La francophonie et la prévention des conflits post électoraux en Afrique:cas de la Côte -d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Stéphane Aloys MBONO Université de Lyon 3 - Master 2011 |
PARAGRAPHE 1 : La flexibilité de la Francophonie quant au suivi du processusélectoral ivoirienLorsqu'il est évoqué la flexibilité de la Francophonie, il est question de montrer qu'elle n'a pas fait montre de rigidité en ce qui concerne sa participation au processus électoral ivoirien. En effet, elle ne s'est pas illustrée en ce qui concerne son omniprésence, au contraire, on a pu noter sa non participation à la phase pré électorale de l'élection présidentielle ivoirienne (A). Enfin, on peut rendre compte de sa flexibilité à travers le rôle limité qu'a joué la Mission d'information et de contacts (B), toutes choses qui témoignent d'un encrage insuffisant de l'Organisation dans l'évolution de la crise antérieure aux élections. A- La non participation de la Francophonie à la phase pré électorale de l'élection présidentielle ivoirienneLe système électoral dans une élection comprend en général trois phases bien identifiables. Il s'agit de la phase pré électorale, de la phase électorale proprement dite et enfin de la phase post électorale. En ce qui concerne la phase pré- électorale, on peut noter que la Francophonie ne s'est pas véritablement impliquée. Ceci peut se voir notamment par la date d'arrivée de la délégation de la Mission d'information et de contacts. En effet, la délégation de l'OIF a séjourné en Côte d'Ivoire du 27 octobre au 04 novembre 2010, en ce qui concerne le premier tour, puis, du 24 novembre au 02 décembre 2010 pour ce qui est du second tour. On peut aisément faire le décompte et se rendre à l'évidence que la Mission ne disposait que de quatre jours au maximum avant la phase électorale proprement dite. Dans ces conditions, il est clair que la Francophonie ne peut pas être apte à gérer véritablement le processus électoral, du moins, en ce qui concerne sa première phase qui est très importante. Elle est particulièrement sensible dans la mesure où elle conditionne grandement tout le reste. Elle concerne tout d'abord le droit électoral qui doit briller par son caractère consensuel, par sa stabilité, notamment à l'approche du scrutin, et donc par la prévisibilité de son contenu. La manipulation du droit électoral est le premier vecteur du dévoiement des élections et de la conflictualité subséquente aux élections. Les procédures doivent briller par leur clarté, notamment la ventilation des compétences institutionnelles, source de confiance et de légitimité, le calendrier électoral doit être prévisible pour tous les protagonistes. Dans le cas ivoirien un consensus a semblé être trouvé avec les différents accords qui ont permis d'aller aux élections. En particulier lors de l'Accord de Pretoria du 06 avril 2005 où les différents participants ont convenu de la composition consensuelle de la Commission Electorale Indépendante(CEI) ainsi que des modalités concernant l'élaboration des listes électorales. En effet, en ce qui concerne la composition de la CEI, les parties signataires de l'Accord se sont entendues pour réaffirmer les résolutions prises lors des Accords de Linas Marcoussis du 23 janvier 2003, d'Accra I ,II et III, des 29septembre2002, du 07 septembre2003, et du 30 juillet 2004 respectivement65(*) .Elles ont convenu que la CEI devra être constituée de deux représentants nommément désignés par chaque partie signataire de l'Accord de Linas-Marcoussis66(*) dont six pour les Forces Nouvelles67(*) .Cette disposition fait à la réalité apparaitre un début de consensus en ce qui concerne l'organe qui est chargé d'organiser les élections . C'est une chose qui est très importante dans la mesure où on voit bien que les parties qui ne se faisaient pas totalement confiance commencent à donner des gages de sérieux mutuels. A coté de l'organe en charge de l'organisation des élections que constitue la CEI, les différents acteurs ont convenu de s'entendre en ce qui concerne les listes électorales. En effet, entre autre problème de fond se trouvant comme point d'achoppement entre les différentes parties qui s'opposent, c'est bien celui de l'identification des électeurs potentiels. Il faut noter que cette question constitue un enjeu majeur dans la crise car c'est à travers l'élection présidentielle attendue que le pays compte retrouver sa normalité politique. C'est la raison pour laquelle le problème d'identification des ivoiriens s'est toujours posé .On se souvient bien du point de départ direct de la crise dans ce pays qui est la mise systématique à l'écart d'un acteur et d'une partie de la population accusés de ne pas être des ivoiriens de souche. Tout est parti du fait que la nationalité ivoirienne d'un acteur, Alassane Dramane Ouattara (ADO68(*)), était remise en question. En fait, le Président Henry Konan Bédié69(*), suivi dans cette voie par le Général Robert Guei70(*) après son coup d'état, et Laurent Gbagbo, ont toujours mis en doute la nationalité de Ouattara. Différentes lois71(*) ont même été votées pour faire ressusciter la question pourtant tombée dans l'oubli qui est « l'ivoirité72(*) ». Certains spécialistes s'accordent sur le fait que le concept d' « ivoirité » a été instrumentalisé par les trois Présidents pour délégitimer « ADO » qui constituait un adversaire politique trop dangereux et mobiliser un électorat bien précis afin de s'assurer la conquête du pouvoir. Par les différents Accords signés entre les parties en conflit de ce pays, cette question a pu être réglée avec la résolution suivant laquelle toutes les parties signataires devaient pouvoir participer à l'élection présidentielle en vue. Autre élément important de la phase pré électorale, c'est la gestion du fichier électoral qui doit être consensuelle. Partant du fait que certains acteurs estimaient que la nationalité ivoirienne était bradée, il y avait donc contestation des listes électorales qui étaient déjà en vigueur. C'est la raison pour laquelle les parties ont convenu dans les différents accords qu'ils ont passé, des modalités qui devront être suivies pour pouvoir obtenir un fichier électoral fiable et crédible. Ainsi, les parties ont convenu à l'issue de l'Accord de Ouagadougou de 2007 de relancer les audiences foraines visant en gros à délivrer des jugements supplétifs tenant lieu d'actes de naissance ; la reconstitution des registres de naissance perdus ou détruits, l'organisation d'une opération d'établissement de nouveaux titres d'identité73(*) .Le processus électoral quant à lui a également été aménagé par les différentes Parties lors de l'Accord de Ouagadougou .Ainsi les participants ont convenu que l'inscription sur les listes électorales sera le fait de l'Institut National de la Statistique(INS), accompagnée en cela par l'Opérateur technique désigné par le Gouvernement pour l'identification. Elles ont convenu que tous les ivoiriens en âge de voter pourront le faire avec la seule exigence de disposer de pièces d'identité et de carte électorale. C'est à la CEI de valider et de confirmer la sincérité des listes électorales définitives. Les parties ont décidé que, dans un souci de transparence et d'efficacité, la CEI, l'INS et l'opérateur technique désigné par le Gouvernement, se devront de collaborer pour l'établissement des listes d'électeurs. Comme on peut le constater, la Francophonie n'est pas du tout
présente dans la phase pré électorale de façon
significative. Car comme on peut le voir, divers aspects qui ont
été touchés afin d'aller à l'élection ne
l'ont pas été avec comme acteur la Francophonie. Il faut dire que
de tous les Accords qui ont été passés par les acteurs de
la crise ivoirienne, la Francophonie n'a participé qu'à celui
qui s'est tenu à Accra le 07 mars 2003, c'est-à-dire Accra II.
Elle y était représentée par Lansana Kouyaté.
C'est certainement un élément probant de la non implication
véritable de l'OIF, notamment en ce qui concerne la phase sensible que
constitue la phase avant le processus électoral. Il est évident
que la situation particulière de la Cote d'Ivoire qui traverse une crise
depuis plus d'une décennie commande que pour pouvoir en sortir à
travers l'élection, un certain nombre de mesures doivent être
prises. C'est ce qui peut expliquer l'opportunité des Accords de paix
qui ont été signés. Le fait pour la Francophonie de ne pas
participer à ces Accords la disqualifie d'office en ce qui concerne son
aptitude et sa bonne volonté à prévenir tout conflit issu
d'une élection qu'elle n'aura pas contribué sérieusement
à préparer. Cela a déjà été dit plus
haut, c'est cette phase qui détermine l'issue du vote. Des
éléments tels que le financement doivent être
maitrisés et prévisibles, la campagne, notamment l'accès
aux médias de service public doit être organisé de
manière équitable. L'exemple dans ce sens a pourtant
été donné par le PNUD à travers des appuis au
processus électoral ivoirien. Pour illustration, on peut noter le
programme de formation et de sensibilisation de la jeunesse communale dans les
zones Centre, Nord, Ouest(CNO)74(*) à la résolution des conflits à
une campagne dite « Elections Fair Play :tout le monde y
gagne »,à la diffusion de messages de paix sur des radios de
proximité .A la question de savoir en quoi la formation des jeunes
à la prévention des conflits en période électorale
peut contribuer à la réduction des violences, une militante des
droits humains a déclaré : « elle nous aidera à
sensibiliser nos militants et membres à adopter des comportements
responsables et à respecter les droits de nos adversaires
politiques» ; selon un représentant de parti politique
«cette formation m'a permis de m'informer sur des questions que
j'ignorais concernant la citoyenneté et les élections
». Evidemment, l'accès à l'électorat et à l'éligibilité doit être aménagé de manière libérale et égalitaire. Le découpage électoral, la création et la ventilation territoriale des bureaux de vote doivent refléter le souci d'équité, et non la volonté politique de défavoriser les adversaires. Ils doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle contentieux sur la base notamment du principe d'égalité des citoyens devant la loi. Pendant cette phase, la dynamique de l'observation électorale, notamment l'observation locale est déjà à l'oeuvre. Si la Francophonie s'est faite discrète lors de la phase pré électorale et bien avant même le processus électoral, cela veut certainement dire qu'elle n'a pas d'encrage suffisant quant à l'évolution de la crise et donc, le rôle de la Mission d'Information et de contact sera limité. * 65 Globalement les résolutions de ces Accords tournaient autour de la nécessité d'aboutir à un climat de paix à travers une élection en bonne et due forme qui verrait la participation de tous les acteurs, ceci passant par le respect du cessez-le feu imposé à celles ci * 66 Cette disposition est contenue dans l'Accord de Pretoria du 05 avril 2005 en son article 9a * 67 C'est le nom de la force armée qui occupe une partie du territoire ivoirien après le coup-d'état manqué du 19 septembre2002 et dont le Secrétaire général est Guillaume Kigbafori Soro * 68 L'appellation « ADO » renvoie au leader du Parti RDR (Rassemblement des Républicains) Alassane Dramane Ouattara qui est en fait le diminutif * 69 Successeur constitutionnel de Félix Houphouët Boigny à sa mort, il a été Président de la République de 1993 à 1999, victime du coup d'état du 24 décembre 1999. * 70 Robert Guei est un ancien chef d'état major de l'Armée ivoirienne qui a pris les reines du pouvoir à la suite du coup d'état renversant le Président Bédié, disant venir pour « balayer la maison ».Après avoir tenté de se maintenir au pouvoir au grand dam du résultat des urnes, il a été qualifié par l'artiste musicien Tiken Jah Fakoli dans une de ses chansons de « balayeur balayé ». * 71 On peut tout d'abord parler de la loi de novembre 1994 à l'initiative de Henry Konan Bédié qui stipulait que « pour être éligible aux élections présidentielles, il faut être ivoirien né en Cote d'Ivoire de père et de mère ivoiriens, eux même de parents ivoiriens ».La seconde loi est celle d'aout 2000 à l'initiative de Robert Guei, qui en plus de celle de 1994, stipule que le candidat doit désormais justifier d'une part « d'une présence continue sur le territoire ivoirien les 5années qui précèdent l'élection », et d'autre part, « ne s'être jamais prévalu d'une autre nationalité. * 72 En fait le concept « ivoirité »a été utilisé pour la première fois par Dieudonné Niangoran Porquet dans un article intitulé « ivoirité et authenticité » paru dans le quotidien proche du PDCI « Fraternité Matin » en 1974.Le concept est tombé dans l'oubli jusqu'à ce que Henry Konan Bédié le ressorte lors d'un discours pendant un congrès de son Parti le PDCI en 1995. * 73 Article 1 et suite de l'Accord de Ouagadougou du 04mars 2007 * 74 Ce sont des zones contrôlées par les Forces Nouvelles * 75 Focus sur les appuis du PNUD au processus électoral ivoirien, disponible sur http/ www.UN.ORG |
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