1-4-1 Construction contextuelle de ma
méthodologie de terrain
- Prise de conscience des tensions
ONG/Bénéficiaires et adaptation méthodologique de
départ :
Les semaines qui ont suivi mon arrivée se sont
déroulées dans un contexte tendu, ce qui m'a permis de comprendre
certaines difficultés dans la relation entre les acteurs. J'ai
commencé par accompagner l'ingénieur agronome sur le terrain, en
observation participante pour me faire connaître par les groupes locaux
et pour apprendre à les connaître et comprendre leurs relations
avec les membres de l'ONG. La troisième semaine de mon stage, nous
sommes allés, avec le coordinateur du projet et l'ingénieur
agronome, dans les communautés pour aider à la distribution des
plants de cacao (amenés le matin même par le fournisseur).
Ce jour-là, une situation de crise est apparue,
concernant l'association de la communauté de La Compuerta (la
première ayant commencé le projet cacao avec ProPetén).
Lorsque les plants sont arrivés, ils ne correspondaient pas aux normes
attendues. En effet, la taille prévue par le contrat signé entre
l'ONG et l'association était d'environ 30 cm, mais la majorité
des plants reçus ne mesuraient pas plus de 15 cm. De plus, ils devaient
être livrés sous forme greffée (cacao
injertado)12. Le problème technique lié à
ce greffon a été la taille trop petite des plants, qui a
empêché les greffons de « coller » (pegar) sur
quasiment la moitié des plants reçus. Alors que les plants de
cacaoyers étaient déjà arrivés, les
bénéficiaires les refusaient et voulaient arrêter
complètement le projet cacao. Le coordinateur et l'agronome de
ProPetén étant dans une situation d'incompréhension et de
stress, ne savaient plus comment gérer la situation. Les populations se
sont senties trompées et ont accusé l'ONG de cette faille
plutôt que la pépinière.
12 Cette technique de greffage du cacaoyer permet
une amélioration des récoltes : des variétés
robustes, plus résistantes à la pourriture et aux insectes et
plus productives de fèves sont greffées aux plants.
24
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Un problème technique a donc dévoilé un
problème relationnel sous-jacent entre les deux acteurs, que je n'ai pu
comprendre qu'ultérieurement sur le terrain.
Finalement, nous avons décidé d'organiser une
réunion avec la directrice de l'ONG, son équipe, et les membres
de l'association locale, pour discuter du problème et prendre en compte
les manifestations des bénéficiaires. Ce débat a
partiellement calmé la crise, surtout grâce à la venue de
la directrice, qui ne s'était encore jamais présentée dans
cette communauté.
Dans ce contexte de crise et de communication tendue entre ces
deux acteurs, j'ai dû établir une méthodologie de terrain
pour pouvoir garder un rôle neutre par rapport aux deux parties. Cela a
d'abord été difficile car les populations me voyaient depuis
quelques semaines venir avec l'agronome ou le coordinateur et savaient que je
travaillais pour l'ONG. C'est pour cela que j'ai décidé, avec
l'accord des conseils administratifs de chaque association locale et de la
directrice de l'ONG, de passer quelques semaines seule dans les
communautés, pour réaliser l'étude de diagnostic
participatif. J'ai donc obtenu l'accord de 7 jours dans chaque
communauté (limite de temps fixé par l'ONG).
- Utilisation d'outils ethnographiques et de la MARP
:
J'ai eu la possibilité pendant toute ma période
de terrain d'être logée dans des familles des communautés.
Le fait d'être restée un certain temps dans les communautés
sans aucun contact avec l'ONG, mais aussi le fait que je sois
étrangère au pays et à la région, a grandement
aidé à m'identifier en tant qu'individu isolé plutôt
que faisant partie du groupe « ProPetén ».
Cela m'a permis d'avoir une plus grande proximité avec
le quotidien des familles et des villageois. J'ai donc pu mieux comprendre les
rapports entre acteurs internes, par la pratique de l'observation participante
tout au long de mon séjour.
Les familles ont été pour moi des acteurs
clés de ma recherche, car grâce à la proximité
quotidienne, nous avons rapidement fait connaissance. Elles ont pu chaque
semaine être des relais pour me faire connaître d'autres personnes.
Je pouvais, dehors comme à la maison, facilement utiliser la
méthode d'entretiens individuels, que j'ai rapidement
décidé d'effectuer dans le mode informel, plus naturel dans ce
contexte. Je pouvais par ce biais amener la discussion sur certains sujets et
écouter les personnes exprimer ce qui les préoccupait.
J'ai dû adapter ma méthode aux plannings
genrés de la population : Ainsi, pendant la journée, je restais
souvent avec les femmes à la maison, chez les voisines, au centre du
village, ou à la rivière, pendant que les hommes allaient
travailler sur leur parcelle. Puis, en fin d'après-midi,
25
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
je convoquais des groupes d'hommes à leur retour, pour
participer à des réunions. Avec eux, c'est surtout sur le chemin
d'aller et retour de la salle de réunion que je pouvais faire des
entretiens individuels.
Lors des réunions avec les hommes (où certaines
femmes assistaient aussi, mais participaient rarement), nous avons
abordé les thèmes difficiles par le moyen de discussions,
questionnements, débats, et aussi par des outils de la MARP
(Méthode Accéléré ou active de Recherche
Participative). Ces outils ont aidé à débloquer certaines
problématiques et à déclencher des remises en questions et
de nouveaux débats. Certaines d'entre elles portaient notamment sur
l'utilisation des produits chimiques dans l'agriculture, sur la perte
d'identité culturelle, ou encore sur le thème organisationnel.
J'ai utilisé par petits groupes différents
outils de la MARP, qui ont été commentés en réunion
finale avec tous les membres : la carte sociale, le calendrier des
activités, l'horloge des activités journalières pour les
hommes et les femmes, le diagramme de Venn, l'arbre à problèmes
et l'arbre à solutions pour arriver à une priorisation des
problèmes. Ces outils ont surtout un avantage visuel très utile,
principalement dans ce contexte où la plupart des membres de ces
associations d'agriculteurs sont analphabètes. En décrivant leurs
idées par le biais de dessins, schémas, cartes, etc..., les
participants avaient plus de facilités à mettre en relation les
différents problèmes et solutions. Chaque petit groupe
présentait à la fin de la semaine leurs réflexions et
conclusions au groupe complet des associés.
Les outils de la MARP ont alors été
complémentaires aux outils ethnographiques :
Par exemple, avec l'observation participante, j'ai
remarqué les différentes contraintes horaires des hommes et des
femmes ainsi que les activités genrées. Cependant, la
durée de ma mission ne m'a pas permis de me rendre compte de la
régularité de ces contraintes et des écarts tout au long
de l'année. En réalisant l'outil de l'horloge des
activités journalières et le calendrier des activités
saisonnières, j'ai pu obtenir plus de précisions sur ces
habitudes de travail et surtout sur leurs changements au cours de
l'année. Dans ce cas, les outils de la MARP m'ont permis d'approfondir
mes résultats d'observation.
Réciproquement, les outils ethnographiques m'ont
aidé à confirmer et à donner du sens à certains
résultats obtenus par la MARP qu'il aurait été difficiles
d'identifier sans un regard ancré dans la communauté.
L'exemple le plus frappant de ce constat a été
celui de l'analyse des acteurs institutionnels. Le diagramme de Venn a
été un outil intéressant pour repérer les groupes
d'acteurs et leurs
26
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
relations internes et externes à la communauté,
mais il n'était pas suffisant pour comprendre la nature de ces
relations. En premier lieu, la pudeur et les rapports de pouvoir internes
empêchent de tout dire sur les relations entre les groupes communautaires
lors de l'activité. De plus, les représentations symboliques de
cet outil qui consiste à faire des bulles plus ou moins grosses selon
l'importance des groupes cités, ne sont peut-être pas les
mêmes que la représentation occidentale où l'importance et
la taille sont étroitement liées. Il y a une multitude de
critères culturels qui jouent sur cette perception de l' «
importance » et de la « relation ». Des questions restent alors
en suspens si nous utilisons exclusivement cet outil : l'importance de l'acteur
est-elle liée à la connaissance que la population a de celui-ci?
Aux ressemblances culturelles ? Au type de projets qu'il mène? A sa
reconnaissance médiatique ?
Et les relations entre acteurs sont-elles liées au
travail qu'ils effectuent ensemble ? A la fréquence de ses visites dans
la communauté ? Au nombre de personnes qui se connaissent entre les deux
groupes ?
Pendant mon séjour, trois types d'acteurs
extérieurs sont intervenus dans les communautés: l'ONG
ProPetén, une entreprise pharmaceutique privée, et un groupe
représentant du MAGA (ministère de l'agriculture, de
l'élevage et de l'alimentation).
La venue de ces acteurs s'est faite plus ou moins
discrètement : le MAGA et l'entreprise pharmaceutique sont venus
à l'improviste, en convoquant les villageois au moment même de
leur arrivée par alarme et annonces au microphone retentissant dans
toute la communauté. L'ONG, elle, est arrivée plus
discrètement et avait prévenu par téléphone.
Dès leur arrivée, cette différence saisissante
reflétait un rapport déséquilibré. Le MAGA
travaillait depuis quelques mois avec les associations locales et était
déjà venu des années auparavant pour d'autres projets. A
chaque fois, sa venue était de courte durée. Cette fois-ci, le
prétexte de sa venue était un projet de crédits pour les
agriculteurs. Les représentants du MAGA sont venus uniquement pour faire
signer l'adhésion à ce projet, déjà formulé
sans eux.
Dans le diagramme de Venn, le MAGA était
représenté par les agriculteurs comme un acteur important, mais
entretenant peu de relations avec les associations locales. L'importance ici
n'est donc pas liée aux ressemblances culturelles ou connaissance de
l'acteur, mais plutôt à la dépendance au type de projet
qu'ils proposent (crédits, aide matérielle à
l'agriculture).
En ce qui concerne l'entreprise pharmaceutique, c'était
la première fois qu'elle venait dans la communauté lorsque j'ai
assisté à cette visite. L'entreprise ne connaissait ni la langue
parlée
27
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
localement, ni le nom de la communauté. Pourtant,
pratiquement tout le village s'est déplacé pour voir et assister
aux diagnostics de santé proposés par celle-ci. Les leaders
communautaires ont largement aidé à l'installation du
matériel médical, sous les recommandations des «
médecins ». Cette situation m'a d'abord surprise, puis j'ai compris
que le manque de structure de santé dans les villages et la perte de
savoirs locaux concernant ce domaine les rendaient dépendants de ce type
d'acteurs qui venaient rarement ; cela expliquait cette réaction et
cette relation disproportionnée.
Nous nous rendons bien compte à travers ces exemples
que plusieurs critères tels que la dépendance, les besoins, la
culture, l'histoire doivent être pris en compte et mis en relation pour
comprendre l'importance et les rapports stratégiques entre les
acteurs.
|