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Le conseil de sécurité et la crise ivoirienne

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par Sonia Christelle MANTORO
Université du Sahel - Master Relations Internationales 2012
  

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Chapitre II :Une intervention sollicitée par le gouvernement ivoirien......................19

Section I :Le déploiement d'une mission de paix : la MINUCI.................................. 20

Section II :Le renforcement de la présence des Nations Unies....................................23

SECONDE PARTIE :Le rôle du Conseil de Sécurité dans la crise postélectorale ivoirienne..................................................................................................29

Chapitre I :Un rôle de certificateur du processus électoral....................................31

Section I :Un rôle accompli conformément à l'Accord de Pretoria du 6 Avril 2005........................................................................................................32

Section II :La supervision des élections par l'ONUCI.............................................39

Chapitre II :La politique juridique du Conseil de Sécurité face à la nouvelle tournure de la crise postélectorale : La répression des atteintes aux droits de l'Homme...................................................................................................43

Section I :La résolution 1975 relative à la protection des civils...................................44

Section II : La restauration de la légalité constitutionnelle méconnue............................51

CONCLUSION..........................................................................................59

BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................61

TABLE DES MATIERES .............................................................................67

INTRODUCTION

La disparition de l'URSS a entraîné un nouvel avatar, une nouvelle opposition dans le monde : c'est le choc de la civilisation.Le théoricien des civilisations, Samuel Huntington prédisait que ce choc sera basé sur des confrontations religieuses, culturelles et ethniques pouvant entraîner des conflits internes. Il y a quelques années on pouvait considérer une telle théorie comme une aberration, mais le temps a fini par lui donner raison. La fin de la Guerre froide a coïncidé avec un déclin général dans le nombre des conflits interétatiques à travers le monde, faisant place aux conflits armés internes qui constituent désormais la grande majorité des guerres actuelles. La plupart de ces conflits auxquels nous assistons sont fondées sur des considérations ethniques, religieuses, culturelles et appartenances politiques mettant à l'épreuve les capacités du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Depuis plus d'une décennie le Conseil de sécurité, organe politique des Nations Unies qui a la lourde responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales dans le monde a été au coeur de certains conflits internes tels que la crise haïtienne, le génocide rwandais, la crise en Ex Yougoslavie, les crises au Libéria et en Sierra Leone et maintenant la crise ivoirienne.Au moment où nous parlons, une autre crise mobilise les énergies de la communauté internationale et du Conseil de sécurité, celle qui se déroule en Syrie. Dans tous ces conflits, le maintien de la paix a été l'un des outils majeurs employé par le Conseil de sécurité pour parvenir à cette fin. Tous ces conflits ont été résolus différemment en fonction de la gravité de la situation de ces pays, en fonction des intérêts des Etats membres et du degré de leur implication.

Un bref regard historique nous parait approprié pour mieux comprendre l'intervention du Conseil de sécurité dans la crise ivoirienne. La crise qui a prévalu en Côte d'Ivoire se repose avec une acuité toute particulière les questions de la citoyenneté, de l'identité et de la représentation politique, lesquelles sont au coeur des débats ivoiriens depuis la fin du règne de Félix Houphouët Boigny1(*) en 1993. Jusqu'alors, les conflits entre Ivoiriens, notamment identitaires et fonciers, avaient été soigneusement contenus par un mélange de fermeté et de clientélisme, marques du système politique du « Père de la nation »2(*). Après sa mort, les tensions resurgissent dans un contexte économique particulièrement difficile, et se traduisent par la montée en puissance d'un discours ethno nationaliste, celui de l'ivoirité, visant à écarter une bonne partie des Ivoiriens issus du Nord du pays. C'est à Henri Konan Bédié, président de 1995 à 1999 successeur du « vieux » que l'on doit d'avoir mis sur le devant de la scène le concept d'ivoirité, un discours qui a fortement imprégné la scène politique ivoirienne de la fin des années 19903(*).

Mais le 24 décembre 1999, Bédié est renversé à la faveur d'un coup d'État militaire mené par le général Robert Guei. Celui-ci, loin de se démarquer de son prédécesseur, reprend à son compte ces thèses ethno nationalistes, en contribuant ainsi à envenimer un peu plus un climat sociopolitique déjà tendu.

Après une élection présidentielle où les principaux candidats ont été exclus pour des raisons fortes contestées, l'opposant historique arrive au pouvoir de Félix Houphouët Boigny, Laurent Koudou Gbagbo accède en octobre 2000 à la magistrature suprême dans des conditions que lui-même qualifiera plus tard de «calamiteuses». Historien de formation, politiques et intellectuels africains s'attendent à ce que le discours divisionniste s'estompe pour faire place à une réconciliation véritable et à la construction d'une Côte d'Ivoire unie et prospère. Malheureusement, lui non plus ne s'est départi du discours régionaliste et ethno nationaliste. Ses partisans constitués majoritairement de jeunes désoeuvrés enveniment les discordes et divisent profondément les ivoiriens entre eux ainsi que la forte communauté ouest africaine installée depuis des décennies dans ce pays.

C'est dans ce climat délétère que la Côte d'Ivoire entre dans la tourmente en septembre 2002. En effet, neuf ans après la mort de Félix Houphouët Boigny, la « locomotive économique » de l'Afrique de l'Ouest francophone a exhibé sa grande vulnérabilité, en basculant dans la guerre et le désordre institutionnel, et jetant dans le désarroi les autres pays de la région4(*). Le cauchemar ivoirien a commencé au petit matin du 19 septembre 2002, avec une attaque à l'arme lourde contre les casernes militaires d'Abidjan, qui prend les airs d'un putsch manqué, puis se déplace à Bouaké pour finalement devenir une rébellion armée contre le régime en place5(*). Depuis lors, les branches politique et militaire de ladite rébellion confortent leurs positions dans la deuxième ville du pays, et contrôlent la moitié Nord de la Côte d'Ivoire. Ces rebelles qui se réclamaient du Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) voulaient le départ d'un président à la légitimité douteuse étant donné les conditions de son élection qui ont été entachées d'irrégularités. Durant les élections présidentielles qui ont eu lieu en Octobre 2000, la crainte de la popularité de Alassane Dramane Ouattara a conduit à son exclusion pour cause d'une nationalité contestée. Or, après les élections, les tribunaux ont reconnu cette nationalité et l'administration lui aurait délivré les justificatifs nécessaires6(*). De plus les résultats ont été contestés notamment par le président sortant, le putschiste Robert Guéi. Ce n'est que par un soulèvement de ses partisans, que Laurent Gbagbo a pu mettre fin au pouvoir putschiste pour être président. Les conditions de cette élection ne paraissent donc pas sereines. Mais ce n'est point là une situation propre aux pays sous-développés comme il est courant de l'affirmer : l'élection de George W. Bush en novembre 2000 aux États-Unis est loin de garantir la légitimité du Président Gbagbo7(*).

Cette crise qui a causé la mort de milliers de personnes civiles et militaires dont certaines personnalités, Robert Guei, Emile Boga Doudou8(*) a acquis un caractère médiatique du fait de l'importance de la Côte d'Ivoire dans la région. Suite à ces tueries, de multiples médiations et rencontres ont été initiés en vue de trouver une solution à la crise et d'organiser des élections libres et transparentes permettant à tous les acteurs politiques de participer aux joutes électorales. Pour ce faire les différents acteurs politiques ont passé plusieurs accords. Ainsi, a-t-on noté successivement l'Accord du cessez-le-feu de Lomé dirigé par la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), ensuite vient au tour de la France partenaire incontournable en Côte d'Ivoire, pour des raisons historiques et à cause des intérêts économiques importants qu'elle y détient, encore une fois, a pris l'initiative de relancer le processus de paix, de donner un nouveau souffle en faisant signé l'Accord de Linas-Marcoussis9(*). Par la suite les protagonistes ont passé les Accords d'Accra I, II, III, les Accords de Pretoria I, II sous l'égide de l'Union Africaine (UA) et pour finir enfin par l'Accord Politique de Ouagadougou (APO) en mars 2007, qui a permis à la Côte d'Ivoire d'aller aux élections en 2010.

Toutes ces négociations qui ont été menées dans une atmosphère délétère n'ont pas empêché les affrontements, les épurations ethniques et autres. Le Conseil de sécurité a été sollicité par le gouvernement ivoirien pour jouer la neutralité dans la crise et aussi pour donner de l'autorité aux différents accords précités. Le Conseil considérant que les conflits internes sont une des plus grandes menaces pour la paix et la sécurité internationales aujourd'hui, et selon toute probabilité ils continueront à l'être dans l'avenir10(*) a accepté d'intervenir en Côte d'Ivoire. La Charte des Nations Unies confère un pouvoir discrétionnaire au Conseil de sécurité pour résoudre les conflits dans le monde. Ce pouvoir lui a permis d'utiliser les Chapitres VI, VII et VIII de la Charte pour sortir la Côte d'Ivoire de la crise. Par conséquent le fondement juridique de l'intervention dans la crise ivoirienne se trouve dans la Charte. Mais le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité n'est limité a priori par aucun contrôle juridictionnel ou autre11(*).

En raison de la mutation de la société internationale de l'après-guerre froide et l'apparition de conflits intra-étatiques, les fondements juridiques d'interventions internationales coercitives sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ont pris en compte un élargissement de la notion de menace contre la paix12(*) englobant les violations des droits de l'homme et de la démocratie dans une certaine mesure.

Depuis son implication dans la crise en 2003, le Conseil n'a cessé de multiplier ces efforts diplomatiques, politiques, militaires et juridiques pour rétablir la paix en Côte d'Ivoire. Le Conseil a fait face à deux périodes essentielles dans la crise ivoirienne : il s'agit de la crise préélectorale allant de 2002 à 2010 et la crise postélectorale allant de fin 2010 à 2011. Cette mutation a permis de connaître la capacité du Conseil à gérer la crise. D'ailleurs, son implication dans la gestion de la crise ivoirienne a été mitigée surtout postélectorale ainsi que son dénouement lui ont valu une salve de critiques acerbes aussi bien dans l'opinion publique nationale qu'internationale.Les uns lefélicitant pour son action «en faveur de la démocratie et du droit», les autres le vilipendant pour s'être impliqué dans les affaires intérieures d'un Etat. Ce qui pousse certains commentateurs à dire que le Conseil de sécurité ne doit pas s'immiscer dans les conflits internes car considérant que cela relève des affaires intérieures des Etats.

Ainsi, notre étude portant sur le Conseil de sécurité et la crise ivoirienne pose une question fondamentale dont il convient de rechercher l'essence : Quelles sont les stratégies utilisées par le Conseil de sécurité pour gérer la crise ivoirienne ? Cette question appelle bien d'autres questions à savoir comment le Conseil a-t-il résolu la crise préélectorale et postélectorale en Côte d'Ivoire ? S'est-il convenablement acquitté de sa responsabilité de maintenir la paix et la sécurité en Côte d' Ivoire ? Autant de questions qui méritent réflexion.

Cependant, l'étude de notre sujet permet de déceler un intérêt pratique. Un intérêt pratique dans la mesure où le Conseil de sécurité, en raison de son rôle de maintenir la paix et de la multiplicité des conflits internes a fait une interprétation élastique de la Charte pour résoudre le conflit ivoirien qui est en effet un conflit interne. Aussi l'objet d'une telle étude est pour nous de faire une approche synthétique de la crise ivoirienne en mettant en exergue les compétences du Conseil de sécurité prévues par la Charte et la pratique qui s'opère sur le terrain.

Pour mener à bien notre étude il convient d'analyser la politique juridique et normative du Conseil de sécurité : le recours au Chapitre VII de la Charte (Première partie), avant d'examiner le rôle du Conseil de sécurité dans la crise postélectorale (Secondepartie).

PREMIERE PARTIE : LA POLITIQUE JURIDIQUE ET NORMATIVE DU CONSEIL DE SECURITE FACE A LA CRISE IVOIRIENNE : LE RECOURS AU CHAPITRE VII DE LA CHARTE

La charte confère au Conseil de sécurité la responsabilité de maintien de la paix et de la sécurité internationale13(*). Pour s'acquitter de cette responsabilité première le Conseil de sécurité peut être amené à prendre une série de mesures afin d'intervenir dans un conflit. C'est le cas de la Cote d'Ivoire. Même si la charte mentionne sans ambigüité le principe de l'égalité souveraine des Etats et la non-ingérence dans les affaires relevant de la compétence nationale, ces principes fondamentaux ne sont toutefois pas exempts de mesures exceptionnelles14(*) que le Conseil de sécurité pourrait prendre en vue de préserver la paix et la sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte. Cette non opposabilité s'applique à la crise qui a prévalu en Côte d'Ivoire durant des années et dont personne, ne pouvait prévoir avec certitude la fin. En effet, le Conseil de sécurité pour intervenir dans la crise ivoirienne s'est prévalu du Chapitre VII pour rétablir la paix en Côte d'Ivoire. Mais cela n'a pas empêché le Conseil de sécurité d'utiliser le Chapitre VIII pour autoriser les initiatives des organisations régionales et sous régionales.

Ainsi, dans sa responsabilité de maintenir la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité est intervenu dans la crise ivoirienne à travers une collaboration étroite avec les organisations régionales africaines (chapitre I), mais son intervention a été aussi du fait du gouvernement ivoirien (chapitre II).

CHAPITRE I : LA COLLABORATION ENTRE LE CONSEIL DE SECURITE ET LES ORGANISATIONS REGIONALES AFRICAINES

Du fait de la nécessité d'un meilleur partage du fardeau du maintien de la paix et de la sécurité15(*) dans le monde et en particulier en Afrique, le Conseil de sécurité encourage le partenariat avec les organisations régionales. En effet, s'il est indéniable que l'UA et les organisations sous régionales telles que la CEDEAO ont un rôle important à jouer dans la promotion de la paix et de la sécurité régionales, le Conseil de Sécurité des Nations Unies conserve la responsabilité première du maintien de la paix et de la sécurité internationales. A ce titre, le Conseil de sécurité conscient de cette lourde tâche et de la prolifération des conflits internes qui sévissent dans le monde et plus particulièrement en Afrique depuis les années 1990, est parfois obligé de déléguer ses pouvoirs aux organisations régionales et sous régionales qui, bénéficient en retour du soutien de celui-ci. En effet, cette politique du Conseil de sécurité a été appliquée dans la crise ivoirienne faisant prévaloir ainsi, le Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies.

Par ailleurs, la crise ivoirienne a suscité la collaboration entre le Conseil de sécurité, l'UA et la CEDEAO. Une collaboration s'inscrivant dans le cadre du chapitre VIII de la charte de Nations Unies (section I) et une collaboration permettant une légitimation des forces françaises de Licorne et de la CEDEAO déployées en Côte d'Ivoire (section II).

SECTION I : UNE COLLABORATION EN VERTU DU CHAPITRE VIII DE LA CHARTE

Le chapitre VIII de la charte définit les relations entre accords régionaux et organismes régionaux et le Conseil de sécurité16(*). Abidjan estimait qu'une solution régionale dans le cadre de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) n'était adaptée ni dans sa dimension politique (médiation, négociation), ni dans sa dimension militaire (force d'interposition ou d'intervention)17(*). En effet, le Président Laurent Gbagbo voyait d'un mauvais oeil l'intervention des organisations régionales africaines dans la crise ivoirienne car soupçonnant certains Etats membres18(*) de soutenir les rebelles pour le renverser.

Mais le Conseil de sécurité ne voulant pas sauter les étapes a plutôt privilégié les initiatives régionales déjà engagées par l'UA et la CEDEAO en apportant son soutien (paragraphe I) et en acceptant d'entériner les décisions de celles-ci (paragraphe II).

Paragraphe I : Le soutien du Conseil de sécurité à l'UA et à la CEDEAO

Au lendemain du déclenchement de la rébellion le 19 septembre 2002, les initiatives régionales et sous régionales se sont multipliées afin de trouver une solution pour sortir la Côte d'Ivoire de la crise. En effet, après le refus de la France d'appliquer les Accords de défense du 24 avril 196119(*) au nom du principe de « non-ingérence » et à la demande du Conseil de sécurité la crise fut portée auprès des organisations régionales et sous régionales en l'occurrence l'UA et la CEDEAO. Le Conseil de sécurité considérantque les organisations régionales sont bien placées pour appréhender les causes des conflits armés du fait de leur connaissance de la région qui peut être utile à la prévention ou au règlement de ces conflits20(*), a encouragé l'UA et la CEDEAO dans leurs actions. Ce qui fait dire à Pascal Teixeira « le Conseil de sécurité n'est en outre pas un organe omniprésent et omnipotent. Avoir la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales ne signifie pas qu'il en a la charge exclusive »21(*).

En effet, depuis la fin de la guerre froide le Conseil de sécurité conscient que le monde est en pleine mutation et que le nombre de conflits surtout internes ne cesse de croître et aussi, conscient qu'il ne peut assurer à lui seul le maintien de la paix dans le monde est obligé de s'adosser aux organisations régionales et sous régionales pour ne pas perdre la face. Aussi, il faut dire que le Conseil de sécurité n'avait pas accordé trop d'intérêt à la question ivoirienne, confirmant ainsi les propos de Pascal Teixeira selon lesquels « son degré d'intervention dans les crises et conflits dépend des stratégies de grandes puissances [qui peuvent souhaiter utiliser le Conseil de sécurité comme vecteur d'influence ou au contraire limiter son action], de la détermination et de la capacité des organisations régionales à assumer elles-mêmes la gestion de crise, de l'attitude des Etats concernés eux-mêmes »22(*).

C'est ainsi que la crise ivoirienne, est apparue immédiatement aux yeux de l'UA et de la CEDEAO comme un défi23(*) pour leur crédibilité future en matière de règlement et de gestion de crise en Afrique. A cet effet, les deux organisations vont permettre aux protagonistes de la crise de passer des accords pour sortir de la crise. A-t-on noté les Accords de Lomé, d'Accra I, II, III de Pretoria I, II dont toutes les dispositions ont été entérinées par le Conseil de sécurité à travers ses résolutions 1460 (2003), 1464 (2003), 1467 (2003), 1603 (2005)24(*). Par le biais de ses résolutions, le Conseil de sécurité illustre son soutien à l'UA et à la CEDEAO sans pour autant s'impliquer directement. En effet, depuis le début de la crise en 2002 jusqu'au 13 mai 2003, le Conseil de sécurité s'est plutôt contenté de faire des déclarations et d'appuyer les initiatives entreprises par la France pour les Accords de Marcoussis25(*) et par les deux organisations régionales notamment l'UA et la CEDEAO.

Le soutien du Conseil de sécurité à ces deux organisations régionales dans la crise ivoirienne traduit une interaction qu'il existe dans la gestion partagée du maintien de la paix est de la sécurité internationales en particulier dans la région. De même cette interaction a été constatée entre le Conseil et la CEDEAO dans la gestion des conflits libériens et sierra léonais. Le Conseil a soutenu les initiatives de la CEDEAO dans ces deux crises en autorisant le déploiement de l'ECOMOG à travers les résolutions 1132 du 8 octobre 199726(*) et 788 (1992)27(*). Aussi le Conseil s'est engagé, dans le cadre des responsabilités qui lui incombent en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, à appuyer les mesures de la CEDEAO en déployant la MONUL au Libéria et la MONUSIL en Sierra Leone.

Aussi, le soutien du Conseil de sécurité aux organisations régionales et sous régionales africaines s'est réaffirmé par la prorogation des mandats du Président et du Premier ministre.

Paragraphe II : La prorogation des mandats du Président et du Premier ministre sous l'impulsion des organisations régionales africaines

Suite à la démission en 2005 du Premier ministre de consensus en la personne de Seydou Elimane DIARRA qui avait été nommé en 2003 suite aux Accords de Marcoussis et suite au retard observé dans la mise en oeuvre du chronogramme du processus de paix, l'UA et la CEDEAO ont proposé la prorogation du mandat du Président Laurent GBAGBO et la nomination d'un Premier ministre28(*). Tenant compte de ces propositions, le Conseil de sécurité a accordé cette première prorogation dans le paragraphe 3 de la résolution 1633 du 21 octobre 2005. Le Conseil de sécurité « Réaffirme qu'il souscrit à l'observation de la CEDEAO et du Conseil de paix et de sécurité concernant l'expiration du mandat du Président Laurent Gbagbo le 30 octobre 2005 et l'impossibilité d'organiser des élections présidentielles à la date prévue, et à la décision du Conseil de paix et de sécurité, à savoir, notamment, que le Président Gbagbo demeurera chef de l'État à partir du 31 octobre 2005 pour une période n'excédant pas 12 mois et exige de toutes les parties signataires des Accords de Linas-Marcoussis, d'Accra III et de Pretoria, ainsi que de toutes les parties ivoiriennes concernées, qu'elles l'appliquent pleinement et sans retard ». La résolution 1633 (2005) a créé un cadre politique et juridique significativement différent de celui qui a prévalu en Côte d'Ivoire entre la signature des Accords de Linas-Marcoussis en 2003 et la fin du mandat présidentiel le 30 octobre 200529(*). Chacun des camps s'est immédiatement évertué à modifier à son avantage le rapport de forces théorique issu de la résolution. La tâche était d'autant plus aisée que le texte onusien reconduisait le dualisme juridique de Marcoussis qui maintenait la constitution ivoirienne tout en exigeant le respect des Accords de paix et des résolutions du Conseil de sécurité30(*).

Par ailleurs, à travers cette résolution le Conseil de sécurité crée le Groupe de Travail International (GTI)31(*)chargé de surveiller et de garantir l'application effective de ladite résolution et des engagements pris32(*). C'est ainsi que Charles Konan Bannygouverneur de la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) a été nommé le 4 Décembre 2005 comme Premier ministre pour assurer la transition. Par cette résolution, nous sommes d'avis que la Côte d'Ivoire est sous la tutelle de l'UA et de la CEDEAO chapeautée par le Conseil de sécurité33(*) car étant souverain, la Côte d'Ivoire se voit diriger par la communauté internationale qui agit dans son domaine réservé34(*).

Face à l'impossibilité d'organiser des élections présidentielles et législatives pour cause d'un climat tendu, en octobre 2006, la CEDEAO35(*) et l'UA36(*) ont décidé de proroger la transition ivoirienne pour une année supplémentaire, tout en maintenant le Président Gbagbo et le Premier ministre Banny à leurs postes respectifs. Agacé par l'immobilisme des autorités, le Conseil de sécurité adopte le 1er novembre 2006 la résolution 172137(*) qui rallonge à nouveau le mandat présidentiel tout en donnant de plus en plus de pouvoir à son Premier ministre. Cette résolution est appelée résolution de la dernière transition car considérant que le Premier ministre «....dispose de l'autorité nécessaire sur les forces de défense et de sécurité pour lui permettre d'exécuter les tâches qui lui sont assignées.... »38(*).

Par les résolutions 1633 et 1721 le Conseil de sécurité s'engage de plus en plus en droit de remettre en cause le principe de l'autonomie constitutionnelle des Etats, corollaire du droit des Etats à disposer d'eux-mêmes. Le principe de l'autonomie constitutionnelle permet donc aux États souverains de se doter du système politique qu'ils jugent opportuns, ce choix doit être respecté même s'il ne correspond pas aux préférences d'autres États. En renforçant donc les pouvoirs du Premier ministre ivoirien, le Conseil de sécurité porte atteinte à un attribut fondamental de chaque Etat qui est la souveraineté et nie à cet effet l'article 41 de la Constitution ivoirienne qui confère la nomination du Premier ministre au Président de la République. Laurent Gbagbo avait même qualifié cette décision du Conseil de sécurité de coup d'Etat constitutionnel à laquelle il est dépourvu de pouvoir d'exécution. L'Etat ivoirien dispose d'une autonomie constitutionnelle à l'égard des autres sujets, relevant du domaine réservé ou de sa compétence exclusive. L'organisation interne de l'État est un fait pour le droit international. Cela relève de sa compétence nationale au sens de l'article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies et de l'application de la théorie du domaine réservé de l'État39(*).

En tant que sujet du droit international, l'Etat ivoirien est souverain aussi bien dans l'ordre international que dans son ordre juridique interne, en prorogeant le mandat du Président et du Premier ministre reviendrait à lui ôter sa souveraineté et cela conforterait l'idée d'une mise sous tutelle aux mains du Conseil de sécurité. Mais n'oublions pas aussi que la Côte d'Ivoire était dans une situation d'exception dans laquelle certaines institutions républicaines en l'occurrence l'Assemblée Nationale, la Présidence et bien d'autres n'étaient plus dans la légalité dans la mesure où leur mandat avait pris fin. Partant de ce fait, on peut comprendre donc la décision du Conseil de sécurité.

Le Conseil de sécurité, après avoir qualifié la situation en Côte d'Ivoire de menace contre la paix et la sécurité internationales en Afrique de l'Ouest va autoriser le déploiement des forces françaises et de la CEDEAO. Le pouvoir de qualification nous pousse à poser la question de savoir est ce qu'il ne faut pas encadrer le pouvoir de qualification du Conseil de sécurité dans la mesure n'est menace que ce que le Conseil de sécurité a qualifié aussi ? Cet encadrement est de notre point de vue d'autant plus nécessaire que le Conseil de sécurité est un organe politique qui a un pouvoir juridique considérable.

SECTION II : LE DEPLOIMENT DES FORCES DE LA CEDEAO ET DE LAFORCE LICORNE : UNE OPERATION LEGITIMEE PAR LE CONSEIL DE SECURITE

En 2003, l'hypothèse d'une force d'intervention des Nations unies avait été écartée du fait de l'opposition des Etats-Unis, et aucune autre puissance ne souhaitait ou ne pouvait intervenir militairement pour stopper un conflit susceptible de dégénérer en guerre civile40(*), voire en guerre ouverte entre pays de la zone. Suite à cette opposition, le Conseil de sécurité a soutenu la CEDEAO pour que par ses interventions politiques et surtout militaires devienne l'élément central de la gestion de la crise ivoirienne. Mais un engagement militaire français plus important est vite apparu inéluctable à quelques jours après la signature des Accords de Marcoussis. Or, la France refusait la solution militaire privilégiée par les autorités ivoiriennes41(*), qui, du fait de la défaillance des forces armées, recouraient au recrutement de mercenaires et de supplétifs, et à l'achat massif d'armements. A cet effet, pour éviter toutes incriminations, la France a eu recours au Conseil de sécurité pour faire légitimer son intervention.

Ainsi, le recours aux Accords régionaux permettra au Conseil de sécurité de légitimer le déploiement des forces de la CEDEAO et la force Licorne42(*) dans sa résolution 1464 (Paragraphe I) qui pourrait se justifier par l'article 53 de la charte de l'ONU (Paragraphe II).

* 1 Il fut le premier président de la Côte d'Ivoire de 1960 à 1993, il a été aussi surnommé « le père de l'indépendance » ou le « vieux ».

* 2 CATHELIN C., « La Côte d'Ivoire entre divisions internes et stratégies internationales », ISS Analysis, Mars 2011, P.2.

* 3Ibid.

* 4 KOTOUDI I., Comprendre et traiter la crise en Côte d'Ivoire, IPAO, Dakar, Novembre 2004, P.19.

* 5Ibid.

* 6 GEPSI, « « Modalités licites d'une intervention militaire en Côte d'Ivoire », disponible sur http://www.ridi.org/gnu/, site consulté le 18 mai 2012.

* 7Ibid.

* 8 Il fut ministre de la défense sous le Gbagbo.

* 9 KOTOUDI I., op. cit. P.20.

* 10De Jonge Oudraat C., « L'ONU, les conflits internes et le recours à la force armée », en ligne sur http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/FD001201.pdf, consulté le 15 mai 2012.

* 11Flah Anis Ben, Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations Unies, mémoire de Maitrise, Université du Québec à Montréal, 2008, P.29.

* 12 HUET V., « L'autonomie constitutionnelle de l'État : déclin ou renouveau ? », Revue française de droit constitutionnel 1/2008, n° 73, P.65.

* 13 JONES R., opérations du maintien de la paix des Nations Unies : principes et orientations, DOMP NU, New York, janvier 2008, p.13.

* 14Ibid.

* 15 JONES R., op.cit. , P.14.

* 16 THOME N., les pouvoirs du conseil sécurité au regard de la pratique récente du chapitre VII de la charte des Nations Unies, PU Aix-Marseille octobre 2006 p.213.

* 17 SADA H., « le conflit ivoirien : enjeux régionaux et maintien de la paix en Afrique » in politique étrangère N°2, 2003, 68ème année, p.322.

* 18 Le Burkina Faso, le Libéria, la Lybie etc....

* 19La cote d'ivoire est liée par des Accords de défense avec la France. Ces Accords prévoient qu'en cas d'agression extérieure la Cote d'ivoire peut demander à la France de lui venir en aide. Lors des événements du 19 septembre, le chef de l'État avait demandé l'intervention des forces françaises stationnées à Port Bouët, un quartier d'Abidjan proche de l'aéroport. Les autorités françaises s'y étaient refusées, arguant que ces accords ne sont applicables qu'en cas d'agression extérieure. Les autorités d'Abidjan estimaient qu'il s'agissait bien d'une agression extérieure, pointant du doigt le Burkina Faso voisin.

* 20 S/RES/2033 (2012) du 12 janvier 2012 sur la coopération entre le Conseil de sécurité et les organisations régionales.

* 21 TEIXEIRA P., Le Conseil de sécurité à l'aube du XXIème siècle : quelle volonté et quelle capacité a-t-il de maintenir la paix et sécurité internationales ?, UNIDIR, Genève, 2002, p.3.

* 22Ibid.

* 23SADA H., Op. Cit. , p.327.

* 24 Ces résolutions adoptées par le Conseil de sécurité, montrent sonplein soutien aux efforts déployés par la CEDEAO et par l'UA en vue de promouvoir un règlement pacifique du conflit ivoirien.

* 25Ces Accords signés le 24 janvier 2003 en France visaient à mettre fin à la guerre civile en Côte d'Ivoire. Autour d'une table de négociations, les Forces nouvelles et les différents partis politiques ivoiriens ont été invités par le Président Jacques Chirac pour négocier les conditions de retour à la paix.

* 26 Résolution concernant la Sierra Leone.

* 27 Résolution concernant le Libéria.

* 28 Décision du Conseil de paix et de sécurité de l'UA du 18 octobre et de la recommandation de la CEDEAO du 6 octobre 2005.

* 29Crisis Group, «Côte d'Ivoire: La paix comme option», Rapport Afrique N°109, 17 mai 2006, p.2.

* 30Ibid.

* 31 Le GTI est un mécanisme du processus de sortie de crise du Conseil de sécurité qui regroupe la France, les Etats Unis, la Grande Bretagne, l'Afrique du Sud, ainsi que plusieurs pays voisins de la Côte d'Ivoire et plusieurs organisations internationales dont l'ONU, l'UA et l'UE.

* 32 www.onuci.org consulté le 1er avril 2012.

* 33Beaucoup d'Ivoiriens auront dès lors le sentiment que leur pays est mis sous la tutelle de la communauté internationale.

* 34 En prenant en compte le principe de non-ingérence et l'égalité souveraine des Etats énoncé dans l'Art.2§1 de la Charte de l'ONU, on peut donc se poser la question de savoir si le Conseil de sécurité n'a-t-il pas outrepassé son rôle?

* 35 Décision prise lors du sommet des Chefs d'Etats et de gouvernement du 6 octobre 2006 in www.ecowas.int consulté le 1er avril 2012.

* 36 Décision du Conseil de paix et de sécurité de l'UA du 18 octobre 2006 in www.africa-union.org consulté le 31 mars 2012.

* 37 ZEEBBROEK X., « La Côte d'ivoire : La paix malgré l'ONU ? », Rapport du GRIP, 2008/02, p.7.

* 38 Recommandations de la CEDEAO du 6 octobre 2006.

* 39 HUET V., op. cit., P.67.

* 40SADA H., op. cit., p.329.

* 41Ibid.

* 42 KONADJE J.J., « L'ONU et la crise post-électorale ivoirienne : dans les méandres d'une intervention sur fond de contestation », in http://www.grotius.fr/onu-et-la-crise-post-electorale-ivoirienne-dans-les-meandres-dune-intervention-sur-fond-de-contestation-2/, consulté le 19 février 2012.

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