Les années qui ont suivi l'effondrement du mur de
Berlin sont marquées par la découverte des règles de
fonctionnement de la nouvelle configuration
1
INTRODUCTION
1. PROBLEMATIQUE
Jusqu'à la fin des années 80, les relations
internationales étaient profondément marquées par la
Bipolarisation issue de la Seconde Guerre mondiale. Pendant presque 50 ans, le
face à face entre les Etats - Unis et l'URSS, même en l'absence
d'affrontement direct, est une véritable guerre, un conflit global et
mondial. Cette guerre froide qui imprègne autant les calculs de
politique intérieure que de politique extérieure à cause
de sa durée, modèle des réalités politiques,
économiques, sociales et culturelles du monde ; elle structure toute une
époque. Elle est le canevas idéologique de
référence qui permet de lire le monde. Entre 1987 et 1991, ce
système bipolaire disparaît. Maints repères, et
stratégies politiques sont alors bouleversés. Privés
d'ennemi, les Etats-Unis désormais seule superpuissance doivent repenser
leur politique étrangère. Dès 1991, le président
américain G. Bush assigne à son pays une tâche ambitieuse :
refonder « un nouvel ordre mondial sur des bases plus conformes aux
principes et aux valeurs de la démocratie ». En l'absence de leur
grille d'analyse traditionnelle, les politologues, les historiens cherchent de
leur côté à comprendre ce monde de l'après-guerre
froide et à trouver quel « nouvel ordre » régit les
relations internationales. Cependant c'est le désordre,
l'instabilité, la complexité qui semblent régner en
maître sur une « planète balkanisée » sans
qu'apparaissent des recompositions géopolitiques pérennes. Les
USA peuvent-ils être les seuls gendarmes du monde (notamment contre la
montée du terrorisme islamique) ? Quelles sont les clés de la
compréhension des relations internationales aujourd'hui ?
2. HYPOTHESES DU TRAVAIL
Les relations internationales s'opéraient dans une
configuration multipolaire caractérisée par la division de
l'espace politique mondial en plusieurs entités souveraines et par la
rupture avec les traités de paix conclu au lendemain de la
première guerre mondiale, pour ensuite évoluées dans un
environnement bipolaire dominé par deux grandes puissances qui dictaient
le cours de l'action internationale enfin, au lendemain de la disparition de
l'URSS la bipolarité a cédé la place à un univers
unipolaire qui se manifeste par la diffusion des valeurs démocratiques,
l'économie de marché et le caractère universel des droits
de l'homme.
2
unipolaire, dans un environnement confronté aux effets
de la globalisation. La résurgence aux Etats-Unis des thèses
isolationnistes au lendemain de la chute du mur de Berlin ne peut être
considérée comme la manifestation d'un changement
systématique qui aurait modifié la nature des relations
internationales
3. METHODE ET TECHNIQUE DU TRAVAIL
Pour exécuter tout travail scientifique, il
s'avère nécessaire de tenir compte et d'appliquer les
méthodes et techniques. Nous n'avons pas dérogé à
cette obligation scientifique.
A. Méthodes utilisées
Nul n'ignore que toute science se caractérise par sa
spécificité et sa méthode, ainsi la méthode est
définie comme étant « l'ensemble des opérations
intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à atteindre les
vérités qu'elle poursuit ».1
Cependant, au cours de notre étude, nous avons eu
à recourir à deux méthodes à savoir :
La Dialectique et analytique
La dialectique selon LOUBET Del Bayle, est d'abord
associée au concept de totalité en niant l'isolement entre
ensemble et leurs parties et en soulignant que la réalité sociale
est le fait de l'ensemble des interactions entre ses différents
éléments.
Dans le cadre de notre travail, cette méthode va nous
permettre de démontrer comment la fin d'un monde bipolaire marque-t-elle
le début d'une ère sans affrontements, et Comment s'organise le
monde aujourd'hui. Est-il dominé par une ou plusieurs puissances ? Et de
voir ses lignes de fracture, ses divisions.
Cette méthode nous permet également d'analyser
aussi les différents faits qui ont parcouru après la fin des
affrontements bipolaires de la guerre froide concrètement menés
par les USA et l'ex URSS.
Quant à la deuxième, elle nous a permis
d'analyser la fin de la guerre froide qui correspond à la fin de la
domination et de l'hégémonie et à une mise en place d'un
nouvel ordre dans lequel la puissance redéfinit ses contours, sans
1 LOUBET Del Bayle J.L, Cité par SHOMBA,
Méthodes de la recherche scientifique, PUR, 2002, p.95
3
annuler pour autant tous les cadres anciens....» qui est
l'un des principaux enjeux des relations internationales.
B. Techniques utilisées
Pour sa part « le concept » « technique »
est entendu comme étant une « procédure par laquelle les
chercheurs récoltent les données à être
analysées.2
Dans ce travail, nous avons fait recours à la technique
documentaire car elle nous a permis de consulter des ouvrages, des articles des
cours et mémoires relatifs à notre objet d'étude.
4. CHOIX ET INTERET DU SUJET
Cette étude s'assigne comme objectif d'évaluer
la contribution de l'hyperpuissance dans la gouvernance mondiale. En effet,
après la guerre froide, le monde n'est pas entré dans la
tranquillité comme on s'y attendait une myriade de conflits, dans
l'ombre de la guerre froide, ont commencé à émerger.
Depuis la fin de la guerre froide, les relations
internationales ont sans aucun doute perdu de leur stabilité et,
partant, de leur lisibilité. L'affrontement bipolaire a vécu, les
acteurs non-étatiques ont commencé à jouer un rôle
croissant (multinationales, ONG, crime organisé, etc.), de nouveaux
types de conflits, intra-étatiques, se sont multipliés, la
mondialisation des échanges ou encore les problèmes
environnementaux occupent désormais le devant de la scène
médiatique... ces changements profonds et rapides suscitent en retour
une demande d'expertise, de la part du public comme acteur du monde politique
et économique. De fait, les travaux ayant pour objet les relations
internationales se sont multipliés.
5. DELIMITATION DU SUJET
La fin d'un mode bipolaire correspond à l'affirmation
d'une superpuissance, certes, mais son hégémonie n'est pas
totale. D'autres puissances tentent dans leur intérêt de
promouvoir le multilatéralisme.
Dans l'espace, les USA constituent notre champs
d'investigation, car ils restent la seule superpuissance et ils jouent le
rôle de "gendarme du monde et dans le temps, cette étude va de
l'année 1991 date à laquelle l'empire
2 GOODE. WETHATT. P., Cités par KUYANSA, B et SHOMBA, K.
Initiation aux méthodes de recherches en Sciences Sociales,
éd. PUZ, Kinshasa, 1995, p.178.
4
communiste a pris fin jusqu'à 2001 l'année
où les villes américaines avaient été atteintes par
des attaques terroristes du réseau d'Al-Qaïda.
6. SUBDIVISION DU TRAVAIL
Outre l'introduction et la conclusion, notre travail est
subdivisé en trois chapitres : le premier est consacré à
l'héritage de la guerre froide, le deuxième nous plonge dans la
recherche d'un nouvel ordre mondial et enfin, le troisième chapitre,
étude du système international en gestation.
Mais en vérité la Guerre froide a
été un conflit global, idéologique, politique,
géopolitique, forcément militaire, mais avec de très
fortes
5
CHAPITRE I : HÉRITAGE DE LA
GUERRE FROIDE
Après la fin de la Guerre froide l'ordre mondial
bipolaire qui a caractérisé la deuxième partie du XXe
siècle a disparu à une vitesse « révolutionnaire
». Mais les effets de la « guerre » ont laissé de
nombreuses traces. Les systèmes sociaux, l'organisation des
armées, les manières de raisonner dans les organisations
publiques des différents pays des deux blocs ont été
influencés par l'idéologie de la Guerre froide et, 18 ans
après, « l'ombre de la guerre » est encore présente et
hante les populations.
Les grands acteurs mondiaux n'étaient sans doute pas
prêts à l'achèvement de la Guerre froide, et lorsque les
problèmes ont émergé, les réactions ont
été trop tardives et ont été pensées «
Guerre froide ».
Aujourd'hui le plus grand défi auquel nous devons faire
face est le nouvel ordre mondial du XXIe siècle, qui sera probablement
multipolaire. La question est de savoir si nos gouvernements et les
organisations alliées disposent d'une stratégie commune face
à ce profond changement.
En ce qui concerne les questions militaires, après la
Guerre froide on a également pu constater que les puissances mondiales
n'étaient pas capables de prévoir cette évolution
radicale. La chute de l'Union Soviétique et la rupture du Pacte de
Varsovie n'ont pas été anticipées par les grandes
organisations internationales et en particulier par l'OTAN. La disparition de
l'ennemi visible a mis l'OTAN en grande difficulté et l'organisation a
perdu brusquement sa légitimité.
Au sein de l'OTAN il a fallu répondre à une
question complexe : comment peut-on redéfinir la stratégie d'une
organisation internationale qui a été créée pour
faire face à la menace d'expansion de l'idéologie communiste et
qui a fonctionné sur ces bases pendant des décennies P
SECTION 1. LA CARACTERISTIQUE GENERALE DE LA GUER
FROIDE
qu
Dans la mémoire de la grande majorité de nos
contemporains, la Guerre froide reste une période conflictuelle pendant
laquelle deux grandes organisations militaires ennemies ont lutté pour
être la première ou la seule puissance mondiale. Dans ce contexte
la Guerre froide n'était rien d'autre 'une opposition militaire entre
deux alliances délimitées.
6
répercussions dans des domaines très
variés : culturel, économique, scientifique. Elle a
structuré toute une époque3.
On peut dire que la Guerre froide, durant des
décennies, a fait partie de notre vie quotidienne. À l'Est, dans
chaque pays communiste, ce mode de vie a revêtu « la parure
dictatoriale » avec des régimes à parti unique, le
centralisme soviétique, l'économie planifiée,
étatisée et bureaucratisée, le mépris des droits de
l'homme et de la volonté individuelle face aux impératifs de la
« construction du socialisme ».
En résumé, la présence des partis
communistes était dominante dans tous les domaines de la vie
quotidienne. Par contre, de l'autre côté du rideau de fer,
à l'Ouest, dans les pays démocratiques le développement
était assuré, des régimes démocratiques pluralistes
se sont installés, l'économie de marché capitaliste
libérale reposant sur l'initiative individuelle a entraîné
la stabilité et le bien-être des sociétés
occidentales.
Malgré des inconvénients innombrables (la menace
nucléaire permanente, l'oppression communiste dans les pays de l'Est, la
division de l'Europe, etc.) la Guerre froide, a eu sans aucun doute, l'avantage
de désigner clairement les ennemis. On connaissait exactement les
frontières des territoires contrôlés par les deux
puissances antagonistes, les États-Unis d'un côté et l'URSS
de l'autre, et cette démarcation n'a pas été seulement une
ligne virtuelle, puisqu'elle a été incarnée en Europe par
le rideau de fer et le mur de Berlin.
Ces deux constructions épouvantables n'ont pas
été qu'une ligne symbolique, elles ont montré nettement
où se situaient les limites géographiques de la
responsabilité des deux puissances au sein desquelles elles pouvaient
agir quasi librement en préservant l'ordre bipolaire mondial. La Guerre
froide a donc garanti une stabilité « confortable » et, a
désigné en même temps, un ennemi visible et bien
déterminé pour l'ensemble des acteurs. La Guerre froide n'a
nullement été une affaire purement
américano-soviétique. Elle a impliqué pleinement «
les deux Europes », celle de l'Ouest et celle de l'Est, et la plupart des
régions de la planète4.
Dans les pays qui ont été touchés par les
effets de la Guerre froide, le raisonnement politique s'est conformé
à cette logique d'opposition. Les nations se sont organisées pour
faire à cette guerre potentielle, elles ont maintenu des armées
gigantesques, et l'esprit public a été formaté par cette
logique d'hostilité. La Guerre froide était plus qu'un jeu
politique, ses effets ont imprégné la mentalité des
nations et la pensée des contemporains. C'est cette
3 Georges-Henri Soutou : La guerre de Cinquante Ans,
Fayard 2003, p. 10
4 Georges-Henri Soutou : La guerre de Cinquante Ans,
Fayard 2003, p. 11
7
dernière conséquence qui s'avère
être la plus dramatique, car elle a divisé les peuples.
§1. La naissance des deux blocs
La fin de l'année 1946, a
été caractérisée par des tensions croissantes dans
les rapports entre Washington et Moscou. La question de l'Allemagne, de
l'Autriche, de la Grèce, la rapide démobilisation militaire
américaine suivie par une rapide démobilisation des armées
soviétiques a déclenché une atmosphère
d'incertitude et accroître la méfiance réciproque entre les
deux blocs.
En Février 1947, le Président américain
Harry Truman allait exposer devant le congrès américain, sa
doctrine sur la politique étrangère, dans un contexte
international grave (la Grèce qui était en proie d'une guerre
civile, l'arrivée des régimes communistes en Europe centrale) qui
avait exigé une intervention américaine directe en Europe sous
forme d'un plan de réajustement de l'économie européenne,
via l'approbation du congrès d'une aide financière de 400
milliards de dollar, pour favoriser l'aide économique des pays de
l'Europe Ouest, susceptible de maîtriser leurs indépendances
économiques.
D'autre part, le pentagone s'engagera à fournir des
aides militaires pour les alliés des Etats-Unis, il s'agissait en somme
d'une aide qui avait une profonde signification politique.
Le discours de Truman fut prononcé au moment, où
venait de s'ouvrir à Moscou, la conférence des Ministres des
Affaires Etrangères des quatre grands alliés de la seconde guerre
mondiale (Etats-Unis, Grande Bretagne, U.R.S.S, France), qui fut très
influencée par les déclarations de Truman, car, les responsables
concernés avaient du mal, dans un tel climat de tension, d'arriver
à un accord sur le statut d'occupation de L'Allemagne.
L'échec de cette conférence a été
suivi par la décision du gouvernement français de révoquer
les Ministres communistes, dans le cadre d'une tentative qui visait de
s'approcher de plus en plus du camp occidental. Des semaines après, le
Secrétaire Général des Affaires Etrangères
américaines Marshall prononce à l'université de Harvard un
discours très important : (la situation mondiale est très
sérieuse, la deuxième guerre mondial avait laissé des
ruines, de telles sortes que les besoins de l'Europe sont plus grands que ces
capacités de payement, il est nécessaire d'envisager une aide
supplémentaire, qui sera gratuite, pour éviter une dislocation
économique, politique et social très grave)5, ici, il
est important d'évoquer les faits essentiels : l'Angleterre comblait
dans un déficit de payement, qui avait atteint 38 milliard de dollar, le
manque
5 Jean Baptiste Duroselle (Histoire des relations internationales
de 1945 jusqu'à nos jours - page58)
8
du charbon provoquait des coupures électroniques qui
entraînaient les plans de relèvement des activités
économiques.
En France, la hausse des prix avait atteint 80 pour cent
durant une année, le cycle des salaires et des prix reprit vite. Dans la
fin du discours, Truman nota que : (si les pays du continent européen
continuèrent de se laisser convaincre de chercher à
résoudre les problèmes économiques d'une Europe comme un
but, l'aide des Etats-Unis serait plus efficace)6 et ajouta (les
Etats-Unis feraient tout ce qui lui étaient nécessaire pour aider
le monde à retrouver sa santé économique, sans laquelle il
n'y aura pas de stabilité politique)7.
On comprend ainsi, que les Etats-Unis invitaient les pays de
l'Europe de l'Ouest à dresser le bilan de leurs ressources et leurs
possibilités, afin d'établir une coopération entre eux, en
proposant une construction politique d'ensemble, via des réalisations
concrètes reposant sur la solidarité en vue de piloter la
production européenne, et améliorer les conditions de vie de la
population européenne, pour réaliser une intégration
institutionnelle. Truman évoqua : (l'initiative doit venir de l'Europe,
puisque c'est leurs affaires, qui justifient la détermination de leurs
besoins)8.
La doctrine de Truman et le plan Marshall nous conduit
à la conclusion suivante : les Etats-Unis optaient pour l'Europe,
considérée par les dirigeants du White House Office comme
l'élément décisif de l'équilibre mondial, en
admettant que le réarmement ne devrait pas compromettre les efforts du
relèvement économique assuré par Marshall.
Mais derrière, il y avait d'autres significations de
nature stratégiques et géopolitiques qui expliquaient la position
de Washington sur le dossier européen, car elles devaient chercher
à établir une défense politico-économique solide
capable de stopper la montée en puissance du communisme, qui se
diffusait d'une vitesse rapide en Europe.
La réaction européenne sur le plan Marshall fut
vite accueillie, le Times britannique qualifia cette politique de courageuse et
de constructive, France Presse annonça qu'il s'agissait d'une
idée sympathique. Mais en contrepartie, la réaction de la presse
soviétique était trop nuancée, malgré cela, Moscou
accepta de participer dans la conférence de Paris en Septembre 1947 pour
discuter de l'offre américaine, durant cette conférence, Marshall
essaya de créer un environnement diplomatique favorable au consensus de
l'Europe pour son plan, en s'appuyant sur la réconciliation et la
coopération de toute l'Europe pour son bien commun.
6 André Fontaine (Histoire de la guerre froide - page
381)
7 André Fontaine (Histoire de la guerre froide - page
382)
8 André Fontaine (Histoire de la guerre froide - page
384)
9
Molotov (le Ministre des Affaires Etrangères
soviétiques) s'opposa totalement au plan Marshall, estimant d'une part
qu'il n'était pas de nature à satisfaire les immenses besoins de
l'Europe, et d'autre part qu'il violait la souveraineté nationale des
pays européens, puisque les questions du relèvement
économique relevaient de la compétence nationale des Etats
concernés, et ajouta que les pays de l'Europe de l'Est avaient
déjà mis en place des programmes de relèvement
économique. En effet, l'attitude de Moscou à l'égard du
plan Marshall était très agressive, car celle-ci, refusait de
remettre son influence exclusive sur ses satellites.
Le refus soviétique allait obliger les pays de l'Europe
de l'Ouest à tenir une réunion à Paris, qui se soldera par
le transfert d'un rapport vers Washington, contenant le consentement des pays
signataires de la déclaration de Paris au plan Marshall. Sur le plan
politique, l'élément le plus important est la réaction
immédiate,9 brutale et violente de l'U.RS.S à
l'égard du plan Marshall, considéré comme la manifestation
de l'impérialisme américain pour établir sa domination
économique et politique sur l'Europe.
Moscou décida de rompre ses relations politiques et
diplomatiques avec les pays signataires de la déclaration de Paris, en
les considérant comme (les valets de l'impérialisme
américain)10 qui cherchent à satisfaire les
désirs de Washington, au détriment des leurs souverainetés
politiques et économiques.
La véritable réaction soviétique à
l'égard du plan Marshall, fut la création du Kominform. Dans le
discours de la constitution, le représentant soviétique
annonça que le monde était divisé entre deux blocs
hostiles : un bloc capitaliste et impérialiste dirigé par les
Etats-Unis, et un autre bloc anticapitaliste et anti-impérialiste,
dirigé par U.RS.S ayant pour objectif de saper l'impérialisme et
de renforcer la démocratie.
Des jours après la constitution du Kominform, des
grèves communistes s'éclatèrent à Paris, ce qui
allait aboutir à la dislocation de la confédération
démocratique des travailleurs, ainsi que le rapatriement de certains
citoyens communistes, sous le prétexte d'aider les grévistes, en
leurs fournissant des aides financières et militaires.
En fin de 1947 s'était tenu à Londres une
conférence qui connut moins de succès que la première
conférence. En effet, les circonstances étaient moins favorables
(constitution du Kominform, dégradation des relations entre Washington
et Moscou...). En conclusion, Marshall ajouta (nous ne pouvons rien faire pour
l'Allemagne, nous devons faire notre possible dans les régions ou notre
intervention est sentie).11
9 Daniel Colard (Les relations internationales de 1945
jusqu'à nos jours - page 42)
10 Jean Baptiste Duroselle (Histoire des relations
internationales de 1945 jusqu'à nos jours - page 61)
11 Jean Baptiste Duroselle (Histoire des relations
internationales de 1945 jusqu'à nos jours - page 61)
10
Cette déclaration constitua la gage irréfutable
que le monde était bien divisé entre deux blocs hostiles : un
bloc occidental qui croyait aux valeurs du libéralisme politique et
économique, et un bloc communiste qui prévalait
l'idéologie de son existence dans tous les pays où la lutte des
classes existait, et cela jusqu'au triomphe du prolétariat.
§2. L'évolution de la guerre froide et les conflits
localisés :
En effet, le terme (guerre froide) signifie la confrontation
politico-idéologique entre deux blocs hostiles et contradictoires.
L'expression a été utilisée pour la première fois
par le journaliste du New York Times (Walter Lippmann). Reymont Arrond quant
à lui avait défini la guerre froide comme « étant une
guerre limitée dans un espace mondial bipolaire, où les deux
grands parties du conflit évitaient de se confronter directement »
Laguerre froide était surnommé (l'équilibre de la terreur)
qui fait référence au danger que courrait la planète
à cause de la compétition nucléaire entre les deux grands
géants (U.SA. et U.RS.S). Ainsi, on comprend que la guerre froide
n'était que le synonyme de la polarisation du système
international, autour de deux puissances majeures, et dont le produit des blocs
n'était que la manifestation de la révolution nucléaire
qu'avaient connue les relations internationales.
L'évolution de la guerre froide généra
deux périodes : la première période qui allait
débuter avec la crise de Berlin et s'achèvera avec la
résolution de la question cubaine en 1962, alors que la deuxième
période durera de 1962 jusqu'à la chute du mur de Berlin en
1989
§3. La première phase de la guerre froide :
Cette période allait commencer avec l'échec de
la conférence de Londres, il s'agissait d'une période de tension
au cours de laquelle le monde entier a pu craindre le déclenchement
d'une troisième guerre mondiale sous le danger nucléaire. Il
s'agissait d'une période qui reflétait la dégradation des
relations entre les Etats-Unis et l'Union républicaine socialiste
soviétique, perçue dans le cadre des conflits localisés
(le coup de Prague, l'arrivée des communistes au pouvoir en Chine, la
guerre civile en Grèce...), et en particulier la première crise
de Berlin et la crise de la Corée.
SECTION 2. LA PREMIERE CRISE DE BERLIN
Le problème de Berlin s'était
déclenché suite à la décision des trois forces
occupantes de l'ancienne capitale allemande, d'unifier tous les coins de la
ville pour instaurer une nouvelle monnaie. Les soviétiques qui
étaient mécontents de la manière dont les occidentaux
géraient le dossier berlinois, décidèrent de
contrôler militairement toute la ville. Le 1er Juillet 1948,
Berlin fut siégée par l'armée rouge soviétique, les
demandes occidentales faites auprès
11
de Staline n'aboutirent à rien, celui-ci leurs avait
infligé la responsabilité de la crise de Berlin.
Malgré cela, les occidentaux acceptèrent
l'épreuve de force, et constituèrent un pont aérien qui
allait permettre de suppléer aux besoins de ravitaillement de la ville.
Le refus soviétique de coopérer avec les américains pour
trouver une solution à la crise obligea Washington de soumettre le
dossier de Berlin devant le Conseil de Sécurité des Nations
Unis.
On se trouvait dans une situation ou les politologues et les
auteurs appelaient la guerre froide, et on se mettait à parler de la
possibilité de déclenchement d'une troisième guerre
mondiale. Lorsque le Conseil de Sécurité (après avoir bien
étudié le dossier de Berlin) s'apprêtait à adopter
une résolution en faveur des occidentaux, les soviétiques
utilisèrent leur veto, comme signe de la fin des efforts de
médiation.
Mais après une année du blocus, Moscou constata
l'échec de son opération militaire sur Berlin, ce qui allait
permettre la réouverture des entretiens entre les représentants
soviétiques et américains au sein des Nations Unis, qui
aboutiront à la levée du blocus et le rétablissement des
relations économiques et commerciales entre les deux zones de Berlin.
Les deux parties se sont mis d'accord sur l'organisation d'une nouvelle
conférence des Ministres des Affaires Etrangères à Paris,
durant laquelle les Etats-Unis ont essayé de convaincre les
soviétiques de la nécessité d'étendre
l'organisation qui était en train de se fixer à Berlin Ouest vers
son côté Est, mais Moscou refusa, et proposa une initiative
basée sur la proposition d'un projet de traité de paix
définitif avec l'Allemagne par les quatre puissances, comme locomotive
du retrait des troupes d'occupation de l'ensemble du territoire allemand une
année après la ratification du traité, chose que
Washington avait refusé.
En Juillet 1948, les américains
décidèrent d'approuver la constitution d'une assemblée
constituante à Bonn, qui siégea en automne et en hiver, ainsi que
la constitution d'un gouvernement allemand, qui sera doté d'une
autonomie importante, compatible avec celles des autorités
alliées, leurs permettront d'annuler tous les actes ou décisions
prises par le gouvernement ou le parlement allemand, susceptibles de mettre en
jeu la stabilité de l'Allemagne ou de l'Europe. Des mois après,
le conseil parlementaire élabora la loi fondamentale (la constitution
allemande) dont le référentiel combinait entre les thèses
centristes et fédérales, et proclama que l'Allemagne de l'Ouest
était une république fédérale composée de 11
landers. Des élections étaient organisées, et avaient fait
de Konrad Adenaour premier chancelier, et Théodore Heusse
président de la république. Dans le coté Est de
l'Allemagne, le conseil du peuple allemand prononça la constitution de
la république populaire allemande, et élira Otto Grotewohl comme
président-ministre de la république populaire allemande. Ainsi,
s'acheva la première crise de Berlin, qui allait être
12
accompagné par le déclenchement d'une autre
nouvelle crise dans un autre coin du monde, à savoir la crise
coréenne.
SECTION s. LA CRISE DE LA COREE
Les Etats-Unis et U.R.S.S s'étaient mis d'accord,
après la fin de la deuxième guerre mondiale, de mettre la
Corée, sous le contrôle du Trusteeship (la tutelle internationale)
durant lequel Moscou U.R.S.S occupa le nord de la Corée, tandis que les
Etats-Unis occuperont le sud du pays, ainsi que de fixer la zone de
démarcation des troupes occupantes de la Corée. La
conférence de Moscou avait recommandée aux Etats-Unis et à
U.R.S.S le droit d'entamer des pourparlers et des négociations avec les
chefs des partis politiques et des organismes sociaux coréen pour
créer un gouvernement provisoire qui allait préparer
l'organisation des élections nationales. Le désaccord entre
Washington et Moscou sur la manière d'organisation des élections
coréennes allait laisser la voie ouverte devant la médiation des
Nations Unis, qui décidera la création d'une commission
internationale qui veillera à l'adoption d'une constitution, et
contrôlera l'organisation des élections. La riposte
soviétique se tiendra en gelant sa collaboration avec la commission
internationale, et constitua à Pyong Yong une assemblée de peuple
qui créera un cité exécutif, chargé
d'élaborer une constitution en Corée du nord. Cette riposte
soviétique nuancée allait obliger la commission internationale
à effectuer et établir sa mission, uniquement dans la zone
occupée par les Etats-Unis. Vers la fin de 1949, les forces
américaines et soviétiques quittèrent la Corée,
laissant le pays déchiré entre deux zones hostiles, dans la ligne
de démarcation des troupes d'occupations est redevenu une ligne
frontalière entre les deux Corées. En 1950, les troupes
communistes de la Corée du nord pénétrèrent sur le
territoire de la Corée du sud, avec le désir de l'annexer
à la zone communiste et d'unifier la Corée, chose qui allait
obligé les Etats-Unis à intervenir, et obliger les troupes de la
Corée du nord de se retirer. L'agression militaire allait contribuer au
déploiement des troupes internationales (commandées par
Washington) dans la zone frontalière, Celle-ci qui était
persuadé que les problèmes politiques étaient liés
aux problèmes militaires, décida d'intervenir militairement en
Corée du nord, pour renverser le régime communiste. Mais
l'arrivée et l'intervention surprise des forces chinoises, sous ordres
soviétiques, durant les marches des forces américaines allaient
obliger les américains à se retirer vers la Corée du sud.
Dans un tel climat de tension, le général américain Mac
Arthur proposa à Pékin la conclusion d'un acte politique sur la
Corée, et la menaça de bombarder la Chine, si elle refusa de
négocier, mais Washington et Moscou, qui étaient très
conscient de la possibilité de déclenchement d'une guerre directe
entre eux au cas de nom résolution rapide du problème
Corée, parviendront à adopter l'idée de coexistence
pacifique entre les deux régimes dans la Corée, ainsi, la
signature du pacte d'Armiticie sur le cessé de feu allait mettre fin
à la crise coréenne.
13
Ainsi, on constate que la période entre (1948-1953) a
été caractériser par l'arrivée de la guerre froide
vers un stade de tension inconnu, marqué dans le cadre de la crise de
Berlin et de la crise coréenne. Cependant, la mort de Staline en 1953 et
l'arrivée des républicains au White House, allaient créer
un espace favorable pour une détente provisoire, qui allait permettre la
réactivation des canaux de dialogues directs entre les puissances, car
le nouveau président américain Eisenhower annonça une
nouvelle vision dans la lecture des relations internationales, par la
lancée de la doctrine The New-Look Strategic and Diplomatic. Cette
doctrine consacrait l'impossibilité de la victoire du capitalisme sur le
communisme à court terme et à travers l'usage de la force, mais
à travers l'adaptation de l'économie américaine avec les
exigences internationales. Cette doctrine a été derrière
une restructuration de l'appareil politico-économique, tel que de
réduire le budget militaire en faveur des besoins de l'économie
américaine, la réduction de l'arsenal nucléaire
américain et le renforcement de la fabrication des armes
scientifiques...Eisenhower réussira à relancer la consommation,
et contribuera à la construction d'environ 65000 km d'autoroutes reliant
les états entre eux. Le secteur social avait connu lui aussi une
évolution avec l'extension des assurances maladies. Au niveau de la
politique étrangère, la tendance américaine s'acheminait
vers le renforcement de sa coopération militaire avec ses alliés,
le cas du renforcement des actions de O.T.A.N ou de la constitution de
l'organisation du traité d'Asie- Sud, qui insista dans la charte
constitutive sur le désir des pays contractants de maintenir la
coopération économique et technique sur le droit des peuples
asiatiques de disposer d'eux-mêmes, et sur l'intervention militaire de
tous les pays ratifiant du traité, en faveur d'un pays membre au cas
d'agression de la Chine ou de U.R.S.S. LES Etats-Unis qui était
très consciente de l'importance que représentait l'Europe, allait
encourager les initiatives françaises et allemandes sur la mise en place
d'un marché économique européen commun, qui se
concrétisera par l'adoption du traité de Rome du 25 Mars 1957
relatif à la création d'une union douanière et de
libération de la circulation des capitaux et des personnes. On constate
aussi l'adoption de la politique de la dissuasion nucléaire,
destinée à minimiser les dangers que représentait
l'équilibre de la terreur.
En contrepartie, le décès de Staline en 1953 a
été considéré par un grand cercle de l'opinion
publique mondiale, comme le pont de passage entre l'ère de Staline vers
l'impulsion d'une nouvelle doctrine qui allait être manifesté dans
le congrès du partis communiste en 1956, durant lequel Nikita
Khrouchtchev avait concrétiser la rupture avec le culte stalinien (il
est intolérable aux yeux d'un homme marxiste-léniniste d'exalter
une personne et d'en faire un surhomme doté de qualité
surnaturelle)5(*), (l'erreur de Staline est d'avoir
recourir à la répression, alors que la révolution
était victorieuse)9, (cette concentration du pouvoir dans les
mains d'une seule personne a entraîné de graves
conséquences)10, ( Staline est responsable de
l'impréparation, de l'élimination des valeurs, et surtout des
grandes erreurs stratégiques)11.
14
Khrouchtchev a laissé prévoir la
nécessité de promouvoir le respect de la souveraineté et
l'égalité des droits des démocraties populaires, ainsi que
la diffusion du principe de la séparation des pouvoirs.
En 1957, le leader soviétique effectuera un voyage aux
Etats-Unis, où il prononça un discours important à la
maison blanche (je suis venu voir comment vivaient les esclaves du capitalisme,
et bien, je dois dire qu'ils ne vivent pas mal)12, (nous estimons
que notre système est le meilleur, et vous pensez que le vôtre est
aussi le meilleur, mais bien sûr, nous devons pas transformer cette
querelle en une lutte ouverte)13. En retournant à Moscou, il
annonça que le président américain était un grand
président, et scanda (vive l'amitié
soviéto-américaine), le approchement américain
soviétique va aboutir au retrait des troupes soviétiques de
l'Autriche, ainsi que de remettre les problèmes de désarmement
devant les Nations Unis, de lever toutes les restrictions qui entravent
l'échange culturel et commercial entre les peuples, ainsi que le voyage
du chancelier allemand à Moscou, où il décrocha la
reconnaissance de U.R.S.S de la république fédérale
allemande, mais ces réalisations n'ont pas empêcher
l'arrivée de deux nouvelles crises : ( la deuxième crise de
Berlin et la crise du Cuba).
SECTION 4. LA DEUXIEME CRISE DE BERLIN
L'origine de la seconde crise de Berlin remonte à
l'accord de Potsdam de 1945, qui prévoyait l'existence de trois zones
d'occupations occidentales, et d'une zone d'occupation soviétique
à Berlin. Les zones occidentales constituaient au coeur même de la
république populaire allemande une enclave qui démontrait le
contraste existant entre le haut niveau de vie que l'on atteint dans les pays
d`économies libérales et les misères des pays communistes,
ce qui incitaient Beaucoup des habitants de la république populaire
allemande de profiter de l'ouverture des frontières du pays à
Berlin-Ouest. Ainsi, progressivement, un grand nombre d'émigrants
(attirés par la liberté politique et d'un plus haut niveau de
vie) de rendaient à l'autre côté de l'Allemagne. La crise
allait s'éclater en 1958, lorsque Khrouchtchev déclara qu'il
était temps de mettre fin au système d'occupation à
Berlin, et annonça que :(U.R.S.S transférera à la
souveraineté de la république populaire allemande, les fonctions
qu'exercent encore à Berlin les organes soviétiques, ce qui fait
que les puissances occidentales devraient traiter n'importe quelles questions
qui relèvent du domaine allemand avec la république populaire
allemande)6(*). Khrouchtchev est allé encore plus
loin, d'une part lorsqu'il a menacé d'intervenir militairement
auprès de sa satellite au cas d'agression occidentale et d'autre part
lorsqu'il avait annoncé sa volonté de faire de Berlin une
unité politique indépendante et contrôlée par les
Nations Unis. Cette initiative soviétique allait mettre les Etats-Unis
dans une situation compliquée, puisque cette initiative allait obliger
Washington à coopérer avec la république populaire
allemande, ce qui équivalent à le reconnaître, alors que
l'intervention
15
militaire risquerait de déclencher une guerre atomique.
Cependant, une conférence des quatre ministres des affaires
étrangères à Genève avait eu lieu, mais ne donna
aucun résultat concret, car les deux camps s'y opposèrent,
puisque les occidentaux préféraient que le processus de
l'unification se réalise à travers des élections libres
alors que les soviétiques prévalaient l'idée de
négociations directes entre les deux Allemagnes). Le voyage de
Khrouchtchev à Washington avait ouvert de nouveau la voie devant la
reprise des efforts diplomatiques via l'organisation d'une nouvelle
conférence des ministres des affaires étrangères à
Paris, mais celle-ci fut interrompue, avant d'avoir commencé par la
décélération d'une tentative d'espionnage de l'aviation
américaine au-dessus du territoire soviétique. L'échec de
la conférence de Paris allait pousser les soviétiques (
après avoir constaté que Washington n'allait pas leurs faire des
concessions sur Berlin) à fixer les limites entre le secteur
soviétique et les trois zones secteurs occidentales, c'est dès
lors que les autorités Est-allemandes commencèrent la
construction du mur de Berlin, qui symbolisait la guerre froide, comme signe
d'atteinte à la liberté individuelle, et à la
liberté de circulation, de telle sorte que l'opinion publique mondiale
l'avait surnommé( le mur de la honte).
SECTION 5. LA CRISE DU CUBA
L'île de Cuba était une ancienne colonie
espagnole, qui avait subi au cours de son histoire, les effets de l'influence
américaine, qui exerça un véritable protectorat sur
l'île. En effet, Washington contrôlait 40 pour cent de production
du sucre qui représentait 80 pour cent de l'exportation cubaine, et
possédait plus de la moitié des actions de chemin de fer,
électricité, sans oublier le poids américain en
matière de prise de décision, de telle sorte qu'un diplomate
américain avait dit que le pouvoir de l'ambassadeur américain
à La Havane était plus grand que celui du président
cubain. En contrepartie, et à côté de la tutelle
américaine, s'ajouta le régime totalitaire du colonel Baptiste,
qui exerça son pouvoir par la force et fit plusieurs milliers de
victimes, ce qui avait substitué un grand mécontentement de la
société cubaine à l'égard du système
politique cubain, qui s'étendait jusqu'au gouvernement de Washington.
Cette situation chaotique allait encouragée un jeune avocat cubain
(Fidel Castro) a entamé une lutte armée contre le régime
du pouvoir qui dura 6 année, et se soldera par l'entrée de ses
troupes à La Havane le 10 Janvier 1959, qui fut reconnu
immédiatement par les Etats-Unis. Celle-ci n'allait se détourner
contre lui que lorsque Castro annonça une politique de partage des
terres, y compris celles de quelques grandes compagnies américaines (
United Fruit Compagny), ainsi que l'expulsion d'un grand nombre de militants
politiques cubains aux Etats-Unis, dénonçant une infiltration
communiste au Cuba. Les relations entre Washington et La Havane allaient se
compliquer de plus en plus, suite à l'approchement de Castro (qui
accusait les Etats-Unis d'organiser et d'encourager des mouvements
anticastristes) de U.R.S.S, caractérisé par la signature d'un
grand nombre d'accords commerciales et militaires, et en profita
16
du soutien de Moscou pour multiplier ses critiques sur les
Etats-Unis, celle-ci décida de prendre des mesures disciplinaires
à l'égard du régime Castro (l'entrée au Etats-Unis
des exilés cubains qui promettent de renverser le régime cubain,
l'arrêt des aides financières au Cuba, la suppression des
importations du sucre cubain...)pour l'obliger à changer sa conduite,
mais cela n'allait que lui rapprocher du bloc socialiste, et dont Moscou avait
laissé prévoir l'usage des fusées atomiques, si ceci
était nécessaire pour protéger l'île de la
corruption occidentale. Dans ces circonstances, Castro annonça que Cuba
faisait désormais partie du camp communiste. Ce danger d'infiltration du
communisme dans le territoire d'un pays se trouvant à proximité
géographique des Etats-Unis allait obliger Washington à
intervenir, afin d'éviter la diffusion du communisme en Amérique
Latine, voila pourquoi le président américain John Kennedy
décidera de renforcer ses aides financières aux pays du continent
américain dans le cadre du programme (l'alliance pour le
progrès), et obtenir le consentement de la quasi-totalité des
pays de l'organisation des états américains, pour exclure la Cuba
de l'organisation, celle-ci se trouva désormais ( en dépit de
l'accroissement des achats soviétiques) isolée du reste du
monde.
Le blocus politique, économique et commercial qu'avait
exerçaient les Etats-Unis à l'égard de La Havane, allait
obliger Castro à réclamation une protection soviétique
immédiate et efficace, voilà que Khrouchtchev allait
accepté l'envoi des techniciens soviétiques vers le Cuba pour
construire de façon secrète des bases de missiles
nucléaires. Les Etats-Unis, et suite d'une opération
d'espionnage, allaient informées le 22 Octobre 1962, le monde de sa
décision d'exercer un blocus militaire sur l'île, et de sa
volonté de lancer un ultimatum pour retirer ses fusilles
nucléaires, à moins qu'elle cherchait à déclencher
une guerre nucléaire : (nous ne courrons pas sans
nécessité les risques d'une guerre mondiale dans laquelle les
fruits de la victoire seraient cendres dans notre bouche, mais nous ne
reculerons pas face à se risque à tout moment ou il faut
envisager).7(*)
Kennedy avait informé les détails de cette
décision à l'organisation des Nations Unis, à
l'organisation des états américains et de ses alliés.
Khrouchtchev qui était conscient de la gravité de la situation
allait finalement proposer une offre à Kennedy qui consista sur le
retrait des missiles soviétiques du Cuba dans le cadre d'un
contrôle international. En contrepartie, Washington s'engagera à
ne pas envahir le Cuba. Le même jour, le leader soviétique envoya
une lettre à son homologue américain, lui expliquant que l'objet
des missiles était orienté seulement à la protection du
Cuba, finalement, Kennedy accepta le règlement de la crise sur la base
des propositions soviétiques.
Ainsi, on pourra considérer que la crise du Cuba est
l'événement le plus important de l'histoire diplomatique
mondiale, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle a
consacré le processus de la dissuasion graduée, qui traduit cette
conclusion qu'une agression même mineure suscitera une seule
17
forme, à savoir l'attaque atomique, cela veut dire qu'a
une attaque conventionnelle, on ripostera par des armes conventionnelles, au
cas d'attaque atomique, le riposte sera fait par des armes atomiques, si
l'adversaire procède à l'explosion atomique, n répondra
par la même manière.
Avec le recul historique, il apparaît bien que la
première phase de la guerre froide avait pris fin avec la
résolution de la crise cubaine. Cette phase avait été
marquée par la séquence historique allant de la conférence
de Londres de 1947 jusqu'à la résolution du confit cubain en
1962, ouvrant la voie devant l'émanation du processus de la
détente ou de la coexistence pacifique.
SECTION 6. L'ECHEC DU MARXISME LENINISME ET LA FIN DE LA GUERRE
FROIDE
En effet, la résolution de la crise cubaine allait
ouvrir la voie devant la consécration de deux nouveau processus (la
détente- la coexistence pacifique).
La détente est terme occidental qui constituait une
sorte d'atténuation de la tension qui régnait entre l'ouest et
l'est à l'époque de la première phase de la guerre froide.
Il s'agissait d'une innovation qui visait à traduire le climat
pacifié dans lequel évolué les relations internationales
depuis la fin des crises des missiles du Cuba. Une sorte d'adoption d'une
nouvelle politique destinée à surmonter la division entre les
deux systèmes antagonistes, en reconnaissant à l'autre le droit
d'exister, afin de jeter les bases d'un nouvel ordre économique mondial,
destinées à réduire les inégalités de
développement, et d'éviter une confrontation économique
entre les pays riches et les pays pauvres à travers la prise en compte
des besoins des pays du tiers monde, en particulier au niveau de leurs
souverainetés sur leurs richesses et ressources naturelles. Dans cette
perspective, le président américain Richard Nixon (1968-1975)
allait essayer de doter le monde d'une nouvelle structure de paix, en passant
de l'ère de la confrontation indirecte vers l'ère de la
négociation et de la coopération. Cette politique aboutira
à la signature du traité de SALT sur la limitation des armements
stratégiques, qui allaient être renforcée par la signature
d'un autre accord politique SALT II sur la prévention de la guerre
nucléaire.
En contrepartie, la coexistence pacifique est un terme
marxiste qui correspondait à une conception des relations entre les
états appartenant à des systèmes politiques et
économiques différents. Elle représentait la formule d'une
paix provisoire, qui n'était que le résultat d'une période
historique exceptionnelle, marquée par l'amplification du danger
nucléaire. Certains auteurs ont évoqué que l'usage de ce
processus s'explique par l'affaiblissement qu'avait connu le bloc occidental
(le fiasco du Viêtnam, le fiasco du Watergate, le boycotte de la France
aux institutions de OTAN...), et qui ne rendait plus nécessaire
l'utilisation de la révolution puisque, celle-ci constitue une des voies
les plus efficaces pour instaurer la dictature du prolétariat, en
utilisant la diplomatie parlementaire. La coexistence pacifique tire ses
fondements de la
18
vision de Lénine qui évoquait que tous les Etats
ne parviendront pas au socialisme, par le même rythme, et qu'il y'aura
toujours des variantes importantes dans les plans de passage, afin de raffiner
les moyens de la lutte des classes. Ces variantes qui étaient
derrière l'émanation du processus de la coexistence pacifique
sont :
- l'internationalisation croissante de la vie économique
mondiale
- l'équilibre de la terreur, qui allait obliger Moscou
à poursuivre ses objectifs par des moyens non militaires
Ainsi, on comprend que la coexistence pacifique ne constitue
pas la traduction idéologique et philosophique de la détente. La
détente est un processus qui appelait à l'ouverture d'une
nouvelle page dans les relations internationales entre les deux blocs, alors
que la coexistence pacifique na signifiait pas la fin de la lutte des classes
et de la compétition internationale entre les deux blocs, mais faisait
référence au moyen le plus élevé de la lutte des
classes, qui allait permettre à U.R.S.S de remporter dans la fin la
compétition économique sur les Etats-Unis, et de faire
prévaloir la supériorité du système production
socialiste sur le système de production capitaliste, qui était
condamné à mourir par l'Histoire selon la doctrine communiste.
Cette divergence dans l'application des deux termes allait
aboutir au triomphe du bloc occidental sur le bloc socialiste, car dans le bloc
socialiste, la chute de Kourbachtchv va être accompagnée par
l'arrivée de Brejnev12 au pouvoir en U.R.S.S, celui-ci
exerça un pouvoir totalitaire, et pris une série de mesure (dans
le cadre de la compétition contre les Etats-Unis) qui passa au
détriment des besoins de la population soviétique. Ainsi un
pouvoir bureaucratique s'exerça sur la population et amena plusieurs
intellectuels, journalistes et écrivains aux prisons. L'ère de
Brejnev était caractérisée par la domination d'un seul
parti politique qui monopolisa la vie politique, et s'étendra jusqu'au
satellite d'U.R.S.S. En effet, Brejnev a tenté de rallier le processus
de la coexistence pacifique avec ses propres convictions, qui justifient la
souveraineté limités des états socialistes, pour
intervenir directement en Tchécoslovaquie, ou en dehors du territoire
soviétique (l'Afghanistan en 1979). La doctrine de Brejnev
prévoyait que les partis communistes étaient responsables non pas
seulement devant les partis communistes, mais aussi devant l'ensemble des
mouvements communistes, et qu'en cas de trahison, U.R.S.S disposait du droit
d'intervenir, étant donné qu'elle est la gardienne du
système (une sorte de retour au culte stalinien).
12 Brejnev, Leonid (1906-1982), homme politique et
maréchal soviétique, successeur de Nikita Khrouchtchev au poste
de premier secrétaire du comité central du Parti communiste
soviétique (1964-1982).
19
Par ailleurs, dans les Etats-Unis, la stratégie
américaine du New-Look Strategic et Diplomatic, le Containment, allaient
se poursuivre jusqu'à l'arrivée de Jimmy Carter au White House
(1976-1980). Carter allait ajouté à la stratégie de la
détente le processus de la diplomatie préventive, qui allait
permettre à la population américaine de surmonter l'humiliation
engendrée par la Watergate et la guerre du Viêtnam, en menant une
nouvelle politique qui reposait sur la nécessité d'insuffler
à la politique étrangère américaine une dynamique,
à travers l'abondants de toutes formes d'hégémonies, et la
promotion des droits de l'homme qui allaient se transformer à une
politique de conduite. Il s'agissait d'une véritable modification du
Realpolitiks américain, puisque Carter défendait l'idée
que l'influence sur les comportements des autres exigeait la connaissance de
ses préoccupations, de ses craintes et de ses intérêts.
L'arrivée de Carter pénétrait dans un
moment crucial de la guerre froide, car il a réussi à
refléter le retour aux préoccupations morales américaines,
puisque, l'opinion publique américaine ne se reconnaissait plus dans une
diplomatie d'équilibre, mais dans le cadre d'un système national,
par la reconnaissance des impératifs géopolitiques et celles du
combat en faveur des droits de l'homme dans l'action américaine, ainsi
que le renforcement des liens transatlantiques avec ses alliés (
L'Europe occidentale et le Japon), une sorte de retour en effet au processus du
Containment développé à l'ère de John Kennedy, car
il évoquait que toute tentative par une puissance
étrangère de prendre le contrôle de n'importe quelles
régions, sera considéré comme une attaque contre les
intérêts vitaux des Etats-Unis ( l'appel de Carter au boycottage
des jeux olympiques de Moscou, suite à l'invasion de l'Afghanistan par
l'armée rouge).
L'ère de Ronald Reagan (1980-1988) avait prouvé
la supériorité économique et technologique
américaine sur son homologue soviétique, en cherchant à
renforcer les ambiguïtés Ouest Est, par la nécessité
de mener une politique étrangère globale en renouant avec
l'élément de la puissance, et la considération de l'ennemi
comme l'empire du mal. L'administration de Reagan tentera de réaffirmer
le leadership américain sur le monde libre, en considérant le
communisme comme étant un système condamné à
l'échec, puisque il n'est pas fiable. Il tenta de mettre une politique
basée sur la combinaison d'idéalisme et d'intérêts
matériels (la réconciliation avec la Pologne). Mais cependant, on
a constaté l'apparition d'une nouvelle arme, à savoir l'arme
technologique dans le cadre du projet de la guerre des étoiles qui a
été lancé dans le cadre d'une nouvelle vision politique
cherchant à neutraliser les missiles soviétiques par des mesures
défensives, ce programme avait bien prouvé l'énorme
différence technologique entre les deux blocs.
Dès la fin des années soixante-dix, U.R.S.S
s'enlisait progressivement sur le plan économique et social, les
problèmes avec les satellites (Pologne, Tchécoslovaquie) allaient
contribuer au blocage du système soviétique. L'invasion de
l'Afghanistan et l'incapacité de réaliser la victoire finale, la
course
20
ruineuse à la supériorité militaire,
l'incapacité soviétique de s'adapter avec l'ouverture de
l'économie du marché et des contingences planétaires et la
crise agricole allaient créer une crise économique flagrante. Le
régime politique dictature qui empêchait la population de
s'exprimer allait substituer un large mécontentement de la population
soviétique, tout en ajoutant la crise politique que U.R.S.S a dû
comblé après la mort de Brejnev. Bref, tous les
ingrédients de la dislocation future de l'empire étaient
présents. En 1984, Jean Baptiste Duroselle écrira : (tout empire
périra)13 si celle-ci est incapable de satisfaire les
aspirations de tous les hommes et de sauvegarder leurs droits et leurs
libertés les plus fondamentaux.
Quoiqu'il soit, Mikhaïl Gorbatchev allaient mener des
essaies pour moderniser le système politique, telle que l'annonce d'une
nouvelle révision constitutionnelle en 1988 et la libération de
l'espace politique, mais cela n'allait pas pu éviter le sauvegarde de
l'empire. Le 9 Novembre 1989, le mur de Berlin qui symbolisait
la guerre froide allait être brisé, provoquant un séisme
d'ordre politico-historique qui aboutira à la déligitimation des
classes sociales, et les remplacements de toute une classe dirigeante, dans la
dislocation de U.R.S.S. et la proclamation de l'indépendance de la
Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, la Hongrie, et l'unification des
deux Allemagnes. Les médias occidentaux ont parlé de la mort de
l'année, et d'une deuxième mort de Lénine, ou que Karl
Marx n'avait créé qu'une idéologie et non pas
système capable de gouverner les gens, cependant, il a fallu attendre le
25 décembre 1991 après le coup d'état de Eltsine, et la
démission de Gorbatchev de la tête d'une empire qui n'existait
plus, perçu dans la disparition de la bannière rouge qui ne
flotta plus sur le Kremlin, ou du déboulonnement des statuts de Marx ou
de Lénine, couronnant la mort de l'Union républicaine socialiste
soviétique, et l'instauration d'un nouvel ordre mondial.
13 Jean Baptiste Duroselle (Histoire des relations
internationales de 1945 jusqu'à nos jours - page 408)
21
CHAPITRE II : A LA RECHERCHE D'UN NOUVEL ORDRE
MONDIAL
La Guerre froide permettait à la politique
étrangère américaine de se fonder sur trois paradigmes
simples : "endiguer" (contain) l'Union Soviétique,
empêcher la diffusion du communisme, promouvoir une croissance
économique globale, sous-direction américaine. Pour la
première fois depuis plus de quarante ans, les Etats-Unis doivent
réévaluer leur place dans le monde, penser à nouveau leur
politique extérieure, "repartir à zéro".
En fait, depuis l'attaque japonaise sur Pearl Harbor le 7
décembre 1941, la politique étrangère
américaine n'a été formulée qu'en réponse
à une menace posée par des ennemis. Depuis cette date fatale,
l'engagement actif à l'extérieur n'a jamais cessé. Quand
les armes se taisaient, la confrontation se poursuivait sous d'autres formes.
Depuis 1990, les Etats-Unis ont retrouvé une véritable
liberté de choix.
SECTION 1. CONCEPTS AMERICAINS POUR
L'APRES-GUERRE FROIDE
Le regard se porte, dans un réflexe
compréhensible devant l'inconnu, sur ces années cruciales
où avaient été définies les grandes options
vis-à-vis de l'extérieur. On va rechercher certaines
études des années 1945-1949. On interroge à
nouveau George Kennan, Robert Strausz-Hupé, Dean Acheson. La
référence à l'histoire oblige même à remonter
à la seconde décennie du XIXe siècle, lorsqu'un "nouvel
ordre mondial", arrêté au Congrès de Vienne, avait mis un
terme aux guerres napoléoniennes. Même si la compétition
entre les puissances continue, la crainte d'une domination globale par la force
semble avoir disparu, et avec elle, au fond, la première
caractéristique de la politique internationale au XXe siècle.
Les Américains ont toujours aimé utiliser des
expressions-clés, des concepts significatifs d'une vision du monde et du
rôle de leur pays. Le "nouvel ordre mondial" préconisé par
George Bush au moment de la guerre du Golfe est le plus connu de ces concepts
d'après-guerre froide.
Il n'est pas le seul. D'autres sont apparus, dans la
même mouvance d'un "internationalisme triomphant" ou dans celle, bien
connue, de l'isolationnisme : thèse et antithèse.
L'administration Clinton semble avoir recherché une sorte de
synthèse en pratiquant un "nouvel internationalisme" aux contours assez
flous mais dont émergent malgré tout certains concepts tels que
l'"engagement global sélectif" ou la "sécurité
économique".
22
§1. L'internationalisme triomphant
Les Etats-Unis sont naturellement triomphants pour les
analystes qui s'étaient spécialisés dans l'étude de
la menace soviétique et plus généralement pour ceux qui
considèrent la dimension militaire comme le fondement ultime de la
puissance. Il en a été de même pour l'administration Bush,
qui avait un intérêt politique évident à engranger
les bénéfices de la "victoire", mais dont les conceptions
fondamentales insistaient aussi sur le rôle de commandant en chef du
Président14.
Pour ceux qui sont davantage sensibles aux aspects
économiques de la puissance et qui font des comparaisons avec le Japon
et l'Allemagne, le triomphe des Etats-Unis paraît plus modeste. D'une
manière générale, l'option internationaliste triomphante
est celle de la continuité dans la politique étrangère,
mais avec cette caractéristique, pour certaines variantes du moins, que
l'instant est à saisir, que l'Amérique doit profiter au maximum
de sa position actuelle d'unique superpuissance.
§2. Le nouvel ordre mondial
Le 11 septembre 1990, George Bush
présentait l'instauration d'un "nouvel ordre mondial" comme le
cinquième des objectifs à atteindre dans l'affrontement avec
l'Irak de Saddam Hussein. Mais c'est après la fin des hostilités,
en avril 1991, qu'il donna une signification précise au concept :
celui-ci voulait décrire la nouvelle responsabilité que leurs
propres succès imposaient aux Etats-Unis.
C'était une nouvelle façon de travailler avec
les autres nations pour dissuader toute agression, assurer la stabilité,
la prospérité et la paix. Dans le cas de l'invasion du
Koweït par l'Irak, les Nations Unies avaient pu fonctionner comme cela
avait été prévu par leurs fondateurs et des nations du
monde entier s'étaient coalisées contre l'agresseur15.
Le Président ajouta cependant que la recherche d'un nouvel ordre mondial
restait en grande partie un défi : il fallait y oeuvrer pour
écarter les dangers de désordre. Le monde restait dangereux et
avait besoin du leadership américain. Les Etats-Unis ne pouvaient rester
en retrait16.
14«Aucune fonction, aucun des chapeaux du
Président, selon moi, n'est plus important que son rôle de
commandant en chef» a dit George Bush à l'académie de West
Point, le 5 janvier 1993 («Bush Says U.S. Military Power Must Help Promote
Peace»,United States Information Service (USIS), Presidential
Text,Bruxelles, Ambassade des Etats-Unis, 7 janvier 1993, p. 1). Les
références à ces documents reproduits par l'Ambassade des
Etats-Unis àBruxelles apparaîtront désormais sous la forme
abrégée USIS.
15The White House, National Security Strategy of
the United States, Washington, D.C., Government Printing Office, août
1991, p. V.
16Ibid., pp. V, 1-Q.
23
En fait, il n'y a rien eu de très nouveau dans le
nouvel ordre mondial de George Bush. Le Secrétaire d'Etat James Baker
n'a pas donné de contenu véritable au concept en dehors d'un
souci constant de la "stabilité"17. Il y a, dans la
responsabilisation des Etats-Unis, une continuité certaine avec la
pratique de la Guerre froide, mais la clé du nouvel ordre mondial semble
bien n'être que le maintien du statu quo. C'est la vision d'un
monde qui n'aurait pas réellement changé.
Les dangers évoqués sont l'instabilité et
l'incertitude18. L'Amérique deviendrait alors le principal
gardien de la stabilité et de l'ordre, contre tout Etat menaçant
la tranquillité du système international19. Il y
aurait un leadership global, qui agirait dans le cadre d'une réponse
collective. Les Etats-Unis seraient en quelque sorte le catalyseur, la
conscience des démocraties.
Le concept de nouvel ordre mondial a donné lieu
à de nombreuses analyses critiques, d'autant plus qu'il avait eu
l'occasion d'être "mis en oeuvre" avec le conflit du Golfe. En dehors de
la volonté de punir l'agression, un autre objectif est apparu dans ce
conflit : la nécessité de détruire la machine militaire
irakienne. L'argument, lié au concept de nouvel ordre mondial,
n'était pas éloigné de la justification d'une guerre
préventive20.
Les bombardements dont l'Irak fut encore l'objet en janvier
1993, dans les derniers jours du mandat de George Bush, sont venus
renforcer cet aspect du concept de nouvel ordre mondial. Pour d'aucuns, la
guerre dans le Golfe n'a pas créé les conditions d'une paix
meilleure. Les Etats-Unis joueraient un rôle impérial en se
déchargeant des devoirs classiques qui incombent à un empire,
à savoir ramener la paix et l'ordre civil après la guerre.
Cette disjonction entre puissance et responsabilité
mettrait en doute la capacité de la nation américaine à
veiller militairement à l'instauration d'un nouvel ordre
mondial21. Les limites de cette étude - dont l'objet n'est
pas la politique étrangère de George Bush - ne permettent pas
d'épiloguer pour savoir si le concept de nouvel ordre mondial est mort
à Sarajevo, comme l'a dit Pierre Hassner22.
Il faut toutefois mentionner que l'opération
Restore Hopemenée en Somalie à partir de décembre
1992 a apporté une dimension supplémentaire.
17Garry Wills, «The End of Reaganism», Time,
16 novembre 1992, p. 73 ; Richard Lacayo, «Boldness Without
Vision», Time, 9 mars 1992, pp. 20-21.
18The White House, op. cit., p. 25.
19James Chace, The Consequences of the Peace. The New
Internationalism and American Foreign Policy, New York-
Oxford, Oxford University Press, 1992, pp. 10-12.
20David C. Hendrickson, «The End of American
History : American Security, the National Purpose, and the New World
Order»,Rethinking America's Security. Beyond Cold War to New
World Order, sous la dir. de Graham Allison et Gregory
F. Treverton, New York, Norton, 1992, pp. 397-398.
21Ibid., pp. 399-401 ; Alain Joxe, L'Amérique
mercenaire, Paris, Stock, 1992, pp. 401-402.
22ime, 8 juin 1992, p. 25.
24
Cette fois, il s'est agi d'une intervention purement
"humanitaire", où les Etats-Unis n'avaient apparemment aucun
intérêt stratégique ou économique en jeu.
Il y avait cependant un point commun avec l'engagement dans le
Golfe : le déploiement militaire était impressionnant, mais
l'objectif politique à long terme n'était pas clairement
défini. Le nouvel ordre mondial semble décidément
très lié à une capacité militaire
opérationnelle. En effet, s'il a été décidé
d'intervenir en Somalie et non en Bosnie, par exemple, c'est parce que les
militaires ont estimé que c'était "faisable" dans le premier
cas23.
§3. Maintien du leadership de l'empire du bien»
et unilatéralisme global
Le sénateur Malcolm Wallop (Républicain,
Wyoming) a plaidé pour une interprétation plus activiste du
concept de nouvel ordre mondial. Ronald Reagan avait qualifié l'URSS
d'"empire du mal". Wallop n'hésite pas à qualifier les Etats-Unis
d'"empire du bien"24.
C'est, selon lui, l'unique pays dévoué aux
notions universelles de liberté et de justice et cela lui donne des
responsabilités mondiales. La géographie contraint
l'Amérique à rester engagée et active au dehors. Cela doit
se faire par la puissance maritime et, surtout, par la maîtrise de
l'espace. Ce deuxième champ stratégique est du même type
que le premier : les espaces intersidéraux sont les mers du futur. La
maîtrise de l'espace est le nouveau challenge pour les
Américains, la "nouvelle frontière"25.
En mars 1992, une version du Defense Planning Guidance
du Pentagone, qui n'était pas destinée à être
rendue publique, est dévoilée par le New York Times et
provoque une certaine sensation par son interprétation du concept de
nouvel ordre mondial. Le texte a été rédigé par des
fonctionnaires du département d'Etat et du Pentagone, sous la direction
du sous-secrétaire à la Défense chargé des Affaires
politiques, Paul D. Wolfowitz, et en liaison avec le Conseil national de
sécurité.
Le rapport Wolfowitz affirme la volonté des Etats-Unis
de garder leur statut de superpuissance unique. Il souligne le rôle
privilégié, à cette fin, de la puissance militaire.
Celle-ci devra éventuellement être utilisée de façon
unilatérale par les Etats-Unis car l'ordre international est, en
définitive, garanti par eux. L'Europe et le Japon devront être
empêchés de porter ombrage à la
23Time, 14 décembre 1992, p. 25. Il y aurait eu
aussi «l'effet CNN» : les scènes d'horreur en Somalie
ternissaient, aux yeux du public américain, les derniers jours d'une
présidence qui avait appelé à un nouvel ordre mondial (Le
Monde, 5 décembre 1992, p. 3).
24Malcolm Wallop, «The Ultimate High
Ground», America's Purpose. New Visions of U.S. Foreign Policy, sous la
dir. d'Owen Harries, San Francisco, ICS Press, 1991, p. 98.
25Ibid., pp. 100-105.
25
domination américaine. L'OTAN, véhicule des
intérêts américains en Europe, doit rester le premier
garant de la sécurité sur le vieux continent26.
La presse reprocha au Pentagone de chercher à
définir un agenda politique pour l'après-guerre froide et
d'attribuer brutalement aux Etats-Unis ce rôle de "gendarme du monde"
qu'on les soupçonne souvent de vouloir jouer. Mais si ce rapport fut
rédigé, c'est à cause de l'absence de directive en
provenance de la Maison blanche ou du Congrès27.
Le nouvel ordre mondial n'étant pas suffisamment
défini par les autorités politiques, certaines autorités
militaires crurent bon de préciser leur propre vision des
intérêts américains. Celle-ci correspondait à un
"unilatéralisme global", position soutenue par certains conservateurs
qui croient que les Etats-Unis doivent agir seuls pour imposer la paix au
monde.
§4. L'unipolarité
Pour le journaliste Charles Krauthammer, le monde de
l'après-guerre froide est unipolaire et les Etats-Unis sont la
superpuissance incontestée. Dans une génération, d'autres
grandes puissances auront émergé et pourront rivaliser avec eux
mais, en attendant, c'est l'"instant unipolaire"28. Si les
Etats-Unis sont prééminents, c'est parce qu'ils sont le seul pays
dont les atouts soient à la fois militaires, diplomatiques, politiques
et économiques.
Cela leur permet d'être le joueur décisif dans
n'importe quel conflit partout dans le monde. La guerre du Golfe, comme celle
de Corée, a été l'occasion d'un
pseudo-multilatéralisme. En réalité, les Etats-Unis ont
réagi seuls mais, pour sacrifier à l'autel de la
sécurité collective, ils ont recruté des alliés et
ont cherché à obtenir l'aval du Conseil de
sécurité. L'Amérique, comme la Grande-Bretagne auparavant,
est une nation commerçante, maritime, échangiste, qui a besoin
d'un environnement mondial ouvert et stable. Si elle abdique et que le monde se
peuple de Saddam Hussein, son économie sera gravement atteinte. Les
engagements extérieurs sont une charge mais aussi une
nécessité. La stabilité internationale n'est jamais
donnée. Si l'Amérique la veut, elle devra la créer car
personne ne le fera à sa place.
Le concept d'unipolarité offre une alternative à
la politique étrangère américaine. Il implique la
reconnaissance, au centre du système mondial, d'une
confédération occidentale où, comme dans la construction
européenne, des abandons progressifs de souveraineté seraient
prévus. Le G-7, sorte de comité occidental des finances, en est
une préfiguration.
26Paul-Marie de la Gorce, «Washington et la
maîtrise du monde»,Le Monde diplomatique, avril 1992, pp. 1 et
14-15. 27Christopher Ogden, «Globocop Glop», Time, 23 mars
1992, p. 14.
28Charles Krauthammer, «The Unipolar
Moment», Foreign Affairs,vol. 70, 1990/1991-1, pp. 23-33.
26
Autour de cette confédération occidentale
tourneraient des cercles concentriques : celui des Etats est-européens,
qui deviendraient progressivement des membres associés, celui des Etats
en développement, dont certains (Corée du Sud, Brésil,
Israël) pourraient s'attacher davantage au centre29. L'objectif
est d'arriver à un marché commun mondial, ce que décrivait
Francis Fukuyama dans son célèbre essai sur la "fin de
l'histoire"30.
L'universalisme des Nations Unies postulait que les structures
allaient produire la communauté, mais cela s'est avéré une
erreur. Il faut au contraire partir de la communauté démocratique
occidentale. La périphérie s'adaptera d'elle-même. Le
premier objectif est l'unification de l'Ouest industrialisé.
Voilà à quoi doivent travailler les Etats-Unis.
§5. La gestion de l'interdépendance
transnationale
Robert L. Bartley, du Wall Street Journal, n'est pas
loin de Krauthammer lorsqu'il traite du rôle des Etats-Unis dans un monde
de plus en plus interdépendant. Il faut, selon lui, travailler non pas
à un gouvernement mondial mais à ce que le monde évolue
pas à pas vers une plus grande unité, surtout sur le plan
économique, comme on le voit en Europe avec la Communauté
européenne. Il faudra un nouveau Bretton Woods et une amplification des
accords forgés au sein du G-731.
La gestion de l'interdépendance transnationale par les
Etats-Unis semble un des thèmes majeurs de l'internationalisme
triomphant. Pour Joseph Nye, cela doit se faire par des instruments
variés comme le GATT, le Fonds monétaire international, le
Traité de non-prolifération nucléaire, l'Agence
internationale de l'énergie atomique32. Pour lui aussi
cependant, la guerre du Golfe a renversé l'idée que la puissance
économique s'était désormais substituée à la
puissance militaire.
L'Amérique conserve, en matière de puissance,
une gamme de ressources plus vaste que celle de n'importe quel autre pays. Elle
dispose en particulier des atouts de la puissance "dure" et de ceux de la
puissance "douce". La première est la capacité de commander
à autrui, en se servant de moyens matériels comme la force
militaire ou la force économique. La seconde est la capacité
d'obtenir la coopération des tiers plutôt que leur
obéissance, en les amenant à faire ce qui demandé. Elle
est associée à des ressources immatérielles comme la
culture, l'idéologie et le recours aux institutions internationales.
29Charles Krauthammer, «Universal Dominion»,
America's Purpose..., pp. 9-11.
30»... the common marketization of the
world» (Ibid., p. 1Q). Francis Fukuyama, «The End of History ?»,
The National
Interest,n° 16, été 1989, pp. 3-18
31Robert L. Bartley, «A Win-Win Game»,
America's Purpose...,pp. 76-77.
32Joseph S. Nye, Jr., Bound to Lead, New York, Basic
Books, 1990.
27
Dans la crise du Golfe, il était capital d'acheminer
rapidement des troupes en Arabie Saoudite, mais il était tout aussi
important d'obtenir des Nations Unies une résolution condamnant
l'intrusion de l'Irak au Koweït comme une violation du droit
international33. Pour Joseph Nye, les Etats-Unis ne doivent pas
être les gendarmes du monde si l'on précise : "à eux
seuls". Les Etats-Unis doivent prendre la tête de la communauté
internationale car le monde est confronté aujourd'hui à des
problèmes transnationaux. "Gérer l'interdépendance",
voilà la principale raison pour laquelle l'Amérique doit
s'employer à assurer le leadership mondial et en faire le noyau de sa
politique étrangère.
L'Amérique peut alors devenir le "grand
arrangeur"34. Le concept évoque d'une part un rôle
d'arbitre bienveillant ou d'"honnête courtier" et, d'autre part, le jeu
traditionnel de la Grande-Bretagne qui, aux XVIIIe et XIXe siècles,
tenait la balance de l'équilibre en Europe. Il y eut d'autres grands
arrangeurs dans l'histoire : l'Athènes des guerres médiques
jusqu'à la veille de la guerre du Péloponnèse, quand sa
prééminence se mua en impérialisme ; la papauté des
XIIe et XIIIe siècles ; l'Autriche de 1812 à 1818.
Le signe distinctif du grand arrangeur est sa capacité
à faire correspondre ses intérêts nationaux avec ceux
d'autres Etats et avec les aspirations de la société
internationale. Dans un monde où les différentes
sociétés et le système international lui-même
évoluent dans des directions nouvelles, les Etats-Unis devront arriver
à "gérer" le changement et l'instabilité de façon
à ce que les valeurs et les intérêts américains
essentiels ne soient pas lésés. Chez certains analystes, la
gestion de l'interdépendance transnationale peut prendre des formes plus
précises encore.
§6. Vers un fédéralisme mondial
Dans son effort de réflexion sur le rôle mondial
des Etats-Unis après la Guerre froide, la revue Orbis est
allée rechercher la pensée de son père fondateur, Robert
Strausz-Hupé35. En 1957, celui-ci avait repris, pour la
première livraison d'Orbis, le thème de sa thèse
doctorale parue en 1945 : "l'équilibre de demain"36.
Strausz-Hupé écrivait sans ambages qu'il s'agissait pour les
Etats-Unis d'unifier le globe sous leur leadership en l'espace d'une
génération.
33Joseph S. Nye, Jr., «De nouveaux défis
pour l'Amérique»,Dialogue, n° 94, 1991-4, p. 34.
34Alberto R. Coll, «America as the Grand
Facilitator», Foreign Policy, n° 87, été 1992, pp.
47-65.
35Né à Vienne en 1903, il fut courtier
à Wall Street, écrivain, professeur, ambassadeur, conseiller
à la Maison blanche et apologiste prolifique de la politique
américaine durant la Guerre froide. Considéré comme un
«faucon» réaliste par les adversaires de l'engagement au
Vietnam, il fut aussi, à l'université de Pennsylvanie, un des
fondateurs de la discipline des «relations internationales».
36Robert Strausz-Hupé, The Balance of
Tomorrow : Power and Foreign Policy in the United States, New York, G.P.
Putnam's Sons, 1945 et «The Balance of Tomorrow», Orbis, vol. 1,
1957-1, pp. 10-27.
28
L'établissement de cet ordre universel était
devenu la seule alternative à l'anarchie. Pour lui, l'Etat-nation
était une odieuse invention de l'idéologie française et
"la force la plus rétrograde du vingtième siècle". Elle
n'avait produit que violences et dictatures. Strausz-Hupé se faisait
l'apôtre d'un fédéralisme mondial. Il voyait l'histoire du
XXe siècle comme celle d'une lutte entre le "pouvoir
fédératif" et le nationalisme en tant que principes organisateurs
de la politique mondiale.
Les Etats-Unis étaient les seuls vrais
dépositaires du principe de la puissance fédérative. En
1957, Strausz-Hupé prévoyait que dans leur duel avec l'URSS les
Etats-Unis l'emporteraient grâce à la supériorité de
leur système. Le rêve américain allait devenir
universel.
Le pouvoir fédératif américain consistait
déjà en trois éléments : son centre, les Etats-Unis
eux-mêmes, avec son contrôle de facto sur
l'Hémisphère occidental et la région du Pacifique ;
ensuite l'alliance euro-américaine ; enfin le leadership à l'ONU.
L'OTAN, où Strausz-Hupé fut ambassadeur, représentait pour
lui le noyau du processus fédératif mondial37. La
mission du peuple américain était d'"enterrer" les Etats-nations.
Ainsi s'accomplirait le nouvel ordre mondial,novus orbis
terrarum38.
Il est étonnant que Strausz-Hupé, qui a fui les
Nazis et les a combattus, ne puisse s'empêcher de leur emprunter la
nécessité d'une représentation globale, une
Weltanschauung, pour que l'Amérique puisse exercer sa
poussée impérialiste au dehors. Il ne s'est pas contenté
de l'internationalisme libéral de Franklin Roosevelt. Il a fallu qu'il
articule une vision géopolitique. Ce qui est remarquable, c'est que
certains Américains sont capables de faire leur une telle conception
typiquement germanique. Pour Robert Strausz-Hupé, l'esprit d'ouverture
et d'accueil des Américains les rend aptes à devenir les
architectes d'un empire sans impérialisme. La culture anglo-saxonne peut
servir de pont idéal entre les anciennes cultures et la nouvelle culture
mondiale qui doit émerger39. L'idée d'un
fédéralisme mondial a été reprise par Strobe
Talbott dans la magazine Time40.
Pour lui aussi, d'ici une centaine d'années la
nationalité telle que nous la connaissons sera devenue "obsolète"
; tous les Etats reconnaîtront une seule autorité globale. Pour
lui aussi, l'OTAN a été l'expérience la plus ambitieuse,
la plus durable et la plus réussie de sécurité collective
et de dilution des souverainetés nationales. Les institutions
financières multilatérales, GATT et FMI, sont pour lui les
"proto-ministères" du commerce, des finances et du
37Robert Strausz-Hupé, «The Balance of
Tomorrow», Orbis,vol. 36, 1992-1, pp. 5-9.
38De là le nom de la revue Orbis
39Ibid., p. 20.
40Strobe Talbott est devenu le numéro deux du
département d'Etat dans l'administration Clinton.
29
développement d'un monde unifié41. Le
fédéralisme mondial n'est pas encore, cependant, le concept le
plus surprenant de l'internationalisme triomphant de l'après-guerre
froide.
§7. Une nouvelle «destinée
manifeste»
Pour Ben J. Wattenberg, vice-président de Radio
Free Europe et de Radio Liberty et membre de l'American
Enterprise Institute, les Etats-Unis doivent reconnaître leur
"nouvelle destinée manifeste"42. Il reproche à
l'unipolarité de Charles Krauthammer de déprécier la
souveraineté et ne voit pas quel est l'objectif de la gestion de
l'interdépendance transnationale préconisée par Joseph
Nye43.
Cet objectif doit être la promotion de la
démocratie de type américain. L'Amérique peut
vivre avec des démocraties sociales de type européen, mais elle
peut essayer d'en "déterminer l'évolution". Le numéro un
de demain sera celui qui déterminera la culture démocratique
globale et, pour Wattenberg, seuls les Américains ont le sens de la
mission dans ce domaine. C'est leur "destinée manifeste". Ils ont les
meilleures armes culturelles : le monde du spectacle et des média, la
langue anglaise, l'immigration, le tourisme, les universités, les
systèmes d'information.
Il faut donc encourager la diffusion des programmes
télévisés américains, des films, de l'anglais, la
venue des touristes et des étudiants aux Etats-Unis. Il faudra inclure
l'entertainment business dans les négociations du GATT !
L'information fait partie de la politique étrangère, comme la
force armée, la diplomatie, le renseignement, et son importance
s'accroît. Wattenberg le dit explicitement : un monde unipolaire, c'est
une bonne idée, "si l'Amérique est réellement le seul
pôle"44.
SECTION 2. LE NÉO-ISOLATIONNISME
Pour les néo-isolationnistes, les Etats-Unis ne peuvent
plus se permettre une politique étrangère internationaliste
à base de prouesses militaires et économiques. Un budget de la
Défense qui, dans les années 1990, approcherait encore les 300
milliards de dollars par an, n'est plus supportable pour un pays où le
poids de la dette ne fait que s'accroître, où l'infrastructure
41Strobe Talbott, «The Birth of the Global
Nation», Time, 20 juillet 1992, pp. 54-55.
42Le concept de «destinée manifeste»
(manifest destiny) est apparu dans les années 1840, au milieu des
débats sur la guerre contre le Mexique. Il peignait les Etats-Unis comme
une république dynamique et les Américains comme les messagers
particuliers de la liberté et du progrès humain (Michael H.
Hunt,Ideology and U.S. Foreign Policy, New Haven, Yale University Press, 1987,
p. 30).
43Ben J. Wattenberg, «Neo-Manifest
Destinarianism», America's Purpose..., p. 108.
44Ibid., pp. 112-114.
30
est dégradée, où le système
d'éducation est en faillite, où le taux d'épargne est des
plus bas et où manque la volonté pour investir à long
terme45.
Dans l'histoire des Etats-Unis, l'isolationnisme n'a jamais
signifié une volonté d'isolement total du reste du monde. Les
relations économiques avec l'outre-mer devaient être poursuivies.
C'est sur le plan politique que les isolationnistes préconisaient le
détachement. Rejetant la sécurité collective et les
alliances nécessaires au maintien de l'équilibre des forces,
l'isolationnisme résidait essentiellement dans une volonté de
non-engagement, un refus de faire des promesses en matière de
sécurité qui puissent enlever à l'Amérique sa
totale liberté d'action46.
Avant la Deuxième Guerre mondiale, l'isolationnisme, un
mouvement surtout républicain, voulait que les Etats-Unis se tiennent
à l'écart de l'Europe et de ses conflits et, en même temps,
qu'ils empêchent toute intervention européenne dans les affaires
du continent américain, suivant en cela la "doctrine Monroe". Avec la
Guerre froide, la plupart des Républicains isolationnistes se
muèrent en croisés de l'anti-communisme.
Dans les années 1960, l'intervention au Vietnam suscita
un deuxième isolationnisme, opposé à la guerre mais
favorable à l'Alliance atlantique et à la coopération
internationale47. Depuis 1989-1991, la première tendance se
retrouve dans le néo-isolationnisme nationaliste et "populiste" de
Patrick Buchanan.
§1. L'Amérique d'abord
Patrick Buchanan, ancien assistant des présidents Nixon
et Reagan et commentateur sur CNN, fut le candidat isolationniste de la droite
du parti Républicain aux primaires présidentielles de 1992.
Rejetant le concept d'unipolarité de Charles Krauthammer, il voulait
d'abord soumettre tous les objectifs de la politique étrangère
américaine à une question : se battrait-on pour cela ? Il
prônait un retrait total des forces américaines d'Europe, de
Corée et d'Asie mais pas un désarmement. Il était
favorable à un système de défense anti-missile et
n'admettait pas que l'US Navy négocie sa primauté. Les
Etats-Unis devaient rester la première puissance sur les mers, dans les
airs et dans l'espace48. Toute intervention n'était donc pas
exclue, mais elle ne serait pas terrestre. Buchanan s'était
opposé à l'expédition dans le golfe Persique. Il pensait
que l'altruisme américain avait été suffisamment
exploité. Il voulait revenir à la doctrine Monroe et, tout en
reconstruisant l'infrastructure
45J. Chace, op. cit., p. 8.
46T. L. Deibel, art. cit., p. 92.
47William Pfaff, «New or Old, Isolation Won't
Do», International Herald Tribune, 14-15 mars 1992. 48Patrick
Buchanan, «America First -and Second, and Third»,America's
Purpose..., pp. 24-29.
31
économique des Etats-Unis, étendre les relations
commerciales avec le reste du continent américain.
Il appelait ses compatriotes à un renouveau patriotique
et nationaliste49. Au fond, les vues de l'isolationnisme populiste
pourraient rejoindre celles des unilatéralistes globaux du Pentagone
dans leur désir d'une Amérique hégémonique, si
l'hégémonie ne coûtait pas si cher50.
Sans atteindre au populisme de Buchanan, les arguments
néo-isolationnistes n'ont pas manqué pour que les Etats-Unis
déposent ou, à tout le moins, partagent leur fardeau.
§2. Dépôt du fardeau et adaptation
à la normalité retrouvée
Pour Ted Galen Carpenter, directeur d'études au
Cato Institute, les Etats-Unis ont besoin d'une stratégie
indépendante, libérée des engagements de
sécurité obsolètes, coûteux et
dangereux51. Ils ne doivent plus porter, comme le géant Atlas
dans la mythologie, le poids du monde sur leurs épaules. Il faut
définir avec plus de précision les intérêts vitaux
et s'abstenir du réflexe interventionniste.
Des conflits locaux en Europe, comme ceux qui déchirent
la Yougoslavie, ne menacent pas les intérêts américains et
ne valent pas la peine de risquer des vies américaines. Le
système des alliances est dépassé. L'OTAN a
vécu52. Il faut cependant garder un certain rôle,
même une activité certaine dans les domaines économique,
culturel et diplomatique.
Mais vouloir maintenir une présence militaire
significative en Europe réduit à un sens étroitement
militaire l'influence américaine et, de plus, est choquant pour les
Européens, qui partagent un même héritage
démocratique et culturel. Le Japon exerce bien une influence sans passer
par l'instrument militaire. En fait, les valeurs américaines sont en
elles-mêmes une source d'influence considérable.
Il faut revenir aux paroles de John Quincy Adams :
"L'Amérique souhaite la liberté et l'indépendance pour
tous, mais elle n'en est le champion et le justicier que pour
elle-même"53. Carpenter admet que le système
international est pour l'instant unipolaire mais selon lui cela ne durera pas :
c'est un "mirage qui s'évanouira bientôt". Le désir des
Européens de constituer
49Ibid., pp. 30-34.
50W. Pfaff, «New or Old...».
51Ted Galen Carpenter, A Search for Enemies. America's
Alliances after the Cold War, Washington, D.C., Cato Institute,
1992.
52Ted Galen Carpenter, «An Independent
Course», America's Purpose..., pp. 82-87.
53Ibid., p. 87.
32
un front commun sur les questions de sécurité
n'est encore qu'à l'état embryonnaire, mais le mouvement est
visiblement amorcé54.
Robert W. Tucker adopte une position similaire. Les raisons
qui ont poussé l'Amérique à jouer un si grand rôle
pendant un demi-siècle ne sont plus valides. Dans le monde de
l'après-Guerre froide, la sécurité des Etats-Unis, au sens
étroit comme au sens large, n'est plus vraiment
menacée55.
Le leadership américain ne survivra pas à la
Guerre froide. Il serait beaucoup plus compliqué pour les Etats-Unis -
et aussi moins attrayant pour la nation américaine - d'assurer l'ordre
que de défendre la liberté. Et le reste du monde ne manquerait
pas de se défier du nouveau gendarme du monde, avec un sentiment
mêlé d'ingratitude et de ressentiment.
Il est temps d'être modeste ! Il fallait bien combattre
le nazisme puis le communisme. Mais maintenant ? Quel besoin de maintenir
l'OTAN ? La force de l'inertie. Il faut revenir au message d'adieu de George
Washington, renoncer aux alliances "empêtrantes" (entangling
alliances). L'exemple américain suffit. Il ne faut plus maintenir
des armées dans le monde entier56. L'âge des
superpuissances est révolu. Celles-ci doivent s'adapter.
Les leçons de la guerre du Golfe sont trompeuses. Il y
aura encore des crises, mais elles auront en elles-mêmes une
capacité d'auto-limitation, étant donné la nouvelle
fragmentation de la puissance. La politique américaine s'adaptera en
conséquence. Elle veillera à maintenir en quarantaine la violence
régionale, à compartimenter l'instabilité
régionale, sans intervenir activement57. Tout au plus
l'Amérique pourra-t-elle encourager les équilibres
régionaux. Le monde n'a plus besoin des Etats-Unis comme en
194558.
Les temps sont redevenus "normaux", écrit Jeane
Kirkpatrick, ancien ambassadeur à l'ONU et professeur à
l'université Georgetown. Les Etats-Unis ont le droit de redevenir eux
aussi un pays "normal". La Guerre froide a donné trop d'importance aux
affaires étrangères. Aujourd'hui les objectifs de
l'Amérique sont d'abord d'ordre intérieur. Il faut reconstruire
une société meilleure59.
54Ted Galen Carpenter, «The New World
Disorder», Foreign Policy, n° 84, automne 1991, pp. 27-29.
55Robert W. Tucker, «1989 and All That»,
Sea-Changes : American Foreign Policy in a World Transformed, sous la dir.
de
Nicholas X. Rizopoulos, New York, Council of Foreign Relations
Press, 1990, pp. 232-237.
56Nathan Glazer, «A Time for Modesty»,
America's Purpose...,pp. 134-141.
57Earl C. Ravenal, «The Case for
Adjustment», Foreign Policy, n° 81, hiver 1990-91, pp. 3-8.
58Michael Vlahos, «Culture and Foreign
Policy», Foreign Policy, n° 82, printemps 1991, p. 68.
59Jeane J. Kirkpatrick, «A Normal Country in a
Normal Time»,America's Purpose..., p. 156.
33
§3. Le préalable du renouveau
intérieur
La puissance est devenue essentiellement économique et
c'est sur ce plan que va se dérouler la principale compétition.
Les Etats-Unis doivent se dégager de l'outre-mer et faire du
renouvellement intérieur leur priorité. Il n'y a plus de
réels ennemis mais il n'y a plus de vrais alliés60.
Car l'Europe et le Japon ne resteront pas simplement des puissances
économiques, mais deviendront aussi des puissances militaires. Il faut
rejeter l'illusion qu'une politique étrangère globaliste conduira
à un monde modelé sur les valeurs américaines.
Au contraire, à vouloir jouer à tout prix la
superpuissance, l'Amérique ne fera que s'épuiser davantage. La
guerre du Golfe a déjà levé un coin du voile sur cette
nouvelle configuration où les Etats-Unis loueraient leurs mercenaires
pour défendre la communauté mondiale, révélant
ainsi l'état désastreux de leur économie.
L'Amérique doit mettre de l'ordre chez elle, non
seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan socio-culturel,
car le développement séparé des communautés et le
maintien des ségrégations pourraient conduire à une
balkanisation sociale61. Quand le renouveau intérieur aura
été opéré, mais alors seulement, l'Amérique
pourra réfléchir au maintien d'une certaine
collégialité globale qui ne viendrait toutefois qu'en
deuxième position après les intérêts nationaux
américains.
Au XIXe siècle, l'isolationnisme fut pour les
Etats-Unis une stratégie réaliste et adaptée. Au
début du XXe, diverses pressions intérieures continuèrent
à le soutenir, en dépit des conditions nouvelles qui en faisaient
une dangereuse illusion. Il est permis d'avoir des doutes quant à la
similitude de situation avec le XIXe siècle, même si la menace de
l'adversaire hégémonique désigné a disparu.
Les Etats-Unis sont-ils capables d'avoir une politique
étrangère sans avoir un "rôle" ? L'isolationnisme n'est pas
une option sérieuse. Les Etats-Unis ont été fondés
sur des principes universels et veulent rester un exemple pour le reste du
monde. Ils ne pourraient abandonner leur vocation universaliste sans se renier
eux-mêmes et, plus grave encore, sans risquer de se dissoudre en une
cacophonie de tribus rivales : Noirs, Hispaniques, fondamentalistes
chrétiens, etc.62.
60Michael Vlahos, «To Speak to Ourselves»,
America's Purpose..., pp. 44-50. 61Michael Vlahos,
«Culture...», pp. 70-71, 78.
62Nathan Tarcov, «If this Long War is
Over...», America's Purpose..., pp. 17 et 21.
34
SECTION 3. NOUVEL INTERNATIONALISME, PRATIQUE ET
SÉLECTIF
L'internationalisme pratique pourrait bien être, selon
Richard Gardner, le concept unificateur de la politique étrangère
américaine pour l'après-Guerre froide63. Ce concept
veut éviter les extrêmes que sont l'isolationnisme,
l'unilatéralisme global et le multilatéralisme utopique. Il
envisage pour les Etats-Unis un rôle de leadership dans
l'édification, avec d'autres nations, d'un ordre de paix, par
l'intermédiaire d'organisations internationales qui
fonctionnent64.
§1. La sécurité multilatérale
Les institutions internationales organisant la défense
(OTAN) ou la sécurité collective (ONU, CSCE à un niveau
moindre) peuvent être des "multiplicateurs de force" pour la politique
américaine, spécialement quand la situation ne demande pas une
solution militaire immédiate65. Il y a intérêt
à étendre, par l'intermédiaire des Nations Unies, le
règne du droit international. Cela contribuera à fournir un point
de référence dans un monde qui, depuis la fin de la Guerre
froide, manque de certitudes. Cela peut rendre les événements
internationaux plus "prévisibles".
L'Amérique a toujours eu besoin d'une dimension morale
dans sa politique étrangère. Le soutien des institutions
internationales vouées à la sécurité collective et
au maintien de la paix pourrait redonner à la politique
étrangère américaine sa dimension morale, tout en servant
les intérêts nationaux. Selon James Chace, le nouvel
internationalisme doit conduire les Etats-Unis à renforcer
l'Organisation des Nations Unies, comme c'était leur objectif
après la Deuxième Guerre mondiale. Ils doivent aussi prendre la
tête dans la recherche de nouvelles structures de préservation de
la paix et d'accroissement de la prospérité66.
La "sécurité multilatérale" est un des
concepts qui ont inspiré la politique extérieure de
l'administration Clinton. Selon cette doctrine, parfois identifiée au
secrétaire d'Etat-adjoint pour les Affaires politiques Peter Tarnoff,
les Etats-Unis n'utiliseraient plus la force que dans un contexte
multilatéral, à moins que certains de leurs intérêts
vitaux ne soient en jeu.
63Le professeur Richard Gardner, de
l'université Columbia, a contribué à définir les
options de politique étrangère de Bill Clinton (Michael Kramer,
«Clinton's Foreign Policy Jujitsu», Time,30 mars 199Q, p. Q8).
64Richard N. Gardner, «Practical
Internationalism», Rethinking...,pp. Q67-Q68.
65R. E. Hunter, art. cit., p. 40. Après avoir
été directeur des Etudes européennes au Center for
Strategic and International Studies de Washington, Robert E. Hunter a
été choisi par Bill Clinton pour être l'ambassadeur
américain auprès de l'OTAN.
66J. Chace, op. cit., pp. 176-179 et 185.
35
L'accent serait mis non seulement sur les mécanismes de
la sécurité collective mais aussi sur une politique de
"sécurité coopérative". Celle-ci, plutôt que de
contrer les menaces, s'efforcerait de les prévenir, par une extension
des accords bilatéraux et multilatéraux de maîtrise des
armements.
Les sévères critiques reçues par
l'administration Clinton pour son traitement des crises bosniaque et somalienne
ont conduit le Président et son équipe à abandonner
quelque peu leur concept de sécurité
multilatérale67. Ils ont tenu à rappeler que l'action
unilatérale était toujours à envisager, que le
multilatéralisme était un moyen, non une fin en
soi68.
§2. L'indépendance stratégique et le
maintien de l'équilibre des forces
Lié à la possibilité d'une action
multilatérale, le concept d'"indépendance stratégique" a
fait son apparition pour désigner la posture de "balancier au large"
(offshore balancer) que devraient adopter les Etats-Unis dans un monde
multipolaire69. Au coeur du concept d'endiguement se trouvait la
volonté d'empêcher que l'Eurasie fût dominée par une
puissance hégémonique. Cet objectif resterait inchangé
mais, au lieu d'assumer la responsabilité première pour contenir
la montée d'un "hégémon", les Etats-Unis s'appuieraient
sur un réseau d'équilibres globaux et régionaux des
puissances.
L'indépendance stratégique mise sur les
avantages géopolitiques inhérents aux Etats-Unis : leur
insularité, leur dotation en armes nucléaires, leur
éloignement des théâtres de crise potentiels, leurs
capacités militaires. Dans un système multipolaire, une grande
puissance insulaire jouit de la plus large gamme d'options stratégiques.
Elle peut aussi bénéficier des rivalités entre les autres
puissances. C'est ainsi qu'au milieu des années 1890, l'Amérique
tirait parti de l'instabilité européenne, comme la
Grande-Bretagne l'avait fait auparavant70.
Voilà du vieux vin dans de nouveaux fûts :
l'indépendance stratégique ne fait que reproduire le vieux
concept de maintien de l'équilibre des forces. Pour l'Amérique,
il s'agira d'empêcher la guerre en faisant rapidement contrepoids face
aux agresseurs potentiels. Il sera plus difficile de mobiliser l'opinion car le
but sera de préserver la paix plutôt que de contrer une puissance
hégémonique, ce qui était plus facile à expliquer
au public71.
67Charles Krauthammer, «The U.N. Obsession»,
Time, 9 mai 1994, p. 52.
68Mark T. Clark, «The Future of Clinton's
Foreign and Defense Policy : Multilateral Security», Comparative Strategy,
vol. 13, 1994, pp. 181-195.
69Christopher Layne, «The Unipolar Illusion :
Why New Great Powers Will Rise», International Security, vol. 17, 1993-4,
p. 47.
70Ibid., pp. 48-49.
71John J. Mearsheimer, «Disorder Restored»,
Rethinking...,pp. 214-237.
36
On ne s'étonnera pas de retrouver le concept
d'équilibre des forces sous la plume d'Henry Kissinger. Pour lui, le
monde dans lequel nous entrons sera infiniment plus compliqué que celui
de la Guerre froide. Les Etats-Unis devront obligatoirement admettre qu'ils ne
pourront s'occuper de tous les problèmes à la fois : ils devront
opérer une sélection. Certaines menaces nécessiteront une
intervention américaine unilatérale, d'autres seront seulement
traitées de façon multilatérale, enfin certaines ne
concerneront pas les intérêts américains et ne
mériteront pas une intervention militaire.
Il ne faut pas espérer édifier un ordre mondial
basé sur un sens de la communauté qui répondrait aux
attentes américaines. L'objectif doit être plus limité et
Kissinger applaudit à la création d'une zone américaine de
libre-échange débutant avec le Mexique, le Canada et les
Etats-Unis. D'une façon générale, l'Amérique doit
travailler au maintien de l'équilibre des forces,
particulièrement au Moyen-Orient, en Asie et en Europe. Une telle
politique connaît peu d'ennemis et d'amis permanents72.
Le monde de l'après-guerre froide donnera l'occasion
d'appliquer ce système avec davantage de souplesse. Il y aura davantage
de puissances de niveau égal et les différences
idéologiques s'estompant, les alignements seront moins rigides.
L'équilibre des forces restera le seul jeu possible et les Etats-Unis
seront l'indispensable "balancier"73.
En jouant ce rôle, l'Amérique jouera celui de
l'Angleterre au XIXe siècle. La Pax Britannica a permis la paix
parce qu'une puissance, sans dominer vraiment, servait de leader, veillait au
respect des règles et avait la volonté d'intervenir, au besoin
par la force, pour maintenir la stabilité du
système74. Les Etats-Unis sont dans la position de
l'Angleterre après 181575. Ils peuvent jouer le rôle de
l'"honnête courtier" - si tant est que l'Angleterre a vraiment
joué ce rôle en 1815 : elle a d'abord veillé à ses
intérêts76.
§3. Splendide isolement et engagement global
sélectif
La ressemblance avec les vues britanniques au lendemain des
guerres napoléoniennes va jusqu'à l'adoption possible, pour
certains, du concept de "splendide isolement". Vainqueur incontestable de la
lutte gigantesque contre la France et puissance aux intérêts
mondiaux, l'Angleterre de 1815 avait décidé de ne pas trop
s'impliquer dans les affaires européennes et de se concentrer sur
l'accroissement de sa richesse par l'expansion de son empire colonial.
72Henry A. Kissinger, «Balance of Power
Sustained»,Rethinking..., pp. 238-248.
73T. L. Deibel, art. cit., pp. 83-86.
74Elliott Abrams, «Why America Must Lead»,
The National Interest, n° 28, été 1992, p. 58.
75Samuel P. Huntington, «America's Changing
Strategic Interests», Survival, vol. 33, 1991-1, p. 12.
76Andrew C. Goldberg, «Selective Engagement :
U.S. National Security Policy in the 1990s», The Washington
Quarterly, vol. 15, 1992-3, p. 16.
37
Pour les tenants américains de ce type de politique, il
faut maintenir une forte marine pour projeter la puissance autour du globe ; il
ne faut pas stationner de grandes unités terrestres outre-mer ; il faut
réduire le nombre et la dimension des bases aériennes en Europe,
dans le Pacifique et l'océan Indien. La plupart des crises
régionales devraient être résolues par les puissances
régionales et les Etats-Unis n'interviendraient militairement qu'en
dernier recours, quand cela servirait leurs intérêts vitaux,
particulièrement économiques77.
L'argument est étayé par le constat de la
"nouvelle insularité" des Etats-Unis. La fin de la menace
soviétique a réintroduit la distance qui séparait
traditionnellement l'Amérique des conflits mondiaux. Il en
résulte une plus grande liberté d'action78.
La contribution américaine à la
sécurité globale sera, pour Zbigniew Brzezinski, "plus subtile".
Les conditions sont trop complexes et la santé intérieure des
Etats-Unis trop précaire pour que soit mise en place une Pax
Americana mondiale. La sécurité globale sera assurée
de plus en plus par des formes de coopération régionales,
appuyées par des engagements américains sélectifs et
proportionnés. Même avec une présence militaire
diminuée, l'Amérique restera ainsi le principal pôle de
dissuasion nucléaire et la garantie ultime que tout perturbateur aura
à faire face à une coalition écrasante. Ceci permettra aux
Etats-Unis de se concentrer davantage sur leur renouveau intérieur, qui
à son tour étayera leur capacité de maintenir à
long terme une politique internationaliste79.
Le concept d'engagement global sélectif suppose aussi
que les Etats-Unis accepteront l'émergence de nouvelles puissances
militaires. Ils veilleront cependant à développer les forces et
les technologies qui leur assureront le maintien de leurs avantages
comparatifs, c'est-à-dire qu'ils devront mettre l'accent sur les forces
navales et aériennes. Ils ne doivent plus considérer l'Europe et
le Japon dans l'optique d'un partenariat automatique pour des objectifs globaux
clairement définis.
Les intérêts intérieurs des Etats-Unis ne
seront plus nécessairement en synchronie avec ceux "des puissances avec
lesquelles ils se sont alliés dans le passé"80. A la
fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis étaient
déjà prêts à adopter une stratégie
d'engagement sélectif en continuité avec leur histoire et en
accord avec leur position géographique, comme la Grande-Bretagne avant
eux.
77Donald E. Nuechterlein, America Recommitted. United
States National Interests in a Restructured World, Lexington, Ky., University
Press of Kentucky, 1991, pp. 241-242.
78Andrew C. Goldberg, «Challenges to the
Post-Cold War Balance of Power», The Washington Quarterly, vol. 14,
1991-1, pp. 52-53.
79Zbigniew Brzezinski, «Selective Global
Commitment», Foreign Affairs, vol. 70, 1991-4, pp. 1-20.
80A. C. Goldberg, «Selective...», pp.
16-17.
38
Le concept d'engagement global sélectif permettra
à l'Amérique de s'adapter à la dure compétition
économique internationale. L'époque est à l'antagonisme
économique global, à la mise en place de blocs régionaux
politico-économiques et à la diminution des affinités
politiques. Les grandes puissances vont redécouvrir leurs
intérêts propres de politique étrangère. Les
Etats-Unis devront en faire autant.
Ils s'engageront financièrement ou militairement dans
les seules situations où se manifestera une menace claire et imminente
pour leurs intérêts, ou bien lorsque l'intervention aura toutes
les chances de n'être ni coûteuse ni sanglante. L'administration
Clinton a fait sien ce concept d'engagement sélectif pour tout usage de
la force, dont les opérations de maintien de la paix81.
§4. L'élargissement :
promouvoir la démocratie et l'économie de
marché
L'engagement global sélectif n'est pas le seul concept
de l'après-guerre froide qui offre une alternative au dilemme
isolationnisme-internationalisme. La promotion des valeurs américaines
peut constituer un nouvel axe de politique étrangère. James Baker
avait suggéré le 30 mars 1990 que le principal objectif pourrait
être "la promotion et la consolidation de la démocratie" à
travers le monde82. L'administration Clinton a fait de ce
thème le troisième pilier de sa politique
étrangère, après la croissance économique et le
maintien d'une défense solide83. Plutôt que de faire
contrepoids aux ennemis, il faudrait cultiver les amis. Cela se ferait par une
politique de préservation et d'expansion de la "communauté
libérale"84. Le conseiller de Bill Clinton pour la
sécurité nationale, Anthony Lake, a lancé à ce
propos le concept d'"élargissement", qui succéderait ainsi
à celui d'endiguement. Il n'est pas question de s'embarquer dans une
croisade pour la démocratie, mais de pratiquer une stratégie
défensive, pragmatique et sélective, là où ce sera
le plus utile aux Etats-Unis. Il faudra cibler les efforts sur les Etats qui
affectent les intérêts stratégiques américains,
c'est-à-dire d'abord l'ancienne Union Soviétique, les nouvelles
démocraties d'Europe centrale et de l'Est, les pays asiatiques du
Pacifique85.
L'Amérique ne peut se permettre, pour reprendre
l'expression de John F. Kennedy, de "payer n'importe quel prix, supporter
n'importe quel fardeau"
81«Perry Calls for «Very Selective Use»
of Military Force», USIS, Defense, 1er avril 1994 ; «Peacekeeping
Directive Designed to Impose More Discipline», USIS, 9 mai 1994.
82James Baker, «Democracy and American
Diplomacy», discours devant le World Affairs Council, Dallas, Texas, 30
mars 1990 (S. P. Huntington, art. cit., p. 7).
83Warren Christopher, «Economy, Defense,
Democracy to be U.S. Policy Pillars», USIS, Foreign Policy, 14 janvier
1993, p. 7.
84Michael W. Doyle, «An International Liberal
Community»,Rethinking..., pp. 318-331.
85Anthony Lake, «L'engagement des Etats-Unis
à l'étranger : une nécessité», discours
prononcé le 21 septembre 1993 à la Johns Hopkins' School of
Advanced International Studies, U.S. Foreign Policy, Bruxelles, Ambassade des
Etats-Unis, USIS, 1993, pp. 39-41.
39
pour promouvoir la démocratie86. Mais les
Etats démocratiques pourraient se regrouper en une vaste organisation de
sécurité qui définirait et coordonnerait les
intérêts communs, mettrait en place une gamme de
"récompenses" et de "punitions". L'OTAN est évidemment
l'organisation idéale "pour que continue derrière
l'élargissement des démocraties de marché une
sécurité collective essentielle"87.
La promotion de la démocratie ne signifierait donc pas
son "exportation". Il s'agirait d'offrir un soutien moral, politique,
diplomatique et financier aux individus et aux organisations qui luttent pour
la libéralisation des régimes autoritaires. Il s'agirait
également d'encourager la diffusion de l'économie de
marché. Un monde plus démocratique serait plus sûr, plus
sain et plus prospère, et ce serait tout à l'avantage des
Etats-Unis.
Tous les courants de pensée trouveraient leur compte
dans la promotion de la démocratie : les "libéraux" soucieux des
droits de l'homme, les conservateurs préoccupés par l'ordre
mondial et les internationalistes des deux camps, désireux de voir se
poursuivre, pour les uns l'engagement, pour les autres le leadership des
Etats-Unis dans le monde88.
Les entreprises privées représentent un
allié naturel des tentatives faites en vue du renforcement des
économies de marché, a dit Anthony Lake. Il a également
précisé que la stratégie d'élargissement devrait
viser à atténuer les capacités des "Etats
réactionnaires" qui se défendent contre les "forces
libératrices" de la démocratie et du
marché89.
§5. La sécurité économique
Déjà présente dans d'autres concepts tels
que le préalable du renouveau intérieur ou la promotion de
l'économie de marché, la dimension économique doit
être érigée pour certains en thème central de la
politique étrangère américaine. Le bien-être
économique pourrait bien prendre le pas sur la "sécurité"
et la projection des valeurs90. La primauté de
l'économique correspond aux intérêts américains des
années 1990. A la place de deux superpuissances militaires, le noyau du
système mondial se constitue désormais de trois superpuissances
économiques.
Une tripolarité remplace la bipolarité de la
Guerre froide. Pour Stephen J. Solarz, ancien représentant
démocrate de l'Etat de New York devenu ensuite collaborateur de Bill
Clinton, le premier défi dans le domaine de la sécurité
86Carl Gershman, «Freedom Remains the
Touchstone», America's Purpose..., p. 38.
87A. Lake, art. cit., p. 41.
88Larry Diamond, «Promoting Democracy»,
Foreign Policy, n° 87, été 1992, pp. 25-31.
89A. Lake, art. cit., p. 42. Voir l'analyse critique
de Jacques Decornoy, «La chevauchée américaine pour la
direction du
monde», Le Monde diplomatique, novembre 1993, pp. 8-9.
90T. L. Deibel, art. cit., p. 99.
40
nationale est désormais la compétition
économique avec l'Europe et le Japon91. La confrontation
idéologique entre le capitalisme et le communisme cède la place
à une compétition entre trois versions de l'économie de
marché.
Les alliances s'adapteront à cette évolution et
donneront lieu à des regroupements régionaux "plus
naturels"9Q. Dans ce contexte, les objectifs américains
seront de maintenir les marchés ouverts pour le commerce et les
investissements internationaux et de restaurer la force compétitive des
Etats-Unis. Il s'agira encore de pratiquer un endiguement mais cette fois au
niveau des risques de conflits entre les superpuissances économiques.
Car la poursuite des intérêts économiques poussera souvent
les Etats-Unis à affronter l'Union européenne ou le Japon et cela
nuira à leurs relations.
La politique étrangère américaine aura
tout avantage cependant à promouvoir des systèmes de leadership
collectif dans les questions d'économie et de sécurité.
Les Etats-Unis ont maintenu des relations plus étroites avec les
Européens d'une part et les Japonais d'autre part que ceux-ci n'en ont
entre eux.
Les Etats-Unis sont donc dans une meilleure position pour
mettre en place de nouveaux arrangements internationaux qui
protégeraient leurs intérêts. Si un tel leadership
collectif ne se met pas en place, on verra émerger des blocs
régionaux de plus en plus restrictifs et exclusivistes et ce serait
contraire aux intérêts américains.
Pour cela, l'Amérique ne doit pas se retirer
prématurément de ses engagements de sécurité.
L'interdépendance est trop grande sur le plan économique pour que
les Etats-Unis puissent contempler un repli isolationniste. La seule
alternative véritable serait un effort désespéré
pour maintenir l'hégémonie, en suivant les plans prévus
par le Pentagone et divulgués en mars 1992. Mais cela coûterait
beaucoup trop cher... Mieux vaut travailler à un certain nombre
d'"arrangements"93.
Les questions économiques font bien partie des
préoccupations de sécurité de l'après-Guerre
froide. Le secrétaire d'Etat Warren Christopher a déclaré
que la "sécurité économique" était le premier
objectif de la politique étrangère de l'administration
Clinton94. Le département d'Etat s'attache désormais
à développer une "diplomatie pour une compétitivité
globale" et recycle son personnel dans les questions économiques et
commerciales95.
91Stephen J. Solarz, «On Victory and
Deficits», America's Purpose..., pp. 90-9Q.
9QC. Fred Bergsten, «The Primacy of
Economics», Foreign Policy,n° 87, été 199Q, pp. 3-7.
93Ibid., pp. 8-Q4.
94W. Christopher, art. cit., p. 6. Voir aussi Bill
Clinton, «A Democrat Lays Out His Plan», USIS, Bruxelles, Ambassade
des
Etats-Unis, 13 novembre 199Q, pp. 6-7.
95Audition de Strobe Talbott, secrétaire
d'Etat-adjoint, devant la Commission des relations extérieures du
Sénat le 8 février
1994, USIS, 9 février 1994, p. Q.
41
Si les observateurs ont longtemps eu du mal à discerner
un concept central dans la politique extérieure de Bill Clinton, ils se
sont rendu compte, fin 1993, que l'intérêt porté au
commerce en tenait lieu. La promotion de la démocratie, la protection
des droits de l'homme, l'interventionnisme humanitaire, tous ces beaux projets
du début de la présidence Clinton sont passés au second
plan.
Anthony Lake a été jusqu'à
déclarer que les intérêts américains exigeraient
parfois de nouer des liens d'amitié avec des Etats non
démocratiques et même de les défendre, pour des raisons de
"bénéfice mutuel". Comme l'avait dit le président Calvin
Coolidge dans les années 1920, "the business of America is
business"96. La puissance économique de l'Europe et du Japon
ne leur confère pas encore une puissance militaire comparable à
celle des Etats-Unis, mais elle les autorise à tendre vers une plus
grande influence politique, avec la possibilité d'arriver à des
positions autonomes en matière de sécurité.
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de
sécurité, où la puissance économique pourrait
assurer une plus grande influence politique. Sans la force modératrice
exercée par la Guerre froide et par le besoin de la protection
américaine, les conflits de politique commerciale et industrielle
pourraient devenir plus prononcés97. Or l'économie
américaine ne se distingue plus suffisamment par les proportions de son
marché intérieur et le caractère avancé de ses
technologies pour que la politique étrangère en tire
avantage98.
Si l'on assiste à l'émergence d'une
tripolarité économique, il sera donc dans l'intérêt
des Etats-Unis d'intégrer au maximum les questions de
géo-économie dans un contexte géopolitique plus vaste,
où ils conservent encore les meilleures cartes99. Pour cela,
il faut pousser au maximum à l'intégration de la
communauté internationale, à un système commercial global
et ouvert. Les Etats-Unis, selon le secrétaire d'Etat-adjoint Strobe
Talbott, devront veiller à ce que les groupements régionaux ne
contrecarrent pas ces objectifs qui expriment l'intérêt
supérieur des Etats-Unis100.
SECTION 4. LE TIERS MONDE DANS LA PENSEE
STRATEGIQUE AMERICAINE
La fin de la Guerre froide signifie, pour certaines
régions du monde, le retour des guerres réelles. Pour les
Etats-Unis, le défi stratégique passe du global au
régional. C'est dans certains régimes "renégats" du Tiers
Monde
96Michael Kramer, «Putting Business First»,
Time,6 décembre 1993, p. 37.
97Stanley Hoffmann, «A New World and Its
Troubles», Sea-Changes..., p. 285.
98Michael Borrus et John Zysman, «Industrial
Competitiveness and National Security», Rethinking..., pp. 164-169.
99R. E. Hunter, art. cit., p. 41.
100Audition de S. Talbott..., p. 4.
42
qu'ils voient désormais la menace principale : celle de
la prolifération des armes de destruction massive. Y a-t-il pour autant
une nouvelle "grande stratégie" américaine à
l'égard du Sud ? La guerre du Golfe a pu laisser croire à une
volonté américaine de veiller, tous azimuts, à
l'instauration d'un nouvel ordre mondial. Mais le retrait peu glorieux de
Somalie au printemps 1994 a montré les limites de l'interventionnisme.
Cette étude explore différentes facettes de la pensée
stratégique américaine relative au Tiers Monde, de Ronald Reagan
à Bill Clinton.
§1. Les principes de politique africaine des USA
Les USA comme d'autres grandes puissances construisent leurs
politiques régionales sur base du contexte géopolitique et
surtout en observation de l'environnement international. Il en est de
même pour les USA. En effet, les principes qui gouvernent la politique
africaine des USA sont très fluctuants en raison des
éléments que nous venons de souligner.
Pour bien les percevoir, nous pouvons les analyser dans une
vision diachronique.
1.1. Pendant la guerre froide
Le premier principe de politique africaine des USA est celui
des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. En effet, à
partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, les USA comme l'ex URSS
a soutenu le processus de décolonisation africaine. Ainsi, cette
politique a été fondée sur ce principe. Le deuxième
principe est celui du respect des zones d'influence. Ce principe justifie la
réticence américaine d'intervenir directement en Afrique.
L'objectif principal était de ne pas offusquer les partenaires
européens, notamment la Grande Bretagne, le Portugal, la Belgique et la
France.101
Le changement de l'environnement international marqué
par le risque de contrôle total du continent par l'ex URSS va marquer
l'évolution stratégique des principes de politique africaine des
USA. Ils abandonnent le principe de respect des zones d'influences pour adopter
celui de retrait de petites puissances et de l'opposition à l'URSS. Dans
ce cadre, nous pouvons lire : « Mais, face au risque, réel ou
supposé, de prise de contrôle du continent par l'URSS, les
États-unis se substituent aux petites puissances pour gérer la
décolonisation. Ainsi, Washington intervient au Congo en 1960 et finit
par soutenir le général Mobutu qui, pourtant, n'était pas
son favori au départ. Dans le sud, en Angola, en Namibie et au
Mozambique, l'Amérique intervient très indirectement, via
l'Afrique du Sud, à partir de 1975 quand le Portugal se
désengage. »102
101 DUIGNAN, P. et GANN, L.-H. Les États-unis et
l'Afrique, une histoire, Economica, Paris, 1984, p. 87
102 FAFF, W. "L'hégémonie n'a qu'un temps", in
Courrier international, n° 540, 8-14 mars. 2001.
43
1.2. Après la guerre froide
La fin de la guerre froide porte un coup fatal à
l'intérêt américain sur l'Afrique. La fin de la guerre
froide réduit sensiblement les tensions dans le monde. En Afrique, on
constate la fin de l'intérêt stratégique et militaire
américain. Pour marquer vraiment ce changement, L'administration Bush
senior engage une politique d'apaisement et de règlement de certains
conflits africains.
Cette phase est marquée par des hésitations
américaines à adopter des principes directeurs de sa politique
africaine. Cet ainsi que dans la première moitié des
années 1990, le gouvernement américain hésite à
s'impliquer dans les problèmes du continent, en particulier dans la
gestion du génocide rwandais.
Dans la seconde moitié, l'administration
américaine adopte le principe de progression des positions
économiques américaines en Afrique. « Ainsi, en 1996, B.
Clinton réoriente les priorités diplomatiques
générales du pays, accordant une primauté de
l'économique sur le militaire, au risque de mécontenter le
Pentagone, dont le budget diminue »103
L'opinion nationale américaine face aux
révélations faites par deux fois par CNN va pousser
l'administration à s'impliquer d'avantage en Afrique.
« Cette chaîne retrace sur le petit écran la
guerre civile et la famine qui sévissent en Somalie. Le gouvernement
lance alors l'opération "Restore Hope" ("Restaurez l'espoir"), en
janvier 1993. Le même appareil médiatique provoque la
réaction inverse en octobre 1993, lorsque la diffusion des images du
corps d'un soldat américain traîné dans les rues de
Mogadiscio soulève l'opinion publique et pousse A. Clinton à
retirer les troupes. Cependant, l'objectif géopolitique sous-jacent de
cette opération est déjà d'endiguer l'influence islamiste.
Cette opération s'achève dans la confusion, de manière
tragique et humiliante pour les Etats-Unis.
B. Clinton promulgue alors les trois principes qui
président son action sur le continent :
trouver des solutions africaines aux problèmes
africains, c'est-à-dire limiter les interventions directes et chercher
des relais sur place ;
intégrer l'Afrique dans les circuits de
l'économie mondiale, comme fondement de la diplomatie commerciale de
l'après-guerre froide ;
103 NOUAILHAT, Y.-H. Les États-Unis et le monde au XXe
siècle,éd. Armand Colin, Paris, 2000, p. 45
44
S'opposer activement au terrorisme, islamiste, comme au Soudan
ou en Libye. »104
Les attentats du 11 septembre 2001 vont amener une nouvelle
définition des principes de politique africaine des USA. Ainsi, Bush
junior. Sous son Administration, les principes se confondent aux objectifs et
aux priorités. L'élément majeur de la politique africaine
est la lutte contre le terrorisme islamique, le contrôle des rogues
states et des failled states en Afrique.
§2. Les courants philosophiques de la politique
africaine des USA Post-guerre froide : l'engagement sélectif et la
legacy
De la naissance de la fédération
américaine à la Deuxième guerre mondiale, la politique
étrangère américaine à l'égard de l'Afrique
est caractérisée par une sorte de négligence sinon
d'indifférence perceptible avec les années qui passent sans subir
de changement majeur.105
Après la guerre, la lutte contre l'expansion du
communisme est au centre de la politique africaine des Etats-Unis entre 1947 et
1989.
Au lendemain de la chute du Mur de Berlin, George Bush senior
arrive au pouvoir avec aucune vision pour le continent africain. Le nouvel
ordre mondial qu'il tente de mettre sur pied exclut totalement l'Afrique qui
vient de perdre son importance géopolitique avec l'implosion de
l'URSS.
La politique étrangère à l'égard
de l'Afrique sous William J. Clinton, basée, pour la plupart, sur des
fondements idéalistes beaucoup plus solides, sera en définitive
plus paternaliste que productive. Georges W. Bush, au début de son
mandat, est tout simplement laconique dans ses propos à l'égard
de l'Afrique. Peut-être ne voulait-il pas mettre en exergue ses
impérities quant au continent africain. Finalement, force est de
constater qu'aucune administration, comme nous le verrons plus loin, n'a
véritablement développé de politique, de stratégie
à long terme pour guider les activités et les implications
américaines en Afrique dans les années 1990 et 2000.
104 LERICHE, F., « La politique africaine des
États-Unis : une mise en perspective », in Afrique contemporaine no
207, 3/2003 pp. 7-23.
105 SCHRAEDER, P. - J., United States Foreign Policy Toward
Africa : Incrementalism, Crisis, and Change. Cambridge, Cambridge University
Press. 1994 , p. 3
45
§3. De l'engagement sélectif et son
application dans les relations USA-AFRIQUE
De Ronald Reagan à Georges W. Bush, en passant par Bush
senior et Bill Clinton, l'engagement sélectif domine la politique
étrangère américaine depuis la fin de la Guerre froide et
de l'implosion de l'Union soviétique. Mais, c'est sous la
présidence de Georges W. Bush que l'application de cette approche
à l'égard de l'Afrique demeure évidente. Pour les
observateurs de la politique étrangère, l'engagement
sélectif, par définition ou par application, n'est ni du
multilatéralisme ni de l'unilatéralisme.106 En 2001
Richard Haas, le chef du Policy Planning Staff au département
d'État de l'administration Bush, définit l'engagement
sélectif comme du « multilatéralisme à la carte
».107
Le Secrétaire d'État de l'époque, Collin
Powell rejette l'étiquette «unilatéraliste»
donnée à la politique étrangère après le 11
septembre 2001. Il explique Washington, n'intervient pour défendre ses
intérêts que quand lui et lui seul le juge nécessaire.
»108, En réalité, l'approche s'apparente
fondamentalement à un véritable bilatéralisme beaucoup
plus dangereux que l'unilatéralisme pour le reste du monde.
En effet, elle conduit la Maison Blanche à faire des
choix stratégiques sur le lieu, le moment et la question sur laquelle
les États-Unis doivent intervenir. Le critère fondamental
à souligner, quant à l'intervention américaine sur la
scène internationale, reste l'intérêt national
américain en terme géostratégique, économique ou
sécuritaire et ce, peu importe l'impact que celle-ci peut avoir sur le
reste de la communauté internationale.
Les caractéristiques de l'engagement sélectif sont
:
1. L'engagement sélectif (comme
l'unilatéralisme d'ailleurs) amène Washington à ne pas
tenir compte de l'opinion de l'ensemble de la communauté internationale
et aussi surtout de l'impact de ses interventions sur cette dernière.
2. L'approche de l'engagement sélectif favorise la
mise sur pied de politiques basées sur le concept du «Pivotal
State» qui amène Washington à concentrer l'essentiel de ses
relations vers certains pays considérés comme des États
pivots ou centraux. Ce qui définit l'État pivot : « c'est sa
capacité à influencer la stabilité régionale, leurs
succès ou échecs affectent les pays de la région et
surtout les intérêts américains».109 Ainsi,
nous pouvons citer l'Afrique du Sud en Afrique
106 STEIN KENNETH W, op.cit. , p. 52
107 Idem
108 Ibidem, p.53
109 CHASE, ROBERT, S, HILL, E.-B. et KENNEDY P., « Pivotal
States and U.S. Strategy », in Foreign Affairs, vol. 75, no.1, 1996, p.
37
46
australe, le Nigeria en Afrique occidentale. Ces derniers
reçoivent des traitements privilégiés de la part de
Washington qui, à travers ces puissances hégémoniques
régionales africaines, protège ses intérêts
régionaux.
3. Mais, la conséquence la plus sérieuse est que
cette approche contraint les Américains à se départir de
leur responsabilité de seule superpuissance à l'égard du
reste du monde. En effet, Washington rejette les principes et les processus
multilatéraux quand vient le temps de faire face à certaines
catastrophes et urgences globales. Nous pouvons, à cet effet, rappeler
le refus de Bill Clinton d'intervenir lors du génocide au Rwanda en 1994
car Washington n'y avait aucun intérêt aussi bien dans le domaine
de la sécurité nationale que dans celui de l'économie.
Autrement dit, l'engagement sélectif réduit à néant
la notion de «responsabilité positive », liée au
rôle de seule superpuissance du monde qui devrait conduire Washington
à développer des politiques et des initiatives
désintéressées pour aider les pays du Tiers monde à
lutter contre la pauvreté, le sida et à favoriser la naissance
d'une culture démocratique.
Quant à l'Afrique, depuis la fin de la Guerre froide,
l'intérêt national américain serait principalement
lié aux questions de sécurité nationale. Et à un
degré moindre, les questions économiques deviennent de plus en
plus importantes depuis la fin des années 1990 et le début des
années 2000. Avec la flambée du prix du pétrole sur le
marché international, Washington porte une attention encore plus grande
à des pays tels que le Nigeria et le Gabon.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le
terrorisme devient la pierre angulaire des relations
américano-africaines, et ce, en remplacement de l'endiguement. Il s'agit
en fait d'un retour vers la politique dangereuse et malsaine de la Guerre
froide qui amenait Washington à soutenir les dictatures africaines qui,
à des degrés différents, participaient à la lutte
contre l'expansion du communisme et ce, malgré les exactions et
violations perpétrées par ces dernières à
l'égard de leurs populations respectives.
De nos jours, la Maison Blanche applique cette même
politique au nom de la lutte contre le terrorisme. L'approche de l'engagement
sélectif conduit donc les Etats-Unis à sélectionner un
certain nombre de pays africains avec lesquels Washington développe des
relations privilégiées pour la défense de ses
intérêts économiques (Nigeria, Afrique du Sud et Gabon,
etc.) et sécuritaires (Djibouti, Kenya, et Somalie etc.)
47
3.1. De la politique du legacy et son application dans les
relations USA-AFRIQUE
La deuxième approche est celle de la « politique
de legacy » qui est construite à partir du concept de legacy
lui-même ou d'héritage. La question fondamentale serait de savoir
comment se souviendra-t-on du président? Concrètement, cette
politique consiste à associer à jamais une politique ou des
initiatives au nom de la famille du président.
Celles-ci peuvent véhiculer des idéologies ou
des messages électoraux favorables au président du moment. Ainsi,
cette politique de `legacy' permet non seulement, à l'administration
Bush de mettre en exergue son soi-disant intérêt pour l'Afrique,
mais aussi de redorer son blason auprès de l'électorat noir
américain qui dans une certaine mesure s'est toujours soucié du
sort du continent africain. Malheureusement, cette approche ne tient compte ni
des résultats ni de l'impact des politiques sur les pays
africains.110
En définitive, nous pouvons résumer les
principes de politique africaine des USA en plusieurs séquences ou
phases. Chacune de ces phases obéit au changement d'environnement
international. Le début de la période post guerre froide est
marqué par des hésitations quant à l'élaboration
des principes clairs de politique africaine. Bill Clinton a posé le
principe de la diplomatie commerciale : « l'accent est mis sur le
potentiel économique de l'Afrique. Washington, dont l'objectif est de
réduire la dépendance énergétique nationale
à l'égard du golfe Persique, souhaite accroître ses
importations pétrolières en provenance de l'Afrique occidentale,
de 15 % en 2001 à 25 % en 2020 ».111 Sous Bush junior la
politique africaine des USA était guidée par le principe de
sécurisation préventive, lequel principe passe par une politique
tournée vers le développement économique, le renforcement
du processus de démocratisation du continent et la prévention du
sida. Après le 11 septembre, le principe de sous traitance militaire
s'est ajouté à ceux existant déjà.112
3.2. Les lignes forces et stratégies de la politique
américaine en Afrique
La politique africaine des USA est marquée par trois
grands objectifs : 1/ La lutte contre le terrorisme ;
2/ La sécurité énergétique ;
3/ L'expansion du marché et de la démocratie ;
110 The Legacy: President Clinton's legacy to Africa. In
www.acapublishing.com/legcontent,
(consulté en janvier 2004).
111 SERVANT, J.-C., "Offensive sur l'or noir africain", in Le
Monde diplomatique, janvier. 2003,
112 Voir à ce propos, HASSNER, P. et VAÏSSE J.,
Washington et le monde, CERI/Autrement, Paris, 2003.
48
Les Etats-Unis ont monté une politique africaine
construite sur les pôles fédérateurs qu'ils appellent les
États pivots. Ces États sont notamment : l'Afrique du sud,
l'Éthiopie, le Kenya, l'Ouganda, le Sénégal.
En dehors des États pivots, les USA ont quelques pays
d'importance majeure pour des raisons de sécurité. Ainsi, le
Djibouti et le Sao Tome et Principe, ont une importance stratégique dans
la gestion militaire et celle de sécurisation des routes maritimes. En
plus, Ils chercheront à trouver un pays d'accueil pour l'Africom
(unité de commandement américain pour l'Afrique).
D'une manière générale, il est peu
probable que les USA s'engagent dans des dossiers brûlants en Afrique,
sauf en cas d'une large nécessité.
49
CHAPITRE III : LE SYSTEME
INETERNATIONAL EN GESTATION SECTION 1. DESORDRE APRES LA GUERRE
FROIDE
Dans son discours d'adieu à la présidence en
janvier 1953, Harry Truman envisageait l'avenir avec confiance. Selon lui, il
ne faisait aucun doute que la menace du Communisme, "problème majeur de
notre époque", finirait par être résolue. De "ce monde tant
espéré et qui émergera tôt ou tard", il dressa les
grandes lignes : "une nouvelle ère", un âge d'or fantastique,
où notre capital, nos compétences et nos connaissances seront
libérées des contraintes de la défense et enfin
consacrées entièrement à des fins pacifiques partout dans
le monde. Pour en finir avec la pauvreté et la misère humaine sur
terre ... il n'existera aucune limite à ce que l'on pourra
entreprendre"113.Il semblerait que nous soyons entré dans la
nouvelle ère dont parlait Truman.
La Guerre Froide semblait à l'époque insoluble :
neutraliser la force soviétique, comme l'observait Henry Kissinger en
1976, "est une nécessité qui ne nous quittera pas et
peut-être ne sera-t-elle jamais complètement
résolue114. En 1986, Zbigniew Brzezinski affirmait que "le
conflit américano-soviétique n'est pas une aberration temporaire
mais une rivalité historique qui persistera longtemps"115. La
menace communiste internationale a non seulement été
résolue comme l'affirmait Truman, mais de plus elle a
complètement disparu. Au cours de ce processus remarquablement bref,
tous les problèmes majeurs qui perturbaient depuis près d'un
demi-siècle les relations internationales des grands pays, mieux connus
sous le nom de Grandes Puissances, ont virtuellement été
résolus : on citera l'occupation impopulaire et souvent brutale de
l'Europe de l'Est par les Soviétiques, la division artificielle et
préoccupante de l'Allemagne, la coûteuse et virulente
compétition militaire entre l'Est et l'Ouest ; compétition qui
restait toujours dangereuse et dégénérait parfois en crise
ouverte, la lutte idéologique entre un communisme autoritaire,
expansionniste, qui encourageait la violence et une démocratie
capitaliste sur la défensive et parfois affolée.
Cependant, bien que nous soyons aujourd'hui plus libres que
jamais d'utiliser notre capital, nos compétences et nos connaissances
scientifiques pour éliminer la pauvreté et la misère
humaine, il semblerait que cet « âge d'or » ne soit pas encore
arrivé. Bien entendu, la phrase de Truman est exagérée,
elle frise même dangereusement la poésie, et
interprétée dans le sens d'une utopie insouciante, elle
décrit un rêve inaccessible. Cela-dit, même si Truman
était parfois un peu rêveur, il était bien trop
réaliste pour croire à la perfection absolue. Une grande partie
de notre réticence à adhérer à son idée
provient de la manière dont nous avons tendance à regarder le
monde. Celle-ci
113Truman H. S., Public papers of the President of the
United States: Harry S. Truman, 1952-1953, W(...)
114Kissinger H. A., American Foreign Policy, New York, Norton, 3rd
ed., 1977, p. 304
115Brzezinski Z., Game plan : A geostrategic framework
for the conduct of the U.S.-Soviet contest, B(...)
50
nous empêche d'accepter l'idée que nous puissions
vivre dans un tel âge d'or même si celui-ci vient frapper à
la porte. Le personnage principal de la pièce de George Bernard Shaw
"Homme et Surhomme" illustre bien ce phénomène :
"Dans la vie il y a deux tragédies : l'une est de ne pas
réaliser ses désirs, l'autre est de les
réaliser".
Même si la plupart des problèmes qui ont
hanté la planète au cours du dernier demi-siècle,
problèmes majeurs pour reprendre les termes de Truman, ont
été résolus, la quête incessante d'autres sujets de
préoccupations se poursuit de plus belle. Et s'est par conséquent
répandu la conception selon laquelle les affaires internationales sont
devenues aujourd'hui particulièrement tumultueuses, instables et
complexes. Cette idée a été reprise si souvent qu'elle
sonne aujourd'hui comme un mantra116.
Ainsi Bill Clinton proclamait-t-il en 1993, dans son discours
d'investiture à la présidence que "le nouveau monde est plus
libre mais moins stable" et le Directeur de la CIA de l'époque, James
Woolsey, non sans une touche d'intérêt corporatiste, faisait part
de sa conviction que "nous avons abattu un gigantesque dragon qui nous barrait
la route mais nous vivons désormais dans une jungle infestée
d'une diversité déconcertante de serpents
venimeux"117. Son prédécesseur
à la CIA, Robert Gates, abondait en son sens : "Les
événements des deux dernières années nous ont
précipité dans un monde beaucoup plus instable, turbulent,
imprévisible et violent"118. Cette
idée a aussi trouvé un écho favorable auprès de
nombreux spécialistes des relations internationales qui tentent de
s'adapter à un champ en pleine mutation où les anciens paradigmes
ne fonctionnent plus et qui voient leur discipline perdre de son attrait.
Ainsi, pour Stanley Hoffmann, "la question de l'ordre est devenue bien plus
complexe qu'auparavant"119.
Pour parvenir à une telle conception, cinq
procédés ont été utilisés : le passé
a été simplifié, un biais eurocentrique a
été introduit, les définitions ont été
modifiées, les critères ont été rehaussés,
et les problèmes auparavant mineurs ont vu leur importance
réévaluée.
§1. Simplification Du Passe : Les Souvenirs De La
Guerre Froide
Les conclusions tirées sur la complexité du
monde après la Guerre Froide sont en partie issues d'un schéma
remarquablement simplifié de ce qui s'est réellement produit
durant cette période. Ce phénomène est lié à
notre manière de regarder le passé avec une certaine myopie,
à le reconsidérer de
116En sanskrit, « instrument de la pensée,
formule sacrée, hindoue ou bouddhique, qui a un caractère magique
117Cf. Testimony before the Senate Intelligence Committe, 2 february
1993
118Cf. « No time to disarm », Wall Street
Journal, 23 august 1993, A10.
119Cf. « Delusions of world order », New
York Review of Book, 9 april, 1992, p. 37.
51
manière beaucoup plus bienveillante, simpliste et
innocente qu'il ne l'était en réalité120. Aussi
favorable que soit le cours des événements actuels, le
passé semble toujours meilleur. Et, plus on y réfléchit,
plus on se considère malheureux comparativement à autrefois. Il y
a bien des "âges d'or", mais nous ne les vivons jamais,
ils se sont toujours enfuis quelque part : dans le bon vieux temps ou dans un
avenir inaccessible.
Par exemple ceux qui se souviennent, avec nostalgie des "happy
days" des années 50 oublient le Maccarthysme, la guerre
meurtrière en Corée, ou encore le malaise profond suscité
par la menace apparemment sérieuse du communisme, avec sa volonté
d'"enterrer" l'Ouest en 10 ou 20 ans tout au plus, inquiétudes
entretenues par les prévisions de la CIA selon lesquelles le PIB de
l'Union Soviétique représenterait le triple de celui des
Etats-Unis en l'an 2000121.
Dans la même veine, il faut rappeler les propos de
Woosley qui estimait que la menace de Guerre Froide pouvait être
résumée succinctement et brièvement puisque notre
adversaire est "une seule puissance dont les intérêts menacent
fondamentalement les nôtres"122. Ou encore, l'opinion de
Thomas Friedman du New York Times selon laquelle "tout ce que les
hommes politiques avaient à faire était de tourner leurs compas
en direction des conflits régionaux pour voir quelle position allait
adopter Moscou et en déduire immédiatement celle de
l'Amérique"123. Et la conviction de Meg Greenfield de
Newsweek pour qui "déterminer les intérêts des
Etats-Unis à l'étranger est devenu une tâche plus difficile
depuis la disparition de la menace uniforme, clairement définie et
comprise par tous"124.
Malgré tout, la menace du communisme était
changeante, multiforme et extrêmement complexe. Il y avait la plupart du
temps deux sources principales de menace, la Chine et l'URSS et non pas une
seule. Ainsi, le défi relevé par la guerre du Vietnam provenait
de la Chine et non de l'Union Soviétique125. De plus, les
Chinois et les Soviétiques, même s'ils menaçaient
conjointement l'Ouest, étaient le plus souvent en profond
désaccord, parfois presque en guerre, sur les stratégies et les
tactiques à adopter, ce qui compliquaient encore plus les
choses126.
Dans la plupart des cas, il était extrêmement
difficile d'adopter une position : les Etats-Unis ont soutenu la Chine contre
les Soviétiques en Angola, ont été pendant des
années pour le moins perplexes sur l'attitude de Fidel Castro à
Cuba, mais ils ont rejoint le camp soviétique pour soutenir la
120Pour une idée opposée à
celle-ci voir, Bettmann O. L., The good old days : They were terrible
!,(...) 121Reeves R., President Kennedy : Profile of power,
New York, Simon & Schuster, 1993.
122Op. cit.
123Cf. « It' harder now to figure out compelling
national interest », New York Times, 31 may 1992, E(...)
124Cf. « Reinventing the world », Newsweek, 20 december
1993, p. 128.
125Cf. Mueller J., Retreat from doomsday : The
obsolescence of major war, New York, Basic Books, 198(...)
126Samuel Huntington, soutient que le paradigme de la Guerre Froide
« a aveuglé les spécialistes et(...)
52
création de l'Etat d'Israël, ainsi qu'un
régime gauchiste en Tanzanie, et parce qu'ils considéraient que
la plupart des insurrections communistes étaient liées d'une
manière ou d'une autre à des troubles internes, ils n'ont jamais
pu déterminer si certains pays, comme le Mozambique, devaient ou non
être considérés comme des pays communistes.
Friedman et d'autres peuvent bien penser que la politique du
containment et ses implications théoriques sur la gestion de
l'expansionnisme soviétique, fournissait une ligne directrice claire et
un code de conduite limpide qui garantissaient la cohérence de la
politique extérieure américaine.
La réalité de la Guerre Froide nous
suggère au contraire qu'il y eut surtout des hésitations et des
improvisations dans l'application de cette politique. A peine la politique du
containment était-elle formulée, que Truman laissait la Chine
rejoindre le camp communiste.
Eisenhower quant à lui se refusa à engager des
moyens militaires pour empêcher la victoire communiste en Indochine mais
il tint bon sur les îles de Quemoy et Matsu au large des côtes
chinoises.
Kennedy pour sa part voulait consolider les positions
anticommunistes au Sud Viêt-Nam, mais au même moment il accordait
le contrôle effectif du Laos aux communistes. La politique du containment
aurait pu constituer une ligne de conduite utile mais elle n'a en
réalité guère facilité la formulation d'objectifs
politiques. Ainsi, les Etats-Unis et leurs alliés se disputaient
fréquemment sur la manière dont ils devaient faire face à
la menace "menace uniforme, clairement définie et comprise par tous",
telle que la qualifiait M. Greenfield.
En fait, si la période d'après-guerre Froide
ressemble à une jungle infestée de serpents venimeux, la Guerre
Froide quant à elle était une jungle dominée par au moins
deux dragons et infestée de serpents venimeux dont certains
étaient de divers types, sinueux et le plus souvent d'une
complicité ambiguë et sournoise avec l'un ou l'autre des deux
dragons. Déterminer laquelle de ces jungles est la plus
préférable et la moins complexe semble évidente. La
Guerre Froide constituait une complexité supplémentaire dans les
relations que les Etats-Unis entretenaient avec un grand nombre de pays.
Ainsi, les Etats-Unis ont dû traiter Mobutu comme un dictateur qui
avait mené son pays à la ruine mais un dictateur qui se trouvait
à leurs côtés dans la Guerre Froide. Aujourd'hui, ils
peuvent le traiter seulement comme un dictateur qui a mené son pays
à la ruine. Il est donc important de souligner dans ce domaine que la
politique internationale est devenue bien moins complexe qu'elle ne
l'était durant la Guerre Froide.
53
M. Greenfield déplore "la disparition de l'ordre, de
l'autorité et des institutions à travers le monde",
considérant implicitement que nous sortons d'une période
où "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil", et
où l'autorité restait incontestée suggestion somme toute
étonnante127.
De même, Hoffmann considère que pendant la Guerre
Froide, "les Superpuissances, mues par la crainte d'une guerre
nucléaire, avaient élaboré petit à petit des
règles et des contraintes pour éviter la confrontation militaire
directe"128. Ceci est vrai, mais il faut souligner
que ces pays finissaient par se trouver impliqués dans des conflits
armés indirects, dont certains étaient particulièrement
meurtriers.
Et dans notre nouveau monde, quelque désordonné
et complexe qu'il puisse paraître, les risques de confrontation
militaire, directe ou indirecte, entre l'Est et l'Ouest, se sont tellement
réduits qu'il en est devenu absurde de suggérer qu'un code de
règles et de contraintes soit nécessaire pour les éviter,
en tout cas tout aussi saugrenu que d'affirmer qu'un tel code est
aujourd'hui nécessaire à la prévention d'un conflit entre
les Etats-Unis et le Canada.
§2. Nationalisme, eurocentrisme et guerre locale
Les guerres ethniques et nationalistes ne sont certainement
pas nouvelles. Comme le faisait remarquer Barry Posen, "le nationalisme
n'était pas inexistant au cours de ces quarante-cinq dernières
années : il a joué au contraire un rôle clé dans le
processus de décolonisation, alimentant à la fois les guerres
révolutionnaires ou les guerres
interétatiques129. Des inquiétudes
nouvelles sur le nationalisme en Europe ont vu le jour, mais ceux qui trouvent
le monde plus complexe et tumultueux qu'il ne l'était durant la Guerre
froide se focalisent en réalité sur le seul continent
européen.
Or, depuis la fin de la Guerre Civile grecque en 1949,
l'Europe n'a plus connu de guerre civile. Ce bilan remarquable est aujourd'hui
remis en question par les guerres civiles qui ont éclaté dans
l'ancienne Yougoslavie. En plus, le chaos politique et économique,
parfois violent, a accompagné la désintégration des
empires soviétique et russe en Europe de l'Est et
particulièrement en Asie.
Ces problèmes sont bien entendu très
réels mais il convient de souligner à nouveau la
résolution, remarquablement pacifique, des problèmes
internationaux les plus cruciaux qui étaient concentrés en
Europe.
127Op. cit.
128Hoffmann S., « Delusions of world order
», New York Review of Books, 9 April, 1992, p. 37.
129Posen B. R., « Nationalism, the mass army, and military
power, International Security, 18 fall, 1(...)
54
Par ailleurs, il n'est pas du tout évident que la
Guerre Froide ait empêché l'éclosion des conflits civils en
Europe. L'épuration ethnique" n'est pas un phénomène
récent. Pendant des années, les Bulgares par exemple ont
poursuivi une politique de persécution systématique
vis-à-vis des immigrés turcs. Les combats entre Arméniens
et Azéris ont commencé avant la Guerre Froide, alors que conflit
yougoslave résulte d'une tentative mal maîtrisée et
incontrôlée de fédérer le pays, une situation
qui aurait pu tout aussi bien se produire pendant la guerre
froide130.
Parallèlement, si l'Europe de l'après-guerre
Froide subit aujourd'hui plus de conflits armés que durant la Guerre
Froide, le reste du monde, lui, connait moins de guerres qu'auparavant.
L'Amérique latine a connu une longue et sanglante série de
guerres civiles dont la plupart avaient été inspirées ou
du moins exacerbées par la compétition de la Guerre Froide.
A la fin de celle-ci, cette zone du monde s'est affranchie de
toute guerre civile. Autre exemple encore plus probant, celui de l'Est et du
Sud-est de l'Asie. La Guerre Froide a provoqué ou du moins
exacerbé des guerres longues et coûteuses en Corée, en
Malaisie, en Thaïlande, en Chine, au Vietnam, et au Cambodge où
elle n'a pas seulement mené à la guerre civile mais à une
paix qui était bien pire. Des problèmes subsistent dans l'Est
asiatique mais cette zone est devenue certainement plus stable, plus pacifique
et plus prospère sur le plan économique qu'elle ne l'a
été durant la Guerre froide. Par conséquent,
à moins d'adopter une perspective complètement
eurocentrique, il est tout simplement inexact d'affirmer que "les conflits
entre nations et groupes ethniques prolifèrent" comme l'a formulé
Samuel Huntington, ou d'affirmer comme Stanley Kober que de tels conflits sont
"en train d'envahir le monde"131.
Dans la mesure où le nationalisme ou
l'ultranationalisme constituaient l'une des causes principales de la
Première et de la Seconde Guerre Mondiale, le souci de le voir
réapparaître en Europe est certainement
justifié132. Mais le nationalisme demeure
puissant non seulement en Europe de l'Est mais aussi dans les paisibles pays de
l'Europe de l'Ouest.
Or, là, les divergences nationales ne s'expriment que
rarement par la violence, ou par des menaces de violence même si des
visions messianiques à propos des transformations du monde continuent de
se refléter dans les perspectives
nationalistes133.
130Pour les commentaires critiques de Vaclav Havel sur
le « nettoyage ethnique » des allemends et de(...)
131Cf. Huntington S., « Why international primacy matters
», International Security, 17, spring, 199(...)
132VoirMearsheimer J. J., « Back to the future : Instability
after the Cold War », International Se(...) 133Howard
M., The Lessons of history, New Haven, CT, Yale University Press, 1991,
chapitres 2 et 4.
55
Cependant, ceci ne signifie pas forcément que les
Européens de l'Ouest sont moins nationalistes qu'ils ne l'étaient
dans les années 1920 ou même 1890. Est-ce que les Britanniques
dont une bonne partie a récriminé à propos du nouveau
tunnel sous la Manche, apprécient les Français plus que jadis ?
Est-ce que les Italiens se sentent moins Italiens qu'auparavant ?
L'émergence de relations économiques plus
étroites en Europe peut seulement signifier que ces pays ont enfin
compris qu'il y avait un bénéfice à escompter d'une
coopération économique mais elles n'impliquent pas que ces
Européens s'apprécient plus les uns les autres, ou qu'ils
s'identifient davantage aujourd'hui à une nation européenne.
La réunification de l'Allemagne représente un
triomphe spectaculaire et pacifique du sentiment national : Si le nationalisme
allemand s'était réellement dégradé, on aurait pu
s'attendre à ce que la division de l'Allemagne subsiste après le
départ des Soviétiques mais on a constaté rapidement
qu'une Allemagne de l'Est indépendante n'avait plus guère de sens
et les Allemands se sont jetés dans les bras les uns des autres.
Le nationalisme peut bien entendu conduire à la guerre
et au désastre mais comme le suggère l'expérience de
l'Europe de l'Ouest, il n'est pas besoin de le supprimer pour que la paix
domine. La France et l'Allemagne aujourd'hui ne s'accordent pas sur tout mais
ils n'envisagent plus d'utiliser la guerre ou la menace de la guerre pour
résoudre leurs désaccords. Ils ont ainsi modifié l'un des
plus importants paradigmes de la première moitié de ce
siècle. Il serait particulièrement intéressant de voir si
cette attitude peut influencer l'Europe de l'Est au moment où ces pays
forgent leur destin.
La plupart d'entre eux ont parfaitement réussi à
éviter la violence au cours de leur libération du joug
soviétique ; ceci nous laisse espérer qu'en dépit de la
violence nationaliste et malgré le cas Yougoslave, la guerre
internationale pourra être évitée dans cette région.
Le nationalisme peut en effet aussi être considéré comme
une force constructive : si la Pologne parvient à surmonter ses troubles
actuels, le nationalisme polonais y aura certainement contribué de
manière positive.
De plus, il est possible d'identifier quatre
développements importants susceptibles de réduire la
fréquence et l'intensité des guerres locales en Europe ou
ailleurs. Tout d'abord, la mort du communisme a entraîné dans sa
chute bien des mythes romantiques sur la révolution134. Au
cours des deux derniers siècles, de nombreux experts, philosophes et
activistes politiques n'ont pas caché leurs enthousiasmes pour la
révolution et ses soi-disant effets salutaires et purificateurs.
134 Par exemple, dans un livre sur le Vietnam qui s'est vu
accorder de nombreux prix, le journaliste(...)
56
Plus particulièrement, le communisme a affirmé
pendant des décennies que les révolutions réussies et les
guerres de libération dans le Tiers Monde entraîneraient un
renouveau social, politique et économique. Les désastres qui ont
suivi les révolutions soi-disant réussies au Vietnam et ailleurs
ont surtout "purifié" le monde de l'idée selon laquelle la
révolution peut avoir le moindre effet purificateur. Depuis, cette
dialectique politique qui avait fait couler tant de litres d'encre et de sang a
été heureusement abandonnée.
Deuxièmement, une fois la violence
révolutionnaire discréditée aux yeux du monde entier, les
réformes démocratiques pacifiques sont parallèlement
devenues de plus en plus séduisantes, avec pour résultat que
l'idéal démocratique s'est répandu à travers le
monde. La démocratie est certes imparfaite mais souvent efficace pour
résoudre les conflits locaux de manière pacifique. De plus, et
contrairement à ce que l'on pense généralement, il
semblerait que la démocratie soit un processus qui puise s'instaurer
relativement aisément135.
Troisièmement, bien que peu de guerres locales aient
été déclenchées directement par les principaux
protagonistes de la Guerre Froide, bon nombre d'entre elles se sont
sérieusement aggravées suite à leurs interventions. L'un
des arguments principaux de l'idéologie communiste reposait sur
l'idée que la violence révolutionnaire était la plupart du
temps inévitable et que les Etats communistes se faisaient un devoir de
les y aider. Parallèlement, la politique du containment à l'Ouest
impliquait que la force soit utilisée pour repousser ces
interventions.
Les grandes puissances restreignirent ou tentèrent de
restreindre leurs petits "clients", mais le plus souvent elles s'y
impliquèrent ouvertement. En plus de la Corée, du Viêt-Nam,
de la République Dominicaine, du Liban en 1958, de l'Inde, de
l'Afghanistan et de la Grenade où des troupes américaines,
soviétiques et/ou chinoises ont été directement
engagées, on peut estimer que la Guerre Froide a exacerbé des
conflits violents en Thaïlande, en Birmanie, au Guatemala, au Nicaragua,
au Salvador, au Venezuela, à Cuba, en Grèce, au Pérou, en
Argentine, en Bolivie, au Cambodge, au Laos, en Angola, en Inde, au Mozambique,
au Chili, au Congo, au Brésil, en Ethiopie, en Algérie, en Irak,
aux Yémen, en Hongrie, à Zanzibar, en Afrique du Sud, en Guyane,
en Indochine française, en Malaisie, en Iran, en Indonésie et aux
Philippines.
Avec la fin de la Guerre Froide, on peut s'attendre à
ce que de telles recrudescences n'aient plus lieu. Dans la mesure où
cela signifie moins d'armes étrangères et moins d'aides
extérieures aux potentats locaux, ces conflits et leur intensité
devraient diminuer. En 1991, les ventes d'armes à ce que l'on appelait
encore le Tiers Monde ont chuté d'un tiers par rapport au record atteint
en 1986136. En 1993, elles avaient encore diminué de 20
%137.
135A ce propos voir Mueller J., « Democracy and Ralph's
pretty good grocery : Elections, inequality,(...) 136Wright R. J.
Jr, Testimony before the Senate Intelligence Committe, 2 february 1993.
57
Mais l'expérience nous a malheureusement montré
que les belligérants n'avaient besoin ni d'encouragements ni d'armes
sophistiquées pour s'enrichir et semer le désordre.
L'amélioration ne sera donc en aucun cas satisfaisante.
Quatrièmement, alors que la coopération était
particulièrement difficile à mettre en oeuvre durant la guerre
froide en raison de la lutte intense qui figeait les positions de l'Est et
l'Ouest, ces deux camps ont aujourd'hui de bonnes raisons de coopérer
dans la plupart des domaines pour favoriser la paix et la stabilité.
Cependant, ils ne coopéreront de manière
significative, c'est -à-dire en envoyant conjointement leurs troupes
dans des zones à risques, uniquement là où ils
considèreront que leurs intérêts sont fortement en jeu. La
plupart du temps, ils se contenteront d'encourager des organisations comme les
Nations unies à assumer les tâches singulièrement peu
séduisantes du maintien et du renforcement de la paix dans les zones
périphériques138.
Des "gardiens de la paix" perdront la vie, mais si la
structure organisationnelle de ces opérations est modifiée pour
que ces pertes touchent principalement des volontaires internationaux plus
anonymes que des unités nationales facilement identifiables, alors
l'impact de politique intérieure en sera plus faible pour chacun des
pays concernés.
le contraste entre d'une part la lancinante routine des
conflits à Chypre et en Irlande du Nord et d'autre part la terrible
catastrophe bosniaque nous suggère que le patient travail de police
internationale mené à Nicosie et à Belfast pendant des
années a certainement permis de sauver des milliers de vies
humaines139.
Avec la fin de la compétition issue de la guerre
froide, de telles opérations conjointes seront de plus en plus
fréquentes dans la mesure où l'Est et l'Ouest se retrouveront du
même côté dans la majeure partie des conflits. Ainsi, sur
les 26 missions de maintien de la paix entreprises par les Nations unies entre
1945 et 1992, 12 d'entre elles ont débutées après
1988140. Le budget des Nations Unies affecté au maintien de
la paix a quadruplé, passant de 700 millions de dollars en 1991 à
2,8 milliards de dollars en 1992141.
De plus, avec l'application de sanctions économiques
contre l'Iraq en 1990, contre Haïti en 1991 et contre la Serbie en 1992,
les grandes nations sont peut-être en train d'affuter une nouvelle arme
crédible, bon marché et sans doute efficace contre les agresseurs
et semeurs de troubles des petits ou
137Schmitt E., « Arms sales to third world,
especially by Russians », drop, New York Times, 20 July,(...)
138Cf. Urquhart B., « For a UN volunteer military force »,
New York Review of Books, 10 june, 1993,(...) 139Mais cela tend
à être une tâche ingrate dans la mesure où les
personnes dont les vies ont été sau(...)
140Prial F. J., « U. N. Seeks signal on troop notice »,
New York Times, 20 July, A2.
141New York Times, 12 décembre 1992, p. 12.
58
moyens Etats. L'application de ces sanctions a en effet
clairement montré que le monde pouvait sans peine se passer de la
participation économique de ces pays, et dans un contexte d'harmonie
relative, elles permettent de leur infliger de sérieux dommages à
peu de frais.
SECTION 2. L'IMPOSSIBLE GESTION MULTILATERALE DUMONDE
?
En 1990, le Président des Etats-Unis rêvait
à « un nouvel ordre mondial fondé sur le droit »
où l'ONU accomplirait « sa destinée de parlement mondial de
la paix. »Or en 2010, le moins qu'on puisse dire c'est que le rêve
ne s'est pas réalisé, et s'il ne s'est pas transformé en
cauchemar, à tout le moins est-il moins sûr qu'en 1990.
§1. La réforme des nations unies: enjeux et
perspectives
Les changements intervenus dans les relations internationales
à partir de 1985-1987, amplifiés et
accélérés à partir de 1990-1992, ont posé de
façon accrue le problème de la réforme des Nations Unies
et de son adaptation à une donne internationale mouvante dans un
contexte global caractérisé par ce que les spécialistes
ont appelé la mondialisation et la fragmentation.
A l'origine du débat sur l'avenir des Nations Unies se
trouve le sentiment que l'Organisation n'a pas accompagné, dans ses
structures et ses méthodes de travail, les évolutions du
système international, se contentant de suivre et de mettre en oeuvre un
ordre du jour établi pour préserver les "points de repère"
de la guerre froide. Le recours massif, voire abusif, aux opérations de
maintien de la paix, conforte les critiques du système, accusé de
donner les mêmes réponses à des problèmes qui ont
à la fois changé de nature et d'origine.
Le Cinquantième anniversaire de l'Organisation
constituait l'occasion "rêvée" qui devait marquer, selon les mots
mêmes de l'ancien Secrétaire général, Boutros
Boutros-Ghali, le passage de "la vieille à la nouvelle ONU". Force est
de constater que cette occasion a été manquée.
Les Etats membres ont laissé passer, à l'automne
1995, l'occasion de débattre de façon sérieuse et
déterminée de la question de la réforme142, et
d'établir un ordre du jour précis pour sa mise en oeuvre. Certes,
un "Groupe de travail de haut niveau à composition non limitée
sur le renforcement des Nations Unies" (ou "Groupe Essy", du nom du
Président de l'Assemblée générale qui a
recommandé sa création et l'a
présidé)143 a été créé,
mais il a surtout consacré ses travaux à l'étude de
propositions organisationnelles et n'a
142 Cette question a été évoquée,
pour la première fois de façon formelle et concertée, par
les pays membres du G7 lors du Sommet tenu à Halifax en juin 1995.
143 Ce groupe de travail a été établi,
à la demande des Etats-Unis, par la résolution 49/252, le 14
septembre 1995, lors de la 49ème session de l'Assemblée
générale.
59
guère abordé dans sa globalité la
question de la réforme.144 Le matériau ne manquait
pourtant pas.
L'année 1995 avait été marquée par
la publication de plusieurs rapports de groupes indépendants concernant
l'avenir des Nations Unies.145 C'est paradoxalement après le
cinquantième anniversaire de l'ONU dont la célébration
avait été considérée comme un moment décisif
pour la mise en oeuvre de réformes profondes que le processus de
réforme du système des Nations Unies suscita un regain
d'intérêt auprès des Etats membres.
1996 a été, à ce titre, une année
charnière, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les Etats-Unis
sont intervenus au plus haut niveau dans le débat. Ils ont publié
en février et en avril deux documents contenant des propositions
détaillées à ce sujet.146 La question de la
réforme des Nations Unies a, en outre, été, à
partir de juin, un enjeu significatif, à défaut d'être
central, de l'élection présidentielle américaine entre la
majorité républicaine du Congrès et le Président
Clinton.
En juin 1996, la réforme du système des Nations
Unies a été à Lyon, pour la deuxième fois, à
l'ordre du jour d'un Sommet du G7, sommet auquel ont également
été conviés les dirigeants de l'Organisation des Nations
Unies, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de
l'Organisation mondiale du commerce.
Le Sommet de Lyon a, entre autres, formulé de nouvelles
propositions dans le domaine économique et social147, et a
insisté sur la mise en oeuvre immédiate et rapide de certaines
réformes relatives à la coordination entre les différents
organes du système et aux réductions budgétaires.
Malgré cette demande les débats de la
51ème session de l'Assemblée générale se
sont déroulés dans un climat de relatif attentisme (quant aux
résultats des élections présidentielles américaines
et de l'élection du Secrétaire général) et
soldés par un "consensus mou" quant à la nécessité
d'une réforme
144 Signalons que l'Assemblée générale a
créé, en tout, pas moins d'un comité et de 5 groupes de
travail chargés d'étudier le futur du système des Nations
Unies et de ses actions:
145 Pour êtreexhaustif, citons: le rapport
Ramphal/Carlsson ("Our Global Neighbourhood"), le rapport
Qureshi/Weizsäcker ("The United Nations in its Second-Half-Century: A
Report of the Independent Working Group on the Future of the United Nations"),
le rapport Ogata/Volker ("Financing an Effective United Nations: A Report of
the Independent Working Advisory Group on UN Financing"), et le rapport du
South Centre ("For a strong and democratic United Nations: A South Perspective
on UN Reform"). Ces rapports avaient été
précédés en 1994 de trois rapports importants: le rapport
mondial sur le développement humain du PNUD, le rapport
Urquhart/Childers ("Renewing the United Nations System") et le rapport de la
Rajiv Gandhi Memorial Initiative for the Advancement of HumanCivilization
("Reform of the United Nations Organization"); et, en novembre 1993, le rapport
Trivelli (du nom de son rapporteur) de la Commission des affaires
étrangères du Parlement européen "sur le rôle de
l'Union au sein de l'ONU et sur le problème de la réforme de
l'ONU". On peut ici regretter l'absence de propositions et d'études
significatives purement françaises.
146 "US Views on Reform Measures Necessary For Strengthening
The United Nations System", février 1996; "Preparing the United Nations
for Its Second Fifty Years", 24 avril 1996.
147 Notamment le regroupement des trois départements du
Secrétariat s'occupant des questions économiques et sociales dans
un seul et même département, proposition qui a été
mise en oeuvre dans le plan de reforme de Kofi Annan.
60
en profondeur du système. Aucune proposition
sérieuse, aucun calendrier précis ni aucun plan concret ne sont
venus appuyer cette volonté, et ce malgré la centralité du
thème de la réforme dans les débats. Il a fallu attendre
la nomination de M. Kofi Annan au poste de Secrétaire
général pour voir établir, malgré un contexte
difficile dû notamment aux pressions financières des
Etats-Unis148, un échéancier strict pour la mise en
oeuvre de réformes.149
Les deux ou trois années qui nous séparent du
XXIème siècle apparaissent donc comme cruciales pour
l'Organisation des Nations Unies et le système qui l'entoure. L'enjeu du
débat actuel est en effet rien moins que leur existence même.
Mais pour y répondre, encore faut-il s'attaquer aux
questions de fond. Une série de questions doit ainsi se poser: quelles
sont les missions fondamentales du système des Nations Unies, quel est
son rôle, quelle est son utilité dans le monde d'aujourd'hui? Et
au XXIème siècle? Quelle est sa vocation prioritaire et que
doit-elle être à l'avenir?
En d'autres termes, comment l'Organisation peut-elle s'adapter
aux évolutions du système international pour "donner au
XXIème siècle une ONU équipée, financée et
structurée de façon à servir efficacement les peuples pour
lesquels elle a été créée"?150
De la réponse à ces questions découle le
sens des réformes proposées par les Etats membres et la
conception qu'ils ont du rôle futur de l'ONU dans le système
international. Surtout, ces questions portent à la fois sur la
préparation du XXIème siècle, sur les moyens à
mettre en oeuvre en vue d'une "gestion de l'imprévisible"151,
et sur les principes, les buts et le futur de l'ensemble du système des
Nations Unies. En clair, il ne s'agit pas seulement de s'adapter au jour le
jour, mais d'anticiper pour édifier un système réellement
en phase avec les défis de demain.152
148 Les Etats-Unis qui devaient, au 30 novembre 1997, 1,3
milliards de dollars à l'Organisation ont conditionné le
règlement de ces dettes à la mise en oeuvre de réformes.
Robert Livingstone, président de la Commission des attributions
budgétaires à la Chambre des Représentants, avait en effet
affirmé de façon très claire: "si nous réglons nos
comptes trop vite, nous craignons de ne pas voir les réformes que nous
souhaitons" (Le Monde, 26-27 janvier 1997). Voir également
l'éditorial du Monde, "l'ONU et la dette américaine", 10 janvier
1997 et le détail des conditions mises par le Congrès (au nombre
desquelles se trouvent la réduction de la contribution américaine
au budget général et à celui des opérations de
maintien de la paix) dans Le Monde, 14 juin 1997. Selon le directeur de
l'Association américaine pour les Nations Unies (UNA/USA), "les appels
constants à la réforme ne sont qu'un alibi; le but réel
est d'affaiblir l'ONU autant que possible et de réduire son rôle,
pour que les Etats-Unis puissent décider et agir seuls"
(Libération, 22 septembre 1997).
149 Documents "Track I" (A/51/829) du 17 mars 1997 et "Track II"
(A/51/950) du 14 juillet 1997.
150 Déclaration du 50ème anniversaire de l'ONU, 24
octobre 1995.
151 Pour reprendre l'expression de Jacques Lesourne (Les mille
sentiers de l'avenir, 1981, éditions Pluriel).
152 Entretiens avec M. Jérôme Bindé,
Directeur de l'Unité d'analyse et de prévision de l'UNESCO.
61
§2. Un impératif : anticiper pour
s'adapter
Une réforme effective des Nations Unies exige que l'on
ait convenablement analysé le contexte international dans lequel elle se
situe. Elle ne peut faire l'économie de la réflexion et de
l'effort prospectif: "repenser" l'après-guerre froide est donc la
première des priorités. En effet, aucune conférence
internationale de nature politique n'a été organisée pour
répondre aux bouleversements survenus entre 1989 et 1992, comme cela
avait eu lieu après la guerre mondiale de 1914-1918 et celle de
1939-1945. Or les changements radicaux engendrés par la chute du mur de
Berlin et du Rideau de fer, par la dislocation de l'empire soviétique et
par l'accélération de la mondialisation sont tout aussi
fondamentaux et importants que ceux engendrés par les deux guerres
mondiales.153
Les processus de globalisation et de fragmentation,
l'augmentation des disparités entre riches et pauvres (entre les Etats,
mais aussi au sein même des sociétés)154 et des
particularismes religieux, ethniques, culturels, les changements quant à
la nature des conflits et l'élargissement des concepts de
sécurité et de développement155,
l'atténuation du caractère, naguère encore absolu, de la
notion de souveraineté étatique, la crise de l'Etat-nation, la
prévalence des logiques de force, la révolution de l'informatique
et de la communication en "temps réel" sont autant de
phénomènes-clé que l'ONU se doit d'intégrer dans sa
réflexion et ses décisions, car, ainsi que l'a dit l'actuel
Secrétaire général, "rester immobile alors que le monde
bouge, c'est glisser désespérément en
arrière.156
Ces bouleversements entraînent une véritable
métamorphose de l'ensemble du système
international.157 Celui-ci est de moins en moins
interétatique et de plus en plus transnational. Son centre de
gravité s'est progressivement déplacé de l'Europe vers la
zone Asie-Pacifique. Le pouvoir financier et économique et le pouvoir
d'influence semblent avoir pris le pas sur le pouvoir politique et le pouvoir
de commandement.
Le système international actuel ne connaît plus
d'équilibre dû à la présence de puissances
régulatrices, car l'influence et les puissances américaines n'ont
plus vraiment de contrepoids. Aux yeux d'un certain nombre d'observateurs, les
Etats-Unis exercent ainsi un "multilatéralisme
153 Ainsi que le déplore Jacques Delors, "la culture de
la guerre froide n'a pas été remplacée par une culture
réaliste du monde nouveau." Par conséquent, "un grand travail
intellectuel est devant nous.", in L'unité d'un homme, 1994, Paris,
éditions Odile Jacob, p. 197.
154 Voir PNUD, Rapport mondial sur le développement humain
1996 et 1997; Le Monde, 18 juillet 1996
155 Voir chapitres 2 et 3 du Rapport mondial sur le
développement humain 1994, PNUD.
156 Kofi Annan, 2 Peace Operations and the United
Nations: Preparing for the Next Century2 ,février 1996.
157 Bouleversements qui entraînent un changement "du
système" des relations internationales, un changement "de
système", ou même une quasi-absence de système? Voir Daniel
Colard, "La société internationale après la guerre
froide", Défense nationale, janvier 1997, p. 68.
62
autoritaire"158 ou un "nouvel
unilatéralisme"159 qui les conduit à traiter les
affaires du monde exclusivement selon leurs propres intérêts,
calendrier et objectifs, et à fonder leur action au sein du
système international sur une conception instrumentale de l'ONU, ce qui
suscite les rancoeurs de bon nombre d'acteurs qui refusent cette domination.
Par ailleurs, l'essor des interdépendances et des
moyens de communication font que les problèmes mondiaux forment
désormais un "tout", mais un "tout" irréductible à une
seule cause ou à une perception monolithique, et ne requièrent
pas forcément une solution globale, l'essentiel étant de trouver
"un niveau pertinent de décision et d'action".160 Comme le
souligne Béatrice Pouligny, "l'avenir est sans doute moins aux projets
de géant qu'aux ajustements à échelle humaine, permettant
à des individus d'appréhender un peu de cet universel qui les
dépasse."161
Enfin, le système international de
l'après-guerre froide est caractérisé par la disparition
de la menace, de la logique de l'adversité, ainsi que par un "vide
référentiel"16Q, une perte de sens163,
où les "petites idéologies" (individualisme, narcissisme, souci
de soi) ont remplacé les "grandes idéologies" porteuses de
projet, d'espérance et d'alternative.164
On peut dire qu'il existe ainsi une perte de sens au niveau
global, une absence de projet fédérateur, mais une
prolifération de "micro-sens" qui induit "la diffusion d'une
mosaïque de "codes" et de "règles" ni reconnus ni unifiant, qui ne
seront respectés par personne." Telle est ici l'une des
conséquences de la fragmentation du monde qui conduit à une
"atomisation croissante de la société" et privilégie "les
dynamiques individuelles plutôt que les situations
collectives".165
Ces phénomènes qui génèrent une
complexité croissante sont le reflet de ce que beaucoup d'auteurs
appellent une "crise de civilisation", laquelle comprend trois volets
principaux: la crise de l'Etat-nation, la crise de la société,
qui est aussi celle de la communication et de l'intelligibilité, et la
crise de l'Homme.166
158IrnerioSeminatore, "Les relations
internationales de l'après-guerre froide: une mutation globale", Etudes
internationales, Q7(3), septembre 1996, p. 605.
159 G. Achcar (Le Monde diplomatique, octobre 1995, p. 9)
citant un article paru dans International Herald Tribune, "Going It Alone and
MultilateralismAren't Leadership", 4-5 février 1995.
160ZakiLaïdi, "Le rite médiatique du G7",
Libération, 15 juin 1996.
161 Béatrice Pouligny, "Force armée de l'ONU ou
nouvelle ONU?", Etudes, mars 1994, p. 304.
16Q I. Seminatore, loc. cit. (note 17), p. 611.
163ZakiLaïdi, Un monde privé de sens,
1994, Paris, Fayard.
164 Même si cette alternative s'est souvent
soldée par des régimes autoritaires et des catastrophes humaines
et humanitaires ! Notons également, comme me l'a fait remarqué M.
Jérôme Bindé, que le "déclin des grands
récits", c'est-à-dire des grandes "idéologies
d'émancipation" a en fait précédé la fin de la
guerre froide et a, par exemple, été annoncé dès
1979 dans un essai prophétique du philosophe Jean-François
Lyotard, La condition post-moderne, 1979, Paris, éditions de Minuit.
165ZakiLaïdi, "L'urgence est mauvaise
conseillère du prince", Libération, 11 octobre 1996.
166 Voir, à ce sujet, les remarquables analyses d'Eric
de la Maisonneuve (La violence qui vient, 1997, Arléa) et d'Edgar Morin
et Sami Naïr (Une politique de civilisation, 1997, Arléa).
63
L'Organisation mondiale est donc aujourd'hui amenée
à faire face à une série de problèmes qui n'avaient
pas été prévus par la Charte des Nations Unies. Comme le
dit Richard J. Poncio, "les mots "population", "migration", "famine",
"pauvreté" et "environnement" n'apparaissent pas dans la Charte de
1945"167, pas plus d'ailleurs que le mot "développement";
toutefois, la Charte évoque déjà la
nécessité de "favoriser le progrès social"168,
et l'Acte constitutif de l'UNESCO parle de la "prospérité commune
de l'humanité".
Tout naturellement, depuis 1945, les préoccupations et
les problèmes ont changé, et l'ONU doit pouvoir accompagner les
évolutions dans les trois domaines (politique, économique et
social) dans lesquels s'inscrit la Charte.
Ainsi que le dit Ghassan Salamé, "diplomates,
chercheurs et stratèges doivent désormais analyser une kyrielle
de situations concrètes où il ne s'agit plus de dénicher
la "main de Moscou" ou les "agents de la CIA", mais de comprendre des
sociétés en voie de décomposition, des territoires en
cours de morcellement et des Etats en panne."169 Tel est le
défi à relever aujourd'hui: "saisir la multidimensionalité
des réalités"170 et acquérir "l'intelligence de
situations complexes"171. Pour cela, il faut éviter de
compartimenter les solutions données aux problèmes ou de les
limiter à un domaine particulier. En effet, un problème ne peut
plus être abordé au seul niveau politique car les sphères
politique, économique et sociale sont étroitement
imbriquées. Au contraire, "pour comprendre les phénomènes,
il faut s'interroger sur les causes, mais aussi sur les interconnexions entre
les différents acteurs que sont le politique, la guerre, le droit,
l'économie, la culture, la morale... et embrasser le tout d'un seul
regard et du plus simple regard".172 Ceci serait tout
particulièrement utile pour mieux appréhender la nature
intraétatique de la plupart des conflits actuels et les causes profondes
de leur déclenchement.
Le règlement des conflits intraétatiques ou
infraétatiques n'a pas non plus été prévu par la
Charte en 1945. Pendant 40 ans, ces conflits ont été
transformés en confrontations Est-Ouest et en guerres
idéologiques dont la solution se heurtait au célèbre
Article 2(7) de la Charte qui stipule qu'"aucune disposition de la
présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans
les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence
nationale d'un Etat ni n'oblige les Membres à soumettre les affaires de
ce genre à une procédure de règlement aux termes de la
présente Charte."
167 Richard J. Poncio, "Beyond 1995: negotiating a new UN
through Article 109", Fletcher Forum of World Affairs, 20(1), hiver/printemps
1996, p. 152.
168 L'Article 1, paragraphe 3, exprime la
nécessité de "réaliser la coopération
internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre
économique, social, intellectuel ou humanitaire".
169GhassanSalamé, Appels d'empire:
ingérence et résistances à l'âge de la
mondialisation, 1996, p. 87.
170 Edgar Morin, op. cit. (note 25), p. 25.
171 Eric de la Maisonneuve, op. cit. (note 25), p. 19.
172 Eric de la Maisonneuve reprenant Jean Guitton (La
pensée et la guerre, 1969), op. cit. (note 25), p. 215.
64
La prédominance actuelle de la guerre
intraétatique ou civile s'accompagne de formes de violences diffuses --
prolifération des milices et par conséquent privatisation de la
violence, criminalisation du politique, massacre de populations civiles,
terrorisme, voire génocide173 --, qui bouleverse les grilles
d'analyse et les relations interétatiques.
Ces conflits "décomposés",
"dégénérés", voire "anarchiques" n'ont plus de
règles et prennent plutôt la forme de violences
éclatées. Ces violences, même si elles se déroulent
au sein d'un pays donné, ne concernent plus seulement ce pays, mais
interpellent (par l'intermédiaire des médias) le monde entier.
Ainsi les gouvernements ne peuvent plus comme auparavant
mettre en avant l'Article 2 pour écarter la "communauté
internationale" du règlement des actions perpétrées
à l'intérieur de leurs frontières. Mais le problème
est que la "communauté internationale" n'est pas encore prête
à mettre cet article entre parenthèses, à intervenir et
à contenir de façon efficace les violences
infraétatiques.
Cette réticence est due au fait que la conception que
les Etats se font de la souveraineté et de son contenu est restée
inchangée depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, alors que la
notion a, elle, peu à peu évolué. Le glissement de ce
concept est survenu parce que la souveraineté des Etats est aujourd'hui
battue en brèche par une multitude d'acteurs (supranationaux,
transnationaux, subnationaux) et de forces (économique, commerciale,
technologique, culturelle).
Les Etats sont de plus en plus concurrencés par la
place croissante prise par les individus. Aussi, comme le note Samuel A.
Makinda, l'idée de souveraineté ne fait plus aujourd'hui
seulement référence à la souveraineté de l'Etat,
mais aussi à la souveraineté populaire174, tout comme
la sécurité internationale va de plus en plus de pair avec une
"sécurité humaine".
En effet, depuis plusieurs années maintenant, le
Conseil de sécurité a pris en compte l'élargissement de la
notion de sécurité internationale en reconnaissant que les
"menaces de nature non militaire" contre "la paix et la sécurité
trouvent leur source dans l'instabilité qui existe dans les domaines
économique, social, humanitaire et écologique".175
Cette prise en compte n'est toutefois pas encore
systématique et se fait plutôt au coup par coup, encore beaucoup
trop conditionnée par les intérêts
173 Pierre Hassner, "Par delà la guerre et la paix:
violence et intervention après la guerre froide", Etudes, 1996.
174 Samuel A. Makinda, "Sovereignty and International
Security: Challenges for the United Nations", Global Governance, 2(2),
mai-août 1996, pp. 149-168.
175 Déclaration du président du Conseil de
sécurité des Nations Unies, le 31 janvier 1992.
65
contradictoires des membres permanents du Conseil de
sécurité ou de groupes régionaux.
Or "une souplesse excessive, une indifférence à
la catégorisation et une approche pragmatique au cas par cas peut mener
à une "incertitude opérationnelle" et à un refus
d'obéissance"176, et par conséquent à
s'écarter des principes sur lesquels est fondée l'ONU.
Ceci porte également à s'interroger sur les
objectifs initiaux de la Charte: visent-ils la protection des Etats ou celle de
leurs citoyens?177 Enfin et surtout, un manque de rigueur quant
à la prise en compte des changements survenus peut faire croire que
l'ONU décide selon le principe des "deux poids, deux mesures".
Ainsi, "à force de se montrer trop sélectif dans
le choix de ses missions, le Conseil de sécurité pourrait devenir
- ne l'est-il pas déjà ? - un organe interstitiel qui
s'insère dans les brèches du monde considérées
comme mineures par les grandes puissances".178
Mais là encore, les décisions du Conseil de
sécurité ne sont que le reflet de la volonté ou du manque
de volonté, des intérêts ou du manque
d'intérêt de ses Etats membres, au lieu d'être le reflet
d'un organe de concertation établi pour la mise en oeuvre de politiques
de coopération au bénéfice de tous.
L'exercice effectif de la souveraineté populaire au
niveau international - multilatéral ou même régional -
requiert en outre la constitution d'une "société civile
internationale" plus organisée et structurée que celle qui existe
aujourd'hui. Un embryon de société civile internationale a pu
émerger au plan international lors des grandes conférences
organisées par les Nations Unies (notamment au Sommet de la ville
à Istanbul179), auxquelles ont participé des
organisations non gouvernementales, des associations ou d'autres organisations
infraétatiques, le secteur privé, les représentants des
collectivités locales, et les communautés scientifiques et
d'experts. Mais ce germe de société civile internationale est
loin de pouvoir peser de façon efficace et constante sur les
décisions et les actions des Etats. Toutefois, petit à petit, la
participation des acteurs de la société civile aux débats
et travaux de
176 Stanley Hoffmann, "Thoughts on the UN at Fifty", European
Journal of International Law, 6(3), 1995, p. 321.
177 Georges Kiejman, évoquant le "drame
algérien", considère que "la justification même de
l'Organisation des Nations Unies" n'est pas de protéger les nations,
mais "les hommes, les femmes, les enfants qui les constituent". "Le drame
algérien et la Charte des Nations Unies", Le Monde, 13 janvier 1998.
178GhassanSalamé, op. cit. (note 28), p.
150.
179 Lors de ce sommet, une série de forums consultatifs
ont été créés par les autorités locales et
municipales, les ONG, les représentants du secteur privé, «
dont les conclusions [faisaient] l'objet de rapports et de recommandations
susceptibles d'influer directement sur la négociation.» Voir
article de Jérôme Bindé, "Sommet de la ville: les
leçons d'Istanbul", Futuribles, n° 211, juillet-août 1996, p.
84 (traduction anglaise: "The City Summit: The Lessons of Istanbul", Futures,
29(3), 1997, pp. 213-227).
66
l'ONU peut aider à contenir le pouvoir de certains
grands Etats et à réduire les tensions existant entre
l'universalité et la souveraineté nationale.180
La question d'un "rapport plus direct [de l'Assemblée
générale notamment] avec les peuples du monde et avec les
diverses organisations politiques, syndicales et culturelles civiles au sein
desquelles sont organisées les sociétés
modernes"181 et de l'intégration des acteurs
infraétatiques et transnationaux aux débats, décisions et
actions de l'Organisation reste posée, même si certains de ses
organes l'ont déjà pris en compte.
Cette intégration, bien qu'essentielle, reste
imparfaite, inégale, non-systématique et soumise au bon vouloir
des Etats. De plus, ce qui est vrai pour les acteurs non étatiques l'est
aussi pour les acteurs étatiques. Il faut ici souligner la participation
inégale des Etats aux décisions de l'ONU, surtout dans ses
principaux organes (Assemblée générale, Conseil de
sécurité). Par exemple, les dispositions des Articles 31 et 32
quant à la participation d'Etats non membres du Conseil de
sécurité à ses débats sont-elles toujours
respectées?
Et même si cette participation est effective, les
idées émises par ces Etats peuvent-elles influer sur des
"pré-décisions" qui sont, le plus souvent, prises à huis
clos par les membres permanents? Dans ce cas, comme dans beaucoup d'autres,
l'application stricte des articles de la Charte signifierait déjà
une avancée réelle et permettrait de relativiser l'approche
instrumentale de l'Organisation privilégiée par les grandes
puissances, qui ne permet pas aux moyennes puissances et aux petits Etats de
faire suffisamment entendre leur voix, et qui contrevient aux dispositions de
la Charte.182
Ces changements internationaux engendrent des tensions souvent
difficiles à gérer tout en suscitant des défis essentiels
à relever à l'aube du XXIème siècle. Ils font en
outre ressortir à la fois la diversité des forces et des acteurs
à l'oeuvre à l'échelon international et les paradoxes
structuraux qu'ils induisent.
Tensions entre le transnational et l'interétatique,
entre la souveraineté et l'ingérence, entre des
intérêts divergents, entre la lenteur des Etats et la
rapidité des autres acteurs, entre la faisabilité et les
aspirations ou les espérances, entre la force et le pouvoir d'un
côté et la justice et l'égalité de
180Razali Ismail, président de la 51ème
session de l'Assemblée générale, GA/9091, 17 septembre
1996.
181 Rapport de la Commission des affaires
étrangères du Parlement européen, A3-0331/93, 8 novembre
1993, p. 14. Le rapport ajoute: « s'il s'avère complexe (et
à la limite pratiquement impossible) de donner une base élective
directe à l'Assemblée générale, il ne faudrait pas
exclure pour autant l'hypothèse d'une ou plusieurs enceintes où
les minorités nationales, régionales et ethniques des
différents Etats nationaux pourraient directement s'exprimer par la voix
de leurs représentants et qui pourraient influer favorablement sur la
vie des Nations Unies.»
182GhassanSalamé, op. cit. (note 28), p.
146.
67
l'autre, entre l'universalité et l'individualisme ou
les particularismes, entre l'intervention, la neutralité et
l'impartialité.183
C'est dans ce contexte de tensions et d'adaptation que se pose
la question du rôle et de l'utilité de l'ONU, et par là
même de sa réforme qui devrait prendre en compte l'ensemble des
paramètres précédemment évoqués.
L'Organisation mondiale devrait pouvoir faciliter cette adaptation en
exerçant un rôle de médiateur et de régulateur, et
en nouant un lien entre tous les acteurs du système international. Elle
devrait susciter une "médiation sociale" qui exprime le "Nous universel"
et "dissout (...) un JE à l'échelle mondiale".184 La
réforme de l'Organisation mondiale passe donc par une adaptation
structurelle qui instaure une plus grande efficacité et une meilleure
rationalité, et par une adaptation conceptuelle qui donne sens à
un projet collectif.
§3. Une réforme structurelle
Depuis que la question de la réforme des Nations Unies
est étudiée et envisagée, c'est-à-dire depuis
déjà les années 50185, trois courants de
pensée principaux ont prévalu: un courant réformiste qui
souhaite une "revitalisation", une "rationalisation" de l'Organisation à
l'intérieur du cadre fixé par la Charte; un courant plus hostile
qui va dans le sens d'une ONU réduite au strict minimum (courant
notamment représenté par la frange anti-ONU du Parti
républicain américain et, en particulier par le Président
de la Commission des affaires étrangères du Sénat, M.
Jesse Helmes186); un courant radical qui préconise le
remplacement de l'actuelle ONU par une "Organisation de la 3ème
génération" (thèse soutenue par Maurice
Bertrand187).
Ces courants ont plus ou moins d'impact sur le plan
international en fonction du contexte dans lequel ils évoluent, des
intérêts qu'ils remettent en cause et des changements qu'ils
impliquent, mais tous posent de façon aiguë le problème de
l'adaptation de l'Organisation aux nouveaux défis globaux et au nouveau
contexte international à l'aube du XXIème siècle.
Comment l'ONU peut-elle s'adapter pour ne pas apparaître
comme une organisation du passé, pour être en phase avec les
aspirations des populations de ce monde, avec les possibilités d'action?
La réponse à ces questions doit
183 Bruce Russett, "Ten Balances for Weighing UN
ReformProposals", Political Science Quarterly, 111(2), été 1996,
p. 259269.
184ZakiLaïdi, "La mondialisation tue-t-elle
l'universel?", Sources UNESCO, n°79, mai 1996.
185 Selon Yves Daudet, "la question de la réforme de
l'ONU est aussi ancienne que la Charte elle-même dont les
premières propositions de révision ont été
présentées dès 1946.", Etat du monde, 1995, p. 608.
186Voir son article: "Saving the U.N.: A Challenge
to the Next Secretary-General", Foreign Affairs, 75(5), septembre/octobre 1996,
pp. 2-7. Voir son article: "Saving the U.N.: A Challenge to the Next
Secretary-General", Foreign Affairs, 75(5), septembre/octobre 1996, pp. 2-7.
187 Voir Maurice Bertrand, La fin de l'ordre militaire, 1996,
Paris, Presses de la FNSP; et Daniel Warner (dir.), A New Charter for a
Worldwide Organisation, 1996, La Haye, MartinusNijhoff.
68
aussi s'accompagner d'une connaissance et d'une vision
réaliste de la nature du système des Nations Unies et de ses
acquis.
Aux esprits critiques qui la jugent inutile, rappelons que
l'ONU a fait un travail considérable. Qu'il suffise d'évoquer
l'extension du droit international, le travail de délégitimation
de la guerre entre les Etats, l'action en faveur de meilleures relations
interétatiques par le biais de la diplomatie multilatérale, ou la
prise en compte des problèmes des plus démunis, ou le bilan dans
la sphère des droits de l'homme -- conçus au sens large et
incluant par conséquent la promotion des droits de l'enfant, de la
femme, des minorités, des populations autochtones, ou des
réfugiés. De toute évidence, l'Organisation ne peut
être tenue pour responsable de l'indécision des Etats qui la
composent, de leur manque de volonté politique et de leurs erreurs.
Rappelons également que l'ONU n'est pas un acteur
indépendant ou autonome des relations internationales au même
titre que le sont les Etats: la supranationalité qu'elle revendique ou
qu'on lui attribue demeure en fait théorique.188 L'ONU n'est
pas un gouvernement mondial, mais un système de coopération entre
Etats.189
C'est une organisation intergouvernementale dont le pouvoir de
décision se trouve entre les mains de ses Etats membres, et notamment
entre celles de ses membres les plus puissants composant le Conseil de
sécurité. Ainsi l'Organisation n'a pas de ressources
financières propres, mais un budget constitué par les
contributions des Etats, et le chef de l'Organisation, le Secrétaire
général, est proposé par les membres du Conseil de
sécurité à l'Assemblée générale qui
l'élit en dernier ressort.
"L'ONU est la fille des Etats, et une fille mal aimée.
Dotée d'instruments pour agir, elle n'est pas jugée digne de les
utiliser. On lui confie le maintien de la paix, mais elle doit y veiller dans
le respect de la "compétence nationale" des Etats membres. On l'accuse
d'être passive, inefficace, voire contre-productive, mais on la prive des
moyens financiers pour remplir sa mission.
Plus grave: les grandes puissances la considèrent comme
universelle, mais lui interdisent de s'occuper des questions qui les concernent
de près et qui, plus que d'autres, font peser une menace sur la
sécurité internationale. C'est pourquoi les critiques contre
l'ONU sonnent aussi faux que celles qui sont parfois adressées à
la presse: elles relèvent moins d'un jugement objectif
188 The United Nations remains, first and last, simply an
organisation of member states, with little or no independent power, and with
its ultimate effectiveness dependent on the unity of the major powers", George
Soros (président), "American National Interest and the United Nations",
Statement and Report of an Independent Task Force on the United Nations,
août 1996, p. 3.
189 "The Charter was not, is not and will not be a blue-print
for an embryonic World Government. It is a set of purposes and guidelines
governing the functioning of a voluntary association of member states." Anthony
Parsons, The Security Council: An Uncertain Future, Occasional Paper #8,
novembre 1994, Londres, p. 13.
69
que de l'inculpation d'un organe qui ne veut pas -- ou
n'arrive pas à -accomplir la première des tâches que les
puissants lui assignent: dissimuler les hésitations, les contradictions
ou simplement la lâcheté des gouvernements."190
Il faut bien distinguer la nature de l'Organisation de ses
fonctions. Ainsi, celles-ci peuvent l'amener, dans certains cas, à
apparaître comme étant davantage que la simple somme de ses
composantes nationales, et jouer un rôle "semi-autonome".
Cela dépend en fait des domaines dans lesquels elle
évolue et des intérêts qu'elle dérange. Ici, on
retrouve la distinction faite en relations internationales entre "highpolitics"
et "lowpolitics", les Etats étant plutôt réticents à
l'idée que l'Organisation se mêle des affaires essentielles.
Ainsi, l'ONU est-elle tour à tour un organe mondial de gestion ("global
manager") et un organe mondial de consultation ("global
counsel").191
A ces fonctions s'ajoutent celles que peuvent lui donner, pour
une période donnée, les Etats: un instrument de politique
étrangère, une instance de négociations, un bouc
émissaire, un organe de légitimation. Mais il reste que
l'Organisation n'a qu'une indépendance relative, indépendance
limitée par la souveraineté et les intérêts
nationaux des Etats. Les décisions, actions ou inerties de
l'Organisation sont en fait le résultat de rapports de force et de
conflits d'intérêts se cristallisant au niveau du système
international, mais reproduits par les Etats membres au sein de l'Organisation.
Ceci explique ainsi, pour partie, la lenteur d'un processus de réforme
qui doit tenir compte de l'avis, des intérêts et des propositions
de tous les Etats membres et groupes régionaux.
Le courant réformiste prévaut actuellement: du
fait de leur radicalité, les deux autres courants impliqueraient des
transformations trop importantes. Il existerait, en théorie, un
quatrième courant soutenu par un certain nombre d'organisations non
gouvernementales: celui de la supranationalité effective des Nations
Unies. Mais les Etats ne sont pas prêts à tolérer
l'existence d'un véritable acteur supranational qui limiterait de
façon plus ouverte et plus efficace leur volonté de puissance et
leur liberté de décision.
De toute façon, la dynamique du changement n'implique
pas forcément un processus révolutionnaire, et peut favoriser un
processus évolutif d'adaptation.19Q En conséquence,
aux questions d'adaptation de l'Organisation à son environnement, les
Etats membres ont clairement répondu par la
190GhassanSalamé, op. cit. (note Q8), p.
137-138.
191 UNU Public Forum Report, The United Nations System in the
Q1st Century, mai 1996, New York, p. 1.
19Q Keith Krause / Andy Knight, "Evolution and Change in the
UN System" (p. 1Q), qui pensentquel'évolution de la
sociétéinternationalepeutêtrepenséecomme un
processusdialectique, in State, Society, and the UN System: Changing
perspectives on multilateralism, 1995, UNU Press.
70
volonté de rationaliser l'Organisation et de la
rénover, mais sans en bouleverser les fondations.193
Ainsi, sans être parvenus à un véritable
consensus sur l'avenir des Nations Unies et sur la manière de concevoir
le rôle d'une organisation internationale, les Etats ont
énoncé, depuis deux ans, un certain nombre de priorités
qui devraient inspirer le processus de réforme, celui-ci consistant pour
l'essentiel en un "toilettage" du système, centré sur
l'identification de ses avantages comparatifs, sur une meilleure coordination
inter-institutions et sur la volonté de faire mieux avec moins.
En effet, selon les pays membres du G7, l'ONU doit, pour
être plus efficace, "identifier son rôle et ses avantages
comparatifs. Elle doit renforcer l'efficacité de son Secrétariat
et de son dispositif opérationnel, les rendre plus cohérents et
assurer une véritable coordination à tous les
niveaux."194
Les pays membres du G7 faisaient ici plus
particulièrement référence aux activités de
l'Organisation en matière de développement, ce qui est
très significatif de l'orientation que veulent donner les Etats à
l'ONU: se concentrer sur ce qu'elle sait faire le mieux, et, par
conséquent, relativiser graduellement les volets du "maintien de la
paix" et de l'"intervention militaire" qui touchent directement aux
intérêts nationaux de sécurité (conçus au
sens strict du terme) et à la souveraineté des Etats.
Les pays membres du G7 ont ainsi souligné les "domaines
d'intervention prioritaires pour les Nations Unies": "l'éradication de
la pauvreté, l'emploi, le logement, la fourniture de services de base,
tout particulièrement ceux qui sont liés à
l'éducation et à la santé, la protection du statut de la
femme et de l'enfant et l'aide humanitaire dans son ensemble."195
En ces temps de restrictions budgétaires et de crise
financière, les Etats veulent que l'ONU fasse mieux avec moins. Cela
signifie notamment réduire le personnel ("down-sizing"), remédier
aux doubles emplois et aux chevauchements de compétence, éliminer
ou "fusionner" certains fonds et programmes qui font double emploi entre eux ou
avec les agences spécialisées.
Les agences spécialisées du système
semblent voir ainsi leur rôle et leurs compétences reconnus,
pourvu qu'elles se concentrent "sur les domaines dans lesquels elles
possèdent un avantage comparatif."196
193 Toutes les propositions allant dans ce sens doivent partir
des structures existantes." Paragraphe 42 du Communiqué
économique du G7 au Sommet de Lyon, juin 1996.
194Ibid., paragraphe 42.
195Ibid., paragraphe 41.
196Ibid., paragraphe 45.
71
Il est en effet indispensable que les différentes
agences spécialisées du système retrouvent leur pleine
autorité face aux fonds et programmes qui empiètent le plus
souvent sur leurs compétences et qui conduisent de façon
artificielle à l'hypertrophie de l'ensemble du système.
Mais, pour être réellement efficace, cette
réforme devrait aussi être appliquée aux institutions de
BrettonWoods, lesquelles devraient se concentrer sur les aspects financiers de
l'aide au développement197et cesser d'empiéter sur les
domaines de substance des institutions spécialisées du
système. Ce point n'a pas encore été nettement
souligné dans les plans de réforme qui ont été
préconisés par le G7/G8.
Dans cette perspective de rationalisation des actions du
système, les Etats membres recommandent une meilleure coordination du
système des Nations Unies (par l'intermédiaire notamment du
Comité administratif de coordination)198 et "un renforcement
de la coopération entre les agences des Nations Unies, les institutions
financières internationales et l'Organisation mondiale du
commerce."199
Une telle coordination est certes indispensable pour que le
système forme un "tout" et que l'action des différentes
institutions qui le composent soit encadrée, mais ces propositions ne
tiennent pas compte du fait que les chefs des grandes institutions
spécialisées ne sont pas des adjoints du Secrétaire
général de l'ONU, mais sont élus par leurs Etats membres
et responsables devant leurs propres organes directeurs, et que ces
organisations disposent de leur propre constitution. "Cette indépendance
est d'ailleurs expressément établie par leur Charte constitutive
qui n'est autre qu'un Traité international, tout comme l'est la Charte
des Nations Unies, issu de la volonté souveraine des Etats, régi
par le droit international et dont la modification n'incombe pas à
l'Organisation centrale, mais obéit au mécanisme de
révision des Traités selon les règles du droit des
Traités."200
197 Début mars 1997, James Wolfensohn a d'ailleurs
présenté un plan de réformes de la Banque mondiale
comprenant quatre objectifs principaux: la nécessité
d'alléger les services centraux pour se rapprocher du terrain; recentrer
la politique de développement vers le social, rendre efficace et payante
une base de données économique et sociales unique au monde;
développer une stratégie de ressources humaines et de la
formation. Les Echos, 13 mars 1997.
198 Pour les Américains, le CAC doit devenir
l'équivalent d'un "cabinet" du système onusien (document d'avril
1996). Malheureusement, le CAC est, à l'heure actuelle, un
mécanisme insuffisant pour remédier à la sectorisation de
l'ensemble du système et surtout, n'a aucun pouvoir contraignant. Ainsi,
comme le souligne S.Cortembert, "les organes établis pour coordonner le
système des Nations Unies [le Comité consultatif sur les
questions administratives et budgétaires (CCQAB), le Comité de
coordination des questions administratives (CCAQ), le Comité du
programme et de la coordination (CPC)] n'ont abouti qu'à une
complication du mécanisme régulateur." "L'ONU et le
système des Nations Unies", in Colloque de la Faculté de
Besançon, L'ONU, 50 ans après: bilan et perspectives, 29-30 mars
1995, p. 44.
199 Paragraphe 45 du Communiqué économique.
200 S. Cortembert ajoute que "les Chartes constitutives fixent
les objectifs que les institutions spécialisées doivent atteindre
et leur attribuent leur propre structure. Les décisions prises par les
organes de ces organisations ne peuvent absolument pas être
modifiées par l'ONU puisque celle-ci ne peut interférer dans leur
processus décisionnel. Quant à leurs budgets, ils ne
relèvent aucunement de celui de l'ONU.", op. cit. (note 58), p. 41.
C'est pourquoi le Secrétaire général a mis les Etats
membres devant leurs responsabilités en suggérant la mise en
place d'une "Commission spéciale au niveau ministériel
chargée d'examiner les changements éventuels à apprter
à la Charte des Nations Unies et aux traités dont découle
le mandat des institutions spécialisées" (paragraphe 89 du "Track
II").
72
Les chefs des agences spécialisées n'ont donc de
comptes à rendre qu'aux organes directeurs de leurs institutions. De
plus, certains fonds, programmes ou organes subsidiaires des Nations Unies
possèdent également une incontestable autonomie, tel le
PNUD201, l'UNICEF ou le FNUAP, et les politiques
préconisées par les institutions de BrettonWoods et celles du
système onusien sont souvent sensiblement
différentes.202
Un mécanisme de coordination efficace devrait donc
permettre d'harmoniser les activités des agences
spécialisées, des fonds et des programmes, de l'ONU et des
institutions de BrettonWoods, et resserrer les liens entre ces
différentes organisations.
Ainsi, une telle coordination devrait impliquer un changement
complet des structures du système et des innovations radicales en ce qui
concerne les relations entre ces structures et les politiques qu'elles
élaborent. Elle pourrait aussi avoir pour conséquence
l'élimination de tous les fonds, programmes et secteurs concurrents
développés par l'ONU qui font largement double-emploi avec les
activités des institutions spécialisées.
Par exemple, le Programme alimentaire mondial et le Fonds
intergouvernemental du développement agricole concurrencent la F.A.O.;
la Commission du développement durable concurrence le Programme des
Nations Unies pour l'environnement; l'UNICEF, la Banque mondiale et le PNUD
concurrencent l'UNESCO dans le domaine de l'éducation.
Enfin et surtout, cette coordination ne peut aboutir que si se
met en place une réelle coordination des politiques au niveau des Etats,
car une "micro-coordination" ne peut avoir d'effet réel sans une
coordination à grande échelle et un accord sur les objectifs
à poursuivre. Cette coordination doit se faire en amont, avant la prise
de décision, et à trois niveaux: entre les Etats eux-mêmes,
entre les Etats vis-à-vis des institutions du système, et au sein
même des Etats entre les différents organes gouvernementaux.
Enfin, une importance toute particulière est
accordée à la réforme du mode de financement des
activités de l'ONU, à une modification de la répartition
des contributions payées par chaque Etat, et à la diminution du
budget. Ainsi, des coupes sombres ont-elles été
réalisées dans les budgets de la plupart des agences, fonds et
programmes du système onusien (en particulier à la CNUCED et
à l'ONUDI). M. Boutros Boutros-Ghali avait annoncé un budget pour
1998-1999 en baisse de 7,5% (soit une réduction de 178,9 millions de
dollars) par rapport à celui de 1996-1997. Kofi Annan, quant à
lui, a annoncé une réduction supplémentaire du budget
1998-1999 de 23 millions de
201 Le PNUD sort plutôt renforcé des propositions
contenues dans le plan de réforme du Secrétaire
général.
202 Par exemple, les politiques d'ajustement structurel
imposées par le F.M.I. et de la Banque mondiale tiennent peu compte des
politiques sociales recommandées par l'OIT, l'UNICEF, la F.A.O. ou
l'UNESCO.
73
dollars dont une réduction des coûts
administratifs de 18% et l'élimination de 1000 postes.203
Cependant une véritable réforme
financière se heurte à la contradiction qui existe entre la
volonté de payer moins et la volonté de garder un contrôle
sur l'Organisation. Certains pays se plaignent de payer une contribution trop
élevée. Mais sont-ils prêts pour autant à voir
diminuer leur pouvoir de contrôle et de pression politique?
C'est bien dans cette situation que se trouvent actuellement
les Etats-Unis. La part disproportionnée de leur contribution au budget
de l'ONU (25% pour le budget ordinaire, 31% pour le budget des
opérations de maintien de la paix) leur donne un pouvoir de
contrôle extraordinaire sur l'Organisation toute entière.
Les Etats-Unis accepteraient-ils vraiment d'abandonner une
partie de ce pouvoir, par la redistribution des quotes-parts, au profit d'Etats
plus favorables au renforcement du rôle des Nations Unies? On peut en
douter. Peut-être est-ce d'ailleurs pour la même raison que les
propositions visant à doter l'Organisation de sources de financement
indépendant204 ont été écartées
de facto de l'agenda de discussions des réformes du système des
Nations Unies.
Aussi, le non-paiement des contributions est-il bel et bien un
problème de nature politique (et non financière). Au regard du
budget d'une grande puissance, le budget des Nations Unies ($1,3 milliards pour
le budget ordinaire et $3 milliards pour le budget des opérations de
maintien de la paix) est en effet dérisoire. Le budget des
opérations de maintien de la paix représente 1,1% du budget
militaire américain, ce qui équivaut à deux
journées de l'opération "Tempête du désert". Le
budget ordinaire de l'ONU représente environ 4% du budget annuel d'une
ville comme New York.205 La contribution des Etats-Unis au budget
ordinaire coûte 1,2 dollar par Américain et par an et celle du
budget des opérations de maintien de la paix coûtent environ 7
dollars par Américain.
Quant au coût négligeable du budget onusien,
l'exemple le plus parlant est le chiffre de 5 milliards de dollars
dépensés par le système des Nations Unies dans le domaine
économique et social qui équivaut à 88 cents
dépensés pour chaque habitant de la planète; alors que
dans le même temps, les Etats dépensent environ 767 milliards de
dollars par an en matériel militaire, ce qui
203International Herald Tribune, 3 mars 1997.
Communiqué de presse GA/AB/3137 (17 mars 1997).
204 "Taxe Tobin" (taxe sur les transactions internationales en
devises), Voir Rapport mondial sur le développement humain 1994, p.75.
D'autres propositions ont été faites dans le chapitre 5 du
rapport Ramphal/Carlsson (taxe sur les billets d'avion, sur le transport
maritime,...).
205 Informations données par le Bulletin du Centre
d'information des Nations Unies à Paris, n°19, mai 1996, p. 38.
74
équivaut à 134 dollars par
habitant206, c'est-à-dire nettement plus que ce dont, selon
Wally N'Dow, Secrétaire général du Sommet sur la ville
à Istanbul, il faudrait (c'est-à-dire moins de 100 dollars par
personne) pour "procurer un toit, une eau salubre et des équipements
sanitaires de base à chaque homme, à chaque femme et à
chaque enfant de cette planète".
Ces "réformettes" sont sans aucun doute très
utiles, car elles permettent de faire du système onusien,
décentralisé à l'extrême69, un
système plus "compact", plus rationnel, avec des lignes
d'autorité plus claires, et un système plus
équilibré entre ses composants. Mais, là, comme partout,
les Etats membres doivent encore faire la preuve de leur détermination
à mettre en oeuvre ces propositions qui nécessitent quand
même un changement de comportement et remettent en cause certains
intérêts.
Les groupes de travail ne sont pas encore arrivés
à un consensus sur des propositions concrètes, sur un calendrier
ou sur des mesures précises. Toutefois, aussi justifiées que
soient ces propositions, elles ne constituent pas pour autant un réel
projet d'avenir pour les Nations Unies et ne peuvent se suffire à
elles-mêmes.
Les réformes ponctuelles, organisationnelles ne
remplaceront jamais une réforme de fond de l'Organisation alliant vision
et projet ou stratégie à long terme afin de redonner une
crédibilité à ses actions et décisions. Or, selon
Jean Touscoz, "la crise de l'ONU est d'abord d'ordre conceptuel."
Béatrice Pouligny ajoute: "C'est peut-être pour
cela que les innombrables réformes dont on parle depuis la
création de l'Organisation n'ont jamais abouti", car elles ont toujours
été trop centrées sur la question "comment faire" et non
sur celle "que faire?" ou "quelles missions pour
l'ONU?".
§4. Vers une reforme conceptuelle
Il semble de plus en plus que, pour être efficace et
crédible, l'ONU doive se concentrer sur ce qu'elle sait faire le mieux
et sur ce qu'elle peut faire, c'est-à-dire exploiter au maximum la marge
de manoeuvre, l'interstice, que lui laissent ses Etats membres. C'est en effet
"dans les interstices de l'interétatique, dominé, comme toujours,
par les inégalités et les rivalités, [que] des
éléments de conscience, de compétence et de
solidarité universelles, ou du moins universalistes, se font timidement
jour."
C'est dans cette perspective que l'ONU doit aujourd'hui
retrouver une action, un mode de fonctionnement et un leadership qui soient
cohérents et
206 Chiffres donnés par le Département de
l'Information des Nations Unies, mars 1996, DPI/1753/Rev.3.
75
coordonnés entre eux et qui aient pour
dénominateur commun l'anticipation et la prévention.
La raison est essentiellement que l'ONU ne peut plus
aujourd'hui espérer se substituer à l'action des Etats. Elle ne
peut plus se contenter d'être un simple palliatif. En l'absence de
véritable concept opérationnel pour mener des actions
armées, l'ONU ne peut être crédible sur un
théâtre d'opérations. Sans moyens, sans commandement unique
et unifié, sans mandat clair et précis, l'ONU ne peut
prétendre faire la guerre à la place des Etats.
Le maintien de la paix doit ainsi retourner à ce qu'il
était à son origine et ne plus se transformer en intervention. De
plus, l'action purement militaire est de moins en moins pertinente pour
régler les problèmes d'un monde où « la
stabilité et la sécurité internationales dépassent
(...) la sphère du militaire» , et dépendent plutôt
« d'un ensemble de mesures d'ordre économique, financier,
politique, éducatif, scientifique et technologique, qui devraient
être élaborées de manière concertée et
appliquées en temps opportun.»
Dans l'optique de l'application pleine et entière des
principes de la Charte, les Nations Unies doivent pouvoir constituer un cadre
permettant de mieux gérer les avantages économiques de la
mondialisation, de pallier ses inconvénients, de "partager les
bénéfices de la croissance économique", de coordonner les
forces d'une "société civile" naissante au niveau international,
d'être le garant de la préservation d'un patrimoine mondial et du
maintien des diversités culturelles, et de promouvoir un
développement humain durable.
C'est dans ce sens que nous proposons ici trois directions de
réforme pour que l'Organisation des Nations Unies ne subisse plus, mais
accompagne les évolutions internationales; pour qu'au lieu de
réagir, elle agisse.
§5. Une action renforcée
L'action de l'ONU doit être formée du triptyque
développement durable / prévention / culture de paix, lequel doit
être inséré dans une conception élargie de la
sécurité internationale et dans une vision à long terme.
Comme l'a dit Boutros Boutros-Ghali, l'ONU doit développer "une action
préventive afin de mieux maîtriser le présent, et une
action prospective afin de mieux assumer l'avenir."
Le développement est l'élément le plus
indispensable pour assurer une paix durable; c'est " la tâche
la plus importante à laquelle l'humanité doit faire face
aujourd'hui ". Ce développement doit être avant tout centré
sur l'homme. Il doit aussi respecter son environnement, et être reconnu
comme un droit fondamental de la personne humaine.
76
Aussi doit-il aujourd'hui bénéficier d'une plus
large compréhension intellectuelle, d'un engagement moral plus profond,
et de mesures politiques plus efficaces. Les gouvernements des pays les plus
riches sont d'ailleurs en train de constater que le "tout économique"
n'est pas la solution et qu'un effort doit être fait en direction des
pays les plus pauvres, ainsi d'ailleurs que des régions et des
catégories sociales les plus pauvres à l'intérieur
même des pays industrialisés).
C'est ce qui est ressorti du Sommet du G7 à Lyon qui a
exprimé la volonté d'établir un "partenariat mondial pour
le développement" entre les pays en développement, les pays
développés et les institutions multilatérales qui ayant
pour objectif principal le développement durable et la réduction
de la pauvreté, et devant être fondé sur un esprit de
solidarité, car "la paix chez soi (...) implique la paix au dehors et la
coopération entre les nations".
Au cours de ce sommet, les pays du G7 ont également
souhaité une réduction de la dette multilatérale des pays
les plus pauvres. Mais beaucoup reste à faire pour amener les pays
industrialisés à consacrer 0,7% de leur PNB à l'aide au
développement, alors même que cette part ne cesse de diminuer
depuis plusieurs années. Il faut pourtant rappeler avec force qu'une
économie développée offre davantage de
bénéfices en matière de partenariat, de commerce et de
stabilité économique (et donc politique) qu'une économie
en voie de développement. L'aide publique au développement ne
peut être complètement remplacée par l'aide ou les
investissements privés qui exigent de plus grandes garanties et sont par
conséquent trop sélectifs.
D'autre part, le développement ne se réduit pas
à une meilleure compétitivité économique et
technologique, mais signifie également et surtout un meilleur
bien-être des populations, c'est-à-dire de meilleures conditions
de vie, une meilleure éducation, de meilleures conditions sanitaires et
un plus grand respect de l'environnement.
C'est ainsi que le système des Nations Unies doit
mettre au point une stratégie cohérente de développement
pour une meilleure coordination entre ses institutions et entre celle-ci et les
Etats et les acteurs sur le terrain (ONG, associations, organisations
régionales) pour favoriser un meilleur aboutissement des projets.
En effet, " le développement durable a pour
préalable un partenariat solide entre les pouvoirs publics et la
société civile ". Ces projets doivent avant tout tenir compte des
aspirations des populations locales et les aider à se prendre en charge
et, ainsi, à favoriser l'émergence d'une société
civile.
Le problème de l'information est crucial pour l'ONU,
parce que l'information est à la base de toute action et que l'analyse
des données
77
En même temps, il faut pouvoir apporter à ces
populations tout ce qui, en matière d'avancée technologique, peut
leur être utile, être bénéfique à un
développement qui intègre les contraintes liées à
l'environnement (par exemple les problèmes de l'eau, de la
désertification, de la fertilisation des sols et de l'urbanisation).
Les pays du Nord doivent donc partager leur progrès
technologique, leur expérience et leur "expertise", ce qui, par
ailleurs, pourra, peut-être, limiter la fuite des cerveaux des
ressortissants du Sud.
En bref, il est primordial que les pays riches aident les pays
pauvres à développer leur propre potentiel économique,
technologique et humain. Ainsi, comme le dit Jean-Paul Marthoz, "le monde a
moins besoin d'ingérence humanitaire que de partage
planétaire".
Le deuxième pilier de l'action de l'ONU doit être
la prévention des crises et des conflits. Ainsi que le souligne
Gérard Fuchs, "la première forme de l'action doit être la
prévention". L'action en faveur du développement y participe
déjà en grande partie.
La diplomatie préventive (qui s'exerce notamment par
l'envoi préventif de "Casques bleus" comme cela s'est fait dans
l'ex-République yougoslave de Macédoine, des missions
d'établissement des faits, de bons offices ou de médiation) n'en
est qu'un aspect ou qu'un ensemble de méthodes.
Mais toutes deux s'inscrivent dans une conception
élargie de la sécurité internationale. Comme l'a dit
l'ancien Secrétaire général de l'ONU, "nous ne pourrons
véritablement prévenir les nouveaux conflits qui apparaissent de
toutes parts sur la scène internationale que si nous avons une
conception plus large et plus globale de la notion même de
sécurité."
En effet, la prévention ne se limite pas à la
maîtrise des armements, au règlement pacifique des
différends, au désarmement (notamment l'élimination de
l'emploi, voire de la fabrication, des mines antipersonnel), mais concerne
aussi la "sécurité économique", la "sécurité
sociale", la "sécurité culturelle".
La prévention est aussi et surtout liée à
la détention et à l'analyse d'une information indépendante
et interdisciplinaire, et à un changement radical dans la manière
de régler les événements, les crises, les
problèmes. Il faut d'une part privilégier le long terme
vis-à-vis de l'urgence et, d'autre part, retrouver " la capacité
de répondre aux alertes " et apprendre à " investir dans
l'intangible ".
78
conditionne le traitement de celles-ci. L'information doit
être non seulement indépendante, mais aussi précise que
possible, détaillée, non parcellaire ou fragmentée entre
différents services, et constamment actualisée.
L'ONU ne peut se contenter d'avoir à sa disposition les
données officielles de tel ou tel pays, au risque d'arriver parfois
à des conclusions hâtives ou erronées. Elle doit susciter
une analyse qui prenne en compte toutes les données d'un
problème, en détecte les racines profondes, et évite tout
stéréotype, jugement de valeur ou ethnocentrisme.
Ceci est fondamental si l'on veut garantir
l'objectivité de l'Organisation, développer sa fonction
d'expertise, et donner l'élan décisif à la création
d'un système d'alerte avancée ("early-warning system").
Le récolte d'informations diverses auprès de
multiples sources et par des missions sur le terrain permet
d'appréhender des situations souvent complexes, de comprendre les
sociétés et ainsi d'agir avant qu'un conflit n'éclate. Par
ailleurs, cette méthode de proximité renforcerait en même
temps le sentiment de sécurité des populations en question et la
crédibilité du travail des institutions onusiennes plus proches
des préoccupations et de l'histoire de ces populations. Dans ce travail
de récolte d'information, l'ONU doit, tout en tenant compte de l'avis
des Etats, ne pas être soumise à leur influence.
Cette action de prévention s'effectue sur le long
terme, par anticipation; elle n'est jamais achevée, doit être
constamment évaluée, et se doit d'être innovante. Elle doit
à la fois "concilier les valeurs universelles et le respect des
particularismes"207, et promouvoir l'idée de progrès
tout en combinant tradition et modernité.
Si la prévention est le deuxième volet de la
construction de la paix, la promotion d'une "culture de paix" en est le
troisième. Elle est en outre le moyen le plus efficace de s'attaquer
à la "culture de violence" ambiante, car elle touche aux comportements,
aux idées reçues, au manque de communication, à
l'intolérance. Contrer la "culture de violence", c'est rendre
illégitime les rapports de force, l'utilisation de la force pour
régler les différends et les comportements violents.
Au contraire, la "culture de paix", c'est la gestion
non-violente des crises et des conflits, c'est la mise en place de
procédures démocratiques et de respect des droits fondamentaux de
la personne, c'est la participation de toutes les strates de la
société à un dialogue constructif.
207 Michel Wieviorka, Le Monde, 8 octobre 1996.
79
En bref, c'est la construction d'un "cadre de justice, de
dignité, d'égalité et de
solidarité".208 La culture de paix est un
concept qui prend en compte la place des individus dans la construction
quotidienne de la paix. En ce sens, c'est, ainsi que Norbert Ropers l'a dit, un
"défi transnational" qui est fondé sur les principes de
solidarité, de liberté et de tolérance.
Pour toutes ces actions, l'ONU doit devenir un cadre
régulateur international qui a un rôle de moteur, qui focalise les
énergies autour d'aspirations économiques, sociales, culturelles
clairement établies et gérées à un rythme
raisonnable et modéré.
Ainsi, la mondialisation des échanges commerciaux,
financiers, technologiques, culturels ne sera plus un obstacle ou un facteur
d'exclusion, mais un atout partagé par tous. Cette coordination des
forces de la mondialisation doit aller de pair avec la protection de
l'héritage culturel de chacun et du patrimoine humain mondial, et avec
la préservation de la diversité pour une plus grande
tolérance et une meilleure intégration. Ces actions doivent
être le fruit d'un mode de fonctionnement adéquat et d'un
leadership plus autonome.
§6. Un mode de fonctionnement renouvelé
Le mode de fonctionnement du système onusien doit
être en phase avec sa culture qui est celle de la négociation et
du compromis. Un dialogue, des consultations et une communication doivent donc
s'effectuer à tous les niveaux, entre tous les services et les acteurs
(fonctionnaires, représentants, délégués,
observateurs). Les rivalités entre institutions, services ou personnes
devraient pouvoir céder le pas devant une coopération au service
de l'intérêt commun du système.
L'efficacité requiert également un
système d'évaluation dont les résultats sont
réellement pris en compte pour améliorer les programmes, les
projets ou les actions en cours. Par exemple, un projet ne devrait pas
résister à un manque d'efficacité ou de soutien. Le
recrutement doit pouvoir se faire avant tout sur la base des compétences
et ne devrait pas être soumis aux pressions de tel ou tel Etat membre.
Aussi le mode de fonctionnement du système doit-il
être conditionné par la triple priorité qui doit être
accordée à l'expertise, à la formation et à la
planification à long terme.
Chaque fonctionnaire de l'ONU devrait être un expert
reconnu dans le domaine qui lui a été assigné, dont les
conclusions scientifiques et
208 Federico Mayor, loc. cit. (note 74).
80
indépendantes puissent être respectées, et
lui permettraient d'exercer un réel leadership en matière
d'orientation ou de choix des politiques à mener, ainsi qu'une
réelle autorité en face des Etats membres.
Deuxièmement, l'ONU doit pouvoir constituer un centre
de réflexion et une école de formation à la non-violence,
au dialogue interculturel et intersociétal, au respect des
différences, sous forme de micro-projets entrepris en partenariat avec
des organisations non gouvernementales ou des associations, ou alors en
déléguant à ses institutions spécialisées la
réalisation de ces projets. On retrouve ici la place essentielle
qu'occupe l'éducation sous toutes ses formes, en tous lieux et à
tout âge.
Enfin, l'ONU ne doit pas céder à la tentation de
l'urgence.95 Son action se situe à coup sûr dans le
long terme pour "préserver les générations futures du
fléau de la guerre".96 Elle doit pouvoir anticiper les
besoins des hommes, les effets néfastes des dégradations de
l'environnement, les problèmes engendrés par l'inégale
répartition des richesses et ressources naturelles.
C'est pourquoi la création d'une cellule de prospective
(rattachée directement au cabinet du Secrétaire
général) comme il en existe déjà dans nombre
d'institutions internationales (l'Unité d'analyse et de prévision
de l'UNESCO, la cellule prospective de la Commission européenne, le
"Programme d'étude sur l'avenir à long terme" de l'OCDE),
paraissait indispensable pour alerter l'opinion des défis à venir
et des moyens de les résoudre en agissant en amont et non en aval des
problèmes.
Il faut donc ici saluer la décision du
Secrétaire général, M. Kofi Annan, de créer une
2 Unité de planification stratégique2
chargée "d'identifier les problèmes et tendances mondiaux qui se
font jour, dcents analyser leurs incidences sur les activités et
méthodes de travail de l'Organisation et de formuler des recommandations
de politique générale à l'intention du Secrétaire
général et du Groupe de gestion de haut niveau."97
C'est à partir de là que l'Organisation mondiale
pourra retrouver une approche novatrice, un rôle d'initiateur, voire de
précurseur, et s'imposer en tant qu'organe régulateur et
pacificateur. C'est ce rôle que doit pouvoir personnifier le
Secrétaire général des Nations Unies.
§7. Un leadership retrouve
Ces derniers temps, nombre d'Etats membres ont voulu cantonner
le Secrétaire général dans un rôle de simple
gestionnaire des affaires onusiennes. Or, de par les dispositions des articles
97, 98 et 99 de la Charte, le Secrétaire
81
général n'est pas seulement un chef
administratif, mais aussi et surtout un chef politique qui possède un
réel pouvoir d'initiative.
L'Article 98 lui donne un droit d'intervention devant les
organes délibérants de l'Organisation (Assemblée
générale, Conseil de sécurité, ECOSOC). L'Article
99 lui confère un droit d'initiative diplomatique de nature politique et
un pouvoir d'appréciation sur l'opportunité de porter ou non une
affaire devant le Conseil de sécurité, dispositions
délicates qui impliquent un jugement personnel et un choix politique,
mais qui permettent quand même de faire des suggestions.209 Ce
sont surtout les dispositions discrétionnaires de l'Article 99
reflétées par les expressions "à son avis" et "pourrait
mettre en danger" qui lui permettent de mener des actions préventives ou
anticipatrices.
C'est ici que doit ressortir pleinement le rôle et la
fonction du Secrétaire général: anticiper,
dénoncer, alerter. En effet, on attend du Secrétaire
général qu'il dénonce telle ou telle atteinte aux droits
de l'homme dans tel ou tel pays (quelles que soient les réprobations ou
les pressions des pays en cause), qu'il mette en garde contre les
conséquences de telle ou telle politique, qu'il dénonce les
signes avant-coureurs de tel ou tel conflit, qu'il souligne les insuffisances
de telle ou telle action.
En somme, comme l'a dit Javier Pérez de Cuellar, le
Secrétaire général est et doit être la "conscience"
de l'humanité toute entière: "c'est au nom des peuples que le
Secrétaire général doit plaider pour le
désarmement, la tolérance et la solidarité".210
En ce sens, c'est au Secrétaire général de promouvoir une
certaine éthique au niveau international et de se faire le
défenseur des plus démunis.
Ainsi, en se positionnant en tant qu'autorité morale,
le Secrétaire général a-t-il plus d'influence sur le
comportement des Etats, pour les encourager à respecter les engagements
qu'implique leur adhésion aux principes de la Charte des Nations Unies,
même si les résultats ne sont pas toujours visibles à court
terme.
Dans ce contexte, la fonction d'information -- on y revient
encore -- du Secrétaire général est primordiale.
L'information qu'il détient lui permet, en toute indépendance,
non seulement d'anticiper sur les événements à venir, mais
aussi de "médiatiser" un problème ou de proposer ou
suggérer telle ou telle solution.
209 L'Article 99 ne fut formellement invoqué que trois
fois: lors de la crise congolaise en juillet 1960 (Dag Hammarskjöld), au
cours de l'affaire des otages américains à Téhéran
en novembre 1979 (Kurt Waldheim) et concernant la situation au Liban en 1989
(Javier Pérez de Cuellar).
210 Javier Pérez de Cuellar, "Le rôle du
Secrétaire général des Nations Unies", Revue
générale de droit international public, 1985, n°2.
211 Boutros Boutros-Ghali, "Relever les nouveaux
défis", Rapport annuel sur l'activité de l'Organisation, 1995,
New York, Nations Unies, paragraphe 1006.
82
Une action renforcée visant à exploiter les
avantages comparatifs du système des Nations Unies, un mode de
fonctionnement renouvelé et axé sur une éthique de travail
visant à l'accomplissement d'un projet collectif et à
l'instauration d'un leadership retrouvé au service de la
communauté internationale, telles sont, en toute modestie, les
orientations de réforme proposées ici.
En effet, "l'occasion s'offre [aujourd'hui] à nous
d'allier le processus de réforme [structurelle] en cours avec une
perspective d'ensemble ouverte sur l'avenir. A l'heure où l'Organisation
des Nations Unies atteint le demi-siècle, l'héritage de ses
fondateurs doit être notre source d'inspiration constante. (...) Agissant
de concert, nous pouvons réussir à incarner les impératifs
de la Charte dans le monde d'aujourd'hui."211
SECTION s. DU MONDE BIPOLAIRE AU MONDE MULTIPOLAIRE
Dans la première conférence des
séminaires du monde diplomatique 2010, consacres à la
«géopolitique du monde multipolaire », Dominique Vidal
présente les évolutions structurelles et conjoncturelles qui se
produisent dans le monde contemporain, avec leurs répercussions sur
l'architecture internationale.
À la fin de la guerre froide, le bipolarisme
déterminé par le combat entre le bloc occidental et celui
soviétique pendant les quarante ans successifs à la
deuxième guerre mondiale semble être remplace par une structure
unipolaire, centrée sur l'hyperpuissance des Etats-Unis.
Mais, entre la fin des années 1990 et le début
du nouveau millenium le déclin de l'Amérique et l'ascension des
puissances émergentes surtout des BRIC font apparaitre un nouvel ordre
multipolaire. L'impact du multipartisme sur la violence armée en
général, sur la politique des Etats-Unis et la question
israélo-palestinienne en particulier était l'objet des
conférences suivantes, qui se termineront par une réflexion sur
la nécessite et la possibilité de reformer les institutions
internationales existantes afin de les adapter aux nouveaux rapports de force
de la planète.
Au cours des deux dernières décennies, nous
avons en effet assisté à d'extraordinaires mutations :
effondrement de l'Union soviétique et dislocation de son « empire
» ; renouveau et expansion de la puissance américaine ; extension
planétaire du capitalisme marchand et mondialisation ;
réémergence de la Chine, de l'Inde et d'autres États
post-coloniaux comme acteurs du système économique et politique
international ; prolifération d'acteurs non-étatiques mettant en
cause l'autorité des États-nations ; apparition de
83
nouveaux enjeux et défis globaux tels que le changement
climatique ; enfin crise systémique de l'économie mondiale
capitaliste que nous traversons aujourd'hui.
§1. Superpuissance émergente
Une superpuissance émergente est un État ou une
entité supranationale montrant le potentiel de devenir une
superpuissance dans un avenir plus ou moins lointain.
Les États-Unis sont actuellement
considérés comme la seule superpuissance - un terme
employé par Zbigniew Brzezinski pour décrire un État avec
une très forte influence sur le reste du monde, notamment dans les
domaines d'influence que sont l'économie, le militaire, la technologie
et le culturel1. Les États-Unis ont même
été qualifiés d'hyperpuissance, par l'ancien ministre des
Affaires étrangères (1997-2002) Hubert Védrine,
en1999212
Cependant, le déclin américain est sans cesse
annoncé depuis la crise du dollar en 1971, l'échec du Viêt
Nam(1975), la crise iranienne (1979) ou encore avec l'apparition de l'ouvrage
de Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances, en
1987 laissant entrevoir la disparition d'un monde unipolaire pour laisser place
à celui d'une multipolarité213 avec des puissances
régionales, qui ont vocation ou non à devenir des puissances
mondiales, comme de l'Union européenne ou encore du Japon, le retour de
la Russie, l'émergence des trois géants que sont le
Brésil, l'Inde et la Chine, cette dernière étant
considérée comme étant plus proche d'avoir le statut de
superpuissance que les autres214.
Plusieurs analystes prédisent l'émergence de
pays ou organisations qui peuvent devenir des superpuissances dans les
prochaines années. Tous ces pays ou organisations ont actuellement un
impact important à l'échelle d'un continent, voire dans certains
cas à l'échelle de la planète. On peut citer notamment
:
1. le Brésil215
2. la Chine216
3. l'Inde217
212Hubert Védrine, L'hyperpuissance
américaine, Fondation Jean Jaurès, 2000. Ainsi que Olivier
Fraysse, Les États-Unis , hyperpuissance, La Documentation
française, coll. Problèmes politiques et sociaux, 2000 ;
Gérard Dorel, Atlas de l'empire américain. États-Unis :
géostratégie de l'hyperpuissance, Autrement, 2006 ; Josef Josse,
Überpower : The Imperial Temptation of America, W. W. Norton, 2006.
213Voir par exemple, Bertrand Badie,
L'impuissance de la puissance. Essai sur les nouvelles relations
internationales, Fayard, 2004.
214Sebastian Santander (sous la dir.),
L'émergence de nouvelles puissances : vers un système
multipolaire ? Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde, Mexique, Russie,
France, Ellipses, 2009(ISBN 978-2-7298-5022-7). 215
http://cornellsun.com/section/news/content/2009/11/01/alumna-analyzes-brazil%E2%80%99s-
emergence [archive] [archive]
216Asian Superpower [archive] [archive],
Cable News Network, 2001. Consulté le 17 juin 2009
84
4. la Russie218
5. l'Union européenne
1.1. LE BRESIL
Le Brésil est considéré par un certain
nombre d'analystes comme une superpuissance émergente.
Dans une conférence intitulée le
Brésil comme une puissance mondiale émergente, Leslie Elliot
Armijo a déclaré que «Le Brésil va bientôt
monter en tant que première superpuissance d'Amérique latine".
Selon Armijo, « le Brésil continue de se solidifier en tant que
leader de sa région en lançant une série de projets
d'intégration », ajoutant également que « en tant
qu'acteur international, le Brésil a également pris une part plus
importante de la politique mondiale en incrémentant sa présence
déjà forte dans les initiatives économiques, comme le
Fonds Monétaire International et le G20 », affirmant que « le
Brésil prééminence croissante tire de son régime
démocratique solide et de son économie forte » et de
conclure que« Bientôt, nous aurons deux superpuissances dans
l'Hémisphère occidental. »
1.2. LA CHINE
La Chine dispose aujourd'hui de l'une des plus fortes
croissances économiques au monde. Elle a également la plus
importante population au monde (plus de 1,3 milliard d'habitants en2009), la
plus grande armée (en nombre d'hommes) et dispose également de
l'arme nucléaire depuis 1964. La Chine est membre permanent du Conseil
de sécurité des Nations unies : ce qui lui confère une
influence diplomatique très importante à l'échelle de la
planète. Il s'agit actuellement de la deuxième puissance
économique du monde, ayant dépassé le Japon au
deuxième trimestre de l'année 2010. Elle est une des trois
puissances à avoir envoyé par ses propres moyens des hommes dans
l'espace.
De plus en plus d'observateurs américains
considèrent la Chine comme étant déjà une
superpuissance ou à un niveau très proche d'une superpuissance
1.3. INDE
L'Inde a la seconde population du monde, dispose de l'arme
nucléaire et a une économie très active.
217AnandGiridharadas, « India welcomed as
new sort of superpower [archive] [archive] », The New York Times, 21
juillet 2005. Mis en ligne le 21 juillet 2005, consulté le 17 juin
200
218Simon Hooper, « Russia: A
superpowerrisesagain [archive] [archive] », Cable News Network, 13
décembre 2006. Mis en ligne le 13 décembre 2006,
consulté le 17 juin 2009
85
Forte de 1,36 milliard d'habitants et de ses bonnes
performances économiques, l'Inde accentue une position mondiale qui,
sans être dominante, s'est considérablement renforcée au
fil des années. Son développement économique est, certes,
inégal et n'a pas encore résorbé les fortes
disparités sociales et régionales.
Le pays a cependant atteint aujourd'hui un niveau «
acceptable » en termes de démocratie, de défense de
l'état de droit et de respect des droits humains, estime Olivier Dupont,
collaborateur scientifique à l'ULG et consultant international. Sans
être une terre d'opulence, elle finance des projets tiers-mondistes en
Afrique, se lance dans l'aventure spatiale et revendique, elle aussi, un
siège permanent au CSNU.
La possession de l'arme nucléaire et un rôle
international croissant donnent sans doute plus de poids à cette
ambition. L'Inde est également impliquée dans de nombreux projets
régionaux et sa présence de plus en plus affirmée dans les
instances multilatérales l'incite à briguer une place
supérieure dans la sphère politique mondiale.
1.4. LA RUSSIE
Malgré les années de misère, la Russie a
conservé ses attributs de grande puissance que sont l'arsenal
nucléaire et un siège permanent au Conseil de
sécurité, ce qui a contribué à la perception de soi
comme une grande puissance affaiblie, mais non défaite. Elle se voit
donc plutôt comme un pays ré-émergent dans un ordre mondial
reconfiguré, explique Nina Bachkatov, chargée de cours à
l'ULG et professeure invitée à l'ULB.
L'intérêt de Moscou pour les «BRIC»
s'explique par son attachement au développement d'un monde multipolaire
et la possibilité d'utiliser ce cadre pour imprimer une dynamique qui,
sans être ostensiblement tournée contre les Etats-Unis, offre un
contrepoids au système international dominé par l'Occident, tel
que ce dernier imaginait l'imposer après la guerre froide.
Il s'agit donc de conforter la spécificité
russe, sans se fondre dans un système créé par d'autres et
dans lequel la Russie entrerait, par la petite porte, avec le souci de se
conformer. Mais la crise économique de 2008-2009 contraint Moscou
à reconsidérer les moyens utilisés pour reconstruire sa
grande puissance, dans l'euphorie des prix élevés de
l'énergie.
Le statut futur de la Russie pourrait s'apparenter à
celui d'une «grande puissance régionale», capable d'exercer
son influence sur la scène internationale. Cette définition
correspond assez bien à la vision russe d'un monde multipolaire dont
elle serait une composante incontournable, avec
86
toutefois la modestie qu'il faut pour accepter un recul par
rapport au statut de superpuissance de la guerre froide.
1.5. L'UNION EUROPEENNE
Si l'Union européenne (UE) parvient à
additionner les qualités et les capacités de chaque État
membre, l'UE peut être considérée comme une superpuissance
au même titre que les États-Unis (à l'exception du domaine
militaire).
Néanmoins, elle est encore considérée
comme une superpuissance émergente, puisqu'elle n'est pas encore
totalement unifiée politiquement. Sur le plan international, la
présence de grandes puissances, comme le Royaume-Uni, la France ou
encore l'Allemagne, mais également celle des 24 autres pays de l'Union
fait de l'UE la première puissance économique au monde. D'autres
aspects jouent en faveur de l'Union européenne. La culture et le mode de
vie européen trouvent écho dans le reste du monde. En ce qui
concerne le programme PISA, huit des quinze premiers pays sont membres de l'UE,
alors que tous les États de l'Europe de l'Ouest sont dans les trente
premiers.
Ses deux principales faiblesses l'empêchant d'être
une véritable superpuissance restent sa désorganisation en
politique étrangère et sa défense, puisqu'il n'est pas
rare que chaque État agisse d'abord dans ses propres
intérêts et priorités.
Néanmoins, elle reste très influente puisque
deux postes permanents du Conseil de sécurité des Nations unies
sont occupés par la France et le Royaume-Uni, deux États
possédant l'arme nucléaire.
Il reste cependant un point noir pour l'avenir, l'Europe
devrait être le seul continent à voir sa population diminuer
18.
SECTION 4. L'ABOLITION DE L'ARME NUCLEAIRE
RENDRAIT-ELLE LE MONDE PLUS SUR ?
L'heure où se clôt la conférence d'examen
sur le traité de non-prolifération nucléaire, et alors que
le monde résonne encore du discours antinucléaire de Barack
Obama, quels sont les véritables enjeux de l'arme nucléaire dans
l'équilibre géopolitique de la planète ?
Le nucléaire militaire a été ces derniers
mois au centre des préoccupations de la communauté mondiale.
Après la signature début avril à Prague du traité
"New Start" organisant la poursuite de la réduction des arsenaux russe
et américain et le sommet de Washington sur la sécurité
87
nucléaire, s'est tenue à New York, courant mai,
la conférence d'examen du traité de non-prolifération
(TNP) programmée tous les cinq ans.
Les décisions ou orientations adoptées lors de
ces rendez-vous s'inscrivent dans une triple exigence, affirmée de
façon plus ou moins radicale par la quasi-totalité des
protagonistes : les pays "détenteurs" * doivent poursuivre la
réduction de leurs stocks d'engins nucléaires ; l'interdiction
des essais - aériens ou souterrains- doit être maintenue ; les
actions visant à la non-prolifération des armes nucléaires
doivent être intensifiées en tenant compte notamment des nouvelles
menaces liées au développement du terrorisme et à la
volonté attribuée à certains groupes ou organisations de
se procurer des matières prohibées pour commettre des
attentats.
Le désarmement nucléaire : un voeu
théorique, pas encore une stratégie opératoire...
Des discussions sur les mesures concrètes à
acter ou à mettre en oeuvre dans l'immédiat, un débat
fondamental a été spectaculairement relancé lors de ces
rencontres, véhiculant une vision que certains responsables politiques
s'emploient depuis plus d'un an à réactiver et à
présenter comme une issue incontournable : celle d'un monde sans arme
atomique. Le ré-initiateur le plus influent de cette idée de
"désarmement total" - ou "global zero" - est, comme on l'a noté
sans surprise, le président Barack Obama, confirmant dans son discours
de Prague, en avril dernier, l'engagement des Etats-Unis à poursuivre
l'objectif d'"un monde sans armes nucléaires".
Un an auparavant, dans cette même ville, le
président américain avait solennellement proclamé :
"nous ne devons pas cesser nos efforts avant que les armes
nucléaires aient été éliminées de la surface
de la planète. Telle est notre tâche". Aucun pays n'a
officiellement remis en cause cette vibrante profession de foi... d'autant
qu'elle reprend les considérations liminaires du TNP lequel,
après avoir prôné l'accès universel à l'atome
civil trace l'idéal d'un monde sans atome militaire grâce à
"l'élimination des armes nucléaires... des arsenaux nationaux
en vertu d'un [futur] traité sur le désarmement
général et complet sous un contrôle international strict et
efficace".
§1. Un horizon très lointain
Nonobstant le chaleureux accueil que lui ont
réservé les militants pacifistes, il faut bien convenir qu'en
l'état actuel du monde, l'aspiration de M. Obama participe davantage du
voeu pieux que de la stratégie opératoire. Le président le
reconnait d'ailleurs lui-même en avertissant que dans la période
à venir et jusqu'à un hypothétique désarmement, les
Etats-Unis maintiendront
Certes, cette analyse vaut pour une situation
géopolitique donnée, avec une cristallisation des pays en deux
grands blocs rivaux (en l'occurrence
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"un arsenal nucléaire sûr,
sécurisé et efficace", investissant chaque année
plusieurs milliards de dollars dans cette maintenance / modernisation.
Et dans les scénarios les plus optimistes de "Global
Zero" - l'ONG "abolitionniste" internationale créée fin 2008 et
qui soutient les positions de M. Obama - les premiers pas vers un
désarmement possible ne sont pas attendus avant les années 2030 !
Autant dire que ce "monde sans armes nucléaires" qui, de Washington
à Moscou, de New-Delhi à Islamabad, de Pyongyang à
Téhéran, se heurte aux irréductibles
réalités de la géopolitique internationale, n'est
aujourd'hui qu'une représentation théorique dont la
concrétisation future est pour le moins incertaine.
En se faisant, non sans habileté, le héraut de
cette vision irénique, le président Obama s'offre à peu de
frais un brevet de leader éclairé oeuvrant à la paix du
monde. Mais au-delà de ce gain d'image, il est permis de s'interroger :
peut-on assimiler l'abolition de l'arme nucléaire à un
renforcement de la sécurité et de la paix ?
De prime abord, pour tout un chacun, cela semble
évident : en éradiquant ces armes terrifiantes capables
d'anéantissements à grande échelle, le monde deviendrait
plus sûr ! Mais si l'on veut aller plus loin que les évidences,
alors la réponse à la question ne va pas de soi : elle tend
même à établir que dans le monde tel qu'il est aujourd'hui,
l'abolition de l'arme nucléaire serait plutôt un facteur
déstabilisant porteur d'insécurité. Ce propos se fonde sur
trois considérations essentielles
§2. Sans arme nucléaire, un monde
plus sur ? Ce n'est pas évident...
Tout d'abord, un constat historique : durant les 65
ans écoulés, l'arme nucléaire a été le
plus efficace instrument de la paix mondiale. Certaines situations
d'extrême tension entre les deux blocs auraient probablement
dégénéré en conflit s'il n'y avait eu la bombe
atomique signifiant aux dirigeants jusqu'où allé trop loin dans
l'escalade !
Si l'arme nucléaire nous a, de toute évidence,
évité une troisième guerre mondiale, c'est parce qu'elle a
totalement bouleversé les codes internationaux du recours à la
force : elle a fait passer la guerre du statut d'événement
"envisageable" (au cas où la diplomatie échouerait) à
celui d'événement "inacceptable". De ce fait, elle a forcé
les pays détenteurs antagonistes à une cohabitation plus ou moins
aménagée et les a encouragés à régler leurs
différends autrement que par les armes.
Dans ce domaine, la supériorité des Etats-Unis
est écrasante. Mais elle est en quelque sorte annihilée, en
termes de rapports de force entre les
89
OTAN et Pacte de Varsovie). Aujourd'hui, le paysage mondial
n'est plus le même. C'est maintenant la prolifération de l'arme
nucléaire et le terrorisme qui sont l'inquiétude principale.
Le souci premier n'est plus le risque d'une attaque de grande
ampleur d'un camp sur l'autre ; il est d'éviter que la possession de la
bombe ne se banalise au-delà du cercle restreint des neuf pays
détenteurs, ce qui induirait un danger exorbitant d'accidents et de
dérapages. Mais cette configuration nouvelle, qui peut d'ailleurs
évoluer, n'enlève pas à l'arme nucléaire son
caractère globalement dissuasif et équilibrant.
§3. Un facteur dissuasif non
négligeable
Ce facteur dissuasif a joué aussi - et continue de le
faire - au niveau des antagonismes régionaux. Si le conflit Inde /
Pakistan n'a pas franchi le seuil de la guerre ouverte, c'est parce que chacun
des deux pays, détenteur d'un arsenal nucléaire de puissance
à peu près comparable, a mesuré qu'il aurait beaucoup
à y perdre.
On peut également estimer que le pouvoir
équilibrant de l'atome maintient hors du champ guerrier la
rivalité entre l'Inde et la Chine. Le cas d'Israël,
détenteur non proclamé de la bombe, est très particulier
dans la mesure où il est le seul Etat au monde à ne pas voir sa
légitimité unanimement reconnue.
Bien au-delà de la défense de ses
intérêts primordiaux, la possession de l'arme nucléaire est
pour lui la condition même de sa survie dans une région hostile et
face à des pays ou des organisations militant pour sa disparition.
Compte tenu de cette hostilité récurrente et des
déséquilibres démographique et géographique entre
les rivaux, la possession d'un arsenal nucléaire par Israël est le
garant d'un statu quo régional protégeant son existence.
Dans les différents cas de figure
considérés, renvoyant tous à des situations critiques, il
n'est pas niable que l'arme nucléaire oeuvre à
l'éloignement des conflits. Dans le monde violent où nous sommes,
et même si le paysage géopolitique a changé, cette
capacité pacificatrice n'a pas fini de tenir son rôle : il serait
pour le moment imprudent de s'en priver.
Par ailleurs, dans le contexte actuel, l'abolition de l'arme
nucléaire aurait pour corollaire inévitable une relance de la
course aux armements conventionnels.
Outre les neuf pays qui possèdent l'arme
nucléaire, on en compte à l'heure actuelle près d'une
quarantaine qui aurait les moyens techniques et
90
puissances mondiales, par le pouvoir équilibrant de
l'atome. Abolir ce facteur équilibrant reviendrait à acter
l'extrême infériorité militaire des pays "rivaux" des
Etats-Unis : Russie et Chine.
Une situation que ceux-ci ne pourraient évidemment
admettre et qu'ils s'emploieraient à corriger en redéployant
leurs programmes d'armement conventionnel. L'Inde ne serait pas en reste, non
plus que le Pakistan, sans parler des pays arabes et d'Israël! Ceux-ci,
parallèlement à la recherche d'une paix problématique,
relanceraient d'autant plus leurs efforts d'équipement militaire qu'une
nouvelle confrontation, engagée sans le garde-fou de l'arme
nucléaire israélienne, serait considérée comme
pouvant aboutir à des issues radicales.
On assisterait ainsi, de proche en proche, à une
relance mondiale des armements conventionnels et également, de toute
évidence, à une intensification des programmes visant à la
mise au point de nouvelles armes chimiques et bactériologiques. Les
risques de conflit en seraient d'autant plus renforcés que dans ce monde
dénucléarisé mais militarisé à
l'extrême la guerre à grande échelle aura perdu son statut
d'événement "inacceptable" et se sera, en quelque sorte,
"ré-banalisée".
La troisième considération inclinant à
juger intempestive l'abolition de l'arme nucléaire renvoie à un
risque manifeste : celui que certains pays ne jouent pas le jeu et
entretiennent en secret un arsenal interdit.
Pour certains régimes la tentation serait forte de
disposer de ce formidable instrument de puissance alors que les autres pays en
seraient volontairement dépourvus. Comment, alors, débusquer les
tricheurs ? Quelle suite donner aux rumeurs et aux soupçons plus ou
moins volontairement propagés sur l'existence, ici ou là, de tel
ou tel arsenal clandestin ? Comment confondre les Etats "voyous" et quelles
sanctions leur appliquer ? Et aussi : comment parer à
d'éventuelles représailles alors que ceux qui
décrètent la sanction seraient par définition - en
l'occurrence - moins forts que ceux appelés à la subir ?...
L'éradication de l'arme nucléaire ouvrirait la
voie à une ère de suspicion inévitablement
déstabilisatrice sur le plan des relations internationales et porteuse
de graves conflits entre les pays respectueux de la
dénucléarisation et les régimes contrevenants ou
supposés tels.
§4. L'abolition envisageable si la situation
mondiale évolue
91
organisationnels de s'en doter. Ce qui apparait, d'un point de
vue très pragmatique, à peu près gérable avec neuf
pays "détenteurs" deviendrait angoissant avec cinquante.
Rien ne garantit que tous ces pays agiront toujours de
façon rationnelle sans jamais se laisser égarer par une peur
irraisonnée ou par de fausses interprétations. Rien ne certifie
que des gouvernements n'agiront pas avec la même irresponsabilité
qu'une organisation terroriste ou qu'une fausse manoeuvre, une erreur
technique, une maladresse ne déclencheront pas un accident
majeur...Toutes ces défaillances "nucléaires" sont possibles et
leur probabilité s'accroit en proportion du nombre des pays
détenteurs.
C'est pourquoi la priorité immédiate est de
veiller strictement à la non-prolifération. Et s'il est logique,
pour écarter les risques évoqués, d'en appeler à
l'abolition de l'arme nucléaire, il faut bien mesurer qu'un tel objectif
n'a sa pertinence qu'à plus long terme.
Dans la période présente, avec une
communauté mondiale incertaine dans sa gouvernance, nourrissant des
rivalités à grande échelle ainsi que de graves conflits
régionaux, le pouvoir dissuasif et stabilisateur de l'atome continue
d'avoir une influence favorable, oeuvrant à contenir ou à
réduire les ferments guerriers.
Et l'on peut estimer au total que le risque induit par l'arme
nucléaire telle qu'elle est aujourd'hui déployée -
auprès des neuf pays considérés - apparaît
inférieur au risque qu'entraînerait son abolition dans un monde
inchangé.
En fait l'aspiration légitime à une
complète abolition de l'arme nucléaire ne pourra se
concrétiser que si la situation mondiale évolue
profondément, vers davantage de dialogue et vers une gestion plus
apaisée des relations conflictuelles.
Si, avec le temps et les efforts de dirigeants lucides, les
rivalités entre grandes puissances sont assumées plus sereinement
; si les conflits régionaux s'engagent dans la voie de règlements
équitables acceptés par tous, alors le désarmement
nucléaire pourra cesser d'être un voeu pieux pour devenir un but
accessible.
Il ne faut donc pas inverser l'ordre des facteurs : ce n'est
pas l'abolition de l'arme nucléaire qui permettra de rendre le monde
plus sûr ; c'est l'avènement d'une communauté mondiale plus
paisible et libérée des fanatismes qui pourra créer les
conditions de cette abolition. Ce constat résonne comme une invitation,
pour tous les Etats de la planète, à progresser encore dans la
voie de la démocratie.
92
SECTION 5. ETATS UNIS : LA MUTATION DE L'UNIQUE PUISSANCE
MONDIALE
Il était normal et habituel de qualifier les Etats-Unis
au lendemain de la fin de la guerre froide, comme étant l'unique
puissance mondiale, puisque ces potentiels militaires, économiques,
culturelles....ont fait d'elles le gendarme mondial qui pilote les
destinées du système international.
§1. Au niveau économique
Les Etats-Unis représentent l'économie la plus
forte du monde, d'où elles participaient avec 20 pour cent du PNB et
dominaient les G7, ses firmes multinationales emploient près de 8
millions de travailleurs à l'étranger et pèsent aussi sur
l'économie mondiale.
Les Etats-Unis sont aussi la première puissante
agricole, industrielle et commerciale du monde, qui occupe 16% du marché
mondial des services, ils tiennent le premier rang pour les investissements
extérieurs dont près de la moitié de l'Europe, les fonds
de pensions et les fonds communs de lacements investis en bourse est
placés en grande partie hors des frontières représentant
environ 7 fois le PIB français.
Wall Street est redevenu la première place
boursière de la planète, au même temps, les Etats-Unis
tiennent un discours libre-échangiste, en concluant une série de
promesse de libre d'échanges avec plusieurs d'états, et
pratiquent une politique à tendance protectionniste.
§2. Au niveau technologique et culturel
Les Etats-Unis possèdent la prédominance dans le
domaine scientifique et technologique, leurs nombres de prix de Nobel en
sciences physiques, chimiques et médicales est impressionnant. Au
même temps, la technologie américaine est impressionnante et
dominante surtout en informatique et en télé communication, et
dont les américains possèdent environ de 50 pour cent du parc
mondial des ordinateurs, ils disposent aussi de toute une batterie de
satellites surveillantes, efficace aussi bien dans le domaine civil que dans le
domaine militaire.
Au niveau culturel, l'expansion culturelle américaine
concerne presque tous les Etats du monde, il s'appuie sur la domination en
matière des moyens et des réseaux de communications et sur
l'influence de l'anglo-américain. Celui-ci tend à devenir la
langue universelle, et déjà elle est la langue scientifique.
Les Etats-Unis attirent presque 4 000 000 étudiants
étrangers, et beaucoup de scientifiques viennent travailler dans les
Etats-Unis, accentuant ainsi la puissance culturelle américaine, qui
s'appuie aussi sur les masses de
93
produits multiples (les vêtements et les loisirs)
consacrant l'existence d'une industrie culturelle.
§3. Au niveau politique, stratégique et
militaire
En effet, la fin de la guerre froide avait
concrétisé la disparition du processus de la bipolarité,
laissant la voie ouverte devant la perception du processus de
l'unipolarité, qui fait référence au leadership. Cela veut
dire la capacité des Etats-Unis ou d'un pays donné, d'intervenir
sans limite et sans problème à l'échelon mondial.
Aussi, les Etats-Unis est bien l'unique puissance mondiale,
qui figure au premier rang aussi bien au niveau politico-militaire que dans le
cadre économique monétaire (le dollar demeure le seul instrument
de réserve et d'unité de compte pour l'essentiel de négoce
mondial).
Ce faisceau énorme entraîne la capacité
d'exercer une influence multiforme et profonde sur la scène mondiale. En
effet, la déclaration du président américain George Bush
en 1991 sur la fin de la guerre froide et l'instauration d'un nouvel ordre
mondial n'est que la manifestation effective de l'existence du leadership
américain, en lui reconnaissant le statut du grand gendarme mondial.
La disparition d'U.R.S.S avait laissé le champ libre
devant les Etats-Unis pour maintenir et gérer le nouvel ordre mondial,
désormais placé sous le signe de l'unique empire, ce qui signifie
la capacité de l'unique puissance mondiale, qui s'étend à
la plus grande partie de la planète pour s'obliger d'être
omniprésent.
Or, s'il est impropre de considérer comme
impérialiste toutes les tentatives émanées des dirigeants
du White House, dans l'ère de Bill Clinton (1992-2000), puisque celui-ci
avait fait de la promotion des droits de l'homme l'élément
fondamental de la politique étrangère américaine, mais
l'action politique sur les cinq continents émanent toujours du
Realpolitik (le réalisme)dans le cadre de la défense des valeurs
démocratiques du monde libre, ainsi, la première guerre du golfe
en 1991, et l'intervention en Somalie (pour des raisons à la fois
humanitaires et de maintien de l'ordre) relève de cette double
légitimation des interventions extérieurs.
Dans ce cadre-là, la première guerre du golfe
allait permettre de voir l'établissement de cet ordre mondial, dont les
Etats-Unis sont chargées des commandes, les américains ont
été encore une autre fois les héros de la
démocratie et de la règne du droit, ceci n'allait peut être
pas se réaliser de manière rapide et courte si le Koweït
n'avait pas été un gros exportateur du pétrole, et si le
golfe n'aurait pas été capable d'entraver la moitié des
réserves pétrolières mondiales, ce qui aboutit à
cette exacte logique : est que les Etats-
94
Unis intervient directement dans n'importe quel conflit,
lorsque ces intérêts vitaux sont mis en cause.
En contrepartie, les Etats-Unis dans son statut d'unique
puissance mondiale a essayé de donner cette image de son engagement sur
le terrain de la défense des droits de l'homme, ce qui était
derrière son intervention en Bosnie 1993, Kosovo 1997, même
à lancer dans l'ère de Bush le processus de la guerre
préventive, qui consista à mener des guerres en dehors du
territoire américain pour disloquer les réseaux terroristes et
inculquer une culture des droits de l'homme.
Au même temps, Washington développa le processus
de l'interventionnisme sélectif) qui évoque que l'intervention
américaine devrait obéir à des contraintes
Qui expliquent le caractère sélectif des
interventions américaines à l'étranger, il s'agit à
la fois de la contrainte de sécurité qui conforte l'intervention
américaine dans son rôle de gendarme mondial, et
deuxièmement le risque de prolifération nucléaire, qui est
résolu par l'adoption de certaines résolutions par le conseil de
sécurité sous l'impulsion de Washington, celui-ci s'était
transformé à un immense mécanique de légitimation
des décisions américaines.
La première guerre du golfe allait aussi
concrétiser le statut du leadership américain, incontesté
dans une communauté internationale convertie dans sa
quasi-unanimité aux idéaux du monde libre, car cette guerre
consistait à stopper la montée d'une puissance régionale
hégémonique capable de mettre en jeu les intérêts
vitaux des Etats-Unis, ce qui a expliqué l'intervention pour mettre fin
aux désirs d'une puissance hégémonique montante, en passe
nucléaire.
Le leadership américain est bien perçu, et les
Etats-Unis est véritablement l'unique puissance mondiale, car aucune
autre nation n'est capable de la concurrencer, de telle sorte qu'on a
commencé à parler de l'existence d'une superpuissance.
§4. La mutation de la superpuissance mondiale
Au lendemain de la fin de la guerre froide, Bill Clinton a
été élu président des Etats-Unis, et par
conséquent a hérité la présidence d'un monde
prometteur, sur lequel jamais encore les Etats-Unis n'auraient
été aussi puissante, elles avaient l'épongée de la
grandeur, et disposaient des moyens économiques et militaires
nécessaires pour qu'elles puissent assurer convenablement ses
objectifs.
95
Dans ce contexte, Bill Clinton prononça un discours
(aujourd'hui, la différence entre les capacités de nos forces
militaires et celles des pays qui nous veulent du mal est plus grande que
n'importe quel moment. Et notre défi consistera à maintenir ce
delta à niveau tel que n'importe lequel de mes successeurs puisse nous
certifier avec d'autant de conviction)219
Ce terme delta allait progressivement se transformer à
la manifestation de l'existence d'une superpuissance américaine, car
reconnaître qu'un pays est doté de possibilité incroyable
par rapport aux être pays signifie que ce pays est doté de quelque
chose d'exceptionnel, et par conséquent, la manifestation de la
superpuissance ne se manifeste plus dans son rôle de gendarme mondial et
de leadership, mais aussi dans sa capacité de contrôler les
destinée du système international, et de piloter la
société mondiale. dans ce perspective, Bill Clinton
réaffirma que : (parce ce que nous sommes toujours la nation
indispensable pour diriger, il nous appartient de diriger)2, ici, le
président américain ne reconnaît pas seulement le droit des
Etats-Unis d'exercer son leadership, mais aussi de pénétrer au
centre du système international , dans le cadre d'une nouvelle
architecture qui donnait le droit à Washington de demeurer une puissance
aussi bien sur l'Europe que sur le Pacifique, ce qui traduit
l'élément de la superpuissance , en particulier avec la
révolution démocratique qui venait de se produire dans les
anciennes satellites soviétiques.
Voilà comment on comprend que les Etats-Unis devaient
mener une guerre victorieuse contre la terreur représentée par
les ennemis de la liberté, sur lequel seul l'usage de ses potentiels
techniques, technologiques et militaires surprenantes lui allaient permettre
nom pas seulement de s'arrêter devant les frontières des autres
nations, mais de nettoyer le monde de la terreur, en reconnaissant que seule
les Etats-Unis est apte à le faire.
Cependant, il a fallu attendre l'arrivée des
événements du 11 Septembre 2001, contre le World Center Trade et
le siège du Pentagone pour assister à un changement radical dans
l'attitude de Washington, gouvernée depuis Janvier 2001 d'une
équipe de néo - conservateurs, qui considérée que
l'effondrement de U.R.S.S en 1991 avait provoqué un bouleversement
mondial qui donnait à Washington le droit d'exercer une
hégémonie absolue pour une durée
indéterminée, dans le cadre d'un projet (Americain Project
Century) qui consistait à maintenir un environnement international
conforme aux intérêts américaines.
Ainsi, la nation qui se considérait pour être la
meilleure avait subi pour la première fois de son histoire des attentats
planifiés, organisés de façon méthodiques, et
décida d'adopter une politique plus efficace au niveau de la lutte
contre le terrorisme, ou va s'apercevoir la manifestation de la superpuissance
mondiale au nom de la conservation et la diffusion des valeurs du monde
libre.
219Charles Philippe David (La politique
étrangère des Etats-Unis - page 76)
96
En effet, avant 2001, les Etats-Unis avaient toujours
éviter de prendre des mesures militaire préventive contre le
terrorisme, car l'administration de Bill Clinton pensait que l'usage à
toutes formes d'interventions militaires directes pourra aboutir à des
catastrophes militaires susceptibles de nuire le réputation de
Washington comme nouvelle superpuissance montante, mais ses contraintes
n'avaient plus court en présence d'attentats suicides, ou lorsqu'un tel
arsenal se trouve entre les mains des dirigeants qui ne tiennent pas compte des
contrepoids institutionnels ou du poids de l'opinion publique, et qui ont
recouru aux armes de destructions massives contre leurs populations et leurs
voisins ( Irak), ou qui ont condamné des centaines de milliers de la
population à mourir de faim (La Corée du Nord).
L'administration de George Walter Bush allait plaider pour une
métamorphose de la puissance conservatrice à une puissance
révolutionnaire, pour restructurer le monde à la manière
américaine et de le libérer de ses réseaux brutaux. Le
processus de la guerre préventive allait être un moyen efficace
qui consistait à frapper avant que l'ennemi ne puisse frapper et
attaquer. L'usage à cette stratégie a été
bénéfique sur un double plan, premièrement la dislocation
des régimes terroriste et deuxièmement d'empêcher une futur
compétition d'un état envers les Etats-Unis.
On octobre 2001, Washington après avoir obtenu
l'autorisation du conseil de sécurité lança une
opération militaire sur le régime des talibans en Afghanistan
pour le renverser et d'obtenir un plan d'accès via ce territoire vers la
mer Caspienne, le résultat fut impressionnant, puisque les Etats-Unis
décrocha une victoire militaire d'une manière rapide, en
s'appuyant nom pas seulement sur l'effectivité et l'efficacité
des produits et des armes militaires, mais aussi sur la rapidité de
l'opération et de la gestion du système numérique.
Ce n'est qu'après la fin de la guerre sur l'Afghanistan
que les Etats-Unis allaient commença à exercer son leadership de
façon abusive, le président américain George Bush
dénonça l'axe du mal, composé d'un ensemble d'états
voyous qui représentait selon lui un danger sur la
sécurité mondiale, décida de se nourrir de la doctrine du
Containment, et de prévoir la possibilité de déclencher
des guerres sans une autorisations préalables du conseil de
sécurité, il s'agit de l'unilatéralisme manifesté
dans le gestion des affaires étrangères, ainsi, et avant le
déclenchement de la guerre sur l'Irak, le vice-président
américain Cheney annonce que le changement du régime politique en
Irak constituera le meilleur moyen pour permettre à la population
irakienne de jouir de la liberté et des valeurs susceptibles d'instaurer
une paix durable, afin de construire un monde façonné par l'image
des Etats-Unis.
Le 25 Mars 2003, les Etats-Unis déclencha une nouvelle
guerre sur l'Irak sans une autorisation des nations unies, sous le
prétexte que le régime de Saddam Hossein continuait de construire
des armes de destruction massive,
La Russie qui est la fille de l'ancienne empire mourante se
débrouille assez bien sur la scène international, et a
prouvé qu'elle était capable de résister
97
comme forme de leurres qui camouflent les
intérêts de sauvegardent des besoins vitaux des Etats-Unis, et qui
allait s'achevé par l'entrée des forces américaines
à Bagdad.
En effet, l'administration américaine espérait
gagner totalement la guerre pour tourner le dos aux contrepoids de la politique
internationale, et d'exercer de façon plus effective sa superpuissance,
en soumettant le monde sous sa domination, ainsi que de confirmer sa
souveraineté sur, le moyen orient qui demeure une zone disposant de
réserves pétrolières très important, et se trouvant
à proximité de la zone d'Eurasie.
Au même temps, les Etats-Unis avait laissé
envisagé sa volonté de déployer un projet de bouclier
antimissile en Europe centrale dans d'une politique défensive fiable
consistante à minimiser le danger russe et chinoise.
La superpuissance américaine se manifeste aussi dans
son omniprésence sur la scène mondiale, car l'effet
démonstratif des Etats-Unis se transforma en un modèle d'emprise
culturel qui est partout, il s'agit de l'attraction qui leurs permettent de
conquérir les coeurs des milliers de la population.
Ainsi en France, en Allemagne ou en Angleterre, la propagation
de ce qui est vaguement convenu d'appeler les idées et coutumes
américaines sont touchées, ou s'ajoute la suprématie des
dollar et la maîtrise des réseaux de communications, les nouvelles
technologies... de telle sorte que l'ancien ministre français des
affaires étrangères Hubert Veduire constat que les Etats-Unis
disposait de cette puissance mentale d'inspirer les rêves et les
désirs des autres qui allait faire d'elles une superpuissance et une
nation universelle.
§5. Les limites de la superpuissance
américaine
La fin de la guerre froide et l'effondrement de l'empire
soviétique, puis les événements du 11 Septembre 2001 qui
ont constitué ce pond de passage vers une autre aire des relations
internationales autour duquel les Etats-Unis tentera de gérer à
elle seul le système international, et les faits marquants ont bien
prouvé que les Etats-Unis ne sont pas une superpuissance mondiale, ainsi
que les valeurs du monde libéral ne sont pas fortement enracinés
dans l'ensemble du patrimoine humain, ce qui relativise la pensée
développée par Francis Fukuyama.
Quinze ans après le triomphe du droit, comme
éphémère d'une manifestation d'un consensus international
fondé sur les mobiles équivoques, la notion (ordre mondial)
parait difficilement applicable à la constellation planétaire
actuelle.
98
devant les pressions américaines, car elle a
réussi à préserver son influence dans les régions
représentant un intérêt géopolitique et historique
pour elle, lui permettant d'assurer sa sécurité au cas de
l'échec du rapprochement avec Les Etats-Unis (Ukraine, Géorgie,
Biélorussie...), ce qui pose la question du poids définitive de
la Russie après son adaptation avec l'économie du
marché.
Le Japon qui est un nain politique et au même un
géant économique, dans ses produits techniques et technologiques
est capable de concurrencer les Etats Unies. L'Union européen se trouve
dans une tournée et une impasse suite à son ouverture aux pays de
l'est de l'Europe, disposant de vingt-sept membres, le marché
européen risque de constituer un long terme une paralysie à
l'économie des Etats-Unis.
La Chine quant à elle est capable durant des
années à se transformer à un véritable rival aux
Etats-Unis, déjà dans un contexte international qui est celui des
échanges et de l'ouverture des frontières, l'extrême
rapidité de son dévouement fait redouter aux autres puissances
industrielles les effets ravageurs de l'arrivée massive des produits
made in China.
Certes avec un milliard et demi de consommateurs virtuels, le
marché chinois parait représenter un immense réservoir des
commandes pour les industriels et les hommes d'affaires japonais et
européens, mais déjà se font sentir les
conséquences sur les économies développés d'une
concurrence qui dispose d'une double atout, à savoir la modernité
de l'appareil de production, largement installé par les occidentaux,
nucléaire et désormais économique, ce qui aboutit à
la réalité suivante : est que la Chine commence à prendre
le statut d'une grande puissance.
En Irak, la réussite de l'opération
s'était vite heurté à une résistance
acharnée de la part de la population, provoquant la mort des soldats de
coalition, et contre les membres de la police et les civils irakiens,
d'enlèvements des journalistes étrangers, de sabotage,
d'entreprises de pure pirate mafieuse et d'actions répressives dont la
brutalité a souvent été jugé avec
sévérité par la communauté internationale.
Confronté à ces difficultés et en butte
au rejet d'une fraction croissante de l'opinion publique américaine, le
président Bush a eu pour modifier sa ligne politique d'une
coopération avec les nations unies et d'un rapprochement avec ceux de
ses partenaires occidentaux qui avaient refusé de le suivre durant le
déclenchement de la guerre.
Les Etats-Unis est même incapable jusqu'à
présent de réaliser la victoire définitive sur le
terrorisme, malgré les budgets d'investissements militaires, et
l'occupation de l'Afghanistan, et dont les tenants du fatalisme continu de
mener leurs politiques, consistantes à expulsées les
croisés des
99
terres musulmanes, tout autant que de mettre les Etats-Unis en
Déroute, et les moyens utilisés sont odieux à quelque code
moral qu'on se réfère.
L'intervention du terrorisme avait réussi à
découvrir le point faible et le moyen pour blesser le gendarme mondiale,
le problème qui réside est que l'ennemi des Etats-Unis n'est pas
un état mais des Kamikazes porteurs des bombes, et dont la
défense fiable est impossible dans un champ de batail ou l'agresseur est
presque invulnérable.
En effet, depuis l'effondrement de U.R.S.S, les Etats-Unis se
sont bercées à promouvoir l'idée que toute menace
étrangère sur la civilisation occidentale
américanisée avait disparue à tout jamais. Mais tout
à coup un nouveau phénomène mondial allait être
l'origine des événements les plus douloureux et dramatique de
l'histoire des Etats-Unis, et contribua à un tournant dans les relations
internationales, car ce phénomène n'allait n'en pas seulement
épargné l'Amérique , mais il avait aussi pris pour cible
les installations américaines à l'étranger,
concrétisant l'existence d'un groupement humain motivés par une
haine profondément enracinées dans ses pensées envers les
valeurs occidentales, que ses détenteurs sont prédisposés
à affronter la mort (les attentats suicides) et d'infliger la souffrance
à la population américaine, sous le prétexte de
libérer la terre d'islam des croisés.
De toute évidence, les réalités du
contexte international actuel démontrent l'émancipation d'un
sentiment de recul de cette politique expansionniste que Washington avait
lancée au lendemain des événements du 11 Septembre, suite
à son implication et son incapacité à gérer
convenablement le dossier irakien, ou à l'augmentation des prix de baril
de pétrole dont les conséquences s'incombent sur
l'économie américaine, et enfin les déclarations du
président américain laissant entrevoir un abondant au recours
à la force sur la question iranienne et coréenne...
Tout cela nous envoie à la conclusion suivante : les
Etats-Unis ne sont pas une superpuissance mondiale, mais plutôt une
unique puissance mondiale, celle-ci risque de perdre à long terme son
statut de leadership mondial et d'unique puissance devant la concurrence et la
compétition de nouvelles puissantes émergeantes, ainsi que devant
la dégradation de la situation économique américaine.
Cependant, l'étude du phénomène de la superpuissance d'un
Etat nous aboutira en fin de lieu à cette réalité
politique innové par Jean Baptiste Duroselle : Tout empire
périra.
100
CONCLUSION
La fin de la guerre froide ne permet pas la mise en place d'un
« nouvel ordre mondial » (Brett Scrowcroft, conseillé de Bush
senior, avril 90) mais plutôt d'un désordre mondial
provoqué par les replis identitaires qui sont à l'origine d'une
multiplication des conflits et de nouvelles menaces pesant sur les grandes
puissances.
La fin de la guerre froide a réveillé les
identités culturelles - religieuses, nationales, linguistiques - aux
quatre coins de la planète. La confrontation idéologique entre
libéralisme et socialisme avait fait passer au second plan ces
identités, qui reviennent sur le devant de la scène et se
prêtent à toutes les manipulations politiques. La mondialisation,
avec les craintes d'uniformisation culturelle qu'elle peut susciter, a aussi
favorisé ces replis identitaires.
Le nationalisme fait un retour spectaculaire en Europe (pays
basque, Ulster, Corse, unité de la Belgique et du Royaume-Uni). En
Afrique, les ethnies constituent souvent la base de mouvements politiques qui
luttent pour le pouvoir (presque un coup d'Etat par an entre 1960 et 1990), la
religion peut aussi être instrumentalisée enfin les grandes
puissances y jouent souvent un rôle actif.
L'islamisme, qui s'est développé depuis 1970,
prétend revenir aux sources de l'islam en renversant des régimes
jugés trop éloignés de la vraie foi et trop conciliants
avec l'Occident. En Inde, le communautarisme engendre de nombreuses violences,
surtout entre hindouismes et musulmans.
Ce réveil des identités tend à affaiblir
les Etats en multipliant les tensions internes et les guerres civiles. En 2000,
68 conflits ont éclaté contre une moyenne annuelle de 35 conflits
depuis 1945.
C'est le cas en Europe, avec l'implosion des Etats
multiethniques qu'étaient l'URSS (guerres de Tchétchénie
en 94-96 et depuis 99), la Tchécoslovaquie (scission le 31/12/92) et la
Yougoslavie (90-95 guerre entre la Croatie, la Serbie et la Bosnie
Herzégovine s'achevant avec les accords de Dayton ; 99 guerre pour le
Kosovo).
C'est aussi nettement visible en Afrique, dans des Etats issus
de la décolonisation, où le processus de construction nationale
n'est pas encore achevé Les conflits interethniques se sont
multipliés (Sierra Leone, Libéria, Côte d'Ivoire... faisant
7,5 millions de morts depuis 45), embrasant parfois toute une région
comme celle des Grands Lacs. La lutte entre les Hutus et les Tutsis, en effet,
a ensanglanté le Burundi, engendré un génocide au
Rwanda
Le monde à l'aube du XXIe siècle
paraît particulièrement divisé et l'on peut se demander si
la dernière grande puissance, les Etats-Unis, va réussir
à
101
(1994), puis contribué à la
déstabilisation de la République Démocratique du Congo
(ex-Zaïre), (1996-1998).
La communauté internationale est restée
relativement passive face à ces guerres, pour deux raisons. D'abord
parce qu'elle peut difficilement intervenir : la plupart de ces conflits ont
lieu à l'intérieur d'un Etat, alors que le droit international
reste fondé sur la souveraineté nationale. Ensuite, parce qu'elle
ne veut pas forcément agir : les grandes puissances ne
s'intéressent plus qu'aux régions jugées vitales pour leur
sécurité, alors qu'au temps de la guerre froide elles
étaient obligées de maintenir partout un certain équilibre
des forces.
C'est souvent dans ces Etats en décomposition ou
failed states (Soudan, Somalie, Afghanistan), dans les « zones
grises » de la planète, que les réseaux terroristes ou
mafieux trouvent refuge. Ils savent utiliser les moyens modernes de
communication. Le narcotrafic dégage d'énormes profits qui
permettent de corrompre les gouvernements, de financer les guerres, de
gangrener les économies (blanchiment de l'argent « sale »).
Al Qaida est un réseau terroriste qui maîtrise les
techniques de médiatisation ; il peut frapper l'Etat le plus puissant du
monde, comme l'ont montré les attentats du 11 septembre 2001 contre le
World Trade Center à New York et contre le Pentagone à
Washington.
Certains redoutent que des armes de destruction massive
(nucléaires, chimiques ou bactériologiques) et des missiles ne
tombent aux mains d'un mouvement terroriste ou d'Etats bellicistes.
Ainsi, on assiste à une prolifération
nucléaire en Asie : le Pakistan et l'Inde sont devenus des puissances
nucléaires en 98. Un Etat, comme la Corée du Nord, utilise
d'ailleurs le chantage nucléaire pour obtenir une aide américaine
(93-94) puis pour se protéger contre une éventuelle attaque des
Etats-Unis (2003-2005). Le premier acte de terrorisme chimique est l'attentat
au gaz sarin contre le métro de Tokyo perpétré en 1995 par
le secte Aum. Les principales menaces, dans le monde actuel, ne sont plus les
guerres « classiques » entre Etats.
La disparition du monde bipolaire et l'échec du «
nouvel ordre mondial » américain permettent l'apparition de
nouvelles menaces qui posent la question de l'avenir de la planète d'un
point de vue politique.
102
imposer sa domination ou si la direction du monde va
être partagée entre plusieurs puissances.
La multiplication des conflits locaux, le développement
de nouvelles menaces comme le terrorisme rendent nécessaire de repenser
les questions de sécurité à l'échelle mondiale. Il
faut aussi élargir la notion même de sécurité, en
prenant en compte tous les problèmes qui pèsent sur l'avenir de
l'humanité.
Mais pour imposer des règles aux Etats, il faut
dépasser la souveraineté nationale, qui est encore la base du
droit international. Cela n'est possible que si l'on parvient à
définir des valeurs universelles, communes à une humanité
ainsi considérée comme supérieure aux Etats.
Par ailleurs, la démocratie libérale est loin
d'être considérée partout comme un modèle. Le
marxisme inspire encore des Etats comme Cuba et la Corée du Nord.
Engagée depuis la fin des années 1970 dans un
processus de modernisation, la Chine s'est ouverte aux investissements
étrangers et a récupéré les enclaves capitalistes
de Hong-Kong (1997) et de Macao (1999).
Mais le régime est toujours aux mains du parti
communiste et refuse toute ouverture politique, comme l 'a montré la
répression du « Printemps de Pékin » en 1989. Cette
puissance nucléaire, spatiale, économique, marquée par un
passé impérialiste, peut représenter une menace à
la domination mondiale des Etats-Unis.
Les tensions Nord-Sud n'ont pas disparu. La domination des
pays riches sur l'économie mondiale, à travers le G7 notamment,
est dénoncée par les altermondialistes. Ils accusent l'OMC
d'organiser la mondialisation au seul bénéfice du « club
» des pays occidentaux. Beaucoup d'Etats du Sud refusent d'accepter des
normes « universelles » qu'ils considèrent comme «
occidentales ».
Cette méfiance à l'égard de l'Occident,
en général, se double d'une peur des Etats-Unis, en particulier.
Aucune puissance n'est capable aujourd'hui de rivaliser avec les Etats-Unis. On
peut donc parler d'un monde unipolaire, dominé par l'hyperpuissance
américaine.
Le « nouvel ordre mondial » est d'ailleurs une
expression inventée par George Bush (père) en 1990 pour
légitimer l'intervention contre l'Irak, coupable d'avoir annexé
le Koweït. Cette guerre du Golfe s'est faite en janvier 1991 avec l'accord
de l'ONU et la participation de nombreux Etats.
103
Mais ce relatif consensus s'est vite dissipé. Jusqu'en
1992, les Etats-Unis veulent rester une grande puissance au milieu des petites
nations et cherchent à observer une certaine retenue. Clinton
(1991-2001) est partisan de la sécurité collective du monde mais
sa volonté de préserver les intérêts
américains provoque une évolution vers un «
multilatéralisme dégradé » : il intervient au Kosovo
malgré l'opposition de la Chine et de la Russie et opte pour une
politique d'élargissement - promotion de la démocratie
et de l'économie de marché.
Cependant, la population américaine est
réticente à ses interventions coûteuses,
financièrement et humainement, ce qui pousse les Etats-Unis à
utiliser leurs alliés (financement de la guerre en Irak par le Japon et
les pétromonarchies ou intervention militaire au Rwanda pour la France).
Les attentats du 11 septembre changent la donne. Les Américains
acceptent les sacrifices pour préserver leur territoire («
America first ») en développant une puissance militaire
suffisante pour lutter contre le terrorisme et les Etats voyous («
Rogue state ») dans des guerres asymétriques (entre des
puissances de forces inégales). Les Etats-Unis sont prêts à
se passer de l'ONU quand celle-ci ne veut pas autoriser leur action.
L'opération militaire menée en 2003 en Irak pour renverser le
régime de Saddam Hussein est un exemple de cet unilatéralisme.
Beaucoup d'Etats qui se sont opposés à cette
intervention souhaitent préserver le multilatéralisme et sortir
l'ONU de la crise où elle est plongée. Une fois
réformée, l'ONU pourrait représenter l'humanité et
faire appliquer un droit d'ingérence qui lui permettrait d'intervenir
dans une guerre civile.
Mais les Etats ne peuvent plus régler seuls tous les
problèmes à l'heure de la mondialisation. Ils doivent prendre en
compte les autres acteurs des relations internationales.
C'est l'idée d'une gouvernance globale, qui permettrait
de régler les problèmes de la planète d'une manière
plus démocratique. Les ONG sont en effet de plus en plus
étroitement associées au fonctionnement des organisations
internationales. Les organisations régionales semblent appelées
à jouer un rôle croissant et l'ONU pourrait se «
décentraliser » en s'appuyant dans chaque continent sur une
organisation régionale qui disposerait d'une force militaire permanente,
ce qui n'est pas le cas actuellement avec les Casques bleues.
104
C'est peut-être aujourd'hui la solution la plus efficace
pour assurer la paix dans une partie du monde : l'Europe en apporte la preuve.
De la même façon, l'action de l'AIEA (Agence Internationale de
l'Energie Atomique), dans le cadre du contrôle de la prolifération
atomique (prix Nobel de la paix en 2005), montre l'utilité d'agences
spécialisées. Enfin, l'espoir d'une justice internationale,
capable de traquer les criminels contre l'humanité par-delà les
frontières, s'est concrétisé avec la CPI (Cour
pénale internationale) fondée en 1998 mais non ratifiée
par les Etats-Unis, la Chine et les Etats du Proche-Orient.
105
BIBLIOGRAPHIE
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Paris, Fayard.
57. ZBIGNIEW BRZEZINSKI, «Selective Global
Commitment», Foreign Affairs, vol. 70, 1991.
108
TABLE DES MATIERES
EPIGRAPHE I
IN MEMORIAM II
DEDICACE III
AVANT-PROPOS IV
INTRODUCTION 1
1. PROBLEMATIQUE 1
2. HYPOTHESES DU TRAVAIL 1
s. METHODE ET TECHNIQUE DU TRAVAIL 2
4. CHOIX ET INTERET DU SUJET s
5. DELIMITATION DU SUJET s
6. SUBDIVISION DU TRAVAIL 4
CHAPITRE I : HÉRITAGE DE LA GUERRE FROIDE 5
SECTION 1. LA CARACTERISTIQUE GENERALE DE LA GUER 5
FROIDE 5
§1. La naissance des deux blocs 7
§2. L'évolution de la guerre froide et les
conflits localisés : 10
§3. La première phase de la guerre froide : 10
SECTION 2. LA PREMIERE CRISE DE BERLIN 10
SECTION s. LA CRISE DE LA COREE 12
SECTION 4. LA DEUXIEME CRISE DE BERLIN 14
SECTION 5. LA CRISE DU CUBA 15
SECTION 6. L'ECHEC DU MARXISME LENINISME ET LA FIN DE
LA GUERRE FROIDE 17
CHAPITRE II : A LA RECHERCHE D'UN NOUVEL ORDRE
MONDIAL
21
SECTION 1. CONCEPTS AMERICAINS POUR L'APRES-GUERRE 21
FROIDE 21
§1. L'internationalisme triomphant 22
§2. Le nouvel ordre mondial 22
§3. Maintien du leadership de l'empire du bien» et
unilatéralisme global 24
§4. L'unipolarité 25
109
§5. La gestion de l'interdépendance transnationale
26
§6. Vers un fédéralisme mondial 27
§7. Une nouvelle «destinée manifeste»
29
SECTION 2. LE NÉO-ISOLATIONNISME 29
§1. L'Amérique d'abord 30
§2. Dépôt du fardeau et adaptation à la
normalité retrouvée 31
§3. Le préalable du renouveau intérieur 33
SECTION s. NOUVEL INTERNATIONALISME,
PRATIQUE ET s4
SÉLECTIF s4
§1. La sécurité multilatérale 34
§2. L'indépendance stratégique et le maintien
de l'équilibre des forces 35
§3. Splendide isolement et engagement global
sélectif 36
§4. L'élargissement : promouvoir la
démocratie et l'économie de marché 38
§5. La sécurité économique
39
SECTION 4. LE TIERS MONDE DANS LA PENSEE STRATEGIQUE
41
AMERICAINE 41
§1. Les principes de politique africaine des USA 42
1.1. Pendant la guerre froide 42
1.2. Après la guerre froide 43
§2. Les courants philosophiques de la politique africaine
des USA 44
Post-guerre froide : l'engagement sélectif et la legacy
44
§3. De l'engagement sélectif et son application dans
les relations 45
USA-AFRIQUE 45
USA-AFRIQUE 47
3.2. Les lignes forces et stratégies de la politique
américaine en Afrique 47
CHAPITRE III : LE SYSTEME INETERNATIONAL EN
GESTATION
49
SECTION 1. DESORDRE APRES LA GUERRE FROIDE 49
§1. Simplification Du Passe : Les Souvenirs De La Guerre
Froide 50
§2. Nationalisme, eurocentrisme et guerre locale 53
110
§1. La réforme des nations unies: enjeux et
perspectives 58
§2. Un impératif : anticiper pour s'adapter 61
§3. Une réforme structurelle 67
§4. Vers une reforme conceptuelle 74
§5. Une action renforcée 75
§6. Un mode de fonctionnement renouvelé 79
§7. Un leadership retrouve 80
SECTION s. DU
MONDE BIPOLAIRE AU MONDE MULTIPOLAIRE
§1. Superpuissance émergente
|
82
83
|
1.1. LE BRESIL
|
84
|
1.2. LA CHINE
|
84
|
1.3. INDE
|
84
|
1.4. LA RUSSIE
|
85
|
1.5. L'UNION EUROPEENNE
|
86
|
SECTION 4. L'ABOLITION DE L'ARME NUCLEAIRE
|
86
|
RENDRAIT-ELLE LE MONDE PLUS SUR ?
|
86
|
§1. Un horizon très lointain
|
87
|
§2. Sans arme nucléaire, un monde plus sur ? Ce n'est
pas évident...
|
88
|
§3. Un facteur dissuasif non négligeable
|
89
|
§4. L'abolition envisageable si la situation mondiale
évolue
|
90
|
SECTION 5. ETATS UNIS : LA MUTATION DE
L'UNIQUE
|
92
|
PUISSANCE MONDIALE
|
92
|
§1. Au niveau économique
|
92
|
§2. Au niveau technologique et culturel
|
92
|
§3. Au niveau politique, stratégique et militaire
|
93
|
§4. La mutation de la superpuissance mondiale
|
94
|
§5. Les limites de la superpuissance américaine
|
97
|
CONCLUSION
|
100
|
BIBLIOGRAPHIE
|
105
|
TABLE DES MATIERES
|
.108
|
111