A. La classification de jure
Pendant longtemps, le rapport « Exchange Arrangements and
Exchange Restrictions » publié annuellement par le FMI depuis 1950
a constitué la principale source d'information sur les régimes de
change21. Le rapport recense les déclarations de politique de
change et des paiements internationaux des pays membres. La classification du
FMI est connue sous le nom de classification officielle ou classification de
jure. Elle demandait aux pays de notifier le régime de change qu'ils
mettent en oeuvre comme appartenant à l'une des catégories
préalablement définies par le FMI.
21 Sauf précision contraire, la classification
du FMI fait référence à la classification officielle ou de
jure.
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En fait, les catégories de systèmes de change
proposées par le FMI ont évolué au cours du temps comme le
montre l'encadré 1, extrait de Reinhart et Rogoff (2002)22.
De deux catégories de régimes de change jusqu'en 1982, on est
passé à 4 à partir de 1983 puis à 8 à partir
de 1999.
Pour décrire la méthode de détermination
des différents régimes, considérons le regroupement en
quatre grands systèmes utilisé en 1997 et 1998. Les
régimes de change fixes regroupent les unions monétaires, la
dollarisation, les caisses d'émission et les systèmes de change
fixes conventionnels. Dans ces derniers, les marges de fluctuation du taux de
change nominal autour de la parité de référence (par
rapport à une devise ou à un panier de devises) sont très
étroites, inférieures à 1%.
Une seconde possibilité est que les valeurs maximale et
minimale du taux de change doivent demeurer dans des bandes étroites de
2% pendant au moins trois mois (Bubula et Ötker-Robe, 200223).
La flexibilité limitée englobe tous les régimes se situant
entre la catégorie fixe et le flottement administré. Les marges
de fluctuations sont plus grandes que celles des systèmes fixes. La
flexibilité limitée regroupe les systèmes de bandes
horizontales de fluctuations autour d'une parité centrale, les crawling
pegs et les crawling bands. Les deux catégories restantes sont le
flottement administré et le flottement indépendant.
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22 Reinhart, C., Rogoff, K., 2002. The Modern History
of Exchange Rate Arrangements: A Reinterpretation. NBER WP No. 8963.
23 Bubula, A., Ötker-Robe, I., 2002. The
evolution of exchange rate regimes since 1990 : Evidence from de facto
policies. IMF Working paper, WP/02/155.
Encadré 1 : Evolution des
catégories de régimes de change du rapport annuel sur les
arrangements et restrictions de change du FMI
Volumes 1950-1973
1. Par value or central rate exists--Par value of central rate
applied
2. Effective rate other than par value or central rate
applicable to all or most transactions: fixed rate or fluctuating
rate
Volume 1974, (no mention of par values)
1. Exchange rate maintained within relatively narrow margins in
terms of: US Dollar, Sterling, French Franc, group of currencies, and average
of exchange rates of main trading partners.
2. Exchange rate not maintained within relatively narrow margins
Volumes 1975-1978
1. Exchange rate maintained within relatively narrow margins in
terms of:
US Dollar, Sterling, French Franc, South African Rand or Spanish
Peseta, group of currencies (Under mutual intervention arrangements), and
composite of currencies.
2. Exchange rate not maintained within narrow margins
Volumes 1979-1982
1. Exchange rate maintained within relatively narrow margins in
terms of
US Dollar, Sterling, French Franc, Australian Dollar, Portuguese
Escudo, South African Randor Spanish peseta, a group of currencies (under
mutual intervention arrangements), a composite of currencies, and a set of
indicators.
2. Exchange rate not maintained within relatively narrow margins
Volumes 1983-1996
Exchange rate determined on the basis of :
1. a peg to: the US Dollar, Sterling, the French Franc, other
currencies, and composite of currencies
2. limited flexibility with respect to: a single currency,
cooperative arrangement
3. More flexible arrangements: adjusted according to a set of
indicators, other managed floating, and
4. Independently floating. Volumes 1997-1998
1. Pegged to: single currency, composite of currencies
2. Flexibility limited
3. Managed floating
4. Independent floating Volumes 1999-2001
1. Exchange arrangement with no separate legal tender
2. Currency board arrangement
3. Conventional pegged arrangement
4. Pegged exchange rate within horizontal bands
5. Crawling peg
6. Crawling band
7. Managed floating with no pre-announced path for the exchange
rate
8. Independently floating
Sources: International Monetary Fund, Annual Report on
Exchange Restrictions, 19501978 and Annual Report on Exchange
Arrangements and Exchange Restrictions, 19702001.
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Source : Reinhart et Rogoff (2002)
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Les régimes officiels dévoilent les intentions
ou promesses des autorités nationales ou internationales en
matière de politique de change et parfois de politique monétaire.
En effet, en annonçant un régime de change donné, les
autorités s'engagent à éventuellement se servir de la
politique monétaire si cela s'avère nécessaire pour
délivrer le régime promis. Par conséquent, la
classification de jure est importante dans les domaines où les
anticipations jouent un rôle décisif24.
Les régimes de jure jouent donc un rôle
indispensable dans la formulation des anticipations qui elles-mêmes
conditionnent la crédibilité des décisions des
autorités et influencent les décisions des agents
économiques. En ce sens, la classification officielle propose une
approche d'anticipation ou approche forward-looking, permettant aux agents
économiques de formuler des anticipations d'évolution de la
politique de change et éventuellement de la politique monétaire.
Ils peuvent permettre aux autorités d'influencer les anticipations des
agents économiques et par la suite leurs décisions
(détermination des salaires et des prix, investissement ...).
Bien que conscients de ce fait, les autorités
décident quelques fois, de ne pas annoncer publiquement le régime
de change qu'elles mettent en oeuvre. C'est le cas par exemple lorsqu'un pays
rattache sa monnaie à un panier de devises mais n'en dévoile pas
la composition ou la pondération attribuée à chaque
devise. Cette décision peut conférer une relative marge de
manoeuvre aux autorités car elle peut leur permettre de modifier le taux
de change, de limiter ses fluctuations ou de le laisser fluctuer (Frankel et
Wei, 200825), sans renier un engagement. Cette latitude
s'avère particulièrement utile quand la défense du taux de
change devient très couteuse (Frenkel et Goldstein,
198926).
Dans l'évolution récente de sa politique de
change, la Chine a opté pour une bande de fluctuations du yuan par
rapport à onze devises sans dévoiler la pondération du
panier de rattachement (Frankel et Wei, 2008).
En réalité, il a été
constaté que, dans plusieurs pays, à différentes
périodes, le régime de change observé était
différent de celui initialement promis. En effet, Calvo et Reinhart
(2002)27 ont mis en évidence une épidémie de
« peur du flottement » qui
24 De plus, la classification officielle couvre un
grand nombre de pays, sur une période de temps relativement longue et
elle a été régulièrement mise à jour
jusqu'en 1998 (Bubula et Ötker-Robe, 2002).
25 Frankel, A.J., Wei, S.J., 2008. Estimation of de
facto Exchange Rate Regimes: Synthesis of the Techniques for Inferring
Flexibility and Basket Weights. IMF Staff Papers, Vol. 55, No. 3.
26 Frenkel, A.J., Goldstein, M., 1989. Exchange Rate
Volatility and Misalignment: Evaluation some Proposals for Reform. NBER WP
2894.
27 Calvo. A.G., Reinhart, C., 2002. Fear of Floating. Quarterly
Journal of Economics, Vol. 117, No. 2.
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traduit le fait que de nombreux pays déclarant
officiellement un système de change flottant mettent en oeuvre, de fait,
un régime fixe (Calvo et Reinhart, 2000). Ces pays interviennent
massivement pour limiter substantiellement les fluctuations de leur taux de
change et le transformant ainsi en un taux fixe.
En outre, des pays qui annoncent des systèmes de change
fixes modifient si fréquemment la parité de leur monnaie que le
régime devient flexible de facto (Reinhart et Rogoff, 2002 ; Frankel,
2003 ; Levy-Yeyati et Sturzenegger, 200528 ; Frankel et Wei,
2008).
Néanmoins, comme le soulignent Reinhart et Rogoff
(2002), le taux de change nominal officiel demeure la variable principale
utilisée par le FMI pour identifier les systèmes de change. En
dehors de l'approche modifiée du FMI, d'autres schémas ont
été développés pour classer les régimes de
change mis en oeuvre par les pays.
Ces schémas sont connus sous le nom de classifications
de facto. Parmi les plus célèbres se trouvent la classification
proposée par Levy-Yeyati et Sturzenegger (200329, 2005) et
celle développée par Reinhart et Rogoff (2003). Nous aborderons
le principe, les avantages et les limites de ces deux démarches de facto
dans ce qui suit.
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