Juin 2013
Master d'anthropologie
Spécialité Professionnelle « Anthropologie
& Métiers du Développement
durable »
[TH T7 Mémoire de recherche appliquée
Associations Paysannes et Développement Durable:
entre discours et
réalités. Etude de cas: Projet de l'ONG
ProPetén en partenariat avec
3 associations Maya Q'eqchi' du Nord du
Guatemala.
Sandra B[NOTTI
Directeurs :
Madeleine Vernet-Lavastre
Jean-Marc De Grave
Juin 2013
Master d'anthropologie
Spécialité Professionnelle « Anthropologie
& Métiers du Développement
durable »
[TH T7 Mémoire de recherche appliquée
Associations Paysannes et Développement Durable:
entre discours et
réalités. Etude de cas: Projet de l'ONG
ProPetén en partenariat avec
3 associations Maya Q'eqchi' du nord du
Guatemala.
Sandra B[NOTTI
Directeurs :
Madeleine Vernet-Lavastre
Jean-Marc De Grave
Les opinions exprimées dans ce mémoire sont
celles de l'auteur et ne sauraient en aucun cas engager l'Université de
Provence, ni le directeur de mémoire.
4
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Remerciements
Je souhaite en premier lieu remercier Madame Rosa Contreras,
Directrice de la Fondation ProPetén qui m'a donné
l'opportunité de réaliser mon stage dans les meilleures
conditions en m'accordant autonomie et confiance et en m'intégrant
à l'équipe de l'ONG.
Il en est de même pour l'ensemble de l'équipe de
ProPetén qui m'a soutenue et m'a permis d'enrichir mes connaissances
grâce aux spécialités de chacun. En particulier, un grand
merci à Carlos, avec qui j'ai partagé un bureau pendant ces
quelques mois et qui m'a appris énormément sur l'agronomie, et
à Oscar, avec qui j'ai pu débattre longuement sur la politique,
l'histoire et les problématiques culturelles au Guatemala.
Je tiens ensuite à remercier tout
particulièrement Francisco Xuc Sacul, Jorge Sacul Cuz, Manuel Enrique
Caal Saquij, et José Cho Tacaj, présidents et secrétaires
des trois associations d'agriculteurs maya q'eqchi' avec lesquelles j'ai
travaillé, ainsi que leurs familles respectives qui m'ont
chaleureusement accueillie plusieurs jours chacune, ce qui a facilité
mon travail de terrain dans leur village. Ils m'ont aussi beaucoup aidée
à la traduction du Q'eqchi'.
Enfin, je tiens à remercier ma directrice de
mémoire, Madeleine Vernet-Lavastre, ainsi que ma famille, et l'ensemble
des personnes qui m'ont appuyée dans la réalisation de ce
mémoire, pour leurs conseils, avis critiques et encouragements.
5
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Sommaire
Introduction
|
.7
|
Première Partie : Le projet de l'ONG d'accueil
dans 3 organisations paysannes. Objectif
|
de renforcement des Organisations Paysannes pour un
Développement Durable
|
.11
|
1-1 Contexte du pays et de la région
|
11
|
1-2 Particularités et relations des acteurs principaux du
projet
|
15
|
1-3 Le projet du stage pour un développement sur base
communautaire
|
20
|
1-4 Ma place d'anthropologue dans ce contexte de médiation
institutionnelle
|
23
|
Deuxième Partie : Les associations paysannes comme
condition nécessaire au
|
.33
|
développement communautaire durable
|
2-1 Les associations paysannes
|
33
|
2-2 Les résultats obtenus des diagnostics et des plans de
développement
|
40
|
2-3 Les capacités des associations paysannes
|
..54
|
Troisième Partie : Des limites et
difficultés qui relativisent cette approche idéale
|
.67
|
3-1 Les difficultés liées aux discours du
développement : Décalage entre objectifs et
|
67
|
réalisations effectives
|
3-2 Les difficultés liées au contexte
socio-économique et politique
|
88
|
3-3 Les difficultés liées aux acteurs
|
.91
|
Conclusion
|
..104
|
Bibliographie
|
..106
|
6
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Table des abréviations
BID Banque Interaméricaine de
Développement
|
CIJ Cours Internationale de Justice
|
COACAP Coordination des associations de paysans
dans le sud du Petén et appui
au renforcement organisationnel et à la commercialisation
de leurs produits
|
CONAP Conseil National des Aires
Protégées
|
CR Communauté Rurale
|
FAO Organisation des Nations Unies pour
l'Alimentation et l'Agriculture
|
IDH Indice de Développement Humain
|
KFW Kreditanstalt für Wiederaufbau
(Établissement de crédit pour la
reconstruction)
|
MARP Méthode
Accéléré ou active de Recherche Participative
|
OMAL Observatoire des Multinationales en
Amérique Latine
|
ONG Organisation Non Gouvernementale
|
OP Organisation Paysanne
|
OPR Organisations Paysannes et Rurales
|
PDC Plan de Développement
Communautaire
|
PNUD Programme des Nations Unies pour le
Développement
|
SIGAP Système Guatémaltèque
des Aires Protégées
|
SMBC Société
Mésoaméricaine de Biologie de la Conservation
|
TDR Termes De Références
|
USAID United States Agency for International
Development
|
Introduction
« Dans les pays du Tiers Monde, les paysans ignorants
et paresseux n'existent pas, car ils
sont morts depuis longtemps. »
R. Chambers, 1983
Ce mémoire d'anthropologie appliquée s'inscrit
dans le cadre du Master Professionnel « Anthropologie et Métiers du
Développement Durable ». Au début de mon cursus
universitaire j'ai eu l'occasion de vivre une année au Mexique. Ce
séjour m'a permis de m'intéresser à des
problématiques spécifiques à cette région : les
mouvements indigènes, les enjeux ruraux face à la pression
agraire et le fort taux d'émigration. Ces problématiques avaient
déjà largement influencé le choix du sujet de mon
mémoire bibliographique de Master 1, Ceux qui restent : changement
social et développement rural des non migrant-e-s dans une perspective
de genre1. J'ai eu la possibilité de pouvoir retourner
sur le continent américain, dans la région d'Amérique
centrale pour mon stage de Master 2, au Guatemala. J'ai été
intégrée à l'équipe d'une ONG (Organisation Non
Gouvernementale) nationale guatémaltèque, la Fondation
ProPetén. Cette ONG se consacre principalement à la conservation
du patrimoine culturel et naturel dans une région de forêt
tropicale au nord du pays, le Petén. L'ONG coordonne plusieurs projets,
dont celui de production et de commercialisation de cacao, qui a
été initié il y a deux ans avec trois
communautés2 du groupe Maya Q'eqchi' au sud de la
région. Par le biais de mon stage, j'ai été
associée à ce projet.
Les missions qui m'ont été confiées par
l'équipe de l'ONG à travers les termes de référence
(TDR) consistaient en la réalisation de diagnostics communautaires
participatifs et de plans de développement avec les trois
communautés rurales concernées par le projet: La Compuerta,
Poité Centro et San Lucas Aguacate. Les documents de diagnostics
communautaires que j'ai réalisés de manière participative
permettent de dresser un état des lieux général, incluant
la situation politique, économique, organisationnelle,
géographique, sociale et culturelle des
1 Benotti S., 2012, Mémoire de recherche
bibliographique. Ceux qui restent : changement social et développement
rural des non migrant-e-s dans une perspective de genre. Dir.
VERNET-LAVASTRE M. et BOUJU J., Université de Provence : 78 p.
2 Le terme « communauté »
(comunidad) est utilisé en Amérique latine et
Amérique central pour désigner les villages
(pueblo). Tandis que le premier a un aspect plus marqué pour le
groupe culturel et le sentiment d'appartenance, le second se rapporte
plutôt à l'aspect géographique. Nous utiliserons alors les
deux termes le long de ce mémoire.
8
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
groupes. Il s'agit aussi de mises en perspectives des
ressources et des carences matérielles et immatérielles
ressenties, justifiant les priorités d'action. Quant aux plans de
développement, je les ai réalisés à partir des
résultats des diagnostics. Ils permettent de décrire et de
planifier les activités choisies. L'élaboration de ces documents
était importante pour l'ONG : elle avait pour but de renforcer les
organisations paysannes et la participation locale des populations
concernées par ses projets. Ayant eu une fonction de médiation
entre plusieurs acteurs (associations d'agriculteurs et l'ONG ProPetén),
cet angle d'observation m'a permis une réflexion multidimensionnelle
portée sur les interactions entre les groupes d'acteurs.
J'ai alors décidé de centrer mon analyse sur les
interactions entre ces groupes, ainsi que sur les décalages ou
corrélations entre les discours du développement et la
réalité de terrain. Comme exemple central, je me suis
basée sur l'analyse du projet de production de cacao sur lequel j'ai
travaillé tout particulièrement, en me faucalisant sur les trois
associations paysannes avec lesquelles l'ONG ProPetén a entrepris ce
projet. Ces dernières années, ces associations communautaires se
sont multipliées, comme bien d'autres, dans les zones rurales
guatémaltèques. Elles sont, de tous les niveaux d'acteurs de
développement reconnus institutionnellement, les plus ancrées au
niveau local. J'ai trouvé très important de s'intéresser
de plus près aux personnes qui décident au quotidien de
l'utilisation des ressources pour l'agriculture, c'est-à-dire les
agriculteurs eux-mêmes ainsi que leurs familles. En effet, ce sont eux
les premiers concernés par la gestion concrète des projets
ruraux. Il est donc intéressant d'analyser leur place dans les processus
de prise de décision et d'organisation. Même si l'étude des
programmes agricoles et de leur durabilité au niveau global est utile et
nécessaire, elle n'a plus de sens si on n'étudie pas les
mécanismes locaux. Ce ne sont ni les interprètes de statistiques
internationales, ni les rédacteurs de rapports mondiaux qui participent
à la prise de décisions au quotidien sur les parcelles agricoles.
Certes, les personnes extérieures influencent les montages
économiques et politiques à l'intérieur desquels les
agriculteurs fonctionnent, mais les actions tangibles seront toujours celles
des agriculteurs.
Le renforcement de ces groupes locaux suscite aujourd'hui
l'enthousiasme des pourvoyeurs d'aides bilatérales et de la
société civile dont l'ONG ProPetén. Ceux-ci reconnaissent
l'utilité des associations locales en tant que vecteur de
développement durable. Les associations locales d'agriculteurs
remplissent de nombreuses fonctions, telles que la représentation des
intérêts de leurs membres, l'accès à plus de
services, ou plus largement, la défense de leurs causes dans le cadre
des actions de plaidoyer. Néanmoins, les organisations d'agriculteurs
9
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
rencontrent encore de nombreuses difficultés
liées au contexte global dans lequel elles s'insèrent. Elles sont
conscientes de leurs limites, comme le font remarquer G. Faure, J-F Leqoc et N.
Rodriguez (2011)3.
Cette place singulière des associations d'agriculteurs
et les processus qu'elle engendre m'ont permis de réfléchir sur
des angles de recherche appliquée à partir des interrogations
suivantes :
? Dans quelles mesures les associations d'agriculteurs
peuvent-elles contribuer au développement durable de leur
localité ?
? Comment leurs capacités d'influence sur les
orientations stratégiques individuelles et collectives se
manifestent?
? Ces stratégies d'acteurs s'inscrivent-elles
réellement dans une démarche de développement durable et
de participation ?
? Quelle est l'importance des discours véhiculés
par les institutions internationales dans la pratique?
Nous chercherons donc à répondre à ces
interrogations à travers l'analyse du contexte
guatémaltèque et des acteurs décrits ci-dessus en
particulier. Les résultats de ce mémoire proviennent à la
fois des activités réalisées pendant mon stage, de
l'ethnographie sur le terrain, et de l'étude de la bibliographie locale,
internationale, institutionnelle et de sciences sociales sur ce sujet.
Nous commencerons par exposer le contexte
général du projet de production de cacao, les
particularités de la région ainsi que le contexte relationnel
entre les acteurs principaux : l'ONG ProPetén et les trois associations
d'agriculteurs. Nous analyserons aussi les tâches qui m'ont
été confiées en tant que stagiaire et ma place
d'anthropologue dans ce contexte de médiation.
Nous nous demanderons ensuite dans quelle mesure les
associations paysannes sont nécessaires au développement
communautaire durable. Pour cela, nous nous baserons sur les
3 In FAURE G., LE COQ J-F. & RODRIGUEZ
N., 2011, « Émergence et diversité des trajectoires des
organisations de producteurs au Costa Rica », Économie rurale,
n°323, Société Française d'Économie rurale: p.
55-70.
10
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
résultats obtenus des diagnostics et plans de
développement effectués, ainsi que sur l'examen des
différentes forces d'action, telle que la capacité
stratégique de ces associations.
En dernier lieu, afin d'élargir notre
réflexion à un niveau plus global, nous proposons
d'étudier les contraintes et limites liées au
discours sur la participation et sur la notion de « localité
». Nous analyserons aussi les obstacles liés au contexte
général socio-économique et politique, auxquels les
associations locales ne peuvent pas toujours faire face.
11
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Première Partie : Le projet de l'ONG d'accueil
dans 3 organisations paysannes. Objectif de renforcement des Organisations
Paysannes pour un Développement Durable
1-1 Contexte du pays et de la région
1-1-1 Le Guatemala
La République du Guatemala est un pays
d'Amérique centrale qui occupe une superficie de 108,890 km2 et qui
compte 14,2 millions d'habitants. Il est frontalier du Mexique au Nord, du
Belize à l'Est et du Honduras et du Salvador au Sud. Le pays est
bordé par l'océan Pacifique à l'Ouest et par la mer des
Caraïbes sur la côte Est. L'Amérique centrale est
fréquemment victime de catastrophes
naturelles (éruptions volcaniques,
séismes et
ouragans dans la région caribéenne) mais détient, de par
sa terre volcanique fertile et son climat favorable, un grand nombre de
ressources. Les ressources naturelles exploitées sont le nickel, le
cuivre, le zinc, le plomb et le bois. Le pétrole exploité depuis
1975 dans la région du Petén.
Le Guatemala est le pays le plus « indien »
d'Amérique et le seul pays d'Amérique centrale dont la population
est majoritairement indienne : environ 5 millions de personnes sur un total de
9 millions. Vingt-trois langues sont parlées en plus de l'espagnol au
Guatemala ; dans la région du Petén que nous allons
étudier, c'est la langue q'eqchi' qui domine.
Depuis la Conquête espagnole, une population se
distingue de la culture indienne et s'accroît, elle est
communément dénommée « ladina4
». Elle désigne les personnes dont la langue maternelle est
l'espagnol et qui pratiquent la culture hispanique : ce groupe peut inclure les
métis ainsi que les amérindiens assimilés. La dichotomie
indigène/ladino est employée dans toute sorte d'analyses
sociales au Guatemala, d'autant plus qu'elle a servi de base à la
4 Terme guatemaltèque s'utilisant aussi dans
les autres pays d'Amérique centrale.
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
représentation d'une société
extrêmement inégalitaire et au développement d'une guerre
civile de trente-six ans (1960-1996) qui a laissé d'importants
traumatismes.
Les cultures autochtones sont toujours très
présentes au Guatemala, tout comme l'influence de la culture
occidentale. La religion catholique est présente dans tout le pays, mais
comme 70% de la population appartient à des groupes indigènes de
différentes ethnies, les rites catholiques se mêlent aux croyances
autochtones. De nombreuses Eglises s'étendent sur le territoire depuis
quelques années, notamment l'Eglise évangélique qui se
développe et augmente rapidement le nombre de ses fidèles.
Aujourd'hui, l'Indice de Développement Humain (IDH) du
pays est de 0,574 (PNUD 2011). La répartition des richesses est toujours
très inégale: 10% de la population détient 44% des
richesses5. Selon le rapport du PNUD (2006), 50,9% de la population
est en situation de pauvreté, dont 30,0% en zone urbaine et 70,5% en
zone rurale.
La violence, générée par les crimes
organisés, les narcotrafiquants, les inégalités et la
pauvreté est un des principaux problèmes que doivent affronter
les Guatémaltèques. Ce fut un thème central de la campagne
électorale durant laquelle le président actuel Otto Perez Molina
a promis une politique de "mano dura" (politique de main de fer) lors
de son élection en 2007. La présidence qui a gagné la
confiance d'une grande majorité de citoyens, est cependant
contestée dans les zones rurales, où la situation sociale reste
tendue. En effet, les communautés indigènes et agricoles estiment
que leurs revendications ne sont pas prises en compte et ont organisé
une marche sur la capitale, réunissant des milliers de personnes en mars
2012. Depuis quelques années, les mouvements et organisations
indigènes sont de plus en plus nombreux dans le pays.
12
13
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
1-1-2 La migration agraire vers le Petén
Source: Grandia L., 2009
Le département du Petén connait un boum
démographique depuis quelques décennies. Il est principalement
peuplé de migrants indigènes Q'eqchi' venus des
départements d'Izabal et d'Alta Verapaz dans les années 1950,
rapidement suivis par les migrants ladinos originaires de la
région Ouest du Guatemala. La grande majorité des populations
Q'eqchi' a migré à la « recherche de terres » («
búsqueda de tierra »). Cependant, cette réponse
assez spontanée à la question de l'émigration dissimule en
fait dans beaucoup de cas la fuite face à la violence de la guerre
civile et à l'exploitation par les grands propriétaires
terriens.
En conséquence de l'augmentation soudaine de la
population (passée de 26 000 en 1964 à 638 296 habitants en
2011), de l'exploitation des terres à grande échelle, et de la
mauvaise gestion des ressources, la part de forêt au Petén s'est
considérablement réduite ces dernières
décennies.
14
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Aujourd'hui, les populations Q'eqchi' de la région
vivent d'une agriculture familiale, le maïs et le frijol (haricot
noir) étant leurs principales productions vivrières.
1-1-3 Le Petén dans un contexte de
développement axé sur une politique de
conservation
Lorsque les migrants sont arrivés dans la
région, dans les années 1950, celle-ci était pratiquement
inhabitée depuis la conquête des espagnols (il y a plus de 400
ans, quand les Maya ont fui leurs cités). La faune et la flore ont donc
eu largement le temps de se réinstaller dans ce vaste territoire. Les
migrants sont arrivés dans des lieux qui permettaient un accès
libre aux ressources foncières et qui a permis aux pratiques agricoles
de se faire plus extensives que dans leurs régions d'origine. L'espace
n'était plus mesuré : chacun pouvait s'étendre au maximum
et exploiter les ressources sans limite. Pour les pionniers de ces terres, il
n'était pas question de penser leur agriculture sur le long terme car il
fallait d'abord penser à la survie de leur communauté naissante :
« Seules étaient sauvegardées les essences
végétales immédiatement utiles, présentes dans la
végétation spontanée : il s'agit principalement d'essences
fruitières ». (C. Maldidier, 2008 : 53)6.
Ce phénomène, ajouté à la
croissance démographique accélérée,
provoquèrent à cette période une forte
déforestation, toujours problématique aujourd'hui. Celle-ci se
fit rapidement remarquer par les organisations de conservation naturelles au
niveau national et international. Dans les années 1990, tandis que le
pays commençait à sortir de la guerre civile, le gouvernement
élu de Cerezo (1986-1990) a d'abord créé la Reserve de la
Biosphère Maya dans le nord du Petén, pour répondre aux
groupes de pression environnementalistes. Cette réserve était
aussi le premier grand projet de l'ONG ProPetén, en collaboration avec
le CONAP (Conseil National des Aires Protégées). Le CONAP est un
des acteurs de politique environnementale les plus importants du pays depuis sa
création en 1989 jusqu'à aujourd'hui. Il est responsable sur tout
le territoire national de tout ce qui concerne la gestion des ressources
naturelles, et c'est l'organe le plus important en termes de direction et
coordination du Système Guatémaltèque des Aires
Protégées (SIGAP). C'est souvent en passant par cet organe que
des fonds internationaux parviennent au Guatemala. Dans la région du
Petén, ces dernières années, le SIGAP subventionne des
projets concernant : la gestion du bois, le zonage des aires
protégées, la promotion politique des aires
protégées, la formation de personnel d'institutions
environnementales (ONG, organisations privées...), l'assessorat dans
6 MALDIDIER C., 2008, « Concessions
communautaire et viabilité de la gestion à long terme des
forêts dans la Réserve de la Biosphère Maya (Guatemala)
» in MERAL P., CASTELLANET C., LAPEYRE R., La gestion des ressources
naturelles. L'épreuve du temps, Éditions Karthala, Paris :
p.51-66
15
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
le maniement des ressources naturelles, l'assistance technique
des groupes organisés dans le contrôle des feux de forêts
(un des programmes de l'ONG ProPetén depuis 5 ans), l'accompagnement et
l'assessorat de la gestion de la faune sauvage.
D'importants moyens financiers et humains ont alors
été déployés durant plus de dix ans, sur l'ensemble
du Petén (Plus d'une centaine de million de dollars sur 12 ans
(1990-2002) mis à disposition par les bailleurs de fonds USAID
(Etats-Unis), BID (Amérique Latine) et KFW (Allemagne). Ce dernier a
été le principal financeur de ProPetén jusqu'en 2002. Les
bailleurs de fonds se sont répartis le territoire : les Allemands ont
financé la stabilisation des frontières agricoles dans la partie
Sud du Petén, l'USAID et le BID se sont concentrés sur l'aire
protégée du Nord et les Espagnols ont fait la promotion du
développement touristique. Les ONG, internationales et nationales, se
sont elles aussi installées dans la région et se sont
réparties activités et territoires. (C. Maldidier, 2008 : 52).
Aujourd'hui, des bailleurs de fonds Japonais et Chinois commencent aussi
à financer des projets de conservation naturelle et de production
durable des ressources dans cette région.
Les politiques environnementales au Guatemala et dans la
région du Petén en particulier, ont majoritairement
été influencées par les politiques internationales de
développement durable. Il y a d'abord eu une phase
préservationniste dans les années 1980-1990. Ce courant
préservationniste a entraîné la création de
plusieurs réserves fermées aux activités humaines, ou
ayant peu de droits d'accès, dans le but d'exercer un meilleur
contrôle sur la protection de la forêt tropicale tout en visant la
préservation de la biodiversité. Depuis les années 1990
jusqu'à aujourd'hui, les ONG internationales et nationales adoptent
progressivement une politique développementiste dans la région du
Petén, avec des programmes de gestion intégrée des
ressources naturelles par les populations locales, dans l'objectif de concilier
conservation et développement. Pour cela, de nombreux efforts sont faits
pour promouvoir la participation des groupes locaux et les organisations de
base au niveau des villages. Nous verrons dans le dernier chapitre de ce
mémoire en quoi cette participation est relative, dans un contexte de
développement où le modèle du type « top-down »
perdure parfois de manière consciente ou inconsciente malgré les
fortes critiques formulées à son égard.
1-2 Particularités et relations des acteurs
principaux du projet
1-2-1 l'ONG ProPetén
L'ONG ProPetén est une organisation nationale de
conservation créée en 1991. Depuis, elle travaille pour le
développement durable afin de concilier la conservation naturelle et
culturelle
16
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
des régions Nord-Est du Guatemala, du Belize et du
Honduras pour certains projets et particulièrement du département
du Petén où elle a son siège (sur l'île de
Flores).
Alors que les politiques environnementales évoluaient,
comme nous l'avons mentionné, dans le pays et la région, l'ONG a
suivi ces changements et a modifié progressivement son discours et ses
actions, passant d'une idéologie préservationniste à une
idéologie développementiste. Ses discours évoluent avec
celui du contexte global vers un nouvel idéal de la conception du
développement. Dans un premier temps, ProPetén développait
un discours principalement axé sur les questions biologiques.
Aujourd'hui, elle présente l'aspect social comme une des composantes les
plus importantes de son argunmentaire. Le slogan de l'ONG montre tout à
fait cette tendance : Fondation ProPetén, Le Sens Humain de la
Conservation (« Fundación ProPetén, El Sentido
Humano de la Conservación »7). Cependant, les
pratiques s'appliquant à ce discours sont encore difficiles à
mettre en place. C'est pourquoi les projets sont en permanence l'objet
d'importants réajustements.
ProPetén a obtenu, après plusieurs années
d'intense activité, une reconnaissance au niveau national. Son
ex-directrice, Rosa María Chan, est devenue depuis février 2012
la nouvelle Ministre déléguée au patrimoine culturel et
naturel du pays. L'ONG a par ailleurs acquis une reconnaissance internationale
grâce à ses projets menés dans les pays voisins et à
son engagement auprès des décideurs publics des pays
centraméricains.
Les objectifs principaux de ProPetén sont aujourd'hui les
suivants: - Renforcer les capacités d'autogestion communautaire ;
- Soutenir la gestion responsable des ressources naturelles et la
conservation de la biodiversité ;
- Contribuer à la diversification des activités
économiques compatibles avec l'environnement ;
- Favoriser la sauvegarde de l'identité culturelle ;
- Contribuer à la bonne gouvernance des aires
protégées du Petén en coordonnant les efforts avec une
large base sociale.
L'ONG travaille sur 3 programmes : le programme « Aires
Protégées », le programme « Alternatives productives
», et le programme « Population et environnement ». C'est dans
ce dernier que s'insèrent actuellement quatre projets: le projet de
Bourses d'Etudes "Carlos Soza
7 Site officiel de l'ONG ProPetén :
http://www.propeten.org/index.php/en/
17
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Manzanero" ; Le projet de Guides Scolaires sur le Patrimoine
Culturel ; Le projet de Stratégie de Gestion des Incendies ; et le
projet de production et commercialisation de cacao, auquel j'ai
été associée8.
1-2-2 Les 3 associations communautaires
Dans trois communautés, La Compuerta (appartenant
à la commune municipale de Poptún), San Lucas
Aguacate et Poité centro (appartenant à la commune municipale de
San Luis), ProPetén travaille avec des associations locales
d'agriculteurs. Celles-ci sont composées de 26 membres dans la
communauté de San Lucas Aguacate, de 36 à la Compuerta, et de 40
membres à Poité Centro. Les membres de ces associations sont de
tous âges, principalement des hommes (ce qui oriente les principaux
objectifs vers des intérêts masculins, comme l'agriculture dans la
culture locale). Ces associations sont présidées par un conseil
d'administration de 7 associés et un président. Les objectifs des
associations sont la représentation des intérêts des
producteurs, la promotion de culture Maya Q'eqchi', la communication avec les
institutions extérieures, la gestion des ressources naturelles ainsi que
la gestion du développement local.
Les associations se sont formées dans les années
1970 après l'installation des villageois migrants qui ont fondé
ces communautés. Elles étaient d'abord informelles, puis elles se
sont jointes à la fédération COACAP (Coordination des
associations de paysans dans le sud du Petén et appui au renforcement
organisationnel et à la commercialisation de leurs produits) qui les a
soutenues dans le processus de reconnaissance légale de leur statut au
niveau municipal. En effet, cette fédération d'associations les a
aidées à former les premiers conseils d'administration (junta
directiva) en 1999. Elle a ensuite réajusté leur statut
légal en 2012 au début du projet de production de cacao avec
ProPetén. COACAP a aussi formé les premiers leaders à des
techniques de gestion de projet au début des années 2000. Depuis,
tous les quatre ans, des élections internes permettent le renouvellement
des leaders des conseils d'administration.
En plus de cette fédération, les trois
associations travaillent en collaboration ponctuelle ou de longue durée
avec quelques autres institutions régionales d'appui aux organisations
communautaires spécialisées dans la gestion de projet. Cependant,
depuis quelques années, ces institutions se sont majoritairement
dirigées vers des communautés novices dans le domaine
organisationnel, déduisant que les trois associations soutenues par le
COACAP
8 Voir Annexe 1 : Organigramme de ProPetén
2012
18
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
étaient assez formées après quelques
années d'expérience. C'est l'un des problèmes
rencontrés aujourd'hui par ces associations, car après plusieurs
élections et changements des leaders au sein conseils administratifs,
seuls les leaders du premier mandat de 2000 ont effectivement été
formés par les institutions d'appui.
Ces associations d'agriculteurs ont néanmoins acquis
depuis quelques années une expérience significative de
collaboration et de dialogue, avec différents acteurs institutionnels
publics et privés. Ces derniers proposent souvent le même type de
projets : productifs et culturels. Les associations locales sont conscientes
des modes de fonctionnement des institutions de développement, ainsi que
des discours sur la participation employés de manière
récurrente. Nous approfondirons ces derniers points dans les deux autres
parties du mémoire.
Les trois associations se connaissent du fait de leur
proximité géographique et de leur parcours auprès de
COACAP. Par ailleurs, les leaders des conseils administratifs participent
souvent avec d'autres associations et organisations paysannes de la
région à des réunions dans les municipalités de San
Luis et de Poptún, auxquelles les communautés sont
rattachées. Certains leaders associatifs sont aussi des leaders
communautaires traditionnels et organisent régulièrement des
cérémonies mayas entre les communautés, ce qui renforce
leurs liens.
Par rapport au projet cacao, j'ai pu observer une certaine
ambiguïté dans les rapports entre les trois associations. En effet,
elles peuvent à certains moments se montrer solidaires face à un
problème concernant le rapport à un acteur extérieur (ici
l'ONG ProPetén), mais dans d'autres situations devenir concurrentes. Ce
phénomène est qualifié pour la première fois de
«coopétition » par Ray Noorda(1992)9. Ce
néologisme qui est né de la combinaison des mots
compétition et coopération, est surtout connu pour les analyses
de commerce international. Nous pouvons néanmoins très bien
l'appliquer à la situation des associations communautaires de notre
étude. Nous approfondirons cette réflexion dans les
deuxième et troisième partie de ce mémoire.
1-2-3 Les relations entre l'ONG et les associations
au travers du projet de cacao En 2007, ProPetén a
lancé un programme de diversification des cultures dans les
communautés rurales défavorisées des zones voisines des
forêts comme solution à la déforestation. En effet, la
situation économique pousse beaucoup de familles à chercher des
terres de culture dans l'aire protégée de la région.
9 In LE ROY F. et YAMI S., 2007, «
Les stratégies de coopétition », Revue française
de gestion, n° 176, Lavoisier : p. 83-86.
19
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
La zone du programme a été définie suite
à un diagnostic socio-économique général du sud de
la région10. La mise en relation avec les communautés
a été faite par le biais de la COACAP. Des réunions
participatives ont permis d'évaluer l'intérêt des
associations pour ce projet productif. ProPetén a alors proposé
la culture de cacao biologique : ce projet leur est apparu comme étant
le plus viable aux niveaux économique, social et environnemental, en vue
d'une commercialisation de la récolte à l'international sous
forme de commerce équitable (à partir de l'année 2015). Ce
projet est pour le moment financé par un bailleur de fond des Etats-Unis
qui en assurera les financements jusqu'à fin 2013, à mi-chemin du
projet. L'ONG ProPetén est actuellement en recherche de financement pour
finaliser son objectif, qui consiste en l'organisation sous forme de
coopérative des associations locales et la commercialisation des
récoltes à l'international.
En 2009, le projet a d'abord été
expérimenté dans la communauté de la Compuerta, avec 16
familles, puis il a été étendu aux deux autres
communautés. Aujourd'hui, un total de 102 familles
bénéficient du projet, cultivant chacune 2 hectares de cacao. La
plupart des familles se sont motivées en voyant l'expérience de
deux personnes des communautés qui ont planté 1 hectare de cacao
chacune pour leur propre culture, avant ce projet. Ces deux initiatives locales
ont soulevé un intérêt dans plusieurs communautés,
qui ont sollicité la fédération COACAP pour la recherche
de fonds afin de réaliser des projets de même type.
Les rapports entre ProPetén et les associations
paysannes locales ont donc été facilités par
l'organisation fédératrice COACAP qui est le médiateur le
plus important dans ce projet. La confiance entre COACAP et les associations
s'est installée grâce au temps passé à travailler
ensemble et grâce au fait que la moitié du personnel et le
directeur de COACAP sont d'origine Q'eqchi' et parle cette langue, ce qui
facilite le dialogue.
Avec ProPetén, une relation privilégiée
s'était établie par l'intermédiaire de l'ancienne
directrice de l'ONG qui était très proche des populations et
connues des associations locales. Elle était venue dans les villages
à plusieurs reprises et les habitants lui accordaient beaucoup de
confiance. Cependant, depuis février 2012, elle a quitté l'ONG et
laissé sa place à la nouvelle directrice.
Depuis le début du projet de production de cacao, des
réunions avec ces trois principaux acteurs sont organisées tous
les trois mois pour le suivi et l'échange d'informations. Chaque fois,
ce sont l'agronome et le coordinateur de projet de ProPetén qui y
assistent.
10 PROPETEN, 2011, Diagnostico Territorial Tomo 1.
Petén Proceso de actualización del Plan de desarrollo Integral.
Secretaría de Planificación y Programación de la
Presidencia, Guatemala: 219 p.
20
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Pourtant, lorsqu'il y a eu des problèmes ou des doutes,
les populations se sont directement adressées à COACAP
plutôt qu'à ProPetén, ce qui nous fait penser que le niveau
de confiance est différent entre ces acteurs.
1-3 Le projet du stage pour un développement sur
base communautaire
Durant mon stage, j'ai été associée au
projet de production de cacao pour travailler avec les trois associations
paysannes avec lesquelles le projet a été mis en oeuvre. Lorsque
je suis arrivée, le projet était dans sa phase initiale de mise
en oeuvre, avec l'introduction et la plantation des plants de cacao dans les
communautés.
1-3-1 Le développement sur base communautaire
Cette expression, en espagnol «desarrollo con base
comunitaria», est très utilisée dans le contexte actuel
du développement par les ONG au Guatemala. Elle induit l'idée
d'une gestion locale pour une amélioration des conditions de vie des
communautés par elles-mêmes. Pour cela, la participation et
l'organisation des communautés sont considérées par les
ONG comme indispensables. Ici, la notion d'organisation communautaire est
utilisée dans le sens occidental que l'on se fait de l' «
organisation », très marqué par la culture administrative
écrite et quantitative. Pour les ONG, une communauté
organisée de manière non conventionnelle n'est donc pas souvent
prise en considération et doit s'adapter à la manière
reconnue de s'organiser, en assistant à des formations leur permettant
de s'adapter à la norme.
Il s'agit ainsi par la collaboration entre ONG et associations
de combiner les différents modes de pensée, pour arriver à
un but commun de définition et planification du développement
communautaire.
Dans le projet cacao, deux des résultats attendus
clairement exprimés depuis la formulation du projet avec le bailleur de
fond sont : l' « élaboration d'un plan de développement
communautaire » pour les communautés
bénéficiaires et « une meilleure organisation »
des associations locales (Deleon Villagran R., 2012 : 6)11.
En tant que stagiaire en anthropologie, j'ai eu pour
rôle d'élaborer un diagnostic participatif avec les associations
locales, et un plan de développement pour contribuer à ces
résultats.
11 DELEON VILLAGRAN R., 2012, PLAN DE NEGOCIOS
PRODUCCION Y COMERCIALIZACION DE CACAO. Fundación ProPetén,
Guatemala: 54 p.
21
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
1-3-2 Diagnostics et plans de développement entre
idéal et contraintes
Le projet cacao est un projet à long terme. Avant les
premières récoltes, les bénéficiaires doivent
attendre trois ans, et avant les premiers résultats concrets de
commercialisation, ils vont devoir travailler sur ce projet pendant encore
quatre ans.
Par prévention, l'équipe de ProPetén a
décidé de l'élaboration d'un diagnostic communautaire
participatif, et un plan de développement permettant de
développer des activités à plus court terme,
adaptées aux populations locales et aux principes de
développement durable. Selon elle, cela renforcerait les associations
dans une dynamique d'action, de gestion locale et de motivation,
parallèlement à ce grand projet.
- Le diagnostic communautaire .
·
Le diagnostic participatif communautaire est un processus de
description et contextualisation qualitative des communautés aux niveaux
socioculturel, économique, spatial, institutionnel, politique et
environnemental. C'est aussi une identification et une analyse groupale des
ressources et problèmes dans la réalité sociale locale et
des opportunités de solutions. Il se présente au final sous la
forme d'un rapport qui permet une systématisation et une mise en
relation holistique des données obtenues.
- Le plan de développement .
·
Le Plan de Développement Communautaire (PDC) est un
document qui définit et planifie des actions de développement
social et économique adaptées à la réalité
locale. Il s'est établi grâce à l'analyse des
priorités, des obstacles locaux, des ressources locales disponibles, de
la motivation, des sources d'appui et de collaboration, et de la
disponibilité des bénéficiaires. Après la
première étape de l'élaboration du diagnostic, il
s'agissait de sélectionner des actions réalisables à
entreprendre de manière participative.
- Un idéal restreint par des contraintes
.
·
Le diagnostic participatif communautaire et le plan de
développement demandés par l'ONG devaient permettre de contribuer
à l' « auto-organisation » et l' « autosuffisance »
des associations et de leur communauté. Grâce à
l'amélioration des connaissances sur la situation actuelle, pour les
bénéficiaires comme pour les acteurs extérieurs, ceci a
pour but de favoriser la prise de décision, la planification et
l'exécution des actions futures pour répondre aux besoins
locaux.
Cette approche qui vise à donner plus de pouvoir
à la population était espérée en grande partie
grâce à la mission que l'ONG m'a confiée. En effet, si je
n'étais pas venue faire un stage dans
22
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
l'ONG, elle n'aurait pas embauché quelqu'un d'autre
pour faire cette étude. C'était alors pour elle une occasion de
s'acquitter de ce résultat social attendu. Cette étude permettait
d'établir de nouvelles relations entre les communautés locales et
l'ONG, avec de meilleures connaissances sur les populations et des logiques
sociales qui lui manquaient.
Cependant, la mission a été restreinte par des
limites de temps, d'argent, et des contraintes idéologiques.
En effet, la mission ne m'a pas été
confiée sans idée préconçue du résultat
attendu, surtout en ce qui concerne le plan de développement ; mes
supérieurs m'ont fait comprendre les limites que je ne pouvais pas
dépasser. J'ai donc dû respecter des limites pour arriver à
un résultat correspondant à:
- Un diagnostic communautaire participatif effectué avec
les associations locales. - Un plan de développement participatif
à court terme (environ 1 an d'activités).
- 5 ou 6 activités « simples » pouvant
être gérées et réalisées localement par les
bénéficiaires.
- Un budget restreint : les activités devaient pouvoir
être prises en charge par le budget du projet cacao, donc les
thèmes d'activité devaient être adaptés pour que le
bailleur de fond puisse les accepter dans ce projet.
- Des activités répondant aux 3 principaux
critères du développement durable : environnemental, social, et
économique.
- Une étude de diagnostic de terrain limitée
dans le temps (Temps réel de diagnostic obtenu : 7 jours dans chaque
communauté).
Même si la limitation des moyens peut légitimer
ces restrictions, elles sont contestables dans le sens où elles ne
correspondent pas aux priorités réelles et urgentes des
populations locales. En effet, les quatre principaux problèmes et
priorités relevés dans le diagnostic au sein des trois
communautés confondues étaient : l'organisation communautaire,
l'accès à l'eau potable, l'accès à
l'électricité, et l'accès à la terre.
Ces priorités passent avant les préoccupations
de développement économiques, culturelles, et éducatives,
qui sont importantes mais secondaires pour les bénéficiaires.
Comme nous l'approfondirons dans la partie suivante, j'ai
dû travailler dans un contexte de conciliation d'intérêts,
afin de rapprocher au plus près les priorités réelles aux
contraintes annoncées, pour que les problèmes concrets des
populations soient entendus par le biais de ce diagnostic et du plan de
développement. La priorité pour de nombreux paysans est de
produire
23
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
suffisamment de vivres pour pouvoir nourrir leur famille. Pour
cela, ils doivent travailler tous les jours sur leur parcelle et manquent de
temps, dans ces conditions, pour prendre part efficacement à un projet
de développement allant au-delà de leurs activités
prioritaires. Le temps accordé aux réunions participatives est
détourné de cette activité prioritaire ; ainsi, la
contribution des populations à l'étude devait pour fonctionner
leur procurer des avantages à court terme, et surtout une prise de
conscience de l'utilité interne et durable de ces réflexions,
pour qu'ils acceptent d'y consacrer du temps et de l'énergie.
1-4 Ma place d'anthropologue dans ce contexte de
médiation institutionnelle
1-4-1 Construction contextuelle de ma
méthodologie de terrain
- Prise de conscience des tensions
ONG/Bénéficiaires et adaptation méthodologique de
départ :
Les semaines qui ont suivi mon arrivée se sont
déroulées dans un contexte tendu, ce qui m'a permis de comprendre
certaines difficultés dans la relation entre les acteurs. J'ai
commencé par accompagner l'ingénieur agronome sur le terrain, en
observation participante pour me faire connaître par les groupes locaux
et pour apprendre à les connaître et comprendre leurs relations
avec les membres de l'ONG. La troisième semaine de mon stage, nous
sommes allés, avec le coordinateur du projet et l'ingénieur
agronome, dans les communautés pour aider à la distribution des
plants de cacao (amenés le matin même par le fournisseur).
Ce jour-là, une situation de crise est apparue,
concernant l'association de la communauté de La Compuerta (la
première ayant commencé le projet cacao avec ProPetén).
Lorsque les plants sont arrivés, ils ne correspondaient pas aux normes
attendues. En effet, la taille prévue par le contrat signé entre
l'ONG et l'association était d'environ 30 cm, mais la majorité
des plants reçus ne mesuraient pas plus de 15 cm. De plus, ils devaient
être livrés sous forme greffée (cacao
injertado)12. Le problème technique lié à
ce greffon a été la taille trop petite des plants, qui a
empêché les greffons de « coller » (pegar) sur
quasiment la moitié des plants reçus. Alors que les plants de
cacaoyers étaient déjà arrivés, les
bénéficiaires les refusaient et voulaient arrêter
complètement le projet cacao. Le coordinateur et l'agronome de
ProPetén étant dans une situation d'incompréhension et de
stress, ne savaient plus comment gérer la situation. Les populations se
sont senties trompées et ont accusé l'ONG de cette faille
plutôt que la pépinière.
12 Cette technique de greffage du cacaoyer permet
une amélioration des récoltes : des variétés
robustes, plus résistantes à la pourriture et aux insectes et
plus productives de fèves sont greffées aux plants.
24
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Un problème technique a donc dévoilé un
problème relationnel sous-jacent entre les deux acteurs, que je n'ai pu
comprendre qu'ultérieurement sur le terrain.
Finalement, nous avons décidé d'organiser une
réunion avec la directrice de l'ONG, son équipe, et les membres
de l'association locale, pour discuter du problème et prendre en compte
les manifestations des bénéficiaires. Ce débat a
partiellement calmé la crise, surtout grâce à la venue de
la directrice, qui ne s'était encore jamais présentée dans
cette communauté.
Dans ce contexte de crise et de communication tendue entre ces
deux acteurs, j'ai dû établir une méthodologie de terrain
pour pouvoir garder un rôle neutre par rapport aux deux parties. Cela a
d'abord été difficile car les populations me voyaient depuis
quelques semaines venir avec l'agronome ou le coordinateur et savaient que je
travaillais pour l'ONG. C'est pour cela que j'ai décidé, avec
l'accord des conseils administratifs de chaque association locale et de la
directrice de l'ONG, de passer quelques semaines seule dans les
communautés, pour réaliser l'étude de diagnostic
participatif. J'ai donc obtenu l'accord de 7 jours dans chaque
communauté (limite de temps fixé par l'ONG).
- Utilisation d'outils ethnographiques et de la MARP
:
J'ai eu la possibilité pendant toute ma période
de terrain d'être logée dans des familles des communautés.
Le fait d'être restée un certain temps dans les communautés
sans aucun contact avec l'ONG, mais aussi le fait que je sois
étrangère au pays et à la région, a grandement
aidé à m'identifier en tant qu'individu isolé plutôt
que faisant partie du groupe « ProPetén ».
Cela m'a permis d'avoir une plus grande proximité avec
le quotidien des familles et des villageois. J'ai donc pu mieux comprendre les
rapports entre acteurs internes, par la pratique de l'observation participante
tout au long de mon séjour.
Les familles ont été pour moi des acteurs
clés de ma recherche, car grâce à la proximité
quotidienne, nous avons rapidement fait connaissance. Elles ont pu chaque
semaine être des relais pour me faire connaître d'autres personnes.
Je pouvais, dehors comme à la maison, facilement utiliser la
méthode d'entretiens individuels, que j'ai rapidement
décidé d'effectuer dans le mode informel, plus naturel dans ce
contexte. Je pouvais par ce biais amener la discussion sur certains sujets et
écouter les personnes exprimer ce qui les préoccupait.
J'ai dû adapter ma méthode aux plannings
genrés de la population : Ainsi, pendant la journée, je restais
souvent avec les femmes à la maison, chez les voisines, au centre du
village, ou à la rivière, pendant que les hommes allaient
travailler sur leur parcelle. Puis, en fin d'après-midi,
25
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
je convoquais des groupes d'hommes à leur retour, pour
participer à des réunions. Avec eux, c'est surtout sur le chemin
d'aller et retour de la salle de réunion que je pouvais faire des
entretiens individuels.
Lors des réunions avec les hommes (où certaines
femmes assistaient aussi, mais participaient rarement), nous avons
abordé les thèmes difficiles par le moyen de discussions,
questionnements, débats, et aussi par des outils de la MARP
(Méthode Accéléré ou active de Recherche
Participative). Ces outils ont aidé à débloquer certaines
problématiques et à déclencher des remises en questions et
de nouveaux débats. Certaines d'entre elles portaient notamment sur
l'utilisation des produits chimiques dans l'agriculture, sur la perte
d'identité culturelle, ou encore sur le thème organisationnel.
J'ai utilisé par petits groupes différents
outils de la MARP, qui ont été commentés en réunion
finale avec tous les membres : la carte sociale, le calendrier des
activités, l'horloge des activités journalières pour les
hommes et les femmes, le diagramme de Venn, l'arbre à problèmes
et l'arbre à solutions pour arriver à une priorisation des
problèmes. Ces outils ont surtout un avantage visuel très utile,
principalement dans ce contexte où la plupart des membres de ces
associations d'agriculteurs sont analphabètes. En décrivant leurs
idées par le biais de dessins, schémas, cartes, etc..., les
participants avaient plus de facilités à mettre en relation les
différents problèmes et solutions. Chaque petit groupe
présentait à la fin de la semaine leurs réflexions et
conclusions au groupe complet des associés.
Les outils de la MARP ont alors été
complémentaires aux outils ethnographiques :
Par exemple, avec l'observation participante, j'ai
remarqué les différentes contraintes horaires des hommes et des
femmes ainsi que les activités genrées. Cependant, la
durée de ma mission ne m'a pas permis de me rendre compte de la
régularité de ces contraintes et des écarts tout au long
de l'année. En réalisant l'outil de l'horloge des
activités journalières et le calendrier des activités
saisonnières, j'ai pu obtenir plus de précisions sur ces
habitudes de travail et surtout sur leurs changements au cours de
l'année. Dans ce cas, les outils de la MARP m'ont permis d'approfondir
mes résultats d'observation.
Réciproquement, les outils ethnographiques m'ont
aidé à confirmer et à donner du sens à certains
résultats obtenus par la MARP qu'il aurait été difficiles
d'identifier sans un regard ancré dans la communauté.
L'exemple le plus frappant de ce constat a été
celui de l'analyse des acteurs institutionnels. Le diagramme de Venn a
été un outil intéressant pour repérer les groupes
d'acteurs et leurs
26
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
relations internes et externes à la communauté,
mais il n'était pas suffisant pour comprendre la nature de ces
relations. En premier lieu, la pudeur et les rapports de pouvoir internes
empêchent de tout dire sur les relations entre les groupes communautaires
lors de l'activité. De plus, les représentations symboliques de
cet outil qui consiste à faire des bulles plus ou moins grosses selon
l'importance des groupes cités, ne sont peut-être pas les
mêmes que la représentation occidentale où l'importance et
la taille sont étroitement liées. Il y a une multitude de
critères culturels qui jouent sur cette perception de l' «
importance » et de la « relation ». Des questions restent alors
en suspens si nous utilisons exclusivement cet outil : l'importance de l'acteur
est-elle liée à la connaissance que la population a de celui-ci?
Aux ressemblances culturelles ? Au type de projets qu'il mène? A sa
reconnaissance médiatique ?
Et les relations entre acteurs sont-elles liées au
travail qu'ils effectuent ensemble ? A la fréquence de ses visites dans
la communauté ? Au nombre de personnes qui se connaissent entre les deux
groupes ?
Pendant mon séjour, trois types d'acteurs
extérieurs sont intervenus dans les communautés: l'ONG
ProPetén, une entreprise pharmaceutique privée, et un groupe
représentant du MAGA (ministère de l'agriculture, de
l'élevage et de l'alimentation).
La venue de ces acteurs s'est faite plus ou moins
discrètement : le MAGA et l'entreprise pharmaceutique sont venus
à l'improviste, en convoquant les villageois au moment même de
leur arrivée par alarme et annonces au microphone retentissant dans
toute la communauté. L'ONG, elle, est arrivée plus
discrètement et avait prévenu par téléphone.
Dès leur arrivée, cette différence saisissante
reflétait un rapport déséquilibré. Le MAGA
travaillait depuis quelques mois avec les associations locales et était
déjà venu des années auparavant pour d'autres projets. A
chaque fois, sa venue était de courte durée. Cette fois-ci, le
prétexte de sa venue était un projet de crédits pour les
agriculteurs. Les représentants du MAGA sont venus uniquement pour faire
signer l'adhésion à ce projet, déjà formulé
sans eux.
Dans le diagramme de Venn, le MAGA était
représenté par les agriculteurs comme un acteur important, mais
entretenant peu de relations avec les associations locales. L'importance ici
n'est donc pas liée aux ressemblances culturelles ou connaissance de
l'acteur, mais plutôt à la dépendance au type de projet
qu'ils proposent (crédits, aide matérielle à
l'agriculture).
En ce qui concerne l'entreprise pharmaceutique, c'était
la première fois qu'elle venait dans la communauté lorsque j'ai
assisté à cette visite. L'entreprise ne connaissait ni la langue
parlée
27
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
localement, ni le nom de la communauté. Pourtant,
pratiquement tout le village s'est déplacé pour voir et assister
aux diagnostics de santé proposés par celle-ci. Les leaders
communautaires ont largement aidé à l'installation du
matériel médical, sous les recommandations des «
médecins ». Cette situation m'a d'abord surprise, puis j'ai compris
que le manque de structure de santé dans les villages et la perte de
savoirs locaux concernant ce domaine les rendaient dépendants de ce type
d'acteurs qui venaient rarement ; cela expliquait cette réaction et
cette relation disproportionnée.
Nous nous rendons bien compte à travers ces exemples
que plusieurs critères tels que la dépendance, les besoins, la
culture, l'histoire doivent être pris en compte et mis en relation pour
comprendre l'importance et les rapports stratégiques entre les
acteurs.
1-4-2 Différents niveaux d'étude de la
situation
En me basant sur l'analyse des organisations de
l'anthropologue J-F. Chanlat (1995)13, j'ai effectué les
diagnostics en pensant aux différents niveaux d'acteurs qui ont chacun
une influence sur la situation et les problèmes ressentis. Les quatre
niveaux principaux sont : le niveau de l'individu, le niveau de l'interaction,
le niveau de l'organisation, et le niveau de la société.
- Le niveau de l'individu :
Sur le plan individuel, certains acteurs ont plus ou moins
d'importance sur les groupes au niveau de l'association, du village et à
l'extérieur du village. Dans l'élaboration des diagnostics et des
plans de développement, il était intéressant de
repérer les acteurs qui pouvaient freiner ou faciliter les solutions
proposées. Dans les trois associations, chaque président et
leader associatif avaient leur propre caractère et donc une
manière différente de rassembler les associés. C'est en
cela que deux d'entre elles, ayant des présidents très actifs et
très engagés dans leur association, avaient plus de
facilités pour gérer les projets en cours et pour en initier des
nouveaux (contrairement à la dernière où le
président donnait plutôt une impression de passivité et
d'attente vis-à-vis des acteurs extérieurs).
Par ailleurs, selon les activités possibles pour
remédier aux difficultés locales, certaines personnes ont des
compétences utiles à tous, et il est important de les
repérer. Par exemple, j'ai rencontré une femme qui était
habituée à donner des formations d'alphabétisation pour
des petits groupes de femmes du village de Poité Centro. Les membres de
l'association ont
13 CHANLAT J-F, 1995, « Vers une anthropologie
des organisations. », Sciences Humaines, n°9 : p. 40-43
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
exprimé le besoin d'apprendre à lire et à
écrire pour avoir plus de possibilités d'échange avec le
monde institutionnel. Nous avons donc pu mettre en relation cette femme avec un
centre d'alphabétisation, que l'ONG allait payer à travers le
projet. Les compétences individuelles locales permettent donc un
développement local par les membres de la communauté ainsi qu'une
création d'emploi.
- Le niveau de l'interaction :
Deux types d'interactions m'ont aidé à
comprendre la situation : les interactions que nous pourrions définir d'
« habituelles », et les interactions «
exceptionnelles » :
Les interactions « habituelles » mettent
différents acteurs en relation directe à travers des
activités, des rituels, ou encore des réunions. Avec les
associations, il y a un grand nombre d'interactions de ce genre,
déclenchées par les réunions fréquentes entre les
membres et avec des acteurs extérieurs. Comme je l'ai dit dans l'exemple
précédent du MAGA, au vu des différentes manières
qu'ont les acteurs de s'imposer et de provoquer une réunion :
l'interaction reflète donc le type de relation entre les acteurs.
Le second type d'interaction « exceptionnelle »
s'opère lors des évènements inattendus ou particuliers qui
rassemblent des acteurs n'ayant pas forcément l'habitude d'être en
relation. J'ai eu la chance lors de mon séjour dans la communauté
de la Compuerta d'être présente pendant la
célébration nationale du 15 septembre, qui est la date de la
proclamation de l'indépendance du Guatemala. Partout, que ce soit en
ville ou dans les villages les plus reculés, cette
célébration est très importante. Tous les habitants se
rassemblent dans les centres villes ou places de village. Les enfants
défilent dans les rues et tous les villageois se mêlent à
des actes civiques, des jeux populaires (course de chat, escalade de pilonne
enduis, cochon glissant, canard enterré...), des danses, des
compétitions sportives (foot, course de chevaux) et des repas
communautaires. Dans cette célébration, deux types de populations
qui d'ordinaire communiquent peu dans ce village, ont été en
contact lors de la fête : les familles de ladinos et les
familles q'eqchi'. Dans la foule, ils étaient rassemblés, ce qui
m'a permis d'observer leurs comportements les uns vis-à-vis des autres
dans ce contexte de proximité. Malgré la très petite
proportion de ces familles ladinas dans la communauté, j'ai
observé que les organisateurs de l'évènement
étaient presque exclusivement ladinos et la majorité des
participants aux jeux aussi. Les q'eqchi' se retrouvaient donc spectateurs et
en position inconfortable, sachant que les discours et commentaires
prononcés au micro se faisaient en langue espagnole non traduite, ce qui
empêchait la majeure partie du public de les comprendre. De plus, dans la
foule, les ladinos qui restaient groupés se comportaient de
29
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
manière plus extravertie. Ils reflétaient par
leur attitude une impression de sûreté et imposaient leur
présence. Leur comportement face à ma présence lors de cet
évènement était aussi radicalement différent des
personnes q'eqchi'. Alors que les q'eqchi' me regardaient discrètement
de loin sans me parler, beaucoup de ladinos sont venus immédiatement me
demander qui j'étais et ce que je faisais ici. Ils s'empressaient aussi
de me tenir au courant fièrement de leur origine espagnole, ou des
membres de leur famille qui vivaient en Espagne ou aux Etats-Unis.
Ce niveau de l'interaction permet donc de découvrir des
formes d'identités collectives, basées sur des relations et
clivages nous-eux qui recoupent des univers sociaux distincts : dans
ce cas par l'appartenance ethnique, mais les différences genrées,
générationnelles, religieuses etc. peuvent aussi se
repérer à travers ce niveau.
- Le niveau de l'organisation :
En me focalisant sur le niveau de l'organisation, dans le cas
des associations locales paysannes, j'ai remarqué qu'il y avait deux
types d'ordre organisationnel : l'ordre officiel et l'ordre officieux. En
effet, chacune des associations possède un règlement écrit
et des membres du conseil administratif élus qui ont des rôles
précis dans chaque groupe. Cependant, en observant de plus près,
les rapports de pouvoir réels ne sont pas exactement les mêmes.
Ainsi, certains membres de l'association ont le statut reconnu culturellement
de guías espirituales (guides spirituels) ce qui leur
confère une influence très importante au niveau
décisionnel, alors qu'ils ne font pas forcément partie du conseil
administratif. Dans l'association de la communauté de San Lucas
Aguacate, trois femmes membres font par ailleurs partie de groupes de
défense des droits des femmes reconnus au niveau municipal. Elles ont de
ce fait une influence sur le discours et les activités de l'association.
L'ordre officiel ne peut donc pas être considéré comme le
seul référent et comme stable. Il subit des pressions par un
ordre officieux, et cette dynamique de confrontation permanente entre les deux
ordres révèle le fonctionnement réel des organisations.
- Le niveau de la société :
Ce niveau a une influence sur les autres niveaux par les
logiques sociales et culturelles qu'il propage. Il rassemble les
différents groupes par des caractéristiques socioculturelles
communes (moeurs, langue, tradition, lois, etc.), des
spécificités sociopolitiques (type de structure sociale, mode de
reproduction des élites, mode d'organisation politique), et des symboles
collectifs (drapeau, hymne, institutions, études, etc.). Ce niveau
permet de
30
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
comprendre le contexte général des
communautés et ce qui est commun aux autres niveaux micros.
En gardant à l'esprit ces quatre niveaux d'influence,
qui sont eux-mêmes en interaction, j'ai pu plus facilement comprendre les
désaccords qui existent entre les actes et les discours. Cela permet
d'éviter les oppositions ou rassemblements hâtifs comme
individu/société, ordre/désordre,
coopération/compétition...
1-4-3 Quelques stratégies appliquées
pour réduire les contraintes du diagnostic Après
l'annonce des contraintes et résultats attendus liées au
diagnostic et plan de développement, je me suis rendue compte que
certaines s'auto contredisaient ou étaient contradictoires entre elles.
J'ai donc essayé, dans la mesure du possible, de réduire ces
contraintes en jouant sur une marge de manoeuvre plus ou moins importante.
Premièrement, le résultat attendu d' «
effectuer un diagnostic communautaire participatif avec les membres des
associations locales » comprend deux failles, qui sont :
1) Le fait d'effectuer un seul diagnostic pour les trois
communautés n'est objectivement pas satisfaisant. En effet, lors de mes
premières visites dans les communautés, j'ai remarqué
qu'elles avaient des aspects en commun, mais aussi des différences
importantes : il y a des éléments qui changent de manière
significative les conditions de vie des habitants, notamment des femmes. Parmi
ces éléments, les services publics d'accès à l'eau
potable, aux transports et à l'électricité sont les plus
notables. Le document de diagnostic devait être écrit dans le but
de décrire une situation propre à chacune des communautés.
C'est pourquoi, grâce à l'accord de l'équipe de
ProPetén, j'ai pu modifier cette contrainte des TDR, en effectuant un
diagnostic par communauté. Il en a été de même
concernant le plan de développement, qui, découlant des
diagnostics, devient encore plus spécifique à chaque
communauté.
2) La deuxième faille de la commande de diagnostic est
le fait de devoir réaliser un diagnostic communautaire participatif
uniquement avec les membres des trois associations. Les associations sont des
sous-groupes communautaires qui ne peuvent pas représenter à ce
titre la communauté dans son ensemble. L'association la plus importante
est celle de la communauté de Poité Centro, elle compte 40
membres. Les trois communautés rassemblent en moyenne 120 familles
chacune, ce qui correspond à environ 720 habitants par
communauté. Il paraît donc difficile de prétendre faire un
« diagnostic communautaire participatif » avec la
participation d'un seul petit groupe. Pour pallier à cela, l'idée
était de rencontrer des personnes hors des associations locales.
Cependant, deux autres contraintes se
31
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
sont ajoutées : la limite de temps que j'avais dans
chaque communauté qui m'empêchait de faire une étude
approfondie avec d'autres membres de la communauté ; La situation d'
« enclicage »14 dans laquelle je me suis
trouvée malgré moi, par rapport aux associations du projet cacao.
Comme je me suis insérée dans les communautés à
travers ces groupes, il a été plus difficile de m'entretenir avec
la population n'appartenant pas à ceux-ci. J'ai néanmoins eu la
chance de participer à la célébration du 15 de
septiembre qui m'a permis de sortir momentanément de cet «
enclicage », ayant l'occasion de parler avec des personnes
totalement différentes. Avec les femmes, cela a été plus
facile d'élargir l'étude au niveau communautaire, car je pouvais
accéder à des points de vue différents en dehors de
l'association : en allant au centre du village avec les amies des femmes chez
qui je logeais, les voisines, ou bien à la rivière pour laver le
linge et chercher de l'eau (dans les deux communautés sans accès
à l'eau). Je suis donc parvenue à réduire cette faille du
moins partiellement, mais nous pouvons dire de manière objective que les
résultats des diagnostics correspondent majoritairement à la
participation des membres des associations.
Ensuite, le résultat attendu du plan de
développement à court terme de 5 ou 6 activités «
simples » gérées et réalisées principalement
par les bénéficiaires, paraît aussi contradictoire par
rapport à la situation. En effet, après avoir commencé
l'enquête de diagnostic, je me suis rendue compte que la priorité
n°1 des trois associations communautaires était le renforcement de
leur organisation pour pouvoir gérer en autonomie leurs projets.
Prévoir des activités avant de remédier à cette
faiblesse organisationnelle était donc compliquée et risquait de
mener à des résultats partiels et non durables. Nous avons donc
choisi pour éviter ce problème de planifier dans les plans de
développement la moitié des activités sur le thème
de formations de gestion et d'organisation (comptabilité, gestion de
projet, leadership) dans les premiers mois du chronogramme des
activités, puis les autres types d'activités (productives,
économiques, culturelles) dans l'autre partie de l'année. Cela
permettait de concilier le renforcement de la gestion locale à des
résultats socioéconomiques concrets.
Enfin, le problème de ces contraintes réunies
était l'investissement de temps et l'implication des populations pour
des activités ayant peu d'ampleur sur les réels besoins des
populations. Les diagnostics et plans de développement ne pouvaient pas
dans ce cas précis avoir un impact réel direct sur les besoins et
problèmes les plus importants des populations : le manque d'accès
à l'eau potable et à l'électricité qui constituent
un réel handicap dans deux des
14 Notion de J-P Olivier de Sardan, in
OLIVIER DE SARDAN J-P, 1995, « La politique du terrain Sur la
production des données en anthropologie », Enquête,
numéro 1 Les terrains de l'enquête : pp.71-109
32
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
communautés, et l'accaparement des terres qui concerne
les trois groupes. Nous pouvons espérer que les diagnostics et les plans
de développement auront un impact sur ces problèmes sur le long
terme s'ils sont assez diffusés à plusieurs niveaux
institutionnels. Pour le moment les documents sont connus seulement de l'ONG,
des associations communautaires concernées et de la
fédération COACAP. Les membres des associations sont bien
conscients que ces documents écrits sont une des seules façons
pour elles de communiquer avec les institutions capables de leur fournir un
appui concernant les projets de ce type. C'est pourquoi dans les diagnostics,
une partie a été consacrée aux possibilités de
projets futurs, et dans les plans de développement, une partie a
été consacrée aux acteurs potentiels collaborateurs en
fonction des thèmes de développement, afin faciliter leur mise en
relation. Nous approfondirons le sujet de la communication dans la partie
suivante de ce mémoire.
Il a donc fallu adapter les besoins exprimés aux
différentes contraintes, en exploitant cette possibilité
d'étude.
Dans cette première partie du mémoire, nous
avons pris connaissance du contexte du projet de production de cacao entre les
trois associations communautaires et l'ONG ProPetén. En ayant une
représentation plus claire des acteurs de ce projet, de leurs relations
et de leurs objectifs, nous avons compris dans quel processus s'insérait
mon stage et ma place d'anthopologue, ainsi que les contraintes de
départ qui limitaient les possibilités pour le diagnostic.
Maintenant, nous allons dans la partie suivante nous
intéresser aux résultats et aux rôles des documents de
diagnostics et de plans de développement. Puis, nous discernerons les
différentes capacités des associations par rapport au
développement durable de leur communauté.
33
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Deuxième Partie : Les associations paysannes comme
condition nécessaire au développement communautaire
durable
Les associations paysannes paraissent avoir un rôle
nécessaire pour le développement durable local. Tout d'abord,
leur place au niveau communautaire et leur fonction de médiation avec
l'extérieur sont essentielles. Nous nous intéresserons d'abord
à mieux comprendre la nature de ces associations et leur récente
multiplication dans la région. Puis, nous analyserons les
possibilités que ces associations disposent pour contribuer à
l'amélioration des conditions de vie des populations locales.
2-1 Les associations paysannes
2-1-1 Eléments de
définition
L'organisation des paysans n'est pas un
phénomène récent dans les zones rurales de tout pays. Sous
sa forme traditionnelle, comme les groupes d'entraide pour les travaux
agricoles, elle reste encore en vigueur dans la plupart des
sociétés rurales. Quant à l'organisation des paysans sous
une forme moderne, telles que les coopératives, elle a été
introduite pendant la période coloniale. Depuis les
indépendances, d'autres types d'organisations sont apparus sous des
appellations diverses.
Dans le domaine du développement aujourd'hui, on entend
fréquemment parler d'Organisations Paysannes (OP),
d'Organisations Paysannes et Rurales (OPR), de groupements ou
associations villageoises. Ces acteurs sont d'une grande
diversité, parfois formels ou informels et de plus ou moins grande
taille. Ils sont considérés comme des acteurs clés par les
organismes de développement, surtout lorsqu'il s'agit de projets de
développement rural. Ils sont perçus par l'ONG ProPetén
comme le lieu d'expression des intérêts des paysans et comme le
moyen d'atteindre les objectifs qu'ils se fixent.
C'est finalement une notion assez vague qui regroupe une
variété de cas étonnante. Certains auteurs ont
néanmoins donné des définitions rassemblant ce type de
groupement :
Selon D. Pesched15, les OP ou OPR (Organisations
Paysannes et Rurales) sont « des acteurs sociaux complexes,
insérés dans un univers culturel, social et politique
donné et soumis à des
15 DIAGNE D. et PESCHED. (dir.), 1995, Les
organisations paysannes et rurales. Des acteurs du développement en
Afrique sub-saharienne, GAO, Paris: 82 p.
34
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
influences nombreuses (locales mais aussi externes
à travers les processus de désengagement des États, la
globalisation,...) » (Pesched, 1995).
Si chaque groupement est inséré dans un tel
contexte, il paraît difficile de faire une typologie ou une
classification générale sans produire des
contre-réalités.
D. Rahmaton, lui, définit l'organisation paysanne comme
étant une « structure formelle ou informelle à laquelle
prennent part paysans et paysannes et dont l'objectif majeur est la poursuite
d'avantages communs qu'ils obtiennent contre des obligations communes
» (D. Rahmaton, 1991 in Daniel Thieba,
1992)16.
Une troisième définition de Mercoiret, Pesche et
Bosc17 décrit ces organisations comme « des
structures d'intermédiation qui se construisent à l'interface
entre les sociétés rurales et leur environnement ; elles ont pour
but de régler les relations entre les agriculteurs et les acteurs
économiques, institutionnels et politiques extérieurs. Les OPR
s'efforcent d'une part, d'accompagner les changements qui s'opèrent, et
d'autre part, de négocier les conditions (générales et
particulières) pour que les ruraux abordent les changements et
recompositions de leurs activités dans des conditions favorables :
nature et rythme des changements, mesures d'accompagnement, etc. »
(Mercoiret, Pesche, Bosc : 2006).
2-1-2 Une grande diversité
Ces définitions générales dissimulent une
large diversité de cas. Nous pourrions faire une différenciation
selon des indicateurs tel que l'origine du groupement, sa composition, sa
taille, sa fonction, ou encore son mode de fonctionnement.
L'origine des groupements peut permettre de mieux distinguer
leurs intentions : ces groupes peuvent être suscités de
l'extérieur (il faut alors tenir compte du type d'acteur qui les a
formés), ou d'initiatives locales. Comme j'ai pu l'observer, les
populations peuvent aussi prendre l'initiative de s'organiser en apprenant la
présence d'acteurs intervenant pour réaliser un projet de
développement. Dans ce cas, la création d'associations
s'apparente à une réponse à un appel d'offre. Cependant,
comme l'explique bien Daouda Diagne, « On remarquera que, dans la
réalité, on a souvent une combinaison entre des facteurs internes
et des stimulants
16 THIEBA D., 1992, « Les organisations
paysannes : émergence et devenirs », Bulletin de l'APAD, n°3,
Revue Apad (ed.) : 4 p.
17 MERCOIRET M-R., PESCHE D. & BOSC P-M. 2006,
Les organisations paysannes et rurales pour un développement durable en
faveur des pauvres. Compte rendu de l'atelier de Paris France, CIRAD, Paris :
45 p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
externes, le tout est de voir quels sont les tendances
principales et les facteurs déterminants de l'émergence des
groupements. » (1995 : 13).
Dans le cas que nous étudions, les associations sont
nées d'initiatives locales, par la nécessité des migrants
de s'organiser dans leur nouveau milieu. Elles ont ensuite évolué
avec la venue de nouvelles nécessités.
Il est important de s'interroger sur la composition des
groupements : Quel type de personnes les compose ? Y trouve-t-on des
représentants de l'ensemble de la population locale ou seulement d'un
groupe bien particulier? Ces questionnements doivent permettre de faire des
hypothèses sur la cohésion sociale du groupe par rapport à
ses objectifs. Dans le cas de notre étude, les associations se composent
exclusivement de q'eqchi', très majoritairement agriculteurs, et de peu
de femmes.
Les activités que les groupements développent
permettent aussi de classifier le type d'organisation. Les associations sont
parfois spécialisées dans la production, dans la collecte, dans
la défense de droits, ou bien dans la commercialisation.
En plus de ces tendances s'ajoutent des indications plus
quantitatives, comme la taille du groupement (nombre de membres) ou ses
ressources financières (cotisations, crédits, subventions...).
Selon l'importance de ces différents indicateurs, nous
pouvons déterminer plusieurs niveaux : Les organisations de base
(communautaire), comme les trois associations communautaires du projet cacao ;
les organisations de niveau municipal; les regroupements en
fédérations plus influentes au niveau régional, national
voire international, comme la fédération COACAP présente
pendant mon stage.
On observe alors une pluralité des types de groupement.
Ces dernières décennies, de nombreuses typologies et classements
ont été créés par différentes disciplines
avec des indicateurs de ce type, pour essayer de mieux les différencier.
Cependant, les administrations, les ONG, les chercheurs etc., produisent des
classements adaptés aux questions qu'ils se posent. De ce fait, un
classement n'est pas objectif en soi et il exprime la vision et les attentes de
celui qui le bâtit par rapport à ses objectifs, qu'il convient
d'expliciter et d'analyser.
Nous voyons donc que pour saisir réellement la
très grande variété d'organisations paysannes qui existe,
nous devons passez au-delà des typologies en recueillant le sentiment
propre des groupes, en tenant compte de leur identité et de leurs
motivations.
36
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Pour clarifier notre texte et être le plus proche de la
réalité de la situation dans le cas de la région du
Petén, nous utilisons le terme d' « association paysanne »,
qui est le concept en français qui définit de manière la
plus proche le type de groupement au niveau villageois avec lequel j'ai
travaillé. Nous utiliserons aussi le terme d'« organisation
fédératrice » pour désigner l'organisation
COACAP.
2-1-3 Augmentation de la création des
groupements paysans ces dernières
décennies
Dans les villages du Petén, des groupes de paysans se
forment depuis très longtemps de manière traditionnelle. Depuis
les années 1980-1990, le nombre de groupements paysans «
formalisés », c'est-à-dire reconnus par le milieu
institutionnel, a fortement augmenté quel que soit leur taille ou leur
thème d'organisation. Plusieurs explications peuvent permettre de
comprendre ce phénomène : d'une part, cette période a
été soumise à des réorganisations et
transformations agricoles dues aux pressions du marché, auxquelles
beaucoup de ruraux se sont incorporés ou ont résisté par
le biais de ces groupements ; d'autre part, l'accroissement à cette
période de l'aide au développement au niveau international a
provoqué l'émergence de ces groupements ou renforcé ceux
qui existaient déjà. Avec la collaboration de diverses
fédérations d'organisations, la nouvelle tendance a
été de favoriser un « développement participatif
». La multiplication des offres d'aide et de services techniques des
agences étrangères auprès des O.P a donc intensifié
leur volonté d'y participer, ainsi que celle de leurs voisins. La
tendance politique au niveau international d'aide au développement
était alors une occasion pour les agriculteurs de remédier au
désengagement de l'Etat en trouvant des solutions par elles-mêmes
et par l'alliance avec des acteurs extérieurs.
Dans certains pays, comme le Guatemala, un des nouveaux
facteurs d'organisation est la gestion des ressources naturelles par les
villageois. La multiplication et le développement des groupements
doivent alors être replacés dans un contexte de changements
profonds qui affectent les pays du sud depuis une vingtaine d'années.
C'est aussi une réponse pragmatique à la diversité des
problèmes à gérer par les communautés.
Nous partons du constat que les groupements paysans se
créent en fonction des divers besoins ressentis et des tendances
extérieures. Nous pouvons alors penser que d'une part, les besoins qui
ont incité à créer les groupements sont toujours
présents, même s'ils peuvent avoir évolué et se sont
multipliés. Par exemple, les besoins matériels et
économiques étaient ressentis au début de la
création des trois associations de notre étude, mais ils se sont
démultipliés depuis. D'autre part, les résultats positifs
obtenus pendant ces années par les
37
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
anciens groupements paysans ont engendré la
multiplication d'autres groupements, par la diffusion
générationnelle et territoriale (les communautés
voisines).
Selon l'anthropologue Jean-Pierre Jacob18, la
multiplication des organisations paysannes qui survient au sein d'une
même zone géographique, voire d'un même village, permettrait
une meilleure adaptation à la réalité sociale et
culturelle. En s'appuyant sur les travaux de Jacky Bouju à propos du
pays mossi (1991 : 69), il démontre que
l'hétérogénéité socio-culturelle d'une zone
géographique précise est la raison pour laquelle plusieurs
organisations internes se créent afin de répondre à des
attentes spécifiques de chaque sous-groupe. La multiplication des
associations n'est donc pas seulement quantitative mais aussi qualitative. Dans
le cas des villages du projet cacao, des associations de femmes et de religieux
se sont ajoutées aux associations d'agriculteurs.
2-1-4 Le développement communautaire : une
notion à clarifier
L'intérêt pour la dimension communautaire du
développement insiste sur les microprocessus de changement et sur la
valorisation des ressources endogènes. C'est un type de
développement qui prône la recherche de solutions adaptées
aux problèmes particuliers dans une zone spécifique. Il tient
compte des données écologiques et culturelles et des
nécessités immédiates et à long terme. Cette
démarche requiert donc une approche anthropologique et une vision
holiste des problèmes.
Cependant, ce qui est communément appelé «
communauté », « développement communautaire », ou
encore « action communautaire » dans le discours du
développement regroupe un grand nombre de contextes et de besoins
variés. Dans le cadre de notre étude, le terme «
communauté » permet de définir à la fois un lieu
commun et un groupe de personnes qui partagent un certain nombre
d'éléments tels que la langue, les traditions, ou les valeurs. En
revanche, dans les « communautés » que j'ai
étudiées, il y avait une séparation claire entre deux
groupes qui sont les indigènes q'eqchi' et les ladinos. La
proximité des personnes n'implique donc pas leur ressemblance. Par
contre, leur identité communautaire était clairement
exprimée : lorsque je demandais à un q'eqchi' ou à un
ladino d'où il venait et à quel endroit il se sentait
plutôt identifié entre petenero (habitant du
Petén), San Luis/Poptun (les municipalités) ou leur
communauté, aucun n'hésitait dans sa réponse. Ils
répondaient tous qu'ils se sentaient d'abord appartenir à la
communauté et ensuite à la région. Leur
18 In JACOB J?P., 1992, «
Quelques réflexions sur la multiplicité des intervenants
externes et la multiplication des organisations paysannes (op) au Burkina
Faso.», Bulletin de l'APAD, n°3, Revue Apad (ed.) : 5 p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
appartenance à un même groupe uni pouvait aussi
se remarquer à certaines occasions de confrontation avec d'autres
groupes. Par exemple, lors des matchs de football intercommunautaires, j'ai
retrouvé cette identité de groupe et cette unité face aux
autres.
Il serait alors, contenu de ces différences et
hétérogénéités, peut-être plus
adapté d'utiliser l'expression de développement local pour
exprimer l'idée de taille qui est finalement la plus commune aux projets
de développement dits « communautaires ».
Certains auteurs (Chauveau, 199119 ; Bernardi,
1987) ont vivement critiqué le développement communautaire, en
lui attribuant une fonction de « stimulation de besoins ».
Par exemple, Bernardi, dans Le développement participatif, a
évoqué que « l'importance attribuée au
thème du développement communautaire reflétait
l'intérêt des administrations coloniales à l'égard
des populations locales, qui se traduisait par une action visant à
susciter au sein des communautés autochtones « la conscience et le
besoin de développement ». Le principe du développement
communautaire se fondait sur une « perception erronée de sentiment
communautaire local. ». (Bernardi, 1987 : 348-9)20.
Pourtant, je ne suis pas de cet avis pour le cas du Guatemala.
Effectivement, je peux comprendre, dans des cas rares où les
communautés sont isolées du reste de la société et
qui sont établies depuis des générations, sur des terres
suffisamment fertiles et de taille suffisante pour la subsistance de ses
membres, que cela soit possible. C'était peut-être le cas à
l'époque où l'auteur a écrit cette critique. Mais au jour
d'aujourd'hui, au Guatemala, même les communautés les plus
isolées ont forcément un contact avec l'extérieur. De
plus, la pression agraire est telle qu'on ne peut pas dire que le
développement communautaire soit une volonté de provocation d'un
besoin inexistant et même si c'était le cas, la volonté de
stimuler un tel sentiment ou besoin ne revient pas à dire qu'il n'existe
pas.
2-2-5 Le Développement durable
: élément intrinsèque de la
culture Maya Q'eqchi' ? Les maya q'eqchi' sont reconnus pour
être le groupe maya du territoire ethnique le plus étendu, ayant
des croyances spirituelles qui se rapportent essentiellement aux
éléments naturels, et une connaissance de centaines
d'années antérieures sur la gestion des ressources naturelles
dans les tropiques humides. Ils ont depuis toujours cultivé une riche
agriculture de type mésoaméricain, basée sur une culture
communautaire ritualisée, qui leur facilite
19CHAUVEAU J-P., 1991, Enquête sur la
récurrence du thème de la « participation paysanne »
dans le discours et les pratiques de développement rural depuis la
colonisation (Afrique de l'Ouest). In Bonnefond Philippe (ed.). Modèles
de développement et économies réelles. Chroniques du Sud,
IRD, Montpellier : p. 129-150.
20 Cité p.51 In TOMMASOLI M., 2001,
Le développement participatif. Analyse sociale et logique de
planification. Karthala, Paris : 265 p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
l'application de stratégies au service du bien commun :
depuis la colonisation, ils sont en situation défavorable et victimes de
discrimination ethnique.
Dans la cosmologie maya, une des représentations les plus
importantes, et utilisée dans presque chaque cérémonie est
le symbole des quatre points cardinaux :
Ce schéma, symbolisé par des bougies et/ou
fleurs de couleur pendant les cérémonies, est
une représentation physique de
l'énergie
spirituelle maya. Le cercle est divisé en quatre
parties qui représentent les quatre points cardinaux. Chaque couleur
représente à la fois : Un élément naturel (Feu,
Eau, Terre, et Air), les quatre niveaux de l'existence (Spirituel, Emotionnel,
Physique, et Mental), un élément du corps humain (le blanc :
dents ; le rouge : sang ; le jaune : peau ; le noir : cheveux) et une
variété de maïs (maïs blanc, maïs rouge, maïs
jaune et maïs noir). A l'intérieur du cercle, le bleu correspond au
ciel et le vert à la végétation.
Dans cette représentation du monde du point de vue des
Maya, chaque partie du corps humain est reliée aux autres
éléments de la nature. Toutes les parties de cette
représentation holistique sont reliées entre elles et
interdépendantes. Cette conception pousse à construire et
maintenir le « tuqtukilal », qui signifie « vivre en
paix », ou « vivre en équilibre » en q'eqchi'. Ces
valeurs et représentations sont toujours présentes aujourd'hui
dans les villages q'eqchi'.
Nous pouvons nous rapporter à l'analyse de Mary Douglas
sur la notion de pollution, dans son ouvrage Purity and danger: An analysis
of concept of pollution and taboo (1966) :
« Les notions de pollution s'insèrent dans la
vie sociale sur deux plans, l'un fonctionnel, l'autre expressif. Dans le
premier cas, qui est aussi le plus évident, des individus cherchent
à influencer le comportement de leurs semblables. Les croyances
renforcent les contraintes sociales. [...] quand on étudie de
près ces croyances, on découvre que les contacts
considérés comme dangereux portent aussi leur charge de symboles.
C'est sur plan, plus intéressant, que les notions de pollution sont
liées à la vie sociale. Je crois que certaines pollutions
servent d'analogies pour exprimer une idée générale de
l'ordre social. [...] Il vaudrait mieux les interpréter
comme l'expression symbolique des relations entre différents
éléments de la
40
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
société, comme le reflet d'une
organisation hiérarchique ou symétrique qui vaut pour l'ensemble
de la société » (Douglas, 1966, p.25).
Ces dernières décennies, l'idéal
harmonieux de l'homme lié à la nature de la cosmologie maya a
été lourdement perturbé par de nouvelles
réalités, soumises aux d'obligations matérielles, aux
pressions diverses des autres groupes sociaux et à l'arrivée de
nouvelles religions.
De plus, cette population q'eqchi' a vécu
différents niveaux de changements, parfois radicaux, comme la
période de travail dans les grandes fermes dans les années 1960,
puis la migration vers ces nouvelles terres comme évoqué
précédemment. Ces bouleversements dans l'histoire des q'eqchi'
ont rajouté des difficultés, comme la perte de quelques
connaissances et savoirs locaux pour cultiver les terres de manière
durable, ou pour se soigner grâce aux plantes. Selon l'analyse de M.
Douglas, ce serait alors non pas seulement une perturbation de la croyance
symbolique liée à la nature, mais l'organisation sociale dans son
ensemble qui serait ébranlée.
Par rapport au phénomène migratoire, une
étude d'un groupe de chercheurs ayant travaillé sur la
région du Petén est très intéressante. Elle montre
que l'attitude de conservation des ressources naturelles n'est pas seulement
liée à la culture et à la cosmologie des groupes, mais
aussi au temps de résidence dans un endroit. En effet, cette analyse
démontre que plus le temps de résidence des populations dans un
même endroit est long, plus il y a de possibilités qu'elles
adopteront des pratiques et attitudes compatibles avec la conservation des
ressources naturelles (Grandia L., Schwartz N., Obando O., 2001 :
921 ; Obando Samos O., Grandia L. & Schwartz N.,
201022). Même si cette hypothèse n'a pas tenu compte
des différences générationnelles, elle n'en est pas moins
significative. L'attachement à la terre serait donc un des points les
plus importants pour une bonne gestion des ressources. En cela,
l'insécurité foncière est un obstacle majeur au
développement durable de la région, car comme nous le verrons
dans les résultats obtenus des diagnostics, c'est un des
problèmes les plus cruciaux aujourd'hui pour ces communautés.
2-2 Les résultats obtenus des diagnostics et des
plans de développement
A la fin de la collecte de données sur le terrain, j'ai
pu écrire les documents de diagnostics et plans de
développement.
21 OBANDO S., GRANDIA L. & SCHWARTZ N., 2001,
Salud, Migración y Recursos Naturales en Petén. INE
(Instituto Nacional de Estadistica), Guatemala: 170 p.
22 Obando Samos O., Grandia L. & Schwartz N.,
2010, Tierra, Migración y Vida en Petén, 1999-2009. Instituto de
Estudios Agrarios y Rurales, Guatemala: 106 p.
41
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Les diagnostics se composent d'une partie concernant les
données générales sur les aspects géographiques,
socioculturels (histoire, population, culture, accès aux services,
activités, ressources, activités et disponibilités par
genre), institutionnels et politiques des communautés. La
deuxième partie des diagnostics concerne l'analyse des principaux
problèmes ressentis, les faiblesses, obstacles, forces et
opportunités des communautés, ainsi que la priorisation des
problèmes et la formulation de recommandations.
Nous allons examiner quelques-uns de ces résultats pour
mieux comprendre le rôle des associations dans des contextes comme
celui-ci.
Premièrement nous allons présenter quelques
données générales qui aident à comprendre les
difficultés et atouts des communautés, puis nous
présenterons les solutions envisagées lors des diagnostics.
2-2-1 Données générales
influençant sur le développement local durable
En plus du contexte historique dont nous avons parlé
dans la première partie, lors de mon séjour sur le terrain, j'ai
remarqué certaines conjonctures actuelles qui peuvent pour certaines
aider à un essor pour le développement durable local, mais pour
d'autres freiner les initiatives. En voici quelques-unes :
- La géographie et les transports:
La situation géographique des communautés a un
impact sur leurs possibilités de développement. En effet, la
communauté la Compuerta est la plus proche de la frontière avec
le Belize et de la Reserve de la Biosphère Montañas
Mayas-Chiquibul (à 5 km). C'est alors cette communauté qui
est la plus touchée par les pluies torrentielles venant des
Caraïbes. C'est aussi sa population qui est la plus habituée
à la migration temporaire au Belize pendant les mois creux de
l'agriculture (juillet/août), et qui se risque à traverser la
frontière et à cultiver dans l'aire protégée sans
autorisations, comme nous le verrons dans la troisième partie.
Cette communauté bénéficie cependant d'un
avantage géographique important qui est sa proximité avec les
grottes naturelles de Naj Tunich où peuvent s'observer des
peintures mayas de l'époque classique, un attrait touristique encore peu
exploité.
Quant à la situation géographique par rapport
aux villes, les communautés de la Compuerta et de Poité Centro se
situent à une distance de 38 et 35 km de la municipalité de la
région, alors
42
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
que San Lucas Aguacate est à 20 km de celle-ci et
à peine 8 km de la ville de Chacté, où se trouve un
certain nombre d'infrastructures (école secondaire, centre de
santé, magasins, marchés). Cette situation géographique,
ajoutée au manque de transports publics et à la route
dégradée ont une incidence néfaste sur les deux
premières communautés. Elles n'ont pas la possibilité
d'échanges réguliers avec la ville, pour commercialiser leurs
produits agricoles et pour scolariser leurs enfants. Le taux de scolarisation
se réduit en effet significativement après l'école
primaire contre la volonté des familles, car elles doivent trouver une
solution de logement en ville pour leurs enfants.
- L'aspect socioculturel :
Certains aspects culturels venant de l'extérieur sont
des facteurs de changement culturel interne.
Premièrement, au niveau religieux, quand les
communautés se sont installées, elles ont rapidement
été rejointes par l'Eglise catholique, puis par l'Eglise
évangélique. Cette dernière a connu une croissance
très importante et rapide en quelques années dans toute
l'Amérique Centrale. Ce phénomène est appelée la
« révolution pentecôtiste ». Le Guatemala est l'un des
pays où cette croissance a été la plus forte : aujourd'hui
40% de sa population est évangélique. Même si dans les
trois communautés, l'Eglise catholique rassemble encore la
majorité des habitants, l'évangélique regroupe de plus en
plus de fidèles. Cet aspect est important à signaler, car les
deux Eglises n'ont pas les mêmes impacts sur la culture locale. En effet,
l'Eglise évangélique considère comme péché
les rites et pratiques mayas, ce qui inquiète les guides spirituels. On
voit par cela une acculturation progressive et celle-ci pose problème
selon les trois associations, pour qui l'une des orientations principales est
la conservation de la culture Maya Q'eqchi'. Plusieurs personnes, dans les
trois communautés, m'ont évoqué ce problème. Un
jour, un des membres de la communauté de San Lucas Aguacate m'a
raconté que les églises évangéliques ne
permettaient pas un certain nombre de rituels mayas que les églises
catholiques autorisent. Par exemple, les cérémonies mayas
où les bougies sont utilisées, ainsi que les instruments
traditionnels comme le marimba et le tambour, sont formellement interdites dans
les églises évangéliques. Lors des messes
évangéliques, ces cérémonies sont
dévalorisées et qualifiées de brujerias
(sorcelleries). Pourtant, ces églises évangéliques
sont beaucoup plus actives que les églises catholiques dans la
communauté. Elles organisent plus de messes, leurs
cérémonies sont plus « festives », elles aident parfois
les familles les plus nécessiteuses et organisent des
évènements communautaires. En plus, ces églises s'adaptent
plus facilement aux populations, en effectuant les messes en langue
43
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
q'eqchi' par exemple. Pour ces raisons, elles attirent de plus
en plus de monde, car elles constituent pratiquement les seuls soutiens et
diversions des familles. Chaque soir, dans la famille où je logeais,
comme il n'y avait pas d'électricité et que la nuit tombait
à partir de 17h00, les enfants chantaient et dansaient les chants qu'ils
avaient appris lors des messes pour s'occuper. Ils les connaissaient tous par
coeur, et avaient hâte d'aller en apprendre de nouveaux le dimanche
suivant lors de la grande messe de l'église évangélique.
Même si cette église est perçue par les guides spirituels
mayas et les autres pratiquants mayas comme un danger pour la culture maya,
elle attire de plus en plus de fidèles par ses activités, qui
répondent aux besoins des villageois. Cette situation est
compliquée et l'association locale cherche encore des solutions à
ce problème.
Le problème plus général de la «
perte de la culture maya » concerne notamment les jeunes. Selon les
villageois, les jeunes changent de plus en plus de comportement par rapport aux
codes culturels visibles liés à cette culture : Les filles
portent de moins en moins la tenue traditionnelle, les enfants échangent
entre eux en utilisant beaucoup de mots en espagnol, particulièrement
dans les communautés les plus proches des villes : Poité Centro
et San Lucas Aguacate. Influencés par les médias et par les
modèles identitaires des villes voisines, les jeunes
s'intéressent moins aux cérémonies mayas et aux traditions
telles que la musique ou danses traditionnelles lors des fêtes
communautaires (marimba, tambour). Ces pertes d'intérêt de la part
des jeunes inquiète beaucoup les adultes.
Par rapport à l'éducation, dans les trois
communautés, l'enseignement à l'école se fait en langue
espagnole par des professeurs ladinos venant des villes municipales de
San Luis et Poptún. Les seules activités en q'eqchi' à
l'école sont des activités bibliques.
Dans les trois communautés, la majorité des
adultes sont analphabètes, mais la génération ayant pu
apprendre à lire et à écrire à l'école
arrive actuellement dans le monde adulte, ce qui va limiter ce problème
dans les prochaines années.
- Services :
L'accès plus ou moins limité aux services a une
incidence sur les possibilités de développement local :
Concernant la santé, aucune des trois
communautés n'a accès à un centre de santé, la
population doit se déplacer jusqu'aux villes pour pouvoir être
soignée. Les savoirs locaux de médecine dite «
traditionnelle » se sont beaucoup perdus ces dernières
années, la population a davantage recours à la médecine
« moderne ».
44
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Au niveau sanitaire, dans les communautés, comme dans
presque toutes les zones rurales au Guatemala, il n'y a pas de service de
collecte des déchets et l'habitude est de les brûler. Le souci
pour le développement durable aujourd'hui est l'augmentation des
déchets non-organiques (plastiques, emballages, bouteilles...) qui
polluent les cultures et l'eau des rivières. Certaines personnes
revendent les bouteilles et canettes en ville à des
récupérateurs pour le recyclage, mais la distance est une limite
considérable dans les deux communautés plus
éloignées.
Alors qu'à Poité Centro, depuis une dizaine
d'années, l'eau est acheminée par un système de pompage
jusqu'aux maisons, à la Compuerta et à San Lucas Aguacate, il n'y
a pas d'accès à l'eau potable. Pour avoir de l'eau, les femmes
doivent ramener des jattes remplies d'eau de la rivière ou des puits en
faisant trois ou quatre aller-retour par jour, pour la consommation
alimentaire, l'hygiène, et la lessive. De plus, les puits de la
Compuerta et une des rivières de San Lucas Aguacate s'assèchent
pendant la saison chaude (de janvier à mars). A cette période de
l'année, les femmes doivent attendre durant des heures aux puits pour
obtenir quelques litres d'eau. A San Lucas Aguacate, elles doivent marcher
jusqu'à la plus grosse rivière qui se trouve à une
demi-heure de marche. Cette indisponibilité de l'eau représente
une grande vulnérabilité pour la population et une perte de temps
considérable pour les femmes qui sont chargées de cette
corvée.
Le problème est semblable en ce qui concerne
l'accès à l'électricité: Les communautés
Poité Centro et San Lucas Aguacate y ont accès partiellement,
alors que La Compuerta en est dépourvue. Cela rétrécit les
journées : les familles voudraient pouvoir être actives le soir,
mais à partir de 17h00, l'obscurité s'installe et les oblige
à rester chez elles avec des bougies.
Enfin, les services de transport sont différents pour
chaque communauté: Alors qu'à San Lucas Aguacate, des bus pour la
ville de Chacté et la municipalité passent tous les quarts
d'heure, à Poité Centro, cette fréquence est de cinq fois
par jour, et à la Compuerta, à un seul aller-retour par jour le
matin à 6h00 et l'après-midi à 16h00. Cette rareté
de passage des transports publics isole fortement ces communautés et les
rend plus vulnérables économiquement.
- Les ressources économiques :
Pour les habitants des trois communautés, la ressource
principale est la terre. Elle leur est vitale car elle leur permet une
autosuffisance alimentaire et économique, grâce aux deux cultures
principales, le maïs et le frijol (variété
d'haricot noir). Les familles sont propriétaires de parcelles qu'elles
se partagent, ou louent à d'autres familles qui en ont moins. La
culture
45
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
d'une manzana23 de maïs constitue la
superficie minimum pour assurer l'autosuffisance alimentaire d'une famille. Les
semis de frijol s'étendent sur un peu moins de surface.
Toutefois, cette autosuffisance est limitée et menacée par
l'insécurité foncière depuis une dizaine d'années,
à cause de la croissance démographique et de la venue des
finqueros et ganaderos (grands fermiers et éleveurs
bovins) qui rachètent les terres massivement à la population
locale, agrandissent leur territoire et créent une pression de vente.
Nous expliquerons ce conflit devenu cercle vicieux dans la dernière
partie du mémoire. L'autosuffisance alimentaire et économique est
aussi menacée par l'appauvrissement de la terre, du fait de la
surutilisation des pesticides et engrais chimiques par ces mêmes
finqueros mais aussi par la population q'eqchi', qui en est de plus en
plus dépendante.
Pour finir, chaque année, la majorité des
agriculteurs sèment deux fois par an des plantations de maïs et
deux ou trois fois des plantations de frijol. Pour ces cultures, il
leur est nécessaire d'investir dans l'achat des graines, pendant les
périodes les plus critiques économiquement (janvier-mars et
juillet-septembre24). Les banques, qui auparavant autorisaient des
crédits pour le maïs, ne le permettent plus, et très peu
pour le frijol (pas plus de 1 600 Quetzales = 157 euros). Ces crédits ne
sont plus suffisants pour investir dans les grains et l'achat de
matériel nécessaire pour commencer les semis en bonne
quantité et qualité. Cette diminution des crédits accentue
les difficultés des agriculteurs, car même s'ils associent
d'autres cultures en petite quantité pour palier à cela, telles
que différentes variétés de tubercules (yuca, camote,
macal), la cardamome, le cacao, la banane et le piment, ainsi que
l'élevage traditionnel de quelques poules, cochons, et canards, la
sécurité alimentaire se trouve parfois menacée. Un jour,
un agriculteur m'a dit qu'il était parfois obligé de vendre
toutes ses récoltes, même celles destinées à leur
consommation familiale, simplement pour pouvoir acheter les graines des
prochaines cultures. Quand ses réserves de nourriture étaient
épuisées, il devait racheter du maïs et des haricots presque
deux fois le prix auquel il les avait vendus. Ces pratiques illogiques montrent
bien à quel point les agriculteurs sont pris de court
financièrement dans les périodes creuses, ce qui les pousse dans
des cas extrêmes à la vente de terre et à la migration.
- L'aspect institutionnel :
Grâce à l'utilisation du Diagramme de Venn, nous
avons pu identifier toutes les organisations qui existent dans le village, ce
qu'elles font et les relations qui les lient entre elles. Nous avons
23 Unité de mesure très
utilisée dans les pays d'Amérique Centrale : 1 manzana est
équivalente à environ 0,7 hectares (6,961 m2 ).
24 Voir Annexe 2 : Calendrier des activités
agricoles
46
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
également recensé les organisations d'appui qui
travaillent avec les organisations villageoises. Dans chacune des trois
communautés, il existe entre 10 et 12 groupes internes actifs plus ou
moins influents. Les plus représentés au niveau municipal sont
les Conseils Communautaires de Développement (COCODES) qui sont des
entités publiques ayant des représentants dans chaque
localité reconnue publiquement. Ces structures au niveau des
communautés ont été créées par le
gouvernement afin d'impulser la participation des populations dans la
planification du développement et dans la gestion publique au niveau
local. Ce sont les groupes communautaires les plus formées à cet
égard. Elles forment alors le premier niveau du réseau de
conseils de développement qui fonctionne au niveau communautaire,
municipal, départemental, régional, et national. Cependant, elles
incluent très peu de membres, ce qui empêche une réelle
participation.
Le deuxième groupe le plus actif au sein des trois
communautés, sont les associations avec qui collabore l'ONG
ProPetén et d'autres institutions extérieures.
Ensuite, d'autres groupes importants se suivent tels que les
groupes de guides spirituels mayas et de majordomes de l'Eglise en
troisième lieu, puis des groupes promoteurs de santé, des groupes
de femmes artisanes et défenseuses des droits des femmes
indigènes et de la promotion de la santé dans la
communauté San Lucas Aguacate, puis les groupes de musique
traditionnelle, et le comité de tourisme à la Compuerta.
Il faut savoir que ces groupes internes ne sont pas
isolés les uns des autres, et que des membres d'un groupe peut
appartenir à d'autres groupes en même temps. Par exemple, la
majorité des membres du groupe des guides spirituels mayas font aussi
partie des associations d'agriculteurs du projet de cacao.
Les principales institutions externes décrites dans les
diagrammes de Venn sont communes aux trois communautés, sauf deux
d'entre elles : une ONG dédiée au tourisme qui a travaillé
uniquement avec la Compuerta pour le développement d'activités
touristiques autour des grottes et la municipalité. Alors que la
Compuerta appartient juridiquement à la municipalité de
Poptún, Poité Centro et San Lucas Aguacate appartiennent à
celle de San Luis.
Au total, environ sept institutions publiques ou
privées sont connues et reconnues par les membres des communautés
pour être des partenaires réguliers ayant travaillé avec
eux sur divers projets d'agriculture, d'élevage, ou des projets
culturels. Cette variété de projets et de partenariat externe a
permis aux communautés et aux associations locales d'acquérir peu
à peu de l'expérience, ce qui a été propice
à l'autoévaluation dans les diagnostics participatifs. Certaines
de ces expériences ont néanmoins été
décevantes, à cause de disfonctionnements internes ou externes
:
47
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
A la Compuerta, une des expériences de collaboration
avec une institution extérieure qui a marqué les membres de
l'association fut un projet d'élevage bovin : chaque famille avait
reçu quelques vaches, mais ce projet s'est terminé rapidement et
sans avantages durables. En effet, le manque de formation sur l'élevage
bovin, ainsi que le manque d'organisation et de planification collective ont
selon eux été les causes de cet échec. Au lieu
d'élever les animaux et vendre les boeufs de manière à
obtenir un apport économique durable, les familles les ont finalement
revendus au bout d'un an. De plus, les avantages économiques de ces
ventes n'ont pas été partagés avec le groupe, car chaque
famille a gardé ses économies, ce que n'a pas pu servir à
relancer un nouveau projet. Cette expérience représente pour les
agriculteurs un échec qu'il ne faut plus reproduire. Grâce au
renforcement de leur association, ils veulent maintenant développer des
projets durables.
A Poité Centro, les mêmes défauts et
remises en question sont ressortis à travers l'étude de
diagnostic, avec la prise de recul sur l'expérience d'un projet de
potager organisé avec un des groupes de femmes, l'association Ixkik. Par
manque d'organisation et de planification, le projet a été
abandonné au bout de quatre ans.
Enfin, à San Lucas Aguacate, l'expérience
décevante la plus marquante a été celle de la construction
du temple maya « casa asociación », un projet de
construction d'une maison à trois étages entièrement
dédiée aux différentes activités « futures
» prévues par l'association. Ce grand projet avait pour objectif de
réserver une salle par activité : au premier étage une
petite bibliothèque pour les enfants du village, une salle
d'apprentissage de la dactylographie avec des machines à écrire,
une boutique, une pharmacie, une salle de cérémonie maya ; au
deuxième étage des ateliers pour l'apprentissage de la culture
maya pour les enfants ; et au troisième étage une salle des
fêtes pour les villageois.
Cependant, ce projet a également été un
échec: L'entreprise de construction employée par l'ONG
Fodigua partenaire de l'association locale n'a pas honoré son
contrat, pour une raison de corruption interne selon les dires. Ayant
commencé les travaux, ils ne les ont pas terminés et se sont
arrêtés au deuxième étage comme nous pouvons le
constater sur ces photos :
48
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Pour cette raison, une grande partie des membres de
l'association locale s'est retirée, déçue par
l'échec de ce projet dont les associés attendaient beaucoup.
Depuis, ceux qui sont encore présents (26 associés) essayent de
trouver des solutions jusqu'à ce jour pour pouvoir terminer cette
construction.
Ces expériences de collaboration avec d'autres acteurs
ont permis aux groupes locaux de prendre du recul et d'analyser les
difficultés et les causes de celles-ci.
Ces données générales obtenues par le
diagnostic sont à la fois objectives dans le sens où les
données sont réellement existantes, mais elles ont aussi une part
de subjectivité selon l'importance que les populations donnent à
chacun de ces aspects, considérés tantôt comme
problèmes, risques, limites ou opportunités. Cette importance
apparaît à travers l'écriture du diagnostic, pour
décrire la réalité telle qu'elle est vécue et
perçue. C'est pour cette raison que cette « banque de
données » doit être réactualisée en permanence
par les associations.
Les risques sont ressentis par une construction sociale de
chaque problème. Selon Mary Douglas (1966)25, les attitudes
des populations face aux risques s'appuient sur deux dimensions de toute
organisation sociale : d'une part le degré de structure interne du
groupe (plus ou moins hiérarchisé), et d'autre part, les
frontières qui séparent le groupe du reste de la
société. La culture q'eqchi' étant minoritairement
représentée et en situation d'exclusion par rapport à la
société globale guatémaltèque, la frontière
sociale qui sépare ces communautés du reste de la
société est très marquée. Cela modifie
considérablement la perception interne de chaque problème, et les
façons envisagées de les gérer.
Une des illustrations pouvant être intéressante
à ce propos est le risque exprimé de la perte de la culture maya
que nous avons évoquée. Alors qu'au niveau international, ce
problème est décrit comme une perte de la «
diversité culturelle », la réalité locale
est perçue de manière totalement différente. La perte de
la culture correspond pour ces populations à une perte d'une grande
partie de leur identité, de leurs repères, de leur unité,
etc...
La culture se construit et se reconstruit sur une longue
période, et un certain nombre de comportements culturels sont des appuis
considérables dans la gestion des imprévus. Par exemple,
lorsqu'elles sont confrontées à l'adversité, les
communautés Q'eqchi' ont l'habitude
25 In CALVEZ M., 2006, «
L'analyse culturelle de Mary Douglas : une contribution à la
sociologie des institutions », in SociologieS, Théories et
recherches : article éléctronique :
http://sociologies.revues.org/522,
consulté le 17 mars 2013.
49
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
de rassembler leurs guides spirituels mayas pour trouver des
solutions adaptées. Le problème de la perte de la culture et de
la division générationnelle empêcherait une
cohérence de ces stratégies et moyens ancrés depuis
longtemps pour la gestion des changements, ce qui amplifierait leur
vulnérabilité et leurs incertitudes vis-à-vis du futur.
La perception sociale des risques et de la gestion de ceux-ci
sont alors fondamentales dans l'étude de diagnostic que nous avons fait.
C'est en cela que l'ordre de priorité a été
différent, même pour ces trois communautés pourtant proches
géographiquement et culturellement :
Liste des axes prioritaires de travail des trois
communautés :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Axe prioritaire de
travail/Communauté
|
La Compuerta
|
Poité Centro
|
|
1
|
L'organisation
communautaire
|
L'organisation
communautaire
|
L'organisation
|
2
|
La terre
|
La terre
|
|
San Lucas Aguacate
communautaire
La culture Maya Q'eqchi'
3
L'eau potable
La culture Maya Q'eqchi'
L'électricité
4
Les activités
économiques
Les activités
économiques
L'eau potable
5
L'électricité
L'électricité
L'éducation
6
La culture Maya Q'eqchi'
_
La terre
7
_
_
Les activités
économiques Dans ce tableau, nous
pouvons remarquer que pour les trois communautés, l'organisation
communautaire a été estimée comme étant le premier
axe de priorité. En effet, en faisant l'analyse des différents
problèmes, lors des réunions participatives, les débats
ont conduit à la conclusion qu'une meilleure organisation communautaire
pouvait permettre d'améliorer toutes les autres difficultés. Nous
verrons en quoi cette conclusion est plausible, dans la partie suivante.
Ensuite, nous pouvons apercevoir des décalages entre
les autres priorités comme par exemple, la place du thème de la
culture Maya Q'eqchi', qui se trouve en priorité n°6 pour la
Compuerta, alors qu'elle est considérée comme très
prioritaire en n°3 pour Poité Centro et n°2 pour San Lucas
Aguacate. Ceci est dû à la perception du risque qui n'est pas la
même du fait de la distance et du contact que ces deux dernières
communautés ont avec la ville. Elles sont beaucoup plus touchées
par le changement de comportement des jeunes, et les échanges
50
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
réguliers avec la ville leur laisse penser que cette
évolution va s'accentuer. La Compuerta, au contraire ne craint pas
beaucoup pour l'instant ce changement, qui est à peine perceptible chez
les jeunes, du fait du peu d'interactions avec la ville.
La priorité de l'éducation, invoquée dans
les axes d'action pour San Lucas Aguacate, alors qu'il ne l'est pas dans les
deux autres communautés (qui elles, privilégient l'axe
prioritaire de la terre), reflète clairement les différents
contextes : San Lucas est la communauté ayant perdu le plus de terres
depuis ces dix dernières années. Même si la population
déplore cette situation et que la terre est encore très
importante pour elle, elle compte maintenant beaucoup sur l'éducation.
En envoyant leurs enfants étudier dans la ville qui n'est pas loin, elle
espère qu'ils y trouveront un travail dans l'administration. C'est aussi
pour cela que les villageois de San Lucas Aguacate misent autant sur leur
maison associative qu'ils veulent consacrer à des projets ludiques
éducatifs pour les enfants, ainsi qu'à des cours de
dactylographie sur des machines à écrire. Par ailleurs, La
Compuerta et Poité Centro sont un peu moins touchés par la vente
de terres (même si ce risque commence à menacer
sérieusement). Les populations ont encore beaucoup d'espoir dans le
travail de la terre, et c'est aussi actuellement un des seuls choix
économiques qu'elles ont pour leur subsistance, vivant plus loin de la
ville. Cet axe de travail est donc fondamental pour elles.
Grâce à ce bilan général du
diagnostic, et cette priorisation, les communautés ont analysé
les possibilités de changements de leur situation selon leur propre
ressenti, afin de pouvoir construire leur propre idée de
développement. Nous allons maintenant vous présenter comment
l'association a conçu ces possibilités en termes de solutions.
2-2-3 Les démarches envisagées pour faire
face à la situation
En examinant les problèmes prioritaires, nous avons
étudié les démarches qui pouvaient se mettre en place
selon les moyens disponibles, pour une amélioration du contexte local,
notamment avec l'utilisation de l'outil de l'arbre à
problèmes.
Nous avons remarqué que certaines de ces
démarches étaient spécifiques à un des axes
prioritaires en particulier et que d'autres pouvaient aider à
l'amélioration de plusieurs difficultés à la fois, les
causes étant en partie semblables.
51
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Parmi ces démarches, en voici quelques-unes qui sont
spécifiques selon les axes de priorité et les communautés
:
? En ce qui concerne l'axe prioritaire de la culture Maya
Q'eqchi' : Des groupes d'artisanes étant présents dans les trois
communautés, ainsi que des groupes de musiciens (de musique
traditionnelle maya, jouant du marimba, du tambour, et de la harpe maya),
l'idée d'organiser des cours d'artisanat et de musique pour les enfants
et jeunes a été émise et approuvée par les
participants. Le but de cette initiative serait de donner plus
d'opportunités aux jeunes de mieux connaître la culture maya et de
s'y intéresser.
? Par rapport à l'axe de la terre et de
l'environnement, les villageois ont décidé de contacter une ONG
de la région spécialisée dans les fours solaires, pour
tenter leur chance avec l'aide d'un projet de ce type. En effet, les familles
des trois communautés utilisent le bois de la forêt pour cuisiner
tous les jours. La solution des fours solaires serait idéale pour
limiter la déforestation et pour gagner du temps car les hommes doivent
aller de plus en plus loin pour se procurer du bois.
? Au niveau des activités économiques, la
communauté de la Compuerta a décidé de s'impliquer
davantage dans les activités touristiques liées à la
visite des grottes. L'association veut s'allier au comité de tourisme de
la communauté déjà existant, pour contacter des agences de
tourisme dans l'intention de commencer ce type d'activités.
Maintenant, voici les démarches envisagées
pouvant correspondre à plusieurs des axes prioritaires :
? L'organisation d'une option « jardinage et organisation
de groupe » avec les élèves de l'école primaire et du
collège : Les professeurs guatémaltèques ont
étudié dans leur formation l'organisation communautaire et la
gestion de projet, et ils ont déjà une expérience dans ce
domaine pour la communauté de la Compuerta (un projet de culture de
carottes avec les élèves de primaire en 2011). Cette option
pourra à la fois sensibiliser, enseigner aux jeunes les techniques
d'agriculture organique et l'organisation communautaire. Cette démarche
aurait des résultats à long terme sur l'organisation
communautaire, l'agriculture durable et aussi sur les activités
économiques par la vente des produits de ces jardins.
? La visite et participation à des expositions, foires
et autres mobilisations sociales au niveau régional et national pour
exposer les danses, tenues, musiques et gastronomie
52
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
traditionnelles des communautés, par le biais des
associations locales : Cela permettrait une valorisation de la culture Maya
Q'eqchi', ainsi qu'une connaissance et reconnaissance des organisations
communautaires à l'extérieur, favorisant d'éventuelles
alliances.
? Des formations pour l'élaboration de produits de
consommation courante avec des ressources naturelles et locales, tels que le
savon, le shampoing (pouvant être fabriqués avec des cactus et
fruits locaux), engrais organique, le sucre (fabriqué avec de la canne
à sucre, qui est adaptée au climat de la région) et le
chocolat (avec les cacaoyers du projet avec l'ONG ProPetén). Le fait de
fabriquer au lieu d'acheter ces produits (souvent chers pour les familles)
permet à la fois d'économiser l'argent dépensé dans
ces produits et de limiter les intrants artificiels d'origine extérieure
des produits achetés : Le savon contient des produits chimiques qui se
déversent ensuite dans la rivière. L'utilisation optimale des
ressources peut équilibrer le système de dépense actuelle,
en alliant la sécurité économique et la
préservation des ressources.
? L'organisation d'un jour de marché pour la vente de
fruits et légumes, dans la communauté de San Lucas Aguacate,
bénéficie d'une situation géographique propice (car
entourée d'autres communautés et d'une ville). Cette
démarche permettrait, en plus d'un apport économique, une
amélioration de l'organisation communautaire.
Ces démarches envisagées, parmi d'autres, sont
des buts à atteindre pour les communautés, qui les
considèrent comme des solutions possibles et acceptables. Elles
permettraient d'éviter ce qu'ils considèrent comme «
mauvaises solutions », telle l'émigration.
D'autres initiatives originales sont apparues lors de
l'élaboration des diagnostics. Par exemple, l'appropriation des projets
en cours pour en créer de nouveaux s'est remarquée à
travers certaines solutions envisagées, comme dans le projet cacao :
L'alimentation est assez pauvre dans ces communautés, alors les femmes
ont eu l'idée de profiter du projet cacao pour se former à de
nouvelles recettes de cuisine utilisant le cacao et enrichir ainsi
l'alimentation locale.
Les choix de solution relèvent non seulement de la
connaissance que la population a de la réalité sociale locale,
mais aussi des réalités et possibilités
technico-économiques. En effet, plusieurs des démarches
envisagées, comme celle de la fabrication de shampoing ou de sucre, ont
été proposées par certaines personnes qui avaient pu voir
ou entendre que d'autres villages l'avaient réalisée. Le fait que
cette activité ait connu un succès ailleurs a beaucoup
rassuré les villageois dans leurs choix.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
2-2-4 Les démarches sélectionnées
pour le plan de développement annuel
Parmi les démarches envisagées dans le
diagnostic, certaines ont été sélectionnées selon
les contraintes assignées. Pour chacune d'entre elles, des responsables
ou collaborateurs potentiels internes et/ou externes ont été
désignés pour leur réalisation, et un budget
prévisionnel ainsi qu'un chronogramme ont été
réalisés.
Six activités par communauté ont
été prévues, dont une parmi les six, spécifique
à chaque communauté. Les cinq en commun comportent trois
activités dédiées à l'organisation communautaire,
considérée comme la première priorité dans les
diagnostics :
- Une visite d'échange avec un autre groupe
organisé de la région qui gère de manière autonome
leurs projets, des réunions de partage d'expériences,
basées sur les réussites, savoir-faire, vision du futur,
difficultés, et vie organisationnelle.
- Gestion de projet, administration, et
comptabilité : des sessions de formation pour les leaders
associatifs des communautés, ainsi que pour toutes les personnes
intéressées. Les groupements de femmes sont aussi conviés
à ces formations, car elles ont exprimé le désir d'y
participer. J'ai pu constater l'importance des femmes dans les projets de
production : elles ont un rôle clé dans l'économie chez les
Q'eqchi'. Elles font en effet un véritable travail d'administration du
budget du foyer. Le projet cacao ayant pour principal but la commercialisation
et une retombée économique des ventes, les femmes vont être
des actrices du développement familial qui découlera de ces
ressources économiques.
- Leadership : sessions de formation pour le conseil
administratif, dans l'objectif de donner de nouveaux outils sur la prise de
décision, la motivation, et la communication.
Deux autres activités concernent surtout les femmes. Ce
sont des activités de fabrication de produits de consommation courante
élaborées avec les ressources locales :
- Fabrication artisanale de shampoing et savon :
sessions de formation avec les groupes de femmes organisés, sur la
fabrication de shampoing et savon avec la sábila (cactus local
aussi connu comme aloe vera), cola de caballo (plante de la
famille des Equisetaceae), de l'orange, des oeufs, et madre cacao
(plante de nom scientifique Gliricidia sepium), pour l'usage et
la vente locale.
- Fabrication artisanale de chocolat : sessions de
formation avec les groupes de femmes organisés pour la consommation
locale et la vente, ainsi qu'une plus grande participation des femmes dans le
projet cacao en cours.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
La sixième activité spécifique à
chaque communauté comprend: pour la Compuerta, l'organisation de
vente d'artisanat aux touristes lors de la semaine sainte, pour
Poité Centro, des sessions de formation pour les groupes de femmes
concernant la fabrication de chemises traditionnelles et initiation
à la couture utilisée pour la fabrication des jupes
traditionnelles. Enfin, pour San Lucas Aguacate, la population a choisi
d'organiser un jour de marché dans la communauté.
Je tiens à préciser que pour les
activités de formation, les formateurs privilégiés sont
des personnes des communautés concernées ou des
communautés proches, ayant un savoir-faire dans ces domaines. Par
exemple, j'ai su lors d'un entretien qu'une femme d'une communauté
voisine avait déjà animé des formations dans sa propre
communauté. Nous l'avons alors contacté avec l'ONG
ProPetén et l'accord de l'association de Poité Centro, et elle a
accepté de former les groupes de femmes pour la fabrication de chemises
traditionnelles.
2-3 Les capacités des associations paysannes
Avec les résultats des diagnostics et l'annonce des
plans de développement, nous pouvons comprendre, dans de tels contextes,
que les associations paysannes sont des acteurs aptes à transformer
durablement la situation selon leur propres choix.
Pour gérer les projets en interne et collaborer avec
l'extérieur, nous allons nous intéresser aux différentes
« capacités » ou « capabilités » que
permettent ces associations locales, ainsi que les fédérations
d'associations, avec l'exemple de COACAP.
Afin de clarifier le concept que nous utilisons, nous pouvons
nous rapporter à la définition de « capabilité »
que proposait A. Sen (2000), qui correspond d'après lui à la
capacité pour une personne ou un groupe de choisir un style de vie qu'il
veut valoriser, parmi un ensemble de possibilités. Selon lui, ces
capabilités exercent une influence sur le changement social et sur la
production économique (A.Sen 2000 : 294, In Effantin,
2006 :89)26. L'auteur met en évidence
l'importance d'avoir le choix. Dans le cas des communautés q'eqchi', il
paraît difficile d'identifier un ensemble fini de capacités
nécessaires à l'autosuffisance des groupes d'agriculteurs,
étant donné la multiplicité des conditions qu'un groupe
doit rassembler pour mener ses projets et l'évolution de ses choix
d'action. Cependant, il est intéressant d'analyser les capacités
selon une problématique donnée pour avoir une vue d'ensemble.
C'est pourquoi nous allons nous intéresser aux différentes
capacités qui nous paraissent pertinentes par
26 EFFANTIN-TOUYER R., 2006, De la frontière
agraire à la frontière de la nature. Comment les migrants
réinventent leurs ressources et leurs territoires dans la Réserve
de Biosphère Maya (Guatemala). Thèse dirigée par HUBERT
B., INA, Paris : 221 p.
55
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
rapport à mon terrain, permettant à ces
associations d'agriculteurs de plus grands choix d'action par rapport au
développement local et aux possibilités d'évolution.
2-3-1 Les capacités stratégiques
Le concept de « groupe stratégique »
que nous pouvons emprunter à Evers et Schiel (1988)27 peut
très bien s'appliquer aux associations paysannes. En effet, ce
sociologue allemand définit les groupes stratégiques comme des
agrégats sociaux empiriques, à géométrie variable,
qui défendent des intérêts communs, en particulier par le
biais de l'action sociale et politique. Ces groupes se forment dans une
perspective pragmatique, proche des réalités. Pour lui, cela ne
signifie pas pour autant que les classifications sociales "classiques", telles
que le "genre", l'ethnicité, n'aient plus d'utilité. Les femmes
analysent les problèmes autrement que les hommes et cela est une
variable qui constitue des contraintes pour l'action. Mais pour Evers, le
groupe stratégique reste au niveau « macro ». J-P Olivier de
Sardan et T. Bierschenk (1994) proposent de rendre opératoire ce concept
au niveau de la société locale où il peut être
lié à l'observation des formes d'interaction directe entre
acteurs identifiables.
Les associations, en tant qu'acteurs reconnus,
acquièrent des capacités stratégiques auprès des
autres acteurs internes et externes aux communautés, telles que les
initiatives, l'adaptation, la coopération, la négociation, et la
communication :
? Capacité d'initiative :
Les groupes organisés peuvent plus facilement prendre
des initiatives, en cherchant des solutions aux problèmes
rencontrés, tels que celles exprimées dans les plans de
développement. Grâce à la participation des
différents membres des associations, les idées sont plus
nombreuses et plus structurées que lorsqu'elles sont prises
individuellement, et permettent de bénéficier au groupe
plutôt qu'à l'individu.
? Capacité d'adaptation institutionnelle:
Dans le contexte de changement permanent, les associations
sont un moyen de faire face à ces transformations et perturbations
internes et externes à la localité, par le biais de
débats, et prises de décisions collectives. Ainsi, certaines de
ces décisions amènent à plus d'adéquation avec des
variables de l'entourage externes environnemental mais aussi institutionnel :
Les associations communautaires et leur rattachement à la
fédération d'associations COACAP
27 In BIERSCHENK T. et OLIVIER DE SARDAN
J-P., 1994, « ECRIS : Enquête Collective Rapide d'Identification des
conflits et des groupes Stratégiques... », Bulletin de l'APAD,
N°7, Revues Apad (ed.) : 9 p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
permettent une adaptation administrative, technique, et
financière au fonctionnement général institutionnel. En
effet, les documents contractuels, le vocabulaire institutionnel, ainsi que les
demandes chiffrées habituelles des institutions peuvent ainsi être
comprises, ou du moins communiquées de manière plus abordable aux
populations bénéficiaires des projets, via les associations. Au
Guatemala, les administrations fonctionnant essentiellement en espagnol. Les
personnes sachant lire et écrire sont donc souvent
privilégiées par rapport aux autres. Les associations permettent
dans ces cas aux groupes villageois, hispanophones ou non, de profiter de
certaines opportunités. Cela facilite l'insertion dans ce système
institutionnel global. Ceci ne signifie pas que les associations paysannes
adoptent les mêmes idées ou mêmes finalités que ce
dernier. Les groupes ont bien conscience que cette apparence leur permet
d'être acceptés dans cet ensemble et d'accéder à
divers avantages. Parmi ces avantages, le premier est leur visibilité
institutionnelle, qui leur permet de coopérer avec des groupes souvent
plus influents qu'eux au niveau des politiques régionales ou nationales.
C'est le cas de l'ONG ProPetén qui a pu collaborer avec ces associations
paysannes, grâce à leur visibilité.
? Capacité de partenariats :
Les associations paysannes ont les moyens de collaborer avec
divers acteurs publics ou privés. En créant des alliances, cela
leur permet de mettre en commun leurs efforts et compétences pour
arriver à réaliser leurs objectifs. Les leaders associatifs
participent à des réunions et rencontres au niveau
régional, ce qui facilite les possibilités de collaboration. Lors
de mon séjour de terrain dans la communauté de Poité
Centro, le président de l'association ainsi que deux autres personnes du
conseil administratif se sont absentés pendant deux jours, car ils ont
été invités pour participer à une réunion
régionale sur le thème du développement rural
organisée par l'ONG espagnole de coopération internationale,
Global Humanitaria. Dans cette réunion, ils ont fait la connaissance
d'autres acteurs de développement, dont des ONG nationales et
régionales qui proposaient des projets sur le thème du
développement rural. Ils ont aussi fait la connaissance d'autres leaders
communautaires ayant des préoccupations semblables aux leurs. Des
contacts ont été pris, et des alliances sont maintenant possibles
grâce à ces réunions d'échange, de rencontre et
d'information. Il en est de même avec le document de plans de
développement que nous avons élaboré : chaque
activité est reliée à plusieurs partenaires possibles, que
les leaders peuvent contacter, pour accéder à des
compétences spécifiques.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
? Capacité de négociation :
Les groupes associatifs collaborant avec des partenaires
peuvent aussi négocier avec eux. En effet, les partenaires n'ayant pas
toujours les mêmes intérêts que les associations, certaines
démarches peuvent être incompatibles. Dans ces cas, les groupes
cherchent un accord commun, par le biais de la négociation. Chaque
groupe tente de conserver un maximum d'intérêts, et chacun fait
des concessions. Les négociations peuvent se formaliser par écrit
par la signature d'un accord ou d'une convention.
J'ai assisté à un phénomène de
négociation spontanée entre l'association de la Compuerta et
l'ONG ProPetén :
Lors du problème survenu à l'arrivée des
plants de mauvaise dimension dont nous avons parlé dans la
première partie, il a fallu décider des modalités pour
résoudre l'incident : il fallait convenir des dates d'arrivée de
nouveaux plans dans les normes attendues et des dates de la venue de
paysagistes spécialisés, pour venir regreffer les plans à
la bonne taille puisque la greffe n'avait pas pris. Le coordinateur de projet
de l'ONG a proposé de programmer cette activité deux mois plus
tard, à la fin du mois de novembre. Cette date convenait davantage
à l'ONG, car elle permettait de rester dans les temps du projet, de
garder une bonne entente avec le bailleur de fond et ne pas trop perturber
l'administration de l'ONG. Cependant, les membres de l'association ont
rapidement rejeté cette proposition car elle ne correspondait pas
à leurs contraintes personnelles de travail et au climat saisonnier. En
effet, les agriculteurs de la communauté ont une surcharge de travail
les mois de novembre et décembre, car ils récoltent le maïs
et les haricots plantés quelques mois plus tôt. Ils n'auraient
donc pas été disponibles pour gérer l'arrivée des
plants de cacao, qui est une seconde priorité par rapport à
l'alimentation familiale. De plus, le climat de la région est plus chaud
et sec entre janvier à avril, ce qui correspondent à
l'été. Les agriculteurs ont immédiatement pensé que
si les plants de cacao étaient arrivés à cette
période de l'année, ils n'auraient pas résisté
à la chaleur et au manque d'eau. Ils ont donc décidé de
repousser la date d'arrivée des plants en bonne et due forme au mois de
juin, c'est-à-dire huit mois plus tard. Ayant de bons arguments, ils ont
réussi à convaincre l'ONG qui était pourtant de ce fait
confrontée à plus de difficultés. Les leaders de
l'association ont aussi posé par écrit dans la même
journée cette condition pour poursuivre le projet et ont fait signer ce
contrat aux membres de l'association, ainsi qu'au coordinateur de projet de
ProPetén28.
28 Voir Annexe 3 : Signature du contrat sur la date
de remise des nouveaux plans dans la norme.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
? Capacité de communication :
D'après ce que j'ai pu remarquer sur le terrain, cette
capacité est la plus importante, car elle permet d'accéder aux
autres capacités indiquées ci-dessus. En effet, en communiquant
à travers plusieurs canaux tels que des acteurs médiateurs comme
la fédération COACAP, ou bien par le biais de réunions,
elles peuvent se mettre en contact avec des opérateurs
économiques et des autorités régionales pour
réduire le niveau qui sépare les acteurs. Les associations et les
fédérations d'associations, en tant qu'acteurs de la
société civile, ont le rôle primordial de médiateur.
Elles permettent l'interface de communication entre la population locale et les
institutions de développement. Cette médiation est à
double sens, car les associations reçoivent et donnent des informations
de chaque côté.
Schéma: L'association médiatrice
Elles peuvent ainsi se procurer les informations
nécessaires pour conquérir de nouveaux espaces de
négociation et d'action collectives.
Lorsqu'il n'y a pas d'association dans les villages, la
communication entre la population locale et l'extérieur se fait par le
biais des leaders communautaires. Néanmoins, le statut de ces derniers
est assez ambigu, car ils continuent à vivre dans leur groupe tout en
ayant des contacts fréquents avec l'extérieur. Ils
reçoivent alors un double contrôle permanant, venant d'un
côté des villageois et de l'autre de la société
ladina avec qui ils communiquent. Selon Henri Favre
(2011)29, ces leaders médiateurs sont « rapidement
absorbés soit par la communauté indienne dont ils sont issus,
soit par la société ladina à laquelle ils se sont
culturellement assimilés. Les uns cèdent aux pressions souvent
très fortes dont ils sont l'objet dans leur milieu d'origine pour qu'ils
se conforment aux coutumes et aux normes
29 FAVRE, H., 2011, Changement et
Continuité chez les Mayas du Mexique, L'Harmattan, Paris : 299
p.
59
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
traditionnelles. Ils réintègrent l'ordre
social qu'ils avaient pour mission de transformer du dedans.» (2011 :
276).
C'est pour cette raison que les personnes ayant réussi
à obtenir un poste dans des organismes de développement
extérieurs aux communautés travaillent finalement majoritairement
pour d'autres communautés que la leur, afin de ne pas être «
absorbés » par le contrôle communautaire. A la Compuerta, un
homme travaille ainsi comme promoteur pour un organisme de formation
consacré à l'appui communautaire. Il ne travaille pourtant pas
pour la Compuerta, mais dans des communautés voisines, et revient
maintenant seulement le dimanche dans sa communauté. De la même
façon, le fils du président de l'association de Poité
Centro, qui travaille actuellement dans une ONG de projets ruraux au nord de la
région, ne revient que pour quelques jours de vacances dans sa
communauté d'origine.
Parfois, cette « absorptions » des anciens leaders
mènent à des attitudes anti-indiennes qui se trouvent
habituellement chez les ladinos : Dans la communauté de San
Lucas Aguacate, un agriculteur m'a raconté que sa fille était
très reconnue des villageois car elle parlait bien espagnol et elle
avait réussi à faire parvenir quelques projets de santé.
Un jour elle a eu l'opportunité de partir en ville pour travailler en
tant que secrétaire :
Francisco (voisin du père de la secrétaire) :
- « Elle est Q'eqchi', mais elle a honte de parler
q'eqchi'. Quand elle est revenue (au village) avec le « bureau des femmes
» (une association), pour des projets pour les villages, et qu'elle
pouvait parler espagnol, cette femme q'eqchi' pouvait parler avec les autres
femmes (du village en q'eqchi'). Mais elle avait peur de parler. »
- « Et pourquoi avait-elle honte? »
Francisco:
- «Parce que cela montre qu'elle est Q'eqchi', et en
plus, elle a honte de parler en présence des collègues (de la
ville), parce que cela lui faisait sentir qu'elle n'était plus Q'eqchi'
parce qu'elle est dans la ville, elle travaille dans les bureaux, c'est pour
cela qu'elle a honte de parler. Mais..., il ne faut pas faire comme cela, nous
devons parler q'eqchi'. » 30
|
30 Traduction personnelle d'entretien de terrain:
Francisco: «Es Q'eqchi', pero tiene vergüenza de
hablar en q'eqchi'. Cuando regreso con la «oficina de mujeres», para
proyectos a las aldeas y podía castellano, entonces esa q'eqchi'
podía hablar con las otras mujeres. Pero tenía miedo de
hablar.»
Yo: -«Y por qué tienen
vergüenza?»
60
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Cet entretien montre comment les leaders locaux isolés,
c'est-à-dire n'appartenant pas à un groupe organisé,
peuvent être absorbés par la société ladina
jusqu'à l'extrême, en éprouvant le besoin de mieux
marquer la rupture avec leurs origines ethniques et s'assimiler pleinement
à la culture citadine ladina. Bien sûr, cette analyse
doit tenir compte de la situation de racisme qui est très pesante ; nous
l'expliquerons en troisième partie du mémoire.
Par ces exemples, nous pouvons alors penser que les
associations paysannes, du fait de la rotation régulière des
leaders et de l'aspect groupal, sont plus aptes à communiquer de
manière durable avec les deux parties sans être «
absorbées » comme le sont les individus isolés. Nous allons
analyser leurs moyens de communication au niveau interne et au niveau externe
:
- Communication interne :
Nous délimitons pour cette analyse la communication
interne au niveau du village et des interactions inter-villageoises de la
même zone géographique.
Ces interactions ont lieu ordinairement même lorsqu'il
n'y a pas d'association paysanne existante, mais les associations paysannes les
amplifient, les formalisent et les modifient en les rendant accessibles
à une plus grande proportion de la population. En effet, le fait que les
agriculteurs mènent isolément leurs expériences
respectives empêche le partage des idées, découvertes et
interprétations avec leurs collègues. L'échange entre
groupes permet de comparer les résultats, leurs capacités
techniques et leurs savoirs, et ainsi de renforcer l'aptitude à
gérer les changements par leur complémentarité. Les
groupes locaux sont non seulement des sources potentielles d'information et
d'expérience, mais également des collaborateurs possibles.
Le réseau local d'échange d'expérience
est souvent appelé communément en Amérique Centrale «
Campesino a campesino » (de paysan à paysan). C'est par ce
moyen informel que les trois associations communiquent, autant pour
l'organisation de fêtes traditionnelles communes que pour se
transférer des informations utiles dans le travail agricole. Par
exemple, à Poité Centro, le président de l'association a
essayé une technique d'engrais naturel par épandage
d'olotes secs (épis de maïs sans ses grains)
mélangés à des feuilles d'arbre coupées à la
machette. Il a constaté que l'effet était très
bénéfique sur la croissance des haricots. Il en a alors
parlé aux membres de son association, puis aux présidents des
deux autres associations
Francisco: -«Porque muestra que es q'eqchi', y
además, tiene vergüenza de hablar con los compañeros, porque
ella se siente como que ya no es q'eqchi' porque está en el pueblo
(ciudad), está trabajando en las oficinas, por eso tiene vergüenza
de hablar. Pero..., no hay que hacer así, tenemos que hablar
q'eqchi'.
61
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
qui ont eux-mêmes communiqué l'information
à leurs associés. La nouvelle s'est ainsi répandue
très rapidement dans les familles à travers les trois
villages.
Les paysans ne se font pas d'illusions sur les «
techniques miracles » décrites par les agronomes ou les
facilitateurs venant des ONG comme solutions aux problèmes
d'agriculture. Par contre, ils sont très intéressés pour
connaître les résultats des expériences menées par
leurs voisins agriculteurs, qui partagent avec eux des conditions de vie et de
travail. En communiquant de la sorte, ils peuvent collecter conjointement des
informations, engager des débats, expérimenter des techniques
utilisées par les voisins, avec plus de chances qu'elles leurs soit
utiles à eux aussi.
Cette propagation de techniques par la communication peut nous
faire penser à la théorie du diffusionnisme de Franz Boas
(1858-1942), qui montre que les techniques et traits culturels se diffusent
géographiquement par une succession d'emprunts et de contact d'un groupe
à l'autre.
- Communication externe :
Au Guatemala, la communication externe des villages avec les
institutions privées et publiques de la région, voir du pays,
passe presque inévitablement par les associations paysannes et les
fédérations auxquelles elles sont ralliées. Ces
dernières sont un moyen pour les ONG nationales ou internationales de
court-circuiter le maillon de l'administration municipale qui n'a pratiquement
aucune information sur les villages.
Par contre, la bonne communication externe est
conditionnée par une communication non pas seulement verticale
(interne-externe) mais aussi horizontale à (interne-interne et
externe-externe). Le manque de communication entre les différents
acteurs de développement de la région peut parfois freiner les
communautés dans leur démarche. Par exemple, différentes
ONG travaillent sur les mêmes problématiques, mais ne se donnent
pas toujours les informations, à cause de la concurrence. Pour le plan
de développement, il a été difficile de trouver un
partenaire travaillant sur la fabrication de savons, alors qu'en fait, j'ai su
à la fin de mon séjour qu'au moins trois ONG du
département ont déjà travaillé sur ce genre de
projet ; l'ONG ProPetén n'était pas au courant de leur existence.
Le manque de collaboration entre les acteurs externes accentue les
difficultés pour les associations villageoises, pour qui les
informations sont invisibles si elles ne sont pas diffusées au niveau
externe.
Pour pallier à cette difficulté, il est donc
plus pratique pour les associations de passer par les
fédérations, qui leur permettent d'élargir leur
réseau de relations et de diversifier leurs
62
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
alliances. Grâce aux contacts de la
fédération COACAP, les associations paysannes ont par exemple pu
vendre leurs produits dans une exposition régionale l'année
dernière.
Les associations paysannes et des fédérations
possèdent un autre avantage, qui est leur expérience de
collaboration avec différents agents de développement.
Grâce à cela, elles ont pu peu à peu comprendre le langage
spécifique « du développement » et l'appliquer à
leur avantage pour satisfaire leurs demandes et intérêts. J'ai pu
remarquer cela lorsque lors d'une réunion, certains paysans disaient
vouloir développer des activités pour la seguridad
alimentaria (sécurité alimentaire), ou proyecto
productivo (des projets productifs), qui sont des termes utilisés
principalement par les développeurs des ONG.
Pour les « professionnels du développement »,
la communication avec les organisations paysannes est privilégiée
car pour eux, cela permet de faciliter et d'accélérer la conduite
de projets, ainsi que d'obtenir des meilleurs résultats en terme
d'équité et de pérennisation31. Nous voyons
donc qu'ils ont une conception plutôt « fonctionnelle » ou
« instrumentale » de cette communication. Nous insisterons sur ce
point dans la dernière partie du mémoire.
? Capacité de plaidoyer :
Grâce à leur capacité de communication,
les agriculteurs peuvent exercer une pression sur les organismes de
développement, ainsi que sur les politiques. Ils peuvent défendre
leurs droits grâce à l'accès qu'ils ont à
l'information, par les associations paysannes et les fédérations.
Dans le cas de notre étude, les droits les plus revendiqués sont
l'accès à la terre, et l'accès aux services de base (eau,
éléctricité).
Selon Esman et Uphoff (1983), « L'étude
d'expériences de développement rural montre que ce sont les
structures d'organisation rurale à niveau multiples qui ont produits les
résultats les plus prometteurs. Ces structures sont basées sur de
petits groupes locaux, qui présentent l'avantage d'être plus
solidaires, regroupés ou fédérés au sein
d'associations plus importantes, dont l'avantage réside, quant à
elles, dans leur taille » (1999 : 336)32
Les fédérations d'associations, plus visibles et
plus compétentes au niveau administratif, sont capables de
négocier avec des organismes publics ou des groupes
d'intérêts concurrents. Elles peuvent se réunir, et mettre
en commun les demandes et besoins des différentes associations, pour
ensuite les communiquer à des organismes ayant du pouvoir au niveau
national. Dans le domaine du droit indigène par exemple, qui a un poids
politique important au Guatemala, un
31 Entretiens avec l'agronome et le coordinateur de
projet de l'ONG ProPetén
32 In SCOONES I., THOMPSON J., 1999,
La Reconnaissance du Savoir Rural. Savoir des populations, recherche
agricole et vulgarisation. CTA-Karthala, Paris : 471 p.
63
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
groupe de femmes de la communauté de San Lucas Aguacate
milite activement pour ses droits et participe régulièrement
à des réunions en ville. Cela ne permet pas toujours d'engager un
réel changement social et économique dans les villages, mais y
contribue petit à petit.
Le mouvement le plus connu par rapport à la
capacité de plaidoyer des organisations paysannes est la Via
Campesina : Ce mouvement international rassemble des millions de
paysans de 70 pays, et elle défend l'agriculture durable de petite
échelle comme moyen de promouvoir la justice sociale et la
dignité. Par ce mouvement mondial, les voix des paysans et leur
participation aux décisions ont pu obtenir une reconnaissance, et se
sont imposées dans les débats sur l'alimentation et
l'agriculture. De grandes institutions telles que la FAO ou le Conseil des
Droits de l'Homme de l'ONU connaissent les exigences de ce mouvement et en
tiennent compte. C'est aussi ce même mouvement qui a lancé
l'idée de la « souveraineté alimentaire » au Sommet
Mondial de l'Alimentation en 1996. La Via Campesina est une structure
décentralisée au sein de 9 régions coordonnées.
Elle est financée par les contributions de ses membres, des dons
privés et par le soutien de certaines ONG, fondations et
autorités locales ou nationales.
A travers cet exemple de mobilisation mondiale, nous
comprenons bien que la capacité de plaidoyer est possible depuis les
organisations et associations de base, par le biais d'alliances et de
coordination. De ce point de vue, l'orientation vers la construction d'un
pouvoir paysan, capable de peser sur la définition et la mise en oeuvre
de politiques concernant le monde rural, est possible à long terme. Le
renforcement durable des structures et de la mise en réseau des
associations paysannes paraît pour cela indispensable.
2-3-2: une durabilité recherchée par
les associations d'agriculteurs du projet cacao Dans le cas
particulier de ces communautés de migrants, les anciens qui sont
arrivés dans cette zone il y a quarante ans se préoccupent
beaucoup de pouvoir y rester. L'autosuffisance et la sécurité
économique sont les objectifs que les agriculteurs expriment
régulièrement, et qui se reflètent à travers les
projets qu'ils entreprennent. Une des principales craintes qui motive leurs
projets est la menace de l'émigration des jeunes. En effet, à
leur tour, par manque de terre et de moyens sûrs de subsistance, ils vont
chercher du travail dans d'autres régions, mais aussi dans d'autres pays
: le Belize, le Mexique, et les Etats-Unis. A travers les associations
paysannes, les agriculteurs cherchent des solutions pour une autosuffisance qui
soit durable, pour que les générations futures puissent vivre de
leurs récoltes. Ainsi, les trois
64
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
aspects de ce qui est appelée «
développement durable » par les institutions, c'est-à-dire
l'aspect économique, social, et environnemental, sont pris en compte par
ces groupes locaux, dans l'objectif d'une pérennisation des moyens de
leur autosuffisance alimentaire et économique. Cette importance n'est
donc pas seulement culturelle pour les agriculteurs Maya Q'eqchi', comme nous
en avons fait part avec la perception de la nature dans la culture Maya, mais
c'est aussi une stratégie de cohésion sociale.
Tout d'abord, écologiquement, il est important pour les
associations paysannes du Petén de ne pas épuiser leurs
ressources car elles leurs sont vitales, notamment le bois de la forêt
qui est utilisé pour la cuisine et pour la construction des maisons.
Là où sont coupés des arbres, d'autres sont alors
replantés. Ensuite, économiquement, les associations cherchent
à développer des activités locales de production pour
assurer leur autonomie et celle des générations futures. Puis,
socialement, les groupes d'agriculteurs organisés sont d'une grande
importance pour les villageois car ils permettent une répartition
équitable des ressources et du pouvoir, afin de satisfaire les besoins
essentiels de tous les membres des associations et de leur famille. Enfin, ces
associations ont aussi l'avantage d'être plus adaptables que des
individus isolés n'ayant pas beaucoup de contacts avec
l'extérieur. Les communautés rurales peuvent être capables
de s'adapter aux changements incessants des conditions dans lesquelles
évoluent l'agriculture et la demande extérieure, comme nous le
prouve le projet de commercialisation de cacao avec l'ONG ProPetén.
Elles peuvent aussi avoir plus de ressort dans leurs recherches actives de
solutions par rapport aux changements climatiques : par exemple, en testant de
nouvelles productions agricoles et en prenant moins de risques individuels.
2-3-3 Des capacités financières encore
limitées
Les trois associations du projet ont été
légalisées en 2012, et donc reconnues par les
municipalités. Chacune d'entre elle a pu ouvrir un compte à la
banque pour déposer les cotisations de leurs membres, grâce
à cette existence légale du statut d'association. Cet argent leur
permet principalement de s'entraider localement, de préparer les
fêtes traditionnelles et aussi d'entretenir les locaux, comme je l'ai vu
à La Compuerta, où l'argent cotisé va permettre de refaire
le toit abîmé de la maison associative.
Pour les projets plus coûteux, les associations peuvent
faire appel aux ONG, qui sont de véritables intermédiaires
financiers entre les villages et les bailleurs de fonds nationaux et
65
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
internationaux. De même, elles peuvent multiplier les
partenariats publics et privés pour pouvoir financer leurs projets.
Cependant, les associations paysannes ne peuvent pas prendre
en main financièrement les projets tels que le projet de production de
cacao, car elles ne disposent pas de l'autonomie financière suffisante.
Les bailleurs de fonds sont plus confiants grâce au statut légal
des groupes locaux qui leur confèrent une certaine
légitimité. Il devient alors plus simple pour ces derniers
d'accéder aux financements. Néanmoins, cela les placent dans une
situation de dépendance vis-à-vis des institutions d'apports
financiers (et parfois techniques) externes. Ceci reste un problème pour
les associations, car elles rencontrent toujours cet obstacle financier pour
développer leurs projets. Cette question financière paraît
cruciale, car comme l'explique Omar Bessaoud dans son étude sur les
organisations paysannes au Maghreb, elle conditionne souvent les
possibilités d'action et constitue un indice sérieux pour leur
durabilité (Bessaoud O., 2008 :16)33. Elle peut aussi
largement diminuer l'autonomie politique des associations paysannes,
particulièrement lorsqu'elles sont mono financées par une
institution, car cette dernière acquiert alors plus de pouvoir sur le
projet financé.
Nous verrons dans la troisième partie que ce
problème financier n'est pas le seul que rencontrent les associations
paysannes, et que d'autres freins restreignent les possibilités de cet
« idéal » de développement local durable.
Au cours de cette deuxième partie, nous avons pu
comprendre en quoi la gestion communautaire par les associations paysannes
pouvait être une solution au développement durable local. En
effet, cette gestion favorise une meilleure identification des besoins
particuliers aux villages. Ensuite, les associations permettent une
réelle capacité stratégique, dont la communication, car
elles s'articulent dans deux types de niveaux (local et global), et deux «
systèmes de sens ». » (Olivier de Sardan, 1995 : 141).
Grâce à cette place médiatrice, elles peuvent
développer un réseau avec différents groupes d'acteurs
pour atteindre des objectifs communs. Cela leur permet aussi d'argumenter leur
position et faire des propositions dans des instances de décisions
à des niveaux extérieurs aux villages. Leur poids politique se
trouve renforcé, ce qui permet une meilleure cohésion et une
meilleure liaison entre les différents niveaux décisionnels.
33 BESSAOUD O., 2008, « Les organisations
rurales au Maghreb », Économie rurale 303-304-305,
Société Française d'Économie rurale : 15 p.
66
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Nous allons comprendre certaines limites et contraintes
auxquelles sont confrontées les associations paysannes et le
fonctionnement général du développement rural au
Guatemala, ce qui nous fera relativiser l'approche idéale des
associations paysannes.
67
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Troisième Partie : Des limites et
difficultés qui relativisent cette approche idéale
Aujourd'hui, pratiquement toutes les formes d'organisations
rurales et agricoles sont confrontées à des problèmes
souvent liés au manque de ressources et de capacités
(financières, matérielles, humaines), qui limitent leurs champs
d'action. Les problèmes principaux résultent aussi de la forte
dépendance vis-à-vis des structures extérieures, des
difficultés liées aux discours du développement, ainsi
qu'à des problématiques socioculturelles, économiques et
politiques qui surplombent les associations paysannes. Nous dans aborderons
dans cette partie ces limites à prendre en compte pour une approche plus
relative de la question du développement rural au Guatemala.
3-1 Les difficultés liées aux discours du
développement : Décalage entre objectifs et réalisations
effectives
Aujourd'hui, la plupart des ONG ont développé
autour de leurs principes et de leurs modes d'intervention un discours
relativement homogène. Yves Guillermou synthétise ce discours par
quatre caractéristiques principales :
« a) leur statut d'associations sans but lucratif et
non gouvernementales garantit le caractère « indépendant
» et « désintéressé » de leur action ; b)
leur activité s'organise autour des besoins prioritaires de la
population, et notamment des couches les plus défavorisées ; c)
les actions concrètes sont définies à partir du terrain,
sur la base d'un dialogue réel avec la population, et leur mise en
oeuvre repose sur la participation consciente et volontaire de celle?ci ; d) en
tant qu'intervenant extérieur, l'ONG ne constitue pas une structure
propre et durable, mais un relais entre la population et les structures
d'encadrement existantes.(Yves Guillermou, 2003 : 124)34
De tels principes conduisent généralement la
majorité des ONG qui travaillent sur des projets ruraux à
définir leur rôle principal en termes d'« appui aux
initiatives paysannes ». Nous pouvons bien reconnaître dans ces
quatre caractéristiques les principes de l'ONG ProPetén. Ce type
de discours est attendu et apprécié par plusieurs acteurs. En
effet, comme le fait remarquer Y. Guillermou, ces caractéristiques
rencontrent généralement un écho favorable
34 GUILLERMOU Y., 2003 « ONG et dynamiques
politiques en Afrique », Journal des anthropologues, n°
9495, Association française de anthropologues : p. 123-143
68
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
auprès des autorités politiques du Sud, mais
aussi des bailleurs de fonds et de l'opinion publique du Nord. On voit souvent
ces caractéristiques apparaître au Guatemala à travers les
appels d'offre des bailleurs de fonds, tels que l'Union Européenne (UE)
ou la Banque interaméricaine de développement (BID). D'ailleurs,
certaines de ces caractéristiques sont plus ou moins précises
selon les époques et selon les courants de pensée du
développement international. Par exemple, cette dernière
décennie a été marquée par la composante «
genre » dans les institutions de développement rural au Guatemala.
Dans quasiment tous les projets, cette composante doit apparaître pour
les bailleurs de fonds. Pour obtenir le budget dont elles ont besoin, les ONG
parviennent à faire correspondre leurs projets aux
caractéristiques demandées par les institutions donatrices.
Cependant, ces discours peuvent quelquefois se transformer, lors de la
concrétisation de ces projets sur le terrain. En effet, la traduction
effective au niveau des populations concernées peut s'avérer
aléatoire, ce qui conduit fréquemment à des
décalages entre les objectifs que se fixent les ONG et leurs
capacités de réalisation.
Afin de mieux comprendre ces décalages, nous allons
nous intéresser à la logique de développement «
top-down » qui peine encore à s'atténuer. Puis, nous verrons
en quoi la question de la participation est un point crucial du discours actuel
et ses discordances. Enfin, nous verrons en quoi les trop grandes
différences de pensée traditionnelle et institutionnelle peuvent
constituer des blocages pour la réalisation de l' « idéal de
développement ».
3-1-1 Une logique de développement top-down
encore présente
« Ce que vous faites pour moi, mais sans moi, vous le
faites contre moi. »
(Mohatma Gandhi)
L'approche dite « top-down » («
vertical-descendant ») décrit la façon d'intervenir des
institutions de développement, qui conçoivent des projets depuis
les grandes instances de décisions pour les appliquer ensuite au niveau
local. Cette approche vise en particulier l'efficacité, l'efficience et
la croissance de ces projets, ce qui implique des contraintes de temps, de
moyens et des démarches d'extension. Des solutions d'innovations
économiques et technico-scientifiques, visant un objectif de «
progrès », ne prennent pas en compte l'aspect social. De plus, le
mode d'imposition des solutions décidées a priori sans la
participation des populations a été beaucoup critiqué. Les
critiques de cette approche « top-down » retentissaient
déjà dans les années 1980 (David Korten, 1980). De
nombreuses analyses étaient arrivées au constat que cette
approche « top-down » ne produisait pas de résultats
69
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
durables sur le terrain. Depuis, la manière dont les
institutions internationales envisagent l'aide au développement a
profondément évolué vers une approche plus proche des
populations locales. De plus larges ambitions de participation, de
flexibilité et d'actions sur le terrain se sont appliquées dans
le but d'une meilleure adéquation des projets aux populations locales et
un pouvoir local étendu.
Cependant, les problèmes concrets liés à
l'outil projet, à ses modes de mise en oeuvre et aux interactions «
développeurs-développés » sont toujours
présents. Nous pouvons le remarquer à travers le projet cacao de
ProPetén où des actions non-adaptées, des
inégalités et des incompréhensions persistent :
- Le projet cacao conçu et supervisé par les
bailleurs de fonds étrangers :
Même si dans le cas du projet cacao et des autres
projets locaux que j'ai pu observer, c'est l'ONG locale ProPetén qui a
coordonné les activités, ces dernières s'insèrent
tout de même dans des programmes globaux qui ont été
conçus par les bailleurs de fonds états-uniens, allemands, ou
japonais. Ceux-ci ont envoyé des appels d'offre avec les grandes lignes
des projets déjà tracées. Pendant mon séjour au
sein de l'ONG, un consultant du bailleur de fond états-unien du projet
cacao est venu vérifier lors d'une réunion si l'accord de
départ était bien respecté. Par cette occasion, il a
donné des conseils de poursuite de projet. Parmi les impératifs
de ce projet, une pépinière doit être construite pour
chaque association communautaire pour le séchage du cacao. Il est
décrit sur ce point dans la convention que l'application d'une «
technologie de pointe pour produire de la qualité à prix bas
»35 est fondamentale à la réussite du
projet. Cependant, dans la communauté de Poité Centro, il n'y a
pas de terrain qui appartienne à l'association locale pour le moment
où ils pourraient construire cette pépinière. Selon les
associés, il aurait été plus simple d'utiliser une
pépinière commune avec la communauté voisine de San Lucas
Aguacate. En effet, cette dernière se trouve à quelques
kilomètres à peine et a plus d'espace pour la construction. Cet
exemple montre qu'il n'y a pas eu de réelle participation des
populations au moment de la conception du projet.
D'autre part, le bailleur de fonds concepteur du projet a tenu
compte de données quantitatives comme la taille des communautés,
le nombre de personnes bénéficiaires du projet, ou la taille des
parcelles cultivables, mais j'ai pu remarquer une omission de prise en compte
des habitudes de production locales. Par exemple, dans ce projet, une petite
partie des fonds est
35 Traduction personnelle tirée du document
DELEON VILLAGRAN R., 2012, PLAN DE NEGOCIOS PRODUCCION Y COMERCIALIZACION DE
CACAO. Fundación ProPetén, Guatemala: 54 p.
70
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
accordée à la formation pour la fabrication
d'engrais organiques. Cela a beaucoup intéressé les
bénéficiaires. Néanmoins, cette activité
était trop centrée sur les cacaoyers et ne prenait pas en compte
les autres cultures. Les agriculteurs auraient voulu apprendre des techniques
d'engrais organiques pouvant s'appliquer à leurs principales cultures
qui sont le maïs et le frijol. Il en est de même pour la
technique de greffe des cacaoyers qui a été expliquée
exclusivement pour le cacao, alors que les agriculteurs auraient aimé
avoir un aperçu plus général pour pouvoir l'utiliser sur
leurs orangers.
Nous voyons à travers ces exemples que certaines
activités du projet cacao sont isolées du contexte global de
production locale. Cela montre que le projet a été conçu
de façon externe dans une approche encore trop verticale.
- Une interaction inégale : exemple de l'utilisation
du vouvoiement et du tutoiement :
Au cours de mon observation sur le terrain, j'ai pu constater
à plusieurs reprises que le dialogue entre les associations locales et
l'ONG était difficile.
Dans les débats actuels sur le développement
dans les pays du sud, cette question du dialogue entre les différents
acteurs est un élément central. Elle s'élabore par un
processus interactif entre parties prenantes. Cependant, cette interaction ne
se fait pas toujours d'égal à égal, même si les
agents de développement ont une approche de collaboration dans leurs
discours. Je me suis rendue compte immédiatement de la différence
de langage dans la façon de s'adresser aux populations : Dans les
groupes ladinos parlant espagnol dont font partie le personnel des
ONG, les personnes se vouvoient habituellement entre elles et ne se tutoient
que très rarement lorsqu'elles se connaissent très bien.
Même au sein des familles ou entre amis, le tutoiement est très
peu utilisé dans cette région du Guatemala. En revanche, dans la
langue q'eqchi', il n'existe pas de différence entre usted
(vous en espagnol), et tù (tu en espagnol). Lorsque ces
deux groupes sont en interaction, les habitudes concernant l'usage du
vouvoiement sont alors bouleversées par le contexte et le statut social
intégré culturellement. En effet, le personnel de l'ONG tutoie
les villageois, quel que soit leur place hiérarchique au sein du
village, alors que les villageois vouvoient tous les « développeurs
». De plus, j'ai souvent remarqué que les q'eqchi' utilisent le mot
« ingeniero » (ingénieur) pour s'adresser au
coordinateur de projet ou à l'agronome de ProPetén. Cette
modification des codes de vouvoiement et ce vocabulaire utilisé montrent
clairement l'inégalité des relations entre les institutions et
les groupes locaux. Des oppositions entre les statuts sociaux de
pauvre/riche,
71
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
citadin/rural, ingénieur/paysan,
ladino/q'eqchi' sont immédiatement imposées
à travers l'interaction des agents de développement et des
populations locales.
- Un passage difficile de l'institutionnel au traditionnel :
Conflits d'intérêts et de normes :
La motivation de collaboration des institutions de
développement avec les groupements paysans et leur éthique visant
au partage paraît sincère. Cependant, les logiques de la culture
professionnelle technicienne perdurent inconsciemment. Les instruments n'ayant
pas assez évolué posent les mêmes problèmes
d'adaptation qu'il y a vingt-cinq ans. L'approche techniciste les empêche
encore parfois de reconnaître et prendre en compte les logiques
paysannes. La prise en considération de l'expérience des
agriculteurs pourtant valorisée dans les discours ne se remarque pas
dans la pratique de collaboration. Par exemple, L'ONG ProPetén favorise
l'échange d'expérience entre les agriculteurs, comme lors d'un
échange organisé en 2011 entre les agriculteurs des trois
associations du projet cacao et des producteurs de cacao de Cahabón
(región d'Alta Verapaz d'où viennent les migrants). Cependant, il
n'y a pas d'échange de connaissances entre agriculteurs et
professionnels « techniciens ».
- Des attentes ethnocentriques des institutions envers les
associations locales:
Lorsque les institutions s'adressent aux associations
paysannes, on constate souvent qu'elles attendent de ces dernières un
fonctionnement calquée sur le leur. En privilégiant l'ajustement
des associations locales sur leur fonctionnement institutionnel occidental, les
ONG prennent parfois le risque de confier des tâches que les associations
ne sont pas en mesure de réaliser, ou se heurtent à leur refus
(Deveze J-C., 1992 : 6)36. Des capacités entrepreneuriales
telles que des connaissances en comptabilité, en gestion
financière et gestion commerciale, ne leur sont pas toujours
expliquées car selon les institutions, ces connaissances sont la base
d'une association.
- Les intérêts différents des techniciens
et des paysans :
Un des principaux décalages entre ces deux logiques se
trouve dans la différence de motivation subordonnée aux projets.
En effet, quel que soit le projet, la logique des ONG est motivée en
grande partie par l'économie, l'efficacité et le résultat
chiffrable des projets : elles ont elles-mêmes besoin de cet apport
économique pour exister et pour faire reconnaitre leur
36 DEVEZE J-C., 1992, « Les organisations
rurales au coeur de la transformation des campagnes africaines ? »,
Bulletin de l'APAD, n°4, Revues Apad (ed.) : 7 p.
72
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
travail aux grands bailleurs de fonds et à l'opinion
publique. En revanche, la logique des paysans est principalement motivée
par la sécurisation des conditions de reproduction de leurs membres. Les
contraintes des villageois concernés par les projets ne sont pas
seulement d'ordre économique et matériel, mais aussi d'ordre
social, culturel, politique... Les nouveaux projets tel que le projet cacao,
s'insèrent alors dans un fonctionnement global communautaire. La logique
institutionnelle ne parvient pas encore à concevoir qu'un projet peut
être un « fait social total »37 pour les groupes
receveurs. Une approche plus holistique de la part des institutions aiderait
à une meilleure adaptation des projets. Selon Jean-Pierre Chauveau (1991
: 131), l'action de développement doit considérer la
hiérarchie des choix économiques paysans, comme par exemple le
choix de la limitation des risques sur celui de la productivité ou
d'innovation, ou la priorité de la consommation sur celle de
l'accumulation.
A travers le tableau suivant, nous pouvons voir que les
intérêts de la logique paysanne et technicienne sont relativement
différents, et même s'ils se regroupent parfois, ils ne
s'appliquent pas aux mêmes objectifs principaux :
|
|
|
Logique
|
|
objectif principal
Substistance
|
|
type d'intérêt
|
Epargne
|
Consommation
|
Paysanne
Technicienne
|
résultat productif rapidement perceptible
|
sécurité alimentaire
Augmentation de la
productivité et de la
rentabilité
|
meilleure organisation communautaire
|
augmentation du capital
|
amélioration des techniques de culture
|
Accumulation
|
innovation
|
Visibilité quantitative
des résultats
résultat économique rapidement
perceptible
meilleure organisation communautaire
augmentation du capital
Logique paysannes et technicienne: intérêts
et objectifs
37 Outil méthodologique de Marcel Mauss
73
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
En plus de ces conflits d'intérêts dus aux
différentes logiques paysanne/technicienne et aux différents
objectifs, des conflits culturels par rapport aux normes administratives sont
aussi à prendre en compte dans l'interaction des institutions avec les
groupes locaux. Le même constat a été fait par Faure G.,
Veerabadren S. et Hocde H. (2008)38 au Costa Rica dans un projet de
production d'ananas.
La culture institutionnelle englobe un certain nombre de
règlementations précises au niveau de l'administration. Les
associations paysannes, bien que plus aptes à comprendre et à
s'adapter à ces règlementations, gardent néanmoins leurs
règles et normes culturelles locales qui sont parfois en contradiction
avec celles des ONG. Pour les populations locales, la légitimité
des associations paysannes tient moins à l'application stricte du
règlement intérieur qu'au fait d'apparaître en
conformité par rapport aux structures et relations sociales en place et
aux lignes de force déjà présentes dans la
société locale (Jean?Pierre Jacob, 2006 : 2). Dans le cas de
notre étude, le règlement qui a été signé au
moment de la reconnaissance municipale des 3 associations paysannes q'eqchi'
est un document dactylographié sous une forme institutionnelle. Il est
reconnu par les institutions nationales et admise pour ses qualités de
transparence, de responsabilité et de représentation des leaders
élus. L'instauration de ces règlements et de ces conventions
entre associations et ONG implique la mise en oeuvre de nouvelles normes qui
appartiennent à la culture institutionnelles. Face à cette
différence, les producteurs, les associations, les ONG et les
institutions internationales ont une position contrastée. En effet,
comme le soulignent Brunsson et Jacobson, « les normes ne sont pas
neutres et correspondent à des objets construits socialement. Elles
reflètent les perceptions des acteurs sur leurs activités et leur
environnement et leurs capacités à participer à leur
élaboration puis à les imposer » (2000 : 193). Dans les
villages concernés par le projet de production de cacao, les
agriculteurs ne sont pas habitués à vendre leur production en
dehors des marchés locaux, au-delà de la municipalité de
San Luis qui est à quelques kilomètres. Ils n'ont pas l'habitude
des normes internationales de commerce équitable auxquelles le projet
doit se soumettre. Les difficultés techniques et organisationnelles
qu'implique la mise sous normes du processus de production et de
commercialisation sont exprimées par les agriculteurs.
38 FAURE G., VEERABADREN S. et HOCDE H., 2008,
« L'agriculture familiale mise sous normes. Un défi pour les
producteurs d'ananas au Costa Rica ? », Économie rurale,
n°303-304-305, Société Française
d'Économie rurale: p. 184-197
74
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013) - Des normes agronomiques :
D'abord, par rapport au mode de culture, les normes du projet
cacao impliquent des changements. En dehors de l'interdiction d'usage de
pesticides, qui n'est pas gênante pour les producteurs sachant qu'ils ont
pris connaissance de la fabrication d'engrais organique avec des ressources
locales, d'autres normes deviennent plus problématiques. Par exemple, le
changement de certaines techniques de production est imposé par la
législation stricte pour les futurs acheteurs des pays importateurs. Ces
mesures sont détaillées, et concernent la façon de planter
le cacao, de le récolter etc... Par exemple, l'espace entre les plants
doit être de 5 mètres, ils doivent être plantés
à une certaine profondeur, un nombre précis d'arbres madre
cacao doivent être plantés pour les protéger du soleil
et les espèces de cacao ne doivent pas être
mélangées entre elles, mais alignées une par une en
différenciant les variétés39.
- Des normes organisationnelles :
Par ailleurs, par rapport à la manière de
s'organiser, les résultats quantitatifs que demande le bailleur de fond
nécessitent la mise en place de mécanismes de contrôle pour
avoir une traçabilité à tous les niveaux de
l'évolution du projet, ce qui modifie aussi les habitudes de travail de
groupe au niveau local : Chaque parcelle doit être identifiée,
chaque opération qui utilise des intrants doit être
reportée, des fiches de suivi doivent être remplies... La mise en
place de registres est donc nécessaire et cela mobilise des efforts
importants et du temps de travail pour les producteurs. De plus, il y a
beaucoup d'analphabètes parmi les bénéficiaires du projet,
ce qui complique les démarches. Ces personnes vont recevoir des
formations d'alphabétisation payées par le projet. Pour le
moment, ils s'appuient sur leurs enfants, leurs petits-enfants, ou des leaders
sachant lire et écrire. La forme traditionnelle orale ne peut pas
être utilisée en travaillant en relation avec l'extérieur.
Les associations et fédérations paysannes constituent au travers
de l'action collective un moyen important pour les producteurs de relever le
défi des normes organisationnelles. Cela implique une structuration et
une professionnalisation en fonction des normes des acteurs institutionnels
avec lesquels ils travaillent.
Toutes ces normes exigeantes ont bien sûr des
justifications agronomiques et organisationnelles, dans le but d'obtenir un bon
résultat pour une meilleure vente de la production. Cependant, de bons
résultats pourraient aussi être obtenus par les techniques
productives internes. En effet, surtout dans le domaine agronomique, les
techniques
39 Voir Annexe 4 : Plan de disposition des
variétés de cacao
75
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
traditionnelles et techniciennes obtiennent des
résultats qui correspondent aussi bien les unes que les autres aux
normes finales qu'exigent les acheteurs, mais les techniques traditionnelles ne
sont pas valorisées. J'ai assisté à une altercation entre
l'ingénieur agronome du projet et un agriculteur sur la manière
de planter les cacaoyers. La profondeur exigée par l'agronome ne
correspondait pas aux habitudes locales de plantation, alors que selon les
agriculteurs, leur manière de planter les produisait de très bons
résultats. Malgré la courte distance entre les trois
communautés du projet, il y a une différence d'altitude et de
précipitation qui fait que la terre a une solidité et une
humidité variable: A San Lucas Aguacate, elle est assez rugueuse et peu
humide. A Poité Centro, elle est plus humide et molle et, et à La
Compuerta qui est la communauté la plus haute et la plus proche des
Caraïbes, il y a plus de précipitations et la terre est très
humide et boueuse. Cette variabilité entre les trois communautés
n'est pas démesurée mais peut tout de même se remarquer
à l'oeil nu et se sentir au touché. Cet exemple de la mesure
unique de profondeur des plantations pour les trois communautés nous
laisse donc penser que les savoirs et normes de plantation des agriculteurs
devraient être mieux pris en compte par les institutions.
3-1-2 L'image de la participation
Lors d'un entretien avec le coordinateur de projet de l'ONG
ProPetén, je lui ai demandé ce qu'il pensait de la participation,
par rapport aux associations paysannes dans le projet cacao, et ce que cela
avait changé. Sa réponse spontanée m'a beaucoup surprise.
En effet, il m'a répondu très clairement «siempre hay el
componente de fortalecimiento organizacional y participativo en casi todos los
proyectos» («Il y a toujours la composante de renforcement
organisationnel et participatif dans quasiment tous les projets »). Cette
réponse évoquant les associations paysannes et la participation
de manière instrumentale et habituelle, montre une certaine routine
procédurale. Ceci illustrerait le constat général de
Jean-Pierre Chauveau lorsqu'il a exprimé que «la très
grande majorité des agents et des agences de développement se
réfèrent à la Participation comme à une conception
alternative récente et désormais incontournable, à la fois
en tant que modèle intellectuel et en tant que modèle
d'action.» (1992 : 9)40
Lorsque les institutions parlent d' « approche
participative », il convient de veiller à ce que la participation
ne devienne pas simplement une rhétorique politiquement correcte. La
façon trop courante d'homogénéiser les agriculteurs
participant, de généraliser et de simplifier les
40 CHAUVEAU J-P., 1992, « Le "modèle
participatif" de développement rural est-il "alternatif" ? »,
Bulletin de l'APAD, n°3, Revues Apad (ed.) : 12 p.
76
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
groupes culturels entraine l'évolution de la «
participation » de manière aléatoire et imagée. Dans
les discours, la participation revêt une image éthique d'un point
de vue extérieur, lors de la lecture des rapports d'activités ou
du contrat de projet de l'ONG avec le bailleur de fond. Cependant, sur le
terrain, j'ai pu remarquer des décalages entre ce discours et la
réalité.
- La vision homogène des agriculteurs basée sur
un fonctionnement social utopique démocratique:
Les agriculteurs et les villageois en général,
sont vus par les institutions comme faisant partie d'un groupe homogène.
En effet, les techniciens parlent « du » paysan en
général, ce qui réduit les individus à leur
fonction de producteurs sans prendre en compte leurs rôles d'acteurs
sociaux (Lavigne-Delville P., Mathieu M., & Nour-Eddine S., 1999 :
22)41. Il y a en réalité une multitude de sous-groupes
même lorsque la population est peu nombreuse. La différence de
statut social se remarque aussi dans les villages q'eqchi' et même entre
les agriculteurs des associations faisant partie du projet cacao. Dans ce
contexte, face à ce projet ainsi qu'aux autres problèmes qui sont
traités par les associations locales et les ONG dans ces villages, les
individus vont réagir avec une diversité d'attitudes et de
comportements. Au niveau de la participation, cela se ressent, car les
personnes ont des intérêts et des projets personnels parfois
liés au projet. Cela les incite plus ou moins à participer comme
nous le verrons ensuite avec les « courtiers du développement
». Les différents comportements face à la participation sont
aussi liés au fonctionnement hiérarchique des villages et des
sous-groupes. Dans ces trois groupes q'eqchi', j'ai pu remarquer quatre
caractéristiques de statuts qui attribuent une autorité aux
personnes, reconnue au niveau des villages et des associations locales : a) Le
statut de guide spirituel : Ces guides spirituels sont ont formé
des groupes de 5 à 7 hommes, souvent âgés, dans chaque
communauté. Ils sont reconnus pour être dotés d'un savoir
spirituel unique et d'une communication avec les ancêtres. Ils sont
présents dans toutes les cérémonies importantes et se
regroupent lors de prises de décisions importantes ; b) Le statut
d'ancien (anciano) : le système de gouvernance de la
société Q'eqchi' donne une place privilégiée aux
hommes âgés. Les plus jeunes leur doivent le respect et
l'obéissance. Lors d'une réunion de formation, j'ai pu assister
à un conflit entre l'agronome et un ancien de l'association de La
Compuerta, dû à l'incompréhension de cet ordre social.
Alors que l'ingénieur agronome s'est adressé de manière
jugée trop directe et trop autoritaire à cette personne d'un
certain âge, celle-ci s'est levée et s'est écriée
« No soy un jovencito » (je ne
41 LAVIGNE-DELVILLE P., MATHIEU M., &
NOUR-EDDINE S., 1999, Les Enquêtes Participatives en Débat.
Ambition, Pratiques et Enjeux. Gret-Karthala-ICRA, Paris : 543 p.
77
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
suis pas un petit jeune) ; c) Le statut de premier arrivant
: Ce statut est très spécifique des communautés
q'eqchi' ayant migré comme celles du projet. La construction sociale du
pouvoir dans ces communautés se fonde sur la « dichotomie entre
premiers occupants et derniers arrivés » (Chauveau et Jacob, 2004),
même si ces rapports sont amenés à être
dépassés par la suite. Pour les familles de « migrants
fondateurs » qui sont arrivées les premières lors de la
migration, le fait de contrôler et aider l'installation de nouvelles
familles leur a permis d'imposer leur pouvoir ; d) Le statut d'aisé
: Ce statut concerne les personnes ayant plus de moyens financiers et
matériels ce qui leur donne du prestige et du pouvoir. Dans les villages
concernés par le projet, certains associés avaient plus de moyens
que d'autres, étaient propriétaires de plus de terres et avaient
des intrants économiques s'ajoutant à l'agriculture comme par
exemple le propriétaire de la boutique du village.
Certaines personnes peuvent cumuler plusieurs de ces statuts
et ainsi augmenter leur autorité et pouvoir au sein des groupes. Dans le
projet cacao, l'ONG ne prend pas en compte ces différences de statut
social internes. La « démocratie participative » mise en
valeur dans les discours des ONG n'est alors qu'un reflet faussé de la
réalité. Selon J-P Olivier de Sardan et Giovalucchi F.
(2009)42, le système de cadre-logique utilisé par les
institutions de développement reflète une vision «
dépolitisée » du développement, où «
aucune référence n'est faite aux conflits sociaux et
politiques, aux privilèges de castes et de classes, aux systèmes
de patronage et aux clivages factionnels, aux injustices, aux rapports de
force, aux éthiques professionnelles et sociales, et à bien
d'autres variables pourtant décisives en ce qui concerne les
sociétés humaines et l'action collective en
général, et le développement des pays du Sud en
particulier. »
Les projets de développement entre ONG et organisations
paysannes connaissent des échecs pour deux raisons principales qui sont
selon Veiga (1999) : l'inadaptation des projets aux conditions
agro-écologiques ou sociales, et l'absence de conditions de dialogues
suffisantes à l'intercompréhension et à la
concertation.
Comme nous l'avons remarqué, même s'il y a un
équilibre dans la société Q'eqchi', il ne repose pas sur
la démocratie telle qu'on l'entend dans la culture occidentale mais sur
d'autres principes d'autorité. La démocratie
désirée par les institutions dans les projets n'est pas
42 OLIVIER DE SARDAN
J-P. et GIOVALUCCHI F., 2009, «
Planification, Gestion et Politique dans l'aide au développement: Le
cadre logique, outil et miroir des développeurs », Revue Tiers
Monde, n°198, Armand Colin : p. 383-406.
78
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
spontanée mais suscitée de l'extérieur.
Ces règles importées de vote et de participation
générale sont alors souvent bridées par le fonctionnement
traditionnel. Par exemple, certaines personnes s'expriment beaucoup moins que
d'autres lors des réunions, notamment les femmes et les jeunes, car ils
ont moins d'autorité que les autres. Lors d'une animation de groupe sur
les outils de la MARP, deux femmes se trouvaient au sein d'un groupe d'hommes :
j'ai pu remarquer le sentiment de gêne qu'a ressentie une des femmes
à qui j'ai eu la maladresse de donner la parole pour s'exprimer sur une
idée de projet d'élevage de poules, dont elle m'avait fait part
lors d'un entretien en privé. Elle a tout de suite eu une attitude
différente devant les hommes dans la réunion, comme si ce
n'était pas à elle d'exprimer une idée de la sorte. La
réaction des hommes à cette idée a été
négative. Je n'ai pas pu savoir si dans le cas où un homme (ou
une femme venant de l'extérieur) avait donné la même
idée, les membres auraient réagi différemment.
En plus de la participation lors des réunions, on
trouve aussi une différence entre les leaders « officiels » et
les leaders « officieux ». Les leaders qui ont été
élus de manière démocratique selon les normes de vote
institutionnel, comme les leaders des conseils administratifs des trois
associations paysannes. Cependant, ces derniers ne sont pas forcément
ceux qui décident, car comme nous l'avons vu, les vraies
décisions sont prises principalement par les guides spirituels, les
anciens, ou les villageois aisés, qui eux, assistent rarement aux
réunions participatives organisées par les institutions.
Dans ces conditions, les réunions « participatives
sont biaisées. Blanc-Pamard C. et Fauroux E. (2004)43 ont
fait le même constat dans une étude sur la participation des
populations dans un projet à Madagascar. Dans ce contexte, il est
difficile de définir des stratégies de « bonne gouvernance
» au sens occidental du terme. Le projet cacao donne autant de
privilèges à tous les bénéficiaires membres de
l'association, quelle que soit leur prestige et leur autorité dans les
communautés. On ne peut cependant pas affirmer que la stimulation de la
participation par les institutions revient à dire que l'envie de
participer des membres habituellement inactifs n'existe pas.
Il faut donc s'attendre à ce que
l'égalité démocratique installée dans les projets,
basée sur une vision mystifiée de la participation, soit
modifiée par la suite. Je pense surtout au moment où les
bénéfices économiques du projet vont commencer à
apparaître lors de l'étape de la
43 BLANC-PAMARD C. et FAUROUX E., 2004, «
« L'illusion participative » Exemples ouest-malgaches. »
Autrepart, n° 31, Presses de Sciences Po : p. 3-19
79
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
commercialisation : Ces rendements pourraient être
taxés entre les membres, ou des mécanismes de «
rééquilibrage des statuts » pourraient se mettre en place
par des systèmes de contrepartie de biens ou/et de services afin de
redonner du pouvoir aux personnes prestigieuses. Cela n'exclut pas la
possibilité d'ascension sociale de certains membres par le biais du
projet, mais cette possibilité est déjà moins
évidente.
- La culture traditionnelle instrumentalisée à
l'extrême .
·
« - Lorsque moi j'emploie un mot, réplique
Heumpty-Deumty d'un ton de voix quelque peu dédaigneux, il signifie
exactement ce qu'il me plaît qu'il signifie... ni plus ni moins.
- La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le
pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu'ils veulent
dire. - La question, riposta Heumty-Deumpty, est de savoir qui sera le
maître... un point, c'est tout. » Lewis
Carroll, De l'autre côté du miroir.
Dans beaucoup de projets dont les bénéficiaires
sont reconnus comme des « groupes culturels traditionnels », on
retrouve dans les discours une valorisation de ces cultures traditionnelles,
souvent attendues par les grandes institutions donatrices et bien vues par la
population étrangère et citadine. Dans le cas du Petén, la
culture Maya est très valorisée dans les projets, mais nous
pouvons remarquer qu'elle est souvent instrumentalisée dans les discours
des institutions de développement, qui gratifient les pratiques dites
« ancestrales », parfois de manière démesurée et
inadaptée aux populations locales.
- L'homogénéisation de la culture Maya
.
·
La culture Maya est très connue dans le monde entier
pour ses pyramides, son calendrier astrologique ou encore sa mythologie. Elle
est connue plus localement dans la région d'Amérique Centrale
pour ses traditions, ses croyances, son histoire, ses musiques ou encore ses
tenues traditionnelles.
Il faut savoir que lorsqu'on parle de « culture maya
», ce terme général regroupe en fait plusieurs sous-groupes
culturels variés et distincts qui s'étendent dans quatre pays, du
sud du Mexique au Salvador. Même si des caractéristiques
culturelles rassemblent les Maya du Salvador et ceux du Mexique, chacun de ces
groupes a ses propres traditions, sa culture et son identité historique.
Au total, 71 langues mayas ont été registrées. Elles sont
regroupées en six grandes catégories : tzeltal-chol,
huastèque, kanjobal-jacaltèque, quiché, mam, et
yucatèque. Le groupe Q'eqchi' fait partie de la catégorie
quiché, qui est présente principalement au Guatemala, au Belize
et au Salvador.
80
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
J'ai pu remarquer que lors de la valorisation culturelle dans
les projets, la culture « Maya » est mise en valeur, mais peu de
références à la spécificité de la culture
Q'eqchi' se notent. Les spécificités régionales et
temporelles ne sont pas prises en compte.
Dans le projet de cacao, le choix de la culture du cacao
décrit comme « intégré » et demandé par
les anciens44, est valorisé dans le contrat avec le bailleur
de fond par le fait que cette culture soit « ancestrale ». En effet,
à l'époque des Maya classiques, les fèves de cacao
servaient de monnaie d'échange. Même si aujourd'hui le cacao est
encore utilisé dans certaines cérémonies, il est produit
en très petite quantité et les agriculteurs des trois villages
avaient en fait peu de connaissances concernant cette culture.
- La justification écologique des savoir anciens
.
·
Les vulgarisateurs ou formateurs tel que l'ingénieur
agronome du projet cacao conseillent des techniques aux agriculteurs utilisant
des savoir et pratiques « ancestrales ». Par exemple, ils
recommandent des techniques de diversification des espèces
cultivées et parfois des techniques intensives. Ce discours s'appuie sur
des représentations collectives des valeurs écologiques des
savoirs anciens et sur l'idée que les autochtones sont gardiens du
savoir sur les systèmes productifs des mayas
pré-colonisés. Selon R. Effantin-Touyer (2006), ces techniques
justifiées par les savoirs anciens ne sont plus toujours adaptées
à la réalité actuelle. En effet, au vu de la situation
écologique, démographique et sociale du Petén actuel, qui
a subie de fortes modifications géographiques, géologiques et de
techniques au cours des siècles, une forte pression agraire qui est
apparue sur le milieu, tout comme le changement climatique et les
dégradations écologiques, les techniques ne peuvent être
les même qu'à l'époque précoloniale.
- Une méconnaissance et inadaptation culturelle des
techniques dites «traditionnelles» .
·
Un consultant du projet cacao de l'ONG ProPetén m'a
fait part lors d'un entretien de son incompréhension ainsi que celle de
ses collègues par rapport à un projet qui n'a pas du tout
fonctionné dans les communautés Q'eqchi' sur la mise en place de
huertos (jardins) « ancestraux maya ». Il m'a
expliqué un des problèmes qu'il rencontre souvent depuis des
années qu'il travaille avec les Q'eqchi' : Le problème de
dénutrition étant souvent
44 « Les anciens de la communauté ont
exprimé le besoin de la culture pour la consommation locale et pour
s'insérer dans le marché national et international »
Traduction personnelle de : «los ancianos de la comunidad demandaron
la necesidad de cultivarlo para consumo local y para incursionar en el mercado
nacional e internacional», In Plan de negocio, p.4.
81
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
diagnostiqué dans de nombreuses communautés de
la région, plusieurs projets de « sécurité
alimentaire » se sont instaurés.
Les populations ancestrales et les populations autochtones du
Petén rencontrent habituellement très peu ce problème, car
elles ont un système d'agriculture diversifiée dans leur «
jardin » : toutes les familles ont un terrain assez vaste pour pouvoir
planter des arbres fruitiers (oranges, avocats, citron...) et des
légumes (tomates, ...) qui leur garantit une sécurité
alimentaire gérée au niveau familial surtout par les femmes, qui
s'occupent du jardin pendant que les hommes travaillent dans les champs.
Les populations Q'eqchi' ayant migré du sud (Alta
Verapaz, Izabal...) n'avaient pas ce système de diversification
alimentaire et ne connaissaient pas la manière de cultiver sous forme de
jardins (huertos). Elles étaient plutôt habituées
à planter du maïs et des frijol en assez grande
quantité pour en garder une partie et vendre le surplus pour acheter
d'autres aliments.
Le problème au Petén est le manque d'espace en
terres pour pouvoir cultiver le maïs en grande quantité, ainsi que
l'épuisement des terres par la pratique du « brûlage »
des terres et la question environnementale. Ces nouvelles conditions imposent
des changements au niveau des pratiques culturales.
Les projets de développement ont donc concentré
leurs efforts pour diversifier la production par le système de jardin,
à la fois pour des questions de sécurité alimentaire et
des questions environnementales. Pourtant, ces projets sont souvent des
échecs avec les Q'eqchi'. Ils n'adhèrent pas aux projets, ne
veulent pas planter les nouvelles espèces même quand elles leur
sont données, ne sont pas motivés, revendent entre eux ou
à des agriculteurs des communautés voisines les graines et les
plantes reçus etc...
Les agents de développement ne comprennent pas du tout
pourquoi ces projets de jardin ne fonctionnent pas et pourquoi les
bénéficiaires sont passifs et indifférents à ces
projets, alors que pour les populations indigènes du nord du
Petén, cela fonctionne très bien. Nous pouvons penser que la
manière d'imposer le changement des habitudes culturales en justifiant
le caractère ancestral et autochtone de ces systèmes peut
être une des raisons à cet échec. En effet, il y a peu de
lien identitaire des communautés avec ce nouveau territoire et ces
techniques pour eux étrangères. De plus, les fruits et
légumes proposés dans les projets ne sont peut-être pas des
aliments consommés habituellement, ce qui peut aussi provoquer ce rejet.
Le manque de savoir sur la manière de les cuisiner, par exemple pour les
légumes, peut
82
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
être un frein important. Enfin, nous pouvons penser que
le rôle et les contraintes des femmes sont différents entre les
femmes q'eqchi' et les femmes autochtones de la région du
Petén.
Selon Effantin-Touyer R. (2006 : 176), l'invocation de savoirs
anciens dont on ne sait finalement que peu de choses et surtout dont on ignore
s'ils ont toujours été favorables à la conservation des
ressources naturelles permet souvent aux développeurs de s'adresser
à des migrants qui, par ce statut, « ont tout à
apprendre de l'ancêtre autochtone (antepasado) ». La
justification historique et culturelle d'une image participative domine
totalement l'analyse du contexte économique, politique et social dans
lequel la vulgarisation agricole intervient. Alors que comme le montre des
données archéologiques, dans cette région du Petén,
l'un des principaux centres de la civilisation Maya semble avoir disparu
après des siècles d'expansion parce que les besoins de sa
population en expansion ont entraîné l'épuisement du sol
par érosion (Douglass, 1984)45.
Nous pouvons voir avec l'illustration suivante que dans les
manuels de vulgarisation et de formation de projets agricoles, cette
valorisation de la culture maya est mise en avant par certains signes : la
tunique traditionnelle du personnage à droite, ainsi que sa coiffure qui
représente la coiffure traditionnelle et de profil, comme sur les
stèles de l'époque classique que l'on retrouve dans la
mythologie, mais qui n'existe plus dans aucune culture maya actuelle.
Illustration : L'apprentissage des pratiques culturales
« traditionnelles »
Source : manuel de CARE : « la permacultura petenera
» (« La permaculture du Petén »)
45 P. 27 In REIJNTJES C., HAVERKORT B.
& WATERS-BAYER A., 1995, Une agriculture pour demain. Introduction à
une agriculture durable avec peu d'intrants externes, CTA-Karthala, Paris : 472
p.
83
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
On remarque ici la vision idéale transmise et
diffusée par le pouvoir légitimé des institutions, avec la
représentation d'un paysan du Petén à gauche qui partage
les pratiques culturales avec un Maya de l'époque classique.
Il convient alors de prendre en compte les «
clichés de l'autochtonie » venant souvent des environnementalistes
occidentaux qui se sont appropriés de certaines représentations
autochtones et les ont simplifié pour donner un ancrage local à
leurs projets (Roué Marie, 2003)46.
- Des savoirs « locaux » des migrants q'eqchi'
inadaptés aux besoins actuels :
En plus de la valorisation générale des aspects
« ancestraux » et « Maya », on trouve aussi la valorisation
des « savoir locaux », en ce qui concerne l'approche participative
dans les projets. Comme nous l'avons mentionné, les q'eqchi' on
migré des régions d'Alta Verapaz et d'Izabal, où ils
avaient perpétué depuis des générations des savoirs
agricoles, mais aussi d'autres savoirs par rapport au milieu naturel, à
l'utilisation des plantes etc... Arrivés au Petén, certains de
ces savoirs n'étaient pourtant plus adaptés, du fait des
différences climatiques et agraires. Le climat est plus sec au
Petén que dans le sud par exemple. Dans certains cas, le manque
d'adaptation de ces savoirs au nouveau contexte crée des
difficultés comme l'appauvrissement des sols dû à la
pratique de culture sur brûlis, qui posait moins de problèmes dans
la région d'Alta Verapaz où les feux se déclenchent
rarement. Par rapport aux plantes médicinales, les anciens savaient
soigner avec des plantes qu'ils trouvaient dans leur région de
départ, mais celles-ci n'existent pas dans la région du
Petén.
Il paraît donc important que les associations paysannes
communiquent entre elles et avec l'extérieur sur la dangerosité
de certains savoirs locaux qui étaient pratiqués dans les
régions de départ. Par ailleurs, de la part des ONG, il est
important de valoriser les savoirs locaux, mais lorsqu'il s'agit de savoirs
inadaptés, il conviendrait d'informer les populations et de proposer des
alternatives adaptées aux nouvelles conditions régionales.
De plus, beaucoup de savoirs dits « locaux » sont
aussi méconnus par un grand nombre de jeunes qui appartiennent à
la première génération née dans cette nouvelle
région, de parents ou grands- parents migrants. L'éducation sur
les savoir locaux a été perturbée par ce
phénomène de migration.
46 ROUE M., 2003, « ONG, peuples autochtones
et savoirs locaux : enjeux de pouvoir dans le champ de la biodiversité
», Revue internationale des sciences sociales, n° 178,
Editions Eres : p. 597-600.
84
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Selon J-P Darré47, au lieu de tenter de
maintenir les savoir locaux oubliés ou inadaptés au nouveau
contexte et de les préserver comme des espèces rares,
«Ce qui paraît le plus important ce n'est pas de conserver des
savoirs mais de conserver des ressources. Et ces ressources ne résident
pas dans des savoirs déjà acquis et construits mais dans la
capacité d'une population à produire des savoirs nouveaux
adaptés aux changements de situation.». Pour lui, il est alors
plus utile d'accorder l'attention aux différents acteurs,
c'est-à-dire au paysans, aux chercheurs, aux techniciens, de
manière à collaborer pour adapter les exploitations aux
conditions actuelles et à ouvrir de nouvelles perspectives.
- L'importation de formations maquillées sous le terme
de « renforcement de capacités » :
Toujours dans le discours de la valorisation des acquis
locaux, dans le cas des associations paysannes, on trouve
régulièrement l'expression de « renforcement de
capacités ». Dans les faits sur le terrain, nous pouvons rapidement
nous rendre compte que pratiquement toutes les capacités sensées
être renforcées sont en fait nouvelles et importées de
l'extérieur.
Les raisons des choix de projets correspondant à des
discours valorisés au niveau international par les bailleurs de fonds,
portant sur les valeurs de « participation », de « culture
ancestrale », de « savoirs locaux », ou encore de «
renforcement de capacité » doivent alors être analysés
avec attention. D'après le décalage que j'ai pu voir entre les
discours de cette ONG et la réalité de terrain, ainsi que les
différentes études anthropologique confirmant ce décalage,
nous pouvons penser qu'il existe dans la plupart des projets. Dans ce contexte,
je pense que la précision du vocabulaire utilisé dans le discours
du développement est un détail qu'il ne faut pas négliger.
En effet, lorsque ces discours ne correspondent pas à la
réalité locale et ne sont pas adaptés aux besoins des
populations, nous devons nous poser la question des intérêts
sous-jacents qu'ils peuvent dissimuler. Parmi ces intérêts, les
besoins économiques des ONG dépendantes des bailleurs de fonds
internationaux paraît être le plus important. Celles-ci sont sans
cesse en recherche de financement et doivent trouver des stratégies pour
faire survivre leurs projets. Le plus souvent, encore aujourd'hui,
malgré le fait que les agriculteurs aient la possibilité de
s'exprimer via les associations paysannes et les fédérations, les
actions de développement sont malheureusement dictées en grande
partie par le discours des acteurs internationaux qui ont le plus de
pouvoir.
47 Jean-Pierre Darré : Savoir-faire,
tradition paysanne et Développement. Emission radiophonique de F.
ESTEBE, réalisation de D. FINOT, France Culture, 26 Aout 1990,
cité In DUPRE G., 1991, Savoirs paysans et
développement. Karthala-Orstom, Paris : 523
85
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
De plus, on trouve souvent des déséquilibres
dans la valorisation des critères. Dans le projet de production de cacao
par exemple, c'est l'aspect culturel qui est mis en valeur. Cependant, à
travers mon enquête, j'ai remarqué une absence totale de la prise
en compte des femmes dans ce projet. L'aspect « genre »
utilisé dans d'autres projets a alors été remplacé
par la domination du discours culturel. Pourtant, les femmes ont un rôle
important à jouer dans le projet cacao. D'abord, en ce qui concerne la
gestion familiale des retombées économiques de la vente de cacao
; ensuite, dans l'acceptation sociale du projet, afin de lui donner une
importance au niveau familial. C'est pourquoi l'une des activités
choisies des plans de développement a été la formation
culinaire pour la fabrication de chocolat : les femmes ont exprimé le
désir d'apprendre quelque chose de concret et d'utile par rapport
à ce projet et d'en tirer des avantages autres qu'économiques
(dans ce cas précis, la consommation alimentaire).
- Des « courtiers » et courtières du
développement :
Dans les projets, le discours institutionnel est rapidement
identifié et analysé par les populations
bénéficiaires. Pendant mon séjour chez le président
de l'association d'agriculteurs de San Lucas Aguacate, nous avons eu une
discussion sur la participation aux réunions. Il a fait une comparaison
qui peut paraitre étonnante, mais qui décrit tout à fait
le système de punition/récompense qui découle de la
participation. En effet, il a comparé la participation des agriculteurs
membres aux réunions organisées par les ONG à la
participation des croyants à la messe. Pour lui, en assistant à
la messe, on est un « bon croyant », on est bien vu par les autres
villageois et cela nous apporte des bonnes choses dans la vie par la suite.
Parallèlement, en assistant aux réunions des ONG, on est un
« bon associé » ou « bon partenaire » (bueno
socio) bien vu par les ONG et cela peut nous apporter des projets et
parfois d'autres avantages.
Certaines personnes sont indifférentes aux discours sur
la participation, d'autres les critiquent, et quelques-uns en profitent de
manière stratégique. J-P Olivier de Sardan, J-P Chauveau et T.
Bierschenk (2000)48 ont surnommé ces derniers les «
les courtiers locaux du développement ».
Ces auteurs ont dissocié plusieurs types de courtiers
et différents réseaux d'appartenance auxquels ils appartiennent,
et les ont classés dans une typologie. Dans celle-ci, ils ont fait
apparaître quatre grandes catégories :
48 BIERSCHENK T., CHAUVEAU J.P. & OLIVIER de
SARDAN J.P., 2000, Courtiers en développement. Les villages africains en
quête de projets, Karthala, Paris : 328 p.
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
? Les réseaux « confessionnel » : En
appartenant à un groupe religieux, comme l'Eglise catholique ou
évangélique dans le cas de la région du Petén,
certains individus occupent des places importantes au sein de ces espaces
sociaux et se créent un réseau qui les aide parfois à
mobiliser de l'aide au développement ;
? Les « cadres » originaires d'une
localité : cette catégorie regroupe les fonctionnaires,
universitaires, immigrés, commerçants, qui ont acquis en ville ou
à l'extérieur un certain pouvoir, certaines connaissances des
institutions et des compétences professionnelles qui les
privilégient pour impulser des projets de développement. C'est le
cas des personnes qui ont migré au Belize ou aux Etats-Unis et qui sont
revenus dans leur village au Petén, ou bien de celles qui sont parties
travailler en ville dans l'administration.
? Les mouvements culturels/ethniques : Comme nous
l'avons vu dans la partie précédente, le discours du
développement dans la région du Petén est dominé
par la valorisation des savoirs « ancestraux Maya », et de
l'indigénéité des groupes. Certains groupes locaux ont
compris cette tendance et profitent de ce discours pour mettre eux-mêmes
en valeur ces caractéristiques et renforcer ainsi leurs capacités
clientélistes. Par exemple, lors d'une visite dans la communauté
de Poité Centro au début du projet, un camion a amené aux
agriculteurs les plants de cacao. Comme la route entre les villages est
très détériorée, le passage du camion a
immédiatement été repéré par les
communautés voisines. Lorsque nous sommes arrivés, le
coordinateur du projet cacao et moi-même, trois femmes inconnues qui
venaient d'un village voisin nous ont abordés à peine quelques
minutes après le déchargement des plants. Elles parlaient
très peu l'espagnol, mais elles ont réussi à nous faire
comprendre très clairement qu'avec une quinzaine d'autres femmes
indigènes q'eqchi' de leur village, elles s'étaient
organisées en groupement, et qu'elles cherchaient des projets de
développement. Habituées aux discours, elles ont insisté
sur le fait qu'elles étaient un groupe indigène, de femmes
essentiellement (elles n'ont pas utilisé le terme de « genre
», mais elles étaient apparemment habituées à
insister sur ce point aussi) et nous ont même proposé des types de
projets auxquels elles pouvaient adhérer (projet productif, projet
d'élevage, projet d'artisanat...). Des groupements culturels se
créent alors parfois presque exclusivement dans le but de faire parvenir
des projets dans leur village.
? Les « leaders paysans » : Dans un grand
nombre d'ONG, les formations techniques de « renforcement de
capacités » sont dirigées vers ceux qui sont
désignés ou reconnus comme « leaders paysans ».
Après avoir reçu ces formations, ces personnes ont ainsi
87
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
acquis un savoir-faire (souvent administratif) et une
proximité avec les acteurs extérieurs qui leur permet de traiter
directement avec les institutions. Les associations paysannes du projet cacao
fonctionnent de cette manière ayant une petite partie de « leader
» plus informés et ayant une relation privilégiée
avec les acteurs des ONG. J'ai pu remarquer plusieurs fois que ces personnes
demandaient plus facilement des services personnels à l'ONG. Ainsi, un
de ces agriculteurs reconnu « leader » par l'ONG a commencé
à demander régulièrement à l'ingénieur
agronome de l'aider à lui amener des chèvres d'un village par le
biais du quatre-quatre. Ces privilèges des leaders peuvent sur le long
terme créer des inégalités.
Cette typologie montre bien que les populations ont
très bien cerné le discours. Dans un certain sens, elles peuvent
alors inverser la tendance décrite habituellement, en passant de «
victimes » à « profiteuses ». Cependant, cette approche
est relative, car ces nouveaux clientélistes qui utilisent le discours
du développement sont souvent une minorité dans les villages et
le déséquilibre des bénéfices est toujours
présent.
Une autre forme collective de « courtage » est
décrite par J-P Jabob dans son analyse sur l'aide au
développement au Tchad. Cette forme consiste à profiter de la
pluralité des institutions et des défaillances organisationnelles
de ces dernières. En effet, il explique que « d'autres groupes
peuvent réagir avec aisance et tirer profit de l'absence de concertation
entre intervenants (doubles financements, comptabilité en double des
projets réalisés...). Certains paysans tchadiens tâchent de
faire comprendre cette aptitude au pluralisme aux experts en faisant l'analogie
avec leur situation matrimoniale : "nous sommes polygames...". » (1992 :
4).
Dans cette partie, nous avons pu comprendre que l'approche
« participative » sous-entend des pratiques et des discours
instrumentalisés qui donnent rarement lieu a une réalité
effective. Dans certains cas, la participation est imposées ce qui la
rend artificielle, dans d'autres cas, elle est limitée aux idéaux
stéréotypés des institutions qui ont le pouvoir. «
Faire passer la responsabilité du centre vers la
périphérie implique le consentement de ceux à qui est
confié le pouvoir. » (Lavigne-Delville P., Mathieu M., &
Nour-Eddine S., 1999 : 261). Puis, de manière déguisée,
elle est quelquefois utilisée par certains bénéficiaires
à titre personnel.
88
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Le vice du discours se trouve donc à tous les niveaux
d'acteurs: les institutions internationales, la société civile,
et les bénéficiaires. Chacun d'entre eux en profite plus ou moins
à sa manière, selon ses propres intérêts.
Dans la prochaine partie, nous allons voir que les limites des
associations d'agriculteurs n'est pas seulement due à la logique de
développement top-down et à l'image de la participation, mais
aussi à de grandes difficultés liées au contexte
socio-économique et politique de la région du Petén.
3-2 Les difficultés liées au contexte
socio-économique et politique
Les associations paysannes sont confrontées
généralement à des difficultés d'ordre
socio-économiques et politiques qui limitent leurs possibilités
d'action. Dans la région du Petén, l'instabilité politique
permanente depuis des années, la pression agraire ainsi que le
désengagement de l'état ont décuplé ces
difficultés qui ne peuvent être gérées au niveau des
associations.
3-2-1 La situation économique et de service de
base
Les conditions économiques de base des
communautés constituent un handicap face aux projets que les
associations veulent entreprendre.
Dans la communauté de San Lucas et de la Compuerta par
exemple, les conditions de vie difficiles dues au manque des services de base
se ressentent. N'ayant pas accès à l'eau potable et à
l'électricité et ayant une route très
détériorée, les priorités d'accès à
ces services de base priment sur la priorité de développement
local d'autres activités. A cause de ces problèmes ressentis
comme plus urgents, les associations locales portent moins
d'intérêt aux projets productifs, artisanaux, ou culturels.
Cet obstacle est visible dans la majorité des
communautés rurales du Petén. Les associations paysannes luttent
pour obtenir ces services de base, mais les ONG ont rarement assez de moyens
pour pallier à ces difficultés et la sphère
étatique s'en désengage la plupart du temps.
En plus de ces obstacles qui sont des priorités
d'urgence, il y a les priorités sociales des investissements. En effet,
la nature des frais communautaires privilégie les investissements
immatériels cérémoniaux aux investissements productifs.
Les célébrations et cérémonies qui émaillent
la vie sociale des communautés, tels que les naissances, baptêmes,
mariages, funérailles sont des évènements de la plus haute
importance pour les villageois. Ils dépensent pour cela des sommes
considérables par rapport à leurs moyens économiques.
Quand j'étais
89
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
logée chez une des familles de la Compuerta, celle-ci
n'avait à certaines périodes de l'année pas les moyens de
manger à sa faim, mais elle a économisé pendant des mois
pour acheter un porc que le père allait tuer pour les 18 ans de sa fille
aînée. En plus, cet animal ne représentait qu'une partie
des frais de la cérémonie.
Lorsque l'argent n'est pas dépensé pour les
cérémonies, il est parfois converti en prestige social par les
hiérarchies communautaires.
Ces frais culturels empêchent alors l'épargne qui
pourrait être utile pour contribuer aux projets productifs, même
pour les associations communautaires qui font elles aussi partie du
système culturel et qui participent aux dons qui financent les
cérémonies.
3-2-2 Le paternalisme très enraciné
Parallèlement au désengagement de l'Etat
vis-à-vis des problèmes communautaires, la
décentralisation est encore très difficile au Guatemala.
L'organisation des institutions municipales et communautaires est un
impératif économique urgent et essentiel, mais il reste un
processus inachevé. Comme le décrit Omar Bessaoud pour le cas du
Maghreb, les associations agricoles et rurales sont aussi au Guatemala sous la
tutelle et/ou l'autorité des administrations locales, ce qui limite leur
autonomie et leurs capacités d'intervention (Omar Bessaoud, 2008 :
13).
L'attitude générale de ces associations est
souvent très active dans la recherche de projets et de partenaires, mais
lorsqu'ils signent un accord pour démarrer un projet, elles deviennent
plus passives par rapport à la gestion. A l'intérieur des
communautés, la légitimité des responsables des
associations repose plus souvent sur leur capacité à drainer des
ressources financières et matérielles ainsi que des projets
d'ONG, qui sont visibles directement, plutôt que de gérer et
d'organiser des projets internes. C'est ainsi que dans la communauté de
la Compuerta, le président de l'association, bien que passif par rapport
à ceux des deux autres associations, était bien vu par les
membres. Il avait réussi à apporter ce projet à la
communauté en premier par rapport aux deux autres. Par contre, le jour
où les plants de cacao ne sont pas arrivés comme prévu, il
était très nerveux car pour les villageois, il en avait
l'entière responsabilité. De ce fait, il allait recevoir les
critiques et revendications des agriculteurs.
Généralement, au Guatemala, en ville comme dans
les zones rurales, la population accuse le gouvernement de tous les
disfonctionnements, car selon elle, il est le seul acteur à pouvoir
faire changer les choses. Une attitude attentiste est visible, et on entend
souvent dire « Saber
90
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
si el gobierno se va a recordar de nosotros »
(« Qui sait si le gouvernement va se souvenir de nous »).
Le fonctionnement paternaliste de l'Etat et de la
société civile envers la population est une réalité
de longue date au Guatemala. Ce fonctionnement est à la fois volontaire
de la part les autorités, mais aussi inconsciente et vécue de
manière habituelle par les populations, surtout par rapport aux groupes
indigènes, comme nous le verrons ensuite. Ainsi, il est courant de voir
des partis politiques ou des grandes entreprises venir aider les populations,
bien sûr pour des intérêts clientélistes, mais cela
renforce ce fonctionnement paternaliste.
Pour aborder la question du paternalisme du côté
des populations, nous avons noté les critères historiques et
économiques qui peuvent expliquer leur passivité
stratégique face aux institutions et aux politiques extérieures.
Cependant, il serait intéressant d'effectuer des études
anthropologiques pour pouvoir analyser ce phénomène par les
systèmes de parenté des q'eqchi'. En effet, dans son
ethnographie, Liza Grandia (2009)49 montre que les liens de
parenté des q'eqchi' se basent sur la famille nucléaire, mais que
la place du père, des frères et des beaux-frères (oncles)
sont particulièrement importantes. Dans la langue q'eqchi', il y a deux
noms pour désigner couramment les frères, en distinguant les
frères aînés ([w]as) et les frères cadets
([w]itzin). Il y a également un nom spécifique pour
désigner les soeurs aînées (chaq'na) (Grandia L.,
2009 : 70-71, K'ulb'il Yol Twitz Paxil, 200450). Cette importance
donnée aux hommes et au rang dans la famille qui leur confère une
autorité reconnue nous fait nous interroger sur les liens qu'il pourrait
y avoir entre la parenté et le paternalisme. Dans les théories
anthropologiques anglaises des années 1950, la terminologie
utilisée dans les systèmes de parenté a été
ramenée aux mécanismes psychologiques d'apprentissage des
réalités sociales. Par exemple, A.R Radcliffe-Brown (1952) «
considère la parenté comme « un domaine
privilégié de droits et de devoirs » qu'organisent les
terminologies en fonction d'un certain nombre de principes « moraux »
(autorité, indulgence affective, etc.) qui tiennent eux-mêmes
à la nécessaire unité des groupes de parents (en
dernière analyse des groupes d'unifiliation). (...) En dehors de ces
implications épistémologiques, cette approche a contribué
à attirer l'attention sur un autre aspect de l'organisation et de la
parenté en système : la prescription sociale des attitudes.
(Bonte P. et Izard M., 1991 : 554)51. Sans prétendre
voir en cette théorie une explication globalisante sur le comportement
décrit comme
49 GRANDIA L., 2009, Tz'aptz'ooqeb' El despojo
recurrente al pueblo q'eqchi'. Avansco, Guatemala: 454 p.
50 K'ULN'IL YOL TWITZ PAXIL, 2004, Xtusulal Aatin
Sa' Q'eqchi' Vocabulario Q'eqchi'. Academia de Lenguas Mayas de Guatemala,
Guatemala: 411 p.
51 BONTE P. et IZARD M., 1991, Dictionnaire de
l'ethnologie et de l'anthropologie. Presse Universitaire de France, Paris : 841
p.
91
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
« passif » par les institutions, elle pourrait nous
aider à mieux comprendre les relations entre les acteurs. Nous pourrions
nous demander si certaines attitudes « paternalistes » des politiques
et des institutions envers les groupes q'eqchi' peuvent être
assimilées inconsciemment à l'importance de l'autorité et
du respect attribués aux hommes et au rang dans la famille, dans le
système de parenté q'eqchi'.
Pour finir, même dans les rares cas où les ONG et
les associations locales réussissent à établir une
relation encourageant une bonne participation des populations, ce
fonctionnement est totalement remis en cause lors de l'arrivée d'autres
acteurs qui ont un fonctionnement de communication totalement
déséquilibré. Par exemple, lors de la venue des politiques
et des entreprises privées, la démarche est souvent simple et
rapide : c'est une relation de don contre don où la participation et la
durabilité n'ont pas leur place. Les partis politiques donnent de la
nourriture, des vêtements, construisent des bâtiments, en
échange de votes. De la même manière, les entreprises
offrent des services et produits en échange de publicités, achats
... En voyant cette facilité d'accès aux produits dont ils ont
besoin par l'alliance directe et essentiellement économique avec ces
acteurs extérieurs, les populations ne voient parfois plus
l'intérêt de participer à des projets longs, pour lesquels
les résultats ne sont pas toujours sûrs ni visibles
immédiatement.
3-3 Les difficultés liées aux acteurs
3-3-1 Les phénomènes de
contre-pouvoir
- La concurrence entre les associations paysannes et les
autres groupes locaux:
Il existe des contre-pouvoirs entre les groupements de
même niveau. En effet, les associations de producteurs modifient souvent
les relations de pouvoir déjà existantes, faisant naître un
contre-pouvoir dans les villages et dans la région. Quelques temps
après leur création, les associations acquièrent une
reconnaissance municipale et institutionnelle comme c'est le cas pour les trois
associations du projet. De plus, elles ont accès petit à petit
à des avantages qui accroissent leur pouvoir. Cette évolution est
rapidement repérée par les nombreux groupements voisins qui sont
attirés par les mêmes avantages. La concurrence entre les groupes
se met alors en place. Bien que la solidarité existe entre certains
groupes comme nous l'avons mentionnée avec la « coopétition
» dans le premier chapitre, la tendance s'inverse depuis quelques
années du fait de la multiplication des associations. Lorsque les enjeux
sont importants et que les ressources sont limitées, c'est la
concurrence qui l'emporte bien évidemment.
92
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Le marché est un des enjeux capitaux de concurrence
entre les groupes locaux, car il est la principale source économique des
communautés rurales de la région. Son accès limité
ne permet qu'à ceux qui sont les plus organisés et qui ont le
plus de contacts avec les personnes de pouvoir, d'avoir une place. Chacun
essaye de maintenir ses acquis et ses relations.
Dans les pays comme le Guatemala où la présence
de l'aide humanitaire et de l'aide au développement est connue de tous,
l'accès à cette aide constitue un autre enjeu important pour les
groupements locaux. En effet, les projets sont visibles par la majorité
des communautés rurales, mais ils sont tout de même
limités. Les associations paysannes et autres types de groupements
(artisans, femmes, éleveurs...) sont en compétition pour obtenir
les projets, ce qui crée de nouvelles rivalités.
Dans le cadre du projet cacao, la communauté de la
Compuerta a été la première sélectionnée
pour le projet, et a commencé la collaboration deux ans avant les deux
autres communautés. Lorsqu'elle a appris la venue des communautés
voisines dans ce projet, elle s'est sentie menacée par une
éventuelle concurrence. Pour les membres de l'association de la
Compuerta, l'arrivée des autres associations signifiait que les
ressources de l'ONG allaient être partagées en trois et qu'ils
allaient donc recevoir moins d'aide.
- Les conflits fonciers :
Il y a aussi un contre-pouvoir de plus en plus marqué
depuis une dizaine d'années entre deux groupes n'ayant pas les
mêmes capacités d'action : les agriculteurs communautaires
(souvent q'eqchi') et les finqueros-vaqueros ou
ganaderos (fermiers-éleveurs essentiellement
ladinos).
En effet, après la « colonisation q'eqchi' des
années 1970, des éleveurs entrepreneurs venant de la
région côtière occidentale du Guatemala sont peu à
peu arrivés. Comme les q'eqchi', ils se sont aperçus que cette
région, la moins peuplée, offrait des possibilités de
production. Néanmoins, les agriculteurs q'eqchi' et les agriculteurs et
éleveurs ladinos venus de l'ouest n'avaient pas du tout les mêmes
moyens ni la même façon de fonctionner : Les finqueros
installent des grandes fermes et tiennent des exploitations agricoles et
animales à grande échelle (plusieurs hectares), de manière
intensive, en utilisant des machines ; Ils emploient beaucoup de main-d'oeuvre
qu'ils peuvent payer. Petit à petit, ces finqueros se sont
multipliés dans la région, car la monoculture d'huile de palme et
l'élevage bovin leur procurent de très bons rendements
économiques. Ils ont pris une grande partie du territoire et ont
commencé à encercler les régions agricoles occupées
par les q'eqchi'. C'est à partir de là que la pression agraire et
les conflits se sont accentués entre les finqueros et les
agriculteurs q'eqchi'. Au
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
moment de leur arrivée dans la région, certains
finqueros se sont accaparés par la force de certaines terres.
Après les accords de paix de 1996 et surtout à partir des
années 2000, plusieurs mouvements de droit indigènes et droit des
paysans ont permis plus de sécurisation foncière pour les
agriculteurs q'eqchi' qui ont reçu des titres de propriété
foncière. L'ONG Fondo de Tierras a permis de réguler les titres
de propriété et a donné une aide juridique pour
éviter les accaparements des terres.
Cependant, le problème n'a pas cessé pour
autant. En effet, certains agriculteurs très pauvres ayant obtenu ce
titre ont alors pu vendre leurs terres aux finqueros en échange
d'une somme d'argent la plupart du temps médiocre. Cette tendance
à la vente ne s'est toujours pas arrêtée aujourd'hui. En
effet, les ventes de terre continuent non seulement à cause du
désir grandissant d'exode rural de certaines familles, mais aussi du
fait de la pression des finqueros envers les agriculteurs. Ils
utilisent des stratégies de menace, d'intimidation, ainsi que d'autres
menaces stratégiques. Par exemple, de plus en plus couramment autour des
communautés de mon stage, les fermiers s'arrangent pour acheter des
parcelles voisines afin d'agrandir leur territoire. Ils ferment ensuite le
passage qu'il y avait entre ces parcelles, ce qui bloque l'accès aux
autres parcelles.
|
Photo : fermeture et surveillance du passage par les
finqueros
|
93
Les agriculteurs qui pouvaient accéder à leur
parcelle en 30 minutes de marche à pied doivent alors faire tout le tour
de la zone fermée, et mettent parfois plus de 2 heures pour y
arriver.
94
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
En voici une illustration :
Figure 2 : La pression de vente des
finqueros par la fermeture des passages vers les parcelles :
Dessin élaboré avec le président de l'association de San
Lucas Aguacate (Septembre 2012).
L'expression «Te quitas o te quito»
utilisée pour décrire cette stratégie, signifie
littéralement « tu t'en vas ou je t'enlève ». Ceci
décrit tout à fait la loi du plus fort qui réside.
En plus de la menace et des pressions de vente des
finqueros, d'autres acteurs encore plus puissants et menaçants
sont présents dans la région : les groupes organisés de
narcotrafiquants.
Cette région située entre l'Amérique du
Sud, et la frontière du Belize et du Mexique, est un point
géostratégique irremplaçable pour ces
groupes52. C'est un des seuls passages possibles pour faire passer
la drogue en Amérique du Nord. Bien que dans les communautés du
projet cacao, des pressions de ce genre n'ont pas été
identifiées, un grand nombre de communautés de la région
ont déjà été touchées depuis plus d'une
dizaine d'années. Par exemple, dans la municipalité de Melchor de
Mencos, un peu plus au nord à la frontière du Belize, certaines
communautés sont aujourd'hui dépeuplées suite à des
affrontements, des menaces et des meurtres. Ces espaces sont maintenant
occupés par quelques finqueros et sont en grande partie des
territoires vides, contrôlés par les narcos qui se font
passer pour des finqueros pour assurer leur passage (Oswaldo J.
Hernández, 201253 ; Prensa Libre,
201254).
52 OMAL, 2011, Grupos de Poder en Petén:
Territorio, Política y Negocios. Observatorio de Multinacionales en
América Latina, Guatemala: 261 p.
53 OSWALDO J. Hernández, 2012,
«Desplazar para no ser desplazados: Palma, narcos y campesinos»,
Plaza Pùblica periodismo de profundidad, n°21, Reportajes de
investigación Publicado: 12 p.
54 Site du journal quotidien du Guatemala Prensa
Libre: http://www.prensalibre.com/
95
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Les agriculteurs q'eqchi' qui ne sont pas confrontés
aux narcotrafiquants sont quand même au courant de leur présence
dans la région. Certains d'entre eux m'en ont parlé sous le ton
de la plaisanterie, mais ils connaissent parfaitement les dangers que leur
présence représente.
Dans la région du Petén, entre
finqueros-ganaderos, narcotrafiquants et cartels violents,
entrepreneurs d'huile de palme, les organisations paysannes ne font pas le
poids. L'Etat, les institutions internationales et les ONG ne sont pas encore
dans la possibilité de gérer ces processus, qui ne touchent pas
uniquement la région, mais qui font partie d'une configuration
internationale incontrôlée.
Dans les années à venir, les agriculteurs savent
qu'avec la croissance démographique des communautés, il leur
faudra trouver de nouvelles terres pour leur subsistance, car l'excédent
démographique ne peut en aucun cas être absorbé par une
augmentation de la productivité. Les « lopins de terre »
éparpillés qui leur reste vont en s'amenuisant, se dispersant
encore au rythme des successions et sont la plupart du temps situés dans
les zones où les conditions géographiques/géologiques et
pédologiques sont les moins propices à l'activité
agricole.
Pour éviter la vente ou la migration, certains
agriculteurs commencent à cultiver des parcelles sur la frontière
du Belize, qui est très proche et accessible en quelques heures à
pied. Le Belize fait partie du territoire Q'eqchi' et les chemins pour y
accéder sont connus depuis des générations55.
Cependant, cette solution pose problème pour deux raisons :
Premièrement, la région frontalière entre le Guatemala et
le Belize est une forêt tropicale reconnue pour son importante
biodiversité. Elle fait partie des rares aires protégées
d'Amérique Centrale, car elle est reconnue dans la zone du «
Corridor Biologique Mésoaméricain » par la
Société Mésoaméricaine de Biologie de la
Conservation (SMBC) (FAO, 2002). Si les agriculteurs qui manquent des terres
commencent petit à petit à cultiver des parcelles dans cette
zone, ils risquent de détruire cet environnement encore vierge
d'activités humaines et encourent surtout de lourdes amandes.
Par ailleurs, le conflit frontalier entre le Guatemala et le
Belize n'est toujours pas résolu depuis l'époque de la
décolonisation. Le Guatemala réclame encore une partie du
territoire bélizien. En 1859 un traité avait été
destiné à établir les limites entre les deux pays qui n'en
formait qu'un auparavant, nommé le Honduras britannique (Fontana Josep.
et Ponton Gonzalo, 2001: 70)56. Le Guatemala soutient que le
traité est nul parce que les britanniques
55 Annexe 5: Carte du territoire Q'eqchi'
56 FONTANA JOSEP. y PONTON GONZALO, 2001,
Historia de América Latina. América Central desde 1930,
Leslie Bethell ed., Barcelona: 349 p.
96
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
ont manqué à toutes les clauses d'assistance
économique. Dans les années 1960, le gouvernement
états-unien a tenté une médiation en vain, car les
négociations sont toujours d'actualité depuis de nombreuses
années. Le Belize est devenue indépendant le 21 septembre 1981
avec ce différend territorial non résolu. Le 8 novembre 2000, les
deux pays ont convenu d'un accord pour respecter la zone de «
contiguïté » en étendant un kilomètre de chaque
côté de la frontière. La revendication territoriale n'ayant
pas été soumise à la CIJ (Cours Internationale de Justice)
comme le voulait le gouvernement du Guatemala en 2007, le mouvement a
été limité à des mesures de confiance entre les
parties.
Cette situation très tendue de revendication
territoriale au niveau étatique est importante à comprendre, car
elle expose les agriculteurs au niveau local à des risques conflictuels
prenant des proportions très importantes. Le Belize encore sur le
qui-vive, a placé une surveillance militaire dans cette zone
indéfinie et revendiquée. Ces militaires ont des méthodes
radicales lors des intrusions clandestines sur leur territoire. Des
agriculteurs sont arrêtés et poursuivis en justice, mais certains
sont tués dès qu'ils passent la frontière. Ainsi, dans le
journal national guatémaltèque Prensa Libre, il n'est
pas rare de voir dans les faits divers que des agriculteurs se sont fait tuer
à la frontière. Pour cette raison, les agriculteurs à la
recherche de terres cultivables vers cette frontière risquent leur vie
s'ils dépassent la limite non définie.
Des associations d'agriculteurs q'eqchi'
guatémaltèques sont en lien avec certaines associations
d'agriculteurs q'eqchi' béliziens, mais l'impact de leur alliance est
trop faible par rapport au conflit frontalier des pays dont ils font partie. De
plus, la différence de langue nationale, ainsi que de fonctionnement
institutionnel des deux pays est un frein supplémentaire pour la
reconnaissance et la visibilité de ces alliances.
Nous voyons bien que la situation pour les associations
d'agriculteurs est très difficile à gérer car des enjeux
et conflits d'acteur entrent en jeu. Bien que leurs efforts de collaboration
avec les institutions puissent contribuer à des améliorations
juridiques concernant la sécurité foncière, la situation
régionale et la puissance des contre-pouvoirs sont telles, que cette
contribution ne peut pas à elle-seule améliorer la situation.
3-3-2 Le statut des populations indigènes
Le statut des populations indigènes peut être
bénéfique par rapport à l'attrait des ONG comme nous
l'avons vu dans la partie sur le discours du développement.
Malheureusement, ce statut souvent oublié par les politiques,
stéréotypé par les médias et
déprécié par la population ladina, porte encore
préjudice aux groupes autochtones.
97
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Au Guatemala, l'inégalité entre les classes
sociales est principalement déterminée par l'origine ethnique. Le
racisme et la discrimination sont encore très présents. Le terme
«indígenas» (indigène), utilisé pour
désigner tous les groupes ethniques du pays, résulte d'une
construction politique et d'un processus historique (Henry Morales Lopez, 2009:
89)57.
Dans ce pays, tous les habitants s'identifient eux-mêmes
faisant partie d'une des deux catégories : ladinos (blancs et
métis) et en indigenas (autochtones). Les trais
physiques et les origines génétiques ne sont pas forcément
différentes, mais l'appartenance identitaire est pourtant très
marquée. Les ladinos trouvent des stratégies
comportementales, vestimentaires etc, pour se démarquer clairement des
indigenas. Concernant la relation entre le prestige et
l'identité ethnique, j'ai pu faire le même constat au Guatemala
que celui d'Henri Favre dans son étude sur les relations
ladinas-indigenas avec les mayas du Mexique : « Le ladino
reconnaîtra les « accros » de son arbre
généalogique d'autant plus volontiers que le montant de ses biens
et de ses revenus lui assure une situation de prestige et d'autorité
incontestable. C'est dire que l'acquis social pondère fortement
l'héritage racial et qu'une belle réussite fait aisément
oublier une mauvaise naissance. » (2011 : 74).
La distance sociale et les rapports de
supériorité/infériorité sont intégrés
et encore très peu contestés. Les indigenas n'envisagent
pas de se mesurer aux ladinos dans aucun champ d'activité
sociale, et inversement, les ladinos s'estiment implicitement ou
explicitement supérieurs aux indigenas. Plusieurs
détails et remarques quotidiennes sont révélateurs de ces
rapports. Par exemple, une famille ladina m'a un jour reproché
de marcher pieds-nus, en me faisant remarquer que c'était une pratique
indigène.
Les seules préoccupations de l'Etat envers les
populations indigènes se résument à un mouvement
indigéniste. Ce mouvement politique né au Mexique et
diffusé en Amérique latine répond à la
problématique de la question indigène sous l'angle de
l'intégration des populations autochtones à la «
communauté nationale » conçue sur le modèle
occidental. Il exclut alors ces populations de la définition des
politiques les concernant.
Selon Henri Favre, les ladinos profitent de ce
mouvement pour maintenir les mayas dans leur indianité, ce qui leur
permet de garder le pouvoir en laissant les indigenas dans une
position dépendante, forcés de recourir à des
intermédiaires et à des médiateurs dans leurs relations
à la société globale (2011 : 261). De son point de vue,
une pression sociale s'exerce en permanence pour maintenir l'indien dans son
indianité en suscitant parfois artificiellement la
57 HENRY MORALES LOPEZ, 2009, Pueblos
Indigenas, Cooperacion Internacional y Desarrollo en Guatemala, Movimiento
Tzuk Kim-pop., Guatemala: 146 p.
98
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
culture indienne si besoin. Les propos de Vicente Pineda sur
les indiens cloisonnés dans leur activité agricole
démontrent explicitement cette tendance :
« Les indiens se consacrent
généralement à l'agriculture. Ils déprécient
les autres activités et ils pensent que seule l'agriculture est capable
de satisfaire pleinement aux besoins des hommes. (...) Ouvrir aux Indiens
d'autres horizons que le travail de la terre auquel ils se consacrent avec tant
de bonne volonté ne serait pas sage, car l'agriculture a besoin d'autant
plus de bras que les habitants des agglomérations ladinas
éprouvent la plus vivre répulsion envers cette
activité. » (Pineda V. In Favre H., 2011 : 264).
Au niveau organisationnel, l'auteur explique que les relations
intercommunautaires sont dominées par les ladinos dans une
forme supérieure d'organisation, ce qui empêche une réelle
communication directe entre les différents villages, même
lorsqu'ils sont reliés par des associations d'agriculteurs ou des
associations indigènes.
3-3-3 Le développement local comme sujet
sensible de diplomatie entre groupes
d'acteurs stratégiques
Comme nous l'avons compris, les associations paysannes et les
communautés font partie d'un système d'acteurs avec des
intérêts propres à chacun.
Premièrement, les finqueros-ganaderos venus
s'installer et créant un contre-pouvoir vu précédemment,
peuvent aussi rompre les systèmes d'organisation solidaire entre les
paysans des communautés. En effet, certains de ces riches fermiers
créent des alliances individuelles avec quelques agriculteurs. Tandis
que les finqueros profitent des coûts faibles de la main
d'oeuvre autant pour l'entretien des pâturages que pour l'exploitation du
bois avant la défriche, ils offrent aux paysans qui collaborent avec eux
d'autres avantages, comme l'explique Effantin-Touyer R. :
« Par des mesures clientélistes (construction
d'une route ou d'une école), il entretient également dans la
communauté sa réputation de protecteur, qui offre du travail
à ses membres et améliore leur quotidien. Les villageois qui
servent d'interlocuteur principal au finquero jouissent donc d'un pouvoir
réel sur leurs voisins, pour un temps au moins. Ces relations entre
communauté et finca perdurent en changeant parfois de formes. Même
si le discours officiel des autorités villageoises est fait de
dénonciation de la présence et/ou de la domination
illégitime et menaçante du finquero voisin, le privilège
de son ancienneté est indiscutable. Il peut alors percevoir un
intérêt à se rapprocher de la communauté
villageoise
99
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
et démontrer une certaine solidarité dans
l'amélioration de ses conditions de vie. » (2006 : 152).
Pendant mes quelques semaines passées dans les
communautés, j'ai pu observer ce phénomène. Un
finquero venait très régulièrement en moto faire
acte de présence discutaient toujours avec les mêmes hommes.
Ensuite, j'ai remarqué que les bonnes relations
diplomatiques qu'entretiennent les communautés avec leur
municipalité étaient une condition nécessaire pour le
développement local des communautés. En effet, alors que les
communautés de San Lucas de Aguacates et de Poité Centro
appartiennent à la municipalité de San Luis, La Compuerta fait
partie de la municipalité de Poptún. Malheureusement, au
Guatemala, et surtout dans les zones rurales, les politiques fonctionnent
principalement grâce à des relations clientélistes et la
corruption. Il se trouve que San Lucas Aguacate et Poité Centro ont
voté majoritairement pour le président municipal au pouvoir de
San Luis. Du côté de la Compuerta, le président municipal
de Poptún qui a été élu n'était pas celui
pour qui la population a majoritairement voté. En voyant la
différence d'aménagement et de service entre les trois
communautés, notamment par rapport à la
détérioration de la route et à l'accès à
l'électricité, je m'interrogeais. Des personnes de la
fédération d'association COACAP m'ont alors expliqué cette
raison politique. Le président de la municipalité de
Poptún a décidé de ne donner aucune aide à la
Compuerta, en guise de répression à son vote. Elle sera donc
pénalisée pendant tout le temps du mandat de ce président
et tant que ce parti politique sera au pouvoir dans cette
municipalité.
3-3-4 Le pluralisme institutionnel : difficultés
de différenciation pour les
associations paysannes
La visibilité et la communication que permettent les
associations paysannes attirent toute sorte d'acteurs extérieurs. Nombre
d'entre eux arrivent dans les communautés en proposant des «
projets » (« proyectos ») ; privés ou publics,
de taille plus ou moins grande. Ils ont tous des intérêts
différents et invisibles, cachés sous leur apparence
institutionnelle. En plus des ONG, il y a les politiques, les entreprises
privées en tout genre, les institutions religieuses, etc. Pour les
associations locales, il est très difficile de différencier ces
acteurs institutionnels, qui ont pratiquement tous la même manière
de se présenter. En effet, comme en fait part Yves Guillermou, «
les groupes de base sont fréquemment en contact avec d'autres
catégories d'interlocuteurs, notamment les « groupes de services
» : mais qui fonctionnent en fait d'une manière similaire à
celle des ONG locales. Ces groupes fournissent un appui multiforme aux
producteurs, notamment en matière de vulgarisation et conseil technique,
approvisionnement
100
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
en intrants et commercialisation des produits - ce qui les
place dans bien des cas en concurrence avec les unions paysannes et les ONG
officielles.» (2003 : 9)
Cependant, certains de ces acteurs institutionnels n'apportent
pas forcément des choses positives pour les communautés, et
lorsque la population s'en rend compte, il est déjà souvent trop
tard.
Comme nous l'avons vu dans la première partie, j'ai pu
voir le comportement de deux de ces acteurs: Des représentants du
Ministère de l'Agriculture, Elevage et Alimentation (MAGA) et une
entreprise privée pharmaceutique. J'ai aussi pu remarquer quelques-uns
des risques et effets négatifs dont m'ont fait part les populations par
rapport à ces acteurs :
Le MAGA est venu dans les communautés pour un projet de
microcrédit avec les agriculteurs de la même association qui
travaillent pour le projet de cacao. La moitié des membres des
associations de deux des trois communautés a signé le contrat
avec le MAGA pour ce projet. En offrant aux membres du projet des
crédits de 3000 quetzales/personne (environ 300 euros), cela a
attiré beaucoup de personnes. Néanmoins, la dépense de cet
argent est contrôlée par le MAGA : en effet, ces crédits
doivent être dépensés en engrais et répulsifs
chimiques d'une certaine marque, d'une entreprise avec qui le MAGA et la banque
de crédit ont aussi des accords. Cette incitation à l'utilisation
de produits chimiques donne lieu à des avis partagés dans la
communauté. Certains agriculteurs pensent que cela peut les aider, mais
d'autres sont réticents et craignent des répercutions. De plus,
ces crédits doivent être remboursés un an après la
signature du contrat. Les agriculteurs ayant signé se voient contraints
d'utiliser ces produits pour parvenir au rendement demandé et être
en mesure de rembourser. La communication des conditions du projet n'ayant
apparemment pas été claire au départ, certains qui avaient
signé le contrat n'avait pas compris cette condition et sont maintenant
« pris au piège ». En plus d'être nocifs pour le
développement durable des communautés, ces projets impliquant
l'utilisation d'intrants chimiques représentent aussi un risque pour le
projet cacao. Les récoltes de cacao se vendront en commerce
équitable, de manière labellisée, et si elles comportent
des traces de tels produits, elles deviendront invendables.
L'entreprise pharmaceutique, elle, est venue faire des
diagnostics de santé gratuits avec du matériel médical.
Nombreux se sont présentées, car il y a un réel besoin au
niveau de la santé dans les trois communautés du fait de la perte
des savoirs de médecine traditionnelle. A la fin des diagnostics, le
médecin imprimait des feuilles avec le résultat des anomalies et
maladies détectées chez les personnes. Puis, la prise en charge
s'achevait ainsi. L'entreprise proposait
101
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
ensuite un panel de médicaments bio (vitamines...)
très chers, certains coûtant plus de 500 quetzales (50
euros) ; même les personnes ladinas de classe moyenne n'auraient
pas pu se les procurer. Pour comprendre comment fonctionnaient le
médecin et les « infirmières », j'ai moi-même
passé ce diagnostic. Il s'agissait apparemment d'un appareil de haute
technologie, qui prenait le pou de la main et qui retranscrivait à
l'ordinateur tous les problèmes de santé. Ainsi, n'ayant pas de
connaissances en médecine, j'ai obtenu un résultat très
négatif (dans certains domaines alarmant) que le médecin m'a
décrit : Des anomalies des mesures pour le foie, le sang, le
cholestérol, ... Je me sentais pourtant en bonne santé.
Arrivée en France, j'ai fait des analyses qui ont totalement
démenti ces données. Je ne sais pas quels ont été
les résultats pour les autres patients, mais en voyant certaines
personnes angoissées, j'ai compris que beaucoup de résultats
étaient annoncés comme mauvais. Le but de cette entreprise serait
donc de vendre leurs produits en alarmant les personnes sur leur santé.
En tant que française ayant l'habitude des structures de santé
occidentales, j'ai pu m'inquiéter de ces résultats. Pour cette
population qui est rarement à même d'être soignée par
des structures de ce type, le fait de voir les médecins arriver avec
l'uniforme et du matériel très moderne leur a donné
confiance et crédibilité en ces diagnostics.
Les intentions sous-jacentes des acteurs extérieurs
sont donc très difficiles à cerner pour les populations. Les
communautés sont très souvent sollicitées par
différentes institutions, mais par manque de moyens et de temps pour se
renseigner réellement sur ces acteurs, elles choisissent souvent la
solution la plus rentable à court terme.
Selon J-P Jacob, il convient de ce point de vue de nuancer
l'affirmation de James Wunsch (1990 : 287), selon laquelle les paysans sont
sélectifs et n'ont pas de peine à percevoir qu'ils ont de
multiples besoins et savent jouer du pluralisme institutionnel (Jacob J-P, 1992
: 4)58. Selon les institutions, les objectifs de
développement, les objectifs commerciaux, ou les objectifs politiques ne
sont pas simples à détecter à première vue.
Cette difficulté est ressentie et reconnue par les
associations avec lesquelles j'ai travaillé. N'ayant pas toujours les
moyens à elles-seules de reconnaître les acteurs institutionnels,
les agriculteurs ont développé une méfiance envers toutes
les institutions venant de l'extérieur. Ne sachant pas quels sont leurs
intérêts, ils se méfient des signatures, des contrats etc.
Les villageois font souvent appel aux personnes reconnues comme étant
les plus aptes à
58 JACOB J?P., 1992, « Quelques
réflexions sur la multiplicité des intervenants externes et la
multiplication des organisations paysannes (op) au Burkina Faso.»,
Bulletin de l'APAD, n°3, Revue Apad (ed.) : 5 p.
102
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
comprendre le monde institutionnel pour étudier les
situations. C'est pourquoi avant chaque projet, des réunions entre les
anciens et les leaders sont organisées, afin de déterminer si les
avantages à tirer des projets sont plus élevés que les
risques qu'ils encourent. Selon Y. Guillermou, la méfiance des
producteurs entraîne une généralisation de l'attribution de
la logique commerciale et des visées hégémoniques à
toutes les institutions extérieures (Y. Guillermou, 2002 : 9).
Cela entraîne des difficultés de communication
pour les ONG qui sont assimilées ou confondues aux autres institutions
avec lesquelles les agriculteurs ont eu de mauvaises expériences. C'est
aussi la raison pour laquelle le changement fréquent de personnel dans
les ONG est un obstacle majeur pour établir un climat de confiance.
Dans la communauté de la Compuerta par exemple, un
agriculteur était très méfiant et sur la défensive
face l'ONG ProPetén. Il m'a ensuite dit que ProPetén leur avait
volé de l'argent il y avait trois ans de cela, lors d'un projet
d'élevage bovin. Par la suite, j'ai su que ce projet n'avait pas
été réalisé par ProPetén, mais par une
entreprise de la région. Cette confusion entre les acteurs a
augmenté sa méfiance.
A travers des réflexions telles que le plan de
développement que nous avons élaboré avec les associations
dans le cadre du stage, une meilleure sélection des institutions
partenaires peut être faite. En effet, grâce à la
diversification des partenariats, le choix réfléchi des
activités et des acteurs, mais aussi et surtout le fait d'être
émetteurs de demandes plutôt que récepteurs de propositions
toute faites (comme les exemples ci-dessus), permet une meilleure
visibilité et une meilleure confiance.
Cette dernière partie nous a permis de relativiser la
marge de manoeuvre des associations paysannes et leur poids en tant qu'acteur
dans le développement durable communautaire, dans la région du
Petén. En effet, la mise en évidence des différents enjeux
internes et externes des acteurs, les limites liées aux discours du
développement, et le contexte économique et social dans lequel se
trouvent les communautés, nous ont permis de comprendre que la situation
qui est parfois hors de portée des associations. Le développement
local dépend en fait de multiples relations de conflits, d'associations
et de négociations dont le résultat dépend en grande
partie des forces et du poids politique et économique des
différents groupes. Le renforcement des capacités d'action des
associations paysannes résident alors dans leurs capacités
à s'approprier et à maîtriser la connaissance de ce
contexte institutionnel qui les
103
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
entoure, afin d'obtenir plus d'autonomie et de créer
elles-mêmes les conditions de leur durabilité.
104
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Conclusion
À partir du cadre guatémaltèque de mon
enquête de terrain, nous sommes arrivés à une conclusion
mitigée.
En analysant les interactions entre les associations locales
et les autres acteurs institutionnels, nous avons pu constater que le niveau de
médiation local que permettent les associations d'agriculteurs est
essentiel aux populations des communautés. Il leur permet en effet
d'être elles-mêmes les actrices principales des projets qui les
concernent. Avec l'exemple des diagnostics, des plans de développement
élaborés pendant mon stage et l'observation du fonctionnement de
ces associations, nous avons saisi les différentes possibilités
qui s'offrent à ces groupes locaux. Le rôle central que les
agriculteurs jouent dans la production agricole, la sécurité
alimentaire et la gestion des ressources naturelles, ainsi que leurs
expériences en la matière peuvent s'ajouter aux domaines
d'expertise des institutions de développement, afin de conjuguer leurs
forces. De cette façon, des dynamiques de collaboration et d'alliance
stratégique s'établissent plus facilement.
Pour considérer ces relations, il nous a paru important
comme nous l'avons développé dans ce mémoire de prendre en
considération la diversité des enjeux selon les niveaux
d'acteurs, du local au global, en prenant en compte leur pluralité.
Parmi ces acteurs, chacun dispose de capacités d'action et de
stratégies individuelles et collectives. Il a été aussi
essentiel par l'étude contextuelle d'analyser les liens entre les
différentes sphères économiques, socioculturelles,
environnementales et politiques et les répercussions et influences qui
se produisent dans ce système mouvant.
C'est grâce à cette analyse plus globale que nous
nous sommes rendus compte de la complexité de la situation. En effet,
les avantages et possibilités privilégiés que
possèdent les associations locales sont freinées et
limitées par un certain nombre de circonstances liées aux
constantes négociations sociales, politiques et économiques entre
ces acteurs. C'est pourquoi au fur et à mesure de l'analyse du
mémoire, nous avons identifié plusieurs stratégies et
pressions qui découlent de la défense des intérêts
de chaque groupe. De plus, nous avons remarqué que certaines de ces
stratégies d'intérêts sont dissimulées
derrière des discours trompeurs représentant une «
participation locale ». Après avoir passé du temps à
les examiner, il nous paraît toujours difficile de discerner les
réelles intentions de chaque acteur.
105
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Les associations d'agriculteurs dans cette région du
Guatemala sont encore malheureusement des organisations ayant peu d'influence
parmi les autres groupes qui les entourent. Les pressions extérieures de
changement ne peuvent pas être ignorées.
Pour l'avenir, la situation des agriculteurs du Petén
paraît être enclavée entre deux possibilités : la
résignation face à ces pressions, en vendant leur terres et en
migrant vers les villes où à l'étranger ; ou bien
l'organisation et le renforcement des partenariats institutionnels afin
d'être capables de négocier la défense de leur propre
développement sur ces terres de manière durable.
Les inquiétudes que nous ressentons à travers
cette analyse ne sont donc pas totales, car le renforcement des associations
paysannes, l'accroissement de leur autonomie par une meilleure maitrise de leur
environnement institutionnel, ainsi que la mobilisation de la
société civile et des acteurs étatiques jusque-là
trop absents à leur égard sont possibles. Elles permettraient de
réaliser cette deuxième possibilité mentionnée
ci-dessus. Les associations ne peuvent pas faire face à elles-seules
à toutes ces pressions et à la gestion complète du
développement de leur communauté. Ce sont donc des efforts
soutenus d'adaptation, d'ouverture et de coopération qui seront à
réaliser par chacune des parties mobilisées.
Le cas du Guatemala et de la région du Petén en
particulier ne peut être généralisé. Les conditions
de cette zone montrent que les projets de développement doivent
s'adapter au contexte local, chaque situation étant particulière.
Néanmoins, il est possible, et je l'espère, que cette
expérience alimente les réflexions au sujet de la gouvernance,
des problématiques de développement durable en milieux ruraux et
du développement participatif.
106
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
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fr.htm
111
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Table des Annexes
- Annexe 1 : Organigramme de ProPetén 2012
112
- Annexe 2 : Calendrier des activités agricoles
comparé
aux limites temporelles et économiques
113
- Annexe 3 : Signature du contrat sur la date de
remise
des nouveaux plans dans la norme 114
- Annexe 4: Plan de disposition des
variétés de cacao. 115
- Annexe 5: Carte du territoire Q'eqchi'
116
- Annexe 6 : Illustrations du travail de terrain
117
Annexe 1 : Organigramme de ProPetén 2012
Elaboration personnelle
Annexe 2 : Calendrier des activités agricoles
comparé aux limites temporelles et économiques
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Annexe 3 : Signature du contrat sur la date de remise
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Annexe 4: Plan de disposition des
variétés de cacao
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BLANCO
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VERDE
|
AMARILLO
|
AZUL
|
ROSADO
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CELESTE
|
ANARANJADO
|
ROJO
|
SGU 66
|
UFCO 66
|
PMCT 58
|
CATIE R6
|
SGU 55
|
SPA 9
|
CATIE R1
|
SGU 5859
|
Annexe 5: Carte du territoire Q'eqchi'
Source: PROPETEN, 2011, Diagnostico
Territorial Tomo 1
117
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Annexe 6 : Illustrations du travail de terrain
118
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Table des matières
Remerciements 4
Sommaire 5
Table des abréviations 6
Introduction .7
Première Partie : Le projet de l'ONG d'accueil
dans 3 organisations paysannes. Objectif
de renforcement des Organisations Paysannes pour un
Développement Durable .11
1-1 Contexte du pays et de la région 11
1-1-1 Le Guatemala . 11
1-1-2 La migration agraire vers le Petén ..... 13
1-1-3 Le Petén dans un contexte de développement
axé sur une politique de
conservation ........14
1-2 Particularités et relations des acteurs principaux du
projet 15
1-2-1 l'ONG ProPetén ..15
1-2-2 Les 3 associations communautaires 17
1-2-3 Les relations entre l'ONG et les associations au travers du
projet de cacao ..18
1-3 Le projet du stage pour un développement sur base
communautaire 20
1-3-1 Le développement sur base communautaire ..20
1-3-2 Diagnostics et plans de développement entre
idéal et contraintes .21
1-4 Ma place d'anthropologue dans ce contexte de médiation
institutionnelle 23
1-4-1 Construction contextuelle de ma méthodologie de
terrain . 23
1-4-2 Différents niveaux d'étude de la situation
..27
1-4-3 Quelques stratégies appliquées pour
réduire les contraintes du diagnostic 30
Deuxième Partie : Les associations paysannes comme
condition nécessaire au
développement communautaire durable
.33
2-1 Les associations paysannes 33
2-1-1 Eléments de définition 33
2-1-2 Une grande diversité 34
2-1-3 Augmentation de la création des groupements paysans
ces dernières décennies 36
2-1-4 Le développement communautaire : une notion à
clarifier .37
2-2-5 Le Développement durable : élément
intrinsèque de la culture Maya Q'eqchi'? 38
2-2 Les résultats obtenus des diagnostics et des plans de
développement 40
119
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
2-2-1 Données générales influençant
sur le développement local durable
|
41
|
2-2-3 Les démarches envisagées pour faire face
à la situation
|
.50
|
2-2-4 Les démarches
sélectionnées pour le plan de développement annuel...
|
53
|
2-3 Les capacités des associations paysannes
|
..54
|
2-3-1 Les capacités stratégiques
|
55
|
2-3-2: une durabilité recherchée par les
associations d'agriculteurs du projet cacao......63
2-3-3 Des capacités financières encore
limitées
|
64
|
Troisième Partie : Des limites et
difficultés qui relativisent cette approche idéale
|
.67
|
3-1 Les difficultés liées aux discours du
développement : Décalage entre objectifs et
réalisations effectives
|
67
|
3-1-1 Une logique de développement top-down encore
présente
|
68
|
3-1-2 L'image de la participation
|
.75
|
3-2 Les difficultés liées au contexte
socio-économique et politique
|
88
|
3-2-1 La situation économique et de service de base
|
88
|
3-2-2 Le paternalisme très enraciné
|
.89
|
3-3 Les difficultés liées aux acteurs
|
.91
|
3-3-1 Les phénomènes de contre-pouvoir
|
91
|
3-3-2 Le statut des populations indigènes
|
96
|
3-3-3 Le développement local comme sujet sensible de
diplomatie entre groupes
d'acteurs stratégiques
|
98
|
3-3-4 Le pluralisme institutionnel : difficultés de
différenciation pour les associations
paysannes .99
Conclusion
|
..104
|
Bibliographie
|
..106
|
Table des Annexes
|
..111
|
120
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
BENOTTI
|
Sandra
|
2013
|
Master Professionnel « Anthropologie &
Métiers du développement durable » Département
d'anthropologie
|
ETH T7 Mémoire de recherche
appliquée
|
TITRE: Associations Paysannes et Développement
Durable: entre discours et réalités. Etude de cas: Projet de
l'ONG ProPetén en partenariat avec 3 associations Maya Q'eqchi' du Nord
du Guatemala.
|
RESUME
De nos jours au Guatemala, la problématique de
développement durable constitue une priorité majeure. Ceci tout
particulièrement dans la région du Petén : elle
possède la plus grande forêt tropicale
protégée
d'Amérique Centrale, et se situe dans une zone
frontalière au centre d'enjeux géopolitiques.
Les communautés rurales de cette région luttent constamment
contre l'insécurité foncière et alimentaire, causée
par le désengagement de l'Etat et par la pression agraire. Beaucoup
d'entre elles s'organisent sous forme d'associations locales d'agriculteurs.
Celles-ci occupent alors une place singulière d'interface entre les
acteurs du développement et les populations locales.
Ce mémoire propose une étude
principalement centrée sur les pratiques, discours et interactions
entre
l'ONG nationale ProPetén et trois associations
communautaires d'agriculteurs du Sud du Petén : La Compuerta,
Poité Centro et San Lucas Aguacate. Son objectif est de donner des
pistes de réflexion sur les démarches participatives, les
logiques d'acteurs et leurs capacités stratégiques.
|
MOTS CLES: Associations Paysannes, Développement
rural Durable, Discours, Participation, Pouvoir, Acteurs
stratégiques.
|
TITLE: Farmers' partnership and sustainable
development: Speeches vs. realities. Case study: ProPetén's NGO's
project in a partnership with 3 Maya Q'eqchi' Organizations in the North of
Guatemala
|
ABSTRACT
Nowadays, in Guatemala, the issue of sustainable
development is a major priority. The Petén region is particularly
concerned: this is where the largest protected rainforest in Central America
can be found. The region is also located at a border zone with high
geopolitical stakes. The region's rural communities fight constantly against
land and food insecurity, which are due to the State's disengagement and the
agrarian pressure. Many of them get organized around local farmers'
organizations. Thus, they stand as a strategic link between the agents of
development and the local populations.
This study focuses mainly on the practices, speeches
and interactions between national NGO PROPETÉN and three farmers'
community organizations from the South of Petén: Compuerta, Poité
Centro and San Lucas Aguacate.
The aim of this thesis is to be a think tank on
participatory approaches on development integrating the different local actors'
points of view, and their strategic capacities.
|
KEY WORDS: Farmers' partnership, rural Sustainable
Development, Speeches, Participation, Strategic
capacities.
|
Département d'anthropologie, Université
d'Aix-Marseille, 13621 Aix-en-Provence CEDEX 2
|