L'enjeu géostratégique dans l'instabilité au Soudan du sud( Télécharger le fichier original )par Niclette BAKAMPA TSHIABA Université Chrétienne Cardinal Malula - Licence en Rélations Internationales 2014 |
INTRODUCTIONLe conflit soudanais qui date de plus de deux décennies, a produit plusieurs effets d'entrainement, entre autres, la création de groupes armés rebelles repliés dans certains pays voisins, notamment au Tchad, en Centrafrique, en RDC. Localisés également en territoire RD Congolais, les rebelles ougandais du LRA dirigés par le seigneur de guerre Joseph KONI, y sèment troubles, pillages et diverses exactions au détriment des populations congolaises. Plusieurs auteurs ayant effectué des études sur la question soudanaise, il nous a paru opportun d'y jeter un regard critique afin d'en cerner davantage les contours et d'envisager de nouvelles pistes de solutions pour une paix durable dans ce pays. Dans son ouvrage « Les enjeux de la crise au Soudan », Mohamed Hassan1(*) dévoile les origines du paradoxe africain et rappelle que, si le Soudan abrite différentes ethnies et religions, il regorge surtout du pétrole. Selon lui, les gens qui prétendent que la crise du Soudan vient d'un problème ethnique ou religieux n'ont pas une très bonne connaissance de cette région. Cette guerre est en fait économique. Les puissances coloniales d'hier et les puissances impérialistes d'aujourd'hui sont responsables des malheurs de l'Afrique. Toute cette région, partant du Soudan jusqu'au Sénégal, partageait par le passé les mêmes origines culturelles et regorgeait des richesses. Elle aurait pu être unie et développée si le colonialisme au 19ème siècle n'était pas venu créer des frontières arbitraires au sein de cette zone. Ces frontières sont arbitraires car elles ont été créées selon les rapports de force entre les puissances coloniales, sans tenir compte de la réalité géographique et ethnique du terrain et encore moins des désirs des peuples autochtones. Au Soudan, ce sont les colons britanniques qui, en appliquant la politique de «diviser pour régner», ont jeté les bases des conflits qui continuent de déchirer le pays. Selon Salim Ahmed2(*), les considérations humanitaires des Etats-Unis d'Amérique et de la Grande Bretagne qui n'ont jamais hésité, comme en Irak, à infliger la souffrance et la mort pour défendre les intérêts de leurs classes capitalistes respectives, ne sont qu'un prétexte au service d'un impérialisme à la recherche de profits et du pétrole. L'impérialisme américain, en particulier, cherche à se servir des souffrances de la population du Darfour dans le but d'obtenir un embargo commercial contre le Soudan, et ce afin de porter atteinte à l'exploitation du pétrole soudanais par ses principaux rivaux, notamment la France, la Chine et la Malaisie. La menace de l'embargo est essentiellement dirigée contre la Chine, la France, l'Inde et la Malaisie, qui ont tous des intérêts pétroliers au Soudan. Cette menace est aussi un moyen d'augmenter la pression sur le gouvernement soudanais et de renforcer les positions militaires et stratégiques des Etats-Unis dans cette partie du monde. Au nord-est du Soudan se trouvent la Mer Rouge et les terminaux pétroliers hautement stratégiques de la côte Ouest de l'Arabie Saoudite. Ainsi, notre étude autour de cette crise entend transcender les frontières d'une crise soudano-soudanaise, pour se préoccuper en fin de compte sur son aspect dévastateur à l'égard des pays voisins, notamment la R.D.C. La problématique est un ensemble de problèmes qui gravitent autour d'une vérité à découvrir, à analyser et à vérifier sur le plan scientifique3(*). Après avoir découvert d'importants gisements pétroliers, la société multinationale américaine Chevron a dû quitter le Soudan pour deux raisons. Premièrement, le pays était redevenu instable à cause de la seconde guerre civile. Deuxièmement, si les États-Unis avaient jusqu'ici entretenu d'excellentes relations avec le Soudan, le nouveau régime islamiste mis en place par Omar el-Bechir en 1989 lui était carrément hostile. Le pétrole soudanais échappait donc aux intérêts américains. La Chine est alors venue vers le Soudan avec le message suivant : « Je vais acheter vos matières premières aux prix en vigueur sur le marché international ». Cette situation présente un avantage comparatif à la fois pour la Chine et le Soudan. La première peut disposer des ressources dont elle a besoin pour son développement tandis que le second n'est plus obligé d'emprunter de l'argent aux institutions internationales. Mais cette implication chinoise en Afrique est une première dans l'histoire. C'est cette vision qui effraie les impérialistes européens et américains, et serait selon les uns, la vraie cause de l'apocalypse au Soudan4(*). Les origines du conflit sont discutées. Elles sont parfois supposées anciennes et dues aux tensions ethniques qui débouchent au premier conflit du Darfour de 1987. Bien que le gouvernement soudanais affirme que le nombre de morts se situe aux environs de 10 000, trois pays, les États-Unis, Israël et le Canada, soupçonnent que ce conflit couvre un génocide5(*). Ayant causé des pertes en vies humaines évaluées à environ 300 000 morts et 2,7 millions de déplacés dont 230 000 réfugiés au Tchad et plusieurs milliers en République centrafricaine et des franges dans d'autres, et ne manquant pas d'effets d'entrainement en termes de dégâts collatéraux. La Commission d'enquête de l' Organisation des Nations Unies sur les violations des droits de l'homme perpétrées au Soudan parle de crimes contre l'humanité. Constatant que la justice soudanaise ne peut ou ne veut rien faire pour y remédier, elle transmet le dossier à la Cour Pénale Internationale6(*). Le premier conflit du Darfour (1987-1989) a eu lieu en raison des tensions ethniques, entre les Fours et les Arabes. Dans cette guerre, le gouvernement central n'intervint presque pas. Le deuxième conflit eut lieu entre 1996 et 1998. Cette fois, ce sont les Masalits qui se soulevèrent contre les empiétements des Arabes. Les raisons du conflit sont multiples et entrelacées entre elles : une origine climatique et environnementale ; un phénomène de sécheresse dans tout le Sahel qui s'amplifie et de désertification qui a commencé depuis les années 1970 ; une explosion démographique, la population a doublé en 20 ans ; une compétition pour l'espace vital ; des ethnies différentes, aux répartitions imbriquées. La guerre de 2003 opposait au départ les Zaghawas aux Arabes pro-gouvernementaux pour ensuite s'étendre aux autres ethnies, les guerres du Tchad (1960-1990) et qui impliquaient les Zaghawas (ethnie étendue du Tchad au Soudan) ont une conséquence directe sur le conflit. La découverte de ressources pétrolières dans un pays vaste et mal unifié suscite les convoitises de grandes puissances, en particulier de la Chine ; un pays vaste et mal unifié. Le pouvoir central néglige les peuples de la périphérie qui se révoltent. Il contrôle les conflits locaux afin de satisfaire certains de ses intérêts. Il importe de rappeler que la région ouest soudanais où vivent 5 à 6,1 millions de personnes, a un très faible niveau de développement : seulement un tiers des filles pour 44,5 % des garçons vont à l'école primaire. Quatre peuples principaux sont installés au Darfour : les Fours, qui ont donné leur nom au Darfour, qui signifie en arabe la maison de Four, les Masalits, les Zaghawas et les Arabes. Jusqu'à présent, le passage de chameliers arabes dans le Sud était demeuré sans incidents. Pendant l'hiver 2002-2003, l'opposition au président soudanais Omar El-Bechir fait entendre sa voix. Au Darfour, des attaques antigouvernementales ont lieu en janvier et sont revendiquées par la SLA. En représailles, Khartoum laisse agir les milices arabes (les Janjawids dirigés par Choukratalla, ancien officier de l'armée soudanaise) dans tout le Darfour. Les armées soudanaises bombardent les villages du Darfour. Les populations sont victimes de bandes armées. Des organismes internationaux et des diplomates accusent le gouvernement d'avoir armé et payé les Janjawids. Aujourd'hui, le Soudan est divisé suite à la création de deux Etats souverains, le Soudan et le Soudan du Sud. La préoccupation est plus que jamais de cerner les enjeux de cette transformation qui, du reste, n'a pas réussi à surmonter le défi de la paix et d'envol économique dans ce vaste territoire aujourd'hui morcelé. Dans cette perspective, notre problématique tourne autour des motivations profondes du conflit soudanais ; quels en sont les acteurs ; quels en seraient les enjeux de la crise et enfin les défis pour l'instauration d'une paix durable au Soudan. L'hypothèse est une série de réponses supposées ou provisoires dans la recherche du rétablissement de la vérité, étant soumise au contrôle de l'expérience7(*). Marc LAVERGNE considère que le conflit soudanais ne serait pas racial, mais que le problème majeur de ce pays vient de gouvernements médiocres qui se sont succédés depuis l'indépendance. Ceux-là même qui ont ignoré les provinces périphériques de la capitale, dont le Darfour, et qui instrumentalisent aujourd'hui des milices à des fins économiques. Pour Bernard LUGAN8(*), le conflit est ancien et a pour principale raison l'ethnicisme. Les raisons économiques ne sont qu'un facteur aggravant et non déclencheur. Selon Gérard PRUNIER, la cause du conflit au Darfour est « racioculturelle ». Pour cet auteur, « les Arabes sont minoritaires au Soudan, les islamistes ne sont que l'ultime incarnation historique de leur domination ethno-régionale. Or, la paix entre le Nord et le Sud est en train de se déliter rapidement, il faut donc manipuler le tracé frontalier Nord-Sud qui place la plus grande part du pétrole au Sud, se préparer à la reprise éventuelle des hostilités, ancrer de solides alliances internationales et conserver le territoire en créant un cordon sanitaire ethno-régional : des monts Nouba au Kordofan et le Darfour en feraient partie. Or si les tribus nouba ont été écrasées militairement entre 1992 et 2002, le Darfour paraît beaucoup plus menaçant. Les hiérarques arabes de Khartoum veulent éviter à tout prix une brèche par laquelle les Noirs de l'Ouest s'allieraient demain avec un Sud négro-africain indépendant et pétrolier. En cherchant à déstabiliser le régime de Khartoum, les puissances occidentales appliquent la règle d'or du colonialisme : «diviser pour régner». Durant la deuxième guerre civile, les États-Unis ont financièrement soutenu l'Armée Populaire de Libération du Soudan, un mouvement rebelle du Sud. Comme ce mouvement recevait de l'argent et des armes et que le gouvernement avait pour sa part modernisé son armée grâce aux rentrées pétrolières, le conflit dura plus de vingt années pour finalement prendre fin en 2005. La deuxième guerre civile se terminait à peine que débutait la crise du Darfour. Il est vrai que les contradictions entre les tribus nomades et les fermiers sédentaires d'une part, la bourgeoisie régionale et l'autorité centrale d'autre part, conduisent à des affrontements meurtriers au Darfour. Il est vrai aussi que sur ce problème, le gouvernement soudanais a adopté une attitude militariste plutôt que de privilégier la voie du dialogue. Mais les puissances impérialistes amplifient le problème, afin de mobiliser l'opinion internationale et déstabiliser le régime soudanais. Si demain, Khartoum annonce qu'il arrête de commercer avec la Chine, plus personne ne parlera du conflit au Soudan. Le choix que nous avons porté à ce sujet se justifie comme une question d'actualité et de curiosité scientifique aussi, en vue de faire la recherche sur la question des crises qui divisent les pays africains, en l'occurrence la crise soudanaise. Le caractère d'actualité est dans la mesure où cette situation entre dans le lot des crises qui retardent les chances du développement de l'Afrique d'une part, et contribue à l'instabilité régionale d'autre part. Ainsi, notre analyse propose des préalables pour la sortie de crise et l'instauration d'une paix durable dans ces pays. Quant à l'intérêt du sujet, nous proposons des réflexions sur quelques thèmes centraux des Relations internationales, notamment les acteurs et les enjeux des Relations internationales. 1. Méthode Ce concept signifie « une voie envisagée pour parvenir à une vérité 9(*)». Pour analyser d'une manière cohérente notre sujet, nous avons fait appel à la méthode dialectique. Grâce à son caractère globalisant et à ses quatre lois, nous avons ressorti une analyse objective et de manière détaillée des enjeux du conflit au Soudan. - La loi de la réciprocité a permis de relever les points de convergence et de divergence autour du problème des conflits et des intérêts envisagés ; - La loi de contradiction a permis de présenter une thèse, celle de la consolidation de la paix au Soudan grâce à la prise de conscience de la classe politique soudanaise. A cette thèse nous avons confronté des antithèses ; - La loi des changements dialectiques a permis de ressortir les différents changements qui apparaissent dans l'évolution de ces événements ; - La loi de progrès, quant à elle, a permis d'examiner les progrès significatifs intervenus dans cette évolution, ce qui nous a permis d'aboutir à la proposition des perspectives d'avenir. 2. Technique La technique désigne l'ensemble d'outils mis à la disposition de la recherche pour la collecte de données sur terrain10(*). Nous avons utilisé la technique documentaire en consultant plusieurs ouvrages, notes de cours, d'autres types de document ainsi que le support informatique, qui nous ont fournis la documentation essentielle pour la rédaction du présent mémoire. Pour obéir aux normes scientifiques, nous avons délimité notre travail dans le temps et dans l'espace de la manière suivante : - Dans l'espace, nous avons étudié le conflit au Soudan ; - Dans le temps, notre travail est circonscrit dans la période allant de 2010 à 2013. Cette période de trois années nous permet de nous imprégner des causes réelles de ce conflit, en procédant par une analyse dialectique de l'évolution de la situation sur le terrain et de l'évolution des négociations politiques et diplomatiques à l'échelle internationale. Cette approche nous aidera à élucider les pistes de solution pour des perspectives de paix durable dans ce pays et dans la sous-région. Hormis l'introduction et la conclusion générales, notre travail comprend trois chapitres dont chacun est scindé en sections, paragraphes, points et sous-points de la manière suivante : - Le premier chapitre est consacré aux Considérations générales ; - Le second présente le conflit au Soudan et ses conséquences ; - Enfin, le troisième et dernier chapitre aborde l'analyse des enjeux géostratégiques de l'instabilité au Soudan. * 1 HASSAN M., Les enjeux de la crise au Soudan, éd. Karthala, Paris, 2009, p. 43 * 2 Salim S. Ahmed, Envoyé spécial de l'Union Africaine au Darfour, www.soudan.crise, 10.01.2013 * 3 PINTO R. Et GRAWITZ M., Méthodes des sciences sociales, Dalloz, Paris, 1987, p. 137 * 4 « Quel est le rôle de la Chine au Soudan ? », Memucan B., www.crise au soudan, 2013 * 5 CORNEILLE B. « Les enjeux de la crise soudanaise », dans, Terre neuve, N°132, 08/2013, Pp. 12-14 * 6 Commission d'enquête de l' Organisation des Nations unies sur les violations des droits de l'homme perpétrées au Soudan, 2012 * 7 PINTO R. Et GRAWITZ M., Op. Cit., p. 138 * 8 LUGAN B., « Description de la guerre du Darfour », in, Le Monde diplomatique, n° 0132, 2008, Pp. 23-26 * 9 GRAWITZ M., Méthodes en sciences sociales, Dalloz, Paris, 1989, p. 80 * 10 GRAWITZ M., Op. cit., p. 80 |
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