Vers une organisation mondiale pour la reconstruction post-catastrophe ?( Télécharger le fichier original )par Laetitia Bornes ENSAPVS - Architecture 2014 |
10.2.3 INTÉRÊT D'UNE ORGANISATION MONDIALEAprès avoir questionné la place de l'architecte dans les mécanismes de l'aide internationale post-catastrophe et mis en évidence l'intérêt de son expertise en deuxième partie, ce document s'efforce de démontrer les avantages potentiels d'une organisation mondiale de la reconstruction post-catastrophe, à l'aide de réflexions basées sur le cas d'Haïti. De nombreuses difficultés rencontrées dans la gestion de la crise en Haïti renforcent encore l'affirmation de la nécessité d'intégrer les problématiques d'urbanisme et d'architecture au sein des stratégies de reconstruction dès la phase d'urgence. Dans le cas d'Haïti, les acteurs qui disposent de compétences en matière d'urbanisme et d'architecture, tels que la fondation Architectes de l'urgence ou l'agence UN Habitat ont, par exemple, très tôt tenté d'exprimer leur désaccord sur la poursuite de livraisons de T-Shelters. Cependant, leurs recommandations n'ont pas été entendues par les décideurs, ou seulement très tardivement. Peut-être en aurait-il été autrement si une organisation, rassemblant ces compétences, d'envergure mondiale et dotée de financements (puisque ce sont manifestement les financements qui font les décideurs) s'était présentée comme véritable interlocuteur dans la reconstruction. Cette partie a pour objectif d'imaginer les bénéfices qu'aurait pu idéalement apporter une telle organisation dans la reconstruction d'Haïti. On suppose ici qu'il s'agit d'une organisation d'échelle mondiale rassemblant les professions et compétences de l'architecture et de l'urbanisme, disposant de financements et d'expérience de l'urgence, et mise en place bien avant le séisme d'Haïti.Il convient d'insister sur le caractère idéaliste de ces suppositions, que l'on tentera, par la suite, de confronter aux limites du cadre réel. La réflexion s'organise dans un développement chronologique, qui débute avant le désastre, et continue après le relèvement complet espéré. PRÉVENTION Le séisme en Haïti a été d'autant plus destructeur que l'urbanisme et les normes de constructions n'étaient absolument pas maîtrisés dans le pays. Selon Béatrice Boyer, « L'imbrication de volumes bâtis mal construits et de fonctions urbaines mal, pas gérées du tout ou quasi inexistantes, a provoqué des conséquences en chaîne, tant du fait des secousses que du fait de l'irresponsabilité de la gestion du bâti haïtien. Ces secousses ont détruit de très nombreux bâtiments non parasismiques dont des ministères, des écoles, des habitations... »352(*) Finalement, « L'absence de maîtrise du tissu urbain haïtien, les faiblesses en matière de réglementation constructive sont autant de causes de la démultiplication des impacts destructeurs du séisme. »353(*) Le scénario suivant est imaginé dans le cadre idéal de l'existence d'une Organisation Mondiale pour la Reconstruction (OMR) post-catastrophe forte, active, et implantée dans le monde entier, capable d'agir en prévention, notamment en Haïti : L'OMR avertit le gouvernement haïtien sur les risques encourus par les constructions non parasismiques et non para cycloniques, ainsi que sur les risques de l'urbanisation de zones à hauts risques (inondations, glissements de terrains...). L'OMR suggère au gouvernement haïtien de moderniser son infrastructure du droit foncier, et de développer des plans d'urbanisme d'urgence, définissant des zones d'évacuation d'urgence, basées sur différents scénarii de catastrophes. Le gouvernement haïtien, en partenariat avec l'OMR et éventuellement des ONG de développement, modernise son cadastre, prend des mesures de contrôle de l'urbanisation des zones à risques, définit des plans d'urbanisme d'urgence, et réhabilite les équipements publics aux normes parasismiques et anti cycloniques (avec l'appui technique de l'OMR). Il encourage également la mise aux normes anti-sinistres dans le secteur privé à travers la formation des professionnels du bâtiment et la sensibilisation de la population (auto construction). Ces mesures permettent progressivement de faire croître la résilience du pays, et limitent les effets destructeurs de la catastrophe. URGENCE ET RECONSTRUCTION « D'une manière générale, le secteur de l'aide a montré qu'il est mal équipé en compétences et outils relatifs aux problèmes et enjeux urbains: en cartographie des plans urbains, en diagnostics multidisciplinaires socio-urbains, en capacité de conseil auprès des institutionnels locaux pour aider à établir des schémas d'orientation stratégique urbaine - extension - rénovation - logements - égouts - transports ...-, en planification évolutive, en approches par échelles de périmètres administratifs, en processus et procédures d'aménagements, de financements, de coordinations stratégiques ou opérationnelles. Si une agence de l'ONU, UN-Habitat, était bien en capacité et très active sur ce type d'analyses, les travaux de cette agence n'ont eu ni l'écho ni la reconnaissance nécessaire parmi ses pairs. Il a fallu des mois pour que la valeur de leurs recommandations soit enfin reconnue ! On a alors vu le groupe de travail «Quartier logement» prendre enfin toute son importance stratégique, mais que de retard et que de gâchis dans la réponse .... »354(*) « A côté des activités des autres acteurs humanitaires, l'important travail de réflexion élaboré au sein d'UN-HABITAT, en lien avec les institutions haïtiennes concernées et sur des objectifs structurels de la reconstruction, commence à porter ses fruits. Mené par des acteurs compétents en questions urbaines, cet apport est longtemps resté en retrait de l'opérationnalité visible de l'aide, pour des raisons de culture et mécanismes onusiens humanitaires, des raisons organisationnelles et même de concurrence inter-agences avec ses conséquences (manque de moyens, de personnels, de locaux). »355(*) L'exemple d'Haïti, et notamment du camp Corail, démontre l'importance des conséquences sur le long terme des stratégies de relogement d'urgence, en particulier concernant l'urbanisme. La gestion du continuum hébergement d'urgence - relogement durable par une étape intermédiaire, « transitoire », se révèle, dans ce contexte et dans ces conditions, contre-productive. De plus, même dans le cas hypothétique d'une nécessité absolue de recourir aux abris de transition, de bien meilleures solutions peuvent être proposées (meilleures performances techniques, possibilités d'évolution, recours aux ressources locales). Enfin, en janvier 2013, « sur les quelque 9 milliards de dollars engagés dans la reconstruction, seuls 70 millions ont été décaissés pour un programme concernant le logement. Encore, décaissé ne signifie-t-il pas dépensé, mais simplement transféré à l'organisation qui exécutera le programme...Et même si l'on ajoute à ces 70 millions les 112 millions de dollars consacrés par le Fond de reconstruction d'Haïti, administré par la Banque mondiale, on est très loin de pouvoir apporter au secteur l'impulsion nécessaire pour construire des logements en nombre. »356(*) Le scénario suivant est, dans la continuité du précédent,pensé en supposant l'existence d'une Organisation Mondiale pour la Reconstruction post-catastrophe (OMR),reconnue comme un véritable pilier de la reconstruction : Le relogement d'urgence se réalise dans des conditions d'efficacité optimale grâce aux plans d'urbanisme d'urgence préalables, bases de la réflexion. De plus, l'OMR, réactive, met à disposition du processus de relogement d'urgence ses compétences et outils relatifs aux problèmes et enjeux urbains. Les Emergency Shelters, également préalablement développés en partenariat avec l'OMR, sont optimaux en termes de coût, de stockage et acheminement, et de performances techniques. Avec la présence d'un système cadastral plus clair, et la définition d'une stratégie globale, la reconstruction peut être mise à l'oeuvre plus rapidement et efficacement, évitant le recours à une étape de transition. Si cette étape est inévitable, les abris de transition sont développés localement, en partenariat avec les professionnels locaux, et sont réalisés de manière à pouvoir évoluer en construction durable. Les professionnels locaux, membres du réseau de l'OMR, sont impliqués dès les premiers temps du processus de reconstruction, et l'OMR n'intervient qu'en soutien, accompagnement. La reconstruction durable permet la formation de nouveaux professionnels et la création d'emplois. Concernant les financements, le poids de l'OMR dans l'élaboration de la stratégie globale lui facilite la confiance des bailleurs et permet une plus juste répartition des fonds. * 352Source : Béatrice BOYER, Port-au-Prince, catastrophe urbaine - crise humanitaire, dans Humanitaires en mouvement, N° Spécial Haïti, Lettre d'information n°7, Février 2011, www.urd.org. * 353Source : Béatrice BOYER, Port-au-Prince, catastrophe urbaine - crise humanitaire, dans Humanitairesen mouvement, N° Spécial Haïti, Lettre d'information n°7, Février 2011, www.urd.org. * 354Source : Béatrice BOYER, Port-au-Prince, catastrophe urbaine - crise humanitaire, dans Humanitaires en mouvement, N° Spécial Haïti, Lettre d'information n°7, Février 2011, www.urd.org. * 355idem * 356 Source : Sandra Mignot, Le logement en Haïti, la crise qui dure, 14/01/2013, http://www.slate.fr |
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