est un vrai
problème. Sous l'angle de la stratégie commerciale : c'est un
faux problème. » (F. Caspar)
Le CS va être utilisé de plus en plus. Mais il
n'est pas structurel, et ne le deviendra sans doute jamais. Il ne remplacera
pas les agences ou les free-lances. Dans le cadre d'une idéation, il
pourrait déboucher vers une forme de collaboration (mais cela est
surtout valable dans le cas d'Eyeka : « Pour un Creads ou autre cela
peut être différent » précise Y. Roth).
« Parce qu'on sait que les clients aiment travailler
avec leur agences. » (Y. Roth)
n'
Le contexte sensible du design permet au business de
s'engouffrer dans un créneau plus facilement. Il s'agit d'un
électrochoc qui doit amener le professionnel à se poser
les bonnes questions. Se faire Uberiser arrivera pas pour les
meilleurs, mais les débutants ou les graphistes qui habitent dans des
déserts
économiques risquent d'avoir plus de mal. Il
faut bien savoir que les personnes opposées au CS sont face à la
communication positive des plates-formes. Mais tout ne fonctionne pas. Il ne
sera pas possible de remplacer le travail complet d'un créatif ou d'une
agence.
Le risque est surtout du côté des plates-formes.
Vont-elles encore attirer les personnes talentueuses si elles ne leur
permettent pas un juste retour sur leur investissement ou une réelle
reconnaissance ? Finiront-elles par être désertées par les
professionnels découvrant qu'il n'est pas toujours possible de mettre le
logo de la marque dans leur book alors que c'est exactement ce qui les pousse
à participer ? Comme de nombreux modèles du web, les startups de
CS ne sont pas à l'abri d'une baisse d'intérêt de la part
de la foule. Il est important pour ces jeunes entreprises du web de
pérenniser leur activité. L'ultime question est de savoir s'il
est possible pour ces plates-formes de garantir à leur clientèle
une réponse de qualité tout en effectuant un repositionnement de
leur modèle sur le plan éthique.
106
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113
VI. Annexes
1) Entretiens
Yannig Roth (entretien N°1)
Responsable marketing d'Eyeka, le 8 avril 2015 dans les locaux
d'Eyeka (Paris)
Les présentations se font en présence
d'Éric Favreau et Yannig Roth, qui me montrent rapidement les locaux
d'Eyeka et les différents pôles de travail. Le cadre
ressemble à une agence de communication de taille moyenne sur un seul
niveau dont le coeur est une salle de réunion aux parois de verre autour
de laquelle gravite un open-space à taille humaine. Je conserve le
souvenir d'une ambiance calme et studieuse sans faux-semblant « fun »
comme cela m'avait frappé chez Creads. Pendant la
première partie avec Yannig puis avec Éric, il y avait une
visio-conférence dans l'aquarium central pour présenter
probablement un concept avec un client, des méthodes de travail qui
cadrent avec l'activité ancrée dans le digital. La
majorité des employés semblaient rassemblés dans cette
pièce, durant les entretiens on pouvait parfois entendre des
applaudissements.
Damien Henry : Le sujet de mon étude
est de comprendre comment le crowdsourcing (CS) créatif peut s'inscrire
dans le paysage de la création graphique. Nous allons commencer
simplement en parlant d'Eyeka : avec de nombreux modèles
présent sur le web, comment votre plate-forme se
différencie-t-elle des autres ?
Yannig Roth : Pour commencer, Eyeka a commencé
en 2006, comme quelque chose qui ressemblerait à ce qu'est aujourd'hui
peut-être iStockphoto ou Shutterstock. Le principe était
de faire ça aussi pour de la vidéo - alors peut-être
qu'aujourd'hui ces sites proposent aussi de la vidéo285 -
c'était encore un peu tôt à ce moment. Une manière
d'alimenter la plate-forme en contenus était d'organiser des concours,
au départ non-brandés (sans être assimilé
à une marque) : « la meilleure photo de paris », des
photos ou vidéos sur un thème, ce genre de choses... Ensuite des
marques sont venues ou ont été approchées par des
propositions de concours sur des thématiques particulières, et
c'est à partir de 2008/2009 que les concours ont commencé de
manière régulière sur Eyeka.
Aujourd'hui c'est une plate-forme de concours qui, il y a
encore 2 ou 3 ans se définissait elle-même comme une plate-forme
de co-création. On parle maintenant de CS parce que
c'est plutôt une description plus objective et transparente de ce que
c'est, plutôt que de parler de co-création, qui est quand
même un peu une grande idée sur laquelle on ne peut pas mettre
grand chose derrière...
Donc aujourd'hui on fait du CS, quasiment
exclusivement des concours. Le chiffre d'affaire et les revenus d'Eyeka
ne viennent que de là, pas d'autre chose ; ou alors de choses
liées aux concours comme des workshops, que l'on décrira
après. Le principe d'Eyeka est de faire des concours d'innovation, de
285 En effet les plates-formes comme Pond5 ou istock proposent
depuis quelques années des vidéo ou des templates Aftereffect.
114
design, de packaging, d'expériences - donc
d'idées globalement - ou alors de contenus : print ou vidéo, pour
des grandes marques.
Je m'occupe ici de la veille concurrentielle et du marketing,
en terme de veille je regarde ce que font les autres plates-formes. Le
positionnement d'Eyeka est différent des autres plates-formes
de 2 manières : C'est premièrement d'être la vraiment la
seule plate-forme à être présente sur tout le continuum
marketing, de l'idée jusqu'au contenu : de l'idée du design,
du pack, du graphique, de l'inspiration créative pour des études
de marché ou de la production vidéo par étapes - Eyeka
est la seule à proposer ce panel de différents types de
concours, alors que les autres plates-formes sont plus
spécialisées sur le design graphique, l'identité, la
vidéo... - on a pas mal de concurrents sur ce secteur - Nous sommes les
seuls à proposer cet ensemble.
Le second point de différenciation, c'est qu'Eyeka
est une des seules - pas la seule cette fois mais bien une des seules -
à travailler exclusivement avec des grandes marques et des grandes
entreprises. Non pas par snobisme ou par facilité - parce que ce n'est
pas forcément plus simple - mais tout simplement parce que
stratégiquement, c'est quelque chose de plus intéressant que
d'avoir comme par exemple 99design (c'est une plates-formes ouverte).
Nous la manière dont on fonctionne : c'est d'avoir des gens qui viennent
voir les marques ou bien à l'inverse des marques qui viennent nous voir-
(on a les 2) qui disent : « Il y a des concours, vous pouvez en faire,
voilà comment vous pouvez utiliser Eyeka. Est-ce que pour votre marque,
votre stratégie digitale ou votre stratégie d'innovation, vous
avez besoin de créativité nouvelle qui en plus ne vient pas d'une
agence, mais de vrais gens, de consommateurs, de designers, de graphistes,
etc... »
On travaille donc exclusivement avec ces grandes marques tout
d'abord car cela représente un certain coût de travailler avec
Eyeka - on pourra en parler après - mais aussi parce qu'on
s'est rendu compte qu'il était bien plus intéressant de se
concentrer sur un certain nombre de marques. On doit avoir à
l'année 20 à 30 clients, ce qui n'est pas énorme. Mais
certains font plusieurs concours (ex : Unilever, P&G...), ce qui
est plus intéressant car ces entreprises ont besoin de beaucoup
d'idées et de créativité pour leur marketing. On peut
ainsi travailler avec eux plus régulièrement. C'est pour cette
raison que le second point de différenciation est de se concentrer sur
ces entreprises là, et non sur des start-up ou des
entrepreneurs, qui ont aussi un besoin, et sont plus ciblées par
d'autres plates-formes.
DH : On peut citer l'exemple de Creads,
assez orienté sur de la création d'identité pour des
petites structures qui se lancent. Ce qui est frappant chez vous, c'est
effectivement la présence de grands comptes et une certaine
récurrence dans les concours - je pense à Mc Donald's
notamment - On peut donc se demander, ce que ces marques viennent chercher
de différent par rapport à une agence classique : ce que pensent
leurs consommateurs, la diversité ?
YR : C'est un peu ces deux choses à la
fois. Le seul type de concours pour lesquels ce que fait Eyeka est
quasiment frontalement parallèle à l'existant c'est plutôt
pour la production de contenu. Un concours va dans ce cas concurrencer
certaines agences - bien évidement pas celle qui font des choses pour
Cannes - mais certaines agences et des maisons de production.
DH : Pas les agences conseils donc ?
YR : C'est ça, les agences conseils on
a un autre boulot qu'eux, on ne va pas les concurrencer directement pour des
raisons évidentes. Alors que des agences de production ou
créatives, dans
n'
115
certains pays surtout, on sera concurrent sur le contenu. [Partie
confidentielle de l'entretien qui concerne une démarche client] Une des
raisons pour lesquelles on fait ces projets avec eux, c'est qu'ils ont pas
d'agence de qualité ou bien meilleure que ce nous pourrions donner. [Non
publiable].
Mais pour quasiment tous les autres projets, même en
France, il n'y a pas de concurrence directe ou frontale entre ce que fait
Eyeka et les autres. Et même : les budgets que l'on prend
dans les marques, permettent à celles-ci d'avoir davantage
d'idées, de la fraîcheur et de la nouveauté. Ce qu'elles ne
faisaient pas avant et n'allaient pas chercher.
En terme d'étude de marché c'est comme avoir un
méga-brainstorming créatif au début d'un
processus exploratoire où les idées sont ensuite validées
par différentes méthodologies existantes (Nielsen286,
...). Idem pour la communication, si une marque se demande comment communiquer
sur son yaourt ou sa boisson... le CS est devenu une nouvelle manière
d'avoir des idées créatives et fraîches venant directement
de consommateurs - avec un petit c : un groupe de gens de manière
générale, qui n'agit pas en tant que professionnel mais en tant
que consommateur, c'est comme ça que je définirais ici ce terme
de consommateur - d'avoir des idées de leur part de manière
globale, très rapides et non-biaisées. C'est à dire :
souvent quand vous faites travailler une agence, vous pouvez en avoir une pour
l'implémentation, ce qui est toujours indispensable aujourd'hui, nous on
ne va rien implémenter derrière, les marques vont toujours
travailler avec leur agence.
Par contre en amont, durant la phase très exploratoire
d'idéation, c'est là qu'aujourd'hui les marques voient le plus de
valeur pour avoir une foule d'idées dans laquelle ils peuvent choisir.
C'est là qu'on intervient parfois pour certains cas, où l'analyse
est faite en interne ou plus souvent en externe par des sémiologues,
sémioticiens, directeurs créatifs ou planners en
freelance, des personnes, quel que soit leur terme, qui ont une
expérience de planning et de stratégie de marque. Ces personnes
font une analyse des entrées pour donner des grandes tendances, des
concepts :
Par exemple, McCaan-Chine, qui lançait un
concours pour Coca-cola, son client, cherchait de nouvelles
idées pour communiquer le goût de la boisson. Ils ont eu, je ne
sais pas combien, mais des centaines d'idées qu'ils ont
clusterisées en grandes tendances, et de choisir ensuite ce
qui, d'après la marque et les personnes qui travaillent sur ce compte au
sein de l'agence, leur paraît le plus prometteur. Évidement c'est
aussi testé avec des instituts d'études en parallèle.
Une bonne partie de la valeur d'Eyeka aujourd'hui
pour les marques est donc d'ajouter un gros shot de
créativité où avant ce n'était pas vraiment
possible... où on avait un brainstorm287 ou un
benchmark288. Et donc c'est ça la valeur. Ce qui
fait que du coup, parfois, c'est plus cher, plutôt que moins cher.
Mais c'est aussi plus efficace car ça va plus vite, pas
toujours, mais souvent ça va plus vite dans le sens où on a des
idées : et on trouve la bonne. D'ailleurs, cette approche là est
risquée parce que parfois des clients qui lancent des concours sur
Eyeka qui disent : « C'est pas mal, mais j'ai pas
trouvé la bonne idée ». Ce qui fait parti du jeu.
286
http://www.nielsen.com/fr/fr/about-us.html
est un important cabinet d'audit de consommateurs
287 Terme souvent utilisé en agence pour désigner
un processus collectif de recherche d'idée.
288 Le benchmark est un terme marketing pour désigner une
démarche d'observation et d'analyse des performances atteintes et des
pratiques utilisées par la concurrence ou par des secteurs
d'activité pouvant avoir des modes de fonctionnement
réutilisables par l'entreprise commanditaire du benchmark. «Une
pêche aux bonnes idées»
http://www.definitions-marketing.com/Definition-Benchmark
C'est aujourd'hui là qu'est la plus grande valeur
d'Eyeka. On va ressortir aujourd'hui ou demain un rapport sur
l'évolution du CS289 dans le temps et on s'aperçoit
que le CS d'idées est toujours minoritaire en comparaison avec celui de
contenu, mais que cela commence à prendre de plus en plus de place.
À Eyeka, nous voyons donc
stratégiquement un avenir plus important dans ce type de CS
d'idéation, ce brainstorming créatif global, rapide et
visuel. Nous voyons plus un avenir dans cette forme, que dans l'externalisation
globalisée et souvent low-cost de la production (vidéo
ou print).
On ne dit pas que la production n'est pas un métier
noble, mais plutôt que l'on voit plus de valeur dans une étape
comme le story-board ou l'idéation qu'ensuite dans
l'implémentation. On s'est aussi rendu compte que les marques avaient
bien plus envie de contrôle que ce qu'une foule leur permet d'avoir et
préfèrent donc travailler avec leur agence. Si demain Eyeka,
on l'est déjà, veut être plus structurel dans
l'écosystème créatif, c'est d'avoir une vision à
terme où le brainstorm créatif est global, rapide et
systématique : parce que ça permet d'avoir plein d'idées.
Bien sûr, rien ne garantie que l'on trouve LA bonne idée, jamais.
On ne pourra donc jamais garantir nos résultats.
La vision c'est ça : plus d'idéation, pour
permettre aux marketers et aux agences d'être plus créatives
plutôt que d'être dans la production où on va remplacer des
personnes existantes parce qu'on est moins chers. Parfois on le fait, parce que
des clients le demandent, et qu'on ne leur dit pas non - Parfois on dit non
d'ailleurs - Mais ce n'est pas là fondamentalement qu'est l'avenir du
CS. L'avenir du CS, pour nous c'est proposer de l'inspiration créative
venant de consommateurs et d'individus du monde entier, pour des
problématiques de marque, de manière systématique et
relativement peu cher. Ce n'est pas dans la production ou dans le remplacement
de ce font déjà des gens très bien, et bien mieux que
nous.
DH : C'est pour cette raison que vous ne
divulguez pas toujours les résultats produits qui font partie d'un
projet à plus long terme. Il y a un passage de relais je suppose ?
YR : D'ailleurs, il peut y avoir des
difficultés, lors de ce passage de relais. Il arrive que des agences ou
les personnes qui ont initié le projet au sein des entreprises finissent
pas ne rien utiliser ou que cela se perde dans les différentes arcanes
de la validation, de la R&D... des nombreux autres projets qu'ils ont en
tête. C'est donc quelque chose qui peut se perdre. Soit parfois si
d'autres personnes reprennent le projets - le successeur du gars qui a
lancé le projet au niveau de la marque ou alors l'agence qui travaille
pour l'initiateur du projet... - il y a aussi un risque de perte à ce
niveau là.
C'est un des problèmes fondamentaux du marketing, pour
lequel Il n'y a pas encore beaucoup de solutions aujourd'hui, le fameux
syndrome not invented here. Personne en interne ne va challenger
le projet, il n'y a pas quelqu'un qui est là en permanence, ce
n'est pas notre job en tout cas, ou bien il faudrait que l'on change de
positionnement et qu'on soit vraiment comme une agence en accompagnant la suite
du projet, ce que l'on ne fait pas pour le moment. De ce fait, les idées
ou des choses se finissent parfois par ne pas être utilisées et se
perdent. C'est un gâchis d'argent pour la
116
289
http://eyeka.pr.co/99215-eyeka-releases-the-state-of-crowdsourcing-in-2015-trend-report
117
marque, à nuancer bien sûr, puisque c'est une
expérience, il y a de l'apprentissage et ils ont eu des
idées...
C'est une des difficultés du CS. En prenant
cette posture là, on ne contrôle pas la mise en place,
l'implémentation. In fine, ça n'appartient qu'à
l'entreprise de savoir si elle utilise ou non ces idées ou ces
créations. Notre positionnement aujourd'hui fait que c'est une chose que
l'on accepte, comme un problème fondamental de ce que l'on fait. On
essaye surtout de faire au mieux pour savoir ce qu'il se passe après.
Mais plus le temps avance et plus le client utilise les idées ou les
vidéos à la suite d'un concours.
DH : J'ai déjà une bonne partie
de la réponse, mais comment faites-vous pour accompagner le client entre
le moment où il vient frapper chez vous et celui où vous livrez
le projet ?
YR : En guise d'introduction je dirais que notre
travail ici c'est à mon avis deux coeurs de métier : Le premier
étant de connaître les clients et de savoir leur parler, comme une
agence finalement. Le second est de gérer les projet de CS sur une
plate-forme : la gestion de projet, l'activation d'une communauté,
représente une bonne partie du coeur du métier.
Mais il n'y pas que ça : il y a plein de gens capable
de construire des plates-formes, plein de gens qui ont des communautés,
théoriques - ne serait-ce une marque sur Facebook.
Mais de pouvoir aller transformer la valeur de la
communauté, de dire aux marques comment on peut ou non les aider -
premier point important - et ensuite de transformer ce business brief
(décrit plus bas), cette problématique, en quelque chose de
cohérent sur une plate-forme : là c'est une autre
compétence, car derrière il y a tout le project-managment.
Donc pour résumer comment ça se passe :
Au départ un client vient voir Eyeka et dit
: « j'ai telle problématique d'innovation, de communication...
». On commence par lui dire si on peut ou non répondre
à sa demande.
Il y a des choses que l'on ne peut pas faire comme : «
vendre plus d'alcool en France » (on ne peut pas demander des
idées sur ce thème en France). On s'interdit également de
faire des concours pour le tabac par exemple - mais on n'a pas
empêché Gleeden (Site de rencontres extra-conjugales), il
n'y a pas longtemps, ma copine me le rappelle assez souvent ! - Donc on a des
barrières éthiques mais ce n'est pas le motif de refus principal.
La frontière principale, c'est : peut-on externaliser ça via un
concours à une foule ou pas ?
Il y a des choses que l'on ne peut pas externaliser par
exemple des clients demandent une stratégie 360° digitale
(activation, pub tv, expérience retail, etc...), et on dit
toujours : on ne demande qu'une chose à la fois par concours. Tout
d'abord car les personnes ne sont pas payées pour, il faut donc que
ça les intéresse et qu'ils puissent identifier la tâche
à faire et non faire 360°...
DH : Ils ne sont pas pro pour la plupart...
YR : C'est surtout qu'ils n'agissent pas en
tant que pro. On considère que les personnes qui ont des
idées qui veulent s'engager dans un projet, n'ont envie de
développer qu'une seule idée, mais pas une campagne
entière. Ils savent d'ailleurs très bien que c'est le job d'une
agence. Dans ce cas, on dit au client, lorsqu'ils ont des demandes très
larges comme celle-ci, que l'on ne peut pas le faire, à moins de lancer
15 concours... Un concours correspond à une problématique. C'est
donc assez rare qu'un client lance de nombreux concours différents,
simplement parce qu'il se rend compte qu'ils n'ont pas
besoin
118
de tout ça, juste d'une idée peut-être ou
d'une idée d'activation et tout le reste sera fait avec son agence. Donc
la première étape c'est : le client vient nous voir et on
étudie la faisabilité.
Si on continue ensemble, qu'Eyeka peut les aider et
que cela peut intéresser la communauté. On écrit alors un
business brief, comme en agence, qui est une description de la
problématique : quels sont les concurrents, les contraintes, les
résultats attendus...
Une fois ce business brief validé et
signé, on passe ici du côté de nos planners
internes, à l'écriture du brief communautaire :
c'est donc transformé et adapté au format standard, ce que
vous voyez sur le site, mais c'est toujours un teaser, une
explication, des guidelines spécifiques lorsqu'il y en a, des
contraintes, etc... On le montre au client, si celui-ci comprend : très
bien. S'il demande des choses plus spécifiques, on lui précise
qu'il faut surtout rester dans un langage rigolo et
créatif, pour les personnes qui ont envie de s'amuser sur le
projet... que ça ne soit pas trop marketing, ce ne sont pas des agences.
Il ne faut pas oublier que c'est un appel à participation. Les personnes
doivent avoir envie de participer. Parfois, il faut donc expliquer que ce
community brief doit être un peu plus relâché qu'un
brief d'agence plus serré. C'est notre expertise.
Une fois cette étape validée, on lance ce
brief, après l'avoir traduit en différentes langues,
rarement moins de 6 (les standards Eyeka : Russe, Indonésien,
Chinois, Français, Anglais, Espagnol) et jusqu'à 12... Il est
assez rare de ne faire que deux langues, même si cela arrive de plus en
plus.
Ensuite, on lance le concours et on modère les
entrées. On dit aux participants qui soumettent les idées
c'est bien ou c'est pas bien, c'est accepté ou non. On explique
pourquoi. On ne juge jamais sur la qualité, mais uniquement sur la
conformité au brief. Donc si quelqu'un a une très
mauvaise idée, mais que ça reste conforme au brief : on prend. Si
au contraire l'idée est excellente, magnifique ou avec un potentiel
énorme, mais hors-brief : on rejette. On explique pourquoi et
on dit ce qu'il faut revoir.
DH : Il y a donc ce rôle de conseil, comme
intermédiaire concepteur-client. YR : On est totalement
intermédiaire.
DH : Comme lorsqu'une agence sous-traite
à un graphiste indépendant ?
YR : Oui ces petits allers-retours ont pour
objectif de rester dans les cordes, d'où l'importance primordiale d'un
bon brief de départ. Notre modération intervient surtout pour
cette adéquation, ou alors pour des choses plus techniques qui sont
fondamentales, comme des aspects juridiques - que vous verrez avec Eric Favreau
- sur le respect du droit d'auteur. Si on trouve que certaines choses ne sont
pas respectées ou que le participant a pompé sa proposition
ailleurs, on va demander.
n'
Lorsque l'on clôt la modération, on ne donne pas
encore accès au client aux entrées, on leur montre les
idées souvent dans une restitution faite par les planners,
parfois avec l'analyse, si on a une personne en free-lance, celle-ci
informe le client sur ce qu'il a vu et analysé. Une fois que l'on a
restitué notre analyse. On donne accès au client à toutes
les entrées. Notre rôle est surtout de donner au départ une
grille de lecture au client, si on lui livre de manière brute les
données, par expérience on sait que cela est pas très bon,
le client se dit « qu'est-ce que c'est que toutes ces idées qui
vont dans tous les sens ?... ».
Dans notre façon de pratiquer le CS, c'est fondamental,
car c'est difficile d'encaisser de manière brute les
idées venant de l'extérieur. Digérées et
analysées : ça passe mieux.
119
À la fin, on donne au client la clé des
plates-formes : ils ont un backoffice qui leur ai dédié.
Et on leur laisse la main. Il valident eux-mêmes les gagnants, font des
short-lists, en discutent en interne... et valident les gagnants.
Et enfin (Éric va savoir ça) nous nous occupons
de tout ce qui est transfert de propriété intellectuelle... et
c'est fini pour nous. En terme d'implémentation, si c'est utilisé
ou non. On a géré les droits et ensuite on passe le
bébé à l'agence ou à la personne qui
va continuer le projet.
DH : Parlons à présent
de l'aspect communautaire : on se demande, en arrivant sur le site, avec un mur
qui génère de manière aléatoire des profils de
créateurs, ce que représente pour vous cette
communauté, de personnes finalement en concurrence mais qui sont
présentées tous ensemble comme une grande famille. Pourquoi ce
terme ?
YR : Depuis le début, Eyeka a
toujours parlé de communauté, et je ne vois pas trop quel autre
terme on pourrait utiliser. Foule ? Je trouve ça réducteur, je
n'aime trop pas ce terme. Pour ma thèse on m'a demandé dans ma
pré-soutenance si l'on pouvait effectivement parler de
communauté, comment on la définit, etc... Et c'est
indispensable de définir cette notion. Les médias, les clients,
et même les gens de la communauté souvent prennent pour argent
comptant ce terme : 300 000 Créatifs : c'est une communauté.
Si l'on prend ce terme au niveau sociologique comme un
ensemble d'individus qui partagent des lieux, des initiatives, des moments
d'échanges ou un objectif commun : alors Eyeka n'est pas une
communauté. En effet ils sont en concurrence, il n'y a pas de
possibilité d'interaction, sauf par les réseaux sociaux -
Auparavant il y avait un espace d'interaction sur lequel ils pouvaient envoyer
des messages mais on l'a supprimé car cela nous apportait peu : cela
nous coûtait beaucoup d'argent pour finalement peu d'utilité pour
nous. On se disait « autant que les gens puissent se mettre en
relation entre eux via leurs réseaux plutôt que via Eyeka
», puisqu'au fond cela n'avait pas d'utilité.
Finalement on pourrait presque dire qu'Eyeka n'est
pas une communauté au sens sociologique. Si par contre, on
élargit le terme à un ensemble de personnes qui
partagent une pratique ou une passion, comme pour airB&B,
Balablacar, ou autres - car tout le monde utilise ce terme en fait -
Alors la compréhension populaire du mot communauté
devient ce qu'elle est : on peut parler de communauté pour un mur
de gens qui sont en concurrence... Cela dépend en fait de la
manière dont on définit le terme. À ce niveau on peut
parler de communauté, et on continue donc à le faire.
Il y a peu d'interactions entre les gens. Ils venaient au
début sur Eyeka pour le feedback qu'il était
possible d'avoir sur ses créations, mais on a enlevé ces
fonctionnalités parce qu'on se rendait compte qu'il y avait beaucoup de
bashing, des gens qui disaient « ça c'est nul...
».
Ce système n'existe plus aujourd'hui, tel quel. Cela
frustrait des gens qui voulaient avoir la possibilité de voir ce que
faisaient les autres parce que ça fait parti du processus créatif
de pouvoir un peu regarder ce qu'il se fait, surtout pour un concours avec une
problématique donnée. On a ajouté une
fonctionnalité qu'on appelle le Feedback circle qui consiste
à pouvoir à la fin d'un concours, seulement, de
voir ce que font les autres, et uniquement si votre création a
été acceptée.
DH : Pas comme wilogo où il est
possible de voir ce qui se fait ...
120
YR : Ha oui ? Parce qu'il y a aussi plein de créatifs -
plutôt des participants - qui disent « je ne veux surtout pas
qu'on voit se que je fais et qu'on me vole des idées », le
vieux reflex est toujours là puisque 90% des soumissions se font dans
les dernières 6 heures à peu près. Ce qui inquiète
aussi nos clients ! Mais systématiquement c'est ce qui se passe. Bien
sûr il y a aussi l'aspect procrastination mais je ne peux affirmer si
c'est aussi parce que les gens s'y prennent au dernier moment.
Le côté communauté est ambiguë c'est
vrai : pour certains voulus pour d'autres participants non-nécessaire.
On peut en effet se demander s'il s'agit d'une communauté : nous on
essaye de parler au maximum de communauté et de favoriser la
connaissance des autres via « le créateur du mois »
mais quand on y pense vraiment, ce n'est pas comme une communauté
familiale, open source qui co-crée le même produit
ensemble.
DH : Au final, le fait de pouvoir se noter n'a de toute
façon aucune influence sur le résultat du concours ?
YR : Non, on ne s'en sert pas, cela permet aux créatifs
de se juger entre eux. Avant ce système là, certains gagnaient
des concours et lorsque cela devenait ouvert (quand tout le monde peut
voir les créations) tous les participants critiquaient le gagnant :
« c'est de la merde ! Pourquoi il a gagné le premier prix ?
» et l'inverse était vrai aussi : des personnes faisaient des
boulots absolument superbes qui ne gagnaient pas... Le principe même du
concours génère une frustration. Avec ou sans ce système
d'interaction des participants, cette frustration existera toujours.
Les personnes de mauvaise foi ne comprennent pas, ou alors ils
sont juste un peu naïfs, que tout choix créatif est basé sur
un historique précédent et une subjectivité : le client
n'aime pas forcément une chose que toute la foule aime bien. Le
client peut être ringard si on veut dire ça comme ça !
Ils peuvent donc aimer une idée qui n'est pas du goût de tous et
surtout : les entreprises ont leur propre historique créatif, des
expériences sur ce qui fonctionne ou pas et savent très bien ce
qu'il y a dans leur département R&D ou dans les tiroirs, si parfois
l'idée est super bien notée parce qu'elle est géniale mais
que le client l'a déjà eue et qu'il a vu que cela n'avait pas
marché, ce que la communauté ne sait pas, il peut y avoir des
frustrations ; mais là il s'agit plus d'asymétrie de
l'information. Notre rôle c'est justement de lever ces mauvaises
compréhensions mais on ne peut jamais les faire disparaître
totalement.
qu'
Le feedback circle, comme mécanisme, est
toujours une manière pour nous de faire en sorte que la
communauté puisse avoir un mot à dire, ça fera
peut-être réfléchir le client. Mais même sur des
shortlists effectuée en interne par Eyeka, très
souvent le client choisi d'autres gagnants. Parfois ils regardent les notes du
feedback circle, par curiosité, mais très souvent ils
choisissent leurs propres gagnants. Heureusement d'ailleurs. C'est finalement
plus une manière de faire interagir les gens une façon d'aider le
client ou même Eyeka à sélectionner les gagnants.
Le client fait sa sélection de
manière assez isolée.
DH : Dernière question, vous imaginez le modèle
d'Eyeka évoluer vers de la création d'idées. Il
est souvent reproché aux plates-formes de CS d'être une
façon d'externaliser à moindre coût. Le terme de
travail spéculatif a fait son apparition et il est aussi
associé à un dumping social. Quand on vous accuse de faire du
perverted CS, quels sont vos arguments face à ce type de
remarques ?
YR : On y pense souvent, et donc on sait répondre sur le
côté légal (avec Éric) ou éthique.
121
Effectivement, si l'ensemble, voir 10% du travail
créatif, se fait par l'intermédiaire de concours et non en
collaboration directe avec des agences ou des personnes en freelance qui ont un
rôle de conseil et d'accompagnement. Si une part significative devient
crowdsourcé dans les concours, c'est certainement
néfaste pour une profession ou peut-être même pour une
société. Je n'ai aucun doute là dessus, avec mon recul et
parce que cela paraît assez évidemment aussi. Aujourd'hui, il n'y
a pas de travaux parus sur les dommages. J'aimerai beaucoup avoir ce genre de
retours chiffrés de l'influence du CS sur une profession créative
par exemple ou sur la société, notamment le manque à
gagner en terme de taxe, etc... Aujourd'hui rien n'est prouvé, tout
simplement aussi parce que c'est peut-être un trop petit
problème pour la société et qu'il n'y a pas encore de
gros cabinets ou de gros ministère qui s'est penché sur la
question.
Si cela devient systématique, pour tout travail
effectué, c'est une mauvaise chose.
Même si on a pas encore prouvé le
côté négatif par des chiffres c'est mon ressenti. On peut
parler de perverted CS, de choses néfastes, etc... la seule
chose c'est : tant que l'on se situe, en tant qu'entreprise ou marque, dans une
proposition et pas dans une imposition, toujours à la condition que cela
ne devienne pas systématique - je pense que cela ne fait de mal à
personne. Parce que ça ne force personne. Cela fait plus de bien
à beaucoup de gens qui enrichissent leur book et tout ce que l'on dit
sur le CS et les motivations - qui sont toutes vraies - ça fait plus de
bien pris pour argent comptant que de mal, qui aujourd'hui n'est pas
prouvé.
Tant qu'on est dans un rôle de proposition et d'offre
parce que ça reste gratuit un concours, c'est idiot à rappeler
mais cela reste gratuit pour les participants et cela a un coût pour une
plate-forme d'acquérir un concours, même si on le vend comme une
prestation, cela a quand même un coût. C'est une proposition de
valeur gratuite qui reste individuellement positive pour les créatifs
mais peut devenir négative pour la profession si elle devient
systématique. Cela revient à mettre en compétition des
choses qui pourraient être beaucoup plus normalisées avec des
taxes, alors que pour le moment cela sort du cadre réglementaire.
ce n'
On a vu (avec éric) d'un aspect légal que tant
que l'information proposée est transparente et qu'on ne trompe personne
sur la manière dont sont sélectionnés les créations
où sur le transfert d'idées. On juge que les règles qu'on
met en place sont justes : c'est à dire que toutes les personnes qui
participent à un concours ne cèdent pas leurs droits, il ne
cèdent qu'un droit d'être inspiré des idées, etc...
on juge que est pas abusif comme clauses. Même à ce niveau, je me
demande si c'est bien du perverted CS
dans le sens où on informe au départ, et encore une
fois : que personne n'est obligé.
Finalement, le point le plus important : étant
donné que tout le monde est dans l'autonomie, dans la liberté la
plus totale de participer. J'ai des difficultés à voir ce que
gagnent les personnes qui veulent faire interdire activement le CS. Je
ne pense pas qu'ils se rendent compte qu'en interdisant les plates-formes cela
généra bien plus de déception du côté des
créatifs, que cela faisait bien marrer ou qui gagnaient des concours -
ou même des profs ou des étudiants - qui trouveraient ça
dommage, que de personne qui diraient « ha enfin on a enlevé
ça ».
C'est une réponse qui est débattable, j'aimerai
beaucoup en débattre plus que l'on ne le fait aujourd'hui.
Légalement on « est dans le droit ». On n'est pas
Uber sur uberpop. Après si quelqu'un veut nous
attaquer... c'est une proposition pas une imposition. Ce n'est pas encore
structurel et ça ne le
122
deviendra certainement jamais je pense. Le CS va être
utilisé de plus en plus, mais ça ne remplacera jamais les agences
ou les free-lances. Ce qu'on fait nous c'est mettre en compétition.
qu'
En plus cela mène les personnes créatives
à se poser une question sur le vrai rôle du créatif
c'est à dire : d'augmenter la valorisation de leur travail
d'accompagnement. Évidement les personnes opposées au CS ne se
rendent pas compte des difficultés qu'il y a parfois dans les concours
en terme d'incertitude et de qualité du travail à délivrer
pour produire de bons projets (autrement dit : tout ne fonctionne pas). Ils
sont face à notre communication positive, mais tout ne marche pas, et
nous on sait très bien au fond ça ne peut remplacer le bon
travail créatif d'une agence ou de quelqu'un. Bien sûr, on ne
le
dit pas comme ça. On est dans un discours positif :
ça marche, les résultats sont excellents... Cela fait
peut-être peur aux gens qui trouvent que c'est perverted, et ils
ont le droit d'avoir cet avis. Mais, au fond, je ne pense pas que cela devienne
menaçant à l'échelle d'un Uber pour les taxis par
exemple. Parce qu'on sait que les clients aiment travailler avec leur agences.
Mais cela est surtout valable dans le cas d'Eyeka : pour un Creads
ou autre cela peut être différent.
Fin de l'entretien
123
Éric Favreau (entretien n°2)
Responsable juridique d'Eyeka, le 8 avril 2015 dans les
locaux d'Eyeka (Paris)
Les présentations se font en présence
d'Éric Favreau et Yannig Roth, qui me montrent rapidement l'agence et
les différents pôles de travail. Le cadre ressemble à une
agence de communication de taille moyenne sur un seul niveau dont le coeur est
une salle de réunion aux parois de verre autour de laquelle gravite un
open-space à taille humaine. Je conserve le souvenir d'une ambiance
calme et studieuse sans faux-semblant « fun » comme cela
m'avait frappé chez Creads. Pendant la première partie
avec Yannig puis avec Éric, il y avait une visio-conférence dans
l'aquarium central pour présenter probablement un concept avec
un client, des méthodes de travail qui cadrent avec l'activité
ancrée dans le digital. La majorité des employés
semblaient rassemblés dans cette pièce, durant les entretiens on
pouvait parfois entendre des applaudissements.
Damien Henry : En guise d'introduction je vais vous demander
de m'expliquer sur quel type de concours Eyeka se positionne de
manière générale, vous parlez de concours ouverts,
participations confidentielles ou concours confidentiels où vous
situez-vous aujourd'hui ?
Éric Favreau : Il y a deux axes en fait : La
liberté de participer, la restriction quant à la participation.
Ensuite il y a la liberté de la diffusion ou la restriction en ce qui
concerne la communication des contributions. Ces deux axes peuvent se rejoindre
mais peuvent être différents sur la notion d'ouverture ou de
fermeture. En ce qui concerne la participation des appels à
création, la plupart sont ouverts sans restriction. L'idée
étant pour le client d'obtenir un maximum de participations.
Le principe c'est de mettre en ligne l'appel à la
création, et réponde qui veut. À partir du moment
où on est intéressé et on a créé un compte
d'utilisateur sur le site, la participation est conditionnée à la
création d'un compte. Il peut y avoir des restrictions liées au
client qui demande un focus sur un public particulier, ce qui induira des
restrictions : « je ne veux que des gens qui sont dans tel pays ou
telle zone géographique », cela peut aussi faire partie des
habitudes du client de ne contracter qu'avec des gens de certains pays ou
d'exclure les pays qui le mettent mal à l'aise. Le cas de clients
américains qui, on le voit souvent, ont pour habitude dans les
opérations en ligne d'exclure de la participation des ressortissants de
pays avec lesquels il n'est pas possible contracter librement, comme Cuba...
Il y a aussi des restrictions liées au produit. Par
exemple, si l'on fait un appel à la création sur des produits
alcoolisés, forcément on ne nous permet pas tout.
DH : Ou le tabac ?
ÉF : Le tabac on ne fait pas. Mais par contre les
produits alcoolisés on en fait, avec une restriction de participation
liée à l'âge. En ce qui concerne la communication autour
des contributions. Aujourd'hui en effet il y a un principe de non-diffusion des
contributions. Ce qui n'a pas toujours été le cas à
Eyeka. Aujourd'hui, si vous allez sur le site, vous n'avez pas
accès à l'ensemble des contributions qui ont été
mise en ligne par les participants. Ce qui permet au client de conserver une
sorte de fraîcheur et de confidentialité sur les contributions. Il
n'y a pas diffusion ouverte sur celle-ci aujourd'hui.
DH : Même après la diffusion des résultats
c'est bien ça ?
n'
124
ÉF : Oui. Après cela dépend des appels
à création, mais la règle c'est que, comme vous le
disiez290 on est souvent en amont par rapport à ce que le
client fera au final, le résultat précis de l'appel à
création est pas forcément pertinent tout de suite pour le
client. Pour celui-ci c'est peut-être parfois trop tôt
aussi, car il a besoin d'affiner et retravailler cette
contribution.
Il y a tout de même une petite exception à ce
principe : pour les participants, il sera possible dans une durée
limitée d'accéder à l'ensemble des contributions soumises
et validées à la fin de l'appel à la création. Dans
un esprit d'émulation.291
DH : Yannig m'en a parlé en effet, si vous voulez on
peut aborder les droits de la PI, c'est vrai que pour un créatif c'est
un peu obscur, dans votre article « Travail ou pas
?...292 » Vous avez bien défini des cadres
d'autonomie en précisant les notions d'interaction qui entrent en jeu et
pouvant s'inscrire dans un cadre de travail. Toutes ces notions juridiques font
qu'il y a des frontières assez fines entre le travail et un concours.
Sur votre site vous essayez d'être assez transparent vis à vis de
tout ça. Mais la proximité entre l'activité
professionnelle, le temps passé et la cession des droits semble
brouiller la perception que l'on a de ces concours. Quelle est votre position
sur ces sujets ?
ÉF : Il y a en effet la notion sur le temps
passé, vous le disiez, il y a une limite un peu ténue et parfois
en fonction de la façon dont ça s'organise au quotidien. Le
risque ou la tentation de qualifier cela de travail est plus importante et
n'est pas forcément la même en fonction des appels à
création ou de la nature de la plate-forme. Vous parliez tout à
l'heure de Creads, eux ont vécu de plein fouet cette
problématique qui ne portait pas forcément que le travail
salarié ou pas mais aussi du « comment récompenser
cet acte de création, ce travail, à l'issu duquel seul une ou
deux personnes seront récompensées ? ». C'est un
constat de déséquilibre entre un travail effectué et une
récompense. Comme Creads, est sur un public plus sensible - les
graphistes - cela crée une grogne particulière au delà des
considérations juridiques. Voilà pour le contexte.
Au quotidien, Eyeka insiste sur la liberté de
création. On est sur une logique d'appel à la création
ouvert où on agit vraiment comme un intermédiaire entre les
marques et les créateurs, ce qui fait que ces derniers ont une totale
liberté, une totale autonomie, il n'y a pas de contrôle, ou alors
un minimum de contrôle imposé par la plate-forme, qui n'induira
pas sur la qualité de la création. La personne n'a pas à
rendre de compte et reste libre du temps, du budget ou de l'énergie
qu'elle consacre à un concours. On a uniquement un contrôle en ce
qui concerne l'upload, pour constater la conformité du brief
qui doit être respecté. Mais en ce qui concerne le processus
d'élaboration de la création, là on n'intervient
absolument pas et on ne veut pas intervenir pour bénéficier de
cette créativité diffuse. Alors c'est sûr : cette
créativité n'est pas toujours exprimée de manière
professionnelle. Mais ça on le sait, et nos marques aussi. D'où
une étape ultérieure de redéfinition et re-travail
peut-être. Mais en tout cas, en ce qui concerne la relation entre nous et
les contributeurs, il n'y a rien qui puisse être assimilé à
une relation de travail en terme de sanction, de contrôle ou de
discipline.
DH : Tout à l'heure Yannig me disait qu'avant le
dépôt officiel, il pouvait y avoir des ajustements demandés
aux créateurs. Ces premiers échanges peuvent être
considérés comme une démarche
290 Lors de nos premiers échanges en amont de
l'entretien.
291 Il y a tout de même des exceptions pour illustrer
certains articles sur le blog.
292 Favreau Eric, Lemoine Jean-François et ROTH Yannig,
« Travail ou pas? L'autonomie des participants au crowdsourcing et ses
implications juridiques ». 2014
125
d'accompagnement mais paradoxalement, alors qu'on vous
reproche un manque d'échange dans le processus de création
diminuant la pertinence des créations. Cela pourrait-il être
considéré aussi comme une forme de relation professionnelle ?
ÉF : Il y a deux choses : le fait d'induire un travail
dirigé peut avoir des conséquences qui n'est pas forcément
d'y voir un contrat de travail. En effet, pour obtenir une contribution qui
corresponde un peu plus aux attentes du client, on va interagir avec certains
contributeurs dans la durée de l'appel à la création pour
affiner le projet avant la soumission. On est en effet plus proche du
contributeur. Le simple fait de parler à quelqu'un et d'organiser
à deux une réalisation de contribution, ça ne vaut pas la
création d'un contrat de travail. C'est la distinction que l'on fait
entre un prestataire et un contrat de travail : tout prestataire amené
à travailler pour une entreprise, à partir du moment où il
apporte à celle-ci une compétence qui n'est pas en interne et
qu'il agit librement, il reste un consultant, un externe, même s'il est
payé. Il ne faut pas fantasmer sur la notion de requalification
en contrat de travail, c'est un risque qui existe pour toute entreprise
qui fait appel à des consultants extérieurs, quel que soit la
nature de la prestation.
DH : On le voit avec les auto-entrepreneurs...
ÉF : Exactement, c'est la même logique. On
souhaite lever le drapeau en disant : «attention,
contrairement à une entreprise classique qui va avoir 3 consultants,
là avec le CS potentiellement vous en avez 500 ». La
plate-forme prend le risque, pas le client. Comment analyse-t-on cette relation
qui est nouvelle ? Il y a 15 ans, ce n'était pas envisageable pour une
entreprise d'être confrontée d'un coup à autant de
personnes... Donc le risque de contrat de travail est, à mon avis
très limité, par contre le risque d'avoir une grogne sur le fait
de dire « on me fait travailler et je suis pas payé »
existe. C'était ce point dans le litige avec Creads, la notion
de travail gratuit : je travaille = je ne suis pas payé.
Ça peut se résoudre de différentes manière : «
J'estime que dans le cadre de mes relations, j'ai une prestation qui est
réalisée et à ce titre je devrais être
rémunéré ». Ce n'est pas forcément un
contrat de travail. C'est pour cela que dans ces appels à
création où on sélectionne certaines personnes avec qui on
travaille dans la durée, on est amené à
rémunérer celles-ci au titre de la prestation. En plus de la
rémunération au titre de la session des droits. Puisque ici les
gagnants qui sont sélectionnés cèdent leurs droits. La
récompense qu'ils récupèrent est la contrepartie de la
cession des droits.
DH : Ce sont bien des droits d'exploitation ?
ÉF : Oui le droit moral est lui toujours est
inaliénable et incessible.
DH : Il y a aussi un caractère
d'exclusivité ?
ÉF : Oui, dans le cadre classique des appels à
la création on distingue les gagnants et les non-gagnants.
(Sélectionnés ou non). Les personnes sélectionnées
sont amenées à transférer leurs droits d'exploitation au
profit du client, ils cèdent directement au client. En contrepartie on
part sur une rémunération forfaitaire. Puisqu'ils
transfèrent leurs droits de manière exclusive, ils n'en sont plus
titulaires : c'est comme une vente. Les personnes sélectionnées
ne peuvent plus ensuite transférer leurs droits à une autre
personne ou entité.
Ensuite en addition de ça, il y a en effet une notion
de confidentialité. Les contributeurs ne peuvent pas diffuser leur
publication ou contribution. Nous sommes dans une logique où le client
devra refaire,
126
retravailler ou s'inspirer de la création. Une mise en
ligne directe peut être dommageable pour le client, donc ce qui est fait
en général, si on constate 6 mois ou 1 an après qu'il y a
une mise en ligne par le client, les contributeurs peuvent l'utiliser.
DH : Ce qui arrive aussi en agence, dans le cadre d'un projet.
Mais si un créateur se dit « je vais faire ça pour mon
book » qu'est-ce qui est possible ?
ÉF : Pour les non-gagnants, c'est un peu
différent car ils sont toujours titulaires de leurs droits
d'exploitation. Ils peuvent donc utiliser leurs créations, ce qui reste
dans une démarche logique d'équilibre entre leurs droits leurs
obligations. Par contre, on organise et on essaye d'induire la façon
dont ils vont pouvoir utiliser leurs contributions. Toute contribution qu'ils
auront soumise à un appel à la création pour lequel ils
auront utilisé des éléments de la marque, comme des logos,
ou un nom de produit. Tout cela doit être retiré lors de la mise
en ligne.
On a en effet constaté que parfois des non-gagnants,
mettaient en ligne sans aucune mention (disclaimer), ce qui pouvait
paraître comme une publicité officielle de la marque.
Maintenant on indique vraiment et on insiste sur ce point :
ils ne peuvent faire référence à la marque et ne pas
indiquer que cela a été validé par celle-ci.
DH : En école, on est aussi dans cette logique, sur des
projets fictifs cependant, mais avec souvent des cas concrets de
véritables marques. Souvent les étudiants mettent ces travaux
dans leurs books, faute de référence. Sur une page de votre site,
vous indiquez qu'il faut cotiser soit à la MDA ou l'AGESSA, si l'on
gagne un concours, en France en tout cas, qu'est-ce que cela veut dire pour le
créateur ?
ÉF : Oui concrètement, cela concerne le contexte
français. Les rémunérations perçues par les
contributeurs, le sont au titre de la cession des droits. Ce type de
rémunération en France est liée à des charges
sociales, qui sont gérées par ces organismes. Nous intervenons
comme des intermédiaires, on paye au nom du client, mais par contre on
indique aux contributeurs que toute la partie sociale est organisée par
ces organismes. On le dit à ceux qui ne le savent pas. Par contre le
paiement des cotisations, c'est le client qui le fait, ce n'est pas à
nous de le faire.
DH : De nombreuses personnes doivent découvrir les
arcanes de la MDA, le précompte, le 1% diffuseur...vous les aidez un peu
quand même ? Pour un graphiste indépendant c'est
déjà compliqué, mais pour un amateur qui ne connaît
pas même l'existence de la MDA, il doit se sentir perdu.
c'
ÉF : Notre rôle c'est surtout de les informer,
après on ne peut contrôler, c'est quelque chose que l'on a
validé avec les Agessa, puisqu'on est en contact avec eux. On a
vraiment fait en sorte de valider notre rôle. Les agessa, c'est
un peu binaire, ils connaissent soit les diffuseurs, soit les auteurs. Le
diffuseur est celui qui achète les droits et qui le diffuse. L'auteur,
apporte ces droits. Nous sommes entre les
deux. On joue ce rôle d'intermédiaire. On a donc
rencontré les Agessa et on a validé le fait que l'on était
ni un diffuseur, ni un auteur bien évidement. Ce n'est donc pas à
Eyeka de s'acquitter du précompte, ni du paiement des charges
sociales. Cela reste à la charge du client en tant qu'acquéreur
des droits. On ne peut donc, en tant qu'intermédiaire, qu'informer nos
parties.
DH : Bon, c'est un système qui reste toutefois assez
obscur, même les graphistes grognent contre la MDA, et en ce moment ils
font d'ailleurs pression pour une simplification des démarches. On sait
à quel point c'est compliqué aussi bien pour atteindre le statut
(comme pour les intermittents) que pour
127
informer le client de ses obligations. C'est donc un minimum
de service après vente d'aiguiller les créatifs amateurs
à faire leurs premiers pas vers ces organismes...
En dessous de 15000€, on a souvent une mise en
concurrence qui est proposé en guise de concours dans la
profession. En quoi ce type de pratique est-il différent de vos concours
?
À quel moment peut-on trouver cette rupture entre les
appels d'offres ou les mise en concurrence et vos concours ? Qui au final ont
la même finalité, même si chez vous il s'agit plus de
concept d'idées.
ÉF : La principale différence vient de la
dimension d'ouverture. On est dans une logique totale d'ouverture, ce qui fait
que les personnes qui vont contribuer ne sont pas des professionnels. On
pourrait aussi le faire : il n'y aurait pas de grande différence dans le
processus. « Pour tel appel à projet j'ai besoin d'un niveau de
qualité important, je vais travailler avec des clients dont l'attente en
terme de qualité est forte, donc je ne fais appel qu'à des
professionnels.»
amateurs...
DH : Vous savez qui sont vos créateurs, ceux qui sont
vraiment pro, ceux qui ne se considèrent qu'
ÉF : Si c'est bien rempli oui... La principale
différence est donc là : à partir du moment où l'on
part dans une totale ouverture d'accès à des consommateurs. En
terme de gestion des données, recueil du consentement, mise en place de
l'information : c'est un peu plus contraignant.
DH : Vous pourriez en effet ouvrir vos concours avec une
sélection sur book, comme cela se fait chez les
professionnels.
ÉF : Oui. Pardon mais quand vous dites appels d'offres,
mise en concurrence, c'est quoi en fait ?
DH : Des collègues graphistes m'ont parlé de
ça, je ne connaissais pas la différence, mais il y a une notion
de prix, je ne sais pas s'il s'agit d'un terme officiel. On m'a donné
l'exemple de 15 graphistes, ce qui sous-entend que le risque de travailler pour
rien est grand et que le client ne sait peut-être pas vraiment ce qu'il
veut. Parfois les idées sont bonnes mais le devis est trop
élevé... Sur les appels d'offres classiques souvent on demande
d'abord des références, puis une sélection se fait sur
devis et seulement à la fin une maquette peut être demandée
pour un concept. Mais il y a aussi des règles plus strictes qui
encadrent ces appels d'offres, et souvent les limites sont franchies.
J'aurai pour continuer des questions plus
générales, comme pour Yannig, sur votre positionnement lorsque
l'on vous qualifie, cette fois au niveau juridique, de générer du
travail gratuit ou d'être accusé de faire du
perverted crowdsourcing, Tout est certainement dans le discours, dans
une communication astucieuse et une très bonne connaissance du cadre
juridique. Comment réagissez-vous dans ces situations ?
ÉF : Ce n'est pas une critique que nous avons
régulièrement, on sait que ça fait parti de
l'écosystème, on en est conscient, c'est quelque chose qu'on lit,
qu'on prend en considération. Après, la réponse est
également contractuelle et juridique en effet. À partir du moment
où on fait appel à des consommateurs, on fait appel à des
auteurs, il y a aussi un ensemble de dispositions qui protègent les
gens. Il y a un soucis de clarté de l'information, de lisibilité
des contrats : un contrat d'auteur doit répondre à un certain
nombre de dispositions pour qu'il soit valide. On a vraiment conscience de
ça. On ne peut bien sûr pas empêcher certaines personnes de
ne pas être contentes. On parlait aussi de la
128
différence entre les gagnants et non-gagnants,
focalisé sur des contributeurs pour lesquels il y a une
rémunération: cela fait parti des choses que l'on défend
aussi et parfois même vis à vis des clients. Les clients
pourraient très bien dire : « je veux tout, je donne 50€
et voilà... » Vouloir organiser un cadre que l'on estime
être juste pour les contributeurs, une justice (équilibre) entre
les gagnants et les non-gagnants, ça fait parti du coeur de notre
activité. On est très attaché à organiser les
choses de manière équilibrée vis à vis des
contributeurs.
En ce qui concerne le travail spéculatif, c'est vrai
que pour beaucoup d'appels à création on est sur une logique
d'idée, d'innovation assez ouverte, ce qui fait que le ticket
d'entrée, en terme d'exigence créative ou professionnelle ou
technique n'est pas toujours très élevé. Néanmoins,
il peut y avoir quelque chose de pertinent derrière ces idées.
Mais les contributions brutes ne sont pas utilisables (dans la plupart des
cas). D'où l'intérêt pour nous d'avoir internalisé
une logique d'analyse des contenus. Donc le travail sera perdu par le
contributeur au moment de la participation. On le met aussi au regard de
ça : on ne demande pas aux personnes de venir avec des contributions
parfaites, qui peuvent être utilisées dès le lendemain par
le client. Il y a souvent un effort nécessaire qui va être fait
par le client pour affiner ces contributions. Cela serait peut-être
différent si l'on était dans une logique d'apporter des
contributions parfaites qui demande du temps, du travail en conséquence,
une expertise acquise avec l'expérience...
DH : Comme ce que recherchent d'autres plates-formes ÉF :
C'est ça.
DH : Voilà une chose qui vous est reprochée :
« vous avez peut-être parmi vos créations des choses qui
ont déjà été produites sur le net ». On
sait qu'il n'y pas trop de plagiat au sein des concours puisque vous ne
diffusez pas les uploads avant la clôture des soumissions mais comment
parvenez-vous à garantir l'authenticité des créations ?
ÉF : En terme de positionnement, lié au fait que
l'on a un intermédiaire, nous ne sommes pas une agence, on ne vend pas
des contenus. Notre métier n'est pas d'acheter des contenus, ou
d'organiser la production de contenus pour les vendre. On est vraiment dans une
logique d'intermédiation. Les contrats par exemple sont faits
directement entre les auteurs et les clients, les droits sont
cédés entre eux, nous ne participons pas à cette
étape de transferts des droits. La conséquence c'est que les
auteurs sont les garants de l'exploitation des idées. Ils garantissent
qu'ils n'ont pas inséré d'éléments contrefaisants
et que la diffusion de la contribution ou l'utilisation de la contribution par
le client ne sera pas source de litige et de violation des droits d'auteurs.
Par contre on a quand même accès aux contributions avant de les
soumettre au client, et on organise une modération: un contrôle
pour retirer le manifestement illicite qui inclut le manifestement
contrefaisant, les choses pour lesquelles on sait que les contributeurs
n'ont pas les droits. Ensuite on organise aussi un recueil d'informations de la
part des contributeurs pour qu'au moment de l'upload ils fournissent
une information précise sur le contexte de création : est-ce
qu'ils se présentent comme les propriétaires de tout, est-ce
qu'il ont inclus des éléments extérieurs, est-ce qu'ils
ont les droits ou non dessus. Ensuite l'idée c'est de permettre au
client de lui donner une bonne information sur le contexte de création
et lui fournir si nécessaire, en plus du contrat de cession, des
éléments de preuve du recueil de consentement des personnes dont
l'image est utilisée ou une licence pour une musique... C'est ce qui
compte pour le client est d'avoir une bonne information. Lorsqu'il voit un
visuel, il dit : « ok ça je sais que je dois le remplacer,
ça je peux le
129
garder ». Ce qu'il a recherché, c'est
plutôt toute la démarche créative qui peut être
illustrée avec un élément externe.
DH : C'est une raison pour laquelle les contenus
ne sont pas visibles ?
ÉF : Si une vidéo avec une bande
son se retrouve en ligne, sans que les droits sonores aient été
payés, contrairement à You Tube qui est un
hébergeur, nous on est plus que ça : on est responsable de tout
ce qui est affiché sur notre site.
Remerciements. Fin de l'entretien.
130
Baptiste Fluzin (entretien n°3)
Directeur de création de l'agence SPINTANK, le 8 avril
2015 au Tank (Paris)
Les présentations se font autour d'une bière
bio et un petit tour de l'agence Spintank qui héberge
également des créatifs sous la forme de co-working au sein du
Tank. C'est une forme très intéressante de ce que peut
être la pratique du design graphique : à la fois solitaire et
collective. Avec 35 personnes travaillant pour l'agence et de nombreux espaces
pour accueillir à plus ou moins long terme des créatifs de tous
horizons, cherchant à la fois un cadre épanouissant et stimulant.
Il s'agit là bien plus qu'un simple espace-bureau : mais bien
un lieu d'échange permettant également de recevoir les clients.
En arrivant dans cette petite ruche où chacun butine à
sa façon, en groupe, assis dans un canapé, sur une chaise au
bar... tous les ingrédients semblent là pour stimuler la
créativité et encourager le graphiste dans son travail.
Damien Henry : Tu as participé aux
discussions autour du CS qui ont eu lieu au ministère de
l'économie en présence d'Axelle Lemaire293, quels ont
été les principaux points abordés lors de ces
échanges ?
Baptiste Fluzin : Au-delà de la
bourde en terme de communication de la part d'Axelle Lemaire (qu'elle
a reconnu en OFF elle-même) nous avons évoqué la
raison de la grogne, ce sur quoi elle reposait : un travail de rapport
a été fait par la communauté, qui a été
crowdsourcé et remis à la secrétaire
d'État ce soir là.
Ce qui m'a marqué vraiment dans la discussion, c'est
l'aspect économique et la position d'Axelle Lemaire -
déléguée à l'économie numérique.
On pense numérique et on pense peu à
économie. Elle avait un regard vraiment centré sur
l'économie : insertion professionnelle, création d'emploi, exode
des talents à l'étranger... Elle a mis l'emphase là-dessus
dans son discours : « quand je rencontre des jeunes à Londres,
ils me disent qu'en France c'est compliqué pour s'insérer, etc.
». Elle était vraiment sur cette thématique de l'emploi
qui est également celle du gouvernement de manière plus large.
Toute la difficulté était donc de lui faire comprendre que les
personnes qu'elle avait en face n'étaient pas des « affreux
coco » contre le salaria, la concurrence ou ce genre de choses...
mais au contraire, quand on est free-lance, la concurrence : on vit
avec, on l'embrasse parce qu'elle est stimulante. Lorsque l'on voit un voisin
qui fait un truc mieux que nous, on a envie de faire encore mieux. Mais que
dans cette situation, il s'agit vraiment de travail dissimulé - de notre
point de vue - et donc des questions légales se posaient.
Les experts de la commission légale de Bercy
étaient là, et nous espérions un éclairage
concernant la possibilité d'une concurrence déloyale ou d'un
travail dissimulé. Comment qualifier cet acte de faire travailler un
très grand nombre de personnes en n'en rémunérant qu'un
petit nombre ?
À plusieurs reprises, un des intervenants, un peu
virulent, a posé la question à Axelle Lemaire : «
J'aimerai sortir de cette réunion en ayant une réponse de votre
part à la question : Est-ce que demain, j'ai le
293 Des échanges à la suite de l'affaire
«creads» ont été programmé avec La
secrétaire d'État chargée du numérique le 21
juillet puis le 26 novembre avec les conseillers juridiques.
131
droit ou pas de faire travailler des gens gratuitement
pour mon compte ? En tant que jeune chef d'entreprise, si vous me dites oui,
cela change beaucoup de choses. »
Et c'est là que se situait le malaise. La
réponse des experts légaux était de dire : « Pour
le moment il n'y a pas de jurisprudence. »
Évidemment, les boîtes qui se montent sur ce
modèle sont très prudentes aux termes qu'elles emploient dans les
contrats, qui sont très rapidement corrigés au moindre doute pour
ne pas se faire tomber dessus. En l'état, un responsable
politique ne peut pas dire de manière publique que ce n'est pas
légal puisqu'il n'y a pas de précédent.
C'est donc sur ce point que portait l'essentiel de la
discussion. Il faut savoir qu'il y avait aussi l'AFD294 ce jour
là, et il y a des petites tensions entre l'approche de cet organisme et
celle des personnes, dont je fais parti, et qui venaient plutôt de
Twitter et qui n'appartiennent pas à une véritable
structure. Nous étions juste des professionnels. L'aspect
représentatif a joué dans le débat qui était
globalement très intéressant avec une discussion franche et
riche.
Côté Axelle Lemaire, c'est donc vraiment la
dimension économique qui revenait. Certes l'aspect juridique a
été soulevé - par son directeur de cabinet et les experts
- mais pour la secrétaire d'état, ce qui comptait, c'était
de savoir si en interdisant ce type de plate-forme en France, on allait voir ou
non une migration des utilisateurs vers les sites étrangers. Il y avait
cette crainte sous-jacente pendant toute la discussion.
DH : Ces plates-formes sont autorisées
à l'étranger ?
BF : Oui ça reste autorisé, et
internet est sans frontière. Ces plates-formes se développent
partout et sont également critiquées à l'étranger.
En anglais on parle de spec-work (Speculative work) qui est un terme
encore plus employé que celui de perverted crowdsourcing, et
ça Axelle Lemaire ne le savait pas. Ayant vécu longtemps en
Angleterre, elle voit surtout le côté toujours positif et
enthousiaste de « ça me permet de remplir mon portfolio
»... mais on lui a expliqué qu'à l'étranger
aussi, chaque plate-forme de spec-work est décriée par
la communauté de créatifs locale.
C'est un mode de travail qui se développe
à l'international et qui est aussi critiqué à
l'international. Ce
n'
|
est pas nous franco-français-râleurs qui
sommes les seuls à nous élever contre ce type de pratique.
|
DH : En dehors des aspects juridiques qui
visent à encadrer la pratique du CS et à minima en définir
les règles et limites, de quelle manière a été
abordée la légitimité du designer, la qualité du
travail ?
BF : On en a bien évidement
parlé, un des intervenants présent : Jean-Louis
Fréchin295 portait ce discours justement : « C'est
par la qualité que l'on arrivera à combattre ces plates-formes.
» En définitive, elles attirent vers elles des gens qui ont
peu d'expérience (a priori ou en tout cas) et qui trouvent un
294 L'Alliance Française des Designers dont est
président François Capsar.
295 Pionnier du design numérique en France, il dirige
l'agence multi-primée Nodesign et enseigne notamment à
l'Ensci.
132
intérêt ou qui ont besoin de ces plates-formes
pour travailler ou gagner un peu d'argent. Alors que, lorsque l'on fait un
travail de qualité, la logique veut que l'on se fasse repérer et
solliciter par des clients sérieux qui mettent de l'argent
derrière... on roule sa bosse, on se fait de l'expérience, et un
jour on finit par refuser du boulot parce qu'on en a trop.
Donc ça c'était la position de JL
Fréchin, avec laquelle on était pas tout à fait d'accord :
si en effet il faut porter un discours de qualité, je ne suis pas
d'accord pour le laisser-faire. On peut faire les deux en même
temps : taper sur les plateformes de CS et les encadrer, tout en cherchant
à promouvoir un design de qualité français.
Il y eu donc cette inquiétude qui a été
verbalisée envers A. Lemaire :
« Habituer les clients potentiels à avoir
autant pour si peu cher, in fine en effet, c'est donner l'impression que l'on
exerce un travail-passion - plus passion que travail d'ailleurs - qui du coup,
n'a pas vraiment de valeur. Ce qui est vraiment problématique...
»
DH : On touche à l'identité
même du designer ?
BF : Oui l'identité mais aussi celui
d'un secteur d'activité en France. La France n'a pas forcément -
ou moins aujourd'hui qu'à une époque - une culture visuelle hyper
forte comparée à d'autres pays. Et c'est justement un point sur
lequel il faut se battre. L'AFD bataille pas mal en ce sens.
Nous avons aussi abordé la question de la commande
publique. Mais surtout en fil rouge dans les discussions, il y a avait la
notion de la valeur du travail. Il est important que cette valeur soit
reconnue, que les personnes qui font du bon design soient
valorisés afin d'obtenir de la visibilité à
l'étranger, ça éduque les personnes exposées
à des choses jolies. J'y pense, parce que l'on bosse dessus en ce
moment, mais quand on voit les affiches de la fête de la musique
des années précédentes : c'est un désastre !
C'est triste qu'un truc aussi populaire et vu pas autant de monde soit aussi
moche ! Alors - bonheur ! - cette année, l'affiche est faite par un
studio parisien, composé de graphistes de métier, qui s'appelle
Building Paris (
http://www.buildingparis.fr/).
Mais c'est un combat permanent finalement. Un effort continu d'éducation
et beaucoup de pédagogie à faire.
Tout graphiste indépendant ou en agence dira que
quasiment la moitié du succès final de ce qui est produit, c'est
de la pédagogie face au client : lui expliquer pourquoi on part sur
telle typo, pourquoi telle structure, pourquoi ne pas avoir peur du blanc,
pourquoi limiter le contenu... et ça c'est une chose que le
graphiste doit apprendre à faire.
Il faut être dans une relation avec le client pour faire
cette pédagogie. Si un intermédiaire se met au milieu et que l'on
fait croire que la production graphique n'est que de l'exécution et
qu'il suffit de poster sa demande dans la machine et que - PLOUP !!
-, une semaine après on a 50 propositions... on ampute le travail
du créatif de 50% de ce qui fait son intérêt.
DH : Ce qui est reproché à ces
plateformes, est donc un manque de pratique discursive ou de médiation
entre le créatif et le client permettant d'affiner le
brief...
BF : Faire évoluer le brief
en effet et s'imprégner de qui est le client. Certaines
plates-formes comme Creads disent : « les participants
posaient des questions et le client peut y répondre... ». Mais
il y quand
133
même une différence entre un simili-forum
où on demande au client, en public - et donc à la vue de tous -
si on peut faire ou non certaines choses ; et la démarche d'aller voir
le client chez lui, dans son espace de travail, et écouter la personne
parler de son métier. Les clients sont souvent passionnés. J'aime
beaucoup les rencontrer, voir à quoi ils ressemblent, ils me disent :
« Tiens, ce que je vous raconte ça me fait penser à
telle plaquette...[ils la sortent] ça a 3 ans mais on aimait bien
ça... »
On effectue du coup un petit travail de collecte visuelle et
d'ambiance quand on est face au client qui est hyper salutaire. J'ai vraiment
du mal à bosser sans source, sans contrainte et sans information de la
part du client. J'ai de l'expérience donc je vais faire un truc joli
mais ça sera un truc joli générique. Le
graphiste qui est passionné par son métier n'aime pas faire des
trucs génériques : il aime faire du sur-mesure. Il
aime se dire : « Ce logo ou cette maquette que j'ai produite,
elle ne sied bien qu'à ce client là. Même pour un
concurrent qui est sur le même secteur, je n'aurais pas fait la
même chose, parce que chacun a son histoire, son message et sa
personnalité. »
DH : On parle d'uniformisation des visuels,
ou du paysage graphique. Produire du bon design semble vraiment
préoccuper les graphistes tout comme la volonté d'être au
plus proche de la bonne réponse. Il existe de nombreux modèles de
CS, nous parlions de Creads à l'instant mais par exemple chez
Eyeka, le principe est de sourcer des idées puis de
les réintégrer au circuit classique de la commande. Les clients
transmettent aux agences et à leurs designers le travail effectué
en amont sur les plates-formes. Souvent la sélection est faite par des
free-lances ou les DC296 des ces agences...il s'agit de cas de
l'antichambre de la commande, un benchmark...
Si l'on met de côté la question du statut, existe
t-il justement une forme de CS avec une approche plus qualitative, un
modèle plus respectueux processus du design ?
BF : Creads sont en train de muter
justement face à la grogne et aux demandes clients. Ils font signer un
ticket d'entrée pour avoir les X propositions, puis
derrière tentent de pérenniser la relation client en disant :
« Il vous faut des déclinaisons sur différents supports,
et ça on le fait directement via notre agence-Creads. »
On peut discuter du modèle longtemps mais il y a 2
choses qui me semblent fondamentales pour faire de la qualité : la
dimension d'échange et sans limite avec le client et l'idée de
dire que si je suis sur une plate-forme ou je travaille sans avoir la certitude
d'être rémunéré, et que je compte en vivre, je suis
obligé d'augmenter mon volume de production, car seul un faible
pourcentage de mon travail sera peut-être retenu, et c'est cet aspect qui
génère de l'uniformité.
Pour les plates-formes, à partir du moment où il
s'agit de CS et dès lors des gens participent sans être
rémunéré - qu'elle le veulent ou non - les participants
eux-mêmes vont recycler ce qu'ils ont envoyé : « Y'a deux
mois j'avais proposé un truc pour une agence de voyage, mais là
c'est une chaîne aérienne low-cost, c'est à peu près
la même thématique, je recase le même boulot...
»
Ça c'est dans le meilleur des cas... dans le pire ils vont
aller voler des boulots.
296 Directeur de création : la personne en charge des
choix artistiques dans une agence. Parfois assimilé au directeur
artistique mais souvent avec un rôle plus important au niveau
managérial.
134
Il y a aussi ce vrai risque pour le client que l'on a
essayé de faire comprendre à Axelle Lemaire. Ces plates-formes ne
fournissent aucune garantie d'authenticité et de recherche
d'antériorité à leurs clients. Ils ne peuvent leur assurer
qu'il ne s'agit pas d'un travail pompé. Quand on passe par une
agence, c'est elle qui est responsable si elle n'a pas effectué les
recherches ou si elle revend du picto. En théorie, elle fait du
sur-mesure... ou alors au moins l'entente est claire avec le client. Nous on a
des demandes d'infographies sur des délais hyper short, on
précise bien évidement au client que l'on va taper dans
des banques picto, parce que sinon c'est impossible - Dessiner un picto demande
beaucoup plus de temps que ce que l'on croit - C'est posé clairement.
Là, ce concept de : « Pour X€, vous avez N logos »,
ils ne vérifient absolument pas d'où viennent les
logos...
DH : Sur l'histoire du plagiat, on m'a dit chez Eyeka
qu'ils font signer des clauses d'engagement aux créatifs et
préviennent les clients du risque de pompage.
BF : Ils se blindent eux en fait...
DH : Oui mais quand le client n'utilise pas directement le
travail...
BF : On pose la question d'utilisation du travail, qui a
été produit...il suffit de transposer ce truc du CS à
n'importe quelle autre profession pour se rendre compte de
l'absurdité.
DH : L'exemple des restaurants...
BF : Je vais voir un boulanger, et je lui demande un
gâteau d'anniversaire personnalisé, et si ça ne me
plaît pas, je ne l'utilise pas. Vous pourrez le vendre à quelqu'un
d'autre seulement il y aura écrit « joyeux 30 ans Baptiste
»... Il va avoir du mal à le revendre à une autre
personne. Ou alors il fait un travail impersonnel, en essayant de le refiler
à quelqu'un d'autre dans le moment où il l'a produit. Mais le
travail existe et a été produit. Ce qui est encore plus
vicelard. C'est la question que l'on posait et une des obligations que
l'on souhaite : que ces boîtes aient l'obligation de s'assurer que tous
les gens qui participent, par nécessairement qui gagnent, aient un
statut. Le fait que dans l'offre de valeur qu'elle apporte à leurs
clients, ce n'est pas uniquement ce qui est retenu à la fin, c'est le
choix de voir comment ils sont perçus par X dizaines ou centaines de
personnes. Ce qu'achètent les clients c'est cette valeur liée
à la masse, sauf que dans la quantité, ils ne s'assurent
absolument pas du statut des participants, sont-ils déclarés ou
non ?
Ils les font travailler, mais ce n'est pas vraiment du travail
parce qu'ils ne sont pas rémunérés et lorsqu'ils le font,
ils demandent « au fait t'as bien un statut ? », la personne
répond « non » et j'imagine qu'ils s'organisent
rapidement...mais le travail a déjà été produit.
On a des communautés de milliers de personnes qui
bossent, les plates-formes ne se préoccupent pas de savoir si elles ont
un statut avant qu'elles ne gagnent. Mais en attendant, c'est ce que payent les
clients : cette offre de foisonnement.
DH : Souvent les plates-formes disent qu'elles
rémunèrent la cession de droits d'exploitation...
BF : Parce que c'est bien pratique pour eux, c'est ce que eux
rémunèrent mais ce n'est pas ce vraiment ce qu'achètent
leurs clients.
135
DH : Lorsque l'on est professionnel, on sait que passer par
des organismes tels que l'Agessa ou la MDA relève parfois du parcours du
combattant. On peut imaginer qu'un amateur soit vite dérouté en
découvrant ces démarches (précompte, 1% diffuseur, etc..)
on peut se demander s'il jouera le jeu...
BF : Ça dans la pratique, je ne sais même pas
comment ils font. Quelqu'un qui gagne un concours, mais qui n'a pas de
statut... Qu'est-ce qu'ils font ? Ils payent au black ? Ils délaient le
paiement ? Ils ne paient pas et c'est tout bénéf pour
eux ? Ils disent à la personne « Il faut mieux lire les
conditions d'utilisation... » ? Je ne sais pas.
n'
DH : Ce matin, Eyeka me disait qu'ils essayaient d'accompagner
les créatifs et échangent régulièrement avec la MDA
et l'Agessa, et en effet la plupart des amateurs sont sensibilisés. Mais
ont pas forcément les moyens de vérifier si les démarches
sont effectuées ensuite. C'est un peu un
entre-deux assez flou. Proposer un droit
d'entrée "pas de statut / pas de concours" serait-il une solution ?
n'
BF : Eh oui ! Mais s'ils font ça, ils se tirent une
balle dans le pied... Ils sont obligés d'avoir des pros pour cette
démarche qui sont plus à même de se rendre qu'ils se font
un peu pigeonner, du coup, ils ont plus du tout cette masse qu'ils
mettent tous en avant : « 300 000 créatifs » par ci,
« tant de
propositions » par là... quand tu
regardes la homepage et que tu t'amuses à faire ressortir les
chiffres, c'est vraiment l'argument de vente n°1. Si tu les obliges
à s'assurer du statut de chacun des participants, ces chiffres
fondraient comme neige au soleil !
DH : Ces chiffres sont là pour attirer les clients mais
aussi pour renforcer cet esprit de communauté omniprésent dans le
discours. C'est aussi un moyen d'attirer les créatifs par un sentiment
d'appartenance à cette communauté, qui paradoxalement regroupe
des personnes en situation de concurrence !
BF : Pour moi c'est une usurpation du terme ! J'ai
commencé à bosser il y a 10 ans, et à faire du design en
autodidacte il y a plus ou moins 15 ans... J'étais au collège,
j'y connaissais rien, et j'allais sur des communautés, sur des forums
où les gens m'aidaient mais n'avaient aucun intérêt
à le faire. Ils le faisaient par amusement, on se donnaient des avis sur
nos créas et puis ensuite, lorsque toi-même tu avais
appris des choses, tu aidais les plus jeunes qui débutaient... ça
c'était une communauté !
Là ce n'est pas une communauté ! C'est du
poulailler ! De l'élevage en batterie ! Alors bien sûr tu as des
gens qui se lâchent des commentaires du style « Ha franchement
bravo pour ton logo, il a gagné il est vraiment très chouette !
» mais c'est pas une communauté ça, c'est plus «
j'aurai aimé gagné »...
DH : Même les plates-formes admettent que le terme est
galvaudé, et que le fameux mur avec tous les profils de
créatifs, utilise les codes communautaires sans forcément en
avoir toute la dimension. Il
s'
|
agit d'un terme marketing, et il est d'ailleurs aujourd'hui
difficile de définir une communauté...
|
BF : Elle n'est pas captive cette communauté...
DH : Si l'on prend l'exemple de Wikipédia, on
est dans du CS, et la communauté est bien présente, tout cela
indique que la frontière est assez floue et le terme largement
utilisé.
136
BF : Cette communauté ne bénéficie qu'au
gérant de celle-ci.
DH : Ils n'aiment pas parler de foule mais c'est bien de
ça qu'il s'agit. BF : Si on traduit littéralement oui...
DH : Le terme gagnant-gagnant est souvent
également utilisé, on a vu que qu'elle que soit la situation,
soit la plate-forme se tire une balle dans le pied, soit les
créatifs travaillent à blanc... Il sera certainement difficile de
trouver un modèle qui réponde à ce terme. Il existe
probablement un modèle équitable ?
BF : ...
DH : Si l'on se place au niveau d'une marque qui souhaite
faire appel aux services d'une plate-forme. L'intérêt marketing
est évident, il permet à celles-ci de sourcer les
consommateurs de la marque plus que d'avoir réellement des propositions
finies. Qu'est-ce que ça implique en terme d'image ? Est-ce nuisible ou
sans incidence ? Des boulots sont-ils plus adaptés que d'autres dans une
pratique de CS ?
BF : Il y a plusieurs choses, il y a en effet
des marques qui passent par ces plates-formes en considérant ça
comme une des cordes à leur arc de communication : quand je suis
Citroën, mon budget de communication à l'année est
colossal. Donc un petit concours à 10k€ : c'est peanuts !
Elles ne considèrent pas ça nécessairement comme une
démarche qui va leur donner des idées mais plutôt comme un
moyen de faire connaître à 50 gugusses le fait qu'ils
sortent leur nouvelle C3. Et 10k€ pour ça, ça vaut presque
le coup pour eux finalement, c'est une opération marketing.
Après, je pense que ça peut être nuisible
à plusieurs aspects, d'une part la grogne ne concerne pas uniquement les
plates-formes de CS, il y a aussi des marques qui ont voulu organiser des
concours en leur noms en disant "faites notre affiche et le gagnant aura
500€" et se font tomber dessus par la communauté des graphistes
comme les pour les plates-formes.
DH : Tu penses à la fête de l'huma
récemment ?
BF : En fait il y en a tellement, que je ne pourrai même
pas te citer le dernier exemple...
Mais c'est vraiment le cas d'école, mainte et mainte
fois expliqué avec des billets de blogs, des discussions de forum
où l'on démontre par A+B en quoi c'est une mauvaise idée,
et il y a des marques qui se prennent encore les pieds dans le tapis toutes
seules comme des grandes... Donc il faut bien rétablir
l'idée qu'il ne s'agit pas d'un phénomène propre aux
plates-formes de CS. C'est cette idée que tu peux solliciter ta
communauté pour te faire un truc gratos, en n'en
rémunérant qu'une micro-partie.
C'est aussi nuisible pour l'image de marque parce qu'il y a
une espèce de contrat tacite passé entre la marque et la
communauté (encore plus vrai quand la marque passe en direct mais
également valable lorsque celle-ci passe par une plate-forme). On met
tous le monde en concurrence et ne retient qu'une ou deux personnes. Ces
personnes retenues, on va utiliser leur travail. Chez les jeunes graphistes, il
y a un peu cette dimension fame : « J'ai envie que mon
travail soit vu, si je participe au concours Citroën et que je gagne les
1000€ c'est bien, mais si je me dit que toutes les Citroën de France
auront le pelliculage avec mon motif proposé en concession... ça
me satisfait presque encore plus. »
Le problème c'est que souvent, les marques se
retrouvent avec des productions au niveau insuffisant pour être
édité, et il n'y a finalement aucune sélection... Il y a
donc des marques qui bottent en touche, qui disent aux participants :
« merci à tous, cela va être retravaillé par nos
équipes internes » et au final le produit mis sur la
marché est loin de ressembler à l'illustration faite lors du
concours ; ou alors ils font bosser en direct des vrais artistes parce que les
propositions qu'ils ont eu au départ étaient juste trop pourries
!
Sauf avoir un vrai coup de chance, et tomber sur un mec ou
nana vraiment talentueux qui produisent une réponse de qualité et
pour qui tu te demandes ce qu'ils font là... Là t'as
soulevé le bon caillou et il y avait quelque chose dessous.
Pour la marque c'est pas du win-win : c'est du
loose-loose ! Elle prend le risque de se faire tomber dessus par la
communauté, et même si cela n'arrive pas, elle prend aussi le
risque d'avoir à choisir parmi des propositions qui ne l'enchante
pas...
Quand tu passes par un graphiste en direct, un free-lance ou
une agence, si tu trouves que c'est pas top : tu le dis !
« Là je suis pas super à l'aise »,
« ok on se revoie et on en discute, qu'est-ce qui ne vous plaît pas
? Est-ce que vous pouvez me montrer des choses que vous aimez bien ?...
»
Là on retrouve ce que disais : la relation,
l'échange. On rattrape le coup, on s'est mal compris alors on
retravaille, et au final on arrive à trouver ce que le client souhaite
avoir.
Dans une démarche de CS, comme on est quasiment
toujours sur du one-shot, autant se bander les yeux et désigner
une proposition au hasard !
DH : Maintenant, je vais aborder une pratique
qui existe depuis longtemps dans le monde du graphisme et qui concerne la
mise en concurrence, une forme d'appel d'offre qui est sous les
15k€ et donc qui n'est pas régie par autant de règles. Une
amie graphiste297 m'a parlé de l'exemple d'un
théâtre qui demande à une quinzaine de graphistes de leur
envoyer une proposition pour un logo, et en définitive elle me disait
avec ces termes que c'était du temps perdu pour tout le monde...
Connais-tu ce type de pratique, qui est un peu l'ancêtre du CS
et peux-tu me donner ton avis là-dessus ?
BF : Oui en effet, il y a la mise en
concurrence en dessous de 15k pour tout ce qui est dépense publique, au
dessus tu es obligé de passer par un marché public. À
Spintank on est confronté souvent par nos clients à ce
type de marché, je connais donc bien tout ça... et je sais
comment ils s'arrangent parfois, pour saucissonner des commandes en
plusieurs petites fragments de commandes afin qu'elles ne dépassent pas
les fameux 15K€.
c'
Alors pourquoi est-ce du temps perdu pour tout le monde ? 15
graphistes c'est trop en effet. Parce que est impossible quand tu es un
théâtre (ici on parle de ce type de structure) de trouver 15
styles qui
correspondent à ce que tu recherches. Ça veut
dire que tu ne sais pas ce que tu veux à ce niveau là. Il y a
forcément des personnes dans le lot qui vont travailler pour rien, de
manière certaine. Une des
137
297 Élodie Cavel : je vous invite à
découvrir son travail.
138
questions que l'on pose souvent lors d'un appel d'offre, ce
n'est pas de savoir qui est en face (ce que les clients disent rarement), mais
plutôt combien de personnes sont sollicitées. Dans notre agence,
on demande systématiquement le nombre de participants sur le coup. Il
nous arrive de refuser quand on nous dit : « On sollicite 8 agences,
on fait un premier round et on en garde plus que 4 et à la fin on n'en
garde plus que 2... ». Là désolé, c'est pas pour
nous.
Ces appels d'offres, qui a les reins pour y répondre ?
Uniquement les très grosses agences, qui possèdent des usines
de stagiaires et des personnes qui ne font que ça. S'ils perdent,
ce n'est pas grave, le temps-homme passé dessus ne
représente pas une grosse masse salariale. Plus l'agence est petite - et
pire encore pour les freelances - plus la réponse à un appel
d'offre représente du temps passé à l'échelle de la
structure. C'est parfois 100% du temps qui est joué.
C'est aussi pour ça que l'on expliquait à Axelle
Lemaire : en quoi l'appel d'offre n'est pas comparable. Si je suis une agence,
je prends parfois le risque de répondre à un appel d'offre, mais
en parallèle j'ai des contrats qui sont certains et je suis sûr de
payer mon loyer à la fin du mois et de me verser un salaire ! Quand la
norme, c'est uniquement de l'appel d'offre, c'est impossible. On ne peut vivre
de cette manière. Il y a un moment où on met la clé sous
la porte parce qu'il y a un mois où on perd tout.
Il y a de vraies dérives vis à vis des appels
d'offres. À une époque, mais c'est rare aujourd'hui, les
participations étaient dédommagées : tous les perdants
touchaient un petit cachet souvent bien inférieur au temps passé
mais qui montrait un certain sérieux du commanditaire. Lorsque l'on
dédommage tout le monde, on les choisit un peu mieux forcément et
on en prend moins. C'est une chose qui se faisait, mais maintenant il y a
carrément des agences qui ont communiqué pour dire : «
on arrête de faire des appels d'offres ». Il y a une agence
notamment (je crois qu'il s'agit de LEG, ils ont fait pas mal de
buzz), qui avait décrété qu'elle avait suffisamment de
travaux et de référence pour dire :
« Si notre travail et notre approche vous
intéresse, pas besoin de nous mettre en compétition, vous venez
nous demander et on sera heureux de travailler avec vous... »
Tant que ce n'est pas de l'argent public, une
société n'est pas obligée de passer par une mise en
concurrence, bien sûr, à partir d'un certain montant, cela peut
poser des soucis de trafic d'intérêt ou ce genre de truc mais dans
l'absolu c'est à ça que sert le portfolio.
Si je suis client et que je cherche un graphiste, en
théorie, son portfolio, sa vitrine, doit me donner suffisamment
d'informations pour me dire « lui il va me plaire ». En fait
petit à petit, cet aspect là a complètement disparu du
milieu de la commande graphique alors que pour toutes les autres professions
(on en parlait tout à l'heure), ça fonctionne comme ça
!
T'as plein de boulangeries, il y en a une où tu vois
qu'ils ont l'air de faire de la meilleure pâtisserie, tu rentres, tu ne
demandes pas à goûter... tu rentres parce que ce qu'ils montrent
te laisse penser que
c'
|
est ce que tu cherches. Tu leur fais confiance, et tu pars avec
eux.
|
Une des choses aussi lorsque tu es graphiste, tu
n'achète pas de pub. Ce n'est que la qualité de ton travail qui
te ramène des affaires. On ne dit peut-être pas assez mais il
m'arrive de l'expliquer à nos clients : « Nous aimons le
travail bien fait, mais c'est la seule manière que l'on a pour toucher
de nouveaux clients. »
139
On a pas de 4 par 3 [les panneaux d'affichage type JC
Decaux, ndlr], les grosses agences achètent peut-être des
encarts dans la presse spécialisée, mais pas les petites et
encore moins les free-lances298. Le portfolio et
l'engagement à faire du bon taff, c'est une évidence qui
est parfois oubliée.
Il y a des agences qui demandent aux gens de faire des tests
lors des candidatures. Je ne demande pas de faire des tests, par contre je
regarde le portfolio. Je me dit : lui c'est un bon graphiste, mais
il fait rien dans le style de ce que je recherche. On ne perd pas de
temps, je ne vais pas le faire travailler gratuitement même s'il fait du
bon boulot, il ne montre rien du style que je recherche parce que moi je suis
dans l'institutionnel, dans le culturel... et donc ça ne va pas le
faire... c'est sain finalement. En montrant ce que tu aimes faire, tu t'attires
des clients qui viennent chercher ton style, c'est vertueux.
DH : J'aime assez ta théorie du
portfolio... Comment le graphiste va pouvoir trouver sa place dans
cette économie numérique en perpétuel mouvement et vers
quelle forme sa pratique peut-elle évoluer ? (Question
reformulée, car un peu ambiguë lors de l'entretien)
BF : Je vois un peu l'angle de ta question,
le graphiste qui veut faire son métier encore dans 10 ou 20 ans est
obligé d'évoluer. C'est à dire que les outils techniques
qu'on utilise évoluent : photoshop que j'utilise aujourd'hui
n'a rien à voir avec le photoshop d'il y a 10 ans. Je faisais
du flash quand j'ai débuté, et plus du tout aujourd'hui. Un
graphiste, qui fait du digital de surcroît, s'il n'évolue pas,
dans 5 ans : il est mort. Après il y a évoluer et
accepter comme une fatalité l'endroit où va la barque
mais cette façon de dire : « Le CS est là et que
vous le vouliez ou non, c'est là pour durer, alors essayons d'imaginer
un vivre ensemble plutôt que de dire qu'il faut fermer toute les
plateformes... ». Bien sûr en étant à leur place,
je dirais la même chose...
Il y a 10 ans lorsque j'ai commencé, il y a avait
déjà des graphistes qui faisaient des designs de thèmes
pour les blogs (dotclear, wordpress...) qu'ils mettaient en ligne sur
des banques de thèmes pour se faire de l'argent. J'avais un
collègue qui avait développé sur flash un script pour
générer de la neige... Il a vendu sa neige à Hermes
et aux galeries Lafayette et il se faisait en moyenne 1000$/mois
en vendant son petit script qui faisait de la neige. La démarche venait
de lui - ce qui est très différent du CS - il n'y avait pas une
notion de commanditaire, qui dit « fais-moi ça pour mon produit
et avec un peu de chance tu sera payé ». Il y 'avait
l'idée de dire : « Je fais un truc bien qui m'intéresse
et si ça intéresse des gens, je leur vends sans
exclusivité - tu pourra avoir la même neige qu'Hermes - tu pourra
customiser la taille des flocons mais basta... »
Ça pour moi c'est du collaboratif vertueux,
qui stimule le graphiste à faire et tester des choses. Tu as un
site d'icônes très connu qui s'appelle nounproject
(
https://thenounproject.com/)
sur lequel tu peux trouver des icônes qui sont en domaine public et
d'autres en licence CC où il faut payer 1 à 2$ l'icône. En
tant que graphiste, rien ne m'oblige à envoyer des icônes à
nounproject et ce n'est pas parce que ce site propose des icônes
gratuites que l'on n'arrive pas à expliquer à certains clients
qu'il faudrait parfois payer des icônes parce que l'on va faire quelque
chose qui corresponde plus à leur style.
298 (NDLR : je me souviens d'un certains Denis
Truchi qui avait son encart dans étapes, pas
forcément géniale d'ailleurs, je me demande si cela avait un
impact sur son activité.
140
Dans la rhétorique c'est aussi une méthode de
ces plates-formes de dire « si vous n'aimez pas, personne ne vous
oblige à participer », oui sauf que pour toutes les raisons
que j'ai reprise auparavant, et l'emprunte durable que ça
génère dans les mentalités des clients, c'est laisser
penser que tu peux avoir du sur-mesure pour le prix d'une barquette
surgelée...
DH : Je vais finir, de manière anecdotique, je ne sais
pas si tu as vu récemment, l'apparition de ce site qui
génère ton logo via un algorithme (
http://www.tailorbrands.com),
on se retrouve alors dans la situation où l'on a même plus besoin
de graphiste... C'est l'étape suivante ?
BF : Oui j'ai vu passer - ça existait
déjà - un peu comme vistaprint. Le mec qui est avocat,
qui a besoin d'un logo (je trouve que c'est une bêtise parce que son logo
tout le monde s'en fout, il peut mettre juste son nom avec une typo
adaptée et sa carte sera suffisante) Il veut faire son logo
lui-même sur une plate-forme, il ne tue pas le graphiste, c'est un mec
qui n'aurait pas eu le budget pour faire appel à lui ou qui pense que
ça ne vaut pas le coup. Il se fait son logo : pas de soucis. C'est
vraiment différent de : « je fais bosser 50 graphistes gratos
en n'en rémunérant un seul ».
DH : Et il faut prouver que ce ne sont que des
graphistes sur les 50...
BF : Oui, la notion d'amateur est forcément
présente. Jusqu'où l'amateurisme existe avant de se
professionnaliser ? La discussion on l'a également eu avec Axelle
Lemaire, les amateurs n'ont jamais été une menace pour les
professionnels, sauf que tu fais bosser un amateur, tu as du boulot d'amateur.
Si tu t'en satisfais, soit. Mais quel est l'engagement du professionnel ?
L'amateur, fait un truc nul ou te plantes en cours de projet, quels sont les
recours ? À part aller faire le plantin devant sa porte et
aller essayer de t'expliquer avec lui tu ne peux pas faire grand chose. Le pro,
il a sa réputation à tenir ! Le bouche à oreille joue
beaucoup pour ou contre lui. Avec une communauté de graphistes qui est
tout de même relativement restreinte, et une cible de clients comme les
PME : le mec qui en plante une n'a plus qu'à changer de
région.
Tant que le choix est fait de manière
éclairée et qu'il n'y a pas des gens qui bossent gratuitement,
ça ne me pose aucun problème.
DH : Merci pour ton éclairage et ton point de vue
très intéressant. BF : Pas de quoi.
Note de l'auteur : la bière bio était
très bonne...
141
François Caspar (entretien n°4)
Designer et responsable de l'Alliance Française des
Designers (AFD), le 10 Avril 2015 par Skype
Spécialiste de l'affiche depuis 1989, François
Caspar est un designer basé à Paris. Il conçoit la
communication visuelle d'organismes européens et français,
d'entreprises et de théâtres. Ses affiches, ont été
récompensées et présentées dans plus de 140
expositions internationales et figurent dans des collections publiques et
privées, comme à Paris, Hambourg ou New-York. Ses travaux ont
également été publiés dans des magazines ou des
livres comme Art and design, Etapes, Experimenta, Idea, Pixel Creation,
Signes et New Masters of Poster Design de John Foster. Son enseignement
est présenté dans le livre Design School Confidential de
Steven Heller et Lita Talarico. Il est également membre de jurys de
compétitions internationales. L'objectif de François Casper est
d'unifier autour des meilleures pratiques. Cofondateur de l'Alliance
française des designers, il en est le président de 2003
à2005. L'AFD est devenue en quelques années la première
organisation professionnelle pluridisciplinaire de designers en France.
François Caspar est également en charge des relations
européennes et des questions juridiques, il donne à ce titre des
conférences sur les droits et les devoirs des designers. Il est
notamment l'auteur de Profession graphiste indépendant,
publié par le ministère de la Culture. Et a effectué
en 2014 la traduction française de l'ouvrage de Blair Enns Blair
Gagner sans idées gratuites. François Caspar est aussi
fondateur et chercheur de
Moneydesign.org qui édite le
guide de tarification du design
CalKulator.com. (Source :
http://www.francoiscaspar.fr/)
Damien Henry : Merci beaucoup pour votre
disponibilité. Ça risque d'être un peu formel et
scolaire,
c'
|
est le quatrième entretien, deux personnes chez
Eyeka, la plate-forme de CS, vous connaissez ?
|
François Caspar : Oui
DH : Je suis donc allé les voir, ils m'ont appris pas
mal de choses, j'aimerai bien revenir avec vous sur certains points. Sans
tomber dans le tout pour ou tout contre, je vais essayer de rester
dans une démarche de recherche en me détachant de mon statut de
graphiste, ce qui ne va pas être facile. Je souhaite plutôt trouver
des pistes qui permettraient de voir comment le CS peut s'intégrer
à l'économie du design, sa place au niveau de la qualité
et son positionnement vis à vis des professionnels du design. C'est
souvent difficile de trouver des points positifs lorsque l'on écoute le
discours des graphistes professionnels, le rapport à sens unique, la
législation sont souvent critiqués.
Je vais d'abord aborder l'épisode des débats
auxquels vous avez participé au ministère, j'ai rencontré
également Baptiste Fluzin qui m'en a déjà pas mal
parlé. Mais j'aurai tout de même aimé avoir votre point de
vue, car il semblerait que les opinions différaient selon les
participants.
FC : Je ne pense pas qu'elle soit tout à fait identique
: l'analyse est la même, on parle de CS perverti, parce qu'au
départ c'est une belle idée, qui repose sur ce que peut apporter
internet en terme de partage de compétences, dans un but qui peut
être humanitaire par exemple ou des associations qui sont en recherche de
moyens. Ce dont on parle : c'est des agences, qui utilisent le CS comme moyen.
Ça pose ici des problèmes parce le métier d'agent
artistique est un métier légiféré, afin de
protéger les auteurs. Les auteurs sont finalement des personnes qui,
parce qu'elles sont auteurs ne sont pas forcément businessman :
il s'agit d'une population plutôt fragile.
142
Le CS marche parce que ça attire
énormément de gens fragiles sur des compétences pourtant
nécessaires quand on est indépendant. Quand on est graphiste
salarié à mi-temps, ça peut apparaître comme une
source de revenus complémentaires, et quand on est indépendant et
est en difficulté pour trouver des missions ou des clients, ça
peut être une sirène intéressante pour trouver des clients.
Mais il y a un intermédiaire, ce n'est pas en soi un problème :
il y en a des bons, qui sont des agents exerçant bien leur travail, mais
là le soucis, c'est que ce sont des intermédiaires qui font un
travail incomplet, et qui tiennent à distance le système en se
récupérant sur le nombre. Ils sont de toute façon
rémunérés. Le graphiste, lui n'est
rémunéré que s'il obtient la commande.
DH : L'idée du pitch comme vous le développez dans
le livre de Enns ?
FC : Il y a deux choses importantes qui découlent de
ça :
Un aspect déontologique vu sous l'angle du
professionnel et puis un aspect purement d'efficacité commerciale :
ça ne fonctionne pas. Le fait de faire un grand nombre de projets et
d'en perdre une majorité pour finalement en gagner peu n'est pas
rentable. Donc cette technique ne sert à rien et
déontologiquement on produit du dumping, on produit une idée qui
ne vaut pas grand chose en comparaison avec l'expertise de départ.
Ça va à l'encontre de tout ce que l'on
préconise, c'est à dire, dans une relation entre un designer et
un client, c'est le dialogue. Le système du CS ne produit pas de
dialogue.
DH : C'est un peu la notion d'un brief qui reste figé,
qui ne peu évoluer dans le temps, comme ça se voit dans une
relation classique. La demande évolue parce que on voit le diagnostic
initial se préciser. En général le client arrive avec un
premier brief qui est le sien, un second brief est formulé et ensuite,
à mesure que le projet avance.
FC : C'est tout à fait ça, on est
forcément dans une situation d'autodiagnostic de la part du
client et pour le designer dans une situation de ne faire qu'une partie de son
travail : la partie émergée de l'iceberg. Ce que l'on
voit au premier abord, l'aspect visuel. Cela peut être réussi : on
a des choses qui sont visuellement réussies, mais il n'est pas possible
de traiter l'ensemble des signes, par exemple pour un logo, l'ensemble des
déclinaisons, la manière dont il va vivre sur tel ou tel support,
comment il va être véhiculé. Une identité visuelle,
ce n'est pas juste une carte de visite ou un en-tête de lettre ! Ce n'est
pas uniquement un logo : c'est tout un ensemble.
La prestation est donc forcément incomplète de
la part du designer, on pourrait considérer que c'est frustrant pour le
designer mais c'est surtout une piètre affaire pour le client qui
n'en a pas pour son argent mais qui achète une faible somme
uniquement une partie d'un travail, il n'aura pas une prestation
complète. Il n'aura pas un service qui sera complet. Il sera
auto-satisfait par l'autodiagnostic, parfois c'est pire. On
ne peut mettre sur un pied d'égalité toutes les
problématiques de design. Une identité visuelle, d'une petite
structure ou d'un commerçant n'a pas les mêmes enjeux que
l'identité d'une société européenne ou du CAC40...
On peut considérer que ça va satisfaire un certain nombre de
clients qui recherchent avant tout un prix, mais les clients qui sont à
la recherche d'une qualité d'expertise, ne peuvent pas être
satisfaits par ce système là. C'est pour cette raison d'ailleurs
que quand on prend l'enseignement de Blair Enns, on comprend finalement, ce qui
est un peu provocateur, que le CS : ce n'est pas grave. Si on est en
capacité en tant que designer de comprendre ça et de mettre en
oeuvre un certain nombre de choses décrites par Blair Enns pour montrer
la qualité et la valeur de l'expertise, que l'on a des prix potentiels
on a fait une bonne partie du travail.
143
11:48 perte de signal
DH : On reprend. Vous disiez que l'on pouvait facilement se
passer du CS en utilisant la méthode de Blair Enns...
FC : Voilà. Il dit clairement que le CS ça
oriente un certain nombre de personnes vers ces sites, un certain nombre de
designer qui n'ont soit pas une bonne expertise, soit ne savent pas la
communiquer et un certain nombre de mauvais clients, et dans ce cas là :
tant mieux, parce que tous ces mauvais clients, pendant qu'il sont
occupés à travailler avec les plateformes, ça vous permet
d'aller chercher les bons. C'est le fameux :
sélectivité299.
DH : C'est un design à deux vitesses ?
FC : Oui mais il faut admettre que dans l'immense population
des designers, tous ne sont pas au même niveau. Mais ça se
retrouve dans toutes les professions. Il y a des bons boulangers et mauvais
boulangers... Le niveau de formation n'est pas le même, le niveau
d'expertise n'est pas non plus le même. Le CS, non pas qu'il s'agisse
d'un faux problème. Sous l'angle de la déontologie, c'est un vrai
problème. Sous l'angle de la stratégie commerciale : c'est un
faux problème.
DH : Certains accusent la plateforme de tuer le métier,
c'est nuancé on imagine plutôt un tri du métier
?
FC : Oui tout à fait.
DH : C'est à présent la notion des participants
que l'on va aborder, j'ai eu l'occasion de discuter avec un
graphiste300 qui travaille en agence, et qui m'a dit "moi j'aime
bien aller faire un concours de temps en temps", ce n'est pas
forcément l'aspect financier mais plus une recherche de liberté
d'action. Je me demandais s'il lui arrivait d'être bloqué dans la
réponse faute d'information, mais apparemment ça ne posait pas de
soucis... Je ne m'attendais pas à ce type de témoignage de la
part d'un pro.
FC : C'est tout à fait recevable, c'est une petite
différence de positionnement de l'AFD qui a réfléchi
à la question dès 2007, et a émis des réponses : si
il y a un problème juridique, on voit comment on peut le résoudre
de façon juridique.
15:45 de nouveau un souci technique
FC : L'AFD pense que ce n'est pas la peine de dépenser
de l'énergie à combattre ce phénomène. Cela serait
perdu d'avance. Juridiquement en tout cas, on n'ira pas vers le procès,
en tout cas pour le
299 selon B.Enns, être sélectif : il s'agit de
pousser la démarche d'adéquation, de trouver les clients pour
lesquels nous pouvons trouver des solution et savoir dire non aux clients qui
seraient mieux servi par d'autres. "En disant non nous gardons la
crédibilité de notre oui " BLAIR Enns et CASPAR
François, 2014, Gagner sans idées gratuites, Money
design.org.
300 Il s'agit d'un enseignant du master CTN qui intervient pour
les cours d'infographie, il est «intégrateur front,
designer qui a de la bouteille, mais dont j'ignore le «talent»
et dont les méthodes sont plutôt bizarres (création de logo
dans Photoshop par exemple)
144
moment, parce que il faudrait dépenser l'argent des
membres pour une cause finalement où des gens ont signé en
connaissance de cause un contrat avec ces sites de CS. Comme vous dites, il y a
des gens qui ont envie de le faire. Quelle que soit la raison, ils ont envie de
tenter leur chance... et on peut leur reconnaître le droit de choisir
ça. Pourquoi devrait-on combattre ça ? On préfère
finalement essayer de convaincre ceux qui veulent bien être convaincu :
ceux qui veulent bien apprendre à se passer du CS, leur expliquer
comment faire. Le livre de B.Enns est une façon de le faire. C'est une
littérature Nord-Américaine très pragmatique qui n'existe
pas en France. Ici on écrit beaucoup sur des idéaux, etc.... mais
à un moment c'est limité. On pourrait passer des années
à combattre le CS, à dépenser énormément
d'argent pour pas grand chose. Pourquoi interdire le CS ? Si certains veulent
participer : laissons-les faire. Et si on a une démarche commerciale
construite issue d'une stratégie, pour faire des affaires. On peut
comprendre, comment se passer du CS et on peut aussi comprendre que cela n'a
pas d'importance.
DH : C'est finalement un peu la
méthode "ça existe mais on y va pas". On se rend compte que les
personnes qui vont sur ces plateformes sont d'horizons variés, pas
uniquement des professionnels et même une bonne part d'amateurs qui ont
envie de faire ces concours pour différentes raisons. Est-ce que ce
mix ou cette frontière entre les amateurs et les pro, qu'on
retrouve aussi depuis longtemps : les amateurs ont toujours existé,
l'affiche associative301... Maintenant la frontière et les
outils de plus en plus accessibles parfois même des formations qui
fabriquent un infographiste en 3 mois. La notion d'amateur bouscule un
peu plus les pros aujourd'hui, est-ce que le CS pourrait catalyser ce
phénomène ? Et donner de mauvaises habitudes côté
client ?
c'
FC : Ça va forcément changer
les choses, et le monde change, les professions évoluent. ça pose
donc la question : c'est quoi aujourd'hui être professionnel ? C'est plus
uniquement utiliser une souris et avoir un ordinateur, il y a 20 ans,
c'était : avoir un ordinateur plus gros que l'autre. Aujourd'hui
l'amateur peut se payer les mêmes outils en effet. Donc être
professionnel c'est ailleurs, la question est comment donner de la
visibilité à un acte professionnel ? Nous préférons
nous concentrer sur
cette question là. C'est quoi être designer ?
C'est quoi un designer professionnel comparé à un designer
amateur ? Parfois, c'est vrai, des amateurs très talentueux peuvent
faire des choses esthétiquement très réussies mais il
s'agit d'une partie seulement du travail de designer. Il y a aussi des
autodidactes qui sont absolument extraordinaires. C'est une question complexe.
La réponse doit venir des professionnels mais surtout des clients, qui
savent très bien faire la différence entre les amateurs et les
professionnels. Les bons en tout cas. C'est d'ailleurs la théorie de
B.ENNS, il dit même qu'un bon client quand il a compris, peut payer
beaucoup plus cher que ce qu'il avait prévu parce qu'il a compris ce
qu'il avait acheté. C'est comme en cuisine : depuis quelques
années c'est la modes des chefs, des repas les uns chez les autres...
DH : Je vient en effet de lire un
mémoire sur ce sujet302 : les blogs de cuisines ont
chamboulé ce secteur, ce qui a eu un effet positif pour les
professionnel. La pratique de la cuisine est de nouveau
301 Excellente référence sur le sujet de BERTRANDY
Yohann, 2009, Tout le monde est graphiste - le livre.,
302 LAURE BLANCHARD, 2011, Triomphe de l'amateurisme en
cuisine ? De la relation entre les imaginaires du web social e de la
gastronomie au service de l'expression du désir amateur., TRAVAUX
ETUDIANT, travail qui étudie la gastronomie sur le web à travers
les blogs de cuisine et la foodsphère, comment les amateurs ont
fait évoluer le monde de la gastronomie sur le web (discours, services
nouveaux, pratiques). Les motivations des participants leur influence sur les
professionnels.
considérée comme quelque chose de noble. On peut
imaginer en effet une pratique du graphisme de haute couture aux
côtés du graphisme tout venant qui sera finalement proche d'une
pratique quotidienne amateur. Ce n'est pas la manière de faire, ni les
outils mais la démarche qui distingue le pro de l'amateur. La pratique
discursive, l'approche que l'on a avec le client, la façon dont on
argumente les créations.
26:23 de nouveau un problème technique, on change de
technologie...
DH : (Reprise) On en était au
fait que le CS pourrait, comme pour la cuisine permettre de valoriser une
certaine idée du design, de mettre en avant les bons designers. Les
amateurs ayant accès aux métiers pourraient en effet se rendre
compte qu'il s'agit d'un métier, pas d'un loisir.
Dans certaines écoles de design, j'ai des
exemples303, proposent à des étudiants de participer
à ces concours. J'ai été bien entendu surpris par cette
démarche. Pourquoi est-ce aussi difficile pour un étudiant qui
sort d'école, qui est encore un peu amateur par son manque
d'expérience, destiné à devenir pro - et parce qu'il
ne connaît pas B. ENNS ;-) il va être tenté par ces
plateformes ? Ne serait-ce pour alimenter son portfolio. On a l'impression
qu'il est tellement difficile pour un jeune graphiste de débuter son
activité, qu'il s'agit d'une solution de repli. Pourquoi est-ce
aussi difficile ? Pourquoi même les très bons qui sortent avec les
félicitations se retrouvent parfois à bosser au Macdo 5 mois plus
tard ?
FC : Il y a pas mal de raisons, les emplois
sont déjà moins nombreux que les demandes, les agences ne peuvent
absorber tous les jeunes diplômés et le marché non plus, on
est dans une situation aujourd'hui avec un bon enseignement
généraliste dans pas mal d'écoles, mais on manque
d'enseignement spécialisé. Ce qui du coup révèle
à la fois un problème de formation, et de pédagogie aussi
: les écoles qui envoient leurs étudiants dans ce type de
concours, là c'est vraiment un défaut de pédagogie.
Ça ne m'étonne pas, il y a des écoles très
mauvaises là-dessus, et heureusement il y en a d'autres très
bien. Ensuite il n'y a que les mauvaises rencontres, il y a des gens talentueux
qui ne font pas les bonnes rencontres malheureusement, d'autres qui ont un sens
un peu inné du commerce, qui s'en sortent plus vite, plus tôt.
Tout le monde n'a pas le sens de l'entreprise et aujourd'hui il y a un
mouvement clair : si on ne trouve pas de travail salarié, on s'installe
en indépendant mais on manque de compétences commerciales, c'est
le gros soucis. Être indépendant, c'est comprendre certaines
règles du commerce. Si on monte un commerce d'achat-vente on a affaire
à des personnes qui ont un profil commercial, mais quand on monte un
business dans le design, on a affaire à des créatifs et qui sont
les moins préparés à cette vie là.
Donc a alors énormément de gens qui restent sur
le bas-côté, parce que, malgré le talent, on ne leur a pas
expliqué comment faire commerce de leurs idées, comment se
protéger, etc... À l'AFD, ce que l'on constate c'est qu'il y a
quelques années, on avait peu de visibilité, les gens ne nous
connaissaient pas, maintenant ils savent que l'on existe, ils n'ont cependant
pas compris l'intérêt de nous rencontrer avant d'avoir des
problèmes. On a donc énormément de gens qui
adhèrent à l'AFD quand ils sont déjà en litige. On
a bien du mal à les aider. En France on a des droits très forts
et protecteurs, comme le droit de la PI, qui sont très
intéressants. Mais ils sont difficiles à appliquer. Pour faire
appliquer les
145
303 Une collègue de promo CTN, qui a fait un BTS
communication visuelle je ne citerais pas l'école.
146
droits, c'est beaucoup moins romantique que
l'énoncé de la loi, ça nécessite de préparer
en amont une relation professionnelle en ayant une stratégie de la
relation professionnelle. Là, quand on a pas ça, je ne voit pas
comment l'avoir si on ne l'apprend pas. On se fait avoir, et on apprend en se
faisant avoir.
Je me suis fait avoir aussi, quand j'ai commencé
DH : Tout le monde en fait : c'est la fatalité du
graphiste. J'attends aussi toujours certaines factures d'il y a 8 ans...
FC : À un moment on comprend qu'il faut échafauder
une stratégie DH : Le positionnement ?
c'
FC : Non ça c'est encore autre chose, il s'agit de la
stratégie commerciale, ce dont je parle à l'instant est une
stratégie de défense, une stratégie juridique : blinder
juridiquement sa stratégie commerciale.
Il faut un certain nombre de pièces juridiques, ce que
B.Enns appelle le contrat : Une fois que l'on a dialogué sur
les choses essentielles, là on va passer à la rédaction
d'un contrat.
DH : Un cahier des charges ?
FC : Oui un cahier des charges, contrat et signature de ce
contrat. Une fois que l'on a ça, on est en position de faire valoir son
droit. Sans ça, il faut vraiment que le client ait fait un certain
nombre d'erreurs grossières pour avoir gain de cause. Il faut pouvoir se
dire : investir dans des frais d'avocats, voir dans des frais de
procédures, c'est toujours un investissement rentable à terme. Le
problème dans la plupart des cas, c'est que ça ne l'est pas. Donc
quand on pèse le montant d'une affaire, et celui que l'on pourrait
recouvrer auprès de l'adversaire, en général, en dessous
de 5K € ça ne vaut pas le coup. Ça commence à avoir
un intérêt autour de 8-10K€.
DH : L'AFD propose donc de bien accompagner en amont sur des
questions de forme. Un enseignement de ces notions à l'école
serait une piste pour que ce métier soit moins précaire ?
FC : Oui en effet, on pourrait se dire qu'il faut un
apprentissage à ces questions là, à l'école, le
problème, c'est qu'en master, très peu d'étudiants
enregistrent les choses et s'intéressent parce qu'ils sont encore un peu
jeunes pour ça et focalisés sur le diplôme, je l'ai
vécu à la fois comme étudiant et comme enseignant : je
retiens qu'il y a une énorme déperdition d'information, peu
être un ou deux sur vingt qui enregistrent bien les choses. C'est encore
un peu trop tôt finalement. Ce qu'il faut c'est qu'ils aient conscience
qu'il faut se faire accompagner par un certain nombre de gens compétents
: un comptable, un fiscaliste, et l'AFD (un syndicat) pour apprendre- ce n'est
pas grand chose, c'est vite appris - mais il faut se faire accompagner par un
organisme professionnel qui peut, par des retours d'expériences proposer
une méthode.
DH : C'est évident qu'en sortant même d'une
école assez bonne, je n'ai pas eu cette préparation. On part
la fleur au fusil en se disant "c'est bon je sais faire du graphisme :
je vais m'en sortir" c'est en fait un aspect du métier que l'on
découvre après l'école, on se retrouve dans une situation
où a besoin d'être bon dans ce que l'on produit, mais aussi savoir
le dire et se vendre tout en restant armé pour affronter les situations
difficiles avec certains clients dont l'attitude est contestable. Ce
métier compliqué, comme vous le dites, la notion d'argent est
souvent la dernière roue du carrosse, il y a
147
presque une certaine pudeur que l'on retrouve dans ce milieu,
qui empêche le designer d'aborder le sujet. C'est un peu le mal du
designer non ?
FC : Absolument, il y a une pudeur, très nuisible pour
le chiffre d'affaire. Quand on est bon et que l'on veut trouver un travail dans
une entreprise. être bon peu suffire, il faut être opiniâtre,
il faut chercher mais on finira pas trouver. Sauf si on est au milieu de nul
part bien sûr, il y des déserts économiques encore en
France. Il suffit de regarder l'implémentation des personnes inscrits
à l'annuaire des designers en France, on voit très bien les zones
où c'est le désert total. Si on fait le choix d'exercer une
activité indépendante, il faut absolument compléter sa
formation par un minimum de gestion des aspects commerciaux.
DH : C'est pas toujours évident lorsque l'on voit les
cursus assez chargé, qui répondent parfois de manière
très large à la demande du marché de l'emploi, on peut
imaginer que cet aspect aura du mal à trouver une place dans les emploi
du temps soit les financements dans une école qui doit
déjà assurer en priorité les matières essentielles
avec peu de moyen souvent.
On a abordé les principaux aspects de l'entretien, la
qualité, les participants... On sait que l'AFD est plutôt un
farouche opposant au CS, disons plutôt au travail gratuit. En comparant
les différentes plateformes de CS, je me suis rendu compte que
positionnement était différent, certains proposent des concours
de logo, alors que d'autres font des concours d'idées... J'aurai
aimé que vous me donniez votre avis sur les formes que peut prendre le
CS à l'avenir, si ce modèle peut perdurer ou non...si certaines
formes sont plus vertueuses que d'autres. Je me suis en effet rendu compte en
étudiant les plateformes qu'Eyeka par exemple n'était
pas du tout positionné comme Creads. Pour ce dernier, je me
suis tout de suite dit qu'un logo ne pouvait être adapté, sans un
minimum de recherche et d'échange avec le client, et que la
quantité ne garantirait pas la qualité. Par contre chez
Eyeka, l'approche semble différente, puisqu'ils ont une
démarche marketing : les marques n'utilisent pas la production des
participants pour avoir un produit fini comme un logo, mais plutôt comme
un élément de benchmark amélioré pour un projet
à plus grande échelle, ce sont surtout des gros client
là-bas. Ils ont peut-être un budget CS qui représente une
faible proportion dans leur enveloppe marketing, on se retrouve avec un CS
créatif complètement différent de ce qui est
critiqué, avec Creads en première ligne. (J'admets que
ça ne ressemble pas vraiment à une question...)
c'
FC : On ne peut empêcher les gens de concourir, le
concours en soi peut être motivant, la question est les termes du
concours, quels sont les termes pour concourir. Est-ce que la
compétition est saine
? Si elle n'est pas saine, la première chose à
faire, c'est de ne pas y aller, être en capacité" de comprendre
qu'il ne faut pas y aller, c'est de trouver des sources d'éducation aux
problématiques que ça pose. Encore une fois, ça fait un
tri entre un certain nombre de pro qui vont à la facilité, ils
savent répondre avec des idées basiques, ils savent faire. Il y a
aussi le débat sur les photographes, ce n'est pas tout à fait la
même chose, que les banques d'images, par exemple, ou les
capacités de rémunérer les auteurs sont très
importantes. Il s'agit dans ce cas d'un problème de répartition
des sommes collectées qui soit en accord avec le travail du designer. Le
CS est un mot foutu dans le monde, désormais associé à
l'idée que l'on va travailler pour rien. Cela joue quand même sur
la naïveté des créatifs, on a en effet une chance sur
100...
DH : J'aimerai bien voir en effet, sur l'ensemble des
participants, et le nombre de concours, si on arrive en étant un
professionnel (encore une fois, on peut se prétendre pro sans en avoir
l'étoffe ni la
148
démarche) la part des pro qui gagne est plus importante
ou non, à savoir : a-t-on plus de chance de gagner si on est pro ?
Simplement pour comprendre si l'expertise reste là, quelque soit le
brief : le professionnel s'en sortira-t-il mieux qu'un amateur ? Je pense
(c'est une supposition pour le moment) que lorsque l'on sort d'une école
de design, on a plutôt une chance sur 40 de gagner... ce qui reste
élevé.
FC : Si on regarde la page d'accueil d'Eyeka, tout
est dit : on voit plus de 5 millions €, 87000 idées soumises,
ça va nous faire un prix moyen de 57€ l'idée...
DH : On voit en effet que les concours ne sont pas
rémunérés selon la grille classique du marché, on
est bien en dessous. Ils jouent en effet sur cet effet de masse, ce qui peut au
contraire faire un peu peur quand on analyse les chiffres.
FC : Oui c'est statistiquement bas. On continue : " Les
réalisations des créateurs d'Eyeka nous ont souvent surpris et
ont directement alimenté notre travail interne pour l'enrichir et
stimuler nos équipes." (Citation du responsable de la ligne DS chez
Citroën) c'est un truc qui alimente le travail interne : le travail de
design n'est pas là.
DH : C'est du benchmark, Eyeka l'admet, ils ne font
qu'un travail en amont des créations. Je me suis posé la question
pour les vidéos : les créateurs passent une semaine à
produire quelque chose, si derrière, une semaine de travail, les gens
mobilisés...ils n'ont rien : on peut comprendre une certaines
déception. Ils ne participent qu'une fois mais pas deux...
FC : Oui mais bon en fait l'objet caché du CS, il n'est
pas dans le fait que les gens qui gagnent. Il est dans la création de
fichiers, ce qui fait la valeur de ces entreprises, ce sont ces fichiers. Quand
ils disent "on a X créateurs"...les gens s'inscrivent une fois, ils
comprennent et en attendant ils ne suppriment pas leur compte (si c'est
toutefois possible) ça alimente une base de données, qui est
utilisée derrière. Il ne faut pas être naïf, le but
reste d'appâter des gens pour créer une base de donnée qui
va servir à des grands groupes de marketing direct, ou des
éditeur de logiciels. Le but d'Adobe, quand ils ont racheté
l'annuaire Behance, les portfolio en ligne, c'était de créer un
fichier de client potentiels permettant d'alimenter un ensemble.
DH : Le CS, je partage aussi le même point de vue : ce
n'est pas une menace directe pour le design et les professionnels, mais c'est
effectivement, une forme de marketing, poussée à son
extrême pour les marques. Elles impliquent les consommateurs dans une
forme de "méga-enquête" permettant la sortie d'une campagne bien
ciblée. Les marques vont savoir ce qu'attendent les clients, quelle
vision ils ont de celles-ci. Le Cs façon Eyeka, c'est plus du
marketing que le CS façon Creads, qui est plus proche de la
"foire au design Lidl". C'est peu être ce qui gène, ce n'est pas
vraiment une agence, mais ils s'en donnent l'image, derrière c'est
même retouché en interne après sélection (pour les
logos), c'est là où au niveau métier on se retrouve dans
une limite "éthique", il n'y a pas de respect pour le travail de
création, qui peut être déconstruit ou
réapproprié. La sacro-sainte règle du créatif est
violée, le créatif est alors dépossédé de
son travail. Je ne suis pas à l'aise avec cette forme là, alors
qu'Eyeka, c'est du marketing, Décathlon le fait, Mado le fait
pour fabriquer leurs burgers, c'est une forme d'implication de la
clientèle, maintenant si des graphistes tombent dans ce circuit,
ça ressemble plus à du dommage collatéral...ils
ne recherchent pas la qualité mais plutôt des idées
intéressantes et différentes de leur service com. ou de leur
agence habituelle, qui va penser de manière professionnelle et
peut-être un peu moins de manière intuitive (ou naïve).
s'
149
Pour conclure on a abordé pas mal d'aspects,
peut-être un peu moins sur les appels d'offres, qui finalement concernent
plus l'AFD, et il y a pas mal de choses là-dessus. Juste une
dernière question une amie graphiste304 indépendante
qui travaille aussi au sein de collectifs m'a parlé d'un concept qui
appelle "la mise en concurrence" elle m'a donné l'exemple d'une
salle de théâtre qui a fait la demande à
une quinzaine de graphiste, malgré son
intérêt pour le sujet, elle a décliné l'offre. Tu
connais cette pratique ?
FC : Si c'est un théâtre privé, il n'est
pas soumis à la législation des marchés publics. Sinon,
effectivement il rentre dans ce cadre. Pour ça la charte des
marchés publics de l'AFD explique bien la différence. Les grands
principes y sont. Un tableau avec les feuilles de marché indique ce qui
est obligatoire, ce qui ne l'est pas et ce que l'on préconise.
DH : Ce qui n'est pas cohérents dans cette histoire :
ils demandent des références et une proposition mais il suffit
que le devis ou le book ne conviennent pas et ils se retrouvent avec une
réponse qui ne leur convient pas. La démarche habituelle consiste
plutôt à faire une première sélection sur book, pour
trouver un style qui convienne et ensuite de demander un devis et pourquoi pas
une proposition qui sera rémunérée. Le pitch gratuit en
tout cas, je ne sais pas si c'est encore plus pervers que le CS, car on bosse
vraiment avec des pros, et on ne les rémunère que si un ensemble
de facteur convient.
FC : Hélas il y en a plein comme ça... DH : J'ai vu
la liste noire sur votre site.305
FC : Notre charte a été validée par le
ministère de la culture, suite à ça on a fait avec le
centre des arts plastiques un PDF que l'on peut trouver facilement en
ligne306
DH : Très bien fait en effet, présenté par
Aurélie Filipétti.
...fin de l'entretien.
Geoffrey Dorne (entretien n°5)
Designer et gérant de l'agence Design&Human
et bloggeur sur
Graphism.fr, le 13 Avril par
téléphone.
Né en 1985, Geoffrey Dorne est designer
indépendant depuis 2005 et fondateur de Design & Human, une agence
de design éthique, sociale et radicale. Diplômé de
l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris
(Ensad) en 2009. Il travaille à la fois le numérique et
l'imprimé sur des
304 http://www.elodiecavel.fr/
305 AFD | Liste noire des appels d'offres de design,
http://www.alliance-francaise-des-designers.org/blog/2010/12/15/liste-noire-des-appels-d-offres-de-design-et-de-communication-1.html,
consulté le 7 décembre 2014.
306 ADEBIAYE F., 2014, Guide : « La commande de design
graphique », s.l., Centre national des arts plastiques.
150
projets pour de prestigieux clients comme la Croix Rouge, la
fondation Mozilla, le Commissariat à l'Énergie Atomique, EDF, La
Recherche sur le SIDA, la CNIL, Orange... Son travail orienté
utilisateur (UX) est subtil, conceptuel et métaphorique. Responsable
pédagogique au sein de la Webschool Factory, il dispense
également des cours et des workshops dans plusieurs écoles en
France (la Sorbonne, l'ENSCI, les Gobelins, l'école des Arènes de
Toulouse, la Webschool Factory...).
En parallèle Bloggeur sur l'influant
http://graphism.fr/ et suivi par 19,5K followers sur Twitter (@GeoffreyDorne) ,
Geoffrey fut également invité en 16 Juillet 2014 au
ministère par Axelle Lemaire, Secrétaire d'État
chargée du Numérique afin de rencontrer autour d'une table les
responsables de Creads.
Son blog : http://graphism.fr/
Son profil Linkedin :
http://fr.linkedin.com/in/geoffreydorne
Le site de Design & Human : http://designandhuman.com/
Damien Henry : Tout d'abord, merci de
m'accorder un peu de ton temps. J'aimerai donc profiter de ton expertise et ton
retour sur les débats qui ont eu lieu au ministère avec Axelle
Lemaire. Avant toi j'ai déjà recueilli les témoignages de
B. Fluzin et François Caspar ainsi qu'un retour à chaud par
téléphone de Sébastien Drouin. Toutes ces personnes sont
assez singulières, avec leur approche. De vrais professionnels,
exerçant chacun de façon différente ; indépendant,
responsable d'agence, directeur de création...
Geoffrey Dorne : Nous n'avons pas la même
façon de voir les choses en effet.
DH : Ton blog est très populaire et
ton point de vue est certainement plus nuancé sur certains points vis
à vis du CS, le fait que tu enseignes est également ce qui m'a
attiré.
Tout d'abord une question autour de la qualité. Les
Clients des plates-formes admettent eux-mêmes que les idées sont
parfois inadaptées à la demande ou que certaines campagnes ne
sont jamais dévoilées. (Suite à l'entretien avec
Eyeka). Es-tu étonné que l'on se retrouve avec des
« coups d'épée dans l'eau », des essais de CS
qui ne fonctionnent pas ? Les clients se retrouvent devant les propositions et
aucune ne colle avec leurs attentes.
GD : Qui leur correspond... Ça ne
m'étonne pas d'un premier abord. Je ne sais pas s'il y a une obligation
de résultat sur ces plates-formes de Perverted CS comme Creads
et celle dont tu parlais tout à l'heure, que je ne connais pas
encore. Je ne sais pas si par exemple il y a un obligation du type : «
vous aurez forcément un logo qui vous plaira avec lequel vous
pourrez repartir ». Je ne pense pas que ça soit le cas.
Parfois, cela doit sûrement se faire au moins pire.
DH : En effet ce n'est pas le cas chez
Eyeka, ils préviennent bien leurs clients au départ que
le projet peut ne pas aboutir, surtout si au départ le client formule
une demande complexe. Ils tentent donc au maximum de ne faire qu'une demande
par concours. Il y a même des campagnes qu'ils refusent de faire «
ça n'est pas fait pour le CS ». Je pense que cela varie
selon les politiques des plates-formes.
GD : Cela ne m'étonne pas. D'un autre
côté, le fait de ne pas aller jusqu'au bout c'est sans doute
lié au fait que le designer, amateur ou non, ne rencontre jamais le
client. Chez Creads, apparemment, c'est comme ça. Le brief
émis par le client est remâché par l'entreprise au milieu
et donné ensuite aux créatifs qui participent (notez
bien le mot de créatif et non de designer volontairement employé
par l'entreprise).Ainsi, pour faire un bon projet de design, selon moi, il faut
rencontrer les personnes avec
151
qui on travaille et pour qui l'on travaille. Il faut aussi
rencontrer les utilisateurs, comprendre le contexte et s'imprégner de la
culture du projet. Cela prend du temps, et cela fait parti du contrat moral et
professionnel. Si une partie de ce contrat n'est pas accomplie, les projets
peuvent en subir les conséquences et être annulés en plein
milieu. Dans ce cas de figure avec le CS, le client peut aussi dire qu'il va
sortir du projet, parce qu'il ne trouve pas ce qu'il cherche et le
créatif peut aussi dire qu'il part en vacances...
DH : Ça rejoint beaucoup ce que disais
Fluzin, qui m'expliquait que tout le processus créatif à mettre
en place, dont ce brief qui d'ailleurs peut être amené à
évoluer et un contrat qui précise bien les choses et les limites
du projet.
GD : C'est comme ça que je l'explique
à mes étudiants et aux gens avec qui je travaille
régulièrement : un brief c'est un outil, qui est conçu
avec un créatif, avec parfois les développeurs qui vont devoir
intégrer, qui est conçu avec le directeur... avec les parties
prenantes du brief finalement. Et ça c'est assez rare de voir cette
situation en entreprise. Créer un brief, selon moi ça doit se
faire ensemble. Une fois que l'on a créé ce brief, on est
d'accord pour travailler sur ces modalités, sur un axe précis.
C'est un peu comme un pacte, un point de départ ou un contrat moral
entre les gens... Mais en tout cas c'est quelque chose qui doit se créer
ensemble.
Le brief pyramidal top-down dans lequel on donne de
façon autoritaire à quelqu'un des directives créatives,
ça marche évidemment beaucoup moins bien que ci cela a
été conçu tous ensemble.
DH : Il y a des agences tout de même
où le brief se faire avec le client, en interne le brief est
donné aux créatifs. Il y a tout de même un dialogue,
même si le créatif ne voit pas le client directement.
GD : Ça repose sur la notion du
dialogue, la création en général et le design plus
précisément. Si le dialogue n'existe pas, ça ne
m'étonne pas que ça n'aboutisse pas.
DH : Si l'on compare avec une commande
classique passé à une agence ou un freelance, Compte tenu du fait
que le créatif soit mis en dehors de la formulation du brief. Que
peut-on dire de la qualité du résultat sur les plates-formes de
CS ?
GD : La qualité est terriblement
diminuée avec ce genre de commande par plusieurs facteurs :
La première raison, la personne qui crée n'est
pas forcément un professionnel, ça peut être un amateur,
ça peut être un étudiant, n'importe qui... un enfant, peu
importe. Le résultat peut être totalement aléatoire.
Le second point, c'est question de brief et de dialogue qui
n'est pas forcément intéressant dans une relation de Perverted CS
comme Creads. Le fait qu'il y ait un intermédiaire, qui va
servir d'interlocuteur principal, la plate-forme en l'occurrence diminue les
échanges.
Enfin le manque de qualité financière du projet,
où les tarifs sont terriblement bas, et faire un excellent travail avec
un tarif en dessous des grilles classiques cela veut dire qu'au milieu
quelqu'un se fait avoir. Quelque chose de qualité ne coûte pas
forcément des fortunes, mais ça a un certain prix quand
même (pas forcément un coût financier, mais un
échange de valeur doit être opéré) et ça je
pense que c'est un facteur non négligeable.
Les tarifs sont vraiment au dessous de ce que l'on peut trouver
sur le marché classique du design ?
152
GD : Je suis en ce moment sur Creads, je viens de
voir les projets, les tarifs sont ridicules : création de logo pour un
parti politique à 400€
DH : Pour un parti politique, il y a une certaine
visibilité, des enjeux plus grands que pour le petit commerce local.
Est-ce que la qualité du design a un impact sur la communication des
entreprises ?
GD : Oui tout à fait, au niveau du tarif, ça
fait miroiter la valeur du travail est faible, en tout cas elle est
drôlement amoindrie par rapport aux tarifs professionnels, et ensuite, on
table plus sur la quantité que la qualité, au final on a un
résultat toujours moindre.
DH : Dans le cadre d'une identité par exemple, selon
l'avis de plusieurs designers, ce n'est pas la meilleure manière
d'obtenir un résultat qui puisse être pertinent, au contraire,
cela nuirait à la PME ou à l'entreprise faisant appel à ce
service. Le risque que la commande ne corresponde pas aux besoins de la
structure est énorme et peut-être sous-estimé. Mais peut-on
trouver des avantages à passer par ce système en dehors de
l'aspect financier attractif au premier abord ?
qu'
GD : Je réfléchi... honnêtement je me dis
que si j'étais à la place d'une entreprise, peut-être que
j'utiliserais le CS pour savoir comment les gens me perçoivent. C'est
à dire que je pourrais dire par exemple « je suis une start-up
qui réalise une nouvelle façon de s'alimenter par des boissons
révolutionnaires... créez-moi un logo. » Tout à
coup je me retrouve avec 100 propositions de logos, et je vois dans quel
imaginaire les créatifs ou les gens en général
perçoivent mon concept innovant. Sauf que cela n'a une valeur
consultative : quand je parle de boisson innovante, et de nutrition les gens
imaginent
une canette, ou plutôt une bouteille...Cela permettrait
de défricher le terrain de façon visuelle. Et bien entendu,
lorsque j'ai besoin de faire mon vrai logo, je ne peux plus passer par cet axe
là car il faut choisir et trancher et avoir une vision graphique en plus
de la vision entrepreneuriale.
DH : C'est justement la principale différence entre les
deux plate-forme que je suis en train d'étudier : Eyeka a plus
ce rôle d'audit auprès de grands comptes qui utilisent vraiment le
CS comme un outil marketing plus que dans le but de produire un résultat
fini. La logique d'interroger des amateurs prend-elle du sens dans ce cas ?
GD : Dans ce cas, ce n'est plus une plat-forme de
création, mais plutôt une plate-forme de consulting où l'on
interroge les gens, leur façon de voir les choses... Il y a
déjà des entreprises qui le font, pour des marques, comment les
personnes perçoivent l'univers de la marque etc... Et ça pour que
cela soit bien fait, d'un point de vue qualitatif, des panels sont
constitués à partir de personnes soit très
différentes, soit au contraire au profil similaire. On est presque sur
du sondage ou du focus-group, qui ont une meilleure représentation de la
cible.
DH : On jette un peu une bouteille à la mer, et on
attend de voir si elle va arriver sur un rivage... Dans le cas d'Eyeka
on est sur de grosses structures qui peuvent se permettre de prendre ce
risque et qui consacrent une partie infime de leur budget marketing à
ces campagnes de CS. Celles-ci font appels aux consommateurs pour savoir
comment elles sont perçues visuellement ou sur des slogans ou des
accroches. S'ils souhaitent lancer une campagne cela peut être
intéressant d'avoir ce retour de personnes qui sont
intéressés pour travailler sur cette marque. Ma question c'est :
est-ce dans cette stratégie marketing implique les consommateurs et
renforce le lien avec la marque d'une manière plus créative et
active ? Être à la base du d'un futur concept génère
une notion de fierté, peut-être un
153
besoin de reconnaissance « je serai peut-être
le concepteur du futur packaging des pâtes Lustucru... Ma création
sera dans un rayon. »
c'
GD : Ça je le comprends quand c'est un concours pour
une ONG, type WWF307 {quoiqu'ils n'ont plus vraiment besoin
d'être valorisés}, le plus beau dessin sera affiché en 4/3
dans le métro : ça fait briller les yeux, ça donne envie.
Il n'y a cependant pas de relation directement financière dessus. Les
marques le font aussi via Facebook ou Twitter : « Que pensez-vous de
notre nouveau logo ? De notre produit... ? ». Dans le contexte du CS
on demande une prestation aux fans de la marque ou aux consommateurs, est plus
proche du travail. Je trouve que demander à ses clients de travailler
pour soi pour une
rémunération utopique, parce que dans la plupart
des cas il n'y en a pas du tout. C'est ce qu'on appelle le perverted CS : on
perverti la mécanique du concours. Je veux bien un concours de dessin ou
d'affiche, je trouve ça intéressant, mais il faut que ça
respecte beaucoup de valeurs.
DH : Pour toi il y a tout de même, une différence
entre le crowdsourcing et une plate-forme qui fait du perverted CS. À
quel moment on bascule de l'un à l'autre ?
c'
GD : On bascule là dedans quand on en fait une
plate-forme justement. Une plate-forme qui ne fait que ça. Une marque
qui fait un concours, ça arrive. Ils se font épingler par l'AFD
sur la question du concours illégal parce que c'est un appel d'offre
déguisé, ou les droits de PI sont «
réquisitionnés » après une faible
rémunération. Si le concours est un acte gratuit, qui n'est pas
indispensable à l'entreprise : est en général assez sain.
Faire un concours pour faire le meilleur logo, ou la meilleure interface
pour
le futur logiciel de l'entreprise : là c'est du travail
déguisé sous forme de concours. C'est notamment là
qu' on bascule.
DH : Les marques le font, on le voit dans tous les secteurs,
c'est donc assez difficile de faire la différence. Un site
dédié comme celui de décathlon308 qui fait
appel aux pratiquants pour concevoir les produits sportifs du futur et invite
ensuite les gagnants dans l'entreprise pour participer avec les
designers-maison à élaborer le produit avant production. Tu le
classes à quel endroit ?
GD : Il faut lire les « petites lignes »
pour savoir ce qu'ils font ensuite avec le produit du futur.
Il y a une zone grise, ce n'est pas noir ou blanc. Il y a
forcément du flou entre les deux. Décathlon ne fait pas son
beurre là-dessus. Ils ne vivent pas de ça. Creads le
fait uniquement. Bien sûr c'est une opération marketing pour
impliquer le consommateur dans la conception du produit. C'est très
intéressant de faire ça, et je suis totalement partisan
d'intégrer l'utilisateur dans la phase de conception, on l'invite
à échanger, on lui offre des produits pour qu'il nous donne son
avis sur le design, l'ergonomie, etc... Mais il faut voir jusqu'à quel
point on l'implique, ce qu'on lui demande et les conséquences de son
implication. Il faut bien laisser la personne à sa place : celle d'un
non-professionnel qui a des idées neutres ou alors utopiques sur le
sujet, et on va bien demander à un sociologue d'intervenir sur cette
question là autour de la table ronde.
DH : Les participants, pro ou amateurs, ont des motivations
souvent différentes. Concernant les professionnels, qu'est-ce qui les
attirent d'après toi sur ces plates-formes ?
307 Creative Awards by SAXOPRINT,
http://www.saxoprint.fr/creativeawards,
consulté le 6 juillet 2015.
308 Open Oxylane - Sports co-creation platform,
https://www.openoxylane.com,
consulté le 19 novembre 2014.
154
GD : C'est une bonne question, j'en discute
souvent avec mes étudiants, pour savoir s'ils connaissent
Creads, s'ils ont déjà entendu parlé de cette
pratique, pourquoi ils seraient tentés...Le premier critère de
motivations c'est tout simplement l'argent. Potentiellement ils peuvent gagner
300-400€ en une soirée en faisant un logo sur Photoshop. C'est cet
aspect financier qui motive ceux qui savent un minimum faire ce métier :
de l'agent facile, vite fait bien fait. Une fois qu'ils comprennent un peu la
mécanique le discours change. Je leur dis « dans 3 ans vous
êtes diplômés, et vous ne pourrez plus faire ça, si
vous le faites maintenant, vous tuez votre propre boulot à la sortie de
l'école ». Ils pensent alors à plus long terme. Cet
argent facile, de l'agent pourtant utopique puisque très peu
réussissent finalement.
La seconde raison, c'est le fait que cela soit international :
quelqu'un qui vit dans un pays où le SMIC [lorsqu'il y en a un] est
200€/mois, tout à coup, gagner le double en faisant un logo, cela
devient une fortune. Le fait de désintermédier et de rendre la
relation créatif-client internationale, cela ajoute encore de l'ampleur
aux motivations.
Dernier point : avoir des client qu'on ne peut se
permettre.
Le professionnel se dit donc « de toute façon,
je serai meilleur que les autres, puisqu'ils sont tous amateurs, et je vais
faire un super projet » sauf que la création choisie, n'est
pas toujours la plus professionnelle, mais celle qui plaira le plus au
commanditaire, qui décide. Il n'y aura pas de grille de lecture
basée sur le design, mais plus sur le « j'aime, j'aime pas
». Le fait ensuite de se dit même si je ne gagne que 300€,
ça ne représente rien dans mon budget professionnel, mais je vais
peut-être pouvoir approcher cette marque pour un futur projet. Tout
ça reste dans le conditionnel, car on ne peut jamais être
sûr de gagner.
DH : On sait aussi que le book peut
être très important lors d'un recrutement par exemple, surtout
lorsque l'on débute. Pour ceux qui sortent de l'école, quelles
sont les pistes pour démarrer et se faire des références
qui ne soient pas des boulots d'étudiants ? C'est compliqué de
démarcher au départ sans référence non ?
GD : En général c'est assez
traditionnel, y'a trois façon de faire :
Les étudiants qui sortent d'école ont fait des
stages, donc ils peuvent parfois, et en général ils le font,
présenter des projets réalisés pendant ces périodes
en agences, ça leur permet d'avoir des références
professionnelles et montrer leur intervention, parfois c'est juste sur un petit
logo, ou une plaquette, un site... mais c'est déjà ça.
Les projets qui sont parfois réalisés en cours,
sont très variés et souvent de qualité professionnelle. On
travaille avec de véritables entreprises, qui proposent un cahiers des
charges aux étudiants et un projet pédagogique et de vraies
contraintes. Dernière voie possible : démarcher en faisant des
petits projets, lorsque l'on est encore étudiant, je l'ai
déjà fait pour des associations, pour des petites structures,
même si ce n'est pas très cher, ce n'est pas très grave. Ou
alors faire des projets fictifs, et beaucoup d'étudiants font des
projets pour lesquels ils sont leur propre commanditaire : il refondent des
logos, des sites web, etc. ...Même si ce n'est pas
rémunérateur, cela reste porteur de leur réflexion. [Pour
ces projets fictifs, il faut se fixer les contraintes et on reste dans une
réponse idéale non ?]
DH : Pour revenir au fait que des entreprises
fassent appel aux écoles, s'agit-il de projets déjà
réalisés qui donnent juste un cadre de réalisation
identique à la demande réelle, pour avoir un cas d'école ?
Ou bien est-ce un arrangement entre l'école et l'entreprise si ce projet
est une première ? On serait dans une forme de crowdsourcing miniature,
ou plutôt un mini appel d'offre à l'échelle d'une
classe.
155
GD : Je suis tout à fait d'accord avec
toi, ça dépend évidemment des écoles, sans citer
aucun nom, certaines récupèrent des briefs de projets
déjà réalisés par une agence ou un studio. On
travaille en conditions réelles. Ensuite il y a des entreprises qui
exploitent leurs étudiants, pour les faire travailler gracieusement et
les entreprises payent très cher les écoles qui gagnent donc de
l'argent sur le dos des étudiants. Ce qui arrive aussi hélas.
Ensuite, il y a une zone grise aussi entre les deux, car
l'entreprise ne va pas interagir avec l'école sur des projets à
court terme (genre site web ou faire un livre), mais plutôt sur des
projets à long terme et visionnaire comme sur les transports à
Paris en 2030 et là les étudiants peuvent travailler et utiliser
les contraintes dans lequel l'entreprise a des connaissances mais aussi sur une
vision pédagogique : « j'imagine que le transport se fera de
tel ou tel façon, ou l'interface du mobile sera plutôt comme
ça... » C'est moins court-termiste qu'un projet qui serait
financé directement. Et c'est évidemment encadré par un
travail pédagogique derrière. Moi qui m'occupe un poste de
responsable pédagogique dans une école [laquelle ?] je fais hyper
attention et j'essaye de prévenir toutes les entreprises qu'on ne
travaille pas pour elles mais plutôt elles qui travaillent pour les
étudiants en leur donnant un maximum d'informations, le maximum de
contexte, et tout ce qu'elles peuvent pour faite en sorte que les
étudiants puissent imaginer les choses, créer, concevoir et qu'il
y ai une relation inversée de ce que l'on pourrait croire
habituellement.
DH : C'est rassurant d'entendre ça,
puisque cette année j'ai découvert que des écoles
incitaient leurs étudiants à aller sur Creads (EPMC La
Ruche)
GD : ... [Silence qui en dit long] Ah ouais !
Il est possible que certaines personnes au niveau
pédagogique ne réalisent pas les enjeux qui se cachent
derrière le CS. Il n'y a aucune étude qui prouve vraiment si le
CS met en danger la filière du design, d'un point de vue
économique en tout cas. Personnellement je n'y crois pas trop. Par conte
en quoi cela peut nuire au niveau professionnel. Peut-on trouver des points sur
lesquels le CS, cet acteur un peu nouveau de la « place graphique
», pouvant être nocifs pour les professionnels dans leur
pratique quotidienne du design ?
GD : À court terme, les designers ne
vont pas gagner moins d'argent. Parce qu'il y a moins de projet, ce n' est pas
vraiment un souci économique. Les jeunes designers par contre seront en
difficulté, parce qu'ils sont déjà à des prix
très faibles et entre un client qui a 100 propositions de logo, pour
400€ et un client qui a 3 propositions de logo pour 400€, il risque
d'aller vers la quantité. Ça peut nuire à mon avis
à ceux qui démarrent, dans le métier. J'espère que
ça ne sera pas comme ça, mais j'ai l'impression que ça en
prend le chemin.
À plus long terme, c'est surtout un
dévalorisation du savoir-faire du métier du design, car
évidement ce métier n'est pas uniquement le résultat
visuel final, mais c'est un processus, une réflexion, des recherches, de
l'ethnographie, de la socio, un dialogue avec les utilisateurs de la marque,
c'est faire des tests ergonomiques, faire énormément de choses
qui ne sont pas juste un logo ou un graphisme, et résumer le
métier du designer à la simple création graphique final,
c'est amoindrir l'expertise. C'est un peu comme si je disais qu'un garagiste
fait uniquement des vidanges, ou qu'un boulanger ne fait que des baguettes. Il
y a tout un savoir-faire derrière, une démarche.
156
Et c'est ça qui m'ennuie le plus, ça
dévalorise le travail, pas uniquement au niveau des professionnels, mais
aussi du grand public ou entrepreneurial, ça dévalorise l'image
que l'on a du design, l'image que l'on a du designer, son savoir-faire, son
sérieux la qualité et le prix que ça coûte aussi.
C'est cet aspect le plus gênant, j'essaie de me battre contre ça
justement en disant que le design n'est pas juste la couche visible de
l'iceberg mais tout ce qui se trouve en dessous aussi.
DH : Pour toi le paysage graphique pourrait être
chamboulé par la présence de cet acteur, mais aussi l'apparition
de boulots faits par des amateurs ?
GD : Oui et surtout la qualité qui sort de ce type de
plate-forme est pitoyable. J'ai juste vu des éléments, car de
temps en temps je vais faire un tour sur Creads, pour aller voir ce
qui a été réalisé,
c'
|
est vraiment de la très mauvaise qualité.
|
Ça m'ennuie profondément, je suis un peu
utopiste, j'ai tendance à croire qu'on peut tirer les choses vers le
haut, sortir des meilleurs designs... Mais en fait ce genre de plate-forme
arrive à prouver que des gens font l'inverse en tirant la qualité
vers les bas. C'est vraiment dommage car ce n'est l'intérêt de
personne. C'est chercher au moins cher, au moins intéressant, et donc :
au moins qualitatif.
DH : Avec François Caspar nous avons abordé
aussi cet aspect, et on parlait d'un graphisme à deux vitesses qui
pouvait apparaître. On le voit déjà avec des formations de
graphiste-express où tu deviens en 5 mois un infographiste prêt
à servir, capable uniquement d'utiliser des outils. On voit du coup
apparaître un marché saturé de graphistes en tout genre,
souvent difficile même de déterminer qui est réellement
professionnel et qui ne l'est pas. On a vu à l'instant que le
métier ne tenait pas uniquement à une expertise technique,
finalement ce graphisme à deux vitesses peut-il s'accentuer dans les
prochaines années ?
GD : C'est intéressant cette notion de graphisme
à deux vitesses, je ne l'avais jamais envisagé sous cet angle
là. Les gens qui ont du boulot, les stars ou les gens qui sont juste
très bons (les amateurs). Je me fais pas de soucis pour eux, les gens
qui sortent d'ESAG, qui font de la typo de façon nickel, sur du court
terme ils n'ont pas de raison de se faire du souci, les gens qui ont des
réseaux professionnels étendus n'ont pas besoin de ça.
Ça ne va pas les atteindre je pense. Mais les salaires sont aussi
à deux vitesses, ceux qui démarrent dans la profession, ou ceux
qui ne sont pas dans les réseaux parisiens centrés mais
plutôt en province, et qui font des petits boulots pour des associations,
pour des petites boutiques, etc. Eux seront probablement les premiers atteints,
ça m'ennuie vraiment, les plus faible seront touchés en
premier.
c'
DH : Le statut d'indépendant, en ce moment on constate
d'ailleurs une certaine remise en cause du système MDA, j'ai un avis
là dessus qui peut être erroné mais ce fonctionnement est
tellement compliqué (comme celui des intermittents) que peut-être,
par facilité on peut aller se tourner vers ces plates-formes qui
proposent un gain simple. Que l'on doit de toute façon déclarer,
à la MDA, mais ça est écrit en petit et rien ne
contrôle le devenir des gains. Qu'est-ce qui est remis en cause sur ce
système ?
157
GD : La MDA va apparemment fusionner avec l'URSSAF, ou les
Agessa je ne sais plus. La maison des artistes, une enquête a
été faite par l'AFD309 et François t'en a
peut-être parlé, qui fait que la MDA refuse de plus en plus les
designers au sein de leurs cotisants, ce qui serait illégal de
sélectionner des gens qui entrent dans les cases mais sous
prétexte qu'ils sont designers, ils ne les acceptent pas. Alors pas
étonnant qu'ils soient un peu effrayés par ça : c'est
compliqué, c'est très mal géré, ils sont en
sous-effectifs et parfois pas très compétents. Car ils n'ont pas
toujours les connaissances sur les métiers de la création et les
métiers du graphisme ou de la photographie, donc forcément les
étudiants vont vers les plates-formes. Je ne sais pas si on peut
être payé via Paypal, mais si c'est possible, cela reste en
circuit fermé, il n'y a pas de déclaration... Le créatif
se dit qu'il est tranquille. C'est une vision très court-termiste et un
peu infantile mais j'ai été ravis le jour où j'ai pu
quitter la MDA pour créer une société, je gagne bien moins
avec les charges, mais je cotise pour ma retraite, j'ai un interlocuteur
fiable, un comptable : c'est bien plus carré, et c'est plus solide que
d'être à la MDA avec toutes les surprises qui vont avec.
DH : J'y ai fait un court passage aussi, mais cela m'a
donné suffisamment envie de devenir salarié et poursuivi quelques
années pour justifier des choses qui n'avaient même pas
été correctement payées par le commanditaire, au final je
pense avoir plus cotisé que réellement gagné.
GD : Ça m'étonnes pas, rien que le
précompte, le 1%...
DH :...Rien que l'expliquer au client, c'est anti-commercial au
possible !
GD : Je connais un peu les rouages de tout ça et en
effet, il faudrait revoir ce statut et le faire vraiment plus simplement. En
Belgique ils font ça très bien je crois, en Suède aussi
ils ont des statuts très intéressants, les bons modèles ne
manquent pas en Europe, mais en France on est pas toujours
gâtés.
DH : Il faudrait créer une maison des graphistes !
GD : Oui la maison des graphistes ou la maison des
designers...? En profiter pour appeler ça autrement que «
maison » ça rappellerait trop de mauvais souvenirs
(MDA)!
DH : La caverne des graphistes...
GD : Pas mal. Ça fait donc aussi parti des raisons pour
lesquelles j'ai décidé de créer mon entreprise, pour
sortir de ça, avec d'autres contraintes qui ne sont pas non plus
évidentes mais c'est une autre aventure !
DH : En tout cas ça m'a encore apporté des
petites choses, un point de vue aussi singulier sur l'enseignement, ce
n'était pas évident puisque tu es le troisième
professionnel du design avec qui je
m'
|
entretiens. Si tu souhaites ajouter des choses n'hésite
pas.
|
309 Réforme du régime de sécurité
sociale des artistes auteurs Illustration: Erick Duhamel,
http://petitions.upp-auteurs.fr/appel.php?petition=445,
consulté le 6 juillet 2015.
158
GD : Oui justement j'avais noté quelques petits points
: je ne sais pas si tu avais lu mon article sur Axelle Lemaire et les
graphistes310...
DH : J'ai lu plusieurs comptes rendus, peu être pas tous
GD : C'est quelque chose que j'ai remarqué par rapport
à Creads notamment, c'est qu'en fait au départ ils se
présentaient comme la plus grande agence participative, et petit
à petit, dans le vocabulaire, ils ont commencé à faire une
translation, en ne parlant plus uniquement que de concours et de
créatifs. C'est intéressant car on ne s'adresse plus à des
professionnels, mais d'un coup « tout le monde est créatif
» en terme de langage, ça a évolué. On ne fait
plus des projets, mais des concours. Cette translation de vocabulaire est assez
intéressante pour être soulignée. Et ensuite
Creads, révèlent les talents de jeunes artistes, et non
plus graphistes... ce mot disparaît. Ensuite le fait qu'ils prennent 50%
de marge sur tous les prix, ça ils ne le mettent pas du tout en avant...
Et 50% pour un intermédiaire c'est vraiment beaucoup. Parfois même
ils sont amenés à refaire les créations graphiques des
gagnants.
J'avais discuté pas mal avec eux, pour comprendre leur
fonctionnement, ils ont un studio interne, qui retouche parfois les fichiers de
logos faits dans Photoshop de mauvaise qualité, et décline le
projet, redessine, etc. Ce sont des choses en interne que l'on connaît
moins. Ce temps que j'avais d'ailleurs pris avant la rencontre avec A Lemaire,
m'a valu quelques critiques de la part de quelques graphistes un peu «
trolls » sous prétexte d'avoir rencontré
l'ennemi.
DH : Au moins tu es légitime dans ton analyse.
Il faut en effet bien montrer qu'il y aune zone grise, c'est
là où ton mémoire sera le plus intéressant. Dire
comment ça se passait avant, les concours, etc. Voilà comment
ça se passe aujourd'hui à l'extrême et l'industrialisation
de la création pas chère, et au milieu, les choses qui peuvent
être intéressantes. Des personnes comme Marie Julien, par manque
de connaissance de la plate-forme dans les détails, ont tenu des propos
extrêmement déplacés vis à vis d'Axelle Lemaire :
« Si Creads emploie des graphistes gratuitement, est-ce que moi aussi
je peux le faire ? » Cette réunion était très
peu constructive car trustée par deux ou trois personnes monopolisant la
parole autour de la table. Ces personnes étaient juste là pour
dire « le CS c'est mal et nous on fait des trucs bien et c'est tout
». Il faut un dialogue plus riche car le CS risque d'exister encore
longtemps.
DH : Des initiatives comme l'ANEC de Sébastien Drouin,
le guide de la commande graphique ou le livre de B Enns traduit par F Caspar
est des formes de réponses.
Le CS ne peut pas être interdit sous prétexte
qu'il gêne une profession. Bien que c'est ce qui se passe avec les taxi
et Uber pop.
qu'
GD : Apparemment, on ne peut interdire ces plates-formes, une
fois qu'elles existent... qu'est-ce on fait ? Une fois qu'on déconstruit
leur mécanique, comment on agit pour transformer ça à
notre
avantage ?
310 Dorne Geoffrey, Graphisme &
interactivité blog de design par Geoffrey Dorne »
J'ai rencontré Axelle Lemaire, Creads et des graphistes.
http://graphism.fr/resume-jai-rencontr-axelle-lemaire-creads-des-graphistes/,
consulté le 16 novembre 2014.
159
DH : Ma théorie c'est que ces
plates-formes vont finir par être désertée par les
professionnels, au bout de 2 ou 3 concours, auront-ils toujours la motivation
de participer, en découvrant qu'ils ne peuvent mettre le logo de la
marque dans leur book alors que c'est exactement ça qui les a
poussé à participer. Pour le moment ces plates-formes sont
jeunes, on manque de recul, certaines n'ont d'ailleurs pas encore fini de
trouver leur modèle et pourraient encore évoluer. Mais Comme pour
Uber, on ne peut réagir sans comprendre ce qui nous permet de tirer
notre épingle du jeu.
GD : On est encore dans l'émotion...
avec ton mémoire on commencera à avoir des réponses
analytiques. On a besoin de ça :)
2) Sources et références Creads
Témoignages et citations sur Creads Fabienne
Chabus (@freesylo)
Conceptrice rédactrice freelance (
www.fabiennechabus.fr)
et créatif sur Creads (@freesylo), Le 28 Juillet 2015, par mail.
Bonjour Damien,
Je viens d'envoyer mes réponses à votre
formulaire d'enquête. J'espère que d'autres créatifs en
feront autant pour étoffer votre étude. En premier lieu, j'ai
été surprise par votre chiffre de 544 gagnants !!! Seulement !!!
Depuis 2008, année de lancement de la plateforme.
Les chiffres sont implacables et ils ont toujours raison.
Après, je dirais qu'il faut vivre de l'intérieur le crowdsourcing
pour savoir exactement de quoi il en retourne. Mais effectivement, si on
épluche un peu les résultats, ça saute aux yeux que plus
le nombre de victoires est important, plus le suivi de participation et le
professionnalisme d'une poignée de créatifs devient
évident.
Pour compléter le questionnaire de votre enquête, je
vous apporte volontiers quelques précisions :
> Concernant les Elite, en effet, je suis
très souvent sollicitée et ai remporté d'ailleurs
plusieurs concours de ce type, dont celui pour Boulanger avec le naming «
SOLVAREA ». Il s'agissait d'un appel d'offres avec mise en concurrence
entre plusieurs agences. Creads l'a ainsi remporté et il figure dans les
« Références » en vitrine du site. Toutefois, vous
noterez, qu'il n'y est cité que la mention du logo réalisé
à la suite.
> « De quelle façon abordez-vous une commande
classique en freelance (échanges client), cela est-il sensiblement
différent sur Creads ? »
Comme énoncé en réponse à votre
questionnaire, j'estime en effet que les briefs postés sur Creads
manquent souvent de précisions. De plus, sans lien direct avec
l'annonceur, il faut se débrouiller avec, ou plutôt sans, avec
simplement un brief « stéréotypé ».
Seule l'expérience Agence et freelance, permet dans ce
cas de savoir à peu près comment orienter une demande, ou tout du
moins de savoir quel est le territoire de communication ou le ton à
rechercher. Le manque de « dialogue » direct avec le client, par
rapport à une commande exercée en freelance est flagrant. Quand
j'ai une demande de naming en direct, je prolonge toujours le brief par un
entretien où je peux sonder plus facilement les attendus, être
à l'écoute de la sensibilité de mon interlocuteur pour
répondre plus facilement aux besoins et viser juste.
Si vous avez d'autres questions, je reste bien volontiers
à votre disposition.
Bien cordialement, Fabienne
160
PS : Merci d'avance de bien vouloir me communiquer le
résultat de votre étude à publication.
161
@Mistizouk
Créatif sur Creads (@Mistizouk), par messages depuis la
plate-forme Creads, Juin 2015.
C'est noël
J'espère que mes réponses t'aideront même
si je ne suis pas la meilleure dans le classement de la communauté !
Fais-tu parti toi aussi de Creads ? Pour ma part, j'ai répondu
à beaucoup de projets avant même d'avoir 1 victoire, alors
pourquoi y revenir tu me diras... et bien quand tu gagnes, c'est comment dire,
noël avant noël ! Tu as l'impression d'être Di Caprio à
l'avant du Titanic en train de crier, je suis le roi du monde. Gagner face
à des centaines d'autres candidats cela te rebooste forcément et
te pousse à croire que tu as bien fait d'aller dans cette voie !
Bonne journée Damien H
Se libérer de l'agence :
Me mettre en freelance c'était une délivrance
effectivement, en agence on est tenu par la hiérarchie qui le plus
souvent reste très administrative et ne laisse que peu de temps à
la créa ! On nous prend pour des divas ! Moi je vais répondre au
projet de la talonnette, si cela te tente... qui sait, je voterai
peut-être pour toi sans le savoir !
Méconnaissance du métier :
« Sinon une autre difficulté c'est de faire
comprendre à certains clients que c'est un métier et qu'il y a un
réel travail de recherche derrière, de création, de
veille. J'aime certaines réflexions que peut dire un
client.311 » (@Wilko87)
Les participants regrettent l'ancien forum :
« Dommage, dommage qu'il n'y ait plus de forum pour
s'exprimer publiquement. Bonne journée. » (@sifflodoc 2 juillet
2015)
Commentaires autour des échanges entre membres :
« Oui, je pense que commenter objectivement est une
chose très importante » (@Freestylo)312
« Pour moi l'esprit de partage est plus important que
celui de compétition » (@Mandine44 sur le blog Creads).
Parfois cela peut même donner lieu à des
collaborations entre un créatif et un rédacteur :
« Sur ce projet, j'ai travaillé en team avec
une jeune et talentueuse rédactrice également inscrite depuis peu
sur Creads. Je tenais donc à la remercier et à l'associer
à ce travail. » (@Ezpeletar !) 313
311 Paroles de Créa : Découvrez l'interview de
Wilko87 [En ligne]. Creads. Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-decouvrez-linterview-de-wilko87
> (consulté le 25 juillet 2015)
312
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-freestylo#sthash.x93kX4lr.dpuf
313 Paroles de Créa - Découvrez l'interview de
@Ezpeletar ! [En ligne]. Creads. Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-ezpeletar
> (consulté le 25 juillet 2015)
162
Un moyen de progresser
« L'expérience Creads m'a clairement permis de
m'améliorer, voire de démarrer d'une page quasi blanche. Avant
j'avais seulement fait un ou deux logos de base et Creads m'a vraiment permis
de progresser sur le plan technique, et de me confronter à des
graphistes de talent et à des clients pas toujours faciles à
comprendre. Je ne pense pas que j'aurais pu avancer de cette manière sur
le plan professionnel sans cette corde très utile à mon arc.
» (@RDCom !)314
Méconnaissance du métier
« Sinon une autre difficulté c'est de faire
comprendre à certains clients que c'est un métier et qu'il y a un
réel travail de recherche derrière, de création, de
veille. J'aime certaines réflexions que peut dire un
client.315 » (@Wilko87)
Les Conditions générales d'utilisation Creads
(CGU)
« Creads est une agence de communication qui assure
un haut niveau de service à ses Clients, que ce soit dans le cadre de
Projets Internes, d'Appels à la Création ou d'un mix entre ces
deux processus de création. Dans ce cadre, elle a pris l'initiative et
la responsabilité de développer le Site, à partir duquel
les Créatifs peuvent librement contribuer aux Appels à la
Création. » (CGU creads)
Creads et le community management
« Bonjour, damienhenry !
Je suis Aurélien, Community Manager chez Creads.
Je suis ravi de vous accueillir au sein de notre
communauté :)
Pour bien commencer sur Creads, je vous suggère de remplir
votre profil. Cette étape sera nécessaire
pour que nous puissions vous contacter et que vous empochiez vos
gains lors de victoires de projets. »
Vos premiers pas dans l'agence Creads :
· Complétez vos informations de compte
· Participez à votre premier projet participatif
· Découvrez les créatifs de la
communauté
· Visitez le blog marketing Creads
314 Paroles de Créa - Découvrez l'interview de
@RDCom ! [En ligne]. Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-rdcom
> (consulté le 25 juillet 2015)
315 Paroles de Créa : Découvrez l'interview de
Wilko87 [En ligne]. We are a design tribe - CREADS. Disponible sur : <
http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-decouvrez-linterview-de-wilko87
> (consulté le 25 juillet 2015)
164
Le Brief du concours Segasel
Disponible sur :
http://www.creads.fr/creation-logo-entreprise/garage-reparation-poids-lourds/brief
Brief créatif par Aurelien - Chef de projet :
Contexte Du Projet :
Bonjour à tous,
Nous vous sollicitons pour la refonte de l'identité
visuelle de SEGASEL, garage de réparations poids lourds. Il s'agit de
moderniser fortement le logo SEGASEL (disponible en pièce-jointe). Vous
pouvez modifier de nombreux éléments mais l'idéal serait
de conserver une suite logique afin que nous puissions sensiblement
reconnaître l'ancien logo.
Obligations :
· reprendre l'idée du camion tout en le
modernisant.
· Ne pas représenter un modèle en
particulier. Le camion doit être intemporel et peu figuratif et
éviter le format vertical, peu pratique.
· couleur dominante bleue
· Baseline : Segasel s'occupe de tout, Segasel s'occupe
de vous
· Mots clés : sérieux, moderne,
innovation, dynamisme.
Bonne créa :)
Stratégie de marque Nom de logo :
Segasel
Baseline : Segasel s'occupe de tout, Segasel
s'occupe de vous
Objet du logo : Segasel est un garage de
réparations poids lourds. Segasel représente la marque DAF mais
répare toutes les marques de camion ainsi que les remorques et semi
remorque. Segasel vend des camions neufs DAF et des poids lourds occasion
toutes marques (même si Segasel préfère vendre des
occasions en Daf) Segasel vend des pièces détachées pour
poids lourds et remorques. DAF et toutes marques. Le logo actuel
représente un camion en vertical ( certains y voient une clé a
molette)avec le coeur vendéen au milieu il a le défaut
d'être statique et
vertical.il a la qualité
d'être connu. Il faut le dynamiser et le moderniser
Renseignements sur Segasel :
www.segasel.fr
Cibles : Tout propriétaire de camion. Clientèle
exclusivement professionnelle clientèle locale en camions neufs et
internationale en camions d'occasion. Pour les réparations
clientèle locale et clientèle de passage.
Concurrents : Les garages qui
représentent d'autres marques poids lourds sur le secteur SDVI pour la
marque IVECO, BERNIS pour la marque Renault Trucks, Seguin Trucks pour la
marque VOLVO,DIAN pour la marque Scania, SAGA pour la marque Mercedes, Man
France pour la marque MAN ou des garages qui représentent la même
marque : Sidan à la Roche sur Yon pour DAF Ou des garages
indépendants (Savarieau TVI, Rondeau Frères, Chiron Eds, G
Trucks...)
Valeurs à véhiculer : Sérieux, service,
professionnalisme, disponibilité, professionnel, formation continue du
personnel, innovation dans le service
Supports D'application : Carte de visite,
entête facture, web, bâtiment, véhicules Direction
créative
Type de logo recherché Pictural / illustratif :
Abstrait :
165
Contrainte typographique : /
Obligations et recommandations : /
Interdits : politique, religion, sexe
Logos appréciés par le client :
Total
Logos non-appréciés par le client : Facebook car le
f ne fait pas rêver
166
Capture du site Segasel
Capture de la page d'accueil du Site
www.segasel.fr du 24 Juillet
2015.
Quelques lignes pour défendre son travail
Démarche créative
J'ai tout d'abord crayonné plusieurs formes de camion
en essayant de conserver l'essentiel sans pour autant donner l'impression
d'avoir affaire à un transporteur. J'ai ensuite ajusté les pleins
et déliés afin de garder un équilibre entre la typographie
Eurostile légèrement compacte et la forme du camion plus
élancée. Pour finir la couleur est choisi en fonction des codes
du secteur (IVECO, Michelin), mais le Rouge n'a pas été
conservé car jugé trop agressif et cela pourrait rappeler
IDlogistics.
Pertinence : en quoi votre
création répond aux besoins du client ?
Pour rester dans l'univers existant de la marque, j'ai choisi
de conserver la typographie Eurostile utilisée sur le site
Segasel, et d'illustrer par un pico stylisé de camion à
la fois la dynamique, le mouvement souhaité par le client mais aussi
pour être clairement identifié comme acteur du secteur. En ce qui
concerne la Baseline, la répétition Segasel,
couplée au logo, rend l'ensemble un peu trop redondant. Je propose
une approche plus légère, bien que le brief exige la
répétition du mot.
167
Captures du site Creads
Home page de Creads 2015
http://www.creads.fr/
La page projets de Creads
http://www.creads.fr/projets
169
Les avatars des membres sur Creads
SPCK L) 3171V
.101..44,01.14
041114. PriPlara
L.
G
1~
B. ['i
lid
I1~
4
170
171
Le mur communautaire
http://www.creads.fr/community/search/creatif
172
Le site Creads : 2014 en chiffres
Le Blog de Creads,
http://www.creads.fr/blog/concours-creation/creads-2014-chiffres
Les offres disponibles sur Creads (partie dédiée
aux entreprises)
173
174
Études des gagnants sur
Creads
Proportions des gagnants sur la communauté
Creads
544 Gagnants 2%
77
Les gagnants par concours
350
322
Nombre de gagnants
300 250 200 150 100
38 27 14 12 2 7 6 4 6 2 8 2 1 2 1 1
1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
50
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 19 20 21 22 25 28
29 31 33 35 39 54 58 127 Nombre de concours remportés
9
3
1
7
10
8
page
5
4
2
% des victoires
% de gagnants
6
% des membres
total victoires
total global
nbre de gagnants 322
>10 137
Nombres de victoires
1814
59,1 14,1
1,32 0,31
17,7 8,49
322
26
25
35
27
30
14
18
4
6
1
victoires
154
17
19
10
4
4
2
8
8
3
1
1
77
2
6,98 4,96
6,28 5,95
0,15 0,11
114
13
12
8
3
1
1
38
3
108
15
2
2
7
1
27
4
0,05 0,04
2,57 2,20
3,86 3,97
11
2
1
70
14
5
2
3
7
72
12
6
0,00 0,02
0,36 1,28
0,77 3,09
2
14
2
7
2425
4
2
1
56
7
8
Membres de la communauté
2,98 2,21
0,02 0,01
1,10 0,73
5
1
54
6
9
Les gagnants référencés par page sur
Creads
4
40
10
4
0,02 0,00
3,64 1,32
1,10 0,36
5
1
66
11
6
2
24
12
2
0,03 0,00
5,73 1,54
1,47 0,36
104
7
1
13
8
2,24
544
1
1
28
14
2
% des membres
nombre de gagnants
0,00 0,00
0,18 0,36
0,83 1,76
1
15
15
1
2
32
16
2
0,00 0,00
0,18 0,18
1,05 1,10
1
19
19
1
1
20
20
1
0,00 0,00
0,18 0,18
1,16 1,21
1
21
21
1
3,33
1
22
22
1
moyenne des victoires générales
0,00 0,00
0,18 0,18
1,38 1,54
1
25
25
1
1
28
28
1
0,00 0,00
0,18 0,18
1,60 1,71
1
29
29
1
3,80
1
31
31
1
0,00 0,00
0,18 0,18
1,82 1,93
1
33
33
1
1
35
35
1
2,15 2,98
0,00 0,00
0,18 0,18
1
39
39
1
1
54
54
1
0,00 0,00
0,18 0,18
3,20
1
58
58
1
127
127
7,0
1
1
175
176
Les gagnants sur Creads et Eyeka
Étude et analyse du site
identifiables selon CREADS
|
Membres de la communauté
|
Selon étude des profils affichés
|
en 2013
|
2014
|
en 2015
|
24 250
|
53 666
|
50000 +
|
50000 +
|
Gagnants (qui ont gagnés au moins un concours)
|
total
|
part de la
communauté (selon creads)
|
part de la communauté (affichés)
|
total
|
544
|
1,01%
|
2,24%
|
NC
|
victoires (nbre concours)
|
total projets identifiés
|
Nombre de victoire moyenne par gagnant
|
global en 2013
|
nombre de projets en 2014
|
global en 2015
|
1814
|
3,33
|
1512
|
343
|
1807
|
Gains indiqués (Euros reversés)
|
impossiblité de parcourir les archives des concours
|
global en 2013
|
pour l'année 2014
|
global
|
NC
|
658 727€
|
NC
|
NC
|
Créations déposées
|
affichage ne permettant pas de faire une estimation
|
global en 2013
|
pour l'année 2014
|
global
|
NC
|
284 554
|
29 567
|
300 000
|
Gains moyens par création
Gains moyens par concours
NC
|
global en 2013
|
pour l'année 2014
|
global
|
436€
|
NC
|
NC
|
propositions moyenne par concours
|
affichage ne permettant pas de faire une estimation
|
global en 2013
|
pour l'année 2014
|
global
|
|
NC
|
188,20
|
86,20
|
166,02
|
Données du sondage
total
|
identifiables
|
Selon Creads
|
Selon Membres de la communauté
total membres
|
% de la communauté
|
% de la communauté base 2013
|
43 0,18% 0,08%
Selon les gagnants
total gagnants
|
% gagnants
|
% gagnants
|
43
|
7,90%
|
NC
|
selon les victoires (nbre concours)
|
total victoires
|
% victoires
|
% victoires 2015
|
305
|
16,81%
|
16,88%
|
selon les Créations déposées
|
créations déposées
|
% créations déposées
|
% créations déposées base 300 000
|
|
19 143
|
NC
|
6,38%
|
177
Résultats bruts de l'enquête
Avant de trier les données, Google form permet
de visualiser les réponses de manière « brutes ». Nous
les avons ensuite croisées pour obtenir des résultats par
catégories de profil.
Pour des raisons financières [Quelles sont les
raisons qui vous poussent à participer ?]
Motivation prin...
Motivation sec...
Peu intéressé...
Motivation principale
|
20
|
46.5 %
|
Motivation secondaire
|
21
|
48.8 %
|
Peu intéressé par cet aspect
|
2
|
4.7 %
|
Par passion pour la création [Quelles sont les
raisons qui vous poussent à participer ?]
Motivation prin...
Motivation sec...
Peu intéressé...
Motivation principale
|
35
|
81.4 %
|
Motivation secondaire
|
7
|
16.3 %
|
Peu intéressé par cet aspect
|
1
|
2.3 %
|
Pour "changer" de l'agence [Quelles sont les raisons
qui vous poussent à participer ?]
Motivation prin...
Motivation sec...
Peu intéressé...
Motivation principale
|
6
|
14 %
|
Motivation secondaire
|
5
|
11.6 %
|
Peu intéressé par cet aspect
|
32
|
74.4 %
|
Se mesurer aux autres créatifs [Quelles sont
les raisons qui vous poussent à participer ?]
Motivation prin...
Motivation sec...
Mot
Peu intéressé...
Comme tremplin professionnel [Quelles sont les raisons
qui vous poussent à participer ?]
Motivation prin...
Motivation sec...
Peu intéressé...
178
Motivation principale
|
7
|
16.3 %
|
Motivation secondaire
|
16
|
37.2 %
|
Peu intéressé par cet aspect
|
20
|
46.5 %
|
Avez-vous utilisé certaines de vos
créations soumises pour votre book (portfolio) ?
oui 22 52.4 % non 20 47.6 %
47.6%
52.4%
Après avoir gagné un concours, avez-vous
échangé avec le client ?
76.7%
23.3%
oui j'ai échangé avec lui 10
23.3 % non jamais 33 76.7 %
Le brief est-il suffisament complet pour fournir une
réponse pertinente ?
51.2%
30.2%
18.6%
Toujours
|
13
|
30.2 %
|
Il manque parfois des éléments pour avancer
|
22
|
51.2 %
|
C'est souvent compliqué de cerner la demande
|
8
|
18.6 %
|
Estimez-vous avoir un bon taux de réussite
?
16
12
8
4
0
1 2 3 4 5
179
Moins de réussiste : 1
|
7
|
16.3 %
|
2
|
15
|
34.9 %
|
3
|
18
|
41.9 %
|
4
|
2
|
4.7 %
|
Très bon taux de réussite : 5
|
1
|
2.3 %
|
180
Taux de réussite des participants à l'enquête
sur Creads
Taux de réussite des participants à l'enquête
profils
|
Nombre de concours gagnés moyen
|
créations déposées (moyenne)
|
nombre de création pour 1
victoire
|
taux de réussite -
moyenne
|
sensation / estimation
|
nombre de personnes
|
% profils des sondés
|
moyenne globale
|
7,09
|
445,19
|
69,22
|
3,34%
|
2,42
|
|
|
total
|
305
|
19 143
|
|
|
|
43
|
|
par statut
|
|
|
|
|
|
|
|
Professionnels
|
6,88
|
395,29
|
61,06
|
4,45%
|
2,54
|
24
|
55,81%
|
Créatif en Agence (ou studio)
|
4,75
|
33,75
|
9,88
|
14,01%
|
3,00
|
4
|
9,30%
|
créatif en agence et freelance
|
15,00
|
589,00
|
39,27
|
2,55%
|
3,00
|
1
|
2,33%
|
Freelance
|
6,82
|
448,88
|
72,90
|
2,67%
|
2,47
|
17
|
39,53%
|
independant qui paie ses cotisations
|
33,00
|
1750,00
|
53,03
|
1,89%
|
1,00
|
1
|
2,33%
|
Créatif en service communication
|
6,00
|
389,00
|
64,83
|
1,54%
|
3,00
|
1
|
2,33%
|
presque pro...
|
3,50
|
344,50
|
110,01
|
1,01%
|
1,50
|
4
|
9,30%
|
freelance à la recherche d'une opportunité
|
9,00
|
743,00
|
82,56
|
1,21%
|
1,00
|
1
|
2,33%
|
À la recherche d'une opportunité en agence
|
1,67
|
211,67
|
119,17
|
0,94%
|
1,67
|
3
|
6,98%
|
Amateur
|
6,80
|
484,73
|
73,37
|
2,13%
|
2,47
|
15
|
34,88%
|
Employé dans un autre secteur
|
7,92
|
577,00
|
80,42
|
1,54%
|
2,33
|
12
|
27,91%
|
particulier
|
3,00
|
168,50
|
62,75
|
1,77%
|
3,00
|
2
|
4,65%
|
etudiant management
|
1,00
|
10,00
|
10,00
|
10,00%
|
3,00
|
1
|
2,33%
|
par parcours
|
|
|
|
|
|
|
|
J'ai fait des études supérieures
d'art
|
6,08
|
361,58
|
70,47
|
3,67%
|
2,50
|
12
|
27,91%
|
À la recherche d'une opportunité en agence
|
1
|
80
|
80
|
1,25%
|
2
|
1
|
2,33%
|
Freelance
|
7,14
|
506,86
|
91,77
|
2,70%
|
2,71
|
7
|
16,28%
|
Créatif en Agence (ou studio)
|
3
|
30,5
|
11,5
|
9,89%
|
2,5
|
2
|
4,65%
|
créatif en agence et free
|
15
|
589
|
39,27
|
2,55%
|
3
|
1
|
2,33%
|
Employé dans un autre secteur
|
1
|
61
|
61
|
1,64%
|
1
|
1
|
2,33%
|
J'ai suivi une formation en infographie
|
4,25
|
322
|
81,06
|
2,88%
|
1,75
|
4
|
9,30%
|
À la recherche d'une opportunité en agence
|
2
|
360
|
180
|
0,56%
|
1
|
1
|
2,33%
|
Créatif en Agence (ou studio)
|
3
|
39
|
13
|
7,69%
|
3
|
1
|
2,33%
|
Freelance
|
3
|
146
|
48,67
|
2,05%
|
2
|
1
|
2,33%
|
freelance à la recherche d'une opportunité
|
9
|
743
|
82,56
|
1,21%
|
1
|
1
|
2,33%
|
Je suis autodidacte
|
8,74
|
544,70
|
65,67
|
3,54%
|
2,39
|
23
|
53,49%
|
À la recherche d'une opportunité en agence
|
2
|
195
|
97,5
|
1,03%
|
2
|
1
|
2,33%
|
Créatif en Agence (ou studio)
|
10
|
35
|
3,5
|
28,57%
|
4
|
1
|
2,33%
|
Créatif en service communication
|
6
|
389
|
64,83
|
1,54%
|
3
|
1
|
2,33%
|
Employé dans un autre secteur
|
10,25
|
755
|
86,30
|
1,45%
|
2,375
|
8
|
18,60%
|
etudiant management
|
1
|
10
|
10
|
10,00%
|
3
|
1
|
2,33%
|
Freelance
|
7
|
437,44
|
60,91
|
2,73%
|
2,33
|
9
|
20,93%
|
independant qui paie ses cotisations
|
33
|
1750
|
53,03
|
1,89%
|
1
|
1
|
2,33%
|
particulier
|
4
|
172
|
43
|
2,33%
|
2
|
1
|
2,33%
|
la réponse D (ces personnes ont
de l'humour)
|
3,5
|
247
|
74,03
|
1,61%
|
3
|
4
|
9,30%
|
Employé dans un autre secteur
|
4
|
274,33
|
71,21
|
1,74%
|
2,67
|
3
|
6,98%
|
particulier
|
2
|
165
|
82,5
|
1,21%
|
4
|
1
|
2,33%
|
181
Profils des participants à l'enquête sur
Creads
Les résultats on été obtenus après un
tri des données brutes issues du questionnaire réalisé
auprès d'un panel de 43 gagnants.
|
|
|
|
|
|
|
Avez-vous utilisé certaines de vos créations
soumises pour votre book (portfolio) ?
|
|
|
|
taux
|
échange client
|
brief
|
book
|
profils
|
|
taux de réussite - moyenne
|
oui j'ai échangé avec lui
|
Non jamais
|
toujours complet
|
C'est souvent compliqué de
cerner la
demande
|
Il manque parfois des éléments
pour avancer
|
Oui
|
Non
|
nombre de personnes
|
% profils des sondés
|
|
3%
|
23%
|
77%
|
30%
|
19%
|
51%
|
53%
|
47%
|
|
|
|
|
10
|
33
|
13
|
8
|
22
|
23
|
20
|
43
|
|
par statut
|
Professionnels 4%
|
14%
|
42%
|
9%
|
12%
|
35%
|
40%
|
16%
|
24
|
55,81%
|
Créatif en Agence (ou studio)
|
14%
|
0%
|
9%
|
2%
|
0%
|
7%
|
7%
|
2%
|
4
|
9,30%
|
créatif en agence et freelance
|
3%
|
2%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
Freelance
|
3%
|
12%
|
28%
|
5%
|
12%
|
23%
|
28%
|
12%
|
17
|
39,53%
|
independant qui paie ses cotisations
|
2%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
Créatif en service communication
|
2%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
2%
|
1
|
2,33%
|
presque pro...
|
1%
|
5%
|
5%
|
5%
|
2%
|
2%
|
9%
|
0%
|
4
|
9,30%
|
freelance à la recherche d'une opportunité
|
1%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
À la recherche d'une opportunité en agence
|
1%
|
200%
|
2%
|
2%
|
2%
|
2%
|
7%
|
0%
|
3
|
6,98%
|
Amateur
|
2%
|
5%
|
30%
|
16%
|
5%
|
14%
|
5%
|
30%
|
15
|
34,88%
|
Employé dans un autre secteur
|
2%
|
5%
|
23%
|
16%
|
2%
|
9%
|
5%
|
23%
|
12
|
27,91%
|
particulier
|
2%
|
0%
|
5%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
5%
|
2
|
4,65%
|
etudiant management
|
10%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
2%
|
1
|
2,33%
|
par parcours
|
J'ai fait des études supérieures d'art
3,67%
|
9%
|
19%
|
9%
|
5%
|
14%
|
23%
|
5%
|
12
|
27,91%
|
À la recherche d'une opportunité en agence
|
1,25%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
Freelance
|
2,70%
|
7%
|
9%
|
2%
|
200%
|
9%
|
14%
|
2%
|
7
|
16,28%
|
Créatif en Agence (ou studio)
|
9,89%
|
2%
|
2%
|
0%
|
0%
|
5%
|
5%
|
0%
|
2
|
4,65%
|
créatif en agence et free
|
2,55%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
Employé dans un autre secteur
|
1,64%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
0%
|
0%
|
2%
|
1
|
2,33%
|
J'ai suivi une formation en infographie
|
2,88%
|
2%
|
7%
|
2%
|
2%
|
5%
|
7%
|
2%
|
4
|
9,30%
|
À la recherche d'une opportunité en agence
|
0,56%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
Créatif en Agence (ou studio)
|
7,69%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
2%
|
1
|
2,33%
|
Freelance
|
2,05%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
freelance à la recherche d'une opportunité
|
1,21%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
Je suis autodidacte
|
3,54%
|
12%
|
42%
|
12%
|
12%
|
30%
|
23%
|
30%
|
23
|
53,49%
|
À la recherche d'une opportunité en agence
|
1,03%
|
2%
|
0%
|
0%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
Créatif en Agence (ou studio)
|
28,57%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
Créatif en service communication
|
1,54%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
2%
|
1
|
2,33%
|
Employé dans un autre secteur
|
1,45%
|
5%
|
14%
|
7%
|
2%
|
9%
|
5%
|
14%
|
8
|
18,60%
|
etudiant management
|
10,00%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
2%
|
1
|
2,33%
|
Freelance
|
2,73%
|
4,65%
|
16%
|
2%
|
7%
|
12%
|
12%
|
9%
|
9
|
20,93%
|
independant qui paie ses cotisations
|
1,89%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
2%
|
0%
|
1
|
2,33%
|
particulier
|
2,33%
|
0%
|
2%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
1
|
2,33%
|
la réponse D (ces personnes ont de
l'humour)
|
1,61%
|
0%
|
9%
|
7%
|
0%
|
2%
|
0%
|
9%
|
4
|
9,30%
|
Employé dans un autre secteur
|
1,74%
|
0%
|
7%
|
7%
|
0%
|
0%
|
0%
|
7%
|
3
|
6,98%
|
particulier
|
1,21%
|
0%
|
2%
|
0%
|
0%
|
2%
|
0%
|
2%
|
1
|
2,33%
|
3) Sources et références
Eyeka
Captures du site Eyeka
Homepage Eyeka
https://fr.eyeka.com
|
|
182
183
La page des concours Eyeka
https://fr.eyeka.com/contests
La page dédiée aux « créateurs
» d'Eyeka (1/3)
https://fr.eyeka.com/creators
184
185
La page dédiée aux « créateurs
» d'Eyeka (2/3)
https://fr.eyeka.com/creators
186
La page dédiée aux « créateurs
» d'Eyeka (3/3)
https://fr.eyeka.com/creators
Le mur communautaire Eyeka
https://fr.eyeka.com/users
187
188
Eyeka. « The state of Crowdsourcing in 2015 ».
Présenté sur la nouvelle page dédiée
au CS d'Eyeka, Roth Y., Petavy F., Céré J. Avril 2015. Disponible
sur : <
https://fr.Eyeka.com/resources/analyst-reports#CSreport2015
>
Évolution de la proportion des grandes marques (selon
Best Global Brands) qui ont fait appel aux CS pour une campagne marketing ces
dix dernières années.
Usage du CS par marque et par nombre de concours en 2013 et
2014.
189
4) Références citations (hors
plates--formes)
Barbara Dennys
Directrice de l'école supérieure de design d'Amiens
(ESAD), par mail le 28 juin 2015. Damien, bonjour
Je ne peux parler que pour les personnes sorties de l'Esad
d'Amiens.
Les jeunes diplômés en design graphique ont
davantage de difficulté à trouver du travail car le
ralentissement économique a un impact sur cette profession. Ils se
mettent davantage en indépendant pour pouvoir avec des
rétrocessions de mission d'agences de graphisme qui embauchent peu
actuellement. Les diplômés de moins de quatre ans ne gagnent pas
énormément.
Les jeunes diplômés en design numérique n'ont
pas de problème pour entrer sur le marché.
Les jeunes diplômés en images animées
(Waide Somme) sont recrutés après le DNAP alors qu'on
voudrait les garder pour aller jusqu'au DNSEP.
Nous avons renforcé le dispositif autour de
François Caspar. Une représentante du Conseil Régional de
Picardie donne également des conseils aux jeunes diplômés.
D'une manière générale, ce sont les étudiants qui
ont fait le plus de stage avant la fin de leurs études qui sont le plus
à l'aise dans le début de vie professionnelle. Nous ne parlons
pas de l'aspect commercial à l'Esad. Il y a toujours un grand hiatus sur
cet aspect là. Il est très difficile pour une tête en train
d'apprendre de se confronter simultanément à la
réalité d'un marché et au développement de ses
capacités créatives. L'intervention de François Caspar est
déjà une exception en école d'art, et je l'ai pratiquement
imposée.
Si j'avais du budget pour améliorer l'offre
pédagogique, je renforcerai en priorité l'apprentissage de
l'anglais. Le niveau des bacheliers est toujours aussi mauvais, et c'est
essentiel pour l'avenir. Et si j'avais encore davantage de budget, je ferais
une sixième année bien pragmatique : anglais, print,
développement de sites web, gestion financière et administrative,
marketing...
Je ne me souviens plus du nom des chercheurs, mais leur
ouvrage était sorti à la Documentation Française.
Attention, l'ouvrage rassemble tout type de graphiste, infographiste, etc. sans
faire de distinction entre les types de formation.
Tenez moi au courant de votre mémoire de recherche
A bientôt
Barbara
190
Ludivine Vinot sur son blog
Graphisteries316
« Quel graphiste n'a jamais été
confronté à cette remarque au sein de son entourage : - Ce n'est
pas vraiment un boulot pour toi, tu t'amuses ! ? Et bien malheureusement de
plus en plus de clients potentiels ont cette vision des choses. » (Vinot,
2012)
Thomas Pacaud sur son blog317
« Mais c'est un signe de réactivité et
de savoir-faire, pas une arnaque. J'ai passé des années à
apprendre à faire certaines choses en 5 minutes. Et si nous sommes
payés, c'est avant tout pour notre savoir-faire et non pour le temps
passé derrière l'écran. » (Pascaud, 2014)
Destruction créatrice de Joseph
Schumpeter318
« L'impulsion fondamentale qui met et maintient en
mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de
consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les
nouveaux marchés, les nouveaux types d'organisation industrielle - tous
éléments créés par l'initiative capitaliste. [...]
L'histoire de l'équipement productif d'énergie, depuis la roue
hydraulique jusqu'à la turbine moderne, ou l'histoire des transports,
depuis la diligence jusqu'à l'avion. L'ouverture de nouveaux
marchés nationaux ou extérieurs et le développement des
organisations productives, depuis l'atelier artisanal et la manufacture
jusqu'aux entreprises amalgamées telles que l'U.S. Steel, constituent
d'autres exemples du même processus de mutation industrielle - si l'on me
passe cette expression biologique - qui révolutionne incessamment de
l'intérieur la structure économique, en détruisant
continuellement ses éléments vieillis et en créant
continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction
Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c'est
en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute
entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter. »
(Schumpeter, 1943)
316 Vinot L., 2012, Wilogo, Creads & co: la gangrène
du créatif par le crowdsourcing,
http://www.lesgraphisteries.com/2012/10/15/wilogo-creads-co-la-gangrene-du-creatif-par-le-crowdsourcing/
, octobre 2012, consulté le 15 novembre 2014.
317 Pascaud T., 2014, Vraies et fausses idées
reçues sur les graphistes indépendants,
http://thomaspascaud.com/vraies-et-fausses-idees-recues-sur-les-graphistes-independants/
, 16 octobre 2014, consulté le 12 novembre 2014.
318 Schumpeter J., 1943 Traduction française 1951
Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, p.106 et 107.
191
Les tarifs des designers
parus dans la revue Création numérique au
début des années 2000
192
5) La zone de confort et la prise de risque
On utilise en ce moment l'expression ou l'obscur terme de
disruption319 que l'on entend souvent de la bouche des
publicitaires (Jean-Marie Dru). Il s'agit de sortir de la zone de confort, des
idées reçues. Il est évidemment plus facile pour un
designer de reprendre des formules qui fonctionnent, d'aller directement vers
ce qu'attend le client. Mais non, quelque chose de plus fort nous pousse
à proposer autre chose, à surprendre. Bien entendu, les designers
vont parfois à l'encontre de leurs chefs de projets, ou ont parfois du
mal à être compris dans leur processus de création. Il est
d'ailleurs plus difficile de convaincre le client avec une idée
audacieuse.
Souvent le brainstorming et le dessin permettent d'exprimer
rapidement un concept et de partager cette vision globale. Le designer utilise
régulièrement des cartographies mentales (mind maps). Pour avoir
cette vue d'ensemble, qu'il est en général le seul à
comprendre.
S'aventurer dans les sables mouvants peu être
payant. Il est radical parfois, de changer l'ordre établi et les
conventions ; je le vois d'ailleurs en ce moment en stage chez Saint-Gobain,
une entreprise de 350 ans, qui souhaite d'effectuer sa transformation
digitale, mais qui a encore du mal à passer sur des outils
collaboratifs performants. Si on laisse sa frilosité au vestiaire, il
sera plus facile ensuite de faire naviguer la marque (son produit, sa
communication) sur des océans bleus où le potentiel de
développement est plus important que sur un marché saturé
par la concurrence (océan rouge). En orientant la conception vers
l'usage et l'innovation utile (W. Chan Kim et Renée Mauborgne), les
designers proposent à leurs commanditaires de repenser leurs services ou
produits.
La disruption consiste pour une organisation à sortir
de sa zone de confort, des idées reçues changer l'ordre
établi et les conventions. Certaines grandes firmes de la Silicon
Valley ont bien compris le « design thinking », cette
méthode centrée sur l'humain reprend la démarche des
designers pour la résolution de problèmes complexes. Jonathan
Ive, Directeur général du design Apple, est presque
considéré comme un messie à Cupertino. Je ne suis pas
certain que cela puisse être enseigné, mais l'intuition du
designer est probablement aussi facteur de vocation professionnelle, on ira
naturellement vers ce type de secteur plutôt que vers la banque ou la
comptabilité. La curiosité, l'observation et l'écoute sont
sans doute les plus importantes qualité du designer. Je trouve le terme
« créatif » souvent utilisé à outrance,
dès que l'on a une idée qui n'est pas courante. Alors qu'un
créatif sera quelqu'un qui arrivera à placer la bonne idée
au bon moment, au bon endroit. Une certaine justesse dans l'acte de
création.
Prototypage
Chez Saint-Gobain, je constate dans le centre de R&D
où je suis en stage, que le prototypage rapide et les
échanges sont très encouragés pour trouver de nouvelles
technologies ou procédés d'analyse. Mais ce n'est pas naturel
pour tout le monde. Je travaille actuellement sur l'aménagement d'une
« salle de créativité » nommée Eureka!
qui a pour but de favoriser les relations entre les chercheurs et les
techniciens des laboratoires qui effectuent les analyses pour ces derniers.
Sortir des salles classiques de
319 Dauchez Charlotte, « L'innovation utile : à
vos marques, prêts, disruptez ! »
http://siecledigital.fr/2015/02/innovation-utile-a-vos-marques-prets-disruptez
consulté le 10 juillet 2015.
193
réunions devrait permettre d'améliorer
l'agilité des projets. L'aspect forcé où « on
fait comme google » m'a frappé lorsque l'on m'a parlé
du concept de cette salle, cette façon de travailler est pourtant
naturelle pour un designer. C'est quand j'ai commencé à effectuer
mon audit pour la refonte de l'intranet en essayant de comprendre chaque usage
et en rencontrant directement le personnel que j'ai découvert que des
personnes séparées par deux cloisons ne communiquaient presque
pas sur leur travail. Repenser le contexte social, en rapprochant les gens est
sans doute ce que l'on retrouve dans la co-création, celle des
Fablabs aux antipodes des plateformes de crowdsourcing où
le créatif sera seul face à son brief.
194
195
RESUMÉ
Le crowdsourcing permet aux organisations de résoudre
toutes sortes de problématiques en faisant appel aux internautes (la
foule) sous la forme de concours et par l'intermédiaire d'une
plate-forme. En jouant sur les codes professionnels des agences, ces
plates-formes créatives attirent des amateurs cherchant à
s'insérer professionnellement ou souhaitant débuter une
activité. Les participants y voient une opportunité pour
consolider leurs books de références avec des marques de renom.
Ce mémoire aborde la question suivante : En quoi les
plates-formes de crowdsourcing font-elles évoluer le paysage de la
création graphique et définissent de nouvelles règles aux
professionnels de la création ?
Afin d'envisager une réponse à cette
problématique nous verrons dans un premier temps que le crowdsourcing
représente de nombreux avantages pour les marques. Il est en train de
modifier la manière dont celles-ci envisagent la commande graphique et
propose également aux créatifs de nouvelles façon de
travailler où les droits d'auteur sont entièrement
cédés. Quelle est la place du créatif sur ces
communautés en concurrence ?
L'accès aux outils permet à l'amateur de
pratiquer une activité proche du professionnel dont les nuances sont
parfois subtiles. Une limite parfois infime entre le professionnel et l'amateur
éclairé, le pro-am (P. Flichy) permet à n'importe
quel individu de pratiquer sur le web une activité jusque là
réservée aux professionnels. Le paysage graphique tend vers une
uniformisation au détriment de la réflexion et des
échanges créatifs-client. La mise en concurrence semble devenir
la norme de l'appel d'offre classique, devient le modèle sur le web. Le
professionnel se retrouve directement en compétition avec les amateurs.
Considéré comme du crowdsourcing spéculatif, (ou
perverted-crowdsourcing), ce modèle est très critiqué par
l'industrie classique du design. Nous verrons dans un second temps que le
crowdsourcing s'inscrit dans un contexte économique fragile de
l'économie du design. Il brouille d'avantage les frontières entre
les amateurs et les professionnels et ne fait qu'augmenter la
méconnaissance de ce métier.
S'il existe également des nuances permettant d'affirmer
que certaines formes de CS sont vertueuses et peuvent dans certains cas
être en accord avec un processus de design de qualité. Nous
verrons enfin qu'il est urgent de proposer un statut équilibré du
créatif. Dans une logique de design à deux vitesses.
Nous évoquerons les pistes permettant aux professionnels de
valoriser leur expertise en se positionnant dans une bulle d'excellence
à haute valeur ajoutée : par un accompagnement pédagogique
du client et une stratégie commerciale adaptée.
Mots clés : Crowdsourcing, graphisme,
designer, amateur, professionnel, plate-forme, outsourcing, appel d'offre,
droits d'auteurs, freelance, perverted-crowdsourcing, marques, concours, logo,
uberisation.
|