UNIVERSITE DE GOMA
UNIGOM
B.P : 204 GOMA FACULTE DE DROIT
ANALYSE DE LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE PENALE DE
L'ETAT
Mémoire rédigé et défendu en
vue de l'obtention du diplôme de licence en Droit
Par : MIKITI M'PANDA henry
Option : Droit Public
Département
: Droit International et relations
Internationales
Directeur : Prof. IVON MINGASHANG
Encadreur: C.T. KASAY DALMOND
Année académique : 2012-
2013
[j]
EPIGRAPHE
Etre responsable c'est subir soi même les
conséquences des ses actes. Tour savoir dans quelle mesure on
crée des dommages à autrui, il faut préalablement que le
droit des uns et des autres ait été défini. C'est pourquoi
la responsabilité ne peut se définir indépendamment de la
propriété.
T. SALIN, Libre-échange et protectionnisme,
Taris, T.U.F., 1991, T.13.
[ii]
A toute la famille M'panda ainsi qu'à toute
celle des scientifiques du monde, nous dédions ce
travail.
[iii]
REMERCIEMENTS
Nous tenons à adresser nos remerciements
à tous ceux qui, directement ou indirectement, nous ont aidés
à accomplir ce travail. Nous remercions toute l''université de
Goma ainsi que tout son corps académique qui ont mis à notre
disposition un enseignement de qualité tout au long de notre formation.
Nos remerciements particuliers s'adressent au Professeur Ivon Mingashang qui a
accepté de diriger ce mémoire ; aussi, nous remercions le Chef
des travaux Xasay Dalmond qui nous a encadré tout au long de
l'élaboration de ce travail. Nos remerciements particuliers s'adressent
également à nos parents qui ont consenti d'énormes
sacrifices pour que nous puissions étudier dans des meuilleures
conditions, notre père, M'panda Ngoy, notre mère, Xahambu
Maximila, nos chers soeurs et frères ; Xyalu M'panda, Xisumbule Xamango
syntyche, Xyomba M'panda, Fatuma M'panda. Nous remercions également nos
oncles paternels, Joachin M'panda Mwimba et Albert Munganga ainsi que leurs
femmes respectives, Joséphine M'panda et Fatuma Munganga. Nous adressons
également nos sincères remerciements à nos deux beaux
frères, Bandu Mirimo et Fataki Séverin, qui nous ont
particulièrement assistés tout au long de l'élaboration de
ce travail. Nous remercions également notre oncle maternel, Cosmas
Xamango, qui nous a également assisté dans l'accomplissement de
cette oeuvre.
Nous ne saurons pas ne pas remercier et rendre un
hommage à tous nos amis et camarades de lutte, notamment Xakule
Bembeleza, Erick Xapakasi, Akwipato Bazakwena, Benjamin Musemakweli, Mulamba
Lubungu, Mema Cimanuka, Ange Mulirirwa, Alain Musavuli ainsi que tous ceux qui,
à un titre ou un autre, ont contribué à la
réalisation de cet oeuvre.
MIXITI M'PANDA henry
[iv]
SIGLES ET ABREVIATION
A.F.D.I. : Annuaire Français de Droit
International
A.G.N.U.: Assemblée Générale des
Nations-Unies
A.J.I.L.: American Journal International Law
A.P.D. : Archives de Philosophie du Droit
Add. : Addenda
Aff. : Affaire
B.P. : Boite Postale
C.D.I. : Commission du Droit International
C.d.s. : Conseil de sécurité
C.I.J. : Cour Internationale de Justice
C.P.I. : Cour Pénale Internationale
C.P.J.I. : Cour Permanente de Justice Internationale
C.T. : Chef des Travaux
E.J.I.L.: European Journal of International Law
I.C.L.Q. : International and Comparative Law Quarterly
I.D.I.: Institut de Droit International
L.G.D.J. : Librairie Générale de Droit et des
Jurisprudences
Loc.cit : Article déjà cité
N.I.C.L.A.: New International Criminal Law-thesaures
Acroasium
N° : Numéro
O.N.U. : Organisation des Nations Unies
Op.cit. : Ouvragé déjà cité
P. : Page
Prof. : Professeur
R.B.D.I. : Revue Belge de Droit International
R.C.A.D.I. : Recueil des Cours de l'Académie de Droit
International de la Haye
[v]
R.G.D.I.P. : Revue générale de droit
international public
R.S.D.I.E. : Revue Suisse de Droit International et de Droit
européen
Réc. : Recueil
S.D.N. : Société des Nations
T.P.I.Y. : Tribunal International Pénal pour
l'ex-Yougoslavie
U.L.B.: Université Libre de Bruxelles
Vol. : Volume
[1]
INTRODUCTION
La question de la responsabilité est au coeur de tout
système juridique. En droit international, elle constitue un des
thèmes les plus importants et les plus débattus1. Une
question dans une autre est celle de l'existence, en droit international, d'une
responsabilité pénale des Etats. En effet, en droit
international, on a toujours débattu sur l'existence des faits illicites
des Etats qui seraient à classer dans une catégorie
différente de celle où sont classés tous les autres faits
internationalement illicites, faits qui ont été
dénommés « crimes internationaux des Etats
»2.
Voilà qui nous amène à nous interroger
aussi, en partant de cette notion de crime de l'Etat, sur la
pénalisation de la responsabilité de l'Etat dans l'ordre
juridique international.
L'analyse que nous entreprenons sur la responsabilité
internationale des Etats particulièrement sur la responsabilité
pénale n'est pas première, des nombreux développements ont
été réalisés tant dans la doctrine que dans la
jurisprudence mais aussi dans l'oeuvre de la codification de la C.D.I.
En effet la C.D.I. a eu, dans le cadre des ses travaux sur la
responsabilité internationale d'un Etat pour fait illicite, à
développer la question des crimes internationaux de l'Etat3
et de la responsabilité de l'Etat pour violation des règles du
jus cogens4. La question de la responsabilité internationale
pénale, en ce qui concerne l'imputabilité des faits illicites
à l'Etat, a également déjà fait l'objet des
développements importants, dans la jurisprudence, notamment par la Cour
Internationale de Justice et a amené à des divergences avec le
Tribunal International Pénal pour l'ex Yougoslavie, preuve de la
fragmentation du droit international à ce sujet5. Par
ailleurs, une importante doctrine s'est, depuis l'adoption du fameux article 19
qui introduit la notion des crimes internationaux de l'Etat dans le Projet en
première lecture et de l'article 40 qui introduit celle de
responsabilité pour violation d'une règle de jus cogens
1 O. QUIRICO, Réflexions sur le
système du droit international pénal : la responsabilité
« pénale »des Etats et des autres personnes morales par
rapport à celle des personnes physiques en droit international,
Thèse, Toulouse1, 2005, p1.
2PELLET, A., « vive le crime ! Remarques sur
les degrés de l'illicite en droit international », in C.D.I., le
droit international à l'aube du 19e
siècle-Réflexions des codificateurs, Nations Unies, New York,
1997, pp. 287-315
3 Art. 19 du projet d'article sur la
responsabilité des Etats adopté en première et
deuxième lecture in Ann. C.D.I 1976, p306.
4 J. CRAWFORD, Les articles de la C.D.I.sur la
responsabilité de l'Etat, Pédone, Paris, 2003, p.83.
5 CONFORTI, B., « unité et fragmentation
du droit international : glissez, mortels, n'appuyez pas ! »in
R.G.D.I.P., 2007, pp.5-18.
[2]
dans le projet final, s'est développée, opposant
farouchement les tenants de la pénalisation du droit international
à ceux qui contestent cette thèse.6
En fait tout système juridique suppose que ses sujets
engagent leur responsabilité lorsqu'ils commettent des actes
répréhensibles ou qui portent atteinte aux intérêts
des autres membres du groupe. En effet comme l'a observé le professeur
P. REUTEUR « la responsabilité est au coeur du droit
»7. Dans le système international elle constitue
une partie essentielle de ce que l'on pourrait considérer comme
constitution de la communauté internationale8. En
fait comme l'a bien dit la C.I.J., la responsabilité est le «
corolaire important du droit »9. Dans l'ordre
juridique international caractérisé par l'égalité
souveraine des Etats, elle apparait comme le mécanisme régulateur
essentiel et nécessaire des rapports mutuels des sujets du droit
international. Le principe selon lequel tout comportement d'un Etat contraire
au droit international entraine sa responsabilité n'a pas besoin
d'être justifié ou déduit des autres principes, car «
il est expressément reconnu ou du moins clairement
présupposé par une pratique unanime ».10Elle
est une conséquence de l'existence d'un droit international et constitue
la matrice de ce qu'il convient d'appeler la « communauté
internationale ».
Comme on l'a déjà évoqué, la
responsabilité est l'un des thèmes les plus importants et ayant
été à l'origine des vives polémiques entre la
doctrine du droit international ; celle-ci a emmené la C.D.I. à
se pencher sur la question dans le cadre de ses travaux à partir des
années 50 et cela pour essayer de réaliser une théorie
générale du droit de la responsabilité internationale. Un
débat dans un autre, comme le dit QUIRICO, est celle de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat11A
l'origine de ce grand débat, qualifié de saga juridique
par A. PELLET12, il y a l'adoption en 1976 par la C.D.I.,dans
le cadre de ses travaux sur l'élaboration d'un projet d'articles sur la
responsabilité des Etats, du projet
6 Parmi les grands tenant de la pénalisation
nous avons notamment A. PELLET, « la responsabilité de l'Etat pour
la commission d'une infraction internationale », in H. ASCENSIO, E. DECAUX
et A. PELLET « dir. », Droit international pénal,
Pédone, Paris, 2012, pp. 607-630.Parmi les anti pénalistes nous
avons RONSENSTOCK, R., « An international criminal Responsability of
states ? » in EJIL, 1998 No 1,pp. 265-385, nous avons aussi BOWET,
D., « crimes of states and the 1996 report of the international Law
commission on state Responsibility »,in E.J.I.L.,1998 No1, pp. 163-173.
7REUTEUR, P., « trois observations sur la
codification de la responsabilité internationale des Etats pour fait
illicite », in le droit international au service de la paix, de la
justice et du développement, Mélanges Michel virally, Paris,
Pédone, 1991, p. 390.
8 Idem, p.391.
99 C.I.J., Affaire de la Barcelona traction, light
and power company, limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase,
arrêt du 5 Février 1970, Rec.1970, p.34.
10 .R. AGO, Troisième rapport sur la
responsabilité des Etats, C.D.I., 1971, Vol2, 1ère
partie, p 216.
11 O. QUIRICO, op. cit., p.17.
12 PELLET, A., loc. cit. , note 2, p3.
[3]
d'article 19 établissant une distinction entre deux
catégories de faits illicites des Etats eu égard à l'objet
de l'obligation violée13. Cet article qui sera au coeur des
vives polémiques va disparaitre dans la version finale adoptée en
2001, du moins dans ses énoncées, car toute sa substance va
être malignement conservée notamment par l'article 40 de la
version finale qui institue la responsabilité pour violation des
règles du jus cogens14. Ainsi comme l'a bien dit le
professeur A. PELLET « Vive le crime, l'existence de feu crime
international de l'Etat, qui, tel le phoenix, est né à nouveau
des cendres où l'on voulait l'enterrer »15. Et donc
le Projet, en particulier, et le droit international, en général,
continuent d'être hantés par le fantôme du crime. Il n'est
donc pas juridiquement admissible, il s'avère même logiquement
inacceptable, partant moralement insoutenable qu'on insinue qu'un débat
sur la responsabilité pénale de l'Etat dans l'ordre juridique
international est soit sans effet soit déjà tranché.
En effet l'article 19 consacré dans le projet de 1976,
reconduit en 1996 en première lecture lors de l'adoption de l'ensemble
du projet, et son succédant l'article 40, retenu dans le projet final de
2001, vont principalement focaliser nos analyses pour essayer de
répondre à la question de l'établissement ou non du
principe de la responsabilité pénale des Etats dans l'ordre
juridique international.
En fait, calé sur l'adage « societas
delinquere non potest », le droit international considérait
que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée que
pour réparer un préjudice, cette vision, qu'on qualifierait de
civiliste16, n'est plus en vigueur depuis la fameuse «
révolution agoenne ou agoiste »17-
c'est-à-dire la mutation fondamentale que la commission a fait subir
à la notion traditionelle de la responsabilité de l'Etat sous
l'impulsion de R. AGO. En effet avant cette révolution le dommage
constitué le point focal de la responsabilité en droit
international. Tel n'est plus le cas depuis la nomination de R. AGO comme
rapporteur spécial de la C.D.I.en 1961 sur la question de la
responsabilité. Du coup en écartant le préjudice comme
fait générateur de la responsabilité de l'Etat, R. AGO et
la C.D.I. ont ouvert des brèches pour une responsabilité des
Etats du type pénal dans l'ordre juridique international. Cependant
cette innovation, qualifiée par L. HENNEBEL et H. TIGROUDJA
13 PELLET, A., loc. cit. , note 2, p4.
14 J. CRAWFORD, op. Cit. p.83.
15 PELLET, A., « le crime international de
l'Etat-un phoenix juridique », in the New international criminal
Law-thesaures Acroasium, 2011.International Law session.
16 A. PELLET, op. Cit. , note6, p1.
17 Idem, p. 2.
[4]
de la criminalisation du droit international de la
responsabilité des Etats18,bien qu'ayant des tendances
à la pénalisation du droit international, éprouverait
beaucoup des difficultés pour s'affirmer comme telle dans le droit
international suite à l'absence d'une hiérarchie
structurée. Toutefois l'émergence du concept de jus cogens
c'est-à-dire d'obligations erga omnes absolue- indivisibles-impliquant
la constitution d'un ordre public international, pourrait permettre
l'évolution du droit international de la responsabilité dans le
sens pénal19. En effet, Selon QUIRICO, «si en
raison de la nature volontariste et horizontale du droit international, on ne
saurait parler d'un droit pénal de l'ordre juridique international,
alors, plus radicalement, on ne pourrait même pas parler d'un droit
international public étant donné que le droit public nait, de
façon unilatérale, de l'autorité supérieure
»20. Il est donc clair que si en raison du volontarisme
qui caractérise le droit international on ne saurait parler d'un droit
pénal de responsabilité internationale, en raison de
l'objectivisme, par contre, on tenterait d'envisager une telle
hypothèse; en effet la notion de crime international de l'Etat ou son
succédant, la responsabilité pour violation du jus cogens
consacrant la notion de communauté internationale pourraient
emmener celle-ci à sévir, au nom de toute la communauté,
ses membres fautifs , comme le ferait, dans l'ordre juridique interne, l'Etat
au nom de la communauté nationale.
Notre point essentiel est l'analyse du sens que renferment le
mot crime et son succédant, la responsabilité pour violation des
règles impératives du droit international ; pourraient- ils
induire une quelconque pénalisation du droit international ? Cependant
nous devons maintenir à l'esprit que criminalisation ne signifie pas
forcément pénalisation, car pour passer de la première
à la seconde il faut l'existence d'un système plus ou moins
cohérent, c'est-à-dire qu'il faut des crimes bien établis
d'avance comme le fait l'article 19 bien que maladroitement, nullum crimen
sine lege21, des peines bien définies
préalablement, nulla poena sine lege et l'existence d'une
procédure claire, connue d'avance et équitable, nulla
judicium sine lege.
On remarquera, eu égard à ce qui
précède, qu'une notion de la responsabilité internationale
pénale de l'Etat, dans l'hypothèse où elle serait
envisageable, serait en elle-même contentieuse et devrait répondre
à des importantes questions systémiques qui se
18 L. HENNEBEL et H. TIGROUDJA, le
particularisme interaméricain des droit de l'homme : en l'honneur du
40eme anniversaire de la convention américaine des droits de
l'homme, Pédone, Paris, 2009, P.22.
19 O. QUIRICO, op. cit., p.17.
20 Idem, p.18.
21 A., PELLET, op. cit., note6, p7.
[5]
poseraient autour de son éventuelle
consécration. Notons que, tout au long de ce travail, nous essayerons de
répondre à quelques unes d'entre elles, notamment :
A) Quel est le sens de la criminalisation de la
responsabilité de l'Etat ou de la responsabilité pour violation
des règles du jus cogens par l'Etat consacrée par la C.D.I. dans
l'avant projet de 1976 repris dans celui de 1996 et synthétisé
dans le projet final de 2001?
B) Quel serait le régime juridique de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat, dans
l'hypothèse où elle serait envisageable, partant de la notion de
crime international de l'Etat ou de la violation d'une règle du jus
cogens ?
Voilà les grandes problématiques, bien sur avec
d'autres sous questions, qui retiendrons notre attention tout au long de cette
analyse.
Répondre provisoirement à des questions, aussi
fondamentales, dans une problématique de la responsabilité
pénale de l'Etat sur le plan international, que celles que nous nous
sommes ci-haut posées nous parait particulièrement
périlleux compte tenu, comme on l'a dit, du caractère
décentralisé et intersubjectif du droit international, ne
permettant pas d'envisager une quelconque responsabilité internationale
des Etats sur le plan pénal. Toutefois, suite à
l'émergence du concept de jus cogens, une évolution dans ce sens
serait possible. Ainsi pour répondre à la première
question de savoir quel est le sens du mot crime retenu dans le projet de 1976,
repris dans celui de 1996 et celui de la responsabilité pour violation
des règles du jus cogens dans le projet final de 2001 de la C.D.I. ; on
peut dire d'entrée de jeu que le terme crime international tirerait sa
matrice de l'émergence de la théorie du jus cogens. En effet ces
deux institutions seraient la consécration d'un autre degré, plus
grave ou lourde, de responsabilité internationale, degré
consacré notamment par les paragraphes 2 et 4 de l'article 19 de l'avant
projet de 1976, repris dans le Projet de 1996 et par l'article 40 adopté
dans le projet final, en dehors de la responsabilité minime pour
délit ; selon une certaine doctrine il ne s'agirait pas d'une
différence de degré mais bien d'une différence de
nature22. Par leur nature même, les délits mettraient
en cause les seuls intérêts des Etats concernés, alors que
les crimes toucheraient l'ensemble de la communauté internationale. A la
question de savoir quel est le régime juridique de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat partant de la
notion de crime international étatique ; pour répondre à
cette question, on tentera d'étudier la structure tant matérielle
que formelle de la notion du crime international
22PELLET, A., «can a state comit a crime
?Definitely yes» in E.J.I.L. n° 10, 1999,P.427.
[6]
de l'Etat ou de son succédant, violation de
l'obligation du jus cogens. En effet du point de vue matériel l'Etat
engagerait sa responsabilité internationale pour crimes
c'est-à-dire pour violation d'une obligation lui incombant envers toute
la communauté internationale dans son ensemble notamment pour agression,
atteinte à l'environnement, etc., obligations retenus par le projet
d'article 19 que la notion d'obligation du jus cogens synthétise dans
l'article 40 du projet final. Du point de vue formel, l'Etat encourait des
sanctions suis generis notamment les contre mesures sur base d'une
procédure bien établie et encadrée dans le projet de la
C.D.I.
Notre analyse s'appui sur une assise méthodologique
bien définie. En effet dans le cadre de ce travail nous allons nous
servir de la théorie analytique du droit23 couplée
à une approche objective du droit international24 .La
théorie du droit nous permettra de déterminer la place du
principe de responsabilité internationale pénale étatique
dans l'ordre juridique international, nous nous focaliserons pour ce faire sur
la notion du crime international et celle de la violation des règles du
jus cogens. L'approche objective quant à elle, nous permettra de
comprendre la notion du jus cogens et celle de communauté
internationale, matrice de la notion du crime international de l'Etat, dans un
droit international dominé par des tendances volontaristes.
L'analyse que nous entreprenons sur la question de
responsabilité
internationale pénale des Etats n'est pas sans
intérêt, en effet elle comporte un double intérêt, un
intérêt pratique et intérêt scientifique. Sur le plan
scientifique, la question de la responsabilisation de l'Etat, sujet principal
du droit international, surtout sur le plan pénal est d'un
intérêt scientifique, pédagogique crucial car, depuis
très longtemps, elle a fait couler beaucoup d'encres et des salives,
déchirant les internationalistes entre les pro et les anti
pénalistes du droit international ; et donc aussi petite que soit la
pierre apportée par cette analyse à l'édifice-droit
international de la responsabilité internationale pénale de
l'Etat-elle constitue une base des données importante pour tout
chercheur, tout étudiant ou praticien du droit s'intéressant
à la question de la pénalisation de la responsabilité des
Etats. Sur le plan pratique cette analyse n'en demeure pas moins
intéressante. En effet la scène internationale connait des
grandes turbulences, des graves violations des droits de l'homme se commettent
à large échelle à la charge des Etats ; donc il est
important de pouvoir clarifier une telle notion pour emmener chaque Etat
à être conséquent par rapport à ses agissements sur
la scène international, de sorte que lorsque des violations se
commettrons que l'on sache en quoi s'en
23 O. CORTEN, Méthodologie du droit
international public, Bruxelles, Ed. De U.L.B, 2009, p28.
24 Idem, p.48.
[7]
tenir tant pour indemniser les éventuelles victimes que
pour tirer toute les conséquences sur le plan juridictionnel d'une telle
responsabilité.
Néanmoins, on ne saurait pas au cours d'une
étude comme celle-ci, prétendre appréhender toutes les
thématiques relatives à la question de la pénalisation du
droit international. C'est ainsi que notre travail sera focalisé
exclusivement sur la responsabilité internationale pénale de
l'Etat pour fait illicite tout en ne négligeant pas les interactions
possibles que ce type de responsabilité pourrait avoir avec d'autres
types de responsabilité notamment la responsabilité
internationale pénale individuelle et la responsabilité
internationale pénale des Organisations internationales. Notre analyse,
par contre, s'appuie sur les règles primaires et les règles
secondaires du droit international, Nos matériaux ce sont les travaux de
la C.D.I. notamment l'avant projet de 1996 et le projet final de 2001 mais
aussi les différents rapports publié dans l'Annuaire de la C.D.I.
par les rapporteurs qui se sont succédés sur cette question.
Ainsi notre analyse sera articulée autour de deux
grands chapitres, subdivisés chacun en deux sections. En effet le
premier chapitre, intitulé le crime de l'Etat dans le Projet de la
C.D.I. : une consécration de la responsabilité internationale
pénale de l'Etat ?, essaye de dégager le sens que la C.D.I.
attendait accorder au mot crime ou à la violation de l'obligation de
règles de jus cogens et voir, en analysant les conséquences du
crime, si une telle signification pourrait induire une quelconque
responsabilité pénale. Dans le second chapitre,
intitulé le régime juridique de la responsabilité
internationale pénale de l'Etat partant de la théorie du crime
international, nous essayons, en analysant la structure de l'infraction de
l'Etat c'est-à-dire le crime ou la violation d'une règle du jus
cogens, de répondre à la question des faits infractionnels qu'on
peut imputer à l'Etat et cela en partant de l'article 19, nous analysons
aussi la question de la procédure et de la sanction dans le cadre de la
responsabilité internationale.
[8]
CHAPITRE I : LE CRIME DE L'ETAT DANS LE
PROJET DE LA C.D.I. : une consécration de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat?
La responsabilité internationale est l'un des chapitres
les plus importants et les plus débattus en droit international. Elle a
notamment fait l'objet des développements importants par la C.D.I. dans
le cadre de ses travaux sur l'élaboration d'un projet d'articles sur la
responsabilité internationale de l'Etat. Celle-ci a, dans le cadre de
son projet adopté en première lecture en 1976 et sous l'impulsion
de son rapporteur spécial sur la question de la responsabilité-
R. AGO, consacré à travers son projet d'article 19 la «
responsabilité internationale de l'Etat pour crime
»(SECTION1), article qui a, du reste, été maintenu
jusque dans l'adoption du projet complet en première lecture en 1996.
Ayant été à la base d'une vive polémique non
seulement entre les Etats mais aussi dans la doctrine internationale, la C.D.I.
a jugé mieux d'abandonner cet article au nom de la cohésion
internationale, du moins dans sa terminologie, car sa substance avait
été malignement conservée notamment par l'article 40 du
projet final. Il est évident que cette consécration du crime
international ; bien que n'ayant pas été retenue, du moins dans
sa terminologie parce que la réalité qu'elle désignait est
bel et bien là, établit une importante distinction en droit
international entre les catégories des faits internationalement
illicites et par ricochet deux régimes juridiques distincts de
responsabilité en droit international et qui engendrent chacun des
conséquences propres(SECTION2), l'une qualifiée de mineur ou
d'ordinaire et l'autre pour crime, qualifié d'aggravée par
l'article 40 du projet final.
SECTION I : LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE L'ETAT
POUR CRIME DANS LE PROJET DE LA C.D.I.
Nommé comme rapporteur spécial de la C.D.I. sur
la question de la responsabilité des Etats après le cubain F. V.
GARCIA AMADOR qui montrait déjà ses limites dans la direction
d'un projet aussi ambitieux comme celui sur la responsabilité
internationale de l'Etat, l'italien R. AGO qui était un esprit
supérieurement subtil va complètement bouleverser toute
l'approche du droit de la responsabilité internationale surtout en
innovant avec un nouveau paradigme de la définition de la
responsabilité internationale(§1), celui-ci va être à
la base des premières tendances pénalistes dans un droit qui
était, jusque là, d'essence civiliste25 et qui
aboutira à la consécration d'un double degré de
25 PELLET, A., loc.cit., note15, p.
322.
[9]
responsabilité en droit international( §2) l'un
qualifié de grave ou criminelle, et l'autre de mineur ou d'ordinaire.
§ 1 Nouvelle approche définitionnelle de la
responsabilité international de l'Etat : la perspective
pénaliste
Il nous parait particulièrement important que pour
comprendre la notion même
de crime international de l'Etat ou celle équivalent-
le changement n'est que de nom-de « violations graves d'une obligation
découlant d'une norme impérative du droit international
général »26, il faut se faire une idée
plus ou moins claire du système général de la
responsabilité internationale c'est-à-dire de sa
définition. Or celle-ci est sortie transformée de fond en comble
des travaux de la C.D.I. à la suite de ce qu'il n'est sans doute pas
exagéré d'appeler « révolution agoiste
»27.
Monsieur AGO et la C.D.I. ne fondent plus la question de la
responsabilité sur la réparation d'un quelconque dommage,
autrefois élément fondamental de la responsabilité, mais
plutôt sur un manquement à une obligation internationale.
§1.1 L'évacuation du dommage du champ de
la responsabilité internationale de l'Etat
Dans une conception classique du droit international, la
responsabilité consiste
dans une obligation de réparer le dommage28.
Ce dernier y tient une place importante. Il est l'une des conditions
d'engagement de la responsabilité à coté de la violation
par l'Etat d'une obligation lui incombant en vertu du droit international et du
lien de causalité entre le fait illicite et le
préjudice29. Sans le dommage il serrait, dans une conception
classique, impensable d'envisager une quelconque responsabilité de
l'Etat. Ceci n'est plus la réalité avec R. AGO qui
révolutionne fondamentalement la conception de la responsabilité
internationale toue entière. Désormais la responsabilité
ne saurait être réduite seulement à la réparation.
Pour Ago la conception traditionelle, qu'il récuse d'ailleurs s'oppose
à deux autres conceptions. L'une qu'il attribue à KELSEN et qui
consisterait à réduire la responsabilité non plus à
la réparation mais à la sanction, et l'autre, la sienne, qu'il
qualifie de médiane et qui consiste à additionner les
conséquences réparatrices et punitives de la
responsabilité30. Cette inclusion
26 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p9.
27 Ibidem.
28 J. CAMBACAU in J. CAMBACAU et S. SUK, Droit
international public, Domat-Monthchrétien, Paris, 1999, p.521.
29 DEHEMSS, J., « Chronique», in
A.F.D.I., 1985, p. 604.
30 AGO, R., « Le délit international
», inR.C.A.D.I, 1939.II, vol. 68,
pp.415-554(reproduit dans Roberto Ago, scritti Sulla responsabilita
internationale deli stati, Jovene, Publicazioni delle Facoltà di
Giurisprudenza, della università di Camerino, 1979, vol. I,
pp.141-269).
[10]
de la punition dans le droit de la responsabilité de
l'Etat constitue une grande innovation et va permettre les
développements qui conduiront à la consécration du crime
international.
En effet la révolution conceptuelle proposée par
AGO apparait dès le célèbre article premier du projet en
première lecture de 1976, article qui a été maintenu
jusque dans la version finale. Cet article dispose que : « tout fait
internationalement illicite de l'Etat engage sa responsabilité
internationale ».31Tout est clair, le dommage qui
était au coeur de l'analyse traditionelle de la responsabilité
est complètement évacué comme fait
générateur. Du coup, à travers cette nouvelle approche, se
trouve consacrée l'idée selon laquelle le droit international
n'est guère un réseau des normes intersubjectives
destinées d'abord, sinon exclusivement, à protéger la
coexistence des Etats dans leurs intérêt communs.32 On
peut envisager que cette idée est dans l'optique de
l'établissement d'une communauté internationale qui contrairement
à l'approche traditionelle, exclusivement, comme le dit le professeur
PELLET, « souverainiste », elle tient compte des affleurements du
« communautarisme » dans la sphère du droit international,
aussi modestes et timides que ceux-ci demeurent33. On ne saurait
douter qu'une telle approche contient des germes d'une pénalisation dans
l'ordre juridique international. Désormais, comme sur le plan interne
où l'Etat réprime toutes les infractions au nom de la
communauté, la communauté internationale peut, à
son tour aussi, sanctionner des manquements qu'elle considère comme
touchant à ses intérêts les plus fondamentaux.
Bien que contestée par certains Etats et par une
certaine doctrine qui continuaient à soutenir la thèse du dommage
comme fait générateur de la responsabilité et qui
comptaient rédiger un contre projet, la C.D.I. a tenu contre vents et
marées à l'exclusion du dommage dans le champ d'engagement de la
responsabilité, ce qui constituait sa grande innovation, si non celle de
tout le droit international.
Pour justifier l'exclusion du dommage, la C.D.I. donne
l'exemple des traités relatifs aux droits de l'homme et des conventions
internationales du travail en faisant valoir non sans raison que leur violation
n'entrainaient en général aucun préjudice
économique ni même moral pour les autres Etats parties mais
n'engageaient pas moins la responsabilité de
31 C.D.I., Comptes rendus analytiques de la Vingt
huitième session Ann. C.D.I. 1971, Vol II, 1ère
Partie, P. 213, par.19.
32 CAMBACAU, J., « Le droit international, bric
à brac ou système ? » in A.P.D., 1986,
pp.85-105.
33 A. PELLET., La codification du droit de la
responsabilité internationale : Tâtonnements et affrontements,
in L. BOISSON DES CHAZOURNES et V. GOWLLAND-DEBBAS « dir »,
L'ordre juridique international, un système en quête
d'équité et d'universalité, Liber Amicorum Georges
Abi-saad, la Haye, 2001, p. 287.
[11]
leurs auteurs34. Désormais seul le fait
internationalement illicite peut engager la responsabilité de l'Etat. On
retrouve le même écho sur le plan jurisprudentiel ; en
l'occurrence la C.P.J.I. a, dans plusieurs affaires, eu à appliquer le
principe énoncé à l'article premier du Projet de la C.D.I.
sur la responsabilité des Etats35. La C.I.J. a elle aussi,
à diverses reprises, fait application du même principe, dans
l'affaire du détroit de Corfou36 , celle des activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci37, et
dans celle du projet Gabcikovo-Nagymaros38. Par ailleurs, la C.I.J.
a également fait mention de ce principe dans plusieurs de ses avis
consultatifs, notamment celui sur la réparation des dommages subis aux
services des Nations Unies39 et celui sur l'interprétation
des traités de paix conclus avec la Bulgarie, Hongrie et la
Roumanie(deuxième phase)40. Dans plusieurs affaires, des
tribunaux arbitraux ont, eux aussi, appliqué le principe de la
responsabilité objective en exclusion du dommage41.
Bref il ressort clairement de la pratique des Etats et de la
jurisprudence internationale que le dommage ne pourrait plus être pris en
compte dans l'établissement de la responsabilité sur le plan
international. Seul le fait internationalement illicite et seulement lui peut
engendrer une responsabilité de l'Etat qui en est l'auteur. Il reste
maintenant qu'il faut déterminer quels sont les éléments
constitutifs d'un fait internationalement illicite de l'Etat
c'est-à-dire les conditions qui sont nécessaires pour
l'engagement de la responsabilité de l'Etat.
34C.D.I., Rapport aux vingt- cinquième
sessions, A/CN.4/480/Add. 4, pp. 8-11, pars. 116-121.
35C.P.J.I., Aff. Des phosphates du Maroc,
Italie/France, exceptions préliminaires, 1938, Série A/B n°
74, p.28, V. aussi C.PJ.I., Aff. Vapeur Wimbledon, Grande Brétagne,
France, Italie, Japon/ Pologne/ Pologne, 1923, Série A n° 1, p. 30
; v aussi C.P.J.I., Aff. Usine de Chorzów, Allemagne/Pologne,
compétence, 1928, Série A n°9, p.21.
36 C.IJ. Détroit de Corfou, fond, (Royaume uni
c. Albanie)., Recueil 1949,p.23.
37 C.I.J., Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats unis
d'Amérique), fond, Recueil 1986, p.142, par.283 ; p149, par.292.
38 C.I.J., Projet Gabcikovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie),. Recueil 1997, p.38, par.47.
39 C.I.J., Réparation des dommages subis aux
services des Nations Unies, avis consultatif, Recueil 1949, p.184.
40C.I.J., Interprétation des traités de paix conclus
avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis
consultatif, Recueil 1950, p.221.
41Nations Unies, Rainbow Warrior
(Nouvelle-Zélande/France), Recueil des sentences arbitrales, Vol. xx,
p.217(1990).
[12]
§1.2. Les conditions d'engagement de la
responsabilité internationale : Eléments constitutifs du fait
internationalement illicite
L'article 2 du Projet de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats est assez clair quant à ce qui concerne
les conditions requises pour engager la responsabilité de l'Etat sur le
plan international. Cet article énonce deux éléments
constitutifs du fait internationalement illicite, celui-ci étant
considéré comme seule condition pour engager la
responsabilité de l'Etat sur le plan international, il s'agit :
premièrement, le comportement en question doit être
attribuable à l'Etat d'après le droit international,
deuxièmement , pour qu'une responsabilité naisse du fait de
l'Etat, ce comportement doit constituer une violation d'une obligation
juridique internationale qui était alors à charge de
l'Etat42. On a que deux conditions et seulement deux et qui
sont cumulatives pour pouvoir engager la responsabilité de l'Etat dans
l'ordre juridique international. La C.P.J.I. a, notamment dans l'affaire des
phosphates du Maroc, estimé que « la naissance d'une
responsabilité internationale est conditionnée à
l'existence d'un acte imputable à l'Etat et décrit comme
contraire aux droits conventionnels d'un autre Etat »43 .
Pour la C.I.J., qui s'est également référée
plusieurs fois à ces deux éléments pour établir la
responsabilité, notamment dans l'affaire relative au personnel
diplomatique et consulaire des Etats Unis à Téhéran
où elle souligne « que pour établir la
responsabilité de l'Iran tout d'abord elle doit déterminer dans
quelle mesure les comportements en question peuvent être
considérés comme juridiquement imputables à l'Etat.
Ensuite, elle doit rechercher s'ils sont compatibles ou non avec les
obligations incombant à l'Iran en vertu des traités en vigueur ou
de toute autre règle de droit international éventuellement
applicable ». Dans l'affaire du génocide, la Cour constate
dans un premier temps que « les massacres commis dans la région
de Srebrenica étaient constitutifs du crime de génocide au sens
de la convention de 1948 puis, en vue de rechercher si la responsabilité
internationale de la Serbie était susceptible d'être
engagée en liaison avec ces faits, elle s'est demandé en
outre « si les actes de génocide commis pourraient être
attribués au défendeur en application des règles du droit
international coutumier de la responsabilité internationale des Etats,
en précisant que cela revient à se demander si ces actes ont
été commis par des personnes ou des organes dont le comportement
est attribuable à l'Etat défendeur »44.
Dans
42 J. CRAWFORD, op. cit., p.75.
43 C.P.J.I., Aff. Phosphates du Maroc, op.cit.,
p.10.
44 C.I.J., arrêt, 26 Février 2007,
Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Serbie-et-Monténégro), Fond, Rec., 2007, par.414.
[13]
l'affaire des activités armées sur le territoire
de la République Démocratique du Congo, la C.I.J. met aussi en
exergue ces deux éléments.45
Il faut noter que l'élément de l'attribution a
parfois été qualifié de subjectif et celui de la violation
d'objectif, mais il est clair que cette terminologie n'a pas été
retenue dans les articles de la C.D.I.46 Le fait qu'il y ait ou non
manquement à une règle peut dépendre de l'intention des
organes ou agents habilités de l'Etat ou de la connaissance qu'ils ont ;
en ce sens, déterminé l'existence ou l'inexistence d'une
violation peut être subjectif.
Le comportement attribuable à l'Etat peut consister en
une action ou une omission. Les cas dans lesquels la responsabilité
internationale d'un Etat a été invoquée sur la base d'une
omission sont aussi nombreux que ceux qui se fondent sur des faits
positifs47.
En effet pour qu'un comportement déterminé
puisse être qualifié de fait internationalement illicite, il doit
avant tout être un comportement attribuable à l'Etat. L'Etat est
une entité organisé réelle, une personne juridique ayant
pleine qualité pour agir d'après le droit international. Mais le
reconnaitre ne veut pas dire nier la vérité
élémentaire que l'Etat comme tel n'est pas capable d'agir. Un
fait de l'Etat met nécessairement en jeu une action ou une omission d'un
être humain ou d'un groupe : les Etats ne peuvent agir qu'au moyen et par
l'entremise de la personne de leurs agents et
représentants48. Donc il est important de déterminer
par quels organes les Etats engagent leur responsabilité sur le plan
international ; il faut noter que cette question ferra l'objet d'un examen plus
approfondi dans le second chapitre. Toutefois, nous devons signaler que
lorsqu'on parle de l'attribution d'un comportement à l'Etat, il s'agit
d'un Etat sujet de droit international.
La deuxième condition pour qu'il y ait fait
internationalement illicite de l'Etat est que le comportement attribuable
à l'Etat constitue une violation par cet Etat d'une obligation
internationale existant à sa charge, l'expression « violation
par l'Etat d'une obligation internationale existant à sa charge
»est établie depuis de longue date et s'applique aux
obligations tant conventionnelles que non conventionnelles.49
45 C.I.J., arrêt, 19 Décembre 2005,
Activités armées sur le territoire du Congo (République
Démocratique du Congo c. Ouganda), Rec. 2005, p.226, par.160.
46 J. CRAWFORD, op. cit., p. 98.
47 Ibidem.
48 Ibidem.
49 Ibidem.
[14]
Partant, il n'y a pas d'exception au principe
énoncé à l'article 2 selon lequel deux conditions doivent
être réunies pour qu'il y ait fait internationalement illicite- la
présence d'un comportement, attribuable à l'Etat d'après
le droit international et la violation, par ce comportement d'une obligation
internationale à sa charge. La question est de savoir si ces deux
conditions nécessaires sont aussi suffisantes. On a parfois dit que la
responsabilité internationale ne peut être engagée par le
comportement d'un Etat qui manque à ses obligations que s'il existe un
autre élément, en particulier celui du dommage causé
à un autre Etat.50 Mais la nécessité de tenir
compte de tels éléments dépend du contenu de l'obligation
primaire, et il n'y a pas de règle générale à cet
égard. Ainsi, l'obligation contractée par traité d'adopter
une loi uniforme est violée si cette loi n'est pas adoptée, et il
n'est pas nécessaire qu'un autre Etat partie argue d'un dommage
spécifique qu'il aurait subi par ce manquement. Pour être en
mesure de déterminer si une obligation particulière est
violée du seul fait que l'Etat responsable n'a pas agi ou pour qu'elle
le soit quelque autre événement doit se produire, il faut partir
du contenu et de l'interprétation de l'obligation primaire, et l'on ne
peut le faire dans l'abstrait.51
§2 Différents degrés de
responsabilité en droit international, crime ou responsabilité
aggravée et délit ou responsabilité ordinaire
Comme nous l'avons dit, en évacuant le dommage dans le
champs de la définition de la responsabilité internationale, AGO
rendait possible une distinction entre, d'une part, les violations «
ordinaires » du droit international qualifiées de délits,
celles qui, pour regrettables qu'elles soient, ne concernent que l'Etat ou les
Etats lésés de l'autre l'Etat ou les Etats responsables, et,
d'autre part, celles qui mettent en cause les intérêts majeurs ,
fondamentaux de la communauté internationale dans son ensemble, quand
bien même aucun Etat particulier n'est
lésé.52
Cette dernière catégorie de
responsabilité introduit une dose de pénalité dans l'ordre
juridique international. En effet comme en droit interne l'Etat incrimine les
violations aux intérêts les plus fondamentaux de la
communauté nationale, même si il n'y a pas ou plus de victime,
ceci est désormais possible en droit international. Mais cela paraitrait
simpliste de pouvoir réduire un régime pénal à une
simple distinction de régime de responsabilité en droit
international, car un système pénal cohérent doit faire
plus que cela c'est-à-dire mettre en place un système clairement
défini. Toutefois cette distinction a le grand mérite
d'affirmer
50 J. CRAWFORD, op. cit., p99.
51 Ibidem.
52 PELLET, A., loc. cit, note 15, p.26.
[15]
haut et fort que le droit international n'est pas, comme on
l'a toujours envisagé, un réseau d'intérêts
subjectifs des Etats mais qu'il tient compte d'un degré de
solidarité pour protéger les intérêts les plus
fondamentaux de ce qu'il faut qualifier de « communauté
internationale ».
En fait la distinction entre délits et crimes apparait
dans le projet de 1976 jusque à celui de 199653, mais cette
terminologie, ayant été à l'objet d'une vive
polémique de la part de certains Etats et d'une certaine doctrine, va
être écartée tout en conservant intelligemment la substance
qu'elle représentait.54 On devra donc toujours garder
à l'esprit que ce qu'on appelait jadis « crime » international
de l'Etat dans le projet de 1976 et 1996 renvoi à la même
réalité juridique que ce que l'article 40 du projet final
désigne par responsabilité découlant de la violation grave
d'une norme impérative du droit international
général.55
§2.1. Crime et délit, une distinction
qualitative
C'est le 6 Juillet 1976 que la C.D.I. a adopté,
à l'unanimité, conformément à la proposition de
AGO, le texte de l'article 19 de la première partie de son Projet
d'articles sur la responsabilité des Etats.56 Il y est
demeuré inchangé en 1996 lorsque la commission a approuvé,
sans opposition, l'ensemble du Projet en première lecture. Cet article
qui a fait couler beaucoup d'encres et de salives et suscité des
débats passionnés entre Etats et doctrinaires internationalistes
n'a pas été retenu dans le projet final mais a été
jalousement conservé, notamment sa substance, par l'article 40 du Projet
final adopté en 2001.
En effet les paragraphes 2 et 4 de l'article 19 disposent ce qui
suit :
« 2 le fait illicite qi résulte d'une
violation par un Etat d'une obligation si essentielle pour la sauvegarde
d'intérêts fondamentaux de la communauté internationale que
sa violation est reconnue comme un crime par cette communauté dans son
ensemble constitue un crime international »
« 4 Tout fait internationalement illicite qui n'est
pas un crime international conformément au paragraphe 2 constitue un
délit international ».57
53 R. AGO, Cinquième rapport sur la
responsabilité des Etats, in C.D.I., Annuaire 1976, Vol. II, 1ere
partie, pp.26-57, pars.72-155.
54 PELLET, A., loc.cit., note 15, p.26.
55 Ibidem.
56 C.D.I. Comptes rendus analytiques des vingt
huitième sessions, op.cit., P.256.
57 Le projet d'articles sur la responsabilité
des Etats adoptés en première lecture par la C.D.I. est reproduit
dans le rapport de la commission sur les travaux de sa 48ème
session, Ann. C.D.I. 1996, Vol. II, 2ème partie, A/51/10,
pp.148-172.
[16]
On constate donc la différence nette de deux
degrés de responsabilité qu'établit cette disposition dans
l'ordre juridique international, mais comme constate le Professeur PELLET,
il n'y a pas la qu'une simple différence de degrés, comme le
soutenait une certaine doctrine, mais bel et bien une différence de
nature c'set à dire de qualité : par leur qualité,
les délits mettent en cause les seuls intérêts des Etats
concernés, alors que les crimes atteignent la société
internationale des Etats dans son ensemble. Il est clair qu'entre la violation
« banale » d'une clause de traité de commerce et le
génocide il n'y a pas commune mesure.58Pour CRAWFORD, la
différence qualitative entre ces différents degrés des
violations en droit international ne saurait être remise en
cause59.
L'article 19 du Projet de 1996 et l'article 40 du Projet final
semblent dégager deux critères de différenciation entre
ces deux catégories de faits internationalement illicites. En effet le
crime international de l'Etat ou la responsabilité aggravée doit
s'agir des violations d'obligations découlant des normes
impératives du droit international général ; et
deuxièmement, les violations visées doivent avoir un
caractère grave, de par leur échelle ou leur
nature.60Dans ce sens il faut dire que la C.I.J. a eu, dans
l'affaire de la Barcelona traction, à indiquer « qu'une
distinction essentielle doit en particulier être établie entre les
obligations des Etats envers la communauté internationale dans son
ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d'un autre Etat dans le cadre
de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premiers
concernent tous les Etats. Vu l'importance des droits en cause, tous les Etats
peuvent être considérés comme ayant un intérêt
juridique à ce que ces droits soient protégés ; les
obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnes
».61 La Cour entendait ainsi confronter la situation de
l'Etat lésé dans le contexte de la protection diplomatique avec
celle de tous les Etats en cas de violation d'une obligation envers la
communauté internationale dans son ensemble. Il est clairement
établit qu'il y a de par leur qualité les obligations qui sont
dû à toute la communauté internationale dans son ensemble
et que tous les Etats ont un intérêt juridique à ce que ces
droits soient protégés et celles qui ne sont dues qu'à un
ou plusieurs Etats.62
La difficulté qui demeure cependant est celle de savoir
si le crime international de l'Etat ou la responsabilité pour violation
d'une règle impérative du droit international
58 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p.27.
59 J. CRAWFORD, op. cit., p. 200.
60 Ibidem.
6161C.I.J., Barcelona Traction, op.cit., p.32,
par.33. 62 J. CRAWFORD, op. cit., p.201.
[17]
constituent des obligations erga omnes. A cette question, nous
constatons tout d'abord qu'il y existerait une étroite relation entre
ces deux notions. En effet, la doctrine a toujours soutenu que, la
responsabilité pour crime telle qu'elle ressort de l'article 19 du
Projet de la C.D.I. sur la responsabilité internationale des Etats et la
responsabilité pour violation d'une norme impérative du droit
international général tel qu'il ressort de l'article 40 du Projet
final de 2001, constituent bel et bien des violations d'obligations erga
omnes63. Il faut toutefois noter que la réciproque n'est pas
forcément exacte c'est-à-dire que toute violation d'une
obligation erga omnes n'est pas forcément une responsabilité pour
crime. On donne généralement pour exemple que les Etats riverains
sont tenus d'accorder à tous les navires le droit de passage en transit
dans les détroits servant à la navigation internationale ; il
s'agit là, assurément, d'une obligation erga omnes, mais son-non
respect n'est pas un type de responsabilité aggravée, elle n'est
pas dû envers la communauté internationale dans son
ensemble.64
Dans plusieurs affaires, la C.I.J. a réaffirmé
la notion d'obligation envers la communauté internationale, bien qu'elle
se soit montrée prudente dans son application. Dans l'affaire du Timor
oriental, elle a considéré « qu'il n' y avait rien
à redire à l'affirmation du Portugal selon laquelle le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il s'est
développé à partir de la Charte et de la pratique de
l'organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga
omnes.65Elle prend la même position dans l'affaire de
l'application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, en déclarant que «
les droits et les obligations consacrés dans la convention sont erga
omnes ».66 Par ailleurs, la notion d'obligation erga omnes
ne saurait être dissociée de celle de la reconnaissance de la
notion de norme impérative du droit international aux articles 53 et 64
de la convention de Vienne sur le droit des traités entre
Etats.67 Ces dispositions reconnaissent l'existence des
règles de fond si essentielles qu'aucune dérogation n'y est
possible, même au moyen d'un traité.
63 J. CRAWFORD, op.cit., p.202.
64 PELLET, A., loc.cit., p23.
65 C.I.J., Timor oriental (Portugal c. Australie),
Recueil 1995, p. 102, par. 29.
66C.I.J., Application de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie
Herzégovine c. Serbie et Monténégro), exceptions
préliminaires, Recueil, 1996, p. 616, par. 31.
67 Conventions de Vienne sur le droit des
traités, Nations Unies, Recueil des traités, Vol.1155, p.331.
[18]
§2. 2. Crimes internationaux et
responsabilité pour violation d'une norme impérative du droit
international : une même réalité juridique
Ayant été à la base d'une vive
polémique, la terminologie pénaliste adoptait par la C.D.I. sous
l'influence de AGO était finalement abandonné dans le Projet
final de 2001. On pourra lire et relire le Projet final, des centaines des
fois, nulle part on ne retrouvera plus le terme crime international. Cependant
on ne devrait pas se laisser abattre par cet état des choses parce que
lorsqu'on analyse bien les choses on se rend bien compte que la
réalité juridique que représentait le terme crime est plus
que jamais présente dans le Projet de la C.D.I. de 2001. On dirait
même que la terminologie pénaliste en sort plutôt
très renforcée.
D'après le dernier rapporteur de la C.D.I. sur la
question de la responsabilité internationale des Etats, le professeur
australien J. CRAWFORD, l'un des farouches opposant à la
pénalisation du droit international, « la première
partie du projet de la C.D.I. procède de l'idée que les faits
internationalement illicites d'un Etat forment une seule et même
catégorie et que les critères qui s'appliquent à ces
faits(en ce qui concerne notamment l'attribution et les circonstances excluant
l'illicéité) sont indifférents à toute distinction
entre responsabilité délictuelle et pénale
».68 Le dernier rapporteur de la C.D.I. sur la question de
la responsabilité se montre donc hostile à toute intrusion d'une
quelconque terminologie pénaliste. Le professeur PELLET, l' un des
fervents pénalistes du droit international, constate que «
cette attitude de CRAWFORD témoigne de l'incompréhension- ou de
refus de compréhension- du dernier rapporteur spécial de la
C.D.I. de la portée réelle qu'AGO et les rédacteurs du
Projet adopté en première lecture donnait au mot crime qui
n'avait, dans leur esprit, aucune connotation pénale
».69 La C.D.I. n'avait, selon le professeur PELLET, aucune
idée d'attacher à la distinction entre crimes et délits
des formes des responsabilités qui s'apparenteraient à celles
établies dans le système pénal classique.
Malgré les indications très claires en ce sens
données par la C.D.I. dans le commentaire du Projet d'article 19 de
1976, le professeur CRAWFORD n'en a pas moins maintenu fermement son opposition
au mot « crime » en se fondant, des fois à tort sur des
analogies avec le droit interne alors même qu'il reconnaissait
expressément que « l'idée qu'en
68CRAWFORD, J., BODEAU, P., PEEL, J., « La
seconde lecture du projet d'articles sur la responsabilité des Etats de
la commission du Droit International » in R.G.D.P., 2000, p.931.
69 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p. 34.
[19]
droit international la responsabilité n'est ni
civile ni pénale mais simplement internationale n'est guère
contestée ».70
Eu égard à ce qui précède, il
était difficile que la commission n'adhère pas à
l'opposition de son rapporteur à l'insertion du crime dans le Projet,
fut- elle fondée sur un argument discutable.
On ne saurait ne pas reconnaitre le mérite de l'article
19, en tout cas de la substance qu'elle représentait. Cet article
établit une importante distinction entre deux catégories des
faits internationalement illicites et donc nier une telle existence
équivaudrait presque à nier l'existence d'un ordre juridique
international.
Comme est dit dans les commentaires de l'ancien article 19,
plusieurs conventions utilisent le mot « crime » pour désigner
les atteintes les plus graves à l'ordre juridique international : le
génocide, l'apartheid, l'agression, le crime contre l'humanité,
etc.71Et, aussi critiqué qu'il ait pu être, le mot est
devenu d'usage courant dans la littérature internationale. Par ailleurs
l'article 19 avait pour mérite de stigmatiser les comportements qu'il
désignait, ceux qui portaient, en effet, les atteintes les plus graves
« aux intérêts de la communauté internationale dans
son ensemble.72
Cependant plusieurs critiques avaient été
adressées à la formulation de l'article 19, la première
est que, selon certains auteurs, cet article introduit dangereusement un
concept pénaliste en droit international. La deuxième avait
été adressée au paragraphe 4 de l'article 19 du Projet sur
la responsabilité des Etats qui introduisait en droit international le
concept de délit, un concept qui dans certains ordres juridiques
internes a des connotations pénales alors que la C.D.I., dans son
entendement, la considérer comme une sorte de responsabilité
intersubjective .Pour résoudre ce problème on a proposé de
renoncer au mot délit(en supprimant le paragraphe 4 de l'ancien article
19) tout en conservant le terme « crime » qui était
intrinsèquement moins critiquable.73 Mais la C.D.I. sous
l'influence de son rapporteur spécial, J. CRAWFORD, a du adopter la
solution la plus radicale : on ne parlera ni de crime ni de délit.
70J CRAWFORD, Premier rapport sur la responsabilité des
Etats, in A/CN.4/490 Add.3, par.81. 71 C.D.I., Ann. 1976, Vol. II,
2ème partie, p. 110, par. 59.
72PELLET, A., loc. cit. , note 15, p. 36 .
73 Ibidem.
[20]
Mais faut- il pour autant dire que la réalité
juridique que représentait l'article
19 a disparue ? ou que le droit international de la
responsabilité est redevenu un corps des règles formant un
régime unique qui serait de nature civile que pénale ? Nous ne
pensons pas, car on a fait que remplacer les mots par leur définition
à partir du Projet de 1996 jusqu'à celui final de 2001. Comme le
dit le professeur PELLET, « la C.D.I., dans sa solution, a banni les
le crime mais conservée la chose qu'il représentait
».74
Il faut cependant signaler que certains membres de la C.D.I.
qui étaient hostiles à la pénalisation du droit
international voulait purement et simplement bannir la distinction
traditionelle, chose qui, pour les tenants de la criminalisation, et même
pour le droit international lui-même, était inacceptable, ces
derniers, comme nous d'ailleurs estimant que s'était inacceptable de
mettre dans un même sac la violation d'un traité bilatérale
de commerce et un génocide ou un crime contre l'humanité. Il
fallait donc un consensus au sein de la C.D.I., ce à quoi n'arrivait
guère les membres de la C.D.I., celle-ci décidait alors que :
a)sans préjudice des vues de quiconque parmi les
membres de la commission, le projet d'article 19 serait laissé de
coté pour le moment pendant que la commission poursuivait l'examen
d'autres aspects de la première partie du Projet ;
b) il faudrait examiner si les questions soulevées
par le Projet d'article 19 ne pourraient être résolus par un
développement systématique, dans le Projet d'articles, de notions
telles que les obligations erga omnes, les normes impératives (jus
cogens) et une éventuelle catégorie regroupant les violations les
plus graves d'obligations internationales » .75 En
remettant à plus tard l'examen de la notion de « crime », la
C.D.I. avait commis, selon notre avis, une grande erreur parce que
créant un déséquilibre dans la première partie du
Projet par rapport à la deuxième qui traitait des
conséquences. Ce n'est que la dernière année de son mandat
que le rapporteur spécial abordait encore à nouveau, dans son
quatrième rapport, la question des crimes internationaux de l'Etat.
Entre temps, la commission avait adopté l'essentiel de son projet sans
se préoccuper d'une quelconque influence d'un régime de
responsabilité propre aux violations graves du droit international sur
la cohérence de tout le Projet. Il est vrai qu'en
74 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p36.
75C.D.I., Rapport de la C.D.I. sur les travaux de
sa cinquantième session, 1998, Assemblée générale,
Documents officiel.
75 C.D.I., Ann. 1976, Vol. II, 2ème
partie, p. 110, par. 59.
75 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p. 36.
75 Ibidem.
75 Ibidem.
75C.D.I., Rapport de la 55ème
Session, supplément n°10(A/53/10), par.331.
[21]
2000, le Professeur CRAWFORD a ouvert la voie à une
solution, en s'interrogeant sur la question de savoir si « des
conséquences supplémentaires à celles s'attachant
normalement à un fait internationalement illicite peuvent être
rattachées à la catégorie des violations graves,
flagrantes et systématique des obligations dues à la
communauté internationale dans son ensemble ».A cette
question, il répondait par l'affirmative en considérant que
,«si on laisse de coté la terminologie controversée des
crimes, les conséquences tirées des crimes par les articles 52 et
53 du Projet adopté en première lecture sont
généralement acceptable »76. Cette position
de CRAWFORD était une conversion partielle et déguisée du
concept « crime », le mot excepté, et, sur cette base, le
comité de rédaction a adopté en 2000, à titre
provisoire, les projets d'articles 41 et 42, formant le chapitre III de la
deuxième partie du projet sur le « contenu de la
responsabilité internationale des Etats » et se substituant aux
anciens articles 51 et 53 du Projet de 1996.77
Le mot crime y était soigneusement évité.
Mais ce chapitre devait s'appliquer « à la
responsabilité internationale découlant d'un fait
internationalement illicite qui constitue une violation grave par un Etat d'une
obligation envers la communauté internationale dans son ensemble et qui
appelle des réactions spécifiques de la part de tous les membres
de celle-ci ». Et la mention expresse des normes impératives
du droit international général dans la nouvelle rédaction
du chapitre III de la deuxième partie du Projet n'est pas sans
avantages. Aussi discuté qu'elle ait pu être dans le passé,
la notion du jus cogens est, maintenant, très généralement
acceptée.78 Cependant il y a un problème qui subsiste
parce que le Projet d'articles définitivement adopté par la
C.D.I. ne définit pas ce qu'il faut entendre par « norme
impérative du droit international ».79
Du coup on se rabat implicitement sur la définition
figurant à l'article 53 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit
des traités entre Etats, mais ceci avec beaucoup des risques et des
fluctuations car, il faut le rappeler, les règles du jus cogens
étaient conçues pour s'appliquer dans le domaine relatif
uniquement.80
Mais quoi qu'il en soit, le Projet de 2001 va certainement
dans la bonne direction, en se débarrassant du mot crime il prive
d'arguments ceux qui s'appuyaient sur lui
76 J. CRAWFORD, Troisième rapport sur la
responsabilité des Etats, A/CN.4/507/Add.4,par.407.
77 C.D.I., Rapport sur les travaux de sa
52ème Session, l'Assemblée générale,
Documents officiels, 55ème Session, supplément
n°10(A/55/10), pp.110-126.
78 PELLET, A., loc.cit., note 15, p.41.
79 Ibidem.
80 Ibidem.
[22]
pour nier la dualité, indispensable en droit
international, de régimes de responsabilité, selon que le fait
internationalement illicite atteint ou non les intérêts de toute
la communauté internationale dans son ensemble ; et préserve la
révolution de AGO, qui fait admettre que la responsabilité
internationale ne saurait être la résultante d'un préjudice
causé par un fait internationalement illicite, mais bien de ce fait
lui-même, objectivisant, par là même, le système de
la responsabilité internationale.
On devra noter par ailleurs, que le projet de 2001, tout en
prenant note de l'existence de deux catégories de violations, encadre,
celles découlant des normes impératives du droit international
général dans les limites étroites qui doivent être
approuvées : elles découlent du degré d'intégration
et de solidarité, fort timide, qui caractérise la
société internationale.81C'est pour cette raison que
la C.D.I. n'a pas soumis à un régime « aggravé »
de responsabilité toutes les violations d'obligations découlant
de règles du jus cogens. Seuls tombent sous le coup du chapitre III de
la deuxième partie les violations graves de ces obligations et au
paragraphe 2 de l'article 41 de préciser que : « La violation
d'une telle obligation est grave si elle dénote que l'Etat responsable
s'est abstenu de manière flagrante et systématique
d'exécuter l'obligation ». En effet il est clair que tout acte
de torture est moralement et juridiquement condamnable et constitue la
violation d'une norme impérative comme l'a reconnu le Tribunal
Pénal International pour l'ex-Yougoslavie dans l'affaire Furndziza bien
qu'il soit susceptible d'engager la responsabilité pénale de
l'individu 82 ; il reste qu'un acte isolé de torture ne menace en rien
l'ordre juridique international, contrairement à l'utilisation
systématique et massive de la torture. Ainsi on ne saurait tenir pour
criminel un Etat qui, par l'entremise de son commissariat de police, commet un
acte isolé de torture aussi regrettable que celui-ci demeure.
Bref comme celle de « crime international de l'Etat, dont
elle ne se distingue que par le nom(ou l'absence d'une dénomination
particulière), la notion de violation grave d'une obligation
découlant d'une norme impérative du droit international
général, reflète l'idée qu'il existe des
intérêts fondamentaux de la communauté » qu'il faut
sauvegarder de manière spéciale. C'est ce que tentaient de faire
les articles 19 et 51 à 53 du Projet de la C.D.I. de 1996, c'est aussi
l'objectif poursuivi par les articles 40 et 41 de celui de
2001.83Les uns
81 PELLET, A., loc. cit. , note 15, P.41.
82 T.PI.Y., Le jugement de la chambre de
première instance du T.P.I.Y. du 10 Décembre 1998, IT-95-17/1-T,
pars 151-157, cité par PELLET, A., loc.cit., note 15, p.45.
83PELLET, A., loc. cit. note 15, p. 44.
[23]
comme les autres consacrent de manière très
prudente les avancées limitées mais réconfortantes du
sentiment « communautaire et de solidarité internationale
».
Avec ou sans nom, décidément, « vive le
crime ! »84Comme le dit le professeur PELLET, on croyait
enterrer le crime mais il est ressorti de ses cendres, tel un phoenix juridique
!85
SECTION II : LES CONSEQUENCES D'UNE VIOLATION GRAVE
D'UNE
NORME DU JUS COGENS
Afin de savoir si, la C.D.I., en employant le mot « crime
» ou son succédant- la responsabilité pour violation d'une
norme du jus cogens, voulait désigner des faits illicites auxquels sont
rattachés des formes de responsabilité pénale, il nous
semble particulièrement important de nous attarder un tout petit peu sur
les conséquences de ces faits illicites tant dans le Projet (§1)
qu'en dehors de celui-ci (§2).
En analysant les conséquences dans le projet de la
C.D.I., on se rend bien compte que celui-ci ne tire pas toutes les
conséquences nécessaires qui devraient se rattacher aux faits
illicites les plus graves qu'il qualifie de crime ou de violation
aggravée, et se caractérise par la mise en place des
conséquences qui sont à la fois étriquées et
lacunaires. Hors Projet de la C.D.I., on se rend bien compte, que bien que ce
dernier n'ait pas eu à tirer toutes les conséquences
nécessaires des violations graves du droit international, il n'en
demeure pas moins, par contre, que le communautarisme et la transparence de
l'Etat soient des conséquences nécessaires qui devraient
s'attacher à ces genres de manquements.
§1. Les conséquences lacunaires et
étriquées dans le Projet de la C.D.I.
Alors que le Projet de la C.D.I. annonçait avec pompe
les violations graves du jus cogens qui succédaient à la
terminologie pénaliste du « crime international de l'Etat »,
on s'attendait à ce qu'elle tire toutes les conséquences
nécessaires relatives à ce type de responsabilité. Autant
la C.D.I. a tenu contre vents et marées au maintien de la distinction
fondamentale entre deux catégories des faits illicites engendrant deux
régimes distincts de la responsabilité, autant force est de
constater que les conséquences qu'elle en tire sont toutes aussi
lacunaires qu'étriquées.
84PELLET, A., loc.cit., note15, P.45.
85 Ibidem.
[24]
§1.1 Les conséquences
étriquées dans le Projet de la C.D.I.
Les conséquences du crime international ne se
conçoivent qu'à peu de choses dans le Projet de la C.D.I.,
à l'article 41 du Projet final. Ceci pousse une certaine doctrine
à considérer que la « bataille du crime aurait fait
beaucoup de bruit pour rien et que la montagne, en définitive, a
accouché d'une souris».86
Cependant, le Projet a au moins le mérite de ne pas
injurier l'avenir en ouvrant la porte à des développements
futurs, voire même de ne pas exclure que, d'ores et déjà,
le « communautarisme » discret qui affleure dans le Projet
aille bien au-delà de ce qu'il dit.87Ceci explique combien la
C.D.I. a été si minimaliste dans la prise en considération
des conséquences relatives aux violations graves d'une règle du
jus cogens.
On constate malgré les bonnes intentions du dernier
rapporteur de C.D.I. sur la question de la responsabilité, Mr CRAWFORD,
de vouloir revoir en « profondeur » les anciens articles 51
et 53 consacrés aux conséquences des crimes internationaux des
Etats,88celui-ci n'en a rien fait et ceux-ci sont passés,
pour l'essentiel, du Projet de 1996 à celui, provisoire de 2000(dans
l'article 42) puis à celui définitif de 2001(article 41) sans
changement significatif.
L'article 41 relatif aux conséquences
particulières d'une violation d'une norme impérative dispose ce
qui suit : « 1. Les Etats doivent coopérer pour mettre fin, par
des
moyens licites, à toute violation grave au sens de
l'article 40 ». «2. Aucun Etat ne doit reconnaitre comme licite
une situation créée par une violation grave au sens de l'article
40, ni ne prêter aide ou assistance au maintien de cette situation
».
«3. Le présent article est sans
préjudice des autres conséquences prévues dans la
présente partie et de toute conséquence supplémentaire que
peut entrainer, d'après le droit international, une violation à
laquelle s'applique le présent chapitre ». On est là en
face d'une disposition tout à fait étriquée par rapport
à l'ampleur, généralement désastreuse, des
violations graves du jus cogens, mais aussi un peu sobre par rapport aux
anciens articles auxquels elle a succédé. Selon R. RONSENSTOCK,
ancien membre de la C.D.I., « il s'agit là des
conséquences très anodines concernant le crime
86 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p.334.
87 Idem, p.335.
88 J. CRAWFORD, Quatrième rapport sur la
responsabilité des Etats, A/CN.4/517, par.53.
[25]
international de l'Etat qui ont été
tirée par la C.D.I. dans son Projet sur la responsabilité
internationale des Etats ».89
Cependant il ne s'agit pas des conséquences si
étriquées que ca ; selon une certaine doctrine, à la
quelle nous adhérons, l'obligation de coopérer pour mettre fin
aux violations graves serait purement spécifique à ce type de
violations car en dehors de celle-ci aucune autre solidarité n'est
imposée aux Etats pour pouvoir agir positivement de manière
à coopérer pour mettre fin à quelque autre fait
internationalement illicite que ce soit.90
Pour l'obligation de non reconnaissance et de non assistance,
il y a une vive controverse quant à la question de savoir si elle est
spécifique ou pas à la notion de « crimes
».91 Nous pensons que le droit international n'interdit pas
moins aux Etats de prêter aide ou assistance à un fait illicite,
qu'il s'agisse d'un crime ou d'un délit et que donc l'obligation de non
reconnaissance et de non assistance serait non seulement spécifique aux
violations ordinaires mais aussi aux violations graves d'une norme du jus
cogens.
§1.2. Les conséquences lacunaires dans le
Projet de la C.D.I.
L'idée de base de la C.D.I. était que le crime
est un fait illicite qui porte atteinte aux intérêts fondamentaux
de la communauté internationale toute entière et que, par
conséquent, le sujet « directement lésé
», ne saurait être seul devant l'auteur du fait
illicite.92Mais à la lecture de l'article 41du Projet final
et des commentaires y afférents, on est très loin de se faire la
certitude que l'on envisagerait un rapport de responsabilité entre tous
les Etats membres de la communauté internationale pris individuellement
en sorte que tous pourraient soit prétendre à une prestation
donnée de l'auteur du fait illicite, soit éventuellement, adopter
à son encontre un comportement autrement illicite ou bien si l'on
envisagerait une réponse au moyen d'un mécanisme collectif. La
mention, faite dans le commentaire comme dans les débats au sein de la
C.D.I., de l'agression armée comme étant un fait illicite
engageant des conséquences juridiques différentes de tous les
autres faits illicites parce que tous les Etats sont aptes à
réagir contre l'agresseur à titre de légitime
89 RONSENSTOCK, R., « An international
criminal responsibility of States ? » in C.D.I., le droit international
à l'aube du XXème siècle- réflexions des
codificateurs, Nations Unies, New York, 1997, p.283.
90 PELLET, A., loc.cit., note15, p.337.
91 RONSENSTOCK, R., loc. cit., p. 284.
92 M. SPINEDI, « Chapitre 8. La
responsabilité de l'Etat pour « crime » : une
responsabilité pénale ?, in H. ASCENSIO, E. DECAUX et A. PELLET
(dirs), op cit, P. 199.
[26]
défense collective, fait penser à la
première solution, mention, à propos d'autres crimes, des mesures
du Conseil de Sécurité à la seconde.93
Bien que la C.D.I. ait eu à affirmer haut et fort
l'existence de deux régimes juridiques distincts, il est loin de la
cohérence qu'on aurait attendue d'elle. En clair c'est comme si elle ne
donnait pas au droit international les moyens de sa politique, celui de
protéger les intérêts les plus essentiels, en assortissant
pas les violations de ces dernières de sanctions adéquates. Elle
n'évoque en soi rien qui solidarise efficacement la sauvegarde des
intérêts fondamentaux au sein de la société
internationale.
En effet l'article 41 prévoit trois conséquences
à savoir l'obligation de coopération pour mettre fin, par des
moyens licites, à toute violation grave d'une règle du jus
cogens, l'obligation de non reconnaissance comme licite d'une situation
créée par une violation grave d'une obligation du jus cogens et
l'obligation de ne pas prêter aide ou assistance pour le maintien de la
situation ainsi créée.
On notera que les dispositions, dans le Projet de la C.D.I.,
ne spécifient déjà pas si quelle doit être la forme
de cette coopération, bien plus grave encore, elles ne donnent
même pas selon quelles modalités la coopération devrait
elle s'exercer, est-ce au sein ou en dehors des mécanismes relatifs,
notamment ceux prévus dans le cadre onusien, que cette
coopération devra avoir lieu ? Il nous parait particulièrement
difficile ; vue la structure propre de la société internationale,
faite d'abord de souveraineté juxtaposées, de pouvoir envisager
une telle obligation positive à la charge des Etats. Cependant on peut
considérer que le paragraphe 1 de l'article 41 est symboliquement, au
moins, en rupture avec le droit international classique et correspond aux
avancées « modestes » de la solidarité
internationale.94
Aussi le paragraphe 1 n'explicite pas non plus quelles mesures
les Etats devraient prendre pour mettre fin à toute violation au sens de
l'article 40.95Toutefois une telle coopération devrait
s'exercer par des moyens licites, dont le choix dépend des circonstances
qui devraient être appréciées au cas par cas.
En ce qui concerne le devoir d'abstention qui contient deux
obligations distinctes : l'obligation de non reconnaissance comme licite de la
situation créée par une
93 M. SPINEDI, op.cit., p.199
94 PELLET, A., loc.cit., note 15, p. 335.
95 J. CRAWFORD, op.cit., p.199.
[27]
violation grave au sens de l'article 40 et celle de ne
prêter ni aide ni assistance au maintien de cette situation,96
encore une fois aucune garantie n'est prévue dans le projet pour
s'assurer de la mise en oeuvre des telles obligations dans l'ordre juridique
international. On pourrait craindre des éventuelles pressions politiques
de la part des grandes puissances-non fondées sur aucune base
juridique-pour ne pas reconnaitre telle ou telle situation qui ne leur est pas
intéressante du point de vue politique ou
géostratégique.
Toutefois reconnaissons que de telles abstentions tirent leur
substance de la théorie des normes de jus cogens, dont le crime n'est
qu'une facette ; car est frappé de nullité absolue, tout
traité contraire à une telle norme.
Il ressort de cet analyse que les conséquences
prévues par la C.D.I. pour la violation d'une norme impérative du
droit international sont, dans le Projet, non seulement lacunaires au regard
des intérêts qui devraient être protégés
à savoir les intérêts fondamentaux pour toute la
communauté internationale, mais aussi étriquée par rapport
à l'ambition voulue, celle de solidariser les intérêts les
plus majeurs de la société internationale pour la
répression des violations les plus graves.
Toutefois le Projet à l'avantage de ne pas occulter
l'avenir en laissant des brèches pour des éventuels
développements.
§2. Les conséquences du crime hors Projet de
la C.D.I. : Le
communautarisme et la transparence de l'Etat
Bien que la C.D.I. n'eut pas retenu expressément la
transparence de l'Etat et le
communautarisme, il n'en demeure pas moins que ceux-ci sont
des conséquences spécifiques d'une violation grave d'une
obligation découlant d'une norme impérative du droit
international.97
§2.1. Le communautarisme : vers une
solidarisation de la répression du « crime international de l'Etat
»
Le dernier rapporteur spécial de la C.D.I. sur la question
de la responsabilité
des Etats, J. CRAWFORD avait, dans son avant dernier rapport,
tenté d'élargir quelque peu la conception étriquée
de ces conséquences telles qu'elles étaient
présentées dans le Projet en première lecture en 1996. Il
y plaidait pour l'inclusion dans le Projet de deux éléments
nouveaux à savoir qu'en cas de violation grave d'obligation envers la
communauté, l'Etat
96 J. CRAWFORD, op.cit., p.199
97PELLET, A., loc. cit. , note15, p.339.
[28]
responsable soit obligé de verser des
dommages-intérêts punitifs.98Et le second était,
du moins c'est celui qui nous intéresse dans cette partie du travail, la
possibilité pour « tout Etat de prendre des contre-mesures afin
de garantir la cessation de la violation grave d'une obligation due à la
communauté internationale toute entière et la réparation
dans l'intérêt des victimes.99
Ce deuxième élément constituerait une
avancée majeure dans le cadre de la codification et du
développement du droit de la responsabilité internationale des
Etats, en ce sens qu'elle consacre l'idée de la communautarisation des
intérêts majeurs dans l'ordre juridique international, une
solidarisation de la répression du crime étatique. Il s'agit
là d'une des conséquences les plus importantes des violations
graves. Il était parfaitement cohérent dès lors que tous
les Etats ont un intérêt au respect d'une obligation fondamentale
envers la communauté internationale à laquelle ils appartiennent,
il est légitime qu'ils soient en mesure d'en assurer le respect.
La proposition de CRAWFORD de communautariser la
répression du crime de l'Etat qui était éminemment
cohérente a, malheureusement, été à la base d'une
vive polémique au sein de la sixième commission de
l'Assemblée générale de 2000.100Ces critiques
ont emmenés plusieurs membres de la C.D.I. à pouvoir changer leur
position de 2000 pour se prononcer contre le maintien de l'article
54.101
Cependant on ne peut que regretter l'absence d'une telle
institution , celle des contre-mesures que peut prendre chaque Etat
individuellement ainsi que de la suppression ou du manque de substitution du
projet d'article 54, on devra se contenter; faute d'une norme positive,
autorisant expressément tous les Etats à adopter les contre
mesures en cas de « crime » de l'Etat ;d'une clause de sauvegarde
qui, non seulement n'exclut pas cette possibilité mais est
rédiger de telle manière qu'elle pourrait la consacrer.
Paradoxalement ce qui était très étroitement
encadré par des règles précises dans la version de 2000 se
retrouve donc à la fois consacré de facto et largement
déréglementé dans le Projet
définitif.102
Et que donc, s'il est clair que le Projet de la C.D.I. a
quelque peu déçu les attentes en ce qui concernait les
conséquences des « crimes » internationaux, on devrait tout
98 J. CRAWFORD, Troisième rapport sur la
responsabilité des Etats, A/CN.4/507/Add.4, par.409.
99 J. CRAWFORD, op cit, note87, par.413.
100C.D.I., Résume thématique des
débats à la sixième commission lors de la
55ème session de l'Assemblée générale,
A/CN.4/513, par.174-182.
101 J. CRAWFORD, op. cit., pars.70-74.
102 PELLET, A., loc.cit., note 15, p.344.
[29]
de même, lui reconnaitre le mérite d'avoir
échafauder un régime, aussi laconiquement que cela eut
été, de la responsabilité de l'Etat pour crime et
consacré ainsi l'idée du « communautarisme »,
notamment par l'introduction de la sauvegarde au paragraphe 3 de l'article 41,
base indispensable à une solidarisation de la répression des
crimes internationaux des Etats.
§2.2. La transparence de l'Etat ; la
responsabilité pénale individuelle n'exclut pas celle de
l'Etat
Sans doute, comme l'a rappelé avec force le Tribunal de
Nuremberg, « ce sont les hommes, et non des entités abstraites,
qui commettent les crimes dont la répression s'impose, comme sanction du
droit international.103Mais, lorsque ce sont les dirigeants de
l'Etat qui ont agi dans le cadre de leurs fonctions, en utilisant l'appareil
étatique, ils peuvent être attraits devant une juridiction
internationale pénale, celle-ci va nécessairement connaitre
indirectement des « crimes internationaux de l'Etat », même si,
et c'est une nuance importante, elle ne se prononcera pas directement sur la
responsabilité de l'Etat lui-même.104
A l'heure actuelle, dans l'ordre juridique international, il
n'y a aucun doute sur la positivité de la responsabilité
pénale individuelle et il n'est nullement contestable actuellement que
les dirigeants de l'Etat peuvent être jugés par les juridictions
pénales internationales.105La qualité officielle de
l'auteur d'une violation grave de droit international ne saurait être
exonératoire de la responsabilité pénale pour son auteur.
Comme l'a relevé la C.I.J. dans l'affaire Yerodia, « un
dirigeant étatique en exercice, y compris un Chef d'Etat peut faire
l'objet des poursuites pénales devant certaines juridictions
pénales internationales dès lors que celles-ci sont
compétentes et qu'ils ne bénéficient, en vertu du droit
international, de l'immunité pénale de juridiction dans son
propre pays ».106
Certes la responsabilité internationale n'est ni
pénale ni civile et que l'objet du Projet d'articles n'était pas
de codifier les règles applicables à une éventuelle
responsabilité pénale de Etats, mais celle-ci peut être
envisagé, du moins indirectement, lorsque les dirigeants d'un Etat
responsable d'un fait internationalement illicite sont attraits devant les
juridictions pénales. Le professeur PELLET y voit ce qu'i appelle «
une forme de réparation de l'illicite de l'Etat ». Dans ce
sens continu-t- il, « la décision de poursuivre apparait,
en
103 A. PELLET, op.cit., note 6, p.226.
104 PELLET, A., loc.cit., note15, p. 621.
105 Article 27 du Statut de Rome de la C.P.I, in www.icc-cpi.
Int, consulté le 20 Mai 2013.
106 C.I.J., Affaire Yerodia, arrêt, 14 Février
2002, Mandat d'arrêt du 11 Avril 2000(République
Démocratique du Congo c. Belgique), Rec.2002, p.25, par.67.
[30]
premier lieu, comme une sanction dirigée contre
l'Etat. En second lieu, pour qualifier l'infraction internationale, le juge
pénal sera nécessairement conduit à mettre en
lumière les conditions d'une responsabilité internationale pour
cette même infraction ».
Il serait pratiquement impossible de pouvoir dissocier
l'institution de la responsabilité internationale individuelle à
celle de l'Etat. Qui nierait les incidences indéniables que le mandat
d'arrêt, émis contre le président Omar El Béchir,
par la C.P.I., a sur tout le Soudan comme Etat, qui pourra contester que le
fait d'émettre des mandats d'arrêts contre le Président
kenyan et son dauphin ont eu un impact sérieux sur les relations du
Kenya tout entier sur la scène internationale.
Au demeurant, le châtiment des dirigeants qui ont commis
les crimes ne libère pas pour autant l'Etat lui-même de sa propre
responsabilité pour un tel fait.107Comme le précise
bien d'ailleurs le Statut de la C.P.I. à son article 25 qu'aucune de
ses dispositions « relatives à la responsabilité
pénale des individus n'affecte la responsabilité des Etats en
droit international. »108En son tour l'article 58 des
articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l'Etat précise
bien que ceux-ci « sont sans préjudice de toute question
relative à la responsabilité individuelle, d'après le
droit international, de toute personne qui agit pour le compte de l'Etat
».109 Par contre, dans le commentaire de cet article, il
est dit que « dans le cas de crimes de droit international commis par
des agents de l'Etat, il arrivera souvent que ce soit l'Etat lui-même qui
soit responsable pour avoir commis les faits en cause ou pour ne pas les avoir
réprimer ou empêcher. Dans certains cas, notamment celui de
l'agression, l'Etat sera par définition impliqué. Mais dans ce
cas, la question de la responsabilité individuelle est en principe
à distinguer de celle de la responsabilité des Etats
».110
Du reste, dans son arrêt de 1996 sur les Exceptions
préliminaires soulevées par la Serbie dans l'affaire du
Génocide, la C.I.J. a reconnu que « l'article IX de la
convention sur le Génocide de 1948 n'exclut aucune forme de
responsabilité d'Etat ».111
107 PELLET, A., op.cit., note6, p. 622.
108 Art 25 du Statut de Rome, loc. cit.
109C.D.I., Rapport de la sur les travaux de sa
28ème session, in Ann. C.D.I. 1976, Vol. II,
2ème partie, p.96, par.21 du commentaire du Projet d'article
19.
110C.D.I., Rapport de la sur les travaux de sa
53ème Session, in Ann.C.D.I., 2001, Vol. II,
2ème partie, p.153, par.3. 111C.I.J., Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de
Génocide, C.I.J., Exception préliminaires, op.cit., p.
616, par. 32.
[31]
Selon la doctrine on peut résumer ainsi les rapports
qu'entretiennent les notions de violations graves d'obligations
découlant de normes impératives du droit international avec la
responsabilité pénale internationale des gouvernants en ceci :
1) Lorsqu'un Etat commet une telle violation, celle-ci est
nécessairement le fait
de l'individu , ·
2) Dans cette hypothèse, l'Etat devient «
transparent » et les agents par lesquels il a agi (et/ou qui ont agi sous
son couvert) voient leur responsabilité individuelle engagée sans
qu'ils puissent se prévaloir de leur qualité officielle
, · étant entendu que
3) le châtiment des dirigeants qui ont commis ces
crimes « ne libère pas pour autant l'Etat lui-même de sa
propre responsabilité pour un tel fait », toutefois,
4) il va de soi que la responsabilité
pénale individuelle n'est pas limitée aux seuls dirigeants de
l'Etat.112Il peut arriver , tout à fait, que la
criminalisation de certains comportements individuels au plan international
soit indépendante de celle des comportements de l'Etat et certains faits
peuvent très certainement être qualifiés de crime contre la
paix et la sécurité de l'humanité sans que leurs auteurs
appartiennent à l'appareil étatique(ils peuvent, par exemple,
être le fait d'organisations criminelles et terroristes puissantes
contrôlant une partie du territoire étatique ou même
transnationale) et que, sauf pour le crime d'agression, les définitions
que donne le projet de code adopté par la commission en 1996 des
différents crimes contre la paix et la sécurité de
l'humanité ne renvoient pas nécessairement à un crime
correspondant de l'Etat.113Il n'en demeure pas moins que, lorsque
l'Etat commet une violation grave d'une obligation découlant d'une norme
impérative du droit international général, la
responsabilité individuelle de ses dirigeants peut être
recherchée au plan international- parce que qu'il s'agit d'un fait
internationalement illicite d'une nature particulière, dont la
répression intéresse la communauté internationale dans son
ensemble.
Le Projet de la C.D.I., bien que ne reconnaissant pas de
façon expresse le principe de la responsabilité pénale des
Etats, met en exergue une importante distinction entre les faits illicites :
les uns qualifiés d'ordinaires parce que ne mettant en cause que l'Etat
ou les Etats en partie ; les autres qualifiés de grave et pouvant
engendrés une responsabilité majeure,
112 PELLET, A., loc.cit., note 15, p.346.
113 Ibidem.
[32]
qualifiée de criminelle, et cette dernière
intéresse la communauté internationale toute entière.
Toutefois l'existence d'un double degré de responsabilité ne
signifierait pas que la responsabilité majeure est de nature
pénale et que la responsabilité pour délit est de nature
civile. Sans doute l'affirmation la plus claire de la responsabilité
criminelle étatique est établie à l'article 19 du Projet
de 1996 sur la responsabilité des Etats, qui crée une distinction
entre responsabilité pour crime et responsabilité pour
délit. Malgré cette consécration rien n'est acquis que la
responsabilité criminelle de l'Etat soit considérée comme
la responsabilité pénale des ordres internes. Néanmoins il
nous parait trop réductionniste d'affirmer que ce type de
responsabilité est comparable à la responsabilité
ordinaire. Et donc pour comprendre la nature de ce qu'on peut qualifier de
responsabilité pénale il nous parait particulièrement
important de pouvoir étudier ce qu'on qualifie
généralement d'infraction étatique c'est-à-dire les
violations graves du droit international ou le crime international ; on devra
garder à l'esprit, pour ce faire, que pour parler d'un régime
pénal, qu'il y a une condition objective et une condition subjective
à remplir .
CHAPII : LE REGIME JURIDIQUE DE LA
RESPONSABILITE INTERNATIONALE PENALE DE L'ETAT PARTANT DE LA THEORIE DU CRIME
ETATIQUE
Parler d'un quelconque régime pénal, qu'on soit
en droit interne ou en droit international, c'est envisager avant tout un
système normatif cohérent, tant du point de vue de la
théorie générale c'est-à-dire des principes
essentiels qu'il convient d'observer pour toutes les conduites criminelles, que
du point de vue des attitudes qualifiées de criminelles
c'est-à-dire la partie spéciale de la responsabilité. En
droit interne, où le système est trop intégré, on
parle du droit pénal général pour la première
hypothèse et du droit pénal spécial pour la seconde. Il
est très important de souligner la cohérence qui doit exister
entre ces deux parties, qui ne sont que les deux faces d'une même
médaille, qui est le système pénal.
En droit international, vu le système peu
intégré de la société internationale et l'inter
subjectivisme qui caractérise l'ordre juridique international, il est
très difficile de pouvoir espérer atteindre un tel degré
de cohérence. Cependant l'article 19 du Projet de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats de 1996, malgré toutes les critiques et
les limites qu'il connait, constitue un premier pas, extrêmement
ambitieux, de mettre en place, en droit
[33]
international, un système criminel de l'action des
Etats du point de vue de la théorie autant que des figures criminelles
spécifiques.114
Par ailleurs, l'article 40, qui lui a succédé
dans le Projet final, se limite tout simplement à la théorie
générale de l'infraction étatique et on peut
considérer ca comme une décodification du droit international par
rapport aux figures criminelles prévues dans le Projet de 1996.
Dans ce chapitre nous analysons le régime de la
responsabilité pénale étatique, en considérant
qu'il faut non seulement une condition objective(Section I) mais aussi
subjective(Section II) d'une responsabilité, sur le plan international ;
nous constatons que l'infraction étatique existe effectivement, on
analyse cette infraction du point de vue de la théorie
générale mais aussi du point de vue spécial.
Du point de vue de la théorie générale de
l'infraction étatique nous examinons les principes inhérents
à toutes conduites criminelles, principes indiqués par l'article
19 dans le Projet de 1996 que l'article 40 du Projet définitif
synthétise ; du point de vue de la partie spéciale de la
responsabilité pénale de l'Etat, nous nous focalisons sur les
figures criminelles que prévoit le paragraphe 3 de l'article 19 du
Projet de la C.D.I. de 1996. Toujours du point de vue objectif, nous esquissons
une analyse sur la question de la procédure et de la sanction contre les
comportements criminels de l'Etat.
Du point de vue subjectif, nous examinons le problème
d'imputation des comportements criminels à l'Etat, nous constatons que
le principe est uniforme pour toutes les catégories des faits illicites
internationaux ; ensuite nous analysons la question de la culpabilité,
nécessaire à une responsabilité pénale, qu'elle
soit individuelle ou collective.
SECTION I. LA CONDITION OBJECTIVE DE LA RESPONSABILITE
PENALE DE L'ETAT : l'infraction internationale de l'Etat
existe
effectivement
Pour qu'on puisse parler d'une quelconque
responsabilité, il y a une condition objective qu'il faut remplir,
c'est-à-dire qu'on doit arriver à établir l'existence de
l'infraction du point de vue de la théorie générale que du
point de vue de la partie spéciale (§1), mais aussi répondre
à la question de la procédure à suivre pour établir
la responsabilité de l'Etat, c'est-à-dire comment lui imputer une
sanction pénale (§2).
114 ABII- SAAB, G., « the uses of Article 19 »in
E.J.I.L., p.347.
[34]
La partie objective de la responsabilité pénale
constitue la base ou plutôt la condition sine qua non d'un régime
pénal complet. Le droit international n'échappe pas à
cette réalité.
Cependant vue la nature non intégrée de l'ordre
juridique international, une telle condition, ne saurait de façon «
rigoureuse », être remplie tout en respectant les principes, en la
matière, promus par le droit pénal classique.
Cependant le paragraphe 2 et 3 de l'article 19 du Projet de la
C.D.I. sur la responsabilité des Etats de 1996 nous donne le premier
aperçu d'un système pénal, en définissant la
théorie générale de ce qu'il convient d'appeler «
l'infraction étatique » au paragraphe 2 ; et en définissant,
bien qu'avec des limites qui, du reste sont la conséquence d'un droit
à caractère horizontal, au paragraphe 3 les différentes
figures susceptibles d'être qualifiées de criminelles. Cet
article, ayant été l'objet d'une vive polémique, a
été remplacé dans le Projet final par l'article 40 qui,
nous fournit simplement la théorie générale de «
l'infraction étatique » sans faire allusion aux différentes
figures criminelles comme l'avait fait, dans le temps, l'article 19 qui lui
avait précédé d'ailleurs.
Par ailleurs on ne saurait parler d'une quelconque
pénalisation sans qu'on ait pas répondu à la question de
la procédure et de l'éventuelle sanction, c'est pour cela
qu'après avoir analyser les principes de base relatifs à la
responsabilité pénale étatique et les différentes
figures susceptibles d'être qualifiées de pénales, il nous
conviendra d'analyser la question de la procédure et
éventuellement celle de la sanction dans l'hypothèse où la
responsabilité serait établie.
Toutefois, on ne perdra pas de vue que, compte tenu de la
nature non hiérarchisée et peu communautarisée, il est
utopique de s'imaginer un super Etat puissant entrain d'établir des
conduites infractionnelles et de conduire la procédure contre les Etats
coupables, comme le ferait sur le plan interne l'Etat au nom de toute la
communauté nationale.
§1 Théorie générale et partie
spéciale de la délinquance étatique
Comme nous l'avons dit, les paragraphes 2 et 3 de l'article 19 du
Projet en
première lecture de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats ainsi que l'article 40 du Projet final abordent
la question de la théorie générale de la
délinquance étatique et les figures susceptibles d'être
qualifiées de criminel. Le paragraphe 2 de l'article 19 du Projet de
1996 et
[35]
l'article 40 du projet final définissent les
critères généraux pour repérer les
intérêts relevant de la criminalité internationale, tandis
que le paragraphe 3 de l'art 19 du Projet de 1996 dresse la liste des
intérêts protégés et les conduites qui y portent
atteintes.115
Le paragraphe 2 de l'article 19 et l'article 40
relèvent, clairement, de la théorie générale du
fait criminel, alors que le paragraphe 3 de l'article 19 constitue la partie
spéciale de l'infraction étatique.116
Notons cependant que la suppression du mot « crime »
dans le vocabulaire de la responsabilité internationale a comme
conséquence que le Projet de 2001 ne s'occupe des infractions majeures
étatiques, que du point de vue de la théorie
générale sans aucune provision des infractions spécifiques
correspondant aux infractions majeures du droit international.
§1.1. La théorie générale
de l'infraction étatique
Selon le paragraphe 2 de l'article 19 du Projet sur la
responsabilité des Etats de 1996, l'existence d'un crime international
de l'Etat suppose que : « 1) La norme internationale soit essentielle
pour la sauvegarde d'intérêts fondamentaux de la communauté
internationale ; 2) La violation soit reconnu comme un crime par la
communauté dans son ensemble »117. Il
résulte de ce qui précède qu'il existe, donc, deux
principes qui définissent le domaine du crime de l'Etat.
Le premier principe qui fait référence au
contenu même de la règle, donc de l'obligation violée, est
la condition essentielle pour l'existence du « crime » international
parce qu'il met en avant la question de l'importance de la règle. Le
deuxième critère qui est comme un corolaire du premier, insiste
que la reconnaissance de l'importance primordiale des intérêts en
question doit venir de la communauté internationale dans son ensemble.
Et donc pour qu'on puisse conclure de l'existence d'un crime international
étatique, il faut, en tout cas, la réunion de ces deux conditions
énoncées par l'article 19 du Projet de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats de 1996.
Selon la doctrine, les principes définis au paragraphe
2 de l'article 19 servent à repérer, parmi les normes du droit
international, celles qui défendent les droits susceptibles
115 O. QUIRICO, op.cit., p.138.
116 STATRACE, V., « La responsabilité
résultant de la violation des obligations à l'égard de la
communauté internationale », in R.C.A.D.I, 1976, Vol.153, p.
308.
117 O. QUIRICO, op.cit., p.139.
[36]
d'une protection majeure.118 Il s'agit des
principes nécessairement généraux, qui permettraient au
système international pénal d'être ouvert et changeant,
d'accepter des nouveaux intérêts dans son domaine ou d'en exclure
d'autres, selon l'évolution des nécessités
sociales.119
Cependant l'article 40§1 du Projet final de la C.D.I. sur
la responsabilité des Etats adopté en 2001, qualifie l'infraction
majeure de « violation grave par l'Etat d'une obligation
découlant d'une norme impérative du droit international
général ». Et le paragraphe 2 de la même
disposition à déclarer que « la violation d'une telle
obligation est grave si elle dénote de la part de l'Etat responsable un
manquement flagrant ou systématique à l'exécution de
l'obligation. »120On maintient donc l'idée de la
reconnaissance de la violation comme étant grave par la
communauté internationale alors que l'importance de
l'intérêt protégé par l'obligation visée
disparait. Toutefois, quoique l'article 40 n'ait pas eu à reprendre
expressis verbis ce second critère, il nous parait
particulièrement difficile, surtout dans la pratique, de pouvoir
dissocier ces deux principes.
En vertu du premier critère énoncé au
paragraphe 2 de l'article 19, non repris par le Projet final adopté en
2001, c'est en fonction du contenu de l'obligation que l'on doit
détermine sa prééminence par rapport aux autres
catégories des faits internationalement illicites et on qualifie son
infraction de « criminelle », quelle qu'en soit la source,
coutumière ou conventionnelle.121
En droit interne, un système fortement
hiérarchisé, on fait généralement appelle à
la constitution pour définir les droits qui sont dignes de la tutelle
pénale et repérer les intérêts de la
communauté toute entière, dont la violation constitue un crime.
Mais, il est clair, qu'une telle démarche, aussi rationnelle qu'elle
demeure , aura tout le mal du monde pour pouvoir trouver application en droit
international, celui-ci étant caractérisé par une
horizontalité de relations, donc une absence complète d'une
quelconque constitution. On ne saura pas si pour repérer les
intérêts fondamentaux, il faudra se référer à
quel type de source en droit international, d'autant plus que toutes les
sources, générales ou particulières, coutumières ou
conventionnelles, peuvent engendrer des obligations plus importantes que
d'autres en raison de leur contenu.
118 O. QUIRICCO, op.cit., p.140.
119 Ibidem.
120 J. CRAWFORD, op.cit., p.201.
121 O. QUIRICO, op.cit.,p.140 .
[37]
On pourra donc pour essayer de repérer les droits
fondamentaux de la communauté internationale, se référer
au niveau des principes généraux, dans les normes cogentes, alors
que, dans le cadre du droit international relatif, il faut voir si certaines
règles ne se distinguent pas en raison de leur importance, notamment
dans la Charte des Nations Unies.
Le deuxième critère pour l'existence de la
responsabilité pénale des Etats, est qu'il faut que la
communauté internationale dans son ensemble reconnaisse, de façon
expresse, cette responsabilité.122Cette assimilation
s'inscrit dans une perspective pénaliste selon laquelle l'infraction
pénale ne serait rien d'autre que la déclaration de ce qu'une
société condamne et on y décèle l'idée
fondamentale de globaliser les valeurs essentielles de la communauté
internationale, à coté des valeurs économiques
déjà globalisées. Ce principe est nettement affirmé
à l'article 19 du Projet de la C.D.I. sur la responsabilité des
Etats. Il est donc clair que pour qu'un comportement soit qualifié de
criminel c'est-à-dire d'infractionnel, il doit violer les droits
fondamentaux de la communauté internationale dans son ensemble, donc
tous les Etats doivent être considérés comme des sujets
passifs de l'action criminelle.123Le Projet sur la
responsabilité des Etats de 1996 indique clairement, la conception du
crime international comme violation d'une obligation erga omnes indivisible au
sens absolu du terme.124Et cette conception est passée du
texte de 1996 à celui de 2001 à son article 40§1 qui
qualifie l'infraction étatique majeure comme violation d'une
règle du jus cogens et l'article 48 qui porte sur l'invocation de la
responsabilité au §6 aux termes duquel « tout Etat autre
qu'un Etat lésé est en droit d'invoquer la responsabilité
d'un autre Etat si... b) l'obligation est due à la communauté
internationale dans son ensemble ».
Cette approche du coté passif du crime international
entraine le problème de la relation entre les règles secondaires
du Projet sur la responsabilité des Etats et la forme des obligations
créées par les normes primaires. En effet, une des questions les
plus importante est celle qui se rapporte aux relations qu'entretiendraient la
responsabilité criminelle de l'Etat-qui du reste relève des
règles secondaires- et les obligations erga omnes et les règles
du jus cogens, relevant des règles primaires.
122 GILBERT, G., « The criminal responsibility of States
» in I.C.L.Q., 1990, p.350.
123 DELMAS-MARTY, M., « La difficile naissance du droit
de demain », in Le monde, n°17669,Horizons-Débat vendredi
16 Novembre 2001,p. 16
124 O. QUIRICO, op.cit., p.141
[38]
On sait généralement qu'une obligation erga
omnes signifie, tout simplement, « obligation envers tous ». On
considère, comme obligation erga omnes, la position dans laquelle un
sujet est chargé d'un nombre des relations passives, ayant toutes le
même contenu en terme d'action, égal au nombre des sujets qui
composent un ordre juridique donné.125D ans le cas du crime
international de l'Etat on devra arriver à analyser s'il s'agit bien
d'une obligation erga omnes, alors que même celle-ci peut être
divisible ou indivisible, absolue ou relative. Et éventuellement les
relations du crime international avec la règle du jus cogens.
Il convient ici de signaler qu'une obligation erga omnes
indivisible et absolue constitue ce qu'on appelle la règle du jus
cogens, elle lie un Etat à tous les autres Etats de la communauté
internationale de façon conjointe, de sorte qu'elles sont indisponibles,
les Etats ne peuvent pas leur déroger par accord. En cas de violation
tous les Etats de la communauté internationale sont lésés
et peuvent réagir, de façon conjointe ou disjointe.
En effet la doctrine a toujours démonté que le
crime international s'agissait bel et bien d'une obligation erga omnes qui
serait indivisible et absolue c'est-à-dire d'une des règles du
jus cognes tel qu'elle ressort de l'article 53 de la convention de Vienne sur
le droit des traités de 1996.126La violation des
règles du jus cogens entraine, logiquement, des conséquences tout
aussi dérogatoires au droit commun de la responsabilité que
celles qu'elle détermine dans le droit des traités ; la sanction
pénale serait le pendant de la nullité dans l'ordre
conventionnel, les sanctions spéciales étant justifiées
par l'atteinte à un certain ordre public international.127 En
l'absence d'une constitution, sur le modèle des droits internes, qui
guide les codificateurs dans le choix des intérêts fondamentaux de
la communauté internationale, et d'une organisation verticale de la
société internationale, le jus cogens constituerait, comme sorte
de loi « suprême » aux Etats, un principe de gradation dans le
choix des intérêts susceptibles de la protection
criminelle.128
Ainsi ; du moment que la C.D.I., dans l'élaboration du
Projet sur la responsabilité approuvé, en deuxième
lecture, en 2001, même sans mention du crime à l'article 40 prend
en considération la violation grave par l'Etat d'une obligation
découlant
125GAJA., G., « Obligations erga omnes,
international crimes and jus cogens. A tentative Analysis of the related
concepts », in J.H.H. WELLER, A. CASSESSE, M. SPINEDI, International
crimes of State a critical analysis of I.L.C.'s Draft Article 19 on State
Responsibility, E.J.IL., 2000, p.141.
126 KEARNEY, D., DALTON, R., « The treaty on treaties
», in A.J.I.L.,1970, Vol.64, n°3, p.538.
127 PELLET, A., « Remarques sur une révolution
inachevée, le projet de la C.D.I. sur la responsabilité des Etats
», in A.F.D.I., 1996, p.24.
128 O. QUIRICO, op.cit., p.153.
[39]
d'une norme impérative du droit international
général et que donc, si la notion du crime disparait, son
empreinte subsiste et que le Projet serait encore « hanté
» par le « fantôme des crimes internationaux
».129
Toutefois bien que le crime international soit, comme le dit
une partie de la doctrine, une des composantes des violations des règles
du jus cogens c'est à dire touchant toute la communauté, il est
difficile de penser qu'une telle reconnaissance vienne, du moins
complètement, de l'ensemble de la communauté internationale par
le biais de la pratique, donc de la coutume.130On sait, en effet,
qu'il n'existe pas de crime, ni de sanction sans loi, car chaque conduite
criminelle doit être expressément prévue comme telle par
une règle écrite et certaine, d'autant plus que, dans le domaine
pénal, on ne peut même pas faire recours à l'analogie pour
définir l'infraction.131
La création de la responsabilité pénale
demande la mise en place d'un ensemble d'éléments juridiques
d'ordre matériel et procédural que seule la pratique ne peut
réaliser bien qu'elle peut signaler l'exigence de distinguer
différentes formes de la responsabilité ; et ceci doit être
mise en oeuvre par les institutions spécialisées.132Ce
n'est pas par hasard que l'étude de la catégorie des crimes
internationaux a été confiée à la C.D.I.
La tâche de la C.D.I., toutefois s'arrête au seuil
de l'étude, car elle n'a pas le pouvoir de rendre effectives ses
propositions. Malheureusement, on pourrait difficilement envisager de confier
à l'Assemblée générale des N.U. la tache de
définir les crimes internationaux par le biais de la résolution,
car cet instrument n'a pas d'efficacité juridique positive. Pour
s'imposer en tant que principe général du droit international, le
crime étatique défini dans une résolution de l'A.G.N.U.
devrait être soutenu et imposé, ensuite, par la pratique
coutumière des Etats, autrement, il n'aurait aucune efficacité
réelle.133La seule source qu'on peut sérieusement
envisager pour donner force et efficacité à la
responsabilité criminelle étatique est le
traité.134Cette solution aura été celle
proposée par la C.D.I. lors de la présentation du Projet
d'articles dans sa version finale, en 2001, aux cinquante sixième
commissions de l'A.G.N.U. On risque, alors, de ne pas atteindre la
reconnaissance universelle de la responsabilité pénale des Etats
éventuellement signataires du traité prévoyant un tel
129 O. QUIRICCO, op.cit., p.153
130 Idem, p.154.
131 Ibidem.
132 Ibidem.
133 JACOWIDES, A., « State Responsibility: Reflexions on
the international law commission's Draft Articles » in Proc.A.S.I.L.
, 2000, p.226.
134 Ibidem.
[40]
système.135 Il est donc possible que
seulement une partie de la communauté, non pas toute la
communauté, reconnaisse l'existence de la responsabilité
criminelle. On pourrait, tout de même, parvenir à
l'universalisation de la responsabilité pénale, par la simple
extension, absolue, des règles conventionnelles, possible d'après
une partie de la doctrine,136notamment au cas où un bon
nombre ou la plupart des Etats deviendraient partie au traité instituant
un système criminel. En outre les règles criminelles
conventionnelles pourraient devenir partie intégrante du droit
international général si un bon nombre d'Etats les adoptait comme
guide de leur pratique coutumière.137
§1.2. La partie spéciale de
responsabilité pénale étatique
L'article 19 du Projet de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats de 1996 dresse une liste des
intérêts susceptibles d'être protégés par un
régime du type pénal. Cet article énumère à
son paragraphe 3, les intérêts visés par le régime
aggravé, criminel, de la responsabilité.138
L'élaboration d'une partie spéciale a toujours
était nécessaire. Aux yeux des codificateurs, pour
délimiter la notion de crime international et ne pas laisser dans le
vague comme dans le cas de la définition des normes impératives
selon la convention de Vienne sur le droit des traités de
1969.139
Le paragraphe 3 désigne quatre séries d'infractions
par ordre d'importance.140
La première série en tête de la liste de
l'article 19 du Projet sur la responsabilité des Etats de 1996, inclut
la « violation grave d'une obligation internationale d'importance
essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité
internationale, comme celle interdisant l'agression ».
Il est important de rappeler que cette catégorie des
crimes était réglée de façon autonome, au
paragraphe 2 de l'article 18 de l'avant Projet de 1976 alors que les trois
autres catégories étaient réglées au paragraphe 3,
qui contenait les principes généraux définissant l'acte
criminel. Une certaine doctrine pense par conséquent, à une
classification tripartie des violations des obligations internationales : les
délits, les crimes et les crimes par
135 JACOWIDES, A., op.cit., p.226.
136 P. DALLIER, A. PELLET, Droit international public,
7ème édition, L.G.D.J., p.205.
137 R. AGO, Cinquième rapport sur la responsabilité
des Etats, in Ann. C.D.I., 1972, Vol. II, 1ère partie, doc.
A/CN.4/264 et Add.1, p.56.
138 Ibidem.
139 R. AGO, op.cit., p.56
140 O. QUIRICO, op.cit., p.220.
[41]
excellence.141Une telle classification se serait
inspirée des dispositions pertinentes de la Charte des N.U., notamment
de l'article 1èr §1 du préambule. La C.D.I. voit
dans le bien de la paix l'intérêt le plus important de la
communauté internationale.
Parmi les formes possibles d'infractions, l'article 19
prévoit à titre d'exemple le crime d'agression. L'agression a
déjà fait l'objet de qualification par plusieurs instruments
internationaux notamment le Projet de traité d'assistance mutuelle de
1923, le Protocole de Genève pour le règlement pacifique des
différends internationaux du 2 Octobre 1924 dans son préambule.
Récemment la Déclaration de Bruges de l'I.D.I., du 2 Septembre
2003, a réaffirmé que l'agression constitue un crime
international.142Cependant il ya une imprécision
terminologique qui découle en quelque sorte d'un déficit
définitionnel du terme « agression ». D'après A.
Cassesse, la « définition de l'agression implique la solution
au problème de la légalité de la légitime
défense préventive aux termes de la Charte des Nations Unies, sa
définition trainerait pour cette raison depuis longtemps ».
L'auteur remarque aussi « qu'une définition trop stricte
pourrait pousser les Etats à profiter d'éventuelles
défaillances pour justifier des conduites agressives
».143
Le premier principe de la Déclaration de l'A.G.N.U.
2625(××V) de 1970, sur les relations amicales, et l'article premier
de la résolution de l'A.G.N.U. 3314(××I×) de 1974,
concernant l'agression, la définissent comme l'emploi de la force
armée, par un Etat, contre la souveraineté et
l'intégrité territoriale d'un autre Etat.144
En raison de son extrême gravité, l'agression
constitue le crime international de l'Etat par excellence. Pour QUIRICO «
c'est à partir de la réflexion sur la guerre qu'est
née l'idée de la responsabilité majeure des Etats
».145 L'agression est le seul crime auquel le droit
international général accorde une sanction aggravée et des
procédures spéciales par rapport aux autres infractions
internationales. Nous avons au niveau conventionnel des mesures de
réaction collective décidées par le C.d.s. Et le Projet de
la C.D.I. sur la responsabilité des Etats de 1996 y renvoie expressis
verbis, à l'article 39, prévoyant parmi les conséquences
des infractions internationales, l'application des dispositions de la Charte
des N.U. relative au maintien de la paix et de la sécurité. On
peut remarquer que généralement le C.d.s. lorsqu'il
141 R. AGO, cinquième rapport sur la responsabilité
des Etats, op.cit., p.58.
142 I.D.I., Résolution concernant le recours à la
force, Bruges, 2 Septembre 2003, in
http:// www.
Idi-iil.org/résolution/2003-bru-fr.pdf, p.1, consulté le
24 Mai 2013.
143 CASSESSE, A.,» The Statute of the I.C.C. : some
preliminary reflexions», in E.J.I.L., 2000, p.147.
144 R. AGO, cinquième rapport sur la responsabilité
des Etats, op.cit., p.57.
145 O. QUIRICO, op.cit., p.165.
[42]
constate une rupture de la paix s'abstient d'employer
généralement les
expressions « agression » et « crime ».
Mais on peut constater que son action est généralement couvert
d'une odeur de la sanction pénale, ceci fut le cas dans le cas de
l'agression du Koweït par l'Irak.
Certains membres de la C.D.I. proposaient un rapprochement
entre le crime d'agression et le crime de guerre parce que selon eux, il
était impensable de pouvoir imaginer l'agression ou le crime de guerre
sans implication étatique.146Soulignons au passage que la
conception de la paix comme bien juridique, objet d'une conduite criminelle
spécifique, est trop vague. La paix est l'absence de conflit et
constitue l'expression du principe général en vertu duquel il
faut respecter les droits des autres. Ainsi à la place de l'agression au
litera a) du paragraphe 3 on aurait pu indiquer toute autre forme de conduite
exemplaire en tant que violation de la paix, comme, par exemple, les crimes
contre l'humanité, le vrai objet de l'agression, d'après la
doctrine, « est constitué par le droit des Etats à
l'existence et à l'autodétermination et, à la limite, par
le droit des peuples à disposer d'eux mêmes, prévu à
l'article 19§3b), tandis que tout crime étatique viole, in fine, la
paix ».147
La deuxième série d'infraction prévue
à l'article 19 du Projet de la C.D.I. sur la responsabilité des
Etats de 1996 est la « violation grave d'une obligation internationale
d'importance essentielle pour la sauvegarde du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, comme celle interdisant l'établissement ou
le maintien par la force d'une domination coloniale ». Encore une
fois on se réfère à l'article 1§2 de la Charte des
N.U.
Pour la C.D.I., cette infraction est assimilée à
la gravité de la violation à la paix surtout en vertu de la
résolution de l'A.G.N.U. 2625(××V) de 1970 sur les relations
amicales entre Etats.148Une relation serait établie par
l'article 1§2 de la Charte des N.U., entre les droits des peuples à
disposer d'eux-mêmes et la consolidation de la paix dans le monde. Cette
conception correspond à l'interprétation de l'Assemblée
Générale des N.U., qui a très souvent qualifié la
violation du droit à l'autodétermination des « violation
de la paix et de la sécurité internationale », comme
dans l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et,
même du C.d.s. qui, dans le sillage de l'interprétation de
l'Assemblée , a souvent qualifié
146 C.D.I., Comptes rendus analytiques de la
vingt-huitième session, Ann. C.D.I., 1986, p.72, § 33.
147 O. QUIRICO, op.cit., p.166.
148 R. AGO, cinquième rapport sur la responsabilité
des Etats, op.cit., pp.38-39.
[43]
la violation en question de « menace contre la paix
» comme dans le cas de la résolution 180 du 31 Juillet 1963
relative aux territoires africains administrés par le
Portugal.149
Il faut dire que l'exemple du maintien par la force d'une
domination coloniale nait de l'importance historique du phénomène
de la décolonisation, confirmée par la Déclaration sur
l'octroi de l'indépendance aux peuples et aux pays coloniaux de
l'Assemblée Générale des N.U. contenue dans la
résolution 1514(×V) du 14 Décembre 1960, quoiqu'aujourd'hui
le problème ait perdu de sa saveur.150
C'est un concept qui nait avec les théories des droits
de l'homme qui établissent un certain nombre des droits dits «
droit des collectivités » c'est-à-dire droit de la
troisième génération. On remarquera que le crime de
l'instauration par la force d'une domination coloniale trouvait jadis son
pendant individuel dans le crime de colonialisme, visé à
l'article 18 du Projet de code de crimes contre la paix et la
sécurité de l'humanité de 1991, mais il en fut
retiré en 1996.151
Selon le Projet de1991, le colonialisme serait le fait de
« tout individu qui, en qualité de représentant de
l'Etat ou d'organisation, établit ou maintien par la force ou ordonne de
maintenir la domination ou toute autre forme de domination
étrangère en violation du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes tel qu'il est consacré par la Charte des N.U.
»
Cependant, il faudra noter que suite à la disparition
du phénomène du colonialisme dans la pratique internationale
ainsi que d'un déficit définitionnel de ce qu'on attend par
l'instauration par la force d'une domination coloniale, ce crime est entrain
progressivement de s'effondrer, certains pensent, comme nous d'ailleurs, qu'il
serait déjà exclu du domaine des crimes de droit international
pénal.152D'ailleurs ce crime ne figure pas dans le Statut de
la C.P.I.
Toutefois, on ne devrait pas perdre de vue de la valeur, aussi
théorique qu'elle puisse être, de la notion du crime de maintien
par la force de la domination coloniale, parce que, jusque en présent
rien ne nous garantie qu'une telle situation est totalement
149 A. BEAUDOUIN, « le maintien par la force d'une
domination coloniale », in H. ASCENSIO, A. PELLET, E. DECAUX,
op.cit., p.427.
150 Ibidem.
151 Idem, p.428.
152 O. QUIRRICO, op.cit., p.168.
[44]
inenvisageable en droit international et que donc, le droit
international devrait toujours se réserver le droit de sanctionner dans
l'hypothèse où cela arriverait.
La troisième catégorie d'infraction
étatique selon l'article 19 du Projet de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats de 1996 est celle qui résulte de la
« violation grave et à une large échelle d'une obligation
internationale d'importance essentielle pour la sauvegarde de l'être
humain, comme celles interdisant l'esclavage, le génocide, l'apartheid
». On se réfère à l'article 1§3 de la Charte des
N.U., notamment en ce qui concerne les droits de l'homme et les libertés
fondamentales.
Cette norme rappelle également, comme la
résolution de Lausanne de l'I.D.I. du 9 Aout 1947 ; qui confirme
l'importance essentielle des droits de l'homme, fondement d'une
éventuelle réforme de la communauté
internationale.153
Il faut noter qu'il ya une condition de gravité des
atteintes pour que celles-ci soient considérées comme des crimes.
Ces atteintes doivent, pour être qualifiés de crime, être
à large échelle, systématique du point de vue de l'action,
et massive, du point de vue des victimes lésées. Le
caractère systématique de l'acte criminel, regarde, notamment,
l'organisation de l'action, dans sa conception et exécution, touchant
ainsi, l'aspect subjectif du projet politique partagé par l'organisation
qui serait à la base du « crime ».154 Par ailleurs
cet aspect systématique du crime contre les droits fondamentaux de la
personne humaine fait du crime de l'Etat une figure correspondante au crime
contre l'humanité des individus tel que prévu à l'article
7 du Statut de la C.P.I., aux termes duquel une action
généralisée ou systématique est indispensable pour
la réalisation de l'infraction.
Une partie de la doctrine se serait efforcé de
définir une théorie des droits de l'homme et de déterminer
quels intérêts en constitueraient le contenu : la catégorie
serait constituée, essentiellement, par le droit à la vie,
à la dignité, à la paix, à
l'autodétermination et à la démocratie.155Ainsi
en raison de cette classification, on peut établir un lien entre cette
classification avec les crimes internationaux mais aussi avec les trois
générations de droits de l'homme.
153 Résolutions concernant les droits fondamentaux de
l'homme, base d'une restauration du droit international, Rapporteur Ch. De
Vissher, Lausanne, 9 Aout 1947, in
http://www.idi-ill.org/idif/résolution/1947-Law-01-fr.pdf,
p.2, consulté le 25 Mai 2013.
154 O. QUIRRICO, op.cit., p.169.
155 PASSCA, A., « Democrazia et diriti umani nell'era
dell'interdipendeza globale », in pace, diritti dell'uomo, dirittidei
popoli, 1991, p.19.
[45]
Par ailleurs, pour une meilleure classification pratique des
droits de l'homme, on devra toujours faire référence aux
instruments internationaux en vigueur dans la matière, notamment
à la Déclaration universelle des droits de l'homme, au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Et sur la base de
la Déclaration Universelle des droits de l'homme, notamment, il est
possible de concevoir les droits de l'homme, généraux et cogents,
comme fondement de la communauté internationale.156
Finalement la proposition de responsabiliser les agissements
étatiques contraires aux droits de l'homme va dans le sens de la
reconnaissance d'un poids prédominant, dans le monde globalisé
des droits du marché, aux droits fondamentaux de la personne,
conformément à leur position au sommet de la hiérarchie
des normes internationales.157
La quatrième et dernière catégorie de
crimes prévue dans le Projet de la C.D.I. sur la responsabilité
des Etats de 1996 est constituée par « la violation grave d'une
obligation internationale essentielle pour la sauvegarde et la
préservation de l'environnement humain, comme celle interdisant la
pollution massive de l'atmosphère ou des mers ». Cette
catégorie tente de protéger les intérêts
environnementaux, par le biais d'une tutelle criminelle. Les raisons sont
qu'évidemment les violations de ces règles qui mettent en danger
les ressources naturelles, fondamentales pour la communauté toute
entière, sont aujourd'hui beaucoup plus graves que jamais, surtout en
raison des potentialités destructrices des progrès scientifiques
et de la nécessité d'augmenter la production des biens de
consommation par rapport à l'accroissement de la population
mondiale.158
Il est important de noter que le Projet de la C.D.I. tente de
donner écho au mouvement environnementaliste né à partir
des années 1970, par la Déclaration de Stockholm et de Rio et
assigne aux Etats un devoir général de protéger
l'environnement.
Que ca soit la Déclaration de Stockholm ou celle de
Rio, toutes reconnaissent que les Etats doivent empêcher que les
activités qui se déroulent dans leur juridiction endommagent
l'environnement des autres Etats et les Zones en dehors de leur juridiction.
156 O. QUIRRICO, op.cit., p.170.
157 R. AGO, cinquième rapport sur la responsabilité
des Etats, op.cit.,p.56.
158 Idem, P.57.
[46]
Il est donc clair que les Etats ont bel et bien un devoir
général de respecter l'environnement, conçu comme
obligation internationale erga omnes indivisible.159
Comme exemple de conduite criminelle le Projet sur la
responsabilité des Etats de 1996 se limite à indiquer la
pollution massive des mers et de l'atmosphère, mais il est clair que la
C.D.I. n'avait nullement l'idée de restreindre, comme pour les autres
catégories de crimes d'ailleurs, la protection dont doit
bénéficier l'environnement dans son ensemble. Par ailleurs,
remarque la doctrine, que cette forme de crime ne correspond directement
à aucun crime dans le domaine du droit international pénal
individuel, que ce soit dans le Statut de la C.P.I. ou dans les textes des
T.P.I., sauf dans quelques cas des crimes de guerre impliquant des
dégâts pour l'environnement.160Et donc la
pénalisation des violations d'intérêts environnementaux
serait un crime par omission c'est-à-dire une responsabilité
indirecte.161
Il est important de signaler, que pour les quatre
catégories de crimes prévues au paragraphe §3 de l'article
19 du Projet de la C.D.I. sur la responsabilité des Etats de 1996, il
faut remplir une condition de gravité ou d'importance,
c'est-à-dire qu'ils doivent être d'une importance essentielle pour
la sauvegarde des biens juridiques en question, donc on devra considérer
seulement celles qui ont une importance primordiale pour la protection des
intérêts en jeu dans chaque catégorie , non pas celle
d'importance secondaire.162
Cependant quoique la formulation de l'article 19 ne fasse pas
de distinctions de gravité entre les différentes
catégories d'infractions, il faut présumer, comme il ressort des
commentaires de la C.D.I., que les crimes doivent être classés par
gravité décroissante , aussi bien en fonction de l'importance de
l'obligation violée, qu'en fonction de la gravité de la conduite
illicite. Non seulement, donc, on aurait une échelle de gravité
de la première à la dernière catégorie, mais aussi
à l'intérieur de chaque catégorie, du moins si les
violations étaient définies avec
précision.163
On notera cependant que plusieurs critiques auraient
été adressées à la classification dressée
par l'article 19 du Projet de la C.D.I. sur la responsabilité des Etats.
Une partie de la doctrine réclamait purement et simplement l'annulation
d'une telle classification, qui selon elle n'était accompagné
d'aucune précision, inhérent à un système
159 D. GOLDIE, A general view of international
environnemental law. A survey of capabilities, trends and limits, in
Hague colloquim, The Hague, 1973, p.65.
160 O. QUIRRICO, op.cit, p.172.
161 Ibidem.
162 Idem, p.173.
163163 R. AGO, cinquième rapport sur la
responsabilité des Etats, op.cit., p.58.
[47]
pénal.164Selon PELLET, « les
exemples donnés en plus d'être imprécises sont aussi
très génériques ».165De notre point
de vue pareille considération n'est pas correcte du moment qu'on est
d'accord qu'on est entrain d'envisager un régime de
responsabilité pénale dans un droit d'essence intersubjective.
Il faut remarquer que les quatre catégories de crimes
définissent, pour employer une terminologie pénaliste, les biens
juridiques dignes de la tutelle criminelle, alors qu'il reste à
définir et classer les infractions dans le détail. La technique
adoptée consiste, selon QUIRICO, « à définir les
domaines dans lesquels le droit international impose aux Etats des obligations
qui remplissent les conditions pour que leur violation puisse être
considérée comme un crime international, ensuite on cite un ou
plusieurs exemples concrets d'obligations existantes, dans les domaines en
question, qui interdissent des agissements considérés comme des
crimes internationaux typiques et cela sans avoir la prétention
d'ésquisser un code pénal international
»166. L'emploi du mot « notamment » par
rapport aux biens juridiques, en effet, a plusieurs significations et
dépose en ce sens. Tout d'abord, on doit penser que les crimes
internationaux sont réalisés spécifiquement par les
infractions ensuite classé comme crime ne constituant pas un nombre
fermé, mais un domaine susceptible de se rétrécir ou de
s'élargir167. Selon QUIRICO, celle-là est
l'interprétation la plus correcte du terme « notamment »
et ne pas comme « à titre d'exemple ». Une telle lecture
laisserait entendre que le paragraphe 3 a été à peine
esquissé au niveau des biens juridiques, sans parvenir à une
élaboration complète, alors qu'il est le résultat d'une
longue étude et d'une discussion approfondie au sein de la C.D.I.
Ensuite, il serait dangereux, voire totalement déplacé de
procéder de manière exemplaire dans une manière analytique
telle que celle de la responsabilité pénale, même si l'on
entend qu'il s'agit « seulement d'une responsabilité majeure, ou
moins au niveau de la définition des biens juridiques susceptibles de
tutelle.
Il faut donc reconnaître que les dispositions de
l'article 19 paragraphe 3 appartiennent à la partie spéciale d'un
système général du droit international pénal alors
que les paragraphes 1, 2 et 4 relèvent de la théorie
générale168. Il s'agit seulement et il faut le
reconnaître d'un premier effort, pas totalement accompli du point de vue
des figures typiques criminelles. Il est hors de question que le paragraphe 3
soit très approximatif dans la
164PELLET, A.,« Remarques sur une
révolution inachevée, loc.cit.,p.21.
165 PELLET, A. ,»Can a State commit a crime? Definitely
ye!», loc.cit., p.430.
166 O. QUIRRICO, Op. Cit., p.179.
167 Idem, P.180.
168 Ibidem.
[48]
définition de chaque crime, mais cela est excusable et
même naturel, puisqu'il s'agit d'une étape primitive d'une
matière en pleine évolution.
Pour accomplir un régime effectif de la
responsabilité internationale pénale, il faudrait un corps
d'actions illicites détaillés et rigoureux. Cependant, il serait
totalement inutile de créer une partie spéciale très bien
définie avant d'avoir vérifié la possibilité et la
nécessité de fonder un système accompli. Le paragraphe 3
aurait donc pour but, dans l'accomplissement du système, une
exemplification intentionnellement sommaire, afin de tester les opinions de la
doctrine sur la matière et d'ouvrir les perspectives pour un travail
futur169. Selon AGO, « si la commission entend poser les
fondements d'un code pénal international applicable à la conduite
des Etats, il importe que les crimes internationaux ne soient pas
définis par des dispositions susceptibles d'être étendus
à volonté, compte tenu de la nature de l'entreprise, il faut au
contraire déterminer de façon très précise les
faits internationalement illicites qui peuvent actuellement être
qualifiés de crimes internationaux »170. Par
conséquent, la position du paragraphe 3 est correcte, car les normes
spéciales du droit international pénal devraient trouver leur
place dans un corps normatif cohérent. D'après toujours Ago,
« la commission n'en est qu'à poser des fondements d'un code
pénal international (...) s' il n'est pas possible de donner
réellement des définitions aussi précises qu'en droit
interne, il faut du moins définir au maximum les obligations dont la
violation constitue un crime international ».
D'autres critiques ont trait, selon certains auteurs, que le
texte du paragraphe 3 de l'article 19 du projet de la CDI sur la
responsabilité des Etats de 1996 ferait référence aux
droits spécifiques contenus dans des règles primaires, qui
n'auraient rien à voir avec la responsabilité pour fait
illicite171. Les normes primaires, en général des
obligations, créent implicitement la responsabilité des Etats
pour la violation : la responsabilité est déjà contenue
dans la position de l'obligation à la charge d'un sujet, autrement il
n'y aurait pas obligation. Les normes secondaires détaillent les
violations des obligations créées par les normes primaires et
déterminent les conséquences qui en découlent de
façon explicite. On constatera qu'il existe un lien très
étroit entre les règles primaires et les règles
secondaires et que dans la pratique, il est très difficile de les
différencier172. Les normes secondaires du Projet sur la
responsabilité des Etats, notamment tendent à mettre de l'ordre
dans la matière des règles
169 O. QUIRICCO, op.cit., p.180.
170 C.D.I., Rapport sur les travaux de la vingt-huitième
session, in Ann. CDI, Vol II, 1ère partie, 1976, p.111.
171 Idem,P.112 .
172 DUPUY, P., Attribution issue in state
Responsabilty.commentary, in Prol, A.SI.L, 1990, p.72.
[49]
primaires, par sa nature non organique et asymétrique,
afin de créer la théorie générale qui puisse
constituer le Pendant des normes primaires173. Lorsqu'il
s'avère nécessaire, le projet s'occupe aussi des conduites
typiques particulières, ce qui pourrait amener non seulement à
une synthèse, mais aussi à des modifications substantielles du
système juridique primaire en place.
La mise en place d'un ordre du droit international
pénal qui responsabilise les Etats impose la définition des
limites du système. Ces limites doivent être abordées,
comme en droit pénal interne, du point de vue de la théorie
générale de la responsabilité que du point de vue de la
partie spéciale définissant les faits typiques incriminés.
L'article 19 du projet de la CDI sur la responsabilité des Etats
adopté par la CDI en première lecture, en 1996,
intégré par l'article 40 du projet esquisse les limites de ce
système tant du côté des principes fondamentaux que du
côté des figures spécifiques criminelles de la
responsabilité pénale étatique.
Ainsi, aussi timides que puissent constituer les
avancées faites par l'article 19 dans l'établissement d'une
solidarité internationale et quoiqu'ayant été l'objet de
virulentes critiques, il est clair que l'article 19 jette les bases d'un
système de la responsabilité très cruciale pour la survie
même de la société internationale. Reste cependant la
question d'une éventuelle procédure et de la sanction.
§2. La procédure et la sanction sont
collectives mais décentralisées
La commission d'un fait infractionnel engendre une
procédure pénale de
jugement et, en cas d'avis positif sur la
responsabilité, une sanction et une procédure
d'exécution.
Dans le droit interne classique, l'acte illicite est traduit
en justice par le biais d'un procès entamé et poursuivi par un
organe qui prend la défense de la victime au nom de l'ensemble de la
communauté lésée, notamment le procureur dans le
modèle de Common Law, le magistrat d'instruction dans le modèle
de civil Law. En cas d'une condamnation, la sanction principale est privative
de la liberté personnelle ou constitue dans le payement d'une amande en
faveur de la communauté et la procédure d'exécution
consiste dans l'emprisonnement du sujet condamné ainsi que dans la
récupération de l'amande due174.
173 DUPUY, P., loc.cit., p.73.
174 N. MWENE SONGA, Droit pénal Zaïrois,
Kin, Editions Droit et Société «DES», 1989, p.293-5.
[50]
Il est donc extrêmement capital, bien que
périlleux, de tenter d'éclairer la lanterne sur ce que
prévoit le droit international général en ce qui concerne
la procédure de jugement et la sanction ainsi que l'exécution de
ce jugement.
Cette analyse nous permet de remplir, de façon
complète, la condition objective de la responsabilité
pénale étatique.
Cette analyse, nous la développons en
considérant la pratique coutumière des relations internationales
autant que le système défini par le projet de la CDI sur la
responsabilité des Etats, qui, d'ailleurs s'inspirent des principes
généraux tout en essayant de les rationnaliser.
§2.1. L'absence de la verticalité et la
collectivisation de la procédure
Il est clair que le mécanisme de règlement des
différends, envisagé dans la deuxième et troisième
partie du projet sur la responsabilité des Etats de 1996 sous
l'impulsion du quatrième rapporteur spécial, W. RIPHAGEN,
s'inspirait largement de la pratique générale du droit
international, mais on notera cependant qu'il propose quelques
éléments nouveaux très capitaux, notamment en ce qui
concerne la question de l'arbitrage.
Le projet prévoit le recours à la
négociation (article 54) et envisage la possibilité des bons
offices et de la médiation comme première réponse au fait
illicite international (article 55). L'article 47 §1 définit les
contre mesures comme actions fonctionnelles à l'exécution des
sanctions consacrées aux articles 41-46. Ainsi donc le projet de la CDI
accueille, ainsi, le principe175 inadimplenti non est adimplindum
typique de la pratique générale des relations internationales, de
sorte que l'Etat assure une fonction du type judiciaire176. Une
partie de la doctrine remarque que cette solution peut se
révéler, en cas de crime de l'Etat, très chaotique,
entrainant aux termes de l'article 40, §3, un jugement par tous les Etats
de la communauté internationale177.
Déjà dans le cinquième rapport de la
C.D.I., W. RIPHAGEN, concernant les articles 5-16 de son projet, envisageait
largement la réponse autonome de l'Etat lésé en
175 W. RIPHAGEN, Rapport préliminaire sur la
responsabilité des Etats, doc. A/CN. 4/366 et Aold.in Ann.CDI, 1996, vol
II., 2ème partie, p.82.
176YAHI, A., « La violation d'un
traité, l'articulation du droit des traités et du droit de la
responsabilité internationale », in P.B.P.L, 1993, p.438.
177 BOWETT, D. W.,» Crimes of States and the 1999 Report of
the I.L.C. on State Responsibility», in E.T.I.C, 1998, Vol. 9, n1,
.171.
[51]
contre-mesure, après l'épuisement des tentatives
de règlement pacifique de différend178. En cas
d'échec de la conciliation prévue aux articles 56-57 et annexe 1,
les Etats gardent la possibilité de recourir à l'arbitrage,
solution que l'Etat frappé d'une éventuelle contre-mesure peut
saisir de façon unilatérale179. Pareille institution a
été virulemment critiquée par le rapporteur CRAWFORD,
selon lui, on laissait dangereusement la latitude à l'Etat victime
de se faire justice et par conséquent d'être juge et partie.
Il avait été prévu qu'en cas de désaccord sur
la sentence arbitrale, les Etats peuvent l'attaquer devant un autre tribunal,
établi de commun accord, ou, en cas de sentence devant la C.I.J.
(article 60 §1) qui peut confirmer ou infirmer, de façon totale ou
partielle, la sentence arbitrale sur les questions non résolues par
l'annulation de la C.I.J, les parties peuvent avoir recours de nouveau à
l'arbitrage (article 60 §2)180.
Les procédures onusiennes sont prévues de
façon exceptionnelle à l'article 39 du projet de la CDI. C'est le
cas notamment de l'action de C.d.s. réglée au chapitre VII de la
charte de l'ONU181.
Non obstat toutes les critiques qui ont été
adressées à cette partie du projet, elle contient
néanmoins des intéressantes propositions. Malheureusement, elles
n'ont pas été suivies par la C.D.I. et notamment par son dernier
rapporteur J. CRAWFORD. Le projet adopté en 2001 se limite à
régler la seule action étatique en contre-mesure comme
réaction aux faits internationalement illicites que les Etats de la
communauté internationale peuvent porter un jugement sur la
responsabilité de l'Etat auteur de la violation, en vertu de l'article
42 b) aux termes duquel, « un Etat en droit en tant qu'Etat
lésé d'invoquer la responsabilité d'un autre Etat si
l'obligation violée est due (...) à la communauté
internationale dans son ensemble » et finalement, en vertu de
l'article 54. Toutefois, la possibilité du recours aux moyens des
réglementations des différends par tierce partie est
complétée, de façon générique, à
l'article 52 §3b), prévoyant que le recours aux instances habilites
à rendre des décisions obligatoires empêche ou suspend
l'adoption des contre-mesures.
Il faut souligner qu'en droit international
général, la procédure est du type horizontal,
confiée, principalement aux Etats, par le biais des contre-mesures ou
de
178 W. RIPHAGEN, Cinquième rapport sur la
responsabilité des Etats, doc, A/CN.4/380 in Ann. C.P.I, 1984, vol II.
1ère partie, p.14.
179 CRWAWFORD, J., »The Re-reading the Draft Articles on
State Responsibility» , loc.cit., p.229.
180Idem, p.230.
181 G. ARONGIO. RUIZ, Cinquième rapport sur la
responsabilité des Etats, Add. 1. P.6.
[52]
l'acceptation volontaire de la juridiction par tierce partie
tant dans le projet de 1996 que dans celui de 2001.
Pour les violations graves du jus cogens (crime) le jugement
est d'ordre collectif, mais décentralisé. C'est-à-dire
tous les Etats sont autorisés à porter un jugement sur l'Etat
responsable (article 40 §3, 47 §1 et 53 du projet du 1999), (48
§1/b) et 54 du projet de 2001).
Cette absence de verticalité de la procédure
engendre une organisation anarchique. Elle est le maillon faible de l'approche
pénal des catégories des crimes étatiques, la seule
exception étant constituée par le déclenchement de
l'action du C.d.s. dans le système onusien, tout de même
relatif.
Une certaine doctrine voit dans cette absence de
verticalité de la procédure, l'inexistence d'un régime de
responsabilité du droit pénal dans le projet de la CDI. La France
par exemple a soutenu en ce qui concerne la responsabilité pénale
des personnes morales que, le code pénal français institue
certes la responsabilité pénale des personnes morales, mais en
exclut l'Etat. En effet, ce dernier, seul titulaire du droit de punir, ne
saurait se punir lui-même. On voit mal qui, dans une
société de plus de 18O Etats souverains, détenteurs du
droit de punir, pourrait sanctionner sévèrement les
détenteurs de la souveraineté182.Ce raisonnement
est tout à fait correct, toutefois, en le suivant jusqu'au bout, on ne
pourrait même pas affirmer de l'existence d'une responsabilité
quelle qu'elle soit en droit international. Cependant, une
référence juridictionnelle civile dans le domaine international
peut être repérée dans la C.I.J. Il est question de
s'entendre : ou l'on utilise les catégories générales du
droit interne, et, plus précisément celle de la
responsabilité, pour mieux comprendre les enjeux à
résoudre et chercher des solutions dans le domaine du droit
international, en perspective de jure condendo, ou bien l'on renonce à
l'utilisation de ces catégories183. En général,
les catégories de droits internes, civils ou pénales, ne peuvent
pas être transplantées, à l'identique, en droit
international, mais on peut en tirer des indications d'ordre
général. La solution meilleure consiste à utiliser ces
catégories de référence, tout en tenant compte des
spécificités de la matière internationale. Pour
Dominicé, « les analogies entre les droits internes et le droit
international permettent mieux de comprendre les
182 MAREK, K.,»Criminalizing State Responsibility», in
R.B.D.I, 1978-1979, P.461.
183 C.LEBEN, Les sanctions privatives de droit ou de
qualité dans les organisations internationales
spécialisées, Bruxelles, Bruylant, 1979, p.43.
184 DOMINICE, C.,»The international
Responsability of States for Branches of multilateral
obligations», in R.S.D.I.E, p.358.
185 KELSEN, H., « La confrontation du droit international en
droit interne », in R.G.D.P.,1936,p.55.
186 J.A. CARRILLO SALCEDO, El derecho international en un
mundo en cambio, Madrid, Techos, 1985, p.162.
187 C.D.I., Rapport à l'A.G sur les travaux de sa
cinquante-troisième session, op.cit., p.313.
188 O.
QUIRRICO, op. cit., P.185.
[53]
différences entre les deux domaines
».184 Il serait donc difficile de dissocier totalement le
système interne et international, ces deux sont totalement liés
surtout dans une vision moniste admettant la primauté de l'ordre
international185.
On rappellera que la procédure du jugement des crimes
dans le projet sur la responsabilité des Etats est
caractérisée par l'absence de la verticalité, exception
faite pour les Etats membres des N-U, soumis à l'autorité du
C.d.s., aux mesures que ce dernier peut prendre.
Il faut rappeler toutefois que le Projet n'est pas
définitif et reste donc susceptible de modification186. Ce
qui pousse SALLEDO à considérer que la formulation de la
catégorie des crimes internationaux devrait naturellement amener
à l'introduction des mécanismes institutionnels qui
établissent, grâce à des critères juridiques, quand
un crime international existe et quelle sanction faut-il appliquer, comme
réaction de la collectivité dans son
ensemble187.
Finalement, le fait que le projet ne contemple pas une action
judiciaire criminelle supérieure, ex officio peut être
justifiée par l'absence même d'une autorité
supérieure. C'est aux Etats capables de conduire cette action en droit
international général : la solution serait obligée et sans
alternative réelle à moins que la C.D.I. ne veuille faire oeuvre
d'innovation. Prétendre que la C.D.I. mette en place un procès
avec des caractéristiques pénales serait probablement trop au
stade évolutif du Projet lorsqu'on discute encore la possibilité
et la nécessité de mettre en place un régime de la
responsabilité pénale collective188.
Tout Etat pouvant juger l'existence d'une infraction majeure,
la porte est ouverte à une dangereuse gestion anarchique des relations
internationales majeures. Il serait indispensable, pour éviter les
dérivés d'un jugement anarchique, que l'existence d'un crime ou
d'une violation majeure soit obligatoirement et dès le début,
apprécié objectivement par un
[54]
tiers impartial au terme d'un procès conforme à
la nature de l'infraction en question189. Mais c'est là, une
oeuvre de longue haleine.
§.2.2. La sanction pénale contre l'Etat
existe effectivement
En analysant les conséquences des crimes prévues
à l'article 19 du projet de la C.D.I sur la responsabilité des
Etats de 1996, on s'aperçoit que la C.D.I tente de mettre en place un
cadre juridique cohérent prévoyant des sanctions qui s'appliquent
à toutes les conduites illégitimes. Selon l'ancien rapporteur
spécial de la C.D.I, Mr. AGO, le droit international connait et
connait depuis toujours des peines et par conséquent des formes de
responsabilité pénale (situation d'un sujet se voyant
confronté à la faculté d'un autre sujet de lui appliquer
une peine ou d'exiger de lui une prestation à titre
punitif.190
On mentionne généralement en doctrine pour
renforcer la thèse d'AGO, à ce sujet les représailles
(aujourd'hui appelées des contre-mesures) certaines sanctions
adoptées par des organisations internationales ainsi que certaines
obligations mises à charge de l'Etat auteur du fait
illicite191. Or, d'après M. SPINEDI, la thèse
d'après laquelle les contre-mesures et certaines obligations
pécuniaires à charge de l'Etat seraient à
considérer, et la situation de l'Etat auquel elles sont
appliquées comme une forme de responsabilité pénale,
scandalise beaucoup ; la notion de peine et celle de responsabilité
pénale sont, pour elle, indissociables192. De l'avis de
R. AGO, par contre « le fait que le droit international ne connaisse
pas d'autorité supérieure aux Etats n'est pas un obstacle
à ce qu'on parle des peines. La notion de peine, et par
conséquent celle de responsabilité pénale ne seraient
point liées à l'existence d'une autorité judiciaire ou
d'une autorité supérieure, mais a la nature afflictive et
répressive de la sanction pénale par rapport à la nature
préparatoire d'autres conséquences du fait illicite
»193. Selon lui, « toujours en droit interne
aussi la responsabilité pénale ne se distinguerait pas de la
responsabilité civile principalement par le fait que la première
donnerait naissance à un rapport entre le sujet coupable et l'Etat,
alors que la seconde se traduirait uniquement dans un rapport entre l'auteur de
l'illicite et le sujet lésé ». La différence
résiderait dans la nature des conséquences reliées
à l'illicite, conséquences qui seraient de nature exclusivement
réparatoire et exécutive dans la responsabilité civile,
alors qu'elles auraient un caractère répressif dans la
responsabilité pénale. Il admet que dans les ordres
étatiques modernes, l'application de la peine est, en règle
générale, réservée à l'Etat,
189 O. QUIRICCO, op.cit., p.186.
190 R.AGO, cinquième rapport sur la responsabilité
des Etats, op. cit, p.58.
191LAUTERPACHT, H., « Règles
générales du droit de la paria » in R.C.A.D.I.,
1973-IV. Pp 3495.
192 M. SPINEDI, op. cit., p.93
193 AGO, R., « Le délitt international » ,
loc.cit., p.497.
[55]
mais dans les ordres juridiques du passé, la peine
appliquée par les particuliers était normale194.
Le contraste entre la thèse de ceux qui, comme AGO,
admettent la responsabilité pénale et celle de ceux qui ne
l'admettent pas est donc un contraste qui porte foncièrement sur les
notions de peine dans la théorie générale du droit. Et
donc pour sortir de cette impense il faut élaborer une sorte de
théorie générale de la peine.
Le point de départ est représenté par ce
que les ordres juridiques désignent par le terme « peine ». M.
SPINEDI constate que la signification accordée au terme peine varie dans
le temps et dans l'espace.
Le terme « poena » d'où découle le mot
peine et responsabilité pénale, désigneraient dans le
droit romain archaïque la somme versée par l'auteur de certains
faits illicites au sujet lésé pour se soustraire à la
vindicta de celui-ci : c'était le résultat d'un accord entre
l'auteur du fait illicite et le lésé. Par la suite, l'ordre
juridique imposa au coupable et à sa victime de s'accorder sur le
versement de la peine. Le sujet lésé ne pouvait plus recourir
à la vindicta, il pouvait seulement exiger du coupable la
poena195. C'est à ce moment que se produit l'évolution
fondamentale de la notion : la poena désigne une obligation
pécuniaire mise à la charge de l'auteur de certains faits
illicites et que doit être versée au sujet lésé. Les
actions poenales dans le droit romain de l'époque classique
étaient des actions ex delicto prévues par le jus civilis
ouvertes au sujet lésé pour obtenir du coupable le versement de
la poena196. On constate donc que le sens attribué à
l'origine au terme « peine » était donc différent de
celui qui lui est attribué dans les ordres juridiques modernes.
Et même si l'on s'en tient aux ordres juridiques du
présent, on constate que la notion de peine est plus large dans certains
ordres que dans d'autres. Il n'est pas donc aisé, et peut être
est-il impossible, d'élaborer une notion de peine qui soit à
même d'inclure toutes les mesures qui ont reçu ce nom dans divers
ordres juridiques. Ce que l'on peut faire, c'est élaborer une notion de
peine qui s'inspire de ce que l'on entend par peine dans la plupart des ordres
juridiques et qui soit applicable à l'analyse de tout ordre, y compris
d'un ordre juridique qui n'emploie pas ce terme ou l'emploie dans un sens
différent. C'est d'ailleurs ainsi qu'on procède normalement quand
on élabore une notion de théorie générale du
droit.
194 R. AGO, 3ème rapport sur la
responsabilité des Etats, op.cit., pp.479.
195 Idem, pp.218-220.
196 M. SPINEDI, op.cit., p.104.
[56]
Il en découle que soutenir que la peine est une mesure
afflictive imposée par une autorité supérieure (ou par
l'autorité judiciaire), c'est affirmer que les contres mesures et les
autres conséquences juridiques du fait internationalement illicite
prévus dans le projet de la C.D.I. sur la responsabilité des
Etats ne sont pas des peines, le droit international ne connaissant pas
d'autorité supérieure aux Etats et ne connaissant pas, en ce qui
est du droit international général, d'autorité judiciaire.
Mais, comme le souligne SPINEDI, il faut être conscient qu'en
adoptant une telle notion de peine on exclut de son champ d'application des
mesures comme le talion et les obligations pécuniaires punitives au
profit du sujet lésé qui ont été prévus
comme conséquences du fait illicite par de nombreux ordres juridiques
étatiques du présent et qui souvent y sont dénommés
peines197. Que l'on pense aux « exemplary (ou punitive ou
vindictive) damages » de la Common Law, on nomme ainsi la somme d'argent
que l'auteur du fait illicite est tenu de verser au sujet lésé en
plus de « damages » ordinaires, au cas où il aurait
aggravé son préjudice198. D'après la doctrine,
il y a là une peine privée.
Il ressort de ce qui précède que tant l'emploi
d'une notion restreinte comme celui d'une notion large de la peine sont
légitimes, naturellement à condition d'en préciser les
limites et de l'appliquer avec cohérence. Cela ne veut pas dire que les
deux définitions se valent.
Dans le cadre de cette analyse, il convient d'analyser les
conséquences d'un fait illicite international prévues dans le
Projet de la C.D.I. en essayant de les grouper ou de rapprocher avec une sorte
de ce qu'il convient d'appeler« théorie générale
de la peine » en droit international.
K. MAREK, l'un des auteurs qui ont critiqué avec le
plus de sévérité la notion de crimes internationaux,
souligne que « l'existence d'une responsabilité pénale
est conditionnée par l'existence d'un pouvoir central
»199. Cette même critique a été
reprise maintes fois par la doctrine et par les Etats qui s'opposaient à
la notion des crimes internationaux. Or, on constate que faire des
caractéristiques indiquées par K. MAREK de l'existence de la
responsabilité pénale, c'est non seulement comme on l'a dit,
utiliser une notion de responsabilité qui se fonde exclusivement sur
l'examen des ordres juridiques étatiques modernes (avec les avantages,
mais aussi avec les limites qu'on a dit), c'est aussi
197 F.D. Busnelle, G. Scatti, le pene private,
éd.,Milano, Milano1985, p.37.cité par O. QUIRICCO, op. cit.,
p.122.
198 P.S. James, Général Principes of the law of
Torts, honolan, 1959, p.321, cite par M. SPINEDI, op. cit.,
p.106.
199 MAREK, K., loc. cit, p.463.
[57]
faire une affirmation que si l'on veut être
cohérent, entraîne la conséquence qu'en droit
international, on ne pourrait pas parler de responsabilité, quelle soit
pénale, civile ou autre. Dans les ordres étatiques modernes, en
effet, le monopole étatique de la juridiction et de l'exécution
existe non seulement en matière de responsabilité pénale,
mais aussi en matière de responsabilité civile ou autre sauf dans
des cas limités, où il y a la possibilité de
résoudre par voie d'arbitrage un différend ayant trait à
la responsabilité civile et même dans ce cas si les parties ne
s'accordent pas pour suivre cette voie, la partie qui s'estime
lésée a toujours la possibilité de soumettre le
différend aux organes de la juridiction étatique. La coercition
est elle le monopole de l'Etat, qu'il s'agisse d'amener en prison un individu
(responsabilité pénale) ou de procéder à une
exécution forcée (responsabilité civile)200.
Pour CHARLES LEBEN pour qu'il ait sanction (notion inclusive
pour lui de l'obligation de réparer) il faut qu'il y ait « la
détermination à priori ou à posteriori, par une
autorité habilitée à cet effet et étrangère
aux parties, de la légalité du recours qui y est
opéré »201. Il parvient à la
conclusion que le droit international général ne connait pas de
sanctions, quelles soient pénales, civiles ou autres202. Une
autre doctrine a affirmé en niant la thèse de l'existence d'une
responsabilité pénale en droit international, que le contenu de
toute conséquence du fait internationalement illicite serait en
même temps punitif et compensatoire203.
Les sanctions classiques prévues par le droit
international général reprises et synthétisées par
le projet sur la responsabilité des Etats en cas de fait illicite d'un
Etat, consistant dans l'obligation de cesser la conduite illicite, de fournir
l'assurance de non répétition de l'acte illicite, de
réparer le dommage par le biais de la restitution et de l'indemnisation
ainsi que de fournir satisfaction seraient soit de nature réparatoire ou
satisfactoire selon le cas.
La plupart des auteurs voient dans la satisfaction une forme
de réparation pour le dommage moral, bien que certains soulignent
qu'elle contient un élément pénal204. Pour
d'autres par contre, la satisfaction est plus proche de la peine que de la
réparation205.
200 M. SPINEDI, op.cit., p.107.
201 C. LEBEN, op.cit., p.43.
202 Idem, P.69.
203 DUPUY, P-M « Observations sur la pratique récente
des sanctions de l'illicite », R.G.D.I.P, 1983, p.230.
204 M. SPINEDI, Op. Cit, p110.
205P.A. BISSONNETTE, la satisfaction comme mode de
réparation en droit international, Annemasse, 1925, p.27.
[58]
Or, sur base de la notion de peine ici proposée, rien
n'empêche de qualifier de peine une obligation à la charge de
l'auteur du fait illicite, mais il est exclu que l'on puisse parler de peine en
raison du seul fait qu'on est en présence d'une mesure qui
présente un caractère afflictif pour l'auteur du fait illicite,
car il s'agit d'un caractère qui est également propre aux
sanctions exécutives (réparatoire). Si à travers les
différentes formes de satisfaction (par exemple la présentation
des excuses, la punition des coupables, le versement d'une somme symbolique
d'argent, etc.) on a pour but de remettre l'Etat qui a subi le dommage moral
dans une situation équivalente à celle où il se trouvait
avant le fait illicite, autrement dit si l'on se préoccupe de procurer
à l'Etat lésé un avantage propre à compenser le
dommage moral qu'il a subi, on est en présence d'une sanction
réparatoire. Si, par contre à travers la satisfaction on se
préoccupe exclusivement d'affliger à l'Etat coupable et on se
désintéresse du dommage subi par le sujet lésé, on
pourra parler de peine206. Il faut indiquer que l'une des formes de
satisfaction mentionnées à l'article 45 du projet sur la
responsabilité des Etats de 1996, à savoir les
dommage-intérêts proportionnés à la gravité
de l'atteinte portée aux droits de l'Etat, parait répondre aux
caractéristiques de la peine. Une doctrine rapproche cette forme de
satisfaction aux « punitive dommages », dont la nature de peine
parait indéniable207.
Il faudrait aussi classifier parmi les peines les assurances
et les garanties de non répétition auxquelles est tenu l'Etat
auteur du fait illicite aux termes de l'article 46 du Projet de 1996. Ces
mesures en effet n'ont pas pour but de remettre l'Etat lésé dans
la situation où il se trouvait avant que le fait illicite n'ait
été commis. Il s'agit des mesures afflictives dont le but
principal est la prévention des violations futures.
Le même critère de distinction peut être
appliqué aux contre-mesures qui est la faculté attribuée
au sujet lésé (ou éventuellement à d'autres sujets
en cas de crime étatique) d'adopter un comportement non conforme
à celui requis par une obligation envers l'Etat auteur du fait illicite.
Les contre-mesures pouvant parfois avoir pour effet, de remettre le sujet
lésé dans la situation où il se trouvait avant que le fait
illicite n'ait eu lieu ou dans une situation équivalente. C'est ce qui
se produit par exemple si, en réponse à un fait illicite lui
ayant causé un dommage matériel, l'Etat lésé
procède à la réquisition de biens de l'Etat auteur de
l'illicite ayant une valeur correspondant à la perte qu'il a subie.
Toutefois, nous pensons bien que, fréquemment, au moyen des
contre-mesures, on afflige un mal au sujet auteur du
206 M. SPINEDI, op.cit., p.110. 207Ibidem.
[59]
fait illicite sans pour autant apporter un avantage au sujet
lésé. C'est ce qui se produit par exemple si l'Etat
lésé, en réponse à un fait illicite ou de nature
analogue, interdit aux navires de l'Etat auteur du fait illicite le passage
inoffensif dans ses eaux territoriales. Dans cette hypothèse, ces
mesures devraient être classées d'après la terminologie
qu'on accueille parmi les peines208.
Contre l'inclusion des contre-mesures parmi les peines, de
nombreux auteurs ont fait valoir que le but des contre mesures serait
uniquement celui d'amener l'auteur de la violation à cesser le fait
illicite, au cas où il s'agirait d'un fait illicite continu et / ou
à exécuter les obligations secondaires qui en découlent
à savoir l'obligation de procéder à la restitution en
nature, de payer les dommages-intérêts, etc. La question qui se
pose est celle de savoir s'il ya des cas où un Etat lésé
pourrait appliquer des contre-mesures tout en ayant obtenu la réparation
ou tout en ne demandant pas de réparation. Nous ne pouvons pas prendre
position à ce sujet mais en admettant que le recours aux contre-mesures
ne soit licite qu'en tant que moyen pour amener l'auteur du fait illicite
à cesser son comportement et à respecter les obligations
secondaires qui en découlent. Il n'en resterait pas moins que, selon la
notion accueillie, les contre-mesures seraient à insérer dans la
catégorie des peines, car en soi elles infligent un mal à
l'auteur du fait illicite sans pour autant remettre le sujet lésé
dans la situation préexistante ou dans une situation équivalente.
S'il n'en était pas ainsi, il faudrait dire que la définition
prévue par les ordres juridiques étatiques n'est pas toujours une
peine209. On a connu, en effet, des ordres juridiques
étatiques qui ont rattaché à la violation d'obligation
pécuniaire l'emprisonnement. Ces ordres admettaient que le
débiteur pouvait sortir de prison dès qu'il payait la dette du
créancier. L'emprisonnement était donc dans ce cas aussi un moyen
pour amener le débiteur à payer. Doit-on conclure qu'il ne
s'agissait pas d'une peine ?
Il est clair que toutes les sanctions présentent un
caractère réparatoire et afflictif à la fois. En droit
interne, la sanction pénale a un contenu principalement punitif et en
voie résiduelle, de réparation : elle intéresse toute la
communauté avant l'individu lésé. La sanction civile a un
contenu principalement de réparation et, en voie résiduelle
punitive : elle intéresse le sujet lésé avant la
communauté. Le caractère exécutif de la sanction est en
conformité avec sa forme. L'exécution de la sanction civile se
réalise par l'instance du sujet violé, titulaire de la
prétention à la réparation. L'exécution de la
sanction, aussi bien
208M. SPINEDI, op.cit., p.111. 209 Ibidem.
[60]
lorsqu'elle impose une omission, comme dans le cas de la
privation de la liberté que lorsqu'elle impose une action comme dans les
cas des peines pécuniaires.
L'exécution reflète donc, la structure formelle
de la sanction. On a, en effet, cette bipartition 1) Sanction civile
intéressant le sujet actif individuel et le sujet passif individuel
impliquant une exécution inter individuelle ; 2) Sanction pénale
qui intéresse le sujet actif individuel et le sujet passif individuel
impliquant une exécution collective. Dans la sanction des infractions
étatiques, on peut déceler quelques aspects typiques de la peine
et concernant le jugement et l'action exécutive on y trouvera quelques
traits propres à la procédure pénale.
La sanction des infractions majeures jouit d'une certaine
autonomie systématique par rapport à la sanction des violations
ordinaires. Cette autonomie se manifeste au sein du Projet de la C.D.I sur la
responsabilité des Etats de 1996, dans la gravité
supérieure de répression de crime (article 52 tandis que le
projet de 2001 prévoit un régime de sanction uniforme pour les
infractions majeures et ordinaires en cas de crime de l'Etat210. La
forme de la sanction de ces infractions majeures est celle de l'obligation erga
omnes absolue indivisible, car elle s'installe entre l'Etat responsable et tous
les autres Etats de la communauté internationale. En clair le
régime des sanctions et des contre-mesures des violations majeures
étatiques du projet sur la responsabilité des Etats,
synthèse des principes généraux du droit international, ne
présente certainement pas toutes les caractéristiques des
juridictions pénales modernes, puisqu'ils s'adaptent à la
structure du droit international, essentiellement horizontale211.
Cependant, la mise en place d'un régime différent renvoie
à l'idée de la création de plusieurs degrés de la
responsabilité : il existe donc une ouverture significative à la
réalisation de iure condendo, d'un régime de la
responsabilité pénale, mais on n'est qu'à la
définition des rudiments d'un possible droit pénal inter
étatique212. Par contre, actuellement, la possibilité
de la réaction collective, surtout au niveau relatif, contre les
infractions majeures, voire criminelles, des Etats, par le biais de la notion
de jus cogens, n'étant centralisé, engendrerait le risque d'une
dérive anarchique dans la communauté internationale.
Finalement, concernant la responsabilité majeure
étatique, ainsi que la procédure du jugement et la sanction, le
projet sur la responsabilité des Etats croise la Charte
210 AGO, R., «delit international», loc.cit.,
P.475.
211 Ibidem.
212 J.PRADEL, Procédure pénale,
10ème éd. Paris, Cujas, 2000, p.1207
[61]
des N-U et son système axé sur le C.d.s. en
raison de la position privilégiée de ce texte au sein des sources
relatives selon une correcte interprétation de la Charte les Etats
membres des N-U ne peuvent réagir aux infractions majeures qu'en passant
par le C.d.s.
SECTION II. ARGUMENT SUBJECTIF DE LA RESPONSABILTE PENALE
DE L'ETAT : L'Etat comme centre d'imputation pénale
La condition objective n'achève pas, à elle
seule, l'analyse du crime étatique. Un système pénal pour
qu'il s'estime complet doit pouvoir non seulement régler les
éléments matériels et procéduraux de la violation
et de la sanction mais aussi et surtout les composantes
subjectives213. Et cette gymnastique vaut pour tout système
normatif de la responsabilité qu'il soit d'ordre civil, plutôt
qu'administratif ou autre. Pour QUIRICO, on peut dire que l'étude de
la conduite, même de la nature licite, implique nécessairement une
composante subjective car toute action ou omission doit être
attribuée à un sujet déterminé214.
Dans le cadre des normes secondaires concernant la responsabilité,
l'élément subjectif à la fonction de déterminer les
conditions de l'imputation du comportement à l'individu en tant que le
sujet imputable. En droit pénal classique, l'imputation se base sur les
éléments mentaux ou la capacité de comprendre ou de
vouloir de l'individu en tant sujet imputable.
La question qui continue à se poser est celle des
principes d'imputation à appliquer aux personnes morales. Le
débat a toujours été de savoir si elles doivent être
retenues coupables au même titre que les individus ou bien si son
imputation devra maintenant s'analyser à l'aune de nouveaux
repères, notamment celui de la responsabilité
objective215.
Pour ce qui est de l'infraction internationale
étatique, l'élément subjectif constitue une partie
essentielle, il offre la possibilité de faire des considérations
déterminantes sur la possibilité et la façon de concevoir
la responsabilité internationale pénale. Il faut souligner que
cette analyse de l'imputation criminelle étatique se veut globalisante
de tous les faits illicites internationaux, parce qu'en droit international
général le mécanisme de l'imputation est valable pour
toute sorte de conduite étatique, licite ou illicite216.
213 O. QUIRICO, Op.cit, p.215.
214 Idem, P.216.
215 J. PRADEL, Traité de droit pénal et de
science criminelle comparée, 12ème, Paris, Cujas,
1999, P.503.
216 AGO, R., « Le délit international »,
loc.cit., p.16.
[62]
Nous nous référons spécifiquement
à l'imputation pénale, lorsque cela s'avère
nécessaire. Nous prenons en considération seulement les principes
fondamentaux de l'imputation qui concernent les problèmes majeurs de
notre analyse. Nous étudions les mécanismes d'imputation de la
conduite au sujet imputable qu'est l'Etat (§1) ; ensuite nous analysons la
question de culpabilité avec les problèmes de la mens rea
applicable à des responsabilités majeures étatiques
(§2).
§1. Les mécanismes d'imputation de la
conduite infractionnelle à l'Etat : le principe de l'individu
organe
Le point de départ de tout discours sur l'imputation
internationale est le constat
qu'on est en face d'un sujet de droit international dans le
cas d'espèce, l'Etat doit pouvoir être considéré
comme sujet actif de droit international. Avant d'envisager les
mécanismes d'imputation de la conduite criminelle.
§1.1. La reconnaissance de l'Etat comme sujet de
droit international, condition indispensable de l'imputation
Comme nous l'avons dit, le point de départ de tout
raisonnement sur
l'imputation internationale doit être fait du constat
qu'on est en face d'un sujet de droit international, dans le cas
d'espèce, l'Etat doit pouvoir être considéré comme
sujet actif de la conduite illicite et par conséquent sujet passif de la
sanction qui en découle217. La conception de l'Etat comme
sujet coupable, à être destinataire de l'attribution de la
conduite illicite internationale, est la prémisse indispensable de
l'imputation, aussi bien pour délit que pour crime. Le Projet de la
C.D.I sur la responsabilité des Etats se fonde sur ce postulat. Seul un
sujet ayant la personnalité juridique internationale peut avoir des
obligations découlant directement de l'ordre juridique international
c'est-à-dire peut commettre un crime ou un délit. Etant
donné qu'une infraction consiste sous le profil objectif, dans la
violation d'une obligation internationale et que l'Etat est sujet de droit
international, titulaire des droits et d'obligation, il pourra léser les
devoirs dont il est titulaire en envers d'autres sujets de la communauté
internationale218.
Le fait que l'Etat soit une construction abstraite,
c'est-à-dire une personne morale en tant qu'ensemble de sujets
organisés dans un espace déterminé, ne s'oppose pas
à l'imputation de la conduite criminelle, étant donné que
la nature du sujet ne l'empêche pas d'être titulaire des droits et
des devoirs auxquels il peut se conformer ou qu'il peut
217 O .QUIRICO, op.cit., p.216.
218 R. AGO, « le délit international »,
loc.cit., p186.
[63]
violer219.Toutefois, selon H. KELSEN, « si
on attribue la conduite illicite à l'Etat, personne juridique, en tant
qu'unité, on tomberait dans la contradiction selon laquelle l'Etat
serait responsable et juge à la fois de ses actes
»220. Cette façon de voir les choses est à
défaut d'être fausse, dangereuse. Parce qu'on peut trouver en
droit interne, que l'acte illicite commis par les organes phares d'un Etat soit
jugé par les organes judiciaires de ce même Etat, comme dans le
cas, par exemple, des infractions administratives. De surcroit la conduite
illicite internationale de l'Etat n'est pas une question interne, mais elle
constitue un problème qui touche aux relations externes de l'Etat
même. Par conséquent, l'infraction commise par l'Etat ne sera pas
jugée par ses juridictions, mais par les organes d'un autre ordre
juridique dont fait partie l'Etat, c'est-à-dire la communauté
internationale. Comme le reconnait, en effet, KELSEN même, « le
fait d'un ordre juridique partiel, peut être imputé comme acte
illicite à l'unité de cet ordre partiel par un ordre juridique
total, d'où il s'en suit, nécessairement, que l'ordre
étatique étant partiel par rapport à l'ordre
international, peut être considéré comme titulaire d'une
conduite illicite dans ce dernier et jugé selon les règles de
celui-ci »221.
§1.2. Le mécanisme d'imputation de la
conduite criminelle de l'Etat
L'imputation est un ensemble de règles sur base
desquelles on rattache une conduite à un sujet donné d'un certain
ordre juridique. Pour la personne physique, on emploie
généralement le principe de la faculté de comprendre et de
vouloir. Par contre pour les personnes morales, notamment l'Etat entité
abstraite, encore faut-il établir quelles sont les règles qui
permettent d'attribuer la conduite illicite à l'Etat. En un mot, on doit
arriver à résoudre la question de savoir comment on rattache le
fait illicite à la personne étatique.
Le projet de la C.D.I sur la responsabilité des Etats,
dans la version finale règle la question de l'imputation aux articles
4-11 alors que celui de 1996 la réglait aux articles 5-15. Toutefois, il
sied de signaler que les principes fondamentaux sont bel et bien les
mêmes222. Théoriquement, le comportement de tous les
êtres humains, des sociétés commerciales ou
collectivités liées à l'Etat par la nationalité ;
le lieu de résidence habituelle ou le lieu de constitution peut
être attribué à l'Etat qu'ils soient ou non liés aux
pouvoirs publics. En droit international, ce principe est écarté,
à la fois pour limiter la responsabilité à un comportement
qui engage l'Etat en tant qu'organisation et pour tenir compte de l'autonomie
des personnes
219 H. KELSEN, Allegeemeine Staatslchre, Berlin,
Springer, 1924, p.62.
220 Ibidem.
221 Idem, P.142.
222 G.A.CHRISTENSION, »Attribution Issues in State
Responsibility», in Proc. A.S.I.L., 1990, p.53.
[64]
qui agissent pour leur propre compte et non à
l'instigation d'une entité publique223. La règle
générale est donc que le seul comportement attribué
à l'Etat sur le plan international est celui de ses organes de
gouvernements ou d'autres entités qui ont agi sous la direction, a
l'instigation ou sous le contrôle de ces organes, c'est-à-dire en
qualité d'agents de l'Etat. Par voie de conséquence, le
comportement des personnes privées n'est pas en tant que tel imputable
à l'Etat. Cette règle a été établie par
exemple dans l'affaire Tellini de 1923. Le conseil de sécurité
des Nations Unies a soumis à un comité spécial des
juristes, certaines questions soulevées par un incident opposant
l'Italie à la Grèce. Au cours de ces travaux, le président
et plusieurs membres d'une commission internationale chargée de
déterminer la frontière gréco-albanaise furent
associés en territoire grec. En réponse à la question V,
le comité déclare que : « la responsabilité d'un
Etat, pour crime politique commis sur une personne des étrangers sur son
territoire, ne se trouve engagée que si cet Etat a négligé
de prendre toutes les dispositions appropriées en vue de prévenir
le crime et en vue de la poursuite, de l'arrestation et du jugement du criminel
»224.
L'imputation d'un comportement à l'Etat en tant que
sujet du droit international repose sur des critères
déterminés par ce droit et non sur la simple reconnaissance d'un
lien de causalité factuel. En tant qu'opération normative,
l'imputation doit être clairement distinguée de la qualification
d'un comportement comme internationalement illicite. Elle a pour objet
d'établir l'existence d'un fait de l'Etat aux fins de la
responsabilité. Montrer qu'un comportement est imputable à l'Etat
ne permet pas en soi de déterminer s'il est licite ou illicite, et les
règles d'imputation ne doivent pas être formulées en des
termes qui laisseraient entendre le contraire225.
Mais les différentes règles d'imputation
(attribution) énoncées dans le chapitre II ont un effet
cumulatif, de cette manière qu'un Etat peut être responsable des
effets de comportement d'entités privées s'il n'a pas pris les
mesures nécessaires pour prévenir ces effets. Par exemple, un
Etat accréditaire n'est pas responsable à cette qualité,
des faits des particuliers qui s'emparent d'une ambassade, mais il sera
responsable s'il n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour
protéger l'ambassade ou pour en reprendre le
contrôle226. A cet
223 J CRAWFORD, op.cit., P.375.
224 SDN, Journal officiel, quatrième année,
N°11 (novembre 1923), p.1349, cité par J. CRAWFORD, op. cit.
, P.366.
225 SDN, Journal officiel, cinquième année,
N°4 (novembre 1924), p.1349, cité par J. CRAWFORD, op. cit.
, P.366.
226C.I.J., Aff. Des personnels diplomatiques et
consulaires des Etats Unis à Téhéran ( Etas- Unies
d'Amérique c. Téhéran), Recueil, 1980, p.3.
[65]
égard, il y a souvent, constate, monsieur CRAWFORD,
un lien étroit entre le fondement de l'imputation et l'obligation dont
la violation est alléguée même si ces deux
éléments sont distincts du point de vue de
l'analyse227.
Par ailleurs la question de l'imputation d'un fait illicite
à l'Etat aux fins de la responsabilité est à distinguer
d'autres processus du droit international par lesquels certains organes sont
autorisés à contracter des engagements au nom de l'Etat. Ainsi,
le chef de l'Etat ou de gouvernement ou le ministre des affaires
étrangères sont réputés être habilités
pour représenter l'Etat sans avoir besoin de produire de pleins
pouvoirs228. De telles règles n'ont rien avoir avec
l'imputation aux fins de la responsabilité. En principe, la
responsabilité de l'Etat est engagée par tout comportement
incompatible avec ses obligations internationales, quel que soit le niveau de
l'administration ou du gouvernement auquel ce comportement intervient et ce
point a été souligné, s'agissant des Etats
fédéraux229. Par ailleurs, ce principe ne vaut pas que
pour les seuls Etats fédéraux, il vaudrait aussi pour les autres
entités infra étatiques.
Le droit interne et la pratique de chaque Etat joue un
rôle décisif dans la détermination de ce qui constitue un
organe de l'Etat. La structure de l'Etat et les fonctions de ces organes ne
sont pas, en règle générale, régis par le droit
international. Il appartient à chaque Etat de décider de la
structure de son appareil administratif et des fonctions qui doivent être
assumées par le pouvoir public. Mais s'il est vrai que l'Etat demeure
libre de déterminer sa construction et ses fonctions internes selon ses
lois et sa pratique, le droit international joue un rôle distinct. Par
exemple le comportement de certaines institutions assumant les fonctions
publiques et exerçant des prérogatives de puissance publique
(comme la police) est attribuée à l'Etat même si, en droit
interne elles sont imputées être autonomes et indépendantes
du pouvoir exécutif230. De même, en droit
international, le comportement d'organe de l'Etat qui outrepassent leur
compétence peut être imputé à l'Etat, quelle que
puisse être la position du droit interne à cet
égard231.
En somme, le chapitre II du projet final de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats de 2001 comprend huit articles qui
énoncent les règles relatives à l'imputation d'un
227 J. CRAWFORD, op.cit., p366.
228 Art.7, 8, 46 et 47 de la convention de Vienne sur les droits
de traités, N-U, Recueil des traités, vol. 1155. p.31.
229C.I.J., Aff. Le Grand (Allemagne. C. Etats Unis
d'Amérique), mesures conservatoires, Recueil 1999, P.16 par 28.
230 J. CRAWFORD, op.cit., p.366.
231 Ibidem .
[66]
fait illicite à l'Etat en droit international.
L'article 4 énonce la règle fondamentale du comportement de ses
organes. L'article 5 traite du comportement d'entité, habilité
à exercer des prérogatives de puissance publique de l'Etat, et
l'article 6 du cas particulier dans lequel un organe d'un Etat est mise
à la disposition d'un autre Etat et est habilité à exercer
des prérogatives des puissances publiques et imputer à l'Etat
même si l'organe ou la personne concernée a agi ultra petita ou
contrairement à ses instructions. Les articles 7et 8 envisagent d'autres
situations dans lesquelles un comportement qui n'est pas celui d'un organe de
l'Etat ou sous la direction ou le contrôle d'un tel organe. L'article 9
vise un comportement impliquant l'exercice des prérogatives des
puissances publiques en absence des autorités officielles. L'article 10
a trait à un cas particulier à savoir la responsabilité,
dans certaines circonstances, en raison du comportement d'un mouvement
insurrectionnel. L'article 11 traite du comportement qui n'est pas imputable
à l'Etat en vertu d'un des articles qui précèdent mais que
l'Etat fait néanmoins, sien expressément ou par sa conduite.
Ces règles sont cumulatives mais elles sont
également limitatives232. A l'absence d'une garantie
spécifique qui relèverait de la lex
spécialis233un Etat n'est pas responsable du comportement des
personnes ou d'entité dans des circonstances qui ne sont pas couvertes
par le présent paragraphe. Comme l'a confirmé le tribunal de
réclamation Etats-Unis-Iran, « pour attribuer un fait à
l'Etat, il est nécessaire d'identifier avec une certitude raisonnable
les auteurs et leurs actions »234.
§2. La nécessité d'un degré de
culpabilité dans l'imputation du crime à l'Etat
Une des questions vivement débattues en droit
international est celle de savoir si l'imputation ou la conduite à
l'Etat est subordonnée à l'existence d'un minimum degré de
culpabilité. Pour répondre à cette question, on devait
s'entendre sur le concept de culpabilité et son évolution sur la
responsabilité des Etats. Et ensuite, essayer de démontrer les
limites de la théorie de l'imputation l'objective en démontrant
la place qu'occupe la mens rea, c'est-à-dire la culpabilité dans
la théorie de l'imputation du crime à l'Etat.
§2.1. Notion et évolution de la doctrine
sur la question de la culpabilité de l'Etat
On entend en général par culpabilité,
l'attitude psychologique du sujet auteur d'une infraction même,
constitué par la lésion d'un droit d'autrui235. Selon
R.AGO, qui emploie le mot « faute » pour désigner ce que nous
appelons « culpabilité » et le mot « faute
232 J. CRAWFORD, op.cit., p.376.
233 Ibidem .
234Ibidem.
235 AGO, R., » le delit international»,
loc.cit., p.537.
[67]
stricto sensu » pour désigner ce qui, dans notre
texte , est la « faute » l'auteur précise aussi que «
le moment logique où la culpabilité apparait est celui de
commission de l'acte illicite, non pas celui de l'attribution des sanctions qui
constituent un élément ultérieur conséquent
à la culpabilité »236.
La culpabilité peut se réaliser dans la forme du
dol ou de la faute. Il y aura dol en cas de conscience et volonté de la
violation, il y aura faute en cas d'absence de volonté et,
éventuellement, de conscience, par négligence237.En ce
qui concerne la responsabilité, il s'agit de savoir si l'imputation est
subordonnée à l'existence du dol ou, au moins, de la faute, au
cas où l'auteur de l'imputation serait l'Etat, personne morale,
susceptible d'imputation. Le problème consiste précisément
à comprendre si, entre le sujet actif, l'Etat, et
l'élément objectif de l'infraction, il peut exister une relation
psychologique dolosive ou fautive comme condition nécessaire pour
l'imputation du fait illicite donc pour la réalisation complète
de l'infraction internationale étatique. D'emblée une
réponse positive n'est pas envisageable, donc un bref aperçu
historique concernant la doctrine sur la question peut nous donner les
premières indications.
Selon l'approche traditionnelle esquissée par ALBERIC
GENTILI fixée par GROTIUS et approuvée par des auteurs tels que
ZOUCHE, PUFENDORF, WOLF, COCCINS, BURLAMAGUI et VATEL, la responsabilité
internationale supposerait nécessairement la faute, comme le veulent les
principes du droit romain dont le droit international s'inspire
largement238. Ainsi l'Etat, identique avec ses organes
suprêmes, ne pourrait être considéré responsable pour
les infractions de ces subordonnées qu'en cas de complicité pour
patientia ou receptus, en raison de l'approbation, explicite ou l'implicite, de
la conduite illicite, cette conception s'est affirmée, notamment au
cours du 19ème siècle dans les pays de tradition
romaniste, comme l'Italie, la France,
etc. et les pays hispano-américains
et surtout, dans les pays anglo- saxons. Bon membres d'auteurs, tels que CALVO
et BONFILS, l'ont partagé tout en développant des aspects
spécifiques. En particulier, selon l'approche de PILIMORE et HALL, la
culpabilité de l'Etat serait toujours présumée, sauf en
cas de preuve contraire239.
236 AGO, R., « le delit international»,
loc.cit., P.538.
237 O. QUIRICO, op.cit., p232.
238 Idem, P.233.
239 Ibidem.
[68]
Le premier auteur à se détacher de la conception
traditionnelle est TRIEPEL, qui distingue deux types de responsabilités
internationales. La responsabilité fautive de l'Etat engendrerait
l'obligation de repérer les dommages, alors qu'en vertu de la
responsabilité objective il serait tenu à la satisfaction de
l'Etat étranger offensé par l'action individuelle. Quoi que la
séparation de deux types de responsabilité en raison de la
culpabilité ne soit pas soutenue de façon convaincante, il faut
signaler cette conception, car elle affirme l'existence d'une forme de
responsabilité objective de l'Etat pour les actes des personnes
physiques240. Au début du 20ème
siècle, la théorie de l'imputation objective s'impose, notamment
par la pensée d'ANZILOTTI. Selon cette conception, la
responsabilité de l'Etat subsisterait à l'absence du dol et de la
faute. En effet, les attitudes de la volonté ne serait que des faits
psychologiques, propres seulement à des personnes physiques, non pas des
personnes morales. D'ailleurs, au cas où l'acte individuel serait
illicite sur le plan international, mais licite sur le plan interne, il n'y
aurait ni dol ni faute, même de la part de la personne physique, donc la
responsabilité sera de type objectif241. Bon nombre
d'illustres auteurs suivent l'interprétation objective, c'est le cas de
ROMANO, CAVAGLEERIE, DESCENDRIERE-FERRANDRIERE, il faudrait abandonner la
relation psychologique entre l'Etat et l'infraction tant au niveau de
l'imputation centrale, qui regarde l'infraction interne qu'au niveau de
l'imputation périphérique, qui regarde l'imputation
étatique internationale242. Il faut signaler qu'une grande
majorité de la doctrine reste toutefois favorable à l'idée
traditionnelle de la faute comme principe essentiel de l'imputation
internationale. Ainsi, des auteurs tels que OPPENHEIM, F. VON LISZT, FAUCHILLE,
HERSHEY, HEILBORN, HATSCHEK, etc. demeurent fidèles aux arguments de la
culpabilité243. Il est cependant possible de trouver une
approche qui fasse la synthèse de ces deux approches extrêmes.
D'après BENJAMIN et BEXHAUM, le principe de la faute vaudrait pour la
responsabilité des Etats en raison des conduites de ses organes, non
pour les cas des actes des particuliers244. JESSE lui propose
à nouveau la distinction de TRIEPEL. Selon laquelle l'infraction
internationale engendrerait une double responsabilité : une
responsabilité fautive concernant la réparation et une
responsabilité objective concernant la satisfaction245.
240 O. QUIRICCO, op.cit., p.234.
241 D.ANZILOTTI, op.cit., p.505.
242 O. QUIRICO, op.cit., p.223.
243 Ibidem.
244 Ibidem.
245 Ibidem.
[69]
§2.2. Les limites de la théorie de
l'imputation objective et la nécessité d'une mens rea subjective
pour l'imputation du crime à l'Etat
La théorie de l'imputation objective ne tolère
aucune dose d'attitude psychologique de l'Etat criminel dans l'accomplissement
de l'acte illicite. Dans cette perspective, seules les personnes physiques
peuvent engager leur responsabilité du point de vue pénale
même lorsqu'ils agissent en fonction de l'Etat, en raison du principe par
lequel la responsabilité pénale ne peut exister qu'à titre
de dol ou de faute246.
Les grands tenants de la théorie de l'imputation
objective sont sans doute ANZILOTTI et KELSEN. Et ils se fondent sur plusieurs
données qu'il faut prendre en considération de façon
critique pour pouvoir se faire une idée sur l'exhaustivité ou non
du critère objectif dans la théorie de l'imputation surtout en ce
qui concerne le crime international de l'Etat.
Un premier constat concerne la forme de l'infraction sur le
plan interne que sur le plan international. Il faut, en effet,
considérer deux hypothèses différentes d'infractions
internationales, celle de l'acte conforme au droit interne mais non conforme au
droit international et celle non conforme au droit interne et au droit
international247. Dans l'hypothèse de la conduite conforme au
droit interne c'est-à-dire dans le cas du fonctionnaire agissant en
conformité avec sa propre fonction, il n'existerait même pas de
dol ou de faute de la personne psychique agissant en tant qu'organe, ce qui
exclurait la possibilité de culpabilité de l'Etat. Dans
l'hypothèse de la conduite non conforme au droit interne,
c'es-à-dire dans le cas du fonctionnaire qui agit contre ses propres
droits, il n'y aurait aucune culpabilité de l'Etat, qui manifesterait la
volonté contraire à celle, coupable, de l'auteur de la
violation248.
A première vue ces thèses semblent être
intouchables. Toutefois, elles se fondent sur la prémisse,
erronée, selon laquelle le rattachement d'une conduite illicite à
l'Etat dépend uniquement de l'ordre juridique interne : il n'existerait
pas de responsabilité étatique sauf quand l'Etat lui-même
le prévoit expressément249. En revanche, il faut
considérer que sur le plan international, la responsabilité de
l'Etat dépend uniquement des règles de l'ordre juridique
international. Si le droit international rappelle les règles de l'ordre
interne des Etats pour déterminer quels sujets agissent en son nom, il
demeure totalement libre d'établir quelles actions sont illicites et
à quel titre elles doivent être attribuées au sujet actif.
Autrement dit, le
246 O. QUIRICCO, op.cit., p.233.
247 Ibidem.
248 ANZILOTTI, op.cit., p.145.
249 O. QUIRICO, op.cit., p.234.
[70]
droit interne est subordonné au droit international
dans la définition de l'infraction internationale, du moins quand on est
dans la vision moniste, prévoyant la supériorité de
l'ordre international que nous partageons250. Ainsi l'ordre
juridique international pourra considérer illicite la conduite d'un
fonctionnaire aux devoirs internes251. En outre, sur le plan de la
culpabilité on ne peut pas séparer la personne du fonctionnaire
de celle de l'Etat et considérer le premier soumis exclusivement au
droit interne et le deuxième au droit international, car l'action de
l'organe est l'action de l'Etat même252.
Du coup, l'ordre juridique international peut
considérer l'action illicite dolosive au fautive, tant en ce qui
concerne le fonctionnaire qu'en ce qui concerne l'Etat, quoi qu'elle ne soit
pas illicite selon la sphère juridique interne253. Dans
l'hypothèse de la conduite d'un fonctionnaire contraire aux devoirs
internes, d'imputer la conduite de l'organe à l'Etat à titre de
dol ou de la faute sans se soucier de la qualification interne de
l'acte254. Du point de vue de la forme de l'infraction
internationale, c'est donc normale de considérer la culpabilité
comme une conduite nécessaire de la responsabilité de l'Etat.
Les tenants de la théorie de l'imputation objective
insistaient aussi sur l'imputation de la capacité de comprendre et de
vouloir comme étant une faculté exclusive de la personne
physique. Seule une personne physique peut être capable d'adopter une
attitude psychologique consciente ou négligente envers les actes
illicites alors que l'Etat, construction juridique abstraite dépourvue
de volonté, ne pourrait pas avoir conscience de ses
actions255. Notamment l'individu serait capable de se
représenter et de vouloir les éléments qui composent le
fait criminel et qu'il pourrait être, par conséquent responsable
de ses actes, éventuellement du point de vue pénal, non pas
l'Etat256.
D'un point de vue strictement moral il serait possible
d'attribuer une moralité à l'Etat et de le concevoir comme une
unité capable de répréhension, par conséquent une
responsabilité pénale de l'Etat ne pourrait
exister257.
250 AGO, R., « Le délit international », loc.
cit.., pp.755.
251 Ibidem.
252 O. QUIRICO, op.cit., p.235.
253 Idem, p.236.
254 O. QUIRICCO, op.cit., P.235.
255 Ibidem.
256 D.ANZILOTTI, op.cit., p.146.
257 C. GINOS, Contribution à l'étude de
rapport du droit pénal et de la morale, Thèse sous la
direction G-R de Bombe Toulouse, 1991, p.130.
[71]
De plus, la responsabilisation pénale de tous les
individus d'un Etat impliquerait l'imputation d'une conduite illégitime
à des individus qui n'ont pas participé à l'action
criminelle et qui n'ont aucune relation physique avec l'infraction, donc la
criminalisation aux sujets irresponsables sans aucun avantage en contre partie.
Apparemment, la création de la catégorie de crime conduirait
à sanctionner l'innocent avec le coupable : c'est le problème de
la responsabilisation de la collectivité irresponsable, en tant que
telle, avec l'individu responsable258. De surcroît on remarque
que les crimes internationaux doivent être classifiés parmi les
violations les plus graves du droit pénal, pour l'accomplissement des
quelles conditions l'attitude dolosive serait nécessaire : l'Etat,
incapable même d'une attitude fautive envers l'infraction de ses agents,
ne pourrait jamais commettre des crimes259.
Suivant cette interprétation pour faire face au
problème de l'élément psychique qui se pose du
côté subjectif de l'infraction criminelle étatique, le
mécanisme de l'imputation objective constituerait une solution
obligée : l'attribution à la collectivité entière
à la conduite de ses « mandataires » impliquerait forcement,
une responsabilité inconsciente.
Selon une variante de la théorie de l'imputation
objective, on devrait concevoir une responsabilité consciente de la part
de l'organe agissant, la responsabilité au même titre de la part
de l'ensemble des institutions étatiques et, puis, une rupture dans le
mécanisme de l'imputation, car l'Etat entendu comme
société serait responsable selon le principe neutre de
responsabilité objective260.
Ces observations bien que combien pertinentes, n'en demeurent
pas moins
surmontables.
Il faut dire deux choses : la première ce n'est qu'un
rappel, ce que l'Etat, en tant que collectivité s'identifie avec ses
organes ; deuxièmement, l'Etat n'agit qu'à travers ces organes et
que lorsqu'un organe agit c'est comme si c'est l'Etat lui-même qui
agissait. En effet, le principe de l'imputation organique n'implique pas
seulement que l'action de l'organe soit attribuée à l'Etat
entendu comme organisation dans son ensemble, c'est-à-dire comme
ensemble d'institutions, mais il implique aussi, de façon automatique et
immédiate, l'imputation de la conduite à la collectivité
des sujets, citoyens, qui composent l'Etat en tant que
société261. Il ne s'agit pas, donc de l'application du
critère de la responsabilité objective,
258 G. GINOS, op.cit., p.131.
259 Idem, p.132.
260 O. QUIRICO, op.cit., p.236.
261 Idem, P.377.
[72]
car la culpabilité subsiste dans l'ensemble social,
alors que la responsabilité objective se réalise lorsque
l'imputation se produit en absence d'une relation psychique entre l'auteur de
l'acte illicite et l'infraction262. En considérant l'action
de l'individu qui agit au nom de l'Etat comme l'expression de la
moralité collective on peut responsabiliser l'Etat du point de vue
moral263.
A l'appui de cette thèse, une certaine doctrine utilise
la théorie de la « psychologie collective », concept
qui serait applicable plus aisément aux Etats qu'aux autres personnes
morales, en raison du concept de « Nation » qu'il sous
entend264. On devra aussi tenir compte du fait qu'un organe
étatique, dans l'exercice de ses fonctions, agit toujours au nom de
toute la collectivité, en vertu de la théorie du mandat, et
jamais exclusivement en termes individuels. A juste titre la doctrine affirme
que la démocratisation des décisions étatiques impose un
changement dans la conception traditionnelle de la responsabilité
pénale afin de responsabiliser l'Etat, du moment que les organes
étatiques agissent sur le plan international pour la collectivité
dans son ensemble265Toutefois, une autre doctrine estime que, si
cette logique s'applique aisément aux actions accomplies par l'individu
dans le respect de ses fonctions, plus problématiques demeure son
exploitation dans le cas des actes individuels accomplis contra legem, car,
dans cette situation, l'Etat peut être considéré comme
responsable seulement pour l'absence de prévention et de
contrôle266.
Le fait de laisser impunis les agissements criminels
étatiques favoriserait l'impunité pour le crime collectif alors
que le fait que l'Etat dans son ensemble soit responsabilisé peut avoir
un effet préventif remarquable en favorisant le développement
d'une opposition aux criminels qui se trouvent à la tête de
l'Etat. La doctrine relève aussi que dans le crime de l'Etat, à
côté de l'élément actif, constitué par ceux
qui exécutent matériellement, l'acte illicite, il existe un
élément passif constitué par l'acquiescement collectif,
car l'exécutant agit souvent dans la permission de ne pas s'exposer
à la responsabilité interne. En frappant les personnes physiques
qui ont perpétré directement le crime on atteindrait
l'élément actif de criminalité tandis qu'en sanctionnant
les Etats on atteindrait l'élément passif de la
population267.
262 O. QUIRICCO, op.cit., p.237. 263Idem,
p.238.
264 Ibidem.
265 V. PELLA, op.cit., p. 397
266 O. QUIRICO, op.cit, p.397.
267 V. PELLA, op.cit., p. 237.
[73]
Sous un autre angle, il convient de focaliser l'attention sur
les avantages qui découlent de la responsabilité pénale de
l'Etat. Actuellement il n'y a pas de responsabilisation collective criminelle
explicite. Cependant, les conséquences d'une violation grave des
intérêts fondamentaux de la communauté internationale sont
ressenties par la communauté dans son ensemble, à laquelle
appartient l'individu ou les individus agissant en violation du droit
international. En cas de violation des droits fondamentaux de la paix, les
mesures de la réaction à la violation n'impliquant pas l'emploi
de la force armée (par exemple l'embargo) ou impliquant l'emploi de la
force armée, touchent la population dans son ensemble avant que les
individus directement responsables268.
On remarquera que la responsabilité de la
collectivité avec l'individu-organe n'est pas une conséquence
spécifique de la responsabilité criminelle étatique mais
plus généralement un caractère de la responsabilité
de l'Etat en soi car le problème se pose aussi en cas de
responsabilité étatique mineure269.
Les normes internes des Etats responsabilisent souvent des
collectivités locales, du point de vue civil, pour les actions
individuelles. Tous les Etats du monde, même ceux qui, comme l'Allemagne,
l'Italie, La Suisse, l'Espagne, la Russie excluent la responsabilité
pénale des personnes morales en partant du principe que la seule
personne physique est capable d'agir avec conscience et volonté,
retiennent le principe de la responsabilité civile des personnes morales
et lui rattachent les conséquences similaires ou équivalentes
à celles que suivent la responsabilisation pénale, comme le
payement d'une amande ou la dissolution270. L'argument selon lequel
la responsabilisation s'arrêterait au seuil de l'action criminelle n'a
aucune justification271. Le principe de l'imputation organique de
l'action tel qu'il est appliqué dans le domaine du droit interne et
transposé sur le plan international, ne s'arrête pas au seuil de
criminalisation272.
En suivant la perspective individualiste jusqu'au bout, avec
cohérence, il faudrait nier complètement toute forme de
responsabilité étatique, qu'elle soit mineure ou majeure, puis
que toute action illégitime, pas seulement celle pénale, demande,
pour l'imputation, la possession des facultés mentales du sujet
actif273. En revanche dans le
268 O. QUIRICO, op.cit., p.238.
269 Ibidem.
270 J. PRADEL, op.cit, p.325
271 Ibidem .
272 Ibidem .
273 Ibidem.
[74]
système de droit international on constate l'existence
de la responsabilité étatique comme principe essentiel de l'ordre
juridique. Ainsi, le principe même de la personnalité juridique de
l'Etat amène à affirmer sa responsabilité, tant sur le
plan civil que sur le plan pénal274. D'après PRADEL,
« La responsabilité de la personne morale ne serait que le
reflet de celle de l'individu, de sorte qu'il faut que dans le motif de
condamnation de la personne morale, le tribunal répressif constate la
culpabilité de l'organe...c'est le principe. Sa réciproque est
que si l'organe ou le représentant ne peut pas être
déclaré coupable, la personne morale ne peut pas l' être
non plus en faveur de la responsabilité fautive des administrations
politiques »275.
En soutenant cette conception, on entend pas nier l'existence
du mécanisme de la responsabilité objective en droit
international. On affirme tout court que l'attribution de l'infraction à
la collectivité sociale admet au même titre qu'à la
collectivité institutionnelle et à l'organe agissant en son nom.
Ainsi, lorsque l'organe sera responsable à titre de dol, pour avoir
commis le fait avec conscience et volonté, l'Etat comme ensemble et
l'Etat comme société seront responsables à terme de
dol276. Lorsque l'organe sera responsable à titre de faute en
ayant agi avec ou sans conscience et quand même sans volonté, mais
de façon imprudente, car il aurait pu se représenter les
conséquences illicites de son action, l'Etat comme institution apparait
dans son ensemble et l'Etat comme société seront responsables
à titre de faute277. Lorsque l'organe sera responsable
à titre de responsabilité objective ayant agi en l'absence de
conscience et volonté et sans imprudence, car il n'aurait pas pu se
représenter les conséquences illicites de son action, l'Etat
comme ensemble d'institutions et l'Etat comme société seront
responsables à titre de responsabilité
objective278.
Pour AGO, « s'il est vrai comme nous l'avons conclu,
que l'action et la volonté et l'action de l'Etat ne peuvent être
que l'action et la volonté de ses organes, il s'en suit qu'en droit
international, on pourra parler d'une faute de l'Etat lorsque cette relation
psychologique, en laquelle on a vu que se traduit la faute, subsiste entre la
conduite contrastant avec une obligation juridique internationale de l'Etat et
la personne de l'organe qui l'a tenue »279.Et à A.
GATTINI d'ajouter que, « la culpabilité joue un rôle
essentiel dans l'attribution de la conduite illicite à l'Etat, notamment
en cas de crime. Au sein du Projet de la C.D.I. sur la responsabilité
des Etats de 1996, par ailleurs, la provision de la culpabilité
274 J. PRADEL, op.cit., p.326.
275 Idem, P.327.
276 O. QUIRICO, op.cit., p.239.
277 Ibidem.
278 AGO, R.,» le delit international», loc.cit,
p.72.
279 Ibidem.
[75]
étatique pourrait être déduite du
constat que, aux termes de l'article 31 (Force majeure et cas fortuit),
correspondant à l'article 23 du projet du 2001 (Force majeure), la force
majeure et le cas fortuit incluent l'élément psychologique, donc
la culpabilité »280.
En clair, en ligne avec la tradition d'ANZILOTTI, il faudrait
toutefois introduire une distinction entre la responsabilité objective
absolue et celle relative. On verserait dans un cas de responsabilité
objective absolue lorsque l'organe, donc l'Etat n'aurait pas pu se
représenter les conséquences illicites de son action mais il lui
faudrait le prouver en justice, car il y aurait une sorte de présomption
de la culpabilité. A notre avis, la responsabilité objective
relative constitue un cas de faute avec l'inversion de l'obligation de la
preuve. Dans le cas de la faute, en effet, c'est la victime qui doit
démontrer la faute de l'auteur de l'infraction, alors que, dans le cas
de la responsabilité objective relative, l'auteur devrait
démontrer l'inexistence de la responsabilité en raison de
l'impossibilité absolue de connaître (cas fortuit, force
majeure)281. En suivant cette distinction on parviendra à
rendre le régime de la responsabilité objective relative plus
grave que celle de la faute. Nous préférons donc suivre la
distinction traditionnelle qui partage la responsabilité en trois
classes : à titre de dol, de faute ou de responsabilité objective
unitaire.
Bien évidemment, si l'on reconnait que la
culpabilité constitue le critère déterminant de
l'imputation de la conduite illicite, il faudra ensuite, en tenir compte dans
la détermination de la sanction : la responsabilité collective
permettrait de rationaliser la sanction, en la rendant proportionnée au
degré de la responsabilité étatique282.
En matière de responsabilité criminelle,
notamment une fois admise, la possibilité de la responsabilité
pénale collective au niveau subjectif, on pourrait en déduire des
conséquences relevant du point de vue objectif, selon l'esprit de
l'article 19 du Projet sur la responsabilité des Etats de
1996283.
Finalement, la responsabilisation criminelle de l'individu
n'amène pas à exclure la responsabilité criminelle de
l'Etat, mais au contraire, elle pousse à affirmer : la
responsabilité pénale individuelle et étatique peuvent
exister en même temps284. En ce sens, un signal fort vient du
Projet sur la responsabilité des Etats de 1996 qui prévoit
à l'article 45
280 GATTINI, A.,» Smoking/ No Smoking: some Remarks on the
curent place of Faculty in the I.L.C Draft Article on State
Responsibility», in E.J.I.L. 1999, BOC, 10, n°2, p.397.
281 Idem, p.404.
282 Idem, p.405.
283 O. QUIRICO, op.cit., p.241.
284 AGO, R., « Le délit international »,
loc.cit., p.143.
[76]
§2, le châtiment des agents de l'Etat responsable
pour violation grave, ou criminelle, d'une obligation internationale.
La seule raison de nier la responsabilité pénale
de l'Etat et d'introduire, au niveau collectif une forme différente de
culpabilité par rapport à celle de l'individu-organe,
réside dans des considérations d'ordre politique, puisqu'il
pourrait paraître trop grave de responsabiliser un Etat du point de vue
criminel, de sorte qu'un amoindrissement de la responsabilité serait
souhaitable285. Cette observation, cependant, échappe
à la logique du droit et rentre dans l'ordre des considération
tout à fait politiciennes que, du reste, nous ne pouvons pas partager en
tant que juriste.
285 PELLET, A., «Can a State commit a crime? Definitely,
yes!», loc. cit., pp.425.
[77]
[78]
CONCLUSION
Dans l'ordre juridique international, aucune norme obligatoire
ne reconnait la responsabilité pénale étatique. Toutefois,
l'évolution du droit international notamment la doctrine reconnait la
responsabilité étatique majeure, plus grave que le régime
de la responsabilité ordinaire et le qualifie parfois de criminel. Au
niveau du droit international général, le projet de la C.D.I. sur
la responsabilité des Etats adopté en 1996, en première
lecture, prévoit à l'article 19, la responsabilité de
l'Etat pour crime qui est différente de la responsabilité pour
délit, tandis que le projet final adopté en 2001 et soumis
à l'attention de l'Assemblée Générale des Nations
Unies, consacre la distinction plus ou moins assouplie entre la
responsabilité de l'Etat pour violation du jus cogens et la
responsabilité pour les violations ordinaires. Et donc, il est clair
qu'actuellement en droit international il n' ya plus un régime unique de
responsabilité mais deux régimes distincts, l'un pour la
violation des normes impératives qualifié de crime et l'autre
pour la violation des normes ordinaires. Et au niveau du droit international
relatif, cela se traduit par la reconnaissance par la charte des N.U. de cette
distinction et confie la gestion de violations majeures au C.d.s.
L'article 19 du projet sur la responsabilité des Etats
de 1996 qui a été remplacé dans son contenu par l'article
40 du projet final, met en place au paragraphe 2 ce qu'il faut
considérer comme une théorie générale de
l'infraction étatique alors que le paragraphe 3 esquisse une partie
spéciale de la responsabilité étatique. Du point de vue de
la théorie générale, la responsabilité majeure,
voire criminelle de l'Etat consiste dans la violation du point de vue de la
forme d'une obligation erga omnes indivisible qui protège, du point de
vue de son contenu, les intérêts les plus fondamentaux de la
communauté internationale. Du point de vue de la partie spéciale,
le projet de 1996 établit quels sont les intérêts dignes
d'une tutelle pénale internationale notamment la violation d'une
obligation essentielle pour le maintien de la paix, pour la sauvegarde du droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes, pour la sauvegarde de
l'être humain ainsi que pour la sauvegarde de l'environnement, mais il
est clair que toute la définition de la partie spéciale de la
responsabilité pénale étatique demeure, à certains
égards, discutable, mais constitue un pas extrêmement ambitieux
dans le l'établissement de la responsabilité de l'Etat, dans
l'ordre juridique international, d'un type pénal. Au niveau du droit
international général, l'encadrement de la responsabilité
aggravée de l'Etat ou criminelle implique la réaction collective
mais décentralisée des Etats en contre mesure. Tout Etat peut ,de
façon « décentralisée », évoquer la
responsabilité criminelle de l'Etat et la juger lui-même.
[79]
La sanction qui sera imposée au bout de ce jugement
aura bel et bien une gravité supérieure par rapport à
d'autres sanctions ordinaires, donc sera effectivement afflictive. On constate
malheureusement, suite à l'absence de la hiérarchie et de
l'intégration en droit international, des risques des dérives
anarchiques notamment dans la conduite de la procédure et dans la prise
des sanctions. Du point de vue relatif, la Charte des N.U. Confient la
réaction aux infractions majeures au Cds, par l'entremise du Chapitre
VII.
Du point de vue subjectif l'imputation à l'Etat de
l'infraction internationale se fait par le biais du principe de l'imputation
organique : l'infraction de l'individu est l'infraction de l'Etat
lui-même. Malgré que l'Etat constitue une personne morale, il faut
considérer aussi les principes d'imputations classiques notamment le
dol, la faute et la responsabilité objective.
En définitive, on constate malgré toute les
imperfections, et ce ne sont que là la conséquence d'un droit
international peu intégré, on ne saurait pas nier que le droit
international met en place un régime aggravé qui pourrait
s'apparenté à système pénal typique d'un droit
international d'essence intersubjective; et on ne peut pas refuser d'appliquer
le principe de la pénalisation de l'Etat sous prétexte que le
droit international serait incapable de lui soumettre à un tel
régime, parce qu'une telle idée confirmerait non seulement la
thèse selon la quelle, si l'on veut rester cohérent, qu'aucune
responsabilité-même ordinaire n'existe pas en droit international,
mais aussi et surtout que la règle sur la scène internationale
c'est tout est permis, qui consacrerait dangereusement l'impunité des
Etats, surtout lorsque celui-ci a violé les droits les plus fondamentaux
de la communauté internationale. Aussi on ne pourrait pas
tolérer, sur le plan de la dialectique, que les individus qui ont une
subjectivité internationale moindre et qui déploient peu
d'activités sur la scène internationale, soient eux seuls
accablés par le droit international pénal alors que les Etats qui
sont les principaux acteurs dans cet ordre agissent en toute impunité.
Certes, le droit international ne connait pas, comme le droit interne,
d'autorité supérieure pour non seulement édicter les lois
pénales afin de déterminer quels sont les valeurs communautaires
qui sont susceptibles d'une tutelle pénale mais aussi pour pouvoir
sanctionner les manquements à ces valeurs, mais une réforme
courageuse dans l'ordre juridique international pourrait permettre, et cela
tout en tenant compte des spécificités d'un droit international
horizontal et intersubjectif, de responsabiliser les Etats lorsqu'ils auraient
violé les obligations qui sont dues à toute la communauté
internationale, à la quelle ils appartiennent d'ailleurs. En effet une
révision du Statut de la C.I.J. qui aurait pour but d'élargir son
champ de compétence en ce sens qu'elle pourra se
[80]
prononcer, et cela à la demande soit d'un Etat ou d'un
groupe d' Etat, s'il y a eu ou non violation d'une obligation du jus cogens et
dans l'hypothèse de la réponse affirmative, confier au C.d.s. de
pouvoir déclencher les sanctions prévues au Chapitre VII de la
Charte des N.U.
Ainsi nous n'estimons pas avoir épuisé toutes
les questions dans une branche aussi ondoyante et dynamique qu'est le droit
international pénal, ainsi souhaitons à d'autres chercheurs la
possibilité de pouvoir s'appesantir sur des questions analogues comme
celles de la responsabilité pénale d'autres personnes morales
comme les Organisations internationale ou les autres entités , comme les
sociétés transnationales.
[81]
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[82]
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IV Thèses
1. GINOS, C., Contribution à l'étude de
rapport du droit pénal et de la morale, Thèse sous la
direction G-R de Bombe Toulouse, 1991 ;
2. QUIRICO, O., Réflexions sur le système
du droit international pénal : la
responsabilité « pénale »des Etats et
des autres personnes morales par rapport à celle des personnes physiques
en droit international, Thèse, Toulouse1, 2005.
[87]
TABLE DES MATIERES
EPIGRAPHE i
DEDICACE II
REMERCIEMENTS iii
SIGLES ET
ABREVIATIONs iv
INTRODUCTION GENERALE 1
CHAPITRE 1 : LE CRIME DE L'ETAT DANS LE PROJET DE LA C.D.I. : une
consécration de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat?
8
SECTION 1 : LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE L'ETAT POURCRIME
DANS LE PROJET DE LA
C.D.I. 8
§ 1 Nouvelle approche définitionnelle de la
responsabilité international de l'Etat : la perspective
pénaliste 9
§1.1 L'évacuation du dommage du champ de la
responsabilité internationale de l'Etat 9
§1.2. Les conditions d'engagement de la
responsabilité internationale : Eléments constitutifs du
fait internationalement illicite 12
§2 Différents degrés de responsabilité
en droit international, crime ou responsabilité aggravée et
délit ou responsabilité ordinaire 14
§2.1. Crime et délit, une distinction qualitative
15
§2. 2. Crimes internationaux et responsabilité
pour violation d'une norme impérative du droit
international : une même réalité
juridique 18
SECTION II : LES CONSEQUENCES D'UNE VIOLATION GRAVE D'UNE NORME
DU JUS COGENS 23
§1. Les conséquences lacunaires et
étriquées dans le Projet de la C.D.I. 23
§1.1 Les conséquences étriquées
dans le Projet de la C.D.I. 24
§1.2. Les conséquences lacunaires dans le Projet
de la C.D.I. 25
§2. Les conséquences du crime hors Projet de la
C.D.I. : Le communautarisme et la transparence de
l'Etat 27
§2.1. Le communautarisme : vers une solidarisation de la
répression du « crime
international de l'Etat » 27
§2.2. La transparence de l'Etat ; la
responsabilité pénale individuelle n'exclut pas celle de
l'Etat 29
CHAPII : LE REGIME JURIDIQUE DE LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE
PENALE DE L'ETAT
PARTANT DE LA THEORIE DU CRIME ETATIQUE 32
[88]
SECTION. I. LA CONDITION OBJECTIVE DE LA RESPONSABILITE PENALE DE
L'ETAT : l'infraction
internationale de l'Etat existe effectivement 33
§1 Théorie générale et partie
spéciale de la délinquance étatique 34
§1.1. La théorie générale de
l'infraction étatique 35
§1.2. La partie spéciale de responsabilité
pénale étatique 40
§2. La procédure et la sanction sont collectives mais
décentralisées 49
§2.1. L'absence de la verticalité et la
collectivisation de la procédure 50
§.2.2. La sanction pénale contre l'Etat existe
effectivement 54
SECTION II. ARGUMENT SUBJECTIF DE LA RESPONSABILTE PENALE DE
L'ETAT : L'Etat comme centre
d'imputation pénale 61
§1. Les mécanismes d'imputation de la conduite
infractionnelle à l'Etat : le principe de l'individu
organe 62
§1.1. La reconnaissance de l'Etat comme sujet de droit
international comme condition
indispensable de l'imputation 62
§1.2. Le mécanisme d'imputation de la conduite
criminelle de l'Etat 63
§2. La nécessité d'un degré de
culpabilité dans l'imputation du crime à l'Etat 66
§2.1. Notion et évolution de la doctrine sur la
question de la culpabilité de l'Etat 66
§2.2. Les limites de la théorie de l'imputation
objective et la nécessité d'une mens rea
subjective pour l'imputation du crime à l'Etat.
69
CONCLUSION 78
BIBLIOGRAPHIE Erreur ! Signet non
défini.
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